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Lille 2, université du droit et de la santé
Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et de gestion (n°74)
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
L’INTENTION DANS LE CRIME
D’EMPOISONNEMENT : L’EXISTENCE D’UN DOL
SPECIAL ?
Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention d u MASTER
droit « recherche » mention « Droit pénal »
Droit privé
par Sarcy Boris
sous la direction de Monsieur le Professeur PROTHAIS.
Année universitaire 2005/2006
Ce mémoire a été publié le 28 novembre 2006 avec l’autorisation de l’auteur etl’approbation du jury de soutenance sur http://edoctorale74.univ-lille2.fr
Sommaire
REMERCIEMENTS...........................................................................................3
TABLE DES ABREVIATIONS.........................................................................4
INTRODUCTION GENERALE........................................................................6
TITRE I – L'ASSERTION D'UN DOL SPECIAL DANS LE CRIM E
D'EMPOISONNEMENT..................................................................................18
TITRE II – L'INADÉQUATION D'UN DOL SPÉCIAL DANS LE CRIME
D'EMPOISONNEMENT..................................................................................48
CONCLUSION..................................................................................................77
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................78
2
REMERCIEMENTS
A M. le Professeur PROTHAIS, pour ses conseils avisés et sa disponibilité tout au long de
l’élaboration du présent mémoire.
A ma famille et ma compagne,
3
TABLE DES ABREVIATIONS
Art. article
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation
CA arrêt de la Cour d’appel
Cass. crim. Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
chron. chronique
coll. collection
comm. commentaire
C. conso. Code de la consommation
C. pén. Code pénal
Cf Confer.
D. Dalloz-Sirey (Recueil)
Defrénois Répertoire du notariat Defrénois
Dir. Directeur des recherches
doctr. doctrine
Dr. pén. Droit pénal (Litec)
éd. édition
éd. rev .et aug. édition revue et augmentée
éd. ref. édition refondue
Fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette Palais
Ibid. Ibidem
Id. Idem
In dans
J.-Cl. pén. Juris-Classeur pénal
J.C.P., éd. G. Juris-Classeur périodique édition générale
4
jurispr. jurisprudence
loc. cit. loco citato
n° numéro
obs. observations
op. cit. opere citato
p. page
pp. pages
petites affiches les petites affiches
RD pén. crim. Revue de droit pénale et de criminologie
RD sanit. soc. Revue de droit sanitaire et social
Rép. Pén. Dalloz Dalloz encyclopédie (droit pénal)
Rev. pénit Revue pénitentiaire et de droit pénal
Rev. sc. crim. Revue de recherche juridique – Droit prospectif
somm. sommaires commentés dans le Recueil Dalloz
spéc. Spécialement
sq. et sequens (page X et suivante)
sqq. et sequentes (page X et suivantes)
supra au dessus
t. tome
Trib. corr. Jugement du tribunal correctionnel
vol. volume
5
INTRODUCTION GENERALE
Aux termes de l’article 221-5 du Code pénal, l’empoisonnement est « le fait d’attenter à la
vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort ».
Ce procédé criminel a toujours été réprimé avec une sévérité exemplaire. Ainsi, dans
l’Antiquité, « la loi romaine considère l’empoisonnement comme un crime des plus graves et
des plus punissables. Elle le met au-dessus de ceux qui se commettent par le glaive 1 ». La
rudesse de cette répression s’est toujours justifiée de par la lâcheté et la traîtrise qui
caractérisent le comportement du coupable. Mais, plus encore que ces traits
comportementaux, c’est surtout la facilité d’en dissimuler les traces qui imposait aux
législateurs passés de réprimer fortement cette infraction2.
Historiquement, l’empoisonnement est certainement le crime qui connut le plus de succès
dans les cours européennes et notamment au Moyen Âge. A l’étranger, on se rappelle
particulièrement le poison des BORGIA, immortalisé par Victor HUGO et Gaetano DONIZETTI3.
Mais, la France n’est pas en reste. Sous le règne de Louis XIV, la Cour du roi fut également le
théâtre de multiples empoisonnements dont les plus célèbres sont certainement ceux
commandités par la marquise de BRINVILLIERS, qui avec l’aide de SAINTE CROIX, son amant,
empoisonna entre autres son père et ses frères4. Trois ans plus tard, le magistrat LA REYNIE,
1 ABELOUS (M.), Etude des dispositions répressives et préventives de la loi pénale française en matière
d’empoisonnement et d’administration de substances nuisibles, Montpellier, 1929, p. 10.2 Bien qu’étant toujours d’actualité, cet argument a perdu de sa valeur avec l’évolution des connaissances
scientifiques.3 Même si ces artistes mettent en scène la vie de Lucrèce BORGIA, c’est surtout son père Rodrigo BORGIA, devenu
pape sous le nom Alexandre VI, qui utilisa le poison à l’encontre de ses cardinaux.4 Elle fut condamnée à mort par un arrêt du Parlement de Paris en date du 16 juillet 1676. Cf. CORATO (N.),
Grandes plaidoiries et grands procès du XVe au XXe siècle, Paris, 2004, p. 89.
6
découvre une nouvelle affaire d’empoisonnement au sein de la Cour du roi. Mais, lorsque
Louis XIV apprend que le nom de Madame de MONTESPAN, sa favorite, est apparu durant les
investigations, il décide que l’affaire ne doit avoir aucune suite.
Cependant, conscient du danger que représente l’empoisonnement, il promulgue un Edit qui
réprime au même titre les devins et les empoisonneurs5. A cette époque, « le crime
d’empoisonnement était volontiers confondu avec ceux de sorcellerie et de magie, et les
empoisonneurs étaient assimilés enchanteurs et invocateurs de diables au point de vue de la
répression 6 ». Les éléments caractéristiques du crime d’empoisonnement tels qu’on les
connaît aujourd’hui, ont été fixés dans l’Edit de 1682 qui prononçait la peine de mort « contre
ceux qui se sont servis de poison, soit que la mort s’en soit suivit ou non 7 ». Ainsi, déjà à cette
époque, l’infraction d’empoisonnement était consommée même si la victime n’était pas
décédée des suites de l’administration du poison.
Pendant la période révolutionnaire, l’absence d’un pouvoir coercitif effectif, permis aux
personnes qui le désiraient, d’employer, sans grands risques, des moyens plus directs et plus
violents que le poison pour arriver à leurs fins. La crainte vis-à-vis de cette infraction diminue
alors fortement. Lors de l’élaboration du Code pénal de 1791, le législateur va jusqu’à faire
disparaître les particularités liées à ce crime en le définissant comme un meurtre spécial, et
supprime, par la même occasion, la peine de mort qui était, auparavant, la peine encourue
pour cette infraction8.
Cette confusion entre le meurtre, crime d’atteinte, et l’empoisonnement, crime d’attentat,
perdure jusqu’à l’entrée en vigueur du Code pénal de 1810. Prévue à l’article 301 de ce Code,
l’empoisonnement est défini comme « tout attentat à la vie d’une personne par l’effet de
substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que
ces substances aient été employées, et quelles qu’en aient été les suites ». Cette définition est
probablement la meilleure qui puisse être faite. Elle a pour principal avantage d’apporter une
approche plus explicite de la notion d’empoisonnement que l’actuelle définition de l’article
221-5 du Code pénal notamment en ce qu’elle prend soin d’écarter, de façon explicite, le
résultat de l’administration de la substance mortifère de la constitution de cette infraction.
Si ce n’est sous la période révolutionnaire9, l’empoisonnement a donc toujours été réprimé
sans qu’il y ait besoin qu’existe une atteinte à la personne : le simple fait pour l’agent de
5 ABELOUS (M.), op. cit. note 1., p. 13. 6* Ibid.7 MOUYART DE VOUGLANS, Lois criminelles, p. 187 cité par ABELOUS (M.), op. cit. note 1, p. 14.8 GARÇON (E.), Code pénal annoté, t. 2, Paris, p. 45.
7
tenter d’atteindre la personne consomme l’infraction. C’est en ce sens que le crime
d’empoisonnement peut être considéré comme un crime d’attentat. Dans cette infraction, ce
n’est donc pas le préjudice subi, par la victime ou par la société, qui motive la poursuite de
l’agent. A ce titre, le législateur semble vouloir réprimer l’action entreprise par l’agent en ce
qu’elle démontre l’intention de ce dernier d’essayer d’atteindre des valeurs sociales. Ainsi,
l’intention tient une place primordiale dans le crime d’empoisonnement. C’est pourquoi, dans
ce genre d’infraction peut-être encore plus que dans les infractions d’atteintes, il est important
de définir les composantes de son élément moral.
Suivant cette logique, on étudiera la notion d’attentat (CHAPITRE I) qui donne une nature
particulière au crime d’empoisonnement en faisant de l’intention requise un élément
déterminant de cette infraction. Il faudra donc tenter de définir l’intention criminelle adaptée à
cette infraction (CHAPITRE II).
CHAPITRE I – La notion d’attentat appliquée au
crime d’empoisonnement
Le terme « attentat » est issu du latin « ad-tentare » qui, par contraction, est devenu
« attentare ». L’attentat a donc la même racine étymologique que la tentative. Dès lors, il n’y a
rien d’étonnant à remarquer que ces deux termes sont fréquemment intervertis sans jamais
créer d’émoi auprès du public qui, généralement, ne fait aucune différence entre les deux
notions10. Récemment encore, on a pu lire dans un dictionnaire que le verbe « attenter »
signifie : « commettre une tentative criminelle ; porter gravement atteinte à 11 ». Cette
définition démontre toute l’ambiguïté de la notion d’attentat que ces auteurs généralistes
considèrent à la fois comme une tentative et comme une atteinte ; ce qui est impossible en
droit. En effet, la notion d’atteinte trouve sa racine étymologique dans le terme latin
« tangere » : toucher à. Les différences étymologiques démontrent que la tentative disparaît
9 Le Code pénal de 1791 prévoyait, tout de même, au sein de son article 15 des cas particuliers où la tentative
d’empoisonnement était réprimée.10 PROTHAIS (A.), Tentative et Attentat, Paris, 1985, p. 2 : Monsieur le Professeur PROTHAIS rapporte les titres deux
grands quotidiens à la suite de l’agression à l’encontre du Pape le 13 mai 1981. Le premier titrait « Attentat
contre le Pape » et le deuxième « JEAN- PAUL II victime d’une tentative d’assassinat ». 11 Le Petit Larousse illustré, éd. 100ème, Paris, 2004.
8
quand survient l’atteinte. L’attentat, qui se rapproche de la notion de tentative, ne peut pas, par
conséquent, être définit comme une atteinte.
Mais, au-delà de l’utilisation des termes « attentat » et « tentative » dans le langage courant, il
est surtout intéressant d’observer que ce sont également des termes juridiques. Et, si la
doctrine a toujours persisté à considérer ces deux termes de façon indépendante, c’est qu’il
existe certainement une nuance linguistique entre les deux notions. Cette distinction ne fut pas
toujours envisagée par la doctrine ce qui empêcha durant longtemps de formuler une
définition de l’attentat indépendamment de la notion de tentative. Il convient donc d’étudier
l’évolution historique de la notion d’attentat (SECTION I). Au terme de cette évolution, nous
rechercherons la définition moderne de l’attentat tel qu’elle doit être, aujourd’hui, entendue
dans le crime d’empoisonnement (SECTION II).
Section I –L’évolution historique de la notion
d’attentat
Durant l’Ancien Régime, les deux notions étaient confondues comme le démontre l’article 5
de l’Edit de 1682 qui dispose : « Ceux qui seront convaincus d’avoir attenté à la vie de
quelqu’un par vénéfices et poison, en sorte qu’il n’ait pas tenu à eux que le crime ait été
consommé, seront punis de mort 12 ». Il est évident que ce texte entend par l’expression
« attentat à la vie », la tentative d’empoisonnement13. Ainsi, s’agissant de la répression des
crimes atroces14, il convient d’observer que l’attentat suffisait pour prononcer la même peine
que celle du crime consommé. Ceci a permis l’évolution de la notion d’attentat. Il est alors
peu à peu convenu d’entendre par attentat : « Le crime atroce lui-même sous toutes ses formes
punissables, c'est-à-dire aussi bien le crime tenté dès les premiers préparatifs, que le crime
consommé 15 ».
Mais, la distinction entre la tentative et l’attentat, n’est pas réellement consacrée avant le Code
pénal de 1810. Cette consécration n’aurait pu avoir lieu sans la loi du 22 Prairial an IV qui
constitue « le point de départ de la théorie moderne de la tentative » en disposant que « toute
12 GARÇON (E.), loc. cit. note 8.13 Ibid.14 Durant l’Ancien Régime, l’expression « crimes atroces » regroupe les infractions suivantes : le crime de lèse-
majesté, l’assassinat ou meurtre de guet-apens, le parricide, le crime de poison et l’incendie.15 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 18.
9
tentative de crime manifestée par des actes extérieurs et, suivie d’un commencement
d’exécution sera punie comme le crime même, si elle n’a été suspendue que par des
circonstances fortuites, indépendantes de la volonté du prévenu »16. Cette définition donne un
contenu précis à la notion de tentative en exigeant un « commencement d’exécution » et, par-là
même, abandonne le terme ancien d’attentat dont le sens s’était corrompu17. Par la suite, le
Code pénal de 1810 scinde de façon définitive la notion de tentative et celle d’attentat. Cette
scission s’est faite en deux temps. D’abord, dans la partie spéciale du Code pénal de 1810, le
terme d’attentat est conservé pour qualifier certains crimes, qui recoupent pour la plupart les
crimes atroces de l’Ancien Régime18. Et parallèlement, dans sa partie générale, il est incorporé
une définition de la tentative calquée sur les lois de l’an IV et de l’an VIII19.
L’existence de cette distinction entre « la tentative » et « l’attentat » allait finalement permettre
à la doctrine d’établir une définition moderne de la notion d’attentat (SECTION II).
Section II – La définition moderne de l’attentat
En réalité, malgré cette séparation effective entre les notions de tentative et d’attentat depuis
l’entrée en vigueur du Code pénal de 1810, rare sont les auteurs qui ont recherché une
définition de la notion d’attentat indépendante de la notion de tentative. Certains auteurs tels
que VOUIN considéraient, d’ailleurs, l’attentat comme une notion « trop négligée 20 ».
A ce titre, la thèse de Monsieur le Professeur PROTHAIS intitulée « Tentative et attentat »
apparaît certainement comme l’une des études les plus complètes sur la notion d’attentat.
Après voir souligné la possibilité d’une pluralité de définition de la notion21, l’auteur étudie
chaque type d’attentat. Parmi les différentes catégories retenues, l’empoisonnement est
naturellement placé sous la section des attentats à la vie au même titre que l’assassinat. De
l’ensemble de ses réflexions, il constate que, contrairement à l’opinion commune, « il existe
actuellement dans notre droit criminel, une notion spécifique d’attentat 22 ». Cette notion
16 Id., p. 22.17 Ibid.18 L’empoisonnement conserve son appellation d’attentat.19 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 23.20 Trib. corr. Cherbourg, 31 mars 1981, Rev. sc. crim. 1982, chron., obs. LEVASSEUR (G.), p. 121.21 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, n° 35, p. 24. 22 Id., p. 197, n° 285.
10
particulière d’attentat ne s’applique pas à l’ensemble des attentats prévus par le Code pénal.
L’auteur ne retient que trois infractions parmi lesquels l’empoisonnement23.
Dans ce cas, l’attentat est une infraction formelle c'est-à-dire « consommée par l’emploi de
certains moyens dans un certain but criminel, mais indépendamment du résultat24 ». En
d’autres termes, l’attentat peut être définit comme une « tentative érigée en infraction
consommée 25 ». L’attentat est donc la tentative d’une infraction matérielle. S’agissant de
l’empoisonnement, l’infraction matérielle est l’infraction qui atteint la vie d’un individu c'est-
à-dire le crime de meurtre. Ainsi, en calquant la définition générale de l’attentat au cas
particulier du crime d’empoisonnement, on peut avancer l’idée que ce crime peut être
considéré comme une tentative de meurtre érigée en infraction consommée. Tant aux termes
de l’ancien article 301 que de l’article 221-5 du Code pénal, cette définition semble, tout à
fait, acceptable.
En effet, il existe un commencement d’exécution cristallisé dans l’emploi d’une substance
mortifère. Et, puisque l’infraction est consommée dès ce commencement d’exécution, la
deuxième partie de la définition de la tentative qui réclame que la suspension de l’action
criminelle ait lieu « en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur 26 » n’a
plus raison d’être. Ainsi, il importe peu que la personne ayant commis l’administration de la
substance, décide de soigner la personne pour que celle-ci ne subisse aucune des
conséquences de cette administration, le crime par poison sera déjà consommé. Sur ce point
encore, l’ancien article 301 du Code pénal est bien plus explicite que le nouvel article 221-5
en précisant que l’infraction d’empoisonnement est consommée « quelles qu’en aient été les
suites ». Le crime d’empoisonnement apparaît alors comme un crime « sui generis »,
consommé indépendamment de la mort d’autrui.
Cette vision française est bien loin d’être généralisée à l’ensemble de la communauté
mondiale. Par exemple, en Egypte, l’empoisonnement est un véritable meurtre. L’article 233
du Code pénal égyptien dispose que « celui qui tue un autre avec des substances qui causent
la mort plus ou moins promptement est un meurtrier par empoisonnement… »27. Cette
infraction nécessite donc la mort de la victime pour être consommée.
23 Ibid.24 Id., p. 198. 25 Ibid.26 Art. 121-5 C. pén.27 FOYER (J.) et KHAÏAT (L.), Droit et Sida, comparaison internationale, Paris, 1994, p. 166.
11
Au travers de ce crime particulier, le législateur français de 1992, a décidé, comme ce fut déjà
le cas pour ses prédécesseurs, de réprimer le comportement de l’agent non pas du fait de ses
conséquences, mais simplement du fait du potentiel de dangerosité qu’il renferme. Ce
potentiel transparaît au travers de l’intention de l’agent. Il faut donc essayer de définir ce
qu’est l’intention criminelle adaptée au crime d’empoisonnement (CHAPITRE II).
CHAPITRE II – La notion d’intention adaptée au
crime d’empoisonnement
La notion d’intention coupable est difficile à définir. «En matière d’intention, a écrit un
pénaliste, il y a autant de doctrines que d’auteurs 28 ». Ceci n’a rien d’étonnant puisqu’il
n’existe aucune véritable définition de l’intention criminelle. Cette expression ne fut codifiée
dans le Code pénal de 1810 que par une loi du 2 avril 1892. Les législateurs du XIXe siècle
préféraient user de termes tels que « à dessein », « volontairement », « sciemment »,
« frauduleusement » ou encore « de mauvaise foi » en les incorporant directement dans les
textes répressifs. Aujourd’hui, c’est l’article 121-3 du Code pénal qui dispose dans son
premier alinéa : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.». Mais,
une fois encore, le législateur s’est bien gardé de définir la notion d’intention.
Pourtant, par cet article, le législateur confère à l’intention une place essentielle en droit pénal.
Appartenant maintenant, non plus au droit pénal spécial mais au droit pénal général, le
législateur en a fait « une clef de lecture » du droit pénal spécial29. La preuve en est, qu’en
s’appuyant sur le principe de « l’exclusivité de l’intention en matière criminelle, et de sa
primauté en matière délictuelle », le législateur n’a plus jugé utile de la mentionner
expressément dans les textes d’incriminations30. La définition de la notion générale
d’intention s’avère donc indispensable pour pouvoir définir l’intention criminelle d’un crime
tel que celui qui nous intéresse.
La jurisprudence a parfois essayé de définir la notion, mais ses développements circonstanciés
ont toujours empêché de dégager une définition générale de l’intention. Ainsi, un auteur a pu
28 DELMAS-SAINT-HILAIRE (J.-P.), « La mort : la grande absente de la décision rendue dans l’affaire du sang
contaminé par le tribunal correctionnel de Paris », Gaz. Pal. 1993, doctr., p. 258.29 MAYAUD (Y.), Droit pénal général, Paris, 2004, p. 194.30 Ibid.
12
écrire qu’elle « n’a pas de théorie de l’intention, elle a une politique criminelle de l’intention31 ». De plus, ces réflexions ont majoritairement été faites sur des infractions matérielles. On
citera, pour exemple, les arrêts « PETIT » et « LAHORE » rendus respectivement le 13 juillet 1973
et le 8 février 1977 par le Cour de cassation32. Il ressort de ces arrêts qu’une infraction
intentionnelle est constituée « dès lors que l’agent a volontairement porté atteinte à la valeur
sociale protégée par le texte de qualification, quel que soit le mobile qui a inspiré les coups 33
». Si cette définition pourra être utilisée pour déterminer les éléments constitutifs de l’élément
moral du crime d’empoisonnement, c’est uniquement en ce qu’elle exclut les mobiles de la
constitution de l’élément moral puisque la notion d’atteinte est indifférente dans cette
infraction.
Définir la notion d’intention criminelle est donc une chose malaisée à faire. Face au vide
laissé tant par le législateur que par la jurisprudence, c’est vers la doctrine qu’il convient de se
tourner pour tenter d’expliquer ce qu’est l’intention. La recherche d’une définition de
l’intention coupable nommée aussi « dol » n’a jamais laissé la doctrine indifférente34. Pour
autant, si la « non-intention [...] a été l’objet d’une concrétisation poussée, [...] l’intention est
restée abstraite dans son principe 35».
Suivant ce constat, la recherche d’une définition de l’intention doit débuter par une réflexion
sur ce que n’est pas l’intention criminelle (SECTION I). Et, après avoir écarté les éléments dont
il est certain qu’ils ne constituent pas l’intention requise dans le crime d’empoisonnement, il
faudra rechercher une définition positive de la notion d’intention coupable pour en déduire les
composantes de l’intention requise par le crime d’empoisonnement (SECTION II).
31 MERCADAL (B.), « Recherches sur l’intention en droit pénal. », Rev. sc. crim. 1967, p. 7, n° 6.32 PRADEL (J.) et VARINARD (A.), Les grands arrêts du Droit pénal général, éd. 5ème, Paris, 2005, p. 514 sqq. 33 Ibid.34 GRIFFON (R.), De l’intention en droit pénal, Paris, 1911, 140 p. ; PAGEAUD (P.-A.), « la notion d’intention en
droit pénal », J.C.P., éd. G., 1950-I-876 ; LEGROS (R.), L’élément moral dans les infractions, Liège, 1952,
(XXXVI+352) p.35 MAYAUD (Y.), op. cit. note 29, p. 179.
13
Section I – Une définition négative de l’intention
criminelle
Comme observé ci-dessus, la jurisprudence a clairement évincé les mobiles de la constitution
de l’élément moral, et ce, à juste titre36. Le mobile, défini comme « le moteur qui détermine
l’action, qui est à l’origine de l’action 37», est inopérant par principe. Cependant, comme tout
principe, il existe des exceptions.
Il peut arriver que le législateur prenne en compte les mobiles. Selon les situations, il semble
qu’il les érige en cause d’irresponsabilité pénale38 ou s’en sert pour définir l’élément moral de
l’infraction créant alors un « dol aggravé » qui pour certains auteurs se confondra, en ce cas,
avec la notion de « dol spécial »39 . Ce dol aggravé est souvent introduit par des expressions
telle que « ayant pour but 40 » ou encore « tendant à 41 ».
S’agissant du crime d’empoisonnement, le législateur ne semble pas avoir imposé la preuve
d’un dol aggravé. De facto, les mobiles ne doivent pas être pris en compte pour constituer
l’élément moral du crime par poison. S’il arrive que ce crime soit commis dans un objectif
moralement acceptable, il n’en demeure pas moins que l’infraction sera constituée
indépendamment du but recherché, et ce, dès l’administration de la substance. Cette notion,
difficilement acceptée par une opinion publique régentée par les passions, explique, par
exemple, l’émoi suscité par la poursuite d’un individu ayant commis une euthanasie alors que,
bien souvent, ce geste était désiré par la victime physiquement incapable de se suicider42. Pour
autant, les juges ne nient pas totalement l’existence des mobiles. Ils leurs accordent une
importance considérable dans le choix de la peine appliquée. A ce titre, la clémence des juges
dans les affaires d’euthanasie n’est plus à démontrée.
