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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco Axelle GLAPA Séminaire Art, Politique et Management Sous la direction de Mme Sophie Papaefthymiou Mémoire soutenu le 5 Septembre 2010

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UNIVERSITÉ LYON 2Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Entre crises et succès : la Convention duPatrimoine Mondial de l’Unesco

Axelle GLAPASéminaire Art, Politique et Management

Sous la direction de Mme Sophie PapaefthymiouMémoire soutenu le 5 Septembre 2010

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Table des matièresRemerciements . . 4Introduction . . 5I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle . . 9

1. Une notion en rupture avec les traditions . . 9A. L’Institutionnalisation de la notion de «Patrimoine Mondial» . . 9B. La protection de patrimoine mondial : Entre souveraineté territoriale et solidaritéinternationale . . 22

2. Un instrument de coopération internationale majeur . . 30A. Une coopération nécessaire et inéluctable . . 30B. Vers une amélioration du fonctionnement démocratique ? . . 35

II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses . . 431. La liste du Patrimoine Mondial, un «don» aux peuples encore mal utilisé . . 43

A. L’enjeu pour les «citoyens du monde» : Préserver pour «transmettre» . . 43B. L’enjeu pour la population locale : préserver pour vivre . . 49

2. Une application de la Convention encore en maturation . . 55A.Un outil juridique au service d’Etats parties . . 55B. Vers une Liste du Patrimoine Mondial plus représentative ? . . 60

Conclusion . . 67Bibliographie . . 69

Ouvrages . . 69Manuels de référence . . 70Articles . . 70Sites Internet . . 70Textes législatifs . . 71Entretiens . . 71

Annexes . . 72Annexe 1 : Convention du Patrimoine Mondial . . 72Annexe 2 : Site WHTour . . 83Annexe 3 : Entretien avec Tito Dupret . . 84Annexe 4 : Demande d’inscription BMU . . 84Annexe 5 : Calendrier de la Procédure . . 85Annexe 6 : Entretien avec Mme Patou . . 86Annexe 7 : « Rome, ville ouverte…à la laideur » ? . . 86Annexe 8 : Extrait de la session du comité 1992 . . 87Annexe 9 : Les Dix critères . . 88Annexe 10 : Evolution des critères . . 90Annexe 11 : La réserve de Dja, Cameroun . . 90Annexe 12 : La Cité Interdite, Pékin, Chine . . 91Annexe 13 : Les Bouddhas de Bamyan, Afghanistan . . 91Annexe 14 : Pont de Mostar, Bosnie-Herzégovine . . 91

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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RemerciementsJe tiens à remercier tout particulièrement Mme Sophie Papaefthymiou, mon directeur de mémoire,qui m’a laissé libre de travailler sur un sujet culturel en lien avec les relations internationales, etqui m’a par la suite orienté dans mes recherches et m’a conseillé dans les différentes étapes del’élaboration de mon travail.

Je tiens également à remercier M. Hideo Noguchi et sa femme Mme Anne-Chantal Lampe,fonctionnaires de l’Unesco, qui m’ont donné des conseils précieux pour comprendre cette notioncomplexe.

Enfin, je remercie également les personnes qui ont bien voulu m’aider à approfondir mesrecherches en acceptant de répondre à mes questions, Mme O’Miel et Mme Patou, responsables del’inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco du Bassin Minier Uni pour m’avoir fait partagercette aventure fabuleuse, et M. Dupret, qui m’a transmis sa passion du Patrimoine Mondial.

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Introduction

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Introduction

L’Acropole d’Athènes, le site archéologique d’Angkor au Cambodge, la Grande Muraille deChine, le Kremlin et la Place Rouge, le chemin de St-Jacques de Compostelle, le Taj-Mahal,le site de Petra, les ruines de la ville ancienne d’Axoum en Ethiopie, le site de Tombouctou,mais aussi les camps de concentration d’Auschwitz soulignant la mémoire et la résistancede l’Homme, ou l’ile de Gorée au large du Sénégal, symbole de l’exploitation humaine etsanctuaire aujourd’hui de la réconciliation... Tous ces sites ont un point commun, l’inscriptionsur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco. Héritages du passé, ce programme del’Unesco a pour objectif de protéger ces sites classés afin de les transmettre aux générationsfutures.

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la notion de «Patrimoine Mondial»? Sans le savoir,nous sommes entourés par ces témoins essentiels de l’Histoire de l’Humanité. Actuellementau nombre de 911 dans plus de 150 Etats, ce programme du Centre du Patrimoine Mondialimplique les citoyens du monde entier. Pourtant connue de tous, cette notion reste encorelointaine pour le grand public. Ce concept apparaît pour d’autres de prime abord superflu.En ce début du XXIème siècle, on l’assimile souvent à ce nouvel engouement pour lepatrimoine, que l’on qualifie quelques fois de «religion du patrimoine», dans la mesure oùtout devient patrimoine. Certes, notre société a tendance à sacraliser aujourd’hui tout ce quilui semble avoir «une valeur d’ancienneté1». Alois Riegl, l’un des plus influents historiensd’art autrichiens, membre de la première Ecole de Vienne, tend à expliquer cette passionrécente par une crise d’identité de nos sociétés occidentales. C’est un moyen pour nousd’exister en remontant nos origines, mais aussi de mettre en valeur les progrès accomplisafin de se rassurer. Certes, cette «patrimonialisation» mondiale s’inscrit peut-être dansce mouvement, mais là n’est pas la question. L’essentiel est de rappeler ici l’enjeu desquestions patrimoniales pour l’homme. L’espace bâti constitue l’environnement de l’homme,et influence ainsi son quotidien et ses activités. Selon Roland Recht, historien de l’art etcritique d’art français, il détermine son comportement et forme la mémoire. Ce sont à lafois nos repères et notre espace vital, et qui doivent - plus que jamais - être protégés.Enfin, le concept de «Patrimoine Mondial» est qualifié d’insaisissable. Revenons quelquesinstants sur la signification du Patrimoine. Du latin «patrimonium», il désigne l’ensemble desbiens que l’on a hérité de nos ascendants. Le Patrimoine Mondial recouvre le patrimoineculturel, qui est défini par Marie Cornu, directrice de recherches au CNRS pour le droit desbiens culturels, comme «l'ensemble des biens mobiliers ou immobiliers -dont la propriétépeut être publique ou privée - et qui bénéficie d'une protection en vertu de l'intérêt culturelqu'ils renferment dont il choisit d’assurer la protection au nom d’un intérêt historique et/ouartistique.»2. Mais il recouvre également, contrairement à l’imaginaire collectif, le patrimoinenaturel, qui est d’ailleurs le plus souvent touché et le plus mal protégé en cas de conflits.Enfin, le Patrimoine Mondial concerne uniquement le patrimoine matériel immobilier, c’est-à-dire les biens culturels tangibles et palpables qui provoquent un sentiment d’identité etde continuité.

1 Terme employé pour la première fois par Aloïs Riegl2 CORNU Marie, Le droit culturel des biens, l'intérêt culturel juridiquement protégé, Thèse, Paris II, 1994

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La notion de patrimoine a eu différentes acceptions et a englobé bien des objets etdes combats différents au cours des siècles. Etant synonyme de destruction pendant untemps, avant de devenir une part de l’identité d’une nation, le Patrimoine Mondial en estaujourd’hui la forme la plus élargie. L’élargissement de la notion au «Patrimoine Mondial»est récent puisqu’elle est née à la fin du XXème siècle. Grâce à la Convention concernant laprotection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée à Paris le 16 Novembre 1972par l‘Assemblée Générale de l’Unesco, le Patrimoine Mondial désigne aujourd’hui la Listedu Patrimoine Mondial dont le but est la préservation des témoignages de l’Humanité. Cetteprotection constitue en soi une reconnaissance, et ainsi l’ouverture d’une «fenêtre sur lemonde», impliquant tous les avantages et parfois désavantages que cela signifie.

L’industrialisation et l’urbanisation des années 60 qui mettaient en péril par des dangersnouveaux les plus beaux sites du patrimoine universel ont été les principaux déclencheursde son adoption. Cette prise de conscience mise en parallèle avec les succès des grandescampagnes internationales de sauvetage du patrimoine en Egypte (1961) à Venise ouà Florence (1966), ainsi que la formation d’un mouvement écologiste aux Etats-Unisnotamment, a favorisé la naissance d’un nouvel instrument juridique. En vue de renforcerla protection des plus beaux sites à travers le monde, le préambule de la Convention duPatrimoine Mondial affirme : «Constatant que le patrimoine culturel et le patrimoine naturelsont de plus en plus menacés de destruction non seulement par les causes traditionnellesde dégradation mais encore par l'évolution de la vie sociale et économique qui les aggravepar des phénomènes d'altération ou de destruction encore plus redoutables»3.

Désigné à la fois sous le terme de «patrimoine universel» dans son préambule oude «patrimoine mondial» (notamment dans l’article 7), sa définition n’en reste pas moinscomplexe. Tout d’abord, il repose sur une conception horizontale définie par les articles 1et 2 de la Convention :

Article 1 «Sont considérés comme « patrimoine culturel :Les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peintures monumentales,

éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupesd'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, del'art ou de la science,

Les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leurarchitecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science,

Les sites : œuvres de l'homme ou œuvres conjuguées de l'homme et de la nature,ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.»

Article 2 «Sont considérés comme « patrimoine naturel :Les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou par

des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point devue esthétique ou scientifique,

Les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitéesconstituant l'habitat d'espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation,

3 Voir l’intégralité du texte de la Convention concernant la Protection du patrimoine culturel et naturel mondial dans l’Annexe 1.

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Introduction

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Les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeuruniverselle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauténaturelle.»

La conception verticale, à savoir présenter une valeur universelle exceptionnelle, estplus complexe puisqu’elle engendre autant de difficultés à être appliquée par les spécialistesdu Centre du Patrimoine Mondial et par les Etats, qu’à être comprise par les citoyens dumonde entier. On peut de manière simple désigner la valeur universelle exceptionnellecomme ayant un intérêt si exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu'élémentdu patrimoine mondial de l'humanité toute entière. Afin de justifier leur valeur universelleexceptionnelle, les sites doivent satisfaire à au moins un des dix critères4 rédigés par leComité du Patrimoine Mondial, et présents dans les Orientations devant guider la miseen application de la Convention. Ces critères sont modifiés régulièrement afin de suivrel’évolution cette notion complexe de Valeur Universelle Exceptionnelle (désignée aussi sousle terme VUE). Une autre ambiguïté de cette notion est qu’elle ne présente pas un statutjuridique explicite puisque les Etats et la Communauté Internationale, ainsi que le Centredu Patrimoine ont le devoir de coopérer pour sa protection.

En parallèle à cette définition complexe, la procédure d’inscription à la Liste duPatrimoine Mondial, prévue par la Convention, se caractérise par un grand nombreuxd’acteurs :le Comité, les Etats et de plus en plus les régions, qui obéissent à des logiquesdifférentes. Elle implique également des étapes multiples, se réalisant sur le long terme,complexifiant encore un peu plus sa compréhension.La trame du processus d’inscriptionsur la liste du Patrimoine Mondial peut se résumer ainsi en trois étapes. Les Etats identifientle patrimoine constitué à partir des articles 1 et 2 en soumettant des listes indicatives.Puis, ils proposent chaque année selon un calendrier bien défini un nombre de nominationsspécifiques au Comité du Patrimoine Mondial. Ce comité, organe de l’Unesco en charge defaire appliquer la Convention, décide finalement de les inscrire ou non sur la liste.

Cette liste du Patrimoine Mondial fait état d’un véritable succès aujourd’hui tant surle plan quantitatif que qualitatif. A l’aube des années 80, cette convention fut ratifiée parplus de 50 pays. Elle en comptait plus de 110 en 1990, pour atteindre environ 170 pays audébut des années 2000. En parallèle, le nombre de sites sur la liste du Patrimoine Mondiala sensiblement augmenté. Alors qu’on ne pouvait compter qu’environ 50 sites inscrits en1974, on en comptabilisait déjà plus de 300 en 1979. Par la suite, cet élan fut toujours aussiconsidérable puisqu’on en comptait près de 600 à la fin des années 80. Depuis les années90, face aux nouvelles stratégies du Comité, les inscriptions ont diminué. On comptait alorsun peu plus de 800 sites au début des années 2000. D’ailleurs, pour illustrer ce succès, lacomparaison avec d’autres traités internationaux aux objectifs similaires mais qui n’ont pasconnu le même succès est flagrante. La Convention de 1954 sur la protection du patrimoineculturel en temps de guerre affiche dès le préambule des ambitions similaires d’un destincommun de l’humanité à protéger : «Considérant que la dégradation ou la disparition d'unbien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoinede tous les peuples du monde (...)». Alors que les moyens étaient identiques - l’Unescoayant pour rôle de compléter l’action des états - la Convention de 1972 se veut en rupturepour pallier l’échec relatif de 1954 dans la protection internationale. D’ailleurs elle a étécomplétée par le protocole de 1999, qui montre l’impact positif de la convention de 1972.

Sur le plan qualitatif également, cet instrument a mis en place un véritable «idéal». Toutd’abord, la Convention fut le moyen de faire entrer la notion de protection du PatrimoineMondial dans la coutume internationale. Mais dans une perspective plus large, en réponse

4 Voir l’intégralité des dix critères en Annexe 9

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aux grandes catastrophes humaines et culturelles, cette Convention a eu pour ambitionde donner au monde un nouvel outil pour mieux se connaitre, pour mieux dialoguer et secomprendre. Cette collaboration entre presque tous les Etats de la planète pour la défensed’un tel but est inédite. Souvent qualifiée d’«utopie» en ce sens, ce texte a tout de mêmejeter les fondements d’une ouverture au monde et pourquoi pas d’une civilisation mondiale ?

Une telle entreprise renferme nécessairement en son sein des contradictions qui ladétournent de son objectif principal : protéger et ainsi faire «don» de sites ayant une valeuruniverselle exceptionnelle aux citoyens du monde. La relative jeunesse de la conventionaccentue ces contradictions au point que la liste du Patrimoine Mondial est de ce fait parfoispeu connue, mal comprise, voire même critiquée.

Tout d’abord, il s’agit d’une convention obscure. Comme nous l’avons abordé, laConvention en créant cette Liste met en place un fonctionnement complexe. Le compromisfragile entre les acteurs, le processus long et diffus et une communication axée dès le départvers les succès de grandes envergures au détriment des populations la rendent inaccessiblepour le grand public.

Derrière ses succès, se cache aussi une véritable crise doctrinale,qui, même si l’Unescoa pris les mesures pour y remédier, a terni l’image de cette liste. En effet, les choix duComitédu Patrimoine Mondial depuis les années 90 ont suscité bien des débats concernant lavaleur universelle exceptionnelle des sites, assimilant parfois selon ses détracteurs lePatrimoine Mondial aux seules réalisations européennes.

Enfin, il est important de souligner que cette liste s’adresse à différents publics. D’uncôté, un public de professionnel, notamment les membres du Centre du Patrimoine mondial,spécialistes de ces questions, de l’autre une population locale concernée directementpar les programmes de protection, et par une population de «passage» pour qui lacommunication autour de cette idée de protection est aujourd’hui plus que nécessaire afinde ne pas produire les effets inverses.

Un fonctionnement délicat, des publics et des enjeux multiples, le tout sur les vestigesd’une crise sur le sens à donner à cette notion... Tous ces éléments impliquent une mauvaisecommunication envers les publics, ce qui peut apparaître comme contraire à l’objectif mêmede la liste du Patrimoine Mondial.

Entre crises et succès, le Patrimoine Mondial est aujourd’hui incontournable puisqu’iltouche aux aspects essentiels des Etats, à savoir leur identité et leur culture. Cependant,c’est encore une notion nouvelle, en maturation.

Certes, après une définition latente depuis le début de XXème siècle, le Patrimoinemondial a pris une dimension particulière depuis son «institutionnalisation» par laconvention de 1972 à travers l’élaboration de la liste du Patrimoine Mondial. Après 35années d’application ininterrompue qui obtient chaque année la ratification de nouveauxEtats, elle est devenue aujourd’hui un système de protection efficace et un instrumentmajeur de la coopération internationale. (I)

Son succès a pourtant caché une profonde crise doctrinale. La Convention doitaujourd’hui s’efforcer de faire évoluer le sens donné au terme de Patrimoine Mondial. Parla pratique, elle fait face aux manquements et évolutions nécessaires. Bien que renforcéesur certains points, la notion de Patrimoine Mondial reste toujours incertaine et se doit depallier de nouvelles menaces mettant en péril ces sites. (II)

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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I. La Convention du Patrimoine Mondial,une «invention» essentielle

Nous verrons que la Convention de 1972 contribue à donner un nouveau sens au patrimoineen dépassant les frontières, avant de nous concentrer sur la formation d’un système deprotection inédit que cela implique.

1. Une notion en rupture avec les traditionsLa Convention du Patrimoine Mondial adoptée en 1972 s’inscrit dans la modernité. Ellemet un terme à la conception classique du patrimoine, symbole de la souveraineté étatiqueet parvient à mettre en place les germes d’une «solidarité internationale autour de cettequestion».

A. L’Institutionnalisation de la notion de «Patrimoine Mondial»

1. Le concept de «patrimoine» : une création des Etats OccidentauxLe patrimoine renvoie par définition à la fois à la mémoire collective, à l’identité et à l’histoired’un peuple. La notion de patrimoine prend donc tout son sens au sein de la Nation.

a. De la destruction à la protection, historique du patrimoineLe patrimoine monumental, comme les œuvres qui remplissent nos musées, n’ont pastoujours bénéficié d’un statut privilégié comme c’est le cas aujourd’hui. De nombreusesétapes ont précédé à l’obtention de ce statut.

Alors que le patrimoine mobilier fut rapidement l’objet d’une protection tant pour safonction esthétique que pour leur fonction historique, la définition du patrimoine immobilierfut longtemps indécise. Les balbutiements de l’utilisation du patrimoine monumental à«visée patriotique» se sont timidement mis en place au Moyen-âge en Europe. La dimensionsymbolique du patrimoine a été utilisée afin de glorifier une région ou une ville. L’histoiretumultueuse de l’Italie au Moyen-âge en est un bon exemple. L’attachement aux monumentsétait courant dans ces luttes incessantes des régions italiennes. Ils étaient à la foisconsidérés comme le témoignage d’une époque révolue, et comme un «modèle pour leprésent». On peut distinguer l’ambiguïté de ce statut dans la lettre célèbre de Raphael etCastiglione au Pape X : «C’est un devoir pour chacun d’aimer sa patrie et ses parents, et jeme crois engagé à user de mes faibles forces, afin de ressusciter autant que possible uneimage, ou plutôt une ombre, de cette ville qui est en vérité la partie de chaque chrétien»5.

5 RECHT, Roland, Penser le Patrimoine, Mise en scène et mise en ordre de l'art - Nouvelle édition augmentée, Paris : Hazan,2008, p.92

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On attache de la valeur au monument pour les lieux et contextes de leur naissance, et àl’œuvre d’art pour sa fonction.

L’élargissement de la notion de patrimoine s’est fait grâce à différentes crises qui ontrenforcé petit à petit la dimension symbolique.

Pendant la période antique, il y avait peu de limites à un Etat de détruire ou piller lesbiens artistiques ou historiques de l’Etat adverse en cas de guerre. La destruction étaitutilisée par les souverains pour faire disparaître tous signes de la civilisation battue. Lesexemples foisonnent : la destruction de villes entières et de leur richesse comme Thèbespar les Assyriens au VIIème siècle avant JC, ou comme Carthage par les Romains au IIèmesiècle avant JC, la destruction du temple de Jérusalem par les Babyloniens au VIème siècleavant JC puis par les Romains en 70… La citation du philosophe Machiavel illustre biencette nécessité de destruction totale : «Qui devient maitre d’une cité habituée à vivre libre etne la détruit pas, doit s’attendre à être détruit par elle». Ces siècles pendant lesquels il étaitpermis et de coutume de piller et de détruire marquèrent à jamais l’histoire en orchestrantla perte des plus grands trésors de l’Humanité à jamais perdus.

Le Moyen-âge est considéré comme l’époque de l’émergence de la conscience d’unpatrimoine littéraire et scientifique de l’Antiquité bien qu’il n’y eu pas de véritables politiquesde conservation. Le Moyen-âge marque également la naissance d’un patrimoine religieux.« La relique peut être considérée comme le modèle archaïque de l’objet patrimonial6»,comme l’affirme Roland Recht. En effet, c‘est à partir de ces reliques, que se fondel’architecture religieuse. La puissance de l’Eglise catholique, en Europe notamment, a accrula visibilité de ces reliques, qui attiraient principalement les dons des fidèles. Au XVIè siècle,la Réforme conduisit à la destruction d’objets et de lieux sacrés, ce qui paradoxalementrenforça la prise de conscience de leur valeur historique.

La deuxième rupture fut la Renaissance. On assista alors aux premières idéesd’héritage d’un patrimoine d’une nation. Celui-ci acquiert progressivement une vraiedimension culturelle aux yeux des contemporains. Par exemple, c’est au XVIè siècle quele Vatican commença à rassembler des objets, choisis pour leur valeur artistique. En outre,c’est l’époque des prémices de la notion de «protection du patrimoine», notamment grâceà l’élaboration de textes qui interdisent leur dégradation et le mettent sous surveillance.

Sans concerner directement les biens culturels, le traité de Westphalie (1648)bouleversa cette situation. Pour la première fois, les Etats ne sont plus dans une logiquede conquête. Ils dessinent des frontières. On assiste à la naissance des Etats-nations,tels qu’ils connaitront leurs apogées au XVIIIème siècle. Les Etats s’identifient comme devéritables puissances sur un territoire donné, avec leur identité, puisque tous les territoiressont conquis et délimités. De ce fait, les traités internationaux commencent timidementà prévoir une protection pour les biens appartenant à la souveraineté de l’Etat commeles archives, les bibliothèques et les collections d’œuvres d’art de l’Etat. Ces premièresrestrictions à ces destructions totales de biens culturels furent instaurées à la fin de laGuerre de Trente ans, au XVIIème et grâce à divers traités internationaux : Traité d’Oliviaentre la Suède et la Pologne, ou le Traité de Whitehall entre l’Angleterre et Pays-Bas.Cependant, ces premières considérations d’un «patrimoine» reconnu par une communautéinternationale émergente n’ont pas vraiment réussi à faire évoluer le droit international. Bienau contraire, elles sont le fondement idéologique d’une utilisation du patrimoine culturelcomme instrument au service du régime politique. L’exemple le plus significatif est celui desgrandes campagnes de Napoléon Ier.

6 Ibid

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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La crise générale qu’a subie la société française lors de la Révolution a bouleverséla fonction symbolique que l’on attribuait aux œuvres, mais surtout aux monuments. Ellesouligne le passage du patrimoine individuel au collectif, et la prise de conscience del’importance des biens nationaux. Le terme de «Monument historique» est employé enFrance pour la première fois en 1790. En 1794, l’Abbé Grégoire prend le contre-pied desconsidérations de Machiavel : «Rompre avec le passé ne signifie pas abolir sa mémoire,ni détruire ses monuments». S’adaptant à la logique des révolutionnaires, cette protectiondu patrimoine ne pouvait revendiquer une dimension esthétique élitiste, mais défendait aucontraire la ré-appropriation symbolique des monuments constituant l’histoire du peuple. Lavision identitaire du patrimoine avait vu le jour. Georg Dehio, l’un des historiens allemandspécialistes de la protection historique, résume cette vision par cette phrase : «Nous neconservons pas un monument parce que nous le trouvons beau mais parce qu’il représenteune part de notre existence nationale.»

En Europe au XIXème siècle, de nombreuses publications sur le patrimoine ont vule jour. Elles avaient notamment pour ambition de «classifier», mais aussi de «restituer»les monuments. On peut citer ici Les Monuments de France d’Alexandre Labordes, ou en1903 Le culte moderne des monuments (Der moderne DenkmalKultus, sein Wesen, seineEntstehung) d’Aloïs Riegl. La mise en place du statut de Monument Historique, défini commeun monument ou un objet recevant un statut juridique destiné à le protéger du fait de sonintérêt historique, artistique et architectural, répond à cet intérêt croissant pour le patrimoineimmobilier. En France, afin de rassembler les initiatives locales, le ministre de l’Intérieur del’époque, M. Guizot, a crée en 1830 un poste de d’Inspecteur des Monuments Historiquesafin de classer les édifices et répartir les crédits d’entretien par l’Etat. La première liste desMonuments Historiques comprenant environ 1000 sites est publiée en 1840. Elle fut lesprémices de la grande loi toujours en vigueur sur le classement au Monuments Historiquesdu 31 Décembre 1913, complétée par la loi de 1925, qui crée l’Inventaire supplémentaire. LaRévolution industrielle a quant à elle renforcé la nécessité de l’appropriation du patrimoine etde la sauvegarde des traces du passé. La production de masse joua un rôle conséquent enfavorisant la prise de conscience que seul le passé peut produire «le beau». Selon les motsde Balzac, «Nous avons des produits, nous n’avons plus d’œuvre». V. Hugo a égalementsouligné cette préoccupation de l’époque : «L’industrie a remplacé l’art».

Emblème des monuments Historiques

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Source : WikipediaAu XXème siècle, on assiste à une ré-appropriation du patrimoine. Tous les restes du

passé sont étudiés et non plus seulement l’Antiquité. Le patrimoine devient un bien communde la nation, un «témoignage physique de son histoire et image de son identité». A traversle monde, la protection du patrimoine devient une préoccupation administrative. En Francenotamment, fut instaurée en 1983 la première «Journée du Patrimoine». C’est aussi à cetteépoque que fut abandonné la notion de monuments historiques pour celle de «patrimoine».

b. Comment «penser le patrimoine» R. Recht ?L’histoire tumultueuse de l’ «institutionnalisation» du patrimoine au niveau national montrebien l’élasticité de la notion. Pourtant, Jean Pierre Babelon et André Chastel ont très tôtmontré que le patrimoine était en fait composé de six composantes : le fait naturel, le faitreligieux, le fait monarchique, le fait familial, le fait national, le fait scientifique, et le faitadministratif. Certaines caractéristiques de sociétés privilégient des aspects de la mémoirecollective. Roland Recht prend l’exemple de certaines régions du monde où l’hommeest encore subordonné à la perpétuation de certains rites. Cette relation au fait religieuxstructure ainsi la mémoire collective.

On peut également trouver une stabilitédans la notion de patrimoine monumental autravers de deux fonctions qu’il remplit systématiquement : une fonction artistique/esthétiqueet une fonction symbolique. C’est dans cette mesure que le statut de l’objet patrimonial estambigu : il est lieu de mémoire puisqu’il incarne des valeurs partagées par une communautéd’Hommes, mais il possède aussi une fonction instrumentale pour l’historien : «(...) D’unobjet de science, l’institution patrimoniale en fait un objet de conscience»7.

7 idem, p.15

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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La fonction artistique se définit principalement au travers de la réalisation de l’objetou d’un monument. La place de l’historien de l’art prend toute son importance ici : il va sepencher sur l’aspect technique et la maitrise théorique qui a pu conduire à sa réalisation.L’historien cherche ainsi à comprendre l’objet. Roland Recht pointe dans ce domaine lasubjectivité du langage. Il définit ainsi l’historien d’art comme «un maitre du langage» devantmettre des mots éphémères sur des réalités historiques. La fonction instrumentale de l’objet,et du monument d’art comme objet de science est avant tout pour l’historien, de chercherson caractère universel. Nous verrons que ce patrimoine tel qu’est conçu est en ruptureavec la conception d’un patrimoine universel dans cette fonction artistique.

Outre sa fonction artistique et historique, le patrimoine monumental se définit parsa fonction symbolique, qui est mise en valeur par la reconnaissance institutionnelle.La symbolique de ce patrimoine repose alors sur deux caractéristiques essentielles :la sacralisation et l’unicité. Puisqu’il n’est plus question d’attenter à leur existence, onpeut considérer que «l’institution patrimoniale confère aux œuvres d’art un statut et unefonction sacrés8». Dans un sens, on peut comparer cette sacralisation du patrimoine àcelle des reliques ou des statues de dévotion au Moyen-âge. C’était une première formede patrimonialisation puisqu’elle consiste à protéger l’existence d’un bien. Ces objetset monuments du Moyen-âge sont d’ailleurs aujourd’hui re-sacralisés par l’ «institutionpatrimoniale». L’analogie entre le temple et le musée a été ressentie dès l’origine desmusées. A ce propos, Roland Recht rappelle les résultats d’une enquête qu’il a menée ausujet des visiteurs de musées publics dans de grandes villes : la première qualité citée desmusées était le silence. La différence majeure entre l’objet de dévotion et l’objet patrimonialest l’unicité de ce dernier. Alors que la réplique peut être multiple - chaque partie d’un corpssacré produit la même valeur-, lui seul donne accès au passé.

Les plus grands historiens français se sont d’ailleurs penchés sur la symbolique dupatrimoine, ce qui souligne l’importance de cette dimension pour nos sociétés actuelles.Le patrimoine culturel, selon Fernand Braudel, est un «ensemble de traces matérielles etimmatérielles mémorielles d’une civilisation». Cela implique la nécessité d’une filiation etd’une permanence. Le patrimoine culturel devient donc une médiation entre les générations.Enfin, le monument patrimonial dispose également d’une fonction symbolique dans lamesure où on peut considérer que la formation du patrimoine remonte au culte des morts.Cette idée s’exprime dans la citation célèbre de Bourdieu : «La mort saisit le vif». Dans uneperspective plus large, on retrouve l’idée de Riegl et de la valeur d’ancienneté. Indépendantede toute valeur esthétique, le patrimoine monumental est synonyme d’un attachement«sentimental». La dégradation naturelle d’un monument ne fait que renforcer cette valeurpuisque, selon Riegl, elle reflète le rythme de notre système biologique. Cependant,pour que cette transmission soit effective, il faut également que cette patrimonialisationréponde à une demande collective, une appropriation symbolique. C’est ce qu’entendMaurice Halbwachs par la «mémoire collective». Dans son ouvrage « La Topographielégendaire des Evangiles en Terre sainte », il essaie de comprendre ce qui lie ma mémoireau patrimoine monumental. Mais la mémoire est une reconstruction du passé, qu’ellesoit individuelle ou collective elle est subjective. Il faut des «lieux de Mémoire», formuleattribuée à Pierre Nora, grand historien français connu pour ses travaux sur le « sentimentnational » et sa composante mémorielle. Le patrimoine monumental est donc lié à lamémoire collective des Hommes dans la mesure où la mémoire a besoin de lieux oùpouvoir s’exprimer. Le patrimoine monumental touche ainsi directement à l’identité d’unecommunauté. Le processus historique de construction des Etats Nations se fait toujours à

8 idem, p.11

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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partir d’un différentialisme. S’il n’y a pas de «patrimonialisation» d’un Etat, l’Etat n’existeraitpas. L’appropriation symbolique du patrimoine culturel par l’Etat est un moyen de constituerla nation.

