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LE PAPILLON DE L INGÉRENCE LE JOURNAL DES ÉTUDIANTS EN DROIT DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL JANVIER 2014 | Volume 37 No 5| www.pigeondissident.com Page 9 Page 7 JANVIER 2014 Christopher Chartrand Tout juste avant notre retraite collec- tive pour la période des Fêtes, la Cour suprême a rendu une décision qui était grandement attendue depuis un bon moment, soit l’arrêt Bedford c. Canada (Procureur Général), 2013 CSC 72. Plus de vingt-trois ans après le Renvoi relatif à la prostitution 1 , la Cour s’est prononcée, à nouveau, sur le cas des tra vailleuses du sexe. Cependant, même si c’est un sujet contemporain fascinant, ce n’est (malheureusement) pas de prostitu- tion dont je discuterai ici. En effet, sous-ja- cents à l’arrêt Bedford se trouvent d’autres enjeux discrets, mais d’envergure : le ren- forcement du puissant rôle constitution- nel du juge et la distanciation de notre héritage judiciaire britannique. En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, le juge exerce la fonc- tion de protecteur des droits fondamen- taux. Parfois, dans le cadre de ses fonc- tions, il devra même trancher des sujets délicats, empiétant occasionnellement sur des matières sociales ou politiques. À présent, il serait admis que, pour pleine- ment accomplir cette honorable mission de protection, le juge puisse déroger à une décision émanant d’un tribunal supérieur, et donc de contrevenir à un pilier de la common law, soit le stare decisis 2 ! Avant de traiter de ce point toutefois, il est intéressant d’examiner où est née cette règle fonda- mentale du droit anglais et quel a été son impact sur le travail de la magistrature. SUISSE: Initiative populaire «Contre l’immigration de masse»: A-t-on atteint les limites de la démocratie directe? SANGARIS : /SUITE EN PAGE 10 Timothé Matte-Bergeron http://images.huffingtonpost.com/2013-11-06-RobFord-thumb.jpg /PAGE 6 Suite en page 12 L’AFFAIRE BEDFORD: l’illustration de la rocambolesque histoire du stare decisis à l’ère des droits fondamentaux et de la Charte canadienne Les grands cabinets de Montréal peinent à faire place à la gente féminine Des attentes pour 2014? Des vieux, des morts et des élections municipales L’erreur judiciaire Répondre en anglais aux examens: laxisme et complaisance sans bornes Le point sur Rob Ford P AGE 3 P AGE 4 PAGE 11 PAGE 16 Le sangaris est une espèce de papillon que l’on retrouve en Centrafrique. Comme tout papillon, sa durée de vie est courte : tout au plus quelques semaines. Ses ailes sont rouges; certains diraient même rouge sang. Sangaris se trouve aussi être le nom de l’opération militaire que la France a été autori- sée à lancer le 5 décembre dernier en République centrafricaine, à la suite de la résolution 2127 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le papillon, éphémère, se pose souvent, léger, pour s’envoler aussitôt ensuite; on affirme parfois que son battement d’ailes peut causer une tornade à l’autre bout du monde. L’opération française, qui s’annonçait déjà complexe, sera certainement de longue durée, probablement plus que prévu; il est dif- ficile de déterminer, actuellement, les répercussions qu’a eues et qu’aura l’intervention. Certains affirment que les progrès se font toujours attendre...

Janvier 2014

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  • le papillon de lingrence

    L E JOURN A L DES T UDI A N T S EN DRO I T DE LUNI V ERS I T DE MON T R A L

    JA N V IER 2014 | Vo lume 37 No 5| w w w.p igeond i s s i den t . com

    Page 9 Page 7

    JA N V IER 2014

    Christopher Chartrand Tout juste avant notre retraite collec-

    tive pour la priode des Ftes, la Cour suprme a rendu une dcision qui tait grandement attendue depuis un bon moment, soit larrt Bedford c. Canada (Procureur Gnral), 2013 CSC 72. Plus de vingt-trois ans aprs le Renvoi relatif la prostitution1, la Cour sest prononce, nouveau, sur le cas des tra

    vailleuses du sexe. Cependant, mme si cest un sujet contemporain fascinant, ce nest (malheureusement) pas de prostitu-tion dont je discuterai ici. En effet, sous-ja-cents larrt Bedford se trouvent dautres enjeux discrets, mais denvergure: le ren-forcement du puissant rle constitution-nel du juge et la distanciation de notre hritage judiciaire britannique.

    En vertu de la Charte canadienne des droits et liberts, le juge exerce la fonc-tion de protecteur des droits fondamen-taux. Parfois, dans le cadre de ses fonc-tions, il devra mme trancher des sujets dlicats, empitant occasionnellement sur des matires sociales ou politiques. prsent, il serait admis que, pour pleine-ment accomplir cette honorable mission de protection,

    le juge puisse droger une dcision manant dun tribunal suprieur, et donc de contrevenir un pilier de la common law, soit le stare decisis2! Avant de traiter de ce point toutefois, il est intressant dexaminer o est ne cette rgle fonda-mentale du droit anglais et quel a t son impact sur le travail de la magistrature.

    SUISSE: Initiative populaire Contre limmigration de masse:

    A-t-on atteint les limites de la dmocratie directe?

    S A N G A R I S :

    /Suite en page 10

    Timoth Matte-Bergeron

    http://images.huffingtonpost.com/2013-11-06-RobFord-thumb.jpg

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    Suite en page 12

    LAFFAIRE BEDFORD: lillustration de la rocambolesque histoire du stare decisis lre des droits fondamentaux et de la Charte canadienne

    Les grands cabinets de Montral peinent faire place la gente fminine

    Des attentes pour 2014?

    Des vieux, des morts et des lections municipales

    Lerreur judiciaire

    Rpondre en anglais aux examens: laxisme et complaisance sans bornes

    L e p o i n t s u r R o b F o r d

    page 3

    page 4

    page 11

    page 16

    Le sangaris est une espce de papillon que lon retrouve en Centrafrique. Comme tout papillon, sa dure de vie est courte : tout au plus quelques semaines. Ses ailes sont rouges; certains diraient mme rouge sang. Sangaris se trouve aussi tre le nom de lopration militaire que la France a t autori-se lancer le 5 dcembre dernier en Rpublique centrafricaine, la suite de la rsolution 2127 de lAssemble gnrale des Nations Unies.

    Le papillon, phmre, se pose souvent, lger, pour senvoler aussitt ensuite; on affirme parfois que son battement dailes peut causer une tornade lautre bout du monde. Lopration franaise, qui sannonait dj complexe, sera certainement de longue dure, probablement plus que prvu; il est dif-ficile de dterminer, actuellement, les rpercussions qua eues et quaura lintervention. Certains affirment que les progrs se font toujours attendre...

  • 2 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    LE P IGEON D ISS IDENT INC .Le journal des tudiants de la Facult de droit de l'Universit de Montreal

    Laurence Vallires-NolletRdactrice en chef

    Eve Laoun et Jrmie Leclerc Directeurs artistiques

    Timoth Matte-BergeronGestionnaire au contenu Web

    Andrane MorneauTrsorire

    Guillaume Gourde-PinetDirecteur de la publicit

    Stphanie BouchardCorrectrice en chef

    David CollanteDirecteur de la logistique

    liane BoucherMarc-Olivier DorMdgine GourdetJasmine Guibaultlose Lafortune-VigerAndra PichetteCorrecteurs

    ImprimerieHebdo Litho

    Dpt lgalJanvier 2014 - Bibliothque et Archives nationales du Qubec

    Le Pigeon Dissident Inc. est une corpo-ration indpendante de lUniversit de Montral, compose dtudiants de la Facult de droit de lUdeM. Le Pigeon Dissident est un journal mensuel ayant un tirage denviron 1000 copies par mois.

    La rdaction nest pas responsable des textes et photos reus. Les opinions exprimes dans les textes de ce journal sont exclusives lauteur et ne sont pas ncessairement celles partages par les membres de ladministration du Pi-geon Dissident.

    La reproduction, mme partielle, des ar-ticles et illustrations pris dans ce journal, est strictement interdite, sauf avec ac-cord de la rdaction. Copyrights Pigeon Dissident 2014.

    3200 rue Jean-Brillant, Suite A-2412Montral, QubecH3T 1N8T: 514.343.6111 #5021C: [email protected]

    QUIPECONTACT

    DITORIAL>>>

    Laurence Vallires-NolletRdactrice en chef

    Alors quune importante dlga-tion canadienne (plus de 200 per-sonnes) est de passage en Isral depuis samedi dernier, et que notre premier ministre y reoit un accueil digne dun hros, il nest pas inop-portun de survoler les grandes lig-nes du conflit isralo-palestinien et celles des politiques que le Canada prnait jadis dans cette querelle.

    En effet, il est clair que, depuis larrive de Harper au pou-voir il y a huit ans, la position canadienne a subi un change-ment de cap assez drastique.

    De modrateur diviseur?

    Cest sous le mandat de Pierre-Elliott Trudeau que le Canada entame les premiers contacts avec lOrganisation de la Libration de la Palestine (OLP). La position du Can-ada se calque alors sur les principes de la rsolution 242 de lONU qui vi-sait inciter Isral se retirer des territoires occups en Palestine et qui consacrait les frontires de 1967 comme tant celles qui devraient dlimiter les deux territoires.Mme si le Canada faisait figure

    de conciliateur durant cette pri-ode, on constate que le changement de cap sest entam bien avant lentre au pouvoir du premier min-istre Harper. Ds la fin du mandat de Trudeau, Mulroney puis en-suite Martin ne cachent pas leur soutien aux politiques israliennes.

    Harper est toutefois celui qui tablit dfinitivement lappui ind-fectible du Canada envers Isral. Il oriente clairement la position canadienne dans une optique pro-

    isralienne, et en agissant ainsi, il devient le chef dtat dmontrant le plus de support Isral, non seule-ment parmi ses prdcesseurs, mais si on en croit le Jerusalem Post, parmi tous les leaders mondiaux.

    Une position marginale

    En 2012, lorsque lONU vote pour reconnatre la Palestine le statut dtat observateur non-membre, le Canada est lun des neuf pays sy opposer, contre 138 pays lappuyant. Cest l un ex-emple parmi tant dautres dmon-trant que le Canada maintient une position qui est assez margin-alise sur la scne internationale.

    En effet, bien que le Canada ait annonc quil soutiendra encore fi-nancirement la Palestine, et quil demande que des ngociations soi-ent entreprises en ce qui concerne lavenir des colonies israliennes, son orientation demeure bien lcart de celle qui est actuelle-ment prne par la communaut internationale. De plus, en ce qui concerne ces dites-colonies, doit-on rappeler que sur son site in-ternet, le gouvernement dclare spcifiquement que les colonies sont illgales au regard de la quatrime convention de Genve?

    La plupart des puissances mondia-les adoptent plutt une position con-ciliatrice, qui viserait reconnatre aux deux peuples leurs revendica-tions respectives. On retrouve dun ct, la reconnaissance des droits inalinables de la communaut palestinienne, soit leur droit lautodtermination sans ingrence et leur droit la souverainet et lindpendance, et de lautre, le droit la scurit de ltat isra-lien. Concrtement, on tente de faire pression sur Isral pour quil

    cesse le dveloppement des colo-nies et on souhaite que les attaques palestiniennes soient stoppes.

    adopte pour des raisons floues

    videmment, les vises lec-toralistes la base de ce volte-face parassent assez plausibles. Harper sassure ainsi de rallier le vote de la communaut chrtienne vanglique ainsi que celui de la communaut juive canadienne.

