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1 FORCE OU FAIBLESSE DE LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT PÉNAL *** Jean-François SEUVIC Agrégé de droit privé et sciences criminelles Professeur à la Faculté de Droit, sciences économiques et gestion de NANCY *** Longtemps, le droit pénal et la Constitution sont restés fort étrangers l'un à l'autre. Au fond, leur contenu et leur rôle semblent les opposent. La référence à la "Constitution" évoque "les protections fondamentales de la liberté", car, comme le proclame l'article 16 de la Déclaration de 1789, "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution". A l'inverse, le droit pénal renvoie à des "restrictions majeures" portées aux droits et libertés : ce droit est classiquement perçu comme menaçant la liberté et divers droits des citoyens, par les interdictions qu'il édicte, par ses procédures contraignantes et par les peines qu'il inflige (V. R. LEGEAIS, "La constitution et le droit pénal dans le système juridique français", Journées de la Société de législation comparée pour 1980, Paris 1982, p. 621, repris in Mélanges offerts à R. Legeais, éd. Cujas, 2003, pp. 189 à 200, spéc. p. 189). Sur un plan formel, la Constitution, entendue au sens strict, n'est qu'un texte regroupant un ensemble de règles techniques fondant l'autorité étatique et organisant les pouvoirs publics (v. "Constitution" in Gérard CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 7ème éd. 2005, coll. Quadrige) et ce texte n'a, ni dans les principes, ni dans les détails, à s'immiscer dans l'organisation et le fonctionnement de la répression. Le droit pénal et la procédure pénale relèvent seulement de la loi ordinaire et c'est cette loi, selon les bases du principe de la légalité criminelle tel que posé dans la Déclaration de 1789, qui est le "bouclier protecteur" des citoyens contre l'arbitraire des pouvoirs exécutif ou judiciaire. Les pénalistes ne s'intéressaient donc guère aux Constitutions, sauf à propos de quelques dispositions à portée pénale qui perturbent la répression (notamment pour les infractions politiques ou à propos de juridictions d'exception) ou qui la tiennent en échec: droit de grâce ; immunité et inviolabilité parlementaires; statut pénal du souverain, roi ou président et des ministres. C'est à partir de la Constitution du 4 octobre 1958 que la situation va évoluer vers une "constitutionnalisation du droit pénal", définie comme un processus de développement de l'influence de la Constitution sur le droit pénal (tout comme la "pénalisation" est le processus de développement du droit pénal dans tel ou tel domaine). Deux facteurs principaux, l'un textuel, l'autre substantiel, expliquent ce développement. Le premier tient directement à cette Constitution du 4 octobre 1958, dont les dispositions relatives aux sources textuelles du droit sont d'abord venues perturber les pénalistes. Cette Constitution n'a-t-elle pas eu l'audace de porter atteinte au mythique et quasi sacré principe de la légalité criminelle. Par le jeu combiné des articles 34 C. et 37 C., la loi reculait en matière contraventionnelle au profit du règlement. En outre, l'article 92 C. autorisait le gouvernement à intervenir, pendant quatre mois (d'oct. 1958 à janv. 1959), en toute matière pour mettre en place les institutions par des ordonnances qui furent nombreuses et dont certaines intervinrent en matière pénale (fixation des peines contraventionnelles dans le code pénal, adoption du CPP et de la partie législative du Code de la route). Et de façon exceptionnelle, mais définitive, les articles 11 C. (référendum), 16 C. (pleins pouvoirs présidentiels en cas de crise) et 38 C. (délégation parlementaire sur le modèle des anciens décrets-lois) ont permis des interventions de l'exécutif dans des matières en principe réservées à la loi selon l'article 34 C. Les pénalistes reprochèrent donc à cette Constitution de contribuer au déclin, à l'effritement, au recul de la légalité criminelle. La loi était "bafouée" (Paul DURAND). A cette érosion de la légalité criminelle opérée "par le bas", car provenant du règlement et de l'exécutif, s'ajoutait d'ailleurs une érosion "par le haut", consécutive à l'autorité que l'article 55 de la Constitution reconnaît aux traités internationaux. Historiquement, c'est sur le fondement de cet article 55 C., que la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 octobre 1970 (Société Les Fils d'Henri Ramel), inaugura le mécanisme de "mise en sommeil" du droit pénal national en cas de contrariété avec le droit communautaire. De 1958 au milieu des années 1970, la constitutionnalisation formelle du droit pénal eut donc de quoi inquiéter les pénalistes, essentiellement en raison de cette érosion de la légalité criminelle traditionnelle. Les rapports entre Constitution et droit pénal débutaient ainsi dans la tension. L'autre facteur de constitutionnalisation du droit pénal tient au travail interprétatif constructif du Conseil constitutionnel. Créé par cette Constitution de 1958 pour assurer une mission de "garde-frontière" entre les

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FORCE OU FAIBLESSE DE LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT PÉNAL

***Jean-François SEUVIC

Agrégé de droit privé et sciences criminellesProfesseur à la Faculté de Droit, sciences économiques et gestion de NANCY

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Longtemps, le droit pénal et la Constitution sont restés fort étrangers l'un à l'autre. Au fond, leur contenu et leur rôle semblent les opposent. La référence à la "Constitution" évoque "les protectionsfondamentales de la liberté", car, comme le proclame l'article 16 de la Déclaration de 1789, "toute société danslaquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution".A l'inverse, le droit pénal renvoie à des "restrictions majeures" portées aux droits et libertés : ce droit estclassiquement perçu comme menaçant la liberté et divers droits des citoyens, par les interdictions qu'il édicte, parses procédures contraignantes et par les peines qu'il inflige (V. R. LEGEAIS, "La constitution et le droit pénal dansle système juridique français", Journées de la Société de législation comparée pour 1980, Paris 1982, p. 621, reprisin Mélanges offerts à R. Legeais, éd. Cujas, 2003, pp. 189 à 200, spéc. p. 189).Sur un plan formel, la Constitution, entendue au sens strict, n'est qu'un texte regroupant un ensemble de règlestechniques fondant l'autorité étatique et organisant les pouvoirs publics (v. "Constitution" in Gérard CORNU,Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, 7ème éd. 2005, coll. Quadrige) et ce texte n'a, ni dans lesprincipes, ni dans les détails, à s'immiscer dans l'organisation et le fonctionnement de la répression. Le droit pénalet la procédure pénale relèvent seulement de la loi ordinaire et c'est cette loi, selon les bases du principe de lalégalité criminelle tel que posé dans la Déclaration de 1789, qui est le "bouclier protecteur" des citoyens contrel'arbitraire des pouvoirs exécutif ou judiciaire.Les pénalistes ne s'intéressaient donc guère aux Constitutions, sauf à propos de quelques dispositions à portéepénale qui perturbent la répression (notamment pour les infractions politiques ou à propos de juridictionsd'exception) ou qui la tiennent en échec: droit de grâce ; immunité et inviolabilité parlementaires; statut pénal dusouverain, roi ou président et des ministres.

C'est à partir de la Constitution du 4 octobre 1958 que la situation va évoluer vers une "constitutionnalisation dudroit pénal", définie comme un processus de développement de l'influence de la Constitution sur le droit pénal (toutcomme la "pénalisation" est le processus de développement du droit pénal dans tel ou tel domaine). Deux facteursprincipaux, l'un textuel, l'autre substantiel, expliquent ce développement.Le premier tient directement à cette Constitution du 4 octobre 1958, dont les dispositions relatives aux sourcestextuelles du droit sont d'abord venues perturber les pénalistes. Cette Constitution n'a-t-elle pas eu l'audace deporter atteinte au mythique et quasi sacré principe de la légalité criminelle. Par le jeu combiné des articles 34 C. et37 C., la loi reculait en matière contraventionnelle au profit du règlement. En outre, l'article 92 C. autorisait legouvernement à intervenir, pendant quatre mois (d'oct. 1958 à janv. 1959), en toute matière pour mettre en placeles institutions par des ordonnances qui furent nombreuses et dont certaines intervinrent en matière pénale (fixationdes peines contraventionnelles dans le code pénal, adoption du CPP et de la partie législative du Code de la route).Et de façon exceptionnelle, mais définitive, les articles 11 C. (référendum), 16 C. (pleins pouvoirs présidentiels encas de crise) et 38 C. (délégation parlementaire sur le modèle des anciens décrets-lois) ont permis des interventionsde l'exécutif dans des matières en principe réservées à la loi selon l'article 34 C. Les pénalistes reprochèrent donc àcette Constitution de contribuer au déclin, à l'effritement, au recul de la légalité criminelle. La loi était "bafouée"(Paul DURAND).A cette érosion de la légalité criminelle opérée "par le bas", car provenant du règlement et de l'exécutif, s'ajoutaitd'ailleurs une érosion "par le haut", consécutive à l'autorité que l'article 55 de la Constitution reconnaît aux traitésinternationaux. Historiquement, c'est sur le fondement de cet article 55 C., que la chambre criminelle de la Cour decassation, dans son arrêt du 22 octobre 1970 (Société Les Fils d'Henri Ramel), inaugura le mécanisme de "mise ensommeil" du droit pénal national en cas de contrariété avec le droit communautaire.De 1958 au milieu des années 1970, la constitutionnalisation formelle du droit pénal eut donc de quoi inquiéter lespénalistes, essentiellement en raison de cette érosion de la légalité criminelle traditionnelle. Les rapports entreConstitution et droit pénal débutaient ainsi dans la tension.L'autre facteur de constitutionnalisation du droit pénal tient au travail interprétatif constructif du Conseilconstitutionnel. Créé par cette Constitution de 1958 pour assurer une mission de "garde-frontière" entre les