2. La naissance d’«un Patrimoine sans patrie?» F-B HUYGUEOr, le XXème siècle a vu l’apparition par extension du concept de Patrimoine Mondial. Laforme la plus aboutie est celle proposée par la Convention de 1972 qui qualifie le patrimoineculturel et naturel présentant une «valeur universelle exceptionnelle» pour l’humanité dansle but de préserver les sites ayant un intérêt pour l’humanité entière des dégradations liéesà la nature mais également des destructions causées par l’homme, notamment en cas deconflit.

Quel sens revêt la notion de Patrimoine Mondial? Les éléments qui associaient lepatrimoine avec la nation sont perdus lorsqu’on pense à l’échelle planétaire : ni la mémoire,ni l’identité ne peuvent forger ce lien. N’est-il pas en contradiction même avec le conceptqui renvoie à la nation/la patrie? Quel sens à lui donner tant que tous les pays n’auront pasun bien inscrit?

a. Les germes de l’ «internationalisation du patrimoine»Le XIXè siècle fut un moment privilégié dans l’élaboration de normes spécifiques concernantla protection internationale des bâtiments voués à la religion, l’art ou à la science.

L’un des premiers textes faisant figurer l’idée d’une protection internationale dupatrimoine remonte à 1863, lors de l’adoption aux Etats-Unis après la guerre de Sécession,du Lieber Code9. Ce traité stipule que les soldats doivent avoir une conduite « éthique »lors des affrontements face aux prisonniers, aux civils mais également à s’engager à ne pasdétruire les monuments dédiés à la religion, l’éducation ou les sciences.

35. Classical works of art, libraries, scientific collections, or preciousinstruments, such as astronomical telescopes, as well as hospitals, must be securedagainst all avoidable injury, even when they are contained in fortified places whilstbesieged or bombarded.

37. The United States acknowledge and protect, in hostile countries occupied bythem, religion and morality; strictly private property; the persons of the inhabitants,especially those of women; and the sacredness of domestic relations 10 .

Cette idée de la protection de certains monuments est employée à nouveau en 1874dans le cadre de la Déclaration de Bruxelles, qui interdit de piller les biens dédiés àl’éducation, la religion, l’art et les sciences.

Art. 8 Les biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, àla charité et à l'instruction, aux arts et aux sciences, même appartenant à l'Etat, seronttraités comme la propriété privée. Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle desemblables établissements, de monuments historiques, d'œuvres d'art ou de science, doitêtre poursuivie par les autorités compétentes11.

9 Est également connu sous le nom de Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field10 T he Lieber Code of 1863 http://www.civilwarhome.com/liebercode.htm 11 Projet d'une Déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre. Bruxelles, 27 août 1874. http://

www.icrc.org/DIH.nsf/FULL/135?OpenDocument

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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En 1880, l’ «Oxford Manual» interdit les actes de guerre contre les monumentshistoriques, archives et œuvres d’art pendant une guerre terrestre, puis il étend cette règleà la guerre maritime12.

Art. 34. In case of bombardment all necessary steps must be taken to spare, if it canbe done, buildings dedicated to religion, art, science and charitable purposes, hospitals andplaces where the sick and wounded are gathered on the condition that they are not beingutilized at the time, directly or indirectly, for defense.

Art. 53. The property of municipalities, and that of institutions devoted to religion,charity, education, art and science, cannot be seized. All destruction or wilful damage toinstitutions of this character, historic monuments, archives, Works of art, or science, isformally forbidden, save when urgently demanded by military necessity.

En 1899, puis en 1907, la Conférence de la Paix de La Haye donne un caractèrecontraignant à l’idée de la protection internationale des biens culturels puisqu’elles obligentles Etats à protéger et à restituer les objets culturels du pays ennemi.

Article 7. Le personnel religieux, médical et hospitalier de tout bâtiment capturé estinviolable et ne peut être fait prisonnier de guerre.13

Cependant, il manque dans l’ensemble de ces textes une définition cohérente et précisedes biens culturels. L’expression «biens culturels» n’y est d’ailleurs pas évoquée. A défaut,on retrouve les termes «institutions dédiées à la religion, à la charité et à l’éducation, auxarts et aux sciences (...) aux monuments historiques, aux œuvres d’art et aux œuvresscientifiques». Par cette approche fragmentée des objets, ces textes ne considéraient pasles biens culturels comme un ensemble homogène et ne pouvaient a fortiori prévoir uneprotection cohérente. Cette protection était d’autant plus spécifique puisqu’elle reposait surun enjeu avant tout humanitaire et non culturel.

Suite aux destructions de la Première Guerre Mondiale, les questionnements surla nécessité d’une coopération internationale devient incontournable. L’IICI (InstitutInternational de Coopération Intellectuelle) fut créé en 1926. L’institut, situé à Paris, étaitconsidéré comme le Secrétariat de la Société des Nations (SDN) sur les questionsde la promotion intellectuelle et culturelle, notamment entre scientifiques, chercheurs,professeurs, artistes et intellectuels. La SDN entreprit timidement de mettre en place desprogrammes de reconstruction et de restauration des biens culturels suite à la détériorationdes sites, notamment après les destructions pendant la guerre d’Espagne. Pour célébrer laconservation des trésors espagnols, le Premier Ministre espagnol a d’ailleurs récemmentrendu hommage aux travaux de conservation des comités internationaux qui ont permis sasauvegarde14. Dans la crainte d’une nouvelle guerre, et suite à l’expérience de la guerrecivile espagnole, le Bureau international des musées de la Société des Nations commençaà travailler sur un projet de traité international qui avait pour objectif de protéger les biensculturels en temps de guerre. Mais ce projet fut arrêté en 1939 lors du déclenchement dela Seconde Guerre Mondiale.

Dans ce contexte trouble des années 30, un intellectuel natif de Russie Nicolas Roerichinstallé aux Etats-Unis eut l’initiative de créer un concept symbolique autour d’un possible

12 The Laws of War on Land. Oxford, 9 September 1880. http://www.icrc.org/ihl.nsf/FULL/140?OpenDocument13 Convention (III) pour l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève du 22 août 1864. La Haye,

29 juillet 1899. http://www.icrc.org/DIH.NSF/INTRO/155?OpenDocument14 Voir le communiqué de presse du Ministère de la Culture Espagnol du 25 Janvier 2010 http://www.eu2010.es/export/sites/

presidencia/comun/descargas/Ministerios/fr_ndepMinisterioCulturaComiteSalvamento.pdf

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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«Patrimoine mondial». Il développa l’idée de la Bannière de la Paix idée qu’il avait déjà miseau point dès les années 1900 en Russie. Il souhaitait pouvoir faire accepter un symbole, telleque la Croix Rouge humanitaire, qui protégerait le patrimoine universel exceptionnel, en le«neutralisant» en temps de guerre afin que tous les peuples puissent jouir de la richesse deleur patrimoine culturel. Cette bannière pour la sauvegarde de la culture devait flotter surtous les monuments à protéger. Ce drapeau fut proposé dès 1929. Un congrès internationalpour le Pacte Roerich et le Drapeau pour la Paix s'est établi avec son siège central àBruges, en Belgique. Le symbole de la Bannière de la Paix est composé de trois sphèresentourées par un cercle de couleur magenta sur fond blanc. Symbole philosophique indiendésignant le bonheur à l’origine, cette triade a un caractère universel. Il serait attribué selonles interprétations soit à l’alliance de la Religion, de la Science et de l’Art inscrits dans lecercle de la culture, soit dans un dimension temporelle aux symboles du passé, du présentet du futur réunis dans le cercle de l’éternité. « Ce symbole est d'un caractère universel etil existe depuis des temps immémoriaux... Quand il est question de défendre les trésors del'humanité, aucun symbole ne peut être mieux choisi... Il porte avec lui une signification quidevrait trouver un écho dans chaque cœur. »15

Cette première idée d’une protection internationale en temps de paix eut un échoconsidérable parmi les artistes, les politiques comme Franklin D. Roosevelt, RabindranâthTagore en Inde, ou le Roi des Belges Albert Ier et même parmi les militaires tels que leMaréchal Lyautey en France. Après trois conventions internationales qui remportèrent ungrand succès, le pacte fut adopté le 15 avril 1935 à Washington dans le cadre de l’UnionPan-Américaine. Ce pacte, désigné sous le nom de Traité concernant la protection desinstitutions artistiques et scientifiques et des monuments historiques (Pacte Roerich), etrédigé selon les codes du droit international, fut ratifié par les Etats-Unis et de nombreuxpays sud américains. Il fut ensuite approuvé par l’office international des Musées à laligue des nations et, en 1948, il fut ratifié par l’Inde. Créant un véritable engouement, de

15 The Roerich pact and Banner of Peace, The Roerich Pact.and Banner of Peace Committee, New York 1947

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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nombreuses associations Roerich se développèrent dans le monde, qui porteront le nom dela “Bannière de Paix“. L’association française du Roerich Muséum est créée en 1929 à Parissous la direction de deux docteurs en droit M. Phalipau & G. Chklaver Peyronnet. D’ailleursle Comité pour le Pacte Roerich est encore très actif aujourd’hui16. En 1950, le Comité duPacte Roerich envoya une copie à l’Unesco, ce qui inspira la rédaction de la convention dela Haye de 1954 : « Guidées par les principes concernant la protection des biens culturelsen cas de conflit armé établis dans les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 et dansle Pacte de Washington du 15 avril 1935 ». Aujourd’hui, le traité est toujours en vigueur, et103 pays font partie de cette convention.

Bannière de la Paix

Source : Google Images«L’humanité s’est accoutumée au signe de la Croix Rouge. Ce beau symbole a pénétré

la vie et a permis à toute existence d’affirmer le concept de l’humanitaire. La mêmeréalisation humanitaire, la même inéluctable reconnaissance de ce qui est vital doit entourerla Bannière de la Culture.» Nicolas Roerich

Au-delà de la catastrophe humaine, l’ampleur des destructions en Europe fit prendreconscience au monde de la nécessité de mettre en place des protections contre lesfolies des Hommes. La Deuxième Guerre Mondiale fut un tournant décisif dans l’idée dela nécessité d’établir une protection supranationale afin de garantir l’héritage des sitesayant une valeur exceptionnelle de l'humanité aux générations futures. Les problèmes definancement et d’expertise afin de reconstruire ou restaurer les monuments artistiques ethistoriques détruits nécessitaient la coopération internationale.

Après la Deuxième Guerre Mondiale, les interrogations soulevaient par l’IICI etpar la Société des Nations ont été transmises à l’Unesco. Afin d'empêcher d’autresbombardements et pillages d’œuvres d’art et de sites ayant une importance considérablepour l’humanité entière, l’une des priorités de l’Unesco en 1945 fut de concevoir uninstrument pour protéger les biens culturels en cas de guerre. Le préambule de laConvention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. La Convention de la

16 Voir l’adresse su site : http://bannieredelapaix-france.over-blog.com/

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Haye du 14 mai 1954 souligne ainsi le contexte difficile d’après-guerre ainsi que les objectifs.Grâce à cette Convention, l’Unesco bouleversa l’idée que l’on avait développée auparavantpour la protection internationale des biens culturels. En effet, grâce aux termes employésdans cette convention, les biens culturels doivent être protégés en temps de guerre pourleur valeur culturelle propre et non plus parce qu’ils sont sans défense et appartiennentau domaine civil. Les biens culturels n’ont pas une valeur commerciale, au contraire, ilssont définis comme étant par leur nature et leur rôle un élément «du patrimoine culturel del’espèce humaine toute entière».

La question de la définition devint dès lors inévitable. On ne trouve plus uneénumération d’objets comme dans les textes internationaux précédents mais trois critèressont instaurés qui sont présentés dans l’article 1 de la Convention :

« a. Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour lepatrimoine de l’ensemble des peuples (…)

b. Les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d'exposerles biens culturels meubles définis à l'alinéa a, tels que les musées, les grandesbibliothèques, les dépôts d'archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflitarmé, les biens culturels meubles définis à l'alinéa a;

c. Les centres comprenant un nombre -considérable de biens culturels qui sont définisaux alinéas a et b, dits « centres monumentaux » »

Cette convention représenta une double avancée. Elle permit de considérer pour lacommunauté internationale l’existence de biens culturels comme «faisant partie intégrantedu patrimoine culturel de l’humanité». Elle a offert ainsi une véritable protection renforcéepour les biens culturels inscrits. Elle préfigure ainsi l’évolution de la notion de patrimoineculturel mondial où la conservation relève de l’intérêt de la communauté internationale.En outre, la Convention de 1954 représente un grand pas sur le plan symbolique. Afind’identifier et de protéger les biens culturels en temps de guerre, elle adopta une marquesymbolique, nommé le Bouclier Bleu (The Blue Shield). En référence plus ou moins expliciteà la Bannière de la Paix de Roerich, ce symbole s’affirme en tant que «Croix-Rougeculturelle», pour la protection du patrimoine culturel. Ce symbole sert en effet à marquer lesbâtiments en cas de conflits. En 1996, cet emblème fut repris par le Comité International(ICBS), qui est composé de 5 organisations spécialisées : l’Icom (Comité internationaldes Musées), l’Icomos (Conseil international des monuments et sites), l’Ica (ConseilInternational des archives) et l’Ifla (Fédération internationale des bibliothécaires et desinstitutions) et le CCAAA (The Coordinating Council of Audiovisual Archive Associations).Cette organisation internationale et indépendante regroupe les meilleurs experts du mondeentier. Elle est consultée par les plus hauts dirigeants de la planète lors des conflits majeurs.

Symbole du BouclierBleu

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Source: Site Internet du Comité Français du Bouclier BleuCette évolution de la notion de patrimoine culturel mondial a été également appuyée

par des conventions non moins importantes, mais qui ont participé à rendre de plus enplus visible ce concept. La Convention concernant les mesures à prendre pour interdire etempêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturelsadopté par l’Unesco en 1970 concerne la réglementation du trafic de biens culturels. Denouvelles protections internationales se mettent également en place au niveau du droitprivé. Une des organisations intergouvernementales indépendantes les plus importantesest l'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit). Elle a pour objectif demoderniser, d’harmoniser et de coordonner le droit privé - notamment le droit commercial -entre des Etats, qui sont aujourd’hui au nombre de 61. En ce qui concerne la protection dupatrimoine culturel, la Convention Unidroit (1995) a pour ambition de favoriser la coopérationentre les Etats afin de «de faciliter la restitution et le retour des biens culturels». Cetexte de droit civil lutte efficacement contre le trafic illicite d’œuvres et le pillage de sitesarchéologiques.

A travers la multiplication des ces outils juridiques internationaux, nous comprenonsque la protection du patrimoine culturel est devenue une préoccupation majeure, quidépasse même le cadre national. Face à la menace de notre héritage culturel, aucun paysn'est épargné.

b. La Convention du Patrimoine Mondial, une histoire douloureuseBien que les textes se soient multipliés, la coopération internationale est restée pendantlongtemps encore timide. De même, la définition de «Patrimoine Mondial» restait encoreincertaine et confuse. Il a fallu attendre 1972 pour qu’une telle ambition se réalise.

Pourquoi une si lente émergence de cette Convention et de cette volonté de donnervie à cette notion de Patrimoine Mondial ? Tout d’abord, ce fut une question de moyens.Dans les années 50, l’Unesco a ainsi monopolisé ses efforts dans la bonne réalisation descampagnes de sauvegarde. Ensuite, l’Unesco devait pouvoir s’appuyer sur des expertsinternationaux. En ce qui concerne les musées, un tel organisme existait, il s’agissait del’Icrom. L’Unesco devait donc suscité la naissance d’un partenaire doté des compétencestechniques afin de faire émerger cette notion de patrimoine mondial : l’Icomos naquit ainsien 1965. Paradoxalement, une telle organisation existait déjà dans le domaine naturel car

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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l’UICN fut créée en 1948, sous l’impulsion du premier Directeur Général de l’Unesco, JulianHuxley. Face aux succès des campagnes internationales, c’est seulement à partir de 1966que l’Unesco pensa à donner un cadre cohérent à ces actions de sauvegarde et à «placersous un régime international approprié (...) un nombre restreint de monuments faisant partieintégrante du patrimoine culturel de l’humanité17». Un avant-projet de convention s’élaboraitalors à l’Unesco pour protéger le patrimoine culturel mondial.

Or, plus tôt, en 1965, est véritablement né le concept de «Patrimoine Mondial» grâceà Russell Train, principal initiateur du concept de “World Heritage Trust” et que l’on peutconsidérer comme un des pères de la Convention. Ce concept de «World Heritage trust»,né aux Etats-Unis lors d’un Conférence à la Maison Blanche voulait regrouper à la foisle patrimoine naturel et culturel (d’où le terme de «Trust»). Cette liste, qui prévoyait audépart de d’inscrire au maximum 100 sites, avait pour objectif de créer une solidaritéinternationale de fait afin de protéger les plus beaux sites du monde. Bien que cet instrumentsoit principalement axé sur le patrimoine naturel, il est important de souligner que cetteassociation entre patrimoine culturel et naturel ne pouvait naitre qu’aux Etats-Unis quioffraient une protection unique pour les deux types de sites grâce au «National ParkService» du Département de l’Intérieur. A partir de 1966, Train défendit donc cette idée,qui surprit une grande partie des spécialistes. Mais Train, devenu en 1970 Président du«Council on Environment Quality» sous Nixon, eut un poids politique considérable, etproposa l’inscription du Parc de Yellowstone au World Heritage Trust.

Pour comprendre le contexte d’adoption de la Convention, il est nécessaire de rappelerqu’au début des années 70, une autre grande préoccupation commençait à se faireentendre, la préservation de l’environnement. Afin de concevoir un outil international leplus efficace possible, il fallut trouver un compromis entre la Conférence de Stockholmprévue alors pour 1972 et le projet de Convention de l’Unesco, qui se mettait doucementen place. Dans les faits, sous l’impulsion américaine, il fallut prendre une décision quant aumariage d’un patrimoine culturel et naturel. Michel Batisse, scientifique français et membrede l’Unesco, fut envoyé en 1969 comme expert sur les questions environnementales auxNations Unies afin de participer à la Conférence de Stockholm prévue sur l’Environnement.On se rendit alors vite compte que ce nouveau concept de Patrimoine Mondial qui devenaitde plus en plus populaire dans les milieux politiques ne pourrait être adopté que dansle cadre international de l’Unesco. En effet, il ne s’agissait plus d’une déclaration maisde l’élaboration d’un véritable instrument de droit international. Michel Batisse fut l’un desdécisionnaires de ce «transfert» de responsabilité à l’Unesco, qui était d’autant mieux placéqu’elle jouait depuis sa création un rôle essentiel dans la sauvegarde de patrimoine.

Dans ses écrits18, on voit bien cependant la défiance que pouvait susciter une telle idéede défendre le Patrimoine Mondial culturel et naturel qui n’était pourtant pas encore trèsconnu par les fonctionnaires de l’Unesco : « Dès mon retour à Paris, j’informai le Secteurde l’Unesco concerné de ce qui se tramait à son insu. A l’époque, ce Secteur (...) étaitdirigé par un homme de lettres, Richard Hoggart, pour qui la protection de la nature n’étaitcertainement pas la priorité.» Michel Batisse mit tout en œuvre auprès des responsablespour que l’Unesco prenne le train en marche, et ajoute le patrimoine naturel à leur avant-projet de convention : «Je les invitai instamment (...) à faire en sorte que l’Unesco (...)prenne la tête du mouvement qui se dessinait aux Etats-Unis et ailleurs. Il suffisait pourcela d’ajouter les grands éléments du patrimoine naturel dans le champ couvert par leur

17 Actes de la Conférence Générale, Quatorzième session, 1966, Résolution 3.341118 L’Invention du Patrimoine Mondial”. Les cahiers du Club de l’Histoire. Regard sur l’action de l’Unesco par des acteurs et des

témoins Cahier 2. Association des anciens fonctionnaires de L’Unesco. Batisse, Michel and Gerard Bolla 2005

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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avant-projet de convention, qui n’avait pas encore caractère officiel et pouvait être aisémentretouché.». Pourtant cette idée ne remporta pas un grand succès. Certains y voyaient desdifficultés opérationnelles, d’autres craignaient une perte de leur autonomie en rapprochantles deux secteurs mais personne ne percevait l’engouement de cette idée à Stockholm. Afinde protéger les intérêts de l’Unesco, une entente fut progressivement mise en place entreles services sous l’impulsion de Jack Fobes, D irecteur Général Adjoint, un américain, quicomme le souligne Michel Batisse était un « ennemi des cloisonnements administratifs ».L’élargissement à la nature de la Convention qui se préparait à l’Unesco était donc entériné.

Après un temps confus de négociation diplomatique entre les fonctionnairesinternationaux, il fut décidé que le texte de la conférence de Stockholm traiteraitexclusivement de la nature, et serait donc très éloigné de l’idée de « Trust » américain, et quele texte de l’Unesco traiterait de nature et de culture. Cet enjeu était de taille pour l’Unescopuisque c’était l’occasion d'affirmer son rôle. Cette affirmation de l’Unesco fut perm ise parl’arrivée de Gérard Bolla, Directeur du Département du Patrimoine Culturel en novembre1971 et autre père fondateur de la Convention, ainsi que par l’approbation du DirecteurGénéral René Maheu, bien que les écrits des bâtisseurs laissent à croire que cette idéede l’élargissement séduisait les responsables de l’Unesco pour des raisons autres quepatrimoniaux. Voici un extrait des «mémoires» de Gérard Bolla : « René Maheu était pluspréoccupé par les initiatives visant à créer une nouvelle institution internationale (une modeà l’époque !) que du problème d’une convention rivale protégeant un « Patrimoine Mondial »de sites naturels et de certains sites culturels. La création dans le cadre des Nations Uniesd’une nouvelle institution chargée de la protection de l’environnement aurait porté nettement

atteinte à des domaines où l’Unesco avait acquis une compétence certaine (...) 19 ».

Gérard Bolla entra donc en relation étroite avec les Etats-Unis qui étaient les initiateursde ce « Trust » et, avec leur appui, ils firent comprendre à l’ensemble de la communautéinternationale que l’Unesco avait les capacités à gérer une convention et un fonds, enaccordant tout de même une place de choix à l’UICN en tant qu’organisme consultatif, pourne pas raviver les tensions. On parvint même à faire adopter une déclaration d’appui à cetteConvention lors de la Conférence de Stockholm. En 1971, le Directeur Général de l’Unescoentérina donc l’élargissement du patrimoine mondial au patrimoine culturel et naturel, et lamodification du projet de la Convention de l’Unesco.

La rédaction d’un projet de Convention contenant une référence aux sites naturels, futnon sans peine mise en œuvre. Il s’agissait en fait d’un véritable changement de fond dutexte, qui nécessita près de 130 amendements ! Afin d’enrichir la convention de la protectiondes sites naturels, ses rédacteurs s’inspirèrent du « World Heritage Trust » qu’avaient misen place les Américains. Une fois le texte rédigé, un nouveau débat éclata concernant letitre de la convention. Certains proposèrent « Union » qui était la traduction du « Trust »américain, d’autres insistèrent pour « Fondation », « Fonds » ou « Tutelle ». Finalement, laConférence adopta en accord avec Gérard Bolla le projet de Convention de l'Unesco pour« la protection du patrimoine mondial naturel et culturel ». La Convention fut adoptée avecun résultat historique : 75 votes favorables contre un (la Thaïlande), et 17 abstentions.

« Je suis en revanche intimement convaincu d'avoir été le principal responsablede l'adjonction de la nature dans un processus qui se voulait exclusivement culturel »Michel Batisse fait dans ses écrits un bilan de cette histoire difficile de la Conventionqui a ajouté en cours de projet le patrimoine naturel, et dont il s’est senti l’un des plusfervents défenseurs. Certes, une séparation des responsabilités auraient entrainé une

19 Ibid

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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simplification des compétences, et peut-être un renforcement de son efficacité, de mêmele problème de l’équilibre ne se serait pas posé. En outre, cette distinction des causesaurait pu mobiliser des fonds plus importants. D’un point de vue philosophique, cela auraitempêché les reproches de certains qui considèrent incongrue cette association. Cependant,Michel Batisse insiste sur le caractère fondamentalement culturel de la convention, qui bienque présentant les deux aspects du patrimoine, donne un caractère anthropologique aupatrimoine naturel. D’ailleurs cette idée était largement répandue à l’Unesco, de ne pasconsidérer sur un strict pied d’égalité les biens naturels et culturels. Il souligne cette idéeen analysant les termes de la Convention, à savoir l’utilisation de « biens » - « properties »en anglais, ainsi que la faible longueur consacrée à la définition des biens culturels.

Michel Batisse rappelle que la Convention est un moyen de pression pour que lessites exceptionnels soient protégés tout en rappelant qu’elle n’est pas un instrument uniquemais qu’elle doit être combinée à l’action d’autres textes. Pour conclure sur cette histoirecomplexe et sur ses enjeux, la convention a le mérite d'« avoir ouvert les esprits sur la dualitédu monde et introduit cette idée nouvelle que la nature fait aussi partie de notre patrimoineet pas seulement de notre environnement ». René Maheu dans son allocution devant laConférence de Stockholm : «Longtemps objets d'investigations et de dévotions distinctesvoire rivales, voici que nature et culture apparaissent dans le même temps menacées l'uneet l'autre, et avec elles l'homme lui-même qui n'existe qu'en leur conjonction ».

Grâce aux écrits de l’Association des Anciens Fonctionnaires de l’Unesco (AAFU), on apu découvrir que l’histoire de la Convention est née grâce à de nombreux échanges. Le butde cette association est de permettre aux anciens de laisser une trace de leur expérienceafin “s’opposer à l’amnésie rampante” et éviter ainsi que les nouvelles générations nerepartent de zéro. Cette histoire de la coopération internationale est d’autant plus importantequ’elle relève souvent de négociations diplomatiques qui se déroulent bien en dehorsdes grandes conférences internationales. Ces anciens fonctionnaires ont donc la capacitéde lire entre les lignes des conventions, ce qui se révèle un atout indispensable pour lacompréhension de ces instruments internationaux par les générations futures. Gérard Bollaet Michel Batisse ont participé à l’écriture de cette histoire en nous léguant par écrit lesétapes de la naissance douloureuse de la Convention du Patrimoine Mondial de 1972, qui aconduit à l’invention de la notion de « Patrimoine Mondial ». Un tel aspect de l’histoire de laConvention est essentiel car cela comble les lacunes documentaires sur le sujet. De plus,elle souligne l’importance du facteur humain dans toutes les négations aussi abstraites etlointaines qu’elles peuvent nous apparaitre aujourd’hui.

A travers les siècles, la prise de conscience de protéger un patrimoine commun àl’Humanité est née. L’Unesco et de multiples autres acteurs, après de longues péripéties,ont finalement réussi à lui donner sens et vie, notamment au travers l’élaboration de la listedu Patrimoine Mondial. Nous allons voir maintenant quel est le contenu de cet instrument,qui est aujourd’hui l’un des plus efficaces du droit international contemporain.

B. La protection de patrimoine mondial : Entre souverainetéterritoriale et solidarité internationale

1. Les Etats membres, la pierre angulaire de la Convention

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Lechapitre II de la Convention est explicitement réservé à la description des compétencesétatiques et internationales en ce qui concerne la protection de Patrimoine Mondial. Cechapitre est particulièrement important d’un point de vue juridique.

a. La main mise des Etats tout au long du processusIl est tout de suite important de rappeler une chose. Ce n’est pas la Convention qui «protège»les sites, mais les Etats qui «protègent» les sites sur leurs territoires, qu’ils soient listés ounon dans la Liste du Patrimoine Mondial, en agissant en conformité avec la Convention auniveau national. En effet, une convention est un instrument juridique de droit internationalqui s’applique à la société internationale. La société internationale est un ordre juridiquehorizontal à cause de l’égale distribution de souveraineté entre les sujets, à savoir les Etatset les organisations internationales. Elle est donc par définition spécifique et conflictuelle.Spécifique dans le sens où, contrairement au droit interne, on ne retrouve ni la centralisationdu pouvoir, ni la hiérarchie des normes. Et conflictuelle, dans le sens où la politique des Etatsprime souvent sur leurs engagements internationaux grâce à cette absence de hiérarchieentre les sujets et en l’absence donc de sanctions contraignantes. On peut citer ici unedéclaration célèbre de la jurisprudence internationale: «Les règles de droit liant les Etatsprocèdent de la volonté de ceux-ci.»20 Comme le souligne Mme Patou, l’évolution possible,mais non souhaitée, vers une responsabilisation du Centre du Patrimoine Mondial «estlimitéepar ce qui peut être perçu comme une ingérence politique». Le centre du PatrimoineMondial n’a donc ni les moyens, ni même la vocation de violer la souveraineté des Etats,ce qui est précisé dans l’ article 6.1 de la Convention : «En respectant pleinement lasouveraineté des Etats sur le territoire desquels est situé le patrimoine culturel et naturelvisé aux articles l et 2, et sans préjudice des droits réels prévus par la législation nationalesur ledit patrimoine,(...)».

Les Etats interviennent donc tout au long du processus : ils ratifient la convention, lafinancent et en assurent l’application. Durant la phase d’élaboration de la convention, lesEtats étaient déjà désignés en ces termes : «Keystone of the building»21. Le Centre duPatrimoine Mondial de l’Unesco reste donc une organisation tributaire de la volonté desEtats membres.