Au titre du dol aggravé, le cas particulier de la préméditation dans le crime d’empoisonnement
a fait couler beaucoup d’encre. Définie par l’article 132-72 du Code pénal, la préméditation36 LE GUNEHEC (F.), « Elément moral de l’infraction », J.-Cl. pén., 2002, Art 121-3 : fasc. 20, n° 36. 37 GRIFFON (R.), op. cit. note 34, n° 272, p. 230.38 C’est le cas pour la légitime défense et pour l’état de nécessité respectivement prévus aux articles 122-5, 122-6
et 122-7 du Code pénal.39 LE GUNEHEC (F.), op. cit. note 36, n° 38.40 Art 421-1 C. pén.: réprime les actes terroristes.41 Art 211-1 C. pén.: réprime le génocide.
42 DUNET-LAROUSSE (E.), « L’euthanasie : signification et qualification au regard du droit pénal », RD sanit. soc.,1998 n° 2, p. 265 sq. ; MALAURIE (PH.), « Commentaire de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droitsdes malades et à la fin de vie. », Defrénois, n° 18/05, article 38228, p. 1386.
14
s’entend comme « le dessein formé avant l’action ». A priori, la préméditation semble
inséparable du crime d’empoisonnement qui nécessite le plus souvent une préparation longue
et minutieuse. L’individu doit « se procurer du poison, concevoir un stratagème quelconque
pour le faire absorber à sa victime, mettre un plan à exécution, etc…L’intention de l’agent
revêt ici une intensité beaucoup plus forte que le dol meurtrier ordinaire, elle est réfléchie 43».
Mais, à lecture de l’article 221-5 du Code pénal, la préméditation n’est nullement exigée. Bien
qu’étant présent dans la majorité des affaires d’empoisonnement, la préméditation n’est donc
pas un élément constitutif du crime d’empoisonnement mais simplement une circonstance
aggravante au sens que l’entend l’article 132-72 du Code pénal44.
Pour en terminer avec la définition négative de l’intention criminelle, notons simplement que
celle-ci ne doit pas nécessairement exister à l’encontre d’un individu précis sauf si le texte
d’incrimination le précise explicitement. Dans le cas du crime d’empoisonnement, la loi ne
l’exige pas. Ainsi, l’erreur sur la personne est également sans importance pour constituer
l’élément moral du crime d’empoisonnement. En d’autres termes, même si l’auteur a la
volonté d’administrer la substance mortelle à une personne déterminée et que, par erreur,
l’administration soit faite à un autre individu, l’élément moral est constitué tout de même.
L’affaire dite de la « Josacine empoisonnée » est un parfait exemple de ce cas45. En l’espèce,
le sirop avait été empoisonné dans le but que se soit le mari de la nourrice qui le boive.
Malheureusement, c’est un enfant de 9 ans que gardait l’épouse qui but le poison. Il n’en
demeure pas moins que l’empoisonnement fut reconnu par les juridictions.
Ainsi, ni les mobiles aussi louables soient-ils, ni la préméditation, ni la qualité de la victime
ne sont pris en compte pour constituer l’intention coupable dans le crime d’empoisonnement.
Après avoir définit ce que n’est pas l’intention criminelle et en avoir déduit les conséquences
sur l’élément moral du crime d’empoisonnement, il faut maintenant tenter de définir ce qu’est
l’intention criminelle pour, de la même façon que précédemment, appliquer les critères
trouvés au crime par poison (SECTION II).
43 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 176, n° 252.44 La préméditation aggrave la peine prévue pour l’empoisonnement. L’infraction peut alors être punie de la
réclusion à perpétuité. 45 CULIOLI (M.) et GIOANNI (P.), « Empoisonnement », Rép. Pén. Dalloz, 2005, spéc. n° 112.
15
Section II – Une définition positive de l’intention
criminelle
A la différence des éléments n’appartenant pas à l’intention criminelle, les éléments
constitutifs de l’intention criminelle ne font pas l’unanimité dans la doctrine française. Il est
vrai que tous s’accordent sur le fait que pour être constituée, l’intention suppose au moins
deux éléments : une connaissance ou une conscience, de la part de l’agent, de la réalité
factuelle et légale ; ainsi que, la volonté de l’agent d’enfreindre cette réalité légale au travers
de son action46. En d’autres termes, « c’est la volonté tendue, en connaissance de cause, vers
un acte ou un état que la loi interdit 47 ».
Cependant, à ces deux éléments constitutifs de l’intention criminelle, certains auteurs en
incorporent un troisième qui se fond dans la notion de volonté. Il s’agit de la volonté de
résultat. Il est vrai que, dans son sens courant, l’intention « est essentiellement un projet qui
oriente vers un but déterminé : un résultat précis est recherché, désiré poursuivi. L’acte qui
révèle cette intention tendra vers ce résultat qui est cause, sa raison d’être48 ». Madame le
Professeur RASSAT souligne, qu’étymologiquement, l’intention criminelle se définit comme
« la tension vers un but antisocial 49». En ce sens, « l’intention coupable sera donc la volonté
de commettre un acte pour obtenir un résultat prohibé par la loi pénale 50».
Nommée « dol spécial », cette volonté de résultat n’est pas sans poser de difficulté lorsqu’il
s’agit de la constitution de l’élément moral du crime d’empoisonnement. En effet, ce crime
d’attentat peut être constitué indépendamment de la mort de la personne à laquelle
l’administration de substance a été faite. Pour autant, le lien inconscient qu’il existe dans notre
culture, entre le meurtre et l’empoisonnement, a souvent fait penser que, tout comme pour le
meurtre, l’élément moral de l’empoisonnement nécessitait l’existence d’une intention
homicide. A dire vrai, cette vision doctrinale perdura longtemps sans que cela ne pose aucune
difficulté tant il était évident que, dans les affaires jugées, l’agent avait cette intention
homicide. Ainsi, il n’était pas utile de démontrer cette intention autrement qu’en révélant
46 MAYAUD (Y.), « L’intention dans la théorie du droit pénal », in Problèmes actuels de sciences criminelles,
n° XII, Marseille, 1999, p. 60 ; LE GUNEHEC (F.), op. cit. note 36, n° 18 ; RASSAT (M.-L.), Droit pénal général,
Paris, 2004, p. 330 ; PRADEL (J.), Manuel de droit pénal général, éd. 15ème, Paris, 2004, p. 446, n° 502. 47 BOUZAT (P.) et PINATEL (J.), Traité de droit pénal et de criminologie, t. 1, Paris, 1963, p. 182, n° 172.48 PAGEAUD (P.-A.), op. cit. note 34, n° 7.49 RASSAT (M.-L.), loc. cit. note 46.50 PAGEAUD (P.-A.), loc. cit. note 48.
16
l’existence de l’élément matériel du crime par poison51. Mais, quand au début des années
1990, la dramatique affaire du sang contaminé est révélée, la doctrine découvre les enjeux de
la nécessité ou non de l’existence de l’intention homicide pour constituer l’élément moral de
l’infraction d’empoisonnement. Les théoriciens du droit comprirent rapidement que c’est,
principalement, sur ce point que se déciderait la culpabilité ou l’innocence des médecins.
Dès lors, la définition de l’intention exigée dans le crime par poison, délaissée jusqu’ici par la
doctrine52, connaît un regain d’intérêt. Deux grandes thèses doctrinales apparaissent. Le point
de divergence de celles-ci porte, évidemment, sur la nécessité ou non d’un dol spécial pour
constituer l’élément moral de l’empoisonnement ; lui-même indispensable pour constituer
pleinement ce crime. Finalement, la jurisprudence tranchera ce débat en jugeant, non sans
difficulté, l’affaire en question. Le résultat semble être la reconnaissance de la nécessité de
l’ animus necandi pour constituer l’élément moral du crime d’empoisonnement. Cependant,
cette affirmation impose une vision restrictive du crime d’empoisonnement qui va à l’encontre
du sentiment de protection que la loi se devait de conserver pour ce crime atroce. Ainsi, cette
exigence d’un dol spécial, révélateur d’une volonté d’atteindre un but, semble inadaptée à cet
attentat à la vie qui réprime littéralement : une tentative, une prise de risque.
Suivant ce raisonnement, l’étude proposée exposera les développements qui ont permis
d’affirmer l’existence d’un dol spécial dans le crime d’empoisonnement avant de démontrer
l’inadéquation de ce type de dol dans cette infraction.
51 JAFFRÉ (Y.-F.), « Les grandes affaires criminelles du XXe siècle », Gaz. Pal. 2000, p. 21. 52 M. le Professeur PROTHAIS fait exception sur ce point. Ces premières études sur le sujet datent du début des
années 1980. Cf. PROTHAIS (A.), « Plaidoyer pour le maintien de l’incrimination spéciale de
l’empoisonnement » ; D. 1982, chron. 107 ; op. cit. note 10, p. 173 sqq. ; « Dialogue de pénalistes dur le
S.I.D.A. », D. 1988, chron. 25.
17
TITRE I – L'ASSERTION D'UN DOL
SPECIAL DANS LE CRIME
D'EMPOISONNEMENT
Bien que l'empoisonnement fût déjà incriminé sous l'empire du Code pénal de 181053, les
débats sur la nécessité de l'intention homicide pour la constitution de l'élément moral de cette
infraction furent quasiment inexistants durant presque deux siècles. Ce n'est qu'à la fin des
années 1980, mais surtout à partir des années 1990, que de véritables réflexions furent émises par
la doctrine. Ce nouvel engouement pour cette question, qui n'avait jusqu'alors jamais suscité
de véritables interrogations tant en doctrine qu’en jur isprudence, est une
conséquence directe de l'affaire dite du « sang contaminé ». En l’espèce, des médecins
avaient, en connaissance de cause, transfusé des patients hémophiles avec des poches de sang
contaminé par le virus du sida. Cette situation a permis de mettre en lumière le problème
intrinsèque de l'élément moral requis par le crime d'empoisonnement. En effet, l'intention
homicide des auteurs est, en l’espèce, loin d’être évidente. Ainsi, pour la première fois,
l’intention homicide semblait être dissociée de l’administration de la substance mortifère.
Dès lors, les débats doctrinaux pour savoir si l'élément psychologique du crime
d'empoisonnement nécessitait ou non l'existence d'une intention homicide élevée au rang de
dol spécial, se firent de plus en plus présent dans la presse spécialisée. Le lecteur que chacun était,
a ainsi pu assisté à une véritable controverse doctrinale sur la nécessité ou non de l'intention
homicide (CHAPITRE I).
Mais les opinions et argumentations doctrinales, bien qu'ayant une utilité indéniable pour les
praticiens, qui peuvent ainsi prolonger leurs propres réflexions afin de prendre leurs
décisions de la façon la plus éclairée possible, ne reste que de la théorie tant que les juges
n’ont pas fait leur choix. Ce sont eux qui ancrent le droit dans le concret en privilégiant telle
vision doctrinale qu’ils considèrent alors comme l’unique vérité juridique existante. Les
décisions des juridictions méritent donc également une étude approfondie puisque c'est à elles
que l'on doit l’affirmation de la nécessité de l'intention homicide (CHAPITRE II).
53 Ancien article 301 C. pén.
18
CHAPITRE I – La controverse doctrinale sur la
nécessité de l'intention homicide
La controverse doctrinale sur la nécessité de l'intention homicide est un débat récent. La
doctrine classique admettait traditionnellement la nécessité de l'intention homicide
dans le crime d'empoisonnement. Le premier à remettre en cause cette nécessité fut Monsieur
le Professeur PROTHAIS en mettant en exergue les incohérences des thèses traditionnelles
notamment par rapport à la preuve de l'intention homicide. Il démontra, ainsi, la suffisance
d'une intention d'empoisonner propre à l'incrimination de l'ancien article 301 du Code pénal et
distincte de l'intention homicide propre au meurtre et aux infractions dérivées telles que
l'infanticide ou le parricide54. Cette vision ne fut pas admise par l'ensemble de la doctrine
qui se scinda bientôt en deux parties.
Dès lors, la référence traditionnelle à l’intention homicide (SECTION I) fit place à une division
de doctrine contemporaine en deux courants reposant sur une divergence quant au dol
nécessaire pour constituer l'élément moral de cet attentat à la vie. Ces divergences ont un
intérêt capital au regard de l'époque à laquelle elles sont apparues. Il est évident que ce
sont sur ces réflexions que se fondent aujourd'hui les juges pour rendre leurs décisions
quant aux crimes d'empoisonnement. L'étude de ces divergences conceptuelles doit donc être
le point de départ de toute étude de l'intention requise dans le crime d'empoisonnement
(SECTION II).
Section I – La référence traditionnelle à l'intenti on
homicide
Pour les auteurs de la théorie classique, les questions concernant le crime d'empoisonnement
portaient essentiellement sur son élément matériel notamment quant à la notion de substance
mortelle. L'élément moral paraissait, pour sa part, ne poser aucune difficulté. Pour s'en
convaincre, il suffit d'observer la brièveté des développements que consacrèrent les
auteurs de l'époque sur ce point55. La doctrine, dans son ensemble, admettait «qu'il n'y a pas
54 PROTHAIS (A.), op.cit. 10, p. 173, n° 250.55 GARÇON (E.), op. cit. note 8, p. 50 ; MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel : droit pénal spécial, vol.
2, Paris, 1982, p. 1392, n° 1732 ; GARRAUD (R.), Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. 5, éd.
19
empoisonnement sans intention de donner la mort 56 ». Pour autant, certains auteurs tels que
GARÇON jugèrent opportun de compléter leur affirmation en soulignant que cette intention
devait être déduite de l'existence des éléments matériels constituant le crime
d'empoisonnement57.
Ainsi, si la doctrine classique prônait, dans son ensemble, la nécessité de l'intention homicide
(§1) une partie émit des réserves quant à la nature des preuves justifiant son existence (§2).
§1 – La nécessité de l'intention de tuerDès l'ancien régime, il est clairement affirmé que le crime d'empoisonnement consiste en « une
action criminelle commise par celui qui fait prendre à quelqu'un du poison dans le dessein de
lui faire perdre la vie 58 ».
Cette position fut admise comme un véritable axiome durant presque toute la période
d'existence du Code pénal de 1810 et ce, sans qu'aucune réflexion sur la nécessité de l'animus
necandi n'eut besoin d'être développée. Ainsi, GARÇON affirme sans aucune démonstration
que « l'élément moral de l'empoisonnement est l'intention de donner la mort à la victime 59». Et,
il est vrai que, de prime abord, le bon sens lui-même pousse à considérer ce postulat
comme une vérité générale.
Pour s'en convaincre, il suffit de se remémorer les termes employés par BLANCHE pour critiquer
la formulation de la question posée au jury d’assise lors d’une affaire d'empoisonnement60. En
effet, l'auteur explique l'inutilité du terme « volontairement » dans la question puisque le
fait d'attenter à la vie d'autrui revient à rechercher la mort de ce dernier c'est-à-dire à
vouloir le tuer61.
En revanche, il est intéressant d'observer que les auteurs de cette époque, s'ils ne discutent pas
la nécessité de l'intention homicide, lui donnent un fondement bien différent. En effet, certains
auteurs tels que GARRAUD ou encore ABELOUS expriment clairement l'idée selon laquelle
3ème, Paris, 1924, p. 229, n° 1907 ; ABELOUS (M.), op. cit. note 1, pp. 34-36 ; SAUTTER (R.), étude sur le crime
d’empoisonnement, Paris, 1896, pp. 124-129.56 ANGEVIN (H.), « Atteintes volontaires à la vie », J.-Cl. pén. , Art. 221-1 à 221-5, n° 98. 57 GARÇON (E.), loc. cit. 58 GUYOT, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 1784, in CULIOLI (M.) et GIOANNI (P.), op. cit. note
45, p. 15, n° 89.59 GARÇON (E.), loc. cit.60 BONEF-BOUILLON (F.), L'empoisonnement dans le Nord au XIX siècle, Lille, 1986, p. 28.61 Ibid.
20
l'empoisonnement ne serait qu'un type de meurtre particulier62. Ainsi, dans sa thèse, Marc
ABELOUS écrit, dès le début de sa section consacrée à l'élément intentionnel, que
« l'empoisonnement étant une forme de meurtre, [ce crime] suppose chez le coupable la
volonté de donner la mort 63». Cette phrase sera textuellement reprise par GARRAUD 64.
Considérer l'empoisonnement comme un meurtre spécial revient de façon logique à imposer
l'animus necandi à la constitution du crime d'empoisonnement. L'empoisonnement, analysé
comme une variété du meurtre, aura alors le même dol spécial que son modèle.
A l'opposé, GARÇON considère l'empoisonnement, non pas comme un meurtre spécial mais,
comme un crime spécial. Cela semble plus juste au regard des textes qui prévoient ce crime.
GARÇON explique ainsi que ce crime « n'étant pas un meurtre aggravé mais un crime sui
generis, il n'y a pas lieu d'interroger la Cour et le jury par des questions séparées sur
l'attentat à la vie et sur les moyens employés dans ce but, c'est-à-dire l'administration du
poison 65». C'est par la procédure pénale que GARÇON démontre l'existence autonome du crime
d'empoisonnement. Elle prévoit, que lorsque le crime à des circonstances aggravantes, une
question différente doit être posée au jury pour chaque circonstance. Ainsi, si l'empoisonnement
n'était pas un crime spécial mais un meurtre spécial, il faudrait demander si l’accusé a
volontairement attenté à la vie, puis, ensuite, demander s'il a utilisé des substances mortifères, ce
qui constituerait la circonstance aggravante spécifique à ce meurtre spécial. Cette divergence
d'opinion, qui existe encore de nos jours, est un des fondements du débat doctrinal sur l'intention
dans le crime d'empoisonnement.
A cette époque, l'intention homicide était admise par la doctrine classique dans son ensemble.
Mais, une première rupture doctrinale existait tout de même. Celle-ci concernait la preuve
requise pour démontrer l'existence de cette intention. Ces discordances dénotent des visions
différentes de l'intention homicide notamment quant à sa nature de dol spécial. C'est
pourquoi, il convient d'étudier la preuve de l'intention homicide (§2).
§2 – La preuve de l'intention de tuerLe choix de la preuve nécessaire pour démontrer l'existence de l'intention homicide est
primordial pour établir la nature du dol auquel la doctrine fait appartenir cette intention. En
62 ABELOUS (M.), op. cit. note 1, p. 34; GARRAUD (R.), loc. cit. note 55.63 Ibid.64 GARRAUD (R.), loc. cit. note 55.65 GARÇON (E.), op. cit. note 8, n° 56, p. 51.
21
effet, le dol spécial impose au ministère public de démontrer cette intention de façon
particulière, indépendamment de la conduite matérielle66.
Or, certains auteurs de la doctrine classique, tout en affirmant l'exigence de la volonté de tuer,
mettaient en exergue le fait que la preuve de cette intention pouvait se déduire de la
connaissance par le coupable du caractère mortel de la substance administrée67.
Traditionnellement, l'empoisonnement suppose au moins chez l'agent, la connaissance ou la
conscience de la nature mortelle de la substance qui a été elle-même employée, consciemment
et volontairement, par l'auteur. La preuve de cette conscience et de cette volonté incombe
au ministère public qui peut les démontrer par tout moyen68.
L'importance de ces deux éléments qui forment traditionnellement le dol général est tout à fait
visible dans les écrits de l'époque où les auteurs, bien que peu prolifiques sur l'élément
intentionnel dans le crime d'empoisonnement, n'oublient aucun cas de signaler que l'erreur
dans les doses ou encore l'ignorance de la capacité létale de la substance par laquelle
aurait péri la victime, empêche la constitution du crime d'empoisonnement pour défaut
d'élément moral69.
Mais, selon certains auteurs, ces deux éléments ne semblent être que des présomptions réfragables
de l'intention de tuer. Ainsi, l'élément intentionnel serait inexistant si des éléments
démontraient que malgré sa conscience du risque mortel des substances employées, il n'avait pas
l'intention de tuer70.
La doctrine se scinda alors en deux : une partie défendant l'idée selon laquelle l'intention de
tuer doit être prouvée indépendamment de l'existence du dol général. Elle crée ainsi un dol
spécial71 en imposant la preuve particulière de l'intention homicide. Une autre partie affirme
une position plus souple en écrivant par exemple que « l'empoisonnement suppose la
volonté de provoquer la mort d'autrui par le poison ou, tout au moins, la conscience
que le toxique utilisé peut donner la mort 72 ». Peut-on alors parler pour ces derniers d'intention
de tuer ou ne serait ce pas plutôt une intention d'empoisonner comme le relève Monsieur le
66 ROBERT (J.-H.), Droit pénal général, éd. 6ème, Paris, 2005, p. 453.67 Id. ; ABELOUS (M.), op. cit. note 1, p. 34.68 CULIOLI (M.) et GIOANNI (P.), op. cit. note 45, p. 14, n° 86.69 VERON (M.), « De l'empoisonnement », Dr. pén. 1996, chron. 34, p. 2.70 FEHRENBACH (K.), L'empoisonnement criminel et la spécificité de son incrimination, Nice, 1999, p. 294, n° 507.71 DANTI-JUAN (M.), « Sang contaminé, tromperie et empoisonnement » in Sang et droit pénal, à propos du sang
contaminé…, PRADEL (J.)(DIR.), Poitiers, 1995, p. 61. 72 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 28 ; MERLE (R.), VITU (A.), loc. cit. note 55.
22
Professeur PROTHAIS73. Il est alors indispensable d'étudier les divergences conceptuelles de la
doctrine moderne (SECTION II).
Section II – Les divergences actuelles de la doctrine
pénale
La scission de la doctrine n'est que très récente puisque ce n'est qu'à partir de la fin des années
1980 que la doctrine découvrit le véritable impact de la conception traditionnelle de l'élément
moral dans le crime d'empoisonnement. Ce nouvel intérêt est apparu à la suite de l'expression
de la volonté du législateur, de faire disparaître l'infraction d'empoisonnement en la
considérant comme une forme dérivée du meurtre mais, aussi et surtout, par l'émergence de
l'affaire du sang contaminé qui occupera les prétoires durant plus de 10 ans. Dès le début de
cette affaire, la doctrine s'est partagée en deux parties diamétralement opposées. La
divergence principale repose sur l'élément moral requis dans le crime d'empoisonnement.
Ainsi, alors que certains auteurs considèrent que le dol général suffit à constituer l'élément
moral requis par cette infraction74, d'autres émettent l'idée que le dol général doit être complété
par un dol spécial commun avec le meurtre : l'animus necandi75. Ce dol spécial est alors
nécessaire pour constituer l'intention du crime d'empoisonnement.
La distinction était essentielle dans l'affaire du sang contaminé. Le choix de reconnaître
l'existence ou non d'un dol spécial dans le crime d'empoisonnement, permettra ou non
d'engager la responsabilité des médecins puisqu'il est évident que, même si ces derniers
ont sciemment administré les produits défectueux aux hémophiles, il n'avaient à leur encontre
aucune intention homicide particulière76.
Ainsi, il convient d'examiner chacune des propositions doctrinales. Pour ce faire, on
s'intéressera d'abord à la thèse qui prône la suffisance du dol général (§1). Cette étude sera
l'occasion d'approfondir les éléments constitutifs de ce dol. Les observations qui seront ainsi
73 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 173.74 MALABAT (V.), Droit pénal spécial, Paris, 2005, p. 47, n° 132 ; LE GALLOU (A.), « Sida et Droit pénal»,
in Sida : aspects juridiques, CRJO FEUILLET LE MINTIER (B.) (Dir.), Paris, 1995, p. 162, n° 61 ; DOUCET (J.-
P.), La protection pénale de la personne humaine, vol. 1, éd. 2ème , Paris, 1994, n° 130, p. 137.75 DANTI-JUAN (M.), op. cit. note 71, p. 74 ; MAYER (D.), « La notion de substance mortelle en matière
d'empoisonnement. », D. 1994, chron. 325, p. 326 ; MATHIEU (G.), « Sida et droit pénal »,
Rev. sc. crim. 1996, p. 81 ; VERON (M.), op. cit. note 69, p. 3.76 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 303.
23
développées serviront de fondation pour expliquer la vision du courant idéologique tenant
l’exigence de l'intention homicide en tant que dol spécial, en soulignant les conséquences de cette
interprétation sur les modalités de la preuve (§2)
§1 – La thèse de la suffisance du dol généralLe dol général est toujours constitué de la connaissance de l'infraction ainsi que de la volonté
de l'auteur d'aller à l'encontre des dispositions pénales. C'est le plus petit dénominateur
commun des infractions intentionnelles77.