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domaines de la loi et du règlement, le Conseil opéra dès les années 1970-1971, des "coups de force" pour sereconnaître une véritable mission de contrôle de la loi et surtout pour se donner les moyens substantiels de menerce contrôle par référence à des principes qui ne sont pas directement exprimés dans les articles de la Constitution(V. les décisions du 19 juin 1970 et surtout 16 juillet 1971, "Liberté d'association"). Par une interprétation oséereconnaissant une valeur juridique, de droit positif, au Préambule de la Constitution de 1958, le Conseil se dotad'un référenciel substantiel de principes qui englobe les principes énoncés dans la Déclaration des droits del'homme de 1789, ceux visés dans le Préambule de la Constitution de 1946, c'est-à-dire les "principesparticulièrement nécessaires à notre temps" et les "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République"et s'y ajouta encore, sans références textuelles, des principes généraux et des objectifs à valeur constitutionnelle.Cet ensemble forme le fameux "bloc de constitutionnalité" que le Conseil continue à dégager progressivement, àinterpréter et utiliser pour assurer son contrôle de constitutionnalité substantiel, portant sur la qualité de la loi et laconformité de son contenu aux principes fondamentaux garants des droits et libertés individuelles.Là encore, les premières applications de ces contrôles en matière pénale furent perturbatrices : "coup de semonce"de mise en doute de la constitutionnalité de l’emprisonnement contraventionnel (décision du 28 nov 1973 affirmantde façon incidente que la compétence réglementaire du pouvoir exécutif dans le domaine des contraventions nepeut s’exercer que dans la mesure où les penes "ne comportent pas de mesures privatives de la liberté") ; censure del'extension du recours au juge unique en matière correctionnelle sur choix opéré par le président du tribunalcorrectionnel (décision du 23 juillet 1975) ; examen très minutieux de la loi du 2 février 1981 dite"Loi Sécurité etLiberté" avec réserves d'interprétation (décision des 19-20 janvier 1981). Mais cette fois, les pénalistes comprirentque ces perturbations devenaient bénéfiques pour la protection des libertés : la loi n'est pas une garantie en soi ; lalégalité criminelle traditionnelle, fondée sur le "légicentrisme", doit être complétée par ce contrôle du respect desprincipes constitutionnels. Ils comprirent que désormais, "dès la naissance des lois, le Conseil constitutionnelsanctionnera les irrégularités fondamentales de celles-ci, tout particulièrement dans le domaine de la définition desinfractions, de leurs sanctions et de la procédure répressive qui concerne si directement et si intensément la liberté"(R. LEGEAIS, art. préc. p. 198).

Aujourd'hui, on peut donc dire que la constitutionnalisation du droit pénal a un double contenu, relevant d'une partd'une constitutionnalisation formelle et d'autre part, d'une constitutionnalisation substantielle.La constitutionnalisation formelle ou textuelle est liée au contenu pénal direct de la Constitution, au texte même dela Constitution pris dans ses différents articles intéressant le droit pénal. Certains de ces articles ont inquiété lespénalistes dès 1958 et des hésitations persistent. D'autres articles ont posé plus récemment des problèmesd'interprétation, notamment sur la responsabilité pénale des ministres ou du Président de la République. D'autresencore, d'origine récente sur la Cour pénale internationale ou sur la mandat d'arrêt européen, sont particulièrementsommaires et en devenir immédiat. Hésitations, insuffisances, voire faiblesses restent caractéristiques de cetteconstitutionnalisation formelle, qui constitue du droit pénal constitutionnel.En revanche, la constitutionnalisation substantielle est forte, même si elle n'est pas sans limites. Elle consisted'abord en l'affirmation des principes et des droits fondamentaux que le législateur doit respecter et garantir auxcitoyens dans la mise en oeuvre de la répression pénale. C'est une sorte de droit constitutionnel pénal, posant unencadrement du droit criminel par ces droits et principes de valeur constitutionnelle et impliquant une contrôlejuridictionnel progressif de la conformité des normes pénales légales à ces principes, contrôle malheureusementencore partiel ou imparfait. Mais le droit criminel n'est pas que "cible": il est aussi un "outil" constitutionnel garantde l'ordre et de la sécurité et moyen de protection des valeurs ou "biens juridiques" protégés (vie, intégrité physiqueou morale, dignité, liberté, propriété...). La constitutionnalisation substantielle n'est donc pas seulementl'encadrement du droit pénal; c'est aussi la reconnaissance du rôle protecteur du droit pénal qui participe auxobjectifs de sécurité et de défense de l'ordre, des droits et des principes à valeur constitutionnelle. Cetteconstitutionnalisation substantielle est désormais pleinement acceptée, appréciée et revendiquée en droit pénal. Enraison de son ampleur et de son importance, c'est par elle qu'il convient de débuter.

"Forces et limites de la constitutionnalisation substantielle du droit pénal" (1ère partie), "Faiblesses et insuffisancesde la constitutionnalisation formelle du droit pénal" (2ème partie), sont ainsi les deux volets de cette étude.

1ère Partie : Forces et limites de la constitutionnalisation substantielle du droit pénal

Les diverses manifestations de la force de cette constitutionnalisation substantielle du droit pénal tiennent surtoutau travail opéré par le Conseil constitutionnel pour affirmer les principes protecteurs, les interpréter et les mettre enoeuvre dans le contrôle de conformité des lois (A). Mais les autorités judiciaires s'associent à ce travail deconstitutionnalisation, par le contrôle exercé sur les règlements et, malgré l'incompétence de principe des

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juridictions ordinaires pour contrôler la constitutionnalité des lois, par un contrôle indirect sur ces lois que leConseil lui-même les incite à opérer (B).

A/ L'oeuvre du Conseil constitutionnel en droit pénal est considérable, même si elle ne peut concerner que leslois et certains textes internationaux (sur l'incompétence de Conseil à contrôler les lois de transposition desdirectives communautaires, V. décisions 2004-496 DC du 10 juin 2004 et 2004-497 DC du 1er juillet 2004; surl'incompétence du Conseil à contrôler la loi française par rapport à la CEDH, V. décision IVG du 15 janvier 1975 ;comp. avec l'arrêt de la CEDH du 28 oct. 1999 Zielinski-Pradal-Gonzalez déclarant contraire à l'art. 6-1 CEDH,une loi française de validation pourtant déclarée conforme à la Constitution par le Conseil dans sa décision du 13janvier 1994).Cette oeuvre doit être appréciée pour le moins à trois égards : quantitativement, techniquement etsubstantiellement. Politique au départ et strictement dirigiste, elle évolue progressivement vers une nature detechnique juridique pénale et sait devenir aujourd'hui incitative.

* Quantitativement, c'est le nombre des dispositions pénales de fond ou de procédure soumises au contrôle duConseil qui est déterminant. Les défauts du système de contrôle de constitutionnalité français sont bien connus : système concentré -c'est-à-direconfié à un seul organe : un accès direct l'encombrerait immédiatement- ; contrôle a priori, donc largement abstraitalors que certains dangers n'apparaissent qu'en cours d'application; et surtout contrôle d'accès limité aussi bien dansle temps (entre le vote et la promulgation de la loi) que par le mode de saisine, réservé aux autorités politiques. Laréforme constitutionnelle du 29 octobre 1974 (art. 61 C) qui permit la saisine par 60 députés ou 60 sénateurs aindubitablement favorisé l'intervention du Conseil, mais cette saisine parlementaire, d'autant plus utile que plus de80 % des lois résultent aujourd'hui de l'initiative gouvernementale, reste avant tout déterminée par des choixpolitiques plutôt que par des considérations strictement juridiques.Malgré ces défauts, les saisines en matière pénale ont tendance à devenir de plus en plus fréquentes. Non sans denotables exceptions : on comprend que certains textes pénaux majeurs, fruits d'un long travail d'élaboration commeles quatre lois du 22 juillet 1992 formant le nouveau code pénal n'aient pas été soumis au Conseil. Il en est demême pour des lois objet d'un large consensus politique, consensus lié au caractère libéral du texte comme ce fut lecas pour la loi du 15 juin 2000 "renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes" ou consensus liéau contexte particulier d'une réforme : par exemple pour la loi du 15 nov. 2001 "relative à la sécurité quotidienne"adoptée en réaction aux attentats terroristes de New York du 11 novembre 2001. Hors ces exceptions, la plupart desréformes pénales sont désormais soumises à l'examen du Conseil constitutionnel : loi du 9 septembre 2002d'orientation et de programmation pour la justice; loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; loi du 9 mars2004 d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; loi du 12 décembre 2005 relative au traitement dela récidive ; loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Et même dans des lois dont l'objet n'estpas globalement pénal, les dispositions pénales font souvent l'objet de saisines. Ainsi, dans la loi du 21 juin 2004pour la confiance dans l'économie numérique, les articles sur la responsabilité pénale des hébergeurs de sites, sur ledélit de méconnaissance du droit de réponse et sur la prescription en cas de messages communiqués en ligne ont étécensurés par le Conseil (nos obs. in RSC 2004, 926 et 927).Malgré cette fréquence accrue, on doit toutefois regretter le caractère opportuniste, parfois aléatoire des saisines,mais c'est un défaut inhérent à leur nature politique.