A l’origine, les Etats décident de ratifier la Convention en prenant les dispositions quileur semblent favorables. Du fait de certaines dispositions jugées trop contraignantes, desréserves22 ont été mises à disposition des Etats comme le prévoit l’article 16-2. CertainsEtats peuvent ainsi décider de s'exonérer du financement obligatoire. Celle-ci conditionnel’entrée en vigueur de la convention dans l’Etat. Les Etats membres sont donc les principalessources de financement du Centre. Le chapitre IV de la Convention est ainsi consacréau Fonds pour la protection du Patrimoine Mondial. En ratifiant la Convention, chaqueEtat s’engage par la disposition de l’article 16 à «verser régulièrement, tous les deuxans, au Fonds du patrimoine mondial des contributions dont le montant, calculé selon unpourcentage uniforme applicable à tous les Etats, sera décidé par l'assemblée générale desEtats parties à la convention». Cette contribution s’élève à environ 1% de la contribution dechaque Etat au budget ordinaire de l’Unesco.

20 CIPJ, Affaire du Lotus, Arrêt n°9, Rec. Série A, N°1021 Voir le premier rapport du Special Committee of government experts to prepare a draft convention 21 April 197222 «Déclaration unilatérale faite par un Etat en vue de modifier pour lui-même les effets juridiques de certaines dispositions

d’un traité à l’égard duquel il s’apprête à s’engager définitivement» DUPUY Pierre-Marie, Droit International Public - 8e edition, Paris :Dalloz, 2006

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Les Etats assurent également le fonctionnement de cet instrument juridique. Ilsinterviennent ainsi tout au long des procédures d’inscription sur la liste du PatrimoineMondial. On peut déduire de l’article 5 une liste des actions minimales à appliquer par lesEtats à tous les sites à «valeur exceptionnelle universelle». Les Etats ont tout d’abord undevoir d’identification, qui est décrit dans les articles 3 et 4 la Convention. La premièreétape pour un site est d’être placée sur la liste indicative de son Etat, qui est l’«instrumentde planification et d’évaluation» d’une grande importance pour les Etats, le Comité, leSecrétariat, et les agences de consultation. Elles donnent une indication concernant lesfutures nominations. Ce n’est pas une étape obligatoire car le texte prévoit : «Chacun desÉtats parties à la présente Convention soumet, dans toute la mesure du possible, au Comitédu Patrimoine Mondial un inventaire des biens du patrimoine culturel et naturel situés surson territoire». Mais dans la pratique, il s’agit d’une étape importante : plus de 150 Etats surles 184 Etats parties en 2008 disposaient de liste indicative. Seuls les Etats disposant dedifficultés financières ou matérielles sont susceptibles de passer outre cette étape. Les Etatsy inscrivent donc les sites qu’ils considèrent comme disposant d’une «valeur exceptionnelleuniverselle» en attendant leur nomination dans les années qui suivent. L’inventaire de cetteliste doit respecter les critères établis dans les Orientations de la Conventions.23 Elles sonttransmises au Secrétariat et aux agences de consultation. Un résumé de ces listes estprésenté tous les ans au Comité pour information.

Les Etats ont ensuite un devoir de conservation, de protection et de promotion dela Liste du Patrimoine Mondial (article 4 et 5) afin de sécuriser la transmission auxgénérations futures pour faire face aux différentes difficultés. Une lecture approfondie del’article 4 souligne l’obligation de moyen des Etats à accomplir ces devoirs : «Il s'efforced'agir à cet effet tant par son propre effort au maximum de ses ressources disponibles».Cette conception relayée par la formulation de l’article 5 «les États parties à la présenteConvention s'efforceront dans la mesure du possible (...)» met en valeur le fait que laConvention prend en compte les variables culturelles, sociales, économiques du pays. Lespays sont effectivement inégaux face à ces étapes dans la mesure où elles dépendentétroitement de leur législation nationale sur le patrimoine, de la date à laquelle ils ont adoptéla Convention, mais aussi de leurs ressources financières et humaines... C’est d’ailleursdans cette logique que la Convention a mis en place les politiques d’assistance dans sonchapitre V, que nous étudierons plus tard, afin de remédier à ces inégalités.

L’efficacité de la protection définie dans la Convention réside dans le fait que lesEtats ayant ratifié la Convention appliquent ces règles minimales de protection dans leurlégislation nationale pour l’ensemble de leur patrimoine. Ces devoirs en partie présents dansl’article 5 n’ont pas vocation à être figés. La liste des obligations se doit d’être étendue dansla mesure où les Etats se sentent impliqués par ce devoir de protection et ont les moyensd’y parvenir. D’ailleurs, une recommandation24 a été adoptée dans ce sens en 1972. Elles’applique à un domaine plus large : «Chaque État membre devrait dresser aussitôt quepossible un inventaire de protection de son patrimoine culturel et naturel y compris des biensqui, sans être d'une importance exceptionnelle, sont inséparables du milieu au caractèreduquel ils contribuent» (article 29). Elle prévoit ainsi une liste des obligations aux Etats entermes de protection, qui pourraient servir pour le futur à compléter l’action des Etats pourle patrimoine à «valeur universelle exceptionnelle» de la convention.

23 §66 des Orientations de 2008 : nom des biens, leur emplacement géographique, une brève description des biens et unejustification de leur valeur universelle exceptionnelle.

24 Unesco, Centre du patrimoine mondial, Recommandation concernant la protection sur le plan national du patrimoine culturelet naturel, 16 novembre 1972

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Les questions touchant au patrimoine du pays sont par définition très sensibles carelles touchent à l’identité du pays. C’est pour cette raison que les Etats dès le départ ont ététrès réfractaires à l’idée de donner une large capacité d’action normative à une organisationmondiale. En outre, à l’époque de l’adoption de la Convention, de nombreuses autresorganisations internationales voyaient le jour et amputaient ainsi un peu plus les Etats decette capacité dans d’autres domaines. De même, la Convention ne pouvait par définitionaller à l’encontre des intérêts souverains à une période où de nombreux pays avaientpu accéder à l’indépendance. Sur un plan pratique, cette grande marge de manœuvreest en outre justifiée. La protection par les Etats des sites sur leur territoire apparait plusréaliste. Les choix de la mise en valeur de certains sites par les Etats est plus légitimeque toute organisation aussi experte soit-elle. Les Etats connaissent leur patrimoine etsont les plus à mêmes d’échanger avec les collectivités locales et les associations. Cetteprocédure empêche également toutes mésententes avec la communauté internationale. Laformule du juriste Dell’Oro maini résume cette prédominance des Etats : « Ce sont les Etatsmembres eux mêmes qui après avoir pris l’initiative de proposer un texte au sein de laconférence générale, assurent l’application de ses dispositions, et par là la mise en pratiquedes principes fondamentaux de l’organisation.»

b. Etude de cas : la candidature du Bassin Minier Uni au Patrimoine MondialJ’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec Mme O’miel et Mme Patou, responsables duBassin Minier Uni25, association qui s’est mise en place en 2002 afin d’inscrire lesmines du Nord-Pas de Calais sur la Liste du Patrimoine Mondial. L’étude de cettecandidature présentait un double intérêt pour moi : découvrir une approche concrète de laprocédure d’inscription au patrimoine Mondial de l’Unesco, et comprendre le développementd’une véritable dynamique régionale autour de cette candidature, dans cette régionéconomiquement fragile du Nord de la France, ce que nous aborderons un peu plus loin.

L ’association a été créée en septembre 2002 par Jean-François CARON, Mairede Loos-en-Gohelle et Vice-Président de la Communauté d’Agglomération de Lens -Liévin et par Pierre MAUROY, ancien Premier Ministre, alors Président de Lille MétropoleCommunauté Urbaine, Président du Comité de Soutien de BMU. Le dossier présentéà l'Unesco concerne 87 communes sur 4 000 hectares, le long d'une corne de 120 km26 . Il s’inscrit dans la catégorie «paysages culturels évolutifs», définis par l’article 1de la Convention comme «des biens culturels (qui) représentent les œuvres conjuguéesde l’homme et de la nature. Ils illustrent l’évolution de la société humaine et sonétablissement au cours du temps, sous l’influence des contraintes physiques et/ou despossibilités présentées par leur environnement naturel et des forces sociales, économiques

et culturelles successives, externes aussi bien internes» 27 . En effet, cette région quiregroupe 161 communes, 8 intercommunalités, 2 Départements, offre une grande richessede témoignages de l’époque de l’exploitation minière, mais aussi sur les interventionsque celle-ci a impliquées sur l’environnement pendant près de trois siècles. En effet,l’exploitation minière a dessiné le cadre socio-culturel de cette région grâce non seulementaux lieux de production comme les fosses, les chevalements, et les terrils mais aussi grâce

25 Voir Annexe 6, Entretien avec Mme Patou26 Voir Annexe 4, Extrait du dossier d’inscription du BMU27 La juridiction de Saint-Emilion et le domaine du Val de Loire ont été inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial à ce titre

respectivement en 1999 et 2000.

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aux lieus de vie comme les cités ouvrières, les écoles, les dispensaires... Cette candidatureest exceptionnelle puisque c’est la première fois qu’une région minière pourrait être inscritesur la Liste au titre de paysage culturel évolutif.

Lors de l’étude de cette procédure d’inscription, j’ai pu observer à quel point l’Etat avaitun rôle prédominant. Malgré l’émergence d’une dynamique au sein du territoire autour decette candidature - l’association a fédéré autour de ce projet tous les acteurs politiques,institutionnels et associatifs du territoire-, l’Etat reste le principal décisionnaire tout au longdu processus. La candidature du site est ainsi passée par plusieurs étapes28. Tout d’abord,l’association Bassin Minier Uni a été placée sur la liste indicative en 2002. Ensuite, l’Etata participé activement à la dynamique du territoire en contrôlant l’évolution du dossierd’inscription et en donnant son appui. On peut noter que le dossier d’inscription a étéconsulté en 2008 et en 2009 par le Comité Français des Biens mondiaux. Cet acteurreprésente les trois ministères concernés : le Ministère de la Culture, le Ministère del’Ecologie et du Développement et du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes,ainsi que des experts du patrimoine (fonctionnaires de la Direction de l'Architecture et duPatrimoine, historiens de l’Icomos...) et des élus locaux. Il est chargé de donner un avisconsultatif et de contrôler l’évolution du dossier. En gage de soutien également, 69 biensdu Bassin Minier ont été classés par le ministère de la Culture en 2001 comme MonumentsHistoriques, ce qui peut être considéré comme une première forme de reconnaissance.Fort de son dossier «pesant 15 kg, riche de 1 450 pages, 3 730 photos et 91 cartes »29 , le Bassin Minier Uni a remporté une première forme de reconnaissance puisque leMinistère de la Culture en France a décidé de donner son accord au site afin de présenter auComité du Patrimoine Mondial. Cette phase de nomination est la dernière étape. Alors quechaque Etat peut proposer au Comité au maximum deux sites par an, le 25 janvier dernier,l’Ambassadeur de France auprès de l’UNESCO, Mme Colonna, a déposé la candidature duBassin Minier Uni au nom de la France. Son destin est maintenant aux mains du Comitédu Patrimoine Mondial dont la décision devrait intervenir probablement au cours de l’année2011.

On voit bien à travers cet exemple que l’Etat reste le coordonateur de cette procéduremalgré l’émergence de nouveaux acteurs. La seule limite fixée aux Etats en ce qui concernel’application de la Convention est selon Mme Patou d’agir dans «le respect de l'esprit dela Convention».

2. L’émergence de la protection internationale en droit coutumierComme nous l’avons souligné, la Convention n’a pas pour objectif d'interférer dansla politique des Etats. Quelles sont donc les devoirs et missions de la communautéinternationale et comité du patrimoine mondial?

a. Une protection internationale timideLa protection internationale est également invoquée dans le chapitre II de la convention. Lesmissions du Comité du Patrimoine Mondial qui peuvent se regrouper au nombre de trois.

28 Voir Annexe 5, Calendrier de la procédure d’inscription du BMU29 Le bassin minier nordiste espère la meilleure place au Patrimoine mondial de l'Unesco, Le Monde, 24 Février 2010

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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L’article 7 de la Convention est essentiel dans la compréhension de cette protectioninternationale du Patrimoine Mondial30. Il montre tout d’abord qu’il s’agit d’un soutien. «Ilfaut entendre par protection internationale du patrimoine mondial culturel et naturel la miseen place d'un système de coopération et d'assistance internationales visant à seconder lesEtats parties à la convention dans les efforts qu'ils déploient pour préserver et identifierce patrimoine.». On peut faire plusieurs observations. Cette protection internationale estd’autant plus timide que ces politiques de coopération et d’assistance sont loin d’êtreautomatiques et qu’elles sont appropriées à certains cas uniquement. A ce sujet, on peuts’intéresser à la déclaration de Mme Patou qui rappelle au sujet des subventions, «qu’ellesne sont effectivement uniquement attribuées pour des demandes spécifiquement motivées,c’est-à-dire pour les fonds d’assistance, ou pour les biens inscrits sur la Liste du PatrimoineMondial en Péril. Il n’est pas question d’attribution en dehors de ces cas particuliers etdonc relativement rares.» Malgré cette faiblesse apparente des moyens mis en œuvre, onpeut déceler l’importance grandissante de cette protection internationale qui est suggéréenotamment, par l’ordre des termes : «préserver puis identifier». La préservation est doncl’étape primordiale. Cette mission de soutien est renforcé par le préambule qui impliquel’idée de participation de la communauté internationale comme un tout : «il incombe à lacollectivité internationale toute entière de participer à la protection du patrimoine culturel etnaturel de valeur universelle exceptionnelle».

L’autre mission essentielle du Centre du Patrimoine Mondial est de rédigerlesOrientations et critères permettant l’application de la Convention. Ils influent sur laconception de la valeur universelle exceptionnelle, même si ce sont toujours les Etats quiles interprètent.

Enfin, il prend la décision d’inscrire ou non un site sur la liste du patrimoine mondialen fonction de deux conditions sine qua non : qu’il appartienne à la définition du patrimoineculturel (article 1) ou naturel (article 2) de la Convention, et de posséder un ou plusieurscritères le qualifiant comme ayant une valeur universelle exceptionnelle. De même, s’il y anon-respect de cette protection internationale visant un site classé, le Comité du PatrimoineMondial a la possibilité de mettre le site en question sur la Liste du Patrimoine Mondial endanger ou de le retirer tout simplement de la liste. Cela est considéré comme une véritablesanction morale pour l’Etat. Il sera reconnu par la communauté internationale commen’ayant pas pu tenir à ses engagements. Cependant, même cette mission de décision estnuancée dans le sens où l’identification et donc les propositions sont conditionnées par lavolonté des Etats. Cela est confirmé par l’article 11.3 : «L'inscription d'un bien sur la liste dupatrimoine mondial ne peut se faire qu'avec le consentement de l'Etat intéressé.».

Totalisant actuellement environ 4 millions de dollars par an, le Fonds du PatrimoineMondial sert essentiellement à aider les Etats parties à préserver les sites du patrimoinemondial situés sur leur territoire. Des contributions volontaires, provenant principalement defonds en dépôt créés avec des Etats membres, fournissent environ 5,5 millions de dollarssupplémentaires par an. L’Unesco couvre enfin les frais d’administration, ce qui porte à 12millions de dollars par an le montant total disponible pour administrer la Convention, soit unpeu moins de 16.500 dollars par site.

On ne peut donc pas nier que le Comité a malgré tout un poids politique considérable.En effet, ses décisions impliquent des phénomènes de dissuasion ou incitation lors de laprocédure d’inscription d’un bien en vue d’une meilleure sauvegarde et d’un renforcement

30 Il faut préciser que, selon l’article 12 de la Convention,le Patrimoine Mondial désigne l’ensemble du patrimoine de l’humanitéy compris donc les sites à valeur exceptionnelle universelle non inscrit sur la liste de l’Unesco. Un tel site est alors concerné par laConvention mais sa protection n’est pas une obligation pour l’Etat au niveau international, ni pour la Communauté Internationale.

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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de la protection des sites. En effet, les décisions du Comité ont eu une influenceconsidérable dans certains. Suite à la mobilisation des ONG, du Comité du patrimoinemondial et archéologues et historiens, des projets de construction furent abandonnés. Parexemple, un plan d’urbanisme avait été proposé pour la Medina de Tunis en 1979. Il visait àprolonger l’avenue du Président Bourguiba par une artère qui aurait coupé la vieille ville endeux. Ce projet était incompatible avec procédure d’inscription. Un autre exemple concernele site de Delphes en Grèce. La Grèce a en effet abandonné le projet visant à l'implantationd’une usine à proximité du site. En outre, on peut constater le poids considérable du Comitélors des procédures de déclassement. En effet, il a pris la décision de déclasser la villede Dresde en Allemagne. «La décision de l’UNESCO est désormais prise et Helma Orosz,maire de la ville de Dresde depuis octobre 2008, doit assumer la responsabilité du préjudiceoccasionné par des années d’ignorance, d’étroitesse d’esprit et d’intransigeance31».

b. Vers une «conscience juridique universelle» du Patrimoine Mondial ?Du fait du succès incontestable de la Convention de 1972 sur la protection du patrimoineculturel et naturel, la protection des biens classés comme Patrimoine Mondial s’est peu àpeu imposée dans le droit international coutumier en temps de guerre comme en tempsde paix. La coutume internationale est définie par l’article 38 de la Commission de DroitInternational32 comme étant la «preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant ledroit». Une norme entre dans la coutume internationale lorsque tous les Etats (à l’exceptionde ceux s’en revendiquant expressément) dans le temps appliquent cette règle. En outre, ildoit y avoir la croyance de se conforter à une règle de droit. En ce qui concerne la protectiondu Patrimoine Mondial, on peut se poser la question de savoir si celle-ci est entrée dansla coutume internationale. Face à la recrudescence des dommages infligés à aux biensculturels et naturels dans le monde entier depuis 20 ans, il est intéressant de réfléchir àl’efficacité de cet outil international.

Tout d’abord, ce texte peut être considéré comme faisant partie de la coutumeinternationale dans la distinction qu’il entretient avec les Etats tiers. En effet, selon laConvention de 1969 sur le droit des Traités, une convention ne crée pas de droits etobligations pour les Etats tiers. S’il y a création de droits et devoirs, l’état tiers doit accepterpar écrit. Cependant, s’il s’agit d’une règle coutumière, cela ne dépend plus du traitédonc la règle peut s’appliquer à un autre Etat, ne faisant pas partie de la Convention.On voit bien que la protection du Patrimoine Mondial de la Convention de 1972 estplus une obligation morale que les simples conséquences juridiques du traité. En effet,pour un Etat tiers à la Convention, la protection de ses biens peut être assurée parla communauté internationale33. Mais également, on voit bien qu’il y a une obligationde coopération pour la protection du Patrimoine Mondial même si l’Etat tiers n’est paslié juridiquement. La norme juridique va ainsi entrainer l’adoption d’un certain type decomportement. L’obligation de respecter les éléments du Patrimoine Commun de l’humanitéa donc acquis dimension coutumière. Cependant cette considération est de moins en moinspertinente puisqu’aujourd’hui presque tous les Etats de la planète ont ratifié la convention.

31 Jens Lubbadeh, journaliste au Spiegel Online, Allemagne, correspondant du Courrier de l’UNESCO32 Organe subsidiaire permanent des Nations-Unies crée par l’Assemblée des Nations Unies en 1947 en vue de codifier et dedévelopper le droit international.

33 Voir article 6 de la Convention : «les États parties à la présente Convention reconnaissent qu'il constitue un patrimoineuniversel pour la protection duquel la communauté internationale tout entière, a le devoir de coopérer»

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Aujourd’hui, seuls huit pays n’ont pas ratifié la Convention : les Bahamas, le BruneiDarassalam, Nauru, la Somalie, le Tomir leste, Tuvalu, le Liechtenstein et Singapour34.

La Convention de 1972 fait également progresser l’idée de responsabilité internationalede l’Etat en ce qui concerne la protection du Patrimoine Mondial. En droit international, laresponsabilité de l’Etat est une véritable problématique. En effet, il est difficile d’imposer desrègles et des sanctions à des entités souveraines et égales entre elles. Selon l’article premierdu projet d’article sur la responsabilité internationale en juillet 2001 de la Commission deDroit International, «Tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilitéinternationale ». Elle est donc engagée lorsqu’il y a violation par l’Etat ou l’un de ses agentsd’une règle de Droit International -c’est-à-dire un manquement aux obligations découlantd’une règle coutumière ou d’une convention dont l’Etat est partie- et que cet acte a causéun dommage. En ce qui concerne le Patrimoine Mondial, l’article 6 de la Convention indiquenoir sur blanc cette responsabilité étatique : «Chacun des États parties à la présenteconvention s'engage à ne prendre délibérément aucune mesure susceptible d'endommagerdirectement ou indirectement le patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 quiest situé sur le territoire d'autres États parties à cette Convention».Fort heureusement,malgré des rappels à l’ordre par l’Unesco, peu de manquements à la Convention ont pu êtreconstatés. En cas de manquement, l’Etat ne pourra plus faire partie du Comité du PatrimoineMondial.

Au-delà de ce que prévoit la Convention de 1972, cette idée de Patrimoine Mondiala mis en place plusieurs principes. Tout d’abord, la Convention a instauré l’idée de lapréservation pour les générations futures. Pour la première fois, on a parlé du principed’«équité inter-générationnelle». En effet, l’Unesco a depuis multiplié les initiatives pour quela préoccupation des générations futures soit respectée de tous35. Cette ambition peut êtreconsidérée comme un succès aujourd’hui dans la mesure où ce principe est au cœur despolitiques actuelles de développement durable.

La Convention peut être considérée comme une véritable avancée également dans lamesure où son succès a permis l’extension du terme au-delà du physique et du tangible.L’Unesco a en effet continué à élargir la notion de Patrimoine Mondial en élaborant d’autresgrands traités qui ont enrichit cette notion. En 2001, la Convention sur la protection dupatrimoine culturel subaquatique peut avoir un lien dans la mesure où la proximité d’un siteclassé patrimoine subaquatique peut jouer un rôle dans l’inscription d’un site au PatrimoineMondial et vice-versa. Cependant, ces textes concernent des sujets bien différents puisquela Convention de 2001 ne parle pas de «valeur universelle exceptionnelle» et concernedes objets mobiles. En 2003, la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturelimmatériel concerne le Patrimoine culturel intangible. Dans le préambule, on peut lire uneréférence directe à la Convention de 1972. Cependant ce texte met plus l’accent sur lavaleur exceptionnelle conférée à la communauté concernée que sur la valeur universelle.Enfin en 2005, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressionsculturelles est en interaction réciproque avec celle de 1972 : elle est à l’origine de cetteDéclaration sur la diversité mais ce texte sert réciproquement à renforcer la dimensionanthropologique de la Convention de 1972, ce qui est va de pair avec la politique du Centredu Patrimoine Mondial depuis les années 90. Même s’ils présentent des enjeux différents,l’utilisation de ce terme du Patrimoine Mondial se produit à de multiples occasions et dansplusieurs domaines, ce qui souligne son succès.

34 Le Liechtenstein et Singapour sont membres de l’ONU mais non membres de l’Unesco.35 Voir l’Article 4 de la Convention qui impose aux Etats le devoir d’assurer «l’identification, la protection, la conservation, la

mise en valeur, et la transmission aux générations futures» du patrimoine culturel et naturel situé sur leur territoire.

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Il est important de comprendre que toutes les actions de l’Unesco, y compris celle duPatrimoine Mondial, sont finalement ainsi devenues un «creuset au sein duquel s’affirmela conscience juridique universelle des dimensions culturelles de la dignité humaine». Sacontribution à l’évolution du Droit International général est déterminante». Pour certainsauteurs, l’humanité devient ainsi la «spécialité de l’Unesco36» comme le résume Pierre-Marie Dupuy. C’est une organisation qui a une responsabilité particulière dans le maintien dela vigueur du concept d’humanité et de ses traductions en Droit International général. SelonAbi SAAB, professeur à l’Institut de Relations Internationales à Genève : «A la faveur d’unprocessus graduel et cumulatif s’étendant sur trois ou quatre décennies, ces instrumentsont contribué à transformer des propositions initialement perçues comme lointaines etabstraites touchant les valeurs et intérêts communs d’une communauté internationaleà peine identifiables en concepts tangibles familiers à de larges secteurs de l’opinionpublique internationale». L’Unesco maintient ainsi en vigueur l’idée qu’il existe des droitsimprescriptibles de la personne, de même que des devoirs de tous et de tous les Etatscontre toutes les difficultés que peut rencontrer l’humanité, ce que souligna Claude Levi-Strauss : «La notion d’humanité englobant sans distinction de race ou de civilisation toutesles formes de l’espèce humaine est d’apparition tardive et d’expansion limitée. Là où mêmeelle semblait avoir atteint son plus haut développement, il n’est nullement certain - l’histoirerécente le prouve- qu’elle soit à l’abri des équivoques et des régressions».

2. Un instrument de coopération internationale majeurAu delà de la protection des biens les plus précieux pour l’Humanité, la Convention duPatrimoine Mondial a crée une véritable dynamique autour de cet héritage commun. Elleparticipe ainsi activement au rapprochement entre les nations, ainsi qu’à la transmissiondes principes démocratiques.

A. Une coopération nécessaire et inéluctable

1. Une réponse aux nouvelles exigences de la mondialisationLes nouvelles exigences de la mondialisation offre un contexte favorable à l’évolution dudroit international. Du fait des interdépendances croissantes, la société internationale a eneffet la nécessité de coopérer. La convention prend part à cette évolution de la sociétéinternationale.

a. Le Patrimoine de l’Humanité : un bien public mondialEn mettant en place un système de protection internationale pour les sites classés auPatrimoine Mondial, la Convention élargit une catégorie qui prend de plus en plus d’ampleur,celle des biens publics mondiaux.

36 DUPUY Pierre-Marie, Incidence des instruments juridiques adoptés par l’Unesco sur le droit international général in L'actionnormative à l'UNESCO : Volume I - Elaboration de règles internationales sur l'éducation, la science et la culture, Leiden ; Boston ;Paris : Martinus Nijhoff : UNESCO, cop. 2007, Collection Ouvrages de référence de l'UNESCO, p. 351-363

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Formulé par Paul Samuelson37 et initialement appliqué dans un cadre national, le concept de « bien public » est venu renouveler le débat sur les problèmes globaux au début du XXème siècle, de manière à ce que l’on parle aujourd’huicouramment de «biens publics mondiaux». Selon Samuelson, un bien public répond à deuxcritères : la non-rivalité (la consommation du bien par un usager n’entraine aucune réductionde la consommation des autres usagers), et la non-exclusion (impossible d’exclurequiconque de la consommation de ce bien). L'émergence du concept de «bien publicmondial» est due notamment à la multiplication des problèmes globaux, à la fois ancienscomme l’instabilité financière, les épidémies mais aussi plus récents comme le changementclimatique, la diminution des ressources naturelles mais aussi la mise en danger dupatrimoine universel. En 1999, le PNUD a recensé plus de 60 biens publics mondiaux quise répartissent en 3 catégories : les biens naturels comme l’eau, les biens publics d’originehumaine comme les connaissances scientifiques tels que les vaccins et les biens publicspolitiques tels que la paix, la stabilité du système financier... La prise de conscience de cettenotion a permis d’atténuer la conception libérale des échanges en plaidant pour un retourde l’action publique au niveau internationale et une régulation mondiale universellementconsentie. Par définition, on voit bien que deux limites se dessinent. Outre l’atteinteà la souveraineté que nous avons évoquée, ces biens publics mondiaux engendrentégalement des difficultés dans la négociation collective puisqu’ils représentent «l’ensembledes biens accessibles à tous les Etats qui n’ont pas nécessairement un intérêt individuelà les produire», comme le souligne Charles Kindleberger, l’un des spécialistes de cettequestion.

Au même titre que l’eau ou les ressources naturelles, la défense du patrimoineuniversel s’inscrit donc aujourd’hui dans cette catégorie de «bien public mondial». En effet,la jouissance par quiconque d’un site classé sur la Liste du Patrimoine n’entraine pasla réduction de la jouissance du site par d’autres, de même il est impossible d’exclurequiconque de l’usage de ce site. François-Bernard Huyghe accentue cette idée : «Del’universalité des valeurs découle l’universelle obligation de solidarité, du caractère généraldes dangers qui menacent le patrimoine, l’urgence d’en proclamer l’importance mondiale.».En ce qui concerne sa protection prévue par la Convention, nous avons pu observer queles Etats restaient aux manœuvres. Cependant, il est important de souligner l’autre difficultéqu’engendre ce statut de bien public mondial. Chaque Etat est incité à se comporter en «passager clandestin «free rider» ( Mancur Olson , The Logic of Collective Action, 1971) etattendre ainsi que d’autres prennent l’initiative de produire le bien pour ensuite en bénéficier,sans supporter aucun coût. Concernant la question du patrimoine mondial, un Etat peutratifier la convention mais ne pas mettre en œuvre tout son possible pour la sauvegarde deson patrimoine. Il va profiter ainsi des actions entreprises par les tiers.

b. La société civile de plus en plus concernéeCette nouvelle société internationale appelle une action publique renouvelée. Elle contribueainsi à intégrer des acteurs nouveaux dans le jeu international : le secteur privé, lescollectivités territoriales, le secteur associatif... Ainsi l’ensemble de la société civile estaujourd’hui concernée par la défense du patrimoine universel. On définit la société civilecomme l’ensemble des relations sociales qui se construisent hors du contrôle de l’Etat sur lascène internationale du fait de la mobilisation des ressortissants de tous les pays en faveurde la production et de l’adoption de normes infra ou supra nationales.

37 SAMUELSON Paul, The Pure Theory of Public Expenditure , Review of Economics and Statistics, vol. 56, 1954

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Afin d’illustrer mon propos, j’ai choisi de développer le cas du Bassin Minier Uni quenous avons déjà abordé. Cet exemple me parait intéressant dans la mesure où cetteassociation a su mobiliser l’ensemble du territoire autour de la candidature à l’Unesco.Un véritable engouement est aujourd’hui partagé par l’ensemble de la population. Cettemobilisation est d’autant plus surprenante qu’il s’agit d’une région fragile, longtempstraumatisée par son histoire, ce qui apparait en «décalage» avec le côté prestigieux lié auPatrimoine Mondial et à l’Unesco.

