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« PSYCHOLOGIE SOCIALE ET THEORIE DES JEUX : ETUDE DE CERTAINS JEUX SPORTIFS » PAR M. DELAUNAY, B. DURING, B. PARIS, Agrégés d'EPS COMPTE RENDU DE LA SOUTENANCE DE THESE de PIERRE PARLERAS. PROFESSEUR A L'INSEP N ous sommes nombreux, ce vendredi 26 octobre 1984, à la Sorbonne. pour la soutenance de thèse de Pierre Parlebas. Venus de l'éducation physique surtout, de l'Université et des CEMEA aussi ; venus, et de fort loin parfois, si nombreux que tous ne pourront entrer ; venus par curiosité, intérêt, par sympathie, amitié, pour ne pas manquer cette confrontation de travaux, que nous suivons depuis bientôt vingt ans, aux exigences d'un jury prestigieux. Certes, ce n'est pas la première fois que l'occasion nous est donnée d'accompagner ainsi un professeur d'éducation physique dans ce qui constitue l'ultime épreuve d'une carrière de chercheur. Nous connais- sons la cérémonie, son rituel, cette alternance de compliments et de reproches qui en font le sel et, parfois, la cruauté. Jusqu'ici, cependant, les thèses soutenues l'étaient dans des discipli- nes universitaires constituées, reconnues, comme en attestait la com- position des jurys. Cette fois, l'enjeu est différent. 11 ne s'agit plus de prouver, comme certains l'ont fait brillamment, que les professeurs d'éducation physique peuvent, lorsqu'ils empruntent les voies de la recherche identifiée par l'Université, les parcourir avec brio. Il s'agit de proposer la création d'une discipline scientifique nouvelle, origi- nale, ayant pour objet l'action motrice, et pour effet de dégager un point de vue inédit sur les pratiques. Si certains, jusqu'ici, se sont risqués à parler de nos pratiques malgré le discrédit dans lequel elles étaient tenues, et ont ainsi contribué à en promouvoir l'étude, aujourd'hui, le risque pris est double : il est dans le choix d'un objet encore souvent déprécié, mais aussi dans la méthode, dans le mode original de construction de cet objet. Et. loin de masquer prudemment la difficulté, voilà que P. Parlebas y insiste, dès les premières phrases de son exposé liminaire. Non content d'affirmer pour l'analyse scientifique de l'action motrice prise en elle-même, dans sa complexité, l'insuffisance des approches disciplinaires tour à tour explorées, des sciences biologiques aux sciences humaines et sociales, son analyse critique refuse aussi toute démarche qui se contenterait de transposer des modèles interdiscipli- naires. Il s'agit explicitement de construire l'objet, de créer les méthodes d'une démarche scientifique nouvelle, ce dont témoigne à la fois l'ensemble des articles parus, par exemple, dans la Revue « Education Physique et Sport ». de 1967 à 1977, et le « Lexique Commenté en Science de l'Action Motrice » de 1981 [2]. proposé en exergue des trois forts volumes de la thèse (1982 : 1983 : 1984). A démarche scientifique nouvelle, concepts nouveaux. L e pari est pris, les enjeux fixés : quel verdict ? D'abord, mais cela nous ne le saurons qu'après cinq heures de commentaires, de questions et de réponses, la plus haute mention à l'unani- mité. Ensuite, ou plutôt en cours de route, trois points essentiels, fortement soulignés. En premier lieu, la réelle maîtrise de quatre disciplines « portées à un niveau élevé, assez irréprochable ». Chacun des membres du jury, spécialiste éminent intervient d'abord du point de vue de sa compé- tence propre pour souligner celle de P. Parlebas. Oui, l'usage qui est fait des mathématiques accompagne rigoureusement la pensée, sans qu'il y ait jamais effet de placage ; oui, les incursions en linguistique « concernent le linguiste dans ses propres recherches » ; oui, le psycho-sociologue