    Du moins, une partie. Puisquau sein mme de la diaspora juive, des points de vue dissidents quant la question palestinienne se font entendre. Lassociation Voix juives indpendantes (VJI), par exemple, rassemble des Juifs qui ne partagent pas les politiques actuelles du pre-mier ministre isralien Benyamin Netanyahou envers la Palestine.

    Cest dailleurs ce groupe de gauche qui avait apport des nu-ances aux conclusions de la Coali-tion interparlementaire de lutte contre lantismitisme en 2010, voulant que lantismitisme soit en hausse sur la plante. Harper avait dailleurs repris son compte ces conclusions pour justifier la prise dune position tranche du Canada quant au conflit isralo-palestinien. VJI avait alors mis en garde contre le caractre lobbyiste de cette coalition, soutenant que les audiences tenues taient biaises.

    Il est donc difficile de comprendre pour quelles raisons vritables le Canada se campe dans une position pro-isralienne. Surtout lorsquon rappelle que ce choix aura probable-ment cot le sige du Canada au Conseil de Scurit, ce qui ne semble absolument pas dranger Harper en bout de ligne, bien au contraire.

    ***

    Alors Mr. Harper, cest vous que je madresse maintenant.

    En adoptant une position aussi marque, vous prsentez le Can-ada comme un pays acceptant que des colonies, souvent foyers de violence, soient tablies au sein du territoire dun autre peuple qui a pourtant pleinement droit lautodtermination. Drle de po-sition pour une ancienne colonie dont lindpendance fut un mo-ment marquant de son histoire.

    La solution ce conflit ne se fera as-surment pas de faon unilatrale. Si les deux protagonistes ne cessent la violence pour entrer en ngocia-tion, aucun accord ne pourra effi-cacement tre impos par la force. Une position plus mitige aurait pu encourager la poursuite des discus-sions. Maintenant, vous rejetez dun revers de main la quasi-totalit du travail accompli par lONU jusquici.

    chacune de vos dcisions, Mr. Harper, je me cache un peu plus le visage dans les mains. Et je ne limite absolument pas ma con-sidration aux seules politiques pro-israliennes. Je ltends aux choix environnementaux, budg-taires et lgislatifs que vous prenez.

    Car, je dois le dire, cest un senti-ment difficile que de porter la nation-alit dun pays dont on dplore les politiques dans tous les domaines.

    Merci, Harper.

  • 3 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    >>>

    Guillaume Gourde-Pinet et Julie Lecours

    En ce dbut danne, quoi pouvons-nous nous attendre pour 2014?

    Tout dabord, chez nous, il faut sattendre une lection provinciale ce printemps sur fond de lacit de ltat, car il para-trait que le gros du dbat en chambre reste venir. Pour ce qui est des toiles mon-tantes, parions que PKP fera les manchet-tes en 2014, que ce soit pour sa sparation ou son nouveau rle politique. Quant Philippe Couillard, si ses amitis passes ne lui rservent pas dautres mauvaises sur-prises, il doit encore nous dmontrer quil a ltoffe dun chef et quil ferait un premier ministre crdible.

    Ensuite, sur le plan municipal, Denis Coderre continuera probablement ra-gir avec vigueur, car il faut le dire, depuis son lection, il ne passe pas inaperu et pas seulement grce aux mdias et aux Ca-nadiens de Montral, mais aussi pour son implication dans des dossiers cls tels que litinrance et la dfense des chauffeurs de taxi. Qubec, Rgis poursuit son rgne sur la ville, encore intouch par la crise de la corruption. Quant Toronto, Rob Ford, malgr la tourmente, est toujours le maire lu et il risque de le demeurer encore quelques temps...

    Puis, du ct fdral, si on se fie la fin de lanne, on risque encore de nous servir un trange mlange de scandales conser-vateurs saupoudrs dune solide opposition aux sables bitumineux dont on voit les pre-miers balbutiements. De son ct, Trudeau Junior continuera sa vente de rves en canne bas prix qui nous font tous rver dun meilleur Canada pour demain.

    Quen est-il ailleurs dans le monde pour 2014?

    Aux tats-Unis, il faudra commencer suivre les nouvelles ttes montantes des deux partis, qui se font dj pressentir. Dailleurs, il est intressant de noter que le morcellement du Parti rpublicain risque de se poursuivre entre lextrme droite reli-gieuse et sa base plus centriste. Le dossier de lheure reste encore en ce dbut danne la scurit de linformation prive, la suite du scandale de la surveillance mas-sive de la NSA. La position du prsident sera-t-elle de dnoncer Edward Snowden en laccusant de mettre en pril la scurit nationale? Ou plutt de prendre la dfense de la vie prive de ses citoyens et lecteurs?

    LEurope, fragilise par la crise de 2008, nest toujours pas rtablie. En France, les consquences de la profonde division de la population sur la question du mariage gai auront-elles des suites? LUnion eu-ropenne saura-t-elle prosprer aprs une crise politique dbute il y a quelques an-nes? LUkraine divise entre les partisans

    de lUnion europenne librale et ceux de lalliance avec la Russie restera-t-elle com-pltement paralyse, et pour combien de temps?

    En Amrique latine, il semble que lenjeu de lanne sera vraisemblablement la l-galisation de la marijuana suite la lgali-sation en Uruguay, qui pourrait crer un effet de vague sur le continent et peut-tre mme jusquau Canada.

    Au Moyen-Orient, la guerre en Syrie fait toujours rage, mais certaines sources condamnent dsormais une faction des rebelles pour les attaques chimiques quon imputait au rgime de Bachar Al-Assad, dont le rgime ne semble pas tre autant sur la fin quon pourrait le croire, sans ou-blier quune guerre interne entre les int-gristes musulmans et les factions rebelles plus modres fait de plus en plus de vic-times. Sur le plan diplomatique, il sera in-tressant dassister au changement de ton dans le dossier du nuclaire iranien, im-putable au nouveau prsident plus modr face aux Amricains. Au Pakistan, un an-cien dictateur militaire, Pervez Musharraf, pourrait faire face la justice, crant un prcdent important quant limmunit traditionnellement rserve aux militaires.

    En Asie, la Thalande est encore une fois secoue par des rvoltes face un gouver-nement accus de corruption, ce qui mne une escalade de la violence dont les con-squences se feront sentir sur le tourisme.

    De son ct, le nouveau dictateur de la Core du Nord, Kim Jong-Un, aurait fait excuter lancien numro deux du parti, son oncle et mentor Chang Song-Taek, laissant supposer un potentiel changement de position du rgime. Au Japon, la cen-trale de Fukushima continuerait de me-nacer locan Pacifique par des dverse-ments toxiques, tandis quaux Philippines, la situation aprs le sisme dune magni-tude de 7.1 en octobre dernier reste des plus sombres pour la population.

    Finalement, en Afrique, la guerre civile frappe toujours la Rpublique centrafri-caine et le Soudan du Sud, malgr les tentatives de ngociation avec le Soudan. Ces guerres civiles prenant de plus en plus dampleur pourraient dborder dans les pays voisins. De plus, il sera intressant dobserver la rsistance de lhritage social qua laiss Mandela en Afrique du Sud face lextrme pauvret dune part de la population et la grande multiethnicit du pays.

    Voici pour 2014 plusieurs dossiers sui-vre avec attention et un peu despoir si on ne veut pas dprimer! Alea Iacta Est.

    P O L I T I Q U E

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    Des attentes pour 2014?

  • 4 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    Axel Fournier et Franois Alexandre Guay

    lections aprs lections, les ans votent plus que les jeunes. Cest une constante qui peut sexpliquer de multiples faons, mais la prsence de bureaux de scrutin dans les rsidences de personnes ges contribue certainement laugmentation du taux de participation chez cette tranche de la po-pulation. Ce phnomne gonfle les statis-tiques lectorales, mais permet-il vraiment un progrs dmocratique? Dans ltat ac-tuel des choses, il est permis den douter: de nombreux ans peuvent voter sans prsenter une carte didentit avec photo et ils sont dautant plus vulnrables aux manuvres orchestres par des organi-sateurs politiques.

    Il est plus facile pour un an de voter aux lections que pour un mineur dentrer dans un bar!

    Et pour cause, pour entrer dans un dbit de boisson, il faut montrer une carte didentit avec photographie. Pour vo-ter, cependant, ce nest pas ncessaire en raison dun trou dans les lois. En effet, larticle 337 de la Loi lectorale du Qubec fait en sorte quun lecteur peut voter en dclinant son identit et en remettant sa carte dassurance-maladie, son permis de conduire ou son passeport canadien au scrutateur. En thorie, cela assure quil remette une carte didentit officielle avec photo. Toutefois, il est possible dobtenir une carte dassurance-maladie sans photo en prsentant un certificat mdical at-testant que la personne est incapable de fournir signature et photo un CLSC.

    Ds quune personne possde une telle carte, elle peut donc voter sans donner une carte didentit avec photo. Par contre, comment le scrutateur peut-il savoir que la personne qui vient voter est titulaire de la carte? Il peut demander quelle dclare sous serment tre la personne quelle pr-tend, mais nous ne sommes gure labri des cas de parjure et le chtiment divin nen effraie plus beaucoup. Ainsi, il est possible pour un mort de voter comme la belle poque de Duplessis. Il suffit quun organi-sateur politique vreux mette la main sur la carte dassurance-maladie sans photo dun lecteur mort ou incapable de voter.

    Ds lors, il na besoin que dun complice, ayant lair suffisamment vieux, qui ait le courage de se prsenter au bureau de scru-tin. Hop, le tour est jou et un mort peut voter! La solution nous apparat relative-ment simple : il faut exiger quune per-sonne fournisse une photo pour avoir sa carte (quitte ce quun employ du CLSC se dplace pour la prendre au domicile de

    la personne). En labsence de cette mesure, imposer quun tiers connaissant ladite per-sonne confirme son identit sous serment au moment de voter serait un minimum atteindre. La premire solution permettrait en outre dviter dventuelles fraudes dans notre systme de sant, mais la seconde se-rait moins onreuse.

    Un haut taux de participation tout prix

    Dans un monde idal, chaque citoyen se rendant aux urnes devrait pralablement avoir vu, examin et soupes les diff-rentes prtentions des candidats. Dans un monde normal, les citoyens devraient stre renseigns minimalement avant dinscrire leur choix sur le bulletin de vote. Par con-tre, dans la socit qubcoise actuelle, il y a des lecteurs qui ne savent tout simple-ment pas ce quils font. Nous faisons fi, ici, du ct clair que devrait revtir lexercice de ses droits dmocratiques, car le but nest pas de faire un procs sur les intrts politiques de nos ans, mais plutt de se pencher sur le caractre libre de la chose.

    Il va sans dire que limplantation de bu-reaux de vote lintrieur mme des rsi-dences pour personnes ges a t ralise dans le but daugmenter leur taux de parti-cipation en leur vitant linconvnient de se dplacer, ce qui est souvent plus complexe que lon pense dans leur cas. Nous cher-chons croire que cette mesure poursuit un objectif plus noble que de tomber dans la facilit en tirant profit du fait que les re-traits ont une trs forte tendance voter en bloc pour un certain parti. Nempche, la bonne foi se prsume et ce, mme en politique.

