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TÉMOIGNAGES Prune Antoine, envoyée spéciale, photos Jan Zappner pour Le Monde Magazine Des milliers de femmes, victimes de viols systématiques durant la guerre, restent prisonnières de la honte. Seize ans après la fin du conflit, elles peinent toujours à faire reconnaître leur préjudice. JAN ZAPPNER POUR LE MONDE MAGAZINE 12 mars 2011 Le Monde Magazine 30 12 mars 2011 Le Monde Magazine 31 (« Que vivent les femmes » en serbe), une ONG créée en 1994 par des mili- tantes allemandes. Conçue au départ comme un centre médical d’urgence à Tuzla, « capitale des réfugiés », Vive Zene est aujourd’hui spécialisée dans l’aide aux femmes en difficulté. Ce lieu de « thérapie et de réhabilitation » pro- pose hébergement, assistance juri- dique, consultations gynécologiques ou soutien psychologique. « Dans le cas de ces femmes, ce n’est pas tant le viol que la stigmatisation qui est difficile à accep- ter, glisse Augustina Rahmanovic. Nombre de victimes ont été blâmées par leur belle-famille puis rejetées par leur mari. » Dans cette société patriarcale, le déshonneur ajoute à la douleur. En 2005, la sortie du film Sarajevo, mon amour, de Jasmila Zbanic, brisait le silence. Récompensé par un Ours d’or au Festival de Berlin, il racontait le quo- tidien d’une femme et de sa fille née d’un viol durant la guerre. Sous la pres- sion des associations de défense des femmes, le gouvernement de la Fédé- ration de Bosnie a adopté un an plus tard une loi accordant le statut de « vic- time civile » aux femmes violées, garan- tissant un soutien logistique et une pen- sion de 250 euros par mois. Celles qui ont osé remplir un dossier l’ont souvent fait en secret, pour ne pas blesser leur famille ou rendre « leur époux jaloux ». D’autres n’ont pas voulu témoigner à nouveau des violences subies. Au final, seules 1 500 femmes se sont officiel- lement identifiées et bénéficient de cette aide sociale. faisaient des promesses : “Dis-nous où se cache ton mari et tu seras libre.” Face à la honte, j’aurais préféré qu’ils me tuent. » Quinze ans plus tard, la « femme de Tuzla » n’a plus rien. Ni travail ni fa- mille. Elle ne peut vivre sans ses anxio- lytiques ni sa thérapeute, qu’elle appelle au moindre problème. Cauchemars, idées suicidaires, flash-back, elle reste persuadée qu’on veut lui « cracher au vi- sage » pour ce qu’elle a « fait ». Elle n’est pas la seule. Selon un rapport d’Am- nesty International, entre 20 000 et 30 000 femmes, principalement mu- sulmanes, auraient été violées durant la guerre en ex-Yougoslavie, entre 1992 et 1995. UN DÉSHONNEUR POUR LA FAMILLE Si le viol a été reconnu comme crime de guerre par la Cour pénale interna- tionale de La Haye, seuls treize procès pour ce chef d’accusation ont eu lieu de- puis les faits dans tout le pays. Omerta, ignorance, justice défaillante… Seize ans après les accords de Dayton qui ont mis fin aux combats, la majorité des agresseurs, souvent des voisins ou des connaissances, sont libres. Leurs vic- times, elles, restent enfermées dans la culpabilité et la honte. « Personne ne sait comment gérer la guerre et les traumatismes qu’elle en- gendre. Ni les victimes ni les soignants », explique Augustina Rahmanovic, che- veux blonds coupés au carré et regard doux. Depuis quatorze ans, elle travaille comme psychologue pour Vive Zene, E lle n’a pas de prénom. Pas de vi- sage non plus. « No photos, please ! » Assise dans une petite salle peu éclairée, sa psychologue à ses côtés, la « femme de Tuzla » sera donc une voix, enrouée par les cigarettes et les médicaments. Une voix pour racon- ter la guerre qui a éclaté en Bosnie-Her- zégovine, il y a bientôt vingt ans. En avril 1992, elle a 35 ans, travaille comme femme de chambre dans un hôtel et vit paisiblement avec sa mère près de Zvor- nik, à la frontière serbe. « Le printemps était déjà là lorsque les tchetniks [natio- nalistes serbes] sont arrivés et ont envahi notre village. » Elle s’enfuit dans les bois, au milieu des « hurlements ». A son re- tour, tout est détruit : « Notre maison avait été incendiée, il y avait des cadavres partout et… j’ai vu la tête de ma nièce dans les toilettes. » Elle s’interrompt, fouille nerveuse- ment dans son sac en plastique, allume une cigarette. « Je ne veux pas donner plus de détails. » Elle fond en larmes avant de reprendre le fil de son récit : « Déguisée en paysanne serbe, je suis par- tie en ville acheter des médicaments pour ma mère. Des soldats m’ont reconnue, m’ont emmenée de l’autre côté de la rivière Drina [en territoire ennemi], dans une maison . L’un a dit : “Regardez, je vous ai ramené une autre bialinka [musulmane, terme d’argot utilisé durant la guerre]. Ils ont commencé à rire, m’ont déshabillée, en m’insultant. » Allongée sur un som- mier en bois, elle est violée à de mul- tiples reprises et reste prisonnière du- rant plusieurs semaines. « Ils me BOSNIE LES FEMMES VIOLÉES N’ONT PAS TROUVÉ LA PAIX k Digne. Bacha Salihovic, 70 ans, a été violée avec les autres femmes de son village en 1992.

