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OBSERVATOIRE GEOSTRATEGIQUE DE L’INFORMATION 21 décembre 2010 FUITES D’INFORMATION : L’ART ET LA TECHNIQUE SOUS LA DIRECTION DE FRANCOIS-BERNARD HUYGHE CHERCHEUR A L’IRIS

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  • OBSERVATOIRE GEOSTRATEGIQUE

    DE LINFORMATION

    21 dcembre 2010

    FUITESDINFORMATION :

    LART ETLATECHNIQUE

    SOUS LA DIRECTION DE FRANCOIS-BERNARD HUYGHE

    CHERCHEUR A LIRIS

  • 1Fuites dinformation : lart et la technique

    OBSERVATOIRE GEOSTRATEGIQUE DE LINFORMATION

    INSTITUT DE RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATEGIQUES

    Avant et aprs Wikileaks

    L'invraisemblable feuilleton Wikileaks qui se droule au rythme d'unchange de billets sur Twitter justifierait lui seul l'existence de cet observatoire.Il illustre, de la faon la plus romanesque, la pertinence de son objet : une gos-tratgie de l'information.

    Pour ne pas cder l'hystrie de l'actualit, nous avons dcid de traiterWikileaks dans un cadre plus large et une dure plus longue.

    Un cadre plus large ? Les points de vue du colonel Chauvancy sur les sol-dats, leurs droits et leurs pratiques d'expression sur les rseaux numriques, etdu directeur de lEcole de Guerre Economique (EGE), Christian Harbulot, sur lafuite d'information dans le milieu de lentreprise, nous rappelleront que la "fuite"est un phnomne gnralis qui menace toutes les organisations.

    Une dure plus longue ? Le fait de divulguer volontairement des informa-tions confidentielles ne date pas d'hier que ce soit dans des buts stratgiques (em-barrasser un rival ou un adversaire), des fins thiques (pour protger le droit desavoir du citoyen), ou pour les premiers sous le couvert des secondes. Il n'est pasmauvais de rappeler que l'affaire Wikileaks n'est pas la premire qui ait des cons-quences stratgiques et qu'elle ne sera certainement pas la dernire. Pour illustrerce phnomne, Pierre-Yves Castagnac reviendra dans cette newsletter sur cinqaffaires clbres.

    Nous laisserons au lecteur le soin de se former un jugement politique etmoral sur les fuites, leur moralit, leurs limites et leur danger.

    Franois-Bernard Huyghe

  • OBSERVATOIRE GEOSTRATEGIQUE DE LINFORMATION

    INSTITUT DE RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATEGIQUES

    La fuite : art et technique

    Par Franois-Bernard Huyghe, chercheur lIRIS

    "Celui qui sait tout n'a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement mme pas faire confiance."

    Georg Simmel

    Une figure charismatique et ambigu, Julian Assange, une petite communaut d'activistesparfois agits de dissensions, un rseau technique astucieux de sites miroirs et autres dispositifsde sauvegarde pour chapper aux juridictions, et la premire puissance du monde semble impuis-sante. Impuissante, pour le moins, ragir lgalement et ouvertement, dans la transparence etcontre l'arme de la transparence.

    Sans tomber dans la thorie du complot, on peut, en effet, souponner que le hasard n'ex-plique pas lui seul les ennuis de Julian Assange : systme de financement et de transfert de fondsinterrompu, accusations judiciaires, perte d'adresse internet (par dfaut de son fournisseur de nomde domaine), dissensions internes, chasses de pays en pays, abandon par ses fournisseurs d'accs,prison, menace sur sa vie..., sans oublier les accusations qui lui sont faites de mettre des vies endanger et d'instaurer une dictature de la transparence. Et les propos de ceux qui rclament la peinede mort pour sa trahison (un Australien peut-il trahir les USA ?) ou le rendent responsable d'un se-cond 11-Septembre, numrique, cette fois.

    Concernant le cas Wikileaks , nous nous contenterons de formuler sept hypothses, aurisque vident d'tre dmentis demain par une nime rvlation sur les rvlations.

    1) Le contenu du secret, c'est le secret du contenu.

    Tout le monde s'accorde, au moins dans les milieux au courant de ce qui se publie en go-politique, pour dire qu'il n'y a aucune rvlation bouleversante dans ce que publie Wikileaks. Quece soit pour les documents militaires (qui ne savait qu'il y avait plus de dommages civils collatrauxen Irak ou Afghanistan que ne le disait le discours officiel ?) ou pour les milliers de cbles diploma-tiques publis ce jour. Les sentiments supposs des Saoudiens l'gard de l'Iran ou l'opinion detel diplomate sur la vie sexuelle de Mr. Berlusconi n'ont sans doute pas surpris les intresss. Maisqu'il soit dit que cela a t dit, et dans certains termes, voil qui change tout. Et l'norme volumedes rvlations, et les pratiques qu'elles traduisent chez les diplomates amricains, et le contrasteentre discours public et rapports confidentiels (confidentiels, pas top-secret), crent un incroyableeffet de synergie entre les effets d'informations qui, isolment et rapportes par on-dit, mriteraientquelques lignes.

    2) Trop de secret tue le secret.

    Le fait qu'il y ait aux USA des millions de documents classs secrets, et partant des centainesde milliers de gens plus ou moins accrdits pour les exploiter, plus le fait que tout cela ne soit sou-vent protg que par un simple code engendre forcment des effets " la Kerviel" : un jour quelqu'unabuse du code et le scandale clate.

    2Fuites dinformation : lart et la technique

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    3) Pas de donne sans commentaire.

    Si Wikileaks pratique le "journalisme de donnes" qui consiste mettre en ligne d'normesquantits de documents bruts, cette masse numrique serait incomprhensible sans le travaild'quipes entires de journalistes de la presse "traditionnelle", celle qui synthtise, slectionne etcommente. En fait, nous ne connaissons la plus grande partie de la manne numrique que par lefiltre des anciens mdias qui trouvent l une sorte de vengeance.

    4) Le droit de savoir repose sur l'impossibilit de cacher.

    Ce sont des dispositifs technologiques qui permettent un seul individu de recueillir des don-nes et de les rendre accessibles en ligne des millions de visiteurs potentiels. Mme lorsque lesdonnes en question sont des photographies trs intimes comme celles des gardiens sadiques dela prison d'Abou Graibh qui se sont retrouves sur la Toile et ont indign le monde arabe. Des dis-positifs techniques de duplication, propagation, transfert, etc. font qu'il est impossible de censurerles documents et des les rapatrier. Du coup, le politique semble impuissant.

    5) Le technologique l'emporte sur le politique

    C'est le corollaire de ce qui prcde : mme l'tat amricain, souverain sur son territoire, necontrle pas les flux d'information qui parcourent la plante.

    6) Le software menace le softpower.

    Obama, l'homme qui devait rtablir l'innocence perdue des USA, l'homme de l'image, de lacommunication, des nouvelles technologies, Obama qui incarnait lui seul le softpower amricainet la sduction plantaire de son modle et de sa culture, joue ici le rle du censeur et du dfenseurdu secret d'tat. Qui plus est, il est confront ces rseaux et technologies dont Hillary Clinton etquelques autres clbraient, il n'y a pas si longtemps, la puissance libratrice. Internet devait per-mettre tous les dissidents de s'exprimer et dynamiter la structure hirarchique des pays autoritairesfonctionnant la dissimulation, la censure, etc. Tout ceci est devenu un peu ironique. Et ce sontsouvent ceux qui prchent la socit de la communication ou la critique citoyenne avec le plus d'clat,notamment des mdias souvent peu soucieux du secret de l'instruction, qui sont les premiers d-noncer la tyrannie de la transparence quand elle est exerce par une bande incontrlable.

    7) L'idologie de la rvolte apolitique est un phnomne politique.

    Assange n'est pas un anarchiste au sens classique (quelqu'un qui veut remplacer l'tat parla libre association des producteurs et citoyens). Il est, de son propre aveu, persuad que tout pouvoird'tat tend chercher son propre accroissement, donc tromper la confiance des citoyens, donc comploter pour les tromper, donc communiquer et classer l'information pour comploter, donc trevulnrable face ceux qui s'en prennent ses systmes d'information pour l'empcher de comploter.La divulgation d'information n'a pour le hacker qu'un seul but : affaiblir le projet liberticide au nom dela libert individuelle. C'est une rsistance sans utopie ou sans autre programme que de rsister. Orcette idologie - simpliste et paranoaque, jugeront certains - est extrmement attirante surtout pourdes milieux ou des gnrations qui ont vcu dans la culture numrique. Sa mise en uvre est ma-triellement facilite et apporte des satisfactions narcissiques ceux qui veulent ou voudront imiterles Robin des Bois des rseaux sociaux. Demain un, deux, trois, cent Wikileaks ? C'est possible.: ily aura la motivation, les outils et la matire.

    3Fuites dinformation : lart et la technique

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    La libre expression du militaire sur le terrain

    Par le Colonel Franois Chauvancy

    du Centre Interarmes de Concepts, de Doctrines et dExprimentations (CICDE)

    Lorsque lon est un soldat dploy sur un thtre dopration, relater sur Internet sa vie per-sonnelle pose la problmatique du maintien du lien avec son environnement quotidien du temps depaix : famille, relations () et celle de la scurit des oprations. Sexprimer par les rseaux sociaux,un blog, le tlphone mobile aussi, une simple bote mail, est une ncessit pour garder un lien pra-tiquement instantan et journalier avec sa famille ou ses proches, au point quune opration devientparfois une parenthse entre deux contacts. Condition la fois du moral du soldat et de ses proches,ce contact permet de sinformer la source et sans filtre, de faire partager ce que lon vit, son histoire,ses expriences et ses photos avec les internautes, de faire des commentaires, de ragir avec par-fois des informations sur la vie militaire, le moral et les conditions des oprations. Les diffrents outilsde communication doivent donc tre pris en considration pour concilier la fois scurit des op-rations, libert individuelle du soldat-citoyen et moral.

    Quel environnement informationnel ?

    Aujourd'hui, la capacit technique mise la disposition des individus pour communiquer in-fluence la prise en compte de lenvironnement informationnel dune opration. En premier lieu, mal-gr que des oprations de guerre aient lieu, la situation juridique est celle du temps de paix. Aussi,le soldat reste citoyen et donc dispose de toutes les liberts individuelles, notamment celle de la li-bert dexpression avec les seules restrictions imposes par le statut des militaires de 2005. Il restetoutefois soumis au principe de discrtion vis--vis de son travail et .l'usage de moyens de com-munication et d'information peut tre restreint ou interdit pour assurer la protection des militaires enopration, l'excution de leur mission ou la scurit des activits militaires .

    En second lieu, un soldat professionnel dispose dune force morale. Encore ne faut-il pasuser ce capital par une absence de liens presque rguliers avec la base arrire, c'est--dire la famille,les proches, son environnement social. La simple lettre manuscrite et lattente dune rponse nesont plus dactualit. Au Liban en 1982, le courrier mettait entre une semaine et quinze jours par-venir son destinataire. Sa distribution tait une condition du moral et tait attendue avec impatience.En 1999, pendant la guerre du Kosovo, au PC de la force de lOTAN, les premiers accs publics internet faisaient leur apparition et suscitaient de longues queues pour de mails courts, comptetenu du faible dbit. Aujourd'hui laccs rapide aux moyens de communication est une condition dumaintien du moral.

    En troisime lieu, la sret de linformation que ce soit au titre des oprations ou de la scuritdes familles est un impratif. Au Danemark, en septembre 2007, huit personnes de confession mu-sulmane dont six de nationalit danoise taient arrtes pour avoir cherch y intimider par appelstlphoniques et par mails, y compris aprs leur retour, les familles des soldats danois en Afghanis-tan. Les familles ont t identifies par linterception des communications tlphoniques par portableentre les soldats en Afghanistan et leurs familles. Les boites mails avaient aussi t pirates. Avant

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    une opration militaire, la protection du secret est aussi une ncessit. En mars 2010, une oprationisralienne a d tre retarde, aprs qu'un soldat de Tsahal ait post sur sa page web des lmentsla concernant.

    Des mesures aux effets limits pour la sret de linformation

    Afin de remdier cette vulnrabilit dans une socit de communication et dextriorisationpersonnelle, les dmocraties en guerre en Irak ou en Afghanistan ont commenc ragir. Linfluencepossible des blogs de soldats amricains en Irak a conduit le Pentagone depuis 2005 ordonneraux soldats de faire enregistrer leurs blogs. En mars 2008, le ministre canadien de la Dfense arestreint laccs internet en Afghanistan et a demand ses hommes de ne plus publier des clichsd'eux en uniforme sur Facebook, de ne pas y prciser quelles taient leurs units de combat. EnFrance, le chef d'tat-major de l'arme de terre a adress ses troupes en 2008 une directive vi-sant sensibiliser l'ensemble du personnel de l'arme de terre aux dangers de la divulgation d'in-formations relatives aux oprations militaires sur des sites Internet, des blogs ou des forums. Ledevoir de rserve s'applique donc aux propos tenus en ligne.

    Cependant, ces mesures internes ne peuvent rpondre quimparfaitement la vulnrabilitconstate. Comment intervenir auprs dune personne ayant quitt le service actif ? Prenons lexem-ple dEden Abergel, Isralienne rendue la vie civile. Un an aprs avoir t dmobilise, elle publiesur Facebook le 16 aot 2010 un album-photo intitul L'arme : la meilleure priode de ma vie .Deux photos vont scandaliser, notamment celles de la jeune femme en uniforme qui pose en souriant ct de Palestiniens les mains lies et les yeux bands. La socit isralienne, certes horrifiepar ces images, condamna surtout le fait de les avoir rendues publiques en dplorant plutt sonmanque dducation. La jeune femme quant elle affirmait quelle avait le droit de le faire. Enfin,comment interdire la famille ou aux proches dun soldat de communiquer et de sexprimer en tempsde paix dans une dmocratie ? Ainsi, les pouses et les petites amies des militaires canadiensou amricains crent des sites Facebook dont lun des plus importants est We're Canadian MilitarySpouses and proud ( Nous sommes des femmes de militaires canadiens et nous en sommesfires ), protgs ou non par un mot de passe.

    Un difficile quilibre trouver

    Un quilibre doit tre recherch entre lexpression individuelle du soldat-citoyen et la scuritdes oprations. Tout en contribuant la prservation de son moral, il ne doit pas donner une infor-mation qui puisse mettre en jeu les oprations ou la vie de ses camarades, sinon de sa famille. Avantlemploi de techniques susceptibles partiellement de restreindre ou de contrler lmission dune in-formation par diffrents supports, leffort est donc port sur la formation, sinon lducation du soldatet le discernement faire concernant les informations notamment confidentielles auxquelles il pour-rait avoir accs.

    Libert raisonne : lexpression individuelle est aussi dpendante de laccs aux informationset soulve la question de la loyaut de lindividu envers ses camarades et les institutions. Le cas dusergent Bradley Manning, suspect davoir aliment Wikileaks, est ce titre exemplaire, sinon d-vastateur, mme sil parat isol au milieu des quelque centaines de milliers de soldats amricainsayant servi en Irak ou en Afghanistan.

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    Entre intelligence et guerre conomique :

    la fuite d'information

    Entretien avec Christian Harbulot

    Directeur de lEcole de Guerre Economique

    Directeur associ du cabinet Spin Partners

    Propos recueillis par Pierre-Yves Castagnac

    IRIS : Le secret des affaires permet-il de rglementer correctement les fuites dinformation ?

    Christian Harbulot : La rponse est non ! Les fuites dinformation dans le monde de lentreprise nesont pas rares, mais elles posent de nombreux problmes car la loi ne sait pas comment y rpondre.Je peux prendre comme exemple laffaire Michelin en 2007. Il sagissait dun ingnieur Michelin quiavait collect durant son pravis des informations sensibles dans loptique de les revendre ungroupe concurrent tranger. Personne ne devait tre au courant sauf que ce concurrent a pris lini-tiative de prvenir Michelin. Confondu, cet ex-cadre a t condamn mais trs difficilement. Pour-quoi ? Tout simplement parce que la France ne sait pas dfinir juridiquement le prjudice caus parune fuite informationnelle . Dans ce cas prcis, il a fallu invoquer l atteinte aux intrts fonda-mentaux de la Nation pour le condamner. Nous partons de vraiment trs loin ! Les magistrats in-terprtent le plus souvent ce type de fuites comme une extrapolation du concept de secret-dfense,un concept militaire. On est vraiment dans lincomprhension. Il y aurait pourtant moyen de simplifierle systme.

    IRIS : Comment le droit franais pourrait-il rsoudre ce problme ?

    Christian Harbulot : Le changement ne peut venir que du politique, mais elle ne se produira quesil est accompagn dans le mme temps dun travail de fond important. Nous sommes encore lheure de la rustine. On colmate les trous ds que se rvle une dfaillance. Il existe certes lheureactuelle un bon nombre de dispositions mais elles sont compltement parpilles. Cette dispersionfait au final que nous ne les appliquons pas faute de vision stratgique du problme. Or la Franceest trs expose. Notre vision de lconomie nintgre pas les rapports de force goconomiques etconcurrentielles. Il existe une sorte de ligne Maginot sur la notion de proprit. La loi sait valuertout ce qui est matriel comme la proprit. Mais ds quon passe de limmatriel, on est perdu.:quest-ce quune fuite dinformation ?

    IRIS : Que pensez-vous du whistleblowing version Wikileaks ?

    Christian Harbulot : Le cas Wikileaks est rvlateur des failles de notre systme, ce fameux touttechnologique que les Amricains essayent de construire. On nous prsente Assange comme le.responsable de tout, mais je ne crois pas une seule seconde, sur un sujet comme celui-ci, la mo-bilisation spontane dun citoyen qui part en guerre contre les services de renseignements. On peutventuellement avoir un whistleblower qui rvle un sujet une fois. Mais avoir derrire un

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    systme, cest trs compliqu. Vivre dans la clandestinit tait complique autrefois, a lest encoreplus aujourdhui. Un tel rseau est extrmement difficile monter Nous sommes lheure dInter-net. Au-del de ce fait, ce qui mintresse avec Wikileaks, cest qui attaque-t-il ? . Si on est surlhypothse dun altermondialiste, le site devrait sattaquer tout le monde, or on voit que les attaquesde ce site sont totalement axs sur un pays : les Etats-Unis. Tous les secteurs sont touchs : la di-plomatie, les affaires militaires, Une prochaine cible a t annonce : les banques, encore et tou-jours amricaines. Un tel hasard nexiste pas dans ce type de milieu. Il y aurait des tas de choses dire sur les autres pays, mais rien ne se passe. La bonne question se poser est qui aurait intrt nuire ainsi aux Etats-Unis ? Je pense quun pays pourrait tre lorigine de ces attaques odu moins une de ces composantes.

    IRIS : Est-ce que ce nest pas tout simplement le phnomne internet qui pose problme ?

    Christian Harbulot : Internet est un nouvel univers informationnel, mais il faut faire avec. Cet espacemontre parfaitement comment un appareil dEtat comme la France est en retard. Personne necontrle Internet On ne peut, sauf exception, tomber sous le coup de la loi. Celui qui dnigre, celuiqui laisse fuir une information, marque forcement un point, mme si cette information est temporairesur la toile. Le problme nest dailleurs pas que franais, il est mondial.

    IRIS : Quel serait la bonne parade face une fuite informationnelle?

    Christian Harbulot : Pour prvenir toute fuite, lidal est de faire signer des accords de non divul-gation Mais ce nest pas suffisant. Il ne sagit l que dun dbut de rponse. La vraie parade, cestla guerre de linformation. Je me suis pench sur la manire dont certaines grandes multinationalesamricaines ragissaient. Je me suis aperu que certaines utilisaient la technique de lvitement,c'est--dire laisser senliser lattaque. Dautres au contraire prennent le pouls, elles ont une rflexionsur le sujet puis elles ragissent froid. Ces mesures peuvent aller jusqu racheter un site quivous dnigre pour rcuprer ces critiques. Aujourdhui, dans le contexte franais, il y a des entre-prises qui ont dcid de ragir et je pense quelles vont plus loin que lappareil dEtat.

    IRIS : Comment lEGE enseigne-t-elle cette guerre de linformation ?

    Christian Harbulot : Nous avons limit lEcole de Guerre Economique lenseignement lart dela rhtorique. C'est--dire comment identifier des failles dans le discours de lautre afin de construiredes contre-discours arguments. Mais il faut savoir quune cole qui enseigne la guerre de linfor-mation couvrant lensemble des champs rvlerait quil existe normment de capacit daction, etcela, sans tomber sous le coup de la loi. Je ne devrais pas dire a, mais cest une ralit. Ici lEGE,nous nous interdisons, parce que nous sommes dans un cadre lgal, de sortir de ces primtres.Le faire, ce serait tuer la structure de formation.

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    7Fuites dinformation : lart et la technique

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    Cinq fuites, cinq affaires

    Par Pierre-Yves Castagnac, secrtaire de rdaction lIRIS

    Laffaire des Pentagon Papers

    Tout commence en 1971. Date o Daniel Ellsberg, un analyste amricain de haut rang em-ploy comme consultant par le Pentagone, fait parvenir au New-York Times un dossier sur la guerredu Vietnam class secret-dfense. Jusque-l attentiste, lopinion amricaine vacille car ce dossierintitul Relations entre les tats-Unis et le Vit Nam, 1945-1967 : Une tude prpare par le D-partement de la Dfense est explosif. Il montre que des hommes politiques amricains ont sciem-ment menti pour alimenter un conflit aussi idologique que militaire contre le communisme.Ladministration Nixon au pouvoir en 1971 en ptit mais cest surtout ladministration Johnson (1963-1969) qui est vise. Ces Pentagon Papers comme la presse les a surnomms marquent la finde lappui populaire la guerre du Vietnam Mais avant darriver dans les mains de la presse, cerapport top-secret a t photocopi, page aprs page. Il a fallu prs de deux ans Daniel Ellsbergpour arriver au bout des 7000 pages de ce rapport. Cette opration sest faite dans le plus grandeclandestinit, chez lui, linsu de sa hirarchie et en violation de tous les protocoles de scurit.Daniel Ellsberg a t un temps poursuivi pour vol, conspiration et espionnage, mais un arrt de laCour Suprme des Etats-Unis va lui donner raison en vertu du premier amendement de la Consti-tution amricaine. Cette lutte pour la justice et la transparence des gouvernements dans les conflitsa permis Daniel Ellsberg de recevoir en 2006 le Prix Nobel alternatif .

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    Laffaire Aranda

    Paris, 1972. La presse lavait surnomm larchange Gabriel , le Saint Just de la pho-tocopie tant son idal de justice tait grand. Il y a presque quarante ans, Gabriel Aranda, conseillertechnique auprs du Ministre de lquipement et du logement Albin Chalandon au sein du gouver-nement Chaban-Delmas provoquait un scandale qui portera son nom. Le 13 septembre 1972 pr-cisment, il rvlait par le biais du Canard Enchan quil existait un systme de corruption organisdans le secteur de la construction publique : trafic dinfluence, pressions dintrt priv,... Tout ypasse, tant est si bien que le Canard Enchan titre Une odeur de pourris ! De son cot, ParisMatch hsite dans sa Une : Aventurier, justicier, illumin ? . Qui est donc ce personnage ? Maistout au long de cette affaire, Gabriel Aranda se positionnera en chevalier blanc , seul contre lesystme qui essaye de lcraser. Inculp pour vol de documents, il est finalement autoris sinstalleren Suisse partir de 1974 avec laccord du gouvernement franais. Il devient analyste financier ettravaille sous le pseudonyme de Monsieur Daumier . Cette parenthse dans lanonymat va durerjusquen 2009, moment o il est condamn trois ans de prison dont six mois ferme pour une affairesexuelle familiale.

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    8Fuites dinformation : lart et la technique

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    Laffaire Vanunu

    30 septembre 1986 : Mordecha Vanunu, ex-technicien nuclaire isralien, est enlev Romepar le Mossad puis est ramen par bateau clandestinement en Isral. Son crime ? Avoir dvoil aujournaliste britannique du Sunday Times, Peter Hounam, ltendue du programme nuclaire isralien.Ce tmoignage, appuy par une soixantaine de photos de son ancien lieu de travail, la centrale nu-claire de Dimona (sud du Neguev, Isral), contredit toutes les versions officielles. Sans nouvellede Vanunu, le Sunday Times prend linitiative de publier son histoire le 5 octobre 1986. Larticle tientsur trois pages et est accompagn de trois photos. LEtat dIsral est ainsi reconnu, par voix depresse, comme la sixime puissance nuclaire dans le monde. Les rapports de force au Moyen-Orient doivent tre rvalus en fonction de cette nouvelle donne. Beaucoup sen doutaient maiselle est maintenant prouve Pour Vanunu, les affaires se compliquent. Il est toujours en vie, maisest mis au secret en Isral et est interrog par le Shin Bet, les services secrets israliens. Un procs huit clos commence en aot 1987 Tel-Aviv. Il se termine huit mois plus tard, fin mars 1988, parla condamnation 18.ans de prison ferme de Mordecha Vananu. Chefs dinculpation : trahison, es-pionnage et divulgation de secrets dEtat. Cette condamnation a t diversement apprcie traversle monde. Pour la plupart des Israliens, son nom est synonyme de traitrise mais il rsonne diff-remment pour dautres qui estiment que son action tait justifie et justifiable. Dernire preuve endate, Vanunu, qui est libre depuis avril 2004, devait recevoir la mdaille Carl von Ossietzky de laLigue internationale des droits de l'Homme dbut dcembre 2010. LEtat isralien ne l'a cependantpas autoris quitter le territoire pour aller Berlin recevoir ce prix.

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    Laffaire Plame-Wilson

    Et 2003 : les Etats-Unis sont en guerre. Trois fronts ont t ouverts : terrorisme depuis sep-tembre 2001, Afghanistan depuis dcembre 2001 Et surtout Irak depuis mars 2003. Lunion na-tionale est de rigueur depuis les attentats du 11-Septembre, mais des doutes s'expriment concernantles motifs invoqus par ladministration Bush pour rentrer en guerre en Irak, notamment l'existencede fameuses armes de destruction massive. Une de ces voix est celle dun ancien ambassadeuramricain, Joseph Wilson, auteur dun rapport confidentiel sur luranium au Niger. Dans un articledu New-York Times du 6 juillet 2003, il remet en cause publiquement un des arguments avancspar le Prsident George W. Bush quelques mois plus tt. Selon lui, Saddam Hussein naurait pascherch acheter de luranium au Niger. Cet article secoue svrement ladministration Bush. Lopi-nion publique amricaine doute Une question se pose alors, comment discrditer cet ambassa-deur.? La solution : lengluer dans une affaire despionnage en "fuitant" le nom de son pouse, ValriePlame-Wilson, dans la presse. Cette femme de diplomate est en ralit un officier traitant de la CIAsous couverture. Cette fuite dans la presse durant lt 2003 devient une affaire dEtat. Divulguer lenom dun agent secret est un crime fdral au Etats-Unis. Une enqute est ouverte en dcembre2003 par le procureur amricain Patrick Fitzgerald. Trois ans de procdure judiciaires aboutiront la condamnation du directeur de cabinet du vice-prsident Dick Cheney, Lewis "Scooter" Libby, pourparjure, mensonge et obstruction la justice. Condamn deux ans et demi de prison en mars2007, il sera finalement graci par George Bush le 2 juillet 2007.

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    9Fuites dinformation : lart et la technique

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    Laffaire Wikileaks

    Impossible dy chapper, Wikileaks est omniprsent. Les mdias le savent et ils en parlent.Pas une semaine ne se passe sans que ce site web ne fasse lactualit. Pourquoi ? Tout simplementparce que ce site sest spcialis dans les fuites dinformation venues de l'intrieur des organi-sations. Il permet la publication massive via Internet de documents classifis confidentiel , se-cret-dfense , voir mme .top-secret . Le volume publi est si important qu'il faut des logicielsspciaux (et surtout l'aide de la presse "traditionnelle" qui seule a le temps de faire le travail de s-lection) pour explorer cette masse de donnes. Les scandales senchainent un rythme rgulier.Lanne 2010 a t particulirement riche : documents militaires sur la guerre en Irak, sur la guerreen Afghanistan, cbles de la diplomatie US... En attendant peut-tre des rvlations sur les scan-dales bancaires. Dans laffaire des cablegate (publication de prs de 250.000 cbles diploma-tiques amricains confidentiels fin novembre 2010), la Maison Blanche a trembl pendant quelquesjours. Avertie de limminence de la publication, elle stait sentie oblige dappeler les ambassadesdu monde entier craignant que ces notes confidentielles ne ternissent l'image de la diplomatie am-ricaine. Dernire ce site se cache un australien : Julien Assange. Insaisissable et secret, ce whis-tleblower a entrepris une guerre prive pour la transparence et contre ce qu'il nomme "le complot"de l'tat. Sur le plan juridique, comme il n'achte pas les informations et ne peut tre qualifi d'espion,le seul dlit/crime qui lui est reproch est une affaire de viols prsums en Sude. Elle n'a rien voir avec les fuites mais tombe fort opportunment pour ses adversaires. Au moment o nous cri-vons, il est en rsidence surveille, tandis que les documents continuent circuler.

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    10Fuites dinformation : lart et la technique

    LObservatoire Gostratgique de lInformation

    Sous la direction de Franois-Bernard Huyghe etdEddy Fougier, cet observatoire a pour but danalyser lim-pact de linformation mondialise sur les relations interna-tionales. Comprendre le dveloppement des mdias et delimportance stratgique de la matrise de linformation. Ilanalyse, par exemple les rapports de force entre puis-sances politiques et conomiques et les firmes qui contr-lent le flux des informations dans le Monde.

    IRIS - Institut de Relations

    Internationales et Stratgiques

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