et le sociologue soulignent l'intérêt de cette « main-mise sur l'ensemble le plus clair de situations où l'on peut étudier l'action sociale et le jeu des interactions ». Mais, même si tout cela est du plus haut prix et mérite d'être évoqué comme témoignage de l'empan d'une culture, là n'est pas l'essentiel du pari, ni du verdict : au-delà de tout ce qui est dit sur le chercheur, qu'entendons-nous du projet qui est au coeur de la recherche, et lui confère à la fois son unité et son originalité '.' La légitimité de la science de l'action motrice comme discipline, et c'est là le second point, n'est directement remise en cause par aucun de ces chercheurs éminents, qui font autorité dans les leurs. Ni le titre du lexique ni son contenu - jugé, au contraire, d'une « rigueur exemplaire » - ne font l'objet de réserves ou de critiques, pas plus que l'économie générale de la démarche, le projet qui l'anime. Enfin, en troisième point, l'intérêt de cette nouvelle discipline se trouve souligné par celui des questions qu'elle pose, tant sur son objet propre, qu'aux disciplines constituées, qui, selon leur pertinence, procèdent autrement lorsqu'elles envisagent les mêmes phénomènes. Comme le soulignent plusieurs membres du jury « non seulement ce travail est fondamental sur l'action motrice, mais il invite à aller plus loin ». Ce que nous entendons comme plus loin dans l'analyse spécifique de l'action motrice, aussi bien que comme plus loin dans la mise en relation de celle-ci avec les apports multiples des discipli- nes constituées. L' après-midi s'est écoulée. Malgré une courte pause, l'amphi- théâtre Durkeim est toujours aussi bondé. Les bancs se font plus durs, la chaleur plus lourde. Et l'épreuve continue : bien sûr des questions, des objections, et aussi des réponses. L'attention qui parfois fléchit, la pensée qui s'évade... par exemple, vers ces amis de l'étranger avec lesquels le dialogue est facile, et qui sont souvent d'accord pour écrire, comme R. Zanon, dans son ouvrage intitulé « Gioco Sport Educazione » [2], « il est fait, ici, presqu'exclusivement référence à un chercheur français, le professeur P. Parlebas. enseignant à l'INSEP de Paris, le théoricien d'Europe Occidentale qui travaille aujourd'hui avec la plus grande lucidité dans le domaine de l'éducation motrice ». Certes, « référence n'est pas révérence » ; c'est bien de travail scienti- fique qu'il s'agit et non d'adhésion purement militante. Le verdict chaleureux du jury le confirme et donne raison à cette autre affirma- tion de R. Zanon pour qui « se référer aux recherches de P. Parlebas ne revient pas à se présenter comme « parlebasien », mais à tenter d'utiliser ses contributions pour faire avancer le débat et la connais- sance ». Michel Delaunay UER - EPS - Marseille Bertrand During INSEP Bernard Paris CREPS - Houlgate [I] Parlebas (P.) - Lexique commenté en science de l'Action Motrice - Publications INSEP, 11, av. du Tremblay - 75012 Paris - 1981. [2] Zanon (R.). - « Gioco Sport Educazione ». « Per una pedagogia critica della condotti motorie » Societa Stampa Sportiva. - Roma. p. 28. Jury de thèse pour le Doctorat d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines : Président : M. le Professeur Marc Barbut (Mathématiques - Paris V) ; Rapporteur : M. le Professeur Jacques Lautman (Sociologie - Paris V) : Membres du Jury : MM. les Professeurs : Roger Daval (Psychologie sociale - Paris V) ; Raymond Boudon (Sociologie - Paris l 'y : Claude Bremond/Sémiologie - E.P.H.E.) ; Claude Flament (Psychologie Sociale, Mathématiques - Aix - Marseille) : Jacques Ulmann (Philosophie - Paris I). 50 Revue EP.S n°193 Mai-Juin 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

