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Chapitre 14. Objet et méthodes de la sociologie 1. La construction de l’objet sociologique 1.1 Distinguer objet social et objet sociologique Document : distinguer objet social et objet sociologique La sociologie doit construire ses propres objets de science, mais qu’est- ce qu’un objet sociologique ? On confond souvent (…) problème social et problème sociologique, les deux expressions étant utilisées indifféremment pour désigner des « phénomènes de société ». Le problème de « la drogue » ou des « femmes battues », de « l’enfance maltraitée » ou du « chômage des jeunes » sont autant de problèmes pour lesquels on sollicite des sociologues. Pourtant il s’agit là non pas de « problèmes sociologiques » mais de « problèmes sociaux », c’est-à-dire de phénomènes qui, pour des raisons sociales particulières, deviennent des problèmes socialement constitués comme importants et qui appellent une action ou une intervention. Or, ce qui est considéré à un moment donné comme « un problème social » varie selon les époques et les sociétés et peut disparaître comme tel, alors que les phénomènes qu’il désigne subsistent. Construire un objet sociologique ne consiste donc pas simplement à prendre la réalité sociale comme elle se donne. Cela suppose un travail laborieux qui vise à découvrir derrière les apparences des faits sociaux liés entre eux par des relations nécessaires. Source : Patrick Champagne « La sociologie », Les essentiels Milan, 1997, p.37 Document : des lunettes différentes pour « voir » la réalité sociale Le sociologue considère tel ou tel plan de la réalité avec des lunettes spécifiques théoriques (selon une analogie chère à Pierre Bourdieu ou Jean-Claude Passeron). Il a le choix entre plusieurs modèles. Schématiquement, distinguons-en trois. Le premier type cherche à repérer les déterminants sociaux du comportement étudié ; le deuxième veut comprendre comment les individus s’expliquent ce qu’ils font ; et la troisième appréhende les processus d’interactions. La première option. (…) Dans Les Héritiers, P.Bourdieu et J.C.Passeron ont montré la force de la relation entre l’origine sociale des étudiants et leur niveau de réussite scolaire. La vision subjective des individus (« le don » ou « le mérite ») est une prénotion à éviter pour appréhender les mécanismes souterrains producteurs de ces résultats. Cette sociologie explicative met en avant le principe de l’inconscient social (…). Avec la deuxième option, le sociologue cherche à découvrir le monde subjectif au sein duquel l’individu vit et qui donne sens à la pratique considérée. Cette sociologie « compréhensive » met en avant le principe de la conscience. Dans les Larmes de Marianne, Pascal Duret étudie les raisons que se donnent les hommes et les femmes pour avoir voté pour la première fois Front National et le sens que prend ce vote dans la totalité de leur existence et pas seulement dans le registre politique (…).

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Chapitre 14. Objet et méthodes de la sociologie

1. La construction de l’objet sociologique

1.1 Distinguer objet social et objet sociologique

Document : distinguer objet social et objet sociologique La sociologie doit construire ses propres objets de science, mais qu’est-ce qu’un objet sociologique ? On confond souvent (…) problème social et problème sociologique, les deux expressions étant utilisées indifféremment pour désigner des « phénomènes de société ». Le problème de « la drogue » ou des « femmes battues », de « l’enfance maltraitée » ou du « chômage des jeunes » sont autant de problèmes pour lesquels on sollicite des sociologues. Pourtant il s’agit là non pas de « problèmes sociologiques » mais de « problèmes sociaux », c’est-à-dire de phénomènes qui, pour des raisons sociales particulières, deviennent des problèmes socialement constitués comme importants et qui appellent une action ou une intervention. Or, ce qui est considéré à un moment donné comme « un problème social » varie selon les époques et les sociétés et peut disparaître comme tel, alors que les phénomènes qu’il désigne subsistent. Construire un objet sociologique ne consiste donc pas simplement à prendre la réalité sociale comme elle se donne. Cela suppose un travail laborieux qui vise à découvrir derrière les apparences des faits sociaux liés entre eux par des relations nécessaires.

Source : Patrick Champagne « La sociologie », Les essentiels Milan, 1997, p.37

Document : des lunettes différentes pour « voir » la réalité socialeLe sociologue considère tel ou tel plan de la réalité avec des lunettes spécifiques théoriques (selon une analogie chère à Pierre Bourdieu ou Jean-Claude Passeron). Il a le choix entre plusieurs modèles. Schématiquement, distinguons-en trois. Le premier type cherche à repérer les déterminants sociaux du comportement étudié ; le deuxième veut comprendre comment les individus s’expliquent ce qu’ils font ; et la troisième appréhende les processus d’interactions. La première option. (…) Dans Les Héritiers, P.Bourdieu et J.C.Passeron ont montré la force de la relation entre l’origine sociale des étudiants et leur niveau de réussite scolaire. La vision subjective des individus (« le don » ou « le mérite ») est une prénotion à éviter pour appréhender les mécanismes souterrains producteurs de ces résultats. Cette sociologie explicative met en avant le principe de l’inconscient social (…).Avec la deuxième option, le sociologue cherche à découvrir le monde subjectif au sein duquel l’individu vit et qui donne sens à la pratique considérée. Cette sociologie « compréhensive » met en avant le principe de la conscience. Dans les Larmes de Marianne, Pascal Duret étudie les raisons que se donnent les hommes et les femmes pour avoir voté pour la première fois Front National et le sens que prend ce vote dans la totalité de leur existence et pas seulement dans le registre politique (…).Avec la troisième option, le sociologue sera surtout sensible aux interactions qu’il observera. Ainsi James Spradleu et Brenda Mann font une monographie d’un bar américain, observant les échanges entre (…) les serveuses, les familiers, les habitués, les passants (…). Ils analysent notamment les relations à plaisanteries, les représentations que chacun donne … En menant une longue observation sur un terrain, le sociologue repère le niveau particulier de la réalité sociale, microsociologique, qui régule les interactions et contribue à définir la situation.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.19-20

Document : « le point de vue créé l’objet » F. de Saussure « Le point de vue crée l’objet » disait le linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913). Il justifiait ainsi le droit de toute discipline scientifique à construire ses propres objets d’étude. S’agissant d’étudier l’homme, plusieurs points de vue, non exclusifs, sont possibles. Pour le biologiste, l’homme est considéré en tant qu’organisme vivant dont il s’agit de comprendre le fonctionnement biologique. Le point de vue du sociologue est tout aussi segmenté : il se penche sur l’homme en tant qu’être social. Pour lui, l’homme est un support biologique qui a été conditionné socialement. Et ce qu’il se propose d’étudier, c’est seulement ce qu’il y a de social en l’homme.

Source : Patrick Champagne « La sociologie », Les essentiels Milan, 1997, p.36

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Document : Enquêter sur quoi ? L’étape de problématisation Toute enquête suppose la construction d’un objet sociologique. Celui-ci comporte une dimension empirique et théorique. La première dimension renvoie à un sujet concret, compréhensible notamment par les non-sociologues. Le petit-déjeuner est un sujet de ce type. L’enquête sociologique ne consiste pas à faire une description des différentes manières de petit-déjeuner, elle doit aussi poser une question, dessiner une perspective théorique. Ainsi le petit-déjeuner est intéressant car il peut permettre de comprendre comment fonctionnent les relations familiales. On peut également choisir d’étudier cette pratique comme un temps qui nous renseigne sur la façon dont les hommes et femmes gèrent leur alimentation et leurs corps. La pratique est la même au départ, mais du fait de la question différente, ses contours changent. On a donc finalement un objet sociologique, spécifique, qui retient de la réalité les éléments qui sont pertinents.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.65-66

Document : de l’utilité d’une diversité des lunettes sociologiques S’il existe des débats entre scientifiques qui utilisent des « lunettes » différentes, on peut concevoir que cette diversité des lunettes permet de mieux voir la réalité car elle permet de multiplier les points de vue. Nous savons en effet qu’un modèle scientifique simplifie la réalité ; en choisissant un point de départ, le sociologue ne peut donc pas prétendre expliquer toutes les dimensions de la réalité sociale. Comme la construction théorique s’appuie sur des postulats, la diversité des postulats produit une diversité des théories. Ainsi, si on cherche à rendre compte de la délinquance comme objet sociologique, on peut faire appel à une sociologie qui met l’accent sur les comportements rationnels d’individus qui font un calcul coût-avantage avant de passer à l’acte ; une sociologie qui considère la délinquance comme un fait social normal, fait social qui peut être amené à varier statistiquement en fonction de l’évolution d’autres fait sociaux comme par exemple le degré d’intégration ; une sociologie qui met l’accent sur la construction des identités et qui montre comment les individus se créent petit à petit une identité de « délinquant ». A partir du moment, où toute démarche scientifique commence par la construction de son objet et la simplification du monde réel, les différentes théories ne s’opposent pas mais se complètent dans la connaissance de la société. D’une certaine manière, on peut donc dire qu’une théorie nous éloigne de la réalité (car toute simplification conduit à éliminer certaines variables) mais qu’une pluralité de théorie nous rapproche de cette réalité (car davantage de mécanismes sociaux sont mis à jours). D’une certaine manière, on peut dire que chaque lunette sociologique a des angles morts (ce qu’elle ne peut pas expliquer, c’est-à-dire voir), et en portant plusieurs lunettes on élimine ces angles morts.