* Une fois saisi, le Conseil constitutionnel va mettre en oeuvre des techniques de réponse, particulièrement utiles,dont il s'est lui même doté. Il s'est reconnu un pouvoir juridictionnel fort.Il faut d'abord observer que le Conseil n'hésite pas au besoin à étendre sa saisine et à relever d'office unmanquement à un principe constitutionnel. La décision 96-377 DC du 16 juillet 1996 en fournit un exemple simple:l'élaboration de la loi du 22 juillet 1996 "tendant à renforcer la répression du terrorisme" ayant été plus longue queprévu, c'est par inadvertance que dans le dernier article, les nouvelles dispositions plus sévères étaient déclaréesapplicables dans les TOM "le 1er mai 1996" : le Conseil censura proprio motu cette rétroactivité inconstitutionnellequ’aucun parlementaire n’avait perçue (V. Nos obs. RSC 1997, p. 405). D’ailleurs, un "considérant-balai", assezsouvent repris par le Conseil, selon lequel ‘il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’officeaucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi dont il est saisi",implique a contrario que, s'il y avait eu lieu de censurer, le Conseil l'aurait fait... (comme exemple récent:considérant 31 de la décision du 19 janvier 2006 sur la loi relative à la lutte contre le terrorisme). En outre, depuissa décision du 25 janvier 1985 dite "Etat d'urgence en Nouvelle-Calédonie", le Conseil s'est déclaré compétent pourcontrôler "la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée à l'occasion de l'examen des

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dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine" : le contrôle préventif opéré surune loi votée peut ainsi déboucher sur un contrôle de loi promulguée, dont l'application ne pourra cependant pasêtre remise en cause. Devant une telle marge de liberté, d'autonomie, on en arrive alors à reprocher au Conseil den'avoir pas, de lui-même, perçu certaines irrégularités, voire certaines erreurs ou maladresses rédactionnelles,comme celle commise dans la loi du 9 mars 2004 à propos du calcul de réduction de peine dans l'art. 721 CPP (AJPénal 12/2005, p. 427 par Pascal REMILLIEUX et p. 448 par Martine HERZOG-EVANS).Suivant la saisine ou l'étendant éventuellement, le Conseil examine la constitutionnalité du texte et sa réponse peutprendre deux formes principales. Il peut déclarer la loi votée conforme à la Constitution, ce qui lui confère un"brevet de constitutionnalité". Assurément pour toutes les dispositions critiquées dans la saisine et examinéesexpressément. Mais implicitement aussi pour le reste de la loi puisque le Conseil peut soulever d'office toutequestion de conformité sur les autres dispositions de la loi (voire sur des lois antérieures promulguéesnécessairement liées à la loi votée), alors que faute de temps ou par absence de contestation, l'examen n'a peut-êtrepas été effectif: le Doyen VEDEL y voyait "l'autorité du silence" (G. VEDEL, "Doctrine et jurisprudenceconstitutionnelle, RDP 1989, p. 16 ; plus spécialement sur le sens du "considérant-balai" et l'importance dudispositif visant tantôt l'ensemble de la loi, tantôt les seules dispositions critiquées, V. Ph. BLACHER, "Les sourcesconstitutionnelles des libertés et droits fondamentaux" in "Le grand oral : Protection des libertés et des droitsfondamentaux", sous la direction de S. GUINCHARD et M. HARICHAUX, éd. Montchrestien, 3ème éd. 2006,spéc. p.124, n/ 2-140 à 142). A l'inverse, le Conseil peut prononcer une censure, soit totale (la disposition déclaréeinconstitutionnelle est inséparable de l'ensemble du texte voté qui ne pourra donc pas être promulgué), soit partielle(le président de la République peut promulguer la loi à l'exception de la disposition déclarée non conforme oudemander au Parlement une nouvelle lecture ; art. 22 et 23, ord. 7 nov. 1958 sur le Conseil constitutionnel). Parcette censure, l'importance du principe que le texte critiqué a méconnu, est établie. Dans l'exemple célèbre del'exclusion d'une incrimination définie par le seul usage du terme "malversation", le Conseil intègre au principe dela légalité criminelle, le corollaire de la nécessité de rédiger les textes d'incrimination en des termes suffisammentclairs et précis. La censure est parfois qualifiée de "chirurgicale" quand le Conseil n'écarte que quelques mots,sauvant le reste de l'article. Il peut ainsi faire prédominer sa solution sur celle du Parlement. Par exemple, dans laprocédure dite du "plaider-coupable", la loi du 9 mars 2004 prévoyait une audience d'homologation "en chambre duconseil" : le Conseil écarte ces quatre mots et contre la prévision du législateur, il impose la publicité, affirmantpour la première fois, l'existence d'un principe constitutionnel de publicité des audiences, dans les termes précissuivants : "il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la déclaration de 1789 que le jugement d'uneaffaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulière nécessitant le huisclos, faire l'objet d'une audience publique" (décision du 2004-492 DC du 2 mars 2004, considérant 117 et 118). Lacensure est constructive. C'est même le cas quand une censure est totale mais qu'elle s'accompagne d'explicationssur qu'il aurait fallu faire : il suffira à l'avenir au législateur de suivre ces directives du Conseil (sur la censure del'injonction pénale, V. décision du 2 février 1995, puis l'instauration de la composition pénale par la loi du 23 juin1999).Une autre réponse, tierce, totalement à l'initiative du Conseil et qui est aujourd'hui la plus fréquemment constatée,lui confère directement un rôle créateur de norme : c'est la déclaration de conformité avec réserve d'interprétation.Certes, une réserve négative (texte conforme sous réserve de ne pas lui donner tel sens) se contente d'exclure uneinterprétation attentatoire aux principes constitutionnels mais laisse le juge libre d'adopter toute autre interprétation.En revanche, la réserve constructive s'impose à lui, le Conseil indiquant le sens qu'il faut impérativement donner àla disposition critiquée pour qu'elle soit conforme à la Constitution.L'interprétation directive indique au juge ce que doit être sa conduite dans l'application du texte attaqué: ne pouvantcensurer le législateur dans ses choix de politique criminelle, même quand il organise des procédures dérogatoires,dangereuses pour les libertés (par ex. sur le terrorisme, da délinquance organisée...), le Conseil insiste sur le rôleque doit jouer l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Il indique expressément "qu'il appartient àl'autorité judiciaire" de veiller au respect de tel principe, d'accomplir tel contrôle, de vérifier précisément tellecondition... Restera bien sûr à vérifier le respect effectif de ces réserves ! "Qui est juge de l'application de lajurisprudence constitutionnelle assortie de réserves ? Quelles sanctions risquent les autorités administratives et lesjuridictions ordinaires qui s'écarteraient de l'interprétation "sous réserve" ? (...) Emettre des "réserves", n'est-ce passoulever un doute sur la qualité constitutionnelle d'un texte ? Autoriser la promulgation d'une dispositionpotentiellement contraire à la Constitution, n'est-ce pas laisser passer une loi pour des raisons extrajuridiques ?"(Ph. BLACHER, art. préc. n/ 2-174 et 175). * Substantiellement, au-delà de ce recensement des outils dont le Conseil s'est lui-même doté, c'est laconstruction, c'est-à-dire les apports de sa jurisprudence, qu'il faut apprécier. En matière pénale, ils sont doubles.

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Le Conseil constitutionnel construit d'abord du droit constitutionnel pénal en affirmant au fil de sajurisprudence l'existence, le sens et la portée de ces principes déjà évoqués : principes à valeur constitutionnelle,principes particulièrement nécessaires à notre temps, principes fondamentaux reconnus par les lois de laRépublique, objectifs à valeur constitutionnelle applicables en matière pénale. Ce sous-ensemble pénal du "bloc deconstitutionnalité" est de plus en plus dense, qu'il concerne le droit pénal (principe de légalité criminelle et sescorollaires: nécessité de textes clairs et suffisamment précis, interprétation stricte, non rétroactivité de la loinouvelle plus sévère ; principe de stricte nécessité des incriminations et des peines, impliquant comme corollaires :la rétroactivité in mitius, le rejet de l'automaticité des peines, le principe de proportionnalité ; principe deresponsabilité pénale individuelle ; principe d'égalité devant la loi et la justice....) ou qu'il vise la procédure pénale(compétence législative ; présomption d'innocence ; respect du contradictoire et de l'égalité des armes ; respect desdroits de la défense; principe de la liberté individuelle ; principe de la séparation des fonctions judiciaires; droit auxvoies de recours...). Ces principes fondamentaux s'imposent au législateur pénal et cette liste, loin d'être exhaustiveici, s'allonge constamment : principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute formed'asservissement et de dégradation (décision du 27 juillet 1994) ; principe fondamental reconnu par les lois de laRépublique en droit pénal des mineurs, où "la responsabilité pénale doit être atténuée en fonction de l'âge" et "lerelèvement du mineur délinquant doit être recherché par des mesures éducatives adaptées à son âge et à sapersonnalité et prononcées par une juridiction ou selon une procédure juridictionnelle spécialisée" (décision du 29août 2002 ; nos obs. RSC 2002 p. 852 et 867 ; V. aussi Ph. BONFILS, AJ pén. 2/2005, p. 45) ; principe de publicitéde l'audience quand la privation de liberté est encourue (déc. précitée du 2 mars 2004) etc.

Ce premier travail d'affirmation de principes applicables au droit pénal débouche sur une seconde tâche plusspécifiquement pénale qu'assume le Conseil lorsqu'il confronte les lois pénales à ces principes. Il ne construit passeulement du droit constitutionnel pénal, mais il participe aussi à la construction du droit pénal et à la définition dela politique pénale. Le droit pénal a une mission de protection de valeurs. Sans prétendre ouvertement s'immiscerdans cette création du droit pénal, ni dans ce choix de politique pénale, le Conseil y participe de facto. Les décisions du Conseil constitutionnel n'hésitent pas, sous un angle strictement pénal, à fournir des éléments dedéfinition (par ex. sur la notion de bande organisée, déc. préc. du 2 mars 2004). Le Conseil donne des précisionssur les éléments constitutifs d'infractions (par ex. sur le "racolage", décision du 13 mars 2003, nos obs. RSC 2003,p. 836 sur la réserve d'interprétation insistant sur l'exigence de promesse de rémunération et sur la directive donnéeà la juridiction compétente "de prendre en compte, dans le prononcé de la peine, la circonstance que l'auteur a agisous la menace ou par contrainte" ou sur l'intention dans le délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger). LeConseil se prononce sur des qualifications ou des distinctions pourtant discutées en droit pénal (récemment sur ladistinction entre peines, mesures de sûreté et modalités d'application de la peine à propos de la surveillancejudiciaire ou placement sous surveillance électronique mobile, décision du 8 déc. 2005 ; déjà sur la période desûreté : décision du 22 nov. 1978). Le Conseil constitutionnel devient ainsi pénaliste ! Bon pénaliste ? Il fautl'espérer mais on peut quelquefois en discuter (v. P. REMILLIEUX, "Qu'attendre du Conseil constitutionnel ?" ,art. préc. AJ pén. 12/2005, p. 427) notamment à propos de certaines réserves d'interprétation qui devraient êtremises en oeuvre par le juge pénal dans l'application et l'interprétation des lois nouvelles "sauvées" par le Conseilmalgré des contenus "sécuritaires" dangereux pour les libertés individuelles ou des mesures à caractère quasirétroactif.Le Conseil devient aussi un "acteur de la politique criminelle" (expression de C. LAZERGES, "Le Conseilconstitutionnel, acteur de la politique pénale ; A propos de la décision 2004-492 DC du 2 mars 2004", RSC 2004,pp. 724 à 736). Négativement en rejetant certains choix pénaux législatifs. Sur la base du principe de strictenécessité (art. 8 DDH), le Conseil a pu censurer certains textes prévoyant des peines manifestementdisproportionnées (amendes égales aux montants de revenus déclarés en cas d'atteinte au secret fiscal) ou créant desincriminations "manifestement inutiles" eu égard à l'arsenal répressif déjà disponible (délit d'aide à l'entrée ou auséjour d'étrangers en vue du terrorisme). Ces censures restent rares car le Conseil ne veut jamais substituer sapropre appréciation de l'opportunité de ces réformes à celle du Parlement : disproportion ou inutilité doivent être"manifestes". C'est même positivement, par l'affirmation de principes pénaux fondamentaux, que le Conseil orientela politique pénale. Il en est ainsi pour le droit pénal des mineurs dont il a indiqué les caractères comme ayantvaleur de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Plus globalement, dans la décision du 20janvier 1994 sur la loi du 1er février 1994 sur la "peine incompressible", il insiste sur la finalité nécessairementressocialisatrice de toute peine privative de liberté, même assortie d'une période de sûreté à perpétuité, en affirmantque "L'exécution des peines privatives de liberté a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer lapunition du condamné mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion") etla loi du 12 décembre 2005 relative à la récidive vient de compléter l'art. 132-24 C. pén. d'un nouvel alinéadirectement inspiré de cette décision: "La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixées de