« PSYCHOLOGIE SOCIALE ET THEORIE DES JEUX : ETUDE DE ...uv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70193-50.pdf · la fois l'ensemble des articles parus, par exemple, dans

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  • « PSYCHOLOGIE SOCIALE ET THEORIE DES JEUX : ETUDE DE CERTAINS JEUX SPORTIFS »

    PAR M. DELAUNAY, B. DURING, B. PARIS, Agrégés d 'EPS

    COMPTE RENDU DE LA SOUTENANCE DE THESE de PIERRE PARLERAS. PROFESSEUR A L'INSEP

    N ous sommes nombreux, ce vendredi 26 octobre 1984, à la Sorbonne. pour la soutenance de thèse de Pierre Parlebas. Venus de l'éducation physique surtout, de l'Université et des C E M E A aussi ; venus, et de fort loin parfois, si nombreux que tous ne pourront entrer ; venus par curiosité, intérêt, par sympathie, amitié, pour ne pas manquer cette confrontation de travaux, que nous suivons depuis bientôt vingt ans, aux exigences d'un jury prestigieux. Certes, ce n'est pas la première fois que l 'occasion nous est donnée d'accompagner ainsi un professeur d'éducation physique dans ce qui constitue l'ultime épreuve d'une carrière de chercheur. N o u s connais-sons la cérémonie, son rituel, cette alternance de compliments et de reproches qui en font le sel et, parfois, la cruauté. Jusqu'ici, cependant , les thèses soutenues l'étaient dans des discipli-nes universitaires constituées, reconnues, comme en attestait la com-posit ion des jurys. Cette fois, l'enjeu est différent. 11 ne s'agit plus de prouver, c o m m e certains l'ont fait brillamment, que les professeurs d'éducation physique peuvent, lorsqu'ils empruntent les voies de la recherche identifiée par l'Université, les parcourir avec brio. Il s'agit de proposer la création d'une discipline scientifique nouvel le , origi-nale, ayant pour objet l'action motrice, et pour effet de dégager un point de vue inédit sur les pratiques.

    Si certains, jusqu'ici, se sont risqués à parler de nos pratiques malgré le discrédit dans lequel elles étaient tenues, et ont ainsi contribué à en promouvoir l'étude, aujourd'hui, le risque pris est double : il est dans le choix d'un objet encore souvent déprécié, mais aussi dans la méthode, dans le mode original de construction de cet objet. Et. loin de masquer prudemment la difficulté, voilà que P. Parlebas y insiste, dès les premières phrases de son exposé liminaire. N o n content d'affirmer pour l'analyse scientifique de l'action motrice prise en el le-même, dans sa complexité , l'insuffisance des approches disciplinaires tour à tour explorées , des sciences biologiques aux sciences humaines et sociales, son analyse critique refuse aussi toute démarche qui se contenterait de transposer des modèles interdiscipli-naires. Il s'agit explicitement de construire l'objet, de créer les méthodes d'une démarche scientifique nouvel le , ce dont témoigne à la fois l 'ensemble des articles parus, par exemple , dans la Revue « Education Physique et Sport ». de 1967 à 1977, et le « Lexique Commenté en Science de l'Action Motrice » de 1981 [2]. proposé en exergue des trois forts volumes de la thèse (1982 : 1983 : 1984). A démarche scientifique nouvel le , concepts nouveaux.

    L e pari est pris, les enjeux fixés : quel verdict ? D'abord, mais cela nous ne le saurons qu'après cinq heures de commentaires , de questions et de réponses, la plus haute mention à l'unani-mité. Ensuite, ou plutôt en cours de route, trois points essentiels, fortement soulignés.