    La mesure peut tre excellente initiale-ment, mais entraner des effets pervers par la suite. En effet, il peut tre tentant pour un parti politique de tirer profit dun accs privilgi une masse critique dlecteurs pour qui je suis occup nest pas une excuse crdible pour ne pas voter. Pour avoir personnellement travaill dans une rsidence pour personnes ges lors des dernires lections municipales, il nous est possible daffirmer que certains partis politiques, mme ceux que lon soupon-nerait le moins, font preuve dune ingni-osit presque malsaine pour obtenir le vote dlecteurs tout prix.

    Encourager aller voter est une chose, mais guider un lecteur en est une autre. Nous concevons normal quun candidat se dplace en personne pour aller rencontrer les lecteurs chez eux, mais en revanche, remettre aux ans des feuilles leur expli-quant quils doivent marquer le cercle ct de X, Y ou Z candidat revt une hon-ntet douteuse. Les personnes en foyers de retraite tant, sauf exception, plus an-xieuxes que celles de la population active, un tel stratagme peut grandement influ-encer leur choix en rduisant le stress face trois bulletins, dont un faisant 30 cen-timtres de long. Quant la loi lectorale, celle-ci calme quelque peu les ardeurs des partis politiques, car il leur est interdit de solliciter ou daccompagner un lecteur lintrieur de la salle o se droule le vote.

    Bien quefficace lorsque le scrutin se droule dans un gymnase ou une salle communautaire, cette mesure devient ais-ment contournable dans les rsidences de

    personnes ges puisque tout se droule dans la mme btisse. Il est impossible de solliciter dans la salle elle-mme, mais tout le reste de limmeuble, oui, et ce, y compris les appartements. Les endroits o les candidats peuvent vendre leur salade se trouvent seulement quelques pas (ou tours de roues) du bureau de scrutin. Cette proximit est certainement drangeante dautant plus quavec gards, les retraits ne sont pas tous aussi lucides que dans leur jeunesse.

    Et puis, il y a aussi le volet concernant le fait quil y a des gens qui ne savent litt-ralement pas ce quils font derrire lisoloir. tre travailleur pour les lections dans ces rsidences amne entendre des questions plus surprenantes les unes que les autres. Les De quel sens a va?, O dois-je mettre mon X?, Ctait quoi le nom de la personne qui est venue me voir tantt? ouCest qui eux, je ne sais pas cest qui? sont malheureusement monnaie courante. Bien que ce ne soit pas systmatique et que lge ne soit pas garant de la sagesse, le seul fait de poser ce genre de questions dans lisoloir permet de soulever raisonnable-ment la possibilit de labus de confiance.

    Bref, il serait important dtablir de nou-velles rgles entourant les bureaux de scrutins dans les rsidences de personnes ges tant donn que la ralit physique de lendroit et la clientle sont totalement diffrentes de celles normalement obser-ves dans les endroits de votation rguliers. Bien entendu, nous croyons quaugmenter le taux de participation aux lections est un objectif pour toute socit. Toutefois, cela ne doit pas se faire au dtriment de la mo-ralit entourant lexercice du droit de vote.

    La dmocratie nest pas seulement un concept o chacun inscrit un X dans une case. Cest une participation citoyenne la vie de la cit dans le but dviter la tyrannie, la corruption et de protger les droits indi-viduels. Voter nest donc pas faire un choix, mais plutt prendre une dcision. Dans ce cas, il est important que cette dernire soit rflchie, libre et claire. En ce sens, nous croyons quun taux de participation moins lev est plus souhaitable quun fort taux o certains ont exerc leur droit en proie labus de confiance et la fraude. Retirer les bureaux de vote dans les rsidences de personnes ges pour envoyer voter ces dernires dans les mmes lieux que tous les autres citoyens serait une solution dras-tique, certes, mais combien plus efficace.

    Dans un dsir dquit envers tous les lecteurs et par un raisonnement similaire, limplantation de bureaux de vote suppl-mentaires dans les cgeps et universits se-rait galement remettre en question.

    P O L I T I Q U E >>>Des vieux,

    De nombreux ans peuvent voter sans prsenter une carte didentit avec photo et ils sont dautant plus vulnrables des manuvres orchestres par des organisateurs politiques.

    http://www.radio-canada.ca/sujet/Elections-Montreal-2013/2013/10/15/005-conseil-aines-coalition-montreal-campagne-promesse.shtml

    des morts

    et des lections municipales

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  • 6 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    Juliano Rodriguez-D.

    Rcemment lu personnalit mdiatique de lanne au Canada, il va de soi que lon ne peut passer outre ce personnage haut en couleur dans cette premire dition 2014. Je vous propose donc un court portrait de lpope encore inacheve de Rob Ford.

    Les premiers battements du scandale ont lieu en mai 2013, alors que deux journali-stes du Toronto Star rapportent lexistence dune vido montrant le maire fumant du crack. Ce dernier avait alors tout ni. Puis, 6 mois plus tard, suite la confirmation par le chef de police de Toronto de la saisie de ladite vido, le maire organise un point de presse des plus surralistes. Il enchane une srie dexcuses et admet de manire maladroite et vasive avoir consomm du crack lors dune soire divresse avance (le fameux drunken stupor). Contre vents et mares et entendant tout prix rem-plir son devoir de maire envers les con-tribuables, il dcide de rester au pouvoir.

    Cette frasque, tout comme les nombreu-ses autres y ayant succd, peuvent porter rire. Son physique ingrat et son comporte-ment caricatural lont aussi aid devenir la coqueluche des mdias traditionnels et sociaux. Toutefois, derrire le voile du ridicule se cache bien videmment une at-teinte srieuse lintgrit et limage de Toronto.

    Pour se dfendre, Rob Ford, tente de dis-socier ses carts personnels de son travail comme premier magistrat de Toronto, ces erreurs ayant t commises lextrieur des heures de bureau. Bien que cet argu-ment, par son raisonnement simple (pour ne pas dire faible), ait convaincu une partie de llectorat, il reste nanmoins invalide. Le poste de maire est un poste temps plein, parce quune urgence municipale (catastrophe, attentat, etc.) peut arriver tout moment et parce que lintgrit in-dividuelle joue un rle central; en ce sens, la sphre personnelle a ncessairement des consquences sur la sphre profession-nelle.

    Par exemple, en 2012, suite une srie de fusillades dans sa ville, Rob Ford stait jur de faire la vie dure aux membres du crime organis et au trafic de stupfiants, notam-

    m e n t par des sen-tences plus fermes pour les contreve-nants. Cela ne la toutefois

    pas empch de consommer du crack alors quil tait maire. En utilisant un tel double discours auprs de la population, le maire vient entacher le principe dgalit devant la loi. Il est vrai quune enqute policire est toujours en cours et que le silence sur son dveloppement est totalement lgi-time afin de ne pas compromettre son suc-cs. Toutefois, le comportement du maire qui, par de simples excuses, croit pouvoir effacer le pass, conserver son poste et re-nouveler son mandat aux prochaines lec-tions, est condamnable. Il semble agir en toute impunit, bien que pour les mmes infractions ses propres citoyens reoivent des peines demprisonnement.

    Afin de conserver une image dintgrit, il est aussi de mise pour tout politicien de ne pas se placer en position vulnrable et dtre immunis toute forme de chan-tage ou dextorsion. Toutefois, en tranant avec le milieu interlope de sa ville, le maire sest plac en position prcaire ce sujet. En dcembre 2013, des documents prove-nant des autorits policires obtenus dans le cadre du projet Brazen ont dmontr que des gangsters planifiaient demander une ranon de 150 000$ au maire pour la vido. Ce quil y a dencore plus inquitant, cest que le maire, au lieu de contacter la police, aurait jou le jeu des extorqueurs en offrant 5 000$ et une voiture. Le fait quil ait entretenu le mensonge durant 6 mois sur lexistence de la vido le rend dautant plus suspect, bien que ce rapport nait pas encore force de chose juge.

    Que faire face cette situation?

    Suite aux aveux de M. Ford, la munici-palit tait dans une situation intenable alors que le maire senttait rester en poste malgr les pressions des conseillers et de ses proches. Le conseil de ville navait dautre choix que de retirer la majorit des pouvoirs du maire, sil voulait une sortie de crise rapide. Cest donc par une majorit crasante (36-6) quil a transfr les pou-voirs dcisionnels de la ville au dput-maire Norm Kelly. Cette action a dailleurs reu lappui de la majorit des Torontois (64%), selon un sondage Ipsos Reid publi le 18 dcembre 2013.

    La venue des lections municipales dans moins dun an rendait inutile les longs pro-cessus que sont la tenue force dlections

    o u lenqute

    judiciaire. De plus, le maire de Toronto ne peut tre destitu que sil sabsente trop souvent du conseil municipal ou sil est accus au criminel et emprisonn, ce qui nest pas (encore) le cas. Cette situation fait donc en sorte que M. Ford se retrouve maintenant ntre que le reprsentant de la ville, ce qui est ironiquement laspect de son travail quil a le plus dshonor.

    Ltrange histoire de Rob Ford

    Des voix se sont leves afin dobtenir une rforme de la loi municipale qui per-mettrait de destituer plus facilement le maire. Toutefois, avant dapporter des changements qui risqueraient de dstabi-liser le monde municipal, il faut raliser que le cas du maire Ford est trs singulier et quil ne risque pas de se rpter.

    Normalement, un chef politique a la sa-gesse de se retirer, temporairement ou de manire permanente, sil a perdu lappui de la totalit des lus et si des documents in-criminants existent contre lui.

    De plus, il est plutt rare de voir une per-sonnalit politique saccrocher au pouvoir alors que sa vie prive est tale sur la place publique et quelle devient la rise de tous plutt quune figure dautorit. Pensons lex-reprsentant dmocrate Anthony Weiner qui, surpris envoyer des photos sexuellement suggestives, dmissionna moins dun mois aprs les rvlations. Plus prs de nous, le cas du maire intrimaire de Laval, Alexandre Duplessis, le dmontre galement. Ce dernier navait pas attendu 24 heures avant de dmissionner alors que des allgations de sollicitation descorte et de travestisme pesaient contre lui. Pour sa part, Rob Ford na pas flanch malgr la notorit mondiale qua eue son scandale.

    Ford more years

    Comme on pouvait sy attendre, le maire sest dj empress de sinscrire comme candidat pour les lections du 27 octobre 2014. Ce qui sannonce dj comme un rFordrendum viendra clore le dbat sur la lgitimit du maire en donnant la parole tous.

    tonnamment, des lments indiquent que le maire a des chances dtre rlu. Se-lon le mme sondage Ipsos Reid, 39% des rsidents de Toronto seraient prts voter pour Rob Ford aux prochaines lections. Un vote divis permettrait M. Ford de se frayer une place la mairie avec autant de voix. Bien quils naient pas encore dclar officiellement leur candidature, deux per-

    sonnes pourraient crer cette division. Olivia Chow, dput fdrale du NPD et veuve de Jack Layton, a dj reu le soutien du principal adversaire de M. Ford aux lections de 2010, George Smi-therman. Plus droite, John Tory, ancien chef du Parti progressiste-conservateur de lOntario, reoit aussi de bons appuis dans les sondages. Dans le plus rcent sondage de The Forum Research, Tory obtient 22%, alors que M. Ford et Mme Chow reoivent respectivement 35% et 30%.

