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DÉCRIRE LES GESTES PROFESSIONNELS POUR COMPRENDRE DES PRATIQUES EFFICIENTES Françoise Morel , Dominique Bucheton , Brigitte Carayon , Hélène Faucanié , Sandrine Laux Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2015/1 n° 188 | pages 65 à 77 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200929626 DOI 10.3917/lfa.188.0065 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2015-1-page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Armand Colin | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Armand Colin | Téléchargé le 22/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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DÉCRIRE LES GESTES PROFESSIONNELS POUR COMPRENDRE DESPRATIQUES EFFICIENTES

Françoise Morel, Dominique Bucheton, Brigitte Carayon, Hélène Faucanié, SandrineLaux

Armand Colin | « Le français aujourd'hui »

2015/1 n° 188 | pages 65 à 77 ISSN 0184-7732ISBN 9782200929626DOI 10.3917/lfa.188.0065

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2015-1-page-65.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin.© Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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DÉCRIRE LES GESTES PROFESSIONNELSPOUR COMPRENDRE DES PRATIQUESEFFICIENTESDominique BUCHETON

Brigitte CARAYON

Hélène FAUCANIÉ

Sandrine LAUX&

Françoise MORELUniversité de MontpellierLaboratoire GRAF

On ne saurait trop se féliciter de l’importance qu’a prise le concept de gestesprofessionnels dans les discours institutionnels ou dans ceux de la formationet de la recherche en éducation. Si dans ces discours divers, la définitiondu terme gestes professionnels reste vague, elle traduit cependant une ruptureessentielle : enseigner est enfin reconnu comme un métier demandantune expertise, une culture, des savoirs professionnels, très spécifiques. Lemétier d’enseignant n’est donc pas simple affaire de charisme ou de dons.Sa mission est de contribuer à ce que s’invente la culture de demain ens’appuyant sur celle d’hier et d’aujourd’hui. Le challenge n’est pas mince.Mais c’est, en France, un métier qui est en crise. Il ne réussit en effet plus àrépondre à deux des exigences fondamentales de l’école de la République :efficience et démocratisation dans la réussite scolaire. Aux évaluations Pisade décembre 2013, la France obtient une mauvaise note et voit se confirmerla baisse de son niveau général de plusieurs points. Les écarts entre lesélèves augmentent et celui que l’on peut établir entre les scores moyens desélèves socialement défavorisés et favorisés se creuse. La presse va jusqu’àtitrer : « la France championne des inégalités scolaires »1. De tels résultats nesont pas acceptables ! La profession et tout le système éducatif français ontlieu d’interroger un métier qu’il s’agit aujourd’hui de refonder. Les travauxde recherche de ces dix dernières années montrent les directions à partirdesquelles repenser la formation qui y prépare.

La description de la pratique enseignante que nous présentons dans cetarticle (un enseignement de l’orthographe lexicale) montre que la question

1. Voir Le Monde du 3 décembre 2013.

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de l’efficience des gestes professionnels peut être interrogée et améliorée avecdes outils d’analyse précis, adaptés aux didactiques spécifiques.

Les gestes professionnels : des outils pour explorer « la boitenoire » de la classe

Refonder le métier nécessite d’aller observer de très près ce qui se passedans la co-activité maitre-élèves, ses ratés et réussites, et appelle un graind’analyse très fin, des outils, des concepts, des méthodes d’observation.C’est à ce projet qu’une équipe de Montpellier (LIRDEF et équipe ERTE)s’est attachée depuis plus de quinze ans. Les résultats de ses travaux sontconnus, ils ont été largement vulgarisés dans nombre d’articles, conférenceset ouvrages. Ils traitent notamment du modèle du « multi-agenda desgestes professionnels des enseignants » (Bucheton et Dezutter, dir., 2008 ;Bucheton, dir., 2009), du « jeu conjoint des postures des enseignants et desélèves » (Bucheton et Soulé 2009), de l’importance de « l’atelier dirigé pourgérer l’hétérogénéité des élèves » (Bucheton et Soulé ibid.), plus récemmentdes « gestes didactiques de l’accompagnement de l’écriture » (Bucheton et al.2014). Nous présenterons d’abord ici les grandes lignes de ces travaux, pointsd’appui de nouvelles recherches en cours pour aller plus précisément dansl’analyse de « l’agir didactique situé » : l’étude de l’action de l’enseignant, sesprises de décision dans des situations et contraintes précisément identifiées.

C’est une analyse de cas, l’enseignement de l’orthographe lexicale, qui nouspermettra ensuite de mettre à l’épreuve les concepts élaborés pour démêlerl’écheveau complexe de gestes, postures d’étayage, savoirs professionnels,valeurs, en regard des postures et gestes d’étude des élèves.

Le multi-agenda des gestes professionnels

Un geste professionnel 2 est un signe verbal et non verbal adressé à un ouplusieurs élèves pour susciter leur activité. Il est fait pour être compris. Ilmanifeste une intention que les élèves doivent être en mesure de comprendre.Il relève d’une culture scolaire et disciplinaire partagée.

La didactique d’une discipline concerne non seulement les objets ensei-gnés, leur usage, leur histoire, les techniques et gestes d’étude nécessairespour les construire, mais aussi l’ensemble des moyens, dispositifs, gestesprofessionnels nécessaires pour que le plus grand nombre possible d’élèvesles acquièrent.

Les gestes didactiques de l’enseignant ont pour cible les savoirs, compétenceset gestes d’étude spécifiques de la séance. Ils évoluent avec l’avancée de laleçon ou de la séquence ou de la scolarité. L’enseignant expérimenté dispose

2. Une définition plus détaillée se trouve dans : D. Bucheton, L. Brunet et A. Liria, Lesgestes professionnels des enseignants : une architecture de gestes complexes, Actes du 5ème

Colloque international « Recherche et formation : Former des enseignants professionnels, savoirset compétences », Nantes, 2005, cédérom.

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par exemple de toute une gamme de gestes didactiques précis pour fairecorriger l’orthographe d’un texte. Ils ne sont pas identiques sur un brouillonou sur un texte définitif.

Le multi-agenda de l’enseignant renvoie à cette architecture complexede l’agir de l’enseignant dans la classe. Toujours situé dans un contextespécifique, il conjugue de multiples préoccupations. Elles vont de laconstruction de savoirs, de techniques, de valeurs, à la gestion de l’autoritéet l’atmosphère générale de la classe en passant par la nécessité de susciterl’engagement des élèves, soutenir leur attention, favoriser leur parole etréflexion. S’y ajoutent la mise en œuvre des divers artefacts disponibles(livres, affiches, cahiers, etc.), la prise en compte de la neige ou du beautemps, le bruit dans la classe voisine, la disposition des tables, et le tout sansquitter la pendule des yeux ni compter tous les imprévus (Jean et Etienne2009) inhérents à la conduite même de la classe !

Tissage

Pilotage des tâches

Atmosphère Étayage Objets

de savoir,

valeurs

Donner du sens, de la pertinence

à la situation et au savoir visé

L’ethos

Créer et

maintenir

des espaces

dialogiques

Faire comprendre

Faire dire

Faire faire

Gérer les

contraintes

Espace temps

de la situation

Gestes

didactiques

Le multi-agenda

de l’enseignant

Gestes d’étude

La construction des savoirs et des compétences est la préoccupation enprincipe centrale, comme on le voit sur le schéma (cf. supra). Elle demandedes gestes didactiques très précis, adaptés au niveau d’enseignement, commeà l’hétérogénéité de la classe. Les gestes d’enseignement et d’évaluation del’écriture par exemple ne sont pas les mêmes en CP (première primaire), enCM2 (cinquième primaire), ou en Troisième (quatrième du secondaire),voire à l’université. La question de l’enseignement de la compréhension necesse de se reposer de la maternelle au lycée général ou professionnel, et

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demande des savoirs théoriques communs sur ce que c’est que comprendremais en même temps, exige la mise en œuvre de stratégies d’accompagnementtrès diverses. Ces gestes didactiques, précis et spécifiques, restent relativementpeu explorés. Ils sont souvent appris par mimétisme par les stagiaires chezleurs tuteurs et du coup sont peu interrogés. Ils sont plus ou moins efficientsselon l’atmosphère du moment ou le pilotage des tâches.

Le maintien d’une certaine atmosphère passe par une multitude de gestes,sourires, déplacements, plaisanteries, interpellations ou regards. Par la qualitéet la personnalisation des feedbacks aux élèves, l’enseignant essaie de créer etde maintenir des espaces dialogiques oraux ou silencieux, heureux ou parfoisorageux. Il a en charge le maintien non de l’ordre mais d’un climat cognitifet relationnel, d’un ethos qui autorise la singularité de la parole de l’élèvedans l’espace protégé de la classe.

Le pilotage est la bête noire du débutant. C’est pour lui un souci matérielconstant que de gérer conjointement les diverses contraintes relatives autemps : la succession des tâches prévues, le programme, les évaluations ; cellesrelatives à l’espace et au matériel : les possibilités offertes par la dispositiondes tables, affichages, le matériel pédagogique ou technologique disponible.Le pilotage demande des ajustements très variables selon le type de dispositif(travail collectif, en groupes, en atelier dirigé, par binômes, dans des classesà plusieurs niveaux).

Le tissage est une préoccupation assez peu présente chez les novices commechez les experts (4 % de leurs gestes professionnels). La métaphore renvoieà l’idée que le savoir se construit et prend sens d’abord dans le « déjà là ».Les gestes de tissage traduisent le souci chez l’enseignant de relier l’avant etl’après de la tâche, le dedans et le dehors de la classe, permettant de faire dulien avec ce qui a été appris à l’école ou ailleurs, dans les leçons ou travauxprécédents, dans l’expérience personnelle, les lectures. Ces gestes de tissagesont essentiels pour les élèves « décrocheurs », ou « suiveurs passifs » qui« font » consciencieusement les tâches sans en comprendre les finalités.

L’étayage (Bruner 1983) est une préoccupation majeure qui s’actualiseen diverses postures. L’étayage manifeste le souci de l’autre, l’empathienécessaire pour l’accompagner dans son parcours d’apprentissage. Onobserve que, pendant le déroulement de la leçon ou des tâches programmées,ce souci d’étayage oblige l’enseignant à ajuster et à réorganiser l’ensemble deses préoccupations : modifier l’exercice prévu, prendre du temps pour revenirsur une notion, focaliser l’attention sur un élément problématique du savoir,le faire repérer, nommer et en même temps maintenir l’engagement desélèves par toutes sortes de tissages, d’encouragements, parfois de menaces.

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L’ajustement dans l’action : la variation des posturesd’étayage

Postures d’étayage de l’enseignant

Une posture d’étayage de l’activité des élèves (Bucheton et Soulé 2009) estun mode d’agir spécifique pour s’ajuster, dans l’action, à la dynamique évolu-tive de l’activité des élèves face aux difficultés ou facilités des tâches proposées.Une posture reconfigure une pelote de gestes traduisant diverses préoccupa-tions conjointes : pilotage, tissage, gestes spécifiquement didactiques, gestesd’atmosphère (cf. supra). Au cours d’une même séance, l’enseignant glissed’une posture à une autre. Les élèves perçoivent les changements de posturesde l’enseignant (ton de la voix, gestes et expressions du visage, accélération ouralentissement du cours, explications ou types de questions et de feedbacks,etc.). Ils s’y ajustent en modifiant leurs propres postures d’apprentissage. Lesélèves en effet disposent de plusieurs postures pour moduler leur engagementdans les tâches. Nous les avons, elles aussi, typifiées : posture de refus, pre-mière, ludique, réflexive, scolaire, dogmatique, que nous ne développeronspas ici.

La mise en œuvre par les enseignants d’une gamme plus ou moins largede postures d’étayage est en partie consciente et choisie, en partie sous l’effetd’habitus non questionnés, ancrés dans l’histoire scolaire des acteurs, leurculture professionnelle, leurs expériences, leur conception de l’apprentissage,leurs valeurs, leur rapport au langage, à l’institution : les valeurs et logiquesprofondes qui sous-tendent leur engagement envers les élèves (Bucheton,dir., 2009). Cinq grands types de postures ont pu être identifiés :

- Une posture d’accompagnement : l’enseignant pointe les difficultés, orientevers les ressources disponibles, laisse du temps pour la réflexion et ladiscussion, évite d’évaluer en « juste », « faux » mais préfère les « peut-être », « continue d’explorer ». L’atmosphère est détendue, collaborative,le pilotage tranquille, le tissage multidirectionnel, les objets de savoir enémergence. Cette posture est la plus difficile pour les enseignants novicesdans l’impatience de tout expliquer. Ils ne supportent ni le silence des élèvesen train de penser, ni le bruit des échanges entre eux.

- Une posture de contrôle : le pilotage synchronique et serré des tâches estsous le contrôle étroit de l’enseignant qui vérifie, évalue, distribue la parole,explique les erreurs et les corrige. L’atmosphère est tendue et hiérarchique,le tissage assez faible, les savoirs sont en actes3. Ils se manifestent et sonttravaillés dans des tâches qui se succèdent sans commentaires. Les élèvessont dans le « faire » plus que dans le « penser sur ». Ils peuvent avoir toutfait sans comprendre ce qu’ils sont en train d’apprendre. Cette posture,« magistrale », souvent peu efficiente, provoque beaucoup de décrochagechez les élèves. C’est celle que certains enseignants novices privilégient.

3. Nous faisons ici référence aux « concepts en actes » de P. Pastré 1999.

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- Une posture d’apparent lâcher-prise : les élèves sont en autonomie. C’estune posture de confiance. Le maitre n’intervient pas. Les tâches sont àla portée des élèves, les gestes ou ressources pour les accomplir leur sontconnus. Un tutorat entre pairs peut aussi se mettre en place. Les savoirs, làaussi, sont souvent en actes : dans le faire (fichiers, exercices, résolution deproblèmes déjà rencontrés). Cette posture est, elle aussi, assez difficilementmise en place par les enseignants débutants.

- Une posture d’enseignement : s’il est clair que toutes les postures contri-buent à l’enseignement, nous avons réservé le terme enseignement à cesmoments précis de conceptualisation où l’enseignant nomme ou fait nom-mer les savoirs, les institutionnalise. La difficulté pour lui est de saisir lemoment opportun. Souvent bref, il demande une atmosphère très concen-trée et attentive. Le tissage prend la forme du retour sur les tâches queles élèves viennent d’accomplir. Il est essentiel : « Qu’est-ce qu’on vient decomprendre, d’apprendre ? », « Comment y est-on arrivé ? », « À quoi çava servir ? », « Quel problème a-t-on cherché à résoudre ? ». Le passage esttrès délicat, notamment en sciences ou en histoire, dès lors qu’on cherche àfaire écrire le texte du savoir après étude et discussion sur des documents ouréalisations d’expériences.

- Une posture dite du « magicien », sorte de théâtralisation des situations,le savoir sort du chapeau ! Une démonstration éblouissante de l’analysed’une phrase de Proust, un texte personnel offert : toutes ces « ficelles demétier », art de la séduction et de l’enchantement fascinent les élèves etles « capturent ». On est dans le ludique, le cadeau : des moments rares etprivilégiés qui donnent aussi du sens à l’école.

Toutes ces postures ne se valent pas, mais toutes sont nécessaires auxmoments opportuns. L’enseignant expert est celui qui sait circuler surl’ensemble d’entre elles. Il est obligé de s’ajuster, de composer avec l’activitédes élèves. Agir dans la classe avec efficience nécessite d’optimiser l’ensemblede ces postures. On n’y parvient certainement ni du premier coup ni àtous les coups ! Ces ajustements demandent une professionnalité réfléchie,la capacité à observer et entendre l’autre, à faire preuve d’empathie. Ellen’existe qu’en référence à des valeurs, à un projet didactique pour l’élève.

L’ajustement ou le jeu réciproque des postures du maitre etdes postures d’apprentissage des élèves

Les élèves eux aussi manifestent, selon les moments, des formes diversesd’engagement dans les tâches : les postures d’apprentissage (postures pre-mière, ludique, scolaire, réflexive, de refus...). Il existe entre les posturesd’étayage des enseignants et les postures d’apprentissage des élèves uneinterdépendance forte. Les jeux ne sont pas gagnés d’avance quand on entreen classe, même avec la meilleure préparation et une expérience de trenteans ! Plusieurs tendances sont repérables :

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- une relation forte entre une posture d’accompagnement de l’enseignantqui ne donne pas de réponse mais pointe le problème, fait verbaliser diversessolutions possibles entre les élèves et une posture réflexive chez les élèves ;

- de fortes corrélations entre une posture de contrôle trop prégnantevoulant tout superviser, et une posture très scolaire (faire plaisir à l’enseignant,se conformer) chez des élèves fragiles ;

- des décrochages ou carrément des refus face à une posture de contrôledominante.

Faire construire des gestes d’étude efficients pour les élèves

Rendre des élèves compétents, en calcul mental, compréhension d’unénoncé, réécriture d’un texte, etc., c’est les rendre capables pour résoudre unetâche donnée, de prendre dans l’action, une multitude de petites décisionsde manière rapide et autonome. Ce que nous nommons gestes d’étude4.Ceux-ci sont évolutifs. Ils peuvent être nécessaires à un moment de l’annéepuis se révéler contreproductifs plus tard :

1. Didactiques : ils sont la trace, en émergence, des savoirs ou techniquesenseignés.

2. Singuliers et mixtes : chaque élève construit son propre répertoire degestes, issus de son expérience, de ses rencontres, de sa culture propre.

3. Incorporés : le geste d’étude est pratique. C’est un concept en actes(Pastré 1999). Il fonctionne (bien ou mal) sans que l’élève ou l’expert nesache toujours dire comment.

Une étude de cas : ou comment une enseignante s’empared’un problème professionnel pour construire les gestesd’étude spécifiques de l’orthographe lexicale

Le dispositif étudié et son contexte

Dans une école de Béziers, tous les enseignants ont décidé de travaillerl’orthographe lexicale. Tous les élèves d’un même cycle doivent apprendre,chaque semaine de l’année, des listes communes de 25 mots établies, pourle cycle 3 de l’école primaire, à partir de listes de fréquence. Cet objectiforthographique est inscrit dans le projet d’établissement. Deux enseignantsde CM1 (quatrième primaire) optent pour des dispositifs très différents. Undes enseignants5 (la classe A) décide en début d’année de mettre en place undispositif spécifique, objet de notre analyse. La classe B servira de témoinpour mesurer l’efficience du dispositif de la classe A.

4. On pourrait aussi les nommer gestes de travail ou encore gestes d’apprentissage.5. Il s’agit d’Hélène Faucanié, formatrice à l’ÉSPÉ de Montpellier. Son expérimentation

est le fruit d’une réflexion collective engagée dans un groupe de recherche-action-formation(GRAF) d’un groupe régional AFEF.

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Dans cette classe (A), des séances dites « d’orthotactique6 » de 30 minutesont lieu une fois par semaine. Il n’y a pas de leçons spécifiques d’orthographelexicale. Les mots sont étudiés en classe. Dans l’autre classe (B), unenseignement de l’orthographe lexicale suit la progression proposée parle manuel. L’apprentissage des listes de mots est laissé au travail personnelde l’élève à la maison. En fin d’année, une évaluation bilan, comparantles résultats des deux classes, est effectuée. Cette évaluation, certes trèsqualitative, témoigne du souci réflexif des deux enseignants d’évaluer leseffets d’une pratique innovante.

L’enseignante de la classe A part du constat que les leçons de vocabulaireet orthographe lexicale, classiques, « mangent du temps » et laissent peu detraces. Elle fait l’hypothèse que l’effort fourni pour l’orthographe lexicale esttrop important lors de toute écriture et empêche la réflexion grammaticale.Son souci est de rassurer les élèves pour les empêcher de paniquer. Sa viséeest donc de faire construire aux élèves des gestes d’étude (appelés dans laclasse des « tactiques ») pour leur permettre d’apprendre de manière réflexiveles listes données et ainsi les rendre autonomes dans la rencontre de motsinconnus. Elle tente aussi de leur faire prendre conscience du capital demots qu’ils connaissent déjà.

Nous étudions ici les gestes et postures de l’enseignante A pour comprendreles raisons de son « efficience ».

Analyse

Le jeu de plusieurs postures d’étayage et gestes didactiques pouréveiller à la réflexion orthographique

Les postures d’étayage, adoptées parfois conjointement lors de la séanceobservée, conjuguent plusieurs formes : accompagnement, enseignement etcontrôle. Elles s’imbriquent ou se succèdent au service de visées didactiquestrès précises qui évoluent au cours de la séance.

La posture d’accompagnement est surtout sensible dans les quinze pre-mières minutes et se traduit par un pilotage spécifique dans le choix destâches proposées, leur ordre, leur ancrage dans une durée et des contextesdifférents.

Une première tâche est proposée : observer, se souvenir, discuter. La listede mots de la semaine est affichée et distribuée. Les élèves l’observent pendantquelques cinq minutes. Puis s’ouvre, ritualisée, la discussion collective surchaque mot. Ils doivent être classés au tableau selon trois axes :

1. On connait déjà ce mot : on justifie où, quand on l’a déjà rencontré.

6. Le terme et l’esprit de la séance est emprunté à M. Fayol, conférence : « L’apprentissage del’orthographe », colloque sciences cognitives et éducation, Collège de France, 20 novembre2012.

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2. Il présente une ou plusieurs difficultés (impossible (2), polygone (1),incessant (3) et on cherche à les résoudre par diverses « tactiques » : desrègles, mais aussi des « trucs mnémotechniques ».

3. On ne peut pas l’expliquer et il faudra l’apprendre.Lors de cette première tâche, la posture d’accompagnement domine et met

en œuvre surtout des gestes de « tissage ». Elle fait appel à la réflexivité à partirde l’expérience, du déjà là, déjà appris. L’enseignante laisse du temps auxélèves pour penser, verbaliser des stratégies qu’elle accepte, valide, reformules’il le faut (il s’agit de « gestes didactiques précis d’enseignement »). Elleles oriente sur des pistes de recherche, elle les dirige vers d’autres contextesde leur expérience scolaire ou sociale pour leur apprendre à faire tous lesliens possibles (« tissage ») (« polythéiste, on l’a vu en histoire, c’est commepolygone » ; « quadrilatère, c’est comme quatre et comme latérale – ceux quiau foot jouent sur le côté »).

Le contrat didactique pour les élèves est d’être actifs et inventifs.L’atmosphère est joyeusement métalinguistique, métacognitive mais aussiludique (les inventions mnémotechniques fusent et se partagent) : « frapper ilfaut deux P parce que quand on frappe on fait toc-toc ; serrer il faut deux Rsinon ça serre pas » ; ou encore « il faut deux mains pour bien serrer ». Lesélèves rappellent des règles déjà apprises : « brusquement, c’est un adverbeon dit brusque au féminin et on ajoute -ment ; « répéter, c’est un verbeà l’infinitif ». Les élèves sont en posture créative et réflexive. Ils jouent àobserver la langue, à s’étonner (ils découvrent soudain l’existence du Y grecavec le mot polygone dont l’enseignante explique l’origine).

Lors de cette première tâche, le but est de favoriser l’émergence et ladévolution de savoirs orthographiques en faisant, selon le cas, circuler laréflexion des élèves sur cinq domaines : i) sémantique ; ii) phonographique ;iii) syntaxique ; iv) morphologique ; v) étymologique. Il est en effet utilede faire verbaliser et réemployer de multiples fois les règles nécessaires àl’autonomie des élèves devant des mots nouveaux. Ces séances permettentde répéter chaque semaine quasiment toutes les règles d’orthographe lexicale(et bien d’autres encore) abordées jusque-là une seule fois par an, à l’occasiond’une leçon spécifique.

Vient ensuite une seconde tâche : le travail de mémorisation des motsclassés difficiles. Le mot est d’abord « photographié » par les élèves puis unefois qu’il est caché, les élèves le dessinent dans l’espace, l’épèlent et enfinl’écrivent sur l’ardoise. Trois types de mémoire sont ainsi sollicités, visuelle,auditive et kinesthésique. Le mot est enfin écrit sur l’ardoise et vérifié.Dans cette microséquence, l’enseignante est en posture de contrôle. Elle faitavancer rapidement et collectivement la classe. Les élèves sont dans l’action :faire, répéter, corriger. Cette activité permet de redonner du pouvoir auxélèves qui ne subissent plus les difficultés, mais s’entrainent à les repérer, lessérier, les contourner, les maitriser. La motivation est accrue.

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Contrôle et intégration

En fin de séance, une dictée rapide de dix mots choisis dans la liste de lasemaine précédente permet une évaluation à moyen terme des acquisitionsorthographiques. Quinze minutes, trois fois par semaine, une phrase dujour est dictée, puis discutée, reprenant certains mots pour intégrer et fixeren contexte les mots et règles appris.

Bilan

Après deux ou trois mois « d’orthotactique », ce que les élèves considèrentcomme des « difficultés » dans l’orthographe d’un mot s’amenuise. Au boutde quelques semaines, la classe ne considère plus par exemple que im- dansimportant est une difficulté, puisque la règle a été vue plusieurs fois et qu’elleest enfin fixée.

Si, chez les deux enseignants, les objets évalués sont les mêmes, lesvisées didactiques et les gestes professionnels qui les actualisent diffèrentprofondément. Les résultats obtenus aux évaluations montrent des écartsimportants en faveur de la classe A. En fin d’année, les résultats des élèvesde la classe B (classe témoin) aux tests orthographiques communs sont plusfaibles. Trois élèves de chacune des classes (un bon, un moyen, un faible auxrésultats du test) sont interrogés sur la manière dont ils s’y prennent pourapprendre les listes de mots7. Leurs gestes d’étude diffèrent profondément.Pour les élèves de la classe A, les gestes d’étude appris sont mis en place : ex :« brusquement, on voit l’adjectif brusque au féminin plus -ment » ; les classesde mots sont dans l’ensemble reconnues, notamment les verbes, toujours àl’infinitif dans les listes.

Les élèves de la classe B ont mis au point des stratégies personnelles (desgestes d’étude) souvent couteuses (« je recopie 5 fois le mot sauf s’il est trèslong parce qu’il ne tient pas sur la ligne » ; « je les enregistre sur ma tabletteet je me les dicte » etc. Elles sont parfois inopérantes « je cherche tous lesmots qui sont au singulier et tous ceux qui sont au pluriel », or, dans la liste,noms et adjectifs sont au singulier et « brusquement » n’est pas un verbe aupluriel !

Gestes professionnels, didactiques, quels savoirs et conceptionsd’arrière-plan ?

La conduite de la séance observée s’appuie sur des savoirs, des conceptionsde l’apprentissage, une expérience professionnelle et des valeurs : des« logiques d’arrière-plan » qui sous-tendent le style particulier de cetteenseignante. Toutes sont enchâssées et font l’efficience du projet didactique.Ces logiques sont :

7. Une nouvelle liste de mots à apprendre leur est proposée et on leur demande commentils s’y prennent pour l’apprendre et quels sont les mots qui leur posent problème.

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Décrire les gestes professionnels pour comprendre des pratiques efficientes

1. une conception de l’apprentissage multimodale (le corps apprenant del’élève, la place des émotions, la place de l’action, le rôle du langage) ;

2. l’influence du socioconstructivisme : l’importance des gestes sociauxd’apprentissage, la parole partagée entre élèves mais aussi l’accompagnementnécessaire de l’enseignant, qui sait utiliser le temps comme un instrumentdidactique de première importance ;

3. une maitrise affirmée du savoir enseigné, convoqué à bon escient, aumoment opportun ;

4. une culture didactique. La séance relève des apports récents desrecherches en didactique de l’orthographe, notamment les travaux de C.Brissaud et D. Cogis (2011) et ceux de M. Cellier (2008) ;

5. une pratique et une conscience des gestes professionnels mis en œuvre ;6. des valeurs : réduire les inégalités entre les élèves, ceux qui peuvent

apprendre en autonomie et/ou qui bénéficient de l’aide d’un parent et lesautres qui se retrouvent seuls.

Les limites de l’analyse

Le principe de la comparaison de pratiques sur des objets identiques, avecdes outils d’analyse suffisamment fins et le même type d’élèves permet decomprendre comment se mettent en place chez les élèves des dynamiquesd’apprentissage très différentes. Le modèle des gestes professionnels proposédans cet article permet de comprendre en partie les mécanismes de l’efficienced’une pratique. Celle-ci est générée par les choix didactiques et les gestesprofessionnels qui les actualisent.

Mais le modèle ne permet pas cependant d’expliquer les logiques profondesqui pilotent le choix des gestes et postures dans l’action. La méthode desautoconfrontations simples ou croisées permet de s’en approcher.

Conclusions

Changer les postures des enseignants pour refonder le métier

La pratique de l’enseignante A ouvre la voie vers de nouveaux gestesprofessionnels pour refonder le métier enseignant. Leur nouveauté tientpour l’essentiel au choix de privilégier les postures d’accompagnement quioffrent aux élèves des espaces et du temps de parole collaborative pour« penser, apprendre et se construire » (Chabanne et Bucheton 2002 [2012]).

Ce sont les élèves qui construisent leurs « tactiques » propres et non lemaitre qui « fait » une succession de leçons standards, construisant des« règles » qu’ils devront appliquer. L’enseignante par ses gestes didactiques,épistémologiquement très pertinents, les oriente, les met sur la piste, valideles bons choix. L’élève devient auteur du développement de ses compétences,il s’entraine à les convoquer et à les transférer dans divers contextes. Ellessont singulières, constituées de bric et de broc, de règles, de souvenirs,d’inventions partagées. Le but est qu’elles soient efficientes.

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Refonder la formation

La formation des enseignants est aujourd’hui obsolète. Refonder le métier,le faire évoluer, voire opérer des changements radicaux dans les gestes etpostures d’enseignement nécessite de la repenser profondément.

Séparer didactique et pédagogie est contre productif

Une des impasses de la formation réside dans l’émiettement des tâches deformation selon les corps de métier auxquels appartiennent les formateurs(de « terrain » ou de « l’université »), dans la séparation des questions dites de« didactique disciplinaire » de celles relevant du champ de « la pédagogie ».Ces clivages issus de l’histoire de la formation n’ont plus lieu d’être et sontcontreproductifs. Faire classe, au contraire, demande de conjuguer dansl’action, de manière chaque fois singulière, l’ensemble de ces savoirs etcompétences, pour prendre dans la dynamique de l’action partagée avec lesélèves des centaines de microdécisions, improvisées à partir d’un répertoirepersonnel de gestes professionnels préconstruits et disponibles.

Le débutant est amené à tisser lui-même l’ensemble de ces savoirs,juxtaposés, non didactisés, rencontrés brièvement en institut de formation,peu opérationnels pour un retour réflexif sur la pratique ou l’invention deréponses ajustées aux urgences de la classe. Il faut alors six ou sept ans aujeune enseignant – et parfois de belles galères – pour faire son chemin dansle métier et le comprendre.

L’agir enseignant, les gestes d’apprentissage des élèves doivent êtredécrits conjointement

L’étude présentée montre au contraire combien les préoccupations didac-tiques et pédagogiques sont indissociables dans l’action. La « boite noire »de la classe commence à être plus lisible. L’efficience de l’enseignant résulteen grande part de sa capacité à mettre en œuvre des postures d’étayageajustées, des gestes didactiques précis, réfléchis, visant la construction desavoirs et gestes d’étude (ou d’apprentissage) eux aussi précis et évolutifs.Leur étude conjointe est un nouveau chantier de recherche qui s’ouvre. Ilne peut se faire qu’avec la participation des enseignants anciens et nouveaux.Il devrait permettre de produire des outils d’analyse plus affinés, tant pourla formation que pour une refondation du métier enseignant.

Dominique BUCHETON, Brigitte CARAYON, Hélène FAUCANIÉ,Sandrine LAUX & Françoise MOREL

Références bibliographiques

• BRISSAUD, C. & COGIS, D. (2011). Comment enseigner l’orthographe aujour-d’hui ? Paris : Hatier.

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Décrire les gestes professionnels pour comprendre des pratiques efficientes

• BRUNER, J.S. (1983). Savoir faire, savoir dire. Le développement de l’enfant. Paris :Presses universitaires de France, coll. « Psychologie d’aujourd’hui ».• BUCHETON, D. (dir.) (2009). L’Agir enseignant : des gestes professionnels ajustés.Toulouse : Octarès.• BUCHETON, D. et alii (2014). Refonder l’enseignement de l’écriture. Vers desgestes professionnels plus ajustés du primaire au lycée. Paris : Retz.• BUCHETON, D. & DEZUTTER, O. (dir.) (2008). Les Gestes professionnelsdans la classe de français. Bruxelles : De Boeck.• BUCHETON, D. & SOULÉ, Y. (2009). L’Atelier dirigé d’écriture au CP, uneréponse à l’hétérogénéité des élèves. Paris : Delagrave.• CELLIER, M. (2008). Enseigner le vocabulaire à l’école. Paris : Retz.• CHABANNE, J.-C. & BUCHETON, D. (2002 [2012]). Parler et écrire pourpenser, apprendre et se construire. Paris : Presses universitaires de France.• JEAN, A. & ETIENNE, R. (2009). L’analyse des imprévus. In D. Bucheton(dir.), L’Agir enseignant : des gestes professionnels ajustés (pp. 93-104). Toulouse :Octarès.• PASTRÉ, P. (1999). La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvellesperspectives. Éducation permanente, 139, 13-35.

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