Pour comprendre comment une telle mobilisation a été possible, j’ai eu l’opportunitéde discuter avec Mme O’Miel, directrice de l’Association BMU. Elle a tout de suite expliquéque cet enthousiasme autour de ce projet était lié tout d’abord à une question de calendrier.En effet, la dernière exploitation minière du Nord Pas De Calais a fermé en 1990. Une telleentreprise au début des années 90 n’aurait pas été possible, du fait du traumatisme. Acette période, certains politiques ont même pensé à raser ces témoignages de l’histoire.Cependant quelques «visionnaires» s’appuyant sur des militants très engagés ont perçule potentiel de cette région. Ils ont vu que le paysage transformé par l’exploitation minièrependant près de 270 ans représentait un endroit très particulier et un héritage culturel sansprécédent. En outre, ils ont compris que l’inscription d’un tel site au Patrimoine Mondial del’Unesco serait, une «thérapie collective du territoire», selon les mots de Mme O’Miel. Cerempart international serait l’occasion d’un «éléctrochoc» pour la région. Ces 12 annéesentre la fermeture définitive des mines de la région et la naissance de l’association ontpermis à l’ensemble de la population de prendre du recul par rapport à leur histoire.

Suite à l’implication d’élus dont M. Charbon et M. Mauroy, l’association est née en2002. Avec le postulat que cette candidature changerait le regard du monde envers ceterritoire, elle a en effet su rapidement mobiliser lescollectivités locales (Région Nord-Pasde Calais, Départements du Nord et du Pas-de-Calais, Communautés d’Agglomération etde Communes, Association des Communes minières…), des organismes techniques etagences de développement et d’urbanisme (Etablissement Public Foncier, Mission BassinMinier, Maisons et Cités…), des associations et structures culturelles (C.P.I.E. Chaîne desTerrils, Centre Historique Minier régional à Lewarde, Culture Commune - Scène Nationaledu Pas-de-Calais…) et des acteurs touristiques (Comité Régional du Tourisme, ComitésDépartementaux du Tourisme, Offices du tourisme…).

Malgré les difficultés, la communication envers la population a été exemplaire. En effet,la complexité et la longueur de la procédure cumulées à l’abstraction d’une telle notion fontde cette communication envers le grand public une étape délicate. Grâce à la multiplicationdes actions de sensibilisation, ils ont su mobiliser la population. L’association a mis enplace dès 2003 des «Démarches citoyennes» grâce à la création de clubs et d’ateliers,afin d’informer les citoyens et de les faire participer à ce projet. Le BMU a égalementfavorisé le développement d’actions de sensibilisation dans les écoles, colléges et lycéesdu Bassin minier en partenariat avec le CPIE-Chaîne des Terrils. Depuis 2002, de nombreuxévenements ponctuent ainsi la vie quotidienne des habitants de la régions : expositions,diffusions de film, organisations de «raids», multiplications des rencontres et forums. Ils ontcrée également en septembre 2008 un journal associatif, l’Astiquette, afin de donner desnouvelles du dossier de candidature et de rassembler les informations entre les différentsacteurs.

Comme l’explique Mme O’Miel, même si l’inscription n’est pas validée par le Comité,cette entreprise est déjà une réussite du fait de la mobilisation de la population et de ladynamique qui s’est créée. Une démarche qui oblige l’ensemble des acteurs à se poser laquestion du devenir d’un patrimoine commun a en effet vu le jour.

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Cet exemple de mobilisation de la population n’est pas rare. En France et en Europe,de nombreux projets ont suscité un tel engouement. Ce fut le cas par exemple du Val deLoire (inscrit en 2000), du domaine de Saint-Emilion (en 1999) ou, entre autres, des citéshorlogères suisses de La Chaux-de-Fonds et Le Locle (inscrites en 2009). Contrairement audébut de l’application de la Convention, le Comité privilégie l’inscription de sites en fonctionde thèmes moins connus, tel que le paysage culturel évolutifs, qui sont par définition plussusceptibles de mobiliser la population puisqu’il s’agit de leur environnement. En outre, leComité oriente dorénavant ses décisions en fonction de la qualité du plan de gestion dusite. Plus la population est mobilisée, plus le site a de grandes chances d’être préservé.

2. La collaboration des Etats au centre de la ConventionAu-delà de la protection des sites exceptionnels et représentatifs de l’Humanité, laConvention vise un deuxième objectif, et non des moindres, à savoir le renforcement de lacollaboration entre les Etats.

a. Une tribune pour toutes les culturesEn tant qu’organisation dépendante des Nations Unies, l’Unesco à travers ses instrumentsjuridiques, doit poursuivre les buts définis par l’article 1 de la charte des Nations Unies de1945 : «Contribuer au maintien de la paix, de la sécurité et du bien-être de l’humanité».Dans cette optique, certains auteurs considèrent que la charte des Nations Unies estainsi la «nouvelle constitution du système établi il y a 60 ans38». Spécialisée dans laculture, l’acte constitutif de l’Unesco précise que cette collaboration entre Etats a pourobjectif la diffusion du savoir et l’échange culturel. Il stipule que l’organisation doit veillerà «la conservation et la protection du patrimoine universel de livres, d’oeuvres d’art etd’autres monuments d'intérêts, historique ou scientifique et en recommandant aux peuplesintéressés des conventions internationales à cet effet39».

Cette coopération entre les Etats s’est réalisée grâce aux instruments juridiquesélaborés par l’Unesco. Après plus de 60 ans d’existence, cette organisation présenteaujourd’hui une masse de textes considérables et divers, au point d’être considérée commel’une des organisations des nations unies les plus productives en termes législatifs : plusde 35 conventions, 30 recommandations, et près de 13 déclarations, qui ne sont pourtantpas prévus par l’acte constitutif.L’importance de la fonction normative a évolué depuis lacréation de l’organisation. A partir des années 70, le processus normatif de l’Unesco s’estintensifié avec l’adoption de nombreuses recommandations et conventions. Une «pause»s’est mise en place dans les années 80 et 90 avant de reprendre de plus belle entre 2000et 2005 au point que cette inflation législative fut très critiquée. Le Directeur de l’Unesco del’époque, Matsuura, y mit un terme afin de se concentrer sur la mise en oeuvre et sur lesprocessus de ratification. Cette phase de réflexion est incontestablement profitable afin demieux déterminer l’orientation et la portée des activités normatives futures. Cette intensitévariable de la production législative est due à la volonté des Etats qui souhaitent ou nonselon que les domaines concernés déléguer une part de leur action normative.

38 DUPUY Pierre-Marie, Incidence des instruments juridiques adoptés par l’Unesco sur le droit international général in L'actionnormative à l'UNESCO : Volume I - Elaboration de règles internationales sur l'éducation, la science et la culture, Leiden ; Boston ;Paris : Martinus Nijhoff : UNESCO, cop. 2007, Collection Ouvrages de référence de l'UNESCO, p. 351-36339 Acte constitutif de l’Unesco adopté le 16 Novembre 1945, art 1, §2

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Comme toutes les Conventions de l’Unesco, la défense du Patrimoine Mondial s’insèredans cette logique de collaboration. La légitimation de l’action coopérative et normativede l’Unesco au sujet du patrimoine universel est confirmée par les ambitions de cetteorganisation qui «recommande tels accords internationaux qu’elle juge utiles pour faciliterla libre circulation des idées, par le mot et l’image». En quoi est-ce cette Conventionconcernant la protection du Patrimoine Mondial renforce-t-elle la collaboration entre lesnations?

La scène internationale n’est pas homogène, et certains pays ne se font pas entendre.Cet instrument leur laisse tout d’abord l’occasion de parler de leur héritage, de leur cultureet de la défendre. Il s’agit de laisser un espace, «une tribune» où chacun peut à un niveauégal présenter sa vision du monde, de ce qui doit appartenir au patrimoine universel. Ellepermet ainsi aux pays membres de la Convention de s’insérer dans le concert internationalen défendant leur fierté nationale. En effet, pour certains petits pays, la protection de leurpatrimoine est leur seule richesse. La reconnaissance et l’implication de la communautéinternationale à ce dessein va ainsi permettre une amélioration des relations internationales.

Elle permet également de mieux connaitre d’autres cultures. La multiplication deséchanges induit automatiquement une meilleure compréhension. Elle contribue ainsi aurespect mutuel. On peut noter à cet égard l’importance du terme «système de coopérationinternationale» dans l’article 7 de la Convention, qui implique la notion de stabilité et derégularité. Cette stabilité doit devenir un enjeu d’autant plus fort que le nombre de membresaugmente. Le succès des ratifications exprime un rapprochement des idées entre lesHommes. Surtout dans les premières années de la convention, les ratifications étaient avanttout l’objet de la persévérance de certains hommes d’autant plus que l’Unesco n’avait pasles moyens de mettre en œuvre une campagne de communication importante. Comme lesouligne Gérard Bolla dans ses mémoires : « De son bureau de Lima, Sylvio Mutal (...)répandait en Amérique Latine la bonne parole en faveur de la Convention. Il fut l’artisan denombreuses ratifications ! » Ma rencontre avec M. Noguchi m’a également fait découvertcet aspect humain d’un instrument qui nous semble si lointain aujourd’hui. M. Noguchi futamené dans le cadre de ses fonctions à l’Unesco à se déplacer dans les Etats et notammentau Japon, dans le but de faire ratifier la convention. M. Noguchi insista particulièrement surce travail de négociation qui pouvait faire basculer l’avenir d’un pays. On ne doit oublier quela capacité d’initiative et la passion de quelques individus est toujours au cœur de tout projet.

b. La naissance d’un «idéal»Cette Convention a fait naitre une «valeur» qui transcende les frontières dans l'intérêt del’humanité. En ce qui concerne plus précisément le patrimoine mondial, il a fait naitre un«idéal».

Loin des réalités institutionnelle et administrative qui entourent ce concept, il faut garderà l’esprit que la Liste du Patrimoine Mondial est, selon les mots de Tito Dupret, fondateurdu site World HeritageTour qui propose des images panoramiques de la plupart des sitesclassés au Patrimoine Mondial, et conseiller du Centre du Patrimoine Mondial de l’Unesco,un «don» aux citoyens du monde entier. La Liste représente ainsi un «guide» des sitesles plus représentatifs du monde afin de transmettre une partie de ce que nous sommeset de ce qui nous entoure aux générations qui nous succéderont. Le patrimoine mondiala réussi à devenir aujourd’hui une notion transhistorique et transfrontière. Ce projet peut-être utopique est parvenu à se faire une place aujourd’hui. Lors de mon entretien avecM. Dupret, j’ai pu ainsi découvrir cette passion qui faisait vivre de telles initiatives. Aupremier abord, j’ai été surprise des termes qu’il employait : une liste qui nous «appartient»,

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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«droit à l’humanité», une «transmission de l’esprit des lieux»40... En outre, une autre chosem’avait frappé. Lors de mes lectures et autres interviews, un discours semblable était donné.Michel Parent parlait déjà à l’époque d’«exemple d’humanisme». Cette idée s’est propagéeparmi les défenseurs actuels du Patrimoine Mondial. Marie Patou a par exemple soulignél’ «utopie opérationnelle» ; Madame O’Miel a insisté sur la «dynamique» crée par cettenotion ; M. Hideo Noguchi, ancien fonctionnaire du Centre du Patrimoine Mondial a lui parléde «confrontation entre un idéal et sa réalité». Francois-Bernard Huyghue écrit égalementà ce sujet : «une généreuse ambition fait croire que l’unité de la science rendra justice àla pluralité des cultures, que la culture, processus de formation agissant sur l’homme eten révélant les potentialités, aidera chacun à apprécier l’autre, qu’ils communieront dansl’amour de ce qu’ils ont de plus haut, science, beauté, raison». Toutes ces interprétationsde spécialistes du Patrimoine Mondial concordent vers l’idée que la création de la Liste dePatrimoine Mondial a donné une impulsion vers un destin commun de l’Humanité. Même sicette idée reste une utopie, elle est bel et bien née au-delà des frontières, et cette réalisationest déjà en soi une réussite.

B. Vers une amélioration du fonctionnement démocratique ?

1. Le fonctionnement interne de l’InstitutionOrgane à part entière de l’Unesco, le Patrimoine Mondial représente une administrationdistincte avec ses propres règles. Nous nous concentrerons sur les différentes institutionsqui la composent, et notamment sur le Comité du Patrimoine Mondial afin de comprendreles enjeux.

a. La démocratie au sein des institutions du Patrimoine MondialL’Assemblée générale de tous les Etats parties à la Convention a lieu tous les 2 ans. Ellesse sont toujours déroulées à Paris au siège de l’Unesco, sauf pour la première Assembléeen 1976, qui a eu lieu à Nairobi au Kenya, et en 1980 où elle s’est tenue à Belgradeen Yougoslavie. Elle a pour objectif de fixer les grandes politiques et d’élire le Comité duPatrimoine Mondial.

Dans la pratique, le Comité du patrimoine mondial joue un rôle primordial, l’intégralitédu Chapitre III de la Convention y est consacré uniquement. C’est un organe centralresponsable de la mise en œuvre de la Convention. Ses missions sont fixées dans lesOrientations. Elles ont sensiblement évolué depuis 1977. En effet à cette époque, on pouvaitles résumer à quatre fonctions essentielles :

1. Décider de la liste2. Etablir la liste du Patrimoine Mondial en péril3. Décider de l’attribution des ressources4. Assister les Etats dans la protection des sites

Jusqu’à 1992, elles ne furent plus qu’au nombre de trois. La fonction d’assistance auprèsdes Etats avait disparu jusqu’aux Orientations de 1994. A partir de cette date, le Comitédoit «veiller en liaison avec les Etats parties à l’état de conservation des biens inscrits aupatrimoine mondial». Les années 2005 et 2008 marquent un changement. Ses missions

40 Voir Annexe 3, Entretien avec Tito Dupret

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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se sont diversifiées au point de se voir attribuer dix fonctions essentielles. Cette précisiondes missions est le signe d’un besoin de pouvoir plus important face au nombre croissantdes membres. Le comité doit donc aujourd’hui : «Identifier grâce aux listes indicatives ;Veiller à l’état de conservation des biens inscrits ; Décider quels sont les biens inscrits surla liste ; Décider si un bien doit être retiré ; Définir les procédures d'examen des demandesd’assistance ; Décider de l’attribution des ressources ; Rechercher les moyens d’augmenterles ressources ; Elaborer un rapport d’activités tous les 2 ans ; Evaluer la convention ; réviseret adopter les Orientations»

Sur un plan politique, ses objectifs sont couramment connues comme les «4C»,à savoir : «credibility / conservation / capacity building / communication». Récemment,un cinquième objectif stratégique est venu compléter son rôle : valoriser le rôle descommunautés dans la mise en œuvre de la convention. Depuis les années 1980, laprocédure d’exclusion d’un Etat membre est également envisagée. Son fonctionnementillustre bien la volonté de démocratie et de pluralité de l’Unesco.

Depuis 1979 - année où la Convention a été ratifiée par plus de 41 Etats -, il est composéde 21 membres, et non plus des 15 initialement prévu par la Convention. Les membres ontun mandat de 6 ans, raccourci par la pratique a 4 ans afin de faire participer un maximum depays. Rien n'empêche un pays de se représenter mais encore une fois ce serait contraireà la pratique. La procédure d’élection des membres est décrite dans la Convention. Ellea pour objectif d’ «assurer une représentation équitable des différentes régions et culturesdu monde» (article 8.2), c’est-à-dire au niveau culturel et non pas géographique. Ce moded’élection fut pourtant délicat à mettre en place. En effet, la première Assemblée généraledes 26 États parties à la Convention se tint à Nairobi le 26 novembre 1976 à l’occasion de laConférence générale. La tâche essentielle de cette Assemblée consista à élire les membresdu Comité du Patrimoine mondial et à fixer le montant de la contribution obligatoire. Le moded’élection du Comité suscita quelques débats. En effet, certains préconisaient le systèmedes groupements régionaux en vigueur pour les élections au Conseil exécutif de l’Unesco,les autres souhaitaient une répartition équitable des « cultures du monde »41. Finalement,le vote à bulletin secret eut un résultat satisfaisant dans la répartition géographique etculturelle. Le montant de la contribution obligatoire au Fonds du Patrimoine fut égalementdécidé sans débat à 1% du budget ordinaire de l’Unesco. Ce souci de démocratie etd’équité entre les membres est présent tout au long du processus. En effet, le Comités’engage également à payer les frais de déplacements des représentants des Etats endéveloppement.

Les sessions ordinaires se tiennent tous les ans dans un lieu différent. En effet, depuisla première session en 1977, le Comité s’est réuni dans des villes des cinq continents.C’est un moment très attendu puisque le Comité fait part des sites choisis pour être inscritssur la Liste du Patrimoine Mondial. D’ailleurs, les représentants des Etats ainsi que descollectivités locales y sont présents pour défendre les sites en compétition. Les sessionsdu Comité sont un bon indicateur de l’engouement des Etats et de la société civile à laConvention. A partir de 1978, la participation de cinq Etats non-membres du Comité ainsique de plusieurs ONG et OIG a été considérée comme un signe positif quant à l’avenir dela Convention.

41 Voir à ce sujet le texte de Michel Batisse et Gérard Bolla : L’Invention du Patrimoine Mondial. Les cahiers du Club de l’Histoire.Regard sur l’action de l’Unesco par des acteurs et des témoins Cahier 2. Association des anciens fonctionnaires de L’Unesco. Batisse,Michel and Gerard Bolla 2005

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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Cependant, le fonctionnement de ce Comité est critiqué car il est considéré commeétant la chambre de négociations des intérêts des Etats. Dans la logique du respect dela souveraineté des Etats de la Convention, les individus qui participent aux sessions duComité sont les représentants des Etats et n’agissent pas ainsi en pleine indépendance. Cen’est donc pas du tout un organe supranational mais intergouvernemental. A ce sujet, il estintéressant de noter une évolution importante du profil des représentants formant le Comité.Lors de la première réunion du Comité à Paris à 15 membres en 1977, les représentantsdes 15 pays étaient, conformément à la Convention, des spécialistes du patrimoine culturelou naturel dans leur pays : (Article 9.3) «Les États membres du Comité choisissent pourles représenter des personnes qualifiées dans le domaine du patrimoine culturel ou dupatrimoine naturel». Cependant, depuis cette date, on constate que les experts ont de plusen plus un profil généraliste, afin de défendre les intérêts de leur Etat. L’action du Comitéest complétée par le Secrétariat, désigné comme étant la «mémoire du Comité». Il a un rôleessentiel car il détient l’information tout au long du processus. Cependant, il est égalementcritiqué dans son fonctionnement. Léon Pressouyre, expert du Patrimoine Mondial, dénoncedans son ouvrage «La convention du Patrimoine Mondial, vingt ans après», l’insuffisancedes moyens en personnel, le fait de le réduire à une fonction de gestion et le profil «type» desfonctionnaires internationaux, jugés comme des «administrateurs dangereux» engageantla Convention vers une interprétation trop restrictive.

b. Les organismes de consultation

Les organismes de consultation sont nés avec la Convention, ils sont partie intégrantedu processus. La naissance des organismes consultatifs tels que l’UICN (the InternationalUnion for Conservation of Nature) et l’ICOMOS (International Council on Monuments andSites) s’est faite à l’image de la convention, dans la difficulté. Du fait des péripétiesconcernant le champ d'application du projet de convention de l’Unesco en 1972 faceà la Conférence de Stockholm, le statut de ces ONG a été discuté. En effet, certainset notamment les Etats-Unis souhaitaient leur confier au départ l’administration dela Convention, comme le prévoyait la Conférence de Stockholm. Or, les pays endéveloppement, qui n’ont pas pour la plupart de nationaux dans ses organisations ontcraint l’émergence d’un biais, qui aurait conduit à faire de la Convention un instrument auservice des pays industrialisés. Le contrôle revient donc naturellement au Secrétariat del’Unesco, qui avait la confiance des pays en voie de développement, grâce aux nombreusescampagnes de sauvegarde qu’il avait réussi à mettre en œuvre. En guise de compromis,les organismes consultatifs ont été pleinement intégrés au processus de décision. L’UICNet l’ICOMOS font les expertises des sites et transmettent leur avis au Comité.

L’UICN fut créée en 1948, afin de protéger l’Environnement. Dans le contexte del’époque, ce fut une création sans précédent pour la cause environnementale. C’est uneassociation qui connait un succès mondial puisqu’elle regroupe aujourd’hui plus de 1000gouvernements et ONG, et plus de 11 000 scientifiques et bénévoles à travers 160 pays42 . Elle développe ainsi des partenariats avec le secteur public et le secteur privé dans le

42 Chiffres exploités à partir du site de l’UICN, http://www.iucn.org/fr/propos/

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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monde entier. Son siège se trouve en Suisse. Son réseau et la qualité de son expertise sontdes atouts essentiels pour une bonne application de la Convention. Elle dispose ainsi dustatut d’observateur officiel aux Nations Unies.

L’ICOMOS fut quant à elle créée un peu plus tard, en 1965. Elle se définit comme«une organisation non-gouvernementale internationale de professionnels, qui œuvre à laconservation des monuments et des sites historiques dans le monde». Elle regroupe prèsde 9500 membres dans le monde. Son siège est à Paris. Elle est une source d’analyseet d’information exceptionnelle pour le Patrimoine Mondial. De plus, elle se consacre àl’élaboration de théories concernant la conservation et la restauration des sites, d’unegrande richesse. La qualité de ses professionnels issus de multiples disciplines - architectes,historiens, archéologues, historiens de l’art, géographes, anthropologues,...- est louée auxquatre coins du monde.

La troisième organisation officielle du Patrimoine Mondial est l‘ICCROM (InternationalCentre for the study of the preservation and restoration of cultural property). Elle a été crééeen 1959, son siège est à Rome. Plus de 159 Etats sont aujourd’hui membres de cetteorganisation qui a pour objectif «la promotion de la conservation du patrimoine culturel à

la fois mobilier et immobilier» 43 . L’excellence de ses recherches, ainsi que la qualité deses ressources (elle possède une prestigieuse bibliothèque sur la conservation) en font uneorganisation incontournable, surtout pour le suivi des sites.

La section du Patrimoine Mondial de l‘Unesco a entamé cette aventure, accompagnédes meilleurs experts au monde, chacun dans leur domaine respectif. Cependant, lors demes recherches, certaines critiques ont pu être observées à leur sujet. Tout d’abord, il estvrai, qu’en ce qui concerne les nominations du Patrimoine Mondial, elles sont attribuéestoujours aux mêmes personnes. Le risque est la constitution d’une doctrine scientifiquepropre de ces organisations consultatives, qui resterait cloisonnée. Cela entrainerait commele décrit également Léon Pressouyre, une «marginalisation de la convention dans le mondescientifique».

Cependant, la Convention peut également s’appuyer sur des organisations, plusflexibles, qui ont vu le jour. C’est le cas notamment de l’Organisation des villes du patrimoineMondial (OVPM). Créée a Fès en 1993 et possédant son siège à Québec, cette organisationvise à contribuer à la mise en œuvre de la Convention de 1972 grâce à l’implicationde nombreux acteurs en aidant les villes membres à adapter leur mode de gestion enfonction des exigences particulières de l’Unesco concernant les sites inscrits sur la Listedu Patrimoine Mondial. Elle rassemble aujourd’hui 227 villes ayant un bien inscrit sur laListe. Bien qu’elle ne fasse partie des organisations partenaires de l’Unesco prévues parla Convention, les Statuts de l'OVPM stipulent qu'elle est vouée à la mise en œuvre de laprotection du patrimoine Mondial. A l’occasion du Troisième colloque internationale de cetteorganisation, le Directeur général de l’époque, M. Mayor, a mis en valeur son rôle : « LaConvention du patrimoine mondial s'appuie fortement sur les services fournis par plusieursimportants réseaux professionnels, en particulier l'I.U.C.N., l'ICCROM et l'ICOMOS. Lesecrétariat et moi-même considérons que l'OVPM est tout aussi importante ». Grâce à lacommunication et à la diffusion du savoir-faire entre les villes, elle est un relais essentielentre les collectivités locales, les Etats et le Comité.

43 Voir le site de l’ICCROM, http://www.iccrom.org/fra/00about_fr/00_00whats_fr.shtml

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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http://www.ovpm.org/index.php?module=pagesetter&func=viewpub&tid=1&pid=217&mm=1011

2. Une réalisation de la logique démocratique et d’ouverture

a. Un renforcement progressif des politiques d’Assistance

Comme nous l’avons déjà constaté, les politiques d’assistance s’intègrent parfaitement àl’esprit de collaboration et de solidarité internationale mises en place par la Convention.L’ensemble du chapitre V de la Convention y est d’ailleurs destiné. La logique d’assistanceest née avec la Convention. Dès la première réunion du Comité, il fut décidé qu’uneassistance aux pays en développement pouvait être accordée pour la préparation desdemandes d’inscription. L’expérience des pratiques de l’Unesco a certainement été fort utile.Elles se sont renforcées depuis l’adoption de la Stratégie Globale de 1994, qui vise à uneplus grande représentativité des pays ayant des sites sur la Liste du Patrimoine Mondial.

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Ces politiques d’assistance concernent tout d’abord le financement du Centre duPatrimoine Mondial. Fruit de longues controverses, le fonctionnement budgétaire prévu parla Convention renvoie à l’histoire tourmentée de son adoption. La nature des contributionsdes Etats membres a en effet suscité de larges débats. Certains souhaitaient unecontribution volontaire uniquement, d’autres volontaire et obligatoire calculée selon unbarème par l’Assemblée Générale, comme le prévoyait l’avant-projet de l’Unesco. Cettedernière ne convenaient pas aux pays industrialisés, incarnés notamment par les Etats-Unis et la Grande Bretagne, qui se seraient retrouvés à financer une grande part dece programme, et qui se plaignaient à l’époque de la multiplication des organisationsinternationales et donc des contributions financières. Une contribution volontaire fut alorsinstaurée. Mais cette situation n’a pu perdurer. Une nouvelle «bataille de procédure» autourde l’article 15 de la convention fut engagée notamment sous l’impulsion d’Ahmed Derradji,délégué de l’Algérie afin de mettre en place une contribution obligatoire pour tous. Ce débatvirulent scella son mode de fonctionnement, ce qui fut un pas décisif. Un tel accord sur desquestions financières très importantes pour les Etats souligne l’envie commune de parvenirà un texte sur le Patrimoine Mondial. Une large partie du premier budget voté fut consacré àl’assistance préparatoire, et en cas d’urgence. Elle représentait près de 300.000 Dollars surles 490.000 Dollars voté lors de l’adoption du budget, ce qui représentait une part importantecompte tenu du faible nombre de membres à l’époque.

Concrètement, ces politiques d’assistance passent par une aide à la mise en place deslistes indicatives (préparation de séminaires, fonds attribués, envoi experts internationaux)pour les Etats les moins représentés. De plus en plus, les politiques d’assistance concernentle suivi des sites inscrits afin d’éviter la multiplication des sites abandonnés. En effet, certainssites sont aujourd’hui célèbres pour avoir été littéralement abandonnés par les Etats. Adéfaut d’avoir les moyens pour les entretenir, ces sites tombent en ruine, ce qui est contraireaux objectifs de la convention. Le cas de Khami au Zimbabwe illustre ces difficultés. La villede Khami, inscrite en 1986, présente en effet des traces uniques d’une activité commercialeimportante de très longue date. Cependant, le site tombe à l’abandon. Afin de préservercet héritage et à défaut de le placer sur la liste du Patrimoine Mondial en péril (près dela moitié des sites inscrits sur la Liste du Patrimoine Mondial sont africains en 2010), unchantier international a été mis en place depuis 2000 par l’Unesco. Le Directeur du Bureaude l'UNESCO à Harare, Professeur Juma Shabani témoigne « Les sites du patrimoine àtravers l'Afrique s'effondrent peu à peu sous les yeux des jeunes et anciennes générations

comme si de rien n'était » 44 . De telles initiatives participent à cette idée d’équité entre les

Etats membres, même si dans la pratique elle est difficile à mettre en œuvre.La convention permet également la diffusion des savoirs et savoirs-faire entre les

nations. Grâce à cette collaboration entre les peuples, on assiste à une amélioration de laqualité des expertises aux quatre coins du monde. En effet, grâce à la transmission dessavoir-faire, les moyens techniques et humains se sont améliorés. Dans son article consacréau patrimoine africain, Souley Onoholio pointe du doigt cette «longue marche de l’expertiseafricaine». En effet, pour cette partie du monde retirée souvent de toutes négociations,le fait de pouvoir participer à une dynamique véritablement mondiale, permet de se faireentendre mais aussi de dégager un savoir-faire qui peut être ensuite utile au pays. Cetauteur montre dans son article que grâce à ces interactions sont nés des programmes telsque Africa 2009 pour la conservation du patrimoine culturel et immobilier du Cameroun, ouAfrica Nature pour la protection du patrimoine naturel ainsi que le Fonds africain pour lepatrimoine mondial en 2006. «L’UNESCO est heureuse de noter que ce Fonds a pour but

44 Propos recueillis sur le site du Patrimoine Mondial

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I. La Convention du Patrimoine Mondial, une «invention» essentielle

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d’assister financièrement les pays d’Afrique, dans leurs tâches d’inscription de nouveauxsites culturels et naturels sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, et d’amélioration,des états de conservation des biens africains qui sont sur la liste » conclut le directeur dubureau UNESCO à Yaoundé, Benoit Sossou. Le développement de l’expertise permet ainsil’ «émancipation» progressive du pays.

b. Des programmes éducatifs efficacesDans son chapitre VI, la convention prévoit également de mettre en place des programmeséducatifs afin de sensibiliser les plus jeunes à la sauvegarde de notre patrimoine.