    La marque de commerce de M. Ford

    Je ne parle pas ici des figurines du maire qui ont attir les foules, mais bien de son message politique qui plat encore la majorit des citoyens (62% continuent dappuyer son agenda, selon Ipsos Reid) et qui formera probablement sa plateforme lectorale. Il est naturel que de faibles hausses des taxes accompagnes dune ges-tion serre du budget de la ville et dune lutte avec les syndicats charment une partie de llectorat. Il en va de mme de limage quil projette dtre contre lordre tabli et contre llite du centre de Toronto, dans une ville qui connat de fortes disparits sociales entre son centre et ses banlieues.

    Cette image se reflte bien par le franc-parler du maire et ses actions au conseil de ville. Par exemple, en 2012, il fut le seul conseiller voter contre six programmes de subventions la communaut et contre le financement par le gouvernement fdral dun projet de prvention du crime orga-nis. Cette dissidence lors des votes du conseil est devenue une tradition au fil de ses annes en politique et lui a valu la rpu-tation de Council contrarian (conseiller dis-sident). Bien quil soit gnralement avare de commentaires sur ses votes, ses explica-tions se rsument principalement au dsir davoir une municipalit qui intervient moins, donc qui dpense moins.

    Nanmoins, cette marque de commerce, bien que cre par M. Ford, pourrait faci-lement se voir approprie par un adver-saire durant la campagne lectorale. En effet, avec les scandales qui saccumulent, Rob Ford nuit davantage celle-ci (62% dappui pour son agenda contre 39% pour sa personne, selon Ipsos Reid). Les politiciens de droite au discours populiste ne forment pas non plus une espce en voie dextinction dans la jungle politique.

    Ainsi, il ne serait pas tonnant de voir la marque de commerce se dissocier de son porte-parole devenu un peu trop nuisible. Parlez-en Lance Armstrong! Except que ce ne sera pas la dcision de Nike, mais bien des citoyens de Toronto, le 27 octobre 2014. Si la police nintervient pas avant

    Sources:CBC News. 4 dcembre 2013. Rob Ford offered to buy

    crack video, surveillance reports suggest. In CBC News. En ligne. . Consult le 4 janvier 2014.

    CTV News. 18 dcembre 2014. Poll: 39% of Torontonians would still consider voting for Rob Ford. In CTV News. En ligne. Con-sult le 4 janvier 2014.

    CTV News. 8 janvier 2014. Ford's approval rating up 5 per cent after ice storm: poll. In CTV News. En ligne . Consult le 9 janvier 2014.

    P O L I T I Q U E >>>

    Le point sur

    Images:

    http://torontosavvy.files.wordpress.com/2013/05/cocaine6.jpghttp://www.gannett-cdn.com/-mm-/b831cc4a2f50c3f9e337a1fd0499de66d64a8adb/c%3D21-0-619-http://wpmedia.o.canada.com/2013/11/lapresse.jpg%3Fw%3D660

    Rob Ford

  • 7 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    Sandrine Corbeil, crivant pour une tudiante proccupe par l galit entre hommes et femmes au sein de notre profession

    Une jeune tudiante ma rcemment crit au lendemain dun 4@7 pour me faire part de ses proccupations quant au ratio hommes/femmes dans les grands cabinets, une proportion qui est loin de reflter le nombre sans cesse grandissant de femmes qui accdent la profession juridique.

    Les praticiens du droit qui connais-sent la loi et qui la reprsentent se doi-vent de montrer un bon exemple! me dit-elle. En effet. Je lui ai donc propos dcrire un article en lui expliquant que le Comit femmes et droit sert juste-ment de plateforme pour dbattre, mais aussi pour amener les gens r-flchir et remettre en question ltat des faits actuels.

    Je lui ai donc prt mon nom pour que cet article agisse comme porte-voix pour dire tout haut ce que bien des femmes pensent tout bas.

    Quelques rencontres dans les grands cabinets de Montral mont mene un constat et une question : on dnote une proportion plus importante dhommes que de femmes dans les grands cabinets et je minterroge sur la raison de cette disparit.

    Dans le rpertoire canadien des employ-eurs juridiques section Qubec 2012, on peut y lire que les grands bureaux em-ploient une majorit dhommes. titre dexemple, le cabinet Davies emploie 24 femmes pour 60 hommes, Fasken Marti-neau 49 femmes pour 125 hommes et Stikeman Elliott 64 femmes pour 100 hommes.

    Une question se pose: pourquoi une telle ingalit?

    Les employeurs considreraient-ils lhomme plus intelligent que la femme? Serait-il peru comme tant plus agressif, qualit ou dfaut psychologique qui peut tre utile dans le monde des affaires? Je ne le pense pas.

    Nous vivons dans une socit qui a pour valeur suprme la rentabilit, ce qui im-plique pour une entreprise lefficacit au travail, qui se traduit notam-ment en termes dinvestissement de temps. Il nest pas rare, en ef-fet, que dans les grands cabi-nets, les salaris travaillent prs de 12 heures par jour. Or, les femmes, travers la maternit et malgr toutes les conditions mises en place pour les gardes denfants, consacrent plus de temps en moyenne leur foyer que les hommes. Les employeurs sont conscients du fait quelles ne seront pas toujours en mesure de travailler ces 12 heures quotidiennes et, par consquent, elles sont dfavoriseslors de lembauche; elles reprsentent une main-duvre moins attrayante que les hommes pour un patron.

    En effet, en France par exemple, un son-dage CSA ralis pour la Alde (en fvrier 2009) indique que 43% des femmes avo-cates ont t clairement interroges sur leurs projets parentaux lors de lembauche.

    A-t-on dj vu un postulant homme tre interrog sur ses dsirs de paternit!

    Quen est-il des relations hommes-femmes au sein des grands cabinets?

    Je citerai un exemple qui ma t rapport concernant les comptitions sportives en-tre firmes. Il semble quentre quipes de cabinets davocats concurrents, sur le ter-rain de jeu dans lequel il ny a pas denjeu defficacit, les avocats peinent galement intgrer leurs collgues fminines dans les

    quipes. Pour-quoi?

    En rgle g-nrale, la dif-frence en termes de performance physique entre les hommes et les femmes est vi-dente, donc on peut comprendre que pour gagner, ces messieurs ne veulent pas de ces faibles femmes !

    Certes, le fait de sentraner gagner sur

    un terrain de jeu renforce la confiance en soi sur le terrain de la vie professionnelle, mais ne serait-il pas prfrable de favoriser les liens et la cohsion entre les diffren-tes personnes dune quipe, hommes ou femmes, dans lintrt du mieux vivre en-semble au travail. Cela sous- entend, bien entendu, de se prendre moins au sri-eux sur un terrain de sport!

    Quelles socits voulons-nous constru-ire?

    Peut-tre que le temps est venu de conce-

    voir la socit autrement.

    Parce que les hommes et les femmes sont biologiquement diffrents, lgalit juridique qui ne tient pas compte de cette diffrence est-elle vraiment justice?

    Dans notre histoire, les femmes se sont battues pour lgalit entre les deux sexes, mais cest notre gnration de se bat-tre pour faire voluer les mentalits, faire valoir la diffrence et la complmentarit entre les hommes et les femmes.

    Si lgalit pour les femmes consiste se comporter comme les hommes, ce nest pas juste! Les femmes ont le droit dtre pleinement des femmes cest--dire de porter leurs enfants et de sen occuper sans pour autant renoncer une carrire profes-sionnelle.

    mon sens, les employeurs doivent ac-cepter et intgrer quune femme mnera sa carrire diffremment dun homme. Ils doivent les employer pour leurs com-ptences uniquement et non comme ma-chines de productivit.

    Dans quelle mesure la socit base sur la rentabilit et lefficacit a-t-elle fait son temps? Les tudes montrent que lindividu arrive la limite de ce quil peut supporter, avec une augmentation considrable des burn out et dpressions.

    Faire une plus grande place la dimen-sion fminine dans les entreprises qui pr-nent lefficacit tout prix amne nces-sairement reconsidrer certaines valeurs socitales: ce ne serait plus la comptitivit tout crin mais la possibilit de ralisation de soi, du sujet, dans un quilibre qui ti-enne compte de toutes les dimensions hu-maines.

    Hommes et femmes, navons-nous pas tous, tout y gagner?

    S O C I T >>>Les grands cabinets de Montral peinent

    faire place la gente fminine

    Les employeurs doi-vent accepter et intgrer quune femme mnera sa carrire diffremment dun homme. Ils doivent les employer pour leurs comptences unique-ment et non comme ma-chines de productivit.

  • 8 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    www.rsslex.com/page-etudiants

    RSS, le cabinet le plus indpendant de Montral, est la recherche de candidats hors du commun

  • 9 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    Eve Laoun Directrice artistique

    Le 9 fvrier prochain, les Suisses seront appels au scrutin national afin de se po-sitionner sur linitiative populaire Contre limmigration de masse lance par le parti de lUnion dmocratique du centre (UDC) en fvrier 2012. Visant rintroduire des plafonds annuels pour ladmission des trangers en Suisse, frontaliers et re-qurants dasile compris, cette initiative aurait pour effet de modifier la politique dimmigration actuelle. Sa raison dtre selon lUDC? Limmigration incontrle daujourdhui menace notre libert, notre scurit, le plein emploi, la beaut de nos paysages et en fin de compte notre pros-prit.1

    Un OUI cette initiative pourrait toute-fois avoir des consquences dsastreuses, et ce, tant pour limage de la Suisse au niveau international que pour laccs des Suisses au march intrieur europen.

    En plus de mettre en pril certains en-gagements internationaux (Convention relative au statut des rfugis, Convention relative aux droits de lenfant, etc.), cette initiative compromettrait grandement la continuation des multiples ententes sectorielles que la Suisse a conclues avec lUnion europenne et qui dpendent du respect de lAccord concernant la libre cir-culation des personnes (ALCP). Comme ne cessent de le marteler les partis suisses opposs cette initiative, le rtablissement de plafonds et le contrle de laccs aux emplois suisses pour les ressortissants eu-ropens amneraient la dnonciation de lALCP par la Commission europenne. Cette dernire a dj rpondu que la libre circulation ntait pas (re)ngociable tant donn quelle fait partie de lune des li-berts fondamentales sur lesquelles sdifie lUnion europenne.

    Consquence : cela marquerait la fin de la libre circulation des Suisses sur le ter-ritoire des tats parties laccord, inclu-ant notamment la reconnaisse mutuelle des diplmes ou la coordination des sys-tmes de scurit sociale, ainsi que la fin dententes cruciales pour lconomie suisse (Accord relatif aux changes de produits agricoles, Accord sur le transport arien, Accord concernant les marchs publics, etc.).

    Le 9 fvrier prochain, les Suisses seront donc appels faire un choix lourd de con-squences pour lavenir dun pays, certes

    prospre, mais enclav par une Europe dont il dpend dans une certaine mesure.

    Or, cest sur la nature de ce choix quil est pertinent de porter une rflexion.