DocumentLa sociologie naît lorsque, dans un même mouvement, elle problématise son objet et le mode de connaissance qui lui convient et met à l’épreuve empiriquement la pertinence de ses choix.

Source : Jean-Michel Berthelot « La construction de la sociologie », Puf QSJ, 3ième édition 1995, p.5-6

1.2 L’objectivité du savant, un idéal inaccessible : distinguer savoir ordinaire et savoir savant

Document : avoir un point de vue objectif sur la réalité sociale Il n’y a pas d’observation de la réalité sociale sans un minimum de théorie au départ. On ne regarde pas ce qui se passe dans la société sans avoir quelques idées préconçues, que ce soient des idées ou des hypothèses de bon sens, ou que ce soient des hypothèses issues d’autres recherches sociologiques. La sociologie, comme toutes les sciences contemporaines constitue son objet à partir de la réalité en fonction de son corps d’hypothèses et de théories. Une science positive doit regarder les faits sociaux comme des choses disait Durkheim, avec le même œil qu’un homme de science applique aux phénomènes biologiques, physiques ou chimiques. Les faits sociaux deviennent des objets de recherche seulement lorsqu’ils sont analysés en termes sociologiques. Une science positive part des conduites, les décrit et les interprète pour les comprendre sans porter aucun jugement de valeur. Pour le sociologue une conduite répréhensible est une conduite aussi normale qu’une conduite acceptée par une société. Construire une théorie qui rende compte de la réalité n’est pas porter un jugement sur cette réalité.

Source : Henri Mendras « Eléments de sociologie », A.Colin, 1996, p. 9

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Document : la vigilance épistémologique du sociologue Dans leur ouvrage Le Métier de sociologue (1968) Bourdieu, Passeron et Chamboredon affirment que l’objectivité du sociologue ne va pas de soi. Le sociologue mène un travail qui vise à produire un savoir objectif sur le monde social, mais cette démarche est rendue difficile par le risque permanent de succomber, d’introduire dans le raisonnement, des jugements de valeur. Ce qui distingue le savoir « ordinaire » du savoir « savant » c’est justement cette capacité à s’extraire d’une manière de pensée « ordinaire » ; capacité qui est associée à une pratique professionnelle. Le travail scientifique du sociologue consiste à « conquérir » un savoir objectif contre un ensemble de pièges qui jalonnent toutes les étapes de l’enquête sociologique. Ces pièges apparaissent lorsque le sociologue choisit son objet, élabore une démarche analytique, met en place des enquêtes et enfin lorsqu’il utilise ses travaux pour participer au débat public et à la vie de la Cité. Le sociologue doit donc réaliser un travail sur sa propre pratique en se demandant dans quelle mesure il réussit à donner une représentation objective de la réalité.

Document : la nécessité d’une socio-analyse du sociologueL’analogie avec les lunettes, comme toute analogie, permet par déplacement de produire une certaine intelligibilité, c’est un mode de raisonnement fréquent en sociologie. Il faut pousser jusqu’au bout l’analogie pour en démontrer les limites, selon J.C.Passeron, cette inadéquation nous éclairant encore sur le réel. L’analogie avec les lunettes est utile en ce qu’elle permet de comprendre que les théories sont des points de vue qui créent l’objet, comme le soulignait le philosophe G.Bachelard et que le réel n’est jamais appréhendé sans la médiation de catégories. Elle fait oublier que la socialisation est telle que les lunettes ordinaires sont oubliées par ceux et celles qui les portent, celles-ci étant en quelque sorte incorporées. On ne peut pas mettre de côté sa socialisation pour mettre des lunettes savantes. (…) Comment opérer pour avoir un regard neuf ? La désocialisation est un objectif inaccessible, on peut au mieux prendre conscience de certaines caractéristiques de ces lunettes familières, de certaines des déformations qu’elles produisent. Donc le plus fréquemment, le sociologue ajoute des lunettes savantes à des lunettes ordinaires : il voit autrement, il voit des choses qu’il ne voyait pas auparavant. Il n’a cependant jamais la certitude que sa vision savante est dégagée des effets associés à sa vision ordinaire. Il doit rester vigilant pour que cette dernière ne lui fasse pas voir de manière trop déformée le social en fonction des critères de ses groupes d’appartenance (genre, génération, origine sociale, culture nationale …) pour qu’il ne succombe à l’ethnocentrisme. Sinon, son regard socialisé le conduira à regarder en fonction des critères de son propre groupe d’appartenance. Même si ce n’est pas une tradition sociologique comme en psychanalyse, la formation en sociologie doit, devrait, inclure une socio-analyse pour que chacun puisse mieux savoir d’où il regarde le monde social.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.26

Document : les préférences du sociologue influencent le choix du sujet d’étude Avant tout chose le sociologue aurait intérêt à réfléchir sur les raisons qui l’ont conduit à envisager telle ou telle recherche. S’interroger sur le choix de son sujet est en effet déjà une première distanciation. Comment le chercheur, qu’il soit débutant ou expérimenté, choisit-il ? Le professeur qui accueille son étudiant au moment de la délimitation du projet de recherche constate souvent le lien étroit entre le sujet que celui-ci a choisi et son expérience vécue, le milieu social dans lequel il a grandi, les rencontres qu’il a pu faire, les injustices qu’il condamne … Autant de points qui constituent son rapport au monde. (…) En réalité, le choix d’un sujet n’est jamais anodin. Il est souvent le résultat de motivations souvent inconscientes ou tout au moins peu explicitées. Prenons un exemple. Pourquoi Durkheim a-t-il choisi le suicide ? (…) Quel lien personnel Durkheim pouvait-il entretenir avec le suicide ? On sait à partir de sa correspondance, qu’il se considérait lui-même comme un « neurasthénique ». (…) Au delà de l’enjeu strictement sociologique de l’étude du suicide, il n’est pas absurde de penser que ce sujet pouvait avoir pour lui, au moins partiellement, un intérêt existentiel. (…) Les sociologues projettent presque inévitablement une partie d’eux-mêmes dans les recherches qu’ils mènent. (…) Les sociologues ne choisissent jamais totalement au hasard les thèmes de leur recherche, et dans le cas du suicide, il est rare qu’un sociologue s’intéresse à ce sujet sans y avoir été, à un moment de sa vie, directement ou indirectement confronté. (…) Avoir conscience que le choix d’un sujet est rarement neutre, qu’il est souvent une composante de l’expérience vécue du chercheur, est déjà un premier pas vers l’objectivation ou ce que l’on pourrait appeler une « sociologie réflexive ». Il s’agit toutefois d’un exercice difficile car il implique une rupture du sociologue avec tout ce qui le rattache à l’objet étudié. (…) Bourdieu a expliqué que la recherche la plus difficile qu’il a menée, la plus coûteuse en termes d’efforts d’objectivation, est celle sur les intellectuels et le champ universitaire. 

Source : Serge Paugam, La Pratique de la sociologie, Puf, 2007

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Document  : établir une distance entre soi et la réalité observéeEtablir artificiellement une distance entre soi et les réalités observées est la préoccupation primordiale du sociologue. Les techniques de recherche n’ont pas d’autre but. Pour l’ethnologue qui va étudier les tribus lointaines, la distance s’établit grâce au long voyage et à la différence qui sépare sa civilisation de celle qu’il va étudier. Mais il y a là aussi un danger, celui de voir cette civilisation étrange à travers le prisme de la sienne propre. Inversement, on peut citer le cas de l’Indien américain que tel ethnologue du début du XXième siècle convoquait à New York pour lui poser des questions. Cet indigène n’était impressionné, ni par les gratte-ciel, ni par l’animation des rues, mais seulement par ce qui avait une signification dans sa propre civilisation, par exemple les boules de verre du bas des rampes d’escalier ou les femmes naines que l’on montrait dans les foires. Lorsqu’il étudie la civilisation très différente de la sienne, l’ethnologue court toujours le risque de prendre l’étrange pour le significatif. Pour le sociologue, les techniques d’enquête sont un moyen d’arriver à une sorte de dédoublement de la personnalité pour s’abstraire de soi-même et de son propre milieu