« Puisque l'élément matériel de l'empoisonnement est l'administration de substances dont la
caractéristique est de conduire à la mort, l'intention d'empoisonner consiste au moins dans la
conscience d'administrer des substances dont on est sûr du pouvoir mortel 78». Ainsi, le dol
général du crime d'empoisonnement est constitué par deux éléments cumulatifs que sont la
connaissance du caractère mortifère de la substance et la volonté de l'auteur d'administrer cette
substance. On n'oubliera pas, en outre, le fait pour l'auteur de connaître l'existence de
l'interdiction légale de l'administration de ce type de substance. Ainsi, l’étude des notions de
connaissance (A) et de volonté (B) telles que requises dans le crime d’empoisonnement est
indispensable pour comprendre cette thèse.
A – La notion de connaissance dans le crime
d’empoisonnement
S'agissant de la connaissance, celle de l'auteur est donc double. Il doit connaître l'interdiction
légale ainsi que le pouvoir mortifère de la substance utilisée. En d'autres termes, il doit
connaître le droit et le fait. Cependant, la connaissance du droit n'a jamais à être prouvée
puisque une présomption légale est établit d’après l'adage latin « Nemo censetur ignorare
legem », nul n'est censé ignorer la loi, et ce, même si le Code pénal, entré en vigueur le
1er mars 1994, prévoit une cause d'irresponsabilité pour erreur sur le droit dans son article 122-
3 79.
Plus intéressant est la connaissance du pouvoir mortifère du produit administré. Cet élément
doit être le premier à être recherché pour permettre d'établir la constitution de l'élément
psychologique. « Il n'est plus question ici de s'interroger sur la bonne assimilation des77 DESPORTES (F.) et LE GUNEHEC (F.), Droit pénal général, éd. 11ème, Paris, 2004, p. 426, n° 471.
78 MAYER (D.), loc. cit. note 75.79 Les cas où peut être retenue cette irresponsabilité sont rares comme le démontrent les débats parlementaires neretenant que celui d’une « information erronée fournie par l'autorité administrative interrogée préalablement », etcelui du « défaut de publication du texte ».
24
textes, mais d'apprécier la manière dont les circonstances ayant entouré la commission de
l'infraction ont été psychologiquement intégrées par son auteur 80 ». Ainsi, si la personne qui
administre la substance ne connaît pas les propriétés mortelles du produit, celle-ci ne peut être
poursuivie pour empoisonnement mais, bien plus que cela, elle devra être considérée comme
une personne de bonne foi ayant commis une erreur de fait. Dès lors, la personne qui lui aura
confié le produit dans le but qu'elle l'administre ne sera pas poursuivie en la qualité de complice
mais comme auteur principal de l’infraction. Cette idée n’est pas récente et fut déjà affirmée par
la Cour de cassation81. En l'espèce, il s'agissait d'une mère qui, souhaitant se séparer de son
enfant, avait remis un flacon contenant du poison qu'elle présenta comme un médicament à sa
belle soeur qui gardait l'enfant, en lui demandant de l'administrer à l'enfant. Etonné par l'odeur, la
belle soeur ne donna pas la substance au bébé et le fit examiner par un médecin qui révéla le
pouvoir toxique du produit. La mère de l'enfant fut condamnée pour tentative
d'empoisonnement puisque le crime n'a été suspendu « que par des circonstances extérieurs à
la volonté de son auteur 82».
Après avoir défini la connaissance exigée, il faut maintenant étudier la notion de volonté telle
que entendue dans le crime d’empoisonnement (B).
B – La notion de volonté dans le crime d’empoisonnement
S'agissant de la volonté, les auteurs font une différence entre la volonté du comportement et la
volonté du résultat.
La volonté du comportement représente l'intention de l'auteur d'accomplir l'acte
légalement proscrit tel que prévu par le texte d'incrimination. En d'autres termes, comme
l'écrit Monsieur le Professeur MAYAUD , la volonté est « une adhésion à un projet [...]. Elle
s'entend alors d'une aptitude à être maître de ses choix, et à agir en conséquence 83» En
l'espèce, il s'agit de l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort 84.
En conséquence, la qualification d'empoisonnement ne pourra être retenue pour une personne
80 MAYAUD (Y), op. cit. note 29, p. 185, n° 203.81 Cass. crim., 2 juillet 1886, S. 1887, I, 489.82 Ibid.83 MAYAUD (Y.), « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal » in Mélanges LARGUIER, Grenoble, 1993,
p. 204. 84 Art. 221-5, C. pén.
25
n'ayant pas eu la volonté d'administrer la substance létale, il en sera ainsi par exemple si
l'administration n'a lieu que par l'existence d'une erreur 85.
Concernant la volonté de résultat, elle pose, quant à elle, des difficultés au sein même des
tenants de la thèse du dol général. Ces difficultés proviennent du statut même que les auteurs
confèrent à cette volonté de résultat. Certains auteurs la considèrent comme
inextricablement liée à l'intention et, de ce fait, partie intégrante à toute infraction86. Ainsi,
Monsieur le Professeur MAYAUD , reconnaît l'existence de l'intention homicide dans le crime
d'empoisonnement mais, afin de faire disparaître les problèmes liés à la preuve
indépendante du dol spécial, il reprend les conclusions de la doctrine classique en écrivant
que « nul n'est besoin d'en faire une démonstration à part, comme cela est de règle
dans l'homicide volontaire. Il suffit, pour s'en convaincre, de s'assurer que l'auteur avait la
connaissance du caractère mortifère des substances administrées, doublée de la volonté de
les employer malgré tout 87 ».
Cependant, une autre partie de la doctrine prône la suffisance du dol général en refusant
d'inclure l'intention homicide dans les éléments constitutifs du crime d'empoisonnement88.
Ainsi, Monsieur le Professeur PROTHAIS émet l'idée selon laquelle ce n'est pas l'intention
homicide qui doit être recherchée mais l'intention d'empoisonner. Cette dernière serait
constituée d'un dol général dont la volonté du résultat ne fait aucunement partie. Ainsi,
l’auteur précise que « l'intention doit porter sur l'acte : sur l'emploi du moyen, mais aussi sur
le but et non sur le résultat » et ajoute que « en matière d'empoisonnement, moyen utilisé et but
poursuivi sont intimement liés dans le concept de poison … » 89.
Ainsi, même si le résultat est le même et que le dol général suffit pour ces deux variantes
doctrinales afin d'affirmer la présence de l'élément moral dans l'empoisonnement, les
moyens utilisés sont différents. La première reconnaît l'intention homicide mais la soumet à un
régime dérogatoire de preuve faisant ainsi disparaître son caractère de dol spécial alors que la
seconde nie son existence dans le crime d'empoisonnement du fait de sa nature de dol spécial.
85 L'erreur sera étudiée in concreto en faisant attention à la profession de l'auteur afin de juger ses connaissances
quant à la puissance mortifère des substances. En ce sens : VERON (M.), op. cit. note 69, p. 3.86 MAYAUD (Y.), op. cit. note 46, p. 62 ; LAFAY (F.), « Et si... le droit pénal ou les pénalistes s'intéressaient à la
cigarette ? », Rev. pénit, 2004, n° 4, p. 792.87 MAYAUD (Y.), op. cit. note 29, n° 206 -3, pp. 191-192.88 CONTE (PH.), Droit pénal spécial, éd. 2ème, Paris, 2005, p. 16 ; PRADEL (J.) et DANTI-JUAN (M.), Droit pénal
spécial, éd. 3ème, Paris, 2004, p. 51.89 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 174 ; sur la différence entre but et résultat : Cf. RASSAT (M.-L.), op. cit.
note 46, pp. 332-333.
26
A l'opposé de ces visions doctrinales se trouvent les tenants de la thèse de l'existence d'un dol
spécial - animus necandi - dans le crime d'empoisonnement. Il convient d'examiner cette autre
thèse notamment en ce qu'elle influe sur les modalités de la preuve de l'intention de
commettre le crime d'empoisonnement.(§2).
§2 – La thèse de l’exigence du dol spécialLes tenants de cette thèse reconnaissent la nécessité évidente du dol général mais le considère
comme insuffisant pour caractériser l'intention du crime d'empoisonnement90. En effet, pour
eux, l'animus necandi est également requis pour former l'élément moral de cette infraction.
Cette thèse est souvent considérée comme descendant en droite ligne de la conception
doctrinale traditionaliste de l'intention homicide. Cependant, il semble qu'on puisse considérer
que l'intention homicide telle qu'exigée ici, a pour conséquence une mutation de la nature de
cette intention par rapport à celle de la doctrine traditionnelle. Cette mutation trouve son origine
dans le changement d'affectation accordé à l'intention homicide dans l'infraction. Si la doctrine
classique reconnaissait la nécessité de cette intention, elle avait pris soin de dire qu'elle existait
dès que l'auteur avait connaissance de la nature mortifère de la substance et qu'il
l'administrait volontairement. Ainsi, cette intention se fondait dans le dol général
constituant l'élément psychologique du crime par poison. Mais, la doctrine contemporaine a
décidé d'aller plus en avant dans la reconnaissance de l'animus necandi et l'élève au statut de
dol spécial.
Il sera alors opportun d’étudier les fondements sur lesquels les auteurs reposent leur exigence
d’un dol spécial dans l’empoisonnement (A). Suite à cette analyse, il apparaîtra que tous ces
arguments peuvent être contestés (B).
A – Les fondements de l’exigence du dol special
Pour justifier la nécessité d’un dol spécial dans le crime d’empoisonnement, les auteurs
mettent en avant plusieurs arguments. Certains considèrent le fait que l'empoisonnement soit
consommé sans qu'il y ait une atteinte à la vie, comme totalement indifférent en ce qui
concerne la nécessité de l'intention homicide. Ainsi, Madame le Professeur MAYER, pense
que «du point de vue de l'intention, le caractère matériel ou formel de l'infraction n'a pas de
répercussion, car de toutes façons, quelle que soit l'infraction, l'intention elle-même se définit
par le but recherché et non pas par le résultat atteint 91». Il découle de ceci que l'élément
90 MATHIEU (G.), op. cit. note 75, p. 88 sq. ; GATTEGNO (P.), Droit pénal spécial, éd. 6ème , Paris, 2005, p. 33.91 MAYER (D.), loc. cit. note 75.
27
moral doit être complété par la volonté de tuer alors même que ce résultat n'a pas à être atteint
pour consommer l'infraction. L'élément moral irait, en ce cas, au-delà de l'élément matériel
réclamé.
Les auteurs prônant la thèse du dol spécial, s'appuient également sur la place du crime
d'empoisonnement dans le Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 pour conforter leur
idée 92. Il est vrai que l'infraction d'empoisonnement se situe dans le chapitre des atteintes
volontaires à la vie au même titre que le meurtre. Monsieur le Professeur DANTI -JUAN va
même plus loin en écrivant que « l'empoisonnement est une atteinte à la vie », niant ainsi la
différence entre l'atteinte et l'attentat93. Ces arguments, si on les considère comme juste, ont pour
conséquence de faire disparaître la thèse selon laquelle l’empoisonnement est un crime spécial.
Pour autant, de nombreux contre arguments peuvent être développer pour infirmer cette exigence
du dol spécial (B).
B – La contestation des fondements invoqués
La première objection qui peut être faite, est, qu’en fondant leur raisonnement sur la négation
de la spécificité du crime par poison, les tenants de la thèse du dol spécial paraissent oublier
les débats de 1992 concernant la disparition du crime d'empoisonnement dans le nouveau
Code pénal. Cette idée de faire disparaître l'empoisonnement du Code pénal est apparue début des
années 1980 et fut aussitôt rejetée par certains auteurs94. Ainsi, comme le souligne Madame le
Professeur RASSAT : « si l'empoisonnement n'était qu'une variété du meurtre, sa prévision
spécifique serait inutile 95». Le fait qu'il ait été conservé démontre donc l'existence de cette
spécificité. En l'espèce, c'est par un amendement sénatorial que fut rétabli le crime
d'empoisonnement. Le rapporteur, Monsieur JOLIBOIS, avait justifié ce rétablissement en
invoquant notamment la nécessité de lutter contre la nouvelle forme de criminalité que constitue
« l'empoisonnement collectif ». Il indiquait également que la « transmission volontaire
d'une maladie mortelle peut être tenue pour un empoisonnement 96 ». Ainsi, s'il fut décidé de92 DANTI -JUAN (M.), op. cit. note 71, p. 74 ; VERON (M.), Droit pénal spécial, éd. 10ème, Paris, 2004, p. 32, n°
43.93 DANTI-JUAN (M.), loc. cit.94 CONTE (PH.), op. cit. note 88, p. 13 ; PRADEL (J.) et DANTI-JUAN (M.), op. cit. note 88, p. 51 ; PROTHAIS (A.), «
Plaidoyer pour le maintien de l’incrimination spéciale de l’empoisonnement » ; D. 1982, chron. 107.95 RASSAT (M.-L.), Droit pénal spécial : infractions contre les particuliers, éd. 5ème, 2006, Paris, p. 323,
n° 283.96 COHEN (C.), « A propos de l'affaire du sang contaminé : l'incrimination introuvable », Gaz. Pal. 1995,
chron., pp. 131-132.
28
conserver cette infraction, c'est en raison de son indépendance totale vis-à-vis du crime de
meurtre. Pour autant, l'absence de réelle modification de sa définition légale empêche de
connaître avec certitude la volonté du législateur quant à la constitution de son élément moral.
Madame le Professeur RASSAT parle du silence du nouveau Code pénal rédigé au moment de
l'affaire du sang contaminé 97.
Quant à sa place dans le Code pénal de 1994, on ne peut que la regretter bien évidemment. Mais,
il semble que cette infraction se soit retrouvée à cet endroit, un peu par hasard, à la suite du
choix tardif de conserver son existence. Ainsi, un attentat s'est retrouvé dans un chapitre
concernant les atteintes. Or, l'empoisonnement est un attentat à la vie et non pas une atteinte ce
qui est très nettement différent. L'empoisonnement réprime une tentative d'atteindre
la vie. Il n'y a donc aucune nécessité d'atteinte à la vie comme pourrait le laisser
supposer le titre du Chapitre dans lequel figure le crime d'empoisonnement. Mais, même
sans rentrer dans ces détails, l'argument concernant la place du texte dans le Code ne peut, en
aucun cas, être valablement reçu comme un argument juridique puisque les titres du Code pénal
comme de tous les autres codes n'ont aucune force incriminante.
Considérer la thèse du dol spécial comme vraie aura également une conséquence non
négligeable sur la preuve. L'existence d'un dol spécial augmente inévitablement la charge de
la preuve puisque le dol spécial doit être prouvé indépendamment du dol général.
Autrement dit, concernant le crime d'empoisonnement, il faudrait que le ministère public en
charge de la preuve démontre de façon séparée la conscience de la substance mortelle ainsi que
la volonté d'administration et la volonté de tuer. Or, du fait de l'existence d'une substance
comme vecteur de la mort, la preuve de l 'existence de l'animus necandi indépendant de la
conscience de la substance mortifère semble difficilement démontrable. En effet, comme le
précise ROSSI, « L'homme ne connaît la volonté de son semblable que par les faits qui
la révèlent 98 ».
Suffisance d'un dol général ou exigence d'un dol spécial: voici en une phrase résumées
les controverses doctrinales qui furent et qui seront demain encore, à la base des
réflexions des juges lorsqu’ils rendront des décisions dans des affaires
d’empoisonnement. Entre ces deux visions doctrinales aux antipodes l’une de l’autre,
les juges ont du trancher en faveur de l’une ou de l’autre de ces thèses pour résoudre
l'affaire sang contaminé. C’est ainsi que fût retenu en l'espèce la thèse restrictive de
97 RASSAT ( M.-L.), loc. cit. note 95.98 ROSSI (P.), Traité de droit pénal, Paris, SAUTELET (A.), liv. 2, Chap. XXXI, 1829, p. 160 cité par
L'empoisonnement criminel et la spécificité de son incrimination, FEHRENBACH (K.), p. 294, n° 506.
29
l'empoisonnement exigeant une intention homicide. C'est sur cette affirmation
jurisprudentielle de l'intention homicide qu'il faut se pencher maintenant. (CHAPITRE II).
CHAPITRE II – L'AFFIRMATION
JURISPRUDENTIELLE DE LA NECESSITE DE
L'INTENTION HOMICIDE
Jusque dans les années 1990, la jurisprudence s'est abstenue d'apporter son point de vue sur le
débat doctrinal concernant la nécessité ou non de l'intention de tuer pour caractériser 1e crime
d'empoisonnement. En effet, dans les affaires d'empoisonnement qui avaient été portées
devant la justice, la volonté de tuer les individus empoisonnés, ne faisait aucun doute et donc
les juridictions préféraient éviter cette discussion. Tout au plus, on peut citer l'arrêt de la Cour de
cassation en date du 18 juillet 1952 qui déclare qu'en l'espèce « l'intention homicide est
incontestable » sans pour autant en faire un élément constitutif du crime d'empoisonnement99.
C'est lors du procès du « sang contaminé » que les juridictions ont réellement dû se prononcer sur la
nature de l'élément moral dans le crime par poison. Ce procès qui s'étendra sur dix ans,
connaîtra, avec l'arrêt du 18 juin 2003, une conclusion qui fut loin d'emporter l'assentiment
de tous.
En l’espèce, le début des années 1980 fut marqué par la découverte en 1983 du virus LAV,
agent causal du sida, par le Professeur MONTAGNIER, qui comprend ainsi que le vecteur de
transmission du virus est le sang. Dès lors, la presse dénonce les dangers encourus par les
hémophiles100. Dès le mois de mai 1983, une firme américaine, TRAVENOL-HYLAND , signale le
fait que chauffer les produits sanguins assure une protection des hémophiles à l'encontre du sida.
Pour autant, ceci n’empêchera ni les médecins en charge des centres de transfusion sanguine, ni
le Ministre de la santé, de continuer à distribuer aux hémophiles` français des produits sanguins
non chauffés, condamnant ainsi nombreux de ceux-ci à une mort quasiment certaine : « l'absence
de risque mortel n'était que de 1 sur 22 222 101 ». Des hémophiles contaminés décidèrent donc
99 Cass crim., 18 juillet 1952, Bull. crim. 1952, n° 193 ; D. 1952, jurispr., pp. 667-669.100 CHEVALIER (J.Y.), « L’affaire du sang contaminé », in Sang et droit pénal, à propos du sang contaminé…,
PRADEL (J.)(DIR.), Poitiers, 1995, p. 25.101 Réquisitions de Joseph PERFETTI, in Sang et droit pénal, à propos du sang contaminé…, PRADEL (J.)(DIR.),
Poitiers, 1995, p. 118.
30
de porter l'affaire en justice, dès 1987, sous la qualification de tromperie. Mais, quand ils
apprirent par la presse que les médecins avaient conscience de la possibilité de la transmission
du virus ainsi que de ses conséquences, les victimes hémophiles se sentirent comme trahis une
deuxième fois et choisirent un nouveau fondement pénal pour faire valoir leurs droits102. Le 11
juin 1991, la première plainte pour empoisonnement fut déposée par Maître PAUGRAM, avocat
de Monsieur HENRY, un hémophile contaminé par transfusion103. S'il fut rapidement de notoriété
publique que les médecins et les politiciens mis en cause, connaissaient le caractère mortifère
des lots de sang contaminé, personne ne prétendaient « qu'ils avait eu, ni l'intention de tuer, ni
même celle de rendre malade qui que ce soit 104».
Ainsi, il existait, certainement pour la première fois, une véritable dissociation entre la
connaissance du caractère mortel de la substance ainsi que la volonté de l'administrer aux
patients hémophiles et la volonté de les tuer. Cette distinction imposa aux juridictions de
déterminer ce qui constitue l’élément moral du crime d’empoisonnement. A la lecture des
premières décisions jurisprudentielles, il apparaît comme une évidence que les juridictions
n'avaient pas la volonté de trancher les indécisions doctrinales quant à l'intention requise dans
le crime d’empoisonnement. C’est pourquoi, l’affirmation par les juridictions de la nécessité
de l’animus necandi sera d’abord incertaine (SECTION I). Au fur et à mesure de leurs décisions,
les juridictions semblent se prononcer de plus en plus explicitement en faveur de la thèse du
dol spécial en imposant la preuve de l'intention tuer. Cependant, même lorsque la
jurisprudence semblera être plus explicite dans son accréditation de la thèse du dol spécial,
les approximations linguistiques visibles dans les décisions rendues, laissent des incertitudes
quant à la véritable volonté des juges (SECTION II).
Section I – Une affirmation d’abord assez incertain e
En étudiant les premières décisions jurisprudentielles, les réticences du système judiciaire à
l'encontre de la qualification d'empoisonnement pour les contaminations par le V.I.H.,
apparaissent comme évidentes. Dans un premier temps, les juridictions du fond se sont
insérées, de façon détournée, dans le débat sur l'élément moral exigé dans le crime
d'empoisonnement. La nécessité de l'intention homicide est affirmée uniquement
pour conforter la poursuite des faits sous une qualification différente. En effet, les
102 BETTATI (C.), Responsables et coupables, une affaire de sang, Paris, 1993, p. 92.103 CHEVALIER (J.-Y.), op. cit. note 100, p. 34. 104 RASSAT (M.-L.) , op. cit. note 95, p. 322, n° 283.
31
médecins ont d’abord comparu devant le Tribunal correctionnel de Paris pour tromperie.
Mais, les parties civiles, refusant que les médecins ne soient jugés que pour un délit
d’atteinte aux biens, formèrent un pourvoi en cassation. Le 22 juin 1994, la Cour de
cassation rend un arrêt équivoque qui semble remettre en cause les décisions précédentes mais
également les fondements les plus importants de la procédure pénale.
Ainsi, après avoir démontré la préférence des juridictions du fond pour des qualifications
différentes (§1), il sera abordé l’arrêt du 22 juin 1994 qui ne peut être considéré que comme
une décision équivoque de la Cour de cassation (§2).
§1 – Une préférence pour des qualifications
différentesDans les premiers cas de contamination par le sida, les juridictions ont préféré évincer la
qualification d'empoisonnement au profit d'autres qualifications. Ainsi, avant même que soit
rendu le premier jugement sur l'affaire du sang contaminé, un autre cas de contamination
volontaire par le virus du sida avait été jugé, le 6 février 1992, par le Tribunal de Grande
Instance de Mulhouse105 .
En l'espèce, un individu, alors qu’il allait être interpellé par un agent de police, avait mordu ce
dernier jusqu'au sang et avait déclaré ensuite : « J’ai le s ida, tu vas crever aussi 106». Après
avoir été inculpé pour empoisonnement, le prévenu fut finalement poursuivit et reconnu
coupable d'avoir « volontairement porté des coups et commis des violences ». Le choix de ce
changement de qualification aurait été conforté par le fait que l'agent de police n'avait pas
contracté le virus107.
Cependant, cette correctionnalisation ne semble avoir aucun fondement juridique. En effet,
l’individu inculpé avait, de façon explicite, manifestée une intention homicide à l’encontre de
l'agent de police. La seule explication est que les juges du Tribunal de Grande Instance de
Mulhouse ont fondé cette correctionnalisation uniquement sur le fait que l'agent de police n'avait
pas été contaminé. Ils en ont sûrement conclu l’absence d’administration de la substance mortelle.
Il y aurait alors un défaut d'élément matériel pour constituer l'infraction d'empoisonnement.
Mais, en ce cas, le Tribunal de Grande Instance n’aurait-il pas dû poursuivre pour tentative
d'empoisonnement108? La morsure peut, sans difficulté, être considérée comme un
105 Trib. corr. Mulhouse, 6 février 1992, D. 1992, jurispr., note PROTHAIS (A.), pp. 301-302.106 Id., p. 302, n° 3.107 Ibid.108 Id., p. 304.
32
commencement d'exécution et s'il n'y a pas eu administration, c'est uniquement parce qu'il est
difficile d'inoculer le virus par des morsures; ce qu'ignorait certainement l'auteur de l'infraction
qui, de ses propres dires, voulait la contamination de l'agent agressé109. Dès lors, il est évident
que si l'infraction n'a pas été consommée, ce n'est dû qu'à une circonstance indépendante de la
volonté de l'auteur qui a clairement affirmé sa volonté d’administration du virus. Le
commencement d'exécution et la suspension de l'infraction par des circonstances extérieures
à la volonté de l'auteur étaient donc réunis, comme cela est prévu par la loi pour constituer la
tentative d'un crime110. L'éviction de la tentative d'empoisonnement, alors même que la
volonté de tuer était clairement démontrée, ne laissait que peu d'espoir aux hémophiles d'obtenir
une inculpation des docteurs au titre d'un empoisonnement. Il convient donc maintenant d’étudier
consécutivement le jugement du Tribunal de Paris en date du 23 octobre 1992 (A) puis celui de la
Cour d’appel de Paris en date du 13 juillet 1993 (B).
A – Le jugement du 23 octobre 1992
Les docteurs inculpés dans l'affaire du sang contaminé, furent renvoyés devant le Tribunal
correctionnel de Paris sous la qualification de tromperie. Cette qualification fut rejetée par les
parties civiles qui considéraient avoir été victimes d'un véritable empoisonnement.
Les parties civiles soulevèrent une exception d'incompétence à l'encontre du tribunal
correctionnel de Paris en arguant de la nature criminelle des faits. Le 23 octobre 1992, le
Tribunal de Grande Instance de Paris rend un jugement, d'une longueur conséquente111,
dans lequel il confirme la qualification de tromperie112.
Pour expliquer leur rejet de l'exception d'incompétence, les juges insistent sur le fait que : «
l'empoisonnement n'est pas seulement un acte conscient, voulu mais un acte intentionnel, c'est-
à-dire conscient, voulu et accompli en vue d'un résultat précisément recherché par son auteur,
en l'espèce la mort » et ajoutent que « le résultat ainsi recherché est un élément constitutif de
l'infraction et participe à sa définition même : empoisonner c'est recherché la mort de son
prochain ».
Les juges affirment un choix doctrinal clairement en faveur de la thèse du dol spécial. Pour
s'en convaincre, il suffit d'observer que les juges, tout en reconnaissant la difficulté de sa
109 AIDES, Droit et S.I.D.A, guide juridique, éd. 3ème, Paris, 1996, p. 154. 110 Art. 121-5 C. pén.111 Le jugement fait 191 pages dactylographiées.112 FEHRENBACH (K.), op. cit. Note 70, p. 314.
33
preuve, ajoutent que « revenir sur l'exigence fondamentale de cet élément moral
constitutif de l'infraction serait méconnaître d'une part qu'elle est inscrite, soit
directement dans les textes, soit dans la disposition même du code, d'autre part renoncer au
principe d'interprétation stricte de la loi pénale ». Les fondements de cette « exigence
fondamentale » ne sont que la reprise des arguments de la doctrine défendant la nécessité
d’un dol spécial dans le crime par poison. Mais, les juges, en choisissant de reconnaître
l'existence du dol spécial, sont, eux-mêmes, en train de renoncer au principe d'interprétation
stricte de la loi pénale. En effet, ils expriment le fait que l'élément moral est inscrit soit dans
le texte, ce qui n'est pas le cas pour l'intention homicide dans le crime d'empoisonnement113,
soit dans la disposition du Code pénal. Cette fin de phrase ne peut laisser indifférent car les
juges sachant que l'animus necandi n'étaient aucunement réclamé par le texte incriminant
l'empoisonnement, décident de prouver son fondement par la disposition du Code pénal. Ils
donnent, à la disposition des textes dans le Code pénal, une valeur de preuve qui n'a pas lieu
d'être114. Il semble qu'en craignant une violation de l'interprétation stricte de la loi pénale, les
juges l'aient eux-mêmes commises.
De plus, la qualification d'une infraction a trois fonctions distinctes et cumulatives que sont les
fonctions juridique, cathartique et pédagogique115. Or, la qualification de tromperie ne semble
remplir aucune de ses fonctions et n’être, en réalité, qu’une qualification par défaut116. En
effet, le délit de tromperie, prévue par la loi 1er août 1905 est une infraction qui, bien que
correspondant notamment à l'intention des médecins en l'espèce117, peut être considéré comme un
délit d'atteinte aux biens. Or, dans l'affaire du sang contaminé, ce sont des personnes, et non
des biens, qui subirent l'atteinte. La fonction juridique de la qualification, ayant pour but de
faire coïncider les faits à l'infraction retenue, ne peut donc être satisfaisante puisque les
atteintes aux biens sont réprimées de façon moins importantes que celles faites aux
personnes. Pour le délit de tromperie, la peine d'emprisonnement maximale est de 4 ans ce qui
est dérisoire compte tenu du nombre de victime118.
113 L’idée de la mort de la victime n’est aucunement abordée par l’article 221-5 du Code pénal.114 Trib. corr. Paris, 23 octobre 1992, D. 1993, note PROTHAIS (A.), p. 224 sq. ; Gaz. Pal. 1993, note DOUCET (J.-
P.), p. 119, n° 1.115 DANTI -JUAN (M.), « L'affaire du sang contaminé devant la Haute Cour : les vrais problèmes restent à résoudre »,
Dr. pén. 1993, chron. 5, p. 3.116 DANTI -JUAN (M.), « Les responsabilités nées de la dissémination transfusionnelle du sida », RD pén. crim.,
1992, p. 1108.117 Les transfusions sanguines ont eu des conséquences envisagées mais non désirées par les médecins.118 CA Paris, 13 juillet 1993, Dr. pén. 1994, comm. 12, note ROBERT (J.-H.), p. 13.
34
La qualification a également pour vocation « une importante et irremplaçable fonction
psychosociale d'apaisement 119». Elle permet aux victimes de reconnaître les faits subits au
travers de la définition légale et calme ainsi leur agressivité vengeresse. Or, il est évident que la
qualification de tromperie, bien trop réductrice, fut perçue comme lourde de « non-dit » et,
au lieu d'apaiser les tensions, n'a fait qu'attiser la colère des personnes contaminées 120.
Enfin, l'intérêt pédagogique de la qualification est également inexistant. Cette fonction a pour
but d'apprendre aux justiciables ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. La peine encourue est, en
l’espèce, tellement inconséquente que la population pourrait comprendre au travers de cette
qualification que les faits n'étaient pas exceptionnellement graves. On risque donc un regain de
ce genre d'infraction couverte, semble-t-il, par une relative impunité due à une qualification trop
réductrice.
C’est, en mettant en avant l’ensemble de ces arguments, que les parties civiles interjettent
appel de la décision. Mais, la qualification fut maintenue par la Cour d'appel de Paris dans
son arrêt en date du 13 juillet 1993 (B).
B – L’arrêt du 13 juillet 1993
Pour fonder sa décision de rejet, la Cour d'appel reprend les arguments de la doctrine
classique en affirmant que « l'empoisonnement visé à l'art 301 constitue un meurtre spécial en
raison du moyen employé par son auteur » et, par analogie que « ce crime implique, pour être
constitué, que soit rapportée la preuve chez son auteur de la volonté de tuer, de donner la
mort ». La démonstration analogique, prohibée par principe en droit, fut critiquée de façon
virulente par la doctrine121. De plus, à considérer l’intention homicide comme indispensable en
s’appuyant la doctrine classique, les juges aurait du reprendre les autres enseignements de cette
doctrine. Ainsi, détenant des preuves de la connaissance, par les docteurs ALLAIN et GARRETA, des
dangers mortels liés à l'utilisation des poches de sang non chauffées, les juges auraient dû en
déduire l'intention homicide122.Mais, il n'en fut rien.
La Cour d'appel admet cette induction comme possible seulement quand « les circonstances de
la cause le justifient - ainsi l'existence par exemple de rapports conflictuels entre l'auteur et la
victime ». Il est vrai qu'aucun rapport de ce genre n’existait entre les médecins et leurs patients.119 DELMAS-SAINT-HILAIRE (J.-P.) «Sang contaminé et qualification pénale... avariée », Gaz. Pal. 1992,
doctr., p. 674.120 Id., p. 675.121 CA Paris, 13 juillet 1993, D. 1994, note PROTHAIS (A.), p. 119.122 Id., p. 120.
35
Mais, ce type de lien doit-il réellement exister dans le cas d'un empoisonnement ? En fait, un
lien bien plus intéressant constituait la relation entre les patients et leurs médecins. C'était un lien
de confiance, élément présent en l’espèce ,et indispensable dans la plupart des cas
d'empoisonnement puisque la victime est consciente de l'administration d'une substance et se
laisse faire sans réagir ignorant qu'il s'agit d'un poison123. Ce lien de confiance sera, par
exemple, présent dans les affaires de transmission du sida par voie sexuelle124. Du point de
vue strictement juridique, en imposant ce contexte conflictuel pour déduire l’intention
dans le crime par poison, la Cour d’appel modifie la définition légale de cette infraction.
L’existence d’une situation conflictuelle entre l’agent et la victime paraît devoir être
établie avant toute recherche des éléments constitutifs de l’infraction. En d’autres termes,
« une condition préalable […] serait ainsi exigée » par la Cour d’appel sans pour autant
être prévue par le texte d’incrimination125.
Notons encore que les juges souhaitaient exonérer les médecins de leur responsabilité. Ils mettent
en avant une cause exonératoire en considérant, qu'eu égard au péril imminent mettant en danger
la vie des hémophiles, les médecins avaient été « contraint à agir par l'état de nécessité ».
L’état de nécessité autorise à aller à l’encontre d’une valeur sociale uniquement pour en protéger
une plus importante. Cet équilibre ne semble pas exister dans l’affaire du sang contaminé. Les
médecins, en étant quasiment certains d'inoculer aux hémophiles un virus mortel, non fait que
déplacer l'échéance fatale. Le résultat étant globalement le même c'est-à-dire la mort à plus ou
moins long terme, l’état de nécessité ne semble pas non plus être justifié.
Finalement, la Cour d'appel de Paris refuse de reconnaître son incompétence et déclare les
médecins coupables des faits qui leurs étaient reprochés c'est-à-dire de tromperie au regard
des articles 1er et 2 de la loi du ler août 1905. Les peines s'échelonnèrent du maximum
prescrit soit quatre ans de prison et 500 000 francs d'amende pour le docteur GARRETA, en
passant par quatre d'emprisonnement dont deux avec sursis pour le docteur ALLAIN , jusqu'à
quatre ans de sursis pour le professeur ROUX. Le professeur NETTER fut, quant à lui, relaxé126.
123 Il convient de signaler que la connaissance du pouvoir mortel par la victime ainsi que son consentementn’empêche pas la constitution du crime d’empoisonnement. Cf. Cass. crim., 8 juin 1993, Bull. crim. 1993, n° 203; Dr. pén., 1993, comm. 211, note VERON (M.) ; Rev. sc. crim. 1993, p. 774, obs. LEVASSEUR (G.) ; Rev. sc. crim.1994, p. 107, obs. LEVASSEUR (G.). 124 Le crime d’empoisonnement est un crime dit « familial » ce qui atteste du degré de confiance existant entre les
auteurs et leurs victimes.125 DELMAS-SAINT-HILAIRE (J.-P.), « L’homicide assassiné : à propos de l’arrêt de la Cours de Paris rendu le 13
juillet 1993 dans l’affaire du sang contaminé. », Gaz .Pal. 1994, doctr., p. 174, n° 9. 126 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 316, n° 546.
36
Mécontents la décision de la Cour d'appel, le docteur ALLAIN ainsi que certaines parties civiles
formèrent un pourvoi en cassation. Et, alors que tous attendaient une position ferme de la
Cour de cassation pour clore le débat sur l’élément moral de l'empoisonnement, elle a surpris
l'ensemble de la doctrine en évitant de prendre part au débat sur l'élément moral requis dans
l'empoisonnement. Les juges ont préféré rendre une décision équivoque sur bien des points
(§2).
§2 – Une décision équivoque de la Cour de cassationLe 22 juin 1994, la Cour de cassation rend un arrêt sans aucune réponse à la question doctrinale
au coeur de l'affaire du sang contaminé c'est-à-dire la définition de l'élément moral requis dans
le crime d'empoisonnement. Les juristes furent d'autant plus surpris que les réquisitions faites par
Monsieur l'avocat général, Joseph PERFETTI, ne semblaient lui laisser aucune autre possibilité
que celle de clôturer la discussion en choisissant l'une ou l'autre des thèses doctrinales. Ainsi, il
convient de rendre compte des réquisitions de l’avocat général (A) avant même d’aborder l’étude
de l’arrêt du 22 juin 1994 (B) ;
A – Les réquisitions de l’avocat général
Les réquisitions de l'avocat général sont, en effet, un modèle de rédaction juridique. Ainsi, il
commence par expliquer que le pourvoi des parties civiles n’est pas recevable puisque «
la partie civile n'a plus la qualité ou intérêt à intervenir dans l'action répressive, son propre
pourvoi étant limité à la critique des dispositions lui faisant grief 127». Puis, pour étayer son
propre pourvoi, Monsieur PERFETTI met en avant l'article 595 du Code de procédure pénale qui
« confère à la chambre criminelle de relever d'office tous moyens d'ordre public...128 ».
On aurait pu alors penser que l'article 8 de la loi de 1905 aurait fait obstacle à cette
requalification. Monsieur l'avocat général nie catégoriquement cette idée en se basant sur la
jurisprudence129. Il souligne qu'il ne pourrait en être autrement, dans le cas d’une mutation, des
mêmes faits et de leurs circonstances, de délit spécial en crime130.
Mais, ce qui est le plus intéressant pour l’étude en cours, c'est d'observer que Monsieur
PERFETTI, tout en rappelant que la chambre criminelle doit contrôler l'adéquation des faits à la
qualification, constate que la Cour d'appel aurait dû requalifier les faits en crime
127 Réquisitions de Joseph PERFETTI, op. cit. note 101, p. 123 sq.128 Id., p. 126.129 Id., p. 129.130 Id., p. 130.
37
d'empoisonnement : « cette infraction n'impliquant pas nécessairement chez son auteur
l'intention de tuer, et ces faits constituant une présomption sérieuses d'un fait criminel
susceptible d'entrer dans les prévisions de l'article 301, la Cour d'appel aurait donc dû se
déclarer incompétente et laisser à d'autres juridictions le soin de se prononcer sur l'existence
ou l'absence d'intention criminelle 131 ».
Face à une position si précise de la part de l'avocat général, la décision de la Cour de
cassation aurait dû l'être tout autant, soit en entérinant la position de l'avocat général, soit en la
réfutant. Or, l'arrêt du 22 juin 1994 brille surtout par la confusion qu'il apporte au
débat (B).
B – L’arrêt du 22 juin 1994
Après avoir rejeté les moyens relevés par les parties civiles132, la Cour de cassation s’interroge
alors sur le pourvoi formé par Monsieur PERFETTI à l’encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de
Paris dans le but d’obtenir la requalification des faits. La Cour rejette le pourvoi du ministère
public en considérant qu’« il ne peut être fait grief aux juges correctionnels des motifs
surabondants par lesquels ils se sont reconnus compétents ; qu'étant saisis de la prévention de
tromperie dont il ont à bon droit déclaré X... coupable, ils ne pouvaient, sans ajouter à cette
prévention, retenir une qualification criminelle d'empoisonnement comportant les mêmes
éléments constitutifs distincts, au regard notamment de l'intention coupable essentiellement
différente, et qui serait susceptible de poursuites séparées ». Cette phrase, et notamment sa
dernière partie, commentée à de multiples reprises par la doctrine133, n'érige aucune des deux thèses
en principe et, par là même, ne répond explicitement à la question sur l’élément moral de
l’infraction d’empoisonnement. Ainsi, chacune des doctrines considèrera que la Cour de cassation
soutient sa position.
La doctrine en faveur du dol spécial affirme que le rejet des pourvois par la Cour de cassation
démontre sa volonté de rendre définitive la condamnation pour tromperie et, par conséquent,
de refuser la qualification d’empoisonnement. Les auteurs soutenant la thèse du dol général
131 Id., p. 134 sq.132 L’arrêt reprend, à ce sujet, les développements de Monsieur l’avocat général, Joseph PERFETTI.133 Cass. crim., 22 juin 1994 , D. 1995, jurispr., note PROTHAIS (A.), p. 85 sqq. ; JCP 1994, éd. G., II 22310,
note RASSAT (M.-L.) ; DELMAS-SAINT-HILAIRE (J.-P.), « L’affaire du sang contaminé : la triple ambiguïté de
l’arrêt de la Chambre criminelle du 22 juin 1994. », Gaz. Pal.1994, doctr., p. 1139, n° 28.
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considèrent, à l'inverse, que la Cour aurait suivi les réquisitions de l'avocat général en se
prononçant en faveur d’un cumul d'infraction134.
Mais, qu'il s'agisse d'une thèse ou de l'autre, l'arrêt en cause a eu un effet immédiat et, pour
certains préjudiciable, sur la procédure pénale135. En effet, l'expression « susceptible de
poursuites séparées » a poussé les parties civiles à déposer une nouvelle plainte sous la
qualification d'empoisonnement. Madame le juge Odile BERTELLA-GEFFROY a surpris nombre de
professionnels du droit en acceptant d'instruire cette affaire une seconde fois. Les médecins
condamnés furent donc renvoyés à nouveau devant les juridictions sous la qualification
d'empoisonnement.
Certains juristes tels que Monsieur le Bâtonnier J.-R. FARTHOUAT, considèrent cette décision
comme une concession de la justice en faveur de la compassion vis-à-vis des victimes136. A
l'opposé, Monsieur le Professeur PRADEL a estimé que cette décision est justifiée et que « malgré le
malaise qu'il suscite, le bien fondé d'une nouvelle poursuite pour empoisonnement s'autorise
d'arguments non dénués de valeur 137». Pour le prouver, l'auteur met d'abord en avant un
argument de fond en notant que la Cour de cassation a déjà poursuivit les mêmes faits sous des
qualifications différentes du fait de l'existence d'éléments moraux différents correspondant à
des valeurs sociales elles-mêmes distinctes138. En l'espèce, l'auteur souligne comme valeurs
sociales : « la protection de la vie humaine » et « l'intégrité du consentement des
acquéreurs »139. Cet argument aborde la question sensible du cumul d'infractions. Monsieur le
Professeur PROTHAIS va plus loin en expliquant que l'élément matériel lui-même est différent.
Le délit de tromperie n'est autre que « la mise sur le marché d'un produit non conforme à
la réglementation qui en fixe la composition », le simple « fait d'avoir fait croire qu'un
produit... ne possède pas certains défauts »140. « Il se différencie nettement de l'acte
consistant à faire absorber par autrui une substance mortifère constitutif de
l'empoisonnement.141 ». Monsieur le Professeur PRADEL ajoute un deuxième argument, procédural
celui-ci, en affirmant que les premières poursuites qui étaient fondées sur l'empoisonnement
134 Cass. crim., 22 juin 1994 , D. 1995, jurispr., note PROTHAIS (A.), p. 87.135 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 322 sq.136 Vie jud., 1-7 août 1994, p. 3 cité par FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 322, n° 557.137 PRADEL (J.), « Prolégomènes» in Sang et droit pénal, à propos du sang contaminé…, PRADEL (J.)(DIR.),
Poitiers, 1995, p. 5.138 Cass. crim., 22 juin 1994 , D. 1995, somm., obs. PRADEL (J.), p. 142.139 Id., p. 6.140 Cass. crim., 22 juin 1994, D. 1995, jurispr., note PROTHAIS (A.), p. 86.141 Ibid.
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n'ont pas donnée lieu à décision. Ceci a pour conséquence de ne pas « purger » la saisine du
juge d'instruction et donc de créer un vice procédural142.
Malgré ces arguments, il a été reproché de façon virulente à la Cour de cassation d'avoir permis
une violation de l'autorité de la chose jugée ou autrement dit la règle non bis in idem. Les
partisans de cette thèse s'appuient sur deux textes. En premier, ils se fondent sur l'article 368
du Code de procédure pénale. Ensuite, ils utilisent l'article 4, alinéa 1 du protocole 7 de la
Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme rédigé comme il suit : « nul ne
peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une
infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif
conformément à la loi et la procédure pénale de cet Etat 143 ».
Mais, en l'espèce, ces arguments ne peuvent être utilisés puisque les éléments constitutifs des
deux infractions sont différents. Il n'y a donc aucunement identité d'infraction comme l'exige
la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme.
Cet arrêt a donc relancé le débat sur l'élément intentionnel dans le crime d'empoisonnement sans
y apporter la réponse tant attendue. Le caractère équivoque de l'affirmation de la nécessité de
l'intention homicide faite par les juridictions du fond atteint par cet arrêt son paroxysme
puisque la Cour ni ne confirme, ni n'infirme cette position jurisprudentielle. Cependant, la Cour
de cassation à sûrement préférer attendre d’être saisi sur des faits d'empoisonnement pour livrer
sa réponse quant à l’exigence ou non d’un dol spécial dans le crime d’empoisonnement. Ainsi,
lorsqu'en 1998, l'occasion se présente, la Cour confirme cette fois-ci de façon plus explicite la
nécessité de l'animus necandi.(SECTION II).
Section II – Une affirmation ensuite plus explicite
A la suite de la décision du 22 juin 1994, dans laquelle la Cour de cassation avait pris soin de
ne pas émettre d’avis quant à l’intention homicide. Il était difficile de penser que la Cour allait
apporter sa contribution au débat. Pourtant, le 2 juillet 1998, elle rend un arrêt dans lequel il
semble qu’elle reconnaisse la nécessité du dol spécial dans le crime d’empoisonnement.
Cependant, beaucoup d’auteurs refusent de considérer cette décision comme un arrêt de
principe. La Cour devra alors réaffirmer sa position dans un arrêt en date du 18 juin 2003 qui
142 PRADEL (J.), op. cit. note 137, p. 6.143 Site du Conseil de l’Europe : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme , Protocole n°7:
http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/117.htm, le 25 août 2006.
40
clôture l’affaire du sang contaminé. Il faut donc étudier consécutivement l’arrêt du 2 juillet
1998 (§1) et celui du 18 juin 2003 (§2) afin de savoir si la Cour de cassation a réellement
tranchée la question du dol spécial dans le crime d’empoisonnement.
§1 – L'arrêt du 2 juillet 1998Comme l'affirme Madame le Professeur RASSAT, une étape importante parait bien avoir été
franchie par l'arrêt de la Cour de cassation en date du 2 juillet 1998 144.Cet arrêt a marqué la
doctrine, non seulement par les faits qui en sont à l'origine (A), mais également parce qu'il
semble être le premier à affirmer de façon explicite la nécessité de l'intention homicide (B).
A – L’exposition des faits
En l'espèce, Monsieur Claude Y. avait eu des relations sexuelles consenties avec
Mademoiselle Isabelle I sans aucune protection alors qu'il se savait atteint du sida. Les faits
semblaient démontrer la mauvaise foi de Monsieur Y puisqu'il avait certifié à sa partenaire
qu'il n'était pas séropositif alors même qu'il se soignait pour cette maladie depuis
plusieurs années. Le 17 décembre 1997, la chambre d'accusation de la Cour d'appel d'Aix-en-
Provence estime que l'homme avait délibérément contaminé sa partenaire puisqu'il se savait
atteint par le virus VIH et qu'il n'en ignorait pas les modes de transmissions et que, par
conséquent, « le fait d'inciter sa partenaire à ne plus se protéger, lors des rapports sexuels
alors qu'il avait connaissance qu'elle n'était pas porteuse du virus, suffit à caractériser
l'intention homicide145». C'est logiquement que la Chambre d’accusation de la Cour d'appel
ordonna le renvoi de Monsieur Y devant la Cour d'assises sous la qualification
d'empoisonnement. Ce dernier forma alors un pourvoi en cassation. La Cour de cassation, dans
son arrêt du 2 juillet 1998, n'a pas suivit l’analyse de la Cour d’appel et décide de casser l'arrêt
en soulignant que « la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne
suffit pas à caractériser l'intention homicide ».
Cette simple phrase créa un bouleversement au sein de la doctrine qui disséqua, à de
nombreuses reprises, cet arrêt dans le but d’expliquer ce qui semble être, de prime abord, une
affirmation de la nécessité de l’intention homicide146 (B).
144 VERON (M.), op. cit. note 92, p. 32, n ° 43.145 Arrêt 1488/97, 16e chambre cité par FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 332.146 MAYAUD (Y.), « Infractions contre les personnes », Rev. sc. crim. 1999, p. 101.
41
B – L’exigence d’une intention homicide
Si l'ensemble de la doctrine approuve cet arrêt, les conséquences qu'ils en tirent sont bien
dissemblables. Ces divergences sont dues au laconisme dont les juges ont fait preuve dans cet
arrêt ; ce qui ne permet pas de connaître les mécanismes de la pensée des juges.
