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ESC 166 ESC 16 F rév. 1 fin Original : français Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE L’ÉCONOMIE ET DE LA SÉCURITÉ INCIDENCES BUDGÉTAIRES DES NOUVEAUX DÉFIS LANCÉS À LA SÉCURITÉ TRANSATLANTIQUE RAPPORT GÉNÉRAL Jean-Marie BOCKEL (France) Rapporteur général

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ESC

166 ESC 16 F rév. 1 finOriginal : français

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DE L’ÉCONOMIE ET DE LA SÉCURITÉ

INCIDENCES BUDGÉTAIRES DES NOUVEAUX DÉFIS LANCÉS

À LA SÉCURITÉ TRANSATLANTIQUE

RAPPORT GÉNÉRAL

Jean-Marie BOCKEL (France)Rapporteur général

www.nato-pa.int 19 novembre 2016

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TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION : LES DÉCISIONS PRISES AU SOMMET DU PAYS DE GALLES........A. LES DÉCISIONS PRISES..........................................................................................B. LE CONTEXTE : LA TENDANCE BAISSIÈRE DES DÉPENSES MILITAIRES

APRÈS LA FIN DE LA GUERRE FROIDE.................................................................

II. LE PARTAGE DES CHARGES ET L’ALLIANCE.................................................................A. LE PARTAGE DES CHARGES DÉPEND DE L’ANALYSE DES MENACES ET

DES INTÉRÊTS DES PAYS.......................................................................................B. LES ÉTATS-UNIS SONT PARTICULIÈREMENT ATTACHÉS AU RESPECT

DE LA NORME DE 2 %..............................................................................................

III. DÉPENSES ACTUELLES DE L’OTAN................................................................................

IV. 2016 ET AU-DELÀ...............................................................................................................A. LES ÉTATS-UNIS.......................................................................................................B. LES PAYS EUROPÉENS.........................................................................................

V. RATIONALISER UN MARCHÉ DE LA DÉFENSE FRAGMENTÉ.....................................A. LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE EST DÉFAVORABLE AUX INITIATIVES DE

MUTUALISATION DANS LE SECTEUR DE LA DÉFENSE.....................................B. LES ENTRAVES À LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE LA

DÉFENSE.................................................................................................................

VI. CAPACITÉS ET INVESTISSEMENTS...............................................................................A. LE DÉFI DES NOUVELLES TECHNOLOGIES : MUTATIONS ET

NOUVELLES FORMES DE GUERRE......................................................................B. RETROUVER DE LA SOUPLESSE DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE

CONTRAINT POUR RÉPONDRE À CES DÉFIS.....................................................

VII. CONCLUSIONS.................................................................................................................

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................

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I. INTRODUCTION : LES DÉCISIONS PRISES AU SOMMET DU PAYS DE GALLES

A. LES DÉCISIONS PRISES

1. Au sommet du pays de Galles, en septembre 2014, les chefs de gouvernement des pays membres de l’OTAN sont convenus d’inverser la tendance observée pendant la dernière décennie de réduction des budgets militaires, en augmentant les dépenses de défense au cours des dix prochaines années. Plus spécifiquement, ils ont décidé de renforcer l’efficacité et la rationalité de ces dépenses, de tendre vers l’objectif fixé par l’OTAN en leur consacrant 2 % de leur produit intérieur brut (PIB), de veiller à ce que 20 % de leur budget militaire aillent aux équipements d’importance majeure et à la recherche-développement y afférente. La déclaration publiée à l’issue du sommet est ainsi rédigée :  Les Alliés qui se conforment actuellement à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du PIB chercheront à continuer de le faire. [...] Les Alliés dont la part du PIB consacrée à la défense est actuellement inférieure au niveau précité  : cesseront toute diminution des dépenses de défense ; chercheront à augmenter leurs dépenses de défense en termes réels à mesure que croîtra leur PIB ; chercheront à se rapprocher dans les dix années à venir des 2 % recommandés, en vue d’atteindre leurs objectifs capacitaires OTAN et de combler les insuffisances capacitaires de l’OTAN.

2. Cependant, le montant des dépenses de défense ne constitue pas un objectif en tant que tel : l’ambition fondamentale de l’OTAN reste l’amélioration des capacités militaires et leur adaptation aux réalités stratégiques actuelles, mais il est largement admis que cela ne peut se faire sans un relèvement significatif des niveaux de dépenses et un rééchelonnement des priorités en matière de dépenses, de manière à garantir des investissements effectifs à long terme. Au sommet du pays de Galles, les Alliés ont accepté de se rapprocher de la norme des 2 % et de faire le point sur les progrès ainsi accomplis en inscrivant cette question, chaque année, à l’ordre du jour des réunions des ministres de la Défense et des sommets des chefs d’État.

3. La structure des dépenses de défense figurait en bonne place de l’ordre du jour du sommet du pays de Galles : il a été convenu d’affecter une plus grande part des budgets de défense aux investissements et à la réalisation des objectifs prioritaires sur le plan des capacités. Les dépenses de fonctionnement sont évidemment une composante importante des dépenses de défense nationales, mais elles ne sauraient prendre la place des investissements requis pour garantir une sécurité durable. Les Alliés ont décidé d’allouer au moins 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs et à la recherche-développement pour s’assurer que l’Alliance mettra au point à plus longue échéance des capacités cruciales. En 2015, seuls les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne, la Norvège, le Luxembourg et la France dépensaient plus d’un cinquième de leur budget militaire en équipements, ce qui laisse supposer l’existence d’un problème structurel de répartition des ressources de défense de nombreux pays alliés, dans un contexte budgétaire contraint par la situation économique. Ainsi, en Slovénie par exemple, la part du budget de défense consacrée à l’achat de matériel, 5,7 % en 2011 (Harris), est tombée à 0,8 % en 2015. La crise économique et la réorientation des dépenses budgétaires après la guerre froide ont conduit parfois à donner des structures de budgets de défense défavorables à la préparation de l’avenir et des besoins capacitaires futurs. Enfin, les chefs de gouvernement réunis au pays de Galles ont convenu de s’assurer que les forces terrestres, aériennes et navales respectent les lignes directrices de l’OTAN relatives à la capacité de déployabilité et de soutenabilité de ces forces et à leur interopérabilité au sein de l’Alliance.

4. À leur dernier sommet, qui s’est tenu à Varsovie en juillet 2016, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN ont réaffirmé ces principes et pris acte des

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progrès accomplis, depuis le sommet du pays de Galles, dans le renforcement de la défense collective, le développement des capacités et l’accroissement de la résilience. Ils se sont en outre engagés collectivement à fournir aux forces armées alliées des ressources suffisantes dans la durée. Le communiqué publié à l’issue du sommet de Varsovie précise :

Depuis le sommet du pays de Galles, nous avons franchi un cap. Collectivement, les dépenses de défense des Alliés ont augmenté, en 2016, pour la première fois depuis 2009. En deux ans seulement, une majorité d’Alliés ont enrayé ou inversé la baisse de leurs dépenses de défense en termes réels. Aujourd’hui, cinq Alliés se conforment à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut. Dix Alliés se conforment à la directive OTAN recommandant aux pays de consacrer plus de 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente. Les extrants sont également importants, s’agissant en particulier de la déployabilité et de la soutenabilité des forces alliées. Les Alliés continuent de fournir d’importantes contributions aux opérations, missions et activités de l’OTAN ainsi qu’à la structure de commandement et à la structure de forces de l’OTAN. Ils investissent des ressources considérables pour préparer leurs forces, leurs capacités et leur infrastructure aux activités de l’Alliance et aux opérations qui, menées par des Alliés, contribuent à notre sécurité collective. Il reste beaucoup à faire. Les efforts se poursuivent pour parvenir à un partage plus équilibré des dépenses et des responsabilités. Les ministres de la Défense continueront d’examiner chaque année les progrès accomplis.

5. Le présent rapport examinera plusieurs de ces questions de manière plus approfondie.

B. LE CONTEXTE : LA TENDANCE BAISSIÈRE DES DÉPENSES MILITAIRES

APRÈS LA FIN DE LA GUERRE FROIDE

6. Le processus au terme duquel l’Alliance s’est retrouvée face à une situation où le niveau des dépenses de défense était si faible qu’il a débouché sur de graves insuffisances est long et bien connu. La fin de la guerre froide a conduit à l’apaisement des relations entre pays alliés et anciens membres du Pacte de Varsovie, dont bon nombre ont finalement rejoint l’OTAN et l’Union européenne (UE). La dislocation de l’empire soviétique, l’évolution ostensible de la Russie vers un régime démocratique et l’économie de marché tout autant que son incapacité budgétaire à maintenir plus longtemps l’effort nécessaire au financement de ses forces armées au même niveau que précédemment semblaient annoncer un changement de paradigme dans le paysage européen de sécurité. Dans ce contexte, le maintien d’une surveillance statique armée le long d’une frontière de la largeur d’un continent tout entier ne paraissait plus avoir sa place dans une Europe devenue stable et sûre. Certains penseurs ont même clamé la fin de l’histoire, la paix démocratique durable chère à Kant.

7. Les conséquences sur les budgets militaires devenaient évidentes à mesure que, de part et d’autre de l’Atlantique, les gouvernements alliés réorientaient lesdits budgets : certains les réaffectaient aux dépenses sociales, d’autres baissaient les impôts. À cette époque, le président des États-Unis, George H. W. Bush, et la Première ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, présentaient les « dividendes de la paix », c’est-à-dire l’excédent des ressources précédemment réservées à la défense nationale, comme une opportunité de réaliser des investissements dans de nouveaux secteurs économiques et sociaux. Les dépenses de défense des États-Unis ont considérablement baissé entre 1985 et 1993, passant de 405,4 milliards à 358,6 milliards de dollars, pour atteindre 296,7 milliards de dollars en 1999 ; celles de l’Europe et de la Russie ont suivi la même tendance pendant cette période.

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8. Il convient de noter que les avantages économiques de dépenses de défense réduites ne se font sentir qu’à longue échéance et dépendent grandement de la façon dont cette réduction s’opère. Les coûts de transition sont substantiels et, souvent, des coupes budgétaires importantes se traduisent par des pertes d’emplois dans les forces armées comme dans le secteur industriel travaillant pour la défense. De fait, les ajustements requis peuvent entraver la croissance économique. Dans la mesure où ils concernent le secteur commercial civil – ce qui est de plus en plus le cas les technologies ayant des applications duales –, ils peuvent avoir des répercussions négatives sur ce secteur. Ainsi, des réductions de grande ampleur des dépenses de défense peuvent, notamment dans des pays dotés d’une industrie de la défense particulièrement développée, provoquer une augmentation du chômage. La réaffectation de ressources prend du temps, surtout lorsque le secteur déficitaire est profondément imbriqué dans l’économie nationale. C’est le cas de l’industrie travaillant pour la défense dans la plupart des pays de l’OTAN.

9. Les répercussions économiques des réductions des dépenses de défense peuvent également être concentrées. Une étude de la Commission européenne a conclu que 50 régions européennes dépendaient, économiquement parlant, de l’industrie de la défense et des dépenses de défense et qu’elles étaient très vulnérables à une réduction de ces dépenses.