Source : Henri Mendras « Eléments de sociologie », A.Colin, 1996, p. 12

Document : s’écarter des prénotions, l’exemple de la pauvreté Comme tout individu vivant en société, le sociologue a des opinions, des préférences, un rapport personnel aux choses et aux êtres. Les phénomènes qu’il étudie – ce que l’on appelle le social au sens large – ne sont pas isolables de l’activité humaine à laquelle il participe. (…) Il ne peut se contenter d’utiliser naïvement la langue de tous les jours car celle-ci exprime tout à la fois les valeurs, les croyances, les habitudes, les idées des hommes vivant en société. Cette langue (ordinaire) constitue souvent par la même une barrière à la connaissance scientifique. Les mots de la vie courante s’imposent comme des évidences que le sociologue doit questionner. Il ne peut s’en servir sans les déconstruire ou tout au moins sans les définir de façon précise. Dans les Règles de la méthode sociologique (1894), Durkheim avait mis en garde contre les prénotions qui dominent le sens commun : « il faut que le sociologue, soit au moment où il détermine l’objet de ses recherches, soit au cours de ses démonstrations, s’interdise résolument l’emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de scientifique. Il faut qu’il s’affranchisse de ces fausses évidences qui dominent l’esprit du vulgaire qu’il secoue, une fois pour toute le joug de ces catégories empiriques qu’une longue accoutumance finit par rendre tyrannique. Tout au moins, si parfois la nécessité l’oblige à y recourir, qu’il le fasse en ayant conscience de leur peu de valeur, afin de ne pas les appeler à jouer dans la doctrine un rôle dont elles ne sont pas dignes ». (…) Comme le soulignait Durkheim, le sociologie part toujours du concept vulgaire et du mot vulgaire. S’il est parfois difficile d’employer d’autres mots que ceux de la langue commune, le sociologue doit alors expliciter le sens précis dans lequel il les utilise à des fins scientifiques.(…) Prenons le cas du sociologue soucieux d’étudier la pauvreté. Chacun a une idée plus ou moins précise de ce mot puisqu’il constitue, avant d’être un concept sociologique, une expression de la vie courante.( …) Mais au fond, au-delà de la perception immédiate de ce phénomène et du sens spontané qu’on lui donne, de qui et de quoi parle-t-on réellement quand on parle de pauvreté. Le réflexe spontané est de commencer par définir qui sont les pauvres afin de les compter, d’étudier comment ils vivent et d’analyser l’évolution de leur situation dans le temps. Les économistes et les statisticiens ont toujours cherché à se donner une définition substantialiste de la pauvreté. (…) Il existe aujourd’hui une abondante documentation sur la mesure statistique de la pauvreté. (…) Le sociologue qui étudie la pauvreté ne peut se contenter d’une approche descriptive et quantitative des pauvres. Il doit interroger la notion même de pauvreté. Le raisonnement en termes binaires qui consiste à opposer les caractéristiques des pauvres à celles du reste de la société est équivoque. (…) Il suffit de changer légèrement le seuil de pauvreté (de 50% du revenu médian à 60%) pour que change radicalement la proportion de la population concernée. Cela ne veut pas dire qu’il faut se priver de ces indicateurs statistiques de la pauvreté. Il est toutefois primordial de ne pas se limiter à cette approche. (…) La question essentielle que doit se poser le sociologue est simple : qu’est-ce qui fait qu’un pauvre dans une société est pauvre et rien d’autre ? Autrement dit, qu’est-ce qui constitue le statut social de pauvre ? à partir de quel critère essentiel une personne devient-elle pauvre aux yeux de tous ? (…) Il revient à G.Simmel, au début du XXième siècle, d’avoir répondu à cette question. (…) Pour Simmel, c’est l’assistance qu’une personne reçoit de la collectivité qui détermine son statut de pauvre. Etre assisté est la marque identitaire de la condition du pauvre. (…) L’objet d’étude sociologique par excellence n’est donc pas la pauvreté, ni les pauvres en tant que tels, mais la relation d’assistance, et donc l’interdépendance entre eux et la société dont ils font partie.

Source : Serge Paugam, La Pratique de la sociologie, Puf, 2007

Document : la diffusion des travaux sociologiques et la question de l’écriture sociologiqueTout en marquant la fin du processus d’analyse, la rédaction ouvre également la phase de valorisation des résultats, qui tend aujourd’hui à prendre une place centrale dans le métier de sociologue. Face à la demande sociale croissante, l’écriture sociologique ne se destine plus au seul monde académique, mais également aux

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journalistes, aux professionnels, et aux citoyens du « grand public ». La phase de rédaction se prolonge désormais d’une étape de restitution et de diffusion des résultats d’enquête, notamment auprès des médias. En ce sens, elle devient également un exercice de transmission qui engage le sociologue dans le débat social. A qui se destine l’écrit sociologique ? Quelles sont les caractéristiques de ses futurs lecteurs ? Ces questions conduisent au cœur des évolutions qui touchent aujourd’hui le métier de sociologue. Que ce soit dans les médias, le conseil politique, l’administration ou l’entreprise, le recours aux travaux sociologiques est aujourd’hui de plus en plus fréquent. Face à cette demande, les écrits et les savoirs sociologiques tendent à dépasser la sphère académique (…) Autrement dit, l’écriture sociologique devient non seulement une mise en forme scientifique, mais aussi un exercice de transmission à différents publics. Un des enjeux de la production d’écrits consiste dès lors de s’adapter à cette diversité de lecteurs, en répondant à la fois aux critères de rigueur scientifique, mais aussi aux exigences de clarté qu’impose la confrontation à un public plus large. Ce mouvement d’élargissement et de diversification du lectorat des sociologues, et plus largement des intellectuels français, a été souligné par R.Boudon dès le début des années 1980. Il divise les « marchés » auxquels peuvent s’adresser les intellectuels en trois types distincts, dont la place relative évolue au sein de la société française. Un premier marché se compose de la communauté scientifique ; un second marché comprend non seulement les pairs mais aussi un public plus large susceptible d’être concerné directement par les travaux proposés. Enfin, un troisième « marché » touche un public « diffus » étendu à l’ensemble des citoyens. Au sein des disciplines scientifiques, le premier marché est censé constituer l’instance prioritaire d’évaluation des travaux scientifiques. Boudon note que dans certains champs, tels que les sciences sociales, le premier marché tend à perdre son pouvoir d’évaluation, de rémunération et de gratification sur les intellectuels, au profit des deux autres marchés. Ces marchés (…) concurrencent alors le processus d’évaluation des scientifiques. R.Boudon : « On assiste fréquemment à un processus de court-circuit de l’évaluation par les pairs, le caractère scientifique de l’œuvre étant « déterminé » par les médias plutôt que par les pairs. (…) L’augmentation de la demande sur les marchés II et III, la faible capacité de rémunération matérielle et symbolique dont disposent les institutions de production de la connaissance, (…) ont contribué à détourner de nombreux intellectuels français d’une production à finalité cognitive et à les orienter de manière plus sensible vers une production de type esthétique et idéologique ». Face à cet accroissement de la demande sociale, la question de la diffusion à de larges publics ne fait pas consensus au sein de la communauté des sociologues. Certains regrettent le déclin relatif de l’institution académique dans les procédures d’évaluation et voient dans cette évolution une dilution de l’esprit scientifique. D’autres dénoncent les dangers de l’expertise et envisagent la menace d’une altération de l’autonomie des sociologues face aux multiples réappropriations sociales des écrits les plus diffusés. D’autres enfin – la majorité – considèrent plutôt que cette intervention croissante des sociologues dans le débat public comme un devoir scientifique et citoyen. Robert Castel illustre cette attitude. (…) Il rappelle qu’un des objectifs principaux de la sociologie doit être de prendre en charge ce qui très concrètement « pose problème aux gens », et donc de privilégier, dans la construction des objets de recherche, les questions qui traversent la vie sociale, telles que le chômage, la précarité, les conditions de vie en banlieue, les questions familiales, etc… Ces préoccupations sociales constituent, selon lui, des « configurations problématiques » sur lesquelles les sociologues doivent travailler en priorité, pour y apporter une réponse pratique et théorique, diffusable au plus grand nombre. Castel : « La demande sociale, entendue en ce sens, c’est la demande que la société, c’est-à-dire les sujets sociaux différemment configurés dans l’espace social, adressent à la sociologie, et c’est le travail des sociologues que de tenter d’y répondre. Pour ce faire, il faut sans doute s’éloigner de leur formulation immédiate (les « déconstruire » et les « reconstruire »). Mais elles ne devraient jamais cesser d’être à la fois l’horizon et la finalité de toute recherche scientifique ». Cette diffusion de la sociologie au sein de la société fait partie intégrante, selon François Dubet, du rôle social de la discipline : elle ne doit pas se réduire à construire des données scientifiques, mais aussi en ouvrir l’accès à la sphère publique, pour éventuellement peser sur les termes du débat et ainsi « produire les représentations que la société a d’elle-même ». (…) La diffusion (…) des analyses sociologiques au sein de la vie sociale permettrait d’imprégner les termes des débats autour des grandes questions de société, et de donner sens à la sociologie, tout en défendant la spécificité de son apport relatif comparativement à d’autres sciences. C’est même cette « conviction » de pouvoir « peser » sur la vie sociale, qui in fine, fonde le travail du sociologue. François Dubet : « les analyses des sociologues se diffusent pourtant dans cette société, lentement, et bien qu’on ne sache pas trop bien comment, elles infusent. Sans cette conviction, comme disait Durkheim, notre travail ne vaudrait pas « une heure de peine » ». (…) C’est ainsi que la sociologie, discipline académique, joue un rôle social, comme le lui rappellent sans cesse ses ennemis qui n’aiment pas le désordre qu’elle apporte. Sans remettre en cause pour autant la posture du sociologue, ni les critères de scientificité qui traversent la discipline, cette pression a contribué à faire évoluer, ou pour le moins à diversifier, les styles d’écriture en sociologie, et à soulever la question de la scientificité.