    Expression parfaite de lusage dun des instruments de la dmocratie directe, ce droit linitiative populaire devrait tre un modle de lgitimit des dcisions poli-

    tiques. Idalement, il devrait permettre au citoyen de participer activement et directe-ment la vie politique de son pays. Cu-rieusement, ce nest pas ce qui se passe.

    En Suisse, en moyenne, 40% du corps lectoral participe aux lections et aux vo-tations, ce qui est infrieur la moyenne europenne2. De mme, plusieurs tudes dmontrent quen moyenne, seulement le quart des citoyens saisit la signification centrale dun projet de loi et que parmi ceux qui ont vot, 20% dentre eux igno-rent compltement ce sur quoi leur vote a port3. On retrouve donc pour rsultat aux votes lexpression peu rflchie dune classe moyenne partage et la mise lcart des opinions de la majorit silencieuse.

    Dans un contexte comme celui de linitiative Contre limmigration de masse , ces chiffres sont alarmants. Plus qualarmants, ils viennent dmontrer que le rel exercice du pouvoir ne se fait pas par le peuple, au point damener faire retourner dans leur tombe les tymolo-gistes du mot dmocratie . Premire limite lidal participatif : le systme tel quil est aujourdhui nest donc pas du tout

    lillustration dune relle implication citoy-enne dans les processus dcisionnels.

    La majeure partie des initiatives populai-res ne provient dailleurs pas dindividus mais bien de partis politiques. Durant les dernires annes, presque toutes les ini-tiatives populaires relies limmigration ont t dposes par le parti de droite de lUDC. Les campagnes politiques, au lieu de proposer un vritable dbat populaire sur la gestion de limmigration, ont plutt fait ressortir des thmes nationalistes et x-nophobes et permis des affrontements poli-tiques entre diffrents groupes dinfluence. Linitiative Contre limmigration de masse nchappe pas la rgle. Une fois de plus, on assiste une campagne dma-gogique jouant tant avec les peurs quavec les fierts du bon Suisse traditionnel souci-eux de prserver sa terre. Le tout avec, pour carte principale, lexacerbation dune peur dtre littralement englouti par ltranger.

    Sur les affiches conues par lUDC, la Suisse est prsente comme un jardin dden menac par leffritement de ses frontires. Le dpliant informatif du parti, quant lui, renseigne le lecteur sur les con-squences de limmigration : bouchons de plus en plus nombreux sur les routes, bus et trains bonds. En arrivant tard le

    soir une gare, on se demande si on est en-core en Suisse et de plus en plus de gens ne se sentent plus en scurit dans leur propre pays. [] Toutes les 8 minutes, un cam-briolage est commis quelque part et 70% des malfaiteurs arrts sont des trangers. Notre pays est plein craquer. Deuxime limite : les instruments de la dmocratie suisse servent des intrts partisans et ren-forcent certains clivages sociaux et poli-tiques.

    Paralllement tout cela, le Conseil f-dral, lorgane excutif fdral, simmisce directement dans la dmarche participa-tive cause de son pouvoir de recomman-dation. Cest ainsi quen dcembre 2012, le Conseil fdral rdigeait lintention des chambres lgislatives un document dune cinquantaine de pages leur deman-dant de soumettre au peuple linitiative Contre limmigration de masse et de recommander la population le rejet de cette initiative. Pour certains, ce pouvoir

    est peru comme ncessaire car il permet de temprer les passions animant la scne politique. Dans le contexte si fragile de la prsente initiative, les frquentes interven-tions du Conseil fdral tant vis--vis des chambres lgislatives que dans larne m-diatique reprsentent toutefois un moyen subtil dorienter lopinion populaire vers le respect des impratifs politiques du pays.

    Ce faisant, lexcutif politique sest claire-ment appropri une part du processus de participation et a dplac le dbat entre les mains de ladministration. Le problme, cest que la plateforme de rflexion nest plus populaire; elle est dsormais contrle par les acteurs politiques qui en fixent galement les limites et qui faonnent ain-si, dune certaine manire, les rsultats du vote. Troisime limite: il sopre une exclu-sion des profanes du jeu politique cause de lappropriation par les diffrentes forces politiques de la dmarche participative.

    Toutes choses considres, la Suisse, pre-mier pays instaurer le principe dinitiative populaire permettant daller jusqu amender sa constitution, est-elle un modle de russite en ce qui a trait la lgitimit de ses dcisions politiques? Si cette lgiti-mit repose sur lexercice du pouvoir par le peuple, pour le peuple, alors il est grand temps de sortir de lillusion que cest par limplantation de structures participatives que lon y arrive. Lexprience helvtique dmontre au contraire que ces structures, au lieu dtre un moteur dexercice de la ci-toyennet, se retrouvent trs souvent tre institutionnalises et instrumentalises par des groupes dintrts dominants. On as-siste alors clairement aux limites dun sys-tme. Un systme qui donne au peuple un pouvoir norme en matire dcisionnelle accompagn de consquences tout aussi normes - mais qui entretient une logique dexclusion du citoyen ordinaire dun rel processus de rflexion, ce qui lempche de se positionner avec justesse.

    Loin dtre un prche contre la dmocra-tie participative, cet article se veut plutt une rflexion sur les conditions ncessaires une relle appropriation citoyenne de ces structures. Conditions qui demandent de tenir compte des rapports de pouvoir in-hrents toute interaction sociale

    Srouces:1. Argumentaire de linitiative populaire Contre

    limmigration de masse. www.immigration-massive.ch

    2.Maire-Hlne BACQU, La dmocratie par-ticipative, un nouveau paradigme de laction pub-lique?, (2005) La Dcouverte | Recherches. 9-46

    3. Bernard VOUTAT, propos dela dmocratie directe. Lexprience helvtique , La Dcouverte | Recherches. 196-216

    I N T E R N A T I O N A L >>>SUISSE

    http://www.christinameissner.com/wpsite/wp-content/uploads/2013/12/F12Mass-eneinwanderung-SVP-f.jpg

    Initiative populaire Contre limmigration de masse:

    A-t-on atteint les limites de la dmocratie directe?

    Au cours des cinquante dernires annes, plus de 200 rfrendums et pas loin de 100 initiatives populai-res ont eu lieu au niveau fdral en Suisse. Ceux-ci portaient sur des objets varis, allant du port obliga-toire de la ceinture de scurit en voiture labolition de larme, de lintroduction de lheure dt ladhsion lONU ou au FMI, sans oublier la question rcurrente de la limitation de limmigration (2000, 2002, 2004, 2010 et 2012).

    Le problme, cest que la plateforme de rflexion nest plus populaire; elle est dsormais contrle

    par les acteurs politiques qui en fixent galement les limites et qui faonnent ainsi, dune certaine manire, les rsultats du vote.

  • 10 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    I N T E R N A T I O N A L >>>

    Timoth Matte-Bergeron Gestionnaire du contenu web

    La Centrafrique, qui fut successivement colonie dans lensemble de lAfrique-qua-toriale franaise, rpublique indpendante, empire (!), puis rpublique de nouveau dans les faits, ce fut presque constamment une dictature camouflant son nom abon-ne aux coups dtat et linstabilit poli-tique, est parmi les pays les plus pauvres du monde. Les conditions prcaires dans lesquelles la population civile centrafri-caine vivait dj se sont aggraves avec les conflits arms qui ont succd au coup dtat orchestr par un groupe de rebelles les Slka et la situation a dgnr en ce que plusieurs nhsitent pas qualifier de guerre civile, la troisime en moins de 10 ans, entranant une vritable crise hu-manitaire. On craint que cette guerre, son tour, ne se trans-forme en gnocide. Cest principalement cette crainte qui a amen le gouverne-ment franais in-tervenir.

    Fait intressant : lintervention fran-aise, relativement modre 1600 soldats seulement sont prsentement dploys, en atten-dant que le relais soit pris le plus rapide-ment possible par des forces africaines1 , repose sur le droit international et le consentement du pays concern2, ce qui contraste fortement, par exemple, avec les prcdentes interventions occidentales en Irak en 2003 et en Afghanistan en 2001. Lopration Serval, au Mali, qui est en cours depuis le 11 janvier 2013, est similaire sur ces points avec lopration Sangaris.

    Certains, cyniques ou ralistes? , r-torquent que, bien que lintervention en Centrafrique se fasse dans les rgles , elle nest pas dsintresse. Elle sinscrirait dans cette politique nocoloniale tis-se de liens complexes mais serrs entre la France et ses ex-colonies que plusieurs appellent la Franafrique, alors que la France chercherait maintenir une influ-ence conomique et politique de plus en plus dclinante dans une partie du monde quelle considrerait comme sa chasse garde. Cette mme critique a t adresse lintervention au Mali. Il nen reste cependant pas moins, comme la dit le prsident franais Franois Hollande, que ne pas intervenir, ctait rester

    les bras ballants compter les morts, ce pays o il ny a plus ni tat, ni adminis-tration, ni autorit quest la Rpublique centrafricaine ne pouvant rgler seul la situation intenable dans laquelle il se trouve3. Et la France, non seule-ment ex-puissance coloniale, mais aussi acteur dimportance depuis lindpendance, a beaucoup se faire pardonner en Centrafrique, dont [elle] a tour tour adul et renvers les rgimes successifs4.

    Paris avait-il, ainsi, le devoir dintervenir dans ce pays dont ltat failli est la consquence dune multitude de causes suite de chefs incapables et de boule-versements politiques, corruption gnralise, pauvret endmique, cycles de violence qui, nu-mres, permettent de constater quil y a certainement plus dun responsable de cet tat de fait? Mais au fond, un des principaux respon-

    sables nest-il pas, dans une certaine mesure au moins, lex-puissance coloniale, et plus largement les pays occidentaux et les institutions internatio-nales par eux diriges?

    En effet, il est aujourdhui difficile de nier les effets du colonialisme sur la majeure partie des pays africains, un

    colonialisme qui a laiss des tats dans un tat exsangue, faibles conomiquement et souvent politiquement, aux structures lches et aux fron-tires artificielles car cres dans un souci souvent pure-

    ment administratif, sources de nombreux problmes internes.

    Un colonialisme qui se continue de nos jours de manire plus subtile : les princi-pales puissances conomiques mondiales, autant directement que par lintermdiaire dorganismes tels le FMI et la Banque mondiale, encouragent souvent, volon-tairement ou non, le mme schme conomique colonie/mtropole, mainte-nant pays en dveloppement/pays dvelop-p, qui profite plutt au second quau pre-mier. Il ne faut pas oublier de parler aussi des appuis politiques occidentaux passs la France nest pas en reste cet gard, en particulier vis--vis de la Centrafrique des rgimes dictatoriaux ou des rbel-lions, voire des coups dtat, lorsque leurs intrts lexigeaient

    La responsabilit de certains tats, prin-cipalement occidentaux, entrane donc la question du droit dingrence ou plutt, du devoir dingrence , qui prend ici toute sa pertinence, autant du point de vue poli-

    tique et moral que du point de vue lgal. Lintervention militaire franaise, dont le but est de rgler un conflit interne ayant lieu dans un autre tat souverain, peut-elle se justifier, surtout au vu du principe fondamental de non-ingrence dun tat dans les affaires dun autre tat principe dont limportance est fort comprhensible, particulirement pour les petits tats qui le voient comme une protection contre les possibles interventions unilatrales et int-resses dtats plus puissants?