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manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec lanécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvellesinfractions". L'influence du Conseil est ici flagrante. Enfin, et de plus en plus souvent, des réserves d'interprétation sont "érigées en directives de politique pénale" pourles juges (V. LAZERGES, art. préc. pour les exemples). Les évolutions de la criminalité en quantité ou en nature(criminalité violente, terrorisme, criminalité organisée...) et les revendications de sécurité, notamment des victimes,conduisent le législateur pénal à organiser une réaction accrue du droit pénal et à réduire certaines garantiesindividuelles. Le Conseil constitutionnel ne peut se substituer aux choix du législateur et il doit respecter cettediversification des réponses pénales ayant lui-même admis que selon les infractions, les situations et les personnes,la loi peut prévoir des règles de procédures différentes mais à condition qu'elles soient justifiées et qu'elles offrentdes garanties équivalentes (décisions des 19-20 janvier 1981 pour la violence, 3 sept. 1986 pour le terrorisme, 2mars 2004 pour la criminalité organisée). Par ses interprétations, le Conseil précise ce que doit être la conduite del'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles. Ne voulant s'opposer à ces procédures dérogatoires, leConseil s'en remet à la sagesse de l'autorité judiciaire, tout en lui dispensant des directives... Curieux rôle !

Cette autorité judiciaire a d'ailleurs un rôle autonome dans le constitutionnalisation substantielle du droit pénal.C'est la seconde manifestation de la force de cette constitutionnalisation.

B/ La participation de l'autorité judiciaire à la constitutionnalisation du droit pénal

L'intervention de l'autorité judiciaire dans la constitutionnalisation du droit, notamment du droit pénal, est a prioriimpossible puisqu'en raison de la séparation des pouvoirs, il est interdit aux juges de tenir la loi en échec, deprétendre directement censurer une loi même s'il est certain que dans son contenu, elle est en contrariété avec desimpératifs constitutionnels (sauf pour un contrôle de régularité externe admis). Cette impossibilité pour le jugepénal de contrôler la constitutionnaliuté de la loi a été affirmée par la Chambre criminelle dès 1833 et toujoursmaintenue (Crim. 11 mai 1833; V notamment LE GUNEHEC et DESPORTES, Droit pénal général, Paris, éd.Economica, 12ème éd. 2005, n/ 272 et s.). Il en résulte que le juge pénal doit en principe continuer à appliquer untexte posant une solution que le Conseil constitutionnel a reconnue être contraire à la Constitution. Ce fut parexemple le cas pour la procédure correctionnelle de jugement à juge unique, telle que créée en 1972 et maintenuejusqu'en 1995, alors même que la loi de 1975, qui avait voulu en étendre les cas d'application, fut censurée par leConseil comme contraire au principe d'égalité des justiciables, ce grief atteignant évidemment la loi préexistante de1972. Il devrait théoriquement en aller de même pour le contrôle des actes administratifs puisque la séparation desautorités administratives et judiciaires interdit en principe au juge pénal de s'immiscer dans la fonction exécutive.Il faut pourtant aujourd'hui relativiser très fortement cette interdiction du contrôle de constitutionnalité par le jugejudiciaire. Sans qu'il puisse y avoir un contrôle direct de constitutionnalité, trois techniques permettent à un jugepénal de contrôler et d'écarter un texte répressif qu'il lui est demandé d'appliquer s'il lui apparaît qu'il est contraire àun principe à valeur constitutionnelle. Les deux premières sont acquises et certaines. La troisième "se cherche".

* S'agissant d'abord des actes administratifs, individuels ou réglementaires, un contrôle de constitutionnalité estindubitablement possible par le biais de l'exception d'illégalité exercée devant le juge pénal. Il faut préciser qu'enprincipe, le contrôle premier et majeur de la constitutionnalité des textes administratifs, s'opère lors de leurélaboration, notamment par les avis du Conseil d'Etat, voire ultérieurement dans le contentieux administratifs,notamment par voie d'action.Relativement à cette exception d'illégalité, l'article 111-5 du code pénal de 1992 a mis fin aux hésitationsantérieures liées aux divergences qui existaient entre le Tribunal des conflits (arrêt Avranches et Desmarets du 5juillet 1951) et la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim 21 déc. 1961, dame Le Roux ; 1er juin 1967,Canivet et dame Moret). Aujourd'hui, selon cet article, "Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréterles actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen,dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis".La référence dans ce texte à la "légalité" ne doit pas tromper : c'est un contrôle de régularité, intégrant sans aucundoute le contrôle de constitutionnalité qui peut être opéré par le juge répressif. En contentieux administratif, lecontrôle de légalité inclut tout aussi indubitablement le contrôle de constitutionnalité. La Chambre criminelle, avant1992, intégrait déjà dans l'exception l'illégalité ce contrôle de constitutionnalité; les avant-projets du code pénal de1978 et 1983 mentionnaient effectivement le contrôle de constitutionnalité mais l'abandan de la formule au profitdu terme "légalité" n'implique aucunement, selon les travaux parlementaires, une exclusion de ce contrôle. Commedans la jurisprudence antérieure à 1992, il est donc permis d'écarter l'application d'un règlement reconnu contraire àun impératif constitutionnel (par des ex. relatifs au principe d'égalité devant la loi, au principe de légalité, à la

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liberté d'aller et venir ou à l'exigence de textes suffisamment clairs et précis, V. DESPORTES et LE GUNEHEC,op. cit., n/ 281).

* La deuxième technique permettant cette fois d'écarter l'application tant d'un réglement que d'une loi tient aucontrôle de conventionnalité (ou exception d'inconventionnalité). Selon l'article 55 C, les traités ou accordsinternationaux, et la jurisprudence y intègre les textes communautaires (ayant toutefois primauté selon l'article 249TUE) ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4novembre 1950 (à applicabilité directe), ont une autorité supérieure à la loi et au règlement. Un contrôle de laconformité de la loi et du règlement à ces textes internationaux peut être assuré par les juridictions répressives, leConseil constitutionnel refusant d'opérer lui-même ce contrôle pour lequel il reconnaît d'ailleurs la compétence desjuges ordinaires (décision du 15 janvier 1975, à propos de la compatibilité de l'IVG avec le droit à la vie garanti parl'art. 2 CESDH).Or, comme beaucoup de principes à valeur constitutionnelle sont aussi exprimés dans ces textes internationaux, seforment des "doublons constitutionnels" et le contrôle de conventionnalité opéré par les juridictions pénales enarrive à produire les mêmes résultats qu'un contrôle de constitutionnalité. (V. Danièle MAYER,"Vers un contrôledu législateur par le juge pénal" D. 2001, p.1643). Un contrôle peut en cacher un autre! Le contrôle deconventionnalité cache le contrôle de constitutionnalité. Par ce mécanisme, des textes d'incrimination ont pu êtremises en sommeil, incompatibles avec la CESDH, comme l'article 38 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 incriminantde façon imprécise la diffusion de "tout ou partrie des circonstances d'un crime" (CRIM 20 fév. 2001 : atteinte à lalégalité, au droit au procès équitable et à la liberté d'expression)ou l' article 36 de la même loi sur le délit d'offense àchef d'Etat étranger, désormais abrogé.Toutefois, rien n'empêche des interprétations différentes portées sur des concepts identiques ou voisins ("sanctionsayant le caractère d'une punition", "peines", "mesures de sûreté", "matière pénale"...) par le Conseil constitutionnel,les juridictions européennes et les juridictions nationales. C'est une limite à cette constitutionnalisationsubstantielle.Et surtout il apparaît en bilan que "le Conseil constitutionnel est aujourd'hui dépassé par les principes directeursdu droit pénal "à la fois par le haut et par le bas" (DANTI-JUAN, "Les principes directeurs du droit pénal et leConseil constitutionnel" in Travaux de l'Institut de sciences criminelles de Poitiers, "Droit constitutionnel et droitpénal", Cujas, 2000). Par le haut, avec la multiplication de principes directeurs contenus dans des textesinternationaux et le refus par le Conseil constitutionnel de juger la conformité des textes français avec ces derniers.Par le bas, par les juridictions pénales procédant quant à elles à un contrôle de conformité avec les principesdirecteurs contenus dans les conventions internationales, et réalisant ainsi, indirectement, une sorte dejudiciarisation du contrôle de constitutionnalité" (PONCELA, Droit de la peine, PUF Thémis, 2ème éd. 2001,p.42). Les divergences dans l'appréciation de la conformité des textes contrôlés par rapport à ces principes nepeuvent que se développer en raison de ces développements parallèles des jurisprudences du Conseilconstitutionnel, des juridictions judiciaires ou administratives nationales et des juridictions européennes.