Digne. Bacha Salihovic, 70 ans, a été violée avec les ...stoprapenow.org/uploads/files/lemondemagazine_bosnie.pdfEn 2005, la sortie du film Sarajevo, mon amour, de Jasmila Zbanic,

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Page 1: Digne. Bacha Salihovic, 70 ans, a été violée avec les ...stoprapenow.org/uploads/files/lemondemagazine_bosnie.pdfEn 2005, la sortie du film Sarajevo, mon amour, de Jasmila Zbanic,

T É M O I G N A G E S

Prune Antoine, envoyée spéciale, photos Jan Zappner pour Le Monde Magazine

Des milliers de femmes, victimes de viols systématiques durant la guerre,restent prisonnières de la honte. Seize ans après la fin du conflit,

elles peinent toujours à faire reconnaître leur préjudice.

JAN ZAPPNER POUR LE MONDE MAGAZINE

12 mars 2011 Le Monde Magazine

3012 mars 2011 Le Monde Magazine

31

(« Que vivent les femmes » en serbe),une ONG créée en 1994 par des mili-tantes allemandes. Conçue au départcomme un centre médical d’urgence àTuzla, « capitale des réfugiés », ViveZene est aujourd’hui spécialisée dansl’aide aux femmes en difficulté. Ce lieude « thérapie et de réhabilitation » pro-pose hébergement, assistance juri-dique, consultations gynécologiques ousoutien psychologique. « Dans le cas deces femmes, ce n’est pas tant le viol quela stigmatisation qui est difficile à accep-ter, glisse Augustina Rahmanovic.Nombre de victimes ont été blâmées parleur belle-famille puis rejetées par leurmari. » Dans cette société patriarcale,le déshonneur ajoute à la douleur.

En 2005, la sortie du film Sarajevo,mon amour, de Jasmila Zbanic, brisaitle silence. Récompensé par un Ours d’orau Festival de Berlin, il racontait le quo-tidien d’une femme et de sa fille néed’un viol durant la guerre. Sous la pres-sion des associations de défense desfemmes, le gouvernement de la Fédé-ration de Bosnie a adopté un an plustard une loi accordant le statut de « vic-time civile » aux femmes violées, garan-tissant un soutien logistique et une pen-sion de 250 euros par mois. Celles quiont osé remplir un dossier l’ont souventfait en secret, pour ne pas blesser leurfamille ou rendre « leur époux jaloux ».D’autres n’ont pas voulu témoigner ànouveau des violences subies. Au final,seules 1 500 femmes se sont officiel-lement identifiées et bénéficientde cette aide sociale.

faisaient des promesses : “Dis-nous où secache ton mari et tu seras libre.” Face à lahonte, j’aurais préféré qu’ils me tuent. »

Quinze ans plus tard, la « femme deTuzla » n’a plus rien. Ni travail ni fa-mille. Elle ne peut vivre sans ses anxio-lytiques ni sa thérapeute, qu’elle appelleau moindre problème. Cauchemars,idées suicidaires, flash-back, elle restepersuadée qu’on veut lui «cracher au vi-sage » pour ce qu’elle a « fait ». Elle n’estpas la seule. Selon un rapport d’Am-nesty International, entre 20 000 et30 000 femmes, principalement mu-sulmanes, auraient été violées durantla guerre en ex-Yougoslavie, entre 1992et 1995.