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(…) La valorisation grandissante des travaux sociologiques place désormais les sociologues devant une véritable tension. Alors que l’écriture scientifique appelle précision, rigueur, voire complexité dans l’exposition des hypothèses et des preuves empiriques, l’écriture destinée au « grand public » nécessite pédagogie, simplicité et clarté. (…) Les réponses qui sont apportées à ces exigences contradictoires sont encore profondément divergentes. Pour Bourdieu, seule la création de nouveaux concepts sociologiques, émancipés des automatismes et des représentations du sens commun, permet de rompre avec le langage courant et de définir la sociologie comme science. La thèse de l’astrologue Elisabeth Teissier soutenue en 2001 sous la direction de M.Maffesoli à créer une vive polémique au sein de la communauté. (…) Les lacunes énoncées de la thèse résument quelques-uns des écueil potentiels à éviter pour préserver a minima le caractère scientifique de l’écrit : un point de vue d’astrologue et non de sociologue (point de vue normatif), aucune trace de problématique sociologique, le refus de tout objectivation, l’absence de données empiriques. Un des fondements de l’écriture sociologique réside en la transmission du « chemin de la preuve ». (…) Cette nécessaire jonction entre données et interprétation doit constituer l’horizon de tout travail de rédaction sociologique, et c’est notamment dans la qualité de cette restitution que va se tracer la frontière entre l’écriture sociologique et l’essayisme. (…) Le sociologue doit-il répondre à la demande sociale ? (…) Quoi de plus stérile que de travailler à une œuvre qui ne laisserait aucune trace et dont tout le monde ignorerait l’existence  ? La sociologie a pour vocation d’être à la fois autonome et présente au cœur des débats sociaux et politiques. (…) Mais en se mettant au service de la société, le sociologue ne doit pas pour autant perdre son autonomie, sa distance critique.

Source : Serge Paugam, La Pratique de la sociologie, Puf, 2007

Document : en résumé- le travail du sociologue a une visée objective : l’objectivité est inatteignable mais le sociologue doit tout faire pour éviter les jugements de valeur ; il doit faire preuve d’objectivisme ;- son choix théorique de départ le conduit à mettre une paire de lunettes (et donc à délaisser les autres) ;- Une paire de lunettes se caractérise par des hypothèses de départ (postulat) et induit une forme de raisonnement : par exemple, les lunettes de l’individualisme méthodologique postulent que les individus ont de bonnes raisons d’agir (Boudon) et qu’il faut donc « comprendre » ces bonnes raisons  ;- Le raisonnement déductif nous amène à émettre des conjectures (relation hypothétique entre deux variables) ; - Les conjectures doivent pouvoir être testées empiriquement ; si un raisonnement conduit à relier causalement deux phénomènes (par exemple, le niveau d’intégration des individus modifient la probabilité de se suicider), il faut alors tester empiriquement cette conjecture ;- Le test empirique qui est réalisé dans le cadre d’une enquête conduit à confirmer ou infirmer la conjecture (lorsque l’on cherche à relier deux variables causalement, il faut, comme en économie, chercher à éliminer les variables parasites)  ;- Ce n’est donc pas la théorie qui est vraie ou fausse mais la conjecture ; (la théorie du choix rationnel bute sur la question du vote mais elle permet d’expliquer d’autres phénomènes, comme par exemple le recul de l’engagement syndical) ;- Une théorie, qui conduit à des conjectures qui sont tout le temps réfutées, peut être abandonnée parce qu’elle est peu utile;

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2. Les méthodes : enquête quantitative et enquête qualitative

2.1 Déterminer les variables sociologiques

Document Respecter les plus saines méthodes de raisonnement ne suffit pas au sociologue ; il lui faut encore nourrir son raisonnement par l’étude des faits. Or, la sociologie constitue son objets, les faits sociaux, à partir de la réalité, et il ne suffit pas pour cela de regarder cette réalité sans idée préconçue, mais il faut au contraire y trouver ce qui risque d’être significatif pour la théorie. Autrement dit comment passer des notions abstraites aux choses et aux faits quotidiens ?

Source : Henri Mendras « Eléments de sociologie », A.Colin, 1996, p. 11

DocumentLa sociologie n’est pas une science descriptive. Elle peut utiliser la statistique et produire des données statistiques, mais n’a pas pour objectif la comptabilité des faits sociaux. A la différence de la démographie, la sociologie de la famille, par exemple, ne compte pas le nombre de mariages, de Pacs. Elle cherche à repérer les facteurs sociaux qui conduisent certaines personnes à se marier, à se pacser, et à comprendre les raisons que ces personnes donnent pour expliquer leur choix d’avoir noué ce type de lien officiel. Il en sera de même pour « l’entrée » dans le chômage, dans le musée, dans un stade, dans telle maladie. La sociologie privilégie soit les facteurs objectifs, soit les raisons subjectives qui mènent l’individu à pratiquer, à s’arrêter de pratiquer. La sociologie peut être définie comme une science du sens, objectif (les déterminants sociaux) et subjectif (les raisons, les justifications que donnent les groupes et les individus) des conduites.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.19-20

Document : les variables sociologiquesLe sexe d’une personne, son âge, son engagement politique, ses goûts musicaux, … toutes ces informations permettent de décrire cet individu. (…) Ces informations constituent des descriptions indispensables à la sociologie. Qu’ils réalisent des observations, qu’ils conduisent des entretiens, qu’ils passent des questionnaires, les sociologues recourent à des descriptions d’individus, de situations, de groupes. Sans ces descripteurs (…) la sociologie ne pourrait pas réaliser des analyses de la réalité sociale. Comme ces descripteurs désignent des traits de la réalité qui varient d’un individu ou d’une situation à une autre, ils sont souvent appelés « variables ». L’individu présente des similitudes, des ressemblances, des proximités, mais sont néanmoins différents. (…) Les variables visent à exprimer à la fois cette ressemblance et la différence dans cette ressemblance : il s’agit de voir « le même dans le différent ». Par exemple la variable « diplôme » exprime un trait commun à tous les individus et variable d’une personne à l’autre. (…) Les variables doivent permettre de mesurer, de saisir, d’exprimer une partie de la réalité sociale dans le cadre d’une théorie sociologique. Les variables jouent donc à la fois un rôle empirique et un rôle théorique. Ainsi un sociologue travaillant sur la reproduction sociale met en œuvre une variable de catégorie sociale qui exprime le plus fidèlement possible la position sociale des individus dans la hiérarchie sociale tout en prenant place dans une perspective théorique affirmant que « certaines caractéristiques sociales se reproduisent de génération en génération ». Les variables résultent d’un travail d’abstraction de la réalité sociale empirique, lui-même compatible avec le cadre théorique au sein duquel travaille le sociologue. (…) Même si toutes les variables nécessitent un travail précis de construction et de définition, l’intervention du sociologue n’a pas toujours la même ampleur. (…) Par exemple, la variable « statut matrimonial » résulte d’un processus historique et juridique de codage d’une réalité (cette variable n’a pas été définie par le sociologue). Mais pour le sociologue qui s’intéresse à la manière dont les individus vivent en couple, cette variable est imprécise. Elle oublie le concubinage, l’hétérosexualité, l’homosexualité, la monogamie, la polygamie. Le sociologue qui effectue des recherches sur le couple peut très bien définir autrement les formes de la vie privée.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.36

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2.2 Le recueil de données : les enquêtes 2.2.1 Les enquêtes quantitatives

Document : recueillir des données mesurables Les méthodes quantitatives ont pour objectif de recueillir des données mesurables et comparables entre elles. Cette collecte de données peut s’effectuer à partir de techniques de dénombrements exhaustifs (recensement) ou d’autres procédures telle que la construction d’un échantillon. Un échantillon est représentatif d’une population donnée si tous les membres de celle-ci ont la même probabilité d’en faire partie. Si les étrangers représentent 6% de la population étudiée, l’échantillon devra compter 6% d’étrangers. Une fois la population de l’enquête déterminée, la technique du questionnaire répond à un objectif statistique. Le questionnaire peut être composé de questions fermées et de questions ouvertes. Les questions fermées impliquent des réponses-types formulées à l’avance (cocher une case), les questions ouvertes laissent à l’enquêté la liberté de formulation de ses réponses. La passation du questionnaire peut être opérée directement par l’enquêteur ou indirectement par correspondance. Le choix du mode de passation est déterminant pour les taux de réponse aux questionnaires. Généralement, le dialogue direct enquêteur/enquêté minimise les taux de non réponse.

Source : Aide mémoire de sciences sociales, Sirey, p. 28

DocumentL’enquête par questionnaire a pour but de produire des données individuelles standardisées. (…) La construction des questions s’appuie sur une technique : la définition d’indicateurs. Elle consiste à objectiver les notions utilisées dans l’objet sociologique, c’est-à-dire à les mesurer empiriquement sur la base d’informations concrètes, tirées des pratiques et de l’identité sociale des personnes interrogées.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.39-51

Document L’enquête quantitative vise à la production selon des procédures standardisées de données nombreuses. La standardisation assure que les différences de déclaration entre les questionnaires renvoient bien à des écarts de pratiques ou d’opinion et non à des différences dans la façon de poser les questions ou dans la manière dont la rencontre entre l’enquêteur et l’enquêté s’est déroulée. (…)

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.65-66

2.2.2 Les enquêtes qualitatives

Document : les enquêtes qualitativesLes méthodes qualitatives regroupent les techniques telles que l’enquête de terrain ou le recueil de témoignages. Elles se centrent sur l’étude de cas particuliers. Il existe deux types d’observation (enquête de terrain) : l’observation désengagée, durant laquelle le chercheur ne participe pas aux actions observées  ; et l’observation participante durant laquelle le chercheur participe aux activités qu’il observe. Cette technique fut par exemple utilisée par Erwin Goffman qui, pour comprendre les conditions de vie des malades dans un asile, endossa le rôle d’un assistant de directeur. L’entretien (recueil de témoignages) est une technique qui consiste à organiser une conversation entre enquêté et enquêteur. (…) Il existe plusieurs modalités d’organisation des entretiens. L’entretien peut être plus ou moins directif (le chercheur peut encadrer plus ou moins fortement la conversation). L’entretien n’est pas nécessairement individuel, un chercheur peut adopter la technique des entretiens de groupe dont le but sera alors de recueillir une « parole collective », fruit de l’interaction entre les membres du groupe étudié.