    Enfin, et surtout, il est facile dimaginer une situation relativement semblable celle de la Rpublique centrafricaine, mais dont la solution ne pourrait pas passer par une intervention militaire licite en droit international. Effectivement, la confor-mit dune intervention militaire au droit international peut tre rendue extrme-ment difficile, voire impossible, en raison du processus onusien actuel, qui ncessite absolument lapprobation des cinq mem-bres permanents du Conseil de scurit la France, le Royaume-Uni, les tats-Unis, la Russie et la Chine , qui peuvent user de leur droit de veto.

    Une autre question fort pertinente se pose alors : les interventions militaires dordre humanitaire gagneraient-elles tre facilites? Selon le gouvernement franais, oui. Cest en tout cas le point de vue du prsident Hollande, qui a prsent le 24 septembre dernier, dans une allocu-tion lAssemble gnrale des Nations Unies, un projet de Code de conduite rgissant lutilisation du droit de veto. La proposition, faisant suite limpuissance dplore de la communaut internationale

    vis--vis des vnements malheureux de la Syrie, ferait en sorte, si elle tait adop-te, que lorsque le Conseil de scurit aurait se prononcer sur une situation de crime de masse, les membres permanents

    sengageraient suspendre leur droit de veto5.

    Dans un monde o les conflits intra-tatiques prennent le pas sur les guerres de type conven-tionnel entre tats, la prise en compte du droit dingrence devi-ent de plus en plus ncessaire. Les tats atteints par ces conflits, qui font le plus souvent leurs victimes parmi la population civile, ne sont pas toujours en mesure dy mettre fin. La communaut internatio-nale ne peut rester sans raction devant de telles situations: ny a-t-il pas dans certains cas un devoir dassistance qui simpose elle? Les moyens privilgier resteront

    bien sr toujours la ngociation et la m-diation, ainsi que les sanctions non mili-taires. Mais elles ne rgleront pas toujours tout. Sans parler du fait quil y a parfois urgence dagir; la Centrafrique en est un bon exemple.

    Bien quil soit toujours difficile de dpar-tager intervention intresse et dsintres-se la premire tant assurment plus frquente que la dernire , une chose ne changera pas, peu importe les motifs de lintervention : la dtresse de la population secourir. Lopration Sangaris sest pour de bon pose sur le sol centrafricain. Si le papillon ne semble obir aucune logique quand il se pose, osons croire que ce ne soit pas le cas de lopration franaise : de sa russite dpend non seulement un grand nombre de vies humaines, mais aussi, jusqu un certain point, la continuit du dveloppement linternational dun prin-cipe le droit, ou devoir, dingrence que le monde verra peut-tre de plus en plus invoqu dans les prochaines annes que ce soit une bonne chose ou non.

    Sources: 1. Giovanna CIPRIANI, http://www.courrierinternational.

    com/article/2014/01/08/les-machettes-de-la-terreur. 2. Michel CARIOU, Patrick FORT, AFP, http://www.la-

    presse.ca/international/afrique/201312/11/01-4720044-la-tension-retombe-subitement-a-bangui.php.

    3. Simon TISDALL, http://www.courrierinterna-tional.com/article/2013/12/17/hollande-precurseur-en-afrique?page=all.

    4. Michel CARIOU, Patrick FORT, prc., note 2. 5. Philippe LEYMARIE, http://blog.mondediplo.

    net/2013-12-04-Gendarme-ou-pompier-en-Centrafrique. 6. Tir dune dclaration de Laurent Fabius, ministre fran-

    ais des Affaires trangres, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/onu/evenements-et-actualites-lies-aux/actualites-21429/article/suspendre-le-droit-de-veto-en-cas, et voir aussi ce texte dAlexandra Belloy-Poudrette, publi dans ldition doctobre du Pigeon Dissident : Conseil de scurit : entrer dans la modernit, http://www.pigeondissident.com/international/droit-de-veto/.

    Sangaris : le papillon de lingrence

    http://www.lejdc.fr/photoSRC/W1ZTJ1FdUTgIBhVOGwYSHgYNQDUVGFdfVV9F-WkM-/soldats-francais-de-l-operation-sangaris-le-4-janvier-a-bang_1417016.jpeg

    http://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/operations/logo-et-photo-d-appel-par-defaut/logo-operation-sangaris/2546227-1-fre-FR/logo-operation-sangaris.png

    http://www.lepoint.fr/images/2013/10/15/sipa-france-centrafrique-afrique-hollande-seleka-r-2032006-jpg_1799452.JPG

    (Suite de la une)

  • 11 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    J U R I D I Q U E >>>

    Sara Bouhlal, Christine Dakhil, Mia Henripin et Judith Lemieux

    Ren Foliot, clbre avocat franais, a une fois dit : Lhomme le plus honnte, le plus respect, peut tre un jour victime de la justice. Vous tes bon pre, bon poux, peu importe. Quelle fatalit pourrait un jour vous faire passer pour un malhon-nte homme, voire un criminel? Cette fatalit existe, elle porte un nom : lerreur judiciaire. 1 Lerreur judiciaire est un ph-nomne sous-estim qui nest souvent d-couvert quaprs que le coupable disculp et pass de nombreuses annes en prison. Par la gravit de ces consquences, il est donc important de prendre connaissance du sujet quest lerreur judiciaire afin de sassurer que le moins dinnocents possible ne soient accuss tort.

    La dfinition de lerreur judiciaire ne se trouve dans aucun code. Il faut donc se r-frer aux dictionnaires de la langue fran-aise. Ainsi, selon le Trsor de la langue franaise, lerreur judiciaire est une condamnation pnale prononce tort2. Cette erreur est commise pour diverses raisons. En effet, elle peut tre cause par des preuves souilles, par une mauvaise identification du coupable par les tmoins, par des ngociations qui motivent les in-nocents plaider coupable, etc. galement, la dfinition dune erreur judiciaire, parce quvoluant en mme temps que notre systme de justice, est sujette interprta-tion: ce qui constituait une erreur judici-aire hier ne le sera plus demain, tout comme chaque individu a une conception personnelle de ce quest une erreur judiciaire.

    Peu importe la ou les raisons, il reste que la principale con-squence de cette erreur est lemprisonnement dun inno-cent accus tort. Cet empris-onnement amne lui seul ses lots de problmes tels que la privation de libert, des conflits familiaux ainsi que la perte dun emploi. Mme le systme judiciaire se trouve affect par lerreur judici-aire puisque, suite la dcouverte dune telle erreur, le public perd confiance en ce mme systme3. Au Canada, plusieurs innocents, tels David Milgaard et Guy Paul Morin, ont t emprisonns pour des crimes quils navaient pas commis.

    En 1969 en Saskatchewan, une jeune femme est retrouve sans vie dans une al-le, ayant t viole puis assassine. David Milgaard, g de 17 ans lpoque, est jug coupable et condamn la prison per-ptuit. Sa famille rclame plusieurs re-prises que lon procde une enqute plus

    approfondie et que lon entende la cause nouveau, ce que la Cour dappel refuse. On la souponne dailleurs de vouloir viter un scandale mdiatique autour de la po-tentielle erreur judiciaire. Milgaard passera 23 ans derrire les barreaux avant que fi-nalement, un test dADN prouve son in-nocence et incrimine plutt Larry Fisher, un agresseur de femmes connu du public Saskatoon. Enfin blanchi, Milgaard reoit des excuses publiques ainsi que 10 millions de dollars en guise de dommages-intrts de la part du gouvernement de la province qui la condamn tort4. Cette erreur ju-diciaire aura cot Milgaard presque 30 ans de sa vie.

    Une autre erreur judiciaire connue est celle qui a, pendant des annes, affect Guy Paul Morin. Aprs avoir t pra-lablement acquitt en 1986 du meurtre de sa jeune voisine Christine Jessop, une fil-lette de neuf ans, il sera par la suite reconnu coupable de meurtre au premier degr lors dun procs devant jury en 1992. Son juge-ment initial dacquittement a t renvers en raison de deux lments. Tout dabord, un cheveu et des fibres ont t retrouvs sur le corps de la victime. Ensuite, il y a galement eu le tmoignage de deux d-tenus qui affirmaient que Morin leur avait avou son crime. Ces deux lments ont mis en pril linnocence de Morin. Toute-fois, une commission et par la suite lieu, dmontrant de graves erreurs au niveau de ces mmes preuves. Effectivement, un test dADN a rvl que le cheveu qui avait t retrouv sur le corps de la victime ntait pas celui de Morin. De plus, il a par la suite t dmontr que les tmoignages des d-

    tenus ntaient pas vritables; en effet, ces derniers avaient t faits par deux menteurs pathologiques qui cherchaient obtenir des privilges en tant que dtenus5. Cette affaire nous rappelle quel point il est im-portant de sassurer, entre autres choses, de la validit des lments de preuve.

    En conclusion, lerreur judiciaire sera probablement toujours prsente dans notre systme de justice. En tant que ju-

    ristes, nous devons donc tre particulire-ment alertes afin de les viter, car, aprs tout, un des droits les plus importants dun inculp nest-il pas la prsomption dinnocence? Cest lune des raisons pour lesquelles quelques organisations ont vu le jour un peu partout dans le monde afin de sensibiliser le public sur ce sujet. Ici

    mme, le regroupement Projet In-nocence Montral est constitu dtudiants inscrits dans les pro-grammes de droit ou de crimi-nologie lUniversit de Montral et qui sintressent spcifiquement la problmatique des erreurs ju-diciaires.

    Ensemble, ils enrichissent leurs connaissances juridiques sur le su-jet en simpliquant dans diverses activits et cherchent sensibil-iser les autres tudiants par le fait mme. Ainsi, pendant lanne scolaire, ils investissent temps et nergie afin de prparer des vne-ments pour leurs pairs: des visites la Cour dappel et la Cour su-prme ainsi que des confrences,

    pour ne nommer que cela, sont tous des exemples des activits que le regroupe-ment offre la communaut tudiante afin de linformer sur le sujet mconnu que sont les erreurs judiciaires. Nhsitez donc pas communiquer avec nous si le sujet vous interpelle.

    Texte produit dans le cadre des activits du regroupement Projet Innocence Mon-tral (UdeM).

    Pour de plus amples renseignements sur le regroupement ou encore sur nos ac-tivits, vous pouvez consulter notre page Facebook : https://www.facebook.com/RprojetinnocenceM ou nous crire au [email protected].

    Sources:

    1. Ren FLORIOT, Les erreurs judiciaires, Paris, Flammarion, 1968, page 5.

    2. Jacques VERGS, Les erreurs judiciaires, Paris, Qui suis-je, 2002, page 2.

    3. Association des juristes dexpression franaise de lOntario, Les erreurs judiciaires, [http://www.cliquezjustice.ca/enseignants-categorie-list/540-les-erreurs-judiciaires], (page consulte le 4 janvier 2014).

    4. David Milgaard : la justice coupable dans Archive de Radio-Canada, [http://archives.radio-canada.ca/societe/criminalite_justice/dossiers/719/], (page consulte le 3 janvier 2014).

    5. Yanick LARAME, Lerreur judiciaire: une d-monstration difficile, [https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/2353/11592229.PDF;jsessionid=81DCD878CBCFDB64C5D3A8F55F41EE74?sequence=1], (page consulte le 4 jan-vier 2014).

