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1 Document de mise à jour en droit pénal et procédure pénale Juin 2012 IEJ Jocelyne Leblois Happe, Professeur à l'Université de Strasbourg Magalie Nord-Wagner, Maître de conférences Hdr à l'Université de Strasbourg

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Document de mise à jour en droit pénal et procédure pénale

Juin 2012

IEJ

Jocelyne Leblois Happe, Professeur à l'Université de Strasbourg Magalie Nord-Wagner, Maître de conférences Hdr à l'Université de Strasbourg

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I) Procédure Pénale

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ACTION PUBLIQUE : DOC 1: AJ Pénal 2012 p. 152 La nature juridique du traitement en temps réel des procédures pénales (TTR) Camille Miansoni, Vice-procureur de la République, TGI de Lons-le-Saunier L'essentiel Des rapports officiels (1) aux études doctrinales les plus avisées (2), en passant par les guides et autres instructions ministérielles de politique pénale (3), le traitement en temps réel des procédures pénales s'est imposé comme une évidence rappelée ou commentée dans tout exposé sur le fonctionnement de la justice pénale en France. Mais, qu'est-ce que le traitement en temps réel ? Est-ce une procédure pénale (4), un mode d'organisation du parquet ou alors une pratique professionnelle dépourvue de toute incidence juridique sur le déroulé et la régularité de la procédure ? Comme le soulignent Benoît Bastard et Christian Mouhana, « si les ambitions et la place du TTR dans le système pénal actuel sont relativement faciles à appréhender, il reste une inconnue de taille : la définition du TTR lui-même » (5). En effet, si l'étude des déterminants sociologiques ou anthropologique qui sont à l'origine de l'émergence et de l'affirmation du TTR semble avoir largement été menée et exposée, son rapport au droit n'est pas encore clairement établi. Or, bien que le code de procédure pénale ne fasse aucune référence explicite au traitement en temps réel des procédures pénales, il paraît possible d'interroger l'articulation de certains dispositifs préconisés par ce code pour y déceler ce qui pourrait être le « fondement juridique » du TTR. Pour autant, il semble établi que le TTR s'est d'abord imposé, historiquement, comme une pratique parquetière empirique avant d'être généralisée et d'emporter des incidences réelles sur l'organisation et le fonctionnement des parquets. Le TTR comme pratique professionnelle Au sein de chaque tribunal de grande instance de France le TTR est aujourd'hui une réalité pouvant être matérialisée par un espace et des moyens dédiées. Il y est en effet possible d'identifier des locaux, des équipements - en particulier de communication - et du personnel (magistrats et greffiers) spécifiquement affectés au service du TTR. Mais avant d'être l'un des principaux vecteurs de la nouvelle organisation des parquets, le TTR est avant tout la traduction fonctionnelle d'une idée : éliminer toute césure temporelle entre la phase de l'enquête policière et l'orientation des procédures décidée par le parquet. Supprimer l'espace temporel entre l'enquête policière et la décision du parquet Dans l'expression « traitement en temps réel » il y a deux segments. Il y a d'un côté le mot « traitement », de l'autre la formule « en temps réel ». Le « traitement » c'est celui du parquet, c'est-à-dire la décision que doit prendre le magistrat du parquet, en vertu du principe de l'opportunité des poursuites, sur chaque procédure menée d'initiative ou sur instruction (du parquet) par les enquêteurs. Cette décision d'orientation des procédures peut être de plusieurs ordres. Il peut s'agir d'une décision de réorientation de l'enquête (nouvelles investigations, jonction avec une autre procédure, dessaisissement d'un service au profit d'un autre, etc.). Elle peut être aussi une décision de classement sans suite pour un motif juridique (absence d'infraction, extinction de l'action publique ou auteur de l'infraction non identifié) ou, plus rarement désormais (6), pour un motif d'opportunité (par exemple : trouble ou préjudice peu important causé par l'infraction). Enfin, la décision du parquet peut consister en l'attribution d'une réponse pénale. Celle-ci peut être une décision de poursuite devant les juridictions de jugement selon les différents modes de poursuite ou d'instruction, ou une orientation vers une alternative aux poursuites.

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Hormis l'extension des modes de poursuite et le développement des alternatives aux poursuites, la sélection et l'orientation des procédures pénales a toujours été l'une des missions essentielles du parquet (7). La différence entre le traitement avant et le traitement après la mise en oeuvre du TTR réside dans le fait que le TTR réalise la concomitance entre la clôture définitive ou partielle de l'enquête et la décision parquetière. Le terme « en temps réel » exprime, justement, cette concomitance du temps policier et du temps parquetier. Le « temps réel » évoque non pas l'idée que le temps du traitement des procédures hors TTR soit irréel, mais plutôt l'idée d'instantanéité (8) et de cette coïncidence recherchée entre l'aboutissement même temporaire de l'enquête et la décision sur la suite à donner à cette enquête. Contrairement à l'analyse développée par certains auteurs (9), le TTR n'est pas nécessairement une gestion de l'urgence (10). L'essence du TTR réside donc non pas tant dans l'urgence qui le caractériserait mais dans cette instantanéité des deux phases de l'enquête. D'ailleurs, les dossiers traités dans le cadre du TTR ne concernent pas nécessairement des faits flagrants, ni récents. Des enquêtes conduites en préliminaire, parfois depuis de longs mois, aboutissent aussi au TTR sans que ne soit caractérisée une quelconque urgence. De même, des décisions de poursuite prises par les parquetiers dans le cadre du TTR consistent souvent en des renvois devant les juridictions de jugement à des audiences fixées à plusieurs semaines, voire à plusieurs mois en fonction des délais d'audiencement de ces juridictions. Ainsi, on ne peut assimiler le TTR à de la simple gestion de l'urgence. Certes, le TTR raccourcit le délai entre la fin de l'enquête et la décision judiciaire. Quelques fois, comme dans les cas de déferrements aux fins de mise en oeuvre d'une comparution immédiate, d'une comparution par procès-verbal ou de présentation devant le juge d'instruction, il y a une certaine rapidité dans l'enchaînement des phases en raison des délais imposés par la procédure pénale. Pour autant, l'intérêt pratique du TTR réside avant tout dans le dialogue qui s'établit à cet instant précis entre les enquêteurs et le parquet. D'ailleurs, vu du côté des enquêteurs le TTR est très vraisemblablement perçu d'abord comme un système de communication avec le parquet. Du point de vue de l'efficacité de la mise en état des affaires pénale (11), ce dialogue n'est pas dénué d'intérêt pratique. Car, l'échange qui s'établit entre les enquêteurs et le parquet permet aussi au magistrat du parquet de percevoir et d'apprécier les forces et les faiblesses d'une procédure avant une éventuelle phase juridictionnelle. Naturellement, cette appréciation n'est pas toujours parfaite. Et, il arrive fréquemment que la procédure que le parquetier découvre lors de la préparation de l'audience ne soit pas l'exact reflet de la perception acquise dans le cadre du TTR. Néanmoins, l'échange professionnel qui s'établit au TTR est plutôt porteur d'efficacité, en particulier sur le plan de l'organisation des parquets. Le TTR est un outil d'organisation du parquet Avant la généralisation du TTR, le traitement des procédures par le parquet relevait, pour l'essentiel, de l'étude des dossiers transmis par les services d'enquête. La décision d'orientation sur chaque procédure était prise et formalisée par le parquetier dans les délais que lui permettait l'écoulement des flots de dossiers reçus. L'institution du TTR a induit dans les parquets de nouveaux modes de fonctionnement et d'organisation (12) en raison de deux facteurs. D'une part, les conditions d'émergence du TTR dans le système pénal impliquaient une adaptation structurelle des parquets pour répondre aux finalités assignées et implicites du nouveau dispositif. D'autre part, la force entraînante du TTR a bouleversé l'économie générale du système au point qu'il a fallu faire face au succès du dispositif. Le TTR est né de la convergence de deux facteurs : l'un d'ordre sociologique, l'autre juridique (13). Du point de vue sociologique, l'institution judiciaire devait faire face à une demande sociale de justice de plus en plus grande. Cette demande croissante de justice entraînait, en particulier au pénal, un flux corrélativement croissant de procédures auquel il fallait répondre. Parallèlement, sur le plan politique, la justice pénale était sommée d'apporter une réponse systématique et efficace à l'évolution de la délinquance et de la criminalité (14). Du point de vue juridique, d'importantes réformes législatives ont institué au cours de la

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décennie 1975-1985 de nouveaux modes de saisine des juridictions pénales. C'est le cas de la comparution par procès-verbal (15), de la comparution immédiate (16) et, surtout, de la convocation par officier de police judiciaire (COPJ) instituée par la loi du 30 décembre 1985 (17). En effet, la possibilité reconnue à l'officier de police judiciaire de notifier au prévenu une convocation en justice sur instruction du procureur de la République reposait sur un double objectif. D'une part, saisir l'occasion de la présence de la personne mise en cause dans les locaux de la police et de la gendarmerie pour lui notifier sa convocation en justice, au risque de ne pas la retrouver ultérieurement. Cette possibilité réduisait de fait les aléas de la citation par acte d'huissier et, par voie de conséquence, le nombre de décisions rendues par défaut. D'autre part, elle visait à supprimer les délais inhérents à la transmission des dossiers par courrier. Par la même occasion, on tentait de répondre à la séculaire critique sur la lenteur de la justice (18). La mise en oeuvre de ces nouveaux modes de poursuite nécessitait, de fait, une nouvelle forme de communication entre le parquet et les services d'enquête. Le téléphone, la télécopie et désormais le courrier électronique sont dès lors devenus des équipements indispensables au fonctionnement du TTR. Le succès fulgurant du TTR est attesté non seulement par sa généralisation dans tous les TGI mais aussi par la part prépondérante des convocations par officier de police judiciaire dans le nombre des saisines des juridictions correctionnelles. (19) Ce succès a abouti à la mise en place au sein de chaque parquet, en fonction de sa taille, d'une organisation adaptée. Ainsi, dans chaque parquet un service de TTR avec du personnel fixe ou tournant a été créé. Des systèmes de communication (téléphone, télécopie, messagerie électronique et bientôt visio-conférence) dédiés à ce service ont été installés. Selon l'importance de la juridiction, des sections spécialisées ou sectorisées (20) du TTR (affaires concernant le mineurs, affaires économiques et financières, affaires criminelles, etc.) ont parfois été instituées. Le service du TTR est devenu le centre névralgique du parquet. C'est le lieu de l'exercice de l'action publique et donc de la mise en oeuvre de la politique pénale. C'est aussi le lieu du suivi et du contrôle de l'action de la police judiciaire. La maîtrise de l'audiencement en dépend largement. Le TTR c'est la tour de contrôle et de pilotage de l'activité pénale du TGI. Le TTR dans les méandres du code de procédure pénale Aucune disposition du code de procédure pénale ne fait explicitement référence au TTR. On sait par ailleurs que le TTR est issu des expériences innovantes menées par certains procureurs de la République dans des grands TGI au cours des années 1990. Cependant, comment imaginer qu'un dispositif qui s'insère à ce point au coeur de la mise en oeuvre de la procédure pénale puisse échapper à l'emprise du droit ? En réalité, si la notion de traitement en temps réel des procédures pénales peut être considérée comme un objet juridiquement non identifié, ses déterminants se retrouvent dans les différentes dispositions qui encadrent la phase pré-sentencielle du procès pénal. Malgré la difficulté d'une recherche exhaustive de ces dispositions, on peut tenter de les déceler d'abord dans les principes qui fondent les décisions judiciaires du parquet puis, dans les mécanismes de suivi et de contrôle de l'enquête policière. Le TTR à travers les principes qui fondent les décisions judiciaires du parquet En examinant les principes qui régissent les décisions du parquet et principalement celles qui concernent l'orientation des procédures pénales, on peut déceler quelques fondements juridiques du TTR. Il y a d'abord les dispositions des articles 40 premier alinéa et 40-1 du code de procédure pénale. Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 40, « le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1 ». L'article 40-1, quant à lui, précise les trois types de décisions que le procureur de la République peut être amené à prendre, à savoir : l'engagement des poursuites, la mise en oeuvre d'une alternative aux poursuites et le classement sans suite. Ces textes formalisent le principe de la libre appréciation de la suite que le procureur de la République juge opportun d'apporter à une enquête policière clôturée dont l'article 19 prescrit le compte rendu immédiat à son attention (21). La combinaison de ce pouvoir d'appréciation avec le principe posé à l'article 390-1 en vertu duquel la convocation délivrée par l'officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République vaut citation à personne, associée à l'objectif d'efficacité attaché à l'institution de la COPJ, aboutit à créer une nécessité pratique de communication entre le parquet et les enquêteurs. Cette

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communication à double sens consiste : pour l'enquêteur à rendre compte, « sans délai », de l'évolution de son enquête pour respecter les prescriptions de l'article 19 et pour le procureur de la République à statuer sur la suite judiciaire qui lui paraît la plus opportune. Or, la loi ne fixe pas les conditions matérielles de cette communication entre le parquet et les enquêteurs. C'est donc la pratique qui a trouvé au gré des contingences locales, les possibilités matérielles pour assurer la continuité de cette communication. Ensuite, interviennent une série de dispositions qui confèrent au parquet un pouvoir d'initiative dans la conduite de l'enquête. C'est par exemple le cas de l'article D2 alinéa 3 du code de procédure pénale (22) qui laisse au parquet le choix du service d'enquête chargé de conduire les investigations. Cette liberté de choix du service d'enquête induit celle de dessaisir un service au profit d'un autre dans l'intérêt de l'enquête. La mise en pratique de ces options oblige à créer des contacts dont le TTR est le cadre habituel. Le procureur de la République est également prescripteur de nombreux actes dont des réquisitions de contrôle qui transitent bien souvent par le canal du TTR. Il en est ainsi des différentes réquisitions de contrôle des personnes et des lieux prévues aux articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale. Parallèlement, le TTR est devenu le cadre des demandes d'autorisation adressées par les enquêteurs au parquet. C'est le cas par exemple des demandes de prolongation des gardes à vue, de l'enquête de flagrance (23) ou d'utilisation de la force publique pour contraindre une personne à comparaître devant l'officier de police judiciaire (24). Les enquêteurs utilisent également habituellement le cadre du TTR pour solliciter du procureur de la République qu'il requiert auprès du juge des libertés et de la détention l'autorisation d'une perquisition sans assentiment ou la mise en place d'une interception de communication dans le cadre des procédures de criminalité organisée (25). Le TTR à travers les dispositifs de suivi et de contrôle des actes d'enquête Le parquet dispose d'un pouvoir général de contrôle des enquêtes judiciaires menées en flagrance ou en préliminaire (26). Ce contrôle porte à la fois sur la régularité générale de la procédure et sur les dispositifs plus spécifiques tel celui de la garde à vue. Ce contrôle s'étend jusqu'au choix de la stratégie d'enquête. Ce contrôle général s'intéresse d'abord au cadre juridique de l'enquête (27). Le procureur de la République apprécie et valide ce cadre juridique choisi par les enquêteurs. Il contrôle la pertinence des qualifications juridiques des faits retenues et les spécificités procédurales susceptibles de leur être appliquées (28). Dans le cadre de ce pouvoir général de contrôle exercé par le procureur de la République, le TTR sert aux enquêteurs comme canal de recueil des avis, de renseignements et d'instructions sur les procédures en cours. En matière de garde à vue, le TTR est le canal naturel de transmission au parquet de l'avis de placement en garde à vue prescrit par le premier alinéa de l'article 63 du code de procédure pénale (29). De même, les demandes de prolongation des mesures de garde à vue transitent par le service du TTR (30). Les échanges entre le parquet et les enquêteurs sont également très fréquents par le biais du TTR en ce qui concerne la mise en oeuvre des mécanismes des réquisitions judiciaires, des prélèvements techniques et de recours aux experts prévus aux articles 60, 60-1, 76-2, 77-1, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale. En somme, des dispositifs épars prescrivent des échanges (demandes d'autorisation, réquisitions, avis et comptes rendus obligatoires) entre le parquet et les services d'enquête au cours de la phase procédurale qui précède la décision du ministère public relative à l'orientation des procédures. La traduction opérationnelle de ces échanges donne corps à la réalité du TTR. *** Le TTR est donc, en réalité, un concept juridiquement neutre. Il constitue un système de communication dont les justifications obéissent à des objectifs juridiques et de politique pénale. Il est devenu le point de contact des entités et services extérieurs avec l'institution judiciaire. C'est au TTR qu'atterrissent généralement les signalements concernant des

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situations d'urgence. Le compte rendu téléphonique fait par les enquêteurs est la forme habituelle de ce dialogue quotidien entre le parquet et les services d'enquête. Loin de constituer le symbole d'une prise de pouvoir des enquêteurs au détriment du parquet et donc de l'autorité judiciaire (31), le TTR favorise plutôt le rapprochement des deux pôles avec une exigence de confiance réciproque. Ce rapprochement institutionnel est au quotidien largement constructif au-delà des tempéraments et des caractères des acteurs qui y participent. En effet, l'enquêteur qui rend compte au parquet de l'évolution de son enquête a un intérêt majeur : faire en sorte que le fruit de son investissement professionnel puisse déboucher sur un résultat judiciaire positif. Le parquetier, quant à lui, veut s'assurer à la fois de la régularité de la procédure et de la réalité factuelle et juridique du dossier. Le TTR est donc un lieu de convergence d'intérêts dans laquelle la finalité ultime reste la pertinence de la décision judiciaire attendue. Mots clés : ACTION PUBLIQUE * Parquet * Traitement en temps réel (TTR) * Orientation des procédures * Politique pénale (1) F. Zocchetto, Rapport d'information du Sénat relatif aux procédures accélérées de jugement en matière pénale,

2005-2006.

(2) Not. B. Bastard et C. Mouhana, L'urgence comme politique pénale ? Le traitement en temps réel des affaires

pénales, Arch. pol. crim. 2006/1, n° 28, p. 153 ; B. Brunet, L'acte de juger dans le traitement en temps réel à partir

du regard de l'anthropologue sur le service en temps direct d'une grande juridiction, Gaz. Pal. 2001, p. 2-11 ; Le

traitement en temps réel : la justice confrontée à l'urgence comme moyen habituel de résolution de la crise sociale,

Droit et société, 1998, n° 38, p. 91 ; F. Debove, La justice pénale instantanée, entre miracles et mirages, Dr. pénal

2006. Étude 19.

(3) Ministère de la Justice, Le traitement en temps réels des procédures pénales dans les TGI à deux chambres -

Mémento pratique, Paris, ministère de la Justice/Atefo Consultants, oct. 1995 ; circ. CRIM-11-3/E du 15 févr. 2011 -

Instructions générales de politique pénale ; circ. CRIM-99-11E1 du 13 oct. 1999 ; circ. du 28 oct. 1997 relative à la

mise en oeuvre des contrats locaux de sécurité.

(4) Au sens de règles spécifiques régissant la recherche et la constatation des infractions ainsi que l'identification et

la poursuite de leurs auteurs.

(5) B. Bastard et C. Mouhana, op. cit.

(6) La mise en oeuvre des alternatives aux poursuites offre désormais au ministère public une palette de réponses

judiciaires suffisamment large qui permet de réduire considérablement le recours au classement sans suite « sec ».

(7) T. Lambert, Sélection et orientation des affaires pénales, Une première approche statistique, SEPC n° 29, 1977.

(8) D'où le thème de la justice instantanée étudié par certains auteurs. F. Debove, La justice pénale instantanée,

entre miracles et mirages, Dr. pénal, préc.

(9) B. Bastard et C. Mouhana, op. cit.

(10) De l'urgence comme « condition d'une exception au droit commun ». V. M. Nord-Wagner, L'urgence en

procédure pénale, RPDP n° 9, 2006.

(11) M. Delmas-Marty, La mise en état des affaires pénales, la documentation française, 1990.

(12) Comme le note F. Debove, le TTR est une véritable « révolution culturelle », Dr. pénal. Études 19.

(13) B. Brunet, op. cit.

(14) Not., P. Robert, P. Lacousme, La crise de la justice pénale, EDP n° 14, 1973.

(15) La convocation par procès-verbal est issue de la loi du 6 août 1975 qui instaura la procédure du « rendez-vous

judiciaire ».

(16) La comparution immédiate a été instituée par la loi du 10 juin 1983 et plusieurs fois remaniée depuis.

(17) Loi n° 85-1407 du 30 déc. 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal, JO du 31

déc. 1985.

(18) Rapports Magendie : Célérité et qualité de la justice - la gestion du temps dans le procès, juin 2004 ; Célérité et

qualité de la justice devant la cour d'appel,mai 2008 ; V. aussi H. Leman, Justice, une lenteur coupable, PUF 2002.

(19) La part des COPJ dans les poursuites correctionnelles était de 57,4 % en 2001. Elle est descendue à 35,2 % en

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2008 du fait, notamment, de la mise en place de la CRPC et de l'extension du champ de l'ordonnance pénale

délictuelle (Observatoire de la justice pénale - Pôle études et évaluation - DACG - déc. 2009).

(20) La circulaire interministérielle du 28 oct. 1997 relative à la mise en oeuvre des contrats locaux de sécurité

recommandait aux procureurs de la République de « sectoriser » l'organisation de leurs parquets « de façon à mieux

adapter l'exercice de l'action publique à la réalité de la délinquance et allier ainsi la proximité dans le temps qui

résulte du traitement en temps réel des infractions, à la proximité dans l'espace ».

(21) Selon l'art. 19 : « les officiers de police judiciaire sont tenus d'informer sans délai le procureur de la République

des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire

parvenir directement l'original ainsi qu'une copie certifiée conforme des procès-verbaux qu'ils ont dressés ; les objets

saisis sont mis à sa disposition... ».

(22) Selon l'art. D2 al. 3, « le procureur de la République et le juge d'instruction ont le libre choix des formations

auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire territorialement compétents qui seront chargés de

l'exécution de leurs réquisitions ou commissions rogatoires ».

(23) C. pr. pén., art. 53 dernier al.

(24) C. pr. pén., art. 78.

(25) C. pr. pén., art. 76 et 706-95.

(26) C. pr. pén., art. 41 al. 2 et 3 et art. 12.

(27) Enquête de flagrance ou en préliminaire, recherche des causes de la mort ou de blessures, disparition

inquiétante...

(28) C'est le cas par exemple des procédures criminelles nécessitant l'enregistrement vidéo des auditions. C'est

également le cas des de criminalité organisée impliquant la possibilité de dispositifs dérogatoires au droit commun.

(29) L'art. 63 al. 1er prescrit l'information du procureur de la République de la mesure de garde à vue décidée par

l'OPJ. Cette information doit intervenir dès le début de la mesure. Et la loi ne définit pas de modalité particulière pour

cette information.

(30) L'obligation de présentation préalable du gardé à vue au magistrat avant toute prolongation de garde à vue

réaffirmée par le nouvel art. 63 c. pr. pén. issu de la loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 ne modifie pas le rôle du TTR

de la transmission des informations entre les enquêteurs et le parquet en la matière.

(31) C. Vienot, Célérité et justice pénale : l'exemple de la comparution immédiate, Arch. pol. crim., 2007/1, n° 29, p.

117.

DOC 2: AJ Pénal 2011 p. 584 De la révocabilité du rappel à la loi en particulier et des alternatives aux poursuites en général Ludovic Belfanti, Docteur en droit, magistrat Titulaire de l'action publique, le procureur de la République détient le quasi-monopole des poursuites. Grâce au principe d'opportunité des poursuites (1), il dispose d'un large pouvoir d'appréciation sur les suites à donner aux affaires qui lui sont soumises. Il opère un choix entre diverses options (2) : poursuites directes (comparution devant une juridiction de jugement) ou indirectes (instruction préparatoire), décisions de classement sans suite ou recours à la voie intermédiaire des alternatives aux poursuites (3). Ces dernières, issues de la pratique parquetière, ont été d'abord consacrées par la loi du 23 juin 1999 (4) puis renforcées par la loi du 9 mars 2004 (5) et dernièrement par celle du 5 mars 2007 (6). Elles présentent l'intérêt incontestable d'apporter dans un temps raccourci des réponses pénales à toute une série d'infractions - non définies - mais dont la gravité demeure relative. Ainsi, guidé par une volonté de concilier réponse pénale, reclassement de l'auteur, droits des victimes et gestion des flux économe de l'intervention juridictionnelle, le ministère public peut, plutôt que de classer directement des procédures qui ont généré un trouble à l'ordre public réduit ou un préjudice minime, recourir au panel des alternatives aux poursuites. Les effets de leur exécution demeuraient encore incertains jusqu'à l'arrêt du 21

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juin 2011 (7). En l'espèce, le prévenu, en litige avec son employeur, s'était présenté dans les locaux de l'inspection du travail et avait, aux dires du plaignant, contrôleur du travail en exercice, proféré des insultes et commis des violences à son égard. À la suite du dépôt de plainte, le parquet avait ordonné un rappel des obligations résultant de la loi pour le mis en cause. Par la suite, le délégué du procureur avait avisé le parquet de la notification du rappel à la loi en portant une appréciation positive sur son « impact ». Toutefois, le ministère public faisait ultérieurement citer l'intéressé devant le tribunal correctionnel. Ce dernier, tout comme la cour d'appel, considérait que l'action publique engagée par le parquet devait être déclarée irrecevable dès lors qu'un rappel à la loi avait été ordonné et exécuté. Le parquet a formé un pourvoi en cassation et propose deux moyens dont le plus pertinent consiste à soutenir que les juges du fond ont méconnu la règle pérenne de l'opportunité des poursuites aux termes de laquelle le classement sans suite ne constitue pas une décision juridictionnelle ayant autorité de la chose jugée et n'est au surplus ni irréversible ni irrévocable. Dans son arrêt de cassation du 21 juin 2011, la Chambre criminelle accueille le pourvoi. Elle énonce, au visa de l'article 41-1 du code de procédure pénale, que préalablement à sa décision sur l'action publique, le procureur de la République peut prescrire l'une des obligations prévues par ce texte, sans que l'exécution de cette obligation n'éteigne l'action publique. La Chambre criminelle apporte ainsi un éclairage utile à propos de l'éventuel effet extinctif de l'exécution des alternatives aux poursuites sur l'action publique. Tout en permettant de retenir en particulier que l'exécution du rappel à la loi n'empêche nullement l'exercice de poursuites ultérieures, elle autorise à dégager un principe général ayant vocation à concerner quasiment l'ensemble des alternatives aux poursuites (8). Le principe de révocabilité de l'exécution du rappel à la loi quant aux poursuites ultérieures L'exécution d'un rappel à la loi ordonné par le parquet ne constitue jamais une cause d'extinction de l'action publique tout comme il n'emporte pas nécessairement réalité de l'infraction ou culpabilité de son auteur. Absence d'effet extinctif du rappel à la loi En l'espèce, pour les juges du fond, l'exécution du rappel à la loi, c'est-à-dire lorsqu'il a été opéré par le procureur de la République ou par son délégué et reçu positivement par le mis en cause - qui s'inscrit alors dans une démarche d'amendement - cristallise la procédure de sorte que toute poursuite subséquente serait impossible. À défaut de précision textuelle, cette position trouve son fondement dans l'interprétation a contrario du dernier alinéa de l'article 41-1 du code de procédure pénale qui dispose qu'« en cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en oeuvre une composition pénale ou engage des poursuites ». Cette opinion peut être par ailleurs confortée par la lecture sommaire et restrictive de l'article 40-1 du code de procédure pénale qui offre, on l'a dit, trois possibilités au ministère public entre la poursuite, la mise en oeuvre d'une alternative ou le classement sans suite ab initio. Ainsi, la rencontre entre le choix procédural du parquet et l'acquiescement de l'intéressé au rappel à la loi équivaudrait, à défaut d'élément nouveau, à rendre irrecevable l'action publique et donc à considérer qu'elle est éteinte. Assimiler l'exécution du rappel à la loi à une cause d'extinction de l'action publique est-il conforme à la loi ? La réponse est nettement négative pour la Chambre criminelle qui retient exactement l'inverse : l'exécution d'un rappel à la loi n'éteint pas l'action publique (9).

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Cette analyse doit être approuvée. Elle semble s'inscrire autour de trois axes directeurs. Le premier est de constater qu'aucun texte n'exclut formellement la possibilité d'engager l'action publique en cas de respect de l'obligation imposée, au contraire de ce qui est prévu en matière de composition pénale, autre alternative aux poursuites prévue par l'article 41-2 du code de procédure pénale (10). Le deuxième est de retenir que le recours au rappel à la loi constitue pour le ministère public une simple faculté qui peut être révoquée à tout moment, sous réserve des règles applicables en matière de prescription, sans que le parquet ait à justifier sa décision d'engager les poursuites. En outre, rien n'interdit à la victime, si une alternative aux poursuites était décidée et respectée par l'auteur, le parquet restant passif, d'engager les poursuites soit par une plainte avec constitution de partie civile soit par une citation directe devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel. Le troisième axe est de remarquer que le rappel à la loi ne fait pas partie des prévisions légales de l'article 6 du code de procédure pénale (11) relatif aux causes d'extinction de l'action publique que sont la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée. En somme, l'exécution du rappel à la loi, menée sous l'égide du procureur, autorité de poursuite, ne peut jamais évincer le tribunal, autorité de jugement, seul compétent pour trancher un litige et conférer à l'acte juridictionnel qui en est issu l'autorité de chose jugée. Ces considérations permettent donc au procureur de la République, tant que la prescription de l'action publique n'est pas acquise, de poursuivre un individu qui a déjà bénéficié d'une alternative aux poursuites sans que l'on puisse lui reprocher une double poursuite. D'ailleurs, la pratique tend à soumettre au tribunal, en présence d'un réitérant, outre l'affaire pour laquelle il comparaît, les procédures antérieures ayant fait l'objet d'une alternative. Au demeurant, l'interprétation de la Chambre criminelle s'imbrique parfaitement avec les logiques développées par deux autres chambres de la Cour de cassation confrontées à l'exécution d'un rappel à loi présenté comme étant revêtu de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Ainsi, la deuxième chambre civile (12) a affirmé que le rappel à la loi « qui n'est pas un acte juridictionnel, n'a pas autorité de la chose jugée », ce qui autorise les plaignants à agir devant la juridiction de proximité en responsabilité et indemnisation sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. Dans le même ordre d'idées, la chambre sociale (13) a énoncé, à propos d'un litige relatif à un licenciement d'un salarié dont le motif avait pour fondement la notification d'un rappel à la loi pour des faits supposés de menaces sous condition, que le rappel à la loi « est dépourvu de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas par lui-même preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité ». Autrement dit, nul ne peut se prévaloir de l'exécution d'un rappel à la loi pour obtenir la condamnation de son bénéficiaire devant une juridiction civile. Absence de caractère incriminant du rappel à la loi Le caractère révocable de l'exécution du rappel à la loi sur le droit à exercer des poursuites ultérieures n'efface pas la difficulté relative à la preuve de l'existence de l'infraction et à la culpabilité de l'auteur présumé. En pratique, le rappel à la loi est opéré, la plupart du temps, par un délégué du procureur. Il consiste, dans le cadre d'un entretien solennel, à signifier à l'auteur la règle de droit, la peine prévue et les risques de sanction encourus en cas de réitération des faits (14). Cet avertissement constitue-t-il pour autant, sinon une preuve de culpabilité, du moins la preuve de l'infraction ? La lecture des articles 40-1 et 41-1 du code de procédure pénale invite à le penser. En effet, ces deux textes partent d'un pré-supposé consistant à retenir que la décision d'aiguillage de la procédure par le procureur vers l'alternative aux poursuites implique que les faits dont il a connaissance « constituent une infraction ». Ce postulat, pris à la lettre, conduirait à faire du procureur un organe omniscient entraînant une confusion dangereuse entre poursuite et jugement qui seraient ainsi détenus entre les mêmes mains.

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Cela dit, le choix entre un classement sans suite, une alternative ou une poursuite, implique nécessairement un travail de qualification des faits soumis à la sagacité du parquet. S'il considère que les faits qui lui sont soumis relèvent d'une incrimination, il ne fait rien d'autre qu'une simple estimation qui ne préjuge pas l'issue de la procédure. Ainsi, même si dans sa démarche d'orientation de la procédure vers une mesure alternative il tient pour acquis la réalité de l'infraction et, ce faisant, la culpabilité supposée du mis en cause, rien ne permet toutefois de tirer des conclusions sur leur consécration éventuelle par un tribunal. Seul ce dernier, juridiction de jugement, est en mesure de prononcer une condamnation pénale, ce qui suppose l'existence d'une déclaration de culpabilité après mise en mouvement de l'action publique. Ceci n'est que l'application du principe cardinal de la procédure pénale qui commande que toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie (15). La question probatoire est essentielle à au moins deux niveaux. Le premier concerne la saisine de la juridiction répressive à la suite de l'exécution du rappel à la loi. Le tribunal n'est lié ni par la qualification donnée à la poursuite, étant saisi in rem, ni par le consentement du prévenu à la mesure proposée. Il dispose d'une totale liberté d'appréciation des faits qui lui sont soumis et peut même prononcer la relaxe de la personne poursuivie. Le second est relatif à la saisine des juridictions civiles. On sait que les décisions de la juridiction pénale ont, au civil, autorité de la chose jugée (16) à l'égard de tous, ce qui interdit au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif. Ce principe est naturellement inapplicable au rappel à la loi qui, dépourvu de l'autorité de chose jugée, au pénal sur le civil, n'emporte pas par lui-même preuve du fait imputé à un auteur de sa culpabilité. Le juge civil peut alors apprécier souverainement les éléments de preuve qui sont produits, indépendamment du rappel à la loi qui ne constitue pour lui qu'une simple information du dossier. Les conséquences du principe de révocabilité sur les alternatives aux poursuites Le principe de révocabilité de l'exécution du rappel à la loi aux poursuites ultérieures concerne, pour la Cour de cassation, l'ensemble des alternatives aux poursuites. On ne peut manquer de s'interroger sur la portée de ce principe quant aux droits de la défense. La révocabilité concerne les alternatives aux poursuites dans leur ensemble Après avoir visé l'article 41-1 du code de procédure pénale, la Chambre criminelle énonce dans un chapeau de principe, à portée générale, « qu'il résulte de ce texte que le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, prescrire l'une des obligations prévues par ledit article, sans que l'exécution de cette obligation éteigne l'action publique ». Ainsi, pour la Haute juridiction il n'y a pas lieu d'opérer un quelconque distinguo entre le rappel à la loi et les autres alternatives aux poursuites contenues dans l'article précité, reconnaissant effet égal pour l'exécution de chacune d'elles. Aussi, l'exécution par le mis en cause de l'une des obligations du texte, décidées par le parquet, n'interdit nullement à ce dernier de déclencher subséquemment des poursuites devant une juridiction de jugement. Cette conception, aussi juste soit-elle, n'est pas mince de conséquences tant en raison de l'utilisation massive (17) des alternatives que pour les personnes impliquées, majeures ou mineures (18), lorsque l'on égraine le contenu des sept mesures figurant dans l'article en cause. Si le rappel à la loi permet à son bénéficiaire une certaine passivité (il ne fait que recevoir une information à laquelle il va le plus souvent acquiescer), il en va différemment en ce qui concerne les autres mesures qui impliquent un rôle plus actif de l'intéressé qui peut devoir bourse délier (suivi d'un stage ou d'une formation à ses frais, obligation de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements, réparation du dommage résultant des faits ou encore participation à une médiation pouvant aboutir à un accord d'indemnisation avec la victime) et, dans certains cas, être évincé de sa résidence familiale en cas, notamment, d'infraction commise contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

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Ces mesures, que l'on a appelées alternatives réparatrices (19), doivent être mises en perspective avec l'alternative punitive (20) qu'est la composition pénale prévue par l'article 41-2 du code de procédure pénale. À l'inverse des premières, la seconde dispose expressément, en cas de réalisation, de l'effet extinctif de l'action publique (21), si bien que sa validation interdit définitivement la mise en mouvement de l'action publique à l'image de la transaction pénale proposée par le maire (22). La composition pénale n'entre donc pas dans le cadre du présent arrêt ce d'autant qu'au contraire des alternatives de l'article 41-1, elle est inscrite sur le casier judiciaire (23) de l'intéressé, caractère dont sont radicalement dépourvus les premières. En outre, le recours à la composition pénale nécessite la reconnaissance de l'infraction par son auteur, ce qui n'est pas une condition sine qua non pour les alternatives classiques qui impliquent, tout au plus, l'adhésion de l'intéressé à la mesure qui lui est soumise. Ces distinctions valident du reste la solution retenue dans le présent arrêt. Rappelons toutefois qu'il a été jugé que « l'ordonnance aux fins de validation de la composition pénale rendue par le président du tribunal en application de l'article 41-2 du code de procédure pénale, sans débat contradictoire, à seule fin de réparer le dommage, l'action publique étant seulement suspendue, n'a pas autorité de chose jugée au pénal sur le civil » (24). Elle ne fait pas, non plus, échec au droit de la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel statuant sur les seuls intérêts civils (25). En pratique, le recours aux alternatives de l'article 41-1 du code de procédure pénale aboutit en principe, en cas d'irrespect, à la mise en oeuvre d'une composition pénale ou à l'enclenchement des poursuites (26). En cas de respect, le parquet opère théoriquement, dans la plupart des cas, à un classement dont l'issue a été conditionnée par la réalisation d'une mesure. Cette option procédurale évite ainsi l'écueil des classements sans suite ab initio réalisés en amont de la procédure qui nuisent immanquablement aux statistiques relatives au taux de réponse pénale, indicateur de performance de l'activité pénale des parquets. La portée de la révocabilité sur les droits des parties Si la conception de la Haute juridiction est tout à fait logique, il en va différemment de celle du parquet et de sa politique pénale. Bien que la présente affaire ne donne pas beaucoup d'informations sur les raisons qui ont présidé à la poursuite du bénéficiaire du rappel à la loi, on peut s'interroger sur sa pertinence au regard du choix procédural initial dès lors que la mesure alternative est exécutée. S'agit-il simplement d'une différence de vue entre le magistrat en charge du dossier et son chef du parquet lequel a pu considérer que la réponse était inadaptée s'agissant d'une infraction touchant à une personne chargée d'une mission de service public dans l'exercice de ses fonctions ? Au-delà de ce problème de lisibilité de l'action du ministère public et de son iniquité potentielle d'un parquet à l'autre, plusieurs observations s'imposent. En effet, le mis en cause qui adhère à une mesure alternative, dans la quasi-totalité des cas en l'absence de tout avocat, peut légitimement penser que celle-ci terminera la procédure et qu'il se trouvera quitte de ses turpitudes. Comment lui faire comprendre alors le sens d'une volte-face du parquet ? Plus largement encore, quel peut être l'intérêt pour le justiciable d'accepter une mesure qui peut aboutir tout de même à une poursuite, sans qu'il puisse se prévaloir, à l'évidence, de la règle non bis in idem, alors même qu'il a exécuté ou respecté les obligations imposées ? Ne lui fera-t-on pas alors le reproche, une fois poursuivi, d'avoir implicitement admis la réalité de l'infraction et son implication en exécutant la mesure alternative ? Si le recours à une mesure alternative rend l'action publique ultérieure pour le moins inopportune, seule une intervention législative pourrait être de nature à aligner le régime des alternatives contenues dans l'article 41-1 du code de procédure pénale (rappel à la loi, réparation du dommage, médiation, etc.) avec celle de l'article 41-2 (composition pénale) en leur reconnaissant un caractère extinctif à la condition toutefois qu'elles soient validées par un juge contrôleur (27) du respect des droits. Cette inclinaison ne permettrait-elle pas de clarifier définitivement, sinon la politique pénale des parquets, du moins les effets de l'exécution des alternatives aux poursuites dans l'esprit des justiciables qui en sont bénéficiaires dans le sens d'une sécurité juridique accrue et d'une célérité de la justice renforcée ?

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Mots clés : CHOSE JUGEE * Action publique * Mesure alternative aux poursuites * Rappel à la loi * Jugement (1) C. pr. pén., art. 40, 40-1.

(2) C. pr. pén., art. 40-1.

(3) Ou encore qualifiées en pratique de « troisième voie ».

(4) L. n° 99-515, 23 juin 1999, renforçant l'efficacité de la procédure pénale, JO 24 juin, p. 9247.

(5) L. n° 2004-204, 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO 10 mars, p.

4567.

(6) L. n° 2007-297, 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, JO 7 mars.

(7) Crim. 21 juin 2011, n° 11-80.003, D. 2011. 2379 , note F. Desprez et 2349, point de vue J.-B. Perrier ;

RSC 2011. 660, obs. J. Danet .

(8) À une exception près, v. infra.

(9) En ce sens également, Toulouse, 4 janv. 2011, Dr. pénal, juin 2011, chron. 5, obs. O. Mouysset.

(10) V. infra.

(11) En ce sens, Aix-en-Provence, ch. corr., 29 oct. 2010, JurisData 2010-029147.

(12) Civ. 2°, 7 mai 2009, Resp. civ. ass., juill. 2009, comm. 205, note S. Hocquet-Berg.

(13) Soc., 21 mai 2008, JCP G. 2008. II. 10135, note S. Detraz ; JCP S, juin 2008. 1371, note I. Beyneix.

(14) Circ., 16 mars 2004, Crim. 04-3/E5-16-03-04, relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives

aux poursuites et de recours aux délégués du procureur.

(15) C. pr. pén., art. prélim. ; Conv. EDH, art. 6 relatif au droit à un procès équitable.

(16) J.-H. Robert, L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, Proc., août 2007, Étude 19.

(17) J. Danet, Bref commentaire de l'annuaire statistique 2009-2010 en matière pénale, AJ pénal 2011. 122 .

(18) Le rappel à la loi n'est pas soumis à la majorité du mis en cause. En outre, il est fréquent pour le parquet de

recourir à l'égard des mineurs aux mesures de réparation, véritables alternatives : ord. 2 févr. 1945, art. 12-1.

(19) S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 6e éd., 2010, n° 1348 s.

(20) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit.

(21) C. pr. pén., art. 6 al. 3.

(22) C. pr. pén., art. 44-1. Le maire peut, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, proposer au

contrevenant une transaction consistant à réparer le préjudice subi par sa commune, au titre de l'un de ses biens. La

transaction acceptée doit être homologuée par le procureur de la République. En cas d'exécution des obligations dans

le délai imparti, le procureur constate l'extinction de l'action publique (c. pr. pén., art. R. 15-33-66).

(23) Sans pour autant pouvoir servir de premier terme de la récidive : V. Cass., 18 janv. 2010, n° 09-00.005, D.