Source : Aide mémoire de sciences sociales, Sirey, p. 29

Document : enquêtes qualitativesLes techniques qualitatives s’attachent à ce que les individus écoutés ou observés soient pris dans des contextes suffisamment variés pour permettre des comparaisons multiples de cas. Le sociologue vise à entrer dans la singularité de ces cas et de ces évènements pour multiplier les angles et les possibilités de comparaison des cas. Dans l’entretien, le sociologue s’attache souvent à la façon dont les individus définissent une situation, une pratique, à cette vision subjective concrète que le questionnaire capte avec difficulté. Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.65-66

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Document : l’entretienL’entretien en tant que mode d’enquête principal est un instrument idéal pour produire des «  récits », des « histoires » qui mêlent des faits précis, des anecdotes et les jugements, les sentiments associés à ces évènements. Au cœur de l’entretien, on retrouve donc à la fois une description fine des pratiques, de moments, et le point de vue des acteurs sur ceux-ci.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.39-51

2.3 Les limites de chaque forme d’enquête

Document : les biais introduits par les enquêtes quantitativesLes enquêtes par questionnaires constituent les principales techniques quantitatives utilisées par le sociologue. Il s’agit de maîtriser un ensemble de techniques mais surtout de faire preuve de vigilance dans la confection du questionnaire, le déroulement de l’enquête et dans l’exploitation des résultats. (…) Le choix des questions doit faire l’objet d’une attention précise afin d’éviter les biais (les erreurs de collecte de données qui pèsent sur les résultats de l’enquête et peuvent en entacher la portée) : il est illusoire de considérer que les enquêtés interprètent et retraduisent dans les mêmes termes les questions, pourtant identiques, qu’on leur pose (le rapport au langage diffère sensiblement selon les critères d’appartenance sociale), de plus, le choix du vocabulaire peut influer en partie sur les réponses : il s’agit alors d’une imposition de problématique. Derrière une apparence de neutralité, l’enquêteur a tendance (peu importe que la motivation soit consciente ou non) à loger ses propres préoccupations dans l’esprit des enquêtés. Dans l’exemple qui suit, on s’aperçoit que l’emploi du verbe « interdire », terme fort, aboutit à des réponses sensiblement plus faibles que son synonyme, « ne pas autoriser » :Pensez-vous que les Etats-Unis doivent autoriser les discours publics contre la démocratie ?

Doivent autoriser 21%Ne doivent pas 62%Sans réponse 17%

Pensez-vous que les Etats-Unis doivent interdire les discours publics contre la démocratie ?Ne doivent pas interdire 39%Doivent interdire 46%Sans réponse 15%

(source : cité dans F.Bon, « Les sondages peuvent-ils se tromper ? » Calmann-Levy, 1974)Un problème important qui se pose dans les enquêtes est l’importance des non-réponses. Si les caractéristiques sociales des non-répondants diffèrent sensiblement de celles des répondants, alors certaines catégories de la population risque d’être sous-représentées dans les enquêtes. Lorsque les enquêtes posées paraissent nécessiter une compétence précise pour y répondre, elles produisent de fait une sur-sélection sociale  : seuls les individus qui se sentent habilités à émettre une opinion répondent (autrement dit les catégories supérieures). Ce phénomène est particulièrement favorable pour des questions considérées par les enquêteurs comme « politiques » et qui nécessitent un minimum de connaissance ou d’intérêt pour la vie politique. (…) Chez les femmes, l’option du silence sur les questions politiques tend à s’élever considérablement lorsqu’il s’agit de dévoiler des opinions minoritaires ou de manifester son soutien à des partis considérés comme « extrémistes ». Si les enquêtes quantitatives réalisées sur les choix électoraux révèlent que le vote pour le Front National est majoritairement masculin, il est néanmoins permis de se demander si ce constat ne serait pas tributaire en partie du faible nombre de réponses obtenues chez les femmes aux questions politiques et de leur difficulté plus grande à avouer un choix « non conforme ».

Source : Philippe Riutort, « Précis de sociologie », Puf Major, 2004

Document : difficultés des enquêtes qualitativesA la différence du matériau quantitatif (…) une des difficultés pour l’analyse et l’écriture à partir d’un matériau qualitatif, vient de la place centrale que prennent les individus : ils sont au cœur du récit dans les entretiens ou les conversations informelles sur un terrain. La tentation est grande de répéter ou de résumer ce qui a été dit et de le mettre à la troisième personne. Une manière de « faire théorique » est de rapporter l’individu au groupe social dont il est issu (…) L’individu est injecté dans l’analyse à titre d’exemple-type ou parfois de contre-exemple pour illustrer l’énoncé théorique ou le nuancer.

Source : François de Singly, Christophe Giraud, Olivier Martin « Nouveau manuel de sociologie », A.Colin, 2010, p.65-66

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Document : les biais introduits par les entretiensQue le sociologue choisisse de mener plusieurs entretiens semi-directifs auprès d’un nombre relativement limité de personnes ou de passer un questionnaire auprès d’un échantillon plus vaste, il se trouve dans une position particulière : celle d’un face à face avec la personne interviewée. Cette relation d’enquête correspond à une interaction. Les informations qui en ressortent dépendent, au moins partiellement, des attitudes et des stratégies développées par les deux partenaires en relation : l’enquêteur et l’enquêté. Quelle en sont alors les incidences ? comment s’assurer de la fiabilité des données recueillies ? Quelles sont les erreurs à éviter ? Si la présence d’un enquêteur qui pratique l’observation participante à découvert peut perturber la réalité à observer, il en est de même dans une relation de face à face qui vise à obtenir des informations par la parole. (…) Cette relation d’enquête n’est pas neutre et implique presque inévitablement un biais dont il faut avoir conscience. Bourdieu, Passeron et Chamboredon (Le Métier de sociologue, 1968) : « L’entretien semi-directif incite les sujets à produire un artefact verbal. (…) Pour oublier de mettre en question la neutralité des techniques les plus neutres formellement, il faut omettre d’apercevoir, entre autres choses, que les techniques d’enquête sont autant de techniques de sociabilité socialement qualifiées ». La personne interviewée peut être directement influencée par l’enquêteur. La distance culturelle peut tout d’abord être à l’origine d’une méfiance et d’une interrogation sur la finalité de ce qui est recherché. (…) L’interviewé peut essayer de décrypter ce que l’enquêteur a envie d’entendre et tenir un discours de circonstance. Il peut aussi jouer un rôle et essayer de « faire bonne figure ». Si son souci d’impartialité et de distanciation doit être permanent, le sociologue ne doit pas pour autant être éloigné, froid et insensible à l’égard de la personne interviewée. (…) Lorsqu’il est, du fait même de son origine ou de son milieu social, en position dominante par rapport à ses interlocuteurs, le sociologue peut éprouver un certain malaise. (…) Il est en effet difficile, et même moralement insupportable, de rester totalement extérieur aux expériences douloureuses des personnes interviewées. (…) Enquêter en position dominante peut aussi susciter un malaise. Le sociologue peut éprouver la mauvaise conscience du nanti, qui dans une situation artificielle créée par lui-même, non seulement s’accapare ce que ses enquêtés lui livrent d’eux-mêmes, mais en retire également les bénéfices directs pour sa propre carrière personnelle.Le sociologue n’étudie pas que les classes populaires, il peut aussi s’intéresser aux familles de la grande bourgeoisie. (…) Il est dans cette situation, non plus dominant, mais dominé. Sur quoi repose cette domination ? Quand il enquête dans le milieu de la grande bourgeoisie ou aristocratique, le sociologue, lorsqu’il n’est pas originaire de ces milieux n’est pas seulement questionné (sur les finalités de son travail, les conditions de financement de son étude, …) , il peut aussi être manipulé. Ses interlocuteurs peuvent très vite se rendre compte de l’intérêt d’utiliser le cadre de l’entretien comme une tribune. (…) Ainsi, au sentiment d’empathie et au malaise qu’éprouve le sociologue lorsqu’il enquête en milieu populaire, dans des familles plus ou moins défavorisées, s’oppose le sentiment inverse d’une domination de classe. La manipulation est alors d’autant plus forte qu’elle est voilée et adroitement orchestrée par les représentants de la haute bourgeoisie. (…) En conclusion, quelle que soit l’approche retenue, le sociologue doit conserver un esprit critique à l’égard de sa posture méthodologique.