Ainsi, les tenants de la thèse du dol spécial considèrent qu'il s'agit clairement d'un arrêt de
principe affirmant la nécessité de l'intention homicide dans le crime d’empoisonnement.
Pour le prouver, ils se fondent sur la séparation faite par la Cour entre la connaissance du
pouvoir mortel de la substance et de l'intention homicide147. Cependant, cette vision est
réductrice. Elle ne prendre en compte qu'une infime partie de l'arrêt en question et affirme une
prise de décision par la Cour de cassation à laquelle il est difficile de s'associer.
Ainsi, à la fin de cet arrêt, « la question de l'élément moral de l'empoisonnement reste entière148». Dans ses propos, Madame le Professeur RASSAT a pour mérite de démystifier un arrêt
qui bien qu'ayant la forme d'un arrêt de principe, n'en a certainement pas la valeur.
L'auteur observe que « si la Cour de cassation exige bien la preuve spécifique d'une
intention de tuer, il s'agit d'un revirement de jurisprudence aux conséquences gravissimes » et
ajoute que « la vérité juridique est que, dans l'application pratique de l'infraction, la
jurisprudence s'est toujours contentée de la connaissance du caractère mortel du produit et
du caractère délibéré de son administration »149. Ainsi, l’auteur rejoint les partisans de
l'intention homicide en décalant le problème, non pas sur la nécessité de l'intention homicide
dont elle est convaincue mais, sur la preuve de cette intention. Selon cette thèse, le
but principal poursuivit par l’agent doit être l'administration voulu d’une substance mortifère
pour pouvoir établir l'élément moral du crime d'empoisonnement. Madame RASSAT essaie de
démontrer qu'il peut exister d'autres buts principaux qui pouvant expliquer l'administration, en
connaissance de cause, de la substance léthifère. Ainsi, on lira que « Quand une personne
entretient des relations sexuelles dans le cadre d'une relation sentimentale, son intention
première n'est pas de transmettre un virus mais retirer les avantages que l'on recherche
habituellement dans les relations sexuelles 150 ».
147 Cass. crim., 2 juillet 1998, « De l'empoisonnement en matière de contamination sexuelle par le VIH »,
petites affiches 1998, n° 126, note COURTRAY (F.), p. 15.148 Cass. crim., 2 juillet 1998, JCP, éd. G, 1998-II-10132, note RASSAT (M.-L.), p. 1436.149 Id., p. 1437.150 Id., p. 1436.
42
L'analyse de Madame le Professeur RASSAT paraît beaucoup plus discutable lorsqu'elle
commente la position de Monsieur le Professeur PROTHAIS. Elle explique que l'idée selon
laquelle la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit pas à
caractériser l'intention homicide, est acceptée par tout le monde sauf peut-être par ce dernier151.
L’auteur en question ne semble jamais avoir pris position en ce sens. Pour ce dernier, il
paraît évident que la seule connaissance du pouvoir mortel ne permet pas de caractériser
l'animus necandi. Ainsi, l'analyse qu'il fait de l'arrêt du 2 juillet 1998 est bien loin des
explications déjà exposées. Après avoir, comme certains de ses confrères, démontré que cet
arrêt n'est pas un arrêt de principe, la pensée de Monsieur le Professeur Alain PROTHAIS peut se
diviser en trois parties.
Dans un premier temps, il explique que « la Cour de cassation n'a pas dit qu'il n'y a pas
d'empoisonnement à contaminer délibérément autrui au moyen d'un virus mortifère 152 ».
Comme le souligne également Monsieur le Professeur Jean PRADEL, la Cour de cassation n'a
cassé cet arrêt que pour un défaut de motivation de la part de la Cour d'appel d'Aix-en-
Provence153.
Ensuite, « la Cour de cassation n'a pas dit qu'il n'y avait pas d'empoisonnement faute
d'intention de tuer 154 ». S'il est certain que l'expression « intention homicide » est citée dans
l'arrêt, ce n'est qu'une reprise des termes utilisés par la chambre d'accusation. Dès lors, rien ne
permet d'affirmer la nécessité de l'intention homicide pour constituer juridiquement le crime
d'empoisonnement. De plus, « l'intention homicide », expression floue aux frontières incertaine,
n'est en aucun cas définit par cet arrêt. Si la Cour de cassation avait réellement souhaité en faire
un élément constitutif, il est évident qu'elle en aurait, par la même occasion, tracé les contours.
Enfin, « la Cour de cassation n'a pas dit qu'il n'y avait pas d'empoisonnement par les
dispensateurs de sang contaminé 155 » Cet élargissement d'un cas particulier à une affaire si
médiatique que celle du procès du sang contaminé semble pour le moins choquant voire
même dangereux. La Cour semble avoir profité de cet arrêt pour tenter de clore l'affaire du
sang contaminé. Les partisans de la thèse restrictive ont logiquement accepté ce raisonnement
sans grande difficulté. Les auteurs de la thèse du dol général considèrent que la Cour de cassation
hésite toujours à trancher de façon trop catégorique la controverse sur la définition de
151 Ibid.152 PROTHAIS (A.), «N'empoisonnez donc plus à l'arsenic ! », D. 1998, chron. 334, p. 335.153 Cass. crim., 2 juillet 1998, D. 1998, jurispr., note PRADEL (J.), p. 458.154 PROTHAIS (A.), loc. cit.155 Id., p. 336.
43
l'intention nécessaire. En effet, « cette controverse est largement terminologique et concerne
beaucoup plus les juges du fait que le juge du droit 156 ». Dès lors, l'arrêt du 2 juillet 1998,
considéré par un beaucoup comme un arrêt de principe, n'est qu'un arrêt classique ne faisant
qu'affirmer l'idée, déjà admise par l'ensemble de la doctrine, selon laquelle l'intention
homicide n'est pas caractérisée par la connaissance du pouvoir mortel de la substance.
Finalement, ce sera l'arrêt du 18 juin 2003, clôturant après plus de 10 ans de procédure
l'affaire du sang contaminé , qui permettra de découvrir véritablement la pensée de la Cour de
cassation (§2).
§2 – L'arrêt du 18 juin 2003Comme le laissait déjà envisager l’arrêt de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de
Paris en date du 4 juillet 2002157, la Cour de cassation, saisie par un pourvoi formé à
l’encontre de l’arrêt précité, a rejeté l’ensemble des qualifications proposées et, par là même,
entériné la thèse restrictive de l'élément moral dans le crime d'empoisonnement. Cependant, les
arguments développés n’ont de cesse d’étonner. D’abord, la Cour semble émettre deux
revirements jurisprudentiels (A). Mais, plus encore, c’est l’inutilité de la phrase
affirmant la nécessité de l’intention homicide dans l’argumentation de la Cour qui rend
incompréhensible sa démarche (B).
A – Les hypothétiques revirements jurisprudentiels
Les juges de la Cour de cassation reprennent les propos de la Chambre d’instruction de la
Cour d’appel qui relevait que « seuls les médecins qui ont prescrit l’administration des
produits sanguins auraient pu être les auteurs principaux de ce crime, mais que la preuve n’est
pas rapportée qu’ils aient eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des lots du
CNTS ». Ils en concluent que les qualifications d’empoisonnement et, a fortiori, de complicité
ne peuvent être retenues ; la dernière ne pouvant exister en l’absence de fait principal
punissable. L’argument est convainquant. Il est vrai que la connaissance du caractère
mortifère est indispensable pour constituer l’élément moral du crime d’empoisonnement. Le
terme « nécessairement » doit, tout de même, être relevé. Dans le cas d’un virus comme le
sida, il est difficile d’affirmer que la substance est « nécessairement » mortifère puisque des
personnes peuvent vivre normalement alors qu’ils sont infectés. Le virus du sida a pour
particularité de ne pas toujours être actif dès la contamination. Cependant, cette affirmation de
156 Ibid.157 CA Paris (ch. instr.), 4 juillet 2002, D. 2003, jurispr., note PROTHAIS (A.), p. 164 sqq.
44
la connaissance du caractère « nécessairement » mortifère de la substance laisse sous entendre
que les médecins avaient au moins la conscience du caractère potentiellement mortel du virus.
« L’hypothèse n’est donc pas celle d’une ignorance du caractère mortel de la substance
administrée 158». Ceci va à l’encontre de la jurisprudence classique qui considère que l’élément
intentionnel du crime d’empoisonnement existe si l’auteur savait que la substance administrée
pouvait être mortelle159. Malgré cela, certains auteurs ont reconnu l’impossibilité de
poursuivre quiconque au titre de l’empoisonnement160.
Mais, la connaissance du caractère « nécessairement » mortel de la substance, n’est pas le seul
point sur lequel la Cour de cassation diverge de la jurisprudence classique. En reprenant les
arguments de la Cour d’appel, les juges ne paraissent pas en avoir perçue les conséquences.
Ainsi, en notant que les médecins qui ont administré le sang contaminé, n’avaient pas
conscience du caractère mortifère de cette substance, la Cour de cassation leur donne
indirectement le statut de tiers de bonne foi161. Selon la jurisprudence traditionnelle, les
complices auraient alors dû acquérir la qualité d’auteur principal162. Mais, là encore, la Cour
ne prend pas en compte cette vision. Les juges considèrent donc que les fournisseurs d’un
produit mortel ne peuvent jamais auteur principal. Ce revirement étonne car la solution
semblait tellement évidente que, jamais avant cet arrêt, l’absence de véritable consécration
n’avait posé question163.
Ces premiers développements démontrent, selon la Cour de cassation, l’inexistence du dol
général réclamé pour constituer le crime d’empoisonnement. Dès lors, l’affirmation de la
nécessité d’un dol spécial qui est faite ensuite, apparaît comme désuète et sans intérêt dans
l’argumentation de la Cour (B).
B - L’affirmation inutile de la thèse du dol spécial
Après avoir prouver l’inexistence du dol général, les juges ajoutent que « le crime
d’empoisonnement ne peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’intention de donner la
158 Cass. crim., 18 juin 2003, « Nécessité d’une intention de donner la mort pour caractériser l’élément
intentionnel de l’empoisonnement », D. 2004, jurispr., note REBUT (D.), p. 1624, n° 10.159 Cass. crim., 18 juillet 1952, Bull. crim. 1952 n° 193 ; D. 1952, jurispr., pp. 667-669. 160 Cass. crim., 18 juin 2003, Bull. crim. 2003, n°127 ; petites affiches 2003, n°148, note STEINLE-FEUERBACH
(M.-F.), p. 25 ; Dr. pén. 2003, comm. 97, note VERON (M.). 161 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 224 , n° 331.162 Cass. crim., 2 juillet 1886, S. 1887, I, 489.163 Cass. crim., 18 juin 2003, JCP 2003, éd. G., II, 10121, note RASSAT (M.-L.), p. 1370.
45
mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteintes volontaires
à la vie de la personne ». La phrase dénote un caractère péremptoire indiscutable.
L’affirmation de la nécessité d’un dol spécial ne fait ici plus aucun doute. Mais, elle n’apporte
rien dans le développement de la pensée juridique des juges. Les tenants de la thèse du dol
spécial considèrent que la Cour de cassation, en ajoutant cette phrase, prend partie pour la
thèse de la nécessité de l’intention homicide dans le crime d’empoisonnement164. Sur ce point,
ils ont raison.
Pour autant, les défenseurs de la thèse du dol général s’étonnent de l’émergence d’un tel
« obiter dictum »165 .Toujours divisés en deux camps distincts, les partisans de cette théorie
émettent des contestations différentes. Les premiers acceptent la confirmation de l’existence
de l’animus necandi dans l’infraction d’empoisonnement tout en soulignant que l’exigence
d’une preuve spéciale pour justifier de son existence est inutile. La preuve doit se déduire de
l’existence des faits tels que définis par le texte légal166.
Monsieur le Professeur PROTHAIS, quant à lui, soulève le caractère incongru de cette phrase
dont l’intérêt, dans la démonstration de la Cour, est nul. En effet, pourquoi la Cour de
cassation vient-elle affirmer l’inexistence d’un dol spécial alors même qu’elle vient, au
préalable, de démontrer l’inexistence du dol général requis dans l’empoisonnement167 ? De
plus, la Cour de cassation n’explique pas comment elle entend que soit rapportée la preuve de
« l’intention de donner la mort ». Enfin, le parallélisme fait entre l’infraction
d’empoisonnement et les autres infractions d’atteintes à la vie, heurte toujours un grand
nombre de juristes qui ne cessent de souligner la spécificité du crime par poison168.
Au terme cette étude jurisprudentielle, aucune certitude ne peut être acquise quant à
l’existence d’un dol spécial dans le crime d’empoisonnement.
Il est vrai que les juges ont affirmé la nécessité l’ animus necandi pour constituer l’élément
moral de cette infraction. En ce sens, il est évident que ces décisions ont permis d’ancrer la
thèse du dol spécial dans le concret. Dès lors, même si la doctrine reste toujours divisée, il
164 Cass. crim., 18 juin 2003, Dr. pén. 2003, comm. 97, note VERON (M.).165 Cass. crim., 18 juin 2003, « Sang contaminé – Justice malade – Droit pénal avili », D. 2005, jurispr., PROTHAIS
(A.), p. 196, n° 9.166 MAYAUD (Y.), « Infractions contre les personnes », Rev. sc. crim. 2003, p. 782.167 Cass. crim., 18 juin 2003, « Sang contaminé – Justice malade – Droit pénal avili », D. 2005, jurispr., PROTHAIS
(A.), p. 196, n° 9.168 Ibid. ; MALABAT (V.) et SAINT-PAU (J.-C.), « Le droit pénal général malade du sang contaminé »,
Dr. pén. 2004, n° 2, chron. 2., p. 5.
46
semble que les justiciables doivent, aujourd’hui, considérer l’intention homicide comme un
élément constitutif du crime d’empoisonnement.
Cependant, cette affirmation ne peut avoir qu’une portée relative. L’absence d’une véritable
explication pour étayer cette affirmation laisse subsister des doutes quant à la portée de cette
exigence. S’il est indéniable que les juges prônent la nécessité de l’intention de tuer dans ce
genre de crime, ils n’ont jamais su développer une argumentation juridique permettant d’en
démontrer le besoin. Les seules tentatives en la matière se sont résumées à nier la frontière
qu’il existe entre le meurtre et l’empoisonnement. Autrement dit, les juges n’ont pu justifier
leur prise de position en faveur de la thèse restrictive, qu’en écartant les particularités
inhérentes à cette incrimination. Le besoin d’omettre les spécificités liées au crime
d’empoisonnement pour justifier l’existence de l’intention de tuer atteste déjà de
l’inadéquation d’un dol spécial dans le crime d’empoisonnement (TITRE II).
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TITRE II – L'INADÉQUATION D'UN DOL
SPÉCIAL DANS LE CRIME
D'EMPOISONNEMENT
Si l’on considère que les dernières décisions jurisprudentielles démontrent la volonté de la
part des juges d’exiger la nécessité de l'animus necandi pour constituer l'infraction
d'empoisonnement, il faut aussi reconnaître que ces derniers donne une vision restrictive de ce
crime qui ne semble plus permettre de différencier l’empoisonnement d’un meurtre si ce n’est
par les moyens utilisé. Cette conséquence, ardemment désirée par les juges, a plusieurs effets se
répercutant tant sur l'infraction en elle-même que sur les liens « inter infractionnelles ». En
effet, l’empoisonnement recouvre plusieurs caractéristiques, tant juridique que criminologique,
qui attestent que la mort n’est pas l’ultime but de l’empoisonnement. Dès lors, l’exigence de
l’intention de tuer apparaît déjà comme inadéquate dans le crime d’empoisonnement :
l'infraction subissant, de ce fait, une véritable négation de ses caractéristiques (CHAPITRE I).
Mais au-delà même de ses considérations, ce choix jurisprudentiel qui réduit de façon notable
le champ d'utilisation du crime d'empoisonnement a imposé aux juges une modification de ses
frontières avec les infractions qui lui sont le plus proche (CHAPITRE II).
CHAPITRE I – UNE NÉGATION DES
CARACTÉRISTIQUES DE L'INFRACTION
Imposer l'existence de l’intention homicide pour constituer le crime d'empoisonnement, ne
paraît pas pouvoir être compatible avec ses différentes caractéristiques. L’empoisonnement est
une infraction formelle donc obligatoirement différente du meurtre, infraction matérielle par
excellence. Ainsi, on ne peut que s'interroger sur l'adéquation d'un dol spécial avec la nature
particulière de cette infraction. Mais, au-delà de cette réflexion purement juridique, il
convient d’observer également que l’intention n’est rien d’autre que le reflet de la
48
psychologie de l’agent. A ce titre, l’empoisonneur dénote des traits comportementaux bien
différents de ceux d’un tueur lambda.
Il convient donc d’explorer la nature formelle du crime d’empoisonnement (SECTION I) avant
de s’intéresser à son particularisme criminologique (SECTION II).
Section I – La nature formelle du crime
d'empoisonnement
VIDAL et MAGNOL affirment que « les délits se divisent en matériels et formels suivant que la
loi exige ou non, pour leur existence l'accomplissement du mal » qui n'est autre, pour ses
auteurs, que « la réalisation du résultat désiré par l'agent » 1 6 9. A en croire ces derniers, aucun
résultat ne serait exigé pour constituer une infraction formelle. Bien qu'alliant concision et
simplicité, cette définition s'avère « juridiquement des plus fragiles 170 ». En effet, si cette
analyse pouvait être considérée comme véridique à l'époque où le terme « préjudice » était
encore usité par la doctrine, elle ne semble plus être acceptable au regard de la nouvelle
terminologie. La doctrine contemporaine a fait disparaître le terme « préjudice » au profit du
terme « résultat » : notion bien plus étendue171 et, surtout, polymorphe172.
Ce concept doit donc être étudié pour comprendre la nature du résultat exigé dans une infraction
formelle telle que l'empoisonnement (§1). De ses réflexions découleront inévitablement
des conséquences sur l'intention requise dans le crime d'empoisonnement (§2).
§1 – Réflexions sur le résultat exigéLa notion de résultat peut être scindée en plusieurs catégories173. Cependant, étant entendu
que « l'infraction formelle se consomme, (...), par la production du résultat légal et
indépendamment de la réalisation du résultat matériel 174 », seules les notions de résultat
matériel (A) et de résultat légal (B) seront développées dans cette étude.
169 VIDAL (G.) et MAGNOL (J.), cours de droit criminel et de sciences pénitentiaires, éd. 9ème, Paris, 1949, n° 81, p.
140 cité par FREIJ (M. ) , l'infraction formelle, Paris, 1975, p. 66.170 MARECHAL (J.-Y.), Essai sur le résultat dans la théorie de l'infraction pénale, Lille, 1999, n° 498, p. 354.171 PROTHAIS, op. cit. Note10, p. 327.172 MARECHAL (J.-Y.), op. cit. note 172, p. 94. 173 La notion de résultat ne sera étudiée dans cet écrit que dans la perspective de l'infraction formelle. Pour une étude
plus complète, Cf. MARECHAL (J.-Y.), op. cit. note 170, 587 p. ; THEVENON (J.-M), L’élément objectif et l’élément
subjectif de l’infraction, Lyon, 1942, 166 p.174 FREIJ, l'infraction formelle, Paris, 1975, p. 75.
49
A – La notion de résultat matériel
Le « résultat matériel » est le résultat qui doit être atteint afin que soit consommé une
infraction matérielle. Certains auteurs tels que Monsieur FREIJ considèrent que ce résultat se
confond avec le « résultat réel », encore nommé « résultat sociologique »175. A contrario,
Monsieur MARÉCHAL dénote une différence entre le « résultat matériel » et le « résultat réel ». Pour
ce faire, l'auteur reprend les dires de Monsieur le Professeur DECOCQ qui considère, quant à
lui, que le résultat « réel » est celui qui est redouté par le législateur : « La loi érige
certaines conduites en vue de prévenir le préjudice social qui peut en résulter. Tout texte de
qualification est rédigé en considération d'un ensemble de dommage (...). Ainsi, dans le
meurtre (art. 295 C. pén.) et dans l'empoisonnement (art. 301), le résultat « réel » est la
mort d'un être humain 176». Le résultat réel apparaît « comme une atteinte à une valeur sociale
que la loi prend en compte, dans un souci de prévention en incriminant des agissements qui
peuvent la provoquer177». Dès lors, la différence entre le résultat matériel et le résultat
légal existe en théorie. En effet, si le premier est indispensable pour constituer une infraction
matérielle, le deuxième permet, uniquement, de connaître la politique pénale mise en place par le
législateur. Cependant, il convient d'observer que, dans la pratique, ces résultats sont le plus
souvent identiques.
De plus, s'agissant de l'un comme de l'autre, ces résultats sont inutiles dans le cas d'une
infraction formelle. En effet, les juristes considèrent, pour la plupart, que l'infraction formelle
est celle dans laquelle la loi incrimine un procédé sans s'inquiéter du résultat, par opposition, à
l'infraction matérielle qui est consommée lorsque son résultat matériel existe178. Il est vrai que
dans l’empoisonnement, c’est l’administration volontaire de la substance mortelle en
connaissance de cause qui est incriminée et ce, indépendamment de ses conséquences sur la
victime. Le résultat matériel dans le cadre d’une infraction formelle ne sert donc qu’à révéler
sa nature et ne joue aucun rôle dans sa constitution.
Certains auteurs ont voulu encore minimiser l’utilité du résultat matériel dans les infractions
formelles en affirmant que l’indifférence du résultat matériel ne doit pas être considérée
175 Id., p. 85. 176 DECOCQ (A.), Droit pénal général, 1971, p. 171 cité par MARECHAL (J.-Y.), op. cit. note 170, p. 95, n° 122.177 MARECHAL (J.-Y.), op. cit. note 170, p. 96, n° 124.178 BOUZAT (P.), PINATEL, (J.), op. cit. note 47, p. 129 ; DEGOIS (C.), Traité élémentaire de droit criminel à l'usage
des étudiants en droit de deuxième année, éd. 2ème, Paris, 1922, n° 141, p. 108 ; FREIJ (M.), op. cit. note 174, p.
75 ; DESPORTES (F.) et LE GUNEHEC (F.), op. cit. note 77, p. 408, n° 460 ; CARREAU (C.), « L’acte mortifère en droit
pénal », D. 2003, suppl. au n° 16, chron., n° 24.
50
comme l’unique moyen pour séparer les infractions formelles des infractions matérielles.
Ainsi, MERCADAL décide d'utiliser la notion d'intention criminelle comme autre moyen de
déceler la nature de l’infraction. Pour ce faire, il subdivise les infractions formelles en deux
catégories et fait de même avec les infractions formelles matérielles. L’auteur affirme qu' «
une infraction formelle est, selon les cas, une infraction qui ne suppose pas d'intention ou une
infraction indépendante de tout résultat ; et une infraction matérielle est tantôt une infraction
« inintentionnelle »; tantôt une infraction qui est subordonnée à un résultat 179 ». Ces nouvelles
frontières, fondées sur l’intention, semblent n'apporter aucune véritable réponse. Il paraît
évident qu'une infraction formelle « qui ne suppose pas d'intention », ne peut se différencier
de l'infraction matérielle « inintentionnelle » que par la prise en compte ou non du résultat
matériel pour constituer l'infraction.
Le résultat matériel n’a donc aucune utilité quant à la constitution d’une infraction formelle.
Cependant, il s’impose comme le premier des éléments permettant de différencier les
infractions formelles et les infractions matérielles. Ainsi, dans un premier temps, « il suffira
de rechercher dans chaque cas si on est en présence d’un résultat matériel visé par la loi
pénale180 ». Et, « si ce résultat matériel n’existe pas, les différents indices relatifs au moyen
permettront de déterminer avec certitude l’existence formelle 181 ». Dans le crime par poison,
la préposition « par » ne laisse aucun doute sur le fait que « l’emploi ou l’administration de
substances de nature à entraîner la mort » est le moyen nécessaire à la constitution de cette
infraction.
A propos de la notion de résultat, Monsieur le Professeur DECOCQ écrit : « tout texte de
qualification définit la conduite infractionnelle comme génératrice d’un certain résultat182».
Le résultat matériel n’étant pas évoqué dans la définition du crime par poison, le résultat
généré par cette dernière ne peut être celui-ci. Dès lors, quant il s’agit d’une infraction
formelle, l’auteur ne peut que viser le résultat légal. Il convient, en ce cas, de définir ce qu’il
faut d’entendre par résultat légal lorsqu’il est généré dans le cadre d’une infraction formelle
telle que l’empoisonnement (B).