2010. 327, obs. M. Léna et 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; AJ pénal 2010. 187 , note

J. Danet .

(24) C. pr. pén., art. 41-2, al. 9 ; Soc. 13 janv. 2009, n° 07-44.718, D. 2009. 709 , note I. Beyneix et J.

Rovinski et 291, obs. S. Lavric .

(25) Crim. 24 juin 2008, n° 07-87.511, D. 2008. 2146 et 2009. 44, chron. P. Chaumont et E. Degorce ; AJ

pénal 2008. 422, obs. C. Saas .

(26) C. pr. pén., art. 41-2, dernier alinéa.

(27) Y. Capdepon, Le juge du siège et l'évolution de la procédure pénale : juge ou contrôleur ?, Dr. pénal, sept.

2007, Étude 15.

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DOC 3: Dalloz actualité 22 mars 2012 Amende forfaitaire et circulation routière : les pratiques policières sur la sellette européenne CEDH, 5e sect., 8 mars 2012, Célice c. France, n° 14166/09 CEDH, 5e sect., 8 mars 2012, Cadène c. France, n° 12039/08 CEDH, 5e sect., 8 mars 2012, Josseaume c. France, n° 39243/10 O. Bachelet Résumé L'irrecevabilité d'une requête en exonération d'une amende forfaitaire, fondée sur l'absence de motivation de la réclamation, qui a pour effet de convertir le paiement de la consignation en règlement de l'amende et d'éteindre l'action publique, méconnaît le droit d'accès au juge. À la suite du « flash » de son véhicule à une vitesse supérieure à celle autorisée, le requérant reçut un avis de contravention au code de la route l'invitant à payer une amende forfaitaire de soixante-huit euros. Utilisant le « formulaire de requête en exonération », il procéda à la consignation du montant de l'amende, expliqua ne pas avoir été le conducteur du véhicule lors des faits et demanda à obtenir une copie du cliché photographique afin de pouvoir éventuellement identifier le conducteur du véhicule. Néanmoins, l'officier du ministère public déclara cette requête en exonération irrecevable au motif qu'elle n'était pas accompagnée d'une contestation explicite de l'infraction. La consignation fut alors automatiquement considérée comme le paiement de l'amende à partir duquel le ministère de l'intérieur déduisit la réalité de l'infraction et procéda au retrait d'un point sur le permis de conduire du requérant. Celui-ci saisit alors la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en invoquant une violation du droit d'accès au juge et du droit à la présomption d'innocence. À première vue, la modicité du montant de l'amende payée par le requérant pouvait laisser penser que sa requête serait déclarée irrecevable sur le fondement de l'article 35, § 3, b), de la Convention européenne des droits de l'homme (Conv. EDH), tel que modifié par le protocole n° 14, aux termes duquel une telle irrecevabilité peut désormais être décidée par la CEDH lorsque « le requérant n'a subi aucun préjudice important » (V. J.-F. Renucci et R. Toma, Saisine de la CEDH : le nouveau critère de recevabilité des requêtes individuelles, D. 2012. 123 ). Certes, ce texte aurait pu être invoqué par le gouvernement, dès lors qu'il est applicable aux requêtes non déjà déclarées recevables au jour de son entrée en vigueur – à

savoir le 1er juin 2010 –, ce qui était le cas en l'espèce. Néanmoins, cette nouvelle cause d'irrecevabilité n'aurait pu être mise en ?uvre par la Cour européenne puisque, même en l'absence d'un « préjudice important », elle ne saurait fonder le rejet d'une « affaire qui n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne » (Conv. EDH, art. 35, § 3, b), in fine) Or la méconnaissance du droit d'accès au juge constituait précisément la critique majeure formulée par le requérant à l'encontre de la France. Au-delà du caractère prétendument abusif de la requête, qui est rapidement écarté par la Cour, le gouvernement invoquait une cause d'irrecevabilité plus technique. Selon lui, le fait que le requérant n'ait ni soulevé un incident contentieux relatif à l'exécution du titre exécutoire devant la juridiction de proximité (C. pr. pén., art. 530-2) ni engagé la responsabilité de l'État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice (COJ, art. L. 141-1), devait mener la Cour à considérer qu'il n'y avait pas eu épuisement des voies de recours internes. Toutefois, les juges européens écartent cette argumentation. Ils affirment,

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tout d'abord, que le recours en responsabilité de l'État ne permet pas un examen juridictionnel du « bien-fondé de [l']accusation en matière pénale dirigée contre » le requérant et est donc impropre à remédier à la violation alléguée de l'article 6 de la Convention européenne. Ils rappellent, ensuite, avoir déjà jugé que le recours devant la juridiction de proximité ne concerne que les incidents relatifs à l'exécution du titre exécutoire et ne permet pas « de remédier au grief du requérant […], qui consistait à mettre en cause le rejet de sa demande d'exonération de l'amende forfaitaire, la validité de la motivation de la décision de l'officier du ministère public […] ainsi que l'entrave subséquente à son droit d'accès à un tribunal pour contester la réalité de l'infraction reprochée » (CEDH 21 mai 2002, Peltier c. France, n° 32872/96, D. 2002. 2968, note J.-P. Céré ). Certes, depuis lors, la Cour de cassation a affirmé que le contrevenant peut élever un incident contentieux lorsque la décision d'irrecevabilité de la réclamation est prise par le ministère public pour un autre motif que l'absence de motivation de cette réclamation ou le défaut d'accompagnement des avis correspondant à l'amende (C. pr. pén., art. 530-1 ; Cass., avis, 5 mars 2007, n° 07-00.004, Bull. crim. n° 2 ; D. 2007. 1764, note P. Bonfils et M. Giacopelli ; AJ pénal 2007. 228, obs. G. Royer ). Néanmoins, une telle voie contentieuse ne peut être empruntée que lorsque la procédure a donné lieu à une amende forfaitaire majorée, seule susceptible d'aboutir à un titre exécutoire (C. pr. pén., art. 530-2). Or, en l'espèce, il n'y a pas eu de titre exécutoire puisque, la requête en exonération ayant été déclarée irrecevable par l'officier du ministère public, la consignation acquittée par le requérant a été considérée comme valant paiement de l'amende forfaitaire (C. pr. pén., art. R. 49-18). Sur le fond, la Cour souligne que l'officier du ministère public a non seulement invoqué un motif erroné pour déclarer irrecevable la requête en exonération du requérant dès lors que le formulaire contenait bien une contestation explicite de l'infraction mais aussi excédé ses pouvoirs en ne se contentant pas d'examiner la recevabilité formelle de la requête. Or la décision d'irrecevabilité finalement prise par l'officier du ministère public a entraîné l'encaissement de la consignation équivalant au paiement de l'amende forfaitaire et, par voie de conséquence, l'extinction de l'action publique, sans qu'un « tribunal », au sens de l'article

6, § 1er, de la Convention, ait examiné le fondement de l'« accusation ». Dès lors, prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel, aux termes de laquelle, dans le cas où l'officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération contre une amende forfaitaire après paiement de la consignation et où la déclaration d'irrecevabilité a pour effet de convertir ce paiement en règlement de l'amende, l'impossibilité de saisir la juridiction de proximité d'un recours contre cette décision est incompatible avec le « droit à un recours juridictionnel effectif » (Cons. const., 29 sept. 2010, n° 2010-38-QPC, AJ pénal 2010. 555, obs. J.-P. Céré ; RSC 2011. 187, obs. B. de Lamy ), la Cour constate une violation du droit d'accès à un tribunal. En revanche, pour ce qui concerne la violation alléguée du droit à la présomption d'innocence, la Cour de Strasbourg reprend sa jurisprudence habituelle selon laquelle la subordination de la recevabilité d'une requête en exonération au paiement préalable d'une consignation d'un montant correspondant à l'amende forfaitaire n'emporte pas, en tant que telle, une violation de l'article 6 de la Convention (V. not. CEDH, décis., 29 avr. 2008, Thomas c. France, n° 14279/05, RSC 2008. 692, obs. Roets ; 30 juin 2009, Schneider c. France, n° 49852/06, D. 2009. 2771, chron. J.-F. Renucci ). Elle déclare donc cet aspect de la requête irrecevable comme manifestement mal fondé. Pourtant, l'automobiliste contraint de verser l'amende avant même d'avoir accès au juge voit nécessairement son droit à la présomption d'innocence méconnu puisqu'il doit exécuter une peine alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'une condamnation définitive. La solution dégagée sur ce point est d'autant plus critiquable que la Cour refuse d'octroyer au requérant, au titre de la satisfaction équitable, le remboursement du montant consigné de l'amende forfaitaire au motif que l'on ne saurait « spéculer sur l'issue qu'aurait eu la procédure si le requérant avait eu accès à un tribunal pour contester l'infraction qui lui était imputée ». De la sorte, les juges européens admettent donc qu'une peine puisse être exécutée par la personne mise en cause sans que celle-ci n'ait été jugée et condamnée. Il est vrai que la Cour de Strasbourg admet l'existence de présomptions de culpabilité. Mais de telles présomptions, pour respecter l'article 6, § 2, de la Convention, doivent notamment ménager les droits de la défense (V. not. CEDH 30 juin 2011, Klouvi c. France, n° 30754/03, D. 2011. 1902, obs. O. Bachelet ; RSC 2011.607, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2011. 714, obs. Roets ). Or, en l'espèce, les droits de la défense n'ont évidemment pu être respectés puisque

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le requérant n'a pas eu accès à un tribunal et n'a donc pas pu discuter de l'« accusation » portée contre lui… Quoi qu'il en soit, l'arrêt Célice c. France permet de souligner, avec deux autres arrêts rendus le même jour dans des affaires analogues (CEDH 8 mars 2012, Cadène c. France, n° 12039/08 et Josseaume c. France, n° 39243/10), la persistance de pratiques policières gravement préjudiciables aux droits des supposés contrevenants alors même qu'en 2006 le garde des Sceaux s'y opposait (Circ. CRIM 2006 - 08 E1/07-04-2006 relative à la politique pénale en matière de contrôle automatisé de la vitesse du 7 avr. 2006). Espérons que de telles pratiques appartiennent désormais au passé, à la fois dans l'intérêt des personnes mises en cause, mais aussi dans celui des officiers du ministère public dont la responsabilité pénale pourrait être engagée, dans le cas contraire, pour avoir pris « des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi » (C. pén., art. 432-1 s.). Pour aller plus loin, V. Rép. pén., v° Amende forfaitaire par J.-P. Céré. Mots clés : PENAL * Circulation et transport EUROPEEN ET INTERNATIONAL * Pénal Dalloz actualité © Editions Dalloz 2012

DOC 4 : Revue de science criminelle 2012 p. 188 Rappel à la loi, culpabilité et STIC : mise au point, suite (Crim., 6 décembre 2011, n° 11-80.419, à paraître) Jean Danet, Maître de conférences, Université de Nantes Après avoir dû rappeler que le rappel à la loi n'empêchait nullement la mise en oeuvre de poursuites (Crim., 21 juin 2011, n° 11-80.003, D. 2011. 2379 , note F. Desprez ; ibid. 2349, point de vue J.-B. Perrier ; AJ pénal 2011. 584 , note L. Belfanti ; RSC 2011. 660, obs. J. Danet ), voici que la Chambre criminelle doit apporter une précision sur ce même dispositif qui souligne, s'il en était besoin, les ambigüités de cette alternative aux poursuites et les confusions qu'elle génère. À l'issue d'une enquête ouverte sur des appels téléphoniques passés entre mars et août 2006 dont l'auteur contestait le caractère malveillant, celui-ci avait été déféré devant le procureur de la République qui lui avait rappelé les obligations résultant de la loi. Postérieurement, il avait été informé du fait que la procédure d'enquête faisait l'objet d'une inscription dans le fichier Système de traitement des infractions constatées (STIC), ce qu'il avait pu vérifier, nous dit la Cour de cassation, à la réception d'une fiche demandée par lui à la préfecture de Paris. Le mis en cause dépose alors plainte en se constituant partie civile contre la Direction générale de la police nationale, des chefs d'introduction et maintien frauduleux de données dans un système informatisé et de détournement de ces données. Le juge d'instruction rend une ordonnance de refus d'informer, au motif que les faits dénoncés ne sont pas susceptibles de recevoir une qualification pénale. Le plaignant interjette appel de la dite ordonnance. La cour d'appel confirme l'ordonnance au motif que lorsqu'une telle mesure lui paraît susceptible de mettre fin au trouble résultant de l'infraction, le procureur de la République tient des dispositions de l'article 41-1 du code de procédure pénale la faculté de subordonner les poursuites pénales contre l'auteur de l'infraction au respect des obligations de la loi qu'il lui rappelle. Il est vraisemblable que la cour d'appel a dit ou voulu dire que le procureur a la faculté de subordonner l'absence de poursuites au respect des obligations de la loi qu'il lui rappelle... Mais laissons là cette erreur de plume. En revanche, la cour de cassation relève que selon les juges du fond le rappel à la loi adressé à M. X... implique la constitution d'un délit qui autorisait les services de police à inscrire la procédure dans le fichier du STIC. La chambre criminelle ne casse pas la décision dès lors qu'elle a pu s'assurer, à partir des

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pièces produites par le demandeur lui-même, que la décision dont il a fait l'objet ne figure pas (plus ?) dans le fichier STIC. Mais elle ne manque pas de rappeler que c'est à tort que la chambre de l'instruction a énoncé que le rappel à la loi impliquait la constitution d'un délit alors que cette mesure, prise par une autorité de poursuite, n'établit pas la culpabilité de la personne suspectée ou poursuivie. Cet arrêt illustre, comme une fable, les avatars du rappel à la loi et plus généralement de certaines pratiques d'orientations des parquets pour le moins contestables. Voici un individu qui conteste l'infraction lors d'une enquête relative à des appels téléphoniques malveillants et qui, à l'évidence, a continué de les contester ce qui l'a mené à engager ensuite une plainte avec constitution de partie civile à propos des conséquences policières de ces faits de faible gravité. Il avait été déféré au parquet et, soit que le parquet n'ait pas voulu prendre en compte les contestations du mis en cause, soit qu'il ne l'ait même pas questionné sur ce point, il avait procédé à un rappel à la loi. Or, comme le rappel à la loi, au contraire de toutes les autres mesures visées à l'article 41-1 du code de procédure pénale, ne suppose aucun acte positif du mis en cause, l'abstention de l'exécution d'une mesure ne peut ici révéler la contestation implicite de la reconnaissance de l'existence d'une infraction et conduire à la reprise de poursuites. Le mis en cause qui écoute passivement le rappel à la loi reconnaît-il l'existence d'une infraction ? Nul n'en sait ni n'en saura rien, s'il choisit de n'en rien dire. Peut-être a-t-il été précisé au mis en cause, et c'était en ce cas conforme à la solution adoptée par la Chambre criminelle du 21 juin 2011 que le parquet viendrait à poursuivre les faits sur lesquels l'enquête avait porté si de nouveaux appels susceptibles d'être qualifiés de malveillants venaient à être passés par celui qu'il considère comme l'auteur. Le ministère public peut engager des poursuites après un rappel à la loi et rien n'interdit que, lors du rappel à la loi, il précise que tel évènement l'amènerait sans doute à le faire. Le rappel à la loi peut aussi s'accompagner d'emblée de la précision qu'il ne sera pas suivi de poursuites si, à tout le moins, tel comportement se modifie. Un tel dispositif peut sembler avoir bien des vertus et c'est la raison pour laquelle il a tant de succès (V. J. Danet, Bref commentaire de l'annuaire statistique 2009-2010 en matière pénale, AJ pénal 2011. 122 ). Une réponse pénale est donnée, les sacro-saints indicateurs statistiques sont remplis, il est loisible de dire au plaignant qu'on a fait quelque chose et qu'on ira même plus loin en engageant des poursuites si l'auteur réitérait. La réponse peut paraître pédagogique à l'égard de l'auteur qui déféré devant le procureur de la République ou plus souvent convoqué devant un délégué de celui-ci, s'est ainsi vu rappeler la loi et averti de ce qu'il n'est pas quitte pour autant avec la justice. Tout ceci est parfait sur le papier. Sauf si, en réalité, le désaccord est total sur l'existence de faits susceptibles de qualification pénale. Le rappel à la loi utilisé sans s'être assuré que l'auteur des faits reconnaît bien avoir commis une infraction ou qu'il accepte en tout cas que le parquet puisse analyser les faits comme une infraction sans estimer pour autant nécessaire d'engager des poursuites, débouche inéluctablement sur ce genre d'ambigüités. La sagesse voudrait, si le mis en cause conteste l'existence d'une infraction, que le parquet renonce à un rappel à la loi. Ce dernier n'a en effet aucun sens quand il est fait à un individu qui conteste toute infraction et prétend avoir respecté la loi. Mais d'un autre côté, il ne faut pas confondre l'analyse du parquet, autorité de poursuite, fût-elle partagée par le mis en cause et un jugement de condamnation. Et ici, il faut bien reconnaître que la confusion reprochée à la cour d'appel est entretenue par la rédaction même de l'article 41-1 du code de procédure pénale qui emploie le mot d'infraction sans aucune prudence. Pour éviter toute confusion, le législateur aurait pu prendre la précaution d'écrire ainsi la première phrase de l'article 41-1 : « Lorsque le procureur de la République estime que des faits sont constitutifs d'infraction pénale mais qu'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage susceptible d'avoir été causé par ces faits, de mettre fin au trouble en résultant ou de contribuer au reclassement de leur auteur, il peut, préalablement à sa décision sur l'action publique... ». La confusion de la cour d'appel peut encore s'expliquer par le souci fort légitime des juges du siège de rappeler que le parquet ne saurait utiliser le rappel à la loi pour des faits qui, à ses yeux, ne constituent pas des infractions. En définitive, il faut éviter trois dangers : user du rappel à la loi pour des faits insusceptibles de qualification pénale, user du rappel à la loi pour des faits dont l'auteur conteste la nature

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pénale, déduire d'un rappel à la loi l'existence d'une infraction. Les praticiens noteront que l'emploi du rappel à la loi alors que l'existence d'une infraction était contestée eut été très vraisemblablement évitée si le mis en cause déféré avait été assisté d'un avocat. Si le conseil constitutionnel ne voit pas de difficulté à l'absence de la défense au défèrement (V. cette Revue. 415) cela ne suffit pas à convaincre de la justesse du choix législatif. Certains parquets ont d'ailleurs des pratiques plus respectueuses des droits de la défense. Enfin, last but not least, notons que l'inscription au STIC à la suite d'une enquête et d'un rappel à la loi était légale, non pas parce que le rappel à la loi impliquait la constitution d'un délit, mais parce que le fichier est constitué des données recueillies dans les procédures établies par les personnels de la police nationale, ou par des personnels de la gendarmerie nationale, lorsqu'elles concernent des personnes à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission d'un crime, d'un délit (art. 2 du Décr. n° 2001-583 du 5 juill. 2001 modifié par le Décr. n° 2006-1258 du 14 oct. 2006). Il est donc logique que le mis en cause ait pu être informé de cette inscription après le rappel à la loi et avant que la dite inscription ne disparaisse d'ailleurs fort opportunément mais sans que ce fut nécessaire... Quelle était donc la différence du point de vue de l'inscription au STIC entre le fait d'avoir été l'objet d'un rappel à la loi et l'hypothèse où, devant le constat de ce que le mis en cause contestait les faits, le parquet aurait soit classé en raison de charges insuffisantes soit poursuivi ? Dans le premier cas l'inscription au STIC pouvait être maintenue vingt ans (art. 7 I du décr. préc.). Dans le second cas, le classement sans suite pour insuffisance de charges permettait à l'intéressé de demander la mise à jour du fichier, et la relaxe aussi (art. 3 du décr. préc.). Quelles seraient en définitive les conséquences d'un usage du rappel à la loi dans une affaire de faible gravité où la qualification pénale serait contestée ? La présomption d'innocence est ignorée, les droits de la défense neutralisés, le fichier STIC renseigné pour vingt ans. Il est décidément temps que le législateur reprenne sa copie sur une réponse pénale qui concernait 273 000 personnes en 2009 (Annuaire statistique de la justice 2011). Mots clés : ACTION PUBLIQUE * Mise en mouvement * Rappel à la loi * Délit constitué * Système de traitement des infractions constatées Revue de science criminelle © Editions Dalloz 2012

DOC 5 :

La Semaine Juridique Edition Générale n° 16, 16 Avril 2012, 470

Une justice indépendante . - De qui ? Comment ? Pour quoi ? Où sont les

réponses ?

Libres propos par François Terré

Présidentielle

En période électorale, l'indépendance de la justice est un terme récurrent, plus précisément

au sujet de l'anatomie et de la physiologie judiciaire. - La situation des personnes appelées à

rendre la justice ou à agir devant les tribunaux au nom de l'ordre public retient

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principalement l'attention des auteurs de programmes. Ceux-ci ne négligent pas d'évoquer

aussi les moyens de la justice. - Le reste, pourtant si important, demeure d'ordinaire hors de

leur discours. - La pensée unique rôde dans la mentalité des candidats. Il arrive qu'ils

esquivent l'essentiel sur les chemins des statuts et des rôles, des personnes et de l'argent, de la

politique et de l'esprit.

Sommaire

En ce temps là les magistrats étaient propriétaires de leurs offices. La vénalité de ceux-ci, pratiquée

dans les derniers siècles de l'Ancienne France pour venir en aide aux besoins financiers du

Royaume dura jusqu'à la Révolution de 1789. Les magistrats ne manquèrent pas d'user de la liberté

qui en résultait pour eux. Leurs doléances et résistances au Pouvoir royal marquèrent

particulièrement le XVIII siècle. Elles jalonnèrent la fin de l'Ancien Régime, non sans influence du

jansénisme français, favorisèrent la Révolution et entraînèrent la disparition de ces juges sans qu'il

se trouva alors personne comme devait l'observer plus tard Edgar Quinet pour les plaindre et les

regretter. Dans l'inconscient collectif, cette méfiance a laissé des traces.

Cela n'a évidemment pas empêché le rétablissement d'une organisation judiciaire distincte du

législatif et de l'exécutif. De régime en régime, celle-ci s'est maintenue, non sans fréquentes

vicissitudes, au gré des changements politiques, des épurations et des crises. Par là même, il en est

résulté une irréductible différence entre le système français et tel ou tel système de Common law,

américain par exemple, à New York dans le Bronx, notamment. Telle peut être la vertu des

scandales : ils dissuadent les ignorants de trop parler.

1. Des statuts et des rôles Dans une tradition de pensée née d'une interprétation erronée de Montesquieu, pourtant dénoncée

avec le talent et la pénétration d'esprit qu'on lui reconnaissait unanimement par Charles Eisenmann,

l'on a souvent dit et redit que l'État repose sur trois pouvoirs - l'exécutif, le législatif et le judiciaire.

Or leur distinction éclairante et fondée n'entraînait pas nécessairement la consécration d'un

traitement égalitaire.

Notre organisation judiciaire exprime pleinement la spécificité de la justice constituée, ce qui doit

être rappelé, semble t-il, à la lecture de presque tous les candidats aux prochaines élections.

Sans doute le président de la République est-il garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire

(Const., art. 64, al. 1er), mais celle-ci n'est pas, à dessein, désignée par le mot pouvoir. Elle

s'exprime au nom du peuple français, mais elle ne s'exerce aucunement par l'effet de quelque

délégation du Souverain. Et c'est bien pourquoi existe et persiste la distinction de deux catégories

de magistrats : ceux du siège, qui jugent, inamovibles et à l'abri du pouvoir politique ; ceux du

parquet, qui sont les représentants du pouvoir exécutif auprès des tribunaux et agissent pour la

défense de l'ordre public. Ils ne sont pas inamovibles et sont soumis à ce titre, s'il est bien compris,

à une dépendance de caractère hiérarchique.

Il faut le redire sans cesse, tant l'opinion, souvent trompée par les médias s'obstine à confondre

deux fonctions différentes.

Pourtant un courant d'esprit corporatif a, d'ores et déjà, entraîné un rapprochement progressif des

statuts des juges et des procureurs, dans le sens d'une extension au profit de ceux-ci, des garanties

reconnues à ceux là. Le mouvement s'est surtout focalisé sur les règles relatives à la carrière des

procureurs. C'est bien en ce sens que Nicolas Sarkozy se dit convaincu qu'il faut « aller au bout de

cette logique en demandant au Conseil supérieur de la magistrature de rendre un avis conforme

pour la nomination des magistrats du parquet ». Aller au bout ? Cela signifierait qu'on s'y trouve

déjà avec les magistrats du siège, comme si l'indépendance ne dépendait que de cela.

La même croyance inspire François Bayrou : « Rééquilibrer le Conseil supérieur de la magistrature

pour garantir son indépendance et nommer les procureurs sur avis conforme de ce conseil ». Encore

une chance, que depuis la réforme constitutionnelle réalisée par la loi du 23 juillet 2008, les

magistrats n'y soient plus majoritaires. « Je garantirai l'indépendance de la justice et de tous les

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magistrats : les règles de nomination et de déroulement de carrière seront revues à cet effet ; je

réformerai le Conseil supérieur de la magistrature » fait savoir François Hollande. Il y a dans cette

touchante convergence une vision singulièrement étriquée des choses de la justice. Mais qui donc

dans le monde de la pensée politique contribue à la confection des programmes électoraux ?!

Cette orientation des diverses propositions, affirmée généralement sans justification autre que la

référence à l'existence d'un courant déjà observé à l'occasion de précédentes réformes, heurte

l'existence d'une division fondamentale des rôles.

Aux termes de l'article 20, alinéa 1, de la Constitution de 1958, « Le Gouvernement détermine et

conduit la politique de la Nation », ce qui inclut évidemment la conduite, par le ministre de la

Justice, de « la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement » (CPP, art. 30, al.

1er). « À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action

publique » (CPP, art. 30, al. 2). C'est d'ailleurs pourquoi le renforcement des pouvoirs du parquet,

observé depuis une vingtaine d'années, suscite des critiques pleinement justifiées, exprimées

notamment au sujet des lois Perben.

Mais ce n'est pas une raison pour confondre le siège et le parquet. À l'évidence, le problème d'une

modernisation de la procédure pénale ne peut trouver de solution dans le mélange des genres et la

confusion des rôles. C'est pourquoi, au risque de déplaire, la Cour européenne des droits de

l'homme osant déranger des habitudes et des mentalités s'est permis de décider que le parquet

français ne présentait pas les garanties d'indépendance pour contrôler les mesures de garde à vue

(CEDH, gr. ch., 29 mars 2010, n° 03394/03, Medvedyev c/ France : JurisData n° 2010-003322).

C'est dire qu'un alignement des statuts heurte nécessairement la logique inhérente à l'esprit

démocratique de nos institutions. Une ignorance de la distinction sociologique des statuts et des

rôles caractérise presque toutes les propositions des candidats en matière de procédure pénale pour

les temps à venir (V. Rapport Club des juristes, Réforme des institutions, Bilan et perspectives,

mars 2012, p. 41 et s.).

2. Du prix de l'indépendance Cela surprend d'autant plus que l'indépendance de la justice dépend aussi d'autres données, souvent

bien plus importantes, à commencer par le combat contre l'insuffisance des budgets considérés.

François Hollande fait valoir que, « si le budget de la justice a augmenté depuis une dizaine

d'années, l'essentiel de l'augmentation a été consacré aux prisons ». Cela étant, on retrouve

l'antienne. Restent les résistances aux financements décents. Ceux-ci relèvent d'une volonté

générale qui dépasse les divergences politiciennes. La dépendance financière nuit autant sinon plus

à l'indépendance de la justice que bien d'autres données. Celle-ci n'est pas liée à la seule extension

de compétence du Conseil supérieur de la magistrature quant à la carrière de tous les magistrats.

Les considérations financières se révèlent probablement si importantes que, malgré des

améliorations indéniables, de quelque majorité politique qu'il s'agisse, il reste beaucoup à faire.

Cette préoccupation depuis longtemps récurrente, est rappelée à nouveau dans les divers

programmes. Aucun d'eux pourtant ne semble tenir compte de la situation économique et

budgétaire de la France. Singulier silence en un temps des plus sombres. On avance des milliards,

surtout en termes d'investissements, alors qu'un Traité signé le 2 mars 2012 par vingt-cinq pays de

l'Union européenne intitulé « Sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union

européenne et monétaire », sonne, à ce sujet, en dépit de formules adoucissantes, le glas d'une des

prérogatives régaliennes de l'État. On peut pour l'essentiel expliquer un silence, presque total des

candidats : s'il fallait introduire dans le débat une expression entre européens ouistes et nonistes,

cela dérangerait. L'expérience de Maastricht explique les comportements malgré des réserves de

François Hollande.

3. Du politique et du judiciaire L'on voit bien alors que les artifices de la programmation, par rapport au thème ici envisagé,

relèvent du rôle de l'histoire comme de la psychologie sociale des mentalités. Si l'invocation de

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l'indépendance de la justice, entendue sans guère de transition comme l'indépendance de la

magistrature - tout comme certains esprits malintentionnés vont jusqu'à dire que le ministère de la

Justice est, en réalité, le ministère des magistrats - est si prégnante, c'est parce qu'elle trouve sa

source dans une relation irréductiblement et nécessairement ambiguë entre le politique qui a, par

essence même, besoin du judiciaire, mais qui, non moins essentiellement, en a été, est - et sera -

toujours jaloux. Or, c'est d'abord et avant tout de cette relation qu'il faut en démocratie prendre

conscience. Ce retour à l'essentiel s'impose aujourd'hui d'autant plus que la normativité juridique n'a

cessé de croître. Ce sont même les dimensions du temps qui traduisent aujourd'hui la distinction des

pouvoirs en des autorités, à partir de la pensée d'Husserl : l'avenir en vue duquel la loi dispose ; le

présent, par lequel le Gouvernement agit et les médias s'expriment ; le passé, dont le juge assure le

respect. Le droit de Common law est autre. Et alors ? Là encore, silence des candidats !

Par le même regard, on retrouve un autre aspect du problème d'indépendance. La Justice, en tant

qu'institution n'est pas un Pouvoir, c'est une Autorité, désignée ainsi dans le Constitution de 1958.

Elle relève, a justement écrit Jean Foyer, d'« un pouvoir refusé » (La Justice : histoire d'un pouvoir

refusé : Pouvoirs 1981, p. 7 s.). Résumant son propos, l'auteur écrit : « De la longue histoire

judiciaire de la France, une leçon ressort, elle est la nécessité d'une suffisante adhésion des juges au

régime politique et à l'organisation sociale dont il leur appartient d'unifier l'observation des lois »

(op. cit., p. 29). Nul ne doit agir contre sa conscience, ajoute l'auteur, mais la République ne saurait,

sans renier la légitimité qu'elle tient de la volonté populaire, admettre que ses tribunaux tiennent la

volonté nationale en échec, encore moins qu'ils se transforment en agents de subversion. Le refus

du pouvoir n'a point d'autre sens ; il a en lui-même sa justification » (ibid.). Il arrive en outre que

lorsque viennent des temps de crise, un antagonisme entre le stable et le mouvant s'accentue trop

fortement. Dans l'histoire de la justice, là où des troubles d'ordre politique suffisamment importants

troublent l'ordre social, il peut être nécessaire de tenir compte de circonstances exceptionnelles,

d'état d'urgence, d'état de siège. Plutôt que d'improviser et de s'exposer aux reproches que suscite la

création de juridictions d'exception, mieux vaut prévenir ces circonstances en instaurant à titre

permanent des juridictions spécialisées appelées à remédier aux difficultés inhérentes aux temps de

crise de la justice, ce qui permet d'échapper au reproche suscité par les juridictions d'exception.

Nulle atteinte alors à l'indépendance de la justice, même s'il a pu en résulter un changement de la

composition des cours d'assises par éviction des jurés populaires exposés à des menaces d'un

nouveau type auxquelles ils n'ont pas toujours la force de résister.

4. De la division du travail Il est alors une considération plus générale tenant à la division naturelle du travail judiciaire, disons

même du travail social, au sens durkheimien de l'expression. C'est ce qui explique historiquement

l'abandon confirmé par Nicolas Sarkozy de la réforme tendant à la suppression du juge d'instruction

; c'est ce qui devrait conduire à abandonner le malencontreux mélange des genres consistant à

introduire des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels. C'est ce qui, dans le même ordre

d'idées, devrait condamner - annuler ? - un décret du 3 avril 2012 (D. n° 2012-441 : Journal

Officiel 4 Avril 2012), ouvrant grande la porte du Barreau à nombre de vaincus possibles de

l'élection présidentielle. C'est ce qui est de nature à nuire, une nouvelle fois, à la jeunesse et à

l'université. On croyait jusqu'à présent que le Conseil économique permettait à lui seul de sauver les

malheureux.

Si l'on voulait bien élever le débat, c'est aussi à l'intérieur même du corps judiciaire que la question

de l'indépendance de la justice est posée. François Bayrou préconise l'approbation de la nomination

du ministre de la Justice par une majorité qualifiée de l'Assemblée nationale. Cela marquerait un

retour aux errances de la IV République. À l'inverse, tout comme l'effacement du président de la

République comme président du CSM, l'instauration d'un Procureur général de la Nation serait la

marque d'un néocorporatisme judiciaire.

L'observation est encore plus pertinente aujourd'hui qu'il y a quatre siècles, pour diverses raisons.

Le syndicalisme qui s'est développé dans la magistrature est une donnée acquise et importante.

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Cependant la demande d'une justice indépendante s'impose aussi face aux médias, ce qui condamne

nombre de comportements observés dans l'affaire d'Outreau. D'ailleurs ne faudrait-il pas rendre à

l'autorité judiciaire toutes les compétences dont elle a été dépossédée, par l'instauration d'autorités

dites indépendantes, en matière de bourse, d'informatique, de concurrence, de discrimination, etc. ?

La justice cesserait d'apparaître trop souvent comme le réceptacle des seules anomalies et

déviances, au civil comme au pénal.

C'est dans le cadre des fonctions judiciaires que le sang de la justice appelle une circulation

retrouvée. Elle peut dépendre de changements profonds : retour à une formation véritablement

commune des magistrats et des avocats - préconisée par Marine Le Pen -, transparence accrue de la

répartition des dossiers sensibles, réflexion renouvelée sur l'opportunité des poursuites que des pays

voisins du nôtre ignorent. Dans cet ordre d'idées, François Hollande et François Bayrou demandent

la suppression des instructions individuelles en matière de poursuites pénales, mais cela doit être

mis en relation avec la fonction de la transparence judiciaire ou pénale. Ici encore, une réflexion

comparative est absente des programmes. Nombreuses furent les ordonnances royales pour la

réformation de la justice. Mais l'histoire nous renvoie à sa morale et à la pensée exprimée par

Richelieu dans son Testament politique : « Il est plus facile de dénoncer les maux de la Justice que

d'en prescrire les remèdes ».

Pour aller plus loin : Propositions des candidats

François Hollande propose de garantir l'indépendance de la Justice ainsi que celle de tous les magistrats. À cet égard, il veut revoir les règles de

leur nomination et le déroulement de leur carrière. De plus, il veut interdire l'intervention du Gouvernement dans les dossiers individuels. Par

ailleurs, il souhaite réformer le CSM. Il veut également remettre à plat la procédure pénale « pour la rendre efficace dans le respect des principes

fondamentaux de l'État de droit ». Il veut favoriser l'accès à la Justice de proximité qui traitera « les litiges portant sur des aspects essentiels de la vie

quotidienne des Français ».

Nicolas Sarkozy veut que le ministre de la Justice oriente l'action générale des parquets. Il propose que le CSM soit amené à rendre un avis

conforme, et non plus seulement consultatif, pour toutes les nominations au parquet. Par ailleurs, il envisage de généraliser l'expérimentation des

jurés populaires dans les tribunaux correctionnels et les tribunaux d'application des peines, et de l'étendre aux décisions de mise en détention

provisoire. Il veut réformer la justice des mineurs et, au-delà d'un certain âge, confier à deux juges distincts la mission de protection de l'enfance en

danger et celle de répression de la délinquance des mineurs. Enfin, il considère que si l'accusé peut faire appel de sa condamnation, le minimum est

que la victime ait le droit d'en faire autant, tout comme elle doit pouvoir faire appel des décisions de détention provisoire et d'application des peines

qui concernent son agresseur.

François Bayrou veut assurer l'égal accès de tous à la justice en dotant chaque tribunal d'un service public chargé d'orienter et de conseiller les

justiciables. Il veut apporter des aides matérielles supplémentaires aux magistrats et aux greffiers pour assurer leurs missions. Il veut développer des

alternatives à la prison pour les primo-délinquants, maintenir une justice spécialisée pour les mineurs, favoriser une formation générale et

professionnelle préparant à la réinsertion du détenu à sa sortie de prison. Pour assurer indépendance et efficacité de la justice, la nomination du

ministre de la Justice sera approuvée par une majorité qualifiée de l'Assemblée nationale, devant laquelle il sera responsable. De même, le candidat

veut rééquilibrer le CSM pour garantir son indépendance et nommer les procureurs sur avis conforme de ce conseil. Enfin, il entend interdire les

instructions individuelles en matière de poursuite.

Marine Le Pen propose de faire évoluer la formation et le parcours des magistrats en remplaçant l'ENM par une filière universitaire des carrières

judiciaires. Elle veut garantir l'indépendance et la neutralité de la Justice en supprimant la possibilité pour les magistrats de se syndiquer, de

s'engager politiquement, d'écrire ou de témoigner au sujet d'une affaire ayant trait à leur fonction. Au plan pénal, elle veut également renforcer le

secret de l'instruction en interdisant que le nom du juge en charge de l'affaire soit cité jusqu'à la fin de l'instruction. Enfin elle veut organiser le

principe de l'inamovibilité des membres du parquet afin d'assurer leur indépendance.

Eva Joly veut mettre en place un statut du « lanceur d'alerte » et instaurer une Haute Autorité d'expertise indépendante et plurielle.

Philippe Poutou veut supprimer le Conseil constitutionnel.

Jacques Cheminade entend créer un réel troisième pouvoir en proposant de séparer les magistrats en deux corps, celui du siège et du parquet, de

créer un Procureur général de la Nation indépendant et inamovible pour diriger l'action publique. Puis, en faisant désigner par l'Assemblée

nationale à une majorité de 3/5 des élus les six personnalités extérieures du CSM, dont la saisine devra être accélérée. Le CSM nommera le

Procureur général de la République et les procureurs pour cinq ans.

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DOC 6 :

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Document 70 de 82

La Semaine Juridique Edition Générale n° 4, 23 Janvier 2012, 88

Parquet - Une institution à la croisée des chemins

Adage par Bertrand Mathieu

professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris I, président de l'Association

française de droit constitutionnel, expert auprès du Club des juristes

Magistrats

Sommaire

Le Parquet français est dans la tourmente ! D'abord la Cour européenne des droits de l'homme dans

son arrêt Moulin du 23 novembre 2010 (n° 37104/06), a considéré que les membres du parquet ne

remplissaient pas les conditions pour être reconnus comme des magistrats au sens de la Convention

EDH. Il convient d'emblée de relever que cette analyse entre frontalement en contradiction avec nos

règles constitutionnelles selon lesquelles l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du

siège et les magistrats du parquet, l'un et l'autre étant les gardiens de la liberté individuelle, en vertu

de l'article 66 C.

Par ailleurs, les nominations des plus hauts magistrats du parquet sont souvent politiquement

contestées. En ce sens, dans une résolution adoptée en décembre 2011, la Conférence des procureurs

fait état de « l'image de leur fonction, gravement altérée ...par le soupçon de leur dépendance à

l'égard du pouvoir exécutif ». En écho, dans son discours prononcé à l'occasion de la rentrée

solennelle de la Cour de cassation le 9 janvier 2012, le procureur général Jean-Claude Marin,

rappelle qu'il « s'agit de bannir le doute qui pèse sur chacune de leurs décisions... de faire taire ce

murmure insupportable qui consiste à nier leur qualité même de magistrat ».

Le système actuel qui consiste à ce que le Conseil supérieur de la magistrature rende un avis simple

sur les nominations des membres du parquet, alors même que le ministre de la Justice s'est engagé à

suivre les avis du CSM, nourrit, aussi injuste soit-il, le soupçon de la dépendance personnelle à

l'égard du Gouvernement en place. Dans ses voeux au corps judiciaire, le 13 janvier 2012, le

président de la République a annoncé qu'il serait mis fin à cette situation et que l'avis du CSM serait,

comme il l'est pour les magistrats du siège, un avis conforme.

Faut-il aller beaucoup plus loin ? Nous ne le pensons pas. En effet, d'une part, l'indépendance ne

peut conduire à l'autonomie, d'autre part l'indépendance totale ne permettrait pas de lever les

préventions de la Cour de Strasbourg à l'égard du parquet français.

Le procureur est un magistrat, il ne juge pas. Il ne défend pas la position du Gouvernement. Il

défend le droit et l'intérêt général. Il est aussi l'interface entre le politique, expression de la légitimité

démocratique, la société et la justice. Le lien hiérarchique au sein du parquet et entre le ministre et le

parquet ne peut être totalement rompu. En vertu de l'article 20C le Gouvernement détermine et

conduit la politique, y compris pénale, de la Nation. Le ministre, alors même qu'il donne, de

manière exceptionnelle, des instructions écrites sur des questions individuelles, ne limite en rien la

liberté du juge. Quelles seraient la légitimité et la responsabilité d'un Procureur de la Nation, dont la

figure est souvent évoquée ? Libre dans sa parole, soumis à la déontologie commune aux magistrats,

le parquetier peut être à la fois indépendant dans l'exercice de sa mission et inscrit dans une chaîne

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hiérarchique qui garantit le respect de l'intérêt général. L'indépendance est une exigence qui dépasse

le cadre des relations avec le Gouvernement en place.

Mais l'indépendance n'est pas tout. Sauver le parquet français c'est faire comprendre à la Cour de

Strasbourg que le procureur n'est pas une partie au procès comme une autre. Il ne défend pas un

intérêt individuel, il défend, comme il vient d'être dit, le respect du droit et de l'intérêt général. C'est

d'ailleurs ce que rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-190 QPC. Alors que

l'action publique tend à être privatisée par les droits reconnus à de nombreuses associations, alors

que la Cour européenne tend à s'inscrire dans une vision purement individualiste des droits et

libertés, alors que la justice a parfois la tentation de s'ériger en un corps totalement autonome, il

convient d'engager un débat approfondi sur la place spécifique du parquet.