Document : les biais introduits par l’observation Il existe des problèmes généraux qui se posent à tout sociologue dans sa relation avec les personnes auprès de qui il s’adresse pour réaliser son enquête. La relation d’enquête a ceci de particulier qu’elle confronte un enquêteur à un(des) enquêté(s) et qu’elle n’est pas de ce fait entièrement neutre et sans effet au regard de la connaissance qu’elle permet d’obtenir. La relation d’enquête constitue une interaction sociale comme une autre. La question principale qui se pose alors est de savoir comment enquêter sur la réalité sociale sans introduire, par le principe même de l’enquête, un biais ou, autrement dit, une modification involontaire et parfois inconsciente des faits sociaux étudiés.(…) Certains sociologues font de l’observation directe le mode privilégié de l’enquête et visent alors une collecte organisée de matériaux divers à partir d’une présence régulière sur le terrain. (…) Que ce soit dans une île perdue dans le Pacifique, au fond de la forêt amazonienne ou dans un ghetto, les techniques de l’observation directes sont semblables. (…) Cette observation passe par l’exercice d’une activité et une participation aux échanges de la vie quotidienne. Cette position ne va toutefois pas toujours de soi. Comment l’assumer  ? Faut-il expliquer que l’on fait une enquête ou faut-il dans certains cas rester incognito ? L’avantage principal de l’observation masquée est de s’assurer d’une bonne correspondance entre les constats effectués et la réalité. En devenant lui-même employé d’un fast-food le sociologue Damien Carton a certainement réussi à décrire les conditions de travail quotidiennes (stress, pressions, …) de la façon la plus réaliste possible sans craindre une modification du comportement des uns et des autres sous l’effet d’une observation déclarée. (..) L’observation masquée présente toutefois des inconvénients. Elle est tout d’abord

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exigeante. Il faut être capable de jouer le jeu jusqu’au bout, c’est-à-dire d’être conforme à la définition du rôle attendu. (…) Il est impossible de réaliser des entretiens approfondis et de prendre des notes. Dans le cas d’une observation à découvert, il subsistera toujours une part d’incertitude sur l’adéquation de ce qu’il aura observé avec la réalité, ne pouvant pas toujours évaluer si sa présence aura ou non contribué à la modifier.

2.4 L’apport complémentaire d’enquêtes de nature différente : l’exemple des pratiques culturelles

Document : classes sociales et pratiques culturellesLa composante culturelle des inégalités sociales est largement connue et amplement documentée. Elle se manifeste d’abord à travers les écarts de réussite scolaire qui se forment très tôt, dès l’école primaire, selon les caractéristiques sociales de l’environnement familial des élèves. On doit ainsi à Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron d’avoir souligné au début des années 1970 dans La reproduction, le rôle joué par l’inégale familiarité des élèves et de leurs familles avec les codes culturels, et plus particulièrement linguistiques, dont l’école sanctionnerait la maîtrise sans nécessairement en assurer toujours la transmission explicite. L’école, autrement dit, valoriserait au détriment des savoirs scolairement acquis, un certain nombre de compétences et d’habilités transmises, très inégalement, par l’entourage social et familial des élèves, converties en talents individuels et en mérite scolaire. (…) Le propos développé par Bourdieu et Passeron allait cependant sensiblement au-delà. (…) La postérité retiendra de l’ouvrage une exploration méticuleuse de la stratification sociale des goûts et des styles de vie où les « manières » de consommer importaient autant, sinon davantage, que les produits consommés ou l’objet des pratiques, alimentaires, culturelles, vestimentaires, … Bref, une exploration de tout ce qui, comme le dit le langage commun, fait « classe » ou son absence. Cette analyse de la composante symbolique des rapports de classe était structurée par une hypothèse forte, celle d’un principe d’ « homologie structurale » (c’est-à-dire de correspondance plus ou moins systématique) entre l’espace des positions sociales et l’espace des styles de vie. (…) en écrivant dans Le partage des bénéfices que « les inégalités des consommations matérielles (bien que les différences de qualité ne soient pas absentes) au domaine des consommations symboliques », Bourdieu préfigurait ainsi l’accent mis, dans La distinction, sur les formes de « violences symboliques » des classes dominantes, à travers l’imposition des normes du « goût » et de la culture, mais aussi des usages alimentaires, des manières de parler ou de se vêtir notamment. L’ensemble de ces marqueurs de statut, dans lesquels se jouent les mécanismes de clôture et d’exclusion, de reconnaissance et de mise à distance, de légitimation et d’anathème culturel, concourait ainsi selon Bourdieu à la définition et au maintien d’un ordre social d’autant plus difficile à mettre en cause que celui-ci s’appuyait sur l’apparente neutralité des principes qui en assuraient la pérennité. (…) Nombre de réflexions contemporaines sur les limites de la méritocratie mettent ainsi en avant le rôle, dans les procédures de recrutement, notamment, de l’ensemble des compétences sociales du paraître et du savoir-être qui en sont jamais clairement transmises dans les formes scolaires d’apprentissages. (…) Au regard des évolutions observées dans la société française au cours de ces trente ou quarante dernières années (moyennisation et consommation de masse), la thèse de l’homogénéisation des styles de vie peine pourtant à convaincre l’observateur armé d’un minimum de données empiriques. La série des enquêtes sur les pratiques culturelles des Français effectuées par le ministère de la Culture depuis le début des années 1970 atteste ainsi de la permanence de l’ordre de la culture et des loisirs, d’importants clivages sociaux, qui se manifestent de manière assez spectaculaire au niveau même de l’occurrence et de la fréquence des pratiques (…).

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

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Taux de non-fréquentation des musées, monuments historiques, théâtres, concerts classiques et spectacles chorégraphiques selon la CSP (1973-2008)

Source : Ministère de la culture, Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : taux de fréquentation de trois équipements culturels au moins parmi musées, monuments historiques, théâtres, concerts classiques et spectacles chorégraphiques selon la CSP (1973-2008)

Source : Ministère de la culture, Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : les inégalités de pratiques culturellesCette même structure hiérarchique s’observe aussi dans les pratiques domestiques. Les cadres supérieurs continuent ainsi d’être nettement plus lecteurs que les cadres moyens, les employés ou les ouvriers. (…) Présente dans la quasi-totalité des foyers, la télévision occupe une place sensiblement plus réduite dans les ménages de cadres que dans les ménages d’ouvriers. (…) Les durées observées varient en raison inverse de la position occupée dans l’échelle sociale. (…) Quels que soient les groupes sociaux, l’abstinence télévisuelle radicale est aujourd’hui statistiquement marginale, mais la variabilité des durées d’usage de la télévision, en dépit de sa diffusion massive est particulièrement élevée et socialement classante. Dans le même ordre d’idées, les habitudes en matière d’écoute musicale continuent de manifester des écarts prononcés selon les groupes sociaux. L’écoute de musique classique demeure ainsi en 2008 nettement plus fréquente chez les cadres supérieurs (40%) que chez les cadres moyens (26%), les ouvriers (16%) et les employés (18%). En sens inverse la musique de variétés, bien qu’écoutée majoritairement dans toutes les catégories, l’est sensiblement plus chez les ouvriers et les employés (66% et 70%) que chez les cadres supérieurs (59%).

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document :

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Document : certaines pratiques légitimes déclinentCette forme d’inertie des habitudes culturelles n’est cependant pas exclusive du déclin relatif de certaines pratiques réputées les plus légitimes (lecture, écoute de musique classique, notamment) qui n’épargne pas même les catégories qui en étaient traditionnellement les plus adeptes, en sorte qu’une réduction « par le haut » des écarts entre les groupes sociaux – c’est-à-dire sans que s’opère pour autant de démocratisation de l’accès à ces pratiques - peut même à cet égard être relevée. L’évolution des habitudes en matière de lecture retient à cet égard particulièrement l’attention. La proportion de non-lecteurs a en effet augmenté, depuis une trentaine d’années, dans toutes les catégories sociales, y compris au sein des classes supérieures et moyennes, où les non-lecteurs sont traditionnellement peu nombreux. (…) Plus spectaculairement, on observe aussi au cours de la même période, une réduction de la proportion de «  gros lecteurs » qui non seulement n’épargne pas les catégories supérieures, mais y est même plus prononcée que dans toutes les autres catégories.

Pourcentage de gros lecteurs (20 livres ou plus par an) par PCS (1973-2008)

Dans le domaine des habitudes en matière d’écoute musicale, réputées elles aussi particulièrement « classantes », la proximité des catégories supérieures avec l’univers de la musique savante (musique classique, opéra) qui continue certes d’être plus prononcée qu’au sein des autres groupes sociaux, apparaît toutefois aujourd’hui elle aussi beaucoup plus incertaine et beaucoup moins exclusive qu’elle ne l’était dans les années 1970 ou 1980. Ainsi, tandis que les écarts relatifs à la fréquentation des équipements culturels ou aux sorties, qui ont en commun, des degrés variables, de s’effectuer en public, ne se réduisent pas, les pratiques soustraites au regard et plus conformes à l’image d’une certaine ascèse culturelle paraissent aujourd’hui moins discriminantes que par le passé, du fait principalement de la relative désaffection dont elles sont l’objet au sein des catégories dominantes.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

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Document : évolution écoute des genres musicaux

Source : Hervé Glevarec et Michel Pinet La « tablature » des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements Revue française de sociologie 2009

Document : l’essor des pratiques ostentatoires et le recul des pratiques « privées »Ces tendances divergentes dénotent l’actualité des phénomènes de consommation ostentatoire décrits par Thorstein Veblen il y a plus d’un siècle dans sa Théorie de la classe de loisir : la culture paraît aujourd’hui d’autant plus classante qu’elle se manifeste dans des pratiques particulièrement visibles, qui peuvent du reste tout aussi bien s’accompagner d’un rapport assez superficiel à leurs contenus, comme on le voit dans les manifestations les plus pures de snobisme culturel ou de la fréquentation des lieux emblématiques de la sociabilité bourgeoise, comme l’opéra.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : creusement des inégalités et nouvelles pratiques culturelles Le renforcement « par le haut » des inégalités de revenus tend de ce point de vue à accroître le rendement relatif des formes objectivées – ou « manifestées » - du capital culturel, par comparaison avec ses formes incorporées, comme en témoigne a contrario, la désaffection relative des classes supérieures à l’égard de pratiques peu démonstratives, mais coûteuses en temps, comme la lecture, ou bien encore de registres culturels d’accès difficile au regard de bénéfices mondains limités (…).

