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CAS CLINIQUE Figure 1. IRM cérébrale en coupes axiales. Sur les séquences de diffusion (A1, A2) : hypersignaux punctiformes en restriction de diffusion des pédoncules cérébelleux droit et gauche (flèches) que l’on retrouve en FLAIR (B1, B2) en association avec des lésions de microangiopathie. Après injection de gadolinium (C1, C2), mise en évidence de 2 prises de contraste punctiformes dans le vermis cérébelleux (correspondant aux zones de nécroses) et d’une prise de contraste méningée frontale. A1 A2 B1 C1 B2 C2 La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 5 - mai 2011 | 177 Mots-clés Cryptococcose – Méningo-encéphalite – Déficits neurologiques – Immunodépression Keywords Cryptococcosis – Meningoencephalitis – Neurologic manifestations – Immunocompromised host Cryptococcose cérébro-méningée à présentation pseudo-vasculaire Stroke-like presentation of cryptococcal meningoencephalitis M. Poli*, P. Renou*, A. Vital**, I. Sibon* * Unité neuro-vasculaire, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux. ** Laboratoire d’anatomopathologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux. L e cryptocoque est une levure encapsulée saprophyte du sol dont la principale espèce pathogène pour l’homme est Cryptococcus neoformans (C. neoformans). Cette famille comporte 3 variétés et 4 sérotypes : C. neoformans (sérotype A), var. gattii (sérotypes B et C) et var. neoformans (sérotype D). La contamination se fait par inhalation du champignon qui se loge au niveau pulmonaire, entraînant la formation d’un nodule lymphoïde asymptomatique chez les sujets immunocompé- tents. La dissémination hématogène, responsable des formes symptomatiques, est limitée par l’intervention de l’immunité à médiation cellulaire et des lymphocytes T CD4 (1). L’émergence du virus du sida a contribué à l’augmentation de l’incidence de la maladie (2). D’autres affections responsables d’une altération de l’immunité à médiation cellulaire peuvent contribuer à la survenue de cette infection rare, aux présentations cliniques hétérogènes et au pronostic désastreux en l’absence de prise en charge thérapeutique précoce (3). Nous rapportons un cas de méningo-encéphalite à cryptocoques avec présentation pseudo- vasculaire chez un patient non infecté par le VIH. Observation Un homme âgé de 65 ans est admis en neurologie pour la prise en charge d’un syndrome cérébelleux et d’une hémiparésie gauche d’apparition brutale. Dans ses antécédents, on note une hyper- tension artérielle, une dyslipidémie, une BPCO post-tabagique avec polyglobulie secondaire, un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes traité depuis 6 mois par corticothérapie (1 mg/kg) responsable d’un diabète cortico-induit. L’histoire de la maladie avait débuté 3 mois auparavant par la survenue brutale d’une ataxie à la marche, spontanément résolutive en quelques

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CAS CLINIQUE

Figure 1. IRM cérébrale en coupes axiales. Sur les séquences de diffusion (A1, A2) : hypersignaux punctiformes en restriction de diffusion des pédoncules cérébelleux droit et gauche (flèches) que l’on retrouve en FLAIR (B1, B2) en association avec des lésions de microangiopathie. Après injection de gadolinium (C1, C2), mise en évidence de 2 prises de contraste punctiformes dans le vermis cérébelleux (correspondant aux zones de nécroses) et d’une prise de contraste méningée frontale.

A1 A2

B1

C1

B2

C2

La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 5 - mai 2011 | 177

Mots-clésCryptococcose – Méningo-encéphalite – Déficits neurologiques – Immunodépression

KeywordsCryptococcosis – Meningoencephalitis – Neurologic manifestations – Immunocompromised host

Cryptococcose cérébro-méningée à présentation pseudo-vasculaireStroke-like presentation of cryptococcal meningoencephalit is

M. Poli*, P. Renou*, A. Vital**, I. Sibon*

* Unité neuro-vasculaire, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux.

** Laboratoire d’anatomopathologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux.

L e cryptocoque est une levure encapsulée saprophyte du sol dont la principale espèce pathogène pour l’homme est Cryptococcus neoformans (C. neoformans). Cette famille

comporte 3 variétés et 4 sérotypes : C. neoformans (sérotype A), var. gattii (sérotypes B et C) et var. neoformans (sérotype D). La contamination se fait par inhalation du champignon qui se loge au niveau pulmonaire, entraînant la formation d’un nodule lymphoïde asymptomatique chez les sujets immunocompé-tents. La dissémination hématogène, responsable des formes symptomatiques, est limitée par l’intervention de l’immunité à médiation cellulaire et des lymphocytes T CD4 (1). L’émergence du virus du sida a contribué à l’augmentation de l’incidence de la maladie (2). D’autres affections responsables d’une altération de l’immunité à médiation cellulaire peuvent contribuer à la survenue de cette infection rare, aux présentations cliniques hétérogènes et au pronostic désastreux en l’absence de prise en charge thérapeutique précoce (3). Nous rapportons un cas de méningo-encéphalite à cryptocoques avec présentation pseudo-vasculaire chez un patient non infecté par le VIH.

O b s e r v a t i o n

Un homme âgé de 65 ans est admis en neurologie pour la prise en charge d’un syndrome cérébelleux et d’une hémiparésie gauche d’apparition brutale. Dans ses antécédents, on note une hyper-tension artérielle, une dyslipidémie, une BPCO post-tabagique avec polyglobulie secondaire, un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes traité depuis 6 mois par corticothérapie (1 mg/kg) responsable d’un diabète cortico-induit. L’histoire de la maladie avait débuté 3 mois auparavant par la survenue brutale d’une ataxie à la marche, spontanément résolutive en quelques

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CAS CLINIQUE

Figure 2. Anatomie-pathologie.A. Cryptocoques (flèches) dans les plexus choroïdes (× 200). B. Foyer de nécrose intracortical et contenant des cryptocoques (× 50). C. Les cryptocoques sont colorés par le bleu alcian dans ce même foyer de nécrose (× 100).

C

B

A

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heures. L’IRM encéphalique est normale. L’angio-IRM des troncs supra-aortiques (TSA) montre une athérosclérose diffuse mais non sténosante. Un traitement par aspirine est instauré dans l’hypothèse d’un accident ischémique transitoire. Environ 2 mois plus tard, l’ataxie à la marche récidive, s’accompagnant d’un syndrome cérébelleux cinétique bilatéral. La semaine suivante, une hémi parésie gauche s’installe brutalement, associée à des troubles de la vigilance. L’examen général retrouve uniquement des lésions croûteuses des 2 membres supérieurs. L’IRM encéphalique révèle des lésions multiples sus- et sous-tentorielles (putamen gauche et droit, insula droit, lobes temporal et frontal droits, hémisphère cérébelleux droit et vermis) apparaissant en hypersignal FLAIR et restriction de diffusion, évoquant des lésions ischémiques récentes. Une prise de contraste méningée modérée et évocatrice d’une méningite est notée (figure 1). L’angio-IRM des TSA est stable. L’échographie cardiaque transœsophagienne est normale. Le bilan biologique est sans particularité, ne retrouvant ni syndrome inflam-matoire, ni troubles de l’hémostase. Les sérologies VIH, maladie de Lyme, syphilis et la recherche de bacille de Koch sont négatives. Seule la recherche d’antigènes solubles cryptocoques dans le sérum est positive à 1/800. L’immunophénotypage lymphocy-taire montre une diminution du taux de CD4 à 104/mm3. Le bilan auto-immun et les marqueurs tumoraux sont négatifs. La ponction lombaire identifie une méningite lymphocytaire (48 éléments/mm3, 98 % de lymphocytes), une hyperprotéinorachie à 4,93 g/l et une hypo glycorachie. La recherche d’antigènes solubles cryptococ-ciques est positive à 1/2 048 et la culture sur milieu de Sabouraud isole des colonies de Cryptococcus spp. L’examen à l’encre de Chine est négatif. Le patient décède une semaine après la mise en place d’un traitement intraveineux par amphotéricine B et 5-fluoro-cytosine. L’examen anatomopathologique montre la présence d’anomalies localisées au niveau de l’encéphale, du cervelet et du tronc cérébral à type de foyers de nécrose intracorticale contenant des cryptocoques ainsi qu’une réaction cellulaire inflammatoire dans les plexus choroïdes et les lepto-méninges (figure 2). Aucune image d’infarctus ni d’inflammation de la paroi artérielle évoca-trices de vascularite n’a été retrouvée.

D i s c u s s i o n

L’expression neurologique de l’infection à C. neoformans constitue la forme la plus sévère de la maladie. Le délai entre le début des manifestations cliniques et le diagnostic de cryptococcose du système nerveux central (SNC) est extrêmement variable, allant de 7 jours à 1 an, et résulte de la diversité des présenta-tions cliniques. La méningo-encéphalite aiguë ou subaiguë chez le patient immunodéprimé par le VIH constitue le tableau classique. Toutefois, chez le patient immunocompétent ou présentant une altération de l’immunité à médiation cellulaire non liée au VIH, l’expression clinique est souvent plus progressive avec une durée d’évolution moyenne de 2 mois entre le début des symptômes et le diagnostic de cryptococcose. La méningite ou méningo-encéphalite cryptococcique associée ou non à une fongémie constituerait le mode de présentation initiale d’une crypto-coccose dans deux tiers des cas (3). La présentation clinique de

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CAS CLINIQUE

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ces méningo-encéphalites est elle-même très variable, dominée par la présence de céphalées dans 70 % des cas, fréquemment associées à un syndrome confusionnel et à une hypovigilance. Ces manifestations témoignent de l’hypertension intracrânienne qui complique fréquemment l’atteinte neuro-méningée. Les manifestations épileptiques et les déficits neurologiques focaux sont plus rarement observés. Les manifestations focales peuvent relever de différents mécanismes tels que l’existence d’un crypto-coccome, la présence de lésions nécrotiques cryptococciques − tel que cela fut le cas chez notre patient − et la survenue de lésions ischémiques tel que cela avait initialement été évoqué dans cette observation. Dans le contexte de cryptococcose, les lésions cérébro-vasculaires peuvent être la conséquence d’une vascularite (4). C. neoformans constitue cependant une cause rare d’infarctus cérébral, comparativement aux atteintes du SNC par les autres agents fungiques (4). Le diagnostic de vascularite à crypto-coque est souvent posé à partir des données histologiques post mortem. Notre observation souligne la difficulté de ce diagnostic dans la mesure où les épisodes nécrotiques répétés peuvent mimer cliniquement et radiologiquement un infarctus cérébral. Peu de manifestations systémiques peuvent orienter le diagnostic vers une cryptococcose. Une hyperthermie modérée est présente dans 60 % des cas, un foyer de pneumopathie et des lésions cutanées diffuses et peu spécifiques sont parfois présentes. L’apport de l’ima-gerie cérébrale dans le diagnostic de neuro-cryptococcose reste limité, l’IRM étant normale dans 50 % des cas (5). Les anomalies observées sont souvent aspécifiques, représentées par des signes de méningite ou une hydrocéphalie. Les cryptococcomes, qui correspondent à une forme pseudo-tumorale se traduisent par des lésions nodulaires uniques ou multiples prenant le contraste (5). La ponction lombaire peut retrouver une hypercellularité modérée, à formule mixte ou à prédominance lymphocytaire, une hyper-protéinorachie aux alentours de 1 g/l et une hypoglycorachie.

Le diagnostic de certitude repose, en urgence, sur l’examen direct à l’encre de Chine du liquide céphalo-rachidien (LCR), qui est positif dans 50 à 70 % des cas. Lorsqu’il s’agit de faux négatifs, la culture dont le délai d’incubation va de 48 heures à 3 semaines a une sensibilité et une spécificité de 100 %. La recherche d’antigène cryptococcique a une sensibilité de 92 % dans le LCR et de 97 % dans le sérum. Une fongémie est présente dans 40 à 70 % des cas selon le statut VIH. La rapidité du diagnostic conditionne le pronostic. En l’absence de traitement, l’évolution est létale. Le traitement d’attaque repose sur l’association amphotéricine B et 5-fluorocytosine pendant 15 jours suivie d’un relais par un dérivé triazolé pendant 8 à 10 semaines. L’amélioration clinique sous traitement est lente, survenant après 1 à 2 semaines de traitement et la guérison après un délai minimum de 6 semaines. Celle-ci n’est obtenue que dans 50 à 70 % des cas (1) et le taux de mortalité − malgré un traitement adapté − est d’environ 15 % (3). L’âge jeune et la présence de céphalées sont associés à un bon pronostic. Des troubles de la vigilance initiaux, une hydrocéphalie, des crises comitiales, des hémocultures positives, une lactatorachie élevée, une hypoglycorachie et un titre élevé d’antigènes cryptococciques dans le LCR constituent des facteurs péjoratifs (6).

C o n c l u s i o n

Cette observation souligne la grande variabilité de l’expression clinique de la neuro-cryptococcose. Ce diagnostic doit être évoqué devant des manifestations pseudo-vasculaires répétées et inexpli-quées, notamment chez des patients présentant une altération de l’immunité à médiation cellulaire, qu’elle survienne dans un contexte de néoplasie, de maladie chronique (diabète, insuffi-sance rénale, hépatique ou respiratoire chronique) ou lors d’une corticothérapie prolongée. ■

1. Kiertiburanakul S, Wirojtananugoon S, Pracharktam P et al. Cryptococcosis in human immunodeficiency virus-negative patients. Int J Infect Dis 2006;10(1):72-8.2. Mirza SA, Phelan M, Rimland D et al. The changing epide-miology of cryptococcosis: an update from population-based active surveillance in 2 large metropolitan areas, 1992-2000. Clin Infect Dis 2003;36(6):789-94.

3. Pappas PG, Perfect JR, Cloud GA et al. Cryptococcosis in human immunodeficiency virus-negative patients in the era of effective azole therapy. Clin Infect Dis 2001;33(5):690-9.4. Leite AG, Vidal JE, Bonasser Filho F et al. Cerebral infarc-tion related to cryptococcal meningitis in an HIV-infected patient: case report and literature review. Braz J Infect Dis 2004;8(2):175-9.

5. Bretaudeau K, Eloy O, Richer A et al. Cryptococcose neuroméningée chez un sujet en apparence immuno-compétent. Revue Neurologique (Paris) 2006;162(2): 233-7.6. Lu CH, Chang WN, Chang HW et al. The prognostic factors of cryptococcal meningitis in HIV-negative patients. J Hosp Infect 1999;42(4):313-20.

Références bibliographiques

Crédit photo couverture : © Thomas Launois

Les articles publiés dans La Lettre du Neurologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.© février 1997 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-MarneUn Supplément intitulé “Le matin de La Lettre, JNLF” (20 pages) est routé avec ce numéro.