179 MERCADAL, op. cit. note 31, p. 3 note 2.180 SPITERI, « L’infraction formelle », Rev. sc. crim. 1996, p. 513.181 Ibid.182 DECOCQ (A.), Droit pénal général, 1971, p. 172 cité par FREIJ, op. cit. note 174, p. 83.
51
B – La notion de résultat légal
Cette théorie trouve son origine dans le droit italien. Elle sera, ensuite, reprise en droit
français183. Si la doctrine italienne confond le résultat légal avec le résultat matériel, la
doctrine française, quant à elle, les fait coexister afin d'affirmer la nature particulière des
infractions formelles. « En effet, certains juristes soutiennent que toute infraction pénale
contient un résultat qui est purement juridique et que le résultat matériel et le résultat
juridique (ou légal) de l'infraction peuvent coïncider mais ne coïncident pas nécessairement ;
et c'est justement le cas de l'infraction formelle. Cette infraction se caractérise alors, non
seulement par l'indifférence du résultat matériel quant à sa consommation, mais aussi en ce que
sa consommation correspond à la survenance du résultat juridique 184 ».
Tout comme pour le résultat matériel, le résultat légal manque d'une véritable définition.
L’explication la plus juste du résultat légal est signée par Monsieur le Professeur MAYAUD
qui considère ce résultat comme « le seuil de la consommation », fixé antérieurement au
« résultat réel »185. Cette définition atteste de la nécessité d'un résultat légal pour constituer une
infraction formelle. Ce type d’infraction ayant pour particularité d’être consommée dès
le commencement d'exécution, l'iter criminis sera parcouru plus rapidement dans une
infraction formelle que dans une infraction matérielle186.
La comparaison entre le meurtre et l'empoisonnement met en évidence cette différence. Le
meurtre, infraction matérielle, nécessite la mort d'autrui pour être consommé.
L'empoisonnement, partageant le même résultat réel, sera consommé au moment même de
l'administration de la substance mortelle indépendamment de la mort de la personne.
L'empoisonnement a donc un iter criminis plus bref que celui du meurtre. Ceci démontre que,
contrairement à ce que certains auteurs affirment, l'empoisonnement n'est pas un meurtre
spécial. Tout au plus, il peut être considéré comme une tentative spéciale de meurtre.
L'infraction formelle révèle ainsi sa véritable nature : une tentative érigée en infraction.
Cependant, cette définition du résultat légal ne vaut que si on considère acquise la définition de
l’infraction formelle en ce qu’elle affirme l’indifférence du résultat matériel.
183 FREIJ, op. cit. note 174, p. 82.184 DECOCQ (V.), op. cit. note 182, p. 182 sqq. 185 MAYAUD (Y.), Le mensonge en droit pénal, Paris, 1979, n° 374 cité par MARECHAL (J.-Y.), op. cit., n° 150,
p. 114.186 SPITERI (P.), op. cit. Note 180, p. 520.
52
Certains auteurs ont développé une définition différente de l’infraction formelle qui se
caractériserait « par le fait que son résultat légal se résume tout entier dans le résultat
matériel 187». Ainsi, ces auteurs considèrent que le résultat matériel de l’empoisonnement est
l’intoxication de la victime « qui est la conséquence physique de l’acte criminel 188 ». Cependant,
en reconnaissant que l’intoxication doit être considérée comme existante dès l’absorption du
poison, Messieurs CONTE et MAISTRE DU CHAMBON aboutissent aux mêmes conclusions que la thèse
précédente. « L’infraction formelle est donc une incrimination, à titre autonome, de la tentative
de l’infraction matérielle homologue189 ».
Ainsi, c’est la nature particulière du résultat exigé dans une infraction formelle qui fait de ce
type d’infraction, une tentative érigée en infraction. Une nature si particulière entraîne
nécessairement des conséquences sur la constitution de l’intention requise dans ce genre
d’infraction (§2).
§2 – Les conséquences sur l'intention requiseSi, comme ceci vient d’être démontré, seul le résultat légal, constitué par la mise en œuvre de
moyen, est à prendre en compte pour la constitution d'une infraction formelle, il paraît
alors incohérent de rechercher l'intention de l'auteur d'atteindre le résultat matériel de
l'infraction. A ce titre, le dol général devrait être suffisant pour constituer l’intention
criminelle dans le cas d’une infraction formelle. Il faut encore le démontrer (A) pour ensuite
en tirer le conséquences qui s’imposent concernant le crime d’empoisonnement (B).
A – La démonstration de la suffisance du dol général
La doctrine italienne rejette la thèse de la suffisance du dol général en affirmant que
l'infraction formelle nécessite un dol de péril « correspondant à la volonté de réaliser
l'évènement dangereux prévu par le texte pénal 190 ».
Cette doctrine n'existe pas en droit français. Certains auteurs tels Monsieur SPITERI semblent,
cependant, se rapprocher de cette thèse. Ce dernier met en avant l'état dangereux de l'auteur pour
justifier la réduction temporelle de l’iter criminis et la sévérité de la répression dans le cadre des
infractions formelles191. L’auteur démontre que cet état dangereux peut exister autant dans187 CONTE (P.) et MAISTRE DU CHAMBON (P.), Droit pénal général, éd. 6ème, 2002, p. 171, n° 322. 188 Ibid.189 Ibid.190 FREIJ (M.), op. cit. note 174, p. 163.191 SPITERI (P.), op. cit. note 180, p. 515.; Cf. ROZES (L.), « L’infraction consommée », Rev. sc. crim. 1975,
p. 608, n° 8.
53
l’hypothèse où la résolution criminelle est unilatérale, que dans celle où elle est concertée. Ainsi,
dans la première hypothèse, il révèle l’existence de l’état dangereux dans la provocation et,
l’offre ou la proposition, qui se caractérise par la recherche d’une adhésion dont l’existence
définitive n’importe en rien pour la consommation de ces infractions. Dans sa deuxième
hypothèse, c’est l’infraction de complot qu’il analyse pour attester de la prise en considération de
l’état de dangerosité dans la répression de cette infraction formelle192.
Les développements de cet auteur ont pour avantage de remettre en avant la notion de crainte
suscitée par le comportement de l’agent dans ce genre de crimes. En revanche, il ne semble pas
envisageable de considérer l’état dangereux de l’agent comme constitutif de l’intention requise
dans les infractions formelles. Indirectement, l’auteur lui-même l’affirme quand il souligne le fait
que l’état dangereux « imprègne tout le droit positif français 193 ». Il est vrai que la crainte d’un
comportement asocial de la part de l’agent est à la base de la répression de toute infraction pénale
« sans qu’il y ait lieu de distinguer entre l’infraction formelle et les autres catégories
d’infractions 194».
Pour autant, cette idée est reprise par plusieurs auteurs qui soutiennent la nécessité d’un dol
spécial pour constituer l’élément moral des infractions formelles. Cette affirmation est parfois
tempérée en insistant sur l’idée que cette nécessité du dol spécial existe seulement si le
législateur l'a explicitement prévu dans le texte législatif. Pour exemple, on peut retenir
l’article 421-2-1 du Code pénal qui considère que constitue un acte terroriste « le
fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la
préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de
terrorisme mentionnées aux articles précédent ». Le besoin d’un dol spécial est mis
en évidence dans l’expression « en vue de ». Cependant, l'exigence du dol spécial n'est
que rarement prévue par l'incrimination. Dès lors, pour d’autres se sera l'interprétation
jurisprudentielle qui exigera ou non la nécessité d'un tel dol195. C’est exactement ce qui s’est
passé pour le crime d’empoisonnement.
Monsieur FREIJ s’oppose catégoriquement à cette théorie. Pour ce dernier, aucun dol spécial
n’est mentionné par le législateur196. « Ceci est même vrai lorsque le législateur fait du but de
l’agent un élément constitutif de l’infraction. Le but de l’agent se distingue du dol spécial et
192 Id., p. 518 ; Cf. KEYMAN (S.), « Le résultat pénal », Rev. sc. crim. 1968, p. 796.193 Id., p. 516.194 FREIJ (M.), op. cit.174, p. 165.195 LE GUNEHEC (F.), op. cit. note 36, p. 9.196 FREIJ (M.), op. cit. note 174, p. 166.
54
correspond, dans ces cas, au résultat médiat de l’infraction. Le résultat médiat (ou but final de
l’agent) a pour fonction, soit de conserver le caractère politique à l’infraction, soit d’aggraver
sa répression197 ».
Ainsi, si « Le dol général, [...], est aussi bien nécessaire que suffisant à constituer l'intention
criminelle requise par la loi pour la constitution des infractions sans résultat matériel 198», cette
particularité doit transparaître dans l’empoisonnement, infraction formelle par excellence (B).
B - L’applcation au crime d’empoisonnement
Lors d’un empoisonnement, il est fort probable que l’agent désire la mort de la personne à
laquelle il a administré la substance mortelle. Ainsi, il est vrai que dans la majorité des cas,
l’intention de tuer existera. Pour autant, à la lumière des développements précédents, il semble
que cette intention n’a pas à être recherchée pour que l’infraction soit constituée. Si on
applique la théorie de Monsieur FREIJ à ce crime, on doit considérer que la mort de la victime
n’est que le résultat médiat de l’infraction. Le but immédiat de l’agent est d’administrer la
substance à un individu en ayant conscience de son pourvoir létale. L’élément moral du crime
d’empoisonnement est donc uniquement constitué de la connaissance du pouvoir mortifère de
la substance ainsi que de la volonté d’administrer cette substance. La nature formelle de cette
infraction rend inutile la recherche de l’intention homicide.
Ainsi, lorsqu’un cas d’empoisonnement est soumis aux juridictions, les juges devraient
analyser la situation de la façon suivante. Comme dans toute infraction, la vérification de
l’existence de élément matériel de l’infraction se doit d’être au commencement de leur
réflexion. Pour l’empoisonnement, les juges sont tenus de s’assurer que l’administration, peu
importe par quel moyen, a eu lieu et que la substance administrée est mortelle. Ensuite,
seulement, ils rechercheront l’intention de l’agent au moment des faits. Cette intention
découlera des faits. Indifféremment de l’existence ou non de l’animus necandi, les juges
devront simplement constater que l’agent qui administre volontairement une substance qu’il
sait létale, a, pour reprendre les termes de Monsieur le Professeur PROTHAIS, l’intention de
l’empoisonner199. Dès que l’existence de l’élément matériel et l’élément intentionnel tel que
définit ci-dessus est prouvée, l’infraction d’empoisonnement doit donc être considérée comme
consommée.
197 Ibid.198 Id., p. 156.199 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 173.
55
Dès lors, en imposant la démonstration de la présence de l’intention homicide dans le
comportement des docteurs, la jurisprudence a nié la nature formelle que revêt
l’empoisonnement et, par là même, a instauré une exigence contra legem 200.
Outre, cette négation de la nature formelle du crime d’empoisonnement, l’exigence de
l’ animus necandi impose comme principe que l’empoisonneur agit toujours pour tuer la
personne. Si la mort est inextricablement liée aux affaires d’empoisonnement, l’auteur ne la
considère pas toujours comme un but. Ainsi, les juges, en imposant la preuve de l’intention de
tuer pour constituer l’élément moral de l’empoisonnement, n’ont pas tenu compte de la
particularité criminologique que renferme cette infraction. (SECTION II)
Section II – Le particularisme criminologique du
crime d’empoisonnement
« Les spécialistes eux-mêmes ne s’accordent pas toujours sur la teneur exacte de la
psychologie particulière de l’empoisonneur 201 ». Pourtant, l’élément moral, encore appelé
« élément psychologique », impose une réflexion sur les caractères psychologiques inhérents à
l’auteur des actes incriminés. Même si les mobiles sont inopérants en droit pénal, comprendre
l’état d’esprit d’un individu au moment où il commet une infraction peut permettre d’affiner
la recherche de l’intention la plus adéquate. Ainsi, on observera que, malgré des faits toujours
différents, les auteurs ont su établir l’existence de traits criminologiques spécifiques au crime
d’empoisonnement (§1). On vérifiera, ensuite, l’adéquation ou non entre les traits
criminologiques exposés et les situations contemporaines pour lesquels la qualification
d’empoisonnement n’a pas été retenue (§2).
§1 – Les traits criminologiques classiquesContrairement à ce que certains auteurs ont affirmé, la volonté pour l’agent de voir sa victime
morte ne semble pas être un trait criminologique récurrent. La mort, « résultat médiat » du
crime d’empoisonnement, bien qu’elle soit toujours envisagée par l’auteur, ne l’ai pas
forcément comme un but en soi. En effet, il n’est pas rare que l’auteur considère la mort de sa
victime comme un moyen d’obtenir quelque chose. Par exemple, la cupidité des
200 MALABAT (V.), op. cit. Note 74, p. 47, n° 132.201 REINHARD (A.), « Droit pénal, droit vénal ? Récit d’un glissement de frontières », Dr. pén. 2003, n° 9,
chron. 25, p. 6.
56
empoisonneurs est souvent mise en avant par les auteurs qui soulignent les nombreux cas où
l’empoisonnement a pour but d’accéder à un héritage. En ce sens, Monsieur POTTECHER
explique, qu’au XIXe siècle, il était aisé d’établir « une corrélation étroite entre la fréquence
des empoisonnements et la pratique qui se répandait alors dans le public de contracter des
assurances sur la vie202 ».
En réalité, il existe, aux vues des différentes études, deux traits criminologiques récurrents
qu’il convient d’approfondir. En premier lieu, ce crime nécessite un lien de confiance
important entre l’auteur et sa victime. De plus, le comportement de l’auteur de l’infraction est
souvent marqué par une absence de culpabilité qui crée chez l’individu, un sentiment
d’irresponsabilité. L’empoisonnement est donc une trahison d’un lien de confiance (A), face
auquel l’auteur a tendance à exprimer un sentiment d’irresponsabilité (B).
A – La trahision du lien de confiance
Cette confiance entre l’auteur et la victime est certainement une des clés essentielles du succès
d’un empoisonnement203. En effet, l’administration d’une substance, élément matériel
indispensable à la constitution de ce crime, est bien souvent fait avec le consentement de la
victime qui ignore, bien entendu, le pouvoir mortifère de la substance qui lui est administré.
Cette confiance semble tellement indispensable que GOLLETY, Juge d’instruction adjoint au
Tribunal de 1er instance de la Seine, lorsqu’il étudie « le coté technique » de
l’empoisonnement, dans le but de permettre « au magistrat instructeur de correctement
effectuer le choix des experts et d’en suivre les travaux 204 », n’hésite pas à souligner que
l’empoisonnement criminel est « presque toujours l’œuvre d’une personne, qui peut
facilement et souvent approcher la victime 205 ». Par conséquent, il affirme que « l’enquête
doit procéder par élimination, en commençant par les parents, les amis puis les voisins 206 ».
Ceci confirme de façon évidente le caractère familial du crime d’empoisonnement.
Si la confiance paraît indispensable pour empoisonner quelqu’un, c’est parce que cette
infraction est la majeure partie du temps une infraction répétée. En effet, même s’il arrive
qu’une seule administration suffise à tuer la victime, il convient de constater que l’auteur
202 POTTECHER (J.), « La prévention de l’empoisonnement » in ANCEL (M.) et BESSON (A.), La prévention des
infractions contre la vie humaine et l’intégrité de la personne, vol. 2, Paris, 1956, p. 272. 203 POTTECHER (J.), « Observations sur la criminologie de l’empoisonnement. », Rev. sc. crim. 1955, p. 308.204 GOLLETY (F.), « Chronique pratique d’instruction criminelle : l’empoisonnement.», Rev. sc. crim. 1952, p. 297.205 Id., p. 298.206 Ibid.
57
préfèrera généralement répéter son geste durant un laps de temps plus ou moins long jusqu’à
l’issue fatale. Cette précaution permet de ne pas éveiller les soupçons qui auraient pu
apparaître avec une mort violente et, ainsi, cacher plus facilement les traces de l’infraction
commise. A ce titre, l’empoisonnement est le crime de patience par excellence207.
La trahison de la confiance est donc un élément récurrent dans les affaires d’empoisonnement.
Mais ce n’est pas le seul. La patience reconnue aux empoisonneurs est tout à fait étonnante.
L’agent peut rester près de sa victime sans aucune difficulté alors que le poison fait son œuvre
jour après jour. Si ceci lui est possible, c’est grâce au sentiment de non culpabilité sincère qui
l’imprègne. Il convient maintenant d’expliquer les sources de ce sentiment
d’irresponsabilité (B).
B – Un sentiment d’irresponsabilité
Tout comme le lien de confiance entre l’auteur et sa victime, le sentiment de non culpabilité
ressentie par l’auteur est également un trait criminologique constant dans les affaires
d’empoisonnement. Ce sentiment est directement lié au moyen utilisé pour constituer le crime
d’empoisonnement. En effet, contrairement au meurtre qui nécessite une intervention directe
et violente de la part de l’auteur, l’administration d’une substance qui accomplit le dessein
mortel a pour effet de donner à l’auteur un sentiment de passivité : il s’en remet à une force
extérieure, qui accomplira seule l’action destructrice. Ainsi, « au sens de son psychisme [celui
de l’auteur], il n’a que déclenché cette puissance maléfique qui, frappant à la mort la
victime, en est rendue responsable 208 ».
L’irresponsabilité ressentie par l’auteur permet à ce dernier d’effacer les souvenirs de son
crime sans aucune difficulté. Ainsi, il ne sera nullement étonnant d’observer que l’agent, après
avoir administré le poison, soigne sa victime dans le but de la guérir. Ceci démontre une fois
encore que le but de l’auteur, n’est pas toujours de tuer sa victime. Pour expliciter ce point, on
peut notamment se pencher sur le cas du syndrome de Munchausen par procuration.
« Ce syndrome se définit par l'association de quatre critères:
• maladie de l'enfant produite ou simulée par l'un des parents.
• consultations médicales répétées pour obtenir la réalisation d'examens complémentaires et
la prescription de traitements.
207 Id., p. 299.208 POTTECHER (J.), op. cit. note 203 , p. 309.
58
• les parents responsables affirment ne pas connaître la cause des symptômes.
• les symptômes régressent lorsque l'enfant est séparé du parent responsable. 209 »
En l’espèce, l’auteur est le plus souvent une femme qui désire, inconsciemment, se faire
reconnaître en tant que parent attentif. A ce titre, « elle présente un comportement stéréotypé
de « bonne mère » particulièrement attentionnée à l'égard de son enfant et extrêmement
présente lors des séjours hospitaliers de ce dernier 210 ».
S’il est vrai que les personnes atteintes par cette maladie, sont déclarées irresponsables au sens
de l’article 122-1 du Code pénal, il n’en demeure pas moins que l’infraction existe et qu’elle a
été consommée. De plus, il est évident que ce comportement peut être retranscrit par un
individu sur toute personne proche, et ce, sans que l’agent ne soit atteint d’altération mentale.
Maintenant définis, il est nécessaire de vérifier l’adéquation des traits criminologiques du
crime d’empoisonnement avec différentes situations criminogènes contemporaines auxquelles
fut refusées la qualification d’empoisonnement (§2).
§2 – L’application aux situations contemporaines Les situations contemporaines pour lesquelles la qualification d’empoisonnement a été
avancée par la doctrine sans pour autant être retenue par les juges sont nombreuses. Il semble,
en effet, qu’une nouvelle psychologie criminelle soit apparue. Si l’affaire du sang contaminé,
source de la vision restrictive de l’empoisonnement, appartient à cette catégorie, il existe
également d’autres situations dans lesquelles les auteurs présentent les traits criminologiques
classiques de l’empoisonnement. Ainsi, on étudiera les particularités de l’affaire du sang
contaminé (A), avant d’aborder l’adéquation des traits criminologiques classiques aux autres
situations contemporaines (B).
A – Les particularités de l’affaire du sang contaminé
Dès le début de l’affaire du sang contaminé, de nombreuses voix se sont fait entendre pour
affirmer sur un ton péremptoire que les médecins n’avaient, en aucun cas, souhaité la mort des
patients hémophiles auxquels ils ont transfusé du sang infecté par le virus du sida. Il est vrai
que, de prime abord, on ne peut qu’adhérer à cette affirmation. Pour autant, en y réfléchissant,
cette idée est parfaitement discutable. D’un coté, il semble, au regard des différents rapports
existants, que les médecins avaient parfaitement conscience du caractère mortel des produits
209 http://www.esculape.com/psychiatrie/munchausen.html, le 20 août 2006.210 Ibid
59
injectés à leurs patients. De l’autre, il est vrai que sans ce sang, les hémophiles seraient morts.
En ce sens, on peut comprendre que l’opinion majoritaire considère que les médecins ont tenté
de sauver leurs patients bien plus que de les tuer.
Mais, en réalité, en leur injectant le virus du sida au travers de leur traitement, les médecins
savaient qu’il y avait de grandes chances que les hémophiles traités, meurent des suites de ce
traitement. Pourtant, ils n’ont pas pris la peine d’informer les patients des risques encourus.
En d’autres termes, on peut penser que les médecins ont délibérément choisi de quelle façon
devait mourir leurs patients.
Ce type d’action semble aux antipodes du serment d’Hippocrate que prête les médecins en
avant d’entamer leur carrière dans le monde médical211. S’il est vrai que ce serment n’emporte
en lui-même aucune responsabilité juridique à l’encontre de celui qui le viole, il est un
élément essentiel pour déterminer les limites déontologiques auxquelles sont soumis les
médecins. Or, même si depuis l’antiquité ce serment a connu des modifications, son essence
demeure la même.
A l’origine, les médecins disaient lors de leur serment : « Je ne me remettrai à personne du
poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion…212 ». A
l’époque des faits c’était un serment réactualisé par le Conseil de l’ordre des médecins en
1976 qui définissait les principales règles d’éthiques de cette profession. Le médecin disait
alors : « Mon état ne servira pas à corrompre les moeurs, ni à favoriser le crime 213 ». Il est
vrai que cette phrase est beaucoup moins explicite que la précédente. Il n’en demeure pas
moins que le terme « crime » est employé ce qui rappelle le respect dû à la loi. Il est vrai que
les auteurs défendant la thèse du dol spécial noteront qu’en l’espèce, il n’y a eu aucun usage
de connaissance pour favoriser un crime puisque les médecins n’avaient pas l’intention
homicide et que, de ce fait, le crime d’empoisonnement n’est pas constitué.
Pourtant, si les médecins étaient certain de n’enfreindre ni la loi, ni leur serment en
administrant du sang contaminé, comment expliquer qu’ils n’aient pas respecté l’ensemble de
leurs règles éthiques qui imposent entre autre : l’information du patient sur son traitement. A
ce sujet, il est intéressant d’observer que cette règle n’apparaissait pas clairement dans le
211 Le Monde, 16 juillet 1992, « Le sang et le serment » cité par GREILSAMER (L.), Le procès du sang contaminé,
Paris, 1992, p. 126 sqq. ; CHEYNET DE BEAUPRE (A.), « Vivre et laisser mourir », D. 2003, chron., p. 2981.212 Extrait du serment d'Hippocrate d'origine (traduit par Littré) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d'Hippocrate, le 20 août 2006.213 Extrait du serment d’Hippocrate réactualisé adopté le 25 juin 1976 par le Conseil national de l’ordre des
médecins : http://www.bmlweb.org/serment_ordre.html, le 22 août 2006.
60
serment de 1976. Elle a été rajoutée, certainement suite à cette affaire, dans la version de 1996
qui dit : « J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs
conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des
circonstances pour forcer les consciences 214 ».
Dans un autre registre, il est aussi intéressant d’observer que pour écarter la qualification
d’empoisonnement, la Cour d’appel de Paris note, dans son arrêt en date du 13 juillet 1993,
l’absence « de rapports conflictuels entre l'auteur et la victime». Il est étonnant que la Cour
soulève ce climat de confiance entre les patients et les médecins comme un obstacle pour
constituer l’élément intentionnel du crime d’empoisonnement alors même que le lien de
confiance entre l’auteur et sa victime est un trait criminologique déterminant dans cette
infraction. Cet exemple démontre de façon flagrante la négation de la part des juges des
caractéristiques propres au crime par poison dans l’affaire du sang contaminé.
Outre, ce cas particulier auxquels correspondent parfaitement les traits criminologiques
propres au crime d’empoisonnement, de nombreuses situations contemporaines pour
lesquelles la qualification d’empoisonnement n’a pas été retenue, laissent transparaître les
mêmes traits criminologiques (B).
B – Les autres situations contemporaines
Durant ces vingt dernières années, les situations où la qualification d’empoisonnement fut
réclamée sans pour autant avoir d’échos dans la jurisprudence, ne manquent pas.
Pour l’amiante, par exemple, la qualification d’empoisonnement n’a jamais été prise en
considération par les juges pour poursuivre les auteurs. Il est vrai que l’élément matériel de
l’empoisonnement peut poser des difficultés de démonstration. En effet, même si le cancer est
une conséquence de l’exposition de longue durée à l’amiante et que, dès lors, le caractère
mortel de la substance est reconnu, c’est certainement la notion d’administration de la
substance qui pose problème.
En revanche, s’agissant de l’élément moral, il a été attesté, à de nombreuses reprises, que les
responsables avaient parfaitement conscience des risques encourus par les individus. Dans le
cas de l’amiante, le lien entre l’exposition à cette matière et l’augmentation des probabilités
d’être atteint d’un cancer, a été démontré dès 1970. Les premières réglementations françaises,
214 Extrait du serment d’Hippocrate réactualisé par le Professeur Bernard Hœrni dans le bulletin de l'Ordre des
médecins - n° 4 d'avril 1996 : http://194.206.135.82/guidmed/serment.htm, le 20 août 2006.
61
datent, quant à elles, de 1977215. Après cette date, les responsables ont donc consciemment
pris le risque que des personnes meurent des suites de cette exposition à l’amiante. Il est vrai
que le but recherché par les auteurs ne résidait certainement pas dans la mort des individus.
Cependant, ils savaient que la mort était un risque possible et qu’il fallait accepté ce risque
pour pouvoir faire des profits. Dans ce genre d’affaire, il apparaît de façon évidente que c’est
la cupidité, but caractéristique des empoisonneurs qui était au coeur de cette infraction. En
effet, il est psychologiquement difficile d’observer la différence entre la personne qui
empoisonne quelqu’un pour hériter et ceux qui acceptent d’administrer des substances létales
à un individu dans le but de ne pas perdre la source de ses revenus.
Dans la même veine, Monsieur LAFAY développe une étude intéressante sur la responsabilité
des fabricants de cigarette216. Bien qu’il exprime l’impossibilité de poursuivre ces derniers
sous la qualification d’empoisonnement, il ne justifie ce refus que par l’administration
effective217, il considère que l’élément moral était, quant à lui, bien existant. En effet, un
fabricant de cigarette ne peut ignorer le pouvoir mortifère de la substance qu’il produit alors
qu’il a l’obligation de l’inscrire sur les paquets218. Il est bien évident que les fabricants
n’avoueront jamais une volonté de tuer leurs consommateurs, qu’ils n’ont certainement pas
d’ailleurs. Cependant, ils savent que ce qu’ils vendent, tue et ils prennent tout de même le
risque de le vendre donc de tuer. Il pourrait être objecté que le même constat peut être fait
s’agissant des vendeurs d’armes ou d’un fabricant de poison. L’auteur répond à cet argument
en affirmant le caractère monovalent de la cigarette qui ne peut être utilisé que pour être fumé,
et qui s’oppose au caractère polyvalent d’une arme ou d’un poison qui peuvent être utilisés
pour des desseins autre que celui de procurer la mort219.
Une autre situation bien plus tragique du fait de sa banalisation doit être abordée. Il s’agit de
la transmission volontaire du sida par relations sexuelles.
Dans son arrêt du 2 juillet 1998, la Cour de cassation mettait en avant le fait que l’auteur ne
recherchait pas prioritairement la mort de la victime, et que, par là même, l’intention homicide
n’était pas constituée donc l’empoisonnement ne pouvait être retenu. Alors que l’on aurait pu
penser que les associations de lutte contre le sida n’approuveraient pas une telle décision, ce
215 PAUVERT (B.), « Mise en cause de la responsabilité de l’Etat pour les contaminations liées à l’amiante », Gaz.
Pal. 2001, p. 168.216 LAFAY (F.), op. cit. note 86, p. 791 sq.217 Id., p. 795 sq.218 Id., p. 791.219 Id., p. 792.
62
fut le contraire qui se produisit. Les arguments avancés étant que la qualification
d’empoisonnement aurait mis au banc de la société l’ensemble des sidéens qui auraient alors
été considérés comme des empoisonneurs potentiels.
A ce titre, il est vrai, qu’à l’époque du jugement, et certainement encore aujourd’hui,
l’exclusion des sidéens était loin d’être un mythe comme le démontre l’exclusion d’une
colonie de vacances « d’un enfant séropositif et sa remise aux autorités policières et
judicaires 220». Pour autant, il doit également apparaître comme une évidence que cette
maladie impose aux personnes atteintes d’agir de façon responsable en évitant de contaminer
volontairement les individus. En effet, si on se départi des passions entourant ce débat, qu’elle
différence existe-t-il réellement entre un individu qui transmettrait un virus mortel, peu
importe son nom, par un moyen extérieur tel qu’une piqûre et la personne qui transmet le sida,
maladie mortelle, au cours d’une relation sexuelle ?
Nul doute pour la jurisprudence de l’époque que le virus du sida était une substance mortelle.
Dès lors, la seule différence serait, bien évidemment, que le virus est, dans le premier cas,
contenu dans une seringue dont se sert l’auteur, dans le deuxième cas, il est dans le corps de
l’auteur. Pour autant, les textes légaux font fis du contenant et ne requierent que
l’administration, par tous moyens, d’une substance mortelle. Au niveau intentionnel, soutenir
qu’un sidéen, conscient de sa sérologie, ne recherche aucunement à transmettre le virus qui
l’affecte lorsqu’il ne se protège pas, ne semble avoir aucune logique à moins qu’il ignore que
les relations sexuelles sont le moyen privilégié de transmission de cette maladie, ce qui
semble très peu probable. Le fait qu’il ne cherche pas obligatoirement la mort de sa victime
n’a rien d’étonnant puisqu’il a déjà été montré que le but de l’empoisonneur n’est pas
nécessairement la mort.
Aux regards de ces développements, on peut affirmer le crime d’empoisonnement est un
crime spécial dont les traits criminologiques n’ont rien de commun avec le meurtre. Si l’agent
doit avoir envisagé la mort de sa victime, celle-ci n’est souvent pas un but en soi mais bien
plus un moyen. Contrairement à l’opinion dominante, l’empoisonnement au moment où il est
consommé, ne peut pas relevé d’une logique de mort221. Au moment de l’administration d’une
substance mortifère, l’agent prend plus un risque qu’une véritable décision quant à la mort de
la victime. La seule véritable intention qui peut exister au moment de la consommation de
220CHEVALIER (E.), « SIDA : les conséquences d’une pandémie », futuribles 1995, n° 194, p. 48.221 Réquisitions de Joseph PERFETTI, op. cit. note 101, p. 128 sq. ; MAYAUD (Y), « L’empoisonnement, une logique
de mort. », Rev. sc. crim. 1995, p. 347.
63
cette infraction est donc « l’intention d’empoisonner » telle que définie par Monsieur le
Professeur PROTHAIS222.
L’exigence de l’animus necandi par les juges est donc une négation des caractéristiques du
crime d’empoisonnement qui réduit considérablement la portée de ce crime. En d’autres
termes, l’étendue du champ répressif de cette incrimination a été réduite. Dès lors, les juges
ont utilisé d’autres infractions pour réprimer les faits qui auraient pu être qualifiés
d’empoisonnement. C’est en ce sens, qu’il y a eu modification des frontières du crime
d’empoisonnement (CHAPITRE II).
CHAPITRE II – UNE MODIFICATION DES
FRONTIERES DE L’INFRACTION
L’affirmation, par la jurisprudence de la nécessité de l’animus necandi pour constituer le
crime d’empoisonnement, a créé un vide juridique. Or, pour assurer sa mission régalienne, la
justice ne peut tolérer l’existence d’un espace de « non droit ». Il est du devoir des juges de
trouver une qualification adéquate à chaque fait ayant transgressé une valeur sociale. Il est
évident que, dans le cas d’une transmission volontaire du virus du sida, plusieurs valeurs
sociales ne sont pas respectées. En refusant d’utiliser la qualification d’empoisonnement, les
juges se sont eux-mêmes enfermés dans un carcan sans réelle issue satisfaisante. Ne pouvant
se résoudre à ne pas poursuivre ce genre de faits, les juges se sont vus contraints de modifier
les frontières existantes entre l’empoisonnement et d’autres infractions afin de faire disparaître
le vide juridique qu’ils ont généré.
Dès le début de l’affaire du sang contaminé, les tentatives pour trouver d’autres qualifications
adaptées se multiplient. Mais, malgré les efforts des juges et d’un pan de la doctrine pour
affirmer la pertinence de ces qualifications, leur inadéquation s’impose souvent comme une
évidence. Après quinze ans de doute sur la qualification, la jurisprudence a récemment décidé
de poursuivre la transmission volontaire du sida sous la qualification d’administration de
substances nuisibles.
Ainsi, après avoir étudié les premières tentatives de qualification dans l’affaire du sang
contaminé (SECTION I), on appréciera la qualification d’administration de substances nuisibles
222 PROTHAIS (A.), op. cit. note 10, p. 173 sqq.
64
qui, aujourd’hui, semble être la qualification retenue pour toute transmission volontaire du
virus du sida (SECTION II).
Section I – Les premières tentatives de qualificati ons
dans l’affaire du sang contaminé
Utiliser l’expression « premières tentatives de qualification » au pluriel n’est certainement pas
une erreur. L’affaire du sang contaminé fut une sorte de « cobaye juridique » sur lequel
plusieurs expériences de qualification ont été menées. Dès 1993, les juridictions du fond
retiennent la qualification de tromperie. A la même époque, la qualification d’homicide
involontaire est suggérée comme un autre fondement possible. Mais, en les étudiant, il
apparaît clairement que ces premières qualifications ne peuvent répondre à toutes les
exigences d’un cas aussi particulier. En ce sens, ces infractions apparaissent comme impropre
à qualifier les faits retenus dans l’affaire du sang contaminé (§1).
Avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er mars 1994, une nouvelle qualification,
qui n’existait pas auparavant, a été envisagée par la doctrine. Il s’agit de la mise en danger
délibérée d’autrui. Bien qu’elle n’ait pas pu servir de fondement aux poursuites dans l’affaire
du sang contaminé, les auteurs ont souvent émis l’hypothèse de son adéquation avec les actes
commis par les médecins. Dès lors, son étude apparaît comme indispensable (§2).
§1 – Des qualifications impropresLa démonstration de l’inadéquation des premières qualifications proposées ne peut être faite
que par l’étude consécutive de ces différentes infractions. Ainsi, on étudiera consécutivement
la tromperie (A) et l’homicide involontaire (B).
A – La tromperie
D’un point de vue tout à fait objectif, les juges n’ont commis aucune erreur de droit en
qualifiant les faits retenus de tromperie. Incriminée par une loi du 1er août 1905, cette
infraction figure à l’article L.213-1 du Code de la consommation et sanctionne « quiconque
qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le cocontractant, par
quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :
65
1°) Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la
teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
2°) Soit sur la qualité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une
marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;
3°) Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles
effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre 223 ».
L’article L. 213-2 ajoute comme une circonstance aggravante le cas où « les délits prévus ont
eu pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de
l’homme ou de l’animal 224».
Ainsi, la seule connaissance du caractère nuisible de la substance suffit à constituer l’élément
moral de cette infraction. L’élément matériel, quant à lui, se résume en une tromperie incluse
dans le cadre d’un contrat. L’application à l’affaire du sang contaminé peut se faire sans
aucune difficulté. Les médecins, ayant passé un contrat avec leurs patients, ont trompé ces
derniers en ne les prévenant pas de la mauvaise qualité des poches de sang dont ils
connaissaient la contamination par le virus du sida. Pour autant, un élément ne peut pas
satisfaire à l’exigence de qualification adéquate réclamée en droit positif français. En effet,
alors que le texte législatif vise la connaissance du caractère nuisible, il convient de considérer
que le virus VIH a un caractère mortel évident. Cette infraction d’atteinte à la consommation
ne semble pas pouvoir rendre la justice de façon équitable. « D’ailleurs, sur le plan éthique,
l’administration consciente de substances mortelle semble être davantage condamnable que
la simple tromperie ou le simple mensonge sur les qualités d’une substance 225 ». En effet, les
docteurs, en administrant les poches de sang non chauffées, ont clairement envisagé l’issue
fatale pour leurs patients et en ont accepté le risque. Cette conscience se situe « à un degré
moral de gravité au-dessus de la simple mauvaise foi, requise dans le délit de tromperie226 ».
L’ensemble de ces considérations démontre de façon évidente l’inadaptation de ce délit aux
faits poursuivis à l’époque. Dès lors, il convient de s’intéresser à l’autre qualification proposée
: l’homicide involontaire (B).
223 L. 213-1 C. conso.224 L. 213-2 C. conso.225 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 381.226 Ibid.
66
B – L’homicide involontaire
Retenue par la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République, la
qualification d’homicide involontaire est inscrite à l’article 221-6 du Code pénal qui prévoit
« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide
involontaire 227 ».
Cette infraction nécessite un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement. Or, si elle existait dans le cas des médecins, pour la
transmission sexuelle du sida, il n’existe aucun texte imposant un quelconque obligation de
sécurité. De plus, le texte législatif insiste sur l’absence d’intention, notamment par les termes
« maladresse », « imprudence », « inattention », « négligence » et « manquement ». Cependant,
les prévenus, quand ils administraient ou donnaient l’ordre d’administrer les poches de sang
contaminé, savaient que la contamination par le virus du sida en serait la conséquence directe.
Ceci est également vrai pour l’individu qui a des rapports sexuels sans se protéger alors qu’il
se sait séropositif. Ce sentiment d’inconscience, exigé par le législateur pour pouvoir qualifier
des faits d’homicide involontaire, est donc inexistant dans ce cas puisque l’agent a
parfaitement conscience du risque certain encouru par autrui.
Un autre argument doit être exposé pour démontrer définitivement l’incohérence de cette
qualification pour ce genre de fait. L’homicide volontaire appartient à la catégorie des
infractions matérielles ce qui signifie que son résultat matériel doit exister dans le présent
pour que cette infraction soit consommée. En d’autres termes, la preuve de la mort de la
victime doit être rapportée le jour du procès, et ce, sans considération des évènements à avenir
qu’ils soient éventuels ou certains. Or, même si l’immunodéficience causée par le virus du
sida sera la cause certaine de la mort de l’individu, il ne faut pas oublier que ce virus,
contrairement à d’autres poisons, n’agit pas de façon foudroyante. Il se peut que l’espérance
de vie d’une personne contaminée soit de plusieurs années. Il est évident, qu’en majeure
partie, les hémophiles contaminés, par les injections sanguines, étaient encore en vie au
moment où les décisions des différentes juridictions ont été rendues. Et, s’il avait fallu
attendre la mort de l’ensemble des victimes pour juger les faits, la sanction serait venue très
227 Cette infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. En cas de violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende.
67
tardivement voire même certainement jamais du fait de la prescription pénale qui pour ce délit
est de trois ans.
La qualification d’homicide involontaire ne peut donc être retenue tant du fait de la
conscience par les auteurs du résultat de leurs acte que par l’absence de résultat matériel
existant au jour du procès.
Ces premières qualifications s’avèrent donc incapables d’assurer leur rôle dans les
circonstances particulières de l’affaire en question. Pourtant, jusqu’en 1994, personne ne
propose d’autres qualifications que celles-ci et celle d’empoisonnement. La création du délit
de mise en danger délibérée de la personne d’autrui relance le débat (§2).
§2 – La mise en danger délibérée d’autruiCréation des lois de 1992, l’infraction de mise en danger délibérée de la personne d’autrui est
prévue par l’article 223-1 : « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort
ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la
violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement ». Même si les intentions à l’origine de ce texte sont
louables228, il est évident que sa rédaction lourde et redondante crée des incertitudes
juridiques229. De ce fait, une étude des éléments constitutifs de cette infraction (A) apparaît
comme un passage imposé si l’on veut pouvoir apprécier son adéquation avec les faits de
transmission du VIH (B).
A – La détermination des éléments constitutifs legaux
Face à une définition si longue, l’exégèse semble la seule méthode à adopter. Ainsi, si on
reprend le début de la définition : « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat
de mort ou de blessures », on peut en déduire les composantes essentielles de cette infraction.
En utilisant le verbe « exposer », le législateur a bien évidemment donné une nature formelle à
cette infraction. Ceci semble renforcer par le terme « risque » qui marque la prise en compte
de la part du législateur du potentiel de dangerosité de l’agent, indépendamment du résultat.
Cependant, l’adverbe « directement » qui suit le verbe « exposer » et l’adjectif « immédiat »
qui complète le nom « risque », restreignent de façon considérable la prise en compte de ce
228 Ce nouveau délit fut créé pour lutter contre la délinquance routière et en matière d’accident du travail.
Cf. COUVRAT (P.), « les infractions contre les personnes dans le nouveau code pénal », Rev. sc. crim. 1993, p. 479.229 SIMOLA (J.), « L’article 223-1 du Code pénal : mise en danger d’autrui ou quand autrui vous met en danger »,
Gaz. Pal. 2000, p. 576 sq.
68
potentiel. Le risque réprimé doit avoir un résultat instantané au moment où il se réalisera. Sur
le fait que ce délit soit constitué en l’absence de tout résultat, Monsieur SIMOLA considère que
cette infraction pourrait être consommée même sans la présence d’autrui et qu’il serait, dès
lors, possible de condamner une personne pour ce qu’elle aurait « failli faire »230. Selon cette
vision, ce texte aurait donc un pouvoir coercitif très étendu.
Le texte continue en qualifiant le type de blessures prises en compte dans l’infraction. Elles
doivent être « de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ». Sur ce
point, peu de choses sont à dire. On notera juste l’inutilité du terme « mutilation » qui est bien
évidemment englobé dans l’expression « infirmité permanente ».
Enfin, la nécessité d’une « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence» est une limite importante à la portée du texte. L’obligation doit être
prévue « par la loi ou le règlement ». Ceci permet d’affirmer que le législateur s’est octroyé
un incroyable pouvoir dans cette infraction. Selon les textes législatifs et réglementaires qu’il
décidera de voter, il aura le pouvoir de réduire ou d’élargir le champ répressif de cette
infraction sans avoir à la modifier directement.
Voici donc établi les éléments constitutifs du délit de mise en danger délibérée de la personne
d’autrui. Il convient maintenant d’appliquer cette infraction aux situations de transmission du
VIH pour savoir si cette qualification est susceptible de réprimer efficacement ce genre de
comportement (B).
B – L’application aux faits de transmission du VIH
Le texte n’existait pas au début du scandale du sang contaminé. Les juges n’ont donc pas eu à
vérifier son adéquation avec les faits poursuivis. D’un point de vue strictement théorique,
cette qualification si elle avait existée, aurait pu être retenue par les juges. En effet, des textes
législatifs prévoient une obligation de sécurité pour les médecins vis-à-vis de leurs patients231.
Mais, tout comme pour la qualification de tromperie, il est évident que les peines prévues
n’auraient pas pu proposer une répression suffisante, eu égard au nombre de victimes et à la
gravité de leur préjudice 232. Ce même argument peut être repris pour les dommages causés par
l’amiante.
230 Ibid.231 FEHRENBACH (K.), op. cit. note 70, p. 381 sq.232 Ce délit est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
69
S’agissant de la situation bien particulière de la transmission volontaire du sida par relation
sexuelle, cette qualification ne peut être retenue233. En effet, tout comme pour l’homicide
involontaire, aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit une obligation portant sur les
relations intimes. Il est évident qu’un texte légal sur un sujet si délicat semble difficilement
envisageable sans faire des séropositifs des parias.
On notera encore que, comme pour l’homicide involontaire, le résultat doit être imminent. La
loi précise en effet que le risque de mort doit être « immédiat ». Or, « dans l’hypothèse où la
personne contaminée à la suites de relations sexuelles ne décède pas immédiatement du sida,
les tribunaux, tenus par le principe de l’interprétation stricte de la loi, risquent d’être amenés
à rejeter l’infraction de mise en danger délibérée 234 ». Cette infraction ne « saurait
s’appliquer à toute les hypothèses d’administration consciente et volontaire de substances
pouvant entraîner la mort 235 ».
En définitif, aucune des qualifications étudiées jusqu’ici, ne peut remplacer de façon efficace
et complète le crime d’empoisonnement dans le but de réprimer les nouveaux procédés. Il
n’est pas insensé de penser qu’« il faut d’abord commencer par reconnaître l’inadaptation
des incriminations nouvelles à de nouvelles conditions technologiques et scientifiques pour
pouvoir ensuite construire une législation adaptée à ces conditions 236 ». Cependant, les juges,
refusant de rendre au crime d’empoisonnement l’ensemble de son champ répressif et ne
pouvant attendre une intervention législative, décidèrent de réprimer les nouvelles dérives
comportementales telles que la transmission volontaire du VIH, par le biais de l’infraction la
plus proche de l’empoisonnement. Il s’agit de l’administration de substances nuisibles
(SECTION II).
Section II – L’administration de substances nuisibl es
Le choix, fait par les juges, de qualifier d’administration de substances nuisibles, la
transmission par voies sexuelles du virus du sida peut, a priori, sembler une idée séduisante.
En effet, comme va nous le démontrer l’étude de ses éléments constitutifs légaux,
l’administration de substances nuisibles, prévue à l’article 222-15 du Code pénal, est une
233 DANTI-JUAN (M.), « Quelques réflexions en droit pénal sur les problèmes posés par le SIDA »,
RD pén. crim. 1988, p. 637. 234 MATHIEU (G.), op. cit. note 75, p. 93.235 FEHRENBACH (K.), loc. cit.236 MAYER (D.), op. cit. note 75, p. 326.
70
infraction qui est très proche du crime d’empoisonnement tel que prévu par l’article 221-5 du
Code pénal. De plus, la peine qui sanctionne cette infraction, pourrait remplir son rôle sans
léser les victimes237. Pour autant, des nuances demeurent entres les deux infractions.
L’explication de ces nuances permettra d’appréhender au mieux les conséquences de la
nouvelle application faite par les juges de l’infraction d’administration de substances
nuisibles.
Il convient donc de déterminer les éléments constitutifs légaux de l’administration de
substances nuisibles (§1) afin d’apprécier au mieux les applications judiciaires de cette
infraction (§2).
§1 – La détermination des éléments constitutifs
légauxL’article 222-15 du nouveau Code pénal prévoit : « L’administration de substances nuisibles
ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui ». Suite à cette première
lecture du texte d’incrimination, l’administration de substances semble être certainement le
plus important mais surtout, l’unique point de convergence entre cette infraction et
l’empoisonnement. C’est donc aux points de divergences qu’il faut s’intéresser. Ceux-ci se
trouvent tant dans l’élément matériel de l’infraction (A) que dans l’élément moral (B).
A – L’élément matériel
Si l’article 222-15 prévoit bien une administration au même titre que le crime
d’empoisonnement, la substance administrée est, quant à elle, bien différente. La substance
doit être « nuisible » et non « mortelle » comme cela est exigé pour le crime par poison. La
nuance est certes faible mais existe réellement. Sur ce point l’ancien, article 318 du Code
pénal était bien plus explicite en ne visant que les « substances qui, sans être de nature à
donner la mort, sont nuisibles à la santé ». Pour autant, la volonté de délimiter une séparation
stricte entre ces deux types de substances doit certainement céder face à la réalité. Il est
régulier que ce ne soit qu’en considérant la concentration massique d’une substance que l’on
puisse déterminer si le produit est nuisible, mortel ou même inoffensif. A ce sujet, il convient
de se remémorer la citation de PARACLESE, célèbre chimiste du XVIe siècle: « Alle Dinge sind ein
237 Les peines sont prévues aux articles 222-7 et suivants du Code pénal.
71
Gift und nichts ist ohne Gift. Allein die Dosis macht, daß ein Ding kein Gift ist238». Les médicaments, par
exemple, sont souvent des poisons dilués.
Pour continuer sur la question de l’élément matériel de cette infraction, il faut également noter
que l’administration de substances nuisibles, contrairement à l’empoisonnement, est une
infraction matérielle. La nécessité du résultat est expressément visée par l’article 222-15 qui
ne réprime que l’administration de substances nuisibles « ayant porté atteinte… ». Les
nuisances occasionnées doivent donc exister et être démontrées au moment du procès. La
jurisprudence a pourtant accepté une vision extensive du résultat en condamnant alors que
l’individu n’avait que des risques de séquelles239.
De ces nuances qui existent entre l’élément matériel de l’empoisonnement et celui de
l’administration de substances nuisibles, découle des conséquences sur l’intention exigée par
le législateur (B).
B - L’élément moral
On définira l’intention criminelle dans l’infraction d’administration de substances nuisibles
comme la conscience que l’auteur a du pouvoir nocif de la substance ainsi que la volonté de
l’administrer malgré cette conscience. Si l’on arrête la définition ici, on comprend très bien
que des auteurs aient pu considérer que l’intention réclamée par l’article 222-15 est presque la
même que celle de l’empoisonnement. Les différences se trouvent alors dans la conscience du
pouvoir de la substance elle-même inextricablement liée à la nature de la substance. En effet,
dans l’empoisonnement c’est la conscience de détenir une substance mortelle, dans
l’administration de substances nuisibles, une substance nocive.
Pour autant, il semble que cette définition de l’intention n’est pas complète. Ainsi, comme
cela fut développé dans la première section du chapitre précédent240, la nature de l’infraction a
un impact direct sur la définition de l’intention qui sera retenue. L’administration de
substances nuisibles impose, de par sa définition, que soit démontrée, de façon particulière, la
volonté de nuire de l’auteur au moment où il commettait l’acte d’administration. En d’autres
termes, l’élément moral de cette infraction nécessite l’existence d’un dol spécial. Mais sur ce
238 Traduction littérale : « Toutes les choses sont un poison, rien n’est sans poison. Seul le dosage fait qu’une
chose n’est pas un poison ».239 Trib. corr. Cherbourg, 31 mars 1981, Rev. sc. crim. 1982, chron., p. 119, obs. LEVASSEUR (G.) ; VALAT
(J.-P.), « Administration de substances nuisibles », J.-Cl. pén., 2005, art 222-15, n° 18 ; D. 1981, jurispr., p.
536. note MAYER (D.).240 Supra p. 51 sqq
72
point, la jurisprudence, contrairement à ce qu’elle fit pour l’empoisonnement, ne demande
aucune démonstration pour prouver l’existence de cette volonté de nuire. Les juges se
satisfont des éléments matériels pour la déduire. C’est un retour à l’idée soutenue par la
doctrine classique concernant l’intention homicide dans le crime d’empoisonnement241. La
même remarque se doit donc d’être faite. A savoir que cette absence de recherche de preuve
particulière démontre que l’intention dans le délit d’administration de substances nuisibles est
uniquement constituée par la connaissance du caractère nocif de la substance et par la volonté
d’agir malgré cette connaissance. En d’autres termes, seul le dol général doit être démontré242.
Ainsi, le délit d’administration de substances nuisibles apparaît comme l’antichambre du
crime d’empoisonnement. Ceci n’est pas nouveau. Les auteurs classiques avaient déjà élaboré
de nombreuses théories à ce sujet. Ainsi, si une personne veut tuer un individu en lui
administrant une substance qu’elle considère comme mortelle alors qu’en réalité elle ne l’est
pas, la personne doit être poursuivie pour administration de substances nuisibles puisque le
produit mortel exigé dans la définition de l’empoisonnement n’existera pas243.
S’il est vrai que l’empoisonnement ne peut être retenu pour défaut d’élément moral, il semble
que stricto sensu, l’administration de substances nuisibles ne peut pas l’être non plus pour
défaut d’élément intentionnel. En l’espèce, l’agent ne veut pas nuire à la personne mais la tuer
ce qui est représentatif de deux intentions distinctes. Dès lors, sauf à considérer que l’intention
dans le délit d’administration de substances nuisibles est la même que dans le crime
d’empoisonnement ou, du moins, qu’elle représente une part de cette dernière, le délit ne peut
être constitué. Si ce délit qui a une intention presque similaire à celle de l’empoisonnement
peut voir son élément moral démontré par un dol général, on comprend mal l’exigence du dol
spécial dans le crime d’empoisonnement.
Malgré toutes ces interrogations, les juges ont décidé d’utiliser la qualification
d’administration de substances nuisibles pour réprimer la transmission du sida par voie
sexuelle au travers d’une affaire sur laquelle la Cour de cassation a statué par un arrêt récent
du 10 janvier 2006. Il convient d’étudier cette nouvelle application du délit d’administration
de substances nuisibles (§2).
241 Supra p. 19 sqq.242 VALAT (J.-P.), op. cit. note 239, n° 21 ; PROTHAIS (A.), « Le Sida ne serait-il plus, au regard du droit pénal, une
maladie mortelle ? », D. 2001, chron., p. 2055, n° 9.243 MERLE et VITU, loc. cit. note 55.
73
§2 – L’appréciation des applications judiciairesL’utilisation de la qualification d’administration de substances nuisibles pour réprimer les
contaminations par relations sexuelles est très récente. A l’heure actuelle, déjà plusieurs
affaires de ce type, semblent avoir été jugée sous la qualification d’administration de
substances nuisibles. La première décision est celle de la Cour d’appel de Rouen en date du 22
septembre 1999. Cet arrêt ne fut guère commenté par la doctrine244. Pourtant, il contenait déjà
tous les arguments juridiques qui seront utilisés par la Cour d’appel de Colmar pour
condamner l’agent sous la qualification d’administration de substances nuisibles.
Dans cette dernière affaire, les faits sont les suivants : Mesdemoiselles Isabelle B. et Aurore
B. ont entretenues chacune à des périodes différentes une relation avec monsieur Christophe
M.. Après, s’être respectivement séparées de ce dernier, les jeunes femmes apprennent de la
part de l’ex-épouse de monsieur que ce dernier est séropositif. Elles effectuent alors des tests
de dépistage et apprennent leur contamination. Elles décident de porter plainte à l’encontre de
Christophe M.. Après avoir été reconnu coupable et condamné par un jugement du Tribunal
de Grande instance en date 28 juin 2004245, Monsieur M. interjeta appel de la décision. Ainsi,
le 4 janvier 2005, la Cour d’appel de Colmar rend un arrêt confirmatif. Monsieur M. forme
alors un pourvoi en cassation qui sera rejeté par un arrêt de la Cour de cassation en date du 10
janvier 2006.
Il convient d’emblée de constater que la Cour a rendu un arrêt extrêmement laconique pour
refuser de donner droit aux moyens invoqués par la défense Le jugement était contesté par la
défense tant sur l’élément matériel que sur l’élément moral : d’une part, en ce que « l’élément
matériel de l’administration du virus n’est pas caractérisé dans la mesure où il n’existe
aucune certitude au sujet de l’administration du virus par le prévenu aux parties civiles, et,
d’autre part, que l’élément moral fait défaut dans la mesure où le fait d’entretenir une
relation sexuelle non protégée, sans révélation de son statut sérologique, ne peut constituer
qu’une prise de risque d’administrer le virus […] ».
En réponse, la Cour d’appel se borne simplement à constater « que l’infraction
d’administration d’une substance de nature à nuire à la santé est bien constituée dans tous
ses éléments à l’encontre du prévenu ». Tout au plus, souligne-t-elle « qu’une recherche de
souche de virus est totalement aléatoire dans la mesure où le VIH se caractérise précisément
par des facultés de mutation permanente, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi, ni même
244 PROTHAIS (A.), op. cit. 242, p. 2053 sqq. 245 TGI Strasbourg, 28 juin 2004, Journ. Accidents et catastrophes, janv. 2005, n° 50 cité par Paulin (A), «
l’amour se donne et se reprend, pas le sida… malheureusement ! », D. 2005, jurispr., p. 1069, note 2.
74
allégué que les deux victimes aient entretenu d’autres relations sexuelles non protégées
antérieurement ou pendant leur relation avec le prévenu ». Par cette phrase, la Cour conteste
le premier moyen soulevé par la défense qui, certes, tend à faire paraître les victimes comme
des personnes aux mœurs légères, mais qui, en toute logique, ne peut être écarté du débat. Il
est évidemment indispensable de connaître avec certitude l’identité de la personne qui est à
l’origine de la contamination.
Concernant le deuxième moyen soulevé par la défense, la Cour d’appel ne prend aucunement
soin de l’écarter de façon explicite. Pourtant, le sujet est intéressant d’un point de vue
juridique. En effet, la défense met en avant l’idée selon laquelle l’agent n’avait qu’une volonté
de prise de risque quant à l’administration et, non pas, comme exigée dans les dispositions
légales, une volonté d’administrer la substance. La Cour n’a sûrement pas jugé utile de
démontrer cette volonté tant elle transparaissait au travers des auditions. Outre ses nombreuses
relations sexuelles non protégées avec différentes partenaires, le comportement de Christophe
M., motivé selon lui par la peur du rejet, va jusqu’au mensonge. Ainsi, interrogé par une de
ses partenaires, il nie avoir une quelconque maladie sexuellement transmissible246. Tout au
plus, les juges soulignent que Christophe M. a fait courir un risque grave pour la santé et la
vie de ses partenaires sexuelles. Certains auteurs affirment que « ce dol éventuel n’équivaut
pas rationnellement à une intention sauf à considérer que la conscience d’une probabilité
suffisante de contamination équivaut à une intention de contamination 247». C’est, pourtant, ce
que la Cour d’appel soutient, à juste titre, en assimilant une prise de risque d’administrer à une
volonté d’administration de substances nuisibles.
Mais, plus encore que ces démonstrations, ce sont les points que la Cour d’appel passe sous
silence, qui attire l’attention de la doctrine. Il s’agit de la subordination de cette infraction à
l’existence d’un dol spécial. Cette infraction considérée comme « une sorte de mini
empoisonnement 248» n’aurait-elle pas dû être soumise, par les juges, à l’existence d’un dol
spécial, tout comme ceci fut exigé dans l’empoisonnement? Suivant la logique de la
jurisprudence concernant l’empoisonnement, l’intention de nuire aurait alors dû être prouvé
indépendamment, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. C’est à juste titre, que la juridiction du
fond ne demande pas la preuve de ce dol puisqu’il n’est pas explicitement exigé par l’article
222-15 du Code pénal.
246 Id., p. 1071.247 CA Colmar, 4 janvier 2005, petites affiches 2005, n° 156, note SAINT-PAU (J.-C.), p. 6 ; Sur la notion de dol
éventuel . Cf. THEVENON (J.-M.), op. cit. note 173, p. 117.248 PRADEL (J.) et DANTI-JUAN (M.), op. cit. note 88, p. 77, n° 58.
75
A la suite de cet arrêt confirmatif, Christophe M. forma un pourvoi en cassation. Par un arrêt
en date du 10 janvier 2006, tout aussi laconique que celui de la Cour d’appel, la Cour de
cassation rejette le pourvoi. Là encore, la question du dol spécial n’est nullement abordée. Il
convient alors d’émettre deux hypothèses :
• Soit la Cour de cassation nie la similitude de constitution de l’élément moral existant entre
le crime d’empoisonnement et le délit d’administration de substance.
• Soit la Cour de cassation reconnaît la similitude d’intention entre les deux infractions.
Dans la première hypothèse, les juges considèrent que l’intention homicide qu’ils ont exigée
pour constituer le crime d’empoisonnement, est trop difficile à démontrer dans ce type
d’affaire. Dès lors, la Cour préfère considérer le sida comme une substance nuisible afin de
correctionnaliser et, par là même, garantir une répression effective. Cependant, le parallélisme
existant entre les définitions légales de ces deux infractions ne paraît pas permettre de trouver
de véritables fondements juridiques à cette prétendue divergence dans la constitution de
l’intention de chacune de ces infractions.
Dans la seconde hypothèse, les juges reconnaissent implicitement que les décisions rendues
dans l’affaire du sang contaminé, ne sont dues qu’aux circonstances particulières de l’espèce.
Mais surtout, cela signifie aussi qu’ils considèrent, aujourd’hui, le sida comme une substance
simplement nuisible alors qu’il était encore, il y a peu, entendu comme un virus mortel249. Ce
changement de nature est tout à fait incompréhensible. Même s’il est vrai que de nos jours, les
progrès de la médecine permettent pour les personnes contaminées d’avoir une espérance de
vie assez longue, « une substance ne change pas de nature si un traitement, un vaccin ou un
antidote vient à en atténuer ou supprimer les effets [...] Le VIH demeure donc en soi une
substance de nature à entraîner la mort …250»
En définitif, la Cour de cassation semble avoir mis fin aux hésitations en fixant la
jurisprudence relative « aux poursuites engagées contre celui qui transmet volontairement le
virus VIH à ses partenaires 251 ». Mais, l’administration de substances nuisibles, qualification
par défaut, n’est qu’un pauvre palliatif au crime d’empoisonnement, véritable qualification
des faits reprochés.
249 CA Paris (ch. instr.), 4 juill. 2002, « Sang contaminé : le procès pénal aura-t-il lieu ? », D. 2003, jurispr., note
PROTHAIS (A.), p. 167, n° 13.250 PROTHAIS (A.), « Le sida par complaisance rattrapé par le droit pénal », D. 2006, chron., p. 1069.251 Cass. crim., 10 janvier 2006, Dr. pén. 2006, comm. n° 30, note VERON (M.).
76
CONCLUSION
Au terme de cette étude, il est établi que l’existence d’un dol spécial pour constituer
l’intention dans le crime d’empoisonnement est une exigence issue des décisions
jurisprudentielles concernant la contamination par le sida. De facto, cette nécessité est, en
pratique, la seule vérité juridique reconnue. Pourtant, elle n’est fondée que sur la négation des
principales caractéristiques de ce crime. En effet, sa nature formelle atteste de la suffisance
d’un dol général pour caractériser l’intention de l’agent. Les traits criminologiques propres
aux empoisonneurs démontrent également que la mort n’est pas toujours le but de ces
derniers. Il est alors paradoxal d’exiger qu’ils en aient la volonté. Ainsi, ce besoin de prouver
l’intention homicide telle qu’imposée par les juges, a eu pour conséquence de réduire le
champ répressif de cette infraction, à une peau de chagrin. Il est alors apparu un vide
juridique que les magistrats ont tenté de remplir en utilisant d’autres qualifications. Celles-ci
s’avèrent être de piètres substituts. D’ailleurs, l’administration de substances nuisibles
apparaît comme une véritable correctionnalisation des faits.
Ainsi, les juges ont cédé à la tentation d’un droit pénal à « deux vitesses 252 » qui ne pourra
être remis en cause que par un revirement jurisprudentiel. La justice a ainsi préféré être en
accord avec l’opinion publique plutôt qu’avec le droit. Avec le développement des nouvelles
technologies et les découvertes biologiques récentes, les prises de risques à l’encontre de la
vie humaine pourraient se développer par de nouvelles administrations de substances
mortelles sans qu’il n’existe de répression effective. Finalement, en imposant l’existence d’un
dol spécial dans le crime d’empoisonnement, les juridictions semblent avoir créé une véritable
« omerta » autour de cette infraction.
252 PROTHAIS (A.), « Un droit pénal pour les besoin de la bioéthique », Rev. sc. crim . 2000, p. 57.
77
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VI – JURISPRUDENCE
JURIDICTIONS DU FOND
Trib. corr. Cherbourg, 31 mars 1981 : Rev. sc. crim. 1982, chron., pp. 119-121, obs. LEVASSEUR (G.) ; D.
1981, jurispr., pp. 536 – 540 , note MAYER (D.).
Trib. corr. Mulhouse, 6 février 1992, D. 1992, jurispr., pp.301-304, note PROTHAIS (A.).
Trib. corr. Paris, 23 octobre 1992 : D. 1993, pp. 222- 228, note PROTHAIS (A.) ; Gaz. Pal. 1993, pp.118-
120, note DOUCET (J.-P.).
CA Paris, 13 juillet 1993 : Dr. pén. 1994, comm. 12, note ROBERT (J.-H.) ; D. 1994, pp.118-120, note
PROTHAIS (A.).
CA Paris, 4 juillet 2002, « Sang contaminé : le procès pénal aura-t-il lieu ? », D. 2003, pp. 164-168,
note PROTHAIS (A.).
CA Colmar, 4 janvier 2005 : petites affiches 2005, n° 156, p. 6, note S AINT-PAU (J.-C.) ; « l’amour se
donne et se reprend, pas le sida… malheureusement ! », D. 2005, jurispr., pp. 1069-1072., note PAULIN
(A.).
82
COUR DE CASSATION
Cass. crim., 2 juillet 1886, S. 1887, I, 489.
Cass. crim., 18 juillet 1952, Bull. crim. 1952, n° 193 ; D. 1952, jurispr., p. 667.-669.
Cass. crim., 8 juin 1993 : Bull. crim. 1993, n° 203 ; Dr. pén. 1993, comm. 211, note VERON (M.) ; Rev.
sc. crim. 1993, p.774, obs. LEVASSEUR (G.) ; Rev. sc. crim 1994, p.107, obs. LEVASSEUR (G.).
Cass. crim., 22 juin 1994 : D. 1995, jurispr., p. 85- 88, note PROTHAIS (A.) ; D. 1995, somm., p. 141-142,
obs. PRADEL (J.) ; JCP 1994, éd. G., II, 22310, note RASSAT (M.-L.).
Cass. crim., 2 juillet 1998 : JCP, 1998, II, 10132, pp. 1435-1439, note RASSAT (M.-L.) ; D. 1998, jurispr.,
pp. 457-459, note PRADEL (J.) ; « De l’empoisonnement en matière de contamination sexuelle par le
VIH », petites affiches 1998, n° 126, pp. 9-18, note C OURTRAY (F.) ; MAYAUD (Y.), « Infractions contre les
personnes », Rev. sc. crim. 1999, pp. 98-101 ; PROTHAIS (A.), «N’empoisonnez donc plus à l’arsenic ! »,
D. 1998, chron. 334.
Cass. crim., 18 juin 2003 : Bull. crim. 2003, n° 127 ; JCP 2003, éd. G., II, 10121, pp. 1366-1373, note
RASSAT (M.-L.) ; Dr. pén. 2003, comm. 97, note VERON (M.) ; -« Sang contaminé – Justice malade –
Droit pénal avili », D. 2005, jurispr., pp. 195-199, note. PROTHAIS (A.) ; « Nécessité d’une intention de
donner la mort pour caractériser l’élément intentionnel de l’empoisonnement », D. 2004, jurispr.,
pp. 1620-1626, note REBUT (D.) ; petites affiches 2003, n° 148, pp. 17- 27, note S TEINLE-FEUERBACH (M.-
F.). MAYAUD (Y.), « Infractions contre les personnes », Rev. sc. crim. 2003, pp. 781-790.
Cass. crim, 10 janvier 2006, Dr. pén. 2006, comm. n° 30, note V ERON (M.).
VII – SITES INTERNET
Esculape, site de médecine générale : explication du syndrome de Munchausen par
procuration : http://www.esculape.com/psychiatrie/munchausen.html, le 20 août 2006.
Extrait du serment d'Hippocrate d'origine (traduit par Littré) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d'Hippocrate, le 20 août 2006
Extrait du serment d’Hippocrate réactualisé adopté le 25 juin 1976 par le Conseil national de l’ordre
des médecins : http://www.bmlweb.org/serment_ordre.html, le 22août 2006
Extrait du serment d’Hippocrate réactualisé par le Professeur Bernard HŒRNI dans le bulletin de l'Ordre
des médecins - n° 4 d'avril 1996 : http://194.206.1 35.82/guidmed/serment.htm, le 20 août 2006.
Site du Conseil de l’Europe : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, Protocole
n°7 tel qu’amendé par le protocole n° 11 : http://c onventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/117.htm,
le 25 août 2006.
83
Table des matières
REMERCIEMENTS...........................................................................................3
TABLE DES ABREVIATIONS.........................................................................4
INTRODUCTION GENERALE........................................................................6
CHAPITRE I – La notion d’attentat appliquée au crime d’empoisonnement ........................8Section I –L’évolution historique de la notion d’attentat....................................................9Section II – La définition moderne de l’attentat...............................................................10
CHAPITRE II – La notion d’intention adaptée au crime d’empoisonnement......................12Section I – Une définition négative de l’intention criminelle...........................................14Section II – Une définition positive de l’intention criminelle...........................................16
TITRE I – L'ASSERTION D'UN DOL SPECIAL DANS LE CRIM E
D'EMPOISONNEMENT..................................................................................18
CHAPITRE I – La controverse doctrinale sur la nécessité de l'intention homicide.............19Section I – La référence traditionnelle à l'intention homicide...........................................19
§1 – La nécessité de l'intention de tuer.........................................................................20§2 – La preuve de l'intention de tuer.............................................................................21
Section II – Les divergences actuelles de la doctrine pénale............................................23§1 – La thèse de la suffisance du dol général................................................................24
A – La notion de connaissance dans le crime d’empoisonnement............................24B – La notion de volonté dans le crime d’empoisonnement.....................................25
§2 – La thèse de l’exigence du dol spécial....................................................................27A – Les fondements de l’exigence du dol special.....................................................27B – La contestation des fondements invoqués..........................................................28
CHAPITRE II – L'AFFIRMATION JURISPRUDENTIELLE DE LA NECESSITE DEL'INTENTION HOMICIDE..................................................................................................30
Section I – Une affirmation d’abord assez incertaine ......................................................31§1 – Une préférence pour des qualifications différentes...............................................32
A – Le jugement du 23 octobre 1992........................................................................33B – L’arrêt du 13 juillet 1993....................................................................................35
§2 – Une décision équivoque de la Cour de cassation..................................................37A – Les réquisitions de l’avocat général...................................................................37B – L’arrêt du 22 juin 1994.......................................................................................38
Section II – Une affirmation ensuite plus explicite...........................................................40§1 – L'arrêt du 2 juillet 1998.........................................................................................41
A – L’exposition des faits.........................................................................................41B – L’exigence d’une intention homicide.................................................................42
§2 – L'arrêt du 18 juin 2003..........................................................................................44A – Les hypothétiques revirements jurisprudentiels ...............................................44B - L’affirmation inutile de la thèse du dol spécial...................................................45
84
TITRE II – L'INADÉQUATION D'UN DOL SPÉCIAL DANS LE CRIME
D'EMPOISONNEMENT..................................................................................48
CHAPITRE I – UNE NÉGATION DES CARACTÉRISTIQUES DE L'INFRACTION....48Section I – La nature formelle du crime d'empoisonnement.............................................49
§1 – Réflexions sur le résultat exigé.............................................................................49A – La notion de résultat matériel.............................................................................50B – La notion de résultat légal..................................................................................52
§2 – Les conséquences sur l'intention requise...............................................................53A – La démonstration de la suffisance du dol général .............................................53B - L’applcation au crime d’empoisonnement..........................................................55
Section II – Le particularisme criminologique du crime d’empoisonnement...................56§1 – Les traits criminologiques classiques....................................................................56
A – La trahision du lien de confiance.......................................................................57B – Un sentiment d’irresponsabilité..........................................................................58
§2 – L’application aux situations contemporaines .......................................................59A – Les particularités de l’affaire du sang contaminé...............................................59B – Les autres situations contemporaines.................................................................61
CHAPITRE II – UNE MODIFICATION DES FRONTIERES DE L’INFRACTION.........64Section I – Les premières tentatives de qualifications dans l’affaire du sang contaminé. 65
§1 – Des qualifications impropres.................................................................................65A – La tromperie.......................................................................................................65B – L’homicide involontaire.....................................................................................67
§2 – La mise en danger délibérée d’autrui....................................................................68A – La détermination des éléments constitutifs legaux ............................................68B – L’application aux faits de transmission du VIH.................................................69
Section II – L’administration de substances nuisibles......................................................70§1 – La détermination des éléments constitutifs légaux...............................................71
A – L’élément matériel ............................................................................................71B - L’élément moral .................................................................................................72
§2 – L’appréciation des applications judiciaires...........................................................74
CONCLUSION..................................................................................................77
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................78
I - DICTIONNAIRES, REPERTOIRES ET ENCYCLOPEDIES........................................78II - OUVRAGES GENERAUX............................................................................................78III - OUVRAGES SPECIAUX ............................................................................................79IV - MEMOIRES ET THESES ............................................................................................80V -ARTICLES DE DOCTRINE...........................................................................................80VI – JURISPRUDENCE.......................................................................................................82
JURIDICTIONS DU FOND.............................................................................................82COUR DE CASSATION..................................................................................................83
VII – SITES INTERNET......................................................................................................83
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