10. Il s’est révélé difficile de trouver la meilleure façon de gérer les « dividendes de la paix » : fallait-il baisser la fiscalité, soutenir la consommation, ou maintenir un fort niveau d’investissements publics ? Le début des années 1990 a été caractérisé par une croissance économique ralentie dans certains pays plutôt que dans d’autres. Trente ans plus tard, même avec le recul, il n’est toujours pas facile de dire ce qu’il aurait fallu faire à l’époque. Nous n’entrerons pas dans ce débat, mais il est certain que les gouvernements ont taillé dans les dépenses de défense en fonction de la perception générale de la menace telle qu’elle prévalait à ce moment-là. Certaines régions ont reconverti leurs fondations économiques pour les orienter vers des activités différentes ; d’autres ont subi une sévère récession. Dans de nombreux cas, il est indubitable que l’industrie travaillant pour la défense a souffert d’un processus d’érosion qui a encore compliqué la reprise des investissements dans ce secteur. Une chose est claire : les bénéfices que portaient en eux les « dividendes de la paix » ont été éphémères et les pays occidentaux se voient maintenant contraints de consolider leur secteur de la défense à partir de fondations plus faibles.

11. L’accélération de la réduction des dépenses d’investissement de défense durant ces cinq dernières années semble pouvoir être liée aussi à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), qui a opéré sous le commandement de l’OTAN en Afghanistan à partir de 2003. Dans certains pays, les dépenses opérationnelles engagées pendant toute la campagne ont tout simplement été financées au détriment des investissements à plus long terme.

12. Il est intéressant de noter qu’entre 2008 et 2014, dans plusieurs grands pays européens, les dépenses d’équipement ont chuté plus rapidement que les dépenses de défense dans leur ensemble.

Baisse des dépenses de défense entre 2008 et 2014Baisse de l’ensemble des

dépenses de défenseBaisse des dépenses

d’équipementRoyaume-Uni 12 % 13 %

France 7 % 18 %Allemagne 4 % 3 %

Italie 17 % 28 %Espagne 38 % 54 %

(Bellais et Droff)

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13. Cependant, les États-Unis ont géré les réductions de leurs dépenses de défense d’une manière différente, même si le récent recours au séquestre budgétaire, c’est-à-dire aux coupes budgétaires automatiques, a introduit dans le budget militaire plus de rigidité qu’il n’en fallait. Mais, même dans ces conditions, l’administration est parvenue à réduire davantage ses dépenses de défense générales que ses investissements. Ce que le Pentagone a baptisé la « troisième stratégie de compensation » vise en priorité à permettre aux États-Unis à continuer à innover pour conserver sa supériorité technologique à moyen comme à long terme (Bellais et Droff). En Europe, le problème qui se posait était que le processus de réduction des budgets militaires ne tenait généralement pas compte de l’avenir, et laissait donc le continent plus vulnérable sur le plan stratégique. Dans le domaine de la défense, les cycles budgétaires sont assez longs et la correction des erreurs exige du temps, un engagement politique et des qualités dirigeantes. C’est là un problème auquel une bonne partie de l’Europe se trouve confrontée aujourd’hui.

14. La sécurité nationale doit être un souci constant dans un monde dangereusement volatile, mais il n’est pas toujours aisé de le faire comprendre à l’opinion publique, qui peut avoir tendance à percevoir l’absence plutôt que les risques de guerre. Cependant, l’effritement de la base industrielle de la défense elle-même est une menace pour la sécurité et risque de rendre les pays concernés vulnérables si la situation internationale venait à s’envenimer ou – ce qui est peut-être plus vraisemblable – lorsqu’elle s’envenimera, et des mesures doivent être prises pour améliorer la défense nationale. Il peut se révéler beaucoup plus coûteux de repartir de zéro que de conserver une industrie de la défense en état de fonctionnement, fût-il minimal, même quand sa production semble moins nécessaire (Marshall). C’est là une difficulté supplémentaire avec laquelle plusieurs gouvernements alliés sont désormais aux prises depuis qu’ils ont décidé d’augmenter leur budget militaire après plus de dix années de coupes sévères et ininterrompues.

15. Un problème évidemment plus grave a été mis en évidence par la lecture erronée des conséquences de l’après-guerre froide : la « paix durable » qui sous-tendait ces réductions des budgets militaires était, au mieux, éphémère et, au pire, illusoire. Si certaines zones du continent européen ont joui, au sortir de la guerre froide, d’une période de réconciliation et de paix, on ne peut pas en dire autant du reste du monde. La guerre et les tensions se sont abattues sur une bonne partie des Balkans, les dépenses de défense de la Chine ont connu une ascension vertigineuse et, après les attentats du 11 septembre 2001, il est devenu clair que des événements se produisant dans le lointain Afghanistan ou au Moyen-Orient pouvaient influer considérablement sur la sécurité des pays de l’Alliance. Les attentats du 11 septembre 2001, les conflits qui ont suivi en Afghanistan et en Iraq et d’autres attaques terroristes en Europe ont effectivement mis un terme à l’illusion selon laquelle le monde entrait dans une ère de paix. Le réarmement – financé par le secteur énergétique – de la Russie, l’intervention militaire illégale de ce pays en Ukraine en 2014, l’agressivité de sa nouvelle doctrine nucléaire, ainsi que l’effondrement des structures de pouvoir dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et de graves déséquilibres en Extrême-Orient ont fait ressortir encore le caractère ténu du dispositif de sécurité occidental. C’est en fonction de ces événements historiques que les gouvernements des pays de l’Alliance ont finalement souscrit aux engagements du sommet du pays de Galles et ont commencé à les concrétiser.

16. L’intervention militaire russe en Ukraine est peut-être la raison la plus impérieuse de la progression actuelle des budgets militaires des pays alliés. L’« annexion » illégale et illégitime de la Crimée et l’agression illégale de l’Ukraine ont marqué un tournant dans le cours de l’histoire européenne de l’après-guerre froide et déclenché une réévaluation complète de l’ordre sécuritaire sur le continent. Cette réévaluation a révélé d’inquiétantes insuffisances militaires auxquelles les pays membres de l’OTAN se sont hâtés de chercher un remède. De surcroît, la Russie entretient avec ses voisins des relations tendues, conséquence de ses déploiements de forces, de ses doctrines plus agressives, y compris un

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débat ouvert sur l’emploi de l’arme nucléaire et les tactiques de guerre hybride, de ses violations d’espace aérien, de ses cyberattaques, de ses menaces verbales et de son recours à une guerre de l’information à tous les niveaux. Ce n’est pas une coïncidence si, jusqu’à tout récemment, les dépenses de défense russes, financées par de précédents tarifs énergétiques élevés, ont connu une croissance impressionnante.

17. Jusqu’ici, les difficultés économiques qu’elle connaît n’ont pas modifié spectaculairement le cap suivi par la Russie. La baisse faciale du budget militaire de la Russie en dollars, ramené de 66 milliards de dollars en 2013 à 52 milliards en 2015, est essentiellement due à la dépréciation du rouble plutôt qu’à une réduction de grande ampleur des dépenses. De fait, mesuré en pourcentage du PIB, ce budget est passé de 3,18 % à 4,18 % pour la même période (IISS). Le Kremlin a récemment annoncé une diminution de 10 % du budget national pour 2016, tout en ajoutant que cette réduction épargnerait les dépenses liées à la défense et à la sécurité nationale (Bush). La progression des dépenses de défense russes est d’autant plus lourde de conséquences sur le plan stratégique qu’elle intervient à un moment où celles des pays de l’Alliance évoluaient précisément en sens inverse.

II. LE PARTAGE DES CHARGES ET L’ALLIANCE

A. LE PARTAGE DES CHARGES DÉPEND DE L’ANALYSE DES MENACES ET DES INTÉRÊTS DES PAYS

18. Pendant la guerre froide, le sentiment prévalait dans certains milieux aux États-Unis que le parapluie nucléaire américain avait engendré chez les Européens un faux sentiment de sécurité, qui se traduisait par une diminution des dépenses qu’ils consacraient aux forces conventionnelles. La question des dépenses de défense alliées a toujours préoccupé les responsables états-uniens, qui redoutent les dangers de « l’opportunisme » (free-riding), ou l’idée qu’au sein d’une alliance composée, pour une part, de petits pays et, pour une autre part, de pays plus grands dotés de puissantes forces armées, les premiers ne soient tentés de réduire leurs dépenses de défense, sachant que leur sécurité est, en fin de compte, assurée par les seconds. Bien évidemment, il existe de véritables limites à cet argument, car l’Europe n’a jamais voulu confier sans réserve sa défense à son allié nord-américain et les pays membres étaient conscients de ce que leur propre autonomie sur la scène régionale et mondiale reposait partiellement sur la capacité de l’Europe de conserver des moyens militaires crédibles. À l’intérieur d’une alliance militaire, les États plus grands et plus prospères sont peut-être plus enclins à accepter de prendre à leur charge une proportion plus élevée des dépenses de défense, toutes choses étant égales par ailleurs. Pendant toute la durée de la guerre froide, la France et le Royaume-Uni, par exemple, ont conservé des forces armées importantes et leur capacité de projeter celles-ci sur des théâtres d’opération éloignés. Les deux pays ont aussi conçu et maintenu des forces nucléaires de dissuasion. Mais il est vrai que ces deux pays de pointe en matière de défense européenne possédaient dans le monde – fût-ce à une échelle plus réduite que celle des États-Unis – des intérêts qu’ils se sentaient tenus de défendre. Les États-Unis étaient – et restent – une superpuissance mondiale possédant des intérêts capitaux à l’échelle de la planète. Le niveau de leurs dépenses de défense reflète leur détermination à protéger ces intérêts, qui débordent largement l’espace transatlantique.

19. Toutefois, la taille, la richesse et la croissance économique n’ont pas été les seuls facteurs déterminants du niveau des dépenses de défense européennes. La perception de la menace et la situation géographique ont revêtu à cet égard une importance critique. Tout au long de la guerre froide, la Grèce et la Turquie ont constamment consacré à la défense une plus grande part de leur revenu national que d’autres Alliés européens, tout simplement en raison de tensions persistantes en mer Égée pendant une bonne partie de cette période.

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Ceci laisse à penser que chaque pays procède à une évaluation de ses intérêts en matière de sécurité en fonction d’un ensemble de choix qui lui sont propres, de sa situation géographique, de sa politique et, en dernier lieu, de sa capacité à évaluer et à faire face à ce qu’il considère comme des menaces pour sa souveraineté et pour sa sécurité nationale (Lanoszka). La façon dont ces facteurs se combinent dans tel ou tel autre pays en particulier varie considérablement et les chiffres de 2 % et 20 % doivent donc être considérés comme des jalons très approximatifs dont l’importance peut être plus politique que stratégique ; ils ne correspondent nullement à un nombre d’or garant de la sécurité alliée.

B. LES ÉTATS-UNIS SONT PARTICULIÈREMENT ATTACHÉS AU RESPECT DE LA NORME DE 2 %

20. La question du partage des charges de la sécurité de l’Alliance, entre les pays membres, était toujours à l’ordre du jour après la chute du Mur de Berlin, ce qui n’a pas empêché pratiquement tous les Alliés de tenter de profiter des « dividendes de la paix » en diminuant leur budget militaire. C’est pendant la campagne afghane, donc au début des années 2000, que des problèmes sont apparus, alors cantonnés aux contributions aux opérations militaires en tant que telles. Lors du sommet de Riga de 2006, le niveau des dépenses de défense était revenu une nouvelle fois à l’ordre du jour de l’OTAN et, en adoptant la Directive politique globale, les Alliés s’étaient mis d’accord sur la norme des 2 %. En 2014, les Alliés qui respectaient la norme n’étaient plus que six, alors qu’ils étaient sept en 2006 (SIPRI). En raison de la régression économique de 2008, les dépenses de défense étaient devenues moins prioritaires qu’elles n’auraient dû l’être de l’avis de nombreux spécialistes. Mais, une fois de plus, les événements de 2014 ont bouleversé le paysage de sécurité, notamment dans le contexte de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. C’est à partir de ce moment-là qu’une nouvelle interprétation a été donnée à la norme des 2 %, norme qui est devenue davantage qu’un simple point de référence dans le débat sur le partage des charges, puisqu’elle est désormais considérée comme un moyen de satisfaire aux intérêts sécuritaires d’importance critique (Lanoszka).

21. Certes, il existe des arguments convaincants qui tendent à prouver que le jalon utilisé par l’OTAN pour quantifier les dépenses est peut-être biaisé. D’autres règles de calcul pourraient mieux refléter et les capacités et les contributions apportées à la sécurité collective. Les responsables allemands ont soulevé la question au sommet de Varsovie quand ils ont fait observer que, dans le contexte d’une économie en récession, un pays n’aurait pas, en théorie, à augmenter ses dépenses de défense pour atteindre l’objectif des 2 %. Bien évidemment, cela se traduirait par l’absence de tout accroissement net des capacités. Une amélioration de l’efficacité des dépenses de défense pourrait bien être un indicateur plus fiable de la bonne utilisation des fonds alloués à ce secteur. De grands progrès en matière d’efficacité peuvent être accomplis grâce, par exemple, à la mutualisation et au partage, à la spécialisation et à la mise au point collective de plans de forces et de systèmes. En dernière analyse, il se pourrait que les Alliés soient mieux servis par un jalon qui permettrait de mesurer les améliorations capacitaires, plutôt que de se concentrer sur les pourcentages de dépenses en soi. Il convient de noter qu’aux États-Unis, en dépit d’un repli des dépenses de défense pendant les années 90, la restructuration des forces armées et la réaffectation des fonds se sont faites de telle manière qu’il s’en est suivi, à plus long terme, une amélioration capacitaire. Voilà qui donne à penser, notamment, qu’investir dans des capacités nouvelles plutôt que de consacrer des ressources à des équipements de générations antérieures engendrera à long terme des dividendes capacitaires. Souvent, les dépenses de défense en tant que telles sont davantage fonction de la croissance économique que d’un quelconque impératif sécuritaire et ne révèlent qu’une petite partie des changements introduits dans les capacités. Cela dit, la norme des 2 % peut être utile sur le plan politique et conférer quelque influence à ceux qui insistent en faveur d’investissements accrus (Schilde). Dans ce sens, la norme de 20 % peut être plus significative pour ce qui est des capacités à plus long terme.

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22. Pour la plupart des gouvernements, les engagements pris en matière de dépenses de défense au sommet du pays de Galles sont cruciaux pour l’amélioration des capacités alliées, amélioration que les agissements illégaux de la Russie en Ukraine, le climat de tension qu’elle entretient dans toute la région et la détérioration générale de la situation au Moyen-Orient rendent d’autant plus nécessaire. Ces engagements sont également tenus pour indispensables à la préservation du lien transatlantique, qui est d’autant plus facilement mis en cause que Washington prend à sa charge une part aussi élevée de l’ensemble des dépenses de défense alliées. Les divergences politiques issues d’une telle vision des choses sont devenues évidentes à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle, où l’on voit un seul candidat lier les dépenses de défense européennes à l’application de l’article 5. Plus généralement, les dirigeants des formations situées de part et d’autre de la ligne de démarcation politique sont très préoccupés par la tendance baissière des dépenses de certains pays membres de l’OTAN et par l’écart capacitaire grandissant qui les sépare du reste de l’Alliance. Le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, a récemment fait remarquer que le budget militaire des États-Unis couvrait 70 % de l’ensemble des dépenses de défense de l’OTAN et a estimé que cela ne pouvait être viable du double point de vue stratégique et politique. Dans un discours prononcé à Berlin à l’automne 2015, il a déclaré : « Nous devons tous accepter la part de responsabilité qui nous échoit dans le domaine de la sécurité. Nous devons choisir d’investir dans de nouvelles capacités, de les élaborer et de les mettre en œuvre sur le terrain, maintenant comme dans l’avenir. » (Harper). Washington estime donc que ses alliés doivent se doter de leurs propres moyens de défense. Un responsable états-unien a récemment déclaré que certains milieux européens tendaient à considérer les États-Unis comme une espèce de supermarché des armements pour pays occidentaux, un supermarché qui serait toujours prêt à reconstituer les stocks de l’Europe au beau milieu des opérations. Voilà cependant une tournure d’esprit très dangereuse, car les arsenaux états-uniens sont conçus pour répondre aux besoins des forces armées américaines, et non des forces alliées.

23. Le problème n’est pas simplement théorique. Les incidences de ce double déficit en capacités et en dépenses se sont manifestées très clairement pendant les opérations en Libye, lorsque les munitions européennes se sont rapidement épuisées et que les États-Unis ont dû faire un effort extraordinaire pour combler le manque. À l’époque, le secrétaire à la Défense, Robert M. Gates, qui s’apprêtait à quitter ses fonctions, avait observé : « Cela fait 11 semaines seulement que l’alliance militaire la plus puissante de l’histoire combat un régime médiocrement armé dans un pays faiblement peuplé et, déjà, de nombreux Alliés commencent à être à court de munitions » (Traynor). Dans la même déclaration, M. Gates avait indiqué que l’on ne saurait exclure un retrait de son pays de l’OTAN, au vu des larges écarts concernant les dépenses et les capacités de défense, écarts qui engendrent une situation politique intenable. « Si le déclin actuel des capacités militaires européennes n’est pas enrayé et si la tendance n’est pas renversée », a indiqué M. Gates, « les dirigeants américains à venir – ceux pour qui la Guerre froide n’a pas eu le caractère formatif qu’elle a eu pour moi – pourraient penser que le retour sur les investissements des États-Unis dans l’OTAN ne justifie pas les dépenses engagées ». M. Gates a également indiqué que l’OTAN dégénérait en une alliance à deux niveaux avec, d’un côté, les pays qui comprenaient la nécessité de se doter des moyens de mener une guerre et, de l’autre, les pays qui se tournaient avant tout vers le maintien de la paix et la diplomatie. Ces propos bien connus de M. Gates étaient cependant dictés par les circonstances du moment et correspondaient au moment où le débat sur le partage des charges a touché le fond, encore qu’une partie des propos tenus pendant l’actuelle campagne présidentielle aux États-Unis soit alarmante, surtout quand on songe que de très nombreux Alliés augmentent leurs dépenses de défense.

24. L’agression russe en Ukraine, les leçons tirées de la campagne libyenne et, par extension, des événements du Sahel, l’effondrement de l’ordre sécuritaire dans le « Grand Moyen-Orient » et la stratégie du « pivot » des États-Unis vers l'Asie ont modifié la

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perception des menaces et la façon dont les pays de l’Alliance définissent leurs intérêts. De nombreux pays de l’Alliance augmentent maintenant leurs dépenses de défense, et rares sont ceux qui pensent qu’une diplomatie conjuguée à un niveau de préparation militaire peu élevé pourrait suffire à garantir leur sécurité dans la situation internationale actuelle. Un consensus se dégage pour admettre que les forces armées alliées doivent remplir leurs propres arsenaux pour se doter de moyens militaires et de moyens de dissuasion qui soient à la hauteur de toute la gamme des menaces auxquelles elles se voient confrontées.

25. Les dirigeants états-uniens souhaitent maintenant que les Européens démontrent que leurs forces armées sont en mesure de parer à toute agression sur le continent ; les mêmes dirigeants soulignent que l’Europe doit savoir qu’elle ne pourra pas compter sur la présence immédiate de forces américaines substantielles sur le terrain. Ils insistent sur le fait qu’ils n’en reviendront vraisemblablement pas à l’ancienne pratique consistant à cantonner trois divisions blindées sur le continent. Il reviendra donc à l’Europe de combler ce manque. Aux États-Unis, les milieux politiques auraient beaucoup de mal à justifier une allocation de ressources considérables au soutien de la défense européenne alors que leurs électeurs ont le sentiment que les gouvernements européens refusent les sacrifices requis en la matière. Cette logique figure depuis longtemps en filigrane du débat sur le partage des charges inhérentes à la défense mais, si le déficit financier et capacitaire devait se creuser, il pourrait devenir plus impérieux. Cela ne servirait ni les intérêts de l’Amérique du Nord ni ceux de l’Europe. Les Européens, qui ne disposent pas des capacités suffisantes pour faire face aux nouvelles menaces, devront donc améliorer considérablement leurs moyens militaires et, partant, augmenter fortement leurs dépenses de défense en veillant à ce que lesdites dépenses soient engagées de manière plus efficace.

III. DÉPENSES ACTUELLES DE L’OTAN

26. L’OTAN ne peut obliger ses membres à allouer des fonds à la défense, mais elle tient le compte de ces dépenses et recueille des statistiques sur leur état actuel et prévu. Malgré certaines différences d’un pays à l’autre, l’OTAN souhaiterait instaurer une méthode normalisée pour l'évaluation des dépenses de défense nationales. Elle publie donc des chiffres qui peuvent s’écarter de ceux que fournissent les gouvernements. Dans les chiffres de l’OTAN, les dépenses de recherche-développement relatives aux équipements d’importance majeure sont incluses dans les dépenses d’équipement ; de même, les pensions de retraite sont comprises dans les dépenses de personnel. Les chiffres les plus récents datent du 1er juillet 2016.

27. Bien qu’en théorie les pays membres de l’OTAN aient souscrit à la norme des 2 %, seuls cinq d’entre eux – le Royaume-Uni, la Pologne, l’Estonie, la Grèce et les États-Unis – semblaient pouvoir, à la date du 15 juin 2015, tenir leurs engagements pour cette année-là. Sur 28 pays, six se disposaient à réduire le pourcentage de leur PIB alloué à la défense, alors que 18 autres annonçaient une augmentation de leurs dépenses de défense en valeur réelle (Bendavid). Pour 2015, le total des dépenses de défense devait atteindre 892 milliards de dollars, soit un chiffre qui, en réalité, se situe en deçà de ceux de 2014 (942 milliards) et de 2013 (968 milliards).

28. En juillet 2016, l’OTAN a publié les dernières estimations disponibles pour les dépenses de défense calculées suivant les prix et les taux de change de 2010 et exprimées en pourcentage du PIB de 2016. Ces chiffres sont les suivants (par ordre décroissant) : États-Unis : 3,61 %, Grèce : 2,38 %, Royaume-Uni : 2,21 %, Estonie : 2,16 %, Pologne : 2,0 %, France : 1,78 %, Turquie : 1,56 %, Norvège : 1,54 %, Lituanie : 1,49 %, Roumanie : 1,48 %, Lettonie : 1,45 %, Portugal : 1,38 %, Bulgarie : 1,35 %, Croatie : 1,23 %, Albanie : 1,21 %, Allemagne : 1,19 %, Danemark : 1,17 %, Pays-Bas : 1,17 %, Italie : 1,11 %, République slovaque : 1,1 %, République tchèque : 1,04 %, Hongrie : 1,01 %,

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Canada : 0,99 %, Slovénie : 0,94 %, Espagne : 0,91 %, Belgique : 0,85 % et Luxembourg : 0,44 %.

29. Pour les dépenses de matériel considérées comme faisant partie des dépenses de défense calculées suivant les prix et les taux de change de 2010 et exprimées en pourcentage du PIB de 2016, l’OTAN a fourni les derniers chiffres disponibles pour 2016 : Luxembourg : 32,82 %, Lituanie : 27,65 %, Roumanie : 26,13 %, Pologne : 25,79 %, Norvège : 25,60 %, États-Unis : 25,03 %, France : 24,51 %, Turquie : 23,58 %, Royaume-Uni : 23,41 %, Italie : 20,24 %, République slovaque : 20,24 %, Canada : 18,06 %, Lettonie : 17,86 %, Espagne : 15,23 %, Grèce : 14,91 %, Pays-Bas : 14,43 %, Allemagne : 13,67 %, Estonie : 13,50 %, Hongrie : 13,0 %, Bulgarie : 12,55 %, Danemark : 12,41 %, Portugal : 9,43 %, Croatie : 8,27 %, Albanie : 7,81 %, République tchèque : 7,23 %, Belgique : 2,17 % et Slovénie : 1,17 % (Communiqué de presse de l’OTAN).

30. On peut retenir une bonne nouvelle de cette longue énumération : à neuf exceptions près, ces chiffres marquent une augmentation. Il n’y a rien de surprenant à ce que les pays dont les dépenses de défense affichent la croissance la plus significative soient ceux qui se sentent le plus menacés par l’agression illégale de la Russie contre l’Ukraine et qui se préoccupent le plus des intentions de Moscou en Europe de l’Est. Ainsi, en Lituanie, les dépenses de défense ont fait un bond de 29 % en 2015, tandis que celles de la Pologne s’étoffaient considérablement (+ 21,7 %) et que celles de la Lettonie progressaient de 13,4 %. L’Estonie, qui a conservé le système de la conscription nationale, avait maintenu le niveau de ses dépenses de défense à 1,9 % de son PIB entre 2011 et 2014. En 2015, ce niveau est passé à 2 % et il devrait atteindre 2,1 % en 2016, soit le plus haut pourcentage jamais enregistré pour ce pays. Bien que non situés sur la ligne de front, le Luxembourg (+ 27,3 %) et le Portugal (+ 10 %) ont considérablement augmenté leurs dépenses de défense, de même que la Grèce (+ 9,5 %), la Roumanie (+ 8,9 %) et la Hongrie (+ 7,8 %). En revanche, les pays suivants ont tous diminué leurs dépenses de défense entre 2014 et 2015 : Slovénie (- 0,7 %), France (- 1 %), Allemagne (- 1,3 %), États-Unis (- 2 %), Royaume-Uni (- 2,8 %), Belgique (- 5,8 %), Bulgarie (- 11,5 %), Albanie (- 12 %) et Italie (- 12,4 %) (Pavgi).

IV. 2016 ET AU-DELÀ

A. LES ÉTATS-UNIS

31. Du côté des États-Unis, le séquestre et un processus décisionnel budgétaire, constitué d’une suite ininterrompue de résolutions, ont à la fois restreint les ressources allouées aux forces armées et introduit des mesures amoindrissant la souplesse dudit processus. Or l’ajustement aux nouvelles réalités stratégiques exige, précisément, une souplesse budgétaire beaucoup plus grande. En outre, les dépenses de défense calculées sur la base de l’examen quadriennal de 2014 et sur l’examen stratégique de 2012 ne tenaient pas compte des récents événements en Russie (Harper). Le climat politique qui règne à Washington a aggravé le problème, encore que l’on relève maintenant les signes d’un compromis entre Républicains et Démocrates, compromis qui laisse espérer d’importantes améliorations.

32. En décembre 2015, le Congrès a approuvé une loi de finances de portée générale – loi signée par le président Obama – qui accorde 572,7 milliards de dollars à la défense et qui, entre autres choses, assure le financement des chapitres suivants : opérations militaires en cours, dépenses de personnel des forces armées, soldes, soins de santé et régimes familiaux, opérations et maintenance, recherche-développement et acquisitions. Le budget du département de la Défense alloue également 58,6 milliards de dollars aux opérations

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ponctuelles à l’étranger, à la guerre mondiale contre le terrorisme, au renseignement et à la surveillance et, enfin, à l’aide aux pays désireux de parer la menace russe. Le Congrès a adopté par ailleurs l’allocation de 163 milliards de dollars aux programmes du ministère des Anciens combattants. Grâce à cette loi, le département de la Défense pourra poursuivre la concrétisation de ses projets d’acquisition de nouveaux véhicules de combat et appareils polyvalents (dont le Joint Strike Fighter F-35), ainsi que de nouveaux sous-marins. La loi a été adoptée sur la base d’un accord de deux ans qui permettra aux autorités fédérales de naviguer entre les dépenses maximales obligatoires et, provisoirement, de suspendre l’application des dispositifs budgétaires de crise qui déstabilisaient la planification à longue échéance au département de la Défense. Elle garantit une stabilité et une prévisibilité budgétaires accrues et met un terme, du moins pour l’instant, à la récente pratique législative consistant à recourir à une succession ininterrompue de résolutions pour financer la défense. Elle a été adoptée à la Chambre des représentants avec les voix de 150 Républicains et de 166 Démocrates (Gould, 18 décembre 2015). Le résultat de cet accord est qu’après plusieurs années de coupes dans le budget de la défense, les États-Unis sont désormais disposés à augmenter leurs dépenses de défense, ce qui pourrait inciter leurs alliés à faire de même. De surcroît, cet accord de deux ans signifie que le débat à Washington peut désormais se concentrer davantage sur la politique proprement dite et moins sur les dépenses de défense.

33. Dès son premier mandat, Barack Obama a défendu l’idée qu’en tant que « nation du Pacifique » les États-Unis devaient jouer un rôle important en Asie. Cela est devenu d’autant plus important pour eux que le centre de gravité mondial s’est déplacé vers l’Asie au cours des deux dernières décennies. La montée en puissance de la Chine pourrait affecter l’économie états-unienne et sa sécurité de différentes façons. Cette croissance inquiète les États-Unis notamment sur le plan militaire, puisque les dépenses militaires chinoises représentaient en 2014 environ 95,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 12,2 % après celles intervenues en 2012 (11,2 %) et 2013 (10,7 %). Les objectifs des États-Unis sont multiples, il s’agit de maintenir la paix – objectif partagé avec la Chine –, la stabilité, la libre circulation des biens et leur influence dans une région dynamique. Washington cherche donc à instaurer un équilibre sur le plan de la présence militaire. Par conséquent, l'US Navy, dont plus de la moitié des bâtiments sont déjà basés dans cette région, et l'US Air Force ont reçu pour objectif d’atteindre un taux de 60 % pour 2020. Cet objectif de « rééquilibrage » en direction de l'Asie devrait se poursuivre, même si ce mouvement pensé sur le long terme se heurte à plusieurs défis. Outre la question des moyens alloués à cette politique, l'instabilité persistante du Moyen-Orient (Syrie, processus de paix au Moyen-Orient, Iran, etc.) ou la poursuite de la crise ukrainienne, qui requièrent l'engagement, voire un effort de réengagement des États-Unis, risquent de freiner cette bascule.

34. Dans les faits, le rééquilibrage peut être relativisé. Les initiatives états-uniennes demeurent encore symboliques, en témoigne l'aspect principalement déclaratoire des visites ou la lenteur du redéploiement des États-Unis. Sans revenir sur leur stratégie de pivot vers l’Asie, les États-Unis ont reconnu qu’ils devaient renforcer leur présence en Europe de l’Est pour faire face à un dispositif russe plus agressif. Dans le contexte de l’opération Atlantic Resolve, ils se sont engagés dans des rotations de forces et des exercices au côté de leurs alliés et partenaires européens. Ils ont couvert les coûts supplémentaires grâce au budget de l’Initiative de réassurance européenne adopté par le Congrès à la suite de l’agression russe contre l’Ukraine. Le projet de budget de défense du Pentagone pour 2017 inclura donc 3,4 milliards de dollars supplémentaires pour l’Initiative de réassurance européenne – comparé à 798 millions pour l’exercice budgétaire 2015. Voilà qui reflète le sérieux effort consenti ces deux dernières années par les États-Unis pour étoffer leur présence en Europe centrale et orientale, l’objectif étant de rassurer leurs alliés et leurs partenaires quant à leur attachement à la sécurité et à l’intégrité territoriale de ces derniers. Le projet de budget pour 2017 représente une intensification majeure de cet effort et vise à faciliter une riposte plus rapide et plus énergique grâce 1) au maintien, par un système de rotation, d’une

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présence permanente de forces aériennes, terrestres et navales dans la région, 2) à l’organisation d’exercices et d’activités d’entraînement bilatéraux et multilatéraux supplémentaires, 3) à l’amélioration du prépositionnement de matériel américain, dont les véhicules d’une brigade blindée avec leurs équipements connexes, 4) à l’amélioration des infrastructures existant en Europe (aérodromes, centres de formation, polygones de tir) et 5)  à une contribution à l’amélioration des moyens dont disposent les Alliés et partenaires d’Europe centrale et orientale pour assurer leur propre défense et participer aux opérations régionales (Communiqué de presse du Département de la défense des États-Unis).

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B. LES PAYS EUROPÉENS

35. Les autorités du Royaume-Uni, qui comptent respecter jusqu’en 2020 la norme fixée par l’OTAN en matière de dépenses, et devraient allouer 12 milliards de livres sterling supplémentaires pour le financement d’équipements militaires. Elles mettront également en chantier un programme visant à prolonger de dix ans la durée de vie opérationnelle des Eurofighters Typhoon et doter ces appareils de moyens d’attaque au sol, ce qui permettra la création de deux autres escadrons de ligne de front. D’autre part, les autorités britanniques accéléreront l’acquisition de chasseurs F-35 destinés aux deux nouveaux porte-aéronefs de la Royal Navy  ; les forces navales devraient disposer de 24 appareils de ce type d'ici à 2023, contre huit initialement prévus. Les forces spéciales britanniques obtiendront 2 milliards de plus en équipements, la Royal Air Force multipliera par deux sa flotte de drones et 1,9 milliard de livres sterling sera alloué à la cybersécurité. Il est envisagé d’acquérir neuf appareils de patrouille maritime P-8 – qui seront également dotés de moyens de recherche et de sauvetage et de capacités de surveillance terrestre – en remplacement des Nimrod, désormais déclassés. Le Royaume-Uni reste aux prises avec le coût de l’entretien de son dispositif de dissuasion nucléaire, conséquence d’une hausse plus forte que prévue des dépenses inhérentes au programme nucléaire (The Belfast Telegraph). Les autorités britanniques maintiendront l’effectif des forces terrestres à 82 000 personnes, mais elles travaillent à la mise sur pied d’une brigade de réaction rapide (strike brigade) capable de se déployer dans le monde entier. Parallèlement, elles ont fait part de plans visant à la suppression de plusieurs milliers d’emplois civils au ministère de la Défense. Enfin, il convient de noter que le Royaume-Uni se propose de respecter la norme des 2 % pour ses dépenses de défense, mais aussi d’atteindre l’objectif déterminé par la direction de la coopération au développement de l’OCDE, à savoir consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide au développement, qu’il considère comme un élément essentiel de sa stratégie de renforcement de la sécurité mondiale.

36. Dans le prolongement des attentats de Paris, il est intéressant de noter qu’indépendamment des efforts menés afin de réduire son déficit budgétaire, la France a indiqué, par la voix du président de la République, François Hollande, et du ministre des Finances, Michel Sapin, que pour 2016 les restrictions touchant les dépenses de sécurité avaient été levées. Cet effort s’ajoutera à la participation accrue du pays à la campagne syrienne, à l’opération Barkhane dans les pays de la bande sahélo-saharienne, Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso et à l’opération Sangaris conduite en République centrafricaine, notamment. Les autorités françaises consacreront 600 millions d’euros supplémentaires à la sécurité en 2016 (Reuters), ce qui porte le montant total du budget militaire à 32 milliards d’euros ; avec une augmentation de 300 millions d’euros pour les dépenses d’équipement. À cela s’ajouteront 700 millions en 2017, 1 milliard en 2018 et 1,5 milliard en 2019, soit une augmentation de la loi de programmation militaire de plus de 4 milliards d’euros entre 2016 et 2017, dont 1 milliard en faveur des dépenses d’équipement. Les dépenses d’équipement passeront donc de 16,7 à 17 milliards d’euros en 2016. Elles incluent la livraison de neuf avions de combat Rafale, de trois appareils de transport A-400, de quatre avions de transport C130, de cinq hélicoptères d’attaque Tigre et de six hélicoptères de transport NH-90, d’une frégate multimissions (FREMM), de deux bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), d’un bâtiment multi-missions (B2M), de 281 camions PPT (porteurs polyvalents terrestres), de 25 véhicules lourds destinés aux forces spéciales et d’un lot initial de missiles de croisière pour la FREMM et le sous-marin d’attaque Barracuda. La France compte aussi moderniser le chasseur-bombardier Mirage 2000D, acquérir une FREMM supplémentaire et un drone naval anti-mines de conception anglo-française. De plus, elle réserve 3,8 milliards d’euros à la recherche et développement et 710 millions d’euros aux études de faisabilité. Elle continuera à collaborer avec l’Allemagne et l’Italie à un programme de drone MALE (moyenne altitude, longue endurance) et à la mise au point avec l’Allemagne d’un troisième satellite espion (Tran).

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37. Bien que l’Allemagne conserve l’économie la plus forte d’Europe, elle n’avait pas, jusqu’à tout récemment, prévu d’augmenter son budget fédéral ou son budget militaire. Cependant, le projet de budget fédéral pour 2017 réserve pour affectation à la défense une allocation supplémentaire de 1,7 milliard d’euros (soit 1,9 milliard de dollars) ; cela représente une progression de 6,8 % par rapport aux dépenses prévues pour cette année. Selon le projet, les forces armées recevront 36,61 milliards d’euros en 2017, chiffre à comparer avec celui de 2016 (34,29 milliards) ; cela équivaut à plus du double du taux de croissance du budget fédéral dans son ensemble, soit 2,7 % (Hoffman).

38. Ses dépenses de défense avaient diminué, tant en valeur absolue qu’en pourcentage de son PIB. Le projet de budget pour 2015 s’élevait à 41,72 milliards de dollars, soit 3 milliards de dollars de moins qu’en 2014. Un rapport parlementaire daté de 2014 donnait à entendre que l’état de l’équipement et des infrastructures de la Bundeswehr n’était pas aussi bon qu’il aurait dû l’être et des investissements considérables étaient nécessaires pour remédier à cette situation (Raynova et Kearns). Les autorités allemandes ont récemment annoncé qu’au cours des cinq années à venir, elles consacreraient 9 milliards de dollars supplémentaires à l’amélioration des forces terrestres et à la remise en service de chars de bataille qui avaient été mis en réserve. À la veille de l’adoption d’un nouveau Livre blanc sur « la politique de défense et sur l’avenir de la Bundeswehr », le ministère de la Défense a obtenu un milliard d’euros supplémentaires en 2016, et devrait bénéficier de 8 milliards d’euros supplémentaires entre 2016 et 2019 (Le Monde). L’Allemagne envisage également de faire évoluer sa doctrine de déplacement des forces dans un cadre multilatéral, ce qui pourrait avoir des incidences positives sur son implication sur les théâtres extérieurs.

39. Les autorités allemandes se préparent à augmenter les effectifs de leurs forces armées après les avoir réduits pendant un quart de siècle. Telle est la réponse de l’Allemagne à l’attitude belliqueuse de la Russie, à l’instabilité au Proche-Orient, à la menace terroriste et à celle des cyberattaques. Récemment, la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, a déclaré : « Nous devons sortir du processus qui nous amène à opérer des réductions, à diminuer la taille de nos forces armées [...] et nous diriger vers des forces armées modernes. » (Wagstyl). Les effectifs de la Bundeswehr sont passés de 585 000 hommes (1990) à 177 000 aujourd’hui. Le nouveau programme prévoit le recrutement, d’ici à 2023, de 7 000 militaires de plus, dont 5 000 seront affectés à des positions en première ligne. Le gouvernement demande au Parlement de pouvoir excéder le plafond légal (185 000 hommes), de manière à disposer d’une plus grande souplesse. Il compte en outre augmenter de 4 400 personnes le nombre de civils travaillant pour la défense. Ce sont là des changements relativement modestes, mais ils révèlent l’existence d’un véritable changement de priorités et reflètent la prise de conscience par l’opinion publique de la modification de la menace.

40. Le budget militaire de l’Italie a continué à baisser en 2015, en dépit d’une augmentation des dépenses d’acquisition, lesquelles ont progressé de 2,5 milliards d’euros et sont ainsi passées à 4,87 milliards d'euros en 2015. Ce budget s’élève à 13,9 milliards d'euros et alloue désormais 768 millions d'euros au programme de l’Eurofighter et 582,7 millions d'euros au F-35. Les autorités italiennes prévoient une réduction sensible des acquisitions pour 2016 et 2017 et des dépenses d’équipement pour un total de 1,95 milliard d'euros en 2016 et de 1,93 milliard d’euros en 2017 (Kington).

41. D’une certaine façon, la Grèce demeure une exception parmi les Alliés méditerranéens. À l’intérieur de l’OTAN, elle vient en seconde place, derrière les États-Unis, pour ce qui est de la part de son PNB consacrée à la défense et en première place pour ce qui est du pourcentage de sa population active travaillant dans les forces armées (2,3 %). Le ministère de la Défense emploie 87 000 personnes et les effectifs des forces armées s’élèvent à 106 000 hommes et femmes. Ces chiffres dénotent toutefois l’existence d’un problème structurel, dans la mesure où les deux tiers du budget militaire sont alloués aux

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dépenses de personnel et que le faible niveau d’investissement qui en résulte ne permet simplement pas une bonne préparation des forces aux évolutions des menaces et aux ajustements qui en découlent (Harris).

42. Les dépenses de défense de la Belgique ont chuté à un niveau sans précédent et sont maintenant inférieures à 1 % du PIB. L’objectif visé à long terme (2030) est de porter ce chiffre à 1,3 %, ce qui est lieu en deçà des engagements du sommet du pays de Galles. Une commission ministérielle spéciale du gouvernement belge a récemment demandé de considérables réductions de l’effectif des forces armées d’ici à 2030 et l’allocation de 9,2 milliards d’euros à des programmes d’investissement dans des équipements d’importance majeure, dont l’acquisition de 34 chasseurs-bombardiers en remplacement de 56 F-16 en voie d’obsolescence, de deux frégates, de six chasseurs de mines et de six drones. Le ministre de la Défense, Steven Vandeput, a déclaré que les nouveaux plans marquaient la fin de l’« ère des dividendes de la paix ». Il s’agit de passer à une « main-d’œuvre » de défense de 25 000 personnes d’une moyenne d’âge de 34 ans, contre un effectif moyen de 30 820 militaires d’active et de recrues d’une moyenne d’âge de 40 ans en 2016. D’ici à 2030, la Belgique doit parvenir à un meilleur équilibre entre les dépenses salariales (50 %), les coûts d’exploitation (25 %) et les investissements (25 %) (Defence-aerospace.com).

43. En Pologne, le programme électoral du nouveau gouvernement promettait une augmentation des dépenses de défense à concurrence de 2,5 % du PIB, ce qui placerait le pays à la seconde place derrière les États-Unis en termes de dépenses de défense en pourcentage du PIB au sein de l’Alliance (Krauski). Les autorités polonaises ont demandé une accélération de la modernisation des forces armées et une augmentation de leurs effectifs, qu’elles voudraient faire passer de 100 000 à 150 000 personnes. Récemment, elles ont acquis 104 radars de reconnaissance afin d’améliorer les capacités de surveillance et elles songent à acheter le système de défense antimissiles Patriot (Harper). Le programme de modernisation devrait s’achever en 2022 (Tomkiw).

44. En Estonie, les autorités augmenteront les dépenses de défense de 114 millions d’euros en 2016, ce qui représentera une augmentation de près de 25 %. Elles consacreront 138 millions d’euros à l’achat de véhicules de combat CV90 auprès des Pays-Bas, plus de 40 millions d'euros à l’achat d’armes diverses et 51,6 millions d'euros à des dépenses d’infrastructure (Wright). Il ne s’agit évidemment pas de fortes sommes, mais l’Estonie est un petit pays qui se sent de plus en plus exposé sur son flanc oriental. La Lettonie voisine compte faire passer le pourcentage du PIB alloué à la défense de 1 % (2015) à 1,48 % (2016). Le gouvernement a annoncé qu’il acquerrait des armes et des équipements divers, dont des missiles sol-air Stinger. Pour sa part, la Lituanie augmentera ses dépenses de défense de 35 % en 2016 et espère atteindre la norme des 2 % du PIB en 2018. Moins de la moitié des fonds disponibles sera allouée aux dépenses de personnel et la plus grande partie de l’augmentation sera destinée à l’acquisition d’équipements et d’armes. Les autorités lituaniennes ont, en outre, réintroduit la conscription et de 3 000 à 3 500 personnes seront appelées sous les drapeaux chaque année. Un cinquième du budget sera consacré à l’acquisition d’équipements, dont des systèmes d’artillerie automoteurs, achetés à l’Allemagne, de nouveaux véhicules de combat d’infanterie, de systèmes anti-aéronefs et antichars et de matériel de télécommunications et de surveillance de l’espace aérien (Caffrey). Les trois pays baltes membres de l’OTAN réfléchissent à l’élaboration d’un système de défense aérienne à moyenne portée qu’ils utiliseraient conjointement (Adamowski).

45. En Norvège, les autorités ont annoncé qu’elles augmenteraient les dépenses de défense de 12 % en valeur nominale (soit d’environ .8 milliards de dollars) en 2016. Ces dépenses atteindront ainsi 1,5 % du PIB, contre 1,4 % en 2015. Oslo envisage de nouvelles augmentations en 2017 ; les dépenses devraient ensuite diminuer puisque les programmes

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d’acquisition de nouveaux aéronefs auront été largement exécutés. Il est également prévu d’augmenter les dépenses de défense après 2019 pour les porter à un niveau situé entre 1 et 2 % en valeur nominale jusqu’en 2025. Les augmentations actuelles reflètent l’accroissement à court terme du financement du programme relatif au F-35 dont le budget devrait doubler en 2016. Le gouvernement prévoit la livraison de 22 F-35 entre 2015 et 2019 et le budget de 2016 prévoit le financement de six autres appareils du même type qui seraient livrés en 2020. Le nouveau budget alloue également des fonds supplémentaires à la modernisation des services de renseignement, à l’amélioration de l’entretien des bâtiments de guerre, à l’intensification de la présence norvégienne dans l’Arctique et à la participation aux opérations de l’ONU au Mali (McGerty).

46. Il convient de replacer en perspective les tendances suivies par les dépenses de défense des pays membres de l’OTAN. Une façon de le faire serait de prendre du recul et de considérer les tendances au niveau des dépenses de défense à l’échelle mondiale. En tout premier lieu, les États-Unis restent – et de loin – le pays qui consacre le plus d’argent à la défense et son budget représente plus du double de celui qui vient immédiatement derrière lui, à savoir la Chine. Il s’élevait à 569 milliards de dollars en 2015, soit une baisse par rapport à 2014 (587 milliards de dollars), même si le nouveau budget prévoit une augmentation d’environ 80 milliards de dollars pour les deux années à venir (Gould, 31 octobre 2015). Les dépenses de défense de la Chine, elles, explosent : elles sont passées de 176 milliards de dollars (2014) à 191 milliards de dollars (2015). En tant qu’acteur de tout premier plan au regard de l’équilibre militaire en Asie, les États-Unis sont obligés de surveiller de très près l’évolution de ces tendances. Viennent ensuite le Royaume-Uni, la Russie et la France, encore que leurs budgets militaires ne représentent qu’une fraction de celui de la Chine. En 2014 et 2015, les réductions les plus sévères ont été pratiquées par les États-Unis, le Japon et le Brésil, tandis que les augmentations les plus marquées étaient le fait de la Corée du Sud, du Royaume-Uni et de la Chine. Le volume des dépenses de défense chinoises a incité plusieurs pays asiatiques à augmenter leurs propres dépenses militaires, dès lors qu’ils ne font pas entièrement confiance à la Chine quand celle-ci affirme que ses intentions sont pacifiques. Les pays de la région du Golfe ont, eux aussi, notablement augmenté leurs dépenses de défense ces dernières années ; ils réagissent ainsi à l’instabilité grandissante de la zone, à l’expansion des capacités militaires de l’Iran et à la montée de l’extrémisme fondamentaliste, autre facteur de déstabilisation. Cette évolution traduit également l’inquiétude éprouvée par ces pays quant à un désengagement des États-Unis dans les affaires régionales. Il y a lieu de noter qu’à l’échelle mondiale, 13 des 25 pays dépensant le plus pour leur défense sont asiatiques, contre sept européens et deux nord-américains. 47. Libeller en dollars tous les budgets militaires afin de les comparer peut donner une image fausse des dépenses de défense effectives des pays concernés et de leur pouvoir d’achat. Par exemple, les dépenses de défense de la Russie semblent moindres qu’elles ne le sont en réalité, conséquence de la forte dépréciation du rouble, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elles se traduisent par l’acquisition de capacités nettement moins importantes (Kirk). Par ailleurs, le déploiement de forces sur le terrain coûte beaucoup moins cher à Moscou qu’à Washington, notamment parce que les soldats russes sont beaucoup moins bien payés que les soldats états-uniens. En revanche, le secteur de la défense russe est miné par la corruption et le manque d’efficacité, ce qui tend à diminuer le pouvoir d’achat du gouvernement en matière de dépense de défense. En Russie, la corruption est assimilable à une forme d’impôt qui s’applique à l’ensemble du complexe militaro-industriel. De telles asymétries économiques ont leur importance et montrent les limites d’une comparaison directe des dépenses de défense.

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V. RATIONALISER UN MARCHÉ DE LA DÉFENSE FRAGMENTÉ

A. LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE EST DÉFAVORABLE AUX INITIATIVES DEN MUTUALISATION DANS LE SECTEUR DE LA DÉFENSE

48. Si les pays de l’Alliance admettent aujourd’hui que la menace internationale s’est faite plus pressante et qu’il faut pouvoir compter sur des capacités plus importantes pour préserver une solidarité vitale et relever la myriade de défis auxquels ils sont confrontés en matière de sécurité, diverses sources de préoccupation n'existent pas moins. Premièrement, il est manifeste que les objectifs fixés par l’OTAN en matière de dépenses de défense ne sont pas contraignants et que les gouvernements des pays membres devront faire face à de fortes pressions budgétaires et politiques, surtout si le climat économique ne s’améliore pas. Pour l’instant, seuls quelques pays se disent en mesure d’augmenter considérablement et durablement leurs dépenses de défense, ceux-là mêmes qui se sentent les plus menacés par la Russie ou auxquels il a été donné de nourrir une vision plus large, voire planétaire de la sécurité.

49. Un deuxième problème, d’ailleurs lié au premier, est qu’il est très difficile de faire progresser au niveau interallié l’acquisition de capacités de défense et le développement coordonné de ces capacités à une époque de difficultés économiques. Dans un tel contexte, et alors que les ressources consacrées aux dépenses de défense sont insuffisantes, les avantages de cette réponse coordonnée ne sont certainement pas négligeables. Il est paradoxal qu’au moment même où les temps sont durs les gouvernements manifestent le plus de réticence à collaborer autour de projets militaires ; cela se doit au fait que, dans ce genre de conjoncture, la protection de l’emploi est un réflexe crucial pour leur survie politique. Les pertes d’emplois survenant à court terme sont difficiles à justifier sur le plan politique, même lorsqu’elles engendrent à plus long terme des bénéfices tirés d’un partage du travail reposant sur l’existence d’un véritable avantage comparatif et de moindres coûts d’acquisition. Le phénomène consistant à privilégier les produits nationaux même quand ils coûtent plus cher porte depuis longtemps atteinte à une rationalisation de la défense alliée et nuit particulièrement à l’Europe, où le marché de la défense est très fragmenté et où les gouvernements sont déterminés à protéger leur part d'activité économique. C’est exactement la même démarche politique qui entrave la collaboration transatlantique en matière de défense et de commerce.

B. LES ENTRAVES À LA COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE LA DÉFENSE

50. On a placé beaucoup d’espoir dans l’Initiative de mutualisation et de partage des dépenses de défense initiée par l’Union européenne et dans le programme de « Défense intelligente » de l’OTAN, tous deux destinés à galvaniser la coopération transfrontalière entre Alliés dans le secteur de la défense. Ces projets de partage ou de mutualisation dans le domaine des capacités militaires n’ont toutefois pas été à la hauteur des attentes suscitées. On entend par partage la pratique par laquelle chaque pays se concentre sur le développement de certaines capacités tout en comptant sur ses partenaires pour fournir des capacités complémentaires. Cela permet d’opérer des économies et de concevoir des avantages comparatifs dynamiques qui accroissent encore l’efficacité. La mutualisation désigne la création de structures multinationales grâce auxquelles les pays concernés mettent en commun leurs contributions et coordonnent leurs déploiements. Cette pratique peut s’appliquer au développement, à l’acquisition et à l’utilisation de matériels partagés et rend possible l’achat d’équipements qui seraient hors de portée de pays agissant seuls. La combinaison de la mutualisation et du partage peut aider les pays à passer collectivement de l'indentification et du développement des besoins militaires à la gestion et au déploiement de systèmes militaires (Moelling).

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51. Au sommet du pays de Galles, six pays de l’Alliance se sont engagés, sous la direction du Danemark, dans un processus multinational visant à répondre à leurs besoins en munitions air-sol à guidage de précision. Des progrès ont été accomplis en la matière et le processus en question réunit désormais huit pays. Au sommet de Varsovie, en juillet 2016, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Alliance ont une fois de plus souligné combien il importait de parvenir à une plus grande efficacité grâce à une coopération transnationale plus approfondie dans le domaine de la défense et ont mis en évidence d’autres bons résultats du même ordre. Le communiqué final du sommet indique : Les initiatives multinationales et nationales apportent une contribution importante au développement des capacités et au renforcement de notre posture. L'OTAN continuera de coopérer étroitement avec l’UE, comme convenu, pour faire en sorte que notre initiative de défense intelligente et l’initiative UE de mutualisation et de partage soient complémentaires et se renforcent mutuellement, et pour soutenir le développement capacitaire et l'interopérabilité afin d'éviter les doubles emplois inutiles et de maximiser le rapport coût-efficacité.

52. Les Alliés ont également enregistré des avancées dans la concrétisation du concept de nation-cadre de l’OTAN. Un groupe de seize Alliés conduit par l’Allemagne travaille à la création de formations de plus grande taille pour produire des forces et des capacités utilisables. Un autre groupe – réunissant six Alliés – conçoit, sous la direction de l’Italie, des programmes destinés à soutenir les opérations de l’OTAN. La Force expéditionnaire interarmées menée par le Royaume-Uni est composée de contingents souples, intégrés et dotés d’un haut niveau de préparation provenant du Royaume-Uni, du Danemark, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, des Pays-Bas et de la Norvège. Elle effectuera des opérations conjointes, sera convenablement équipée sans être rattachée à de grandes plates-formes et sera capable de s’adapter aux transformations de l’environnement militaire. La Force expéditionnaire commune franco-britannique est une force déployable comportant des éléments terrestres, aériens et navals, ainsi qu’un système de commandement et de contrôle intégré et des moyens logistiques. Elle convient pour une variété de scénarios de crise, y compris des opérations de combat de forte intensité. Pour sa part, le Groupe de Visegrád assurera une présence par roulement dans les Pays baltes en 2017 pour la conduite d’exercices en appui des activités alliées. Les participants au sommet se sont en outre félicités de la lettre d’intention sur une coopération multinationale pour la mise en place de moyens aériens d'attaque électronique. Dans chacun de ces cas, les Alliés s’efforcent effectivement de promouvoir une coopération plus profonde destinée à améliorer les capacités requises pour des opérations de guerre réelle à moindre coût dans un climat de collaboration et de solidarité accrues (Déclaration du sommet de Varsovie).

53. Malgré les programmes mis en évidence au sommet de Varsovie, la persistance d’obstacles structurels et politiques à la coopération transatlantique et européenne est précisément la raison pour laquelle ni la « Défense intelligente » de l’OTAN ni l’Initiative de mutualisation et de partage de l’UE n’ont jusqu’ici eu les effets escomptés. L’Initiative de l’UE visait à promouvoir la mutualisation de la demande, des activités de recherche-développement et la spécialisation via le partage des structures industrielles. Toutefois, la plupart des projets n’ont pas dépassé la phase initiale. Selon l’évaluation de l’UE elle-même, les résultats obtenus jusqu’ici ne sont pas à la hauteur des problèmes. Il n’existe ni modèle clair de coopération aboutie ni suivi constant des possibilités et des capacités. En réalité, l’instrument de coopération existe, mais il semble que la volonté politique soit insuffisante. L’initiative communautaire n’a pas encore débouché sur un véritable partage des capacités et les États membres de l’UE choisissent parfois de ne pas recourir à l’Agence européenne de défense (AED), qui s’efforce de favoriser la coopération transfrontalière en matière de défense. Les 59 projets supervisés par l’AED sont de petite taille et de nature technique ou administrative et ils n’ont pu encourager des changements au niveau de la culture de défense européenne, laquelle demeure instinctivement nationale (Moelling). Les États membres ont hésité à se doter de ce que l’AED avait à leur offrir

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pendant la période de réduction des dépenses de défense, ce qui n’a fait que compliquer la coordination dans des secteurs touchant à la conservation des capacités de production d’équipements militaires. La plupart des pays continuent à favoriser largement leurs propres producteurs d’équipements et leurs propres capacités, sans compter que divers facteurs entravent le regroupement de l’industrie de la défense. Bien mené, un tel regroupement permettrait aux gouvernements européens de réaliser des économies substantielles et de contribuer à l’introduction d’une plus grande interopérabilité. Une étude montre qu’en 2013 les achats en coopération n’ont représenté que 16 % des dépenses de défense européennes, soit le niveau le plus bas depuis 2006 (Bellais et Droff). Il faudra que cela change.

54. Le programme de Défense intelligente de l’OTAN n’obtient pas non plus de résultats probants. Cela n’est guère surprenant. S’il est déjà difficile d’amener les Européens à collaborer entre eux autour de projets de défense communs et d’une mutualisation de leurs capacités, cela l’est plus encore au niveau transatlantique, d’autant qu’ils craignent d’être submergés par le puissant secteur états-unien de la défense. La Défense intelligente encourage avant tout la spécialisation. L’OTAN a cherché à faciliter la conception et l’acquisition de capacités, tout en reconnaissant le rôle fondamental que les pays membres devaient jouer dans ce processus. Le processus de planification de la défense de l’OTAN est bien rôdé et efficace, mais il se concentre sur la manière dont chaque Allié énonce ses propres besoins et n’est pas le moteur du développement de capacités. Il tire parti des sommets de l’OTAN pour mettre en avant les priorités définies par ce processus de planification de l’OTAN, mais les résultats sont très limités. Comme c’est le cas pour l’Initiative de mutualisation et de partage, l’OTAN ne peut réaliser que ce qui est accepté par les pays membres, et les gouvernements répugnent finalement à confier leur processus décisionnel pour les questions de défense à des entités intragouvernementales ou quasi supranationales. De même, ceux qui disposent d’une armée puissante n’envisagent pas de renoncer à certains équipements au nom de la mutualisation.

55. Compte tenu des innombrables sollicitations dont des ressources publiques limitées font l’objet, la mutualisation et la coopération ne peuvent qu’aider les Alliés à faire face aux menaces existant sur les flancs sud et est de l’Alliance. Pourtant, faute d’analyse commune de ces menaces, de vision commune de la stratégie à suivre, les instruments de coopération ne sont, au mieux, que rarement utilisés. Ces dilemmes montrent à quel point la défense demeure l’un des derniers bastions de la souveraineté nationale, l’un des plus farouchement protégés aussi. Le paradoxe réside dans le fait que, isolés, les pays membres ne peuvent mobiliser ressourcées et capacité d'absorption du marché ainsi que la vaste gamme des moyens nécessaires pour faire face à un environnement stratégique toujours plus difficile. La question est de savoir si cette dangereuse situation pourrait, à elle seule, faciliter davantage la coopération qu'avait semblé le faire des circonstances moins menaçantes sur le plan de la sécurité. Mais seule la définition d’une stratégie commune permettrait d’obtenir un accord sur une spécialisation accrue par pays dans le domaine des capacités militaires. Les différences d’interprétation de la menace sur les flancs est et sud montrent qu'une telle stratégie commune ne fait son apparition qu’au fil des crises et non en amont. En outre, si une politique de défense commune devait permettre la spécialisation, le souhait de préserver des industries nationales de défense constituerait le dernier – et non le moindre – des nombreux obstacles à la coopération. Ceci est d’autant plus regrettable que la concurrence à laquelle se livrent aujourd’hui les industries de défense ne leur laisse parfois qu’une très faible marge bénéficiaire, même lorsqu’elles remportent des marchés importants.

56. Le fond du message que les États-Unis veulent faire passer à leurs alliés européens est qu’ils ne sont plus en mesure d’assurer la défense de l’Europe de la même manière que dans le passé. L’Europe doit se doter de capacités crédibles bien à elle et de stocks suffisamment fournis pour mener des opérations et elle doit savoir que, tout en demeurant un Allié de première importance, les États-Unis ne joueront plus le rôle de fournisseur de

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dernier recours. Les Européens ont perdu environ 20 % de leurs capacités de défense depuis 2008 selon un rapport récent de la Commission européenne (Moelling), et ce par rapport à un niveau déjà inadéquat, compte tenu de l’ampleur de la menace à laquelle ils sont confrontés. Si les gouvernements européens ne doivent pas négliger les synergies offertes par la Défense intelligente, il est probable que les solutions européennes soient, en fin de compte, plus viables du double point de vue politique et stratégique ; ces occasions doivent maintenant être saisies pour une efficacité accrue. Quoi qu’il en soit, il faut augmenter les dépenses de défense dans l’Alliance tout entière et les utiliser de façon beaucoup plus rationnelle et efficiente.

VI. CAPACITÉS ET INVESTISSEMENTS

A. LE DÉFI DES NOUVELLES TECHNOLOGIES : MUTATIONS ET NOUVELLES FORMES DE GUERRE

57. Comme ce présent rapport le suggère, les dépenses de défense ne sont pas une fin en soi, mais plutôt un instrument permettant d’acquérir des capacités militaires déployables et supérieures. Dans la situation actuelle, la dissuasion ne se résume pas à l’achat d’équipements coûteux tels que des chasseurs ; elle englobe aussi le financement d’activités d’entraînement et d’exercices qui attestent l’existence d’une volonté commune et d’une capacité effective de défendre l’ordre sécuritaire du continent. Les missiles et les moyens de défense aérienne, les opérations spéciales, ou encore la mobilité et la projection de forces, la cyberdéfense, les drones et jusqu’aux stratégies de contre-propagande sont cruciaux à cet égard et se traduisent par de multiplicateurs de forces d’importance critique qui ne sont pas nécessairement très onéreux. De la même façon, la cohésion de l’Alliance ne saurait être quantifiée, mais elle représente, elle aussi, un multiplicateur de forces vital – quoique souvent sous-estimé – pour assurer l’unité politique et stratégique, face à des défis politico-militaires destinés à saper cette unité. Cela dit, les Alliés doivent continuer à surveiller l’évolution des capacités militaires de la Russie pour être sûrs être à même de décourager toute tentative de miner l’ordre sécuritaire du continent (Harper).

58. Aujourd’hui, les planificateurs militaires sont contraints de travailler dans un contexte de mégadonnées, de guerre cybernétique, d’intelligence artificielle et d’innovations dans le déploiement des plates-formes traditionnelles. Les nouvelles technologies apparues dans les secteurs de la biologie et de l’énergie dirigée pourraient, en fin de compte, changer la nature même des opérations de guerre. Par exemple, les systèmes antisatellites pourraient effectivement annihiler les atouts engrangés au fil des décennies par les États-Unis dans le domaine spatial, tandis que les infrastructures sous-marines pourraient repousser la frontière des opérations de guerre. Autrefois, les forces armées nationales ne s’intéressaient pas au combat urbain mais, de fait, la plupart des opérations se déroulent aujourd’hui dans des villes, ce qui exige également de nouvelles façons de penser et des technologies avancées. Par ailleurs, la robotique et l’informatique de pointe accélèrent le rythme même des opérations de guerre.

59. L’élaboration de telles capacités technologiques demande des ressources et de la souplesse budgétaire, certes, mais aussi des responsables militaires et politiques qu'ils repensent doctrines, tactiques et stratégies. Une bonne partie des technologies qui façonneront le champ de bataille futur existent déjà, mais des changements en profondeur doivent maintenant être introduits dans la planification militaire, les stratégies d’acquisition et la structure même des forces armées et des plates-formes qu’elles déploient, de manière à ce que les technologies en question puissent être prises en compte et apporter ainsi des améliorations sur le triple plan de l’efficacité, de la cohérence et de la souplesse. Tout cela impose de nouveaux défis en termes organisationnels et de ressources aux entités de défense des pays de l’Alliance, et ces défis semblent d’autant plus redoutables que l’ordre

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sécuritaire européen est actuellement soumis à de fortes tensions et que les ressources financières disponibles sont déjà très réduites.

B. RETROUVER DE LA SOUPLESSE DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT POUR RÉPONDRE À CES DÉFIS

60. L’un des problèmes qui se pose est que les États-Unis et un certain nombre d’autres Alliés émergent de 14 années de « lutte contre-insurrectionnelle » en Iraq et en Afghanistan. Pour des raisons évidentes, ceci a détourné l’attention et par extension, les ressources du défi plus vaste de la transformation des forces armées. Pendant cette période, les technologies dont les États-Unis avaient le monopole se sont répandues plus largement, tandis que les fossés capacitaires observés pour ces mêmes technologies se sont réduits. Même des puissances en difficulté au début des années 2000 comme la Russie posent désormais de sérieux problèmes d’un nouveau genre, car elles sont parvenues à acquérir certaines de ces technologies et à les intégrer dans leur propre matériel, leur dispositif et leur doctrine militaires. Les planificateurs militaires n’en mesurent pas encore pleinement les conséquences et doivent se livrer à de nombreuses simulations pour mieux appréhender les répercussions de cette diffusion technologique.

61. Ces changements sont apparus à un moment où les dépenses militaires faisaient l’objet de restrictions budgétaires, obligeant les gouvernements à opérer des choix difficiles dans l’établissement de l’ordre de leurs priorités. Les autorités politiques et militaires des États-Unis restent très conscientes de ces tendances à long terme et ont considérablement réduit la taille des effectifs des forces terrestres pour dégager des ressources qui alimenteront les investissements à long terme. Les dépenses de personnel n’en progressent pas moins et la dépense par soldat s’est fortement accrue à l’ère de la professionnalisation des armées, caractérisée par de fortes soldes et par des efforts concertés visant à réduire les pertes au maximum, ce qui est aussi extrêmement onéreux. Le problème apparaît dans toute son ampleur lorsque les forces armées sont engagées dans des conflits asymétriques pour lesquelles elles doivent dépenser des milliards rien que pour protéger leurs troupes contre des armes improvisées et peu coûteuses. Ces types de changements sur le champ de bataille, eux aussi, exigent des militaires qu’ils se montrent beaucoup plus judicieux dans leurs dépenses.

62. À l’autre extrémité, les retards de programmes comme celui du chasseur F-35 montrent combien il peut être difficile de gérer les coûts inhérents à des capacités d’importance majeure à une époque où les réalités stratégiques ne cessent de fluctuer et où l’incertitude règne dans les domaines politique et économique. La vitesse d’acquisition et le déploiement deviennent deux facettes critiques du processus d’obtention de la supériorité stratégique ; pourtant, à peine les systèmes sont-ils en place que les militaires doivent faire face à de nouveaux types d’ennemis qui déploient des tactiques et des matériels différents pour contrer ces nouveaux les systèmes en question. Il s’agit d’un combat incessant et très coûteux. Evidemment, l’OTAN n’est pas épargnée par ce genre de problèmes. Un peu avant la réunion des ministres de la Défense des pays de l’OTAN de juin 2015, le secrétaire à la Défense des États-Unis, Ashton Carter, déclarait devant les journalistes : « Nous recherchons des moyens de réaction de l’OTAN reposant sur une mobilité et une souplesse beaucoup plus grandes qui lui permettraient de réagir moyennant un bref préavis, car c’est ainsi que les événements se déroulent aujourd’hui, contrairement à ce qui se passait il y a 50 ou même 25 ans » (Pavgi).

63. Ainsi, les difficultés auxquelles se heurte une programmation optimale des dépenses de défense ne semblent pas près de disparaître et elles pèseront lourdement dans les années à venir sur le travail législatif des parlements des pays membres de l’Alliance, lesquels ont fort à faire pour tenter d’équilibrer les exigences de la sécurité nationale et des ressources limitées qui font l’objet de sollicitations antagoniques.

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VII. CONCLUSIONS

64. Au sommet de Varsovie, il a été estimé que les alliés européens pris dans leur ensemble augmenteraient leurs dépenses de défense de 2,97 % (chiffres en valeur réelle calculés sur la base des prix de 2010) ; seuls cinq pays envisagent de réduire ces dépenses, contre neuf en 2015. Selon les toutes dernières données disponibles, le pourcentage du PIB consacré à la défense par la totalité des pays alliés est en hausse pour la première fois depuis 2009 et devrait passer de 2,41 % (2015) à 2,43 % (2016) ; pour les seuls alliés européens, ce pourcentage progressera de 1,45 % à 1,46 %. En 2016, cinq pays seulement réduiront leurs dépenses de défense : la Belgique (- 5,3 %), la Croatie (- 8,8 %), la Grèce (- 0,07 %), la Pologne (- 7,8 %) et la Turquie (- 3,23 %). D’autres prendront la direction opposée, avec à leur tête la Lettonie (+ 42,31 %), suivie de la Lituanie (+ 34,13 %), de l’Italie (+ 10,63 %) et de la Hongrie (+ 9,33 %). Quant aux piliers de la défense européenne que sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, ils annoncent eux aussi un renchérissement notable de leur budget militaire avec, respectivement, + 7,74 %, + 2,08 % et + 0,64 % (Europe Diplomatie et Défense).

65. Ce sont là des progrès significatifs et largement induits par les agissements de la Russie en Ukraine et l’instabilité au Proche-Orient. Il faudra toutefois en faire davantage pour que tous les budgets militaires alliés atteignent le niveau minimal de 2 % dans un délai de dix ans. En 2015, les membres européens de l’OTAN ont consacré 253 milliards de dollars à la défense, alors que les États-Unis en dépensaient 618. Pour respecter la norme des 2 %, l’Europe devrait dépenser 100 milliards de dollars de plus chaque année pour dépasser son niveau actuel (1,43 % du PIB). Comme l’a déclaré récemment le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, « 2016 sera la première année depuis très longtemps à enregistrer une augmentation des dépenses de défense des alliés européens. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des menaces et des défis sécuritaires plus nombreux qu’ils ne l’ont été au cours de toute une génération. Nous avons besoin d’unité, de force et de stabilité.  » (Jones). Non seulement les budgets militaires doivent encore augmenter, mais il est essentiel de les restructurer de manière que l’ensemble des forces alliées soient suffisamment modernes, déployables et soutenables pour être à même de s’acquitter de leurs obligations nationales et collectives sur le plan de la sécurité.

66. Les engagements pris au sommet du pays de Galles ne sont pas contraignants et tous les Alliés ne semblent pas disposés à les tenir à court terme. Néanmoins, les chefs de gouvernement des pays membres les ont énoncés au bon moment, compte tenu de la grande incertitude stratégique qui règne actuellement. Ces engagements eux-mêmes sont devenus une espèce de principe directeur politique et stratégique, qui commence à engendrer une véritable mobilisation politique. Comme indiqué dans le présent rapport, il est plus facile et assurément logique, d’un point de vue stratégique, d’augmenter les budgets de la défense lorsque les risques et les menaces se font plus pressants et que des Alliés majeurs, dont ceux qui sont le plus exposés à ces risques et menaces, se sentent obligés de dépenser davantage pour pouvoir y faire face. Les engagements du sommet du pays de Galles ont influé largement sur l’état d’esprit collectif de l’Alliance parce que l’environnement stratégique dans lequel ils s’inscrivent est un argument de poids en faveur d’un accroissement important des dépenses de défense. 67. Ainsi que le présent rapport tente de le démontrer, le paysage sécuritaire, en Europe et au-delà, connaît une mutation rapide et les forces armées ont besoin de ressources suffisantes pour s’y adapter. La grande question qui se pose maintenant est de savoir dans quelle mesure la réallocation des dépenses sera tolérable, politiquement parlant. Plus précisément, verrons-nous l’actuelle tendance à une hausse des dépenses de défense se maintenir, voire s’accélérer ? Le communiqué diffusé à l’issue du sommet de Varsovie semble avoir répondu à cette question :

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Notre sécurité et notre défense dépendent globalement tant des sommes que nous y consacrons que de la manière dont nous les dépensons. Il convient d’affecter davantage d’investissements à la réalisation de nos objectifs prioritaires en matière de capacités. Il est essentiel que les Alliés fassent preuve de la volonté politique de mettre à disposition les capacités requises et de déployer des forces lorsqu'elles sont nécessaires. Les Alliés doivent également veiller à ce que les forces soient déployables, soutenables et interopérables. L'engagement en matière d'investissements de défense que nous avons approuvé au sommet du pays de Galles constitue une étape importante dans cette direction, et nous réaffirmons aujourd'hui son importance. Par cet engagement, nous sommes convenus d'inverser la tendance à la baisse des budgets de défense, d'utiliser le plus efficacement possible les fonds à notre disposition et de favoriser une répartition plus équilibrée des dépenses et des responsabilités. 

68. Les analystes ne se trompent donc pas lorsqu’ils estiment, d’une manière générale, que ces dépenses iront en augmentant pendant l’année 2017. Il est difficile de prédire ce qu’il adviendra par la suite, mais le sentiment prévaut que la situation internationale n’est pas près de s’apaiser. En d’autres termes, il semble que les raisons pour lesquelles nous devons consacrer davantage d’argent à la sécurité nationale et collective vont subsister. Ce que nous ne savons pas, c’est la façon dont des sociétés démocratiques choisiront de gérer les changements, compte tenu des sollicitations impérieuses dont font l’objet des ressources nationales limitées. Les parlementaires ont un rôle très important à jouer à cet égard et exerceront une très forte influence sur le débat au sein de leurs circonscriptions comme dans leurs parlements. Des forces populistes sont prêtes à affirmer qu’il n’est pas nécessaire pour l’instant de consentir des sacrifices au bénéfice de la défense nationale ou collective. Ce chant des sirènes doit être combattu par des arguments rationnels s’appuyant sur des preuves irréfutables. Ces preuves sont légion dans la situation stratégique des plus incertaines que nous connaissons aujourd’hui.

69. Le mode d’affectation des ressources que les pays de l’Alliance consacrent actuellement à leur défense fait apparaître plusieurs évolutions importantes. Premièrement, de nombreux Alliés qui appartenaient précédemment au Pacte de Varsovie ont notablement renversé leur tendance à sabrer dans leurs dépenses de défense. Par exemple, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie se sont empressées d’agir dans ce sens et tous ces pays sont particulièrement préoccupés par les agissements récents de la Russie. La corrélation est ici évidente.

70. Deuxièmement, la crise ukrainienne a introduit un changement majeur dans le paysage sécuritaire européen et le sentiment de désillusion suscité par le comportement du Kremlin vis-à-vis de l’Ukraine et de la Syrie exerce une influence sur les budgets militaires à l’échelle du continent tout entier. Le ralentissement du rythme de réduction des dépenses de défense a été le premier signe d’un changement de calcul stratégique en Europe. La tendance semble maintenant être à l’augmentation desdites dépenses, bien que celle-ci ne se fasse pas au rythme jugé nécessaire par de nombreux observateurs au vu de l’aggravation des risques sécuritaires. Une fois de plus, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’OTAN ont pris acte de ce changement lors du sommet de Varsovie :

Depuis le sommet du pays de Galles, nous avons franchi un cap. Collectivement, les dépenses de défense des Alliés ont augmenté, en 2016, pour la première fois depuis 2009. En deux ans seulement, une majorité d'Alliés ont enrayé ou inversé la baisse de leurs dépenses de défense en termes réels. Aujourd'hui, cinq Alliés se conforment à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut. Dix Alliés se conforment à la directive OTAN recommandant aux pays de consacrer plus de 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente. Les extrants sont également importants, s'agissant en particulier de la déployabilité et de la soutenabilité des forces alliées. Les Alliés

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continuent de fournir d'importantes contributions aux opérations, missions et activités de l'OTAN ainsi qu'à la structure de commandement et à la structure de forces de l'OTAN. Ils investissent des ressources considérables pour préparer leurs forces, leurs capacités et leur infrastructure aux activités de l'Alliance et aux opérations qui, menées par des Alliés, contribuent à notre sécurité collective.

71. Enfin, la norme des 2 % de l’OTAN ne représente pas une fin en soi. Il s’agit plutôt d’un jalon sur la voie qui mène à une Alliance plus capable et plus équilibrée, moins dépendante de la puissance militaire des États-Unis, plus autonome sur le double plan politique et diplomatique et structurée de manière à pouvoir mieux faire face aux menaces d’aujourd’hui plutôt qu’à celles d’hier. Il va sans dire que cela ne peut se faire sans argent, sans volonté politique et sans pensée créative. De fait, la sécurité ne se résume jamais aux dépenses de défense, bien que ces dernières en soient un élément important. Les équipements coûtent cher et il est très important que les fonds alloués à la défense soient dépensés judicieusement et rationnellement. Dans le cas contraire, cela n’est pas justifiable, politiquement parlant. Il est crucial, à cet égard, de trouver de nouvelles façons de promouvoir la coopération transnationale, même si, sur la scène intérieure, certains milieux s’opposent fréquemment à la coopération transnationale sous couvert, bien souvent, de patriotisme. Mais, la plupart du temps, il ne s’agit là que de velléités protectionnistes qui ne disent pas leur nom et, en l’occurrence, les dirigeants doivent trouver un juste milieu. Les Alliés devront également consacrer plus de ressources aux investissements dans le secteur de la défense pour veiller à ce que, en fin de compte, le niveau de ces investissements s’élève à 20 % au moins des dépenses de défense totales. Faute de tel investissement dans la recherche & développement et dans du nouveau matériel, nos forces armées pourraient ne pas disposer des technologies adéquates pour mener des futures guerres. Les gouvernements des pays de l’Alliance devront aussi pourvoir à une considérable amélioration de la déployabilité et de la soutenabilité de leurs forces armées nationales.

72. Il est parfaitement logique de puiser dans les avantages comparatifs des pays de l’OTAN, tant dans le domaine de l’industrie de la défense que dans celui des capacités militaires, pour veiller à ce que des ressources restreintes soient consacrées à l’achat des équipements les plus convaincants et les plus effectifs compte tenu des fonds disponibles. Cela signifie, dans la pratique, que les pays de l’Alliance doivent se réunir autour de projets d’acquisition et réfléchir sérieusement à la répartition des tâches et à l’ouverture des marchés alliés. L’Initiative de mutualisation et de partage de l’UE et la Défense intelligente de l’OTAN devraient faire partie de cet effort. De manière rassurante, le communiqué du sommet de Varsovie indique :

Les initiatives multinationales et nationales apportent une contribution importante au développement des capacités et au renforcement de notre posture. L'OTAN continuera de coopérer étroitement avec l’UE, comme convenu, pour faire en sorte que notre initiative de défense intelligente et l’initiative UE de mutualisation et de partage soient complémentaires et se renforcent mutuellement et pour soutenir le développement capacitaire et l'interopérabilité, afin d'éviter les doubles emplois inutiles et de maximiser le rapport coût-efficacité. 

73. Il pourrait être utile aussi de concrétiser certains projets selon un processus descendant (top-down) plutôt qu’ascendant (bottom-up) en créant, par exemple, des éléments de forces intégrées qui seraient le point de départ d’une coopération plus étroite en matière d’acquisitions. Il a ainsi été suggéré de rassembler les groupements tactiques de l’UE dans un concept de nation-cadre et de procéder pour ces groupes à des acquisitions conjointes, plutôt que par pays. Les décisions en la matière appartiennent aux seuls États membres de l’UE. Un renforcement de l’articulation entre l’OTAN et l’UE pourrait être déterminant à cet égard, mais cela ne suffit pas. La consolidation du pilier européen est devenue essentielle : la situation internationale l’exige, notamment parce que,

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inévitablement, les États-Unis réorienteront leur action vers l’Asie, tout en gardant une réelle implication au sein de l’Alliance. Voilà qui rend le projet de défense européenne d’autant plus légitime et pertinent. Les contours de ce projet restent à définir, mais sa géométrie variera selon les sujets et les pays, certains pays étant prêts à faire plus que d’autres, tant du point de vue de leur engagement opérationnel que dans le domaine de l’armement. La défense européenne est un paradigme qui s’impose, qui doit s’articuler correctement avec l’OTAN, en tenant compte des capacités économiques et militaires et de la volonté politique de chaque pays.

74. Certes, les questions de coopération dans le domaine de la défense se heurtent invariablement à des notions fondamentales de souveraineté nationale et au réflexe politique de protection des emplois locaux et des marchés nationaux. Pourtant, les pays européens qui veulent aller de l’avant en matière de coopération et sur le terrain de la mutualisation et du partage des forces devraient être encouragés à le faire. L’Europe en tant que telle doit examiner la situation actuelle de manière analytique et dépassionnée, dresser la liste de ses points faibles les plus graves et chercher des solutions pour y répondre. Il est désormais essentiel de regrouper les pays de l’Alliance partageant les mêmes perspectives stratégiques et soucieux de trouver des solutions collectives moins coûteuses à ces problèmes. Aujourd’hui, le paysage stratégique n’annonce aucune embellie et les risques sont tels que les pays de l’Alliance dans son ensemble ne peuvent littéralement plus se permettre de recourir à des méthodes qui, dans les faits, s’apparentent au protectionnisme. Le moment est venu d’augmenter les dépenses et de trouver les moyens d’en accroître l’efficacité, de manière que les populations bénéficient de la meilleure protection possible et sachent que leurs contributions – durement gagnées – à la défense nationale soient exploitées de la meilleure façon qui soit.

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