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : transformations des classes dominantes et nouvelles pratiques culturelles

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L’éclatement contemporain des normes de légitimité culturelle est en ce sens structurellement lié à la pluralité des élites que la globalisation des échanges, en confrontant des systèmes marchands et des aires culturelles hétérogènes, met en concurrence les unes avec les autres. Cette internationalisation de l’économie des biens culturels constitue aussi une dimension de plus en plus importantes de la structuration des rapports symboliques entre les classes (…). La reconfiguration contemporaine des clivages sociaux et des hiérarchies statutaires offre de multiples indices d’un poids croissant des ressources de mobilité et des attributs du cosmopolitisme dans la structure des rapports de classe (Anne-Catherine Wagner). Cette évolution fait écho à certaines transformations morphologiques des classes dominantes : internationalisation des échanges, mobilité choisie des trajectoires professionnelles. (…) Dans le domaine de la culture et des loisirs, la distribution inégale des attributs positifs de la mondialité et de la mobilité se manifeste (…) dans le domaine des compétences linguistiques.

Plus largement, la maîtrise des attributs de la mobilité et du cosmopolitisme tranche à plusieurs égards avec les profits de distinction tirés de la fréquentation des arts savants et des humanités. En premier lieu, celle-ci constitue une ressource immédiatement rentable dans la vie sociale et professionnelle. (…) En second lieu, l’accès à ce capital mobilise un mixte de ressources économiques et culturelles et se concentre de ce fait dans des catégories où ces deux types de ressources coexistent. La maîtrise de ces attributs, qui va de pair avec le voyage, l’échange, la rencontre et valorise les arts de la conversation, tranche ainsi avec cette sorte d’ascèse culturelle que requiert l’acquisition des formes plus traditionnellement « savantes » du capital culturel. Autrement dit, la montée en puissance de ces nouveaux attributs culturels de la domination va de pair avec une maîtrise symbolique et matérielle, de l’espace là où les formes anciennes du capital culturel sollicitaient beaucoup plus fortement celle du temps.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : les transformations des publics scolaires et la norme dominante à l’école La généralisation de l’accès à l’enseignement secondaire et l’allongement de la durée des études figurent parmi les transformations les plus spectaculaires de la société française de la seconde moitié du 20 ième siècle. (…) Alors que les bachelier ne représentaient guère plus de 10% d’une génération au début des années 1960, leur poids relatif, qui atteignait 25% d’une génération au début des années 1980, a connu une progression particulièrement spectaculaire au cours de la décennie suivante, pour atteindre et dépasser 60% en 1995. (…)Les enquêtes sur les pratiques culturelles montrent de manière constante une corrélation très forte entre les attitudes observées et le niveau d’éducation, qu’il s’agisse de l’intensité des pratiques ou de l’orientation des goûts. D’une manière générale, plus le niveau d’éducation est élevé, plus la fréquence des pratiques culturelles est elle-même élevée et plus la familiarité avec l’univers de la culture « savante » est grande. Le sens de cette relation demeure toutefois incertain. La plupart des sociologues de l’éducation s’accordent à penser que les habitudes culturelles forgées dans l’enfance et dans l’adolescence, et qui sont donc très étroitement liées aux caractéristiques de l’environnement familial, exercent une influence déterminante sur le niveau de

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performances scolaires. C’est tout le sens de la sociologie de la reproduction (…). Doit-on conclure de ce qui précède que l’école n’exercerait pas d’effet « propre » sur l’orientation des attitudes et des habitudes culturelles de ceux qu’elle instruit ? La période qui suit les années de forte expansion de l’enseignement secondaire des années 1985-1995 apparaît de ce point de vue pour le moins propice à l’examen de la portée de cette affirmation. Si le niveau d’éducation exerce un effet propre sur les attitudes et les pratiques culturelles, et si cet effet l’emporte sur celui associé au capital d’expériences et de dispositions transmises dans l’environnement familial, on doit alors s’attendre à observer, dans les générations issues de la massification, un développement particulièrement important de la demande de biens et services culturels, en particulier ceux qui sont les plus valorisés par l’institution scolaire. De prime abord, les tendances observées au sein de ces générations et en particulier chez les plus diplômés ne vont guère dans ce sens. (…) Les jeunes scolarisés dans ces années d’expansion scolaire manifestent une distance beaucoup plus grande que leurs aînés aux hiérarchies culturelles portées par l’institution scolaire, elle-même beaucoup plus perméable que par le passé aux tendances véhiculées par l’industrie des médias et du divertissement, dont le public adolescent constitue la cible privilégiée. Les domaines dans lesquels les normes de la légitimité culturelle sont le moins explicitement relayées par l’école apparaissent de ce fait comme les plus sensibles à l’influence de prescriptions concurrentes, comme on l’observe en particulier dans le domaine de la musique, où le goût pour les genres savants (…) semble de moins en moins répandu parmi les jeunes générations de diplômés. On a pu montrer par ailleurs, s’agissant de deux univers de pratiques particulièrement emblématiques, pour l’un, la lecture, des normes de la culture scolaire et pour l’autre, la télévision, de l’influence de la culture de masse, que les attitudes des bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur issus des générations de la massification scolaire différaient très sensiblement de celle des générations antérieures : beaucoup plus consommateurs de télévision (…) et sensiblement moins lecteurs.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : la socialisation à l’école et le rôle des pairs Peut-on imputer ces évolutions à un changement des formes scolaires de la transmission culturelle ? (…) L’école est à la fois un lieu de transmission et un lieu de socialisation culturelle. Autrement dit, que les habitudes et les attitudes qui se forment à l’école primaire, au collège ou au lycée procèdent simultanément de l’inculcation, plus ou moins efficace, d’un rapport scolaire à la culture et de l’imprégnation beaucoup plus diffuse d’une multitude d’influences extérieurs, principalement inscrites dans les réseaux de sociabilité informels de l’enfance et de l’adolescence dont l’importance s’est vraiment renforcée (…). C’est ainsi paradoxalement au moment où l’entreprise de l’école sur le destin de la jeunesse se généralise que semble s’affaiblir le monopole de la « violence symbolique légitime » que celle-ci exerçait auparavant, dans des générations où la durée moyenne de scolarisation était pourtant beaucoup plus courte. Cette réduction de l’autorité culturelle de l’école procède toutefois beaucoup moins clairement de causes proprement scolaires que de facteurs strictement sociaux. En ce sens, l’évolution de la structure des origines sociales des lycéens et des étudiants a inévitablement affecté les conditions de socialisation culturelle des générations scolarisées au cœur de l’expansion scolaire des années 1980 et 1990. Si l’on admet que, du fait du mimétisme des comportements forgés entre pairs, les attitudes culturelles observées au sein des populations lycéennes et étudiantes tendent, aujourd’hui comme par le passé, à se conformer à celles des groupes sociaux qui y sont les mieux représentés, le phénomène décrit par Bourdieu et Passeron dans Les héritiers, en vertu duquel les « miraculés » de la sélection scolaire, c’est-à-dire la minorité des élèves issus des classes populaires qui, à l’orée des années 1960, parvenait au niveau du baccalauréat et, plus encore, à l’Université, tendaient alors à adopter une sorte de sur-conformité à l’égard des normes culturelles de la bourgeoisie, a peu de chances de perdurer dans un contexte où les enfants de la bourgeoisie ont cessé de fournir le gros des effectifs des établissements d’enseignement secondaire et même, dans une moindre mesure des établissements d’enseignement supérieur, du moins dans leur composante universitaire. On peut même penser que ce mimétisme culturel fonctionne désormais pour partie en sens opposé, comme le montre la diffusion dans la jeunesse des « beaux quartiers » de certaines modes vestimentaires ou musicales issues des classes populaires, ou encore certaines tournures du langage argotique de ces catégories. C’est bien ainsi le plus souvent tout à la fois au cœur de l’institution scolaire, mais en marge de ses prescriptions culturelles, que se forgent les normes des « contre-cultures adolescentes » en particulier dans les domaines tels que la musique, où les registres savant sont en outre moins explicitement valorisés que dans le domaine littéraire, notamment, du fait de la hiérarchie des disciplines scolaires. Il n’est de ce fait guère surprenant que la culture des lycées et des étudiants d’aujourd’hui et, plus largement, celle des jeunes adultes diplômés, apparaisse globalement moins imprégnée de normes et des contenus de la culture savante qu’elles ne le sont des tendances issues des industries de la culture, des médias et du divertissement. Et l’on comprend aussi pourquoi ces évolutions affectent les « héritiers » eux-mêmes. (…)