À défaut, le Parquet court le risque soit de perdre de son identité si son statut est strictement calqué

sur celui du juge du siège, soit d'être fonctionnarisé si prévaut la logique de la Cour européenne des

droits de l'homme. La défense des libertés individuelles, la sauvegarde de l'intérêt général et

l'efficacité de la justice pourraient ne rien avoir à y gagner.

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PRESCRIPTION DOC. 1 : Dalloz actualité 09 mars 2012 Actes interruptifs de prescription de l'action publique Crim. 21 févr. 2012, FS-P+B, n° 11-87.163 C. Gayet Résumé Parce qu'elle n'est pas définitive, une décision rendue par défaut et non signifiée n'interrompt pas le délai de prescription de l'action publique. Qu'elle vise une certaine tranquillité sociale, fasse office d'épée de Damoclès au dessus de la tête du délinquant, sanctionne la négligence de la société ou tire les conséquences d'un nécessaire dépérissement des preuves au fil du temps, la prescription de l'action publique s'opère en matière délictuelle (sauf exception, interruption ou suspension) après l'écoulement d'un délai de trois ans, à compter de la commission de l'infraction (art. 7 et 8 c. pr. pén. combinés). Le présent arrêt nous fournit un exemple plutôt rare de prescription de l'action publique à la faveur du délinquant et alors que l'action a d'ores et déjà été engagée, sanction en quelque sorte de l'inaction de la société (sur les fondements la prescription, V. not. B.

Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, coll. « Précis », 2012, nos 203 s.). Jugé le 10 janvier 2006, un individu s'était vu condamner par le tribunal correctionnel à deux mois d'emprisonnement pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, défaut d'assurance et filouterie (sans doute s'était-il fait servir du carburant sans payer !), l'annulation de son permis de conduire étant également prononcée. En appel, ce conducteur peu scrupuleux avait vu sa peine portée à quatre mois d'emprisonnement et 200 € d'amende, l'annulation du permis étant à nouveau prononcée. L'affaire aurait pu s'arrêter là sauf qu'il s'agissait d'un arrêt rendu par défaut, soit que le prévenu cité à personne n'ait pas comparu tout en étant excusé soit qu'il n'ait pas été cité à personne et n'ait pas eu connaissance effective de la citation (C. pr. pén. art. 512, 410 et 412). L'individu forma donc légitimement opposition à l'arrêt rendu dès que celui-ci lui eût été signifié (C. pr. pén., art. 512 et 489). C'est ainsi que la cour d'appel, saisie de cette opposition, mit à néant l'arrêt précédemment rendu le 30 août 2007 et infirma le jugement du 10 janvier 2006, au motif que l'action publique était éteinte par la prescription. La Cour de cassation confirme cette décision, rejetant de la sorte le pourvoi formé devant elle par le procureur général près la cour d'appel. L'article 7 du code de procédure pénale applicable aux crimes, auquel renvoie l'article 8 s'agissant des délits, dispose que le délai de prescription de l'action publique peut être interrompu par un acte de poursuite ou d'instruction, c'est-à-dire par tout acte ayant pour objet de constater un délit et d'en découvrir ou d'en convaincre les auteurs (V. déjà en ce sens, Crim. 9 mai 1936, DH 1936. 333). Or, la jurisprudence a très tôt assimilé aux actes de poursuite entraînant l'interruption de la prescription tous les jugements ou arrêts définitifs ou

avant-dire droit (V. Crim. 23 mars 1912 et Paris, 1er févr. 1912, DP 1912. 1. 161 ; ibid. 1916. 2. 113, note Leloir ; S. 1912. 1. 345, note Roux), qu'ils soient rendus contradictoirement ou par défaut (V. Rép. pén., v° Prescription pénale, n° 66, par C. Courtin). En l'espèce, si le délai de prescription de l'action publique avait commencé à courir dès la commission des infractions et avait été successivement interrompu jusqu'à l'arrêt du 30 août 2007, il avait alors recommencé à courir à cette date. Or, cet arrêt étant rendu par défaut, il ne devenait définitif qu'à compter de l'expiration du délai d'opposition, lequel ne commence à courir qu'à compter de la date de signification de l'arrêt. L'arrêt en question n'ayant été signifié que le 23 février 2011 soit quatre ans et neuf mois après avoir été rendu, l'action publique de trois ans s'était

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donc prescrite entre temps. Pour aller plus loin, V. Rép. pén., v° Prescription pénale par C. Courtin. Mots clés : PENAL * Jugement Dalloz actualité © Editions Dalloz 2012

DOC . 2 Dalloz actualité 13 février 2012 Prescription de l'action publique : interprétation large des actes interruptifs Crim. 1er févr. 2012, F-P+B, n° 11-83.072 C. Girault Résumé Constitue un acte interruptif de prescription de l'action publique la communication d'une copie de la plainte déposée par des victimes présumées à la chambre départementale des huissiers de justice afin de provoquer les explications de l'un de ses membres. Cet arrêt, qui s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la chambre criminelle, confirme l'interprétation extensive, certains diront « compréhensive » (V. J. Buisson et S.

Guinchard, Procédure pénale, Litec, 6e éd., 2010, n° 1248 s.), qu'elle fait de la notion d'acte interruptif de la prescription de l'action publique. Il est vrai que la Cour de cassation peut invoquer à son profit la formulation particulièrement large utilisée par le législateur qui, à

l'article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale vise comme acte interruptif de prescription tout « acte d'instruction ou de poursuite ». Dès 1936, la chambre criminelle en déduisait que « l'on doit entendre par acte d'instruction ou de poursuite pouvant interrompre la prescription de l'action publique ceux qui ont pour objet de constater les délits et d'en découvrir ou d'en convaincre les auteurs » (Crim. 9 mai 1936, D.H. 1936. 333). En l'espèce, la Cour de cassation reconnaît un effet interruptif à la transmission d'une plainte à la chambre départementale des huissiers de justice. Les demandeurs au pourvoi avaient en effet porté plainte auprès du procureur de la République contre un huissier de justice pour violation de domicile au cours d'une procédure d'expulsion. Le parquet avait alors envoyé une copie de la plainte au président de la chambre départementale des huissiers de justice en l'invitant « à provoquer les explications de son confrère et à les lui transmettre assorties de son avis motivé ». Par ce courrier, le procureur entendait certainement s'informer sur les procédures applicables et solliciter l'avis d'un professionnel sur la constitution de l'infraction alléguée. Son initiative était donc destinée à l'éclairer sur la suite qu'il entendait donner à l'affaire et ne constituait pas, au sens strict, un acte de poursuite. La chambre de l'instruction avait ainsi refusé d'y voir un acte interruptif de prescription, la transmission du parquet n'ayant pas « pour objectif de constater l'infraction, d'en découvrir ou d'en convaincre les auteurs ». La Cour de cassation sanctionne cette approche restrictive et admet le caractère interruptif de la demande d'information requise par le procureur de la République. Lors de précédentes affaires, dont l'affaire Émile Louis, elle avait déjà reconnu un tel effet à un soit-transmis adressé à la Direction sociale de l'aide à l'enfance afin de s'informer sur le sort de certaines victimes (Crim. 20 févr. 2002, n° 01-85.042, Bull. crim. n° 42 ; D. 2002. IR 1115

; RSC 2003. 585, note A. Giudicelli ; JCP 2002. II. 10075, note P. Maistre du Chambon) ou à un soit-transmis envoyé à l'administration des affaires maritimes afin de recueillir l'avis de cette administration sur la réglementation applicable (Crim. 28 juin 2005, n° 05-80.307, Bull. crim. n° 194 ; Dr. pénal 2005. Comm. 152, obs. A. Maron ; Procédures 2005. Comm. 235, obs. J. Buisson). Dans ce dernier arrêt, il apparaissait cependant que le procureur avait précisé qu'il « envisageait une citation directe dès le retour de l'avis sollicité ». La Cour de cassation, afin de rejeter le pourvoi qui tendait à faire établir la prescription de l'action publique, avait souligné que la cour d'appel avait correctement justifié sa décision en précisant que le soit-

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transmis « ne pouvait être interprété comme une simple demande de renseignement adressée à l'administration, sans valeur interruptive, mais révélait, au regard des circonstances, la volonté après certaines vérifications, de mettre en mouvement l'action publique ». En l'espèce, aucune précaution de ce genre n'avait été prise par le procureur, ce qui n'empêcha pas la reconnaissance de l'effet interruptif par la Cour de cassation. Le régime de la prescription dépend d'une véritable casuistique jurisprudentielle de telle sorte qu'il est difficile de respecter, en cette matière, une exigence de prévisibilité minimale. La cohérence même du dispositif semble parfois mise à l'épreuve dans la mesure où, rappelons-le, une plainte simple est dépourvue de tout effet interruptif (Crim. 10 mai 1972, n° 71-90.995, Bull. crim. n° 167) tandis que le procès-verbal contenant la dénonciation d'une infraction ou la transmission d'une plainte accompagnée d'une demande d'explication produisent cet effet… Une telle interprétation conforte l'idée qu'il faut désormais retenir comme interruptif de prescription « non seulement les actes de poursuite et d'instruction eux-mêmes, mais encore ceux qui en sont, en quelque sorte, les actes préparatoires » (J. Buisson

et S. Guinchard, Procédure pénale, Litec, 6e éd., 2010, n° 1248, p. 819). Mots clés : PENAL * Instruction Dalloz actualité © Editions Dalloz 2012

DOC 3: AJ Pénal 2011 p. 516 Prescription de l'action publique : quand la Cour de cassation se prend pour le Conseil constitutionnel Julie Gallois, ATER à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines Alors que le Conseil constitutionnel venait à peine de fêter le premier anniversaire de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (1), la Cour de cassation se voit saisie, les 7 et 9 mars 2011, de quatre questions portant sur la constitutionnalité de l'interprétation de sa jurisprudence en matière de prescription de l'action publique des infractions clandestines, faisant ainsi craindre un véritable « coup d'État juridique » (2). Tel n'a toutefois pas été le cas, la Haute Cour refusant de transmettre, par quatre arrêts en date du 20 mai 2011 promis à la plus large des publications, les quatre QPC à l'examen du Conseil constitutionnel. Déposées dès le premier jour de l'ouverture des débats de l'un des procès politiques les plus attendus de ces vingt dernières années, relatif aux emplois présumés fictifs de la ville de Paris, les trois premières QPC ont fait, au sein de l'opinion publique, l'effet d'une bombe procédurale (3). Petit retour en arrière. Entre 1983 et 1998, la ville de Paris avait fait rémunérer des personnes affectées au cabinet du maire. Or, en réalité, ces dernières fournissaient des prestations servant exclusivement les intérêts du parti politique auquel appartenait le maire, devenu par la suite - et grâce à ces fonds - président de la République. Si, en principe, le point de départ du délai triennal de prescription de l'action publique s'agissant d'un délit instantané court à compter du jour de la commission de l'infraction (4), soit en 1983, celui-ci est reporté, s'agissant des délits dissimulés à l'instar de l'abus de confiance ou de son jumeau, l'abus de biens sociaux, au jour où le délit « est apparu et a pu être constaté dans des condition permettant l'exercice de l'action publique » (5). Or, la date à laquelle des faits de détournement de fonds publics sont apparus et ont pu être constatés dans de telles conditions a été fixée au mois d'avril 1995. À la suite de la découverte des faits, une enquête préliminaire a été ouverte mais a toutefois été clôturée quelques mois plus tard, pour classement sans suite de l'affaire, de sorte que le dernier acte de procédure diligenté avait été l'audition de l'un des suspects le 20 juillet 1995. Le point de départ de la prescription était donc fixé. Il ne restait plus qu'au ministère public ou à la partie civile de se manifester. Si une plainte avec constitution de partie civile a bien été déposée par un contribuable de la ville de Paris contre personne non dénommée le 15 décembre 1998, la justice ne pouvait que constater l'extinction de l'action publique et ce, depuis déjà quelques mois. Toutefois, cela était sans compter sur le lien existant entre ces vingt-et-un emplois présumés fictifs de la ville

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de Paris et une autre affaire similaire, de sept emplois servant le même parti politique, instruite par le tribunal correctionnel de Nanterre depuis 1996, pour abus de biens sociaux et recel de cette infraction. Dans cette affaire, un réquisitoire supplétif d'instance en date du 17 avril 1998 avait été pris par le procureur de la République aux fins d'informer en outre du chef de prise illégale d'intérêts sur d'éventuels emplois fictifs au sein du cabinet du maire de Paris. À partir de là, et dans la mesure où la jurisprudence étend les effets d'un acte interruptif de prescription concernant une infraction à toutes les infractions qui lui sont connexes (6), la première affaire en ce qu'elle était déterminée par la même cause, tendait au même but mais surtout était liée à la seconde par « une communauté d'objet » et n'était plus prescrite en vertu du mécanisme de la connexité prévu à l'article 203 du code de procédure pénale et reconnu par la Chambre criminelle en 2007 (7). Même si elles renvoyaient aux calendes grecques le médiatique procès, les QPC n'avaient pas pour effet de soustraire à la justice le prévenu le plus connu de tous. En effet, quand bien même les dispositions litigieuses auraient été déclarées inconstitutionnelles, elles n'auraient eu aucun effet sur ce dernier. Protégé depuis mai 1995 de la curiosité des juges, l'ancien maire de Paris est paradoxalement victime de son statut protecteur d'ancien chef de l'État, son immunité pénale ayant eu pour effet de suspendre la prescription des faits qui lui étaient reprochés (8). Des poursuites à son encontre pour tous les actes commis entre mai 1992 et mai 1995 étaient donc possibles et devaient, de la volonté même du principal intéressé, aller jusqu'à leur terme (9). La quatrième QPC a, quant à elle, été posée à l'occasion d'une toute autre affaire, d'origine criminelle, visant à annuler la mise en examen du « tueur des Ardennes » - déjà condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec vingt-huit ans de sûreté pour cinq meurtres et deux assassinats de jeunes filles - poursuivi pour le meurtre d'une femme, commis en avril 1988, mais dont le corps n'a jamais été retrouvé. En effet, aucune poursuite ne pouvait être engagée à son encontre, les faits ayant été découverts seize ans après la commission des faits à la suite des propres aveux, en 2004, du meurtrier présumé (10). Aussi, tout comme pour l'affaire des emplois fictifs, la justice recourt, pour sauver la procédure, à la connexité existant entre cette affaire et celle du vol commis par le gang des Postiches, duquel faisait partie le compagnon de la victime, dont le meurtrier présumé est soupçonné détenir une partie du butin. Grâce à ce lien et dans la mesure où l'infraction de recel de vol à main armée n'est pas prescrite, des poursuites sont engagées pour le meurtre de la femme. Eu égard à l'extension de la prescription au-delà des limites fixées par la loi, les quatre QPC contestent à deux niveaux la constitutionnalité de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription de l'action publique au regard des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du principe de prévisibilité de la loi et du principe de prescription de l'action publique : le premier quant au report du point de départ du délai de prescription de l'action publique au jour de la découverte de l'infraction dans les conditions permettant l'exercice de l'action ; le second quant à la connexité des faits permettant d'étendre les actes d'interruptifs d'une affaire non prescrite à une affaire en principe prescrite. Si, pour renvoyer valablement une QPC au Conseil constitutionnel, celle-ci doit justifier de l'un des critères alternatifs posés par la loi - la nouveauté ou le sérieux -, un problème liminaire restait à éclaircir relatif à la disposition fondant les quatre recours. En l'espèce, les dispositions litigieuses portaient non pas sur une disposition législative mais sur l'interprétation jurisprudentielle d'une disposition législative. Or, est-il possible de contester la constitutionnalité d'une interprétation jurisprudentielle ? Si un doute est apparu quant à la faisabilité d'un tel examen, notamment eu égard au comportement de la Cour de cassation (11), celui-ci a très vite été dissipé par le Conseil constitutionnel en raison principalement de la spécificité de ce nouveau contrôle portant, à la différence du contrôle a priori, « sur la loi entrée en vigueur, appliquée et donc sur la portée effective que le juge, par son interprétation, en a donnée » (12). Aussi, depuis octobre 2010, les Sages de la rue Montpensier ont reconnu la possibilité de contester tant une disposition législative qu'une interprétation jurisprudentielle (13). La Cour de cassation ne pouvait dès lors décemment rejeter, sur la base de ce fondement, les quatre QPC, l'avocat général ayant, par ailleurs, rappelé l'incorporation de la jurisprudence à la loi, de telle sorte qu'elle en est « indissociable ».

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En plus d'avoir la possibilité pour le Conseil constitutionnel d'apprécier les dispositions litigieuses, il ne faisait aucun doute que ces dernières interprétant les articles 7 et 8 du code de procédure pénale étaient applicables aux deux litiges. Partant, il revenait seulement à la Cour de cassation de reconnaître le caractère potentiellement nouveau des QPC ou, à tout le moins, leur sérieux. Une question potentiellement nouvelle En l'espèce, la Cour de cassation se refuse de reconnaître le caractère nouveau de la QPC. Pourtant, le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé directement sur la prescription de l'action publique, principe duquel découle l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation. Quand bien même cela aurait été le cas, les juges de cassation pouvaient encore arguer du large débat de société que suscite cette question. Une interprétation sur laquelle le Conseil constitutionnel ne s'est jamais directement prononcé Si les dispositions critiquées « n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel », la question n'est pas pour autant, selon la Cour de cassation, nouvelle en ce qu'elle ne porte « pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu l'occasion de faire application ». Plus clairement, la Cour de cassation affirme que les Sages ont déjà eu l'occasion de se prononcer sur la question. Or, cela n'est pas l'exacte vérité. En effet, le Conseil constitutionnel disposait seulement, dans une décision du 22 janvier 1999, « qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » (14). Cela ne veut donc pas dire pour autant qu'il dénie l'existence d'un principe constitutionnel de prescription surtout si l'on prend en compte la spécificité des infractions en cause, à savoir les crimes contre l'humanité. Le garde des Sceaux de l'époque s'était d'ailleurs appuyé sur la spécificité de ces infractions dans une réponse ministérielle et disposait sans ambages que « la notion d'imprescriptibilité, par nature exceptionnelle, doit être réservée aux seuls crimes contre l'humanité, en raison de [leur] irréductible spécificité » (15). Bien que les Sages ne se soient jamais prononcés directement sur la prescription de l'action publique, un doute demeure toutefois quant à la possible inexistence d'un tel principe constitutionnel lorsque l'on procède à une lecture a contrario de la décision du 22 janvier 1999, de sorte que la question n'était que potentiellement nouvelle. Une interprétation soulevant un large débat de société Reste que si la Cour de cassation ne voulait pas s'épancher sur la question de l'existence ou non d'un principe constitutionnel, elle disposait toujours de la possibilité d'arguer du « large débat dans la société » que génèrent ces questions notamment au regard de la prévisibilité, à l'image de ce qu'avaient fait les juges civilistes pour renvoyer la sensible question portant sur la conformité des articles 144 et 75 du code civil relative à l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe (16). Une question incontestablement sérieuse La jurisprudence joue un rôle important dans notre droit, particulièrement en matière de prescription de l'action publique. Toutefois, elle ne saurait se substituer, de manière arbitraire, au législateur, pour imposer une conception totalement contra legem et encore moins au Conseil constitutionnel pour affirmer que la prescription de l'action publique n'a pas de valeur constitutionnelle. La Cour de cassation, créatrice d'un principe contra legem Imprégné par la volonté parfois exacerbée de répression du législateur, le juge a consacré la théorie de la dissimulation aux fins de lutter contre la prescription des délits clandestins. En effet, s'agissant par exemple de l'infraction d'abus de biens sociaux, la Cour de cassation,

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transposant sa jurisprudence en vigueur en matière d'abus de confiance (17), fixe le point de départ du délai de prescription au jour où « le délit est apparu et a pu être constaté » (18) « dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » (19). Autrement dit, pour que le délai commence à courir, l'action publique doit être portée à la connaissance du ministère public ou des parties civiles, soit parfois plus d'une décennie après la commission du délit. Mais la jurisprudence de la Chambre criminelle est allée encore plus loin avec un arrêt du 6 février 1997 (20), consacrant une véritable prescription de fait par le biais de l'infraction de recel d'abus de biens sociaux dont la prescription ne court qu'à partir de la découverte de l'abus de biens sociaux. Consciente toutefois de son débordement ayant pour effet de « dévoyer » (21) l'abus de biens sociaux, la Chambre criminelle rectifie le tir en normalisant l'infraction. Pour ce faire, elle décide que la prescription court « sauf dissimulation à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société » (22). Cependant, refusant en parallèle d'abandonner au profit de cette jurisprudence sa règle traditionnelle fixant son point de départ au jour de la découverte de l'infraction occulte, cette « solution d'apaisement » (23) est de courte durée. En effet, l'année 2003 est marquée par une révolution en deux temps, instiguée par les juges du quai de l'Horloge. Dans un premier temps, la Chambre criminelle estime, à propos d'un emploi fictif, que « le délit d'abus de biens sociaux [...] est une infraction instantanée, consommée lors de chaque paiement indu » (24), ce qui a pour effet de faire démarrer un nouveau délai de prescription à chaque renouvellement de l'infraction. Dans un second temps, elle élabore de façon totalement prétorienne « un droit casuistique de la prescription » (25) en fixant le point de départ du délai à la présentation aux assemblées générales du rapport spécial des commissaires aux comptes à la fin de chaque exercice, « le délit d'abus de biens sociaux étant une infraction instantanée qui se consomme à chaque usage abusif des biens de la société » (26). Pour résumer, la jurisprudence étant depuis lors fixe, la prescription court actuellement à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigeuses sont indûment mises à la charge de la société sauf en cas de dissimulation, auquel cas le délai court uniquement lorsque le délit n'a pu être constaté que dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique. Ce principe dégagé par la jurisprudence est, sans conteste, sensiblement différent de celui formulé par le législateur. Partant, il ne saurait être considéré comme conforme à la Constitution sous prétexte qu'il découle simplement de dispositions législatives. Par ailleurs, et même si les juges criminels ne sont pas tenus au principe d'interprétation stricte s'agissant de règles de forme, ils ne sauraient se départir autant de la loi, allant jusqu'à en modifier purement et simplement le sens, sous couvert de « la spécificité de la délinquance des affaires » (27). Il serait peut-être judicieux de leur rappeler que, dans la mesure où la procédure pénale relève exclusivement de l'office du législateur en vertu de l'article 34 de la Constitution, il ne leur appartient pas de réécrire une loi, qui plus est, claire et précise (28), au risque de violer publiquement - quoi qu'en dise en l'espèce la Cour de cassation - le principe de la légalité criminelle. Enfin, la Cour de cassation ne pouvait valablement soutenir, dans ces arrêts du 20 mai 2011, pour justifier la conformité de sa jurisprudence au principe de prévisibilité de la loi, que « les règles relatives au point de départ de la prescription sont anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs » et ce, pour trois raisons. Tout d'abord, il semblerait que la constance au sens de la Cour de cassation soit emplie d'un soupçon de variabilité. En effet, s'il est vrai que les décisions se succèdent avec régularité, cette régularité, comme en témoigne les sursauts jurisprudentiels en matière de prescription des délits clandestins, « ne se retrouve pas sur le fond, tant les critères sont changeants, et les solutions en conséquences incertaines » (29). Ensuite, la jurisprudence ne témoigne que d'une ancienneté somme toute relative eu égard au dernier rebondissement important ayant eu lieu en 2003. Enfin, les critères dégagés par la jurisprudence, de par leur perpétuelle mutation au cours de ces dernières années, n'ont eu de cesse que de complexifier davantage un principe initialement simple, créant ainsi une réelle insécurité juridique. À la décharge de la Cour de cassation, l'on peut se demander si elle ne s'est pas inspirée, pour refuser une telle transmission, de la récente modification, par la LOPPSI II (30), de l'article 8 du code de procédure pénale. En effet, alourdi d'un nouvel alinéa, l'article 8 prévoit que pour

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l'exercice de l'action publique de délits limitativement mentionnés, commis à l'encontre d'une personne vulnérable, le point de départ du délai de prescription « court à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ». Autrement dit, et pour la première fois, le législateur consacre l'audacieuse jurisprudence des juges du quai de l'Horloge en matière de prescription de l'action publique. Forte de la consécration législative de son travail, la Cour de cassation s'est peut-être vue confortée dans sa position tenue depuis plus de quarante ans. Mais rien n'est moins sûr. En effet, à la lecture de ce nouvel alinéa, un élément grève ce raisonnement. Le législateur, en consacrant un tel report, ne l'exclut-il pas en réalité ? En circonscrivant la nouvelle disposition aux seules personnes vulnérables, le législateur semble, a contrario, porter un coup d'arrêt à l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation s'agissant des personnes non vulnérables. Jusqu'à présent, les nombreux projets visant à réformer la prescription de l'action publique pour mieux - de l'aveu du garde des Sceaux - « renforcer la sécurité juridique, en évitant des incertitudes sur la prescription de certains faits » (31) étaient restés lettre morte. Prenons l'exemple du rapport sur la dépénalisation du droit des affaires rendu par Jean-Marie Coulon, préconisant de repenser le régime de la prescription des délits. Selon le groupe de travail, la sécurisation des règles de la prescription ne peut être obtenue qu'en fixant un point de départ de la prescription déterminé, correspondant à la date des faits et en maintenant les règles actuelles de suspension et d'interruption de la prescription. En contrepartie, le délai de prescription était augmenté pour toutes les infractions en fonction de la pénalité encourue à l'exception des contraventions dont le délai de prescription restait fixé à un an. Avec la réforme, la prescription des crimes devait passer de dix à quinze ans, celle des délits punis d'une peine de trois ans ou plus d'emprisonnement de trois à sept ans et celle des délits punis d'une peine inférieure à trois ans de trois à cinq ans (32). Tout en reprenant les réflexions du groupe de travail, l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale rendu public en mars 2010 décide de les simplifier et prévoit, à son article 121-7, d'une part, de doubler les délais de prescription en contrepartie de l'abandon de la jurisprudence judiciaire et d'autre part, de revoir la notion de connexité élargie à l'envi par la jurisprudence. Cependant, sous la pression des lobbies de victimes de l'amiante voyant en cette réforme l'évanouissement de possibles poursuites mais surtout la consécration d'une justice à deux vitesses, le gouvernement recule. Assistant une nouvelle fois à l'abandon d'une énième réforme pour sur la prescription, le législateur a, semble-t-il, décidé de réformer indirectement mais surtout subrepticement la prescription de l'action publique. Il y a cependant peu de chance que cette lecture a contrario de la loi incite les hauts magistrats à revirer leur jurisprudence, hostiles à toute réforme du régime de la prescription « contraire aux impératifs de lutte contre la grande délinquance » (33). De tels éléments témoignaient incontestablement du sérieux des quatre QPC, surtout au vu du comportement fuyant du Conseil constitutionnel. En effet, celui-ci semble également faire tout pour éviter d'avoir à se prononcer sur ces questions « encombrantes » (34) puisque, à l'occasion du recours a priori déposé s'agissant de la LOPPSI II (35), il n'a pas jugé utile de soulever d'office, comme la loi l'y autorise, la question portant sur la constitutionnalité du nouvel alinéa de l'article 8 du code de procédure pénale, faute d'avoir été saisi d'une telle question par les parlementaires. La Cour de cassation, dénégatrice de l'existence d'un principe constitutionnel de la prescription Souhaitant parer à tout risque de refus de transmission, les requérants avaient demandé le renvoi par la Cour de cassation sans examen au Conseil constitutionnel de trois des quatre QPC. Selon eux, la Cour régulatrice ne pouvait statuer en toute impartialité sur la constitutionnalité d'« une interprétation jurisprudentielle dont [elle] est l'auteur et qu'elle a appliquée constamment et à de nombreuses reprises ». Mais, n'appréciant guère être attaquée sur sa compétence, la Cour de cassation affirme d'autorité qu'« il y a, pour toute la République, une Cour de cassation » ; autrement dit, il n'existe aucune autre juridiction du même ordre et de même nature qui pourrait se prononcer sur de telles questions. Et la première présidence n'hésite pas à ironiser en énonçant que « poussé jusqu'à l'absurde, un tel raisonnement mettrait [...] la Cour dans l'impossibilité d'accomplir sa mission, dès lors que les

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justiciables invoquent le plus souvent devant elle sa propre jurisprudence, qui n'est pas figée ». Même s'il est vrai que la requête avait été rédigée en des termes quelque peu « hasardeux » (36), elle ne manquait pas d'intérêt en ce qu'elle avait pour but de remettre en cause la compétence de la Cour en tant que juge de la constitutionnalité de sa jurisprudence. Pourtant, la Cour de cassation, dans ces quatre arrêts rendus en sa formation la plus solennelle, ne se contente pas de rester juge de l'interprétation de la loi et apprécie la validité constitutionnelle d'une telle interprétation au lieu et place du Conseil constitutionnel. La Cour de cassation en profite, par ailleurs, pour affirmer que la prescription de l'action publique n'est pas un principe constitutionnel, niant ainsi de front la jurisprudence du Conseil d'État. En effet, ce dernier, dans un avis rendu le 29 février 1996 relatif au projet de statut d'une Cour criminelle internationale permanente (37), considère la prescription comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, lui reconnaissant ainsi indirectement une valeur constitutionnelle (38). Ainsi, le simple fait que la Cour de cassation soit en désaccord avec le Conseil d'État quant à la valeur à accorder à la prescription de l'action publique témoigne du sérieux de la question qu'il revenait au Conseil constitutionnel de trancher. Mais là encore, la Cour de cassation, loin d'être sagace (39), ne faisant pas les choses à moitié, décide de se substituer non plus au législateur mais au Conseil constitutionnel en se prononçant sur la constitutionnalité ou plus exactement sur la non-constitutionnalité du principe de prescription de l'action publique. Suivant les réquisitions de l'avocat général énonçant que « le contrôle du caractère sérieux de la QPC ne saurait être éludé au regard de la seule allégation d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République non consacré expressément [au risque] de permettre une saisine systématique du Conseil constitutionnel de questions parfois fantaisistes, issues de plaideurs animés d'intentions dilatoires », l'Assemblée plénière dispose que la prescription ne revêt le caractère « d'aucune disposition, règle ou principe de valeur constitutionnelle ». Or, comme le relève fort justement M. Bertrand Mathieu, le juge ne peut refuser de renvoyer une question, en estimant, de sa propre autorité, que le principe invoqué n'est pas un principe constitutionnel. Il lui appartient tout au plus de relever que le Conseil s'est déjà prononcé ou que le principe invoqué ne remplit pas les conditions fixées pour pouvoir se voir reconnaître une valeur constitutionnelle (40). En refusant de reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de la prescription de l'action publique, la Cour de cassation se fait Sage à la place des Sages par simple crainte d'être reléguée en juridiction de second ordre. Mots clés : ABUS DE BIENS SOCIAUX * Prescription * Point de départ * Question prioritaire de constitutionnalité (1) Loi org. n° 2009-1523, 10 déc. 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, JO 11 déc. 2009, p. 21379.

(2) D. Chagnollaud, Un coup d'État juridique ?, D. 2011. Point de vue. 1426 .

(3) Sur ce point, v. F. Saint-Pierre, Les avocats s'emparent de la QPC, AJ pénal 2011. 288 . (4) C. pr. pén., art. 8. (5) Crim. 10 août 1981, n° 80-93.092, Bull. crim. n° 244. (6) Not. Crim. 16 déc. 1975, n° 74-90.718, Bull. crim. n° 283 ; Crim. 28 mai 2003, n° 02-85.185, Bull. crim. n° 108 ; RTD

com. 2003. 829, obs. B. Bouloc ; Crim. 23 oct. 2007, n° 06-89.025 ; Crim. 20 oct. 2010, n° 09-85.361. (7) Crim. 26 juin 2007, n° 07-81.894.

(8) Ass. plén., 10 oct. 2001, n° 01-84.922, Bull. ass. plén., n° 11 ; D. 2002. 237 , note C. Debbasch ; ibid. 2001.

3365, chron. L. Favoreu ; ibid. 2002. 674, note J. Pradel ; RSC 2002. 128, obs. A. Giudicelli ; ibid. 676 et 678,

obs. V. Bück ; RFDA 2001. 1169, note O. Jouanjan et P. Wachsmann ; ibid. 1187, étude O. Beaud ; RTD civ.

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2002. 169, obs. N. Molfessis . (9) Le Figaro, 5 sept. 2011. (10) Or, comme le dispose l'article 7 du code de procédure pénale, la prescription en matière criminelle est de dix ans à compter de la commission de l'infraction. (11) V. notamment les QPC déposées s'agissant de l'exigence de motivation des arrêts d'assises qui, disposaient dans un premier temps lapidairement que « la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit » (Crim.

19 mai 2011, n° 09-82.582, 09-83.328 et 09-87.307, à paraître au Bulletin ; D. 2010. 1351 et 1352 ; ibid. 2236,

point de vue H. Nico ; Cah. Cons. const. 2011. 246, obs. J. Boudon ; RSC 2011. 190, obs. B. de Lamy ; RTD civ.

2010. 508, obs. P. Deumier ) pour finalement les transmettre (Crim. 19 janv. 2011, n° 10-85.159 et 10-85.305, à

paraître au Bulletin ; D. 2011. 800, obs. S. Lavric , note J.-B. Perrier ; Cah. Cons. const. 2011. 236, obs. M. Disant

; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ) au Conseil constitutionnel (Cons. const., 1er avr., n° 2011-113/115-QPC, Xavier P. et

autre, D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier ; ibid. 1158,

chron. M. Huyette ; GAPP, 7e éd. 2011. n° 42 ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2011. 361,

obs. A. Cappello ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ). (12) D. Rousseau, Conseil constitutionnel, Cour suprême ?, Doc. fr., Regards sur l'actualité, févr. 2011, n° 368. (13) En effet, en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition

législative contestée : Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39-QPC, consid. 2, D. 2010. 2744, obs. I. Gallmeister , note

F. Chénedé ; ibid. 2011. 529, chron. N. Maziau ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1713, obs. V.

Bernaud et L. Gay ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDA 2011. 705, tribune E.

Sagalovitsch ; AJ famille 2010. 487, obs. F. Chénedé et 489, obs. C. Mécary ; Constitutions 2011. 75, obs. P.

Chevalier et 361, obs. A. Cappello ; RTD civ. 2010. 776, obs. J. Hauser ; ibid. 2011. 90, obs. P. Deumier ; Cons.

const., 14 oct. 2010, n° 2010-52-QPC, consid. 4, D. 2011. 529, chron. N. Maziau ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L.

Gay ; RFDA 2011. 353, étude G. Eveillard ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello ; RTD civ. 2011. 90, obs. P.

Deumier ; Cons. const., 8 avr. 2011, n° 2011-120-QPC, consid. 9; Cons. Const., 6 mai 2011, n° 2011-127-QPC, consid. 5.

(14) Cons. const., 22 janv. 1999, n° 98-408 DC, consid. 20, D. 1999. 285 , note P. Chrestia ; ibid. 2000. 111, obs.

M.-H. Gozzi ; ibid. 196, obs. S. Sciortino-Bayart ; ibid. 2001. 949, chron. P.-H. Prélot ; AJDA 1999. 266 et 230,

note J.-E. Schoettl ; RFDA 1999. 285, note B. Genevois ; ibid. 715, note P. Avril ; ibid. 717, obs. B. Genevois ;

RSC 1999. 353, obs. J.-F. Seuvic ; ibid. 497, obs. E. Dezeuze ; ibid. 614, obs. A. Giudicelli . (15) Rép. min. n° 52033, 8 sept. 2009, JOAN QE p. 8625.

(16) Civ. 1re, 16 nov. 2010, n° 10-40.042, D. 2011. 209, obs. I. Gallmeister , note J. Roux ; ibid. 1040, obs. J.-J.

Lemouland et D. Vigneau ; AJ famille 2010. 545 ; v. Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-92-QPC, D. 2011. 297,

édito. F. Rome ; ibid. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ famille

2011. 157, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2011. 326, obs. J. Hauser ; RLDC 2011/80, n° 4175, obs. J. Gallois. (17) Crim. 13 janv. 1934, Gaz. Pal. 1934. 1. 447. (18) Crim. 7 déc. 1967, n° 66-91.972, Bull. crim. n° 321. (19) Crim. 10 août 1981, n° 80-93.092, Bull. crim. n° 244 ; Crim. 27 juill. 1993, n° 92-85.146.

(20) Crim. 6 févr. 1997, n° 96-80.615, Bull. crim. n° 48 ; D. 1997. 334 , note J.-F. Renucci et 1998. 177, chron. O.

Beaud ; Rev. sociétés 1997. 146, note B. Bouloc ; RSC 1997. 393, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 644, obs. R.

Ottenhof ; ibid. 667, obs. J.-P. Dintilhac ; RTD com. 1997. 693, obs. B. Bouloc .

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(21) B. Bouloc, Le dévoiement de l'abus de biens sociaux, RJ com. 1995. 300.

(22) Crim. 5 mai 1997, n° 96-81.482, Bull. crim. n° 159, Rev. sociétés 1998. 127, note B. Bouloc ; RSC 1998. 336, obs.

J.-F. Renucci ; v. Crim. 13 oct. 1999, n° 96-80.774, RSC 2000. 410, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2000. 477, obs. B.

Bouloc ; 96-83.874 et 98-80.044, Bull. crim. n° 219 ; D. 2001. 2351 , obs. G. Roujou de Boubée ; Rev. sociétés

2000. 360, note B. Bouloc ; Crim. 27 juin 2001, n° 00-87.414, Bull. crim. n° 164 ; Rev. sociétés 2001. 873, note B.

Bouloc ; RSC 2002. 339, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2002. 180, obs. B. Bouloc ; ibid. 694, obs. J.-P. Chazal et Y.

Reinhard . (23) Obs. J.-F. Barbièri sous Crim. 27 juin 2001, Bull. Joly 2001, p. 1117.

(24) Crim. 28 mai 2003, n° 02-83.544, Bull. crim. n° 109, D. 2003. 2015 ; Rev. sociétés 2003. 906, note B. Bouloc ;

RSC 2004. 358, obs. D. Rebut ; RTD com. 2003. 829, obs. B. Bouloc . (25) S. Jacopin, La « réévolution » de l'abus de biens sociaux ou l'élaboration prétorienne d'un droit casuistique de la prescription, JCP G 2004. II. 10028.

(26) Crim. 8 oct. 2003, n° 02-81.471, Bull. crim. n° 184 ; D. 2003. 2695 , obs. A. Lienhard ; ibid. 2004. 194, chron. Y.

Mayaud ; AJ pénal 2003. 67, obs. P. R. ; Rev. sociétés 2004. 155, note B. Bouloc ; RTD com. 2004. 171, obs. B.

Bouloc .

(27) J.-F. Renucci, Infractions d'affaires et prescription de l'action publique, D. 1997. Chron. 23 . (28) Également sur ce point, H. Matsopoulou, QPC et affaires sur les emplois présumés fictifs, D. 2011. Entretien.

1000 .

(29) Obs. Y. Mayaud sous Crim. 8 oct. 2003, D. 2004, Jur. 194 . (30) Loi n° 2011-267, 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, JO 15 mars, p. 4582, art. 48. (31) Interview de M. Alliot-Marie sur la réforme de la procédure pénale, D. Actu., 15 mars 2010. (32) Rapport sur la dépénalisation du droit des affaires, 2008, Doc. fr., p. 101 s. ; v. not. Dossier, Quelle dépénalisation

pour le droit des affaires ?, AJ pénal 2008. 61 s . (33) Avis solennel, 16 avr. 2010. (34) C. Kleitz, Des QPC bien encombrantes, éditorial, Gaz. Pal. 10 mars 2011.

(35) Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, D. 2011. 1162, chron. P. Bonfils ; AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097 ,

note D. Ginocchi ; AJCT 2011. 182 , étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville . (36) D. Rousseau, La Cour a ses raisons, la raison les siennes !, Gaz. Pal. 29-31 mai 2011.

(37) CE 29 févr. 1996, n° 358597, GACE, 3e éd., 2008, n° 28. (38) En effet, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont repris par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ayant valeur constitutionnelle depuis la célèbre décision du Conseil constitutionnel

dite « Liberté d'association » du 16 juill. 1971, n° 71-44 DC, GDCC, 15e éd., 2009, n° 13 ; Gr. délib. CC 2009. n° 17. (39)Contra J.-H. Robert, De la sagacité de la Cour de cassation, Dr. pén. 2011, comm. n° 95. (40) B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP G 2011. 670.

