Alain de Benoist - Demain La Dcroissance - Extraits

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  • 8/2/2019 Alain de Benoist - Demain La Dcroissance - Extraits

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    ALAIN DE BENOIST

    DEMAIN LA DECROISSANCE citations, paragraphes, extraits (10 pages)

    La reproduction durable a, en fait, t la rgle dans toutes les cultures humaines jusqu'au XVIIIe

    sicle.L'obsolescence programme des produits est l'un des ressorts du gaspillage.

    l'heure actuelle, les tatsUnis tirent un profit considrable du systme des ptrodollars. Tous lespays qui souhaitent importer du ptrole doivent emprunter des dollars pour le payer, soutenant ainsi defaon artificielle cette devise, qui est la fois une morll1aie nationale et une unit de compteinternationale.

    Dans la pratique, cela signifie que les tats-Unis peuvent ainsi se permettre un dficit commercialconsidrable sans consquences immdiates. Si ce systme s'arrte, ils seront les premiers ensouffrirl

    L encore, on peut bien entendu imaginer que de nouvelles formes d'nergie seront dcouvertes dansl'avenir. Dans l'abstrait, c'est toujours possible -mais pour l'instant, faire un tel pari n'est qu'un acte defoi. La vrit est que, dans l'tat actuel des choses, ni les nergies renouvelables, ni le nuclaireclassique, ni les autres nergies de substitution connues des chercheurs ne peuvent remplacer le ptroleavec la mme efficacit nergtique et des cots aussi faibles.

    Deux acceptions bien diffrentes du dveloppement durable se sont nanmoins fait jour, parmi lesinnombrables interprtations qu'on en a proposes. La premire met avant tout l'accent sur la

    prservation des biotypes et des cosystmes, et prfre parler de dveloppement soutenable pluttque simplement durable . La lgitimit du dveloppement conomique est alors nettementconditionne par sa capacit respecter l'environnement. La seconde interprtation met au contraire

    d'emble l'accent sur la croissance: c'est essentiellement pour prserver ses possibilits de dure que ledveloppement doit prendre en compte les problmes de l'environnement. Le respect des exigences dumilieu naturel n'est alors plus peru que comme la condition ncessaire pour que la croissance se

    poursuive.

    la croyance qu'il est possible, moyennant un certain nombre de mesures, de rendre compatibles (oude rconcilier) la protection de l'environnement et les intrts de l'conomie.

    L' co-efficience consisterait rduire les pollutions et l'importance du prlvement des ressourcesnaturelles pour atteindre le niveau compatible avec la capacit de charge de la plante.

    Il n'y aura donc pas moins de pollutions; celles-ci reprsenteront seulement un cot que les socitsdevront intgrer dans leur budget et leurs prix de revient.

    Qui peut reprocher des paysans pauvres d'esprer faire fortune en acceptant qu'une multinationalevienne saccager leur cadre naturel de vie ?

    La multiplication des mesures inspires par la thorie du dveloppement durable renforce en faitl'autorit des bureaucraties nationales ou internationales et le contrle technocratique.

    De mme qu'un individu qui tire la majeure partie de ses moyens de son capital, et non de ses revenus,est vou la faillite, les socits qui puisent dans les ressources naturelles de la plante en considrantimplicitement qu'elles sont illimites, vont la catastrophe: on ne peut pas indfiniment consommer

    un capital non reproductible.

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    De ce point de vue, l'nergie a la mme valeur que n'importe quelle matire premire, alors qu'elle esten ralit la condition ncessaire l'obtention des autres ressources. Dans une telle perspective, lesressources naturelles et la nature elle-mme n'ont aucune valeur intrinsque. Elles n'ont qu'une valeurrelative l'usage que l'on en fait, ce qui signifie qu'on peut parfaitement s'en passer ds lors qu'il est

    possible de suppler artificiellement leur disparition. Les libraux pensent que, lorsqu'une ressources'puise, son prix s'lve, ce qui tend faire diminuer la demande. L'puisement d'une quelconqueressource n'a donc rien d'inquitant, puisque la main invisible rsout le problme: le prixreprsentant la mesure objective de la raret et donc de la valeur relle de la ressource, si ce prixdevient trop lev pour les consommateurs ou les industriels, ceux-ci rorienteront leurs choix ouinvestiront dans de nouveaux outils de production. Mais cette thorie est inapplicable dans le cas desressources naturelles, parce que la demande est incompressible (au regard du mode vie actuel) et queles ressources ne sont pas substituables. On se retrouve dans la situation du drogu, qui chercheratoujours payer sa drogue quel qu'en soit le prix []

    L'conomiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), ancien professeur l'universit deVanderbilt (Tennessee), a t le premier prsenter la dcroissance comme une consquenceinvitable des limites imposes par la nature. Sa thse fondamentale est que l'activit conomique est

    un processus destructeur de matire3S Georgescu-Roegen s'appuyait principalement sur le deuximeprincipe de la thermodynamique, la loi de l'entropie, dcouverte en 1824 par Sadi Carnot. L'entropiedfirtit un processus irrversible: l'nergie mcanique utilise par l'industrie se transforme

    principalement en chaleur; cette nergie calorique, une fois dissipe, ne peut jamais redevertir unenergie mcartique. GeorgescuRoegen souligne qu'il en va de mme des ressources nergtiques de laTerre, qui constituent par dfirtition un capital limit et non renouvelable. Selon lui, toute l'conomielibrale classique s'inspire du modle de la mcanique newtonienne, qui ignore la thermodynamique etla loi de l'entropie, c'est--dire l'irrversibilit des transformations de matire et d'nergie. Cetteconomie ne fait pas la diffrence entre les stocks et les flux, le capital et les revenus del'environnement.

    Un Amricain moyen consomme chaque anne l'quivalent de 9 tonnes de ptrole, tandis qu'un Malien

    n'en utilise que 21 kg.

    Sous-produit de l'idologie du progrs et discours d'accompagnement de l'expansion conomiquemondiale, il est en fait une entreprise visant transformer les rapports des hommes entre eux et avecla nature en marchandises'" qui, comme telle, implique une vritable modification anthropologique.De cette entreprise, on l'a vu, le dveloppement durable ne remet srieusement en question aucundes principes de base. Il s'agit toujours de retirer un profit des ressources naturelles et humaines, et derduire la dette de l'homme envers la nature des dispositifs techniques permettant de transformerl'environnement en quasi-marchandise. Or, on ne peut faire coexister durablement la protection del'environnement avec la recherche obsessionnelle d'un rendement toujours accru et d'un profit toujours

    plus lev. Ces deux logiques sont contradictoires.

    Des chercheurs ont alors commenc relativiser les gains obtenus par les techniques d'conomied'nergie en calculant les augmentations de consommation que ces techniques engendraient, ce quileur a permis de dfinir l'effet-rebond comme une augmentation de la consommation d'un produit ouservice d une rduction de son prix de revient. Le concept s'est ensuite gnralis". C'est l'effet-rebond qui permet de comprendre que, chaque fois que l'on russit conomiser de l'nergie ou desmatires premires pour fabriquer un produit, l'effet positif de ce gain est armul par l'incitation consommer qui en rsulte et par l'augmentation des quantits produites. Une voiture qui consommemoins, par exemple, incite parcourir plus de kilomtres qu'une voiture qui consomme plus,

    puisqu'elle permet d'aller plus loin pour le mme prix. De mme, la miniaturisation des objetslectroniques stimule leur consommation, les transports rapides permettent d'entreprendre des voyagesde plus en plus lointains, etc. La diminution de la consommation nergtique par unit a donc poureffet d'augmenter le volume global de consommation,

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    De nombreuses objections ont t adresses la thorie de la dcroissance. Ceux qui pensent qu'onpeut parvenir une croissance infinie dans un monde fini font souvent observer que toute activitconomique n'implique pas de consommation nergtique et qu'une partie non ngligeable del'conomie est d'ores et dj devenue immatrielle dans la mesure o elle repose sur les services, letraitement de l'information, la communication, l'lectronique, etc." Il n'est pas niable en effet quel'conomie immatrielle ralise une certaine dmatrialisation du capital et qu'elle favorise ledveloppement de processus productifs propres , caractriss par une faible consommation deressources naturelles et donc par une pollution rduite. Cependant, on peut se demander si lestechnologies nouvelles ne sont pas des complments des technologies traditionnelles, plus qu'elles n'enreprsentent des substituts. Un plus grand nombre de socits de logiciels ou de consultantsfinanciers impliquera-t-il forcment une diminution de la production de voitures ou d'nergielectrique ?48 , demande Mauro Bonaiuti.

    Bonnevault rappelle ainsi que socialisme productiviste et capitalisme libral sont historiquement lesdeux variantes idologiques d'un mme projet, celui du dveloppement des forces productrices censfavoriser la marche de l'humanit vers le progrs [ ... ) Marxistes et libraux adhrent ensemble lavision selon laquelle le dveloppement des forces productives est le processus par lequel l'humanit

    ralise son destin50. L'cole rompt de ce fait avec une gauche archaque et productiviste qui n'a passu prendre la pleine mesure de l'poque o nous vivons. D'o les critiques qui lui sont adresses dansce milieu51 Dans son numro du 1"' dcembre 2003, le journal d'extrme gauche La Riposte s'en

    prend ainsi, sous la plume de Jrme Mtellus, l'ide de dcroissance, en lui opposant le vieux rved'une planification dmocratique et rationnelle des ressources productives et naturelles . La thoriede la dcroissance, qualifie d' utopie ractionnaire aspirant un retour la bonne vieilleconomie prcapitaliste , est assimile aux thses de Proudhon, accus lui-mme d'avoir vouluexprimer les intrts et la situation matrielle des petits artisans,commerants etpaysans . Les

    partisans de la dcroissancese voient galement reprocher, de faon trs rvlatrice,d'tre favorables l'conomie locale et au renracinement des communauts : La mondialisation de l'conomie, loind'tre un problme [sic], constitue une prmisse fondamentale du socialisme, lequel est compltementinconcevable sur la base de petites conomies locales .

    c'est au contraire depuis qu'il cherchent se dvelopper que les pays pauvres accumulent lesretards et voient leur situation globale se dgrader. La pauvret du tiers-monde, en d'autres termes,ne rsulte pas d'un dveloppement insuffisant, mais bel et bien de son insertion dans le systme dudveloppement. Elle est dans une large mesure le rsultat de l'organisation actuelle du monde, descapacits prdatrices du systme capitaliste et de la division internationale du travail. On croit que les

    populations du tiers-monde vivaient, avant l'poque de l'industrialisation et du dveloppement , dansdes conditions encore plus misrables qu'aujourd'hui. Mais c'est le contraire qui est vrai.

    La dcroissance, disent ses partisans, sera atteinte par une modration de notre mode de vie. Oui, maiscomment y parvenir? La question se pose la fois du point de vue anthropologique et du point de vue

    polique

    Le capitalisme n'a pas invent le dsir de possder ni la propension des hommes rechercher ce quileur cote le moins d'efforts, leur rapporte le plus de plaisir (autre notion subjective) et les incite dpenser du temps et de l'argent pour des consommations inutiles ou irrationnelles . Il a seulementutilis, renforc et, surtout, lgitim de tels comportements en les prsentant comme la fois normauxet toujours positifs. Alors que la morale sociale des socits traditionnelles

    L'appel l'conomie conome, la frugalit ou la simplicit volontaire est trs sympathique,mais il ne peut aujourd'hui inspirer que des comportements individuels. l'chelle de la socitglobale, il a toutes chances de rester un vu pieux. Comment faire revenir une population qui n'aspirequ' consommer des murs frugales , sachant de surcrot que le modle n'est viable que s'il estgnralis ? Les tenants de la dcroissance la prsentent, il est vrai, non comme un idal atteindre,mais comme une perspective inluctable. Face aux objections, ils ont souvent tendance adopter une

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    pose prophtique et apocalyptique: De toute faon, on n'a pas le choix. C est la dcroissance ou lamort! C est peut-tre vrai, mais cela ne fait pas un programme.

    Latouche en tient pour la pdagogie des catastrophes: Les catastrophes sont notre seule sourced'espoir, car je suis absolument confiant dans la capacit de la socit de croissance engendrer descatastrophes []

    L'histoire montre que les catastrophes ont rarement des vertus pdagogiques et qu'elles engendrent leplus souvent des crises sociales, des dictatures et des conflits meurtriers.

    Cela ne signifie pas que l'homme n'est pas capable d'altruisme, ni qu'il est mauvais par nature. Parnature, il n'est ni bon ni mauvais. Il est seulement capable d'tre l'un et l'autre, ce qui fait de luiun tre risqu, imprvisible, et donc dangereux. Plutt que d'en rester un prcepte moral (,d'altruismedevrait prendre le pas sur l'gosme), qui a toutes chances de n'tre pas entendu, il vaudrait mieuxexaminer comment on peut parvenir une situation qui, concrtement, valoriserait l'altruisme etdvaloriserait l'gosme comme attitude gnrale devant la vie.

    Ainsi se dessine l'horizon un univers de plus en plus invivable, o tous les marchs possibles seraientpeu peu saturs, malgr l'invention permanente de nouveaux gadgets, et o la croissance deviendraittoujours plus coteuse, au point que des guerres pourraient tre raisonnablement envisages pour

    pallier la baisse tendancielle du taux de profit.

    Serge Latouche cite ce propos un beau texte de Kate Soper: Ceux qui plaident pour uneconsommation moins matrialiste sont souvent prsents comme des asctes puritains qui cherchent donner une orientation plus spirituelle aux besoins et aux plaisirs. Mais cette vision est bien desgards trompeuse. On pourrait mme dire que la consommation moderne ne s'intresse passuffisamment aux plaisirs de la chair, qu'elle ne se proccupe pas assez de l'exprience des sens,qu'elle est trop obsde par toute une srie de produits qui filtrent les gratifications sensorielles etrotiques et nous en loignent. Une bonne partie des biens qui sont considrs comme essentiels pour

    un niveau de vie lev sont plus anesthsiants que favorables l'exprience sensuelle, plus avares quegnreux en matire de convivialit, de relations de bon voisinage, de vie non stresse, de silence,d'odeur et de beaut [ ... ] Une consommation cologique n'impliquerait ni une rduction du niveau devie, ni W1e conversion de masse vers l'extra-mondanit, mais bien plutt une conception diffrentedu niveau de vie lui-mme .

    L' humanisation , singulirement depuis Kant, a dans le mme temps t pose comme synonymed'un arrachement la nature (plus l'homme s'artificialise, plus il est cens s'manciper et devenir lui-mme).

    Dans un premier temps, le christianisme, faisant du monde un objet cr par Dieu, l'a vid du mmecoup de sa dimension de sacr intrinsque. Le monde devient alors un simple dcor, un lieu

    d'existence passager, une valle de larmes qui ne peut plus valoir par elle-mme (" Maudit soit le sol cause de toi! , Gen. 3,17). L'homme n'est plus pris dans un rapport de co-appartenance avec l'tre dumonde. Le cosmos ne constitue plus un modle. La Bible a fait de l'homme son propritaire, ou dumoins son usufruitier: "Soyez fconds, multipliez, emplissez la terre et dominezla (Gen. 1,28). Pourle christianisme, crit Clive Ponting, "la nature n'est pas perue comme sacre. Elle est ouverte l'exploitation humaine en dehors de tout critre moral. Deuxime tape: avec Descartes, le"dsenchantement du monde se fait radical. Le monde devient un pur objet inanim, dpourvu d'me,de finalit et de sens, un simple rservoir de ressources que l'homme peut arraisonner et s'approprier sa guise, pour devenir "matre et possesseur de la nature. L'environnement est ainsi totalement livrau dchanement de la "raison instrumentale et l'exploitation utilitaire.

    Au travers de l'interrogation sur le sens de la croissance, c'est videmment toute la question delanature humaine, du rapport de l'homme la nature et des finalits de la prsence humaine au mondequi est pose. L'cologisme ne saurait donc faire l'conomie d'une anthropologie, qui conditionne elle-

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    mme ce que l'on peut attendre d'une politique. Alain Caill n'a pas tort, de ce point de vue, de direque l'cologisme ne dpend pas uniquement d'arguments conomiques ou scientifiques, mais qu'ilengage des choix thiques et mtaphysiques.

    Pour le dire en d'autres termes, une gauche socialiste qui aurait su en finir avec le progressismeserait aujourd'hui le partenaire absolument naturel d'une droite qui, de son ct, aurait su rompre avecl'autoritarisme, la mtaphysique de la subjectivit et la logique du profit.

    Ma premire observation tient dans ce constat trs simple qu'avec l'cologie, l'idologie du progrs,telle qu'on l'a connue jusqu'ici, est entre dans une crise radicale

    Ce mme progrs est assimil une libert toujours plus grande, qui se conquiert essentiellement parmancipation vis--vis de tout ce qui relve de la nature , et aussi de la tradition. C'est ens'arrachant la nature que l'homme devient lui-mme, crit Luc Ferry, c'est en se rvoltant contre ledterminisme et la tradition qu'il construit une socit de droit, c'est en s'vadant de son pass qu'ils'ouvre la culture et qu'il accde la connaissance ... Depuis la Rvolution franaise, toute notreculture dmocratique, intellectuelle, conomique, artistique, repose sur ce ncessaire dracinement2 ..

    . On comprend ainsi que l'idologie du progrs ne soustrait l'homme aux dterminismes naturelsque pour le soumettre au dterminisme d'une histoire ncessairement oriente. La libert n'y trouvegure son compte.

    L'histoire rcente a refroidi ces beaux enthousiasmes. Deux sicles de progrs ont abouti deuxguerres mondiales, aux plus vastes massacres de tous les temps, des rgimes despotiques d'un genreencore jamais vu, tandis que, paralllement, l'homme dvastait la Terre par son activit pacifique

    plus encore que l'usage des armes n'tait jamais parvenu le faire dans le pass.

    verts l'extrieur, rouges l'intrieur

    Tandis que la droite voit dans l'amour de la plante Terre une nouvelle forme de "cosmopolitisme , la

    gauche craint de le voir dvier vers l'amour du sol ou du terroir. On ne manque pas alors de rappeler lamaxime vichyssoise selon laquelle la terre ne ment pas , et certains auteurs se font mme unespcialit de s'en prendre aux colo-ptainistes , quand ce n'est pas aux verts de gris . Les tenantsde l'idologie des Lumires reprochent aux cologistes de vouloir rintgrer l'homme dans la nature,faisant ainsi preuve d'un irrationalisme et d'un anti-humanisme suspects, tandis que la vieillegauche, de tout temps attache au productivisme, voit en eux des conservateurs passistes refusant leprogrs techno-scientifique, attachs comme les romantiques au culte des forts et des valeursrurales caractristiques d'un monde disparu.

    La vrit est que le mouvement cologiste est incontestablement conservateur, en ceci qu'il entendprserver la qualit de la vie, la sociali t organique, les cadres de vie traditionnels, les spcificitsculturelles et la biodiversit, mais qu'il est galement rvolutiOlUlaire, en ce sens qu'il entend rompre

    de faon radicale avec l'idologie productiviste qui sous-tend aujourd'hui la logique plantaire de laForme-Capital et du march.

    Jacques Julliard n'avait pas tort quand il dclarait voir en l'cologie la dernire forme de critiquesociale dans une socit qui a renonc se critiquer.

    Sortir du productivisme, c'est donc intgrer la notion de limite, c'est--dire cesser d'identifier le plus etle mieux, le maximum et l'optimum, la quantit et la qualit.

    Au Moyen ge, l'ide hrite de l'Antiquit d'une socit humaine calque sur un modle d'en hautrestait encore prsente, mme si le cosmos tait alors rapport l'intellect divin. L'homme tait alorsconu comme un microcosme l'intrieur du macrocosme, et leur relation tait de l'ordre de lacorrespondance analogique: la socit humaine avait comme te/os de reflter l'harmonie du monde. la Renaissance, ce modle d'un cosmos vivant fait place l'image d'un univers-machine. L' ordre

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    naturel devient assimilable un ensemble de rouages, une horloge qui, comme l'on sait, n'aurabientt plus besoin d' horloger . En 1637, dans son Discours de la Mthode, Descartes fait ducosmos un vaste systme mathmatique de matire en mouvement, jetant ainsi les fondements d'unevision purement mcaniste du monde.

    Paralllement, le dualisme cartsien, sparant le corps et l'esprit, aboutit soustraire l'esprit de l'ordredu monde. Enfin, plaant Dieu l'cart, comme l'a bien vu Pascal (et, aprs lui, Sainte-Beuve),Descartes rduit l'thique une simple rgle de convenance, vacuant du mme coup la question dusens de la vie. La nature devient alors pure res extellsa, matriau brut, champ homogne et simplerservoir d'objets, que la volont de l'homme peut exploiter, manipuler et instrumentaliser sa guise.

    L'homme, en d'autres termes, peut dsormais arraisonner le monde, c'est--dire le soumettre de parten part l'axiomatique de l'intrt et au principe de raison, l'esprit de calcul et l'exigence derendement.

    Tout comme Adam Smith, Marx ne conoit l'institution sociale qu'au travers d'une activit productiveconue comme affrontement la matire et transformation de cett" matire en valeur au moyen du

    travail. Par le travail, l'homme ne transforme pas seulem"nt la nature, il mudifie sa propre nature etdveloppe les facults qui y sommeillent" .

    Marx affirme en effet: "Le dveloppement des forces productives du travail social est la tchehistorique et la justification du capital. Le faisant, prcisment, sans le savoir, il cre les conditionsmatrielles d'un mode de production plus lev". Marx pense donc que le productivisme est neutre enson essence, que l'alination qu'il provoque est exclusivement lie un mode de production donn, etque c'est l'acclration de la production qui crera les "contradictions ncessaires l'avnement de lasocit sans classes.

    Mais elle renoue aussi, dans une certaine mesure, avec une conception du monde qui a toujours tcelle dessocits traditionnelles - socits que l'on a trop souventqualifies de socits closes ,

    alors qu'elles sont aucontraire ouvertes sur la totalit du cosmos et, par lmme, capables d' intgrertoutes les composantes ducorps social, tandis que les socits modernes, que Popperqualifiait d'ouvertes , sont en rali t fermes touteperspective cosmique et suscitent en leur sein desexclusionsde toutes sortes.

    Marc Aurle: Toutes les choses vivantes sont lies les unes aux autres, ce lien est sacr et rien, oupresque rien, n'est tranger quoi que ce soit [ ... ] Reprsente-toi le monde comme un tre unique etune me unique. Considre comment tout contribue la cause de tout, et de quelle manire les chosessont tisses et enroules ensemble .

    Reprenant chez Platon l'ide selon laquelle c'est l'me qui contient le corps, et non l'inverse,

    rompant la fois avec la conception purement linaire du temps et avec la sparation radicale du sujetet de l'objet.

    Dans son acception la plus leve, le but de l'cologisme est prcisment de runir ce qui a tarbitrairement spar: l'me et le corps, la matire et l'esprit, le sujet et l'objet, les parties et le tout,l'homme et le reste de l'univers. toutes ces dichotomies obsoltes l'cologie oppose l'ide qu'endtruisant la nature, l'homme se dtruit lui-mme, alors qu'en s'efforant au contraire de mieux saisir lanature comme une donatrice de sens laquelle il est li dans un rapport de co-appartenance, il seramieux en mesure de se connatre et de raliser les fins qui lui sont propres.

    La nature, il est vrai, peut aussi bien tre perue comme harmonieuse et quilibre que commemenaante, cruelle et dsordonne. L' ordre naturel , n'a pas le mme sens selon qu'on le fait reposersur la comptition ou sur la coopration, et les lois naturelles ne le sont jamais que d'une faon touterelative, puisque l'homme peut les violer.

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    D'autres voudraient substituer l'anthropocentrisme hrit de Descartes une sorte de biocentrismegalitaire, o la vie d'un homme ne vaudrait finalement rien de plus que celle d'une vache ou d'un

    puceron.

    L'homme est un tre vivant parmi d'autres, mais il a aussi une spcificit qui lui est propre. Cettespcificit ne l'autorise pas s'affranchir du reste du monde, ni le traiter comme un pur objet dont ilserait le propritaire, mais doit au contraire l'inciter prendre conscience des responsabilits

    particulires qui sont les siennes au niveau qu'il occupe. En d'autres termes, reconnatre la spcificithumaine ne lgitime pas plus la domination de la Terre que la dfense et la prservation de la naturen'impliquent la ngation de ce qu'il y a d'unique et d'irremplaable dans le phnomne humain.

    Heidegger semble cet gard avoir indiqu plus qu'une piste suivre lorsque, tout en dconstruisantsystmatiquement l'anthropocentrisme moderne, fond sur la mtaphysique de la subjectivit et ledchanement technicien, il dfinit en mme temps l'homme comme le berger de l'tre , c'est--direcomme le seul vivant qui peut porter tmoignage sur le sens des choses

    Aux tats-Unis, l'inspiration romantique du mouvement cologiste s'est surtout manifeste traversles uvres de Ralph Watdo Emerson (1803-1882), le fondateur du transcendantalisme , qui, dansson clbre ess.:.i sur la nature (Nature, 1837), dcrit le plaisir que procure l'homme le contactsensible avec une nature perue comme nergie surabondante et voluptueuse. Cf. The SelectedWritillgs of Ralph Walda Emerson, Modern Library, New York, 1950. la gnration suivante, le (,transcendantalisme d'Emerson aboutit chez Henry David Thoreau la clbration d'une vritable ..divinit de la nature, fonde sur un sentiment de sublime produit par la contemplation desimmensits sauvages.

    On sait que pour Heidegger, avec Descartes, commence l'accomplissement de la mtaphysiqueoccidentale

    Trouvant son origine dans l'uvre de Spinoza, considr comme l'adversaire par excellence de lapense cartsienne et comme le promoteur d'une conception moniste du monde, cette sagessecologique pose que la ralisation de soi (selj-realizatioll) passe par un processusd'autocomprhension fond sur un dialogue avec la nature, dialogue permettant l'homme dedcouvrir sa propre nature et de donner un sens sa vie. Elle implique l'abandon du principe de non-contradiction au profit d'un nouveau modle cognitif, de type mythopotique , grce auquell'individu peut transcender son moi et faire l'exprience de l'union des contraires (coillcidelltiaoppositorum) en s'identifiant la nature considre comme un grand tre vivant. L' cosophiesemble par l ressusciter l'idal de la vita COll templativa, non sans chapper, malheureusement, destendances caractristiques de la confusion du New Age, voire un irnisme quelque peu naf.

    contre les comportements d'extrmisme cologique qui sacrifient l'homme la nature que contre les

    comportements d'imprialisme scientifique qui prtendent sauver l'humanit par la science seule22.L'enjeu de ce dbat est en tout cas essentiel, puisqu'il s'agit de savoir si les problmes soulevs parl'cologie ne sont finalement qu'une question technique que le capitalisme libral pourra rgler sansavoir se remettre en question, ou s'ils impliquent terme un autre choix de socit, c'est--dire unetransformation profonde de l'organisation sociale et du mode de vie qui dominent aujourd'hui.

    Pour le libertarien Alain Laurent, l'cologisme doit tre considr comme une religion no-animistefonde sur la sacralisation de la nature et le retour au culte archaque de la Terre, mre et desse , enmme temps d'ailleurs que comme l'inspiratrice consensuelle du communisme post-moderne quicherche se mettre en place .

    Mme apprciation chez Haroun Tazieff, qui parle de sentiments nopaens d'adoration de la nature,voit dans l'Appel de Heidelberg un appel au bon sens cartsien, rationnel, trs antipaen, et sedclare lui-mme pour Descartes, contre Heidegger.

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    Toute cosmogonie tant aussi une ontophanie, une manifestation plnire de l'tre, en mme tempsquune palingnsie,

    a thse de la responsabilit du christianisme dans la dvastation de la nature par la technoscienceoccidentale a notamment t soutenue dans un clbre article publi en 1967 par Lynn White Jr.Affirmant que ,da victoire remporte par le christianisme sur le paganisme a constitu la plus grandervolution mentale de notre histoire culturelle , celui-ci crivait: Le christianisme a hrit du

    judasme, non seulement la conception d'un temps linaire, qui ne se rpte pas, mais galement unimpressionnant rcit de la cration du monde. [ ... ] Dieu a conu tout cela explicitement au bnficede l'homme et pour lui permettre de faire rgner sa loi: il n'est rien dans le monde physique rsultantde la cration qui ait d'autre raison d'existence que de servir les fins humaines. [ ... ] Le christianisme,surtout sous sa forme occidentale, est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait jamaisconnue. [ ... ]

    Le monothisme a dtruit les dieux locaux, nous n'entendons plus les desses rire parmi les sources,ni ne voyons les gnies paratre dans les frondaisons; Dieu a vid le monde, le grand Pan, dit-on, est

    mort ! .centralit de l'homme par rapport la nature a surtout t marque dans le catholicisme latin, alors queles chrtients celtiques et l'glise orthodoxe ont au contraire insist sur la participation de la nature au

    plan de rdemption.

    D'un autre ct, cependant, la suppression des formes institutionnelles propres au catholicismefavorise le rtablissement d'un lien direct entre l'homme et Dieu, o la nature, et non plus l'glise, joueun rle de mdiatrice privilgie. Paradoxalement, note Jean Viard, le vieux panthisme et la religionrforme se rejoignent ici48. Cette tendance est particulirement marque dans le courant luthrien,et plus encore dans le pitisme, n en Alsace au XVe sicle, qui manifeste, ct d'un individualismecertain, un sentimentalisme qui va, dans un premier temps, se porter vers l'amour de la nature en

    tant qu'uvre de Dieu, puis faire de cet amour de la nature le contenu mme du sentiment religieux49Le pitisme devait exercer une forte influence sur le romantisme allemand (et sans doute aussi surRousseau), l'amour de la nature prenant alors la forme d'une sorte de pit ordonne la nature(Naturfrolllmigkeit), voire de religiosit du monde. L'amour de la nature prend diverses formes,crit Novalis dans Les disciples Sas []

    Quant au pape Jean-Paul Il, il a trs classiquement interprt le pillage de la Terre comme un excs depou voir de la part de l'homme: L'homme se substitue Dieu et finit par provoquer la rvolte de lanature plus tyrannise que gouverne par lui . Cette conversion des glises l'cologie ne permetcependant pas d'vacuer la problmatique voque par Lynn White Jr. Ds le XIXe sicle, un

    philosophe comme Feuerbach dnonait dj dans le dogme chrtien de la cration la rduction de"tout ce qui est au rle de simple matriau conu en vue de satisfaire la seule utilit humaine,

    L'existence d'un lien entre l'cologie et la religion parat donc bien assur, mais il est peru demanires diffrentes. Tandis que certains cologistes mettent en cause la responsabilit chrtiennedans l'avnement d'une attitude de matrise et de domination excessive de la nature, d'autres souhaitentau contraire voir apparatre un nouveau sentiment religieux de la nature, la dfense de l'environnementdevenant alors un devoir sacr qui va de pair avec la redcouverte d'une dimension detranscendance s'imposant l'action humaine. La religion peut donc tre pose la fois comme causede la dgradation du rapport entre l'homme et la nature et comme la source possible d'une restaurationde ce mme rapport. On voit, en d'autres termes, se tlescoper deux protestations diffrentes, dcrites

    par Danile Hervieu-Lger comme une protestation cologique contre une tradition religieuseanthropocentrique d'une part; une protestation spirituelle et / ou religieuse contre la scularit contrenature du monde moderne, d'autre part58. La contradiction n'est bien sr qu'apparente, car il ne s'agittout simplement pas de la mme religion.

  • 8/2/2019 Alain de Benoist - Demain La Dcroissance - Extraits

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    resacralisation de la nature

    Michel Serres : Oui, me voici vraiment paen, je l'avoue, polythiste, paysan fils de paysan, marinfils de marinier [ ... ] Je crois, je crois surtout, je crois essentiellement que le monde est Dieu, que lanature est Dieu, cascade blanche et rire des mers, que le ciel variable est Dieu soi-mme ... .

    une nomythologie non rgressive

    Quant au paganisme dont les cologistes se voient crdits par certains de leurs adversaires, il n'estluimme pas dnu d'quivoques. On ne redira jamais assez, par exemple, que l'ancien paganismeindo-europen ne s'est jamais ramen une simple religion de la nature (il ne peut tre pens horsde la nature, mais il ne se rduit pas un pur naturalisme) et que, de surcrot, le culte de la Terre-Mreappartient une autre tradition que la sielme (tradition tellurique, chtonienne, qu'il a dans une largemesure supplante).

    Il n'est certes pas exagr d'y voir la rsurgence, sous des formes renouveles, de certaines faonsprchrtiennes de voir le monde, mais se borner interprter l'cologisme contemporain comme unsimple nopaganisme reviendrait commettre un double contresens, et sur ce que fut le paganismeeuropen et sur ce qu'est l'cologie contemporaine. Entre l'un et l'autre, il y a une parent certaine, nonune complte identit. Ce qu'il faut en revanche remarquer, c'est qu'en se scularisant, ledsenchantement du monde s'est retourn contre la tradition religieuse qui l'avait initialement rendu

    possible. L'athisme moderne est le fruit paradoxal d'une religion qui a proclam l'omnipotence de laraison, ce qui a conduit Marcel Gauchet dcrire le christianisme comme la religion de la sortie de lareligion. C'est ce que constate aussi Danile Hervieu-Lger quand elle crit: Le judasme et lechristianisme ont certes puissamment paul le processus de "dsenchantement" du monde, qui aouvert la voie la fois la mise en valeur de la nature, et son exploitation illimite. Mais l'avance

    de la rationalisation qui correspond ce processus de "dsenchantement" a galement produit lerefoulement de l'emprise de la religion sur les consciences et sur les socits .

    Elle annonce un mouvement vers plus de responsabilit des citoyens, plus de dmocratie participative,plus de solidarit communautaire,

    Giovanni Filoralllo, "Mtamorphoses d'Herms. Le sacr sotrique de lcologie profonde ,

    Le bien-tre de la vie non humaine sur Terre a une valeur en elle-mme. Cette valeur estindpendante de toute utilit instrumentale pour des objectifs humains limits ,

    Aucune reprsentation de la nature ne saurait, de ce point de vue, chapper une certaine centralit

    humaine, puisque ce sont toujours des hommes qui faonnent ces reprsentations. La moinsanthropocentrique des thories, en tant qu'elle est une thorie, aura toujours l'homme pour auteur.

    L' erreur naturaliste (naturalistic fallacy) a t de longue date critique par G.E. Moore22. Elleconsiste transformer un jugement de valeur en jugement de fait ou, l'inverse, un jugement de fait en

    jugement de valeur. Dire que la nature est bonne ne nous renseignerait pas sur la nature, maisrvlerait seulement l'opinion que nous nous faisons d'elle.

    Heidegger, lui aussi, critique l'humanisme abstrait et la rduction de la nature l'tat d'objetintgralement appropriable et, en ce sens, il procde une dconstruction de l'anthropocentrismemoderne, fond sur la mtaphysique de la subjectivit et le dchanement technicien. Il montre que cethumanisme, qui commence vritablement avec Platon, ne dtermine et ne conoit l'humanit qu'auregard d'une interprtation du monde qui transforme la nature en objet, interprtation de l'tant quiinterdit toute interrogation sur son fondement. En mme temps, il dnonce aussi la volont de

  • 8/2/2019 Alain de Benoist - Demain La Dcroissance - Extraits

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    puissance comme volont de volont, c'est--dire comme non-vrit. Il souligne que la menace quel'homme fait peser sur la Terre est toujours menace de l'tre par l'tant -qu'elle est menace, commel'crit Jean Beaufret, en ce que, dans l'horizon de la technique, rien ne s'offre plus titre d'tant quecomme ce qui est somm d'avoir fournir de quoi alimenter, de la part de l'homme, une dominationcroissante sur l'tant, autrement dit: somm de fournir l'homme, en tant qu'il se pavane dans la figuredu seigneur de la Terre, de quoi pousser toujours plus loin son imperium obissant ! . Mais en mmetemps, Heidegger se garde bien de retirer l'homme ce qui le fonde en propre. Il lui donne au contraireune dignit encore jamais vue. Seul en effet l'homme habite le monde: les autres entits naturelles secontentent d'y exister. Et de mme, seul l'homme meurt, c'est--dire est capable de la mort en tant quemort: les autres vivants prissent. L'homme habite le monde par son btir (bauen), et par ce btir, iltablit l'espace qui libre un monde comme ordonnancement et plnitude. L'homme est le seul tantqui puisse dployer son essence de manire constituer la clairire" et le Dasein de l'tre, le seultant qui n'existe qu'en se pro-jetant vers ses possibilits d'tre, le seul qui tire sa dignit de ce qu'il estappel par l'tre la garde de sa vrit. L'homme se dfinit ainsi comme le berger de l'tre , celuiqui porte tmoignage sur le sens des choses en tablissant un monde. Et son langage est la maisondont l'essence se dploie dans ce rapport hermneutique d'aprs lequel il est en garde de la vrit del'tre. La notion de monde ne s'entend alors, bien entendu, qu' partir de la question du Dasein, et

    cette question reste toujours incluse dans la question plus fondamentale encore du sens de l'tre. Quant la nature, la merveilleusement omniprsente (wunderbar Allgegenwiirtige) dont parlait Holderlin,elle n'est pas un domaine particulier de l'tant, mais bien cette croissance (phusis) qui clt toujours enfaisant retour dans la provenance, la fois repos et mouvement, rassemblement dans la prsence etouverture pour la vrit. Les mortels, crit Heidegger, habitent alors qu'ils sauvent la Terre pour

    prendre le mot" sauver" dans son sens ancien que Lessing a encore connu. Sauver (retten) n'est passeulement arracher un danger, c'est proprement librer une chose, la laisser revenir son tre propre.Sauver la Terre est plus qu'en tirer profit, plus forte raison que l'puiser. Qui sauve la Terre ne s'enrend pas matre, il ne fait pas d'elle sa sujette. Heidegger dpasse donc compltement la question desdroits de la biosphre et des devoirs de l'homme. Il appelle restaurer, librer la nature dans sadignit originelle et, du mme mouvement, pose l'homme comme celui par qui la vrit de l'tre peuttre saisie en vue d'un nouveau commencement. L'homme habite la Terre potiquement. Terre et Ciel,

    hommes et dieux, se rpondent les uns et les autres, pris dans un mme rapport de co-appartenance: leQuadriparti (Ceviert). Dans la libration de la Terre, dans l'accueil du Ciel, dans l'attente des divins,dans la conduite des mortels, l'habitation se rvle comme le mnagement quadruple du Quadriparti .L'image jngerienne de la lutte des Titans et des Dieux est en accord profond avec cette

    problmatique. De l'treinte des Titans, qui dvastent la Terre et menacent l'humanit de l'homme,seuls les Dieux peuvent encore sauver.