UN DÉSHONNEUR POUR LA FAMILLE

Si le viol a été reconnu comme crimede guerre par la Cour pénale interna-tionale de La Haye, seuls treize procèspour ce chef d’accusation ont eu lieu de-puis les faits dans tout le pays. Omerta,ignorance, justice défaillante… Seizeans après les accords de Dayton qui ontmis fin aux combats, la majorité desagresseurs, souvent des voisins ou desconnaissances, sont libres. Leurs vic-times, elles, restent enfermées dans laculpabilité et la honte.

« Personne ne sait comment gérer laguerre et les traumatismes qu’elle en-gendre. Ni les victimes ni les soignants »,explique Augustina Rahmanovic, che-veux blonds coupés au carré et regarddoux. Depuis quatorze ans, elle travaillecomme psychologue pour Vive Zene,

Elle n’a pas de prénom. Pas de vi-sage non plus. « No photos,please ! » Assise dans une petite

salle peu éclairée, sa psychologue à sescôtés, la « femme de Tuzla » sera doncune voix, enrouée par les cigarettes etles médicaments. Une voix pour racon-ter la guerre qui a éclaté en Bosnie-Her-zégovine, il y a bientôt vingt ans. Enavril 1992, elle a 35 ans, travaille commefemme de chambre dans un hôtel et vitpaisiblement avec sa mère près de Zvor-nik, à la frontière serbe. « Le printempsétait déjà là lorsque les tchetniks [natio-nalistes serbes] sont arrivés et ont envahinotrevillage.» Elle s’enfuit dans les bois,au milieu des « hurlements ». A son re-tour, tout est détruit : « Notre maisonavait été incendiée, il y avait des cadavrespartout et… j’ai vu la tête de ma nièce dansles toilettes. »

Elle s’interrompt, fouille nerveuse-ment dans son sac en plastique, allumeune cigarette. « Je ne veux pas donnerplus de détails. » Elle fond en larmesavant de reprendre le fil de son récit :« Déguisée en paysanne serbe, je suis par-tie en ville acheter des médicaments pourma mère. Des soldats m’ont reconnue,m’ont emmenée de l’autre côté de la rivièreDrina [en territoire ennemi], dans unemaison . L’un a dit : “Regardez, je vous airamené une autre bialinka [musulmane,terme d’argot utilisé durant la guerre].”Ils ont commencé à rire, m’ont déshabillée,en m’insultant. » Allongée sur un som-mier en bois, elle est violée à de mul-tiples reprises et reste prisonnière du-rant plusieurs semaines. « Ils me

BOSNIELES FEMMES VIOLÉES N’ONT PAS TROUVÉ LA PAIX

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Digne. Bacha Salihovic, 70 ans, a été violée avec les autres femmesde son village en 1992.

Page 2: Digne. Bacha Salihovic, 70 ans, a été violée avec les ...stoprapenow.org/uploads/files/lemondemagazine_bosnie.pdfEn 2005, la sortie du film Sarajevo, mon amour, de Jasmila Zbanic,

B O S N I E . L E S F E M M E S V I O L É E S N ’ O N T P A S T R O U V É L A P A I X

Juriste pour l’ONG suisse Trial,Selma Korjevic s’arrache souvent lescheveux : « En République serbe de Bos-nie [l’autre entité politique constituantla Bosnie-Herzégovine], les victimes desviols n’existent officiellement pas. Lenombred’affaires restées sans suite est ef-farant, que ce soit par inefficacité, corrup-tion ou incompétence du système judi-ciaire. Ces femmes veulent mener une vienormale ; pourquoi devraient-elles affron-ter leur passé au cours de procédureslongues pour une issue incertaine ? »

A Lipije, un hameau de l’est du pays,les collines verdoyantes sont piquetéesd’habitations en ruine, une petite mos-quée domine le paysage autrefois bu-colique. Bacha Salihovic, 70 ans, jettedu bois dans le poêle et apporte des ca-fés brûlants accompagnés de chocolatallemand. « On a tout, ici. » Malgré sonrire sonore, Bacha n’oubliera jamais lesneuf jours qu’elle a passés, en 1992, audébut de la guerre, avec 450 autres ha-bitants, dans une maison du voisinage

transformée en camp de concentration.Sa joue porte la marque d’une brûlurede cigarette et son avant-bras a étéébouillanté. Elle a été torturée, battue,violée par « des jeunes qui voulaient mefaire manger mon foulard », dit-elle. Au-jourd’hui, elle en parle avec rage maissans haine. Car « Allah » lui a donné laforce de « ne jamais montrer [sa] peur ».Réfugiée, puis exilée outre-Rhin avecson mari et son fils, Bacha est revenueen 2000 à Lipije.