Depuis ces dernières années, on a pu déceler cette volonté de mieux faire comprendreleurs actions notamment envers les plus jeunes. Alors qu’il avait notamment imaginé des«kits» pour faire découvrir le patrimoine mondial dans les écoles, Patrimonito45. Il futimaginé en 1995 par des étudiants espagnols et signifie : «Petit patrimoine» dessiné àpartir de l’emblème du patrimoine mondial. Il est aujourd’hui considéré comme la mascotteinternationale du Programme d'éducation du patrimoine mondial. A partir de 2002, oninventa une activité plus ludique, les dessins animés, qui remportent aujourd’hui un trèsgrand succès. Ces dessins animés, intitulés Patrimonito et les Aventures du patrimoinemondial sont très courts, et mettent en scène le personnage amusant de Patrimonito dansdes sites classés au Patrimoine Mondial. En un temps très court (environ 4 minutes) et sansdialogue, il explique d’une façon très claire et simple les enjeux de la sauvegarde d’un siteet propose des solutions. Les scenari de ces petites histoires sont imaginés par des jeuneset sélectionnés dans le cadre de concours. On compte aujourd’hui 8 épisodes46.

Patrimonito

45 http://whc.unesco.org/en/wheducation http://www.youtube.com/watch?v=4_J_ptaAmVg46 Cuba (La Havane), Norvège (Urnes Stavkirke), Nouvelle Zélande (Les Iles Sub-Antarctiques), Ethiopie (Lalibela), Fédération

de Russie (Novgorod), R.D Congo/Ouganda/Rwanda (Parc national des Virunga), Australie (La grande Barrière), Espagne (Vieilleville d’Avila)

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Source : centre du patrimoine mondial

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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II. Un instrument méconnu qui révèledes faiblesses

1. La liste du Patrimoine Mondial, un «don» auxpeuples encore mal utilisé

La Liste du Patrimoine Mondial est destinée à des publics divers car elle implique des enjeuxdifférents. En effet, la liste ne va pas impliquer de la même façon des touristes, qui vont fairede cette liste un «guide», que les habitants locaux. Cependant, une même problématiqueémerge : les citoyens ne se sentent pas suffisamment concernés.

A. L’enjeu pour les «citoyens du monde» : Préserver pour«transmettre»

Bien qu’elle vise une «civilisation mondiale», la convention ne s’adresse pas aux citoyensmais aux Etats Parties. C’est pour cette raison que les citoyens ont du mal à trouverleur place dans la relation entre Etats et le centre du Patrimoine mondial. Ce fossé entrepatrimoine des Etats et le patrimoine des peuples est souvent l’objet de critiques.

1. Ignorance, incompréhension, exclusion?La notion de Patrimoine Mondial est confuse quand elle n’est pas inconnue pour le grandpublic. Nous verrons dans un premier temps que le Centre du Patrimoine Mondial n’a nil’ambition ni les moyens financiers et opérationnels de communiquer envers le grand public.Dans un deuxième nous aborderons le fait que les relais de communication autour de cettenotion -notamment les Etats membres et la presse- ne jouent pas toujours leur rôle depromotion.

a. La sensibilisation de la population : un priorité écartée ?Pendant les premières années suivant son adoption, la seule image de la notion dePatrimoine Mondial qu’avait l’opinion était une assimilation à celle des campagnesinternationales. En effet, la liste ne comprenait que très peu de sites et de nombreux travauxspectaculaires avaient été réalisés par l’Unesco. Ce fut tout d’abord la sauvegarde d’unrégion d’une très grande richesse culturelle connue depuis l’Antiquité, la Nubie. En 1960,suite aux demandes des gouvernements égyptiens et soudanais, le Directeur Général del’Unesco, Vittorino Veronese, lança un appel afin de protéger les monuments de Nubiecontre la montée des eaux, créée par la construction du barrage d’Assouan en 1954.Cette opération déboucha sur la sauvetage et la reconstruction de nombreux monuments

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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antiques, dont les temples d’Isis à Philae, et d’Abu Simbel. En 1966, ce fut au tour de lanon moins célèbre Venise, d’être sauvée par campagne de l’Unesco. En effet, victime desnombreuses innondations le 4 novembre 1966, la perte d’innombrables oeuvres d’art amis en péril le destin de la «Sérénissime». René Maheu décida comme son prédécesseurde protéger la Cité en lancant un appel à la solidarité internationale, ce qui conduisit àdonner à la ville une plus grande protection, même si cette dernière est toujours en danger.En 1972, le sanctuaire de Borobudur en Indonésie menacait également de s’effondrer. Cejoyau du bouddisme situé en plein coeur de l’île de Java, fut alors l’objet d’une véritablecoopération internationale, qui rassembla les fonds et le soutien de plus de 27 pays. Elles’est terminée avec succès en 1983 et le site fut classé sur la Liste du Patrimoine Mondialen 1991. En matière de protection du Patrimoine culturel et naturel de l’Humanité, le travailde l’Unesco fut dès lors universellement apparu comme essentiel. Cependant, ces actionsspectaculaires ont été ralenties au fur et à mesure des années du fait du manque de moyens.Au nombre de 16 dans les années 80, les campagnes de sauvegarde internationales nefurent qu’au nombre de 2 dans les années 90 (Herat en Afghanistan / Tyr au Liban) et de3 (République démocratique du Congo, Ile de Pâques, Bamyian et le Minaret de Jam enAfghanistan) dans les années 2000. Près de 30 sites ont été ainsi sauvés par l’action del’Unesco, ce qui contribua largement au succès de l’organisation. L’action de l’Unesco asouvent été identifiée à ces campagnes spectaculaires.

Cette assimilation des actions de l’Unesco à ces campagnes internationales fut enpartie voulue par l’Organisation. En effet, dès l’entrée en vigueur de la Convention, lesecrétariat jugea que l’Unesco n’avait pas les moyens de mettre en place une campagned’information et de communication très importante. Il préféra miser sur l’impact dansl’opinion et dans les Etats de l’efficacité des réalisations concrètes de la Convention, grâcenotamment à la multiplication des ratifications et au succès de la coopération techniquepermettant la sauvegarde des sites. Dès le départ, le Secrétariat a eu une stratégie decommunication claire : privilégier l’efficacité des réalisations plutôt que dépenser pour descampagnes de publicité et d’informations. De ce fait, le centre du Patrimoine a depuistoujours très peu communiqué envers le grand public.

Cependant, la Convention de 1972 a bel et bien créer un outil à destination des citoyensdu monde afin que celui-ci puisse être transmis aux générations futures. Alors que l’actionde l’Unesco a longtemps été identifiée par ces campagnes, la liste du patrimoine mondial estsouvent méconnue et mal comprise. La compréhension par l’opinion ne doit pas se limiterà la lecture des plaques sur les sites les plus toursitiques. Cette récéption par le peuple estessentielle, pour que les citoyens prennent conscience de ces sites et de leurs esprits, etqu’ils puissent ainsi les protéger. Comme le souligne Tito Dupret, la finalité de la convention,c’est-à-dire la Liste du Patrimoine Mondial est un «don» à tous les peuples. Ils sont donclibres de se l’approprier.

b. Des relais de communication peu efficacesPour pouvoir jouir de ce «don» et participer ainsi à la sauvegarde de ce patrimoine, lescitoyens doivent être informés. Cette tâche de transmission ne revient pas directement auCentre du Patrimoine Mondial qui a pour mission de concevoir la liste à travers les principesjuridiques, même si nous verrons qu’il se doit de participer à la communication du PatrimoineMondial pour remplir son objectif, ce qu’il fait doucement depuis quelques années. Cettemission doit être assurée par les Etats, qui sont les principaux communiquants des objectifsde la Convention, et par les médias qui ont les moyens de transmettre ce concept complexepour le rendre plus accessible.

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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Outre la promotion de leur territoire, les Etats et les collectivités locales doiventtransmettre un message sur la signification de ce Patrimoine Mondial, susciter l’envie etla curiosité, et protéger ainsi les richesses de ces sites. Les Etats sont les mieux placéspour communiquer sur l’idée de Patrimoine Mondial, puisqu’ils sont les principaux acteursde la mise en application de la Convention, et donc connaissent tous les rouages. Ce devoirde promotion des Etats envers ses citoyens est d’ailleurs prévu par la Convention dansl’article 5 : «adopter une politique générale visant à assigner une fonction au patrimoineculturel et naturel dans la vie collective, et à intégrer la protection de ce patrimoine dansles programmes de planification générale». De plus, d’après les Orientations de 2008,les Etats ont la responsabilité «d’utiliser les programmes d’éducation et d’information pourrenforcer l'attachement et le respect de leur population au patrimoine culturel et natureldéfini aux articles 1 et 2 de la Convention et d’informer le public des menaces qui pèsentsur ce patrimoine»47. Le Centre du Patrimoine Mondial a en effet poussé à inscrire dans lesOrientations successives cette nécessité pour les Etats parties et les collectivités localesde s’engager dans une politique de promotion de la convention du Patrimoine Mondial àtravers les démarches de candidature. Ils deviennent ainsi des relais de communication del’action du Centre, qui n’a pas les moyens d’atteindre cette échelle locale.

Cependant, il reste évident que les Etats ont tendance à communiquer sur leurpatrimoine ou, s’ils s’emploient à transmettre cette idée de protection d’un patrimoinecommun, ils n’utilisent pas les bonnes façons. En France, entre le 15 et le 21 octobre2002, la Ville de Paris en coopération avec l’agence Magnum organisa une campagned'affichage de photos dans le métro et les autobus, pour sensibiliser le public à la diversité duPatrimoine Mondial. Cet événement contribua uniquement à persuader les parisiens et lesfonctionnaires de l’Unesco de leur communication, sans malheureusement avoir d’impactsur la sensibilisation de l’opinion.

Bien qu’il soit souvent considéré comme le moyen privilégié de tenir informé lescitoyens, la presse a depuis le début fait peur aux créateurs de cette liste. « Naturellement,les médias et surtout une télévision assoiffée de programmes, sont passés par là, ainsi qu’untourisme international en continuelle progression. On veut « faire » les sites du patrimoinemondial, dont le logo figure sur les catalogues des « voyagistes ». Après « sand and sun», viennent des visites programmées à Sigiriya au Sri Lanka, à Olinda au Brésil, etc.48» aexpliquédès les années 80 Gérard Bolla.

Malgré la richesse des moyens de communications actuels, le concept de «Patrimoinede l’Humanité» lié à l’idée d’une civilisation mondiale est peu présent dans la presse. Raressont les médias qui essaient de faire comprendre cette notion en montrant tout ce qu’elleimplique.A l’inverse, cette image de Patrimoine Mondial est très utilisée par certains sitestrès médiatiques pour des critères liés à l’activité touristique. On constate bien sûr quela période la plus propice à l’apparition des activités du Centre du Patrimoine Mondialest l’été, servant de moyens d’accroche pour des compagnies aériennes. La mission duPatrimoine Mondial est ainsi détournée. Cette dimension liée à l’exploitation touristique estsans cesse mise en valeur, comme le souligne ce titre de l’article du monde du 10 novembre1989 «Pour vos vacances, les 314 sites du Patrimoine Mondial de l’Unesco». Les médiastendent également à établir une «hiérarchie» des sites en éludant ceux sélectionnés surle fondement des critères III, IV, V, qui représente la représentativité, le caractère éminentde construction ou d’établissement humain traditionnel. Cela est contraire à l’esprit de la

47 Voir article 15 des Orientations devant guider la mise en oeuvre de la Convention du Patrimoine Mondial, 200848 L’Invention du Patrimoine Mondial. Les cahiers du Club de l’Histoire. Regard sur l’action de l’Unesco par des acteurs et des

témoins Cahier 2. Association des anciens fonctionnaires de L’Unesco. Batisse, Michel and Gerard Bolla 2005

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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convention puisqu’elle privilégie l’unicité, l’exceptionnalité. Par cette démarche, les médiastentent consciemment ou non d’assimiler cette liste à une «nouvelle liste des merveilles dumonde».

2. Une prise de conscience d’un héritage à partagerDepuis le début des années 2000, des changements s’opèrent également dans l’opinionpublique, qui par différents biais se montre de plus en plus concernée par ce « don » del’humanité. Cette l’implication des citoyens prend différentes formes.

a. Vers une sensibilisation de l’opinion ?Tout d’abord, on observe une multiplication des sites internet transmettant cette passionpour le patrimoine, ainsi que la promotion d’un tourisme responsable.

Je tenais tout particulièrement à parler d’un site qui m’a beaucoup plu, à la fois par lanoblesse de son ambition par la qualité de sa présentation49. Le site du World Heritage Tourest un «atlas muséal», qui offre des images panoramiques de plus de 250 sites inscrits surla Liste du Patrimoine Mondial50. Ce site a été crée par Tito Dupret, avec qui j’ai eu la chancede discuter. Passionné par patrimoine, cet ancien journaliste belge est tombé amoureuxdans les années 90 des églises creusées dans le roc de Lalibela en Ethiopie, qui ont étéinscrites au Patrimoine Mondial de l’Humanité en 1978. A partir de ce moment, il considérala Liste du Patrimoine Mondial comme un guide qui lui permet «d’identifier les lieux les plusreprésentatifs, les plus forts de l’humanité».51 Le second choc de son engagement pour lapromotion de ces richesses fut la destruction des bouddhas de Bamyan en Afghanistan.Journaliste de profession et disposant des qualités professionnelles variées, il décidede mettre sur pied une association à but non-lucratif afin de partager cette passion, et«servir l’humanité». En 2002, il lance le site internet, qui avec très peu de textes maisgrâce à des images panoramiques sublimes d’une qualité magnifique, permet à tous dedécouvrir la plupart des sites du Patrimoine Mondial. En effet, par sa reconnaissance dansla profession et son expérience, il a accès à des sites inaccessibles au grand public commela Jungle impénétrable de Bwindi en Ouganda ou interdits au grand public comme latombe du Pharaon Séti Ier grâce au Ministère de la Culture Egyptien. C’est un témoignageexceptionnel des sites culturels et naturels, offerts aux générations futures.

WHTour logo

49 http://www.world-heritage-tour.org50 Voir Annexe 2, Site du WHTour51 Voir Annexe 3, Entretien avec Tito Dupret

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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Source : http://www.world-heritage-tour.orgL’objectif de ce vaste travail est de faire partager à ceux qui ne peuvent voyager, quelle

qu'en soit la raison, la richesse et la diversité du patrimoine ayant une valeur universelleexceptionnelle. Plus qu’un simple outil de recherche, il s’agit d’une véritable découverte,une immersion dans les lieux. Présentant les sites dans leur authenticité, ce projet offre unétat des lieux documentaire. Ce site est aussi une excellente source d’apprentissage et dedécouverte de la richesse du patrimoine pour les plus jeunes. Interactif, simple d'utilisation,il apporte à tous, professeurs et élèves, une connaissance libre, gratuite et sans publicité.« Il y a également des cubes que vous pouvez imprimer, puis découper et assembler avecvos enfants.» explique Tito Dupret. « C’est un fabuleux moyen de leur faire connaître d’unemanière ludique notre Patrimoine Mondial». Cette initiative a été largement approuvée parl’Unesco. En effet, Tito Dupret est depuis longtemps en contact avec l’Organisation, entant que conseiller. Mais, chérissant trop sa liberté, il ne souhaite pas être rattaché à cesactions. Son initiative a le soutien du Centre du Patrimoine Mondial. Il bénéficie du WorldMonuments Fund et a organisé plusieurs expositions de ses photos pour illustrer cettenotion de Patrimoine Mondial. Son projet fut également largement salué par la critique. Soninitiative a été applaudie dans la presse internationale : France Inter en France (France), LesEchos (France), Jeune Afrique (France), The New York Times (USA), Geo Saison Magazine(Allemagne), South China News (Chine), Empire of Art Magazine (Russie)...

D’autres initiatives intéressantes commencent à combler ce fossé entre les citoyens dumonde et cette Liste qui paradoxalement leur est destinée. Des forums sur les questionsliées au Centre du Patrimoine Mondial ainsi qu’à la liste du Patrimoine Mondial voientégalement le jour. C’est le cas d’un site particulièrement intéressant World Heritage Forum52 . Ce site a pour vocation d’échanger des informations et de mieux faire connaître lepatrimoine de l’humanité. Il permet d’avoir accès à un glossaire expliquant les termessouvent obscurs ayant trait au patrimoine mondial comme le tourisme culturel, oula valeurexceptionnelle unique, ou encore les étapes de la procédure d’inscription.

Une plus grande mobilisation des volontaires internationaux pour la sauvegarde dupatrimoine mondial est perceptible. Chaque année, ce sont des milliers de bénévolesqui participent à la restauration de sites en danger ou contribuent à des projets derecherche pour la protection du Patrimoine Mondial dans le monde entier. Les recherchesuniversitaires se multiplient d’ailleurs sensiblement à ce sujet. On assiste également à

52 http://worldheritage-forum.net/en/

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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la mobilisation du secteur privé. Mécènes, fondations des Nations Unies, ou entreprisesinvestissent dans ce projet ambitieux. Des multinationales prennent part à cette démarcheà travers des partenariats avec l’Unesco. C’est le cas par exemple de Google Earth, GoogleMaps et Street View qui, en décembre 2009, ont permis de rendre accessible 19 des 890sites ayant une valeur exceptionnelle pour l’Humanité. Toujours dans le même objectifde favoriser l'identification, renforcer la sensibilisation et d’encourager la participation à lapréservation de ces trésors.

b. Les efforts du Centre du Patrimoine Mondial pour une plus largemobilisationConscient des lacunes en matière de communication envers le grand public, un changementest en train de s’opérer progressivement vers une amélioration de la communication duCentre du Patrimoine Mondial. Mais même si leur priorité est de mettre en place les moyensjuridiques pour faire fonctionner la liste au moyen notamment de l’adoption des Orientations,le Centre doit promouvoir la liste.

Les principaux moyens de communication mis en place depuis les années 70s’adressent à des spécialistes : La Revue du Patrimoine Mondial qui parait tous les mois,des Séries du Patrimoine Mondial qui sont publiées environ deux à trois fois par an surdes thèmes spécifiques et des lettres d’informations mais qui sont un peu tombées endésuétude. Comme le souligne Mme Patou, le Patrimoine Mondial reste une «histoire despécialistes», qui souffre d’un manque de traduction envers le grand public.

Le Centre a donc fait beaucoup d’efforts pour accroitre sa visibilité. L’organisationdispose depuis 2006 d’une association officielle, Our Place World Heritage Collection,qui détient des données importantes en termes d’images et de documentation sur lepatrimoine mondial. Ce partenariat connait aujourd’hui un succès grandissant puisqu’il aatteint récemment la barre des 1 million de visiteurs. Ces photos sont notamment utiliséeslors des expositions organisés par le Centre du Patrimoine, comme ce fut le cas pourl’ouverture de l’Institut de Recherche sur le Patrimoine Mondial à Pékin en 2008, etégalement pour la publication de livres sur le Patrimoine Mondial, Places and Wonder ofDiscovery, Our Place Publishing, 2008.

Logo Our place WH collection

Source : http://ourplaceworldheritage.comLe Comité du Patrimoine Mondial a également lancé en 2002 le programme «PACTE

du Patrimoine Mondial», en écho au Pacte Mondial des Nations Unies mis en place en 2000.Cette initiative vise à améliorer les relations du Centre avec le secteur privé, en particulierles organisations non gouvernementales, la société civile et les entreprises, tout en ayant

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le consentement de l’Etat concerné. Ses deux objectifs sont : «s ensibiliser les populationsau patrimoine mondial et mieux faire connaître les sites » et « mobiliser des ressourcesdurables en faveur d’une conservation du patrimoine mondial à long terme ». Le PACTE dupatrimoine mondial, ou Initiative de partenariats pour la conservation, cherche à l’élaborerdes partenariats durables afin de développer le dialogue, les échanges et les interactionsentre tous les acteurs intéressés par la conservation du Patrimoine Mondial.

Non pas jusqu’à en définir une priorité, l’engagement d’une communication accrûe estplus que jamais d’actualité. En juin 2010, le Comité du Patrimoine Mondial a publié unrapport pour préparer la 34ème session qui s’est déroulée entre le 25 juillet et le 3 août2010 au Brésil, et dont l’une des priorités est la rédaction du programme des festivitésorganisées pour la célébration du 40ème anniversaire de la Convention, le 16 Novembre201253. L’un des axes de réflexion défini dans ce rapport sur l’avenir de la Convention dupatrimoine mondial est d’ «aider la communauté internationale à centrer son intérêt sur lepatrimoine mondial et à améliorer encore la sensibilisation à la Convention et à l’imagepublique de cet instrument juridique, qui, 40 ans après, est plus d’actualité que jamais.». Cesouci de «visibilité» pour le grand public notamment est l’un des principaux objectifs de cettecélébration. Un Sommet de jeunes sur le Patrimoine Mondial à Greenwich, en liaison avecles Jeux Olympiques 2012 de Londres, sera notamment organisé. Il est également prévude décerner un Prix du Patrimoine Mondial tous les 2 ans pour récompenser l’excellencede la gestion des sites. Ce prix doit être encore soumis à l’approbation de la DirectriceGénérale. La première remise de prix pourrait s’effectuer lors de la cérémonie de clôturedu 40e Anniversaire, le 16 novembre 2012 et aurait donc également pour objectif desensibiliser un public plus large. De même qu’il est prévu d’institutionnaliser le 16 novembrecomme Journée du Patrimoine Mondial afin de mettre un terme à la prolifération des«Journées du Patrimoine Mondial» qui voient le jour. En 1982, l’Icomos a mis en place« The International Day for Monuments and Site » le 18 Avril. Ce jour a été reconnupar l’Unesco et appelé par l’Icomos «Journée du Patrimoine Mondial». Mais en 2005, lareprésentation allemande à l’Unesco a voulu instaurer une journée nationale du PatrimoineMondial le 5 Juin. Le texte prévoit également d’améliorer leur couverture médiatique, dedistribuer des produits commémoratifs, d’organiser des évenements et expositions pourrenforcer l’identité visuelle du Patrimoine Mondial auprès du grand public. Afin d’améliorerl’impact de leur communication, l’Unesco envisage pour la première fois de travailler encollaboration avec une société de communication extérieure pour «créer une stratégie decommunication spécifique, mettre au point des éléments visuels et aider les États partiesà la gestion d’événements et à la conception d’activités de communication.»54 Cette étapeest un engagement exceptionnel de l’Unesco.

B. L’enjeu pour la population locale : préserver pour vivreOn peut justifier le manque de communication par le choix de stratégie du Centre duPatrimoine Mondial qui a choisi de tout miser sur l’efficacité de ses actions, mais là encoredes progrès sont nécessaires, notamment concernant les conséquences des sites inscritssur le développement économiques des régions.

53 COMITÉ DU PATRIMOINE MONDIAL Trente-quatrième session, Brésil 25 juillet-3 août 2010, Réflexion sur l’avenirde la Convention du patrimoine mondial, Préparation du 40e Anniversaire de la Convention du patrimoine mondial (2012),WHC-10/34.COM/12B Paris,11 juin 2010

54 ibid, art 13

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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1. Un «label» qui ne profite pas toujours aux populations localesLa Convention prévoit que l’inscription d’un site doit en assurer l’authenticité et l’intégrité,de même que la protection des peuples et des cultures. Les objectifs économiques dedéveloppement ne sont pas explicitement inscrits dans la Convention. Il est toutefoisdemandé aux Etats dans les Orientations de prévoir un plan de développement lorsdu dossier d’inscription : «Une attention particulière devra être apportée aux mesuresconcernant la gestion des visiteurs et le développement dans la région.» En effet, alorsque l’enjeu principal d’une communication grand public est la connaissance, l’enjeu de lapromotion du Patrimoine Mondial pour les populations locales est tout autre. A travers lamise en place d’une protection internationale, il y a l’idée de préserver pour continuer defaire vivre. La question du développement économique n’est pas tranchée. Elle suscite denombreuses controverses, ainsi qu’une abondante littérature.

Entre retombées économiques, ouverture au monde et décentralisation, de nombreuxavantages sont souvent mis en avant. Mais la convention ne peut cependant aller au-delàdes prérogatives qui lui ont été confiées par les Etats, et souvent, cette aide est conditionnéepar le bon vouloir des gouvernements. C’est ainsi que dans certains cas, cet emblème profiteplus aux industries du tourisme qu’aux régions et aux habitants.

Comme ce n’est pas l’enjeu de mes recherches, j’ai choisi de m’intéresser à deux paysle Cameroun et la Chine, pour montrer l’ambiguïté des effets de ce classement. Loin de faireune comparaison, puisque chaque site a une histoire et un avenir différents, il me semblaitintéressant de souligner les évolutions différentes des implications des autorités nationales,mais également de la société civile.

a. La Réserve de Dja : des retombées économiques inexistantes?

Au Cameroun, seul un bien est inscrit sur la liste, la Réserve de Dja 55 , à environ 250km au Sud est de la capitale, Yaoundé. C’est l’une des forêts tropicales les plus étendueset les plus protégées d’Afrique, qui est encerclée par la rivière Dja. La protection de cetteréserve a été très tôt appréhendée par le Cameroun : en 1950, elle fut érigée en Réservede Faune et de Chasse ; en 1973, lors de l'adoption du premier code forestier national,elle fut classée en tant que Réserve de faune ; puis en 1981, elle fut inscrit sur la listeinternationale des Réserves de la Biosphère sous l’égide du Programme sur l’Homme etla Biosphère de l’Unesco. Toujours dans l’optique d’assurer une meilleure protection, leCameroun ratifia la convention de 1972 en 1982. Afin de protéger l’exceptionnalité de safaune et de sa flore, le site a été inscrit en 1987 au titre des critères naturels IX et X56. Cesite est menacé par 4 fléaux : la chasse commerciale, l’exploitation forestière, l’agriculture etla perspective d’exploitation minière. Le bilan de son inscription au Patrimoine Mondial estaujourd’hui contrasté. La conservation de ce site fut l’objet de nombreuses préoccupationsdans les années 90, ce qui s’illustre bien dans le discours du Ministère de l’Environnementet des Forêts en mars 1998, qui avait animé un séminaire autour de cette question : «Faceaux menaces exogènes dont fait l’objet la Réserve de Faune de Dja, est-il justifié de la

55 Voir l’Annexe 11, Photos de la Réserve de Dja56 critère (ix) : Etre des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours dans l'évolution etle développement des écosystèmes et communautés de plantes et d'animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins ; critère (x) :Contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique, ycompris ceux où survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou dela conservation.

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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proposer comme Bien du Patrimoine Mondial en péril ?». En effet, pendant de nombreusesannées, le pays a donné très peu d’informations au Comité concernant sa conservation,ce qui fut l’occasion de nommer une mission d’évaluation conjointement par l’UICN etl’Unesco en 2006. Ce rapport a notamment souligné l’opacité de l’utilisation des retombéeséconomiques, et le manque de sensibilisation opérée envers les populations locales, ce quiengendre incompréhension voire assistanat: «La mission recommande au gouvernementdu Cameroun de veiller à une meilleure sensibilisation et éducation des populations afinque ces ressources, qui représentent parfois plus de 80 % des recettes des administrationscommunales, soient gérées dans une perspective de développement à long terme et demanière transparente.»

Cependant, on a constaté ces dernières années une volonté de changer, comme lesouligne les derniers rapports de l’Unesco et de l’UICN. La reconnaissance mondiale etles retombées du tourisme sont telles que le pays souhaite préserver ces impacts du labelUnesco. Deux autres sites sont en cours de procédure d’inscription au Cameroun : le sitetouristique des chutes de la Lobé et le site national du Sanga, en zone frontalière avec laRCA et le Congo. Lazare Eloundou Assomo, chef de l’unité Afrique du Centre du PatrimoineMondial de l’Unesco parle des bénéfices de la reconnaissance d’un site comme PatrimoineMondial : «Un site reconnu sur la liste du patrimoine mondial, c’est une énorme publicitépour la culture d’un pays. Des visiteurs viendront voir pourquoi c’est si exceptionnel et celapourrait créer plein d’emplois en termes de tourisme, et permettre le développement.»57

Mais le plus important dans cette évolution, c’est que cette dynamique s’est développéedans la région entière. Comme le souligne Benoît Sossou, représentant/directeur du bureauUnesco à Yaoundé, pour le Cameroun, la RCA et le Tchad, « Un partenariat fort s’estconstitué autour des questions du patrimoine mondial. Je suis heureux qu’il se manifesteici, une nouvelle fois au Cameroun, et je souhaite qu’il continue de se renforcer »58. Afinde surveiller la conservation des sites des biens inscrits au Patrimoine Mondial, un rapportdoit être transmis tous les 6 ans à la Conférence Générale de l’Unesco, par l’intermédiairedu Comité du Patrimoine Mondial. Les représentants des 23 pays francophones se sontd’ailleurs réunis en juin 2010 au Cameroun, pour discuter de 29 des 78 biens africains quisont aujourd’hui inscrits sur la liste. Les résultats de ce rapport seront connus en 2011.

Certains pays sont à juste titre souvent pointés du doigt par les institutionsinternationales au sujet de la gestion des retombées économiques. Certes, celles-ci neprofitent pas toujours à la population locale, mais je pense qu’il faut laisser du temps àce processus. L’implication des populations locales engendrera un double avantage : unemeilleure compréhension de la gestion des sites ainsi que la participation à une véritableprise de conscience d’un «moyen de s’en sortir».

b. La Chine, une rentabilité dévastatrice?Deux autres écueils tout aussi néfastes pour la population sont également apparus, c’est-à-dire la transformation des sites en «ville-musée», et une détérioration due à un afflux detouristes. On constate encore que malgré les recommandations du Centre, les Etats restentmaîtres du destin des sites classés et l’utilisent selon leur priorité politique et économique.Cette lacune issue directement de ce compromis fragile que nous avons évoqué entre lesEtats et une protection internationale, est un problème latent. Dès 1989, cette difficulté a

57 DONGMO Stéphane, Patrimoine Mondial : 23 pays réfléchissent à la conservation, Quotidien Le Jour, 22 Juin 201058 ONOHOLI Souley, Patrimoine mondial : l’Afrique se concerte au Cameroun, Le Messager, Jeudi 24 Juin 2010, http://

www.lemessager.net/2010/06/patrimoine-mondial-l%E2%80%99afrique-se-concerte-au-cameroun,

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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été soulignée à la Conférence Mondiale «Tourisme et environnement» à Tenerife, pionnièredans ce domaine. Il a été souligné qu’il n’était pas impossible pour les Etats de pratiquer unepolitique de mise en valeur contraire à la Convention. A cette époque, le Parc National deGoreme et les sites rupestres de Cappadoce en Turquie en furent les tristes exemples. LeComité commença à s’attaquer à ce problème en 1994 en faisant évoluer les Orientationsprévues par la Convention. Il fit en effet apparaître l’objectif suivant : «veiller en liaison avecles Etats parties à l’état de conservation des biens inscrits au patrimoine mondial».