DOC 4 :

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Revue de science criminelle 2011 p. 656 L'Assemblée plénière ne transmet pas la question de la constitutionnalité de sa jurisprudence sur la prescription de l'action publique (Cass., ass. plén., 4 arrêts, 20 mai 2011, n° 11-90.025, n° 11-90.032, n° 11-90.033 et n° 11-90.042, D. 2011. 1346, obs. A. Lienhard ; ibid. 1426, point de vue D. Chagnollaud ; ibid. 1775, chron. N. Maziau ; Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou ; supra 611, obs. H. Matsopoulou ; D. Rousseau, La Cour a ses raisons, la raison les siennes, Gaz. Pal., 29-31 mai 2011. 7 ; G. Drago, Gaz. Pal., 5-7 juin 2011. 11 ; J.-H. Robert, De la sagacité de la Cour de cassation, Dr. pénal 2011, n° 7, comm. 95 ; B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP 2011. 670 ; A. S. Chavent-Leclère, Procédures 2011, comm. 242) Jean Danet, Maître de conférences, Université de Nantes Les arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 20 mai 2011 sont susceptibles d'analyses au plan du droit constitutionnel, du droit pénal et de la procédure pénale comme aussi au plan de la politique criminelle. Les nombreux commentaires, parfois polémiques, cités ci-dessus en témoignent. Nous nous en tiendrons ici à la procédure pénale et à la politique criminelle qui sous-tend les règles en cause. Parmi les quatre affaires soumises à l'Assemblée plénière, « affaires sensibles » au demeurant, trois d'entre elles concernaient des atteintes aux biens de délinquance astucieuse (complicité d'abus de confiance et complicité de détournements de fonds publics, abus de confiance et abus de bien social commis dans l'exercice de ses fonctions par un dirigeant d'un organisme collecteur de la participation des employeurs à l'effort de construction) et la quatrième des atteintes aux personnes (assassinat) et des atteintes aux biens liées à une délinquance violente (recel de vol avec arme). Les quatre questions prioritaires de constitutionnalité (deux ont été déposées devant le TGI de Nanterre dans deux dossiers visant la même personne) mettaient en cause en des termes parfois exactement identiques le régime de la prescription de l'action publique et plus précisément les interprétations par la Cour de cassation des articles 7, 8, 9, et 203 du code de procédure pénale sur deux points : le report au jour où les faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, de la prescription de l'action publique lorsque l'infraction est occulte ou dissimulée, et, l'effet de l'interruption de la prescription intervenue dans la poursuite des infractions à l'égard des infractions connexes. Les requérants soutenaient que ces règles posées par la Cour de cassation caractériseraient une violation du principe fondamental de la prescription, des principes de prévisibilité et d'application légale de la loi répressive ; l'un d'eux ajoutait la violation de la présomption d'innocence, ainsi que des principes de la légalité des délits et des peines et d'égalité devant la loi. Après avoir rejeté la demande préalable de dessaisissement avant tout examen et de renvoi au Conseil constitutionnel fondée sur le fait que la cour ne pourrait statuer en toute impartialité sur la constitutionnalité de sa propre interprétation des règles de prescription et de connexité, qui revenait à remettre en cause le filtre institué par la loi organique (V. en ce sens B. Mathieu, op. cit.) l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a examiné les conditions d'admission des questions prioritaires qui lui étaient soumises. Les dispositions contestées étaient sans le moindre doute applicables au litige et n'ont pas été déjà déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Un commentateur de ces décisions (V. N. Maziau, op. cit. et, dans le même sens, J.H. Robert, op. cit.) relève que les questions soulevées portant sur l'interprétation de la loi par la Cour de cassation, l'examen des conditions de recevabilité de ces questions par l'Assemblée plénière implique la reconnaissance par celle-ci de ce que la jurisprudence de la cour puisse faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité à l'occasion d'une QPC. L'Assemblée plénière confirme ici l'approche qui a rapidement prévalu devant les diverses formations de la

Cour (Crim. 19 janv. 2011, QPC n° 515 et 516, D. 2011. 800, note J.-B. Perrier . Civ. 1re, 16 nov. 2010, n° 10-40.042 QPC, D. 2011. 209, obs. I. Gallmeister , note J. Roux ; ibid. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ famille 2010. 545 ; AJ fam. 2010. 545 ). Restait cependant à examiner si les questions posées étaient nouvelles ou présentaient un caractère sérieux.

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L'Assemblée plénière a jugé, en premier lieu, que les questions posées n'étaient pas « nouvelles » au sens où l'entend le Conseil constitutionnel lui-même : elles ne portaient pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu l'occasion de faire application. Le rapport de M. Prétot rappelait sur ce point que, selon le Conseil constitutionnel (Cons. const., 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, consid. n° 2, AJDA 2009. 2318 ; ibid. 2010. 80, étude A. Roblot-Troizier ; ibid. 88, étude M. Verpeaux ; RFDA 2010. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2010. 229, obs. A. Levade ; cette Revue 2010. 201, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2010. 66, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ; rec. Cons. const. 206), le critère de la nouveauté de la question ne trouvait application que pour les dispositions constitutionnelles et non pour les règles et principes de valeur constitutionnelle. Or, le « principe de prescription de l'action publique » que les requérants voulaient voir ici consacrer, tout nouveau qu'il eut été, n'est pas une disposition constitutionnelle et, aux termes de l'article 61-1 de la constitution, l'Assemblée plénière pouvait donc ne pas renvoyer la question au Conseil constitutionnel (V. en ce sens N. Maziau, op. cit., contra D. Chagnollaud). De même, et en préalable de la discussion sur le caractère sérieux ou non des questions soulevées, le rapporteur prenait-il soin de rappeler, après avoir constaté que les questions tendaient à « mettre en jeu la conformité de dispositions du code de procédure pénale non pas tant dans leurs termes mêmes que dans la portée que leur a donné la jurisprudence », la récente décision du Conseil constitutionnel du 8 avril 2011 (n° 2010-120 QPC, consid. n° 9, à laquelle l'avocat général M. Cordier fait aussi réf. dans son avis). Le conseiller rapporteur écrit : « On ne saurait trop souligner l'importance de cette décision qui non seulement confère exclusivement à la Cour de cassation et au Conseil d'État le pouvoir de fixer, chacun en ce qui le concerne, l'interprétation constante des dispositions législatives, mais qui, en leur assignant le soin de pourvoir à l'interprétation des lois dans le respect des dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle, leur reconnaît, implicitement mais nécessairement, compétence pour apprécier, certes dans les limites de l'interprétation, la conformité des lois à la constitution ». L'avocat général n'avait pas manqué de son côté de rappeler cette mission de « pré-contrôle de constitutionnalité » dévolue au Conseil d'État et à la Cour de cassation. À défaut d'une question nouvelle, l'Assemblée plénière examinant l'ultime condition d'admission, écarte les griefs avancés par les requérants estimant que les questions ne présentent pas de caractère sérieux. Les quatre arrêts répondent de manière succincte à chacun des arguments invoqués. Mais la lecture de l'avis de l'avocat général (V. en ce sens B. Mathieu) et celle du rapport du conseiller permettent d'en comprendre la logique. Les griefs spécifiques avancés par M. Fourniret et les réponses qui leur sont faites n'appellent pas ici grand commentaire : les règles relatives au point de départ de la prescription de l'action publique et à la connexité sont sans incidence sur le respect de la présomption d'innocence; le principe de légalité des délits et des peines, qui implique que le législateur fixe seul les règles du droit pénal et de la procédure pénale, est respecté, les règles de prescription de l'action publique et de la connexité contestées découlant de dispositions législatives; le principe d'égalité devant la loi ne fait pas obstacle à l'application de règles distinctes à des situations différentes au regard de l'objectif poursuivi par la loi. La question de l'application légale de la loi pénale donne lieu quant à elle à une réponse présentée par le rapporteur comme directement inspirée de la jurisprudence du conseil constitutionnel. L'attention du pénaliste est davantage sollicitée par les deux autres réponses de l'Assemblée plénière : la prescription de l'action publique n'est fondée sur aucun principe fondamental, ni aucune règle de valeur constitutionnelle et les règles relatives au point de départ de la prescription et à l'incidence que la connexité des infractions peut exercer sur elle, satisfont au principe de prévisibilité, en ce qu'elles « sont anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs ». Sur ces deux points, la lecture du rapport de M. Prétot retiendra l'attention. Elle éclaire parfaitement les décisions de l'Assemblée plénière. Aux termes d'une analyse particulièrement fouillée, ce rapport conclut que la prescription de l'action publique et a fortiori la prescription à compter de la commission des faits délictueux, ne peut s'autoriser d'un principe fondamental reconnu par les lois de la république. Ni l'histoire

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de la prescription depuis la première république, ni la lecture des décisions du conseil constitutionnel ne militent en ce sens. L'exigence d'application continue normalement requise des lois susceptibles d'abriter en leur sein un principe fondamental reconnu par les lois de la République n'est pas ici remplie. L'analyse de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 (n° 99-408 DC, consid. 19, rec. Cons. const. 109) relative au projet de Traité portant statut de la Cour pénale internationale et notamment à l'imprescriptibilité des crimes relevant de la compétence de la Cour (art. 29 du Traité) conforte ce point de vue (V., contra, B. Mathieu pour qui le conseil ne s'est pas nettement prononcé). Au contraire du Conseil d'État, le Conseil constitutionnel avait posé « qu'aucune règle ni principe de valeur constitutionnelle n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves... ». Le conseil s'était également et dans le même sens prononcé sur la conformité des stipulations du Traité aux dispositions règles et principes de valeur constitutionnelle intéressant le droit pénal et la procédure pénale. Ce n'est qu'au regard du « respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » que l'article 29 du Traité posait difficulté. Le conseil constitutionnel ne pose nulle part ni de manière explicite ni implicite un principe de prescription qui ne figure d'ailleurs pas dans la liste des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République aux tables de sa jurisprudence. Cette réflexion du rapporteur rapidement résumée ici (V. le rapp., p. 31-47) et confortée par l'analyse de l'avocat général ont conduit l'Assemblée plénière à écarter le grief fait par les requérants au report du point de départ de la prescription qui, de facto, conduirait à une « imprescriptibilité de fait ». Sur la violation du principe de la prévisibilité de la loi en matière de procédure pénale, l'Assemblée plénière répond que « les règles relatives au point de départ de la prescription de l'action publique sont anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs ». Elle s'écarte ce faisant des analyses plus radicales proposées par son rapporteur qui contestait pour sa part la nature constitutionnelle du principe (V. rapp. du conseiller Prétot, p. 48-51). S'agissant de l'effet du lien de connexité sur la prescription, les exposés du droit positif repris très longuement par le rapporteur et par l'avocat général dans son avis suffisent très largement à convaincre du caractère ancien, connu et constant de la règle comme du caractère précis et objectif du critère mis en oeuvre. S'agissant du point de départ retardé de la prescription en raison du caractère occulte ou dissimulé de l'infraction, on ne peut manquer de relever comme le fait le rapporteur la dernière modification de l'article 8 du code de procédure pénale résultant de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 (LOPPSI II ; sur laquelle, V. Ph. Bonfils, cette Revue, 2011. 440 ). Depuis cette loi, le délai de prescription pour certains délits qu'elle énumère ne court qu'à compter « du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » quand la victime est une personne vulnérable. Or, non seulement le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi d'une contestation relative à cette disposition de la loi, mais, alors qu'il n'a pas hésité à soulever d'office la conformité d'autres dispositions de la loi à la constitution et à les déclarer contraires à la constitution, il n'a pas relevé cette disposition. Ni les majorités du parlement qui l'ont voté, ni les oppositions qui se sont abstenues de la soumettre au contrôle de constitutionnalité, ni le Conseil lui-même qui n'a pas soulevé d'office la question n'ont contesté la reprise dans la loi de cette technique du report du point de départ de la prescription au jour de la découverte de l'infraction alors même que s'y trouve postulé un lien entre la vulnérabilité de la victime et l'impossible découverte de l'infraction dans le délai normal de prescription qui est loin d'être évident en tous les cas. Dans ces conditions est-il sérieux en effet de soutenir que la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'abus de biens sociaux ou pour d'autres infractions occultes ou dissimulées serait contraire aux exigences de prévisibilité de la loi quand le législateur lui-même recourt à la même technique et au même critère sans encourir la sanction du Conseil constitutionnel ? Les arguments de principe avancés par certains contre la jurisprudence en cause leur sembleraient-ils impossibles à opposer à l'opinion publique quand il s'agit de personnes vulnérables ? Mais alors, ces arguments ne sont rien d'autre que des opinions de politique criminelle, respectables certes, mais limités dans leur portée, car fondés sur des points de vue très subjectifs telle l'idée que le temps économique ne serait pas le même que le temps judiciaire et que la poursuite des abus de biens sociaux selon les règles de prescription

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édictées par la chambre criminelle conduirait à des travaux « d'archéologie judiciaire » (V. sur ce point, La dépénalisation de la vie des affaires, Doc. fr., 2008, p. 97 s.). Il n'est point sûr que les victimes ou même l'opinion partagent ce point de vue. L'examen du droit positif établit sans difficulté le caractère ancien, connu, et le caractère objectif du critère utilisé par la jurisprudence pour retarder le point de départ de la prescription. Si la constance de la jurisprudence n'est pas totale s'agissant des abus de biens sociaux puisqu'elle s'est infléchie il y a presque quinze ans (Crim., 5 mai 1997, Bull. crim. 1997, n° 59) sous la pression d'ailleurs du même courant de pensée et en faveur des mêmes intérêts que ceux des requérants, il serait difficile de soutenir qu'elle n'est pas prévisible. Enfin, si la notion de dissimulation ne fait pas l'objet d'une définition précise ainsi que le note le rapporteur avec une partie de la doctrine (L. Saenko, La notion de dissimulation en matière d'abus de biens sociaux, évolution ou dérive ? RTD com. 2005. 671 ) et, si l'analyse de la jurisprudence peut paraître relever de la casuistique, ce n'est pas pour autant qu'elle perd en précision et donc en prévisibilité. Il est permis de penser que la CEDH, attachée à la prévisibilité de la loi, mais au sens qu'elle donne à ce mot, pourrait trouver une telle jurisprudence suffisamment fournie et constante pour la juger prévisible. La décision de l'Assemblée plénière sur cette question centrale de la prévisibilité se justifie à notre sens aisément par l'ensemble des considérations développées dans l'avis de l'avocat général et le rapport du conseiller. La décision dans son ensemble est sans doute heureuse au plan de la procédure pénale. Les questions soulevées par les requérants touchent en réalité des questions de politique criminelle plutôt que des questions de constitutionnalité. Que les règles et le régime de la prescription de l'action publique puissent et doivent être refondés, repensés, réformés dans leur ensemble, beaucoup dont le signataire de ces lignes le pensent (V. J. Danet, S. Grunvald, M. Herzog-Evans, et Y. Le Gal, Prescription, amnistie et grâce en France, coll. Thème et commentaire, Dalloz, 2007, 445 p.). Mais c'est là une mission qui incombe au législateur et c'est à une réforme d'ensemble de la prescription qu'il faut s'attacher. Des travaux parlementaires ont été menés en ce sens (Rapp. d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, J.-J. Hyest, H. Portelli, R. Yung, sénateurs, documents parlementaires (Sénat), n° 338, 2007) qui n'ont pas débouché sur une réforme en matière pénale au contraire de ce qui s'est passé pour la prescription civile. C'est sur le métier législatif qu'il faut remettre l'ouvrage plutôt que rechercher un coup de ciseau constitutionnel qui masquerait mal, et même aggraverait, certaines incohérences en la matière. Et c'est devant le parlement qu'il faudra bien alors affronter cette question de politique criminelle que masquaient ces QPC : est-il souhaitable sur le plan de l'efficacité de la répression et de la prévention générale que les auteurs d'infractions occultes ou dissimulées échappent à la répression parce qu'ils auront su par exemple organiser ces dissimulations ? Mots clés : SOCIETE * Abus de biens sociaux * Prescription * Point de départ * Question prioritaire de constitutionnalité CONSTITUTION ET POUVOIRS PUBLICS * Contrôle de constitutionnalité * Question prioritaire de constitutionnalité * Abus de biens sociaux * Prescription Revue de science criminelle © Editions Dalloz 2012

DOC 5: Recueil Dalloz 2012 p. 860 Précisions sur la valeur interruptive des actes préparatoires aux poursuites pénales Christine Courtin, Maître de conférences à l'Université de Nice-Sophia Antipolis, Directrice du pôle pénal et procédure pénale du CERDP (EA 1201)

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Et si la réforme de la prescription en matière pénale devenait enfin une priorité législative ! La prescription de l'action publique, présentée comme l'expression procédurale du droit à l'oubli, est en effet aujourd'hui une institution très critiquée. La défaveur pour cette institution se caractérise notamment par l'hostilité manifestée à son encontre par la jurisprudence (1). L'hostilité de la Cour de cassation à l'égard de la prescription se traduit, d'une part, par un report du point de départ du délai de prescription pour certaines infractions, et, d'autre part, par une tendance à multiplier les hypothèses d'interruption de la prescription, ce qui a pour effet d'en prolonger le délai. Ainsi, parce que la prescription de l'action publique apparaît aujourd'hui « caractéristique d'une multiplication de réformes législatives désordonnées et de solutions jurisprudentielles contra legem » (2), différentes études récentes, après analyse critique du droit positif en la matière, envisagent de manière détaillée des perspectives de réformes (3). Pour l'heure, une réforme d'ensemble destinée à restaurer la cohérence du droit de la prescription en matière pénale n'a toujours pas vu le jour. Les règles de la prescription de l'action publique sont énoncées par les articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale (4), le délai de prescription variant suivant la qualification légale de l'infraction. Aux termes de ces articles, l'interruption du délai de prescription découle de la réalisation d'actes réguliers de poursuite ou d'instruction. Or ces termes sont interprétés largement par la jurisprudence (5) comme en témoigne le présent arrêt de la chambre

criminelle du 1er février 2012. En l'espèce, deux époux ont porté plainte le 6 octobre 2008 auprès du procureur de la République du chef de violation de domicile, pour des faits qui auraient été commis, notamment par un huissier de justice, à l'occasion d'une expulsion, le 7 octobre 2005. Le 20 octobre 2008, le procureur de la République a adressé cette plainte au président de la chambre départementale des huissiers de justice en l'invitant à provoquer les explications de son confrère et à les lui transmettre assorties de son avis motivé. Les époux ont alors porté plainte avec constitution de partie civile le 23 janvier 2009, auprès du juge d'instruction de Marseille, du chef de violation de domicile. Ce dernier a rendu une ordonnance de non-lieu le 12 mai 2010. Pour confirmer cette ordonnance après avoir constaté l'extinction de l'action publique par la prescription, l'arrêt de la chambre de l'instruction relève que l'infraction de violation de domicile, à la supposer établie, a été commise le 7 octobre 2005 et que la prescription de l'action publique a été suspendue pendant trois mois, en application de l'article 85 du code de procédure pénale, du 6 octobre 2008 au 6 janvier 2009. La chambre ajoute que ni la plainte du 6 octobre 2008 ni le courrier adressé par le procureur de la République au président de la chambre départementale des huissiers de justice, le 20 octobre 2008, ne constituent des actes interruptifs de la prescription et qu'ainsi la prescription était acquise le 8 janvier 2009. Cette position est censurée par la haute juridiction. Après avoir affirmé, au visa des articles 7, 8, 40 et 41 du code de procédure pénale, « qu'interrompt le cours de la prescription de l'action publique tout acte du procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale », la chambre criminelle considère « que la lettre adressée par le procureur de la République au président d'une chambre départementale des huissiers de justice, pour lui demander de provoquer les explications d'un huissier de justice à la suite du dépôt d'une plainte et de les lui transmettre assorties d'un avis motivé, constitue un acte tendant à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ». Cet arrêt confirme ainsi l'interprétation extensive faite par la chambre criminelle de la notion d'acte de poursuite interruptif de la prescription de l'action publique (I), interprétation qui apparaît opportune au regard de la mission qui est dévolue au procureur de la République (II). I - L'interprétation extensive de la notion d'actes de poursuite interruptifs de prescription Si, en vertu des articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale, la prescription est interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite, le législateur ne dresse aucunement la liste de ces actes. Il n'est intervenu dans ce domaine que de manière ponctuelle. C'est ainsi que la loi n° 2004-404 du 9 mars 2004 a disposé que les actes tendant à la mise en oeuvre ou à l'exécution d'une composition pénale interrompent la prescription (6). C'est donc logiquement que la Cour de cassation est venue préciser les contours de la notion d'actes d'instruction et de poursuite interruptifs de prescription. Constituent de tels actes « ceux qui

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ont pour objet de constater une infraction, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs » (7). Dans le domaine de l'enquête, la plupart des actes accomplis par les représentants du parquet doivent donc être considérés comme ayant valeur interruptive. Mais doit-il en être ainsi des demandes de renseignements adressées par le parquet aux administrations ? Il est depuis longtemps admis que sont interruptives de prescription les instructions adressées par le procureur de la République à la police judiciaire (8) ou à des agents de l'Administration disposant de pouvoirs de police judiciaire (9). En revanche, les soit-transmis adressés à d'autres administrations étaient au départ considérés comme de simples demandes de renseignements non interruptives de prescription. C'est ainsi que la chambre criminelle a tout d'abord dénié la valeur d'acte interruptif à une demande de renseignements adressée par le procureur de la République au président de la chambre des notaires au sujet de faits dénoncés dans une plainte (10). Mais, dans la triste affaire des disparues d'Auxerre, elle allait au contraire considérer, au visa des articles 7, 40 et 41 du code de procédure pénale, que le soit-transmis du parquet adressé à la direction de l'aide sociale à l'enfance, consécutivement à un entretien avec une future partie civile, au cours duquel avait été dénoncée la disparition de plusieurs jeunes filles, disparition qui avait donné lieu auparavant à une enquête de gendarmerie, constitue un acte ayant pour objet de rechercher des infractions et d'en découvrir les auteurs et donc interrompant le cours de la prescription de l'action publique (11). Par la suite, la Cour de cassation a admis le caractère interruptif d'un soit-transmis par lequel le procureur de la République sollicitait l'avis de la direction départementale de l'équipement quant à l'opportunité de la démolition d'une construction irrégulière (12). Dans le même sens, la chambre criminelle a considéré que constitue un acte interrompant le cours de la prescription le soit-transmis du procureur de la République à l'administration des affaires maritimes ayant pour objet de recueillir l'avis de cette administration sur la réglementation applicable et précisant qu'il envisage d'entamer les poursuites dès retour de l'avis sollicité (13). Le présent arrêt s'inscrit donc dans la continuité de la jurisprudence de la chambre criminelle et confirme l'interprétation extensive qu'elle retient de la notion d'actes de poursuite interruptifs de la prescription de l'action publique. Mais, si une interprétation extensive des actes interruptifs est tout à fait envisageable, encore faut-il qu'elle ne dénature pas la notion elle-même. Or, en l'espèce, l'interprétation de la demande de renseignements opérée par la chambre criminelle apparaît tout à fait opportune. II - Une interprétation opportune de la notion d'actes de poursuite interruptifs de prescription La solution adoptée dans le présent arrêt apparaît opportune, d'une part, au regard de la jurisprudence qui dénie tout effet interruptif à la plainte simple de la victime d'une infraction, et, d'autre part, en considération de la finalité de la demande de renseignements adressée par le parquet. Contrairement aux plaintes avec constitution de partie civile, les dénonciations et simples plaintes adressées au parquet ne peuvent interrompre le délai de prescription (14). Cela se justifie par le fait que de tels actes ont seulement pour objet de provoquer des poursuites et c'est en définitive au ministère public qu'il revient d'apprécier les suites à leur donner. Pour autant, la plainte d'une victime, même simple, n'a-t-elle pas pour objet de dénoncer une infraction aux fins d'en voir juger son auteur ? C'est pourquoi un auteur a pu estimer à juste titre que la jurisprudence refusant de reconnaître un effet interruptif à une plainte simple a de quoi surprendre, et ce, pour plusieurs raisons (15). En effet, cette solution détonne tout d'abord par rapport au mouvement jurisprudentiel hostile à la prescription. Ensuite, elle manque de cohérence au regard de la jurisprudence selon laquelle le procès-verbal recueillant la plainte de la victime d'une infraction est interruptif du délai de prescription (16). Or un tel procès-verbal, tout comme la plainte simple de la victime adressée au parquet, reste tributaire du principe de l'opportunité des poursuites du parquet. Une victime a ainsi tout intérêt à porter plainte auprès des services de police plutôt que de saisir directement le procureur de la République. Parce que l'on ne peut nier le fait qu'en déposant plainte, la victime a la volonté de provoquer des poursuites, cet auteur propose d'insérer au sein d'un nouvel article du code de procédure pénale un alinéa aux termes duquel « les actes de poursuite, ainsi que les simples plaintes, sont également interruptifs de prescription » (17).

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Par ailleurs, il importe de prendre en considération les circonstances dans lesquelles la demande de renseignements est adressée à l'administration concernée. Dès lors que ces circonstances sont de nature à démontrer la volonté du parquet de vérifier les affirmations de l'auteur de la plainte ou de la dénonciation afin, le cas échéant, de mettre en mouvement l'action publique, l'acte en question doit acquérir une valeur interruptive. En effet, pour valoir acte interruptif de prescription, l'acte de procédure accompli doit être une manifestation de faire évoluer le dossier pénal. Ainsi, « l'adoption d'un critère finaliste plutôt qu'organique de l'acte interruptif a conduit la jurisprudence à retenir tous les actes qui manifestent, d'une manière ou d'une autre, la volonté des autorités compétentes de faire aboutir une procédure répressive » (18). Avec le présent arrêt, la Cour de cassation confirme, qu'à côté des actes d'instruction et de poursuite par nature, doivent être pris en considération ceux qui le sont par destination (19). En effet, en s'adressant à la chambre départementale des huissiers de justice, même en dehors du cadre d'une réelle enquête ou d'une instruction, afin d'obtenir des renseignements, le parquet manifeste une volonté répressive implicite, cette demande de renseignements présentant indéniablement le caractère d'un acte préparatoire à une éventuelle action judiciaire. Il est vrai qu'en l'espèce, la volonté du parquet de poursuivre l'infraction dénoncée pouvait présenter un caractère équivoque, celui-ci n'ayant pas formellement manifesté son intention de poursuivre dès le retour de l'avis motivé sollicité. Néanmoins, le présent arrêt se situe dans la continuité de la jurisprudence de la chambre criminelle qui a pu affirmer que des demandes de renseignements à l'Administration peuvent être interruptives de prescription si, au regard des circonstances dans lesquelles elles ont été délivrées, elles révèlent la volonté de mettre en mouvement l'action publique après certaines vérifications (20). En l'espèce et conformément à l'article 41 du code de procédure pénale, sur lequel l'arrêt se base, aux termes duquel « le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale », le parquet, par le courrier adressé, entendait être informé des procédures applicables concernant l'objet de la cause et sollicitait l'avis éclairé du président de la chambre départementale des huissiers concernant l'infraction alléguée, en vue de recueillir les éléments devant l'éclairer sur la suite à donner à l'affaire. Cette demande de renseignements constituait donc bien un acte de recherche d'une infraction à la loi pénale dont le résultat conditionnait la mise en oeuvre des poursuites. L'élargissement de la notion d'actes interruptifs de prescription est tel qu'un auteur a proposé la substitution de l'expression « d'actes relatifs à la poursuite » à celle « d'actes de poursuites » (21). Dès lors, les demandes de renseignements présentant un caractère d'actes préparatoires à une éventuelle action judiciaire doivent-elles avoir ce caractère interruptif de la prescription de l'action publique (22). Mots clés : PRESCRIPTION PENALE * Action publique * Interruption * Acte de poursuite * Lettre du procureur de la République * Président d'une chambre départementale des huissiers de justice (1) Cf. P. Maistre du Chambon, L'hostilité de la Cour de cassation à l'égard de la prescription de l'action publique,

note ss. Crim. 20 févr. 2002, JCP 2002. II. 10075.

(2) A. Mihman, Comment réformer la prescription de l'action publique ?, RPDP 2007. 517, spéc. 520 ; V. égal. A.

Varinard, La prescription de l'action publique. Une institution à réformer, Mélanges Pradel, 2006, Cujas, p. 605 s.

(3) J. Danet, S. Grunvald, M. Herzog-Evans et Y. Le Gall [ss. la dir. de], Prescription, amnistie et grâce en France,

Rapport au GIP mission Recherche Droit et Justice, 2006 ; J.-J. Hyest, H. Portelli et R. Yung, Pour un droit de la

prescription moderne et cohérent, rapport d'information n° 338 sur le régime des prescriptions civiles et pénales, JO

Sénat 20 juin 2007.

(4) Pour une étude détaillée, cf. C. Courtin, Rép. pén., v° Prescription pénale.

(5) V. H. Elfre, Essai de liste des actes interruptifs de prescription de l'action publique, Gaz. Pal. 1987. Doctr. 427.

(6) Art. 41-2, al. 12, c. pr. pén.

(7) Crim. 9 mai 1936, DH 1936. 333.

(8) Crim. 16 mai 1973, Bull. crim. n° 224 ; D. 1974. 216, note J.-M. Robert ; 10 déc. 1997, n° 97-81.759, Bull. crim.

n° 421 ; D. 1998. 59 ; 2 avr. 1998, n° 97-84.191, Bull. crim. n° 131 ; 19 mars 2003, n° 02-83.752.

(9) Crim. 18 sept. 2002, n° 01-87.048.

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(10) Crim. 3 févr. 1977, Bull. crim. n° 45.

(11) Crim. 20 févr. 2002, n° 01-85.042, Bull. crim. n° 42 ; D. 2002. 1115 ; RSC 2003. 585, obs. A. Giudicelli ;

JCP 2002. II. 10075, note. P. Maistre du Chambon, préc.

(12) Crim. 26 févr. 2002, n° 01-84.186, Dr. pénal 2002. Comm. 75, obs. J.-H. Robert, et Comm. 79, obs. A. Maron.

(13) Crim. 28 juin 2005, n° 05-80.307, Bull. crim. n° 194 ; JCP 2005. IV. 29, et I. 159 ; Dr. pénal 2005. Comm.

152, obs. A. Maron ; Procédures 2005. Comm. 235, obs. J. Buisson.

(14) Crim. 5 déc. 1995, n° 94-81.913 ; 5 mai 1999, n° 98-82.024.

(15) Cf. A. Mihman, Juger à temps, Le juste temps de la réponse pénale, l'Harmattan, 2008, n° 115.

(16) Cf. Pour une plainte recueillie par un OPJ dans un procès-verbal, Crim. 23 juin 1998, n° 98-81.849, Bull. crim.

n° 203 ; 24 juin 2003, n° 02-85.169.

(17) A. Mihman, préc. note 2, p. 546.

(18) A. Varinard, op. cit., note 2, p. 608.

(19) Cf. A. Maron, préc. note 13.

(20) Crim. 28 juin 2005, préc.

(21) J. Pradel, obs. ss. Crim. 1er oct. 2003, n° 03-83.582, D. 2004. 667 .

(22) Cf. J. Buisson et S. Guinchard, Procédure pénale, 6e éd., Litec, 2010, n° 1248, p. 819.

DOC 6: Revue de science criminelle 2012 p. 184 Pas de principe constitutionnel de prescription en matière disciplinaire (Cons. const., 25 novembre 2011, n° 2011-199 QPC, AJDA 2011. 2317 ; ibid. 2012. 578, étude M. Lombard, S. Nicinski et E. Glaser ) Jean Danet, Maître de conférences, Université de Nantes La décision du Conseil constitutionnel n° 2011-199 du 25 novembre 2011 ne met certes pas un terme définitif aux débats houleux qu'ont suscité les arrêts de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 mai 2011 (V. H. Matsopoulou, cette Revue 2011. 611 et 656 , J. Danet et les références citées). Mais elle apporte une réponse partielle à la question générale posée par la décision précitée et par la décision du conseil d'État en date du 22 septembre 2011 sur l'existence d'un principe général de prescription. Aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n'ayant fixé le principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription, le grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de prescription des poursuites disciplinaires doit être écarté. Le commentaire de la décision publié par le conseil constitutionnel rappelle que trois conditions doivent être réunies pour admettre l'existence d'un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République. Pour être qualifié de « fondamental », le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics. Il faut, ensuite, que le principe trouve un ancrage textuel dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946. Il faut, enfin, qu'il n'ait jamais été dérogé à ce principe par une loi républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946. Le lecteur se souvient que l'analyse fouillée de l'histoire de la prescription menée par M. Prétot, rapporteur devant l'Assemblée plénière l'avait conduit à conclure que le principe même de la prescription de l'action publique, pour avoir été écarté deux fois au moins par le législateur de la Troisième République, ne répondait pas à l'exigence d'application continue normalement requise des lois

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susceptibles d'abriter en leur sein un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Si même, renouant avec une démarche qui, s'agissant du passé, a pu être qualifiée « d'éminemment subjective » par le rapporteur devant l'Assemblée plénière, le Conseil constitutionnel venait un jour à décider de l'existence d'un tel principe en matière d'action publique, la discussion ne serait pas close. Il resterait encore à savoir si ce principe peut souffrir que le point de départ du délai de prescription soit reporté par le législateur ou par la jurisprudence à une date ultérieure à celle des faits. Bref, la décision du Conseil constitutionnel ne vient pas contredire la solution de l'Assemblée plénière. Et les deux décisions viennent conforter la conviction qu'il appartient au législateur de s'emparer de cette question de la prescription de l'action publique pour lui redonner cohérence. Mots clés : PRESCRIPTION PENALE * Champ d'application * Principe fondamental reconnu par les lois de la République * Poursuite disciplinaire Revue de science criminelle © Editions Dalloz 2012

DOC 7 :

Document 62 de 82

Droit pénal n° 2, Février 2012, comm. 20

Point de départ du délai de prescription

A noter également par Michel VÉRON

CONCUSSION

Sommaire

Cass. crim., 16 nov. 2011, n° 10-88.838, F-D : JurisData n° 2011-028843

(...)

o Attendu que, pour déclarer non prescrits les faits visés à la prévention, l'arrêt énonce que

l'ensemble des délibérations contestées apparaissent comme participant d'une même et commune

intention et concourent au même but, à savoir le versement régulier des diverses indemnités

revendiquées par le prévenu ; que les juges relèvent que les manoeuvres constituées par les

délibérations des 29 octobre 2001, 15 octobre 2002 et 31 mars 2003, destinées à obtenir, soit une

exonération ou franchise de droits, soit la perception de sommes indues, constituent entre elles un

tout indivisible à l'origine des versements ou des exonérations ; qu'ils en déduisent que la

prescription n'a dès lors commencé à courir qu'à compter du dernier versement irrégulier, effectué

sur le fondement de la délibération du 31 mars 2003 qui a généré l'attribution au président du

conseil général jusqu'au 27 décembre 2005, daté de sa démission, d'indemnités de fonction

majorées de 45 %, de sorte qu'à la date où est intervenu le premier acte interruptif de prescription, à

savoir le soit-transmis du parquet du 13 avril 2007, les faits reprochés à M. X. n'étaient pas

couverts par la prescription ;

o Attendu qu'en statuant ainsi, le tribunal supérieur d'appel, qui a fait une exacte application de

l'article 8 du code de procédure pénale, a justifié sa décision ;

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D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

(...)

Observation : Cette décision de la Cour de cassation confirme la jurisprudence antérieure. Pour le délit de

concussion, la prescription ne commence à courir qu'à compter du dernier versement indu (Cass.

crim., 31 janv. 2007, n° 05-87.096 : JurisData n° 2007-037450 ; Dr. pén. 2007, comm. 74) ou de la

dernière exonération indue (Cass. crim., 31 janv. 2007, n° 06-81.273 : JurisData n° 2007-037451 ;

Bull. crim. 2007, n° 24 ; D. 2007, p. 1824, n° 8, obs. D. Caron et S. Ménotti), lorsque cette

opération est effectuée dans le cadre d'un ensemble de décisions formant un tout indivisible. En

l'espèce, la Cour de cassation considère que l'infraction n'était pas prescrite lors du premier acte

interruptif du parquet le 13 avril 2007, car les versements irréguliers d'indemnités de fonction

majorées de 45 % à un président de conseil général avaient été effectués sur le fondement d'une

délibération du 31 mars 2003, s'étaient poursuivis jusqu'au 27 décembre 2005, jour de la démission

du bénéficiaire. Il y avait là un tout indivisible.

Action publique. - Prescription. - Point de départ. - Concussion

Prescription. - Point de départ du délai. - Délit instantané. - Dernier acte

Textes : C. pén., art. 432-10

Encyclopédies : Pénal Code, Art. 432-10, fasc. 20, par A. Vitu

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ACTION CIVILE DOC 1: Revue de science criminelle 2012 p. 855 Irrecevabilité de la constitution de partie civile du syndicat défendant les intérêts de la profession à laquelle appartient le mis en examen (Crim., 10 mai 2011, n° 10-84.037, à paraître au Bulletin ; D. 2011. 1490 ; AJ pénal 2011. 525, obs. J. Lasserre Capdeville )

Agnès Cerf-Hollender, Maître de conférences à la Faculté de droit de Caen L'article L. 2132-3 du code du travail accorde aux syndicats professionnels jouissant de la personnalité civile le droit d'exercer devant toutes les juridictions, y compris pénales, les droits réservés à la partie civile, à la seule condition qu'un préjudice direct ou indirect soit porté à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. Le fait que la victime d'une infraction exerce la profession pour la défense de laquelle oeuvre le syndicat ne rend pas ipso facto la constitution de partie civile de ce dernier recevable (Crim., 13 avr. 2010, n° 09-85.775, cette Revue 2010. 871, nos obs. ). Il en est de même lorsque le professionnel s'avère être, non pas victime, mais pénalement poursuivi pour une infraction commise dans l'exercice de ses fonctions.

En l'espèce, un enfant de trois ans, hospitalisé pour une angine, est décédé à la suite de l'administration, par voie de perfusion, de chlorure de magnésium au lieu du sérum glucosé prescrit pour le réhydrater. Dans l'information ouverte du chef d'homicide involontaire, ont été mis en examen l'infirmière ayant administré le produit, le pharmacien chef de service du groupe hospitalier, deux cadres de l'hôpital et l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, personne morale. Le Syndicat national des pharmaciens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) s'est constitué partie civile par voie d'intervention. L'ordonnance du juge d'instruction déclarant cette constitution de partie civile irrecevable a été confirmée par la chambre de l'instruction, aux motifs, d'une part, que le syndicat « invoque un préjudice résultant de la mise en examen d'un de ses membres et non un préjudice résultant de la faute reprochée ... [et] qu'il est indifférent que la mise en examen soulève ou non une question de principe dans le cas où le syndicat ne conclut pas contre le mis en examen », et, d'autre part, que « l'infraction d'homicide involontaire reprochée à M. X... n'a pas porté atteinte à l'intérêt collectif des membres de la profession des pharmaciens praticiens hospitaliers universitaires ». La chambre criminelle rejette le pourvoi aux motifs « qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les faits d'homicide involontaire, objet de la présente information, ne portent pas par eux-mêmes un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs de la profession de pharmacien hospitalier représentée par le SNPHPU, les juges ont justifié leur décision ».

La question de la recevabilité de la constitution de partie civile des syndicats ou ordres pour des infractions commises dans l'exercice de la profession qu'ils représentent n'est pas nouvelle. La cour de cassation a déjà eu l'occasion de l'examiner, sans pour autant y apporter toujours la même réponse (V. la jurisprudence citée infra). Il n'y a pas d'antinomie de principe entre la mission de défense des intérêts collectifs et la possibilité, pour les syndicats, d'agir en justice contre certains membres de la profession. Les motifs de l'arrêt commenté, qui s'inscrivent dans la jurisprudence antérieure, permettent de mettre en lumière les critères permettant de déterminer si la constitution de partie civile syndicale contre un membre de la profession est ou non recevable. Ces critères tiennent non seulement à la nature de l'infraction et du préjudice subi, cause de l'action, mais surtout à l'objet de l'action que souhaite exercer le syndicat dans une telle situation.

Quant à la cause de l'action civile syndicale. La chambre criminelle rappelle que si le code du travail autorise les syndicats professionnels à exercer, devant toutes les juridictions, tous les droits réservés à la partie civile, c'est à la condition que les faits déférés au juge portent « par eux-mêmes un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession » qu'ils

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représentent. Il va de soi que la nature de l'infraction doit être prise en considération pour apprécier la recevabilité de l'action syndicale. Toutefois, aucune infraction n'est a priori incluse ou exclue de la formule employée, et tout dépend de la profession en cause. Ce qui importe avant tout, ce sont les conséquences de l'infraction. Elle doit porter préjudice, directement ou non, à l'ensemble de la profession représentée par le syndicat. Ce préjudice peut être d'ordre matériel. Ainsi, la constitution de partie civile de la Fédération des industries de la parfumerie à l'égard d'un parfumeur poursuivi du chef de publicité de nature à induire en erreur a été déclarée recevable en raison, notamment, de l'atteinte à la concurrence que l'infraction peut engendrer (Crim., 24 avr. 1997, n° 95-82.400, Bull. crim. n° 145 ; RTD com. 1998. 218, obs. B. Bouloc ; ibid. 219, obs. B. Bouloc ). Le préjudice peut aussi, et les espèces sont plus nombreuses ici, être d'ordre moral, dès lors que le comportement reproché jette le discrédit sur l'ensemble de la profession. Il est ainsi gravement préjudiciable à l'honneur, la moralité, la probité du corps médical qu'un médecin extorque des fonds à ses patients (Crim., 6 juill. 1994, n° 93-83.894, Bull. crim. n° 267 ; RDSS 1996. 98, obs. E. Alfandari ; RTD com. 1995. 158, obs. E. Alfandari ), ou se rende complice d'exercice illégal de la pharmacie (Crim., 15 févr. 2000, n° 99-81.290, Bull. crim. n° 66), ou encore qu'un conseiller prud'homme rédige des jugements non conformes au délibéré dans un sens défavorable aux salariés (Crim. 7 mars 1996, n° 95-82.659, Bull. crim. n° 107). Une extorsion de fonds ou un faux en écritures publiques révèlent une réelle malhonnêteté, qui, rejaillissant sur l'ensemble de la profession, rendent l'action civile du syndicat ou de l'ordre recevable.

Dans l'espèce commentée, la mort d'un enfant de trois ans est reprochée, suite à une erreur médicale grossière. Les faits sont certes non intentionnels, et ne relèvent pas d'une malhonnêteté caractérisée, mais de telles fautes peuvent malgré tout porter atteinte à l'honneur des pharmaciens et praticiens hospitaliers, et à la confiance que le public peut avoir dans le système de santé. Pour autant, on note une quasi inexistence des constitutions de partie civile d'ordres ou de syndicats dans de telles situations. En l'espèce d'ailleurs, le syndicat n'invoquait pas un préjudice moral lié à l'opprobre jeté sur la profession, mais un préjudice « résultant de la mise en examen de l'un de ses membres ». Or le préjudice ouvrant le droit de se constituer partie civile doit résulter des faits et de la faute reprochés à la personne poursuivie. La mise en examen est certes motivée par des indices graves ou concordants de participation aux faits dont le juge d'instruction est saisi, mais elle est décidée par ce magistrat. Elle est, tout comme le serait le jugement de condamnation, une conséquence juridique, et non matérielle, de l'infraction. Une mise en examen ne peut être analysée comme un préjudice découlant de l'infraction, et imputable à son auteur, fut-ce indirectement. Au-delà du caractère direct ou non du préjudice, c'est l'objet même de l'action civile qui est ici détourné.

Quant à l'objet de l'action civile syndicale. Il est admis de longue date que l'action civile devant le juge pénal a un double objet, indemnitaire et vindicatif, ces deux facettes pouvant être dissociées (V. F. Boulan, Le double visage de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, D. 1973. doctr. 2563). Aucune d'elles n'était caractérisée en l'espèce. La chambre de l'instruction souligne que le syndicat « ne conclut pas contre le mis en examen ». Le syndicat en effet invoquait, on l'a vu, un préjudice résultant de la mise en examen d'un ses membres. Il soutenait agir pour « une question de principe », et que « les faits d'homicide par imprudence en cause en l'espèce devaient être considérés comme résultant d'une faute d'organisation de l'AP-HP qui était de nature à porter atteinte à l'intérêt de la profession des pharmaciens hospitaliers dès lors que ceux-ci pouvaient voir leur fonction rendue plus compliquée et permettre l'engagement de leur responsabilité ». Il ne s'agissait donc pas pour le syndicat de solliciter l'octroi de dommages et intérêts, ni de corroborer l'action publique. Bien au contraire. Il cherchait à participer à la procédure afin, d'une part, de remettre en cause le principe même de la responsabilité pénale des praticiens hospitaliers en cas d'accidents médicaux, et, d'autre part, de défendre la personne physique mise en examen en mettant en avant, en amont des fautes qui lui étaient reprochées, des fautes d'organisation imputables à la personne morale (l'Assistance-publique-hôpitaux de Paris) susceptibles d'écarter ou d'atténuer sa responsabilité pénale.

L'arrêt du 10 mai 2011 est à rapprocher d'autres décisions. La chambre criminelle a ainsi par le passé approuvé l'irrecevabilité de l'intervention du syndicat national des psychiatres, qui, à l'occasion de poursuites pour homicide involontaire, avait déposé, devant la cour d'appel, des

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conclusions non pas contre le médecin relaxé en première instance, mais contre les parties civiles, proches de la victime décédée (Crim., 6 déc. 1978, n° 77-93.910, Bull. crim. n° 347). Dans un arrêt du 16 février 1999, l'irrecevabilité avait pareillement été approuvée à l'égard d'un syndicat de contrôleurs aériens, qui souhaitait intervenir au cours de l'instruction afin d'avoir accès au dossier et apporter ainsi un soutien au contrôleur aérien inculpé d'homicide suite à un accident d'avion (Crim., 16 févr. 1999, n° 98-81.621, Bull. crim. n° 18 ; D. 1999. 79 Crim. 16 févr. 1999, n° 98-81.621 ; Dr. pén. 1999 comm. 63, obs. A. Maron).

Ce type de constitution de partie civile syndicale se doit d'être déclaré irrecevable, car il constitue un double détournement. D'une part, un détournement de l'action civile devant le juge pénal, car le syndicat tend à apporter un soutien au professionnel mis en examen, ce qui est en contradiction avec l'objet vindicatif de l'action civile. D'autre part, un détournement de l'action syndicale, qui doit tendre à la défense de l'intérêt collectif de la profession, et non de l'intérêt particulier d'un professionnel poursuivi pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions.

Mots clés : ACTION PUBLIQUE * Constitution de partie civile * Recevabilité * Syndicat professionnel * Profession du mis en examen

Revue de science criminelle © Editions Dalloz 2012

DOC 2: Dalloz actualité 22 mai 2012 Recevabilité de l'action des familles de soldats français tués en Afghanistan Crim. 10 mai 2012, F-P+B, n° 12-81.197 S. Lavric Résumé La chambre criminelle juge recevable la plainte avec constitution de partie civile déposée auprès du juge d'instruction près le tribunal aux armées de Paris par des parents de soldats français tués lors d'une opération militaire menée en 2008 en Afghanistan. En 2008, plusieurs soldats français appartenant à la Force d'intervention, d'assistance et de sécurité, mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, trouvèrent la mort au cours d'une offensive ennemie alors qu'ils effectuaient une mission de reconnaissance. Leurs parents déposèrent une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction près le tribunal aux armées de Paris contre personne non dénommée, des chefs de mise en danger d'autrui et non-empêchement d'un crime. Le magistrat instructeur décida, sur réquisitions contraires du ministère public, qu'il y avait lieu à informer du chef d'homicides involontaires. Statuant sur l'appel formé par le procureur de la République près le tribunal aux armées, la chambre de l'instruction confirma, par un arrêt du 30 janvier 2012, l'ordonnance déférée. Le procureur général près la cour d'appel de Paris forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Dans sa décision, la chambre criminelle se prononce en deux temps. Elle rejette d'abord les deux premiers moyens de cassation contestant la mise en mouvement de l'action publique par

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les ayants droit des victimes, fondés notamment sur la méconnaissance de l'article 113-8 du code pénal (relatif aux conditions d'exercice des poursuites, en France, pour des délits perpétrés à l'étranger par un Français ou sur un Français, et qui exige une requête du ministère public, précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle de l'autorité du pays où les faits ont été commis ; sur le verrou

procédural de l'art. 113-8, V. Rép. pén., v° Compétence internationale, par Brach-Thiel, nos 183 s.) et la mauvaise application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (Conv. EDH. – droit à un procès équitable). Sur ce point, la haute Cour relève que la chambre de l'instruction a justifié sa décision en invoquant deux arguments : 1- le fait que l'application de l'article 113-8 du code pénal reviendrait à vider de sa substance le second alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale prévoyant que l'action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée ; 2- le fait que le refus du ministère public d'engager les poursuites priverait les plaignants du droit

de faire décider d'une contestation sur leurs droits à caractère civil (au sens de l'art. 6, § 1er, Conv. EDH). Elle estime que l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs invoqués, « dès lors que, d'une part, en vertu des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-7 du code de justice militaire, le tribunal aux armées de Paris, devenu juridiction spécialisée de Paris depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, a compétence, sans aucune restriction, pour connaître des infractions commises hors de la République par des militaires des forces armées françaises ou à leur encontre (sur cette nouvelle compétence du tribunal aux armées de Paris, V. Rép. pén., v° Justice militaire, par Rayne) ; que, d'autre part, aucune fin de non-recevoir ne peut être opposée à la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée autre que celles prévues par les articles 85 et suivants du code de procédure pénale (pour les conditions de la plainte avec constitution de partie civile, V. Rép. pén. Dalloz,

vo Partie civile, par Bonfils, nos 91 s.), seuls textes auxquels renvoient les dispositions de l'article 698-2 du code précité, et qu'il a été satisfait aux exigences prévues par l'article 698-1 dudit code ». Les articles 697 et suivants du code de procédure pénale organisent la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et délits en matière militaire en temps de paix. L'article 689-2, en

particulier, prévoit, dans un alinéa 1er, que « l'action civile en réparation du dommage causé par l'une des infractions mentionnées au premier alinéa de l'article 697-1 appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction » ; dans un

alinéa 2, entré en vigueur le 1er janvier 2002, le texte précise que « l'action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée dans les conditions fixées par les articles 85 et suivants ». À cet égard, il avait déjà été jugé que la plainte avec constitution de partie civile d'un gendarme contre des militaires pour dénonciations calomnieuses devait, en vertu des

dispositions de l'article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, être déclarée recevable lorsque le parquet refuse d'engager des poursuites, en raison de son caractère déterminant pour pouvoir agir en réparation des dommages causés par cette

infraction (Crim. 19 juin 2001, Bull. crim. no 147, Dr. pénal 2001. Chron. 48, obs. Marsat). L'article 698-1, pour sa part, prévoit que « l'action publique est mise en mouvement par le procureur de la République territorialement compétent, qui apprécie la suite à donner aux faits portés à sa connaissance, notamment par la dénonciation du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui » ; à défaut, le procureur doit demander préalablement à tout acte de poursuite, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l'avis du ministre ou de l'autorité militaire habilitée. Cet avis est demandé par tout moyen et il est donné, sauf urgence, dans le délai d'un mois. La dénonciation ou l'avis figure au dossier à peine de nullité. La chambre criminelle déduit donc de la compétence générale du tribunal aux armées de Paris pour les infractions commises à l'étranger (CJM, art. L. 121-1 à L. 121-7) et de la lettre de l'article 698-2 du code de procédure pénale, qui renvoie aux seuls articles 85 et suivants du même code, la soustraction des faits en cause, ressortissant à une matière spécifique, au champ d'application de l'article 113-8 du code pénal. On rappellera qu'en principe, les victimes ne disposent pas, dans le cas précis des délits commis à l'étranger, de la faculté de porter plainte avec constitution de partie civile (V. P. Bonfils, art. préc., n° 95 ; Crim. 7 avr. 1967, Bull. crim. n° 107 ; 11 juin 2003, Bull. crim. n° 119 ; D. 2004. Somm. 308, obs. de Lamy ;

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Rev. pénit. 2004. 392, obs. P. Bonfils), le juge d'instruction pouvant valablement rendre une ordonnance de refus d'informer (Crim. 13 juin 1974, Bull. crim. n° 219). La haute cour repousse également le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 86 du code de procédure pénale. Ce texte, relatif à la constitution de partie civile déposée devant le juge d'instruction, prévoit notamment que « le procureur de la République ne peut saisir le juge d'instruction de réquisitions de non informer que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ou si, à supposer ces faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ». Sur ce point, la chambre criminelle note que les réquisitions du parquet se fondaient sur l'impossibilité de qualifier pénalement les circonstances de la mort de soldats tués au combat au cours d'une offensive ennemie, et l'absence de relation de causalité entre l'organisation de la mission et ces décès. Elle relève que la chambre de l'instruction, pour sa part, a considéré l'hypothèse d'un acte involontaire (maladresse, imprudence, inattention, négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement) ayant causé directement ou indirectement la mort, en estimant qu'il n'existait, aux termes de l'article L. 4111-1 du code de la défense, aucune exonération de principe pour les actes involontaires réalisés par des militaires pendant des opérations en temps de paix. Les faits pouvant recevoir une qualification pénale, elle confirme que le juge d'instruction avait l'obligation d'instruire, contrairement aux réquisitions du parquet. Mots clés : PENAL * Droit pénal international * Instruction Dalloz actualité © Editions Dalloz 2012

DOC 3: Recueil Dalloz 2012 p. 1010 Constitution de partie civile : rattachement à un crime par un lien d'indivisibilité Arrêt rendu par Cour de cassation, crim. 4 avril 2012 n° 11-81.124 (n° 2066 F-P+B) Sommaire :

Il résulte des articles 1er, 2 et 85 du code de procédure pénale que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. Lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris 2e sect., ch. instr. 31 janvier 2011 (Cassation) Texte(s) appliqué(s) : Code de procédure pénale - art. 1 - art. 2 - art. 85 Code pénal - art. 433-1 - art. 432-11 Mots clés : ACTION CIVILE * Recevabilité * Constitution * Partie civile * Préjudice * Relation directe * Homicide volontaire * Lien d'indivisibilité * Karachi PROCEDURE PENALE * Enquête * Homicide volontaire * Partie civile * Constitution * Faits * Lien d'indivisibilité

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Recueil Dalloz © Editions Dalloz 2012

DOC 4 :

La Semaine Juridique Edition Générale n° 23, 4 Juin 2012, 674

Affaire Karachi : une nouvelle consécration du droit à la vérité

Note sous arrêt par Chantal Cutajar

professeur affilié à l'École de management Strasbourg, directeur du master 2 Prévention des

fraudes et du blanchiment, université de Strasbourg

Procédure pénale

Sommaire

Il ressort des articles 1, 2 et 85 du Code de procédure pénale que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la

juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles

l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. Lorsqu'une information judiciaire a été

ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en

mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien

d'indivisibilité.

Cass. crim., 4 avr. 2012, n° 11-81.124, F P+B : JurisData n° 2012-006071

LA COUR - (...)

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 1, 2 et 85 du code de procédure pénale ;

o Attendu qu'il ressort de ces textes que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable

devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie

permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe

de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; que lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à

la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef

sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est

possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité ;

o Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par contrat en date du 21

septembre 1994, la direction des constructions navales internationales (DCN-I) a vendu trois sous-

marins à l'État du Pakistan, pour un prix de 826 millions d'euros ; que, le 8 mai 2002, onze

employés français de la DCN travaillant à l'assemblage de l'un de ces sous-marins ont trouvé la

mort dans l'explosion, à Karachi, du véhicule à bord duquel ils se trouvaient ; que, le 27 mai 2002,

une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée des chefs d'assassinats,

complicité et tentative ; que, le 15 juin 2010, des ayants droit des victimes de cet attentat ont porté

plainte et se sont constitués partie civile devant le doyen des juges d'instruction des chefs,

notamment, d'entrave à la justice, faux témoignage, corruption active et passive au visa des articles

432-11 et 433-1 du code pénal, abus sociaux et recel aggravé ; qu'ils exposaient avoir appris par la

51

presse que selon les rapports "Nautilu", datés des 11 septembre et 7 novembre 2002, établis à la

demande de la DCN-I par un ancien agent de la direction de la sécurité du territoire dans le cadre

d'une autre information judiciaire, le marché en cause n'avait pu être obtenu qu'en contrepartie de

l'engagement de la DCN-I de verser aux autorités pakistanaises des commissions représentant 10,

25 % de ce marché ; que ces versements devaient être effectués par l'intermédiaire de deux réseaux,

dont le second, animé par M. Y, et qui avait été imposé à la DCN-I par le ministère de la défense

français alors que l'affaire était sur le point d'être conclue, aurait assuré, par versement de

rétrocommissions, le financement de la campagne présidentielle de M. X en 1995, puis celui de

l'association pour la réforme créée après son échec à cette élection ; que, selon les parties civiles,

ces mêmes documents établissaient que l'attentat de Karachi avait été commis par des islamistes

instrumentalisés par des membres de l'armée pakistanaise et des services secrets de cet État, afin

d'obtenir le versement des commissions restant dues au second réseau, environ 60 millions de

francs, dont M. Z, président de la République, élu en 1995, aurait ordonné la cessation, pour tarir le

financement de son adversaire ; que, le 7 septembre 2010, le procureur de la République a requis le

juge d'instruction, d'une part, d'informer des chefs d'entrave à la justice et faux témoignage, d'autre

part, de déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des chefs d'abus de biens sociaux,

corruption et recel ; que, par ordonnance du 6 octobre 2010, ce magistrat a déclaré les parties

civiles recevables à se constituer pour l'ensemble des délits précités, relevant notamment qu'elles

faisaient "un lien direct entre l'attentat et les commissions qui auraient été destinées soit à

corrompre les autorités pakistanaises, soit à verser en France des rétrocommissions", et qu'ainsi,

pour les parties civiles, "les contrats de commission constituaient une condition sine qua non de la

conclusion du marché du 21 septembre 1994, dont les conditions d'exécution étaient l'origine et la

cause directe de l'attentat" ; que, par une seconde ordonnance du 18 novembre 2010, le juge

d'instruction a également déclaré d'autres salariés de la DCN-I blessés lors de l'attentat, ainsi que

des membres de leur famille, recevables à se constituer partie civile dans la même information, des

mêmes chefs ;

o Attendu que, saisie de l'appel du ministère public contre ces deux ordonnances, pour déclarer

irrecevables les constitutions de partie civile des chefs de corruption, abus de biens sociaux et recel,

la chambre de l'instruction prononce par les motifs repris aux moyens ;

o Mais attendu qu'en statuant ainsi, par le seul examen abstrait des plaintes, sans rechercher, par

une information préalable, si les faits visés dans ces dernières n'entraient pas dans les prévisions des

articles 433-1 et 432-11 du code pénal, et alors qu'il se déduit des plaintes des parties civiles que les

faits dénoncés sous les qualifications d'abus de biens sociaux, corruption d'agent public français,

recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d'indivisibilité aux faits d'assassinats, la

chambre de l'instruction a méconnu les textes précités et le principe ci-dessus énoncé ;

o D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant

en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet

l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

o Casse et annule (...) ;

o Déclare recevable en l'état la constitution de partie civile des plaignants des chefs de corruption

d'agent public français, abus de biens sociaux, recel aggravé ; Ordonne le retour du dossier au juge

d'instruction du tribunal de grande instance de Paris afin de poursuivre l'information ; (...)

M. Louvel, prés., Mme Labrousse, cons.-rapp., MM. Dulin, Bayet, Rognon, Bloch, Mmes Nocquet,

Ract-Madoux, Desgrange, Canivet-Beuzit, cons., Mme Moreau cons.-réf., M. Berkani, av. gén. ;

SCP Boré et Salve de Bruneton et Me Spinosi, av.

1. CONTEXTE L'arrêt commenté s'inscrit dans le volet judiciaire financier de l'attentat de Karachi qui, le 8 mai

2002, provoqua la mort de onze employés français de la Direction des constructions navales

internationales (DCN-I) et en blessa douze autres dans l'explosion d'un véhicule de la marine

52

pakistanaise à bord duquel ils se trouvaient. Ces salariés travaillaient dans le cadre du contrat de

vente par la DCN-I au Pakistan du 21 septembre 1994 de trois sous-marins pour un montant de 826

millions d'euros. Une information judiciaire était ouverte contre personne non dénommée le 27 mai

2002 au TGI de Paris des chefs d'assassinats, complicité et tentative. Mais l'affaire connaît un

rebondissement lorsque sont saisis dans les locaux de la DCN, au cours de perquisitions réalisées

en 2008 dans le cadre d'une autre information judiciaire, deux rapports internes dénommés «

rapports Nautilus », datés des 11 septembre et 7 novembre 2002. Ces rapports, qui avaient été

commandés par la société DCN-I à un ancien agent de la DST dans le but de rechercher notamment

sur qui pouvait rejaillir la responsabilité de l'attentat du 8 mai 2002, établissaient un lien entre

l'attentat et l'arrêt du versement de commissions à des intermédiaires pakistanais et de rétro

commissions destinées à financer illicitement la campagne des élections présidentielles françaises

de 1995.

Se fondant sur les rapports Nautilus, les victimes et leurs ayants droit se constituent alors partie

civile des chefs d'entrave à la justice, corruption, abus de biens sociaux, faux témoignage, extorsion

en bande organisée et recel aggravé. Le juge d'instruction reçoit les constitutions considérant qu'il

pouvait exister « un lien direct entre l'attentat et les commissions qui auraient été destinées soit à

corrompre les autorités pakistanaises, soit à verser en France des rétro commissions » et que dès

lors, « les contrats de commission constituaient une condition sine qua non de la conclusion du

marché du 21 septembre 1994 dont les conditions d'exécution étaient l'origine et la cause directe de

l'attentat ».

Le parquet interjette appel de ces ordonnances. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de

Paris par un arrêt du 31 janvier 2011 les infirme et décide que les constitutions de partie civile du

chef de corruption d'agent public étranger au visa de l'article 435-3 du Code pénal sont irrecevables,

le ministère public disposant du monopole des poursuites en vertu de l'article 435-6 de ce même

code. Elle juge en outre « erroné » le visa des articles 432-11 et 433-1 du Code pénal tant dans les

constitutions de partie civile que dans les ordonnances contestées estimant que rien dans l'enquête

préliminaire ni dans les ordonnances du juge d'instruction ne permet d'envisager « l'hypothèse d'une

corruption qui ne concernerait pas des agents publics pakistanais ». Elle rejette également les

constitutions de partie civile du chef d'abus de biens sociaux en raison du caractère indirect du

préjudice invoqué et déduit de l'absence d'infraction d'origine l'impossibilité de retenir le délit de

recel. Enfin, elle décide que la connexité des infractions « dépendantes les unes des autres en raison

du lien qui les unissent », « ne rend pas, au titre de la connexité, une partie recevable à se constituer

pour une infraction pour laquelle, sans connexité, elle ne serait pas recevable ».

L'arrêt commenté casse sans renvoi cette décision au visa des articles 1, 2 et 85 du Code de

procédure pénale et ordonne le retour du dossier au juge d'instruction du TGI de Paris afin de

poursuivre l'information.

La question au coeur du débat judiciaire était de savoir si les victimes d'assassinat et de tentative

perpétrés lors des attentats de Karachi et leurs ayants droit et constituées de ce chef, pouvaient

mettre en mouvement l'action publique pour des faits de corruption d'agents publics français,

d'abus de biens sociaux et de recel de ces infractions. La solution retenue, parfaite techniquement,

abonde l'idée juste que les victimes doivent disposer, grâce au mécanisme de la constitution de

partie civile, d'un droit effectif non seulement à obtenir réparation des dommages subis, mais aussi

à participer effectivement à la recherche de la vérité.

2. ANALYSE La chambre criminelle fonde la solution sur un attendu de principe, selon lequel « pour qu'une

constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les

circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence

du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale » (Cass.

crim., 9 nov. 2010, n° 09-88.272 : JurisData n° 2010-020839 ; JCP G 2010, note 1174, C. Cutajar,

et jurispr. citée). Puis elle consacre le droit pour les parties civiles constituées du chef d'atteinte à la

53

vie d'une personne, de mettre en mouvement l'action publique « pour l'ensemble des faits dont il

est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité ». Elle fait reproche

à la chambre de l'instruction d'avoir écarté la qualification de corruption d'agent public français à

partir d'un examen abstrait des plaintes (1) et recourt à la notion d'indivisibilité avec les assassinats

pour autoriser le déclenchement de l'action publique pour l'ensemble des faits dénoncés et vaincre

ainsi l'inertie du ministère public (2).

A. - La qualification de corruption d'agent public français

En droit, le juge d'instruction et la chambre de l'instruction sont saisis in rem, de l'ensemble des

faits visés dans l'acte de poursuite, en l'espèce de la plainte avec constitution de partie civile des

victimes directes ou indirectes. Ni le juge d'instruction ni la chambre de l'instruction ne sont liés par

les qualifications provisoires du ministère public ou des parties civiles. Ils ont toute latitude pour

requalifier les faits. Telle semble avoir été l'option prise par la chambre de l'instruction lorsqu'elle

juge que les faits pour lesquels le juge d'instruction était saisi n'étaient susceptibles que de la seule

qualification de corruption d'agent public étranger prévue par l'article 435-3 du Code pénal et que

c'est par erreur que la plainte et les ordonnances contestées ont visé les articles 432-11 et 433-1

sanctionnant respectivement la corruption et le trafic d'influence actif et passif d'agents publics

français. La chambre de l'instruction pensait ainsi pouvoir écarter la compétence du juge

d'instruction puisque l'article 435-6 du Code pénal confère au ministère public le monopole des

poursuites pour corruption d'agent public étranger n'appartenant pas à l'Union européenne. Mais, la

chambre criminelle, sans contester le principe de la requalification fait reproche à la chambre de

l'instruction de ne pas avoir fondé cette requalification sur une information préalable et de s'être

cantonnée à « un examen abstrait » des plaintes.

L'analyse de la chambre criminelle doit être approuvée tant il est patent que la chambre de

l'instruction s'est livrée à une interprétation controuvée des faits tels qu'ils résultaient des pièces de

la procédure. Ainsi, la vente des sous-marins en 1994 par le Gouvernement français au Pakistan

était assortie de promesses de versement de commissions représentant 10,25 % du montant du

marché ; que ces commissions étaient destinées à deux réseaux dont le second, animé par Y, de

nationalité française, imposé à la DCN-I par le ministère de la Défense français alors que l'affaire

était sur le point d'être conclue, aurait assuré par le versement de rétro commissions, le financement

de la campagne présidentielle de X en 1995 puis de celui de l'association pour la réforme, créée

après l'échec de ce dernier à cette élection ; que l'arrêt du versement des commissions, qui serait

intervenu à la demande du nouveau président de la République au lendemain de son élection en

1995 pourrait être à l'origine de l'attentat de Karachi du 8 mai 2002. Il n'était évidemment pas

possible, en l'état de ces constatations, sans procéder à un complément d'information, d'occulter

ainsi la qualification de corruption d'agent public français.

Au-delà, le recours à la notion d'indivisibilité entre les faits dénoncés et les assassinats permet

à la chambre criminelle de fonder en droit la compétence du juge d'instruction pour informer

sur l'ensemble des faits dont il était saisi.

B. - Le lien d'indivisibilité entre les faits dénoncés et l'assassinat

La chambre criminelle soulève d'office la notion d'indivisibilité alors que la plainte et les pourvois

visaient l'article 203 du Code de procédure pénale sur la connexité. Le concept d'indivisibilité,

évoqué à l'article 382, alinéa 3, du Code de procédure pénale n'est pas défini par la loi. Il est

habituellement utilisé par la jurisprudence pour proroger de manière obligatoire (Cass. crim., 24

mars 1893 : Bull. crim. 1893, n° 245 ; D. 1995, 1, p. 404. - Cass. crim., 5 mai 1960 : Bull. crim.

1960, n° 245) la compétence d'une juridiction à des hypothèses non prévues par la loi, notamment «

lorsque entre les divers faits, il existe un lien tel que l'existence des uns ne peut se comprendre sans

celle des autres » (Cass. crim., 24 juill. 1875 : Bull. crim. 1875, n° 239, cité par J. Pradel,

Procédure pénale : Cujas, 16e éd., n° 91, p. 89, note 7. - Cass. crim., 13 juin 1968, n° 68-90.382 :

Bull. crim. 1968, n° 196. - Cass. crim., 18 août 1987, n° 87-83.084 : D. 1988, somm. p. 194, note J.

54

Pradel, citées par S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale : LexisNexis, 6e éd., p. 785, note

56) ou encore « lorsque ces faits sont si intimement liés entre eux que l'une des infractions est la

suite nécessaire de l'autre » (Cass. ch. réunies, 22 avr. 1869 : DP 1869, I, 377, cité par J. Pradel,

préc.). Ici, le lien d'indivisibilité sert de fondement au déclenchement de l'action publique.

La recevabilité de l'action civile pour recel du produit de la corruption ne se heurtait à aucun

obstacle procédural. En effet, l'arrêt (n° 09-88.272, préc.) du 9 novembre 2010 a étendu au recel la

solution déjà consacrée en matière de blanchiment (Cass. crim., 20 févr. 2008, n° 07-82.977 :

JurisData n° 2008-043263 ; JCP G 2008, II, 10103, note J. Lasserre Capdeville. - Cass. crim., 24

févr. 2010, n° 09-82.857 : JurisData n° 2010-000779 ; JCP G 2010, note 629, C. Cutajar) sur le

caractère autonome de l'infraction, jugeant que le délit de recel en France de biens financés par des

détournements de fonds publics, eux-mêmes favorisés par des pratiques de corruption sont distincts

de cette dernière infraction. Mais les effets de l'indivisibilité sont plus remarquables en revanche,

s'agissant de l'abus de biens sociaux. En effet, depuis le revirement opéré par deux arrêts du 13

décembre 2000 (Cass. crim., 13 déc. 2000, n° 99-80.387, n° 99-84.855 : JurisData n° 2000-008065

; JurisData n° 2000-008066 ; Bull. crim. 2000, n° 373 et n° 378 ; JCP E 2001, p. 1138, note J.-H.

Robert ; Dr. pén. 2001, comm. 47, note J.-H. Robert), la chambre criminelle décide que seule la

société peut être considérée comme une victime directe de l'infraction pouvant à ce titre exercer

l'action civile, excluant la constitution de partie civile notamment des salariés (Cass. crim., 7 mars

2000, n° 99-81.011 : RJDA 2000, n° 875. - Cass. crim., 23 mars 2005, n° 04-84.756 : JurisData n°

2005-028259 ; Dr. sociétés 2006, comm. 11, obs. R. Salomon. - Adde Cass. crim., 29 nov. 2000, n°

99-80.324 : Bull. crim. 2000, n° 359 cité par l'avocat général Y. Charpenel dans ses conclusions in

La Revue du GRASCO, juill. 2012, p. 3, à paraître :

http://www.larevuedugrasco.eu/documents/revue_n1-avril2012.pdf). Ici, le lien d'indivisibilité

entre les faits constitutifs d'abus de biens sociaux et l'assassinat étend la compétence du juge

d'instruction qui peut donc instruire de leurs chefs.

3. PORTÉE L'arrêt du 4 avril 2012 publié au bulletin de la Cour de cassation témoigne de l'importance que la

Cour a voulu lui donner. Il porte un coup sérieux et peut-être fatal au principe du monopole

des poursuites du parquet en matière de lutte contre la corruption d'agents publics étrangers

non membres de l'Union européenne consacré à l'article 435-6 du Code pénal. Véritable «

anomalie juridique », le principe est contraire, comme le soulignent les pourvois, à la Convention

des Nations Unies contre la corruption (art. 35), à la Convention civile sur la corruption du Conseil

de l'Europe (art. 3), auxquelles il convient d'ajouter la Convention sur la lutte contre la corruption

d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l'OCDE (art. 5),

toutes ratifiées par la France. On se souvient que la chambre criminelle l'avait déjà mis à mal dans

l'affaire dite « des biens mal acquis » en accueillant la constitution de partie civile d'associations des

chefs de blanchiment en France du produit de la corruption commise à l'étranger, sanctionnant ainsi

le refus d'informer du parquet (V. les décisions rendues à propos de l'affaire « des biens mal acquis

», TGI, ord., 5 mai 2009 : JCP G 2009, act. 277, Libres propos C. Cutajar. - CA Paris, pôle 7, 2e

ch. instr., 29 oct. 2009, Assoc. Transparence International France : JurisData n° 2009-014809 ;

JCP G 2009, note 563, C. Cutajar. - Cass. crim., 9 nov. 2010, préc.).

Certes les infractions de corruption d'agents publics étrangers et celles d'agents publics français sont

autonomes et l'on peut évidemment instruire sur les secondes sans enquêter sur les premières.

D'ailleurs, non seulement l'arrêt ne vise dans son dispositif que la corruption d'agent public

français, mais en outre, il n'a pas été rendu au visa des conventions internationales précitées.

Néanmoins, force est de constater que c'est bien cette anomalie juridique qui est à l'origine du

contentieux soumis à la Cour de cassation. En effet, le ministère public approuvé par la chambre de

l'instruction a tenté de l'utiliser pour soustraire de l'information conduite par le juge d'instruction

non seulement les faits de corruption d'agents publics étrangers mais également ceux mettant en

cause des agents publics français en suggérant que la présence d'agents publics étrangers dans les

55

faits de la cause avait pour conséquence d'entraîner l'irrecevabilité de la partie civile pour

l'ensemble des faits visés alors même que la qualification de corruption d'agent public étranger

n'avait pas été retenue par les plaintes. La ficelle était grosse comme n'a pas manqué de le relever

dans son avis, l'avocat général Yves Charpenel estimant que la chambre de l'instruction « ne

pouvait en requalifiant certains faits, ignorer les autres, qui sont pourtant susceptibles de

qualifications et ouverts de plein droit à la partie civile ». Enfin, l'arrêt sera d'autant plus remarqué

qu'il intervient alors que la France fait l'objet d'une évaluation par l'OCDE de son dispositif de lutte

contre la corruption. Il pourra être versé au crédit d'une justice indépendante mais en même temps,

il révèle les obstacles encore importants qui entravent les poursuites des faits de corruption d'agents

publics y compris en France. À cet égard, il est urgent que la France se dote d'une véritable

politique globale de lutte contre la corruption à la fois préventive, répressive et assurant la

réparation intégrale des victimes dans le respect de ses engagements internationaux. Une loi de

cadrage s'impose de toute évidence. Au-delà, l'arrêt qui s'inscrit dans la continuité de celui rendu

dans l'affaire « des biens mal acquis », nous paraît témoigner de l'attachement de la chambre

criminelle à contribuer à l'oeuvre de vérité judiciaire en limitant le refus d'informer du

parquet. L'arrêt du 10 mai 2012 (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 12-81.197, F P+B : JurisData n°

2012-009492) rejetant le pourvoi du ministère public contre l'arrêt de la chambre de l'instruction

accueillant la constitution de partie civile des chefs d'homicides involontaires des parents des

militaires français tués en 2008 en Afghanistan au cours d'une offensive ennemie alors qu'ils

effectuaient une mission de reconnaissance, peut également être interprété dans le même sens.

Procédure pénale. - Constitution de partie civile. - Indivisibilité. - Corruption, abus de biens

sociaux et assassinats

Textes : CPP, art. 1, 2 et 85, 203, 382 ; C. pén., art. 435-6

Encyclopédies : Procédure pénale, Art. 1er, Fasc. 20, par Cédric Ribeyre ; Procédure pénale, Art.

85 à 91-1, Fasc. 20, par Jean Dumont ; Pénal Code, Art. 435-1 à 435-15, Fasc. 20, par Emmanuel

Dreyer

56

PREUVE:

DOC 1: Recueil Dalloz 2012 p. 914 Enregistrement de conversations privées : moyens de preuve valables Arrêt rendu par Cour de cassation, crim. 31 janvier 2012 n° 11-85.464 (n° 497 F-P+B+I) Sommaire : Les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information, au sens de l'article 170 du code de procédure pénale, et, comme tels, susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d'en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation. Texte intégral :

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Mme A... a porté plainte, le 19 décembre 2007, auprès du procureur de la République près le tribunal de

grande instance de Nanterre, pour des faits d'abus de faiblesse dont sa mère, Mme Y..., était, selon elle, victime de la part de membres de son entourage ; qu'au mois de janvier 2010, le procureur de la République a confié une enquête sur ces faits à la sous-direction de la police judiciaire, chargée des affaires économiques et financières à la préfecture de police de Paris ;

que, le 10 juin 2010, Mme A... a fait porter à l'accueil de la brigade financière, à l'attention personnelle de l'officier de police judiciaire qui avait été chargé de l'enquête, des enveloppes et un étui contenant vingt-huit cédéroms, un courrier de son avocat à un huissier de justice attestant qu'elle avait un intérêt à faire retranscrire les enregistrements contenus sur ces supports, ainsi qu'une liasse de feuillets sur lesquels étaient dactylographiés les propos échangés entre sa mère et d'autres personnes, enregistrés sur six de ces supports ; que, le 14

juin 2010, Mme A... a confirmé au chef de la brigade financière qu'elle était à l'origine de cette transmission ; que ce fonctionnaire de police a rendu compte de ces faits au procureur de la République ; Attendu que, par soit-transmis du 15 juin 2010, le procureur de la République de Nanterre a, sans viser d'infraction particulière, saisi conjointement la brigade financière et la brigade de répression de la délinquance de Paris d'instructions tendant à la retranscription du contenu des cédéroms, exécutées le jour même, les procès-verbaux établis à cette occasion qualifiant les faits concernés d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de recel de ce délit ; que certains de

ces enregistrements relataient des conversations entre Mme Y... et ses avocats, M. Fabrice B... et M. Georges C... ; que d'autres instructions du procureur de la République, en date

également du 15 juin 2010, ont étendu les investigations à l'audition de Mme A..., à

l'identification et à l'audition du maître d'hôtel de Mme Y..., désigné comme l'auteur des

enregistrements et de leurs remise à la première, ainsi qu'à tous actes utiles ; que Mme A... a été entendue, de même que le maître d'hôtel, identifié en la personne de M. Pascal D... ; Attendu que le contenu de certains de ces enregistrements ayant été publié par un organe de presse dès le 14 juin 2010, plusieurs personnes concernées ont porté plainte auprès du procureur de la République du chef d'atteintes à l'intimité de la vie privée, M. Patrice E... le 16

juin 2010, Mme Y... et M. François-Marie F... le 18 juin 2010 ; que les officiers de police judiciaire auxquels ces plaintes ont été transmises ont procédé à l'audition des plaignants et

d'autres personnes apparaissant dans les enregistrements ; que, notamment, Mme Y... et M. B... ont confirmé leur plainte initiale ou porté plainte ; que, le 2 juillet 2010, le procureur de la République a demandé aux officiers de police judiciaire de poursuivre les investigations sur ces

57

faits et requis du laboratoire de la police technique et scientifique de Lyon un examen technique des enregistrements portant, notamment, sur les dates auxquelles ils avaient été effectués ; que le rapport du technicien a été déposé le 31 août 2010 ; Attendu que, le 29 octobre 2010, le procureur de la République, regroupant les pièces de plusieurs enquêtes, a ouvert une information portant sur de multiples infractions, parmi lesquelles celles d'atteinte à l'intimité de la vie privée, de complicité et de recel de ce délit ainsi que de violation du secret professionnel ; Attendu que, le 15 novembre 2010, les magistrats instructeurs codésignés ont saisi la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles aux fins de statuer sur la régularité de la procédure eu égard à la présence au dossier de la transcription de plusieurs conversations «

relevant de l'exercice des droits de la défense », entre, d'une part, Mme Y..., M. E... et M. G..., notaire, et, d'autre part, deux avocats, M. B...et M. C... ; que, devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, à laquelle la connaissance de l'affaire avait été

renvoyée par arrêt de la chambre criminelle du 8 décembre 2010, Mme Y... et Mme A..., constituées parties civiles, ont, chacune, déposé une demande d'annulation des actes de la procédure réalisés préalablement au dépôt des plaintes pour atteinte à l'intimité de la vie privée et de la procédure subséquente ; que la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure ; En cet état ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Mme A..., pris de la violation des articles 226-1 et 226-6 du code pénal, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; « en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure ; aux motifs que, le 10 juin 2010, les policiers de la brigade financière,

auparavant chargés d'une enquête préliminaire sur la plainte de Mme H... concernant un abus

de faiblesse dont aurait été victime sa mère Mme Liliane Y..., recevaient de manière anonyme vingt-huit cédéroms et des transcriptions partielles, effectuées par huissier de justice, du

contenu de six d'entre eux ; que s'agissant de conversations échangées entre Mme Liliane Y... et divers interlocuteurs, portant manifestement sur la gestion de ses affaires, confirmation

ayant été obtenue de ce que Mme H... était bien l'expéditrice de ces supports informatiques et des documents qui y étaient joints, le procureur de la République de Nanterre, par soit-transmis daté du 15 juin 2010, ordonnait une enquête confiée à la brigade financière et à la brigade de répression de la délinquance contre les personnes, donnant pour instruction aux policiers de procéder à la transcription du contenu des cédéroms ; que les enquêteurs ont

procédé successivement aux auditions, le 15 juin 2010 de Mme H... qui relatait les circonstances dans lesquelles M. Pascal D..., maître d'hôtel de ses parents, lui avait remis les cédéroms puis le 16 juin 2010 de M. D..., placé en garde à vue à partir de 15h25, les enquêteurs visant dans leur procès-verbal relatif à cette mesure les infractions d'atteinte à la vie privée et violation du secret des correspondances ; que cette garde à vue était prolongée le lendemain sur autorisation écrite du procureur de la République ; que M. Philippe I... était placé en garde à vue le 17 juin 2010 à partir de 15 heures, le procès-verbal relatif à cette mesure visant l'infraction d'atteinte à la vie privée ; que, par courrier daté du 17 juin 2010,

Me J... adressait une lettre au procureur de la République, reçue le jour même par le parquet, à laquelle était joint un courrier daté du 16 juin 2010, signé de son client, M. Patrice E..., portant plainte pour atteinte à la vie privée, complicité et recel ; que, si l'article 226-6 du code pénal subordonne l'exercice de l'action publique concernant le délit d'atteinte volontaire à l'intimité de la vie privée d'autrui, prévu et réprimé par l'article 226-1 dudit code, au dépôt d'une plainte préalable de la victime, de son représentant légal ou de l'un de ses ayants droit, la procédure en l'espèce n'est entachée d'aucune irrégularité, dès lors que, lorsque le procureur de la République a engagé l'action publique par l'ouverture d'une information de ce chef le 29 octobre 2010, plusieurs plaintes avaient été préalablement déposées le 17 juin

2010 par M. E..., le 18 juin 2010 par Mme Y... et M. François-Marie F..., le 5 juillet 2010 par M. Fabrice B... ; qu'elles n'avaient pas été retirées ; qu'en effet, contrairement à l'argumentation développée dans le mémoire de la partie civile, l'exercice de l'action publique

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ne saurait s'interpréter autrement que par la décision prise par le ministère public d'engager la poursuite par la délivrance d'un réquisitoire aux fins d'informer ou par la saisine de la juridiction de jugement ; qu'il en est ainsi pour toutes les infractions dans les cas où la loi prévoit, comme condition nécessaire à l'exercice de l'action publique, l'existence préalable d'une plainte ou d'une dénonciation ou accomplissement d'une autre formalité ; que c'est donc à la date du réquisitoire introductif ou de l'acte de saisine de la juridiction de jugement qu'il convient de se placer pour apprécier la régularité de l'engagement de l'action publique, conditionnée par l'existence d'une plainte préalable et non retirée ; que cette condition ayant été respectée dans la présente information, la procédure est régulière ; qu'il sera surabondamment observé qu'aucune disposition légale ne faisait obstacle à l'ouverture d'une enquête aux fins, en premier lieu, de transcription des cédéroms puis de recueil d'éléments sur leur origine et leur contenu afin, notamment, d'éviter une déperdition des preuves d'infractions pénales, ce qui autorisait les enquêteurs à procéder au placement en garde à vue, dès le 16 juin 2010, de M. D..., les éléments dont ils disposaient à ce stade constituant des raisons plausibles de soupçonner la participation de celui-ci à la commission des infractions qui lui ont été notifiées au début de cette mesure ; qu'il sera, au surplus, observé que,

contrairement aux allégations du mémoire, à ce jour, Mme Y... est toujours constituée partie civile, s'agissant de l'infraction d'atteinte à la vie privée ; que l'action publique mise en mouvement par le réquisitoire introductif visant l'infraction prévue et réprimée par l'article 226-1 du code pénal est donc toujours valablement en cours ; 1°) alors qu'en application de l'article 226-6 du code pénal, l'action publique concernant l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée ne peut être exercée que sur une plainte de la victime ; qu'en l'absence de plainte préalablement déposée, aucun acte de poursuite ni aucun acte d'enquête ne peut être valablement effectué ; que la chambre de l'instruction a constaté qu'une enquête a été diligentée le 15 juin 2010 concernant l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée tandis que les plaintes n'ont été déposées que les 17 juin, 18 juin et 5 juillet 2010 ; qu'en refusant néanmoins de prononcer la nullité de la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ; 2°) alors que constitue un acte de poursuite, tout acte du procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions ; qu'un soit-transmis est un acte ayant pour objet de rechercher des infractions et d'en découvrir les auteurs ; qu'ayant constaté que le procureur de la République a ordonné, par soit-transmis du 15 juin 2010, une enquête pour procéder à la transcription de cédéroms supportant des enregistrements de conversations privées et matérialisant des atteintes à la vie privée ; que la chambre de l'instruction, qui a énoncé que le procureur de la République n'aurait engagé les poursuites de ce chef d'infraction que par le réquisitoire introductif du 29 octobre 2010, n'a pas justifié légalement sa décision ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Mme Y..., pris de la violation des articles 226-1 et 226-6 du code pénal, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure ; aux motifs que, le 10 juin 2010, les policiers de la brigade

financière, auparavant chargés d'une enquête préliminaire sur la plainte de Mme H...

concernant un abus de faiblesse dont aurait été victime sa mère Mme Liliane Y..., recevaient de manière anonyme vingt-huit cédéroms et des transcriptions partielles, effectuées par huissier de justice, du contenu de six d'entre eux ; que, s'agissant de conversations échangées

entre Mme Liliane Y... et divers interlocuteurs, portant manifestement sur la gestion de ses

affaires, confirmation ayant été obtenue de ce que Mme H... était bien l'expéditrice de ces supports informatiques et des documents qui y étaient joints, le procureur de la République de Nanterre, par soit-transmis daté du 15 juin 2010, ordonnait une enquête confiée à la brigade financière et à la brigade de répression de la délinquance contre les personnes, donnant pour instruction aux policiers de procéder à la transcription du contenu des cédéroms ; que les

enquêteurs ont procédé successivement aux auditions, le 15 juin 2010, de Mme H... qui relatait les circonstances dans lesquelles M. Pascal D..., maître d'hôtel de ses parents, lui avait remis les cédéroms puis le 16 juin 2010 de M. D..., placé en garde à vue à partir de 15h25, les enquêteurs visant dans leur procès-verbal relatif à cette mesure les infractions d'atteinte à la vie privée et violation du secret des correspondances ; que cette garde à vue était prolongée le lendemain sur autorisation écrite du procureur de la République ; que M. Philippe I... était placé en garde à vue le 17 juin 2010 à partir de 15 heures, le procès-verbal relatif à cette

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mesure visant l'infraction d'atteinte à la vie privée ; que, par courrier daté du 17 juin 2010,

Me J... adressait une lettre au procureur de la République, reçue le jour même par le parquet, à laquelle était joint un courrier daté du 16 juin 2010, signé de son client, M. Patrice E..., portant plainte pour atteinte à la vie privée, complicité et recel ; que, si l'article 226-6 du code pénal subordonne l'exercice de l'action publique concernant le délit d'atteinte volontaire à l'intimité de la vie privée d'autrui, prévu et réprimé par l'article 226-1 dudit code, au dépôt d'une plainte préalable de la victime, de son représentant légal ou de l'un de ses ayants droit, la procédure en l'espèce n'est entachée d'aucune irrégularité, dès lors que, lorsque le procureur de la République a engagé l'action publique par l'ouverture d'une information de ce chef le 29 octobre 2010, plusieurs plaintes avaient été préalablement déposées le 17 juin

2010 par M. E..., le 18 juin 2010 par Mme Y... et M. François-Marie F..., le 5 juillet 2010 par M. Fabrice B... ; qu'elles n'avaient pas été retirées ; qu'en effet, contrairement à l'argumentation développée dans le mémoire de la partie civile, l'exercice de l'action publique ne saurait s'interpréter autrement que par la décision prise par le ministère public d'engager la poursuite par la délivrance d'un réquisitoire aux fins d'informer ou par la saisine de la juridiction de jugement ; qu'il en est ainsi pour toutes les infractions dans les cas où la loi prévoit, comme condition nécessaire à l'exercice de l'action publique, l'existence préalable d'une plainte ou d'une dénonciation ou accomplissement d'une autre formalité ; que c'est donc à la date du réquisitoire introductif ou de l'acte de saisine de la juridiction de jugement qu'il convient de se placer pour apprécier la régularité de l'engagement de l'action publique, conditionnée par l'existence d'une plainte préalable et non retirée ; que cette condition ayant été respectée dans la présente information, la procédure est régulière ; qu'il sera surabondamment observé qu'aucune disposition légale ne faisait obstacle à l'ouverture d'une enquête aux fins, en premier lieu, de transcription des cédéroms puis de recueil d'éléments sur leur origine et leur contenu afin, notamment, d'éviter une déperdition des preuves d'infractions pénales, ce qui autorisait les enquêteurs à procéder au placement en garde à vue, dès le 16 juin 2010, de M. D..., les éléments dont ils disposaient à ce stade constituant des raisons plausibles de soupçonner la participation de celui-ci à la commission des infractions qui lui ont été notifiées au début de cette mesure ; qu'il sera, au surplus, observé que,

contrairement aux allégations du mémoire, à ce jour, Mme Y... est toujours constituée partie civile, s'agissant de l'infraction d'atteinte à la vie privée ; que l'action publique mise en mouvement par le réquisitoire introductif visant l'infraction prévue et réprimée par l'article 226-1 du code pénal est donc toujours valablement en cours ; 1°) alors que, en application de l'article 226-6 du code pénal, l'action publique concernant l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée ne peut être exercée que sur une plainte de la victime ; qu'en l'absence de plainte préalablement déposée, aucun acte de poursuite ni aucun acte d'enquête ne peut être valablement effectué ; que la chambre de l'instruction a constaté qu'une enquête a été diligentée le 15 juin 2010 concernant l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée tandis que les plaintes n'ont été déposées que les 17 juin, 18 juin et 5 juillet 2010 ; qu'en refusant, néanmoins, de prononcer la nullité de la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ; 2°) alors que, constitue un acte de poursuite, tout acte du procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions ; qu'un soit-transmis est un acte ayant pour objet de rechercher des infractions et d'en découvrir les auteurs ; qu'ayant constaté que le procureur de la République a ordonné, par soit-transmis du 15 juin 2010, une enquête pour procéder à la transcription de cédéroms supportant des enregistrements de conversations privées et matérialisant des atteintes à la vie privée, la chambre de l'instruction ne pouvait pas énoncer que le procureur de la République n'aurait engagé les poursuites de ce chef d'infraction que par le réquisitoire introductif du 29 octobre 2010 ; que, dès lors, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ; Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence de plainte du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée préalablement à l'ouverture de l'enquête, l'arrêt relève qu'à la date à laquelle le procureur de la République a engagé les poursuites en ouvrant une information, les victimes n'avaient pas retiré leurs plaintes ; que les juges ajoutent que tant la transcription des enregistrements que l'audition de leur auteur, intervenues antérieurement au dépôt de ces plaintes, étaient justifiées par un risque de déperdition des preuves des infractions pénales supposées ; - Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une application exacte de l'article 226-6 du code pénal qui subordonne au dépôt préalable d'une plainte de la victime le seul exercice, par le procureur de

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la République, de l'action publique, dès lors que l'exercice de cette action suppose la saisine d'une juridiction d'instruction ou de jugement ; d'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Mme Y..., pris de la violation des articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ; en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur la transmission du juge d'instruction, a refusé d'annuler le versement au dossier de cédéroms et

leur transcription, relatifs à des conversations entre Mme Y... et ses conseils, et refusé par suite de les retirer de la procédure ; aux motifs que la saisine de la juridiction de céans par les juges d'instruction porte sur la validité du versement dans le dossier de la transcription des

enregistrements de conversations entre Mme Y... et des avocats ; que, toutefois, l'examen de cette question spéciale à certains des enregistrements suppose qu'il soit statué sur la régularité, d'ailleurs contestée par l'une des parties civiles, de la transcription et du versement dans le dossier de l'ensemble des conversations clandestinement enregistrées à l'initiative

d'un particulier dans un bureau situé au domicile de Mme Y..., lesquels ont constitué le point de départ de plusieurs enquêtes préliminaires ayant débouché sur l'ouverture d'une information ; qu'à supposer que puisse être discutée la recevabilité du moyen en tant qu'il est soulevé, à ce stade de la procédure, par une partie civile dont l'intérêt juridique à agir n'est pas démontré, il appartient en toute hypothèse à la chambre de l'instruction de statuer, même d'office, dès maintenant sur cette question en raison de son incidence sur la validité de la

poursuite de l'ensemble des informations actuellement en cours ; qu'il est constant que Mme H..., qui avait cité directement M. F... devant le tribunal correctionnel de Nanterre sous la

prévention d'abus de faiblesse commis sur la personne de sa mère, Mme Liliane Y..., cette affaire étant audiencée début juillet 2010, a fait déposer anonymement, le 10 juin précédent à l'accueil de la brigade financière, chargée de l'enquête sur sa plainte initiale visant ces faits, une enveloppe contenant vingt-huit cédéroms et une transcription du contenu de six d'entre eux réalisée par un huissier ; que le lien avec l'enquête dont avait été saisie la brigade

financière et la procédure conduite par Mme H... étant évident, dès la lecture des premières transcriptions et confirmation ayant été obtenue par téléphone de celle-ci qu'elle était à l'origine de cette remise, il était référé au procureur de la République qui ordonnait, sans viser d'infraction particulière, une enquête et donnait pour instruction écrite du 15 juin 2010 aux policiers de procéder à la transcription de l'intégralité des cédéroms ; qu'entendue le même

jour, Mme H... relatait, d'une part, les circonstances dans lesquelles M. D..., le maître d'hôtel de ses parents, lui avait remis ces documents, d'autre part, la décision prise par elle, sur le conseil de son avocat, de faire transcrire le contenu des supports ; que, le lendemain, lors de son audition, M. D... expliquait les raisons pour lesquelles il avait procédé en toute connaissance des risques qu'il prenait au regard de la loi, aux enregistrements clandestins de

certaines conversations tenues dans le bureau de Mme Y... et portant sur la gestion de ses biens ; que, selon lui, l'audition des premiers enregistrements lui avait fait découvrir que les agissements frauduleux notamment les détournements, qui avaient motivé sa décision de

mettre en place un système d'écoute, étaient commis au détriment de Mme Y... à une bien plus grande échelle et par bien d'autres personnes profitant de la vulnérabilité de cette femme affaiblie, que celle qu'il visait initialement ; qu'il soutenait qu'il avait considéré de son devoir

de remettre les cédéroms à la fille de Mme Liliane Y... sans en avoir attendu la moindre contrepartie ; qu'immédiatement à la suite de la description faite de son mode opératoire et de l'aide qu'il avait reçue, pour le transfert des données des dictaphones utilisés vers des cédéroms de M. I..., anciennement chargé de l'installation informatique au domicile des époux

Y... et du mari de Mme K..., la comptable de ceux-ci, les policiers recevaient de la part de cette dernière des révélations relatives à la possibilité d'un financement clandestin de partis politiques et de l'existence de comptes bancaires occultes ; qu'en outre, parallèlement à la remise aux policiers des cédéroms, de larges extraits des conversations qu'ils supportaient étaient divulgués dans divers organes de presse grâce à une source inconnue ; que diverses plaintes étaient directement portées auprès du procureur de la République de Nanterre, dans une première vague pour atteinte à l'intimité de la vie privée et dans certains cas également pour violation du secret professionnel, puis ensuite pour d'autres infractions susceptibles de

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ressortir des conversations captées et largement diffusées dans la presse ; que le procureur de la République, qui disposait de cédéroms, remis par une partie civile dans une procédure en cours, et d'une transcription très partielle de leur contenu, à l'évidence en lien avec une enquête pour abus de faiblesse précédemment ordonnée, n'a violé aucune disposition légale ni principe directeur de procédure pénale ou conventionnel en ordonnant la transcription intégrale du contenu de ces supports et leur versement dans le dossier d'enquête, alors même qu'il était saisi de plaintes visant la captation clandestine de conversations tenues à titre privé dans un domicile privé et leur divulgation dans la presse ainsi que des violations du secret professionnel ; que le magistrat, en requérant une personne qualifiée, en l'espèce un ingénieur du laboratoire de police technique et scientifique aux fins de faire procéder à une transcription des cédéroms et au contrôle de l'absence de manipulation et de falsification les concernant, a entendu garantir l'authenticité des conversations enregistrées ; que, dans ces conditions, ces documents, qui, au surplus, constituaient l'élément nécessaire à la démonstration de potentiels délits d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de violation du secret professionnel,

infractions visées par plusieurs des plaintes dont celle déposée par Me B..., l'un des deux avocats dont les conversations ont été enregistrées puis divulguées, ne pouvaient qu'être intégralement versés au dossier ; que la dissimulation, la soustraction ou l'altération de certaines des conversations enregistrées, fussent-elles échangées entre un avocat et un client ou protégées par le secret professionnel, exposaient leur auteur, simple particulier ou autorité publique, à se voir reprocher la falsification d'un élément de preuve ; qu'après ouverture de l'information, ni le juge d'instruction ni la chambre de l'instruction ne saurait s'arroger le droit d'expurger et encore moins d'annuler un document versé en procédure, dès lors qu'il est produit par un particulier, constitue une pièce à conviction et ne procède, dans sa confection, aucunement de l'intervention, directe ou indirecte, d'une autorité publique ; que, dès lors, l'argumentation fondée sur l'article 100-5 du code de procédure pénale, qui ne s'applique qu'aux interceptions de correspondances ordonnées par une autorité publique, est inopérante comme celle tirée d'une prétendue violation de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 relatif aux documents couverts par le secret professionnel de l'avocat ; que, bien évidemment, le producteur de la preuve, à supposer qu'elle soit recueillie dans des conditions constitutives d'une infraction, sur l'existence de laquelle il est d'ailleurs actuellement instruit, s'expose par ailleurs à des poursuites pénales ; que, s'agissant des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne dont la violation est alléguée, la Cour européenne des droits de l'homme retient, dans pareille hypothèse, de manière constante, que si la Convention garantit le droit à un procès équitable, elle ne règlemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière relevant au premier chef du droit interne ; qu'elle ajoute qu'elle ne saurait in abstracto exclure par principe l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière illégale ou déloyale ; qu'elle recherche si la procédure a présenté dans son ensemble un caractère équitable ; qu'elle s'assure qu'il n'y a pas eu méconnaissance des droits de la défense, que le moyen de preuve litigieux n'a pas été le seul retenu pour motiver la condamnation (s'agissant d'un enregistrement clandestin d'une conversation réalisée par une personne privée remettant ce moyen de preuve à l'autorité publique : Schenk c/ Suisse 12 juillet 1988, n° 10862/ 84 - v. également Texeira da Castro c/ Portugal, 9 juin 1998, n° 44/ 1997/ 828/ 1034) ; qu'elle a précisé dans des décisions ultérieures que l'examen du caractère équitable de la procédure impliquait l'examen de « l'illégalité » en question, et, dans le cas où se trouvait en cause la violation d'un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Jalloh c/ Allemagne ; 11 juin 2006 n° 54810/ 00 : violation de l'article 3 entraînant automatiquement par elle-même la violation de l'article 6, ce qui n'est pas le cas pour une violation de l'article 8, v. Schenk c/ Suisse précité, Khan c/ Royaume Uni, 12 mai 2000, n° 35394/ 87), quelles ont été les garanties ayant entouré l'appréciation de l'admissibilité et de la fiabilité des éléments de preuve en question, l'existence éventuelle d'une contrainte et sa nature, l'utilisation faite des éléments (Khan c/ Royaume Uni précité, Bykov c/ Russie, 10 mars 2009 n° 4378/ 02) ; que les dispositions de l'article 8 de la Convention sont inapplicables en l'espèce, l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée n'étant aucunement, en l'espèce, le fait d'une autorité publique ; qu'elle ne l'a pas provoquée ; qu'elle n'y a pas participé de quelle que manière que ce soit, directement ou indirectement ; qu'elle a été simple destinataire des enregistrements litigieux ; qu'il sera observé qu'en toute hypothèse, s'agissant des violations de la Convention européenne des droits de l'homme alléguées dans le mémoire de la partie civile, celles déjà examinées, auxquelles s'ajoute, par exemple, également celle du droit à ne pas s'auto-incriminer, il sera

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rappelé qu'elles ne sauraient être invoquées que par la personne sous le coup d'une accusation pénale ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne faisait obstacle à ce que le procureur de la République, après avoir requis un examen technique des cédéroms en question dans des conditions qui garantissent la fidélité des transcriptions et l'absence de manipulation, fasse procéder à plusieurs enquêtes portant, non seulement sur la confection et la divulgation à la presse des enregistrements litigieux mais également sur les faits, éventuellement susceptibles de qualification pénale, qu'ils révélaient,

étant observé que Mme Y... est constituée partie civile, s'agissant des faits susceptibles d'être

qualifiés d'atteintes à l'intimité de la vie privée tandis que Mme H... l'est pour les faits susceptibles d'être qualifiés de blanchiment ainsi que pour les détournements supposés ; que l'information a justement pour objet de rechercher si les faits dont le juge d'instruction est saisi par le réquisitoire introductif auquel sont adossées les constitutions de partie civile précitées, ont été commis, s'ils sont susceptibles de qualifications pénales et, dans ce cas d'en identifier les auteurs, d'en rassembler les preuves, qui ne sauraient être constituées par les seules conversations transcrites, de déterminer si de simples indices peuvent se transformer en charges, les parties disposant à ce stade de la plénitude des droits que leur garantit le code de procédure pénale ; que, dans l'hypothèse de saisine finale d'une juridiction de jugement, il reviendrait à celle-ci d'apprécier la valeur des éléments de preuve qui seraient produits devant elle par l'accusation ou comme moyen de défense et qui seraient obligatoirement à nouveau soumis à la discussion des parties dans le respect du principe du procès équitable ; qu'en conséquence, relativement à la question posée sur la présence du contenu des enregistrements dans le dossier, il n'existe aucune cause de nullité ; alors que, réserve faite du cas où elle laisse présumer la participation de l'avocat à une infraction, les conversations entre une partie et son avocat sont couvertes par le secret ; qu'en refusant d'annuler le versement à la procédure de cédéroms et de leur retranscription, pourtant relatifs à des

conversations entre Mme Y... et ses avocats, sans relever au préalable que ces conversations laissaient présumer une participation des avocats à une infraction, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Mme Y..., pris de la violation des articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ; en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les actes de l'information en tant qu'ils portaient atteinte à l'intimité de la vie privée et décidé que la procédure était régulière ; aux motifs que la saisine de la juridiction de céans par les juges d'instruction porte sur la validité du versement dans le dossier de la transcription des

enregistrements de conversations entre Mme Y...et des avocats ; que, toutefois, l'examen de cette question spéciale à certains des enregistrements suppose qu'il soit statué sur la régularité, d'ailleurs contestée par l'une des parties civiles, de la transcription et du versement dans le dossier de l'ensemble des conversations clandestinement enregistrées à l'initiative

d'un particulier dans un bureau situé au domicile de Mme Liliane Y..., lesquels ont constitué le point de départ de plusieurs enquêtes préliminaires ayant débouché sur l'ouverture d'une information ; qu'à supposer que puisse être discutée la recevabilité du moyen en tant qu'il est soulevé, à ce stade de la procédure, par une partie civile dont l'intérêt juridique à agir n'est pas démontré, il appartient en toute hypothèse à la chambre de l'instruction de statuer, même d'office, dès maintenant sur cette question en raison de son incidence sur la validité de la

poursuite de l'ensemble des informations actuellement en cours ; qu'il est constant que Mme H..., qui avait cité directement M. F... devant le tribunal correctionnel de Nanterre sous la

prévention d'abus de faiblesse commis sur la personne de sa mère, Mme Liliane Y..., cette affaire étant audiencée début juillet 2010, a fait déposer anonymement, le 10 juin précédent à l'accueil de la brigade financière, chargée de l'enquête sur sa plainte initiale visant ces faits, une enveloppe contenant vingt-huit cédéroms et une transcription du contenu de six d'entre eux réalisée par un huissier ; que le lien avec l'enquête dont avait été saisie la brigade

financière et la procédure conduite par Mme H... étant évident, dès la lecture des premières transcriptions et confirmation ayant été obtenue par téléphone de celle-ci qu'elle était à l'origine de cette remise, il était référé au procureur de la République qui ordonnait, sans viser d'infraction particulière, une enquête et donnait pour instruction écrite du 15 juin 2010 aux

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policiers de procéder à la transcription de l'intégralité des cédéroms ; qu'entendue le même

jour, Mme H... relatait, d'une part, les circonstances dans lesquelles M. D..., le maître d'hôtel de ses parents, lui avait remis ces documents, d'autre part, la décision prise par elle, sur le conseil de son avocat, de faire transcrire le contenu des supports ; que, le lendemain, lors de son audition, M. D... expliquait les raisons pour lesquelles il avait procédé en toute connaissance des risques qu'il prenait au regard de la loi, aux enregistrements clandestins de

certaines conversations tenues dans le bureau de Mme Y... et portant sur la gestion de ses biens ; que, selon lui, l'audition des premiers enregistrements lui avait fait découvrir que les agissements frauduleux notamment les détournements, qui avaient motivé sa décision de

mettre en place un système d'écoute, étaient commis au détriment de Mme Y... à une bien plus grande échelle et par bien d'autres personnes profitant de la vulnérabilité de cette femme affaiblie, que celle qu'il visait initialement ; qu'il soutenait qu'il avait considéré de son devoir

de remettre les cédéroms à la fille de Mme Y... sans en avoir attendu la moindre contrepartie ; qu'immédiatement à la suite de la description faite de son mode opératoire et de l'aide qu'il avait reçue, pour le transfert des données des dictaphones utilisés vers des cédéroms de M. I..., anciennement chargé de l'installation informatique au domicile des époux Y... et du mari

de Mme K..., la comptable de ceux-ci, les policiers recevaient de la part de cette dernière des révélations relatives à la possibilité d'un financement clandestin de partis politiques et de l'existence de comptes bancaires occultes ; qu'en outre, parallèlement à la remise aux policiers des cédéroms, de larges extraits des conversations qu'ils supportaient étaient divulgués dans divers organes de presse grâce à une source inconnue ; que diverses plaintes étaient directement portées auprès du procureur de la République de Nanterre, dans une première vague pour atteinte à l'intimité de la vie privée et dans certains cas également pour violation du secret professionnel, puis ensuite pour d'autres infractions susceptibles de ressortir des conversations captées et largement diffusées dans la presse ; que le procureur de la République, qui disposait de cédéroms, remis par une partie civile dans une procédure en cours, et d'une transcription très partielle de leur contenu, à l'évidence en lien avec une enquête pour abus de faiblesse précédemment ordonnée, n'a violé aucune disposition légale ni principe directeur de procédure pénale ou conventionnel en ordonnant la transcription intégrale du contenu de ces supports et leur versement dans le dossier d'enquête, alors même qu'il était saisi de plaintes visant la captation clandestine de conversations tenues à titre privé dans un domicile privé et leur divulgation dans la presse ainsi que des violations du secret professionnel ; que le magistrat, en requérant une personne qualifiée, en l'espèce un ingénieur du laboratoire de police technique et scientifique aux fins de faire procéder à une transcription des cédéroms et au contrôle de l'absence de manipulation et de falsification les concernant, a entendu garantir l'authenticité des conversations enregistrées ; que, dans ces conditions, ces documents, qui, au surplus, constituaient l'élément nécessaire à la démonstration de potentiels délits d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de violation du secret professionnel,

infractions visées par plusieurs des plaintes dont celle déposée par Me B..., l'un des deux avocats dont les conversations ont été enregistrées puis divulguées, ne pouvaient qu'être intégralement versés au dossier ; que la dissimulation, la soustraction ou l'altération de certaines des conversations enregistrées, fussent-elles échangées entre un avocat et un client ou protégées par le secret professionnel, exposaient leur auteur, simple particulier ou autorité publique, à se voir reprocher la falsification d'un élément de preuve ; qu'après ouverture de l'information, ni le juge d'instruction ni la chambre de l'instruction ne saurait s'arroger le droit d'expurger et encore moins d'annuler un document versé en procédure, dès lors qu'il est produit par un particulier, constitue une pièce à conviction et ne procède, dans sa confection, aucunement de l'intervention, directe ou indirecte, d'une autorité publique ; que, dès lors, l'argumentation fondée sur l'article 100-5 du code de procédure pénale, qui ne s'applique qu'aux interceptions de correspondances ordonnées par une autorité publique, est inopérante comme celle tirée d'une prétendue violation de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 relatif aux documents couverts par le secret professionnel de l'avocat ; que, bien évidemment, le producteur de la preuve, à supposer qu'elle soit recueillie dans des conditions constitutives d'une infraction, sur l'existence de laquelle il est d'ailleurs actuellement instruit, s'expose par ailleurs à des poursuites pénales ; que, s'agissant des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne dont la violation est alléguée, la Cour européenne des droits de l'homme retient, dans pareille hypothèse, de manière constante, que si la Convention garantit le droit à un procès équitable, elle ne règlemente pas pour autant l'admissibilité des preuves

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en tant que telle, matière relevant au premier chef du droit interne ; qu'elle ajoute qu'elle ne saurait in abstracto exclure par principe l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière illégale ou déloyale ; qu'elle recherche si la procédure a présenté dans son ensemble un caractère équitable ; qu'elle s'assure qu'il n'y a pas eu méconnaissance des droits de la défense, que le moyen de preuve litigieux n'a pas été le seul retenu pour motiver la condamnation (s'agissant d'un enregistrement clandestin d'une conversation réalisée par une personne privée remettant ce moyen de preuve à l'autorité publique : Schenk c/ Suisse 12 juillet 1988, n° 10862/ 84 - v. également Texeira da Castro c/ Portugal, 9 juin 1998, n° 44/ 1997/ 828/ 1034) ; qu'elle a précisé dans des décisions ultérieures que l'examen du caractère équitable de la procédure impliquait l'examen de « l'illégalité » en question, et, dans le cas où se trouvait en cause la violation d'un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Jalloh c/ Allemagne ; 11 juin 2006 n° 54810/ 00 : violation de l'article 3 entraînant automatiquement par elle-même la violation de l'article 6, ce qui n'est pas le cas pour une violation de l'article 8, v. Schenk c/ Suisse précité, Khan c/ Royaume Uni, 12 mai 2000, n° 35394/ 87), quelles ont été les garanties ayant entouré l'appréciation de l'admissibilité et de la fiabilité des éléments de preuve en question, l'existence éventuelle d'une contrainte et sa nature, l'utilisation faite des éléments (Khan c/ Royaume Uni précité, Bykov c/ Russie, 10 mars 2009 n° 4378/ 02) ; que les dispositions de l'article 8 de la Convention sont inapplicables en l'espèce, l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée n'étant aucunement, en l'espèce, le fait d'une autorité publique ; qu'elle ne l'a pas provoquée ; qu'elle n'y a pas participé de quelle que manière que ce soit, directement ou indirectement ; qu'elle a été simple destinataire des enregistrements litigieux ; qu'il sera observé qu'en toute hypothèse, s'agissant des violations de la Convention européenne des droits de l'homme alléguées dans le mémoire de la partie civile, celles déjà examinées, auxquelles s'ajoute, par exemple, également celle du droit à ne pas s'auto-incriminer, il sera rappelé qu'elles ne sauraient être invoquées que par la personne sous le coup d'une accusation pénale ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne faisait obstacle à ce que le procureur de la République, après avoir requis un examen technique des cédéroms en question dans des conditions qui garantissent la fidélité des transcriptions et l'absence de manipulation, fasse procéder à plusieurs enquêtes portant, non seulement sur la confection et la divulgation à la presse des enregistrements litigieux mais également sur les faits, éventuellement susceptibles de qualification pénale, qu'ils révélaient,

étant observé que Mme Y... est constituée partie civile, s'agissant des faits susceptibles d'être

qualifiés d'atteintes à l'intimité de la vie privée tandis que Mme H... l'est pour les faits susceptibles d'être qualifiés de blanchiment ainsi que pour les détournements supposés ; que l'information a justement pour objet de rechercher si les faits dont le juge d'instruction est saisi par le réquisitoire introductif auquel sont adossées les constitutions de partie civile précitées, ont été commis, s'ils sont susceptibles de qualifications pénales et, dans ce cas d'en identifier les auteurs, d'en rassembler les preuves, qui ne sauraient être constituées par les seules conversations transcrites, de déterminer si de simples indices peuvent se transformer en charges, les parties disposant à ce stade de la plénitude des droits que leur garantit le code de procédure pénale ; que, dans l'hypothèse de saisine finale d'une juridiction de jugement, il reviendrait à celle-ci d'apprécier la valeur des éléments de preuve qui seraient produits devant elle par l'accusation ou comme moyen de défense et qui seraient obligatoirement à nouveau soumis à la discussion des parties dans le respect du principe du procès équitable ; qu'en conséquence, relativement à la question posée sur la présence du contenu des enregistrements dans le dossier, il n'existe aucune cause de nullité ; 1°) alors que la chambre de l'instruction, qui se doit d'assurer le respect des règles d'ordre public, a l'obligation d'annuler le versement à la procédure, et par le ministère public, de pièces, dès lors que leur origine est illicite, notamment pour porter atteinte à l'intimité de la vie privée ; que, pour avoir décidé le contraire, qu'en décidant le contraire pour refuser de considérer que les cédéroms et leur retranscription portaient atteinte à l'intimité de la vie privée, et ne pouvaient être maintenus à la procédure, les juges du fond ont violé les textes susvisés ; 2°) alors que, et en tout cas, la production d'éléments obtenus en violation de règles d'ordre public, telles que les règles protégeant la vie privée, n'est justifiée que si la production des éléments en cause est nécessaire à l'exercice, par la personne à laquelle les faits sont imputés, des droits de la défense ; qu'en s'abstenant de rechercher si tel était le cas en l'espèce, les juges du fond ont, à tout le moins, entaché leur décision d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;

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Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité pris du versement

au dossier des enregistrements de conversations privées réalisés par le maître d'hôtel de Mme Y... à l'insu de celle-ci et de ses interlocuteurs, dont ses avocats, et des pièces subséquentes, l'arrêt relève notamment que ne peut être annulé un document, versé en procédure, qui est produit par un particulier, constitue une pièce à conviction et ne procède, dans sa confection, d'aucune intervention, directe ou indirecte, d'une autorité publique ; que les juges ajoutent qu'il en va également ainsi de la transcription de conversations échangées entre un avocat et un client, l'argumentation prise, d'une part, des dispositions de l'article 100-5 du code de procédure pénale, applicables aux seules interceptions de correspondances ordonnées par une autorité publique et, d'autre part, de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, relatif aux documents couverts par le secret professionnel de l'avocat, étant inopérante ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, dès lors que les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information, au sens de l'article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et que la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d'en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; Rejette les pourvois. Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux ch. instr. 28 juin 2011 (Rejet) Texte(s) appliqué(s) : Code de procédure pénale - art. 100-5 - art. 170 Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 - art. 66-5 Mots clés : PROCEDURE PENALE * Enquête * Enregistrements * Conversations privées * Transcription * Chambre de l'instruction * Moyens de preuve

DOC 2 : Recueil Dalloz 2012 p. 914 Preuve illicite administrée par un particulier dans le procès pénal François Fourment, Professeur à l'Université de Lorraine, Directeur de l'Institut François Geny (Nancy-Metz) Affaire de famille. « Tel père, tel fils », dit le proverbe. « A père avare, fils prodigue », répond cet autre. Nulle contradiction de ce type dans la « relation » mère-fille. A l'amour d'une mère pour ses enfants, répond l'amour d'une fille pour sa mère. La preuve en est dans cet arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 31 janvier 2012 (1). En décembre 2007, la fille d'une femme âgée des plus fortunées de France dépose plainte auprès du procureur de la République pour abus de faiblesse dont sa mère serait la victime de la part de membres de son entourage. En janvier 2010, le procureur de la République fait ouvrir une enquête préliminaire de ce chef. Le 10 juin 2010 - la chronologie et quelques détails factuels sont importants -, la fille de la victime confie à la police des enregistrements sur cédéroms et des transcriptions partielles de conversations de sa mère avec des membres de son entourage, avocats et notaire, notamment. Ces enregistrements ont été réalisés par le maître d'hôtel de la victime, au domicile de cette dernière et à l'insu des interlocuteurs. Les transcriptions partielles de ces enregistrements ont été effectuées par un huissier de justice. Le 14 juin 2010, le contenu de certains de ces enregistrements est publié dans la presse (2).

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Le 15 juin 2010, le procureur de la République fait retranscrire le contenu de l'ensemble des enregistrements, authentifiés à cette occasion. En octobre 2010, il fait ouvrir une instruction pour atteinte à l'intimité de la vie privée, complicité et recel et violation de secret professionnel. Il joint les transcriptions des enregistrements des conversations à son réquisitoire introductif. Les magistrats instructeurs saisissent la chambre de l'instruction aux fins de statuer sur la régularité de la procédure, eu égard à la présence au dossier de la transcription de plusieurs conversations entre la mère et ses avocats et son notaire. Constituées parties civiles, la mère et la fille déposent une requête en annulation dans le même sens. L'affaire est dépaysée auprès de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, laquelle rejette les demandes d'annulation de ces actes de la procédure par arrêt du 28 juin 2011. Deux séries de moyens sont soulevées. Mise en mouvement de l'action publique pour délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée. La première série de moyens s'appuie sur les particularités de la mise en mouvement de l'action publique pour délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée. L'article 226-6 du code pénal prévoit que « l'action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime ». Les auteurs des pourvois relèvent que le 15 juin 2010, date à laquelle le procureur de la République demande la transcription des conversations enregistrées sur cédéroms et leur authentification, nulle victime n'a encore déposé plainte pour atteinte à l'intimité de la vie privée. La Cour de cassation rejette ces moyens. Elle estime, d'une part, que « l'exercice de [l'action publique] suppose la saisine d'une juridiction d'instruction ou de jugement » ; d'autre part, que l'article 226-6 du code pénal « subordonne au dépôt préalable d'une plainte de la victime le seul exercice, par le procureur de la République, de l'action publique ». Nonobstant la confusion faite par le législateur entre les notions de « mise en mouvement » et d'« exercice » de l'action publique, l'interprétation littérale que la Cour de cassation a faite de l'article 226-6 du code pénal est a priori imparable. Elle emporte cette conséquence pratique que la police judiciaire peut enquêter sur des faits de délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée alors que la victime n'aurait pas déposé plainte, voire ne souhaiterait pas le faire. Si l'on considère que c'est par respect dû à l'intimité de la vie privée que la règle de la condition préalable de la plainte de la victime est posée (3) et que les actes d'enquête emportent « ingérence » dans la vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne (4), il est vrai que l'interprétation littérale de l'article 226-6 du code pénal pouvait être légitimement discutée. Mais là n'est pas le clou du spectacle offert à la justice dans cette affaire. Moyen de preuve illicite de l'infraction. La deuxième série de moyens repose sur le mode d'administration de la preuve du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée. La chambre criminelle de la Cour de cassation les écarte également, au motif que « les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information, au sens de l'article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et que la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d'en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation ». Cette solution pose la question d'ordre général de la preuve illicite administrée par un particulier rapportée à la notion d'« acte ou pièce de procédure » (I) et la question de portée plus spéciale de l'enregistrement et la transcription d'une conversation versés au dossier rapprochée du droit au respect de la vie privée (II). I - Preuve illicite administrée par un particulier et notion d'« acte ou pièce de procédure » Illicéité de la preuve. L'article 226-1 du code pénal incrimine « le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui [...] en captant, enregistrant et transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ». L'enregistrement sur cédérom par le maître d'hôtel de la mère de conversations avec ses avocats et son notaire à son domicile et à leur insu est constitutif du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui (5). La preuve ainsi administrée par le particulier ne l'est pas seulement au moyen d'un procédé déloyal ; elle l'est à proprement parler au moyen d'un procédé illicite, c'est-à-dire procuré par la commission d'une infraction (6). On sait que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation n'est pas défavorable aux moyens de preuve déloyaux et même illicites administrés par les parties ou particuliers, dans la limite où ceux-ci ne sont pas les intermédiaires directs ou indirects des représentants de l'autorité publique (7).

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Absence de cause de nullité ou absence d'acte de procédure susceptible d'annulation ? Le raisonnement mené dans cette affaire par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux est fidèle à cette jurisprudence, notamment en ce qu'elle relève que « ne peut être annulé un document, versé en procédure, qui est produit par un particulier, constitue une pièce à conviction et ne procède, dans sa confection, d'aucune intervention, directe ou indirecte, d'une autorité publique ». A cette aune, la cour de Bordeaux étend son raisonnement et ses conclusions à la transcription de conversations échangées entre un avocat et son client, les dispositions de l'article 100-5 du code de procédure pénale n'étant applicables qu'aux seules interceptions de correspondances ordonnées par une autorité publique et l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, relatif aux documents couverts par le secret professionnel de l'avocat, étant inopérant (8). Et la cour de Bordeaux de conclure qu'il n'existe « aucune cause de nullité ». Absence de cause de nullité ou absence d'acte de procédure susceptible d'annulation ? L'ambiguïté est levée par la chambre criminelle, qui retient que la « chambre de l'instruction a justifié sa décision, dès lors que (9) les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information, au sens de l'article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d'être annulés ». La chambre criminelle réitérera cette analyse quelques semaines plus tard, le 7 mars 2012 (10), dans une affaire où la preuve d'infractions d'abus de biens sociaux et recel, travail dissimulé et présentation de bilan inexact reprochées à un chef d'entreprise a été apportée au moyen d'enregistrements audio effectués à son insu par un ancien salarié de la société lors d'entretiens avec ses employeurs. Pour mémoire, l'article 170 du code de procédure pénale prévoit que la chambre de l'instruction peut être saisie aux fins d'annulation d'« un acte ou d'une pièce de la procédure » (11). « [Dès] lors que », souligne la Cour de cassation : la cour de Bordeaux ne pouvait être censurée pour avoir rejeté une requête en annulation d'un élément qui n'était pas susceptible d'être annulé... Dans l'analyse d'un moyen de preuve illégal administré par une partie ou un particulier, la chambre criminelle de la Cour de cassation renoue ici avec sa jurisprudence qui a émaillé les années 1990 (12). Elle nous avait pourtant habitués à une solution plus principielle, fondée sur la liberté de la preuve : « aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; [...] il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante » (13). Ingérence de l'autorité publique et acte de procédure. Si la qualification d'acte ou pièce de procédure peut être déniée, littéralement, à l'enregistrement clandestin réalisé par un particulier, la transcription d'un tel enregistrement à la demande du procureur de la République est plus problématique. A cet argument, la chambre criminelle répond par anticipation « que la transcription, qui a pour seul objet d'en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation ». Fermer le banc. Pourtant, la transcription des enregistrements à la diligence du procureur de la République et son versement du tout au dossier peuvent être qualifiés d'ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée au sens de l'article 8 de la Convention. Partant, la qualification d'acte ou pièce de procédure au sens de l'article 170 du code de procédure pénale pourrait être acquise. II - Enregistrement et transcription d'une conversation versés au dossier et droit au respect de la vie privée Ingérence dans le droit au respect de la vie privée. Le § 2 de l'article 8 de la Convention européenne pose les conditions auxquelles une ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée n'enfreint pas la Convention. L'ingérence doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Mais encore faut-il qu'il y ait « ingérence », notion autonome de la Convention, et aussi ingérence imputable à une autorité publique. L'enregistrement et la transcription de conversations au domicile d'une personne et à son insu, qui plus est lorsque ces conversations avec des avocats et un notaire portent sur la gestion de ses affaires, sont une immixtion paroxystique dans l'intimité de sa vie privée. A l'instar de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, il sera peut-être soutenu que les dispositions de l'article 8 de la Convention sont

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inapplicables en l'espèce, l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée n'étant pas le fait d'une autorité publique. L'affirmation n'est pas vraie pour l'ensemble des transcriptions, puisque, au stade d'une enquête préliminaire, le procureur de la République a fait retranscrire les conversations enregistrées sur l'ensemble des cédéroms. Or ces transcriptions de conversations à la demande du procureur de la République ont aussi été jointes au réquisitoire introductif, et donc versées au dossier de la procédure. Par ailleurs, la Convention garantit des droits non pas théoriques et illusoires, mais effectifs et concrets. Pèse donc sur les Etats l'obligation positive de respecter l'article 8. A ce titre, « [la] responsabilité de l'Etat peut être engagée non seulement du fait de son ingérence "active" dans tel ou tel droit, mais aussi, par le jeu de la théorie des "obligations positives", du fait de son ingérence "passive", en raison de la non-adoption des mesures positives que l'application concrète du droit réclamait, qu'il s'agisse de mesures d'ordre matériel [...] ou d'ordre normatif » (14). Il ne suffit donc pas pour un Etat, afin de remplir son obligation positive de protéger le droit au respect de la vie privée, par exemple d'incriminer le fait d'enregistrer une conversation à l'insu d'une personne. Il y a ingérence « active » de l'autorité publique - le procureur de la République - dans la retranscription des conversations enregistrées sur les cédéroms par un particulier. Il y a ingérence « passive » de l'autorité publique - toujours le procureur de la République - dans le versement au dossier de la procédure au moyen du réquisitoire introductif des cédéroms d'enregistrement des conversations par le maître d'hôtel et de leurs retranscriptions par un huissier de justice (15). Faute de quoi, le droit au respect de la vie privée serait théorique et illusoire, et non pas concret et effectif. Compatibilité avec la prééminence du droit. La qualification d'ingérence acquise, reste à vérifier que les conditions de sa conformité à la Convention ont été respectées. On l'a dit, aux termes du § 2 de l'article 8, une ingérence doit être « prévue par la loi », poursuivre un but légitime et être « nécessaire » « dans une société démocratique ». Le but légitime, tel que les buts légitimes sont énumérés au § 2, est caractérisé, par exemple dans la prévention des infractions pénales ou la protection des droits et libertés d'autrui. La nécessité de l'ingérence au prisme du modèle de la société démocratique est affaire de proportionnalité entre un but et les moyens de l'atteindre, et donc sujet de longue discussion... La condition tenant à la prévision de la loi participe d'une approche plus mécanique. « [Prévue] par la loi », c'est-à-dire (16) : une base légale en droit interne et une loi de qualité. La loi est entendue dans son acception matérielle et non formelle, au sens du droit écrit et non écrit. Prenons pour « loi » ou « droit » la jurisprudence constante admettant la pratique judiciaire de versement au dossier d'une procédure par le procureur de la République en annexe à son réquisitoire introductif ou par le juge d'instruction à son dossier d'un élément de preuve administré par une partie, parfois même en violation du principe de loyauté ou d'une disposition légale. Mais encore faut-il que cette loi soit de « qualité », autrement dit, accessible, prévisible et compatible avec la prééminence du droit. Les conditions d'accessibilité et de prévisibilité se vérifient en l'occurrence dans la jurisprudence constante et publiée de la Cour de cassation en la matière. La compatibilité de l'ingérence avec la prééminence du droit renvoie en revanche à des garanties. Raisonnant par analogie avec les arrêts de la Cour européenne rendus en matière d'écoutes téléphoniques judiciaires, auxquelles, matériellement, dans le degré d'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, les enregistrements de ces conversations peuvent être rapprochés, nombre des garanties attendues par la Cour européenne ne se vérifie pas en l'espèce : décision de recourir à une telle ingérence par un magistrat indépendant (contra : le procureur de la République), contrôle d'une juridiction (contra : déni de la qualification d'acte ou pièce de procédure susceptible d'être annulé (17)), exclusion de tout artifice ou stratagème, obligation de ne pas méconnaître la confidentialité des relations avec un avocat (contra : l'enregistrement de conversations avec ses avocats et son notaire), catégories de personnes dont les conversations sont susceptibles d'être enregistrées, nature des infractions pouvant y donner lieu, limite à la durée de l'ingérence, conditions d'établissement des procès-verbaux de transcription, précautions à prendre pour communiquer intacts et complets les enregistrements réalisés, circonstances dans lesquelles peut ou doit s'opérer l'effacement ou la destruction des enregistrements. L'invitation faite par l'auteur de l'un des pourvois de raisonner par analogie avec les articles 100 et suivants du code de procédure pénale et le droit applicable aux écoutes téléphoniques judiciaires, dispositions adoptées après les arrêts de condamnation de la France par la Cour européenne dans les affaires Kruslin et Huvig (18), était judicieuse.

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Violation de l'article 8 et droit au procès équitable. Quel effet la violation de l'article 8 de la Convention dans l'administration d'un élément de preuve peut-elle produire sur le droit au procès équitable garanti par l'article 6 ? L'article 13 de la Convention prévoit que « [toute] personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale ». Par conséquent, la violation du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention ouvre avant tout le droit au recours effectif de l'article 13. La possibilité offerte à une partie de demander l'annulation d'un acte ou pièce de procédure support de preuve obtenue en violation de l'article 8 représente bien, idéalement, un recours effectif au sens de la Convention (19). Encore faudrait-il que la jurisprudence ne qualifie pas les moyens de preuve administrés par une partie ou un particulier de simples pièces à conviction insusceptibles d'être qualifiées d'actes ou pièces de procédure impropres à toute annulation. En tout état de cause, la violation de l'article 8 de la Convention dans l'administration d'un élément de preuve ne produit pas d'effet de plein droit sur le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention. Le procès équitable s'apprécie pour ce qu'il est, et comme il se doit : in globo et in concreto. En particulier, dans son arrêt Khan c/ Royaume-Uni mettant en scène la sonorisation du domicile d'un suspect par la police dans une affaire de trafic de stupéfiants, la Cour a pu conclure à la violation de l'article 8 de la Convention mais à l'absence de violation de l'article 6 (20). Dans une jurisprudence constante, la Cour juge : « [si] la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne. - La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière illégale [...]. Il lui incombe seulement de rechercher si le procès [...] a présenté dans l'ensemble un caractère équitable » (21). Il ne pourrait en aller autrement que si la partie avait été privée ab initio de toute chance de procès équitable. A cet égard, une circonstance de fait vient immédiatement à l'esprit : la captation, l'enregistrement, la transcription et la transmission des conversations de la mère avec ses avocats (et son notaire). Cette atteinte radicale à un droit aussi essentiel que les droits de la défense mériterait d'être sanctionnée de la sorte, à l'égal d'un élément de preuve obtenu au moyen d'une technique d'investigation contraire à l'article 3 de la Convention (22). Comment mieux recevoir cette construction jurisprudentielle de la Cour européenne de la privation ab initio de toute chance de procès équitable dans nos droit et pratique internes, qu'en sanctionnant de nullité un moyen de preuve administré de la sorte, avec annulation de la procédure subséquente ? En attendant de voir emprunter ces chemins ouverts par la Convention et la Cour européennes des droits de l'homme, l'affaire « B est en cours ». Toute ressemblance phonétique avec une affaire politico-judiciaire défrayant périodiquement les chroniques de presse serait pure coïncidence... Mots clés : PROCEDURE PENALE * Enquête * Enregistrements * Conversations privées * Transcription * Chambre de l'instruction (1) N° 11-85.464, à paraître au Bulletin ; D. 2012. 440, obs. M. Lena ; JCP 2012. 172, note S. Détraz ; Gaz. Pal. 21

févr. 2012. 13, note P. Michaud.

(2) La première chambre civile de la Cour de cassation estimera que « constitue une atteinte à la vie privée, que ne

légitime pas l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur

auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » ; la demande en retrait de ces publications, fondée sur

l'art. 9 c. civ., sera donc écartée, Civ. 1re, 6 oct. 2011, n° 10-21.822, à paraître au Bulletin ; D. 2011. 2771 , note

E. Dreyer , et 2457, édito F. Rome ; AJ pénal 2011. 522, obs. S. Lavric ; Gaz. Pal. 2 févr. 2012. 21, obs. C.

Michalski et P. Piot.

(3) Corroborée par la règle selon laquelle le retrait de plainte en cours d'exercice de l'action publique est une cause

d'extinction de l'action publique lorsque la plainte est une condition nécessaire de la poursuite (art. 6, al. 3, c. pr.

pén. ; pour un exemple en matière d'atteinte à l'intimité de la vie privée, V. Crim. 14 janv. 1997, n° 96-82.901, Bull.

crim. n° 9).

(4) Sur cette notion, V. infra, II.

(5) Spécialement depuis que la chambre criminelle de la Cour de cassation a éludé le dol spécial de cette

incrimination, qu'une interprétation littérale de l'art. 226-6 c. pén. engageait à y lire : « constitue une atteinte

volontaire à l'intimité de la vie privée le seul fait de fixer, enregistrer et transmettre sans le consentement de celle-ci

70

l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé », Crim. 16 févr. 2010, n° 09-81.492, Bull. crim. n° 25 ; D.

2010. 768, obs. S. Lavric , 2732, obs. T. Garé , et 2011. 780, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2010. 340, obs. C.

Duparc ; Gaz. Pal. 17 juin 2010. 18, obs. C. Michalski.

(6) Sur ces nuances entre procédé déloyal et procédé illicite, V. P. Conte, La loyauté de la preuve dans la

jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : vers la solution de la quadrature du cercle ?, Dr.

pénal 2009. Etude 8.

(7) Pour un point récent sur l'état de cette jurisprudence et du débat doctrinal, V. notre note ss. Cass., ass. plén., 7

janv. 2011, n° 09-14.316, D. 2011. 562 ; V. égal. D. 2011. 157, obs. E. Chevrier , 618, chron. V. Vigneau , et

2891, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages , et 383, obs. P. Thery . On sait aussi la

jurisprudence des chambres civiles de la Cour de cassation contraire. A cet égard, la chambre commerciale, ce même

31 janv. 2012, a estimé qu'un listing volé à une banque ne peut être utilisé par l'administration fiscale, Com. 31 janv.

2012, n° 11-13.097, à paraître au Bulletin ; D. 2012. 496 .

(8) Fondé sur les art. 100-5 c. pr. pén. et 66-5 de la loi du 31 déc. 1971, l'un des moyens faisait valoir que, «

réserve faite du cas où elle laisse présumer la participation de l'avocat à une infraction, les conversations entre une

partie et son avocat sont couvertes par le secret ». La chambre criminelle n'y répondra pas, ou, plutôt, elle n'aura

pas besoin d'y répondre, déniant à l'administration de la preuve par une partie ou un particulier la qualification d'acte

ou pièce de procédure susceptible d'être annulé.

(9) « dès lors que », nous soulignons.

(10) N° 11-88.118, à paraître au Bulletin.

(11) Sur cette notion, V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, coll. Corpus-

Droit privé, 2009, n° 1995 s. ; B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, coll. Précis-Droit privé, 23e éd., n° 776 ; adde,

Crim. 13 sept. 2011, n° 11-83.100, à paraître au Bulletin ; AJ pénal 2012. 40, obs. G. Roussel (les renseignements

transmis par un officier de liaison ne constituent pas des actes de police judiciaire) ; 9 nov. 2011, n° 05-87.745, à

paraître au Bulletin (un procès-verbal de renseignement destiné à guider d'éventuelles investigations ne peut être

retenu en lui-même comme un moyen de preuve) ; 9 nov. 2011, n° 11-86.496, à paraître au Bulletin ; D. 2011.

2998 (un cédérom placé sous scellé déposé au greffe à titre de pièce à conviction ne fait pas partie du dossier au

sens de l'art. 197, al. 3, du code).

(12) Crim. 11 févr. 1992, n° 91-86.067, Bull. crim. n° 66 (impl.) ; 23 juill. 1992, n° 92-82.721, Bull. crim. n° 274

(expres.) ; D. 1993. 206 , obs. J. Pradel ; GAPP, 7e éd., 2011, n° 16 ; RTD civ. 1993. 101, obs. J. Hauser ; 19

janv. 1999, n° 98-83.787, Bull. crim. n° 9 (expres.) ; D. 1999. 84 ; RSC 1999. 588, obs. J.-P. Delmas Saint-

Hilaire . Sur l'idée selon laquelle les moyens de preuve émanant des parties ou de tiers ne sont pas susceptibles

d'être annulés, faute de constituer des actes ou pièces de procédure, V. F. Desportes, L. Lazerges-Cousquer, op. cit.,

nos 1996 et 601.

(13) Crim. 15 juin 1993, n° 92-82.509, Bull. crim. n° 210 ; D. 1994. 613 , note C. Mascala ; 6 avr. 1994, n° 93-

82.717, Bull. crim. n° 136 ; D. 1994. 155 ; RSC 1994. 776, obs. G. Giudicelli-Delage ; 11 juin 2002, n° 01-

85.559, Bull. crim. n° 131 ; D. 2002. 2657 , et 2003. 1309, chron. L. Collet-Askri ; GAPP, 7e éd., 2011, n° 16 ;

RSC 2002. 879, obs. J.-F. Renucci ; RTD civ. 2002. 498, obs. J. Mestre et B. Fages ; 31 janv. 2007, n° 06-

82.383, Bull. crim. n° 27 (impl.) ; D. 2007. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; AJ pénal 2007. 144 ; RSC

2007. 331, obs. R. Filniez ; 4 avr. 2007, n° 07-80.253 (impl.).

(14) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, 10e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2011, n°

165.

(15) La qualification d'« ingérence de l'autorité publique » dans l'exercice du droit au respect de la vie privée au sens

de l'art. 8 Conv. EDH devrait emporter cette conséquence que ces enregistrements, retranscriptions et parties de

réquisitoire introductif ou ses annexes devraient être qualifiés à leur tour d'acte ou pièce de la procédure au sens de

l'art. 170 c. pr. pén. ; V. supra, I.

(16) Comment ne pas renvoyer, pour mémoire à CEDH 24 avr. 1990, n° 11801/85, Kruslin c/ France, § 27 s. et n°

11105/84, Huvig c/ France, § 26 s., D. 1990. 353 , note J. Pradel , et 187, chron. R. Koering-Joulin ; RFDA

1991. 101, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1990. 615, obs. L.-E. Pettiti ; RTD civ. 1991. 292,

obs. J. Hauser ; GACEDH, 6e éd., 2011, p. 50, obs. F. Sudre.

(17) V. supra, I.

(18) V. la note, supra.

(19) Dans ce sens, V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, op. cit., n° 401.

(20) CEDH, sect. III, 12 mai 2000, n° 35394/97, § 22-28 (art. 8) et § 29-40 (art. 6). Plus tôt, dans son arrêt rendu

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le 12 juill. 1988 dans l'affaire Schenk c/ Suisse (n° 10862/84), la Cour avait conclu, face à l'enregistrement par un

particulier d'une conversation téléphonique à l'insu d'une personne sollicitée pour commettre un assassinat, à

l'absence de violation de l'art. 6 (§ 39-49), et, dans ces conditions, à l'absence de nécessité de se prononcer sur la

violation de l'art. 8 (§ 52-53).

(21) Arrêt Schenk, préc., § 46.

(22) M. F. Desportes et Mme L. Lazerges-Cousquer voient dans l'atteinte portée aux droits de la défense une limite à

l'admissibilité des moyens de preuve déloyaux ou illicites produits par les particuliers, Traité de procédure pénale,

préc., n° 606.

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ENQUETES :

DOC 1 : Dalloz actualité 14 mai 2012 Étendue des pouvoirs des enquêteurs lors de la découverte de faits nouveaux Crim. 27 mars 2012, F-P+B, n° 11-88.321 M. Léna Résumé Les policiers qui, à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux peuvent, avant toute communication au juge d'instruction, effectuer d'urgence les vérifications sommaires qui s'imposent, pourvu qu'elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique. Le juge d'instruction étant, en raison de la séparation des fonctions de poursuites et d'instruction, saisi in rem, ne peut informer que sur des faits qui lui ont été dénoncés par la partie civile ou le procureur de la République. Or certaines affaires, de trafic de stupéfiants notamment, placent les enquêteurs face à des organisations complexes aux nombreuses ramifications, qui posent parfois la question des pouvoirs des enquêteurs et/ou du juge lors de la découverte de faits nouveaux, non compris dans la saisine initiale du magistrat instructeur. Dans l'espèce soumise à la chambre criminelle le 27 mars 2012, une information avait été ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, non-justification de ressources et associations de malfaiteurs, qui avait donné lieu à des interceptions de correspondances. C'est dans ce cadre que les policiers enregistrèrent une conversation entre

l'avocat de l'un des mis en examen (Me T.) et une autre personne mise en cause dans cette affaire (M. M.E.B.), conversation laissant supposer que cet avocat pourrait révéler des informations relatives à l'instruction acquises au dossier de la procédure – infraction prévue et réprimée par l'art. 434-7-2 du Code pénal. L'échange d'informations devait avoir lieu lors d'un

rendez-vous fixé au cabinet de Me T. avec M.E.B. Les policiers procédèrent à une surveillance discrète du lieu du rendez-vous, et interceptèrent à cette occasion (dans le cadre d'une commission rogatoire régulière permettant l'écoute des conversations téléphoniques du frère

de M.E.B., également mis en cause) un appel semblant confirmer l'implication de Me T. dans la commission du délit. Les policiers avertirent à ce moment leur hiérarchie, puis le juge

d'instruction. Me T., mis en examen dans le cadre de cette nouvelle instruction, déposa une requête en annulation des actes ayant abouti à la découverte des faits. Il contestait en effet les écoutes réalisées : d'une part, selon le moyen, en violation des droits de la défense en

raison de la qualité d'avocat de Me T. ; d'autre part, car les policiers, agissant en exécution d'une commission rogatoire acquérant la connaissance de faits nouveaux ne pouvaient, toujours selon le pourvoi, comme en l'espèce, procéder à des actes présentant un caractère coercitif avant que l'action publique ait été mise en mouvement. Passons rapidement sur la première question, étant de jurisprudence constante que l'interception de la ligne d'un avocat peut être opérée dès lors que celui-ci est soupçonné d'avoir participé à la commission d'une infraction (V. not. dans une hypothèse très proche des faits de l'espèce, jugé que « le principe de la confidentialité des conversations échangées entre une personne mise en examen et son avocat ne saurait s'opposer à la transcription de certaines d'entre elles, dès lors qu'il est établi […] que leur contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à des faits constitutifs d'une infraction, fussent-ils

étrangers à la saisine du juge d'instruction », Crim. 1er oct. 2003, Bull. crim. n° 177).

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S'agissant en second lieu de la découverte des faits nouveaux, le droit positif impose en cette hypothèse aux enquêteurs (C. pr. pén., art. 40) comme au juge d'instruction (art. 80) d'informer immédiatement le procureur de la République. Néanmoins, la jurisprudence admet depuis longtemps la possibilité pour les autorités d'effectuer des vérifications sommaires destinées à s'assurer de la vraisemblance des faits, avant d'informer le procureur. Concernant le juge d'instruction, le principe est très ancien puisque la chambre criminelle énonçait déjà dans un arrêt du 11 déc. 1908 (Bull. crim. n° 495) qu'« il est essentiellement de l'office du juge d'instruction avisé par la déclaration d'un témoin de l'existence d'un fait délictueux quelconque, de faire préciser cette déclaration et, le cas échéant, d'en vérifier sommairement l'exactitude ». Plus récemment, un arrêt de principe a établi que l'article 80 du code de procédure pénale. n'interdisait pas au magistrat instructeur avant toute communication au parquet, de consigner les faits nouveaux supposés et d'effectuer d'urgence les vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance, sans pouvoir toutefois procéder à des actes qui, présentant un caractère coercitif, exigent la mise en mouvement préalable de l'action publique (Crim. 6 fév. 1996, Bull. crim. n° 60). Le principe est également applicable aux enquêteurs, avant toute communication au procureur de la République ou au juge d'instruction (par ex. Crim. 11 mai 2000, n° 99-85.100, Bull. crim. n° 186 ; 13 déc. 2000, n° 00-84.189, Bull. crim. n° 377). Quant à la nature des « vérifications sommaires » ne présentant pas de caractère coercitif, on peut trouver en jurisprudence des exemples permettant de mieux cerner la notion. Les policiers peuvent ainsi, par exemple, demander des documents auprès de sociétés dirigées par la personne mise en cause ou des services des impôts (Crim. 20 janv. 2011, n° 00-86.876). Ici, la chambre criminelle rappelle qu'ils peuvent également retranscrire une conversation téléphonique et se transporter sur un lieu désigné. Mots clés : PENAL * Instruction

DOC 2: Dalloz actualité © Editions Dalloz 2012 AJ Pénal 2011 p. 574 Le point sur la captation de l'image et des paroles dans l'enquête de police Hervé Vlamynck, Magistrat, ancien commissaire principal de la Police nationale L'essentiel Les écoutes téléphoniques si elles sont toujours d'actualité ne sont plus le seul moyen à disposition de la police pour enquêter : grâce aux progrès techniques, de nouvelles technologies sont désormais utilisées comme la captation d'image ou de parole à distance. Entre nécessités de l'enquête et risque d'atteintes à la vie privée, le législateur a posé un cadre procédural strict à ces mesures mais, dans la pratique, il reste des questions en suspens auxquelles la jurisprudence a déjà été confrontée. Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu'à titre de simples renseignements (c. pr. pén., art. 430). Leur contenu ne lie pas le juge. Celui-ci est libre de fonder son intime conviction sur tout élément qui est produit devant lui et discuté par les parties en audience publique (c. pr. pén., art. 427 et 533). Et bien sûr, c'est au ministère public de renverser la présomption d'innocence en produisant

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les éléments qui emporteront sa conviction. Ce principe est rappelé par de nombreux textes nationaux et internationaux (1). Il signifie qu'en l'absence de preuve, le juge est tenu de relaxer ou d'acquitter. Il est logique que le service enquêteur profite de l'évolution des techniques pour produire la photographie, la vidéo ou l'extrait sonore qui emporteront à coup sûr la conviction du juge. Ce sont des photographies prises ou les films tournés à l'occasion de filatures ou de dispositifs de surveillance. La tendance est même à l'autonomie de ces systèmes puisque la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a prévu un système automatisé de constatation des infractions (c. route, art. L. 130-9). Dans le même ordre d'idées, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a créé l'article 706-96 du code de procédure pénale qui autorise, dans le seul domaine de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, la captation de l'image des personnes se tenant dans un lieu privé, et de leurs propos confidentiels quel que soit le lieu où elles se tiennent, au moyen d'un dispositif technique installé à leur insu. Enfin, depuis la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité (dite « LOPS »), et notamment ses articles 10 et 10-1, le recours à la vidéosurveillance est encouragé imposant des normes techniques strictes facilitant l'exploitation des images (2). Dans le même temps, il est interdit de dissimuler totalement ou partiellement son visage dans l'espace public (c. pén., art. R. 645-14 sanctionnant la dissimulation dans une manifestation publique ; c. pén., art. 225-4-10 sanctionnant la dissimulation forcée ; L. n° 2010-201 du 2 mars 2010 créant la circonstance aggravante de dissimulation totale ou partielle du visage pour plusieurs infractions). Par ailleurs, les fichiers de police et de gendarmerie STIC et JUDEX comportent les photographies des personnes mises en cause (3). Enfin, c'est sans compter les dispositifs de vidéo-protection que les particuliers peuvent librement installer dans leur espace privé. L'utilisation des bandes de vidéo-protection ne pose pas de difficulté. Hormis le cas d'une enquête de flagrant délit, d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire, les enregistrements sont détruits dans un délai maximum fixé par l'autorisation préfectorale d'installation du dispositif (LOPS, art. 10). Ils sont remis le plus souvent sur simple réquisition. En ce qui concerne les enregistrements produits par les parties privées, le principe de la liberté de la preuve s'applique, d'autant que celles-ci ne sont pas soumises aux principes de légalité et de loyauté : « aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (4). En ce qui concerne les images montrant certaines infractions au code de la route, la loi n'exclut pas la présence humaine puisque l'infraction sera constatée ou non au moment de l'étude du cliché par le policier ou le gendarme. La production de ces documents dans d'autres enquêtes respecte les principes généraux du droit de la preuve. C'est surtout l'article 706-96 du code de procédure pénale qui pose difficulté. En posant des règles relatives d'une part, à la captation de l'image et de la voix, et d'autre part à l'installation des dispositifs, le texte précise in fine les hypothèses où cela n'est désormais plus possible. Avant l'intervention du législateur dans le cadre de la loi Perben II, la jurisprudence autorisait, dans toute procédure, les sonorisations sur le fondement de l'article 81 du code de procédure pénale et par analogie aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications (c. pr. pén., art. 100 et s.). La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Wisse c/ France du 20 décembre 2005 (5), après une sonorisation de parloir, au motif que le droit français n'indiquait pas avec assez de clarté la possibilité d'ingérence par les autorités dans la vie privée des détenus. Il convient d'exposer le régime juridique de l'article 706-96 du code de procédure pénale réduit à la seule information judiciaire relative à certains faits de délinquance et de criminalité organisées, avant d'en déduire les hypothèses où la captation de la parole et de l'image seront toujours possibles, à l'initiative du service enquêteur et ce, quels que soient le cadre juridique et la qualification des faits sur lesquels porte l'enquête. Les hypothèses restrictives de l'article 706-96 du code de procédure pénale

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Il est constant que le législateur protège la vie privée des personnes. C'est d'ailleurs une atteinte pénalement sanctionnée (6). L'article 706-96 du code de procédure pénale constitue une exception très limitée à cette volonté. C'est pourquoi la loi a le souci de protéger l'image et la voix des personnes en définissant un cadre strict de leur interception. Le souci affiché de protéger l'image et les propos des individus Sont concernées l'image de la personne se tenant dans un lieu privé et les propos tenus à titre confidentiel ou privé. L'image de la personne se tenant dans un lieu privé Le premier alinéa de l'article 706-96 du code de procédure pénale prévoit la captation de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Le lieu privé doit s'entendre comme tout lieu auquel l'accès est subordonné à l'autorisation préalable du légitime occupant. Il s'agit bien sûr du domicile dont la définition élargie est donnée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 octobre 1982 : « le terme domicile ne désigne pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu, qu'elle y habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de l'affectation donnée aux locaux ». Sont concernés les locaux d'habitation, les locaux d'entreprise, etc. Il convient également de tenir compte du caractère mixte du local dans lequel la personne se trouve en fonction précisément de la disposition des lieux (partie ouverte au public et partie privative) et des horaires d'ouverture éventuels au public. Cependant, la rédaction de l'article 706-96 du code de procédure pénale est telle que la Chambre criminelle de la Cour de cassation interdit la captation, par les services de police, de l'image de personnes se trouvant dans un lieu privé alors qu'ils n'avaient aucun titre légitime leur permettant de s'y trouver. Elle annule ainsi les opérations de fixation d'images menées dans le cadre préliminaire, par un service de police qui avait installé un dispositif technique dans un lieu privé à usage d'habitation, inaccessible des vues extérieures et clos, en l'occurrence le parking souterrain clos d'une résidence privée. Pourtant, l'installation du dispositif avait été effectuée avec l'accord du syndic, pour filmer le manège des intrus dans les parties communes. La Cour estime que les communs constituent bien un lieu privé et que l'autorisation donnée par le syndic était sans effet eu égard aux dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale (7). Les propos tenus à titre confidentiel ou privé, dans un lieu public ou privé En ce qui concerne les propos tenus, le lieu où les personnes se tiennent importe peu. C'est la nature du message qui compte. Sont concernées les paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel. Il faut souligner que la loi prévoit expressément la captation des paroles prononcées par des personnes se trouvant à bord d'un véhicule. La définition d'un cadre strict d'interception Le régime juridique est globalement restrictif. Il doit s'agir d'une information judiciaire relative à des faits relevant de la délinquance organisée. Le processus décisionnel qui aboutit à l'autorisation de captation est très encadré. Seuls certains services sont habilités à procéder à l'installation du matériel. Une information judiciaire relative à des faits de délinquance et de criminalité organisées D'une part, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 n'autorise la mise en oeuvre des dispositions contenues dans l'article 706-96 du code de procédure pénale que pour les infractions énumérées par les articles 706-73. L'article 706-1-3, issu de la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, prévoit également la possibilité de l'installation d'un tel dispositif pour les infractions prévues par les articles 432-11, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-10 du code pénal. Le législateur a

considérablement réduit les hypothèses de captation. Dans un arrêt rendu le 1er mars 2006 (8), la Cour de cassation a validé la sonorisation d'un parloir d'établissement

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pénitentiaire sur le fondement des articles 706-73, 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale que la loi du 9 mars 2004 avait, entre-temps, créés. Il est donc désormais impossible, de recourir à la pratique des sonorisations en droit commun et dans le contexte intermédiaire de l'article 706-74. D'autre part, le législateur a réservé cette hypothèse à la seule information judiciaire. Enfin, il faut que l'opération d'interception soit exigée par les nécessités de l'enquête. Mais il valide les éventuelles procédures incidentes qui pourraient être ouvertes à la suite de la découverte d'infractions révélées par la mise en place de ce dispositif. Le texte ne comporte aucune limite. Toutes les infractions sont concernées, qu'elles soient ou non contenues dans les articles 706-73 et 706-1-3 du code de procédure pénale. Un processus décisionnel strict Sur le plan procédural, après avis du procureur de la République, le juge d'instruction peut décider d'opérations de sonorisation et de fixation d'images en tous lieux, notamment lorsque le dispositif technique doit être installé pendant les heures légales. Le juge des libertés et de la détention (JLD) est compétent pour autoriser ces opérations, lorsque le dispositif technique doit être installé dans des locaux d'habitation en dehors des heures légales (9). Le législateur a prévu l'hypothèse selon laquelle le dispositif d'interception doit être installé dans les locaux à surveiller. Si une caméra peut être installée à l'extérieur, depuis un point haut par exemple, il est vrai que la question est plus délicate lorsqu'il s'agit de placer des micros. Le texte insiste sur le fait que la décision est prise sans le consentement des intéressés. Cela signifie que le policier ne pourrait par exemple équiper un informateur de micros pour qu'il aille au contact d'une cible en vue de piéger celle-ci en dehors des hypothèses prévues par l'article 706-96 du code de procédure pénale. Les décisions prises en application de cet article, doivent comporter tous les éléments permettant d'identifier les véhicules ou les lieux privés ou publics visés, l'infraction qui motive le recours à ces mesures ainsi que la durée de celles-ci (c. pr. pén., art. 706-97). Ces décisions sont prises pour une durée maximale de quatre mois. Elles ne peuvent être renouvelées que dans les mêmes conditions de forme et de durée (c. pr. pén., art. 706-98). Le juge d'instruction autorise une telle opération par voie d'ordonnance dans laquelle il indique la durée des interceptions. Il doit délivrer une commission rogatoire spéciale en vue de l'exécution de cette ordonnance, à peine de nullité. Dans un arrêt rendu le 27 février 2008 (10), la Cour de cassation annule une procédure dans laquelle le juge d'instruction avait oublié de prendre une ordonnance. Elle considère qu'il n'y a aucun grief lorsque le magistrat a oublié d'indiquer la durée de l'interception dans l'ordonnance, dès lors que celle-ci se déduit de la commission rogatoire spéciale qui a été délivrée. Dans un arrêt du 13 février 2008 (11), elle censure une procédure dans laquelle la commission rogatoire ayant servi de support est la commission rogatoire générale. Cette annulation nous semble être une sanction disproportionnée (une commission rogatoire générale ou spéciale demeure une commission rogatoire) d'autant que l'exigence d'une telle pièce de justice n'est pas évidente à la lecture de l'article 706-96 du code de procédure pénale. Elle l'est plus dans le cadre de l'article 706-98 qui prévoit un délai de quatre mois renouvelable, à l'instar de ce qui se fait pour les interceptions téléphoniques. La mise en place du dispositif technique ne peut concerner les lieux visés aux articles 56-1 (cabinet, domicile d'un avocat, locaux de l'Ordre ou caisses de règlement pécuniaire des avocats), 56-2 (locaux d'une entreprise de presse, de communication audiovisuelle, de communication au public en ligne, d'une agence de presse, leurs véhicules professionnels et le domicile d'un journaliste sans restriction aucune pour ce dernier a priori) et 56-3 du code de procédure pénale (cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier). La sonorisation ne peut être mise en oeuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des

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personnes visées à l'article 100-7 du même code (député, sénateur, avocat, magistrat). Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui décrit ou transcrit, dans un procès-verbal qui est versé au dossier, les images ou les conversations enregistrées qui sont utiles à la manifestation de la vérité. L'ordonnance et la commission rogatoire par lesquelles le juge d'instruction prescrit la mise en place du dispositif de captation et le placement sous scellés des enregistrements incluent l'autorisation donnée aux officiers de police judiciaire de pénétrer dans les lieux aux seules fins de contrôler le fonctionnement du système et de recueillir les données, chaque fois qu'il est nécessaire, obligation leur étant faite d'en rendre compte par procès-verbal au magistrat, lequel exerce le contrôle effectif de ces opérations (12). Les conversations en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin (c. pr. pén., art. 706-101). Il n'est pas prévu qu'il prête serment, comme en matière d'interceptions téléphoniques. Les enregistrements sonores ou audiovisuels sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l'expiration du délai de prescription de l'action publique (c. pr. pén., art. 706-102). L'installation et la désinstallation du dispositif d'interception par des services spécialisés Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui peut requérir tout agent qualifié d'un service, d'une unité ou d'un organisme placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre de l'Intérieur et dont la liste est fixée par décret, en vue de procéder à l'installation des dispositifs techniques mentionnés à l'article 706-96. Les officiers ou agents de police judiciaire ou les agents qualifiés sont autorisés à détenir à cette fin des appareils relevant des dispositions de l'article 226-3 du code pénal (13) (c. pr. pén., art. 706-99). L'article D. 15-1-5 du code de procédure pénale limite les services qui peuvent opérer ces installations : la direction centrale de la police judiciaire et ses directions interrégionales et régionales, la direction centrale du renseignement intérieur, les offices centraux de police judiciaire, l'unité de recherche, assistance, intervention et dissuasion, les groupes d'intervention de la police nationale, la sous-direction de la police judiciaire de la gendarmerie nationale, les sections de recherches de la gendarmerie nationale, le groupement de sécurité et d'intervention de la gendarmerie nationale. Ces opérations d'intrusion ne peuvent avoir d'autre fin que la mise en place du dispositif technique. Cela signifie que les policiers intervenant n'ont pas le droit d'accomplir un autre acte de police judiciaire au moment de cette intrusion. Ainsi, s'ils constatent la présence d'armes, de stupéfiants ou autres, ils doivent filmer ou photographier les objets en question et exploiter les images ensuite, et non pas rédiger un procès-verbal de constatations qui sera vraisemblablement annulé. Les opérations d'installation et de désinstallation ne sauraient s'apparenter à un contrôle visuel discret. En posant des règles restrictives qui ne concernent que la seule information judiciaire et la seule délinquance organisée, le législateur autorise in fine d'autres hypothèses de captation d'images et de paroles dans les autres cadres juridiques qui vont concerner également d'autres infractions. Les autres hypothèses de captation de l'image et de la parole induites par l'article 706-96 du code de procédure pénale La Cour de cassation valide certaines hypothèses de captation de l'image et des paroles par une interprétation a contrario des dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale. Elle ne retient pas le critère de l'autonomie du dispositif d'interception, ce qui est source de paradoxes. Une interprétation a contrario des dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale Plusieurs hypothèses seront tour à tour examinées. L'image d'une personne se trouvant sur la voie publique En réservant une procédure spécifique à la captation de l'image d'une personne se tenant dans

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un lieu privé, l'article 706-96 autorise a contrario la captation de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu public et ce quel que soit le cadre juridique et à l'initiative du policier ou du gendarme. Par exemple, les policiers pourront installer une caméra orientée sur une cabine téléphonique qui va filmer le manège de trafiquants de produits stupéfiants ou d'étrangers en situation irrégulière qui utilisent habituellement la cabine téléphonique pour leurs contacts. Mais le policier doit être vigilant. Les propos confidentiels sont protégés même dans un lieu public. Il est donc des hypothèses où seule la capture de l'image sera possible. L'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé mais visible de la voie publique ou la captation de propos échangés perceptibles par un tiers Dans un arrêt rendu le 21 mars 2007 (14), la Chambre criminelle sanctionne le fait, pour des gendarmes, d'avoir pris, dans le cadre d'une enquête préliminaire, des photographies de véhicules évoluant dans une propriété privée non visible de la voie publique. Au vu de cet arrêt, des images peuvent être prises d'un lieu privé depuis la voie publique dès lors que la scène photographiée est visible de l'extérieur. Cette position est logique car il n'y aurait pas d'atteinte à la vie privée au motif que la scène est perceptible par quiconque. En revanche, la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur l'hypothèse de l'enregistrement de propos tenus à titre privé ou confidentiel mais proférés sans aucune discrétion, pour ne pas dire publiquement par les personnes concernées. Par analogie avec ce qui précède, il est permis de penser que la manière de formuler le message est de nature à réduire la portée effective de son contenu. L'image d'objets se trouvant dans un lieu privé Dans un arrêt rendu le 12 mars 2008 (15), la Cour de cassation examine un moyen concernant une captation d'images représentant des objets dans un box. L'argumentation développée concerne le droit à agir et à obtenir la nullité. Ce n'est qu'indirectement qu'est évoquée la légalité des opérations eu égard aux dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale, et notamment sur le fait que les photographies n'avaient concerné que du matériel et pas des personnes. Les policiers avaient exercé des surveillances dans les parties communes d'un immeuble et pris des photographies de l'intérieur des boxes, sans les ouvrir, depuis l'extérieur, par les interstices. Ces photographies révélaient la présence de matériel volé. Le juge d'instruction ordonnait ensuite la mise en oeuvre des dispositions de l'article 706-96 qui allait révéler l'implication du requérant. La Cour de cassation développait l'argumentation suivante : « Attendu que, pour déclarer irrecevable la requête en annulation, l'arrêt retient que le demandeur n'est titulaire d'aucun droit sur les locaux dans lesquels les constatations ont été opérées, que l'intéressé n'apparaît pas dans les surveillances critiquées et que les clichés photographiques portent exclusivement sur du matériel volé ; que les juges ajoutent qu'Ali X... n'a été mis en cause qu'au cours de l'information, à la suite des surveillances régulièrement autorisées par le magistrat instructeur ». On retrouve ici le principe de l'inviolabilité du domicile qui ne concerne que l'intrusion dans les lieux, et ne pose pas un principe général qui interdirait tout acte de police judiciaire concernant leur contenu. La captation par un dispositif autonome ou la question de la présence physique du policier ou du gendarme L'examen des différents arrêts rendus par la Cour de cassation à propos de l'article 706-96 du code de procédure pénale, montre que la Chambre criminelle a eu à connaître majoritairement de cas où le dispositif technique consistait en un système de vidéo autonome. Il est arrivé que le dispositif contesté soit un dispositif photographique actionné par un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie qui utilisait parfois un téléobjectif. La Chambre criminelle n'a jamais évoqué le critère de l'autonomie du dispositif technique pour accueillir ou non certains moyens qui étaient développés devant elle. Pourtant, cette idée semble sous-jacente aux dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale. La loi parle de « mettre en place un dispositif technique », dont la finalité est certes « la captation, la fixation [...] et

l'enregistrement », mais aussi « la transmission » (c. pr. pén., art. 706-96 al. 1er),

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indépendamment du second alinéa qui aborde le cas où il est nécessaire d'installer le dispositif dans les locaux à surveiller, ce qui le rend nécessairement autonome. L'hypothèse d'un dispositif technique autonome ne pose aucune difficulté au regard des dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale, si sa finalité est de capturer l'image d'une personne se tenant dans un lieu privé, ou des propos tenus à titre confidentiel ou privé. L'hypothèse d'un dispositif technique autonome ou non ne pose aucune difficulté au regard des dispositions de l'article 706-96 du code de procédure pénale, si sa finalité est de capturer l'image d'une personne se tenant dans un lieu public, ou des propos tenus publiquement. La question est la suivante : dans quelle mesure le policier peut-il, de sa propre initiative, illustrer et asseoir ses constatations visuelles ou auditives en photographiant ce qu'il voit dans un lieu privé ou en enregistrant ce qu'il entend à titre confidentiel ou privé ? L'argument est logique : comment pourrait-on accepter le procès-verbal de constatations et en même temps rejeter les photographies et enregistrements qui prouvent son contenu ? Cette question se posera notamment lorsque le propriétaire des lieux requerra les policiers de se pré-positionner dans lesdits lieux pour constater une infraction qui s'y commettra. Par exemple, il convient de rapprocher l'arrêt du 27 mai 2009 précité (16) de l'article L. 126-1 du code de la construction et de l'habitation en vertu duquel : « Les propriétaires ou exploitants d'immeubles à usage d'habitation ou leurs représentants peuvent accorder à la police et à la gendarmerie nationales ainsi, le cas échéant, qu'à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes de ces immeubles ». Les images tournées auraient-elles été recevables si l'un des policiers avait été présent et caché ? L'examen de l'arrêt rendu le 21 mars 2007 (17) montre que les gendarmes avaient utilisé des téléobjectifs pour capturer l'image de personnes se trouvant dans des lieux privés sans qu'elles ne soient visibles de la voie publique. Les photographies ainsi prises n'avaient pas renforcé les constatations visuelles : elles les avaient permises. En ce sens, la Chambre criminelle ne pouvait que casser et annuler. Dans l'arrêt rendu le 12 mars 2008 (18), la Chambre criminelle écarte l'argumentation du requérant en estimant que les policiers avaient photographié des objets dans le box et non des personnes. Mais il est vrai que le service enquêteur avait procédé aux constatations par les ouvertures supérieures des garages et que l'accès auxdits objets ne s'était pas fait naturellement, sans effort. Dans l'arrêt rendu le 12 mai 2010 (19), la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur l'étendue de l'annulation d'actes, après qu'elle ait annulé dans la même affaire les opérations de captation d'images qui avaient été opérées en violation des articles 706-96 et suivants du code de procédure pénale. La cour d'appel de Paris, avait limité la portée de la violation de la loi en refusant d'annuler certains actes qui avaient servi de fondement à la déclaration de culpabilité de la personne et à sa condamnation. Dans un pourvoi, le requérant critiquait cette approche très restrictive qui avait été faite de la théorie des nullités. La Chambre criminelle devait entrer à nouveau en voie de cassation, en invitant la cour d'appel de Paris à examiner si les constatations à l'origine de la condamnation avaient été opérées avec ou sans le recours au dispositif technique de captation initialement critiqué. Là encore, le dispositif technique (a fortiori illicite) ne doit pas avoir permis d'opérer les constatations à l'occasion d'un procès-verbal d'exploitation des images par exemple. Si la Cour de cassation retenait le critère de l'autonomie, rien n'interdirait au policier requis par l'occupant des lieux de se pré-positionner dans un local en vue de la commission à venir d'une infraction, de s'équiper en matériel audio, vidéo ou photographique pour asseoir ses constatations visuelles ou auditives à venir. Certains arrêts se prononçant sur des enregistrements clandestins révélant le délit de tentative de corruption seraient toujours d'actualité. A été validé l'enregistrement effectué par un fonctionnaire de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants de la conversation qu'il a eue avec un avocat, suite à une rencontre provoquée par ce dernier, conversation qui a révélé le délit de corruption de

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fonctionnaire, même si dans une situation identique impliquant le même service, elle s'était prononcée en faveur de l'annulation. A été validé l'enregistrement clandestin opéré par un fonctionnaire de police sur commission rogatoire spéciale d'un juge d'instruction pour vérifier le bien-fondé des dires de ce fonctionnaire quant à des faits de corruption, alors que les droits de la défense étaient garantis (respect du contradictoire, audience publique) et que l'entreprise ne faisait que révéler des délits préexistants. En conclusion, en limitant strictement les hypothèses de captation de l'image des personnes et des propos qu'elles tiennent à certains cas de criminalité organisée et à la seule information judiciaire, le législateur a limité les hypothèses d'action des services d'enquête au nom du principe garantissant le respect de la vie privée. Pour autant, il n'a pas annihilé toute possibilité d'enregistrement. Policiers et gendarmes disposent encore d'une marge de manoeuvre importante qu'il convient néanmoins de préciser encore. Mots clés : ENQUETE PRELIMINAIRE * Investigations * Captation d'image ou de parole * Surveillance * Criminalité organisée * Vie privée (1) C. pr. pén., art. prélim. ; DDHC, art. 9 ; Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 11-1 ; Pacte des

Nations Unies, art. 14 ; Conv. EDH, art. 6 § 2 ; Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, art. 48 § 1.

(2) V. arr. 3 août 2007 portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance.

(3) Décr. n° 2001-583 du 5 juill. 2001 modifié et décr. n° 2006-1411 du 20 nov. 2006.

(4) Crim. 11 juin 2002, Bull. crim. 131.

(5) CEDH 20 déc. 2005, n° 71611/01, Wisse c/ France, D. 2006. 764 , note D. Roets ; AJ pénal 2006. 128, obs.

J.-P. Céré ; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela ; ibid. 662, chron. F. Massias ; ibid. 2007. 607, obs. J. Buisson .

(6) C. pén., art. 226-1 qui punit d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait, au moyen d'un procédé

quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, en captant, enregistrant ou

transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ou en fixant,

enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu

privé. Lorsque ces actes ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils

étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.

(7) Crim. 27 mai 2009, n° 09-82.115, Bull. crim. n° 108 ; D. 2009. 1697, obs. C. Girault et 2238, obs. J. Pradel

; AJDI 2010. 228 , obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2009. 367, obs. L. Ascenci ; RSC 2009. 595, obs. Y.

Mayaud ; ibid. 866, obs. R. Finieltz ; ibid. 899, obs. J. Buisson ; Dr. pénal 2009, comm. 114, obs. Maron et

Haas et 2010. Chron. 1, obs. Guérin ; Procédures 2009, n° 284, obs. J. Buisson.

(8) Crim. 1er mars 2006, n° 05-87.251, Bull. crim. n° 59 ; D. 2006. 1504 , note J. Pradel ; GAPP, 7e éd., 2011,

n° 17 ; AJ pénal 2006. 222, obs. J.-P. Céré ; RSC 2007. 611, obs. J. Buisson .

(9) Crim. 22 mars 2011, n° 11-84.308, le parking souterrain d'un immeuble d'habitation constitue un lieu privé et

non un lieu d'habitation, au sens de l'article 706-96 du code de procédure pénale.

(10) Crim. 27 févr. 2008, n° 07-88.275, Bull. crim. n° 53 ; D. 2008. 991 ; AJ pénal 2008. 284, obs. J. Leblois-

Happe ; RSC 2008. 659, obs. J. Buisson ; Dr. pénal 2008, comm. 76, obs. Maron et Haas ; Dr. pénal 2009.

Chron. 1, obs. Guérin ; Procédures 2008. Comm. 156, obs. Buisson.

(11) Crim. 13 févr. 2008, n° 07-87.458, Bull. crim. n° 40 ; D. 2008. 787 ; AJ pénal 2008. 193, obs. S. Lavric ;

RSC 2008. 364, obs. R. Finielz ; ibid. 661, obs. J. Buisson ; Dr. pénal 2009. Chron. 1, obs. Guérin ; Procédures

2008. Comm. 184, obs. J. Buisson.

(12) Crim. 22 nov. 2011, n° 11-84.308.

(13) Matériel d'écoutes à distance.

(14) Crim. 21 mars 2007, n° 06-89.444, Bull. crim. n° 89 ; D. 2007. 1204, obs. A. Darsonville et 1817, chron. D.

Caron et S. Ménotti ; AJ pénal 2007. 286, obs. G. Royer ; RSC 2007. 841, obs. R. Finielz ; ibid. 897, obs. J.-F.

Renucci ; ibid. 2008. 655, obs. J. Buisson ; Dr. pénal 2007. Comm. 91, obs. Maron ; Procédures 2007. Comm.

201, obs. J. Buisson.

(15) Crim. 12 mars 2008, n° 07-88.604, Dr. pénal 2008. Comm. 75, obs. Maron et Haas.

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(16) Crim. 27 mai 2009, n° 09-82.115, v. note 6.

(17) Préc. note 13.

(18) Préc. note 14.

(19) Crim. 12 mai 2010, n° 10-80.238.

DOC 3 : AJ Pénal © Editions Dalloz 2012 Revue de science criminelle 2012 p. 217 La fin de la saga « garde à vue » ? (Cons. const., 18 novembre 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, D. 2011. 3034 , note H. Matsopoulou ; ibid. 3005, point de vue E. Vergès ; AJ pénal 2012. 102, obs. J.-B. Perrier ) Bertrand de Lamy, Professeur à l'Université Toulouse I Capitole L'encre de la loi du 14 avril 2011, réformant la garde à vue, était à peine sèche que déjà le nouveau dispositif était à son tour la cible de QPC. Encouragés par la décision rendue le 30 juillet 2010 (1) - d'ailleurs visée ici par le Conseil -, abrogeant les articles 62, 63, 63-1 et 77

du code de procédure pénale ainsi que les alinéas 1er à 6 de son article 63-4, les avocats ne furent pas convaincus de la constitutionnalité du nouveau texte qui ne leur accorde pas une pleine place ni lors de l'audition libre ni lors de la garde à vue (2). Le Conseil a joint la QPC transmise par le Conseil d'État (3) aux quatre autres émanant de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (4) pour rendre une décision qui laisse le lecteur sur sa faim. Cette décision donne, en effet, l'impression de vouloir mettre un terme aux contestations en matière de garde à vue, sans être elle-même bien convaincue de la qualité du nouveau texte ce qui l'amène, d'une part, à émettre une réserve d'interprétation à propos de l'article 62 CPP et, d'autre part, à se livrer à une présentation des autres dispositions discutées sans une véritable mise à l'épreuve de leur constitutionnalité qui est plus affirmée que démontrée, selon une façon de motiver qui n'est pas sans rappeler la méthode Coué. I - L'audition libre : une constitutionnalité sous réserve Si les témoins ne peuvent être placés en garde à vue, il peut être, tout de même, nécessaire de les auditionner. À cette fin, l'article 62 du code de procédure pénale prévoit que « les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures » ; mais l'alinéa 2 du même texte prévoit également que « s'il apparaît, au cours de l'audition de la personne, qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l'article 63 » (5). Comme l'expose le Conseil, « il résulte nécessairement de ces dispositions qu'une personne à l'encontre de laquelle il apparaît qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu'elle n'est pas maintenue à leur disposition sous la contrainte » (6). La circulaire du 23 mai 2011 (7) nuance le caractère libre de cette audition qui est applicable à la personne contrainte « à comparaître par la force publique, en

application du 3e alinéa de l'article 61 et du 1er alinéa de l'article 78 : tel sera le cas d'un témoin qui n'aura pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on pourra craindre

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qu'il ne réponde pas à une telle convocation ». L'audition est donc toujours considérée comme libre alors que la personne est contrainte à comparaître si elle n'est pas contrainte de demeurer dans les locaux de la police ou de la gendarmerie. L'alinéa 1 de l'article 62 du code de procédure pénale n'obéit pas à un critère d'une rigoureuse objectivité : dès lors que les enquêteurs considèrent qu'ils disposent contre l'intéressé de simples indices ne constituant pas une « raison plausible de soupçonner » qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, ils peuvent procéder à son « audition libre », sans avoir à mettre en oeuvre les garanties de la garde à vue. Peut ainsi faire l'objet de l'audition prévue par l'article 62 du code de procédure pénale celui sur qui ne pèsent pas des éléments d'une densité suffisante pour le placer en garde à vue et qui ne fait l'objet que d'une suspicion sans justification solide. Lorsque surviennent des « raisons plausibles de soupçonner » que l'individu a commis ou tenté de commettre une infraction, il peut toujours être auditionné, sans garanties tant qu'il n'est pas contraint. Les requérants voyaient donc dans cette mesure, dénuée d'encadrement en raison du silence de la loi, une méconnaissance du respect des droits de la défense. Cependant, pour le Conseil ces droits ne sont pas liés à l'existence de soupçons, mais à l'exercice d'une contrainte sur l'individu. Il explique : « considérant que, si le respect des droits de la défense impose, en principe, qu'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ne peut être entendue, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, sans bénéficier de l'assistance effective d'un avocat, cette exigence constitutionnelle n'impose pas une telle assistance dès lors que la personne soupçonnée ne fait l'objet d'aucune mesure de contrainte et consent à être entendue librement » (8). Ne pouvait-on considérer que si l'atteinte à la liberté réclame l'intervention d'une autorité judiciaire, comme le demande l'article 66 de la Constitution, l'existence de soupçons nécessite, pour sa part, le respect des droits de la défense pour ce qu'ils impliquent de justification permettant le déroulement de la procédure pénale et de poursuite des investigations ? Une proposition de directive européenne (9) va d'ailleurs en ce sens : « Que la personne concernée soit privée de liberté ou non, elle doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat dès son audition ». Le glissement de la position de témoin à celle de suspect ne s'accompagne donc pas automatiquement, dans le code de procédure pénale, des garanties, parmi lesquelles figure en première place le droit à un avocat, à condition de ne pas subir de contrainte et d'être « entendu » librement. Le Conseil (10) préférant ce terme à celui « d'interrogé », on peut supposer que cette « audition libre », exclut que des questions soient posées par un enquêteur. Ce subtil glissement pourrait, à l'évidence, être source d'abus. Le Conseil, dans le considérant n° 20 de la décision du 18 novembre 2011, pose alors une réserve d'interprétation relative à l'alinéa 2 de l'article 62 du code de procédure pénale en introduisant un devoir d'information de l'intéressé « applicable aux auditions réalisées postérieurement à la publication de la présente décision ». Comment, en effet, considérer qu'un individu est auditionné librement s'il n'a pas été informé que rien ne s'oppose à ce qu'il quitte les lieux ? Le respect des droits de la défense est ainsi conçu, comme cela a été récemment démontré par un auteur (11), comme une catégorie incluant une série de prérogatives et ne se cantonnant pas au droit à un avocat. Pour le Conseil : « le respect des droits de la défense exige qu'une personne à l'encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie » (12). L'information reçue par l'intéressé doit donc porter cumulativement sur deux points : d'une part, la nature et la date de l'infraction qu'il est soupçonné avoir commise doivent être portées à sa connaissance ; d'autre part, son droit de quitter les lieux doit lui avoir été expressément formulé. Une fois encore, la technique des réserves d'interprétation, qui est apparue en marge des textes posant les prérogatives du Conseil, est utilisée pour réécrire la loi. Verra-t-on se développer, sur la réserve ici posée, une jurisprudence annulant les procès verbaux d'audition qui n'auraient pas été précédés d'une telle information, voire neutralisant les actes réalisés lors de la garde à vue lorsqu'ils trouvent

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leur soutien nécessaire dans les éléments recueillis lors d'une audition libre irrégulière ? Cette bienveillance du Conseil à l'égard du texte qui lui est soumis - puisqu'il émet une réserve d'une telle importance que l'on comprend mal pourquoi il n'a pas prononcé de censure -, se manifeste encore à l'égard de la garde à vue, elle-même, qui sort auréolée d'un contrôle bien léger. II - La garde à vue : une constitutionnalité affirmée Les articles 63-3-1, alinéa 3 et 63-4, alinéa 2, ainsi que les articles 63-4-1 à 63-4-5 du code de procédure pénale sont déclarés conformes à la Constitution. Ces dispositions, relatives à l'intervention de l'avocat, laquelle peut être reportée, et à ses prérogatives limitées, donnent lieu à une motivation du Conseil qui frappe par sa sècheresse au point que la décision, sur cette partie, s'apparente à une circulaire ministérielle. Les articles contestés sont exposés et paraphrasés pour mettre en relief les avancées qu'ils constituent, sans démonstration de leur articulation avec les principes constitutionnels, ni égard pour un certain nombre d'insuffisances pourtant importantes. Le Conseil semble raisonner comme s'il accordait à la loi du 14 avril 2011 une présomption de constitutionnalité au seul motif qu'elle est censée tirer les conséquences de sa décision du 30 juillet 2010 (13). L'organe constitutionnel donne l'impression de vouloir s'abstenir de dire quoi que ce soit qui pourrait être compris comme une remise en cause de la décision du 30 juillet 2010 qu'il cite expressément à plusieurs reprises. Faut-il, désormais, considérer que les portes de la rue Montpensier sont fermées aux gardés à vue quitte à demeurer à l'écart des tendances européennes ? Le Conseil insiste, avec raison, sur le besoin d'équilibre de la procédure pénale et de conciliation d'impératifs contradictoires que sont le respect des droits de la défense et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions (14) mais procède par affirmation pour aboutir à cette conclusion. Il affirme à nouveau que les évolutions de la procédure pénale renforcent l'importance de la phase d'enquête policière et que doivent alors être mises en oeuvre les garanties appropriés (15), mais il souligne aussitôt que « les dispositions contestées n'ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d'enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n'ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l'autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d'instruction ou de jugement ; qu'elles n'ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois » (16). Il ne saurait alors être fait grief au législateur de limiter les prérogatives de l'avocat qui, notamment, ne peut consulter que le procès verbal de placement en garde à vue et de notification des droits établi en application de l'article 63-1, ainsi le certificat médical et les procès verbaux d'audition de la personne qu'il assiste, ce qui parait en pratique d'un intérêt très limité. Après avoir insisté, dans la décision du 30 juillet 2010, sur l'intégration de la phase de garde à vue à la procédure pénale pour justifier l'application des principes constitutionnels (17), le Conseil freine maintenant sa jurisprudence pour limiter à la portion congrue les droits de l'avocat dès lors que l'action publique n'est pas déclenchée et que des discussions pourront, ensuite, être menées devant les juridictions d'instruction ou de jugement. Pour le Conseil, il n'est donc pas nécessaire d'accorder à l'avocat des prérogatives permettant une discussion, qui, selon lui, n'a pas lieu d'être lors de cette phase. Sans prétendre être exhaustif, prenons simplement l'exemple de l'étude par le Conseil de l'article 63-4-2 du code de procédure pénale permettant le report de la présence de l'avocat lors des auditions ou confrontations ainsi que celui de la consultation des procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue. Il se contente de relever que l'avocat peut, tout de même, s'entretenir trente minutes avec son client, sans noter l'absence de véritables prérogatives ici, et de reprendre, là encore en les paraphrasant, les dispositions contestées pour conclure que les hypothèses d'application de ces restrictions et leurs conditions sont constitutionnellement satisfaisantes. Le report est possible pour une durée de douze heures, il

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est alors autorisé de façon écrite et motivée par le procureur de la République ; cette durée pouvant atteindre vingt-quatre heures sur autorisation du juge des libertés et de la détention lorsque la personne est gardée à vue pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Et le Conseil de conclure que « la restriction ainsi apportée au principe selon lequel la personne gardée à vue ne peut être entendue sans avoir pu bénéficier de l'assistance effective d'un avocat est placée sous le contrôle des juridictions pénales saisies des poursuites » (18). Et que « par suite, eu égard aux cas et aux conditions dans lesquels elle peut être mise en oeuvre, la faculté d'un tel report assure, entre le respect des droits de la défense et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée » (19). Le Conseil distingue ainsi les droits de la défense du principe du contradictoire applicable seulement dans la phase juridictionnelle. Les droits de la défense relatifs à la garde à vue sont ainsi amputés des prérogatives liées à la discussion. Le Conseil se livre, dans la présente décision, à une vision segmentée de la procédure pénale manifestant une défiance à l'égard des avocats lors de la phase de garde à vue pourtant considérée par le même Conseil comme « la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause » (20). Il laisse également sans véritable garantie l'audition libre qui risque de se développer en pratique pour éviter la mise en oeuvre des dispositions plus lourdes de la garde à vue, sorte d'effet secondaire d'une posologie législative mal ajustée, qui déplace un problème sans régler la situation d'ensemble. Mots clés : PROCEDURE PENALE * Garde à vue * Droits de la défense * Assistance d'un avocat * Question prioritaire de constitutionnalité CONSTITUTION ET POUVOIRS PUBLICS * Contrôle de constitutionnalité * Question prioritaire de constitutionnalité * Garde à vue * Assistance d'un avocat * Droits de la défense (1) Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-

Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ;

ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; GAPP, 7e éd. 2011, n° 27 ; AJ pénal

2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S.

De La Rosa ; cette Revue 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C.

Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig .

(2) D. Marais, Insatisfait (à propos de la réforme de la garde à vue), JCP 2011. 540.

(3) CE, 23 août 2011, n° 349752, Etrillard, Lebon ; D. 2011. 2044 .

(4) Crim., 6 sept. 2011, n° 11-90.068, 11-90.071, 11-90.072 et 11-90.073 , D. 2011. 2117, et les obs. .

(5) La Chambre criminelle (Crim., 4 janv. 2005, n° 04-84.876, D. 2005. 761 , note J.-L. Lennon ; ibid. 2006.

617, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2005. 160, obs. J. Leblois-Happe ; JCP 2005. II. 10176, Ph. Conte ; J. Alix, Les

droits de la défense au cours de l'enquête de police après la réforme de la garde à vue : état des lieux et

perspectives, D. 2011. 1699 ) explique : « la décision de placer en garde à vue une personne à l'encontre de

laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une

infraction relève d'une faculté que l'officier de police judiciaire tient de la loi et qu'il exerce, dans les conditions qu'elle

définit, sous le seul contrôle du procureur de la République ou, le cas échéant, du juge d'instruction ».

(6) Consid. n° 18.

(7) Circulaire du 23 mai 2011 relative à l'application des dispositions relatives à la garde à vue de la L. n° 2011-392

du 14 avr. 2011 relative à la garde à vue, NOR : JUSD1113979C.

(8) Consid. n° 19.

(9) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre

des procédures pénales et au droit de communiquer après l'arrestation, n° COM (2011) 326, Dr. pénal 2011. Alerte

39.

(10) Consid. n° 16

(11) Y Capdepon, Essai d'une théorie générale des droits de la défense, thèse Univ. Bordeaux IV, 2011, dir. J.C.

Saint-Pau.

85

(12) Consid. n° 20.

(13) Consid. n° 25 : « Considérant qu'à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, la loi du

14 avril 2011 susvisée a eu pour objet de remédier à l'inconstitutionnalité des dispositions du code de procédure

pénale relatives à la garde à vue ».

(14) Consid. n° 31.

(15) Consid. n° 28.

(16)Idem, déc.

(17) Décis. 30 juill. 2010, op. cit., consid. n° 16 : « Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à

l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et représente moins de 3% des jugements et ordonnances rendus sur

l'action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement

dit "en temps réel" des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du

ministère public sur l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à

la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en oeuvre de l'action publique ont permis une réponse

pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l'objectif de bonne administration de la justice, il n'en résulte

pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une

personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration

de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi

souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne

mise en cause » (c'est nous qui soulignons).

(18) Consid. n° 31.

(19)Idem.

(20) Décis. du 30 juill. 2010, op. cit., consid. n° 16.

Revue de science criminelle © Editions Dalloz 2012

86

INSTRUCTION

DOC 1 : Recueil Dalloz 2012 p. 1189 Commission rogatoire : connaissance de faits nouveaux Arrêt rendu par Cour de cassation, crim. 27 mars 2012 n° 11-88.321 (n° 2097 F-P+B) Sommaire : Les officiers de police judiciaire qui, à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire, acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication au juge d'instruction des procès-verbaux qui les constatent, effectuer d'urgence, en vertu des pouvoirs propres qu'ils tiennent de la loi, les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu'elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique. Décision attaquée : Cour d'appel d'Orléans ch. instr. 4 novembre 2011 (Rejet) Texte(s) appliqué(s) : Code de procédure pénale - art. 80 - art. 100-5 - art. 100-7 - art. 206 - art. 591 - art. 593 Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 - art. 6 - art. 8 Mots clés : PROCEDURE PENALE * Instruction préparatoire * Juge d'instruction * Commission rogatoire * Officier de police judiciaire * Fait nouveau * Vérification sommaire Recueil Dalloz © Editions Dalloz 2012

DOC 2 :

Procédures n° 2, Février 2012, comm. 47

Le secret de l'enquête doit céder devant le secret des sources du journaliste

Commentaire par Anne-Sophie CHAVENT-LECLÈRE

SECRET DES SOURCES DES JOURNALISTES

Sommaire

La Cour de cassation annule les réquisitions du procureur de la République et les actes subséquents qui permettent la

consultation des « fadettes » de deux journalistes soupçonnés d'avoir divulgués des éléments d'une enquête en cours.

19

87

Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-83.970, FS-P+B : JurisData n° 2011-027405

(...)

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la

publication, le 1er septembre 2010, dans le journal Le Monde, sous les signatures de M. G. A. et

de M. J. Z., d'un article rendant compte d'investigations réalisées la veille et le jour même dans

une enquête la concernant, Mme Y. a porté plainte du chef de violation du secret professionnel

auprès du procureur de la République ; que ce dernier a, le 2 septembre 2010, ordonné une

enquête préliminaire, en autorisant notamment les officiers de police judiciaire à obtenir, par

voie de réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie, l'identification des numéros de

téléphone des correspondants des journalistes auteurs de l'article ; que, procédant par voie de

recoupements, les enquêteurs ont ainsi dressé une liste des personnes pouvant avoir un lien avec

la procédure en cours ;

Attendu qu'après ouverture d'une information contre personne non dénommée, les juges

d'instruction désignés ont saisi la chambre de l'instruction aux fins de voir statuer sur la

régularité de la procédure ; que pour prononcer l'annulation des réquisitions visant à des

investigations sur les lignes téléphoniques des journalistes en cause, et celle des pièces dont

elles étaient le support nécessaire, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que l'atteinte portée au secret des sources des

journalistes n'était pas justifiée par l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public et que la

mesure n'était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi, la chambre de

l'instruction a légalement justifié sa décision, tant au regard de l'article 10 de la Convention

européenne des droits de l'homme qu'au regard de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 (...).

Note :

S'il existe des décisions attendues, tel est assurément le cas de celle rendue par la Cour de cassation

le 6 décembre 2011 tant le contexte politique et juridique est propice.

1. Le contexte particulier de la décision

Politiquement d'abord, la décision s'inscrit en marge d'une affaire très médiatique et impliquant, non

seulement les plus hautes instances politiques, et pour les faits qui nous concernent, l'autorité

judiciaire elle-même. Il s'agit en effet des suites du premier épisode de la fameuse affaire

Bettencourt du nom de la présupposée victime d'un abus de faiblesse. En cours de procédure, des

enregistrements de conversations privés sont publiés dans le but de démontrer la vulnérabilité de la

victime, forçant la présidente du tribunal de Nanterre, devant lequel une citation directe est pendante

à interrompre l'action et à informer des chefs de captation et diffusion de paroles attentatoire à la vie

privée (CA Paris, 23 juill. 2010, n° 10/13989 : JurisData n° 2010-014308 ; Rev. pénitentiaire et de

droit pénal 2012, comm. 68, note A.-S. Chavent-Leclère). Dans le cadre de l'instruction, une

perquisition est diligentée au domicile de la milliardaire. Le même jour, le quotidien Le Monde

publie sous la plume de deux de ses journalistes un article intitulé « les policiers à la recherche des

petits papiers de Mme Bettencourt » dans lequel figurent des éléments de l'investigation. L'espèce

du 6 décembre 2011 intervient précisément concernant ces faits puisque Mme Bettencourt porte

plainte contre les deux journalistes pour violation du secret de l'enquête et de l'instruction auprès du

Parquet de Nanterre.

88

Juridiquement ensuite, l'arrêt de la chambre criminelle du 6 décembre 2011 constitue la première

décision rendue sur le fondement de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du

secret des sources des journalistes (Journal Officiel 5 Janvier 2010). Prenant acte du fait que « la

presse joue un rôle éminent dans une société démocratique puisqu'il lui incombe de communiquer

des informations sur toutes les questions d'intérêt général », le législateur consacre « au niveau

législatif le principe de la nécessaire protection du secret des sources et complète les garanties

existantes en matière de procédure pénale afin de protéger ce secret. Il prévoit également les

conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire peut, à titre exceptionnel, obtenir des informations

nécessaires à la conduite des enquêtes » (motifs de la loi).

Pourtant, en dépit du nouveau dispositif, le procureur de la République de Nanterre utilise dans le

cadre de l'enquête préliminaire ouverte pour violation du secret de l'enquête et de l'instruction une

mesure de contrainte particulièrement attentatoire au secret des sources des deux journalistes.

Se fondant sur l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale, qui lui permet classiquement de «

requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute

administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'enquête, y

compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui

remettre ces documents, notamment sous forme numérique », il obtient l'identification des numéros

de téléphone portables personnels et professionnels des deux journalistes, ainsi que la liste des

appels entrants et sortants sur ces lignes, incluant les SMS et leurs destinataires.

À partir de l'analyse des documents fournis par les opérateurs téléphoniques, les deux journalistes

sont poursuivis et mis en examen pour violation du secret professionnel.

Les réquisitions de documents émanant du procureur et fondant la décision de poursuite des

journalistes, auraient probablement été couvertes par la légalité si elles avaient été diligentées

quelques mois plus tôt. Pourtant désormais, et depuis le 4 janvier 2010, l'article 2 de la loi du 29

juillet 1881 dispose expressément que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de

permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général. Il ne peut être porté atteinte à

ce secret que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose. En particulier, il ne peut y être porté atteinte au

cours d'une procédure pénale qu'à titre exceptionnel, si la nature et la particulière gravité du crime

ou du délit sur lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations le justifient ». Depuis

cette loi également, l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale a été modifié substantiellement. Il

prévoit désormais par un premier renvoi à l'article 56-2 du Code de procédure pénale, que lorsque la

réquisition concerne des journalistes, « la remise des documents ne peut intervenir qu'avec leur

accord ». Il prévoit par un second renvoi à l'article 60-1, qu'« à peine de nullité, ne peuvent être

versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l'article 2 de la loi

du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».

Aussi, sentant bien la nécessité de sécuriser une procédure dont ils pressentaient l'illégalité

manifeste, les juges de l'instruction en charge de l'information saisissaient le 24 janvier 2011 la

chambre de l'instruction en application de l'article 170 du Code de procédure pénale aux fins qu'il

soit statué sur la régularité des réquisitions en cause.

Par un arrêt en date du 5 mai 2011, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux - où

avait été dépaysée l'affaire - annule l'ensemble des procès-verbaux d'exploitation des réquisitions

aux opérateurs téléphoniques relatifs aux deux journalistes. Elle suit en ce sens les réquisitions du

procureur général qui estime qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 77-1-1 modifié du Code de

procédure pénale, l'accord des journalistes à la réquisition est rendu nécessaire par la loi, « faute de

porter indirectement atteinte à leurs sources par la révélation de leurs relations habituelles ». Au-

delà de constater la violation de la base légale nécessaire à l'investigation, la chambre de

l'instruction considère que ni le but légitime de la contrainte, ni sa proportionnalité n'ont en l'espèce

été respectés pour une enquête diligentée sur le fondement « d'une simple plainte d'un particulier »,

sans même avoir préalablement entendu les journalistes visés et pour mettre en lumière des délits

89

dont la gravité n'est pas manifeste.

2. La position minimaliste de la Cour de cassation

Saisie par les avocats de Mme Bettencourt, la Cour de cassation devait se prononcer sur le fait de

savoir si les réquisitions du parquet de Nanterre remplissaient les conditions légales de leur

existence et en tout état de cause se conformaient au secret des sources des journalistes

nouvellement protégé par la loi du 4 janvier 2010.

Par une décision laconique, la Cour de cassation confirme la décision d'annulation de la chambre de

l'instruction, mais reste bien en-deçà de ce qui était légitimement attendu d'un tel arrêt.

La chambre criminelle estime en effet que les réquisitions à opérateurs téléphoniques doivent être

annulées comme portant une atteinte aux secrets des sources des journalistes ni « justifiée par

l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public », ni « proportionnée au but légitime

poursuivi ».

Elle utilise ici un raisonnement typiquement européen selon lequel l'ampleur d'une restriction à un

droit doit être fondée sur une base légale, légitime et proportionnée (CEDH, 26 nov. 1991, Goodwin

c/ Royaume-Uni, pt 39).

L'utilisation d'un tel raisonnement ne serait pas choquant s'il lui était demandé d'examiner la

conformité de la loi française avec les dispositions de la Convention européenne des droits de

l'homme.

Pourtant, dans le cadre de ce pourvoi, tel n'était à l'évidence pas la question posée. Il s'agissait de

s'interroger sur la légalité des actes du parquet et de ceux qui en découlaient au regard des

dispositions légales. En somme, et en lien avec l'objet du pourvoi, deux réponses étaient attendues.

La première était celle de savoir si « l'accord » nécessaire à la légalité de la réquisition, tel qu'il est

formulé à l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale sous peine de nullité (CPP, art. 60-1) visait

les journalistes, personnes protégées ou les opérateurs personnes sollicitées. Sur ce point la Cour ne

répond pas.

La seconde était relative à l'ampleur de la protection des sources du journaliste. Le nouvel article 2

de la loi du 29 juillet 1881, qui dispose qu'« il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu'un

intérêt impérieux l'impose. En particulier, il ne peut y être porté atteinte au cours d'une procédure

pénale qu'à titre exceptionnel, si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur

lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations le justifient », s'adresse-t-il au

législateur ou doit-il être mis en oeuvre concrètement par le juge dans le cadre du contrôle de

chaque décision du Parquet diligentée à l'encontre d'un journaliste ? Autrement dit, la loi du 4

janvier 2010 enrichit-elle le contrôle de légalité existant sur les actes du Parquet, d'un contrôle

d'opportunité visant à déterminer au cas par cas si la contrainte diligentée par le Parquet était

nécessaire à la poursuite d'un intérêt impérieux et justifiée par une infraction d'une particulière

gravité ? Sur ce point, la Cour répond à demi-mot.

En utilisant précisément les termes de l'article 2 de la loi de 1881 et en confirmant la nullité

prononcée par la cour d'appel, on peut considérer qu'elle opte pour une interprétation autonome et

extensive de la disposition. En restant aussi lapidaire, elle laisse cependant planer un doute sur la

portée d'une loi particulièrement mal articulée. La superposition des dispositions générales insérées

dans la loi de 1881 avec celles formulées techniquement dans le Code de procédure pénale a pour

conséquence de s'interroger sur l'autonomie de chacune des règles.

Pour autant, sauf à revenir à une situation moins protectrice qu'avant la loi du 4 janvier 2010, il

convient de déduire, d'une part, que l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale nécessite l'accord

du journaliste à l'encontre duquel on diligente une réquisition, d'autre part, qu'en renfort de cette

légalité, le bien-fondé de chacun des actes de l'autorité judiciaire le concernant devra répondre aux

critères ressortant de l'article 2.

90

C'est d'ailleurs cette interprétation qui ressort des travaux préparatoires de la loi lorsqu'il est affirmé

qu'est posé « un principe général, qui en quelque sorte « irradie » l'ensemble de la procédure pénale :

tout acte d'investigation qui concerne un journaliste doit appliquer le principe et ses exceptions. (...)

La protection du secret des sources devra ainsi, même en l'absence de disposition particulière, être

respectée dans la conduite de l'ensemble des actes d'enquête menés par l'autorité judiciaire et

notamment en ce qui concerne les interceptions des correspondances émises par la voie des

télécommunications. En conséquence, il ne pourra être procédé à des écoutes téléphoniques afin de

découvrir la source d'un journaliste dans une instruction ouverte, par exemple, pour des faits de

violation du secret professionnel » (Rapport n° 771, par Étienne Blanc).

Ce n'est qu'à la lumière d'une protection maximale, dont la Cour de cassation ne dessine ici que les

prémisses, que le journaliste exercera « son rôle indispensable de chien de garde » de la démocratie

(CEDH, 26 nov. 1991, n° 13166/87, Sunday Times c/ Royaume-Uni, pt 50).

Instruction. - Sources des journalistes. - Secret

Textes : L. 29 juill. 1881, art. 2

Encyclopédies : Procédure pénale, App. Art. 567 à 621, Fasc. 30

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91

ANNEXES :

DOC 1:

Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr)

Une procédure pour séjour irrégulier ne peut pas

justifier une garde à vue

le 8 juin 2012

EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Citoyenneté - Nationalité - Étranger

PÉNAL | Enquête | Etranger

Alors que suite à l’arrêt El Dridi de la CJUE, la possibilité d’engager des mesures de garde à vue sur le seul

fondement de l’article L. 621-1 du CESEDA divise les juges du fond, la chambre criminelle indique, dans un

avis, que de telles gardes à vue ne sont pas justifiées.

Crim. 5 juin 2012, avis n° 9002

Par un avis très attendu du 5 juin 2012, la chambre criminelle indique que le ressortissant d’un État

tiers ne peut pas être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée seulement pour

entrée ou séjour irrégulier en France. L’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des

étrangers et du droit d’asile (CESEDA) punit d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3

750 €, le fait pour un étranger de pénétrer ou séjourner en France de manière irrégulière ou de s’y

maintenir au-delà de la durée autorisée par son visa.

Selon l’avis de la chambre criminelle, il résulte de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008

relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des

ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite « directive retour », « telle qu’interprétée par

la Cour de justice de l’Union européenne » (CJUE), qu’un étranger mis en cause, pour le seul délit

prévu par l’article L. 621-1 du CESEDA « n’encourt pas l’emprisonnement lorsqu’il n’a pas été

soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l’article 8 » de cette directive. Or, une

mesure de garde à vue ne peut être décidée que « s’il existe des raisons plausibles de soupçonner

que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni

d’emprisonnement », rappelle la chambre criminelle (c. pr. pén., art. 62-2). Elle en déduit qu’un

étranger « ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée de ce

seul chef ». La chambre criminelle précise que dans l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur

de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, un étranger ne pouvait également

92

pas être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée pour entrée ou séjour

irrégulier selon la procédure de flagrant délit. « Le même principe devait prévaloir lorsque l’enquête

était menée selon d’autres formes procédurales », ajoute-t-elle.

Cet avis de la chambre criminelle vient donc contredire la position de l’ancien garde des Sceaux,

Michel Mercier. Ce dernier avait estimé, dans une dépêche du 13 décembre 2011, que les

dispositions de la directive retour n’étaient « susceptibles d’affecter ni les mesures de garde à vue

engagées sur le fondement de l’article L. 621-1, ni les procédures de rétention administrative qui

peuvent faire suite à ces mesures » (V. Dalloz actualité, 15 déc. 2011, obs. C. Fleuriot ).

La chambre criminelle fait référence, dans cet avis, aux arrêts El Dridi (CJUE, 28 avr. 2011, n°

C-61/11) et Achughbabian (CJUE, 6 déc. 2011, n° C-329/11) de la CJUE. Dans le premier, la CJUE

avait jugé que la directive retour s’oppose à une réglementation nationale infligeant une peine

d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que

celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé,

sur ce territoire (sur cet arrêt, V. AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D.

2011. Jur. 1880, note G. Poissonnier ; ibid. 1400, entretien S. Slama ; AJ pénal 2011. 362, note S.

Slama et M.-L. Basilien-Gainche ).

Dans le second, la CJUE avait indiqué que la directive retour s’oppose à une réglementation

nationale permettant l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier qui

n’a pas été soumis aux mesures coercitives prévues par la directive et n’a pas, en cas de

placement en rétention en vue de l’application de la procédure d’éloignement, vu expirer la durée

Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2012

DOC 2 : La Semaine Juridique Edition Générale n° 19, 7 Mai 2012, 566

La Cour de justice de la République : à conserver et à améliorer

Libres propos par Louis Gondre

conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation, ancien président de la Cour de justice de la

République

et Jean Pradel

professeur émérite de la faculté de droit de Poitiers, ancien magistrat

Cour de justice de la République

La Cour de justice de la République doit être conservée. - Mais sa compétence doit être

élargie et sa procédure retouchée

Sommaire

93

Le jugement pénal des membres du Gouvernement pose d'emblée une difficulté majeure. Il faut en

effet d'un côté pouvoir condamner les ministres pour leurs agissements délictueux en liaison avec

leurs fonctions, par respect pour le principe d'égalité entre les citoyens et pour éviter que les

ministres puissent s'abriter derrière la séparation des pouvoirs afin d'échapper à la poursuite. En

effet, responsabilité publique et responsabilité pénale ne sont pas forcément associées et même si la

distinction peut paraître subtile, il y a bien un aspect pénal que le juge doit pouvoir saisir. Mais d'un

autre côté il convient de ne pas entraver leur action par des harcèlements qui peuvent être plus que

désagréables et nuire à l'intérêt général.

Le législateur avait cru résoudre cette quadrature du cercle en créant par une loi constitutionnelle du

27 juillet 1993 une juridiction originale appelée la Cour de justice de la République. Celle-ci était

selon l'heureuse image de Jean Foyer un édifice à trois étages incluant une instance de poursuite (la

commission des requêtes), un organe d'instruction (la commission d'instruction) et une fonction de

jugement (la Cour proprement dite). Cette dernière comporte quinze juges, à savoir trois magistrats

du siège à la Cour de cassation, six députés et six sénateurs, tous étant élus par leur corps respectif

(Const., art. 68-2).

Or voici qu'aujourd'hui, François Hollande, candidat à la présidence de la République propose de

faire voter une loi « supprimant la Cour de justice de la République » en estimant que « les

ministres doivent être considérés comme des citoyens comme les autres » et qu'ils doivent être «

soumis aux juridictions de droit commun », ce qui à ses yeux favoriserait l'indépendance et

l'efficacité de la justice. Relayant cette proposition, un universitaire connu apporte une précision :

cette suppression, constitutionnelle dans son principe devrait être compensée par une « commission

formée des plus hauts magistrats (du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État, de la Cour de

cassation et de la Cour des comptes) et qui serait chargée d'un simple rôle d'aiguillage : les faits

reprochés relèvent-ils de la responsabilité de droit civil ou pénal ou de la responsabilité politique ou

des deux » ? Dans le premier cas le ministre serait renvoyé devant la justice judiciaire et dans le

second devant l'Assemblée nationale (G. Carcassonne, Cour de justice de la République : renoncer

au salmigondis à la française : JCP G 2012, act. 395, Libres propos).

Ces suggestions et plus généralement la réforme de 1993 appellent trois remarques.

La création de la Cour de justice de la République se justifie dans son principe. - Il faut se

rappeler les circonstances dans lesquelles cette Cour a été créée en 1993. Auparavant, les ministres,

comme le chef de l'État, étaient justiciables de la Haute Cour de justice composée seulement de

parlementaires. Mais l'expérience montra que cette Haute Cour « est une constante de l'histoire

constitutionnelle française, mais que destinée à ne pas servir, elle demeure comme une institution

pathologique » (B. Mathieu, Th. Renoux et A. Roux, La Cour de justice de la République : PUF, n°

2981, 1995, p. 58). On peut aussi douter de l'utilité de saisir la Haute Cour pour des délits plus ou

moins modestes. À propos de l'affaire dite du « sang contaminé », qui il est vrai était très grave, la

Haute Cour a démontré son impuissance due à l'impossibilité de changer la qualification retenue

par la résolution parlementaire. Et toute la classe politique - opposition comme majorité - fut

d'accord pour créer une Cour qui se rapprocherait du droit commun, sauf en ce qui concerne sa

composition.

La Cour de justice de la République telle qu'elle est composée associe magistrats de profession et

parlementaires. Et le fait qu'il y ait une majorité de parlementaires s'explique parce que le pouvoir

législatif est estimé plus apte à « apprécier la régularité de l'exercice du pouvoir exécutif que le

pouvoir judiciaire dont la mission est pourtant de juger, c'est-à-dire de confronter la régularité d'un

comportement... au regard de la règle de droit » (Sénat, rapp. n° 316, C. Jolibois, 1992-1993). D'un

autre côté, le haut niveau juridique des magistrats professionnels apporte une garantie

d'indépendance dont on ne peut se passer ; de plus avec cette mixité de juges, on donne aux

parlementaires l'image qu'ils ne se jugent pas entre eux (V. les déclarations de P. Méhaignerie,

garde des Sceaux in JOCR Sénat, 27 mai 1993). La Cour de justice de la République est donc

légitime juridiquement et politiquement.

94

Les deux propositions actuelles s'inscrivent à l'encontre de la légitimité de la Cour de justice

de la République. - D'une part, en supprimant carrément cette juridiction, les ministres vont être

jugés comme les citoyens ordinaires. Ils attendront leur tour dans la salle d'audience ce qui nuira à

l'image de la classe politique, à moins que les magistrats leur réservent un tour spécial, à vingt

heures, après l'audience « ordinaire » ce qui donnera une bien mauvaise image cette fois de la

justice, capable de trier parmi ses justiciables ceux pour lesquels la publicité sera réduite de fait.

Autre inconvénient, le particularisme des affaires impliquant des ministres est très évident : on ne

peut traiter un ministre comme un proxénète ou un voleur ordinaire sans que cette observation

signifie que des ministres ne peuvent pas commettre des faits graves.

D'autre part, la proposition universitaire paraît assez étrange. Les magistrats de l'ordre administratif

et de l'ordre financier ne sont pas forcément rompus aux subtilités de la discipline pénale, d'autant

plus que dans le schéma proposé, ils pourraient être majoritaires dans la formation d'aiguillage. Et

si c'est l'Assemblée nationale qui hérite de l'affaire, la procédure risque de se terminer par un

classement puisqu'il n'y aura pas de magistrats professionnels.

Des modifications de fonctionnement devraient être apportées. - En premier lieu, la compétence

de la Cour est trop étroite. Premièrement, rationae materiae l'article 68-1 de la Constitution vise

uniquement les infractions commises par les ministres « dans l'exercice de leurs fonctions ». Cette

notion est d'application difficile car les actes incriminés débordent parfois la simple conduite des

affaires de l'État. Il faudrait donc retenir aussi les actes accomplis « à l'occasion de l'exercice des

fonctions » ce que fait d'ailleurs le législateur en droit de fond (V. par ex. C. pén., art. 432-4 sur les

atteintes à la liberté individuelle). Faut-il rappeler qu'à propos des privilèges de juridiction,

aujourd'hui supprimés la loi ne visait certes que les infractions commises dans « l'exercice des

fonctions ». Mais justement la pratique entendait largement cette expression et incluait, contra

legem les infractions commises à l'occasion de l'exercice des fonctions (Mémento de la chambre

d'accusation, documents pratiques de l'ENM, 1989/1989), ce qui prouve bien que la maladresse du

législateur était corrigée à leur façon par les magistrats. Deuxièmement, rationae personae, l'on

pourrait inclure les coauteurs et complices des ministres qui ne sont pas visés par l'article 68-1 de la

Constitution, tout comme les membres des cabinets ministériels. Actuellement la procédure est

souvent partagée entre les juges de droit commun compétents à l'égard des coauteurs et complices

et/ou membres du cabinet du ministre et la Cour seule compétente à l'égard du ministre. Meilleure

serait une saisine globale, ce qui justifierait là encore une extension de compétence et grâce à

laquelle les coauteurs et personnels des cabinets ministériels bénéficieraient des droits de la défense

devant la commission d'instruction.

En second lieu, l'interdiction de la constitution de partie civile - destinée à éviter le harcèlement -

prive les débats de tout caractère contradictoire. Il est indispensable de permettre à la victime de

soutenir la poursuite, du moins une fois que la procédure est engagée. Il faudrait donc que la

victime puisse être partie civile à la procédure, non pour réclamer des dommages et intérêts (il y a

les juridictions de droit commun pour cela) mais pour corroborer l'action publique quand celle-ci

est exercée (sur ces points, V. L. Gondre, De la Haute Cour à la Cour de justice de la République :

Rev. pénit. 2000, p. 74 et s. - V. aussi la proposition de loi organique présentée par J.-J. Hyest le 23

novembre 1993, mais jamais mise à l'ordre du jour). Le législateur de 1993 a été bien timide en

permettant à la victime tout au plus de porter plainte auprès de la commission de requêtes (Const.,

art. 68-2, al. 2). Aujourd'hui avec l'amélioration du statut des victimes il est plus nécessaire que

jamais de lui permettre de participer au débat, au moins quand l'action publique est déjà engagée.

En troisième lieu, compte tenu du particularisme de la matière, le nombre de voix requis pour les

décisions de la Cour devrait être porté aux deux tiers, comme c'est déjà le cas pour la Haute Cour

de justice, ce qui impliquerait un abandon de la majorité absolue actuelle.

En résumé, en conservant la Cour dans sa composition actuelle mixte, on sauvegarderait son

indépendance. Et en la retouchant comme il vient d'être dit, on l'améliorerait au regard de son

efficacité et du principe du contradictoire. Le droit est un subtil équilibre où se mêlent

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conservatisme et audace et où l'on doit souvent tourner le dos à des solutions brutales.

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II) Droit pénal