La maison qui servit de camp est tou-jours là. Porte verrouillée, fenêtresbéantes, elle est couverte de graffitisd’enfants. « La propriétaire vit en ville etelle ne veut pas la vendre », grommelleBacha. Devant l’entrée, une stèle enmarbre a été érigée, financée par les ha-bitants en hommage à leurs parents ouvoisins. Le nom de Bacha figure biensur le mémorial, mais elle n’a toujourspas obtenu du tribunal son statut de vic-time civile. « On me demande de prouverque j’ai été violée. Dix-neuf ans après ?

Avec quoi ? » Elle est consciente de sesdroits. « Mais je n’ai pas la force de mebattre contre l’administration de ce pays.»

Sarajevo. Les immeubles flambantneufs du gouvernement ruissellentsous une pluie battante. Dans son bu-reau, Saliha Duderija, la vice-ministredes droits de l’homme, en poste depuis2008, est lucide. « Beaucoup ne croientplus dans le système judiciaire de notrepays. Mais nous voulons rendre effec-tif le droit élémentaire à obtenir répa-ration. Des milliers de citoyennes ontété victimes. Il ne s’agit pas d’argentmais bien de reconnaissance. »

En partenariat avec le Fonds des Nations unies pour la population(Fnuap) et l’Union européenne, Dude-rija planche sur un projet de fonds d’in-demnisation, qui devrait être soumis àl’approbation du conseil des ministresau printemps. L’idée : «Simplifier la pro-cédure pour obtenir le statut de victime etoffrir un réel soutien financier et socialpour les femmes sur l’ensemble du terri-toire de Bosnie-Herzégovine. » Budget :inconnu. L’aide internationale seconcentre sur des conflits plus « ré-cents », en Irak ou en Afghanistan. Orl’argent manque cruellement, le gou-vernement bosnien n’a pas un mark (lamonnaie locale) en poche.

«La société bosniaque ne veut plus êtreotage de son passé », lance Faris Hadro-vic, le représentant du Fnuap. Certes,il y a d’autres problèmes plus urgents àrégler, comme le chômage (45,5 % de lapopulation active) ou l’émigration mas-sive. Mais la récente polémique susci-tée par le tournage du film réalisé parAngelina Jolie, une histoire d’amour in-

12 mars 2011 Le Monde Magazine

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terethnique sur fond de conflit yougo-slave, laisse supposer que les «tensions»religieuses ou ethniques sont loin d’êtrerésolues. A l’automne, l’antenne localedu Fnuap a lancé une grande campagnede sensibilisation sur le thème desfemmes victimes de viols. « Jusqu’àmaintenant, il n’y a eu aucune volonté po-litique de régler cette question. »

LES ENFANTS DE LA HONTEEt pourtant, il y a urgence. Car une

autre « bombe à retardement » minel’avenir du pays : les enfants nés de cesexactions. Au lendemain de la guerre,la communauté musulmane a émis unefatwa (avis en droit coranique) décla-rant que les femmes violées étaient desshahida, des martyres de l’islam. Consé-quence : tous les musulmans se doiventde respecter et de soutenir ces femmesdans le processus de guérison. Si lafatwa a aidé à l’intégration de ces vic-times, le sujet des enfants nés des violsreste un tabou ultime.

Selon Fadila Memisevic, historiennepour l’ONG Society for ThreatenedPeople, 30 % des femmes violées, soitenviron 7 000 d’entre elles, seraient

tombées enceintes de leurs agresseurset nombreuses sont celles qui n’ont pasavorté. « Ces bébés sont devenus des ado-lescents en âge de comprendre et la majo-rité d’entre eux ne savent rien de leur pa-ternité. »

« Je ne l’ai dit à personne mais tout lemonde sait que ma fille n’est pas de monmari. J’entends les commentaires quandj’étends mon linge. C’est pourquoi je l’aienvoyée étudier dans une autre ville. »Toute de noir vêtue, Velma (le prénoma été changé) fume nerveusement. Elleaimerait être capable de « parler publi-quement de tout ça », mais son regard sebrouille lorsqu’on lui demande de ra-conter la guerre.

A l’hiver 1992, alors âgée de 22 ans,elle est violée par un soldat croate, un« ancien camarade de classe ». En tropmauvais état physique, elle ne peutavorter. Durant sa grossesse, elle trouverefuge au centre d’accueil d’urgence del’ONG Medica Mondiale, dans l’enclave«relativement préservée» de Zenica, uneville industrielle à 60 kilomètres de Sa-rajevo. Après l’accouchement, elle dé-cide de confier l’enfant à l’adoption.Trois mois plus tard, elle se rétracte,

signe un papier officiel et reprend safille – « Elle est à moi ». Velma travaillealors dans un café puis elle rencontreson mari, «un homme merveilleux». De-puis, sa relation avec sa fille est «fusion-nelle, même si pendant longtemps je n’aipas pu la prendre dans mes bras. Dieumerci, elle me ressemble. Mais je n’aimepas ses yeux ».

Lorsque sa fille fête ses 14 ans, elledécide de lui dire la vérité : « Il valaitmieux qu’elle l’apprenne de ma bouche. »Depuis, l’adolescente qui va avoir 17 anssuit une thérapie : « Elle pense être res-ponsable de ce qui m’est arrivé. » Velman’a jamais pu avoir d’autres enfants,même si « les médecins disent que toutest normal». Elle se console en se disantqu’elle a « accompli son devoir ». Sa fillereste sa « priorité numéro 1 » et son ave-nir n’est certainement pas en Bosnie.Depuis des années, Velma se bat pourémigrer en Italie en famille. « Mais ob-tenir des visas relève de l’impossible », sedésolait-elle en décembre. Cependantl’Union européenne lève enfin les obs-tacles : l’obligation de visas pour les ci-toyens de Bosnie a depuis été levée dansles 25 pays de l’espace Schengen. ∆

Margot Wallström est la représentante spéciale de l’ONU pourles violences sexuelles dans les conflits armés. Elle a réponduà ces questions lors de sa visite en Bosnie en novembre 2010.

QUELLE EST LA SITUATION DES FEMMES VIOLÉESEN BOSNIE ?

Beaucoup ont des préjugés sur les viols perpétrésdurant le conflit en ex-Yougoslavie. Ils ne pensentpas que ces « crimes de guerre » ont été aussi cruelsque lors des guerres en Afrique, au Congo parexemple. Mais on ne compare pas la souffrance. Leviol est de plus en plus utilisé lors des combats,comme une arme peu chère et silencieuse pourrépandre la terreur. Quinze ans après, ces femmesvivent le traumatisme comme s’il s’était produit hier.Il est évident que le conflit en Bosnie appartient àl’un des chapitres les plus noirs de l’histoireeuropéenne. Nous devons tirer les conséquences denotre impuissance. C’est pourquoi l’Unioneuropéenne, tout comme l’ONU, continue des’impliquer dans le pays.

QUEL EST VOTRE OBJECTIF ?Mon poste a été créé en avril 2010 par le secrétaire

général des Nations unies. J’entends proposer auConseil de sécurité d’adopter certaines mesures afin decombattre l’impunité dont jouissent les agresseurs encas de violences sexuelles. La priorité, à mon sens, estde refuser toute amnistie pour ce type de crimes. Lesviolences sexuelles ne sont pas encore complètementreconnues en Bosnie. La société bosniaque reste plutôtmachiste. Au Rwanda, au contraire, la représentationpolitique des femmes est meilleure. En collaborationavec le Fnuap et l’OSCE (Organisation pour la sécuritéet la coopération en Europe), nous voulons encouragerles femmes de Bosnie à prendre leur place dans lasociété, leur donner une voix afin que leurs droits entant que victimes, mais aussi en tant que femmes,soient enfin respectés. La communauté internationaledoit prendre une part active dans ce processus. Le restedépend de la volonté des dirigeants politiques et descitoyens de ce pays. Propos recueillis par P. A.

»MARGOT WALLSTRÖM« COMBATTRE L’IMPUNITÉ DES AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES »

clésAVRIL 1992La Bosnie-Herzégovineproclame son indépen-dance. Les Serbes et les Croates,minoritaires,entament une guerre sanglante avecpour but l’épuration ethnique.

DÉCEMBRE1995Les accords de Dayton mettent fin à la guerre enCroatie et en Bosnie. Cette dernièreest divisée endeux entités :la Fédération de Bosnie- Herzégovine etla Républiqueserbe de Bosnie.

Unies. Les femmes de Vive Zene dans leur atelier de couture. Mère. « Velma » élève sa fille de 17 ans, née d’un viol.

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