    En premier lieu, la réelle maîtrise de quatre disciplines « portées à un niveau élevé, assez irréprochable ». Chacun des membres du jury, spécialiste éminent intervient d'abord du point de vue de sa compé-tence propre pour souligner celle de P. Parlebas. Oui, l'usage qui est fait des mathématiques accompagne rigoureusement la pensée, sans

    qu'il y ait jamais effet de placage ; oui, les incursions en linguistique « concernent le linguiste dans ses propres recherches » ; oui, le psycho-soc io logue et le soc io logue soulignent l'intérêt de cette « main-mise sur l'ensemble le plus clair de situations où l'on peut étudier l'action sociale et le jeu des interactions ». Mais, même si tout cela est du plus haut prix et mérite d'être évoqué comme témoignage de l'empan d'une culture, là n'est pas l'essentiel du pari, ni du verdict : au-delà de tout ce qui est dit sur le chercheur, qu'entendons-nous du projet qui est au cœur de la recherche, et lui confère à la fois son unité et son originalité '.' La légitimité de la science de l'action motrice comme discipline, et c'est là le second point, n'est directement remise en cause par aucun de ces chercheurs éminents, qui font autorité dans les leurs. Ni le titre du lexique ni son contenu - jugé, au contraire, d'une « rigueur exemplaire » - ne font l'objet de réserves ou de critiques, pas plus que l 'économie générale de la démarche, le projet qui l'anime.

    Enfin, en troisième point, l'intérêt de cette nouvelle discipline se trouve souligné par celui des questions qu'elle pose, tant sur son objet propre, qu'aux disciplines constituées, qui, selon leur pertinence, procèdent autrement lorsqu'elles envisagent les mêmes phénomènes . C o m m e le soulignent plusieurs membres du jury « non seulement ce travail est fondamental sur l'action motrice, mais il invite à aller plus loin ». Ce que nous entendons comme plus loin dans l'analyse spécifique de l'action motrice, aussi bien que comme plus loin dans la mise en relation de celle-ci avec les apports multiples des discipli-nes constituées.

    L' après-midi s'est écoulée. Malgré une courte pause, l'amphi-théâtre Durkeim est toujours aussi bondé. Les bancs se font plus durs, la chaleur plus lourde. Et l'épreuve continue : bien sûr des questions, des objections, et aussi des réponses. L'attention qui parfois fléchit, la pensée qui s'évade... par exemple , vers ces amis de l'étranger avec lesquels le dialogue est facile, et qui sont souvent d'accord pour écrire, comme R. Zanon, dans son ouvrage intitulé « Gioco Sport Educazione » [2], « il est fait, ici, presqu'exclusivement référence à un chercheur français, le professeur P. Parlebas. enseignant à l ' INSEP de Paris, le théoricien d'Europe Occidentale qui travaille aujourd'hui avec la plus grande lucidité dans le domaine de l'éducation motrice ».

    Certes, « référence n'est pas révérence » ; c'est bien de travail scienti-fique qu'il s'agit et non d'adhésion purement militante. Le verdict chaleureux du jury le confirme et donne raison à cette autre affirma-tion de R. Zanon pour qui « se référer aux recherches de P. Parlebas ne revient pas à se présenter comme « parlebasien », mais à tenter d'utiliser ses contributions pour faire avancer le débat et la connais-sance ».

    Michel Delaunay U E R - EPS - Marseille

    Bertrand During I N S E P

    Bernard Paris C R E P S - Houlgate

    [ I ] Parlebas (P.) - Lexique commenté en science de l 'Action Motrice - Publicat ions INSEP , 11, av. du Tremblay - 75012 Paris - 1981. [2] Zanon (R.). - « Gioco Sport Educazione ». « Per una pedagogia critica della condott i motorie » Societa Stampa Sportiva. - Roma. p . 28.

    Jury de thèse pour le Doctorat d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines : Président : M. le Professeur Marc Barbut (Mathématiques - Paris V) ; Rapporteur : M. le Professeur Jacques Lautman (Sociologie - Paris V) : Membres du Jury : MM. les Professeurs : Roger Daval (Psychologie sociale - Paris V) ; Raymond Boudon (Sociologie - Paris l'y : Claude Bremond/Sémiologie - E.P.H.E.) ; Claude Flament (Psychologie Sociale, Mathématiques - Aix - Marseille) : Jacques Ulmann (Philosophie - Paris I).

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    Revue EP.S n°193 Mai-Juin 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé