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Agrocarburants le mauvais choix www.amisdelaterre.org Depuis 1971 Eté 2011, supplément au n°166 Et si la lutte contre le changement climatique n’était qu’un alibi ? Alors que les rapports s’accumulent pour montrer que les agrocarburants ne sont en rien bénéfiques pour le climat et, pire, que leur développement fait flamber le prix des matières agricoles, nos politiques s’obstinent à les défendre. Changeons d’angle et plaçons le débat sur les agrocarburants dans la perspective d’une pénurie de pétrole bon marché, à court terme. Souvent présentés comme des fausses solutions, les agrocarburants se révèlent alors comme un moyen de poursuivre une consommation énergétique croissante et insoutenable. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser aux motivations de la Commission européenne et à sa vision, qui se résume à « sécuriser notre mobilité future » 1 . D’ici à 2030, le transport de personnes va continuer d’augmenter, en particulier le transport aérien, dont le poids devrait doubler. Le nombre de camions sur les routes doit exploser et la demande en carburant de se secteur va dépasser celle des véhicules de transport individuel. Cette vision, les Amis de la Terre la refusent et la combattent car elle conduit à un inacceptable accaparement de l’espace écologique des pays du Sud et à une modification profonde de notre agriculture. L’addiction à la voiture n’est pas une fatalité mais résulte de choix d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Réduire le nombre de camions sur les routes est possible si l’on relocalise l’économie. Là sont les vraies alternatives au tout-pétrole. Le dossier est d’actualité : les agrocarburants sont à nouveau au sommet de l’agenda politique. En 2008, l’Europe a adopté un objectif d’incorporation de 10% d’énergies renouvelables dans le domaine des transports d’ici à 2020, sans remettre en cause l’augmentation de ces transports. Aujourd’hui, les impacts directs et indirects de cette politique sont de plus en plus visibles : hausse des prix agricoles, expulsions de communautés, déforestation… A la veille d’un important débat au Parlement européen sur la « durabilité » des agrocarburants et les impacts indirects, les Amis de la Terre mènent campagne pour demander l’abandon de cet objectif et l’adoption une vraie politique permettant de réduire notre consommation de carburant. > SYLVAIN ANGERAND Chargé de campagne Forêts 1 Biofuels in the European Union. A vision for 2030 and beyond, Commission Européenne, 2006. ec.europa.eu/research/ energy/.../biofuels_vision_ 2030_en.pdf © Daniel Ribeiro

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Agrocarburants

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Agrocarburantsle mauvais choix

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Depuis 1971Eté 2011, supplément au n°166

Et si la lutte contre le changement climatique

n’était qu’un alibi ?

Alors que les rapports s’accumulent pour montrer

que les agrocarburants ne sont en rien bénéfiques

pour le climat et, pire, que leur développement fait

flamber le prix des matières agricoles, nos politiques

s’obstinent à les défendre. Changeons d’angle

et plaçons le débat sur les agrocarburants dans

la perspective d’une pénurie de pétrole bon marché,

à court terme. Souvent présentés comme des fausses

solutions, les agrocarburants se révèlent alors

comme un moyen de poursuivre une consommation

énergétique croissante et insoutenable.

Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser

aux motivations de la Commission

européenne et à sa vision, qui se résume

à « sécuriser notre mobilité future »1. D’ici à 2030,

le transport de personnes va continuer d’augmenter,

en particulier le transport aérien, dont le poids devrait

doubler. Le nombre de camions sur les routes doit

exploser et la demande en carburant de se secteur

va dépasser celle des véhicules de transport individuel.

Cette vision, les Amis de la Terre la refusent

et la combattent car elle conduit à un inacceptable

accaparement de l’espace écologique des pays du Sud

et à une modification profonde de notre agriculture.

L’addiction à la voiture n’est pas une fatalité

mais résulte de choix d’urbanisme et d’aménagement

du territoire. Réduire le nombre de camions

sur les routes est possible si l’on relocalise l’économie.

Là sont les vraies alternatives au tout-pétrole.

Le dossier est d’actualité : les agrocarburants

sont à nouveau au sommet de l’agenda politique.

En 2008, l’Europe a adopté un objectif d’incorporation

de 10% d’énergies renouvelables dans le domaine

des transports d’ici à 2020, sans remettre en cause

l’augmentation de ces transports. Aujourd’hui,

les impacts directs et indirects de cette politique

sont de plus en plus visibles : hausse des prix agricoles,

expulsions de communautés, déforestation…

A la veille d’un important débat au Parlement européen

sur la « durabilité » des agrocarburants et les impacts

indirects, les Amis de la Terre mènent campagne

pour demander l’abandon de cet objectif et l’adoption

une vraie politique permettant de réduire notre

consommation de carburant. > SYLVAIN ANGERAND

Chargé de campagne Forêts

1 Biofuels in the European Union. A vision for 2030 and beyond, Commission Européenne, 2006. ec.europa.eu/research/energy/.../biofuels_vision_ 2030_en.pdf

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Malgré des effets sociaux et environnementauxdévastateurs, la production d’agrocarburants est en plein essor. Comment la situation évolue-t-elle en Afrique et en Amérique latine,particulièrement concernées par ce problème?Deux représentants d’associationsenvironnementales ont répondu à nos questions.

Jeanne Zoundjihekpon est maître de conférences en génétique etresponsable de programme pour l’association Grain, au Bénin.Jorge Enrique Sanchez Segura est président des Amis de laTerre-Colombie. Tous deux nous livrent leurs points de vue.

Plusieurs années après les émeutes de la faim de 2008, les prix des céréales restent très élevés.Voyez-vous un lien entre cette hausse et le marchédes agrocarburants ? Jeanne Zoundjihekpon Il y a bien sûr un lien entre les prix très élevés des céréales et les agrocarburants, dans la mesure où les terres qui auraient pu servir à cultiver des céréales pour amorcer la tendance à la baisse sont affectées aux agrocarburants.Jorge Enrique Sanchez Segura Je crois qu’il y a plusieursfacteurs convergents. D’un côté, il y a le changement climatique,avec tous ces incendies en Russie en 2010 qui ont abouti à la destruction de presque 40% du grain. De l’autre, il y a l’accaparement du grain de certaines régions pour satisfaire la demande en agrocarburants. Tout cela a pour conséquence une hausse des prix significative. Ces deux facteurs mettent en péril la sécurité alimentaire. Les récoltes africaines pourraientparfaitement nourrir les Africains, mais elles sont ponctionnées par la demande en biodiesel ou pour une exportation destinée à alimenter le bétail européen ou américain.

Quels sont les mécanismes de développement des agrocarburants sur votre continent ? Jeanne En Afrique, il existe plusieurs mécanismes dedéveloppement des agrocarburants. Il y a d’abord desmultinationales qui effectuent du lobbying auprès des autoritéspolitiques. Elles leur font miroiter des bénéfices incroyables. C’est notamment le cas de Green Waves1 au Bénin. Il y a aussi

Afrique et Amérique latineLes agrocarburants, un désastre pour les pays du Sud

Jorge Enrique Sanchez Segura, président des Amis de la Terre-Colombie, détailleles effets de la politique de développement desagrocarburants en Colombie.

Comment la productiond’agrocarburants s’est-elledéveloppée dans votre pays ? Les premières politiques de développement des agrocarburantsont été mises en place sous le gouvernement Uribe, il y a sept ou huitans de cela. Les autorités pensaient que la conjoncture internationale allaitfaciliter le commerce des agrocarburants,potentiellement très rentable. La suite a démontré que les choses n’étaient pas aussi évidentes.Le gouvernement colombien a donc créédes lois afin d’imposer le mélange

alcool-essence, dont un système de subventions appelé Agro-ingresoseguro (Assurance agro-investissement).Ce mécanisme a été conçu pour que les investisseurs puissent récupérerleur argent, via les subventions de l’Etat.Tout cela a débouché sur un scandalenational. Les grands investisseurs – qui sont bien sûr de grandspropriétaires terriens – n’ont pas besoinde ressources supplémentaires, alors qu’on avait vendu aux Colombiensl’idée que les bénéficiaires du systèmeseraient les petits paysans.Quels sont les effetséconomiques de cette politique ?La politique du gouvernement précédentcomme de celui d’aujourd’hui viseessentiellement le développement de l’exportation d’agrocarburants issusdu palmier à huile et de la canne à sucre.Aujourd’hui, l’éthanol de canne

est intégré à 15% dans le carburantcolombien. Mais ce modèle commence à concurrencer le modèle agricole du pays. De plus, nous devons disposerd’une grosse surface de production pour atteindre des prix aussi attractifsque ceux de l’Indonésie, de la Malaisieou du Brésil. Or il est clair que notre paysne peut s’aligner sur cette concurrence :le coût de production des biodieselscolombiens est trois à quatre foissupérieur aux prix du marchéinternational. Enfin, les agrocarburants ne sont pas non plus une nécessité pour le marché intérieur car noussommes déjà indépendants en énergie.Nous sommes donc absolument contrele développement des agrocarburants :c’est une menace à la fois pourl’environnement et pour la sécuritéalimentaire de notre territoire national.

> PROPOS RECUEILLIS PAR C.F

ZoomLe cas particulier de la Colombie

DOSSIER

Ouvriers agricoles dans une plantation de canne à sucre.

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de nombreuses ONG africaines qui considèrent les agrocarburants comme un outil pour lutter contre la pauvreté ou pour résoudredes problèmes énergétiques. Le problème, c’est qu’elles ne mettent pas en balance les impacts négatifs de ce choix. Enfin, certaines autorités politiques s’investissent dans la production d’agrocarburants sans prendre le temps de la réflexion : le président de la république du Sénégal(Abdoulaye Wade) et celui du Bénin (Yayi Boni), après leur visite au Brésil, n’ont pas hésité à engager leur pays sur cette voie.Jorge Enrique Le Brésil et le Mexique sont les pays d’Amériquelatine les plus impliqués dans la production d’agrocarburants. Le Brésil a été l’un des premiers à miser sur le développement des biodiesels, via la production d’éthanol issu de la canne à sucre. Le gouvernement de Lula, qui a vendu une imagedémocratique et de gauche, était convaincu de la viabilité de ce modèle. Mais ce choix s’est avéré catastrophique. Il est notamment à l’origine d’une bonne partie de la déforestationde l’Amazonie. De son côté, le Mexique a pris la mauvaise décision de produire de l’alcool à partir du maïs. Cette ressourcealimentaire, vitale pour les Mexicains, s’est ainsi réduite de façon dramatique. En quelques mois, le prix de la tortilla [galette de maïs, élément de base de l’alimentation mexicaine] a doublé car le maïs est devenu un objet de spéculationinternationale, au même titre que le charbon ou le pétrole.

Cette expansion est-elle bénéfique pour les communautés rurales ?Jeanne Dans certains cas, elle peut l’être. C’est le cas lorsqu’ils’agit de projets d’accès à l’énergie dans les zones rurales, comme au Mali ou au Burkina Faso. Le problème, c’est que – à l’exception de quelques pays –, il n’y a que peu d’autresprojets de développement en Afrique. Dans ces conditions,beaucoup considèrent les agrocarburants comme une alternativecrédible à la crise énergétique. Jorge Enrique Dans les zones rurales, cette politique depromotion des agrocarburants s’est traduite par des déplacements

massifs de paysans dans plusieurs régions, notamment celle du Choco (région occidentale touchant le Pacifique). Alors que les communautés rurales ont besoin de la terre pour leurs propres besoins, les investisseurs, soutenus par le gouvernement, poussent les paysans à se soumettre – de gré ou de force. S’ils refusent d’adhérer à ces entreprises ou de vendre leurs terres, ils sont déplacés par la force, voire la terreur, et finissent souvent par travailler dans les villes,dans les conditions que l’on devine. Il arrive aussi qu’un paysan résigné accepte de se convertir en salarié. Dans ce cas, il renonce généralement à sa propriété pour devenir un simple ouvrier. Les conséquences sociales sont absolument dramatiques.

Pour éviter les impacts négatifs des agrocarburants,l’Union européenne (UE) propose de s’appuyer sur des certifications. Seuls les agrocarburantslabellisés pourraient alors entrer sur le marchécommunautaire. Qu’en pensez-vous ?Jeanne Je ne sais pas exactement ce que l’UE propose. Mais, pour diverses raisons, je me méfie du mot certification. Je suis tout de même d’accord sur la nécessité de procéder à une sélection des agrocarburants qui entrent sur le marchécommunautaire. Jorge Enrique Cette proposition sous-tend l’idée que laproduction d’agrocarburants puisse avoir des effets positifs. A mon avis, les agrocarburants n’ont pas d’effets positifs, ni environnementaux ni sociaux. La baisse de la production de CO2 ne peut avoir lieu sans un changement du modèle de production, or les agrocarburants ne changent rien à ce modèle. On change seulement la substance énergétique.

> PROPOS RECUEILLIS PAR CYRIL FLOUARD

1 Green Waves est un laboratoire indien spécialisé dans les anti-histaminiqueset anti-mycosiques. Il fournit l’industrie pharmaceutique au niveau mondial.

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IV DOSSIER

Il y a tout juste un an, l’Union européenne et le Brésil signaient unaccord de partenariat avec le Mozambique pour le développe-ment de projets pour la production d’agrocarburants… Cettemême année et dans ce même pays, éclataient de terriblesémeutes de la faim. Bilan  : 13 morts et près de 300 blessés.Aucun rapport ? A vous de juger. Avec cet accord, ce sont 4,8 mil-lions d’hectares (soit un hectare sur sept de terre arable) qui sontdétournés de leur usage premier – la culture de produits alimen-taires destinés aux populations locales – pour produire du carbu-rant pour les voitures d’Européens surnourris. Cela s’ajoute auxmilliers d’hectares déjà distribués par le gouvernement mozambi-cain aux entreprises des pays du Nord.

Confiscation des terres fertiles « L’expansion des agrocarburants dans notre pays accapare deszones forestières et naturelles pour les transformer en monocul-tures énergétiques. Elle con fisque des terres agricoles fertiles quipermettaient aux populations locales de produire leur nourriture.Les conditions de travail sont déplorables et les conflits autourdes droits de propriété avec les populations locales se multi-plient. Ce que nous voulons, ce sont de vrais investissementspour améliorer notre agriculture et pouvoir remplir, non pas lesréservoirs des voitures étrangères avec du carburant, mais lesestomacs de nos concitoyens avec de la nourriture », déclaraitalors Anabela Lemos, de Justica Ambiental (JA) – Les Amis de laTerre Mozambique.

Pendant ce temps-là, les entreprises européennes et brési-liennes se frottent les mains. En s’installant au Mozambique, lesproducteurs brésiliens profitent de l’exemption de droits dedouanes sur les denrées provenant des pays dits “moins avan-cés” (PMA) et s’affranchissent partiellement des taxes qui frap-pent leur éthanol aux frontières de l’UE. Et, surprise ! l’une despremières sociétés à s’être faufilée dans la brèche est française.Il s’agit du groupe agro-industriel Tereos1. Jacques Berthelot,

économiste spécialiste des politiques agricoles, décrit ces avan-tages dans un article paru le 6 septembre 2010. « Parmi les so-ciétés implantées au Mozambique pour y produire du sucre et del’éthanol, mentionnons la sucrerie Sena, dont 75 % du capital estdétenu par le groupe coopératif français Tereos et sa filiale bré-silienne Guarani. Le gouvernement lui a concédé 98 000 ha pourcinquante ans renouvelables, avec une possibilité d’extension de15 000 ha (…) Ce contrat, qui vaut jusqu’en 2023, et sera re-nouvelable par période de 5 ans, prévoit une réduction de 80%de l’impôt sur le revenu et l’exemption de celui sur la distributiondes dividendes. »

Premier bénéficiaire de la PACTereos aime beaucoup l’Europe. Elle lui permet de s’implanterdans un pays où elle bénéficie de conditions exceptionnelles.Grâce à sa politique en faveur des agrocarburants et son objectifde 20 % d’énergies renouvelables sur le total d’énergies consom-mées d’ici à 2020, elle lui donne l’occasion de multiplier ses dé-bouchés économiques. Enfin, au nom de la Politique agricolecommune (PAC), elle lui verse chaque année plusieurs millionsd’euros. « Tereos, qui produit 40% du sucre français, a été de trèsloin le premier bénéficiaire des aides de la PAC versées en Francedu 16 octobre 2008 au 15 octobre 2009, avec 177,9 millionsd’euros, concernant essentiellement des restitutions à l’exporta-tion de sucre. Il faut y ajouter les 12,7 millions d’euros reçus parsa filiale de La Réunion (la Sucrerie du Bois Rouge), soit un totalde 190,6 millions d’euros d’aides PAC ! », explique Jacques Ber-thelot dans ce même article. Pour lui montrer sa gratitude, legroupe français poursuit sa catastrophique stratégie de délocali-sation dans les pays du Sud, mettant par là-même les paysanseuropéens dans une situation de concurrence dont ils auront dumal à sortir vainqueurs. > LUCILE PESCADÈRE

1 Tereos est un groupe agro-industriel coopératif spécialisé dans la transformation de la betterave, de la canne et des céréales.

Accord Union européenne - Brésil - MozambiqueA qui profite le crime ? En juillet 2010, l’Union européenne, le Brésil et le Mozambique signaient un accord de partenariat pour le développement de projets pour la production d’agrocarburants. Cet accord, qui cause la pertedes populations les plus pauvres, sert les intérêts de quelques grosses entreprises peu scrupuleuses.

District de Bilene, au Mozambique : la communauté Dzeve cultive le jatropha.

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V

Afrique Les agrocarburants attisent les convoitises sur les terres agricolesDans les pays du Sud, en Afrique notamment, les terres agricoles font des envieux. Les gouvernementslocaux, faibles et/ou corrompus, et le droit coutumier des communautés ne pèsent pas bien lourd face à l’appétit des multinationales de l’agroalimentaire et de riches Etats voulant préserver la sécuritéalimentaire de leurs pays. L’engouement pour les agrocarburants aggrave encore la situation.

DOSSIER

Kenya Des entreprisesjaponaises, belgeset canadiennes ont des projets sur près de 500 000 hectares.

Tanzanie Un millier de petitsriziculteurs expulsésde leurs terres pourlaisser place à laculture de la canneà sucre.

Mozambique Des investisseurs(originairesd’Allemagne, du Royaume-Uni,d’Italie, du Portugal,du Canada,d’Ukraine) ont en vue 4,8 millionsd’hectares. Plus de183 000 hectaressont aujourd’huidediés à la culturedu jatropha.

Swaziland La compagniebritannique D1 Oilssuspend l’expansiondu jatropha, malgré sa promotionpar la star du rockBob Geldof.

République démocratiquedu Congo Une compagnie chinoiseréclame 1 milliond’hectares. L’entrepriseitalienne d’énergie ENI prévoit une plantationde palmiers à huile de 70 000 hectares.

Angola500 000 hectares sont destinés aux agrocarburants. Les compagnies sont d’origine angolaise,brésilienne, espagnole,sud-africaine.

CamerounMunie d’un bail de 60 ans sur58 000 hectares,une compagniefranco-camerounaiseagrandit sesplantations depalmiers à huile.

Ethiopie 700 000 hectaresréservés pour la canne à sucre et 23 millionsd’hectares compatibles avec le jatropha. La compagnie britanniqueSun Biofuels gère 5 000 hectares. La compagnie allemandeAcazis AG a un bail sur 56 000 hectares avec des concessions pour 200 000 hectaressupplémentaires.

Sierra-LeoneLa compagnie suisseAddax Bioenergy a obtenu 26 000 hectarespour de la canne à sucre.

Ghana La compagnieitalienne Agroils a obtenu105 000 hectares ; la compagnie britanniqueJatropha Africa a acquis120 000 hectares ; la compagnie norvégienneJscanfuel cultive10 000 hectares et a des contrats pour environ400 000 hectares ; la compagnie israélienneGalten a acquis100 000 hectares.

Nigéria Acquisition de terres par l’Etat, avec l’aide d’expertset d’investisseursétrangers. Plus de 100 000 hectaresont été saisis.

Bénin En projet,300 000 à 400 000 hectares de zones humides doivent être convertis en plantations depalmiers à huile.

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Cas avérés d’accaparement de terres et de projets d’agrocarburants en Afrique

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VI

En avril, Airbus effectuait un vol de démonstration au Mexiqueavec un avion alimenté au jatropha. Boeing va suivre. Ca y est  !Les compagnies et constructeurs aéronautiques se lancent à leurtour dans les agrocarburants. Airbus espère effectuer des réduc-tions de gaz à effet de serre de 80% (!) et Boeing de 60%. C’esten tout cas ce qu’annonce une étude de l’université de Yale, com-mandée par… Boeing. Les compagnies aériennes veulent toutesfaire quelque chose pour sauver le climat et améliorer notre envi-ronnement mais toutes prévoient… une croissance forte du traficaérien.

Echange de droits à polluerDerrière ces discours vertueux se cachent des réalités pécu-niaires. Les énergies fossiles sont de plus en plus chères et re-présentent près de 15 % des coûts pour une compagnie natio-nale. Mais surtout, les compagnies espèrent obtenir des créditssur le marché des émissions carbone. Ce marché interne à l’Unioneuropéenne (UE) permet aux entreprises de négocier et échangerdes droits à polluer. Chaque année, les sociétés se voient attri-buer une quantité de quotas d’émission de CO2. Celles qui n’ontpas utilisé l’intégralité de leurs quotas peuvent les vendre à cellesqui ont émis plus que prévu. Tout ceci représente un coût sup-plémentaire pour les pollueurs invétérés. Or, à partir de 2012, l’UEva inclure les compagnies aériennes dans le marché des droits àpolluer. Pour la Lufthansa, les 24 millions de tonnes de CO2 qu’elleémet annuellement ont un coût carbone se situant entre 150 et350 millions d’euros par an. En intégrant des agrocarburants, lescompagnies aériennes améliorent leur bilan CO2 et, surtout, éco-nomisent des coûts liés aux émissions.

Air France a adhéré en janvier 2008 à la convention d’enga-gements pris par le secteur aérien dans le cadre du Grenelle del’Environnement. La compagnie participe ainsi à un projet de pro-tection des dernières forêts de Madagascar où des millions detonnes de carbone sont séquestrées. Combien ce projet sera-t-ilcoté sur les bourses carbone ? De plus, Air France « s’engage àdévelopper, certifier et utiliser des biocarburants dans des condi-tions respectueuses de l’environnement et du développementéconomique et social  »1. Nous allons bientôt avoir du jatropha

certifié, comme nous avons déjà de l’huile de palme durable. Toutcela se fera dans des conditions respectueuses de l’environne-ment et des populations. Enfin ça, c’est qu’affirment les promo-teurs du « jatropha durable ».

La réalité est tout autre. Car, pour obtenir un rendement cor-rect, le jatropha doit pousser sur des terres arables, celles utili-sées pour faire pousser les denrées alimentaires. De plus, ses be-soins en eau peuvent être de 20 000 litres pour un litre d’huile pro-duit (voir encadré ci-dessous).

Comme pour les transports routiers, les agrocarburants nesont qu’un alibi pour permettre aux affaires de continuer commeavant, sans toucher à l’essentiel. Nous aurons de beaux avionsverts et certifiés, mais les coûts sociaux et environnementaux se-ront payés et supportés par les pauvres de cette planète.

> CHRISTIAN BERDOT

1 Voir http://www.afklm-newsaffaires.fr (document intitulé Le développement durable).

AviationJatropha, un escroc de haut vol ! Grand émetteur de CO2, le secteur de l’aérien a décidé de faire un geste pour la planète et se lance dans la production de moteursalimentés au jatropha. Pas si vert que ça, ce choix répond surtout à une logique financière.

Après les terribles émeutes de la faim de2008, les agrocarburants à base de pro-duits alimentaires n’avaient plus la cote.Les programmes d’agrocarburants quiengloutissaient des millions de tonnesd’aliments étaient la première cause de laflambée des prix alimentaires. Pour redo-rer leur blason, leurs promoteurs trouvè-rent la solution miracle  : le jatropha. Cetarbuste qui peut pousser sur des terresarides ne rentre pas en concurrence avecles productions alimentaires. Petit souci :dans ces conditions, le jatropha ne pro-duit alors que très peu de fruits donnantde l’huile. Les rendements sont ridicules

et plusieurs investisseurs ont déjà fait fail-lite en Afrique.

Les entreprises qui réussissent ontinstallé leurs plantations sur des sols fer-tiles. Elles utilisent, au passage, force en-grais, irrigation et pesticides. Cela se faitsouvent aux dépends de cultures vivrièresmais aussi de terres dites marginales. Si,jusqu’à présent, ces terres restaient mar-ginales pour l’agriculture industrielle, ellessont néanmoins la condition de survie despersonnes qui y vivent – du pastoralisme,de la chasse, de la cueillette et de la pe-tite paysannerie. Les accaparer, c’est pri-ver des humains de leurs moyens de sub-

sistance et c’est aggraver l’insécurité ali-mentaire des plus faibles. Ce sont aussides écosystèmes (forêts, zones sèches)que l’on détruit. Enfin, leur remplacementpar des monocultures industrielles de ja-tropha provoque la libération de quantitésimportantes de gaz à effet de serre (GES)séquestrées dans le sol, augmentant ainsisensiblement les émissions de GES.

La monoculture industrielle du jatro-pha est un désastre social et environne-mental et ne sert que d’alibi pour confis-quer toujours plus de terres dans le Sud,pour les besoins boulimiques du Nord.

> C.B

Faux miracleJatropha : faim d’un mythe !

DOSSIER

Des graines de jatropha sur un marché du district de Chinsali, dans le nord de la Zambie.

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VII

C’est le rêve des ingénieurs et des statisticiens : cloisonner lesfilières alimentaires et énergétiques. Tout serait alors tellementplus simple. Vous voulez mettre de l’huile de colza dans votremoteur ? Parfait, on va vous calculer le rendement énergétiqueet on va vous montrer que, pour le climat, c’est vraiment mieuxque de mettre du pétrole. Oui, mais voilà : à l’image de l’effetpapillon dont un battement d’aile provoque une tempête à l’au-tre bout du monde, faire le plein de colza pour votre voiturepeut conduire à la destruction d’un bout de forêt tropicale enIndonésie. En cause  : la chaîne de déplacement des activitésqui aura entraîné la plantation de centaines d’hectares de pal-miers à huile dans les pays du Sud. C’est ce que l’on appelleles changements d’usage indirect des sols.

Les Amis de la Terre se sont penchés sur trois exemples dechaînes de déplacement d’activités : le soja, l’huile de palme etla canne à sucre. Au Brésil, la canne à sucre est encore culti-vée loin de l’Amazonie mais l’extension de cette culture re-pousse l’élevage et les petits agriculteurs toujours plus près dufront pionnier de déforestation. Il en va de même pour l’huilede palme et le soja dans d’autres pays du Sud.

Certes, l’utilisation de ces produits comme agrocarburantreste marginale en Europe, mais les importations explosent. Lesindustriels de l’agroalimentaire s’en servent comme substitut aucolza, désormais utilisé pour alimenter les moteurs. C’est pourcela que Sime Darby, le géant malaisien de l’huile de palme, sou-haite ouvrir une nouvelle usine à Port-la-Nouvelle, dans l’Aude.Que l’huile de palme importée soit utilisée directement pour faire

rouler les voitures ou indirectement en allant vers les industrielsde l’agroalimentaire qui ne trouvent plus d’huile de colza, le pro-blème est le même.

L’inutilité des certificationsFace à cette situation, les industriels brandissent certifications etautres labels censés garantir que l’huile que vous mettez dansvotre voiture ne vient pas d’une zone déforestée. Là encore, ils’agit d’un écran de fumée. Ces certifications sont des outils ina-daptés. Par définition, une certication ne s’applique qu’à l’échellede l’exploitation agricole et elle ne peut pas prendre en compte leseffets indirects comme les déplacements de cultures. Symptoma-tique du malaise qui s’accentue, la Commission européenne re-fuse de rendre publique la liste des certifications qui pourraient êtreaccréditées – violant, au passage, les lois de l’Union européennesur la transparence…

Il faut dire que les enjeux économiques sont colossaux. C’estl’ensemble de la politique européenne en matière d’agrocarbu-rants qui est menacée. Si ces chaînes de déplacement d’activitésagricoles étaient prises en compte pour évaluer l’efficacité desagrocarburants, le bilan serait négatif. Dans la plupart des cas, enbout de chaîne se trouvent les forêts, dont la destruction entrainechaque année l’émission de colossales quantités de gaz à effet deserre. Politiquement, le soutien aux agrocarburants serait intena-ble. Le Parlement européen a mis la pression sur la Commissionpour lui demander de rendre son rapport avant l’été 2011. Cetteéchéance vient d’être à nouveau reportée. > SYLVAIN ANGERAND

Décryptage La bataille des impacts indirects des agrocarburantsLes industriels l’affirment haut et fort, la fabrication d’agrocarburants à base de colza n’a aucun lien avec la déforestation dans les pays du Sud. Ils oublient d’inclure dans leurs calculs ce qu’on appelle les usages indirects des sols. Explications.

Filière agrocarburants : impacts directs

Filière alimentaire : impacts indirects

Augmentation de la déforestation et libération de quantités croissantes

de gaz à effet de serre

Impacts directs et indirects des agrocarburants

Hausse des prix agricoles et de l’alimentation

Augmentation des importations d’huile végétale

Les objectifs européens d’incorporationd’agrogazole entrainent une hausse de la demande

en huile végétale

Effet de vase communiquant : les huiles de colza et de tournesol produites

en Europe qui étaient utilisées par les industries de l’agroalimentaire sont désormais utilisées par

l’industrie des agrogazoles. Les industriels de l’agroalimentaire doivent trouver

un substitut.

Mise en culture de nouvelles terres

Augmentation des tensions foncières dans les pays producteurs et déplacement et/ou

expulsion des agriculteurs qui produisent des denrées alimentaires

DOSSIER

Page 8: La Baleine 166 - dossier

L’alternative à l’utilisation de l’automobilen’est pas seulement une question de di-versification des modes de transport, cer -tes indispensable mais nullement suffi-sante. Depuis son extension de masse,au milieu du XXe siècle, le véhicule moto-risé individuel a transformé nos territoires,nos manières de travailler, de nous dis-traire et de con sommer : notre mode devie. Réduire nos émissions de gaz à effetde serre (GES) implique de remettre encause ce schéma et l’hégémonie de lavoiture individuelle.

Au niveau des territoires, d’abord :en matière d’urbanisme, le développe-ment de villes compactes postule que ladensification est l’une des solutions. Li-miter l’étalement et implanter les services quotidiens à quelquescentaines de mètres des logements rendrait caducs la possessionet l’usage de l’automobile. Indispensable, un tel projet ne suffit paspour autant à régler le problème, comme on le constate dans l’aireurbaine de Paris, où l’offre de transports collectifs et les efforts faitspour permettre la circulation des modes de déplacements douxn’empêchent personne de prendre sa voiture pour aller acheter sabaguette à la boulangerie la plus proche.

« La bagnole, ça tue, ça pollue et ça rend con ! »L’automobile aura toujours un temps d’avance, du fait d’habitudesbien ancrées, de sa facilité d’utilisation et de la comparaisoncoût/temps qui semble jouer en sa faveur quelque soit le modede transport qu’on lui oppose. L’augmentation inéluctable du prixdu pétrole entrainera certainement une baisse de l’utilisation de la

bagnole, mais, comme ce dossier lemontre, tant qu’il n’y aura pas de réelchangement de société, toutes les al-ternatives en termes d’alimentation desmoteurs (agrocarburants, batteries élec-triques, et, de façon plus hypothétique,hydrogène, eau...) seront explorées etmises en œuvre, jusqu’à la destructionde la dernière terre agricole et l’imposi-tion des OGM qui en découlera, jusqu’àl’apocalypse nucléaire...Alors, que faire ? Cela ne passera quepar des mouvements de résistance àl’automobile, dont l’association Carfree¹est un bon exemple. Il faut bien sûr rin-gardiser la bagnole, mais surtout dé-montrer par tous les moyens qu’elle est

l’une des causes majeures de la chute de l’humanité dans le fossé.Il s’agit d’infirmer l’idée généralement admise que la forme ultimede la liberté est celle de circuler comme on veut, où on veut, quandon veut : en fin de compte, on ne circule plus du tout – comme lesoulignait très bien Ivan Illich², la conséquence ultime de la bagnole,c’est l’embouteillage généralisé. Un slogan des années 1970 dé-clarait : « La bagnole, ça tue, ça pollue et ça rend con ! ». Des so-lutions aux deux premiers de ces dégâts ne pourront se concréti-ser que si le troisième, qui est à l’évidence une des causes desdeux premiers, est pris en compte ! Cela, au delà de toutes les me-sures collectives qui doivent impérativement être mises en œuvre,c’est l’affaire de chacune et de chacun d’entre nous.

> ALAIN DORDÉ

1 Voir http://carfree.fr2 Ivan Illich est l’un des principaux penseurs de l’écologie politique.

Alternatives Et si on consommait moins de carburant ? En France, plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues aux transports sont imputables aux voitures, un quart (mais croissant chaque année) aux camions, le reste aux véhicules utilitaires, avions et deux-roues motorisés. Plutôt que de vouloir remplacer le pétrole par des agrocarburants dans une logique de fuite en avant, il est indispensable de repenser nos besoins de mobilité et de relocaliser l’économie. Les alternatives foisonnent !

VIII DOSSIER

Depuis 1971Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre

Supplément détachable Le Courrier de la Baleine n°166« Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord. »

Le journal des Amis de la terre - France • Trimestriel • Eté 2011 • n° CCPAP : 0312 G 86222Ce numéro se compose d’un cahier principal (24 pages) qui comprend ce supplément détachable.Direction de la publication Martine Laplante Rédaction en chef Lucile Pescadère Impression sur papier recyclé Offset Cyclus 90g avec encres végétales • Stipa (01 48 18 20 50)

Le vélo, une alternative à la voiture individuelle.

Parmi les alternatives à l’utilisation de lavoiture individuelle, le covoiturage a long-temps patiné. Mais il est aujourd’hui en-couragé par la quasi-totalité des départe-ments. Dans le Maine-et-Loire, un site In-ternet de covoiturage a été ouvert fin 2007– au départ, dans le cadre du Plan de Dé-placement d’Entreprise des agents duConseil général. Le succès de l’initiative aconduit à étendre le service au grand pu-blic. Le site a été donc ouvert avec les

communautés d’agglomération d’Angers,de Saumur et de Cholet et l’ADEME.

Cette plate-forme Internet permet auxutilisateurs de proposer des trajets régu-liers ou ponctuels. Très utilisée, elle comptedéjà environ 5 000 inscrits pour un millierde trajets réguliers. Cette offre complèteles transports en commun interurbains(TER et bus), dont le maillage ne répondpas à tous les besoins. Aujourd’hui, le ter-ritoire compte des centaines d’aires de

covoiturage bien signalées. La promotions’effectue surtout de bouche à oreille etsemble efficace : les seules demandesadressées à la collectivité concernent dessuggestions d’amélioration – comme lacréation de nouvelles aires. Le Conseilgénéral songe à réaliser un bilan carbone,mais est surtout attentif à l’amélioration etau développement du service. > L.H.

Pour en savoir plus www.covoiturage49.fr

Maine-et-LoireLe covoiturage, ça roule !

Nos sites internet www.amisdelaterre.org • www.renovation-ecologique.org • www.ecolo-bois.org • www.produitspourlavie.org •www.prix-pinocchio.org • www.financeresponsable.orgContactez-nous Les Amis de la Terre France • 2B, rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil • Tél. : 0148513222 • Mail : [email protected]

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