Cependant, cette lacune concernant le suivi du site n’est toujours pas régléeaujourd’hui. Certains pays sont particulièrement jugés pour cette mauvaise sauvegarde,comme la Chine par exemple. La Chine a ratifié la Convention en 1985 et son premiersite, «L'homme de Pékin» à Zhoukoudian (au sud-ouest de Pékin), source d’informationexceptionnelle sur le processus d’évolution de l’Homme, fut inscrit en 1987. La Chinedispose aujourd’hui de 27 biens culturels, 7 biens naturels, 4 biens mixtes, soit l’un despremiers Etats en termes de biens inscrits après l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. La Chinedispose également d’une liste indicative conséquente. Cette proportion importante de sitesest sans aucun doute justifiée par la richesse de l’Histoire chinoise et par la densité de sonterritoire. Cependant, l’utilisation qu’elle est fait est souvent décriée. La recherche à tout prixde rentabilité peut malheureusement se faire sentir dans certains sites classés en Chine.«La Cité interdite porte mal son nom. Le week-end de la Fête nationale de la Républiquepopulaire de Chine (1er et 2 octobre) draine un bon million de visiteurs vers la résidenceimpériale des dynasties Ming et Qing que les anciens sujets n'avaient même pas le droit deregarder, sous peine de mort.» constate le journaliste Stéphane Baillargeon en 2008. L’undes plus fins connaisseurs du Patrimoine Mondial ayant visité près des 300 sites inscrits,Tito Dupret a déjà soulevé ce problème, lors d’une interview donnée dans un journal chinois,South China News : «Look at Gugong59 in Beijing. That can bring 1.5 million people withinjust 3 days of vacation. It brings BIG money but BIG problems : Gugong was not built tosustain such a massive number of walkers within its walls. Unfortunately, this money is usedto help Gugong only up to 10%. Rest of the money goes to the central government. Becauseof that, Gugong needs financial help from other countries and organizations to save, restoreand maintain it...»60. Dans cet interview, Tito Dupret insiste sur la politique globale chinoiseen matière de protection. En effet, la croissance économique brutale de ce pays conjugéeavec une densité de population parmi les plus importantes du monde, est dangereuse pour

la sauvegarde de ces sites majestueux 61 : «What I can tell is that China is changing tooquick for places that are hundreds years of age. These places just couldn't adapt themselvesto the new rhythm and quantity of changes that are occurring today in China. To me all WHSites in China are in danger.». On voit bien ici la compréhension différente de cette notionselon les pays : la Chine est souvent montrée du doigt, car les dirigeants ont tendance àcomprendre l’inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial d’un site comme un label dequalité concernant le tourisme, et donc à ne pas favoriser sa préservation. Le Comité duPatrimoine Mondial doit sensibiliser ces Etats à ces enjeux nouveaux.

La Chine n’est cependant pas le seul pays dans ce cas. Récemment, un article au titreévocateur «Rome, ville ouverte... à laideur» du Courrier International, alerte l’opinion surl’état du Centre Historique de Rome. La Ville Eternelle est en effet pointée du doigt pour

59 Signifie «Ancien palais» en chinois. Gugong désigne ainsi la Cité Interdite, qui est le Palais Impérial à Pékin.60 Wednesday 18 August 2004, REF : <<WHTour.org>.org> Tito Dupret’s original interview by email for Suzanne Lee, Renmin

Ribao, South China News.61 Voir Annexe 12, Photo de la Cité Interdite, Chine

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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la gestion de son patrimoine. Entre les 33 000 encarts publicitaires, l’installation effrénéed’horloges lumineuses et un projet de construction d’un gratte-ciel de 120 mètres de hautau cœur de la capitale, l’auteur Emiliano Fittipaldi déclare que la ville est «dévastée par unepollution esthétique qui ruine et entache toute beauté»62.

Cependant, la question épineuse des conséquences doit être nuancée. En effet, dansmes recherches, j’ai pu constater que, mise à part des cas extrêmes, il était largementbénéfique pour les régions concernées. Ces sites tels qu’ils ont été classés dans l’esprit de laConvention sont des «dons» faits au monde. Une véritable coopération est nécessaire entrele tourisme et la préservation des sites. Un tourisme maitrisé, contrôlé est indispensable.D’autant qu’un réel effort du Comité du Patrimoine Mondial est timidement en train de semettre en place. Tout d’abord, il accorde une importance accrue au «Plan de Gestion» dansle dossier d'inscription. En effet, selon Mme O’Miel, directrice d’association BMU, le plan degestion du site est aujourd’hui primordial, surtout pour les pays développés. Et une fois lebien inscrit, les contrôles sont de plus en plus drastiques et fréquents. Afin de veiller à unemeilleure intérférence des biens culturels notamment avec notre environnement, renforcerla place des historiens de l’art dans la conservation du patrimoine culturel serait égalementune piste intéressante.

2. Peut-on allier culture et développement?L’inscription au Patrimoine Mondial d’un site est souvent significatif d’un développementéconomique de la région voire du pays. Mais on peut se poser la question d’un point devue théorique : pourquoi et comment la culture au sens anthropologique du treme c’est-à-dire désignant 1‘ensemble des traits distinctifs caractérisant le mode de vie d’un peupleou d’une société, est importante pour le développement?On a commencé à s’intéresseraux théories du développement depuis les années 50. Mais on est aujourd’hui confronté àune désillusion, c’est-à-dire le déclin de l’idée que le développement était seulement unequestion de capital et de technologie. Le développement a peu à peu englobé la culture.Le rôle économique du patrimoine fait partie de ce processus qui consiste à mise en valeurdes richesses culturelles du pays. On peut s’interroger sur les évolutions des inter-relationsentre culture et développement à travers le l’article de A.SEN How does Culture matter?

a. La culture, instrument ou but du développement ?Les théories du développement sont nées dans les années 50 mais elles n’ont étégénéralement conçues qu’en termes économiques avec un désintérêt des institutions et desvaleurs locales. Cette prise de conscience du développement pendant la première moitiédu XXème siècle était appréhendée comme une aide des pays du Nord envers les paysdu Sud. Leur objectif était d’élever, grâce aux capitaux et aux technologies, le niveau despays en voie de développement ou ayant récemment accédé à l’indépendance. Selon cetteconception, la culture n’était qu’instrument au service du développement. Cette conception aété omniprésente dans les premiers programmes internationaux de développement depuisles années 50. Ce modèle a notamment été inspiré par le Plan Marshall en 1947, puispar divers auteurs. Sir Arthur Lewis dans « The Theory of Economic Growth » expliqueque le développement concerne la croissance, l’emploi, les technologies à forte intensitéde capital et de productivité. Dès le départ, d’autres auteurs se posent la question de laculture et des valeurs locales dans le sens où elle peut entraver ou aider la croissanceéconomique. Selon Rostow, pour que le développement économique soit une réussite,

62 Voir Annexe 7, FITTIPALDI Emiliano, Rome ville ouverte...à la laideur, Courrier International, 15 Juillet 2010

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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il faut apporter des changements aux institutions et valeurs locales. Le cycle de Rostowdéfend une vision biologique du développement. Selon Weber et son Ethique protestante,un ensemble de valeurs et d’attitudes associées à une religion peut influer sur le progrèséconomique. C’est ce que Dioubaté explique comme le «paradigme de la modernisationdes économies nationales», c’est-à-dire le progrès et la logique de marché comme moteurdu développement. Bien que les années 60 et 70 ont été caractérisées comme étantles «Décennies pour le développement» à une époque très optimiste, il ne fut penséqu’en termes quantitatifs. Les organisations internationales défendaient toujours une visionstrictement économique. Ce qui aboutit à une crise dans le sens où le sous-développementfut considéré comme un produit du développement et une forme de dépendance enversles pays du Nord. On s’achemina alors vers un autre moyen d’accéder à la prospérité,l’industrialisation par la spécialisation.

Sen met en avant le fait que la culture est considérée tant qu’elle engendre une activitééconomique rémunératrice, qui dépend alors directement de sites, d’activités ou d’objetsculturels. La manifestation la plus exemplaire est l’utilisation du tourisme même s’il peut yavoir des objections. Une utilisation commerciale trop importante peut constituer commenous l’avons observé une menace non négligeable pour le site. La culture est alors uninstrument, dont le but est le développement. La culture n’est pas un élément doté d’unevaleur en soi mais comme un moyen d’atteindre l’objectif de promotion et de soutien dudéveloppement économique.

La «troisième décennie des Nations Unies pour le développement» des années 80consacra la libéralisation du commerce, la mise en place des Programme AjustementStructurel Unies, et l’intervention des Institutions Financières Internationales au travers duConsensus de Washington. Mais le terrible échec des années 80 amena les économistes etles organisations internationales à introduire pour la première fois des mesures qui n’étaientpas strictement économiques, c’est-à-dire liées à l’environnement, au logement et à lasociété. Les postulats simplistes de développement imposés par les pays du Nord ont alorsmontré leurs limites et mis en évidence le fait que les pays en question et la société civiledevaient être pris en compte. Cette vision fut confirmée par Sen, qui montra l'adoption d’unevision plus large du développement, englobant à la fois le bien être matériel et humain.

Les faiblesses des théories du développement depuis les années 50 ont mis enévidence les limites de la conception qu’on avait entre culture et développement. Depuis lesannées 90, on assiste donc à un retournement. Les nouvelles théories du développementne reposent pas sur des dogmes mais sur le vécu et les spécificités des pays. En effet,face aux échecs des Programmes d’ajustements structurels qui soulignèrent la faiblessedes institutions, à la fin de la période de guerre froide et aux crises financières des années80 et 90, on plaça au centre du concept de développement la dimension humaine et la priseen compte de la population locale. C’est d’ailleurs à cette époque qu’est créée une définitionde «développement humain» par le PNUD, défini comme un « processus élargissant leschoix de l’individu». «La culture est une fin désirable en soi, qui donne un sens à notreexistence», comme le souligne A.Sen. La poursuite du bien-être et de la liberté inclutl’enrichissement des vies humaines par les pratiques culturelles. La culture devient ainsi lafinalité du développement.

b. Le développement passe par l’implication de la population localeDe même que l’on a élargi la définition de culture, qui auparavant ne considérait sous ceterme que les beaux arts et les formes suprêmes de patrimoine culturel, la relation entreCulture et Développement a évolué au point de ne plus être considérés distinctement. On

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voit qu’aujourd’hui la réponse aux principaux fléaux du développement peut être l’implicationdes populations locales.

Depuis les années 60, l’Unesco a recentré progressivement son action envers lespopulations locales. On peut voir ce réajustement culturel au travers d’une publicationde Meynaud de l’Unesco de 1963 «l’étude des modèles culturels nous aide à replacerl’individu dans son contexte social». Cette définition plus large de la culture a été égalementconfirmée en 1982 lors de la Conférence mondial sur les politiques culturelles à Mexico : «Ledéveloppement équilibré ne peut être assuré que par l’intégration des données culturellesdans les stratégies qui visent à le réaliser. L’évolution vers une place plus importante à lapopulation locale peut se retrouver également dans le discours et l’activité de l’Unesco.En ce qui concerne la protection et la mise en valeur du patrimoine, l’implication de lapopulation locale est d’autant plus décisive que le patrimoine touche directement à sonidentité. Dans le rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement,Notre Diversité créatrice, en 1996, les nouveaux fléaux de la promotion du patrimoinesont exposés, désignés sous le terme évocateur de «De vieux fléaux sous des dehorsnouveaux». Cela englobe le pillage des sites archéologiques en constante progressionainsi que la surexploitation touristique. Outre ces dangers qui doivent être maitrisés parles institutions publiques, les sites du Patrimoine Mondial doivent être considérés comme«des espaces sociaux vivants». La dimension sociale est indissociable des politiques deprotection du site.

2. Une application de la Convention encore enmaturation

A.Un outil juridique au service d’Etats parties

1. Quels liens entre Patrimoine mondial et Diplomatie?Paradoxalement à la naissance de cet «idéal» de la défense d’un Patrimoine Universel,il ne faut pas oublier que les Etats ont des intérêts à défendre, qui ne sont pas toujourscompatibles avec ceux souhaités par l’ensemble de la communauté internationale.

a. l’Unesco : une organisation au passé tumultueux Malgré la noblesse de ses objectifs : «Les guerres prenant naissance dans l’esprit deshommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix.»,l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture a toujoursentremêlé politique internationale et diplomatie, au détriment parfois des enjeux culturels.

Ils ont en effet conduit à plusieurs moments de tensions majeures. La prédominancedes Etats-Unis a tout d’abord toujours été source de crise. Le mandat du premier DirecteurGénéral de l’Unesco, Sir Julian Sorell Huxley, d’origine britannique entre 1946 et 1948, futréduit sur injonction des Etats-Unis. Ensuite, le second Directeur Général, Jaime TorresBodet, d’origine mexicaine, a dû démissionner en 1952, sous la pression des Américains.Le chemin d’une politique préférentielle de l’Unesco en direction des pays du Tiers-

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monde souhaité par Bodet était en effet incompatible avec la domination progressive desAméricains. En outre, cette crise fut aggravée par la conjoncture mondiale difficile d’après-guerre. Afin d’apaiser ces tensions et de mettre en œuvre une organisation efficace, lesdeux Directeurs suivants furent -sans surprise- américains. Entre 1952 et 1953, John W.Taylor fut Directeur Général par intérim, puis en 1953 ce fut au tour de Luther H. Evans quiprésida l’organisation jusque la fin des années 50. Entre 1962 et 1974, un changement depolitique s’opéra avec la présidence de René Gabriel Eugene Maheu, d’origine française.Cette période est aujourd’hui considérée comme ayant été propice pour l’Organisation. C’estd’ailleurs à cette époque que fut adoptée la Convention sur le Patrimoine Mondial.

Le contexte international trouble des années 70 n’a pas aidé à mettre de côté lestensions politiques afin de mettre en œuvre un instrument fiable et objectif. A partir del’élection en 1974 de Amadou-Mahtar M’bow (1974-1987), d’origine sénégalaise, un conflitmajeur éclata entre l’Unesco et les Etats-Unis. Plusieurs éléments contribuèrent à mettre enplace ce climat tendu. Afin de souligner ces dysfonctionnements, je m’appuie sur des articlesde presse et notamment sur un article de Mme Gabrielle Capla du Monde Diplomatique deSeptembre 2009, qui a fait beaucoup de bruit.

Tout d’abord les rapports entre le Directeur Général, M. M’bow, et Reagan n’ont jamaisété au beau fixe. En effet, selon les propos de Mme Louise Oliver, ambassadrice américaineauprès de l’Unesco (2004-2009), Reagan lui reprochait son «extrême politisation».L’Organisation fut même accusée, entre 1978 et 1980, par la Heritage Foundation, unthink tank ultraconservateur américain, de regrouper des communistes. Le MacBrideReport renforça cette crise diplomatique entre l’Unesco et les Etats-Unis dans un premiertemps, puis avec la Grande-Bretagne. Afin de démocratiser la communication face à laconcentration des médias et à l’accès inégal à l’information, ce rapport préconisait derenforcer la législation nationale, ce que n’ont pas souhaité les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui considéraient ce rapport comme une atteinte à la liberté de la presse. Suiteà ces événements, les Etats-Unis quittèrent l’Organisation en 1984, la privant ainsi de plusde 20 % de ses revenus.

Après une présidence espagnole relativement calme, assurée par Federico MayorZaragoza dans les années 90, l’arrivée du Japonais Matsuura Koichiro suscita denombreuses polémiques. On lui reprocha sa complicité avec les Etats-Unis, quiréintégrèrent d’ailleurs l’Organisation en 2003. Outre les liens avec le nouveau DirecteurGénéral, ce retour des Etats-Unis ne fut pas un hasard. C’est à cette époque que laConvention sur le patrimoine intangible puis la Convention sur la diversité culturelle étaienten débat à l’Assemblée. Les Etats-Unis, soucieux de la tournure des choses, avaientindiscutablement des intérêts à y faire valoir. De plus, ce retour avait pour objectif d’apaiserles tensions, à un moment où l’action des Etats-Unis en Irak était vivement critiquée parl’ONU. Comme l’a rapporté le journal l’Humanité du 8 octobre 2002, Georges W. Bushannonca à cette occasion vouloir «marquer l'engagement (des USA) en faveur de ladignité humaine». Il fut reproché à M. Matsuura sa mauvaise gestion de l’Organisation.La politique mise en œuvre ces dix dernières années a été largement dénoncée. Afinde réduire les dépenses de l’organisation, il mena une politique de rigueur économique -licenciements, suppression de programmes, ... - perçue par certains comme contraires auxobjectifs de l’Unesco. Ces réformes économiques ont été de maintes fois critiquées par lesfonctionnaires de l’Organisation. Les Etats membres ainsi que le Comité ont également étécritiqués pour leur inaction. Outre les liens très étroits entre cette politique et la volonté desAméricains, la journaliste dénonce l’«état de délabrement dans lequel se trouv(ait) l’Unescoau terme du mandat de M. Matsuura».

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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«La lutte pour occuper ce poste prestigieux fait rage entre les Etats ayant présenté descandidats et les bureaucrates les plus haut placés de l’organisation, attachés, depuis leurbastion du Secrétariat, à défendre ou à consolider leurs places. La langue de bois qu’ilsutilisent pour masquer leurs intérêts ne peut occulter que la plupart d’entre eux ont sacrifié,

sous le magistère de M. Matsuura (1999-2009), les valeurs fondatrices de l’Unesco.» 63

Après ce bilan discutable, une nouvelle crise est née quant à la succession de M.Matsuura au poste de Directeur Général en 2009. Une polémique éclata au sujet de lacandidature de Faroul HOSNI. Haut fonctionnaire égyptien, il représentait pour les paysmusulmans l’espoir qu’un dirigeant arabe soit enfin élu à la tête de l’Unesco. Mais aprèsdes accusations de déclarations antisémites, ce fut Irina Bokova, d’origine bulgare, qui pritplace à ce poste prestigieux.

b. Les stratégies des Etats : des intérêts parfois contraires à la convention« Un des soucis de tous ceux qui, en 1972, ont créé le mécanisme qui régitaujourd’hui le Patrimoine mondial, était que le jugement concernant « la valeuruniverselle exceptionnelle » soit aussi objectif que possible et ne se fonde passur des motivations d’ordre politique. » a dit Gérard Bolla dès 1972.

L’inquiétude des « bâtisseurs » de la Convention ne fut pas sans fondement. En effet,le fait d’avoir confié la décision d’inscrire ou non les sites sur la liste à un organeintergouvernemental était déjà à l’époque, considéré comme la source potentielle depressions politiques. D’autant plus que dès les premiers temps, la pratique s’éloigna de lalettre de la Convention (article 9.3) puisque les représentants des Etats au Comité étaientde plus en plus des généralistes. Cette politisation de l’organe de direction fut accentuée parl’arrivée des ambassadeurs auprès du Comité du Patrimoine Mondial dans les années 80.

Pour comprendre ces actions de lobbying étatiques, je m’appuie principalement surle travail de Léon Pressouyre, dans son ouvrage essentiel, laConvention du PatrimoineMondial : Vingt ans après paru en 1992. L’inscription des sites d’un Etat peut releverd’une stratégie politique, et ainsi laisser de côté tous les enjeux culturels de la Convention.Par exemple, Léon Pressouyre a montré que la France a voulu inscrire la variété deson patrimoine tout en contribuant à renforcer un déséquilibre dans la représentation duPatrimoine Mondial au profit de certains types de monuments. On peut rapprocher icil’Amphithéâtre d’Arles et le Colisée de Rome. Cet acte de «lobbying» de certains Etats peutavoir pour objectif de valoriser leur patrimoine pour des revendications nationalistes. Mêmes’il est habituel aujourd’hui que la plupart des Etats veulent avoir leur capitale classée oudes sites qui ont marqué une époque comme par exemple en Bulgarie le Monastère de Rilaqui évoque la «Renaissance Bulgare», le Comité du Patrimoine Mondial ne peut accepterdes stratégies pour un discours nationaliste (on peut citer l’exemple du Monument nationalde Santa José au Costa-rica, ou le cimetière des combattants et le monument à la libertéde Riga). De même, des coalitions d'intérêts peuvent se former à propos d’inscriptionsépineuses pour certains pays. Ainsi, l’inscription en 1982 de la Casbah d’Alger a étédifférée du fait de la réserve française, pour des raisons politiques évidentes64. En outre,certains Etats profitent de cette reconnaissance internationale pour attiser des problèmesde politiques internes comme l’intégration de certaines minorités au détriment d’autres. Onpeut citer par exemple, le fait que la Turquie n’a proposé aucun monument représentatif

63 CAPLA Gabrielle, Révolte silencieuse pour sauver l’Unesco , Le Monde Diplomatique, Septembre 2009.64 Voir Annexe 8, Extrait de la proposition d’inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial, 1992

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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des cultures arméniennes et géorgienne, de même pour la Chine avec la région du Tibet...Certaines régions du monde sont ainsi privées de toute tribune internationale par la mainmise qu’ont les Etats sur toute la procédure. Cette inscription peut enfin être un enjeu detaille dans des zones de tensions identitaires. Les difficultés de l'inscription de Jérusalem àla demande de la Jordanie ou l’échec des demandes d’inscription par le Royaume-Uni desites en Irlande du Nord en sont malheureusement de très bons exemples.

2. Les limites politico juridiques de l’application de la convention

a. La convention et la souveraineté étatiqueLa Convention a dû faire face à des difficultés qu’elle n’avait pas prévues. Tout d’abord, desproblèmes de souveraineté entre les Etats. La réunification d’un Etat comme l’Allemagneou d’un démembrement comme en URSS ont engendré des lacunes dans l’application dela Convention, comme l’explique Léon Pressouyre dans son ouvrage que nous avons déjàcité. En effet, cette situation pose le «problème de la ratification de la Convention dans lerespect des engagements antérieurs. Elle pose d'ores et déjà celui de la révision de listesindicatives initialement dressées par une entité nationale qui a cessé d'exister». Mais c’estsurtout le partage de la souveraineté au sein même des Etats qui a posé le plus problème. Ilfut décelé dès les premières années de la Convention avec l’entrée des Etats-Unis. En effet,leur entrée décela une faille de cet instrument, concernant la situation dans les structuresfédérées. Bien que cette situation fût évoquée dans les clauses finales, aucune solutionn’avait été imaginée en cas de désaccord dans l’un des Etats où les structures fédérésdétiennent en général l’autorité sur les questions culturelles. Il n’y eut pas de difficultésconcernant les Etats-Unis, mais pour un autre membre qui fut très actif pendant l’élaborationde la Convention, le Canada (en 1976) ainsi que pour la Belgique (en 1996). En effet, cesderniers ont eu des difficultés à trouver l’unanimité de leurs régions. La situation de cesEtats fédérés posa d’autres problèmes à propos de l’inscription de sites australiens sur laliste du Patrimoine Mondial.

Enfin, la multiplication des conflits internes n’épargne pas le patrimoine, commel’illsutrent tristement la destruction des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan en mars 2001que nous allons étudier en détail ou le bombardement du Centre Historique de Dubrovniken 1993, ou encore plus récemment le pillage de la Bibliothèque de Bagdad en Irak.Cependant, c’est surtout en cas de non-respect de ces obligations, que l’on peut constaterla prédominance des Etats. Les sites ainsi volontairement détruits par des Etats ayantpourtant ratifié la Convention met en évidence le fait qu’ils restent malgré tout les maîtresde leur territoire. Les exemples sont nombreux : la destruction des éléments symbolisant lareligion bouddhique (monastères, statues du Bouddha, manuscrits et autres objets de cultedu site archéologique d’Angkor) par les Khmers Rouges à partir de 1975 au Cambodge,la destruction du pont historique de Mostar en Bosnie-Hérzégovine détruit en 1993 lors de

la guerre de Bosnie 65 (aujourd’hui reconstruit à l’identique) ou encore les destructions desites qui constituaient les traces de la présence arménienne comme Djoulfa en 2005 parles autorités d'Azerbaïdjan.

b. Le cas de la destruction des Bouddhas de Bamyan en Afghanistan

65 Voir l’Annexe 14, Photo du Pont de Mostar, Bosnie-Herzégovine

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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J’ai choisi d’illustrer mon propos par la destruction malheureusement célèbre des Bouddhasde Bamyan en Afghanistan. Plusieurs raisons justifient mon choix : l’indignation mondiale,la destruction inhabituelle (sur le territoire national, et par une mise en œuvre froide et

organisée), le défi à une religion, à une culture, à l’UNESCO, et au droit international 66 .

Les Talibans ont détruit les bouddhas de Bamiyan à l'aide de batteries anti-aérienneset de dynamite, au prétexte que l'Islam interdit l'idolâtrie. Ils ont été chassés du pouvoirquelques mois plus tard par l'invasion américaine à la suite des attentats du 11 septembre2001. Cette «infamie culturelle» immémoriale, comme le souligne R.GOY, a violé plusieursrègles de droit international. Tout d’abord, la violation des droits de l’Homme et des pactesinternationaux des droits économiques, sociaux et culturels dans la mesure où elle a enfreintle respect des religions et cultures. Cet acte fut qualifié à l’époque de «crime universel», oude «crime contre la culture».

Dans un deuxième temps, il y avait violation du droit des conflits armés prévu par lesConventions de 1907, 1954 et du protocole additionnel de 1999, qui prévoient le jugementau Tribunal Pénal International. Mais la complexité de la situation a entrainé des difficultésd’application de ces instruments. Tout d’abord, l’Afghanistan n’était pas un Etat partie àces Conventions, et même si ces conventions sont considérées comme faisant partie de lacoutume internationale, les sanctions n’ont pas pu être mises en application par l’Unescocar il s’agissait d’un conflit armé interne non international. Il est ainsi un principe de droitinternational de ne pas s’immiscer dans les affaires internes d’un pays.

Enfin, l’Afghanistan a bafoué les principes de la Convention de 1972 qui prévoit que lePatrimoine culturel sert l'intérêt général de l’humanité et doit donc être protégé mais a fortiorin’être pas détruit. L’Afghanistan a par ailleurs ratifié cette Convention le 20 mars 1979. Etla violation d’une obligation de l’Etat de protéger le patrimoine culturel d'intérêt universelest condamné par la coutume, depuis l’élaboration du Traité de Washington Pacte Roerichen 1935 . Malgré la gravité des violations commises, les responsables n’ont cependantpas été sanctionnés. On voit ici que l’impuissance de la Convention et d’autres instrumentsjuridiques internationaux face à la volonté de certains Etats de nuire. Cette responsabilitéincombait à l’Etat Emirat Islamique à peine reconnu par la communauté internationale maislargement effectif en Afghanistan. Aucune sanction effective n’a été proclamée, mise à partune sanction morale de l’ensemble des Etats membres et de l’Unesco. L’unique instrumentde sanction morale fut la rédaction d’une déclaration adoptée en 2003 pour proclamer que ladestruction intentionnelle du Patrimoine Culturel de l’Humanité constitue un crime au regarddu Droit International. En matière de responsabilité, cette déclaration n’a pas marqué untournant dans l’application de la convention. Bien qu’elle ait un champ d’application encoreplus large que la Convention puisqu’elle concerne le Patrimoine Mondial à la fois culturel etnaturel et non pas seulement le patrimoine qualifié comme ayant une valeur exceptionnelleuniverselle comme le précise la Convention, elle est d’une nature juridique différente de laconvention («soft law») et ne lie donc pas directement les Etats. La déclaration ne crée pasde nouvelles obligations mais rappelle les obligations des Etats en matière de protection dupatrimoine qui découlent des traités et Conventions internationales.

Aujourd’hui, la restauration du site n'a pas été jugée un objectif essentiel par l'Unescoet les Bouddhas ne seront sans doute jamais reconstruits, mais différents projets innovantsont vu le jour pour ne pas laisser l’héritage de ces statues disparaître. Ainsi, l’Institut Afghanen Suisse et la «New 7 Wonders Society & Foundation» ont lancé une campagne pour lareconstruction des Bouddhas de Bamiyan en respectant la taille et leur emplacement. De

66 Voir l’Annexe 13, Photo des Bouddhas de Bamyan en Afghanistan

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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plus, un institut s’est porté volontaire pour développer une reconstitution virtuelle des sites.Cependant, cet événement malheureux montre toute la limite de la Convention qui reposesur un engagement moral des Etats, et qui est susceptible d’être remis en cause lorsqueles régimes politiques changent.

B. Vers une Liste du Patrimoine Mondial plus représentative ?« Comment des représentants d’États ont-ils parlé au nom de l’humanité ou desgénérations futures et oublié leurs intérêts nationaux ou leurs revendicationsidentitaires ? Plus médiologiquement : comment une organisation matérialisée(le Comité qui établit la liste, des ONG, des experts qui le conseillent...) a-t-elletransformé une croyance générale en fait pratique ? Comment est-on passé del’hyperbole au règlement ? De l’idéal à la subvention ?»67.

Toutes ces questions présentes aux origines de la Convention, n’ont cessé de s’amplifiertout au long de sa mise en application.

1. Les «ruines» d’une crise majeureL’inscription des sites sur la Liste du Patrimoine Mondial dépend de la définition de la valeuruniverselle exceptionnelle. Or, aucune définition claire n’a été élaborée. Ces ambiguïtés ontété à l’origine de tensions dans l’application de la Convention, au point que l’Unesco duty remédier.

a. La valeur universelle exceptionnelle : un concept primordial mais imprécisLa définition de la «valeur universelle exceptionnelle» qui est au centre de la Convention afait couler beaucoup d’encre au point qu’une littérature abondante lui est consacrée.