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Peut-on déduire de ces transformations de la morphologie sociale de la jeunesse lycéenne et étudiante que la culture de masse constituerait désormais une culture « dominante » ? que les normes de légitimité culturelle épouseraient dorénavant celles de la culture populaire ? La perméabilité incontestablement plus grande de la culture des classes supérieures et des diplômés aux produits de la culture de masse, de même que la moindre familiarité de ces catégories avec l’univers de la culture savante, n’effacent en réalité pas les frontières entre les différents registres culturels, dont la hiérarchisation n’affecte du reste pas seulement, comme l’a bien montré Bernard Lahire, la différenciation sociale des pratiques, mais traverse les individus eux-mêmes, confrontés à une variété d’influences dont l’étendue ne signifie pas l’équivalence. Les normes de la légitimité culturelle (…) ne dépendent pas strictement (…) des variations du rapport de forces démographique entre différents groupes sociaux. Même s’ils n’y sont plus numériquement dominants, les héritiers conservent ainsi, au sein de l’institution scolaire, les clés d’une légitimité culturelle fondée sur la proximité des attentes de l’école et de leurs héritages familiaux. (…) Les générations de diplômés des années d’expansion scolaire, mécaniquement moins sélectionnés que leurs aînés, sont aussi, en moyenne, et par voie de conséquence, moins conformes au profil culturel des diplômés des générations précédentes : moins lecteurs, moins friands de culture « classique », ancrés dans un rapport moins ascétique à la culture.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : la pluralité des espaces de socialisation Si les goûts et les pratiques d’un fils de professeur ou d’une fille de médecin ont bien, toutes chances égales par ailleurs, de fortes chances de s’écarter sensiblement de ceux des enfants d’ouvriers ou d’agriculteurs, les processus de socialisation culturelle possèdent un caractère séquentiel, tributaire de la pluralité des univers successifs que traversent les individus, et qui limite considérablement la portée mécanique des héritages culturels. Les goûts et les usages se forment ainsi dans la durée, au contact non seulement de l’environnement familial, mais aussi dans les diverses arènes de socialisation scolaire, amicale, amoureuse, professionnelle … qui jalonnent des parcours de vie qui, quelle que puisse être la force des phénomènes d’homogamie ou d’homophilie, sont toujours soumis à des influences hétérodoxes. (…) Certaines transformations de la société française intervenues au cours des trente dernières années (allongement de la durée des études, émancipation sociale et professionnelle des femmes, urbanisation) ont du reste très probablement renforcé la pluralité et la disparité des arènes de socialisation culturelle. (…) L’ensemble des influences socialisatrices auxquelles sont soumises les personnes ne sont cependant pas nécessairement équivalentes, et leur importance relative ne s’accorde pas mécaniquement à leur agencement séquentiel.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : certaines pratiques restent illégitimesL’éclectisme des goûts et des pratiques des classes supérieures n’est pas nécessairement synonyme d’un affaiblissement des frontières symboliques dressées entre les groupes sociaux. Il est sans doute davantage le signe d’une redéfinition que d’une extinction des normes de la légitimité culturelle. Par delà le constat générique de la diversité, il convient de prêter attention au type de transgression dont relève un éclectisme qui s’exerce rarement tous azimuts, comme le relève la sociologue américaine Bethany Bryson dans un article au titre suggestif (« Anything But Heavy Metal »), où elle montre, de nouveau au sujet des goûts musicaux, que si les membres des catégories supérieures expriment un éventail de goûts sensiblement plus large et plus diversifié que celui des autres catégories et débordant très largement le cadre des genres savants, ils manifestent aussi une distance prononcée à l’égard de genres tels que le rap ou plus encore, le heavy metal, qui sont d’ailleurs les plus appréciés par les catégories les plus faiblement diplômées et situées au plus bas de la hiérarchie sociale. Les mêmes nuances s’observent plus largement dans l’ensemble des pratiques de diffusion massive. Ainsi, la télévision n’échappe-t-elle pas elle-même, dans le contexte d’une forte diversification des canaux de diffusion et de l’offre de programmes, à une certaine stratification de ses usages qui (…) s’expriment sans doute davantage à travers les aversions qu’à travers les préférences exprimées. (…) Les cadres et PIS se distinguent moins par un attachement particulier à certains types de programmes (émissions culturelles, chaînes thématiques) que par leur distance l’égard des programmes à forte audience, confirmant ainsi cette sorte de rapport quasi honteux à une pratique souvent déniée ou dissimulée. De même encore, en matière de cinéma, la stratification sociale du rejet semble-t-elle l’emporter sur celle de l’adhésion.

Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Page 18: eshcamillevernet.files.wordpress.com  · Web viewChapitre 14. Objet et méthodes de la sociologie . La construction de l’objet sociologique . D. istinguer objet social et objet

DocumentIl n’est pas de manifestation empirique plus éclatante de l’influence rémanente de l’origine sociale sur les attitudes et les habitudes culturelles que les écarts observés en la matière chez des personnes dotées de propriétés équivalente du point de vue de leur capital scolaire et de leur position sociale mais d’origine sociale distincte.

Tout indique ainsi que « les forces de rappel » de l’origine entrent systématiquement en composition avec celles de la position occupée, confirmant ainsi la force et la persistance de l’influence exercée par les habitudes et les attitudes adoptées au cours de l’enfance.

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Source : Philippe Coulangeon Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui Grasset, 2011

Document : les variations intra-individuelles de pratiques culturellesEn commençant par rappeler la robustesse interprétative de la perspective « classique » sur les inégalités culturelles, je souhaite simplement attirer l’attention sur le fait que l’interrogation que je mets en œuvre sur les variations intra-individuelles ne remet absolument pas en question les résultats obtenus en cherchant à faire apparaître des variations inter-groupes ou inter-catégories. (…) La variété inter-individuelle des profils culturels ainsi que la variation intra-individuelle des pratiques et des préférences culturelles disent bien quelque chose du fonctionnement du monde social et notamment des socialisations culturelles individuelles qui ne s’effectuent jamais dans des cadres uniques et homogènes. Comme le formulait très justement Olivier Donnat « chacun, en réalité, intègre des éléments appartenant aux divers univers auxquels il a été confronté et réalise un agencement plus ou moins original en conservant la marque des univers antérieurs qu’il a fréquentés ou même simplement côtoyés. Aussi faudrait-il, pour traduire la richesse des univers culturels, être en mesure d’identifier la multiplicité des influences qui ont contribué à leur élaboration : la grand-mère institutrice qui a fait découvrir le goût de la lecture, le professeur passionné de peinture qui a montré le chemin des musées, la petite amie mélomane qui initié à la musique classique  … » si l’enquête quantitative ne peut évidemment pas fournir les raisons des variations inter-individuelles et intra-individuelles, si elle ne peut notamment pas permettre de saisir la genèse des multiples influences socialisatrices en matière de goûts et de pratiques culturels (ce que permet plus précisément de faire l’enquête par entretien), elle peut néanmoins faire l’objet d’un traitement qui donne une image correcte de ces variations sociologiquement pertinentes en en précisant l’ampleur et la nature. (…)

Source : Bernard Lahire, Monde pluriel (2012)

Document : la lutte pour le classement est aussi individuelleLe traitement de l’enquête quantitative et l’analyse des entretiens permettront de mettre à jour une autre fonction sociale de la culture légitime dominante que celle qui jusque là a été évoquée par les différents commentaires sociologiques. Si les inégalités sociales devant la culture légitime persistent et si cette culture joue bien un rôle central dans les processus de distinction sociale et de légitimation des différences sociales au sein des sociétés de classes, elle a aussi un sens du point de vue des variations individuelles des pratiques et des préférences culturelles. (…) Si le monde social est un champ de luttes, les individus qui le composent sont souvent eux-mêmes les arènes d’une lutte des classements. Et c’est la lutte de soi contre soi, la domination d’un soi légitime sur la part illégitime de soi, le contrôle et la maîtrise de ce qu’il y a d’illégitime en soi, qui engendreront le sentiment de supériorité distinctive par rapport à ceux dont on imagine qu’ils n’ont aucune maîtrise ni aucun contrôle de soi.

Source : Bernard Lahire, La culture des individus, 2004P.28-30

Document(à propos de la série Sous le soleil sur TF1) « oui, j’suis tombée dessus quelques fois, mais non. Fin’ si, quand je tombe dessus, je regarde après mais c’est pas … c’est pas passionnant. Mais ça va, c’est sympa. ‘Fin, je sais

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que c’est con, mais j’aime bien quoi regarder, comme ça » (AF24, seconde générale, option théâtre, issue des classes moyennes)Quand Pierrick (E49, technicien du spectacle) a envie de se détendre, il n’aime pas aller voir «  un film d’auteur, prise de tête entre guillemet » et il « avoue » avec un sentiment de honte avoir beaucoup apprécie au cinéma la série des Police Academy : « ouais, j’ai un peu honte, mais j’avoue qu’j’ai vachement aimé ».

Source : Bernard Lahire, La culture des individus, 2004