    Lerreur judiciaire

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  • 12 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    J U R I D I Q U E >>>

    Christopher Chartrand Stare decisis non quieta movere: Une fois

    dit, jamais ainsi?La rgle du prcdent ou le stare deci-

    sis ( let the decision stand ) est souvent dpeinte comme une rgle ancestrale, immmoriale et indiscutable. Elle est, en quelque sorte, le fil conducteur de la com-mon law moderne3. Nanmoins, cela ne fut pastoujours le cas, bien au contraire.

    Au moment o les souverains anglais assignrent aux XIIe et XIIIe sicles des magistrats itinrants dans le but de d-couvrir la coutume commune de tous les sujets du royaume, le stare decisis avait une importance trs secondaire4.

    En effet, les juges dcouvreurs du droit avaient pour mission premire de rendre justice dans des circonstances factuelles, et ce, en ne se sentant lis que par les princi-pes transcendants de la coutume, et non pas par les prcdents dj rendus par dautres5. Aux dires des juristes de lpoque, forte-ment influencs par lide du jusnatural-isme, les prcdents ntaient, aprs tout, que de simples manifestations du droit et des interprtations humaines (parmi tant dautres) des Principes Inhrents de Justice qui traversent les jugements dans le temps6.

    videmment, avec larrive ventuelle des rapports judiciaires, des motifs rdi-gs, des procdures crites, des tribunaux centraux , de la nomination de juges avec une formation juridique (!), et par le dveloppement des sciences empiriques et du positivisme, on considra le stare decisis comme une vritable obligation morale7. Ensuite, alors que toutes les sciences et industries connaissaient un fervent essor, les acteurs du droit dcidrent de prioriser les notions de stabilit, prvisibilit, quit et cohrence8. Dans une srie de dcisions du XIXe sicle, les hautes cours anglaises rehaussrent la rgle du prcdent au titre de principe de justice9. Subsquemment, au Conseil Priv, lminent Lord Camp-bell solidifia ce resserrement jurispruden-tiel et, dans plusieurs arrts majeurs, il fut dict que le respect du stare decisis ne se-rait prsent rien de moins quune norme dordre constitutionnel10!

    De lautre ct de lAtlantique main-tenant, dans le dominion canadien, ces changements furent reflts aussi dans nos dcisions nationales. Les cours dappel et la Cour suprme favorisrent une loyal adherence la doctrine stricte du stare de-cisis11. Depuis et encore aujourdhui, la ju-risprudence rappelle souvent aux tribunaux infrieurs leur devoir de suivre sans hsita-tion les arrts des plus hautes instances, et ce, sous peine dtre casss rptition12 ou taxs derrer en droit13.

    Nanmoins, il doit tre dit quil existe, thoriquement, en common law, quelques circonstances o un tribunal infrieur peut droger la rgle du prcdent. Ces circonstances sont le cas dune dcision manifestement archaque; le cas o le d-

    cideur a mal interprt une autorit; le cas o la dcision a t rendue per incuriam; et finalement le cas o la dcision se trouve tre une erreur manifeste qui entrave la justice14.

    Ceci dit, il est inutile de mentionner que ces cas ne se prsentrent que de rares fois et quils nbranlrent aucunement la rgle du prcdent et la tradition britan-nique. prsent toutefois, quen est-il suite lavnement de la Charte canadienne des droits et liberts?

    Drogeant notre hritage qui repose sur les concepts de suprmatie parlementaire et de constitutionnalisme souple, nous avons intgr un document enchssant des droits fondamentaux intemporels et inali-nables, des droits qui volueront selon le pouls de la socit et qui seront protgs par le pouvoir de contrle de la branche ju-diciaire. Depuis 1982, en vertu de la doc-trine dinterprtation du living tree, les tribunaux ont donn une approche large, gnreuse et volutive aux droits qui ont t noncs dans la Charte canadienne15.

    Nanmoins, on peut se demander quel point la logique dinterprtation volutive est rconciliable avec le proverbial prcepte du stare decisis. Lide de ne pas altrer ce qui a t prcdemment dcid nest-elle pas contraire lessence mme dune in-terprtation large, gnreuse et volutive? Est-il possible de garantir un sens contem-porain aux droits enchsss sans, par le fait mme, revenir sur des prcdents qui ont fini par faire leur temps?

    Bedford : rgle du prcdent ou arbre vi-vant? Aux paragraphes 43 et 44 de larrt Bed-

    ford, la Cour suprme rpond la question et reconnat que: la rgle du stare decisis propre la common law est subordonne la Constitution et ne saurait avoir pour effet dobliger un tribunal valider une loi in-constitutionnelle.16 Le juge a lobligation de contrler une loi qui heurte notre texte fondamental, et ce, peu importe ce qui a t crit par le pass et peu importe l instance!

    Bien sr, avant de faire une crise dhystrie, il faut mentionner que la Cour limite cette puissante facult deux situations prcises soit (A) un rexamen face la prsence dune nouvelle question de droit ou (B) une modification importante de la situa-tion ou de la preuve17. Pourtant, il demeure que ces deux options permettent une plus grande marge de manuvre quon pourrait le croire.

    Dabord, tel que soulign dans Bedford, plusieurs changements peuvent amener un tribunal constater la prsence dune nouvelle question de droit . Par exem-ple, par rapport larticle 7 de la Charte, puisque depuis les vingt dernires annes, les principes de justice fondamentale ont grandement volu ou ont t moduls, une dcision rendue par le pass nest plus ncessairement actuelle en termes du droit applicable18. Autrement dit, des nouveau-ts dans la jurisprudence, ou lapparition

    de nouveaux tests ou principes peuvent justifier la rvaluation dun litige consti-tutionnel par un juge de premire instance. Dailleurs, on pourrait spculer quil en est ainsi pour le droit lgalit ou toute autre disposition de la Charte qui connat elle aussi des mutations rcurrentes dans son interprtation.

    Similairement, tant donn le rythme rapide dvolution des murs, des opinions et des pratiques, leffervescence des innova-tions techniques et scientifiques ainsi que les transformations constantes ayant lieu dans les juridictions trangres compara-bles, une modification importante de la preuve ou de la situation nest pas nces-sairement chose rare.

    En fait, et sortant de lordre du thorique, ces deux possibilits (la nouvelle question de droit et la modification de la situation) furent justement utilises par des juges de premire instance dans les dernires an-nes. En juin 2012, la juge Smith de la Colombie-Britannique dcida dans Carter v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 886 de traiter nouveau de la criminalisa-tion du suicide assist, et ce, en dpit du clbre prcdent Rodriguez de la Cour suprme19. De mme, malgr le Renvoi sur la prostitution20, en septembre 2010, la juge Himel choisit de renverser le stare decisis et de rvaluer la question des articles193et 195.1(1) c) du Code criminel.

    Ces deux admirables magistrates, fidles leur devoir, et dans lintrt des droits les plus essentiels, rompirent avec la tradition et remirent de lavant de controverss, mais importants, sujets de socit. Il y a trois se-maines, comme nous le savons prsent, la Cour suprme donnait raison lune dentre elles, tout en avalisant le sens de linitiative de la seconde.

    une poque o les droits fondamentaux occupent enfin une place capitale, tran-scendante et indlogeable, larrt Bedford vient sanctionner une nouvelle pratique judiciaire, refltant la nouvelle ralit ju-ridique du paysage constitutionnel cana-dien.

    Afin de pleinement donner effet aux droits que protge notre texte fondamental, et afin que la justice puisse tenir compte des courants de la socit vis--vis lvolution de ces droits, les groupes, minorits et in-dividus lss doivent pouvoir renverser un prcdent dsuet et cela passera invitable-ment par la courageuse plume dun juge de premire instance.

    Dornavant, en se basant sur des tudes, rapports, publications, sur le droit com-par, sur des tmoignages dexperts, sur des statistiques et sur des autorits nationales et internationales, le juge sera port jouer un rle darbitre socital, de modrateur du droit, en sassurant ainsi que ce dernier re-flte toujours lesprit inclusif et tolrant de notre nation.

    Grce linitiative de juristes comme les juges Himel et Smith, et par les rcen-

    tes conclusions de la Cour suprme dans larrt Bedford, larbre vivant redouble de vivacit, permettant ds lors une inter-relation constante entre les justiciables et la jurisprudence touchant leur Constitu-tion. Ce qui sera dcid une fois, une poque particulire, naura plus avoir une inquitante connotation de perptuit. La certitude et la constance ne seront plus des obstacles au progrs et la justice!

    Nous nen sommes qu un premier exem-ple, bien sr, mais les autres ne tarderont sans doute point suivre. ( Jose croire que nous pouvons nous permettre de demeu-rer fbriles!) Quel sera alors le prochain revirement jurisprudentiel en matire de Charte? Leuthanasie? La correction phy-sique des enfants? Les mres porteuses? Et surtout, quelles seront les consquences de ces dcisions? Criera-t-on lactivisme judiciaire ou saluera-t-on la mission in-novatrice et socialement attentive des magistrats? Il est encore trop tt pour le dire... En consquence, je propose, en cette nouvelle anne, de mditer sur ladmirable acharnement de la dominatrice mainte-nant la plus connue dun ocan lautre. Pour citer W.E. Hickson, voici une leon que Terri Bedford nous aura tous apprise pour lanne 2014:

    Tis a lesson you should heed; Try, try, try again. If at first you dont succeed, Try, try, try again

    ----Bonne anne tous! Bon courage, gardez toujours espoir et joyeuse session!

    N.B.- Ce texte ne porte essentiellement que sur le stare decisis dit vertical (hirar-chique). Le stare decisis horizontal (tribunal de mme niveau) a connu une histoire et des rgles dapplication relativement diffrentes et moins tonnantes en termes de revire-ment jurisprudentiel.

    Sources: 1. Renvoi relatif lart.193 et lal.195.1(1)c) duCode

    criminel(Man.), [1990] 1 R.C.S. 11232. Bedford CSC, para. 42-45. 3. Christian B. Hyde, Le prcdent : De force morale

    mthode administrative, (1992) 24 Ottawa L. Rev., p. 467-68.

    4. Laurence GOLDSTEIN, Precedent in English Law, Oxford, Clarendon Press,1987, p. 36.

    5. Id, p. 38. 6. Neil DUXBURY, The Nature and Authority of Prec-

    edent, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 12. 7. C.B. HYDE, prc., 470. , Perry v. Whitehead (1801) 6

    Ves. Jun. 544, GOLDSTEIN, prc., 36 8. Voir note 3. 9. Isabelle RORIVE, Revirement de jurisprudence :tude

    de droit anglais et de droit belge, Bruxelles, dition Bruylant : Collection de la Facult de droit de lUniversit Libre de Bruxelles, 2003, Garland v Carlisle (1833) 2 C.M. 31, R v. OConnel (1844) 8 H.L. 1092.

    10. RORIVE, prc.,115, Bright v Hutton (1852) 3 H.L. Cas. 341, Beamish v Beamish [1861]1 H.L. Cas. 273, Tram-ways v London County Council [1898] A.C. 375.

    11. Stuart c. Bank of Montreal [1909] 4 S.C.R. 516 p. 548 12. Taplin c. Hunt [1893]24 R.C.S. 36, Salvas c. Vassal

    [1896] 27 R.C.S. 68. 13. Albert Mayrand , Lautorit du prcdent au Qubec

    (1994) 28(2) R.J.T. 773, 774 14. Neil Gurthie, prc., 453. 15. Adam DODEK, Canada as a Constitutional Ex-

    porter: the rise of the Canadian model of constitutionalism, dans Graeme MITCHELL, Ian PEACH, David SMITH, John WHYTE, A Living Tree: the legacy of 1982 in Can-adas political evolution, Markham (Ontario), LexisNexis, 2007, par. 4-13

    16. Bedford, para.43-44. 17. Id. 18. Id, para. 45. 19. Rodriguezc.ColombieBritannique (Procureur gnral),

    [1993] 3 R.C.S. 519 20. Voir note 1.

    lillustration de la rocambolesque histoire du stare decisis lre des droits fondamentaux

    et de la Charte canadienne (suite de la une)

    LAffaire Bedford :

  • 13 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    C U L T U R E >>>

    Robinson Sheppard Shapiro S.E.N.C.R.L. (RSS) est heureux dannoncer que monsieur Nicolas-Karl Perrault a

    reu le prix dexcellence Robinson Sheppard Shapiro 2012-2013. Ce prix souligne lexcellence de ltudiante ou de ltudiant

    de la Facult de droit de lUniversit de Montral qui a obtenu les meilleurs rsultats en droit des assurances.

    Sur la photo (de gauche droite) : Me Benoit Chartier, associ du dpartement de droit des assurances et membre du comit de recrutement des tudiants chez RSS, monsieur Nicolas-Karl Perrault, rcipiendaire 2012-2013 et Me Genevive Goulet, associe du dpartement de droit des affaires et membre du comit de recrutement des tudiants chez RSS.

    BANKSDes chansons lentes, savoureuses et sexy la The Weeknd, voil ce que nous offre la coqueluche du mo-ment avec son EP London. Banks propose des atmo-sphres enveloppantes qui ne sont pas sans rappeler celles que James Blake parvient crer. Sa voix, qui est la fois grave et sensuelle, mais extreme-ment dlicate nous charme dj. On en veux plus!

    M Cette jeune chanteuse danoise monte en popularit depuis quelque temps sur la scne lectro-pop, notamment avec la sortie de son EP Bikini Daze. Sa voix rappelle vaguement les accents langoureux de celle de Lana Del Rey, mais elle nous offre un style bien elle avec des airs la fois entranants, doux, et puissants. Son premier album, (No Mythologies To Fol-low), paratre le 24 fvrier pro-chain, risque de gagner rapide-ment en popularit. surveiller!

    MU

    SI

    QU

    E

    BROKEN BELLS Il sagit dun retour attendu pour le duo, dont le premier album ponyme a connu un grand succs sur la scne musicale indpendante en 2010. In-titul After the Disco, le nouvel opus runit nou-veau James Mercer, chanteur du groupe amricain The Shins, et Danger Mouse, DJ, compositeur et producteur de grand talent dont la touche magique peut se faire entendre notamment travers les plus rcents albums de The Black Keys, Gnarls Barkley et Portugal. The Man. Broken Bells, connu pour ses chansons indie pop spatiales teintes de syntht-iseurs, continue dans la mme ligne. Le refrain de lextrait Holding On For Life sapproche mme du disco, avec des voix rappelant les prouesses vo-cales des Bee Gees. Album disponible le 4 fvrier.

    EMILIE AND OGDENAvec un folk lger et joyeux complt par ladorable voix de petite fille dEmilie Kahn, cette formation montralaise se classe aus-si parmi les artistes surveiller. Emilie And Ogden cest un peu comme une Feist plus enfantine et tranquille. Si elle parvi-ent personnaliser davantage son style, elle saura certainement sattirer un bon public.

    SECRET SUNCe duo montralais pop alternatif a sorti son EP Pass-ing Cars en mai dernier. La chanteuse Anne-Marie Camp-bell hypnotise avec une voix limpide et douce qui se ma-rie bien aux mlodies parfois plus pop et entranantes. Une formation garder en tte pour lanne qui sen vient.

    CI

    NE

    MA

    DEUX NUITS Denys Arcand est sans contredit lun des ralisateurs qub-cois les plus talentueux de son poque, son travail ayant t rcompens maintes fois linternational plusieurs prix au Festival de Cannes, notamment pour Jsus de Montral et Le Dclin de lempire amricain, sans oublier lOscar du meil-leur film en langue trangre pour Les invasions barbares en 2004. Sept ans aprs son dernier long mtrage, Arcand rcidive avec Deux nuits, une histoire de triangle amoureux entre une monitrice de ski (Mlanie Thierry), son mari architecte dans Charlevoix (ric Bruneau) et une femme qui attirera son re-gard lors dun voyage daffaires Toronto (Melanie Merkosky).

    MIRACULUM Le nouveau long mtrage du ralisateur Podz (C.A. et 19-2 la t-lvision, Les 7 jours du Talion et Laffaire Dumont au grand cran) est lun des films qubcois les plus attendus de 2014. Plusieurs acteurs de talent, dont Julien Poulin, Robin Aubert, Anne Dorval et Xavier Dolan, se donnent la rplique dans ce film choral o le destin de plusieurs personnes sentrecroise, les actions des uns af-fectant la vie des autres. Luvre de Podz sera prsente en ouver-ture des Rendez-vous du cinma qubcois le 20 fvrier prochain, avant datterrir dans un cinma prs de chez vous le 28 fvrier.

    TPour faire changement des blockbusters, ou pour les tar-difs qui veulent voir des films qui ne sont plus laffiche, le Centre Phi propose une programmation plus quallchante. Entre autres, La vie dAdle (20 janvier), Une Spara-tion (23 janvier), Tom la Ferme (8 fvrier), Sarah prfre la course (11 fvrier) et Vic + Flo ont vu un ours (12 fvrier)

    FMINISTES? FMINISTES! LANCEMENT ET TABLE RONDELa revue Spirale prsente un dossier consacr entire-ment au questionnement ac-tuel sur ltat du fministe dans notre socit. Pour sou-ligner le lancement de ce nu-mro, une table ronde aura lieu en prsence de certaines auteures. Bonne nouvelle, il aura lieu deux pas de luniversit, au Bistro Olivieri, le jeudi 30 janvier prochain 18h30. Entre gratuite!

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    LANCEMENT DU CD COMPOSITE DE MONOGRENADE.On attend avec impatience le sec-ond opus de cette formation lectro pop, Composite, le 4 fvrier pro-chain. Les arrangements musicaux dgagent une intensit agrable, et la voix se fond doucement aux m-lodies sans en prendre le dessus. Le groupe nous offre des rythmes en-tranants qui valent la peine dtre dcouverts. Si vous doutez encore, venez faire un tour au lancement du disque, le 5 fvrier au Cabaret LaTu-lipe, 18h00. Lentre est gratuite!

  • 14 LE PIGEON DISSIDENT | VOLUME 37, NO 5JANVIER 2014

    F A C U L T

    Alexandra Belloy-Poudrette

    Le (trop court) temps des Ftes est termin. Avant de rejoindre les bancs de luniversit, quelques irrductibles tudiants, rsis-tant encore et toujours la fatigue et au marasme politique, ont particip la 28e dition du Parlement tudiant du Qu-bec, ou PEQ pour les initis. Environ 140 dentre nous ont eu la chance dy participer.

    Les participants de 18 25 ans proviennent de tous les horizons politiques et de toutes les rgions du Qubec. Au cours des derni-ers mois, nous avons particip llaboration de six projets de loi, deux projets de livre, deux budgets ainsi que de nombreuses dclarations ministrielles. Les partici-pants ayant reu la responsabilit dun portefeuille de ministre ont galement d se prparer au stress de la fameuse priode de questions et des critiques mdiatiques.

    En effet, en plus de compter parmi nous 18 journalistes rpartis entre deux jour-naux et une plateforme internet, ren-dant la simulation autrement plus r-aliste par le biais dentrevues, de scrums ainsi que darticles varis, les dputs de la semaine ont t diviss en deux par-tis politiques : les Bleus et les Rouges.

    Cest en 1987 que le Parlement tudi-ant du Qubec a t cr par deux tu-diants. Depuis, prs de 2000 jeunes ont fait lexprience de cette simulation sest solidement ancre dans lunivers de la politique et qualifie d incontourna-ble pour quiconque sintresse au fonc-tionnement de notre systme parlemen-taire1. Ludovic Soucisse, un ancien chef des Bleus agissant cette anne titre de lieutenant-gouverneur du PEQ 2014, a dailleurs affirm que [c]ette simulation parlementaire est une cole politique sans quivalent et permettra aux participants de mettre leurs talents, leurs comptenc-es et leurs convictions profondes profit pour dbattre denjeux importants pour le Qubec daujourdhui . Ce dernier est dailleurs aujourdhui conseiller politique du ministre dlgu aux Affaires inter-gouvernementales, Alexandre Cloutier.

    Fidlit la ralit politique qubcoise

    Le Parlement tudiant cherche se rap-procher autant que possible de son modle, le systme politique qubcois. Ainsi, les vritables rgles en place lAssemble na-tionale sont suivies, quelques exceptions prs, ce pourquoi on dit de cette simula-tion quelle est la plus raliste de notre sys-

    tme parlementaire. De plus, les travaux parlementaires du PEQ se tiennent dans le Salon bleu de lAssemble nationale.

    Si les allgeances politiques personnelles des individus sont gnralement mises de ct pendant le PEQ, il est toutefois at-tendu du dput quil soit loyal envers son parti, quil sagisse des Bleus ou des Rouges, tout en respectant les membres de lautre caucus. La ligne de parti et la solidarit ministrielle sont gnralement respectes.

    Ayant moi-mme rejoint les rangs des Rouges pour une deuxime anne con-scutive, jai cependant eu la chance de voir quoi ressemble un caucus du PEQ sans ligne de parti. En effet, il a t dcid par notre chef, Ariane Hunter-Meuni-er (diplme de la Facult de droit de lUdeM lan dernier), avec laccord de ses officiers, que la ligne de parti serait abo-lie chez les Rouges pour ldition 2014. Cette anne, les Rouges avaient ceci de particulier que le caucus tait form par des gens aux allgeances politiques par-ticulirement diverses, comptant parmi ses rangs des militants pour Option Nationale, Qubec Solidaire, le Parti Libral du Qu-bec et le Parti Conservateur du Canada.

    Sil peut sembler surprenant de trouver toutes ces allgeances politiques sous la mme bannire, nous avons quant nous su exploiter cette diversit dopinions comme la richesse quelle est et crer un caucus diversifi et fort, aux liens solides. Car en plus de permettre aux participants de se familiariser avec les rouages de la politique qubcoise, le PEQ permet sur-tout de rencontrer des jeunes passionns.

    Bien que la simulation ne dure que 4 jours, la prparation ncessite plusieurs mois, puisque chaque caucus labore un budget, un projet de livre ainsi que trois projets de loi tous tenus secrets avant dtre prsents en Chambre. Chacun de ces documents est ensuite critiqu par un critique of-ficiel et passe le processus de la commis-sion parlementaire afin dtre amlior, avant dtre soumis au vote des parlemen-taires. Les traditions bleues et rouges sont dailleurs opposes par rapport la forme du vote : si les Rouges votent en prcdant leur nom dun Monsieur/Madame, les Ble