Bien que l’expression «valeur universelle exceptionnelle» ou VUE comme le désigneles spécialistes soit citées 13 fois dans la Convention, on ne trouve pas de définition précisedans cet instrument. En effet, il faut chercher dans les Orientations devant guider la mise enœuvre de la Convention de 2010 (ci-après : les Orientations) pour trouver la définition la plusdéveloppée. Pourtant, elle se caractérise par ces termes approximatifs et généraux : «Lavaleur universelle exceptionnelle signifie une importance culturelle et/ou naturelle tellementexceptionnelle qu’elle transcende les frontières nationales et qu’elle présente le mêmecaractère inestimable pour les générations actuelles et futures de l’ensemble de l’humanité.A ce titre, la protection permanente de ce patrimoine est de la plus haute importance pourla communauté internationale toute entière.». Bien qu’elle soit précisée par l’article 49 : «Lebut de la Convention n’est pas d’assurer la protection de tous les biens de grand intérêt,importance ou valeur, mais seulement d’une liste sélectionnée des plus exceptionnelsd’entre eux du point de vue international», cette notion reste subjective. Pourtant, cettenotion conditionne l’inscription d’un site sur la Liste. En effet, les dix critères élaborés ont étédéterminés par rapport à cette notion. De plus, lors de la rédaction du dossier d’inscription,les Etats doivent systématiquement remplir cette définition.

En effet, la valeur universelle exceptionnelle ne peut pas s’appuyer, comme la définitiondes patrimoines nationaux, sur la connaissance ni même sur l’esthétique, d’où la difficulté

67 HUYGUE François-Bernard, « Un patrimoine sans patrie ? », Cahiers de médiologie 7, « La confusion des monuments

», Paris, 1999

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II. Un instrument méconnu qui révèle des faiblesses

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de cette notion. Dans son article, «Patrimoine sans patrie», M. Huyge écrit à juste titre :«Pour le monument-trace, de quelle tradition, de quel terroir, de quelle histoire, de quelleidentité ceux qui n’ont pas la même mémoire doivent- ils chérir et conserver l’empreinte ?S’il s’agit du monument-message, encore faut-il qu’il engage celui qui n’en est pas ledestinataire intentionnel et qui, peut-être, ignore les morts, les proclamations, les victoires,les rites, les impératifs qui s’adressent à un autre groupe. Quant au monument-forme, ilrisque de se heurter à la relativité du goût, à la pluralité des techniques ou aux variationsd’échelle : ce qui apparaît ici remarquable, beau, impressionnant sera jugé là-bas terne,laid, incompréhensible, kitsch, inutile, grandiloquent.»

Cette expression au coeur de la Convention est donc subjective et incomplète.

b. Aux sources de la «crise d’identité» du Patrimoine MondialFace à l’ambiguïté de cette définition de l'élément crucial de l’application de la Convention,certains aspects ont été prédominants. Bien que les douze premiers sites inscrits en 197868

constituent un Patrimoine Mondial hétérogène et représentatif de 4 continents, la conceptionde valeur universelle exceptionnelle a rapidement évolué vers l’idée qu’il fallait représenter«le meilleur des meilleurs»69. Au cours des premières années de la Convention, on relèveune tendance marquée à inscrire des sites incontournables et connus de tous. C’est ainsique furent inscrits ces sites exceptionnels : les pyramides de Guizeh en Égypte, l’unedes sept merveilles du monde dans l’Antiquité; la vallée de Kathmandu au Népal, anciencarrefour des grandes civilisations asiatiques ; le Centre historique de Rome en Italie,centre de l'Empire romain, puis du monde chrétien; la Médina de Fès au Maroc, anciennecapitale du royaume du Maroc ; le Grand Canyon aux États-Unis, qui est l’un des plusspectaculaires du monde... On privilégiait ainsi l’exceptionnel au détriment de l’universel.En effet, bien que des spécialistes s’étaient penchés sur ce terme d’«universel» lors despremières réunions de l’Unesco en 1976, le fait de représenter un «ensemble d’idées oude valeurs universellement tenues pour importantes ou reconnues comme ayant, à uneépoque ou à une autre, exercé une influence sur l’évolution de l’humanité» est devenueprogressivement moins importante que la notion d’exceptionnalité. Cette politique alors miseen place par le Comité et les Etats s’illustre par le choix des sites dans les premièresdécennies suivant l’adoption de la Convention. Cette recherche d’unicité a ainsi mis envaleur trois déséquilibres. Tout d’abord, on a constaté que le Patrimoine Mondial était leplus souvent synonyme de Patrimoine Culturel. Alors que l’intégration des biens naturelssur la Liste fut une véritable bataille lors de l’adoption de la Convention, comme nous l’avonsconstaté, elle est souvent éclipsée au profit des biens culturels70.

68 Parc national historique de l’Anse aux Meadows / Parc national Nahanni (Canada), Iles Galapagos / Ville de Quito (Equateur),Parc National du Simien / Eglise creusées dans le roc de Lalibela (Ethiopie), Cathédrale d’Aix-la-Chapelle (RFA), Centre historiquede Cracovie / Wieliozka mine de sel (Pologne), Ile de Gorée (Sénégal), Nesa Verde / Yellowstone (Etats-Unis)69 Expression utilisée par Mme Christina Cameron lors de la 29ème session du Comité du Patrimoine Mondial en 2005 sur le conceptde Valeur Universelle exceptionnelle70 http://fr.wikipedia.org/wiki/Patrimoine_mondial , 2010

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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Culturel Naturel Mixte Total %Afrique 42 33 3 78 9 %États arabes 60 4 1 65 7 %Asie et Pacifique 129 48 9 1862 21 %Europe et Amérique du Nord 375 56 9 4402 49 %Amérique latine et Caraïbes 83 35 3 121 14 %Total 689 176 25 890 100 %

Une forte inégalité entre les régions fut ensuite décriée, ce qui peut s’apparaître commecontraire à l’esprit de la Convention qui vise à ce que la Liste du Patrimoine Mondialsoit représentative des richesses de l’Humanité. Le premier objectif des fondateurs de laconvention -la distribution équitable du Patrimoine Mondial dans les régions du monde- futun échec puisque dans les années 90 les sites situés en Europe dépassaient les 50%. Letableau ci-dessous issu de «La liste du Patrimoine Mondial, Combler les lacunes - un pland’action pour le futur» une étude de l’Icomos de 2005, permet de chiffrer ce manque dereprésentativité entre les continents :

Cependant, il est important ici de clarifier ce déséquilibre. Il est probable qu’il existeratoujours un déséquilibre entre les pays et les régions étant donné la diversité du patrimoineculturel et naturel. Il ne faut donc pas rechercher un équilibre entre les pays, mais ilfaut plutôt mettre l’accent sur une représentation égale de types particulier de patrimoinede valeur universelle exceptionnelle sur la Liste. On a constaté en effet qu’au-delà deces déséquilibres géographiques, les types de monuments ont été inégalement mis envaleur. L’étude de l’Icomos classe 14 catégories, qui montrent la répartition du patrimoinemondial par thème et aire géographique. Les sites archéologiques et les monumentsd’architecture tels que les vestiges de l’Antiquité, ainsi que les centres historiques et lesconstructions religieuses sont de loin les sites les plus représentés, à elles-seules cestrois catégories représentent près de deux tiers des sites inscrits. A l’inverse, cette étudemontre que certains types de biens culturels sont sous-représentés : les paysages agricoles,les techniques traditionnelles de production... De même, les biens religieux appartiennentprincipalement à la religion chrétienne (cathédrales, églises, établissements monastiques).Les manifestations des autres grandes religions mondiales, le judaïsme, le bouddhisme oul’hindouisme sont rares.

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Ces déséquilibres flagrants des années 90 ont été fortement critiquées par lesspécialistes. Fondée sur les monuments grandioses, cette conception a souvent été jugéeélitiste. De plus, le fait de privilégier la représentation de cultures mortes au détriment detraces de cultures bien vivantes fut très critiqué. Enfin, cette liste ne prenait pas en compteles dimensions spatiales, temporelles, et sociales du l’héritage culturel. Comme nous l’avonsdéjà constaté, cette conception a en outre renforcé la mauvaise compréhension de cet outilpar l’opinion. Le Comité du Patrimoine Mondial ainsi que les organismes de consultationse sont donc vite rendus compte que cette approche unilatérale ne pouvait être envisagéeplus longtemps. Des préparations d’études ont été déclenchées par le Secrétariat, et lesEtats ont été fortement encouragés à diversifier les sites qu’ils proposaient. En effet, l’heuren’était plus à mettre au centre la notion de «exceptionnel», mais à plus nettement redéfinir la«valeur universelle exceptionnelle». Comme l’exprime François-Bernard Huygue, «Unicité,universalité et responsabilité forment une trilogie : l’homme planétaire jouit solidairementdes biens sublimes que lui révèlent universellement science, raison et sentiment du beau».

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2. L’application de la «Stratégie Globale» depuis 1994 : une politique plusreprésentative?Les années 80 ont maintenu cette approche que l’on peut qualifier d’«élitiste», certainementà cause du faible nombre d’Etats inscrits à l’époque. Cependant, un changementconsidérable se mit en place dans les années 90, ce qui a donné un nouveau souffle à laListe.

a. L’évolution des critèresDès la fin des années 80, face à la popularité de la Convention et au nombre croissantd’Etats parties, le Comité du Patrimoine s’est préoccupé de la signification de la notion de«Valeur Universelle Exceptionnelle». L’Unesco a mis en place une «Stratégie Globale» pourune liste du Patrimoine Mondial représentative et crédible. Ce changement d’orientation futsensiblement rapide pour les biens culturels, il le fut moins pour les sites naturels du fait despropositions recommandées à cette époque par l’UICN. La Liste du Patrimoine Mondial doitdorénavant se révéler un instrument international de référence pour reconnaître la diversitéculturelle d’hier et d’aujourd’hui.

Ce changement de politique se mit en place grâce à deux moyens: la mobilisationdes Etats pour présenter des listes indicatives plus représentatives, et par une révisionprogressive des critères des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention.Afin de montrer ce basculement de politique, le Comité du Patrimoine Mondial modifiaprogressivement les Orientations. En effet, ces orientations sont par définition amenéesà être modifiées, et sont donc beaucoup plus souple que la Convention elle-même.L’évolution de l’interprétation des Orientations s’est faite selon un axe : rendre à la notionde «valeur universelle exceptionnelle» sa dimension anthropologique. En d’autres termes,faire du critère dominant la notion de représentativité. Dans les versions antérieuresdes Orientations, la valeur universelle exceptionnelle est définie comme étant une listesélective des biens les plus exceptionnels répondant à la définition des articles 1 et 2 de laConvention. Il en va tout autrement. Pour montrer cette évolution, j’ai étudié l’ensemble desOrientations depuis 1977 afin de souligner cette évolution.

Les premières Orientations de 1977 semblent aujourd’hui bien dépassées. On voitpar la simplicité des termes employés que toute la mesure de cette entreprise n’avaitpas été considérée. Avec les Orientations de 1980, on peut voir la prise de consciencede la nécessité de préciser les termes afin de les rendre moins subjectifs : «rare»a disparu au profit de «témoignage unique sur une civilisation disparue» ; de même,«développement» est remplacé par «situation historique significative». En outre, on éviteégalement les catégories trop précises comme sculptures monumentales, conception desjardins et paysages (...) pour un terme plus large : «développement majeur dans lesdomaines culturels, social, artistique, scientifique, techno ou industriel». Avec l’adoptiondes Orientations de 1984, il n’y a pas de changement majeur concernant les critères,mise à part que l’on passe de «structure» à «construction et ensembles architecturaux» et«situation» à «période historique». La grande avancée concerne l’apparition de la notion dereprésentativité dans l’article 35.

Mais le changement radical fut mis en place avecl’adoption des Orientations de 1992,qui ont eu pour objectif d’adapter le fonctionnement aux nouveaux problèmes rencontrés parla liste. Pour la première fois, on voit apparaître l’idée de ralentir volontairement l’inscriptionsur les listes indicatives de biens culturels pour les pays sur-représentés. Une harmonisationdes listes est demandée aux Etats afin de mettre en place cette politique de représentativité,

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en invitant «les Etats parties dont le patrimoine culturel n’est pas encore adéquatementreprésenté» a demandé assistance au Comité. L’article 114 renforce idée par l’ajout dela «représentation équitable» qui fait participer des experts des Pays les Moins Avancés(PMA) en incluant dans le budget une somme destinée à couvrir les frais de participationaux sessions des spécialistes de conservation du patrimoine culturel et naturel de cespays. De plus, la procédure d’inscription plus contraignante. La volonté d’une liste plusuniversellement représentative est déjà bien présente.

La Stratégie globale est issue des Orientations stratégiques de 1992. Le premierobjectif est de mettre en place les modifications apportées par les récentes orientations afind’instaurer une politique plus représentative. Le deuxième objectif de cette stratégie est derépondre aux critiques de «dévalorisation» de la Liste du Patrimoine. En effet le début desannées 90 correspond à un moment paradoxal de l’Histoire de la Convention. La liste àcette époque est victime de son succès. La multiplication des sites inscrits à cette périodeont fait dire à certains spécialistes que le Comité «classait à tour de bras», et que de ce faitla Liste ne répondait plus aux critères de valeur universelle exceptionnelle.

Afin de réaliser ces objectifs, elle devait favoriser un plus grand nombre de candidaturesassociées à des cultures et des régions plus diversifiées. L’Unesco demanda auxorganisations consultatives des études poussées sur les moyens de mettre en placeces stratégies. La création de nouvelles catégories comme l’architecture moderne ou lescomplexes industriels a donc été recommandée par l’ICOMOS. Dorénavant, la politiquede l’Unesco concernant le Patrimoine Mondial repose sur cette idée : « les exemplesreprésentatifs des meilleurs». On peut constater cette évolution par les critères retenusactuellement pour l’inscription des sites.

Il est intéressant de noter que les sites sont de plus en plus souvent inscrits au titrede plusieurs critères. Par exemple, il est perceptible que le critère d’exceptionnalité (I)pose problème pour la Communauté Internationale. En effet, seuls deux sites, le Châteaude Chambord et le Taj-Mahal sont inscrits au titre de ce seul critère. Dans la plupart descas, il est contrebalancé avec le critère antinomique de représentativité (III). On constateaujourd’hui une ouverture des catégories (ouverture aux paysages culturels, aux ensemblesde ville) même si certaines restent toujours exclues dans les faits (patrimoine architecturaldu XXème siècle et patrimoine industriel, question du patrimoine mobilier).71

Un critère essentiel à tout dossier d’inscription est le critère d’authenticité. Bien queles bâtisseurs de la liste du Patrimoine Mondial aient eu des intentions claires concernantce critère, il a suscité depuis de grandes controverses. Ce critère subjectif engendre desinégalités de traitement. Léon Pressouyre indique à juste titre que la cité de Carcassonerénovée a été ajournée par rapport à ce critère en 1985 alors que la ville de Rhodes, rénovéedans les mêmes proportions a été inscrite en 1988. On condamne aujourd’hui ce critèrequalifiée «d’européen». En effet, dans certains parties du monde, l’authenticité est liée ausavoir faire et non au matériau, ce qui pose un problème d’un point de vue scientifique.Concernant notamment le patrimoine naturel, un autre critère est essentiel, l’intégrité, c’est-à-dire le refus de toute anthropisation de la nature. Il ne peut principalement s’appliquerqu’à des grands espaces gérés par des équipes de spécialistes comme aux Etats-Unis ouau Canada.

b. Quel avenir pour la liste du Patrimoine Mondial?

71 Voir Annexe 9, concernant l’évolution des critères dans FRANCIONI, Francesco (dir.),The 1972 World Heritage Convention :A Commentary, Oxford : Oxford University Press, 2008

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La question de l’avenir de la Liste est souvent posée. Avec la notion de «valeur universelleexceptionnelle», on voit bien que, sur le plan qualitatif, la liste est susceptible d’êtremodifiée par le Comité du Patrimoine et les Etats. Peut-être assisterons-nous d’ailleurs àun prochain revirement si cette notion de «exemple représentatif des meilleurs» entrainecomme précédemment une dévalorisation de la liste. En effet, la notion de représentativitérépond partiellement au péril de l’incomplétude de la liste et donc de l’injustice entre lesEtats. Certes, les Etats n’ayant pas de biens inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial sontincités et assistés par l’organisation mais il existe toujours un sentiment d’inégalité face auxdifficultés pratiques que peuvent rencontrer certains Etats (environ 50 Etats n’ont toujoursaucun bien sur la liste du Patrimoine Mondial).

Un autre aspect intéressant est l’aspect quantitatif. En effet, la Convention « ne stipuleaucune limite quant au nombre des propositions d’inscription que peut présenter un seul Étatpartie », la question de poser un numerus clausus a donc de nombreuses fois été évoquées.En effet, avec plus de 1500 sites en attente sur les listes indicatives, la prolifération desbiens présents sur la Liste peut aussi entrainer une dépréciation et une perte de crédibilité.En outre, il ne faut pas oublier que l’objectif de la Convention est la protection des sites. Uneliste interminable de sites rendrait la protection inefficace. Quelle réponse adoptée? Pour lemoment, même le Comité du Patrimoine Mondial s’interroge sur cette question72.

Au-delà de ces enjeux, il semble primordial de se concentrer sur les objectifs dela Convention aujourd’hui, qui sont la protection et la collaboration entre nations. A cesujet, l’une des idées répandues est l’obtention du Patrimoine mondial, «sinon rien». Cetteperception est bien évidemment totalement erronée. La Convention vise également àsoutenir les Etats parties dans leur politique de valorisation leur patrimoine. Réfléchir àl’établissement de liens plus soutenus entre les activités du Comité du Patrimoine Mondialet des programmes spécifiques de protection. Un engouement de ces associations seraitun élan considérable pour la conservation mondiale.

72 Voir le Rapport de la Réunion spéciale d’experts de la Convention du patrimoine mondial : le concept de « valeur universelleexceptionnelle », Kazan, République du Tatarstan, Fédération de Russie, Unesco, 2005

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Conclusion

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Conclusion

«De quelle tradition, de quel terroir, de quelle histoire, de quelle identité ceux qui

n’ont pas la même mémoire doivent- ils chérir et conserver l’empreinte ? 73 »

Cette question résume le «long cheminement intellectuel et diplomatique» seméd’embûches qui fut nécessaire à l’élaboration de cette notion de Patrimoine Mondial.Ce «patrimoine sans patrie» selon l’expression de François-Bernard Huygue estintrinsèquement contradictoire et suscite naturellement débats et passions.

Comme nous l’avons vu, le patrimoine est historiquement lié aux nations. Synonymed’identité, la protection du patrimoine est tout d’abord pensé à un niveau national voiremême régional. Détruit à certaines époques, chéri à d’autres, le patrimoine fut l’objetde législations nationales tardivement. De la protection du patrimoine privé au collectif,et du patrimoine mobilier au monumental, l’élargissement de la notion de patrimoinese fait au-delà des frontières avec l’apparition d’un patrimoine universel. Les premièrespréoccupations d’un héritage commun remontent aux premières formes de protection quiconcernent les monuments culturels en temps de guerre. Puis, certains humanistes commeRoerich ont poussé cette «neutralisation» du patrimoine en leur donnant une valeur de paixet d’universalité. Les désastres de la deuxième guerre mondiale ont été malheureusementle déclencheur de cette invention et de la nécessité d’instaurer un régime de protectionpour les biens d’une telle valeur pour l’humanité qu’ils doivent être protégés et transmisaux futures générations. A la fois dans une optique de collaboration entre les Etats et deprotection des sites les plus fabuleux, cette mission fut logiquement confiée à l’Unesco,qui adopta la Convention du Patrimoine Mondial en 1972. Malgré les péripéties de sonadoption, la Convention du Patrimoine Mondial, grâce à la mise en place de la Listedes sites exceptionnels de l’Humanité, défend une politique culturelle mondiale couronnéede succès. Initiateur, gérant et gardien de la Liste, le Comité du Patrimoine Mondial adéjà considérablement contribué au développement des théories de conservation et derestauration du patrimoine, désormais acceptées mondialement.

Au-delà de la protection, cette convention est un formidable pas en avant dans l’idéede créer une solidarité entre les Etats. La découverte et l’apprentissage de la diversitéculturelle sont en effet au cœur de la Convention pour échanger et mieux se connaitre,afin d’œuvrer pour la paix. Tels sont les ambitions de cet instrument international sur laprotection des biens culturels. En outre, l’aspect le plus important à mes yeux de cet outil estla naissance d’un «idéal». Du point de vue juridique, elle fait entrer progressivement dansla coutume l’idée d’un destin commun de l’Humanité. Selon les termes de Michel Parent,l’ «Humanisme» qui découle de cette Liste du Patrimoine est en soi un rapprochemententre les Hommes. Une phrase de M. Dupret résume bien cette ambition : «Je considère laliste du patrimoine mondial comme 900 portes pour comprendre l’humanité, et comprendrel’Homme.».

Cependant, entre l’idéal et la réalité, il y a un fossé. Nous avons vu en effet que c’estune notion encore en pleine maturation. Les lacunes sont pourtant principalement dues à

73 HUYGUE François-Bernard, « Un patrimoine sans patrie ? », Cahiers de médiologie 7, « La confusion des monuments

», Paris, 1999

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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une cause : la Convention et de ce fait la Liste, restent une affaire d’Etats. Le compromisfragile entre les intérêts des Etats et une organisation internationale engendre des difficultés.Poussés par leurs intérêts, la convention devient contre-productive puisqu’elle devient unlieu de lobbying. En outre, les Etats par refus d’ingérence adoptent des comportements de«passager clandestin» et ne se plient aux modestes obligations découlant de la Convention.

Ensuite, les Etats, principaux relais d’information des réalisations et ambitions de laListe du Patrimoine Mondial, ne communiquent pas. Les citoyens sont donc exclus de cetteentreprise, alors qu’ils en sont les principaux intéressés. Exclus du projet par une mauvaiseinformation des buts de la Liste, comparée souvent à un «guide de voyage» par une miseà l’écart des institutions dans le cas de sites comme la Réserve de Dja au Cameroun, laparticipation citoyenne doit être au cœur des politiques du Centre du Patrimoine Mondial.Enfin, la «valeur universelle exceptionnelle», notion au centre du Patrimoine Mondial, estdifficile à mettre en application du fait de sa définition trop large. Dans un premier temps,synonyme de l’inscription des plus beaux sites du monde entier, elle est aujourd’hui àl’origine de la dynamique de nombreuses régions. Cependant, cette évolution de la valeuruniverselle exceptionnelle est un point positif. Elle est le signe d’une remise en questionpermanente et de la vie de la Liste du Patrimoine Mondial. Elle évolue doucement du faitdes nombreux domaines qu’elle implique : culture et environnement sans aucun doutemais également économie et développement, les domaines artistiques, politiques,… C’estpour cette raison que la compréhension de cette notion devrait s’ouvrir à de multiplesacteurs : collectivités locales, experts extérieurs à l’ONU, et pourquoi une consultation dela population...

Aujourd’hui ratifiée par la quasi-totalité des pays de la planète, la Convention a sansaucun doute de beaux jours devant elle, à condition que des réformes soient envisagéespar les instances dirigeantes. Des nombreux efforts ont été engagés par le Comité duPatrimoine Mondial. Outre sa recherche de représentativité, elle se concentre aujourd’huisur la diffusion de cette Liste. A ce sujet, rappelons que l’approche de la célébration desquarante ans de la Convention en 2012 sera un événement décisif.

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Bibliographie

GLAPA Axelle - 2010 69

Bibliographie

Ouvrages

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D. AUDRERIE, R. SOUCHIER, L. VILARAMOND, Le Patrimoine Mondial, Paris : PUF,1998. 128 p, Coll. Que sais-je ?, n° 3436.

RECHT, Roland, Penser le Patrimoine, Mise en scène et mise en ordre de l'art -Nouvelle édition augmentée, Paris : Hazan, 2008, 320 p

FONTANEL, Jacques (dir.), Civilisation, globalisations, guerre, Grenoble : PUG, 2003,128p, Coll. Débats

DIOUBATE Badara La Banque Mondiale et les pays en développement,, Paris,l’Harmattan, 2009

Sous la direction d’Abdulqawi A. YUSUF, L'action normative à l'Unesco : essais[actes du colloque du 9 et 10 mars 2006 à Paris] à l' occasion du 60e anniversairede l’UNESCO Volume I - Elaboration de règles internationales sur l'éducation, lascience et la culture Leiden ; Boston ; Paris : Martinus Nijhoff : UNnesco, cop. 2007,Collection Ouvrages de référence de l'Unesco

FRANCIONI Francesco. Des Biens culturels au patrimoine culturel: l'évolutiondynamique d'un concept et de son extension in L'action normative à l'Unesco :Volume I - Elaboration de règles internationales sur l'éducation, la science et laculture, Leiden ; Boston ; Paris : Martinus Nijhoff : Unesco, cop. 2007, CollectionOuvrages de référence de l'Unesco, p221-236

DUPUY Pierre-Marie, Incidence des instruments juridiques adoptés par l’Unesco surle droit international général in L'action normative à l'Unesco : Volume I - Elaborationde règles internationales sur l'éducation, la science et la culture, Leiden ; Boston ;Paris : Martinus Nijhoff : Unesco, cop. 2007, Collection Ouvrages de référence del'Unesco,p. 351-363

KONO Toshiyuki, L'Unesco et le patrimoine culturel immatériel du point de vue dudéveloppement durable, in L'action normative à l'Unesco: Volume I - Elaboration derègles internationales sur l'éducation, la science et la culture, Leiden ; Boston ; Paris :Martinus Nijhoff : Unesco, cop. 2007, Collection Ouvrages de référence de l'Unesco,p237-265

AAFU (Association des anciens fonctionnaires de l’Unesco). BATISSE, Michel etBOLLA Gerard, L’Invention du Patrimoine Mondial . Les cahiers du Club de l’Histoire.Regard sur l’action de l’Unesco par des acteurs et des témoins Cahier 2. 2005

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

70 GLAPA Axelle - 2010

SEN Amartya “How Does Culture Matter?" in V. Rao and M. Walton (eds.), Culture andPublic Action, Washington, DC. : The World Bank, 2004

Manuels de référence

DUPUY Pierre-Marie, Droit International Public - 8e edition, Paris : Dalloz, 2006

FRIER Pierre-Laurent, Droit du patrimoine culturel, Paris : Editions PressesUniversitaires de France, 1997, 526 p.

GUILLOT Philippe Ch.-A., Droit du patrimoine culturel et naturel, Paris : Ellipses, 2006,160p

POULOT Dominique, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIè-XXIè siècle Paris :PUF, 2006, 192 p, Collection Le nœud Gordien

Articles

HUYGUE François-Bernard, « Un patrimoine sans patrie ? », Cahiers de médiologie 7,« La confusion des monuments », Paris, 1999

GOY Raymond, La destruction intentionnelle du patrimoine culturel en DroitInternational, Paris : RGDIP, 2005, n°2, pp. 273-304

CAPLA Gabrielle, Révolte silencieuse pour sauver l’Unesco, Le Monde Diplomatique,Septembre 2009.

PRESSOUYRE Leon, The Past is not just made of stone, in Seven writers in a world ofwonders, Unesco courier, December 2000 pp 18-19

ONOHOLI Souley, Patrimoine mondial : l’Afrique se concerte au Cameroun, LeMessager, Jeudi 24 Juin 2010, http://www.lemessager.net/2010/06/patrimoine-mondial-l%E2%80%99afrique-se-concerte-au-cameroun

DONGMO Stéphane, Patrimoine Mondial : 23 pays réfléchissent à la conservation,Quotidien Le Jour, 22 Juin 2010

An ICOMOS study compiled by Jukka Jokilehto, with contributions from ChristinaCameron, Michel Parent and Michael Petzet, The World Heritage List What is OUV?Defining the Outstanding Universal Value of Cultural World Heritage Properties,Berlin: Hendrik Bäßler Verlag, 2008. 111 p.

Sites Internet

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Bibliographie

GLAPA Axelle - 2010 71

Site officiel du Centre du Patrimoine Mondial (en ligne) http://whc.unesco.org/fr/35/

Site officiel du Conseil international des Monuments et des Sites (en ligne) http://www.international.icomos.org/home_fra.htm

Textes législatifs

Acte constitutif de l’Unesco, adopté à Londres le 16 novembre 1945

Actes de la Conférence Générale, Quatorzième session, 1966,

Conférence des Nations Unies sur l’Environnement, Stockholm, 5 au 16 juin 1972.Déclaration sur l’environnement, Stockholm, 1972.

Publications de l’Icomos, Unesco, Centre du Patrimoine Mondial

Rapport du Comité du Patrimoine Mondial, Trente-quatrième session, Brésil 25juillet-3 août 2010, Réflexion sur l’avenir de la Convention du patrimoine mondial,Préparation du 40e Anniversaire de la Convention du patrimoine mondial (2012),WHC-10/34.COM/12B Paris,11 juin 2010

Rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement, Notre Diversitécréatrice, Paris, Juillet 1996

Rapport de mission Suivi de l’état de la conservation de la Réserve de Faune de Dja enRépublique du Cameroun, site de Patrimoine Mondial 23-30 Juin 2006

Entretiens

Dimanche 4 avril 2010, Rencontre avec M. Hideo Noguchi et Mme Anne-ChantalLampe, fonctionnaires de l’Unesco

Jeudi 22 Avril 2010, Entretien téléphonique avec Mme Catherine O’Miel, Directrice del’association Bassin Minier Uni

Mercredi 23 Juin 2010, Entretien téléphonique avec Mme Marie Patou, Chargée deMission, Bassin Minier Uni

Jeudi 6 Juillet 2010, Entretien téléphonique avec Tito Dupret

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

72 GLAPA Axelle - 2010

Annexes

Annexe 1 : Convention du Patrimoine Mondial

La Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, lascience et la culture, réunie à Paris du 17 octobre au 21 novembre 1972, en sa dix- septièmesession,

Constatant que le patrimoine culturel et le patrimoine naturel sont de plus en plusmenacés de destruction non seulement par les causes traditionnelles de dégradation maisencore par l'évolution de la vie sociale et économique qui les aggrave par des phénomènesd'altération ou de destruction encore plus redoutables,

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 73

Considérant que la dégradation ou la disparition d'un bien du patrimoine culturel etnaturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde,

Considérant que la protection de ce patrimoine à l'échelon national reste souventincomplète en raison de l'ampleur des moyens qu'elle nécessite et de l'insuffisance desressources économiques, scientifiques et techniques du pays sur le territoire duquel setrouve le bien à sauvegarder,

Rappelant que l'Acte constitutif de l'Organisation prévoit qu'elle aidera au maintien,à l'avancement et à la diffusion du savoir en veillant à la conservation et protectiondu patrimoine universel et en recommandant aux peuples intéressés des conventionsinternationales à cet effet,

Considérant que les conventions, recommandations et résolutions internationalesexistantes en faveur des biens culturels et naturels démontrent l'importance que présente,pour tous les peuples du monde, la sauvegarde de ces biens uniques et irremplaçables àquelque peuple qu'ils appartiennent,

Considérant que certains bien du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêtexceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu'élément du patrimoine mondial del'humanité tout entière,

Considérant que devant l'ampleur et la gravité des dangers nouveaux qui lesmenacent il incombe à la collectivité internationale tout entière de participer à la protectiondu patrimoine culturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle, par l'octroi d'uneassistance collective qui sans se substituer à l'action de l'Etat intéressé la compléteraefficacement,

Considérant qu'il est indispensable d'adopter à cet effet de nouvelles dispositionsconventionnelles établissant un système efficace de protection collective du patrimoineculturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle organisé d'une façon permanente etselon des méthodes scientifiques et modernes,

Après avoir décidé lors de sa seizième session que cette question ferait l'objet d'uneConvention internationale,

Adopte ce seizième jour de novembre 1972 la présente Convention.IDEFINITIONS DU PATRIMOINE CULTUREL ET NATURELArticle 1Aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine culturel" :− les monuments: œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales,

éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupesd'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, del'art ou de la science,

− les ensembles: groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leurarchitecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science,

− les sites: œuvres de l'homme ou œuvres conjuguées de l'homme et de la nature,ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.