* Enfin, une troisième technique de contrôle judiciaire de constitutionnalité, la plus téméraire, semble progresser etaller peu à peu vers le contrôle par référence directe aux principes constitutionnels.Certains ont souhaité introduire en droit français une exception d'inconstitutionnalité (F. MITTERAND, Discoursdu 14 juillet 1989 ; projet en Conseil des ministres le 28 mars 1990). Mais elle obligerait le juge judiciaire àsurseoir à statuer et à faire "remonter le contentieux" vers le Conseil constitutionnel : ainsi selon les "Propositionpour une révision de la Constitution, 15 février 1993" du Comité VEDEL (La documentation française, coll.Rapports officiels, 1993) une nouvel article 61-1 aurait pu être inséré selon lequel "Les dispositions de loi quiportent atteinte aux droits fondamentaux reconnus à toute personne par la Constitution peuvent être soumises auConseil constitutionnel à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction. Le Conseil constitutionnel estsaisi, à la demande d'un justiciable, sur renvoi du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de toute juridiction nerelevant ni de l'un ni de l'autre" (v. L. FAVOREU, "L'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel auxjuridictions administratives et judiciaires", RFDC, 1990, n/4, p. 518 ; F. LUCHAIRE, "Le contrôle de la loipromulguée sur renvoi des juridictions : une réforme constitutionnelle différée", RDP, 1990, p. 1625).Faute de l'existence effective en France d'une telle exception d'inconstitutionnalité, c'est à un contrôle direct par lejuge qu'il faut témérairement songer et plusieurs voies peuvent y mener. - La première tient au développement de la pratique des visas de principes, visas de cassation dépouillés desupport textuel. Le procédé est direct : "la Cour inscrit littéralement dans le visa qu'elle est tenue de faire figureren tête de ses arrêts de cassation, non point un texte législatif, réglementaire ou de droit international, mais un"principe" ou des "principes extra-textuels". Les formules les plus répandues sont : "Vu le principe de...", "Vu le

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principe selon lequel...", "Vu les principes régissant..." ou parfois même "Vu la règle..." (P. MORVAN, "Les visasde principes dans la jurisprudence de la Cour de cassation : inventaire d'un droit "hors-la loi", LPA 2005, n/113, p.5, spéc. n/2). Le procédé a été inauguré par la Chambre commerciale dans un arrêt du 20 avril 1948 et un auteurspécialiste de la question a pu recenser sur la période de 1948 à sept 2004, 96 principes différents, dans les 427arrêts ayant prononcé une cassation selon ce procédé. Parmi ces 96 principes, on peut relever quelques principesconstitutionnels : "Vu le principe constitutionnel de la liberté du travail", "Vu le principe du respect des droits de ladéfense", "Vu le principe de l'impartialité du juge", "Vu le principe fondamental de la liberté d'entreprendre", "Vule principe de la séparation des pouvoirs"... Mais pour le droit pénal, en raison de son légalisme, cette pratique esttrès limitée : il a fallu attendre 1999 pour que la Chambre criminelle adopte cette technique alors que les"principes" et "principes généraux du droit" prolifèrent dans la jurisprudence pénale depuis cinquante ans et seulsquatre visas ont été admis :"Vu le principe non bis in idem" (Crim. 6 janv. 1999, BC n/ 6) ; "Vu les principesgénéraux du droit international" (Crim 13 mars 2001 arrêt Kadhafi, à propos de l'immunité pénale des chefs d'Etatsétrangers en exercice); "Vu les principes généraux du droit international privé" (Crim. 5 sept. 2001, BC n/ 174) et"Vu le principe du respect des droits de la défense" (Crim 11 juin 2002 BC n/ 132) (V. P. MORVAN art. préc.n/15). - Une autre voie se dessine : elle consiste à s'appuyer sur les principes généraux exprimés dans les articlespréliminaires (depuis la loi du 15 juin 2000, article préliminaire du CPP) ou des articles d'orientation générale(notamment le nouvel alinéa 2 précité de l'article 132-24 C. pén. sur les fonctions de la peine, issu de la loi du 12décembre 2005). Le contenu de ces articles emprunte beaucoup aux principes constitutionnels et à la jurisprudencede la CEDH. Après les "doublons constitutionnels", on pourrait faire usage de ces "triplets constitutionnels" denature législative. Les premières références faite à l'article préliminaire du CPP dans la jurisprudence semblentrendre possible une telle utilisation (V. A. GIUDICELLI, RSC 2003, p. 122 à 125, spéc. p. 125 : après avoir admisque l'article préliminaire, qui n'a qu'une valeur législative, peut servir à exclure une disposition réglementaire deprocédure pénale, mais pas une disposition législative - sauf soutien de la norme européenne- cet auteur estime"qu’il est en revanche envisageable que sur le visa de l’article préliminaire soit soit sanctionnée une application ouune interprétation d’un texte par les juges du fond contraire aux principes énoncés par celui-i, ce qui est différent" ;Ne s’agirait-il pas d’un contrôle de constitutionnalité "de fait" ?).- Enfin plus radicalement, partant du constat qu’aucun texte n’interdit expressément aux juges d’exercer uncontrôle de constitutionnalité, on peut souhaiter un "coup de force" d'admission jurisprudentielle de ce contrôle,motivé par le seul impératif de respect de la hiérarchie des normes. N'est-il pas surprenant que le juge puisse écarterune loi non conforme à un traité, alors qu'il ne peut écarter une loi contraire à la Constitution pourtant supérieure autraité (V. les réflexions d' Emmanuel PIWNICA, "N'est-il pas temps de s'interroger à nouveau sur le contrôle deconstitutionnalité de la loi promulguée ? LPA 2004, n/255, p. 3 à 10 ; V. aussi A. GUINCHARD, "Les enjeux dupouvoir de répression en matière pénale. Du modèle judiciaire à l'attraction d'un système unitaire", LGDJ 2003, n/820 et s.). Sur le modèle du raisonnement tenu à propos de l'article 55 C. pour permettre le contrôle de la loi parrapport au traité, on peut, par analogie, interpréter l'article 61 C. comme exprimant une hiérarchie des normes àl'intention des juges. Cet article 61 donne directement au Conseil constitutionnel un monopole du contrôle préventifde constitutionnalité sur les lois votées, avant leur promulgation ; mais cet article implique que la loi est inférieure àla Constitution puisque la loi inconstitutionnelle ne peut être promulguée. Ultérieurement, lors de l'application,n'appartient-il pas aux juges ordinaires de respecter cette hiérarchie et de faire prévaloir cette normeconstitutionnelle sur une loi promulguée ? D'ailleurs, "en tout état de cause, les juridictions ordinaires peuvent trèsbien, sans contrôler expressément la constitutionnalité d'une loi, se contenter d'interpréter la loi dans un sensconforme à la Constitution. Cette attitude jurisprudentielle, qui est pratiquée par la Cour de cassation, revient àopérer selon les mots de Michel JEOL, un "contrôle implicite de constitutionnalité" : en interprétant une loi de tellemanière qu'elle soit conforme à la Constitution, le juge neutralise les effets liés à l'inconstitutionnalité de la normelégislative sans pour autant s'arroger un pouvoir d'annulation de la loi votée" (Ph. BLACHER, art. préc., n/ 2-45 et46).

Il apparaît donc que le juge pénal participe activement à la constitutionnalisation substantielle du droit pénal,constitutionnalisation qui se renforce par la conjonction du travail opéré a priori par le Conseil constitutionnel, dansl'affirmation des principes fondamentaux du droit pénal et le contrôle de leur respect dans la fabrication de la loipénale et par ce travail opéré a posteriori par le juge dans la mise en application et l'interprétation des textesréglementaires, législatifs et internationaux. Le Conseil constitutionnel n'a prééminence officielle et monopolistiqueque dans la matière législative et s'il y a longtemps opéré de manière dirigiste et autoritaire, il doit aujourd'hui deplus en plus souvent inviter l'autorité judiciaire à participer activement à la défense des libertés individuelles face àla montée des choix par le Parlement de politiques pénales sécuritaires.

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C'est aussi à la constitutionnalisation formelle qu'il faut s'intéresser.

2ème Partie : Faiblesses et insuffisances de la constitutionnalisation formelle du droit pénal

Dans la "constitutionnalisation formelle" du droit pénal, c'est le contenu pénal direct de la Constitution du 4 octobre1958 qui doit être observé. A la lecture de la centaine d'articles de ce texte, les pénalistes sont plutôt déçus, aprèsd'ailleurs avoir été parfois inquiets, dans les années 1960-1970. Ils sont d'abord déçus par les manques. Il n'y a pas d'énoncé des Droits et principes fondamentaux, la Constitutionfrançaise n'ayant pas choisi d'être une Charte ou une Déclaration de ces Droits. Ce contenu substantiel, nousvenons de le voir, est ailleurs, dans tous les autres éléments du "bloc de constitutionnalité". Il n'y donc pas,contrairement à ce que l'on trouve dans des Constitutions étrangères (allemande, italienne, grecque...), d'amplesdéveloppements sur le droit pénal. Tout au plus, on trouve référence à l'égalité (art. 1), à l'indépendance del'autorité judiciaire (art. 64) et surtout à la protection de la liberté individuelle confiée à la garde de l'autoritéjudiciaire (art. 66, "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle,assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi").Mais il y aussi déception sur le contenu des quelques dispositions directement pénales ou des dispositionssusceptibles de s'appliquer au droit pénal, présentes dans la Constitution. Ce contenu suscite souvent plus dequestions ou d'incertitudes qu'il ne fournit de réponses certaines.

Trois groupes de dispositions peuvent être distingués: une première série d'articles est déterminante pour lessources de droit pénal; une deuxième série s'attache à préciser le sort pénal des parlementaires, des ministres et duPrésident de la République ; une troisième groupe, assez hétérogène, concerne à la fois des institutions, des organeset l'autorité judiciaire : droit de grâce, mandat d'arrêt européen, Cour pénale internationale, Conseil constitutionnel,Conseil Supérieur de la Magistrature, indépendance des magistrats...Il n'est pas possible d'examiner ici toutes ces dispositions. Seules les questions sur les sources (A), puis desquestions récemment ou actuellement discutées sur le statut pénal du Président de la République et sur la justicepénale doivent nous retenir.

A/ Hésitations sur les sources du droit pénal

* La première question sur les sources du droit pénal est ancienne puisqu'elle date de 1958, mais elle est cyclique,"à épisodes", et elle vient de réapparaître avec le reproche de lois "bavardes". C'est la question du partage descompétences entre la loi et le règlement, spécialement en matière pénale. - Premier épisode en 1958: il concernait la consécration du rôle du réglement en matière contraventionnelle.L'article 34 C réservait désormais à la loi, en matière pénale, "la détermination des crimes et délits ainsi que lespeines qui leur sont applicables...". Comparé au texte du projet de Constitution qui maintenait dans la compétencede la loi, "la détermination des infractions ainsi que les peines qui leur sont applicables", cet article 34 paraissaitexclure totalement la loi en matière contraventionnelle, tant pour la détermination des contraventions que despeines qui leur sont applicables. Le Conseil d'Etat, dans le célèbre arrêt Société Eky du 12 février 1960, l'admit,n'hésitant pas à affirmer " que ni (l'article 8 DDH) ni aucune autre disposition de la Constitution ne prévoit que lamatière des contraventions appartient au domaine de la loi ; qu'ainsi il résulte de l'ensemble de la Constitution etnotamment des termes de l'article 34 que les auteurs de celle-ci ont exclu dudit domaine (de la loi) la déterminationdes contraventions et des peines dont elles sont assorties...; dès lors, la matière des contraventions relève dupouvoir réglementaire par application des dispositions de l'article 37 de la Constitution". L'arrêt alla ensuite jusqu'àaffirmer que l'article 4 du code pénal (de 1810) "est incompatible avec les dispositions des articles 34 et 37 de laConstitution du 4 octobre 1958 en tant qu'il a prévu que nulle contravention ne peut être punie de peines qui n'aientété prononcées par la loi et doit, par suite, être regardé comme abrogé sur ce point...". On observe au passage que lejuge administratif n'hésite pas ici à contrôler directement la constitutionnalité d'une loi dans le cadre de l'abrogationd'une loi antérieure déclarée incompatible avec la Constitution et pour affirmer ainsi que l'article 4 doit être"regardé comme abrogé sur ce point", le juge interpréte et met en rapport la norme législative et la normeconstitutionnelle (v. BLACHER, art. préc., spéc. n/ 2-44). Le Conseil constitutionnel reconnut lui aussi cettecompétence réglementaire pour les contraventions dans une décision du 19 février 1963 ("si l'article 34 réserve aulégislateur le soin de fixer "les règles concernant ... la détermination des crimes et délits et des peines qui leur sontapplicables", la détermination des contraventions et des peines dont celles-ci sont assorties est de la compétenceréglementaire"). A lire ces décisions, on pouvait croire que le pouvoir réglementaire allait finir par fixer lui-même

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l'arsenal des peines contraventionnelles, alors que c'est la loi qui les déterminait (art. 464 à 466 C. pén. issus d'uneordonnance de l'art. 92 C à valeur législative).- Deuxième épisode : le retour de la loi. C'est le Conseil constitutionnel qui en prit l'initiative, en créant le doute surla constitutionnalité de l'emprisonnement contraventionnel. Dans une décision du 28 novembre 1973, relative à unemodification d’une disposition du code rural susceptible d’entraîner seulement l’application d’une amende, ilaffirma que "la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables est du domaineréglementaire, lorsque lesdites peines ne comportent pas de peines privatives de liberté...". A contratrio, s’il y aemprisonnement, on en déduisait que la loi s’imposait. Immédiatement, le Conseil d’État (avis du 17 janvier 1974)et la Chambre criminelle (arrêt du 26 février 1974, Schiavon) invoquèrent "l'écran législatif" pour sauverl'emprisonnement contraventionnel. En effet, cet emprisonnement "est prévu dans les articles 464, 465 c. pén et 521CPP, lesquels déterminent les pénalités applicables aux contraventions de police; ces derniers textes (issusd'ordonnances de l'art. 92 C), ayant valeur législative, s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire qui ne sontpas juges de leur constitutionnalité". Il faudra attendre le code pénal de 1992 pour voir l'emprisonnementcontraventionnel disparaître. Aujourd'hui l'article 111-2 C. pén. précise clairement que "le règlement détermine lescontraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables auxcontrevenants". L'article 34 de la Constitution mérite un "toilettage" pour préciser sans ambiguïté que relève de laloi "la détermination des crimes et délits; les sanctions pénales; la procédure pénale ..." Le retour de la loi s'est aussi marqué par le rétablissement de son rôle dans la création de contraventions depuisque, dans une décision du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel a refusé d'invalider des dispositions législativesqui viendraient prévoir des contraventions. Un Livre VI, intitulé "Des contraventions" a été ajouté à la partielégislative du Code pénal en 1996. Dans quel but sinon d'accueillir des contraventions ? Il reste vide mais descontraventions ont déjà effectivement été créées par des lois hors code pénal : contravention de 5ème classed'organisation sans autorisation de "rave-party" (loi 15 nov. 2001 ; art. 23 inséré dans la loi du 21 janvier 1995 surla sécurité); contravention de 2ème classe sanctionnant la vente de tabac à des mineurs de 16 ans (art. L. 3512-1-1c. santé publique, crée par la loi du 31 juillet 2003); contraventions de chasse dans le code de l'environnement. Al'inverse, une loi peut provoquer la suppression d'une contravention comme ce fut le cas à la suite de la créationd'un délit de racolage (loi du 18 mars 2003, art. 225-10-1 C.pén. avec suppression corrélative de la contraventionde l'art. R.625-8 c. pén. par décret du 27 sept. 2004 après une période de coexistence incertaine des deux textes...).Ce retour de la loi n'est donc pas théorique. - Troisième épisode : rappel à l'ordre contre des lois "bavardes" (Pierre MAZEAUD, Président du Conseilconstitutionnel, Discours du 4 janvier 2005) ou à portée symbolique (loi du 29 janvier 2001 de reconnaissance dugénocide arménien ; loi du 21 mai 2001 de reconnaissance de la traite négrière et de l'esclavage en tant que crimecontre l'humanité -V.nos obs. RSC 2001, p. 413 et 849- loi du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la Nationet contribution nationale en faveur des Français rapatriés", dont les dispositions préconisant, dans les programmesscolaires, de présenter les apports de la colonisation viennent d'être déclarées de nature réglementaire par le Conseilconstitutionnel - V. nos obs. RSC 2005, p. 366). Compte tenu des constats précédemment faits sur le rôle joué parle Préambule des Constitutions de 1958 et 1946, et sur le rôle s'annonçant de l'article préliminaire du CPP, il fautéviter de croire que des textes peuvent n'être que symboliques ou déclaratifs. La loi doit rester normative etrespecter le domaine que la Constitution lui assigne. Le Conseil vient de le rappeler, dans sa décision 2005-512 DCdu 21 avril 2005 à propos de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, en censurant la présencedans la loi tant de dispositions "qui ont, à l'évidence, le caractère réglementaire"(création de commissionsacadémiques sur l'enseignement des langues vivantes, conditions d'attribution du label "lycée des métiers"...) quede "dispositions manifestement sans portée normative" (malgré la formulation symbolique grandiloquente :"L'objectif de l'école est la réussite de tous les élèves. Compte tenu de la diversité des élèves, l'école doitreconnaître et promouvoir toutes les formes d'intelligence pour leur permetttre de valoriser leurs talents..." ; v.SCHOETTL, "La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école devant le Conseil constitutionnel", LPA2005, n/ 100, p. 3). Ce rejet de formules "symboliques" déclaratives et non directement normatives pourraientconduire à porter un regard critique sur bien des articles généraux et déclaratifs, présents en tête de lois (par ex. art.1 de la loi du 17 janvier 1975 sur l'IVG, "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de lavie" ; art. 1 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : "L'informatique doitêtre au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale.Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertésindividuelles ou publiques" ; art. 1 de la loi du 22 juin 1987 sur le service public pénitentaire qui "favorise laréinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire"; etc.). Ces formules, même si ellesn'expriment pas nécessairement des normes de droit positif - la distinction n'est d'ailleurs pas évidente, comme lemontrent les hésitations sur la portée de l'article préliminaire introduit dans le CPP par la loi du 15 juin 2000)-contribuent largement au dégagement progressif de principes fondamentaux.

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Cependant, être laxiste sur le partage entre loi et règlement ou sur le contenu des lois peut aussi provoquer, en effetinverse, un empiétement du règlement sur le domaine de la loi. N'est-ce pas déjà le cas quand des règlementsviennent prévoir, pour certaines contraventions, une complicité par aide et assistance contre la lettre de l'article121-7 C.pén. (comp. l'al. 2 employant le terme "infraction" et l'al. 1 se limitant à viser "un crime ou un délit" ce qui,a contrario, signifie que la loi n'a pas envisagé une complicité par aide ou assistance pour les contraventions...que lepouvoir exécutif n'hésite pas à prévoir ponctuellement pour des contraventions de 5ème classe) ? Puisque l'article34 de la Constitution réserve totalement à la loi "la procédure pénale", ne faut-il pas résister à certaines délégationsfaites par la loi au règlement pour déterminer le champ d'application de certaines procédures pénales (V. art. 529 et529-7 CPP pour l'amende forfaitaire) ou même la compétence de certaines juridictions, comme celle du juge deproximité (loi du 9 sept. 2002 et loi du 26 janvier 2005, art. 521 al. 3 CPP; décret du 25 mars 2005 ; V. nos obs.RSC 2005, p. 339). Le droit pénitentaire, malgré son lien très fort avec le droit pénal de la peine et avec laprocédure pénale (rôle du JAP ; décision d'élargissement anticipé du condamné qui actualise l'individualisation dela peine initialement faite lors du prrononcé...) a longtemps eu pour sources dominantes des textes réglementairesou infraréglementaires, notamment des circulaires (certes adressées aux parquets, mais mise en oeuvre par desjuges, les JAP ; sur ces particularités, M. HERZOG-EVANS, "Droit de l'application des peines, éd. Dalloz, Coll ;Damlloz Action, 2ème éd. 2005, spéc. p.6 et s, n/ 01-00 à 01-34). Les lois du 15 juin 2000 et du 9 mars 2004reviennent en cette matière au respect de l'article 34 de la Constitution.

Ainsi, près de 50 ans après l'apparition de cette distinction des domaines de la loi et du réglement en matièrepénale, des confusions subsistent toujours (V. la loi du 26 janvier 2005 insérant dans l'art. 131-13 C. pén. un alinéaselon lequel "Constituent des contraventions les infractions que la loi punit d'une amende n'excédant pas 3000euros"). Il est temps, soit de réagir à ce laxisme, soit peut-être plus radicalement d'exclure les quatre premièresclasses de contraventions du "vrai droit pénal" pour en faire une "matière pénale" à caractère administratif (commeen Allemagne pour les OWIG, en Espagne ou en Italie).

* Toujours à propos des sources du droit pénal, une autre question, bien plus ardue et incertaine, touche àl'intégration des textes internationaux (traités classiques, textes communautaires notamment). Il a déjà étéconstaté combien il peut y avoir interférences entre les principes du droit constitutionnel français et les principesposés par le droit communautaire et par le droit européen de la CESDH, qu'il concernent le droit pénal de fond oula procédure pénale. Plusieurs révisions récentes de la Constitution sont consécutives à cette intégration.

- La loi constitutionnelle 92-554 du 25 juin 1992 y a introduit un "Titre XV : Des communautés européennes et del'Union européenne", dont l'un des articles, l'article 88-1, vient d'être mis en avant par le Conseil constitutionnelcomme fondement à la reconnaissance de la primauté du droit commmunautaire. Cette primauté n'est plus fondéesur le principe constitutionnel de primauté des traités posé dans l'article 55 C, mais bénéficie d'une reconnaissancespécifique sur la base de la participation de la France à l'Union européenne exprimée dans cet article 88-1. Seloncet article, "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etatsqui ont choisi librement, en vertu des Traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurscompétences". Aussi, selon le Conseil constitutionnel, "la transposition en droit interne d'une directivecommunautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'unedispositon expresse contraire de la Constitution" et il en déduit "qu'en l'absence d'une telle disposition, iln'appartient qu'au juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par unedirective communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis parl'article 6 du Traité sur l'Union européenne" (décision 2004-496 du 10 juin 2004). En conséquence, le Conseilrefuse de se prononcer sur des dispositions de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économienumérique relatives à la responsabilité pénale des hébergeurs de sites internet, car elles se bornaient "à tirer lesconséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises" de la directive du 8 juin 2000 que la loitranspose.Plusieurs décisions ultérieures ont confirmé cette jurisprudence (les trois décisions 2004-497, 498 et 499 du 29juillet 2004 et surtout la décision 2004-505 du 19 nov. 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe). Ilest donc clair que le Conseil refuse, à l'occasion du contrôle d'une loi faisant application d'un acte communautairedérivé, de contrôler la conformité à la Constitution de ces textes communautaires au nom d'une hiérarchisationformelle des normes nationales et internationales. Qu'adviendra-t-il si la norme d'origine communautaire méconnaîtun principe constitutionnel français? Faute, pour le Conseil, de pouvoir poser une question préjudicielle à la CJCE,les actes de droit communautaire dérivé transposés par des lois bénéficient d'une "immunité constitutionnelle" (Ph.

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BLACHER, art. préc., n/ 2-90 à 92 qui compare notamment avec la jurisprudence "So lange" de la Courconstitionnelle allemande) et c'est le "constitionnalisme transnational communautaire" qui peut alors dominer.

- Cette influence extérieure se manifeste également par les modifications imposées à la Constitution française.Deux révisions sont ainsi directement liées à la création de nouvelles institutions pénales. L'une concerne la Cour Pénale Internationale prévue par le Traité de Rome du 18 juillet 1998. Le Conseilconstitutionnel (Déc.98-408 du 22 janvier 1999) a estimé que diverses dispositions du Statut de cette Cour étaientcontraires à la Constitution, notamment à propos du droit de grâce, du respect de la souveraineté nationale etsurtout des poursuites possibles contre le Chef de l'Etat, les ministres ou les parlementaires (art. 27 du Statutincompatible avec les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution). Il convenait donc de modifier la Constitution. Cequi fut fait par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui insère dans la Constitution un article 53-2 aux termesduquel "La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévuespar le traité signé le 18 juillet 1998" (V. DELMAS-MARTY, La Cour pénale internationale et les interactions entredroit interne et international", RSC 2003, p. 1).L'autre révision à contenu pénal permet l'instauration du mandat d'arrêt européen. Cette procédure de mandat d'arrêteuropéen remplace pour les Etats membres de l'UE la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957adoptée sous l'égide du Conseil de l'Europe ainsi que les deux conventions de l'UE en matière d'extradition (10mars 1995 et 27 septembre 1996). Cette nouvelle procédure instaurée par la décision-cadre du 13 juin 2002 duConseil de l'UE a été transposée en France après révision constitutionnelle par la loi du 9 mars 2004 et elle estimmédiatement entrée en vigueur. Le Conseil constitutionnel avait là encore estimé nécessaire d'opérer unerévision constitutionnelle.Une loi constitutionnelle 2003-267 du 25 mars 2003 complète l'article 88-2 C par unalinéa 3 selon lequel : "La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur lefondement du Traité de l'Union européenne". Cet alinéa annonçait une loi à contenu prédéterminé, "forcé" caraligné sur "ces actes pris sur le fondement du Traité...". Ce texte est la loi du 9 mars 2004 dans laquelle le chapitretraitant du mandat d'arrêt européen et des procédures de remises entre Etats membres n'a donné lieu à aucuneconstestation devant le Conseil (déc. 2004-492 DC du 2 mars 2004). Ces deux révisions suggèrent nettement la soumission au mécanisme du renvoi : la Constitution est modifiée parreprise pure et simple d'une norme extérieure, qui in fine s'avère être supérieure. Certes, le texte international estconforme à la Constitution ... révisée. Qui domine l'autre ?

- Les dernières révisions constitutionnelles opérées par les deux lois constitutionnelles du 1er mars 2005 reflètentces mêmes difficultés. La loi 2005-204 modifie le Tire XV pour rendre possible la participation à l'Unioneuropéenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe (art. 88-1 complété): c'est actuellement l'impasse sur ce transconstitutionnalisme européen. L'autre loi, n/ 2005-205, complète lepremier alinéa du Préambule de la Constitution pour y renvoyer "aux droits et devoirs définis dans la Charte del'environnement de 2004, Charte composée de 10 articles, précédés de 7 considérants les justifiant. Le "bloc deconstituionnalité" s'enrichit ainsi d'un texte formel, dont la portée concrète en droit postif reste à définir et àexpérimenter.

De cette succession de révisions, naît un sentiment d'hésitation, une impression de forte perturbation qui tient à cedéveloppement du droit communautaire et du droit européen qui progressivement entame l'autonomie et lasouveraineté des Parlements nationaux en matière pénale, que ce soit sous la forme d'incriminations, de sanctionsou de procédures nouvelles, dont l'introduction est obligatoire par l'effet d'engagements internationaux ou sous laforme de neutralisation de dispositions internes contraires à des normes internationales (V. Michel VAN DEKERCHOVE, "Eclatement et recomposition du droit pénal", RSC 2000, pp. 5 à15, spéc. p. 8). La hiérarchisationformelle est surtout perturbée par cette succession de révisions constitutionnelles, la plupart dictées par deséléments extérieurs, par le constat que jusqu'à présent le Conseil constitutionnel n'a jamais accepté de contrôler leslois de révision constitutionnelle (contrairement à l'Autriche ou l'Allemagne ; sur cette question Ph. BLACHER,art. préc. n/ 2-103 à 110).C'est encore de l'extérieur que risquent de venir les plus fortes perturbations de la constitutionnalisation formelle,dans la mesure où le Conseil constitutionnel persiste à refuser d'intégrer dans ses textes de référence pour dégagerles principes fondamentaux, les sources communautaires et surtout la CESDH, au risque, déjà signalé, de créer desconflits entre sa jurisprudence, validant par exemple une loi, et les jurisprudences de la CJCE, de la CEDH, voiredes juridictions nationales ordinaires, qui appliquant le droit communautaire ou européen pourront estimer quecette loi est à "mettre en sommeil" comme heurtant des principes dont la valeur "internationale" est en principe"infraconstitutionnelle" !

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Alors que la matière pénale s'internationalise, les triples refus du Conseil (de contrôler les textes d'origine externe,de contrôler les révisions constitutionnelles, d'intégrer les sources internationales des droits fondamentaux à sonréférentiel de contrôle) affaiblissent incontestablement la "constitutionnalisation du droit pénal". Ou du moinsobligent les citoyens à chercher des garanties ailleurs qu'auprès du Conseil, notamment près de la CEDH, de laCJCE et des juridictions ordinaires, Conseil d'Etat ou Cour de cassation.A ces hésitations sur la constitutionnalisation formelle relative aux sources internationales, il convient d'ajouter desquestions pénales discutées, dans l'ordre inerne, sur des institutions visées dans la Constitution, spécialement sur lestatut pénal du Président de la République et sur l'indépendance des magistrats.

B/ Incertitudes sur des situations institutionnelles de droit pénal constitutionnel

Deux points ont récemment soulevés de nombreuses discussions.

* La question du statut pénal de Président de la République a montré la faiblesse, à la fois de forme et de fond, del’article 68 de la Constitution. En un alinéa unique, cet article prévoit que "Le président de la République n’estresponsables de ses actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être misen accusation que par les deux assemblées statuant part un vote identique au scrutin public et à la majorité absoluedes membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice".

A trois ans d’intervalle, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation se sont prononcés différemment sur lesens à donner à cet article (V. pour le détail F. FOURMENT, Procédure pénal, CPU, 2005, n/ 28).Le Conseil constitutionnel, dans sa décision 98-409 du 22 janvier 1999 relative à la compatibilité du Statut de laCour Pénale Internationale avec la Constitution, a estimé que le Président "pour les actes accomplis dans l'exercicede ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de sesfonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice". Selon cetteinterprétation, le deuxième phrase de l'article 68 prend une portée générale. S'agissant d'actes antérieurs auxfonctions ou d'actes commis pendant les fonctions mais détachables de celles-ci, des poursuites sont possibles, maispendant la durée du mandat présidentiel, uniquement devant la Haute Cour. Dans un communiqué de presse du 10octobre 2000, le Conseil a d'ailleurs précisé que "le statut pénal du Président de la République ne confère donc pasune "immunité pénale", mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat" quant à ces actes horsfonctions.Pour le Conseil, le Président bénéficie d'une immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ; ilbénéficie d'un privilège de juridiction pour la haute trahison, pour les actes accomplis avant son mandat et pourceux accomplis pendant la durée de son mandat mais détachables des fonctions. C'est une large extension de lacompétence de la Haute Cour, devenant potentiellement apte à juger tout crime, délit, voire contravention. Maiscomme il faut une "mise en accusation" par les deux assemblées, statuant à trois conditions strictes (vote identique,majorité absolue, scrutin public), la poursuite est fort peu probable et on revient à une immunité totale. "Le Roi nepeut mal faire" !

La Cour de cassation fut amenée à se prononcer sur ce statut pénal du Président à propos du rejet par la Courd'appel de Paris d'une demande d'un contribuable parisien de faire citer M. CHIRAC comme témoin sur lefondement de l'art. 82-1 CPP et de le mettre en examen pour des faits sur lesquels une information était ouverte.Ces faits commis dans la gestion des affaires de la Mairie de Paris remontaient au temps où M. CHIRAC étaitmaire. L'arrêt de la Cour de cassation, rendu en Assemblée plénière, le 10 octobre 2001, présente un double intérêt.Il tranche d'abord la question de l'autorité à attacher à la décision du Conseil. Selon l'article 62 al. 2 de laConstitution, les décisions de Conseil "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives etjuridictionnelles". Mais cet article ne précise ni l'étendue de la chose jugée, c'est-à-dire les éléments de la décisionauxquelles cette autorité s'attache, ni sa portée, c'est-à-dire les cas dans lesquels les autres juridictions sont tenuesde la respecter. Le Conseil constitutionnel considére que cette autorité s'attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs"dans la mesure où ils constituent le soutien nécessaire du dispositif" (décision 62-18 L. du 16 janvier 1962). LaCour de cassation le confirme, rejetant ici la critique d'obiter dictum, mais elle se place ensuite sur le terrain de laportée de la décision, limitant la portée de la chose jugée à l'identité d'objet. Pour elle, "si l'autorité des décisions duConseil constitutionnel s'attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutiennécessaire, ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnellesqu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil" ; en l'espèce, la décision du 22 janvier 1999 n'a statuéque sur la posssibilité de déférer le Président de la République devant la Cour pénale internationale pour y répondre

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des crimes de la compétence de cette Cour; il appartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire dedéterminer si la président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant ellespour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions" (V. Francis HAMON,A propos du statut pénal du chef de l'Etat : convergences et divergences entre le Conseil constitutionnel et la Courde cassation", RSC 2002, p. 59). Le juge judiciaire ne s'estime pas lié par l'interprétation d'une disposition de laConstitution énoncée dans une décision du Conseil car l'autorité de chose jugée ne s'attache qu'à l'interprétation dela norme contrôlée. La Cour de cassation se prononce ensuite sur le fond. Elle rejette la conception extensive du Conseil constitutionnelconcernant la compétence de la Haute Cour : cette Haute Cour n'est compétente que pour connaître des actes dehaute trahison commis dans l'exercice des fonctions et aux conditions de mise en accusation prévues à l'article 68C. Pour tous les autres actes que la haute trahison, commis avant ou pendant le mandat présidentiel et dans cedernier cas, dans l'accomplissement ou non de ses fonctions, les poursuites relèvent des juridictions pénalesordinaires : il n'y a pas d'irresponsabilité pénale du Président. Mais, et c'est là un élement de convergence avec leConseil, la Cour de cassation affirme que le Président ne peut "pendant la durée de son mandat être entendu commetémoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénalede droit commun; il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l'article101 CPP, dès lors que cette obligation est assortie par l'article 109 CPP d'une mesure de contrainte par la forcepublique et qu'elle est pénalement sanctionnée". Et , bien que la loi soit muette sur ce point, la Cour ajoute que laprescription de l'action publique devant les juridictions pénales de droit commun est suspendue pendant la durée dumandat présidentiel.La Cour de cassation admet donc un régime d'immunité temporaire (sauf haute trahison) au profit du Président. Envisant outre l'article 68, l'article 3 et le Titre II de la Constitution, "l'arrêt se fonde sur l'esprit général desinstitutions plutôt que sur un texte précis : "élu directement par le peuple pour assurer, notamment, lefonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat", le Président est investi d'une missiontrop importante pour qu'on puisse prendre le risque de l'exposer à des tracas judiciaires pendant la durée de sonmandat" (Francis HAMON, art. préc., p. 65).

En raison de ces différences d'analyse de l'article 68, un décret du 4 juillet 2002 a mis en place une commissiond'experts présidée par le professeur Pierre AVRIL. Son rapport a été remis au Président de la République le 12décembre 2002 et devait servir de base à une révision constitutionnelle ... qui tarde ! (V. les propositions Avril, inFOURMENT, op. cit. n/ 28, p.19 ; nouvel article 67 proposé : "Le Président de la République n'est pas responsabledes actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 -compétence de la Cour pénaleinternationale- et 68. Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrativefrançaises, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite.Les conditions dans lesquelles ces procédures pourraient être engagées ou reprises après la cessation des fonctionssont fixées par une loi organique" ; nouvel article 68 proposé : "Le Président de la République ne peut être destituéqu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitutionest prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. (...).)* L'autre question fort discutée en ce moment, notamment en raison de l'affaire d'Outreau, est celle du statut desmagistrats, spécialement de ceux du Parquet. Dans le Titre VIII de la Constitution de 1958, intitulé "De l'autorité judiciaire" - formule contestée par certains-,l'article 64 renvoie à la loi organique pour la détermination du statut des magistrats.Mais ce même article déclare que "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autoritéjudiciaire". Pour le Conseil constitutionnel, l'autorité judiciaire comprend à égalité les magistrats du siège et lesmagistrats du Parquet et c'est cette autorité judiciaire, dans ses deux composantes, qui est, selon la formule del'article 66 C., "gardienne de la liberté individuelle". Mais qu'en est-il vraiment de l'indépendance des membres duParquet ? (V. Jean-Paul JEAN, Le ministère public entre modèles jacobin et modèle européen", RSC 2005, p. 670 à683).Quand, à propos de procédures pénales spéciales susceptibles de présenter des dangers pour les libertésindividuelles, le Conseil constitutionnel émet des réserves d'interprétation directives, impliquant vigilance ouintervention de la part de l'autorité judiciaire, sont concernés selon les textes, magistrats du parquet, juged'instruction, juge des libertés et de la détention, président du TGI et juge délégué...) et magistrats du siège. Commedéjà indiqué, ne pouvant s'opposer à des choix de politique pénale du Parlement malgré ces dangers perçus, leConseil s'en remet à cette vigilance et prudence des juges.Une nouvelle étape dans la constitutionnalisation du droit pénal doit être envisagée, qui dépasse les possibilitésd'intervention du Conseil qui ne peut guère tirer davantage de principes des trois seuls articles consacrés dans laConstitution à "l'autorité judiciaire" (art. 64 à 66). C'est une véritable réforme de la Constitution qui devient

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nécessaire, pour que cette Constitution toute concentrée sur les pouvoirs exécutif et parlementaire, s'élargisse enfinau pouvoir de jurisdictio. Il faut y prévoir, dans un contenu digne de leur importance pour les garanties des droits etlibertés des citoyens, des dispositions fondamentales sur les statuts et les pouvoirs de toutes les autorités quiappliquent le droit, spécialement lorsqu'un pouvoir de sanction leur est reconnu. S'y trouvent concernées nonseulement l'autorité judiciaire, mais aussi les autorités administratives indépendantes, les instances déontologiquesou disciplinaires et toutes les institutions qui participent à la "matière pénale" au sens de la CESDH.

Ainsi la force du Conseil est d'avoir su et de savoir encore parfaitement dégager et utiliser les principes quiconstituent les éléments de la constitutionnalisation substantielle du droit pénal. Pour ce faire il s'est doté d'outilsefficaces, tant dans sa saisine, dans son référenciel de contrôle ("bloc de constitutionnalité") que par les formesnuancées des réponses données dans ses décisions. Il mérite "quitus" pour son oeuvre au pénal, même si, sous lapression de la "politique sécuritaire", la vigilance attendue s'accommode parfois de délégations discutables. Onpeut, pour l'avenir, souhaiter qu'une constitutionnalisation formelle plus forte et plus directe intègre les instrumentsinternationaux d'expression des droits fondamentaux et offre digne place dans la Constitution au pouvoirjuridictionnel. Mais immédiatement et de façon plus réaliste, il faut d'ores et déjà faire appliquer et respecter tousces grands principes constitutionnels du droit criminel, de fond et de procédure, en se dotant des moyensnécessaires en personnels, locaux, matériels et financements. Sinon, il y a risque de divorce houleux entre cette"constitutionnalisation du droit pénal" et la justice au quotidien.