Article 2

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

74 GLAPA Axelle - 2010

Aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine naturel" :− les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou

par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du pointde vue esthétique ou scientifique,

− les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitéesconstituant l'habitat d'espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation,

− les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeuruniverselle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauténaturelle.

Article 3Il appartient à chaque Etat partie à la présente Convention d'identifier et de délimiter

les différents biens situés sur son territoire et visés aux articles 1 et 2 ci- dessus.II.PROTECTION NATIONALE ET PROTECTION INTERNATIONALE DU

PATRIMOINE CULTUREL ET NATURELArticle 4Chacun des Etats parties à la présente Convention reconnaît que l'obligation d'assurer

l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission auxgénérations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur sonterritoire, lui incombe en premier chef. Il s'efforce d'agir à cet effet tant par son propre effortau maximum de ses ressources disponibles que, le cas échéant, au moyen de l'assistanceet de la coopération internationales dont il pourra bénéficier, notamment aux plans financier,artistique, scientifique et technique.

Article 5Afin d'assurer une protection et une conservation aussi efficaces et une mise en valeur

aussi active que possible du patrimoine culturel et naturel situé sur leur territoire et dansles conditions appropriées à chaque pays, les Etats parties à la présente Conventions'efforceront dans la mesure du possible :

(a)d'adopter une politique générale visant à assigner une fonction au patrimoine culturelet naturel dans la vie collective, et à intégrer la protection de ce patrimoine dans lesprogrammes de planification générale ;

(b)d'instituer sur leur territoire, dans la mesure ou ils n'existent pas, un ou plusieursservices de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel et naturel,dotés d'un personnel approprié, et disposant des moyens lui permettant d'accomplir lestâches qui lui incombent ;

(c)de développer les études et les recherches scientifiques et techniques etperfectionner les méthodes d'intervention qui permettent à un Etat de faire face aux dangersqui menacent son patrimoine culturel ou naturel ;

(d)de prendre les mesures juridiques, scientifiques, techniques, administratives etfinancières adéquates pour l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeuret la réanimation de ce patrimoine ; et

(e)de favoriser la création ou le développement de centres nationaux ou régionaux deformation dans le domaine de la protection, de la conservation et de la mise en valeur dupatrimoine culturel et naturel et d'encourager la recherche scientifique dans ce domaine.

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 75

Article 61.En respectant pleinement la souveraineté des Etats sur le territoire desquels est

situé le patrimoine culturel et naturel visé aux articles l et 2, et sans préjudice des droitsréels prévus par la législation nationale sur ledit patrimoine, les Etats parties à la présenteconvention reconnaissent qu'il constitue un patrimoine universel pour la protection duquella communauté internationale tout entière a le devoir de coopérer.

2.Les Etats parties s'engagent en conséquence, et conformément aux dispositionsde la présente convention, à apporter leur concours à l'identification, à la protection, à laconservation et à la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel visé aux paragraphes2 et 4 de l'article 11 si l'Etat sur le territoire duquel il est situé le demande.

3.Chacun des Etats parties à la présente convention s'engage à ne prendredélibérément aucune mesure susceptible d'endommager directement ou indirectement lepatrimoine culturel et naturel visé aux articles l et 2 qui est situé sur le territoire d'autresEtats parties à cette convention.

Article 7Aux fins de la présente convention, il faut entendre par protection internationale du

patrimoine mondial culturel et naturel la mise en place d'un système de coopération etd'assistance internationales visant à seconder les Etats parties à la convention dans lesefforts qu'ils déploient pour préserver et identifier ce patrimoine.

III.COMITE INTERGOUVERNEMENTAL DE LA PROTECTION DU PATRIMOINEMONDIAL CULTUREL ET NATUREL

Article 81.Il est institué auprès de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science

et la culture, un Comité intergouvernemental de la protection du patrimoine culturel et naturelde valeur universelle exceptionnelle dénommé "le Comité du patrimoine mondial". Il estcomposé de 15 Etats parties à la convention, élus par les Etats parties à la conventionréunis en assemblée générale au cours de sessions ordinaires de la Conférence généralede l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. Le nombredes Etats membres du Comité sera porté à 21 à compter de la session ordinaire de laConférence générale qui suivra l'entrée en vigueur de la présente convention pour au moins40 Etats.

2.L'élection des membres du Comité doit assurer une représentation équitable desdifférentes régions et cultures du monde.

3.Assistent aux séances du Comité avec voix consultative un représentant du Centreinternational d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels

(Centre de Rome), un représentant du Conseil international des monuments et dessites (ICOMOS), et un représentant de l'Union internationale pour la conservation de lanature et de ses ressources (UICN), auxquels peuvent s'ajouter, à la demande des Etatsparties réunis en assemblée générale au cours des sessions ordinaires de la Conférencegénérale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture,des représentants d'autres organisations intergouvernementales ou non gouvernementalesayant des objectifs similaires.

Article 9

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

76 GLAPA Axelle - 2010

1.Les Etats membres du Comité du patrimoine mondial exercent leur mandat depuis lafin de la session ordinaire de la Conférence générale au cours de laquelle ils ont été élusjusqu'à la fin de sa troisième session ordinaire subséquente.

2.Toutefois, le mandat d'un tiers des membres désignés lors de la première élection seterminera à la fin de la première session ordinaire de la Conférence générale suivant celleau cours de laquelle ils ont été élus et le mandat d'un second tiers des membres désignésen même temps, se terminera à la fin de la deuxième session ordinaire de la Conférencegénérale suivant celle au cours de laquelle ils ont été élus. Les noms de ces membres seronttirés au sort par le Président de la Conférence générale après la première élection.

3.Les Etats membres du Comité choisissent pour les représenter des personnesqualifiées dans le domaine du patrimoine culturel ou du patrimoine naturel.

Article 101.Le Comité du patrimoine mondial adopte son règlement intérieur.2.Le Comité peut à tout moment inviter à ses réunions des organismes publics ou

privés, ainsi que des personnes privées, pour les consulter sur des questions particulières.3.Le Comité peut créer les organes consultatifs qu'il estime nécessaires à l'exécution

de sa tâche.Article 111.Chacun des Etats parties à la présente convention soumet, dans toute la mesure du

possible, au Comité du patrimoine mondial un inventaire des biens du patrimoine culturelet naturel situés sur son territoire et susceptibles d'être inscrits sur la liste prévue auparagraphe 2 du présent article. Cet inventaire, qui n'est pas considéré comme exhaustif,doit comporter une documentation sur le lieu des biens en question et sur l'intérêt qu'ilsprésentent.

2.Sur la base des inventaires soumis par les Etats en exécution du paragraphe 1 ci-dessus, le Comité établit, met à jour et diffuse, sous le nom de "liste du patrimoine mondial",une liste des biens du patrimoine culturel et du patrimoine naturel, tels qu'ils sont définis auxarticles 1 et 2 de la présente convention, qu'il considère comme ayant une valeur universelleexceptionnels en application des critères qu'il aura établis. Une mise à jour de la liste doitêtre diffusée au moins tous les deux ans.

3.L'inscription d'un bien sur la liste du patrimoine mondial ne peut se faire qu'avec leconsentement de l'Etat intéressé. L'inscription d'un bien situé sur un territoire faisant l'objetde revendication de souveraineté ou de juridiction de la part de plusieurs Etats ne préjugeen rien les droits des parties au différend.

4.Le Comité établit, met à jour et diffuse, chaque fois que les circonstances l'exigent,sous le nom de "liste du patrimoine mondial en péril", une liste des biens figurant sur la listedu patrimoine mondial pour la sauvegarde desquels de grands travaux sont nécessaireset pour lesquels une assistance à été demandée aux termes de la présente convention.Cette liste contient une estimation du coût des opérations. Ne peuvent figurer sur cetteliste que des biens du patrimoine culturel et naturel qui sont menacés de dangers graveset précis, tels que menace de disparition due à une dégradation accélérée, projets degrands travaux publics ou privés, rapide développement urbain et touristique, destructiondue à des changements d'utilisation ou de propriété de la terre, altérations profondes duesà une cause inconnue, abandon pour des raisons quelconques, conflit armé venant oumenaçant d'éclater, calamités et cataclysmes, grands incendies, séismes, glissements de

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 77

terrain, éruptions volcaniques, modification du niveau des eaux, inondations, raz de marée.Le Comité peut, à tout moment, en cas d'urgence, procéder à une nouvelle inscription surla liste du patrimoine mondial en péril et donner à cette inscription une diffusion immédiate.

5.Le Comité définit les critères sur la base desquels un bien du patrimoine culturel etnaturel peut être inscrit dans l'une ou l'autre des listes visées aux paragraphes 2 et 4 duprésent article.

6.Avant de refuser une demande d'inscription sur l'une des deux listes visées auxparagraphes 2 et 4 du présent article, le Comité consulte l'Etat partie sur le territoire duquelest situé le bien du patrimoine culturel ou naturel dont il s'agit.

7.Le Comité, avec l'accord des Etats intéressés, coordonne et encourage les étudeset les recherches nécessaires à la constitution des listes visées aux paragraphes 2 et 4 duprésent article.

Article 12Le fait qu'un bien du patrimoine culturel et naturel n'ait pas été inscrit sur l'une ou

l'autre des deux listes visées aux paragraphes 2 et 4 de l'article 11 ne saurait en aucunemanière signifier qu'il n'a pas une valeur universelle exceptionnelle à des fins autres quecelles résultant de l'inscription sur ces listes.

Article 131.Le Comité du patrimoine mondial reçoit et étudie les demandes d'assistance

internationale formulées par les Etats parties à la présente Convention en ce qui concerneles biens du patrimoine culturel et naturel situés sur leur territoire, qui figurent ou sontsusceptibles de figurer sur les listes visées aux paragraphes 2 et 4 de l'article 11. Cesdemandes peuvent avoir pour objet la protection, la conservation, la mise en valeur ou laréanimation de ces biens.

2.Les demandes d'assistance internationale en application du paragraphe 1 du présentarticle peuvent aussi avoir pour objet l'identification de biens du patrimoine culturel et natureldéfini aux articles 1 et 2, lorsque des recherches préliminaires ont permis d'établir que cesdernières méritaient d'être poursuivies.

3.Le Comité décide de la suite à donner à ces demandes, détermine, le cas échéant, lanature et l'importance de son aide et autorise la conclusion, en son nom, des arrangementsnécessaires avec le gouvernement intéressé.

4.Le Comité fixe un ordre de priorité pour ses interventions. Il le fait en tenant comptede l'importance respective des biens à sauvegarder pour le patrimoine mondial culturel etnaturel, de la nécessité d'assurer l'assistance internationale aux biens les plus représentatifsde la nature ou du génie et de l'histoire des peuples du monde et de l'urgence des travaux àentreprendre, de l'importance des ressources des Etats sur le territoire desquels se trouventles biens menacés et en particulier de la mesure dans laquelle ils pourraient assurer lasauvegarde de ces biens par leurs propres moyens.

5.Le Comité établit, met à jour et diffuse une liste des biens pour lesquels uneassistance internationale à été fournie.

6.Le Comité décide de l'utilisation des ressources du Fonds créé aux termes de l'article15 de la présente Convention. Il recherche les moyens d'en augmenter les ressources etprend toutes mesures utiles à cet effet.

7.Le Comité coopère avec les organisations internationales et nationales,gouvernementales et non gouvernementales, ayant des objectifs similaires à ceux de la

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

78 GLAPA Axelle - 2010

présente Convention pour la mise en œuvre de ses programmes et l'exécution de sesprojets, le Comité peut faire appel à ces organisations, en particulier au Centre internationald'études pour la conservation et la restauration des biens culturels (Centre de Rome), auConseil international des monuments et des sites (ICOMOS) et à l'Union internationale pourla conservation de la nature et de ses ressources (UICN), ainsi qu'à d'autres organismespublics ou privés et à des personnes privées.

8.Les décisions du Comité sont prises à la majorité des deux tiers des membresprésents et votants. Le quorum est constitué par la majorité des membres du Comité.

Article 141.Le Comité du patrimoine mondial est assisté par un secrétariat nommé par le

Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et laculture.

2.Le Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la scienceet la culture, utilisant le plus possible les services du Centre international d'études pourla conservation et la restauration des biens culturels (Centre de Rome), du Conseilinternational des monuments et des sites (ICOMOS), et de l'Union internationale pourla conservation de la nature et de ses ressources (UICN), dans les domaines de leurscompétences et de leurs possibilités respectives, prépare la documentation du Comité,l'ordre du jour de ses réunions et assure l'exécution de ses décisions.

IV.FONDS POUR LA PROTECTION DU PATRIMOINE MONDIAL CULTUREL ETNATUREL

Article 15l.Il est créé un fonds pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de

valeur universelle exceptionnelle, dénommé "Le Fonds du patrimoine mondial".2.Le Fonds est constitué en fonds de dépôt, conformément aux dispositions du

règlement financier de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et laculture.

3.Les ressources du Fonds sont constituées par :(a) les contributions obligatoires et les contributions volontaires des Etats parties à la

présente convention ;(b) les versements, dons ou legs que pourront faire :(i)d'autres Etats,(ii)l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, les autres

organisations du système des Nations Unies, notamment le Programme de développementdes Nations Unies et d'autres organisations intergouvernementales,

(iii)des organismes publics ou privés ou des personnes privées ;(c)tout intérêt dû sur les ressources du Fonds ;(d)le produit des collectes et les recettes des manifestations organisées au profit du

Fonds et(e)toutes autres ressources autorisées par le règlement qu'élaborera le Comité du

patrimoine mondial.4.Les contributions au Fonds et les autres formes d'assistance fournies au Comité ne

peuvent être affectées qu'aux fins définies par lui. Le Comité peut accepter des contributions

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 79

ne devant être affectées qu'à un certain programme ou à un projet particulier, à la conditionque la mise en œuvre de ce programme ou l'exécution de ce projet ait été décidée par leComité. Les contributions au Fonds ne peuvent être assorties d'aucune condition politique.

Article 161.Sans préjudice de toute contribution volontaire complémentaire, les Etats parties à

la présente convention s'engagent à verser régulièrement, tous les deux ans, au Fondsdu patrimoine mondial des contributions dont le montant, calculé selon un pourcentageuniforme applicable à tous les Etats, sera décidé par l'assemblée générale des Etats partiesà la convention, réunis au cours de sessions de la Conférence générale de l'Organisationdes Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. Cette décision de l'assembléegénérale requiert la majorité des Etats parties présents et votants qui n'ont pas faitla déclaration visée au paragraphe 2 du présent article. En aucun cas, la contributionobligatoire des Etats parties à la convention ne pourra dépasser 1% de sa contributionau budget ordinaire de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et laculture.

2.Toutefois, tout Etat visé à l'article 31 ou à l'article 32 de la présente convention peut, aumoment du dépôt de ses instruments de ratification, d'acceptation ou d'adhésion, déclarerqu'il ne sera pas lié par les dispositions du paragraphe (1) du présent article.

3.Un Etat partie à la convention ayant fait la déclaration visée au paragraphe (2) duprésent article, peut à tout moment retirer ladite déclaration moyennant notification duDirecteur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et laculture. Toutefois, le retrait de la déclaration n'aura d'effet sur la contribution obligatoire duepar cet Etat qu'à partir de la date de l'assemblée générale des Etats parties qui suivra.

4.Afin que le Comité soit en mesure de prévoir ses opérations d'une manière efficace,les contributions des Etats parties à la présente convention, ayant fait la déclaration viséeau paragraphe 2 du présent article, doivent être versées sur une base régulière, au moinstous les deux ans, et ne devraient pas être inférieures aux contributions qu'ils auraient dûverser s'ils avaient été liés par les dispositions du paragraphe l du présent article.

5.Tout Etat partie à la convention qui est en retard dans le paiement de sa contributionobligatoire ou volontaire en ce qui concerne l'année en cours et l'année civile qui l'aimmédiatement précédée, n'est pas éligible au Comité du patrimoine mondial, cettedisposition ne s'appliquant pas lors de la première élection. Le mandat d'un tel Etat quiest déjà membre du Comité prendra fin au moment de toute élection prévue à l'article 8,paragraphe 1, de la présente convention.

Article 17Les Etats parties à la présente convention envisagent ou favorisent la création de

fondations ou d'associations nationales publiques et privées ayant pour but d'encouragerles libéralités en faveur de la protection du patrimoine culturel et naturel défini aux articlesl et 2 de la présente Convention.

Article 18Les Etats parties à la présente Convention prêtent leur concours aux campagnes

internationales de collecte qui sont organisées au profit du Fonds du patrimoine mondialsous les auspices de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et laculture. Ils facilitent les collectes faites à ces fins par des organismes mentionnés auparagraphe 3, article 15.

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

80 GLAPA Axelle - 2010

V. CONDITIONS ET MODALITES DE L'ASSISTANCE INTERNATIONALE Article 19Tout Etat partie à la présente Convention peut demander une assistance internationale

en faveur de biens du patrimoine culturel ou naturel de valeur universelle exceptionnellesitués sur son territoire. Il doit joindre à sa demande les éléments d'information et lesdocuments prévus à l'article 21 dont il dispose et dont le Comité à besoin pour prendre sadécision.

Article 20Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 de l'article 13, de l'alinéa (c) de l'article

22, et de l'article 23, l'assistance internationale prévue par la présente Convention ne peutêtre accordée qu'à des biens du patrimoine culturel et naturel que le Comité du patrimoinemondial a décidé ou décide de faire figurer sur l'une des listes visées aux paragraphes 2et 4 de l'article 11.

Article 211.Le Comité du patrimoine mondial définit la procédure d'examen des demandes

d'assistance internationale qu'il est appelé à fournir et précise notamment les éléments quidoivent figurer dans la demande, laquelle doit décrire l'opération envisagée, les travauxnécessaires, une estimation de leur coût, leur urgence et les raisons pour lesquelles lesressources de l'Etat demandeur ne lui permettent pas de faire face à la totalité de la dépense.Les demandes doivent, chaque fois que possible, s'appuyer sur l'avis d'experts.

2.En raison des travaux qu'il peut y avoir lieu d'entreprendre sans délai, les demandesfondées sur des calamités naturelles ou des catastrophes doivent être examinées d'urgenceet en priorité par le Comité, qui doit disposer d'un fonds de réserve servant à de telleséventualités.

3.Avant de prendre une décision, le Comité procède aux études et aux consultationsqu'il juge nécessaires.

Article 22L'assistance accordée par le Comité du patrimoine mondial peut prendre les formes

suivantes :(a)études sur les problèmes artistiques, scientifiques et techniques que posent la

protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation du patrimoine culturel etnaturel, tel qu'il est défini aux paragraphes 2 et 4 de l'article 11 de la présente Convention ;

(b)mise à la disposition d'experts, de techniciens et de main-d'œuvre qualifiée pourveiller à la bonne exécution du projet approuvé ;

(c)formation de spécialistes de tous niveaux dans le domaine de l'identification, de laprotection, de la conservation, de la mise en valeur et de la réanimation du patrimoineculturel et naturel ;

(d)fourniture de l'équipement que l'Etat intéressé ne possède pas ou n'est pas enmesure d'acquérir ;

(e)prêts à faible intérêt, sans intérêt, ou qui pourraient être remboursés à long terme ;(f)octroi, dans des cas exceptionnels et spécialement motivés, de subventions non

remboursables.Article 23

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 81

Le Comité du patrimoine mondial peut également fournir une assistance internationaleà des centres nationaux ou régionaux de formation de spécialistes de tous niveaux dans ledomaine de l'identification, de la protection, de la conservation, de la mise en valeur et dela réanimation du patrimoine culturel et naturel.

Article 24Une assistance internationale très importante ne peut être accordée qu'après une

étude scientifique, économique et technique détaillée. Cette étude doit faire appel auxtechniques les plus avancées de protection, de conservation, de mise en valeur et deréanimation du patrimoine culturel et naturel et correspondre aux objectifs de la présenteConvention. L'étude doit aussi rechercher les moyens d'employer rationnellement lesressources disponibles dans l'Etat intéressé.

Article 25Le financement des travaux nécessaires ne doit, en principe, incomber que

partiellement à la communauté internationale. La participation de l'Etat qui bénéficie del'assistance internationale doit constituer une part substantielle des ressources apportéesà chaque programme ou projet, sauf si ses ressources ne le lui permettent pas.

Article 26Le Comité du patrimoine mondial et l'Etat bénéficiaire définissent dans l'accord qu'ils

concluent les conditions dans lesquelles sera exécuté un programme ou projet pour lequelest fournie une assistance internationale au titre de la présente convention. Il incombe àl'Etat qui reçoit cette assistance internationale de continuer à protéger, conserver et mettreen valeur les biens ainsi sauvegardés, conformément aux conditions définies dans l'accord.

VI. PROGRAMMES EDUCATIFS Article 271.Les Etats parties à la présente Convention s'efforcent par tous les moyens appropriés,

notamment par des programmes d'éducation et d'information, de renforcer le respect etl'attachement de leurs peuples au patrimoine culturel et naturel défini aux articles 1 et 2 dela Convention.

2.Ils s'engagent à informer largement le public des menaces qui pèsent sur cepatrimoine et des activités entreprises en application de la présente Convention.

Article 28Les Etats parties à la présente Convention qui reçoivent une assistance internationale

en application de la Convention prennent les mesures nécessaires pour faire connaîtrel'importance des biens qui ont fait l'objet de cette assistance et le rôle que cette dernièrea joué.

VII. RAPPORTS Article 291.Les Etats parties à la présente Convention indiquent dans les rapports qu'ils

présenteront à la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation,la science et la culture aux dates et sous la forme qu'elle déterminera, les dispositionslégislatives et réglementaires et les autres mesures qu'ils auront adoptées pour l'applicationde la Convention, ainsi que l'expérience qu'ils auront acquise dans ce domaine.

2.Ces rapports seront portés à la connaissance du Comité du patrimoine mondial.3.Le Comité présente un rapport sur ses activités à chacune des sessions ordinaires

de la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la scienceet la culture.

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

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CLAUSES FINALESArticle 30La présente Convention est établie en anglais, en arabe, en espagnol, en français et

en russe, les cinq textes faisant également foi.Article 311.La présente Convention sera soumise à la ratification ou à l'acceptation des Etats

membres de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture,conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives.

2.Les instruments de ratification ou d'acceptation seront déposés auprès du Directeurgénéral de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

Article 321.La présente Convention est ouverte à l'adhésion de tout Etat non-membre de

l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, invité à y adhérerpar la Conférence générale de l'Organisation.

2.L'adhésion se fera par le dépôt d'un instrument d'adhésion auprès du Directeurgénéral de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

Article 33La présente Convention entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt du

vingtième instrument de ratification, d'acceptation ou d'adhésion mais uniquement à l'égarddes Etats qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d'acceptation oud'adhésion à cette date ou antérieurement. Elle entrera en vigueur pour chaque autre Etattrois mois après le dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation ou d'adhésion.

Article 34Les dispositions ci-après s'appliquent aux Etats parties à la présente Convention ayant

un système constitutionnel fédératif ou non unitaire :(a)en ce qui concerne les dispositions de cette Convention dont la mise en œuvre relève

de l'action législative du pouvoir législatif fédéral ou central, les obligations du gouvernementfédéral ou central seront les mêmes que celles des Etats parties qui ne sont pas des Etatsfédératifs ;

(b)en ce qui concerne les dispositions de cette Convention dont l'application relèvede l'action législatif de chacun des Etats, pays, provinces ou cantons constituants, qui nesont pas en vertu du système constitutionnel de la fédération tenus à prendre des mesureslégislatives, le gouvernement fédéral portera, avec son avis favorable, lesdites dispositionsà la connaissance des autorités compétentes des Etats, pays, provinces ou cantons.

Article 351.Chacun des Etats parties à la présente Convention aura la faculté de dénoncer la

Convention.2.La dénonciation sera notifiée par un instrument écrit déposé auprès du Directeur

général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.3.La dénonciation prendra effet 12 mois après réception de l'instrument de

dénonciation. Elle ne modifiera en rien les obligations financières à assumer par l'Etatdénonciateur jusqu'à la date à laquelle le retrait prendra effet.

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 83

Article 36Le Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science

et la culture informera les Etats membres de l'Organisation, les Etats non- membres visésà l'article 32, ainsi que l'Organisation des Nations Unies, du dépôt de tous les instrumentsde ratification, d'acceptation ou d'adhésion mentionnés aux articles 31 et 32, de même quedes dénonciations prévues à l'article 35.

Article 371.La présente convention pourra être révisée par la Conférence générale de

l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. La révision neliera cependant que les Etats qui deviendront parties à la Convention portant révision.

2.Au cas où la Conférence générale adopterait une nouvelle convention portant révisiontotale ou partielle de la présente Convention et à moins que la nouvelle convention n'endispose autrement, la présente convention cesserait d'être ouverte à la ratification, àl'acceptation ou à l'adhésion, à partir de la date d'entrée en vigueur de la nouvelle conventionportant révision.

Article 38Conformément à l'article 102 de la Charte des Nations Unies, la présente convention

sera enregistrée au Secrétariat des Nations Unies à la requête du Directeur général del'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

Fait à Paris, ce vingt-troisième jour de novembre 1972, en deux exemplairesauthentiques portant la signature du Président de la Conférence générale, réunie en sadix-septième session, et du Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pourl'éducation, la science et la culture, qui seront déposés dans les archives de l'Organisationdes Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, et dont les copies certifiéesconformes seront remises à tous les Etats visés aux articles 31 et 32 ainsi qu'à l'Organisationdes Nations Unies.

Annexe 2 : Site WHTour

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

84 GLAPA Axelle - 2010

Annexe 3 : Entretien avec Tito DupretA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de lyon

Annexe 4 : Demande d’inscription BMU

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 85

Annexe 5 : Calendrier de la Procédure

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

86 GLAPA Axelle - 2010

Annexe 6 : Entretien avec Mme PatouA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de lyon

Annexe 7 : « Rome, ville ouverte…à la laideur » ?

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 87

Annexe 8 : Extrait de la session du comité 1992

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

88 GLAPA Axelle - 2010

Annexe 9 : Les Dix critères

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 89

77. Le Comité considère qu’un bien a une valeur universelle exceptionnelle (voirparagraphes 49-53) si ce bien répond au moins à l’un des critères suivants. Enconséquence, les biens proposés doivent :

(i)Représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain ;(ii) Témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée

ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de latechnologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création depaysages ;

(iii)Apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelleou une civilisation vivante ou disparue ;

(iv)Offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architecturalou technologique ou de paysage illustrant une période ou des périodes significative(s) del’histoire humaine ;

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Entre crises et succès : la Convention du Patrimoine Mondial de l’Unesco

90 GLAPA Axelle - 2010

(v) Etre un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisationtraditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de cultures),oude l’interaction humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenuvulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible ;

(vi) Etre directement ou matériellement associé à des événements ou des traditionsvivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant unesignification universelle exceptionnelle (le Comité considère que ce critère doit depréférence être utilisé conjointement avec d’autres critères) ;

Ces critères étaient précédemment présentés sous forme de deux ensembles séparésde critères – les critères (i) - (vi) pour le patrimoine culturel et (i) - (iv) pour le patrimoinenaturel. La 6e session extraordinaire du Comité du patrimoine mondial a décidé de classerensemble les dix critères (Décision 6 EXT.COM 5.1).

(vii)Représenter des phénomènes naturels remarquables ou des aires d’une beauténaturelle et d’une importance esthétique exceptionnelles ;

(viii) Etre des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l'histoire dela terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans ledéveloppement des formes terrestres ou d'éléments géomorphiques ou physiographiquesayant une grande signification ;

(ix) Etre des exemples éminemment représentatifs de processus écologiqueset biologiques en cours dans l'évolution et le développement des écosystèmes etcommunautés de plantes et d'animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins ;

(x)Contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour laconservation in situ de la diversité biologique, y compris ceux où survivent des espècesmenacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou dela conservation.

Pour être considéré d’une valeur universelle exceptionnelle, un bien doit égalementrépondre aux conditions d’intégrité et/ou d’authenticité et doit bénéficier d’un systèmeadapté de protection et de gestion pour assurer sa sauvegarde.

Orientations devant guider la mise en oeuvre de la Convention du Patrimoine Mondial,Janvier 2008

FRANCIONI, Francesco (dir.),The 1972 World Heritage Convention : A Commentary,Oxford : Oxford University Press, 2008

Annexe 10 : Evolution des critèresA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon

Annexe 11 : La réserve de Dja, CamerounA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon

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Annexes

GLAPA Axelle - 2010 91

Annexe 12 : La Cité Interdite, Pékin, ChineA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon

Annexe 13 : Les Bouddhas de Bamyan, AfghanistanA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon

Annexe 14 : Pont de Mostar, Bosnie-HerzégovineA consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon