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L 14709 - 7 - F: 5,00 - RD STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY SPECIAL MODE ET MEDIA N° 7 VOL. 2 — MARS, AVRIL, MAI 2012 MAGAZINE LA TRIPLE VIE DE MALCOLM MCLAREN — QUE FAIRE AVEC 12 986 ? — LA POLITIQUE DE L’AFFICHE HITCHCOCK RENPREND DU SERVICE DANS LA PUB — LES CAPELINES DES SEVENTIES 29/02/12 21:01

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STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY

SPECIAL MODE ET MEDIAN° 7 VOL. 2 — MARS, AVRIL, MAI 2012MAGAZINELA TRIPLE VIE DE MALCOLM MCLAREN — QUE FAIRE AVEC 12 986 ! ? — LA POLITIQUE DE L’AFFICHE

HITCHCOCK RENPREND DU SERVICE DANS LA PUB — LES CAPELINES DES SEVENTIES

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Il n’y a pas si longtemps, c’était presque un synonyme : le 4e pouvoir était une autre manière de qualifier les médias. Mais l’expression n’est plus utilisée, tant ces derniers sont devenus de sages relais et ont relégué l’esprit critique en pages spectacles — au mieux. Mais l’astuce des médias est de se réinventer, qui plus est de manière inattendue. Et c’est du côté des Tumblr, Twitter et des memes (répliques en français) que la communication classique est mise à mal. Quant au papier, il semble éloigné de ces échanges entre médias de l’immédiat, mais il a tout son temps, lui…

Angelo Cirimele

ÉDITO

MAGAZINE NO 7

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BOUTIQUE CHLOÉ44, AVENUE MONTAIGNE

PARIS 8ÈMEWWW.CHLOE.COM

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SOMMAIRE

P.10 — Brèves

P.14 — MagazinesUSED / MATTER / WORK / TRUNK / PRESTAGE

P.24 — ShoppingQUE FAIRE AVEC 12 986 EUROS ?Portfolio : Philippe JarrigeonStylisme : Clémence Cahu

TEXTES

P.36 — Interview LUCIEN PAGÈSpar Cédric Saint André Perrin

P.40 — Images PAS DE PRINTEMPS…Par Céline Mallet

P.42 — BiographieMALCOLM MCLARENPar Marlène Van de Casteele

P.46 — LogoDESIGN POLITIQUEPar Yorgo Tloupas

P.48 — ChroniqueGARDÉS À VUEPar Stéphane Wargnier

P.50 — LexiqueLES TALONS HAUTSPar Anja Aronowsky Cronberg

P.52 — Off record médiaDE LA PRESSE ET DES MARQUESPar Angelo Cirimele

MODE

P.56 — PortfolioINDUSTRYPhotographie : Jonathan de VilliersStylisme : Eve Maeno

P.70 — PortfolioLOOKING FOR SOME SINPhotographie : Nicolas AristidouStylisme : Eve Maeno

P.80 — PortfolioNOT FAR FROM THE CITYPhotographie : Pejman Biroun VandStylisme : Mauro Biasiotto

TEXTES

P.92 — ContreLES SPAMS DE LA FNACPar Valérie Mréjen

P.94 — MoodboardCAPELINES 70’SPar Florence Tétier

P.98 — ChroniqueFOLLOW ME, I FOLLOW YOUPar Mathieu Buard

P.100 — Art ContemporainCLÉMENT CHÉROUXPar Emmanuelle Lequeux

P.104 — RétrovisionKITSCHPar Pierre Ponant

P.108 — DesignRÉSOLUTIONS DE SALONPar Pierre Doze

PORTFOLIO

P.112 — PortfolioVIETNAMPhotographie : Bruno Herlin

P.127 — Jeu

P.129 — Abonnement

P.130 — Agenda

MAGAZINE NO 7

5w w w . c o n d a t - p a p . c o m

G R O U P

F a i t p o u r d e s i d é e s s é d u i s a n t e sPAPIER S COUC HÉS : CONDAT MAT T PÉR IGOR D CONDAT SILK

CONDAT GLOS S CONDAT DIGITAL CONDAT CAR D

NICOLAS ARISTIDOUPHOTOGRAPHE

Votre principale occupation ces jours-ci ?Faire des photos. Tout le temps.Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Trunk magazine pour moi et Télé Loisirs

pour ma grand-mère.

PHILIPPE JARRIGEONPHOTOGRAPHE

Votre principale occupation ces jours-ci ?La publication et le lancement de Dorade, revue galante,

no 4, et la préparation d’un livre sur Roger Vivier.Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Paris Match, no 952 (8 juillet 1967), numéro emblématique

sur les accidents mortels de Jayne Mansfield et Françoise Dorléac.

YORGO TLOUPASDIRECTEUR ARTISTIQUE

Votre principale occupation ces jours-ci ?L’éducation sexuelle de mon chat principalement,

et la refonte de magazines en activité annexe.Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Newsweek et Time, ainsi que le New York Times du

dimanche, à 17 ! le kilo chez WH Smith rue de Rivoli.

JULIETTE VILLARDPHOTOGRAPHE

Votre principale occupation ces jours-ci ?Ma première exposition, qui aborde le thème de

l’identification à la culture américaine en France, et dont les héros sont les footballeurs américains de Brest, où elle

aura lieu au printemps, et à Denver en 2013.Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Choix insolite : c’était Sciences et Vie.

EVE MAENOSTYLISTE

Votre principale occupation ces jours-ci ?Des shootings et suivre les défilés.Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Je les achète rarement à l’unité. Mon dernier pack : Grazia, Glamour, Marie-Claire et Elle, en prévision du week-end.

VALÉRIE MRÉJEN ARTISTE

Votre principale occupation ces jours-ci ?Aller à Beaubourg à vélo, toujours par le même chemin, en ligne droite. J’ai essayé de varier, mais ça me ralentit.

Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Un numéro antique de Plein air caravane camping

aux puces d’Aligre.

MATHIEU BUARDAUTEUR ET ENSEIGNANT

Votre principale occupation ces jours-ci ?La formation et la réforme, baroque en diable.

Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Pop.

CONTRIBUTEURS

PEJMAN BIROUN VANDPHOTOGRAPHE

Votre principale occupation ces jours-ci ?I am enjoying the nice weather being back.

Quelles couleurs portez-vous ?

Le dernier magazine que vous avez acheté ?Man about town and iD mag.

MAGAZINE NO 7

6MAGAZINE NO 7

7

Rédacteur en chefAngelo Cirimele—Directeur artistique at largeYorgo Tloupas—DesignCharlie Janiaut—PhotographesNicolas Aristidou, Pejman Biroun Vand, Jonathan de Villiers, Bruno Herlin, Charlie Janiaut & Juliette Villard (magazines), Philippe Jarrigeon—StylistesMauro Biasiotto, Clémence Cahu, Eve Maeno—ContributeursAnja Cronberg, Mathieu Buard, Pierre Doze, Emmanuelle Lequeux, Céline Mallet, Valérie Mréjen, Pierre Ponant, Cédric Saint André Perrin, Florence Tétier, Yorgo Tloupas, Marlène Van de Casteele, Stéphane Wargnier—IconographeSarah Gruson—CouverturePhotographie : Jonathan de VilliersStylisme : Eve MaenoCoiffure : Kazuko KitaokaMaquillage : Min KMannequin : Thana Kuhnen chez Nathalie

Robe imprimée : Rue du MailPolo : Ben ShermanBoucles d’oreilles « Étreinte » en argent : Hermès—RemerciementsMarie-Laure Girardon, Blandine Martin, Maison Rolland, Annie Toulzat, Monsieur X—TraductionKate van den Boogert, Thibaut Mosneron Dupin—Secrétaire de rédactionAnaïs Chourin

PublicitéACP32, boulevard de Strasbourg75010 ParisTel : 06 16 399 [email protected]—RetouchesJanvier—ImprimeurSIO94120 Fontenay-sous-Bois—Magazine est imprimé sur Condat Silk 115 g et 250 gwww.condat-pap.com—Conseil distribution et diffusion shopKD PresseÉric Namont14 rue des Messageries75010 ParisT 01 42 46 02 20kdpresse.com—Distributeur France MLP—Issn no 1633 – 5821CPAPP : 0413 K 90779—Directeur de publicationAngelo Cirimele—ÉditeurACP - Angelo Cirimele32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242—[email protected]—© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY

NO 7 - VOL. 2 - MARS, AVRIL, MAI 2012

MAGAZINE

MAGAZINE NO 7

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www.villanoailles-hyeres.com/hyeres2012

D.A. Michel Mallard Studio / Photo Ina Jang, photographe sélectionnée, Hyères 2011

27e Festival International de Mode et de Photographie

Festival du 27 au 30 avril 2012Expositions jusqu’au 27 mai

villa NoaillesCommunauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée

HYÈRES 2012

10 stylistes

10 photographes

+

Yohji Yamamoto

Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin

Jason Evans

Matthew Cunnington & John Sanderson

Anouk Kruithof

Ina Jang

Lynsey Peisinger

Joël Riff

Fabrics Interseason

Maison Rondini

Léa Peckre

Céline Méteil

from 032c, Joerg Koch et Mike Meiré, will be at the head of this German edition. No, there’s nothing planned for France yet…

Dans l’esprit du site Nowness, LVMH va lancer un site de contenus autour de la marque Tag Heuer. L’angle devrait être davantage lifestyle et sport, quand Nowness reste mode et image.

In the spirit of the site Nowness, LVMH will launch a content-based site around the brand Tag Heuer. The angle should be more lifestyle and sport, while Nowness remains fashion and image.

Ça s’agite dans les suppléments lifestyle des hebdomadaires français : alors que Laurent Joffrin et Olivier Wicker préparent Obsessions, le mensuel gratuit de l’Obs, prévu pour le 29 mars, L’Express Style peaufine une nouvelle formule, dont le redesign a été confié à Susanna Shannon, cette fois pour début mars.

There’s movement in the lifestyle supplements of French dailies: while Laurent Joffrin and Olivier Wicker prepare Obsessions, the Nouvel Observateur’s free monthly supplement, scheduled for 29 March, L’Express

Style fine-tunes is new format, whose redesign has been entrusted to Susanna Shannon, in this case for early March.

L’image de Brigitte Bardot reste le meilleur outil pour signifier le cool de la France des années 60. Après Lancel et ses sacs, c’est Maje qui adopte BB sur une collection de 5 T-shirts. Une édition limitée prévue en avril.

The image of Brigitte Bardot remains the best tool for representing 1960s French cool. After Lancel and its bags, Maje adopts BB for a collection of 5 T-shirts. The limited edition is scheduled for April.

Exit La Force de l’Art et le Grand Palais, place à la Triennale dans le Palais de Tokyo rénové, dont le commissariat a été confié à Okwui Enwezor. Un journal mensuel sera aussi édité, consultable sur latriennale.org/ La Triennale, du 20 avril au 26 août.

Out with La Force de l’Art and the Grand Palais, in with La Triennale in the renovated Palais de Tokyo, curated by Okwui Enwezor. A monthly magazine will also be published, available for consultation

via latriennale.org/ La Triennale, from 20 April to 26 August.

Nous l’avions annoncé un peu prématurément : Bruno Collin (WAD) n’est plus directeur artistique de la marque Diesel. Le poste, qui avait été précédemment occupé par Wilbert Das pendant seize ans, n’a pas de remplaçant pour l’instant. Et chacun semble revenir à son métier d’origine.

We had announced it a little prematurely: Bruno Collin (WAD) is no longer artistic director of Diesel. The position, which was previously occupied by Wilbert Das for 16 years, has not been replaced for the moment. And every one appears to be returning to their original professions.

La Toile est devenue un enjeu pour les contenus de la mode : après le Vogue américain, qui propose toutes ses archives sur un site payant, Mercedes a inauguré le sien, gratuit, lui reprenant les fashion weeks dont il est partenaire, augmenté d’interviews et de portraits.

The web has become a factor for fashion content: after Vogue US that offers all its archives on a paying site, Mercedes inaugurated its site, free in this case, picking up the Fashion Weeks that it is partner on, fleshed out with interviews and portraits.

La galerie Armel Soyer vient d’ouvrir ses portes dans le Haut Marais, 19 rue Chapon, Paris 3e. Consacrée au design et aux arts décoratifs du

XXIe siècle, elle consacre sa première exposition à Emmanuel Bossuet, qui a conçu un papier peint avec l’Atelier d’Offard. Jusqu’au 16 mars.

The gallery Armel Soyer has just opened its doors in the Upper Marais, 19 rue Chapon (75003). Dedicated to 21st century design and decorative arts, it dedicates its inaugural exhibition to Emmanuel Bossuet, who has designed a wallpaper with Atelier d’Offard. Until 16 March.

Comme les grandes personnes, les marques s’offrent maintenant des auteurs de renom : pour ses 120 ans, JM Weston a fait appel à Didier Van Cauwelaert pour signer sa biographie (éd. Le Cherche Midi).

Just like important people, brands treat themselves to famous authors: for its 120th birthday, JM Weston calls on Didier Van Cauwelaert to write its autobiography (Le Cherche Midi).

Les médias commencent à se penser en labels et multiplient les supports : après Mediapart et ses livres, Rue89 et son magazine, c’est France Culture qui arrive sous forme de revue trimestrielle fin février.

The media has started thinking of itself in terms

BRÈVESLa nouvelle formule du

Parisien et d’Aujourd’hui en France a été confiée à Claude Maggiori, qui avait signé la nouvelle formule de Libération en… 1982. Résultat attendu à la rentrée 2012.

Claude Maggiori is in charge of the new design for the dailies Parisien and Aujourd’hui en France (he designed the Libération’s new format back in… 1982). The result is expected in September.

Le livre célébrant les 60 ans de Chloé sera designé par Marc Ascoli, qui fut DA de la marque à la fin des années 80. Edité par Rizzoli, il est prévu pour fin 2012, conjointement à une exposition.

The book celebrating Chloé’s 60th anniversary will be designed by Marc Ascoli, who was AD of the brand at the end of the 80s. Published by Rizzoli, it’s to be released in late 2012, in time for the exhibition.

Que deviennent les stylistes des magazines ? Ça dépend, mais Charlotte Stockdale (ex-Vogue, i-D…) s’est recasée dans les cosmétiques chez Jo Malone London (Estée Lauder group), en charge de la DA de la marque.

What do magazine stylists become? It depends, but Charlotte Stockdale (ex-Vogue, i-D) has found another job in cosmetics with Jo Malone London (Estée Lauder group), in charge of the brand’s artistic direction.

À qui s’adresse une agence de pub qui relooke

son logo ? À son meilleur graphiste ? Non, à un free-lance, en l’occurrence Ich&Kar, qui vient de réaliser la nouvelle identité de BETC, avec typo modulaire et abeille en prime.

Where does an advertising agency who wants to overhaul its logo turn? To its best graphic designer? No, to a freelancer, in this case Ich&Kar, who has just created the new identity for BETC, with a modular font and a bee on top.

Le « contenu » que les marques s’attachent à développer peut aussi prendre la forme d’un enseignement. Ainsi, Van Cleef & Arpels lance une école à son nom, dans laquelle 7 modules de 4 heures initieront 12 privilégiés à la haute joaillerie, pour un tarif oscillant entre 600 euros et 950 euros le module. Sinon, il y a les séminaires de l’IFM à podcaster. Gratuitement.

The content that brands are so attached to developing can also take the form of instruction. Van Cleef & Arpels launch a school in which seven 4-hour modules will introduce 12 lucky people to fine jewellery, for a cost between 600 ! and 950 ! per module. Otherwise there’s always podcasts of seminars by the French Fashion Institute (IFM) for free.

The Face serait relancé par Ashley Heath, ex-rédacteur en chef.

The Face might be relaunched by former editor in chief Ashley Heath.

La collection Design (26 minutes) revient sur Arte avec quelques objets culte : La Stratocaster, la Fiat 500, le pouf Sacco, le bureau et ses casiers de Le Corbusier… à voir le dimanche entre mars et avril – ou à podcaster.

The collection Design (26 minutes) returns to Arte with a few cult objects: the Stratocaster, the Fiat 500, the Sacco bean bag, Le Corbusier’s desk and storage units… programmed every Sunday in March and April – or as a podcast.

On annonce une version hollandaise de Vogue ; date de sortie à confirmer.

A Dutch version of Vogue has been announced with a release date to be confirmed.

Le château de Versailles va se doter d’un magazine culturel, qui inclura aussi sa programmation. Que lui

souhaiter ? De ressembler davantage au magazine britannique Tate, etc. qu’à Grande Galerie (musée du Louvre)…

Versailles is to create a cultural magazine that will also feature its program. What to wish it? To look more like the British magazine Tate, etc than the Grande Galerie (musée du Louvre)…

C’est Anri Sala (galerie Chantal Crousel), qui représentera la France à la Biennale de Venise en 2013.

The artist Anri Sala (Galerie Chantal Crousel) will represent France at the Venice Biennale in 2013.

Interview magazine poursuit son expansion : après la Russie, voici l’Allemagne, et c’est l’équipe de l’exigeant 032c, Joerg Koch et Mike Meiré, qui dirige l’édition allemande. Non, rien de prévu pour la France.

Interview magazine continues its expansion: after Russia, now Germany and the fastidious team

MAGAZINE NO 7

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of labels and multiple mediums: after Mediapart and its books, Rue89 and its magazine, France Culture arrives at the end of February in the form of a quarterly magazine.

Le festival de mode de Dinard, 19e du nom, se tiendra du 13 au 15 avril et aura pour présidents Marithé et François Girbaud.

The 19th edition of the Dinard Fashion Festival will take place from 13 to 15 April with Marithé and François Girbaud as presidents.

Dans le précédent numéro de Magazine, un crédit s’est immiscé à la mauvaise page. Il fallait lire Céline pour la chemise, Hermès vintage pour le short et gilet. C’est dit.

In our previous issue, a credit was published on the wrong page. It should have said Céline for the shirt, vintage Hermès for the shorts and vest. There, it’s said.

C’est Jun Takahashi et sa marque Undercover qui ont été choisis pour développer une ligne propre pour Uniqlo. Prenant la suite de Jil Sander, dont les produits ont été salués mais mal vendus, Jun Takahashi proposerait une ligne familiale et non dénuée d’humour. Côté logo, UU succède donc à +J.

Jun Takahashi and his brand Undercover have been chosen to develop a line for Uniqlo. Taking over from Jil Sander, whose products were praised but which sold badly, Jun Takahashi will present

a family collection not without humour. As for the logo, UU will succeed +J.

Les expositions peuvent aussi avoir leurs produits dérivés de luxe. Ainsi, la rétrospective Yayoi Kusama voyagera de Beaubourg au Whitney Museum de New York en juillet prochain et sera l’occasion d’éditions limitées Louis Vuitton (sacs, prêt-à-porter, montre, bijoux…).

Exhibitions can also have their luxury merchandising. The Yayoi Kusama retrospective will travel from Beaubourg to New York’s Whitney Museum next July, the occasion for Louis Vuitton limited editions (bags, ready to wear, watches, jewellery…).

Après Ezra Petronio, c’est Fabien Baron, le plus américain des DA français, qui serait en charge des campagnes Chloé.

Following Ezra Petronio, the most American of French DAs Fabien Baron will take over the Chloé campaigns.

Alors qu’on la pensait dévolue au marché asiatique, Shang Xia, la marque qu’Hermès développe en Chine, inaugurera sa première boutique parisienne rue de Sèvres fin 2012.

Just when we thought it was dedicated to the Asian market, Shang Xia, the brand Hermès is developing in China, will inaugurate its first Parisian boutique on Rue de Sèvres at the end of 2012.

Une nouvelle Cité du design devrait voir le jour à Saint-Ouen (93) en 2014, dans une ancienne halle d’Alstom datant de 1922 ; 12 000 m2 qui se diviseront en école, laboratoire, café, pépinière d’entreprises. Le projet est mené par l’agence Saguez & Partners, qui y emménagera.

A new design centre should open in Saint-Ouen (93) in 2014, in a former Alstom factory dating from 1922. 12,000m2 will be divided up into a school, laboratory, café, business incubator. The project is

headed by the agency Saguez & Partners, who will move in.

L’intégration des blogs au système des médias suit son cours : les éditions Jalou annoncent le label « L’Officiel New Talents », plateforme de blogueuses indépendantes et résidentes qui prendra aussi la forme d’une revue semestrielle. Premier numéro en mai.

Integrating blogs into the media system follows its course: Editions Jalou has launched the label “L’Officiel New Talents”, a platform of resident independent feminine bloggers which will also take the form of a bi-annual magazine. The first issue is scheduled for May.

L’appel à participations pour le numéro « Talent » du magazine Foam est ouvert jusqu’au 16 avril. Les meilleurs portfolios seront sélectionnés et publiés dans le numéro de septembre.

Calls for entry for the “Talent” issue of Foam magazine are open

until 16 April. The best portfolios will be selected and published in the September issue.

Non content de présider le prochain jury mode du Festival de Hyères, Yohji Yamamoto signe une ligne de jeans en collaboration avec Edwin, une autre marque japonaise. En boutique dès juin.

Not content with presiding the next fashion jury at the Hyères Festival, Yohji Yamamoto will design a jeans line in collaboration with Edwin, another Japanese brand. In store from June.

Le prochain prix Ricard pour l’art contemporain aura pour commissaire Elena Filipovic.

Elena Filipovic is curator of the next Ricard contemporary art prize.

Mademoiselle Agnès fait une pige vidéo pour le site des 3 Suisses, avec ce qu’il faut de jaune, d’orange et de rose, sans oublier les looks du vépéciste.

Mademoiselle Agnès has produced a video for the 3 Suisses website, with just the right amount of yellow, orange and pink, not to mention the mail order company looks.

Le OK Festival d’Arnhem (Pays-Bas) devient Facing Pages et rassemble des magazines indépendants. Expositions, tables rondes, textes critiques et nouvelles formes attendues du 20 au 22 avril. Infos sur facingpages.org/

Arnhem’s OK Festival (Holland) becomes Facing Pages and reunites independent magazines. Exhibitions, round tables, critical texts and new forms expected from 20 to 22 April. Information on facingpages.org/

Après son départ du palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler mènera un projet éphémère dans un immeuble du boulevard Raspail (Paris 6e). Pendant un an, ce centre d’art accueillera des expositions, de jeunes artistes ainsi qu’une école, avec pour projet un manuel d’art du XXIe siècle.

Following his departure from the Palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler will direct a pop-up project in a building on the Boulevard Raspail (Paris, 6th). For one year, this art centre will host exhibitions, young artists as well as a school with the project of a 21st-century art manual.

Les Designers Days, parcours parisien du design, auront lieu du 31 mai au 4 juin et seront l’occasion

d’expositions, portes ouvertes et remises de prix à différents concours. Infos sur designersdays.com/

Designers Days, the Parisian art circuit, will take place from 31 May to 4 June and will be the occasion for exhibitions, open days and prize ceremonies for different competitions. More information on designersdays.com/

Une nouvelle école de mode ouvrira ses portes en 2013 à Londres : la Conde Nast College of Fashion and Design. Plutôt marketing et communication que création, l’école proposera des formations de dix semaines ou d’un an – ou comment faire son stage de fin d’année à Vogue UK…

A new fashion school will open its doors in 2012 in London: the Conde Nast College of Fashion and Design. More marketing and communication than design, the school will offer 10 week or 1 year courses – or how to do one’s end of year internship at Vogue UK.

Didier Grumbach, dont le mandat de président de la Chambre syndicale de la couture parisienne se termine ce printemps, serait nommé président du conseil d’administration du palais de Tokyo.

Didier Grumbach, whose term as President of the Chambre syndicale de la couture in Paris ends this spring, will be named President of the Board of Directors of the Palais de Tokyo.

La soirée de remise des prix du Club des Directeurs artistiques aura lieu début avril. Sur invitation.

The award ceremony for the Art Directors Club will take place early April. By invitation.

La future boutique Chloé, qui ouvrira ses portes rue Saint-Honoré, aura pour architecte Joseph Dirand.

Joseph Dirand is architect of the future Chloé store, to open on Rue Saint-Honoré.

Un nouvel éditeur de photographie voit le jour : Artligue proposera des éditions en 100 exemplaires de photographes tels que Françoise Huguier, Maurice Scheltens, Harri Peccinotti ou encore Jaap Scheeren. Des expositions sont aussi prévues dans le showroom (9 rue des Arquebusiers, Paris 3e). Informations sur artligue.fr/

A new photography publisher is born: Artligue will propose 100 copies editions of photographers such as Françoise Huguier, Maurice Scheltens, Harri Peccinotti or Jaap Scheeren. Exhibitions are also planned for the showroom (9 rue des Arquebusiers, Paris 3rd). Information on artligue.fr/

MAGAZINE NO 7

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EDITOR : Alex Geoffrey

ART DIRECTION & DESIGN : Useful

DESIGN ASSISTANT :John Alexander

PUBLISHER :Useful

EXTRAITSUNDAY, THE VOYEURISM OF PAUL KOOIKER

How do we see? Standing as a casual observer or as a committed voyeur, we are all engaged in the art of looking from the moment we wake until we close our eyes at night. But what drives some people to capture what they see, control that image, and convey their vision to others? To enter the world of the voyeur is to break a taboo. The idea of watching and not participating in what you are looking at is seen as sinister, but it is also perceived as a private activity. To place the viewer in the position of a voyeur makes them a voyeur too, and therefore intensifies the experience of looking. Playing with perception has long been a tool of the artist: from the Escher optical illusion to the photo-graph, the artist can force you to question what you see, and in turn forces you to question who you are. Photography has gone through so many recent changes that there has been much discussion about the culpability of the image. Photographs that are intended to convey news or conflict are perceived as (or demanded to be) an objective record. But art photography specifically combines this medium that can capture ‘reality’ and the desire of the artist to control what and how that reality

is seen. Paul Kooiker often speaks about the cliché of looking. Using the camera as a voyeur he seeks to objectify his subjects. Focusing on form and image rather than portraiture, he also seeks to abstract his subjects with framing and technique. Kooiker provokes the viewer into questioning the nature of what they see and whether or not they feel comfortable in front of the image, especially in terms of the female form. Kooiker photographs women, usually in a stripped back environ-ment, positioned or placed. He then uses manipulative techniques on the image to heighten the viewer’s focus on form. The Sunday pictures (shown here) are an example of a project born out of a focus on one pose and variations of it. The shape of the subject becomes the focus as the original image is manipulated, the colour enhanced and in some places entirely abstracted and repeated. Kooiker has spoken of taking the human element out of the pictures and thus forcing the viewer to explore the relationship between the original image and the fin-ished picture. These are simply pictures of a woman in her garden on a Sunday, or are they? By photographing women, typically in the nude and almost always with their faces obscured, Kooiker can examine dif-ferent elements of voyeurism and the ways in which we look.[…] Amah-Rose McKnight-Abrams p. 34

Ce n’est pas le tout d’avoir des clients quand on est directeur artistique, il faut aussi pouvoir les garder ou, à défaut, en séduire d’autres. Paradoxalement, c’est en élaborant des travaux non commerciaux (ou en les rassemblant), qu’on est davantage suscep-tible d’attirer leur attention. Mais ce n’est pas qu’une arrière-pensée, c’est aussi une hygiène des yeux et une gymnastique créative. Ainsi, Used, semestriel dont le luxe est de ne compter aucune page de publicité, puise aux sources de l’art contemporain, de la mode et de la photographie expérimentale pour assembler ses 128 pages. Quelles révo-lutions pour le signe entraîne le développement d’Internet ? Les images toujours plus immédiates peuvent-elles encore être expérimentales ? se demande Paul Kooiker. Les défaillances informatiques peuvent-elles produire des images valides ?… Il faut recon-naître à Used de poser des questions et d’ouvrir le champ, même si le résultat visuel est parfois en dessous des ambitions. Pourtant, tout y est : un graphisme élégant, des papiers choisis et même un brin de provocation avec ce titre : “Nature is not evil, it’s ugly. That’s why we have gardens”. Aux manettes de ce magazine, Useful est un studio de création graphique londonien pour la mode et le luxe. Used est son terrain de jeu et doit, par essence, expérimenter et découvrir ; ça fait partie de son contrat…

USEDMAGAZINES

Angleterre, semestriel, 128 p., no 2, 245 x 335 mm, 9 !

weareuseful.com

MAGAZINE NO 7

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EDITOR IN CHIEF :Olu Michael Odukoya

CREATIVE DIRECTION : OMO Creates studio

DESIGN: Joseph Pochodzaj

PUBLISHER :OMO Creates Ltd.

EXTRAITAN INTERVIEW WITH DANIEL EATOCK

Daniel Eatock is a British artist and graphic designer; who is also the founder of Indexhibit. A simple site-building tool used by artists to create quick and easy online portfolios, Indexhibit has revolutionized the way in which individuals display their art online, making it free and fast for creatives to have their own personal sites; Eatock also runs his own creative agency, Eatock Ltd, under which name he cre-ates graphic design work for industry giants like E4, Channel 4 and the New York Times.MATTER. How did Indexhibit start? Did you have a ‘eureka moment’, or were you thinking about this for a while?DANIEL EATOCK. Towards the end of 1999, I wanted to create a website to exhibit the works I was making. I noticed that every website I visited was different, not just in its appearance, but also in its structure – differ-ent menus, hierarchies of information, display etc. Browsing new sites, I felt I was wasting half my time figuring out how to navigate its display before accessing its content. Out of this frustration came a desire for a

very simple alternative: a website that was as simple to browse as a book. After a couple of attempts and failed formats, the index list of ac-tive links evolved; when clicked, each link would open up in an exhibit area immediately to its right. It was not a ‘eureka moment’, but instead a relief that I had arrived at a basic template that could accommodate the works I was making – no hierarchies, sections with subsections, hidden pages, complicated animations and things that could only be viewed on computers that had the latest software installed or the latest browser. This basic solution seemed to sidestep all the nonsense that frustrated me about the web. Best of all, it was easy to update when I had new word to add. After a year or so of using the format, I started to notice more and more people doing the same. In most cases, I am guessing that they arrived at the template out of a rejection of the same complicated websites that led me to the solution. In many cases, when looking at the artists and designers who did so, I shared some kind of affinity with their work. This led to me posting a formal invitation on my website inviting and encouraging others to use the format.[…] Matter team p. 84

MATTERMAGAZINES

Angleterre, semestriel, 192 p., no 1, 215 x 275 mm, 10 !

mattermedia.info

Pourquoi continuer à éditer des magazines ? Ne vous êtes-vous jamais posé la ques-tion ? Il arrive, si on cherche bien, qu’un magazine livre une réponse précise et struc-turée. Matter se joue des règles et rendez-vous qui sont censés organiser un maga-zine : le type en couverture est de dos et on ouvre ensuite sur des portraits flous ou à contrejour du musicien Tricky. Sans que le texte se précipite pour donner la clé. Le magazine est donc conçu comme un espace pour se poser des questions et essayer de comprendre le monde tel qu’il évolue. Le titre “Matter” traduit d’ailleurs bien le propos puisqu’il pourrait être traduit par « matière », « sujet » ou « important ». Que change le e-book à la littérature contemporaine ? Que change Internet à l’édition de magazines d’art ? Une rencontre avec l’auteur d’Indexhibit – le logiciel gratuit qui permet à tous de monter un site Internet… Matter explore le présent avec beaucoup d’humilité et d’à-propos ; l’art mais aussi l’architecture et la science se partagent donc ses pages. Mais choisir le medium magazine suppose aussi qu’on veuille jouer avec sa forme pour tra-duire son propos. Olu Michael Odukoya, le rédacteur en chef et designer de Matter, qui avait aussi commis Kilimandjaro et était de la nouvelle formule de Pop autour de 2010, s’attache à donner une forme discrète et élégante au magazine. Pas seulement dans ses pages de mode masculine mais en proposant par exemple un camaïeu de gris sur des pages d’une inégale largeur, en insérant un livret de Lawrence Wiener, en alter-nant papiers mats et brillants, images piquées et grain de l’argentique. Matter est une curiosité éditoriale dont la lecture nous enrichit, ce qui est assez rare pour être signalé.

MAGAZINE NO 7

16

WORKMAGAZINES

FOUNDER & EDITOR IN CHIEF : Gloria Noto

DESIGN DIRECTOR : LA Hall

PUBLISHER : Dan Monick

De la frustration peuvent naître des expériences éditoriales insolites. Par exemple, Glo-ria Noto est une maquilleuse dans l’univers de la photographie de mode à Los Angeles. Elle n’intervient que sur une partie marginale de l’image et son travail n’est pas reconnaissable sauf par quelques professionnels et, à vrai dire, assez commercial. L’aventure éditoriale commence donc de manière assez artisanale, organisée comme un showcase d’artistes en tous genres : photographes mais aussi chanteurs, plasticiens, illustrateurs… La distribution de l’objet est aussi expérimentale : une partie dans les boutiques Opening Ceremony, des librairies new-yorkaises et quelques concept stores incontournables dans le monde. Le magazine, dénué de publicité, s’apprécie comme une promenade à travers différents univers créatifs. On trouvera bien quelques apho-rismes glanés sur Facebook ou des textes à la première personne, mais rien d’absolu-ment édité au sens d’un magazine classique. Le trait remarquable est le titre : Work. Ce que présente Gloria Noto est la production de vingt personnes pour qui travail et vie personnelle coïncident. Reste que Work possède un site et un blog, dont le contenu recoupe pour beaucoup celui du magazine. Une hypothèse : vu l’inflation de blogs « créatifs », d’étudiants en art ou de professionnels désœuvrés, le détour pour être regardé et pris au sérieux passe par un objet physique, qui circule dans un réseau de librairies internationales – fût-il minuscule.

États-Unis, trimestriel, 128 p., no 4, 210 x 285 mm, 16 !

theworkmag.com

MAGAZINE NO 7

18

EXTRAITON LOS ANGELES

Wasn’t it funny, the way the ocean breeze felt through the television screen. You stare at me, vacant, your mind splashed only through cool waves and red carpet riots. You felt the pureness of my sun penetrate deep into the backs of your eyes. You had been craving for so long, so desperately long, and you were craving me. You were so certain that I was what you were after – and who was I to try and change your mind. You had seen me on the silver screen, right next to you, and we were larger than life. You imagined your wallet thickening as I buttoned your top button, your every movement perfectly dissected into familiar per-fection. One forceful flash from the paparazzi threw you back into your-self, hands in your pockets, worn lace-up shoes melodically skimmed the shag carpeting. You breathed heavily, the stale air of your middle America dissipated as you began to breathe the breath of reaslistic fan-tasy. “I am going to become more than myself,” you said out loud as your heart pounded with pride, your lips wet with the taste of conviction.

On ramp after off ramp, your knees twitch violently past exit signs, de-tours and glowing red break lights. You grind your teeth along with the screeching of your engine and your hands sweat as you squeeze the last bit of living out of the steering wheel. You try to move to the right, to the left, and back to the right again but you are tossed, head pulsating, into the concrete tide. Your ears ring with the devious sound of dollars being guzzled by gas tanks. Your eyes are heavy with fatigue. Your head nods as the polluted sun begs a bead of sweet perspiration down the front of your forehead. Your dirt stained pockets are as empty as your success. Months have passed since you climbed through a web of naïve certainty to meet face to face. Beguiled by my fantastic promises, you have only started to cradle my undeniable misery. I felt sorry for you in that moment, having taken advantage of your young mind and your hopeful spirit. I was not what you had imagined – but I was never hiding. You should have known that I would be in control. You should have known that you are not the only one trying, but that you are so alone in your endeavors.[…] Samatha Fernandez p. 66

EDITOR IN CHIEF : Diane Vadino

FOUNDER & CREATIVE DIRECTOR : David Cicconi

DESIGN DIRECTOR : Pamela Berry

PHOTO DIRECTOR : Katie DunnPUBLISHER : Contrapposto media LLC

EXTRAITMY CITY OF RUINS

Nicholas Kulish reported on Egypt’s revolution for The New York Times. Months later, he returned to Alexandria for another look at this beguil-ing, bewildering metropolis, tracing its tumultuous history from its an-cient origins to an uncertain future. Night has fallen over Alexandria but my wristwatch insisted it was still day. Angry black smoke spewed from burning tires and molten plastic. The files and the furniture in-side police stations, the stations themselves, even one of the city’s fa-mous tram stations was on fire. The smoke rose up and blotted out the sky, drifting out beyond the island of Pharos, where long ago stood the lighthouse that was one of the wonders of the ancient world. Only far out over the Mediterranean was the afternoon’s blue sky still vis-ible. My introduction to the ancient city of Alexandria was harsh and unusual. I arrived on January 26, 2011, from Cairo, where the revolution that would eventually take its name from the Twitter-ized designation of the previous day " #jan25 " had just begun. The first thing I saw out the

car window upon my arrival was a small cluster of protesters unfurling a banner. We were forced to brake hard as they were chased by black-clad riot police in front of our car and onto the broad coastal boulevard called the Corniche. They were outnumbered, surrounded and swal-lowed up by the security forces, a prelude to the violence to come. When writing about Alexandria, visitors usually begin far in the past, with the lighthouse and the Great Library, the vanished glory sought by ar-chaeologists at the bottom of the harbor, where the ancient buildings lie broken. As such, the city in its current form cannot help but disap-point: a wall of concrete high-rises blocking off the coast, surrounded by the slums of the impoverished and those just getting by, who make up an overwhelming majority of the four million Alexandrians. It is not impossible to find imprints of an older, grander city, if you enjoy a cappuccino and perhaps a honey-soaked pastry at the patisserie and café Delices on Saad Zaghloul Square, then cross to the marble lobby of the Cecil Hotel, where Winston Churchill and Somerset Maugham once stayed, and take the old gated elevator up one floor for a drink at the bar.[…] Nicholas Kulish p. 76

La banalisation des vols charter a changé notre manière de voyager : depuis vingt ans, on vole plus loin et plus souvent. Mais cette démocratisation n’est pas l’unique évolution : de nombreux métiers ont été révolutionnés par la facilité du voyage, parmi lesquels les industries créatives et de l’image. Le voyage non comme un outil mais comme un lifestyle ? C’est le propos de Trunk (« malle » en anglais). Un photographe, une rédactrice et de nombreux contacts (photographes, journalistes, stylistes, desi-gners) qui parcourent la planète pour raisons professionnelles ou personnelles – les deux se mêlant parfois. Chaque morceau de Trunk est une plongée dans un pays, une culture, une histoire : l’Éthiopie, un rallye automobile Londres - Oulan-Bator, les vol-cans indonésiens ou les lofts d’artistes new-yorkais émergents si vous êtes trop dépay-sés. C’est d’ailleurs l’une des curiosités du magazine : difficile de lui donner un port d’attache. Il est américain, soit, mais pas plus NY que LA, et autant Europe qu’Asie. Parce que c’est une rédactrice qui est l’une des deux moitiés du magazine, les voyages de Trunk sont aussi des récits, écrits. On découvre quelques séries mode (mood 40 dans un jardin de l’ex-Allemagne de l’Est, un remake de Gainsbourg-Birkin…) et, là aussi, la styliste livre ses références et son intention, comme une mise en mots de son récit visuel. Le côté hors du temps de Trunk est assez singulier, et sa baseline “The world is a fine place”, empruntée à Hemingway, une invitation engageante.

TRUNKMAGAZINES

États-Unis, semestriel, 128 p., no 2, 205 x 275 mm, 8,50 !

trunkmag.com

MAGAZINE NO 7

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EDITOR IN CHIEF : Stefanie Mensink, Puck Landewé

CREATIVE DIRECTOR : Jasper Abels

PUBLISHER: Prestage magazine

EXTRAITWEAR YOUR HEART ON YOUR SLEEVE

‘Excuse me dear, I don’t know what you’re trying to say with that floral blouse of yours, but we are not goin to get married in Hawaii.’ Sometimes garments can say so much more than lips are able to. Therefore, instead of focusing on the words that are used in the wonderful world of fashion as I’ve previously done, the time has now come to focus our attention on how garments can create a language all their own. Language encom-passes much more than just verbal utterances. Actually, it’s said that 80% of human communication is nonverbal. Our body tells other peo-ple that which our mouth not always dares or wants to says: the truth. And since our body is covered in fabrics most of the time – and thank the Lord for that, because some people it should be illegal to be naked in public – our clothes speak their own language. As the expression states, some people ‘wear their own heart on their sleeve’, meaning that their emotions are there for everyone to see. Therefore, your nonverbal

emotions are also an integral part of your outfit. Black power suit, big shoulders, high heels: I’m proud to be a woman in control. “Old ripped jeans, t-shirt, flip-flops: I am a relaxed dude.” Tracksuit, stained boyfriend sweater. UGGs: “It’s Sunday, I’m cold and I don’t give a sh*t how I look.” Leather jacket, matching trousers, cowboy boots: “Don’t you dear mess with me !” Yellow striped button-down shirt, pink shorts, socked feet in sandals: “I’m a middle-aged man with bad taste. So what !” Clothes can express your personality, the state of mind you’re in at a certain moment in time or the vibes you want to radiate. This means that by picking a specific outfit, we can actually choose who we want to be on any given day. It’s in those moments that we’re aware of the specific messages that garments can send. Whereas ‘naked’ body language, such as facial expressions and posture, occurs subconsciously, the fabrics that cover our body represent a conscious choice of expression. This being said, if outfits represent a conscious choice of expression, then why do some people choose to not look their best?[…] Lisa Goudsmit p. 85

On ne s’en rend pas forcément compte si son camp de base est Paris ou New York, mais on peut vite se sentir isolé si on appartient à une scène créative périphérique comme Zurich ou Amsterdam ; « périphérique » étant ici entendu au sens géographique et non artistique. Régulièrement, des magazines présentent donc les méandres du paysage créatif, tel Prestage, qui nous ouvre les portes des ateliers néerlandais. Si la mode et la photographie se taillent la part du lion, l’illustration est aussi présente et le magazine a la bonne idée de mêler des talents reconnus (Matthias Vriens, Vivianne Sassen) à leurs héritiers. Un thème organise chaque numéro : “Beyond Borders”, pour le troi-sième, qu’on aurait, il faut bien l’avouer, eu du mal à deviner. Le design graphique navigue entre une originalité minimale et la lisibilité des quelques textes. In fine, on échappe au sentiment de book sur papier mat que sont souvent ces expériences ; on engage plutôt un voyage visuel assez agréable.

PRESTAGEMAGAZINES

Pays-Bas, trimestriel, 128 p., no 4, 240 x 300 mm, 13 !

prestagemagazine.com

MAGAZINE NO 7

22

MAGAZINE NO 7

24MAGAZINE NO 7

25

QUE FAIRE AVEC 12 986

SHOPPING

Photographie : Philippe Jarrigeon assisté de Arnaud Le Brazidec

Stylisme : Clémence Cahu assistée de Marion Bourguignon

Remerciements : le chat Zahia et Elena Médini, sa maîtresse

AGENDACARNET BLEUSTYLOTHÉ TASSEBOÎTE À AQUARELLEBAUME DU TIGRE MONTRELUNETTES DE SOLEIL

450 ! 3 ! 2 !

13 !8 !

34 !11 !

12 200 !265 !

12 986 !

Walter rassemble ses idées avant la longue soirée qui s’an-nonce. Il cherche un numéro de téléphone dans son agenda (modèle Castiglione, chez Goyard, 450 !), puis note deux pen-sées dans son carnet bleu (3 ! chez Merci) à l’aide de son Bic or (2 ! au kiosque). Il ne quitte jamais son thé Marco Polo (13 ! chez Mariage Frères), ni sa tasse fétiche (8 ! chez Bonton). Il rendrait bien son usage à cette boîte à aquarelle (34 ! sur eBay), mais son poignet se raidit à cette idée et l’odeur de Baume du Tigre (11 ! à Belleville) l’en dissuade. Il a enfin remis la main sur sa montre et c’est heureux (12 200 ! chez Jaeger LeCoultre), et même sur ses lunettes de soleil (265 ! chez Dior Homme), mais ce dernier s’est déjà couché.

Le temps presse et ses camarades de jeu, s’ils savent qu’il se fera désirer, ne patienteront pas toute la nuit. Il y aurait tant à faire : hydrater (huiles Anouk d’Aesop, 30 !, ou huile pour le corps Diptyque, 69 !), mais vite, il faudra aussi de raser. Soit, mais avec quel blaireau ? Le Plisson (189 !) ou le Toris, qui trône sur son socle (182 !) ? Mais voilà que les yeux de Walter se perdent dans les reflets de cette boîte à secrets (de beauté) (2 100 ! chez un antiquaire, mais lequel ?), et dans l’orange de ce corail vintage (1 200 !). Plus de temps à perdre, c’est sa montre qui le dit (6 500 ! chez Dior Homme) et au diable les faux cils (6 ! chez Viva Fiesta). Walter aurait mieux fait de demander un soin (196 !), il serait déjà le nez au vent…

MÉLANGE D’HUILES ANOUK, AESOPHUILE POUR LE CORPS, DIPTYQUEBLAIREAU MANCHE BOIS FONCÉ, PLISSON SOCLE DE RASAGE, TORIS BOÎTE EN ARGENT VINTAGEBRACELET OR ET CORAIL VINTAGE MONTRE, DIOR HOMMEFAUX CILS, VIVA FIESTASOINS SAVON À BARBE, TORIS MOUSSE À RASER, EAU DE COLOGNE ETEAU DE ROSE, SANTA MARIA NOVELLA NETTOYANT, KIEHL’SFACIAL FUEL, KIEHL’SREGENESSENCE ET CREMA NERA, ARMANI BAUME DE PARFUM, AESOPGOBELET, SAINT-LOUISBOÎTE EN ARGENT VINTAGE

30 ! 69 !

189 !182 !

2 100!1 200 !6 500 !

6 !196 !17 !

116 !23 !40 !245 !63 !

310 !1 700 !

12 986 !

PANTALON NOIR À CARREAUX PANTALON NOIR EN LAINE PANTALON NOIR DE SMOKING PANTALON NOIR SUR MESURE SOULIERS SUR MESURE SOULIERS DE GOLF DERBIES PIXELS MOCASSINS FOULARDS CHAUSSETTES

925 ! 1 950 ! 2 200 !3 750 !830 !990 !546 !495 !

1 240 !60 !

12 986 !

Il faut toujours choisir, c’est le drame de Walter. Non qu’il manque d’arguments, tous ont grâce à ses yeux, mais laisser dans la pénombre du dressing un pantalon noir à carreaux (Gucci, 925 !) pour un Lanvin en laine (1 950 ! en costume), c’est un peu fort… Le Dior du smoking (2 200 !), et pourquoi pas le Armani sur mesure (3 750 !) ? Mais en commençant par la fin, les chaussures, tout peut s’éclairer… les richelieus sur mesure (830 ! chez JM Weston) ? Les derbies pixels de Margiela (546 !) ou carrément les chaussures de golf Prada (990 !), pour ignorer la demi-mesure ? Tout ça pour choisir la sobriété des mocassins (Gucci, 495 !)… Heureusement, les accessoires rehausseront cet apparente austérité : foulard Hermès (310 !) coordonné aux chaussettes (Falke, 15 !).

MAGAZINE NO 7

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La soirée fut enjouée : cris, surprises et bons mots ne firent pas défaut, au milieu de ces vrais amis, amants parfois, mais insé-parables plus de deux mois. Le dernier bar fermé et la flasque en poche (Stanley, 25 ! chez Merci), abrité sous le parapluie (215 ! chez Burberry), c’est vers l’hôtel que ce petit monde se dirigeait, avec quelques idées derrière la tête ; la chambre de Walter invitant à tous les excès. Chapeau (250 ! chez Paul Smith) et mallette (en croco, 22 800 ! chez Gucci) négligem-ment lancés sur le lit, les escarpins valsaient (300 ! chez Louis Vuitton), et la nuit pouvait recommencer. Qui auscultait le vase paresseux (280 ! chez Marianne Guedin), qui la cloche de verre (40 ! chez Margiela), alors qu’un autre feuilletait le livre sur la haute joaillerie de Cartier (90 ! à la Fnac). Si Walter se félicitait de toujours disposer de son nœud d’urgence (9 ! chez Bonton), il avait dû se résoudre à changer quelque mon-naie d’or pour financer ses fantaisies (11 023 !, frais compris).

PARAPLUIE CHAPEAU MALLETTE ESCARPINS VASE CLOCHE DE VERRE LIVRE NŒUD D’URGENCE PIÈCE D’OR

215 !250 !

22 800 ! 300! 280 !40 !90 !9 !

- 11 023 !

12 986 !

MAGAZINE NO 7

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Il fallait toujours que ça se termine par un jeu. On buvait (un chassagne-montrachet d’époque, 120 !, avec une modé-ration modérée) dans un verre au filet d’or (145 ! chez Saint-Louis), on fumait des cigares à moitié, posés dans le cendrier (610 ! chez Baccarat) et non loin du briquet laqué (695 ! chez Dupont)… Le caviar passait de mains en mains (Beluga Imperial, 2 400 ! chez Petrossian), et la flasque (90 ! chez Hacket) était bientôt vide. L’impératrice – c’était son sur-nom – s’était déchaussée (1 195 ! chez Yves Saint Laurent) et il fallait jouer maintenant. À quoi ? Peu importait. Des mots croisés ? Et pourquoi pas ? Muni de son stylo à plume (375 ! chez Montblanc) et de sa loupe lunette (59 ! chez Margiela), Walter y perdit ses boutons de manchette (98 ! chez Paul Smith) mais aussi la rondelette somme de 7 199 !. Ni plus, ni moins. C’est vicieux le hasard…

VIN VERRE CENDRIER BRIQUET CAVIAR FLASQUE CHAUSSURES STYLO LOUPE BOUTONS DE MANCHETTE PARI

120 ! 145!

610 !695 !

2 400 !90 !

1 195 !375 !59 !98 !

7 199 !

12 986 !

TEXTESP.36 : INTERVIEW

LUCIEN PAGÈS

P.40 : IMAGESPAS DE PRINTEMPS…

P.42 : BIOGRAPHIEMALCOLM MCLAREN

P.46 : LOGO

DESIGN POLITIQUE

P.48 : CHRONIQUEGARDÉS À VUE

P.50 : LEXIQUELES HAUTS TALONS

P.52 : OFF RECORD MÉDIADE LA PRESSE ET DES MARQUES

* N

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janv

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2012

)

10 Chancery Lane Gallery (Hong-Kong) - 313 Art Project (Séoul)* - A&B Gallery (Séoul / Karlsruhe)* - A. Galerie (Paris) - A2Z Art Gallery (Ivry-sur-Seine) - Acte2 galerie (Paris) - AD Galerie (Béziers) - Galerie Albrecht (Berlin)* - Louise Alexander Gallery (Porto Cervo) - A.L.F.A. Galerie (Paris)* - Analix Forever (Genève) - Arts d’Australie Stéphane Jacob (Paris)* - Galerie Albert Baumgarten (Fribourg) - Galerie Albert Benamou, Véronique Maxé & Albert Koski (Paris) - Galerie Berthet-Aittouarès (Paris) - Bourouina (Berlin)* - Galerie Jean Brolly (Paris) - Galerie Bernard Ceysson (Luxembourg / Paris/ Saint-Etienne) - Galerie Pierre Alain Challier (Paris) - Galerie Michèle Chomette (Paris)* - °Clair Galerie (Munich) - Galerie Claude Bernard (Paris) - Confluence (Paris)* - De Primi Fine Art (Lugano) - Delaive Gallery (Amsterdam)* - Dovin (Budapest)* - Galerie Dukan Hourdequin (Paris)* - Eidos Immagini Contemporanea (Asti)* - Erdesz Gallery (Budapest)* - Erika Deak Gallery (Budapest)* - Espace Beaumont (Luxembourg)* - Fabbrica Eos (Milan)* - Faur Zsófi Gallery (Budapest)* - Les Filles Du Calvaire (Paris)* - Flatland (Utrecht)* - Galerie Forsblom (Helsinki)* - Gagliardi Art System (Turin)* - Galerie Claire Gastaud (Clermont-Ferrand) - Galerie Bertrand Gillig (Strasbourg)* - Gimpel Müller (Paris/Londres)* - Galerie Laurent Godin (Paris)* - Galerie Bertrand Grimont (Paris)* - Galerie Guillaume (Paris) - Gallery H.A.N. (Séoul)* - Galerie Ernst Hilger (Vienne) - Galerie Catherine Houard (Paris) - Galerie Catherine et André Hug (Paris) - IFA Gallery (Shanghai) - Ilan Engel Gallery (Paris) - Galerie Imane Farès (Paris)* - Inception Gallery (Paris)* - Inda Gallery (Budapest) - Galerie Catherine Issert (Saint-Paul de Vence) - J. Bastien Art (Bruxelles) - Galerie Jacques Elbaz (Paris)* - Galerie Jean Fournier (Paris)* - JGM Galerie (Paris)* - Anna Klinkhammer Gallery (Düsseldorf)* - Konzett Gallery (Vienne)*- Galerie Koulinsky / Cellule 516 (Marseille)* - La Galerie Particulière (Paris)* - Galerie Lahumière (Paris) - Baudoin Lebon (Paris) - Galerie Lelong (Paris) - Galerie Levy (Berlin / Hambourg)* - Galerie Linz (Paris) - Magnum Gallery (Paris)* - Kalman Maklary Fine Arts (Budapest)* - Mario Mauroner Contemporary Art (Vienne)* - Galerie Martine et Thibault De La Châtre (Paris)* - Galerie Matignon (Paris)* - Mayoral Galeria D’art (Barcelone) - Galerie Alice Mogabgab (Beyrouth) - Galerie Lélia Mordoch (Paris) - Galerie Nathalie Obadia (Paris / Bruxelles) - Oniris (Rennes) - Galerie Orel Art (Paris) - Galerie Paris-Beijing (France) - Galerie Priska Pasquer (Cologne)* - Pente 10 (Lisbonne)* - Polka Galerie (Paris) - Catherine Putman (Paris)* - Rabouan Moussion (Paris) - Galerie Richard (Paris/New York)* - J. P. Ritsch-Fisch Galerie (Strasbourg) - Galerie Brigitte Schenk (Cologne)* - Sémiose (Paris) - Shuim Gallery (Séoul / Paris)* - Galerie Slott (Paris)* - Galerie Véronique Smagghe (Paris) - Galerie Stefan Roepke (Cologne)* - Galerie Rive Gauche Marcel Strouk (Paris) - Galerie Taïss (Paris) - Galerie Tamenaga (Paris) - Galerie Daniel Templon (Paris) - Galerie Toxic (Luxembourg) - Trait Noir-Aroya Galerie (Toulouse)* - Galerie Patrice Trigano (Paris)* - Galerie Vanessa Quang (Paris)* - Venice Projects (Venise) - Galerie Vieille Du Temple (Paris) - Galerie Vintage (Paris)* - VIPArt Galerie (Marseille) - Galerie VU’ (Paris) - Galerie Olivier Waltman (Paris) - White Moon Gallery (Paris)* - Galerie Esther Woerdeho! (Paris)* - Young Gallery (Bruxelles)* - Espace Meyer Zafra (Paris) - Galerie Zimmermann Kratochwill (Graz)* - Galerie Zürcher (Paris / New York)*

LE RENDEZ-VOUS PRINTANIER POUR L’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN

MAGAZINE NO 7

35

Et pour vous, en quoi cette pression des annonceurs modifie-t-elle votre travail ? Notre métier consiste à rendre les marques cool, séduisantes, attractives. Aucun des budgets que je représente n’annonce, ils ont pourtant tous de la visibi-lité. Je m’emploie donc à développer une forme d’aura autour des griffes, pour leur donner du sex-appeal, un truc qui fasse que les rédactrices sentent que c’est bien de les photographier. Passer les vêtements de mes clients donnera le ton de l’époque à leurs séries, cela leur apportera de la fraîcheur.

Et comment développez-vous cette aura glamour ? L’idée, c’est de mettre en lumière le meilleur de chaque créateur. Il faut donc être à leur écoute, tout en conservant un certain recul. J’essaye toujours de me placer du côté des journalistes, de comprendre la façon dont ils perçoivent la marque. De là, on tâche d’orienter les choses dans le bon sens…

Vous représentez de jeunes talents, le développement de marques émergentes semble devenu assez complexe… Les jeunes créateurs génèrent toujours beau-coup de presse à leurs débuts ; les choses se compliquent ensuite. Chaque saison, tous les magazines du monde y vont de leur dossier « jeunes créateurs » – condensé de tous les nouveaux venus du moment. Il y a tou-jours de la place pour ça ! Trois pages pour un article dithyrambique sur un jeune ayant effectué trois stages. Mais impossible par contre de caser ne serait-ce qu’un bonnet de ce petit génie dans les séries mode du même support ! En début de carrière, les jeunes créateurs ont facilement entre 15 et 20 articles importants, mais s’ils ne transforment pas rapidement leur succès d’estime, en réalité commercial, la presse ne peut rapidement plus les soutenir. Les journaux s’intéressent déjà aux talents de la génération suivante, histoire de rafraîchir les points de vue. Le problème est donc là : comment passer du stade de jeune trublion prometteur dont on parle à une réalité de marque bien diffusée et économi-quement viable ?

Et quelle serait la formule magique ? Avoir une diffusion est aujourd’hui essentiel. Quand j’ai commencé à travailler avec Adam Kimmel, il disposait de 23 points de vente. C’était un créateur assez cool, mais vraiment très « underground », très « understated » ; les gens ne comprenaient pas trop : il faisait des vêtements très simples mais paraissait dans des revues très pointues. Il était vendu au Dover Street Market, Comme des Garçons soutenait son travail… Il était un peu dérangeant, hors cadre. Il y avait quelque chose, mais quoi ? Il dispose aujourd’hui d’une cen-taine de points de vente pour sa ligne et de 150 pour celle développée avec Carhartt ; chose rendue possible par une relation très serrée entre le commercial et la presse au sein d’une petite équipe soudée. Tout a tou-jours été pensé en parallèle : la marque s’installait à tra-vers quelques points de vente en Allemagne, on cher-chait à avoir des papiers dans la presse germanique. De nouvelles lignes étaient développées, on le faisait savoir… Aujourd’hui, pour qu’une marque fonctionne,

INTERVIEW

LUCIEN PAGÈSEn charge des relations presse de clients aussi divers que le décorateur

Vincent Darré, le malletier Moynat, le créateur de mode masculine Adam Kimmel ou encore le parfumeur Byredo, Lucien Pagès anime depuis cinq ans…

… une agence de communication désormais incontour-nable. Styliste de formation, cet ancien assistant du directeur artistique Marc Ascoli développe des straté-gies médiatiques pointues, chics et décalées. Un autre regard sur les RP.

Quels sont les contours de votre métier ? En quoi consistent les relations de presse ? Différentes choses. Lorsque l’on travaille pour des créateurs, on les aide à construire leur identité de marque, à définir leur façon de communiquer, mais également on leur donne confiance en eux. Parler avec eux, voir où ils en sont, vers quoi ils voudraient – et pourraient – évoluer. Les aider à comprendre pourquoi certaines choses fonctionnent, et d’autres non. Tous ces beaux discours que les gens appellent « stratégies de marque », il me semble que c’est davantage un dialogue juste et sincère à établir avec ses clients. Clients dont on respecte le travail et en lesquels on croit. Il n’y a pas de recette miracle, chaque communication relève du sur-mesure ; elles se développent à deux, en accord avec les créateurs. Après, pour ce qui est des marques plus commerciales, l’idée est de créer une forme de climat sympathique autour d’elles ; que les gens les aiment, qu’elles aient leurs fans. La communication, c’est donc toujours créer des belles rencontres.

Quelles évolutions notez-vous dans votre métier ? Il m’est un peu difficile de répondre à cette question dès lors qu’attaché de presse n’était pas mon métier initial. J’ai suivi les cours de l’école de la Chambre syndicale de la couture parisienne et ensuite travaillé quatre ans avec Alberto Marani (un créa-teur de cachemire). À l’époque, déjà, on rameutait les copains journalistes pour présenter son travail. Quand j’assistais Marc Ascoli, nous supervisions la communi-cation de Martine Sitbon – en étroite collaboration avec le bureau de presse Michèle Montagne – pour tout ce qui était ouvertures de boutique, défilés, prêt de vête-ments aux actrices. Mais je n’ai jamais eu de véritable expérience de RP. Je me suis consacré à ce métier parce que j’ai rencontré Adam Kimmel, qui ne voulait pas rejoindre un bureau existant et souhaitait développer une communication personnalisée. Et comme on s’entendait bien, je m’y suis collé. Mais à mes débuts, les journalistes avec lesquels j’ai dans un premier temps collaboré étaient les copains. Je n’avais pas

de listing, pas de références, pas de méthodologie. Il m’est donc difficile de théoriser sur les bouleverse-ments du métier.

Mais la presse n’a tout de même plus les libertés de ton d’il y a vingt ans… Oui, alors bien sûr il y a cette fameuse pres-sion des annonceurs. Il y a une dizaine d’années, les rédactrices gémissaient, mais elles arrivaient encore à glisser des choses de marque ne prenant pas de pub dans leurs éditoriaux. C’est maintenant quasi impos-sible… parce que des pages de pub relève la survie des magazines. La donne a donc beaucoup changé et notamment dans les mensuels, mais de nouveaux sup-ports ouvrent de nouvelles perspectives.

Lesquelles ? Les revues underground introuvables que personne ne lit ? Non, pas forcément. Les hebdomadaires par exemple, en plus du Elle il y a aujourd’hui Grazia et Be. Se sont également développés des pages mode et des suppléments style dans les hebdomadaires, ces titres ont plus de flexibilité parce que matériellement plus de pages, et donc plus de place.

Qu’en est-il des journalistes ? Ont-ils changé dans leur façon d’appréhender leur métier ? Journalistes, attachés de presse, créateurs… tous ces gens ont en commun une vraie passion pour la mode, qui les soude. Une rédactrice fonctionne tou-jours au coup de cœur, même si elle doit composer avec des annonceurs ; passer la robe d’une petite marque qui lui tient à cœur dans une série relève pour elle de la croisade personnelle, pub ou pas pub !

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[…] Internet, c’est un peu l’embouteillage, tous

ces mails, ces sites, ces blogs, mais qui a le temps de

regarder tout ça ?

ont-ils besoin qu’on leur rabâche encore l’informa-tion ? Internet, c’est un peu l’embouteillage, tous ces mails, ces sites, ces blogs… Mais qui a le temps de regarder tout ça?

Haro sur le Net, donc ? Non, disons juste que les sites et les blogs ne me semblent justifiés que lorsqu’ils véhiculent des messages sincères et cohérents. Julien David, un de mes clients, a par exemple son blog sur le site de Colette. S’y retrouvent des gens qui comme lui aiment le streetwear et s’inscrivent dans une même commu-nauté d’idées. Internet a également un intérêt commer-cial, le shopping en ligne permet aux petites marques de toucher une large audience. Par rebond, Internet leur offre aussi la possibilité d’obtenir des parutions dans les magazines de pays où elles n’ont pas de point de vente physique.

Comment sélectionnez-vous vos clients ? J’ai souhaité depuis mes débuts que chaque client soit différent des autres, je représente un créateur de mode masculine mais n’en prendrai pas d’autres. Pitié ! Surtout pas de compétition entre les clients ! J’opère donc dans le domaine de la mode, de la décora-tion et de la parfumerie… La difficulté, c’est que chaque domaine fonctionne avec ses propres codes, des écono-mies différentes et des journalistes différents. C’est donc beaucoup plus de travail…

Vous organisez également de nombreux événements. Lancements, fêtes et cocktails ont d’ailleurs tendance à se multiplier ces derniers temps. Que justifie cette frénésie mondaine ? Aujourd’hui, trouver une date de libre pour un événement tient du casse-tête. Pourquoi ? Parce que ces manifestations trouvent écho dans la presse, elles servent à lancer des produits, des lignes, des marques… À chacun donc de déterminer la façon d’opérer pour taper juste. Pour l’ouverture de la boutique Moynat, nous avons pris le parti d’organiser plusieurs petits cocktails, sans photographe, avec peu d’invités à chaque session, pour prendre le temps d’expliquer à chaque convive l’histoire et la renaissance de ce malletier.

C’est une démarche à contre-courant. Il faut dire que depuis la fête de Natalia Vodianova pour Etam, toutes les grosses marques fantasment sur des mégafêtes avec concert rock et foultitude de gens importants au pre-mier rang ! La formule ne peut pas éternellement être dupliquée… Les célébrités qui se déplacent pour les événements que nous organisons le font parce qu’elles se sentent en communauté d’idées avec les créateurs pour lesquels nous travaillons. Si Catherine Deneuve était présente au lancement du livre de Fréderic Malle, c’est parce qu’elle en a écrit la préface, cela fait donc sens… Et il me semble que les choses qui perdurent dans le temps sont justement celles qui font sens. Cela peut paraître naïf de le dire, mais j’y crois fermement.

C’est une vision assez élégante des RP… Après, il existe évidemment des marques qui ne peuvent fonctionner que sur le mode du glamour, avec des actrices débarquant en limousine à des fêtes tapageuses, mais ces événements sont destinés à une autre audience. Les mastodontes de la mode ont besoin de capter les médias de masse… alors, sportifs, actrices, présentateurs télé s’enchaînent devant des murs de pho-tographes. Mais, je me demande bien qui peut encore être dupe ? Autrefois, on disait d’une fête qu’elle était réussie lorsqu’il y avait tout le monde ; aujourd’hui, on peut être certain que tout le monde s’est rasé !

Qu’est-ce qui a assuré votre succès dans ce domaine ? Mes clients ! Je travaille pour des clients comme Vincent Darré ou Olympia Le Tan, qui attirent à leur présentation des gens influents et glamour. Ce n’est pas pour moi que se déplacent Arielle Dombasle ou Valérie Lemercier… Mon travail consiste à les aider sur l’orga-nisation de manifestations qui leur ressemblent, où les invités passent un bon moment. Quand on reçoit avec plaisir des gens qu’on aime bien, cela doit bien se res-sentir un peu, non ?

Propos recueillis par Cédric Saint André Perrin

Photo : Lucien Pagès, ©Bruno Werzinski.

elle se doit de tenir compte des réalités économiques. Lorsque de nouveaux clients viennent me consulter, je leur demande toujours le nombre de leurs points de vente. Pour communiquer sur des produits, il faut qu’ils soient diffusés, qu’on puisse les trouver. Faire de la presse sur des choses non vendues, il y a un truc qui ne marche pas.

Vous êtes l’un des rares bureaux indépendants fran-çais à avoir su vous imposer à Paris, alors que depuis quelques années ce sont surtout de grosses structures internationales, type Karla Otto ou KCD, qui dominent. Leur venue a permis une professionnalisation du métier. Les relations presse sont devenues hyper organisées : stratégie, rapports mensuels aux clients, placement de produits… Avant, attaché de presse et client déjeunaient ensemble de temps à autre et, hor-mis un book de parutions, les choses n’allaient pas bien loin… Ces imposants bureaux de presse avec une foule d’assistants génèrent de l’argent parce que le luxe, la créativité, le vêtement, la parfumerie, etc., même en ces temps de crise, dégagent moult profits. Les clients sont donc prêts à se payer leurs onéreux services, car ils offrent une organisation parfaite. Moi, mes débuts ont été de bric et de broc, mais à l’instar de ces structures, j’ai dû me professionnaliser, m’équiper d’outils informa-tiques, d’assistants, c’est aujourd’hui indispensable.

Comme tous les bureaux de presse, vous classez donc les journalistes en fonction de leur influence… Oui, ceux qui reçoivent les plus beaux cadeaux sont aussi les premiers mis au courant des informa-tions (rires) ! Trêve de plaisanterie, il est vrai que les choses virent très politique et qu’il y a des faux pas à proscrire. Aux États-Unis règne depuis longtemps le triomphe de l’exclusivité : tu dois donner l’info à un magasin puissant avant tout le monde, au risque qu’ils la zappent. En France, on y vient aussi, mais c’est surtout vrai à l’international. Quand Adam Kimmel réalise un film, il faut bien réfléchir à qui l’on cède l’exclusivité ; aucun grand site ne va reprendre un film donné à un autre, tout au plus le film aura une seconde vie sur des blogs indépendants. Alors, Nowness ? Le site de Dazed & Confused ? Style.com ? La question se pose…

En quoi ces nouveaux médias, blogs, Internet, films, ont-ils modifié votre façon de travailler ? Ils permettent une plus grande résonance. On n’est plus à attendre LA parution dans tel ou tel men-suel. Cela permet aussi de créer un buzz autour des marques, et le buzz, c’est très important ! Les dirigeants des griffes très classiques ou assez commerciales ont parfois du mal à cerner les subtilités de la communica-tion sur le Net, qui est codifiée – au même titre que la presse papier. Ils vous disent on veut être sur les blogs, mais ça ne veut rien dire ! Des blogs, il en existe de très suivis et d’autres pas du tout, de passionnants et de super nuls. On dirait presque que c’est une fin en soi d’être présent dans les blogs – ça leur semble moderne ! Le fait est qu’en France, des blogs de mode, il n’en existe pas beaucoup. Il y a bien celui de Garance Doré, qui a sa propre identité, mais il relève davantage du journal intime que du magazine ; elle y poste des dessins, parle du style des filles, partage des émotions. Les marques en attendent des parutions, un relais d’informations sur leurs produits… mais ce n’est en aucun cas le pro-pos ! Dans le domaine de la mode masculine, les sites sont, certes, plus axés produits ; sans doute parce que les hommes ont cette passion du bel objet.

Facebook semble également appelé à devenir un relais de communication pour les marques. Communiquer ou non à travers les réseaux sociaux est une question de positionnement. Per-sonnellement, je ne trouve pas cela très chic. Certes, il m’arrive de poster des infos sur mon mur Facebook, quand je suis très content d’un événement par exemple, mais c’est plus affectif que stratégique. J’ai envie de partager quelque chose qui m’a apporté du plaisir et de la satisfaction, mais ça reste dans la sphère de l’intime. Après, on sait bien que des entre-prises spécialisées activent les réseaux sociaux pour le compte de grandes marques… Or, il me semble qu’une sollicitation excessive du public devient vite contreproductive. Il en va de même des newsletters. Beaucoup de bureaux de presse « mailent » aux jour-nalistes des résumés de leur actualité, je ne suis pas

pour. Cela finit par ressem-bler à des spams ! Quand les journalistes ont déjà reçu le dossier de presse, en quoi

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[…] Communiquer ou non à travers les réseaux sociaux est une question de positionnement. Personnellement, je ne trouve pas cela très chic.

[…] Aujourd’hui, trouver une date de libre pour un évènement relève du casse-tête. Pourquoi ? Parce que ces manifestations trouvent écho dans la presse, et servent à lancer des produits, des lignes, des marques…

Hitchcock filmait volontiers l’architecture vertigineuse des escaliers, et c’est la même qu’empruntent à leurs risques et périls les modèles de la dernière campagne Jil Sander. L’ambiance est un noir et blanc expression-niste duquel émergent en couleur les silhouettes : bibi à voilette, robe à la taille marquée faisant ressortir les hanches, longueur au-dessous du genou, très près de la jambe… Le vocabulaire stylistique est bien celui des années 50 et du début des années 60, dans un cauchemar du cinéaste anglo-saxon. Car être une héroïne hitchcoc-kienne n’est pas confortable. Hitchcock adorait malme-ner ses personnages féminins, prises dans les filets de son désir coupable, traquées dans leur conduite, pour-chassées dans leurs rêves, voulant l’indépendance mais restant prisonnières. Et il jalousait ses actrices, contrô-lant leur allure dans le plus infime détail. À l’image, le

vestiaire de l’époque soutient à merveille cette tyrannie, quand il galbe et exalte les courbes féminines, fantasme et enserre les corps convoités.

Ce n’est pas à Hitchcock mais au succès de Mad Men que l’on doit, depuis plus d’un an, ce retour rétro chez les créateurs actuels. Mais comme le regard super-ficiel ne retient de l’héroïne hitchcockienne que la face impeccable de Grace Kelly, les bureaux de tendance ont applaudi la série pour le seul aspect glamour de ses personnages, occultant sa dimension sociologique tout à fait noire. Mad Men altère l’âge d’or du capitalisme moderne en mettant en avant le cynisme de ses héros publicitaires, et déploie parallèlement une guerre des sexes sans merci. Sur ce point, le New Look qu’inventa Dior en 1947, et qui influence toute la décennie suivante,

n’est pas anodin : les femmes commençaient de conqué-rir un territoire plus ample, ayant remplacé les hommes partis au front pendant la guerre, mais les lignes impé-rieuses de l’hyperféminité que leur proposa le coutu-rier leur insinuaient plutôt de travailler au statut de bel objet. Moulées dans des tailleurs, tenues dans leurs petits hauts cintrés, offertes dans leurs jupes corolles, les femmes de Mad Men s’avèrent frustrées et malheu-reuses : épouses arrimées à la solitude du foyer, secré-taires bafouées par une hiérarchie machiste. Espionnes, voleuses, frigides, menteuses, les créatures hitchcoc-kiennes, en proie à des fantômes pas nets, en sont la version dramatique et sorcière.

Convoquer Hitchcock dans une campagne de presse c’est évoquer l’ambivalence d’un regard, sur le sujet féminin, et les ambiguïtés d’une mode et de son époque. Sur les doubles pages, les filles portent des bottes dont le laçage rappelle celui du corset, et sinon elles regardent, de derrière, une antique vitrine qu’il a fallu briser. Il faut maintenant regarder la collection elle-même, où Raf Simons, s’il cite le style des années 50, en livre une version apaisée à l’aune de l’épure mini-male qui fait la renommée de la marque. Surtout, des silhouettes immaculées, blanches nurses ou infirmières, ont ponctué le défilé comme une cure nécessaire. Pas de printemps pour Jil Sander donc ; puisque les références à l’histoire des formes ne peuvent se réduire au pur formalisme, ni à la nostalgie.

Céline Mallet

Images : Campagne Jil Sander printemps/été 2012. Photographie : Willy Vanderperre. Stylisme : Olivier Rizzo.

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[…] Être une héroïne hitchcockienne n’est pas confortable. Hitchcock adorait les malmener, prises dans les filets de son désir coupable, traquées dans leur conduite, voulant l’indépendance mais restant prisonnières.

PAS DE PRINTEMPS…

IMAGES

La référence est tentante, elle appelle le regard et invite la nostalgie. Mais la madeleine aurait-elle un arrière-goût ? Démêlons les fils de la dernière

campagne Jil Sander, qui convoque le cinéma d’Hitchcock.

1974 Invités à présenter leurs créations à New York, le couple se fait remarquer par les New York Dolls, ce groupe de rockers junkies devenu la coqueluche de Manhattan. Fasciné par la tenue d’apparat de ces tri-sexuels [néologisme adapté de « trysexual » pour « tout essayer », ndlr] en semelles compensées enroulés dans du Spandex (une fibre synthétique qui montrait tout), Malcolm se laisse envoûter par la puissance spontanée de cette sous-culture musicale. Lorsqu’il les travestit ensuite d’uniformes rouges, sur fond de drapeaux et de slogans post-soviétiques, le groupe vit ses dernières heures. Mais peu importe, entretemps il a trouvé le nouveau nom de sa boutique : « Sex » s’inscrit désor-mais au fronton en lettres rose vif, cependant que la vitrine expose un vestiaire fétichiste de sex-shop et que la décoration intérieure revêt l’aspect d’un utérus. « La ruse a besoin de vêtements, mais la vérité aime aller nue » 4, s’exclame Jean-Jacques Rousseau sur le linteau de porte. « La boutique était simplement différente de toutes les autres sur King’s Road. Vous pouviez venir et rester là sans que personne ne vienne vous faire chier… Ce n’était pas comme dans un magasin mais comme un lieu de rencontre pour glandeurs », témoigne alors Steve Jones, l’un des glandeurs kleptomanes du lieu.

1976 Lorsque ce morveux de Steve Jones vient solli-citer Malcolm et ses contacts pour l’aider à monter un groupe de rock de cas sociaux, il se heurte à des hausse-ments d’épaules. L’intérêt du manager en herbe grandit quand il réalise que les caïds chantent faux, se com-portent comme des sauvages et s’habillent comme des ploucs. « Mes débuts de manager pour les Sex Pistols, c’était comme un retour en enfance avec ma grand-mère. C’était une femme qui créait son propre monde ; les autres devaient s’y intégrer ou rester en dehors. Son univers était bien meilleur que celui dans lequel nous vivons, parce qu’il avait bien plus d’âme et de passion. » Après avoir trouvé le chanteur et son surnom (alias Johnny Rotten, dit « Johnny Pourri », en référence à ses dents pourries), changé le bassiste (alias Sid Vicious), confectionné leur tenue de scène (avec des vêtements lacérés, des sangles et des pantalons bondage), ficelé un bon slogan : « À bas un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s’échange contre la garantie de mourir d’ennui – je prends mes désirs pour la réalité, car je crois en la réalité de mes désirs », Malcolm com-mence à y croire… « Il nous a dit d’arrêter de jouer cette merde [les Beatles] et qu’on ferait mieux d’écrire nos propres trucs : “Faites quelque chose de vous-mêmes, vous saurez ce que vous avez dans le ventre et dans la tête”, qu’il disait », se souvient Paul Cook. Ce qui donne, quelques mois plus tard : “God save the Queen / A fascist regime / Made you a moron / A potential H-bomb / God save the Queen / She ain’t no human being / There ain’t no future in / England’s dream. » 5 Ajouté à cela quelques bons coups publicitaires (le contrat avec EMI est signé en face de Buckingham Palace), quelques esclandres relayés par une presse haineuse (le Jubilé d’Argent de la reine Elisabeth se voit fêté dignement sur la Tamise dans un brouhaha de parjures, de galettes de vomi et de paniers à salade) et un concept anti-marketing : la première pochette est un sac noir sans aucune inscription et les concerts doivent rester secrets… Bilan : les Sex Pistols ébranlent la nation en à peine quelques mois d’existence, quelques singles, un seul album et deux ou trois tournées avortées. Une foule hystérique reprend en chœur leurs mélodieuses litanies à jets de crachats et de “Fuuuck!!”. Le punk était né. « Le punk n’avait ni formation, ni plan de carrière. Il était le produit d’une génération ivre de néant, se sentant piégée dans l’Angleterre post-industrielle de la fin des années 70, condamnée à faire la queue devant les bureaux d’embauche et les guichets d’indemnisa-tion chômage, et dont la seule façon de se venger était

MALCOLM MCLAREN

1946 Naissance de Malcolm McLaren à Londres au sein d’une famille juive marginale. Privé de son père par une mère mal froide et carriériste, son éducation est prise en charge par une grand-mère née sous l’ère vic-torienne qui déteste la vie (“a piece of shit !”) et l’Angle-terre – « Une nation de menteurs dont la famille royale est la mascotte… » “To be bad is good. To be good is sim-ply boring. So who wants to be good?” lui rabâche-t-elle dès son plus jeune âge.

1956 Un lavage de cerveau qui porte ses fruits… Rejetant toute forme d’autorité, Malcolm se rend vite compte que son mauvais comportement à l’école attire l’attention sur lui – et surtout l’approbation de sa grand-mère, ce qui était plus important. « Nous n’avions aucune idée de ce que peut être une famille unie. Mais le monde de ma grand-mère était si fort que je pouvais exister en créant le mien sur le même modèle […] Elle me faisait remettre en question toute position établie. »

1965 Lors de ses passages éclairs dans les écoles d’art, il s’essaye à la marginalité ostentatoire. “Art school had taught me it was far better to be a flamboyant failure than any kind of benign success.” L’école d’art d’Har-row se voulait « l’endroit où échouaient tous ceux qui n’avaient pas trouvé leur place ailleurs » ; Malcolm y trouve un refuge pour exprimer sa colère et son ressen-timent. Lorsque l’insurrection étudiante enflamme la capitale parisienne et galvanise la jeunesse du monde entier, il se prend à rêver de révolution. Il cherche alors à intégrer les King Mob1 – un groupe situation-niste anglais qui encense la violence et le renverse-ment de l’ordre esthétique par la culture pop. Leurs slogans utopistes – « nous sommes la force du chaos et de l’anarchie. Nous sommes obscènes, sans loi, hideux, dangereux, sales, violents et jeunes » – achèvent de conquérir le cœur du jeune « agitateur poil à gratter » 2.

“I was searching for a way to break the rules, change life – and I was looking to turn art into action.” 3 Dans les faits, Chris Gray, le leader du mouvement, se souvient de lui comme « d’un jeune étudiant en art aux yeux écarquillés qui n’était pas vraiment impliqué ». «Malcolm ne se sentait pas concerné par la révolution, il était engagé envers lui-même », confirme Robin Scott, son colo-cataire d’alors.

1970 Devenu père malgré lui, sans le sou et sans perspectives, Malcolm mesure à présent les bienfaits de l’échec en tant que noble cause. Tandis qu’il quitte le Goldsmiths College, sans avoir obtenu son diplôme, il dilapide ses bourses d’études dans une collection obsessionnelle de disques de rock des années 50 et 60. “My life ran in tandem with the birth of rock’n’roll. I soon became obsessed with the look of that music and the sound of that fashion.” Et tente de trouver l’argent là où il se cache. Il persuade alors sa girlfriend, Vivienne Westwood, de laisser tomber l’en-seignement pour ouvrir une boutique au 430 King’s Road ; une boutique qui rassemblerait les reliques du rock’n’roll spirit mais qui offrirait en contrepartie des gâteaux et du Coca parce que « le capitalisme pue » – telles sont les contradictions de révolutionnaires tra-vaillant dans la mode… Fascinés par l’arrogance et la brutalité des Teddy Boys, ces fondamentalistes de la religion pop en cols velours qui tranchaient avec la mièvrerie des hippies (ces « hippos » qui prétendaient avoir changé le monde mais qui n’avaient orchestré qu’un ravalement de façade...), ils se proposent bien-tôt de leur tailler des costumes sur mesure ; le choix d’une nouvelle veste revendiquant un acte politique. « Il s’agit d’une tentative constante pour sortir de cette structure de classe qu’est le costume deux pièces », concède le pro-révolutionnaire. Pour se débarrasser d’une clientèle de prolos racistes devenus indésirables, la boutique Let It Rock se fait rebaptiser, en 1973, Too fast to live, Too young to die (hymne en l’honneur de James Dean que reprenaient les délinquants juvé-niles en blouson noir). Pour honorer leurs convictions, Vivienne et Malcolm enfilent l’attirail en cuir clouté du motard rocker et vendent des vêtements brodés de lettres en os de poulet bouillis, des T-shirts pneu de moto ou zippés. “I always feel more comfortable in chaotic surroundings. I think order is dull.”

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Malcolm McLaren, le manager controversé aux méthodes de travail anarchistes a œuvré sa vie durant à mettre en scène sa propre histoire. Rendue abstraite par la médiatisation, la biographie de ce trafiquant d’idées à la chevelure incandescente,

est semée d’embûches et de mystifications.

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« La ruse a besoin de vêtements mais la vérité aime aller nue », s’exclame Jean-Jacques Rousseau sur le linteau de porte de la boutique Sex […]

[…] L’intérêt du manager en herbe grandit quand il réalise que les caïds [futurs Sex Pistols] chantent faux, se comportent comme des sauvages et s’habillent comme des ploucs.

BIOGRAPHIE

1999 Après quelques errances musicales (de la scène hip hop des années 80 au glamour patiné de l’album Paris Paris réalisé en duo avec Catherine Deneuve), le désormais célèbre entertainer n’aime jamais rester dans l’ombre trop longtemps… Briguant la candidature de la mairie de Londres, avec un programme incluant la vente d’alcool en librairie, il fait un passage dans une émission de téléréalité abjecte avant de s’essayer à un retour en grâce dans le milieu de l’art.

2010 Réfugié en Suisse, Malcom McLaren décède des suites d’un cancer. Autrefois accusé de tous les maux, le renard escroc-mytho-mégalo reçoit cette fois les hommages les plus élogieux de ses frères ennemis. “Oscar Wilde said something very wise: ‘When you’re young, you know everything. When you get to middle age, you’re suspicious of everything. And when you get old, you believe in everything.’ I haven’t reached that point yet. I prefer to be bad. Unquestionably.”

Marlène Van de Casteele

1. Les King Mob tirent leur nom d’un mouvement insurrectionnel londonien du xviiie siècle.2. Propos cités par Helen Mininberg, son amie du Goldsmiths’ College en 1968.3. The Guardian, “Searching for a way to break the rules”, interview de Malcolm McLaren, 15.09.2007.4. Jon Savage, England’s Dreaming: les Sex Pistols et le punk, Allia, 2002.5. Traduction de la chanson God Save the Queen : « Dieu sauve la Reine / Son régime fasciste / Fait de vous un connard / Une bombe H en puissance / Dieu sauve la Reine / Ce n’est pas un être humain / Il n’y a pas d’avenir / Dans le rêve anglais. »6. Fred et Judy Vermorel, Les Sex Pistols – L’histoire intérieure, Le mot et le reste, 2011. Propos cités par Francis Dordor, p. 9.7. Traduction des paroles de la chanson Pretty Vacant : « Nous sommes si jolis / Oh si joliment vides et on s’en fout. »

IMAGESp. 42 : Malcolm McLaren ©DR.p. 43 : 1. Malcolm McLaren et les Sex Pistols devant Buckingham Palace en 1977. 2. Boutique « Sex » au 430 King’s Road, London, ©DR.p. 44 : 1. couleur – Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, 1971 ©David Parkinson. 2. Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, ©DR.p. 45 : Malcolm McLaren, Vivienne Westwood and friends dans la boutique « Sex » ©DR.

de se planter des épingles à nourrice dans les joues et de changer l’art du chant en râle d’agonie. » 6

1978 Alors que « Malcolm développe une certaine schi-zophrénie sur la façon d’être un anarchiste tout en étant un homme d’affaires accompli », note la secrétaire du groupe dans son journal de bord, les rumeurs les plus désobligeantes sur ses méthodes de management courent dans la presse. « C’est à ce moment qu’il a com-mencé à considérer le groupe comme sa propre création. Malcolm s’est mis à croire les choses que l’on rêvait de dire à son sujet. Il pensait vraiment qu’il était un génie du situationnisme qui avait absolument tout planifié », témoigne Julian Temple, réalisateur du film The Great Rock’n’Roll Swindle. « C’est un mégalomane. Il ne s’inté-resse à un milieu qu’à partir du moment où il peut y exercer un certain pouvoir. Ce n’est pas exactement la puissance à l’état pur qui l’intéresse, mais plutôt l’usage de la communication. Vous faites ou dites quelque chose et cela influence dix ou cent ou un million d’in-dividus… », rapporte le producteur Dave Goodman. Une réputation que McLaren se garde bien de contester, sachant combien cette publicité peut servir ses intérêts.

Les déclarations de John Lydon et Sid Vicious ajoutent de l’huile sur le feu et sonnent le glas de leur collabo-ration. Malgré trois 45-tours classés dans le Top 10 et un album no 1 (Never Mind the Bollocks), le groupe ne résiste pas au chaos interne et aux pressions extérieures. Une scission qu’avait cependant anticipée McLaren, qui considérait qu’un groupe de punk, par définition, ne

pouvait se fondre dans le conformisme d’un succès de longue durée. « Le management en a assez de s’occuper d’un groupe de rock’n’roll à succès. Le groupe en a assez d’être un groupe de rock à succès. Mettre le feu pendant les concerts et foutre en l’air les compagnies de disques est plus créatif que de réussir », annonce-t-il par com-muniqué, avant même que Sid Vicious ne soit inculpé pour le meurtre de sa petite amie et décède d’overdose. “We’re so pretty oh so pretty vacant and we don’t care…” 7 Après Seditionary, la boutique est rebaptisée World’s End. John Lydon entame une procédure devant la Haute Cour afin de se voir attribuer la paternité du groupe et se venger du « traître égocentrique ». Le traître égocen-trique s’exile à Paris, dans un accès de paranoïa, avec ses derniers billets bourrés dans les chaussettes… “I was a capitalist-terrorist that escaped to Paris.”

1983 Ce qui ne l’empêche pas, une fois revenu chez lui, de fabriquer des groupes pop (Bow Wow Wow, Adam & The Ants) comme on lance des concepts. Des divergences qui auront bientôt raison du couple Westwood/McLaren. Leur seconde boutique londo-nienne, Nostalgia of mud, ferme ses portes l’année suivante, marquant définitivement la fin de leur col-laboration intellectuelle. Vivienne s’en va présenter ses collections à Paris. Malcolm fuit le plus loin possible… et atterrit à Hollywood, « la seule ville où peuvent se vendre les idées ». Fasciné par l’industrie du film et son business, il parvient à y dégoter un job chez Columbia, le royaume de Spielberg. Et se perfectionne dans l’art du langage pour devenir le maître de la bonne formule. “Hollywood teaches you to tell stories as succinctly, quickly and efficiently as possible [...] If the story last longer than five minutes, you’re gone.”

1986 Les Sex Pistols remportent leur procès – le procès originel aboutit à une impasse, ce qui décida Johnny Lydon à porter l’affaire devant un tribunal. Ils réaffirment leur autonomie vis-à-vis de McLaren et récupèrent les droits sur ce film qu’ils détestent, The Great Rock’n’Roll Swindle. La conclusion du tribunal : « McLaren nous a apporté le punk violent et agressif ; c’était littéralement son travail de création. » Défaite cuisante pour McLaren, il doit céder au groupe ses deux sociétés et se fait déposséder de son film. “The Pistols were like my work of art. They were my can-vas.” John Lydon tient sa vengeance : entre l’artiste, le manager et le public, le tribunal prend toujours le parti de l’artiste. Lydon se fait dédommager d’un million de livres. McLaren est sur la paille. « Ça m’a harcelé constamment pendant huit ans. Maintenant j’en suis débarrassé », confesse celui qui s’en sort toujours... “All things that appear to be uncool turn out to be cool.”

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« Malcolm est un mégalomane. Ce n’est pas la puissance à l’état pur qui l’intéresse, mais plutôt l’usage de la communication. Vous faites ou dites quelque chose, et cela influence dix ou cent ou un million d’individus… »

Easy-E, Snoop Dogg, Tupac Shakur, Suge Knight, François Hollande. Après les Bloods et les Crips, légen-daires gangs rivaux de Los Angeles, ce sont aujourd’hui les partisans du candidat socialiste à l’élection présiden-tielle qui se rallient autour d’un geste de la main, d’un « Gang Sign1 » mystérieux et identifiant. Pas question ici de dessiner un « W » pour West Coast avec sa main droite pour intimider ses rivaux mais plutôt de tracer deux tirets avec les mains, dans un rappel gesticulaire et quelque peu absurde du logo de François Hollande. On pourrait questionner la cohérence et l’à-propos du symbole « = » avec le slogan « le changement c’est maintenant », mais l’acrobatie gestuelle nécessaire à la représentation du symbole « ! » aurait sans doute été un effort de trop pour des sénateurs octogénaires.

Mais cet épisode, aussi risible soit-il, vient souligner que l’effort typographique déployé autour de la campagne du PS est hors du commun. Un logo propre, simple, étonnamment austère et minimal2. Une typographie sans sérif, avec la cédille du « ç » habile-ment décalée vers… la gauche. Un travail du graphiste Robin King, un Anglais installé en France, symbole à lui seul de l’intégration des populations immigrées ou bien (au choix) signe flagrant des étrangers qui nous volent notre travail. Faut-il importer des cerveaux (ou des crayons) pour avoir des affiches politiques qui ne ressemblent pas à un fichier Microsoft Word ? L’histoire des affiches de campagne présidentielle, en France, semble indiquer qu’un apport de main-d’œuvre gra-phique étrangère serait la bienvenue.

Certains se souviendront encore avec nostalgie des posters « Génération Mitterrand »3 en typographie Machine à l’interlignage minimum, laissant apparaître, en incrustation dans les lettres, un bébé tendant sa main vers celle d’un homme en costume, tel Adam et Dieu dans la chapelle Sixtine. Message flou, mais graphisme fort. Mais, depuis cette campagne en 1988, les promesses typographiques des candidats ont été bien maigres. En 1995, Lionel Jospin a donné un coup de déprime à la France entière rien qu’en lui infligeant son affiche : vert pâle à la Tiffany mais sans le luxe inhérent à la marque

new-yorkaise, typographie mièvre sans hiérarchie d’in-formation, portrait des plus déprimants4. Une douche froide pour l’enthousiasme des militants socialistes. Léger espoir en 2007 : quand Ségolène Royal s’inspire très fortement de l’esthétique de Barbara Kruger5, mais sans la rigueur typographique qui a fait le succès de l’artiste américaine (et du magasin Supreme), et sans la valeur subversive de ses slogans.

Et c’est aujourd’hui Nicolas Sarkozy qui s’expose à la culture cruelle et immédiate du “meme” sur Internet6. Son affiche est minimale, le nom du candidat est presque invisible, et y trône simplement une phrase (La France Forte) en typographie Trade Gothic. Après avoir été comparée à une campagne de Valéry Giscard d’Estaing au slogan très similaire7, elle a été reprise et prestement détournée par des centaines de citoyens possesseurs du logiciel Photoshop, trop heureux de pouvoir retoucher le visuel à leur aise. La France Forte est devenue La France Frotte, La France Flotte et autres calembours plus ou moins réussis. Si seulement le fond choisi avait été un peu plus complexe, moins uni qu’un ciel bleu (extrait par ailleurs d’une banque d’images de la mer Égée), la tâche de retouche aurait été plus ardue, et la déferlante de blagues moins immédiate. Mais l’amateurisme et le manque d’imagination des responsables de l’image du président n’a pas tenu compte de l’habileté numérique croissante de la population. Quand, en 1988, Mitterrand a usé d’un visuel de campagne similaire dans la forme et dans la phrase, seuls des graphistes chevronnés, disposant de matériel adéquat, auraient pu le détourner, et peut-être en imprimer quelques centaines. Quand, vingt ans plus tard, Barack Obama utilise le langage visuel de Shepard Fairey pour son visuel « Hope », il ouvre la porte à des millions de reprises et détournements. Mais quand un président français mal aimé, tourné en dérision maintes fois, se risque à l’exercice, on assiste à un naufrage numérique en direct.

Yorgo Tloupas

DESIGN POLITIQUE

Manier des signes, c’est comprendre l’évolution du monde – ce qui n’est pas inutile en politique non plus. La pub (politique) se révèle souvent

maladroite et mesure mal les potentialités d’Internet. Exemples…

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[…] Faut-il importer des cerveaux (ou des crayons) pour avoir des affiches politiques qui ne ressemblent pas à un fichier Microsoft Word ?

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des contenus positifs », comme cette agence qui s’affi-chait en février dans le métro parisien pour vanter son savoir-faire en matière de nettoyage des traces (sic) laissées dans l’insondable mémoire du Web. C’est qu’à la tyrannie du tout-à-l’écran s’ajoute celle de la mémoire infaillible des databases : difficile d’être moins « traçable » qu’une vulgaire salade sous vide ! Les fonc-tionnaires de Bruxelles tentent bien de faire inscrire dans les constitutions européennes un droit à l’oubli – amusant écho inversé du devoir de mémoire tant rabâché –, pourtant, « les héroïsmes comme les vices deviennent propriété internationale, et l’être visé, vidé de son secret, dépossédé de son mystère, avoue à des millions d’exemplaires, par tous ses traits, par toute sa personne, par sa pauvre figure qu’il cache en vain de la main » (Paul Morand, prophétique, en 1936). Comme l’a théorisé Michel Foucault, « la visibilité est un piège ». Éternels « gardés à vue », nous faudra-t-il devenir mar-mottes ? Non, il est temps, avec le retour du printemps, de suivre Philippe Sollers : « Pour vivre cachés, vivons heureux. »

Stéphane Wargnier

Image : intérieur d’une prison panoptique, ©DR.

L’hiver est par excellence la saison du douillet déploie-ment de la vie intime. Pas seulement pour les mar-mottes, qui hibernent tranquillement jusqu’à ce que le soleil efface la neige, mais aussi pour l’homme des villes qui fuit les trottoirs verglacés et rentre s’installer confortablement dans sa tanière citadine. Période idéale, donc, pour les dîners entre amis et les secrets d’alcôve… Mais cette idée même d’une vie privée ne serait-elle pas redoutablement démodée ? À l’heure de la dictature de la transparence des réseaux sociaux, l’homo connec-ticus peut-il vraiment prendre le risque de « passer à côté de tas d’occasions de connexion » ? Non, répond le journaliste netophile new-yorkais Jeff Jarvis dans Tout nu sur le Web (éd. Pearson). Prônant les bienfaits de la « publitude », une vie hyper connectée et surexposée sur la Toile, il résume d’un trait : « À l’ère des réseaux, la culture du secret n’a plus de sens. »

Bienvenue donc dans les soirées 2.0, en live sur tous les écrans, et bonne chance aux cinq à sept tweetés en direct à des milliers de followers égrillards ! Les professionnels du marketing viral regretteront que le pauvre DSK n’ait pas su transformer un immense buzz mondial en capital sympathie, en postant oppor-tunément quelques photos suggestives de la « relation

inappropriée » pour satisfaire la terrible soif de reveal de millions de cybervoyeurs fascinés par la porte entrou-verte de la suite 2806. Fascinante chute d’un homme public, dont la vie est soudain « privée de tout » parce qu’écrasée par la lumière… Voir, voir, voir ! L’impératif de visibilité à 360° s’impose à tous, marques et indivi-dus. Rien ne doit rester dans l’ombre : on solde l’inti-mité, tout doit apparaître !

La logique libérale de régulation des mar-chés par la transparence de l’offre domine l’époque et Bruno Pieters peut se féliciter de lancer Honest by, « la première marque éthiquement transparente », qui dira tout au consommateur sur ses composants, ses modes de fabrication, ses prix de revient et son empreinte car-bone – tout comme les jeunes chefs à la mode ne nous laissent rien ignorer du pedigree de leurs fournisseurs, ni de leur façon de préparer les plats devant leur piano en open space. Cacher quoi que ce soit est devenu clai-rement suspect, voire obscurément coupable. IRL (in real life dans le langage des accros de l’écran), comme on line, on doit avancer à découvert.

Heureusement, de gentils consultants se pro-posent pour veiller sur notre e-réputation en « créant

CHRONIQUE

À l’ère des réseaux sociaux, exister c’est partager. Mais une vie peut-elle se passer de secrets ?

GARDÉS À VUE[...] Voir, voir, voir ! L’impératif de visibilité à 360° s’impose à tous, marques et individus. Rien ne

doit rester dans l’ombre : on solde l’intimité, tout doit apparaître !

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chaussait des talons finement sculptés où étaient repré-sentées des scènes de bataille. Les règles somptuaires de l’époque décrétèrent que seuls les nobles pouvaient porter des talons rouges et qu’aucun talon ne devait dépasser en taille celui du roi (ce qui ne représentait guère une grande contrainte pour le peuple, car les talons royaux mesuraient souvent jusqu’à 13 cm).

6 Napoléon abolit en 1791 le talon haut, pour aller dans le sens de l’égalitarisme post-révolutionnaire. Malgré cela, ou peut-être pour cette raison, en 1793, Marie-Antoinette portait des talons hauts lors de son exécution…

7 Au xxe siècle, ce fut une cavalcade de talons hauts de tailles et formes variées. Le plus prisé, et à la vie dure, le talon aiguille, existait déjà au xixe siècle, comme

l’attestent de nombreux dessins fétichistes. Mais ce ne fut qu’avec l’accélération des progrès technologiques et, plus précisément, la possibilité d’armer le talon d’une fine tige de métal, que la vogue du talon aiguille décolla. Porté par la renaissance de la mode féminine et de toutes les extravagances qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, le styliste chausseur Roger Vivier se fit le promoteur vigoureux et efficace du talon aiguille, et ceci en dépit des interdictions dans certains édifices publics pour les dégâts causés aux sols.

8 Aujourd’hui, le choix des modèles de talons hauts est vaste. Et, au cours des années, les talons sur les podiums autant que dans la rue n’ont cessé de rejoindre en hauteur les chopines vénitiennes en même temps qu’étaient rendus publics les nombreux accidents et pathologies liées aux talons surélevés : chevilles tordues, ongles incarnés, tendons déchirés, pieds déformés, pro-blèmes de posture, blessures au cou ou ostéo-arthrite du genou. Mais, malgré les cris des féministes, les moqueries des hommes et les avertissements des méde-cins, le talon haut continue de prospérer. L’élégance fragile, le goût du risque et le style « amazone » peuvent expliquer la persistance de cet engouement. Ou peut-être faut-il écouter le poète Christopher Morley, pour qui « les talons hauts on été inventés par une femme qui a été embrassée sur le front ».

Anja Aronowsky CronbergTraduit de l’anglais par

Thibaut Mosneron Dupin

IMAGESChaussure xvie siècle, ©DR.Lady Gaga à Londres, ©DR. Louis XIV devant son trône, en escarpins à talons rouges, ©Hyacinthe Rigaud.

LEXIQUE

LES TALONS HAUTS

1 La chaussure à talons hauts est l’un des attributs de la mode les plus controversés. Que le talon haut soit envisagé comme symbole de plaisir, de désir féminin, de prise de pouvoir et de provocation sexuelle fémi-nines ou, au contraire, symbole de la domination masculine, de la création de stéréotypes féminins, ou tout simplement du summum de la frivolité, il reste une contradiction sur pattes. Et, autre paradoxe, le talon haut retient le mouvement afin de le « mettre en valeur » – ou, du moins, c’est l’illusion qu’il suscite. Il attire l’attention sur le pied de la femme : ses pas paraissent plus amples, son mouvement plus rapide et, en même temps, le déséquilibre est perceptible et une chute toujours possible. Une femme en talons hauts paraît donc à la fois puissante et vulnérable.

2 L’histoire du talon haut est aussi pittoresque que mouvementée. Dans l’Antiquité, les Égyptiens mar-chaient le plus souvent pieds nus. Les pièces de cuir lacées ensemble – en forme de croix ansée d’Ankh –, annonciatrices de la chaussure, y étaient le privilège exclusif des classes supérieures, lesquelles portaient aussi des talons pour les cérémonies. Dans la Grèce Antique, la sandale à plateforme en semelle de bois ou liège, appelée « kothomi », était portée principale-ment par les acteurs, ce qui, depuis la scène, soulignait

l’importance et le statut de leurs personnages. Enfin, à Rome, les talons hauts étaient l’attribut des prostituées.3 Le Moyen Âge vit se déployer l’usage du talon plate-forme, appelé « patten » – une semelle de bois fixée aux chaussures précieuses afin d’éviter que la poussière des rues ne les abîme. Au cours du xve siècle, il y eut la « chopine », très populaire, une chaussure plateforme faite de bois et de liège, que l’on voyait beaucoup en Espagne et à Venise. Les chopines, comme les pattens, étaient portées autant par les courtisanes que par les patriciennes, pour s’épargner la boue et la poussière des rues, et aussi pour marquer la supériorité de leur statut culturel et social. Les chopines pouvaient s’éle-ver à plus de 50 cm. Il fallait dominer, au sens propre comme au figuré. Et, le plus souvent, les femmes qui les portaient étaient accompagnées d’un servi-teur ou équipées aussi d’une canne – un peu comme aujourd’hui Lady Gaga, ou Daphné Guinness et ses chaussures sans talons qui montent au ciel.

4 Catherine de Médicis, Reine de France et épouse du roi Henri II, joua un rôle moteur dans l’essor du talon haut et la durée de son prestige. Catherine de Médicis était petite de taille et connue pour son manque de confiance en soi, tant en raison de son physique que de sa taille. Elle portait des talons hauts pour impres-sionner son mari (plus attentif à sa maîtresse, Diane de Poitiers, beaucoup plus grande qu’elle) ainsi que la nation française. Catherine trouvait avec le talon haut le physique imposant qui lui manquait, et la démarche séduisante à laquelle elle aspirait. En peu de temps, son look fit des émules.

5 Jusqu’à la fin du xviiie siècle, hommes et femmes ont porté des talons hauts. Au début de ce siècle, le roi Louis XIV, plus connu sous le nom de Roi Soleil,

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Synonyme de désir et de féminité, le talon haut écrit son histoire entre pouvoir et distinction, fétichisme et séduction. Revue de détail en huit points.

[…] Le talon haut retient le mouvement afin de le « mettre en valeur » – ou, du moins, c’est l’illusion qu’il suscite.

[…] Seuls les nobles pouvaient porter des talons rouges et aucun talon ne devait dépasser en taille celui du roi, qui mesurait souvent jusqu’à 13 cm.

Il y a longtemps que le lecteur n’est plus au centre des journaux, à peu près depuis qu’il ne représente plus sa principale source de revenus. On sait

que la presse spécialisée est souvent complaisante avec les marques, mais quid de la « vraie » : les quotidiens anglo-saxons, généralistes ou économiques ?

Visite guidée, off record of course…

DE LA PRESSE ET DES

MARQUES

OFF RECORD MEDIA

Vu de France, la presse anglo-saxonne reste un modèle par son opiniâtreté et son indépendance rédactionnelle. Avez-vous le même sentiment ? Quand je lis Le Monde, j’ai toujours l’impres-sion d’être dans un journal d’opinion, avec des articles qui livrent le sentiment du rédacteur. À titre d’exemple, au New York Times (NYT), ils ont un outil, le New York Times style guide, qui est un dictionnaire des mots qu’il est interdit d’utiliser ; même le mot « réforme » en fait partie parce qu’il n’est pas assez neutre et que ça sous-entend que la situation antérieure ne convenait pas. Le journal écarte tout ce qui est narratif pour s’en tenir aux faits et rien qu’aux faits. Le journaliste doit être aussi invisible que possible. En France, c’est du récit. Je dois reconnaître un avantage à cette manière de faire : on sait tout de suite si on lit un journal de gauche ou de droite.

Alors qu’en Angleterre, on opte pour une neutralité qui se révèle presque impos-sible à tenir… on sait que le Financial Times (FT) est clairement conservateur et libéral. […] Le politiquement correct n’est pas qu’une formule des quotidiens anglais ; en France, on peut se permettre de dire beaucoup plus, avec des formes beaucoup plus variées. On n’écrit pas « un Noir » dans la presse anglo-saxonne, c’est trop connoté, on doit dire « african-ame-rican », dénomination qui ne mentionne

que l’origine. En France, on peut dire « une Black », ce qui fait halluciner les Américains ! Une autre différence est que les journalistes français acceptent les voyages de presse, dans lesquels on est invité et en général bien accueilli, la marque ayant l’espoir qu’en retour, elle soit bien traitée dans les colonnes du journal pour lequel on travaille.

Les journalistes français répondent que ce sont des moments et des situations où beaucoup d’informations circulent, comme des faux temps morts… Ça vous paraît peut-être naturel, mais en France il y a toujours de la philosophie au baccalau-réat, et vous êtes empreints de sociologie sans vous en

rendre compte… De sorte qu’on retrouve une approche beaucoup plus sociologique dans la presse. On ne va pas uniquement relayer une information brute, mais la problématiser dans un contexte plus large, donc ça peut se justifier. Mais vu de Londres ou de New York, c’est de la sociologie, pas du journalisme, lequel devrait s’en tenir aux faits ! Même quand on fait appel à des experts, ils n’interviennent que s’ils démontrent quelque chose, s’ils apportent des preuves ; pas pour livrer leur regard ou leur « expertise ». Les figures d’autorité sont délimi-tées : un philosophe n’a rien à faire dans un article de presse. […] Par exemple : prenons un sujet sur la fashion week dans un pays du Maghreb, on va d’un côté se demander quel sens peut avoir la mode dans un pays où on porte le voile, de l’autre, quels sont les coûts de production du tissu, le poids économique, la part dans l’industrie nationale, etc. Un article ne peut se borner à faire du commentaire, il doit apprendre quelque chose au lecteur. Sinon se repose toujours la question : “why do we give a shit?”

On sait la presse de style sujette à des pressions économiques de la part des annonceurs, mais le phéno-mène concerne-t-il aussi la presse quotidienne anglo-saxonne ? Oui, bien sûr, ces pratiques sont transfron-tières ! Prenons les montres – qui ont toujours des bud-gets importants : même en temps de crise, on remarque que tous les quotidiens ont des sections ou des sup-pléments montres, du Times au International Herald Tribune (IHT), mais Le Monde le fait aussi…

Ces suppléments sont néanmoins clairement perçus par les lecteurs comme publicitaires… Il y a les suppléments ou les hors-séries à l’approche de Basel World, mais on peut aussi trouver des articles dans le journal lui-même sur tel horloger ou telle boutique, et retrouver une publicité pour la marque citée dans les pages suivantes… L’article est rédigé avec la même rigueur factuelle que le reste du journal, mais on aura invité un rédacteur à traiter pré-cisément du sujet.

Ça s’apparente à un droit de citation, qui garantirait à une marque d’être présente éditorialement dans le numéro ? Le mécanisme est un peu différent : les som-maires (ou calendriers rédactionnels) sont préparés assez tôt et il y a un dialogue constant avec le service publicité pour qu’il puisse contacter les annonceurs en fonction de la liste des sujets ; c’est de cette manière qu’on les attire. Les dossiers peuvent porter sur le luxe, le luxe écolo, les yachts écolos, mais aussi l’eau, la green technology… dans lesquels on parlera des acteurs impor-tants du secteur et ça représente d’énormes annonceurs, même si on mentionnera toujours un outsider pour se donner bonne conscience. […] Un autre exemple : s’il y a un dossier sur le Moyen-Orient, il n’y aura pas de publicité de marques israéliennes et vice versa. Idem si on fait une section mode dans laquelle LVMH est annonceur, on n’y fera pas de papier sur Chanel ou une marque de PPR. Les journaux connaissent les intérêts des marques et intègrent cet élément dans la fabrication de leur contenu rédactionnel. Et si un annonceur ne peut être présent pour les raisons qu’on vient de dire, on le rassure en lui parlant d’un prochain numéro dont « l’univers rédactionnel » lui sera plus favorable, c’est-à-dire que sa publicité sera très bien entourée avec tel et tel papier. Parce que le contenu, en général, c’est pour aller autour des pubs…

Ce sont les marchés émergents qui assurent une forte croissance au luxe. Cela a-t-il aussi des conséquences rédactionnelles ? On voit fleurir des éditions chinoises pour cette raison. Tout le monde est conscient que le luxe s’est déplacé et que les acheteurs ne sont plus tant aux États-Unis qu’en Chine… Les marques ont compris que si dans leur publicité le mannequin était chinois, les Chinois acheteraient plus, comme en témoigne le der-nier visuel Louis Vuitton ; Valentino s’y met aussi… Ce n’est pas un hasard si l’agence Elite a inauguré un département à Shanghai ! Un nouveau marché de man-nequins asiatiques s’est ouvert, parce que les Chinois ne se contentent plus de la campagne ghetto, avec le mannequin chinois, uniquement destinée à leur mar-ché ; ils veulent voir la vraie grande pub à Paris et à Milan. […] Et c’est pareil pour la presse : ils ne veulent pas une petite édition chinoise à côté de l’édition histo-rique mais être les rois et au cœur de « l’édition mère ». Il y a toujours une fascination pour l’Occident ; ils ont

besoin d’être validés par lui, ce n’est qu’ensuite qu’ils mettent des pubs… C’est pour cette raison qu’on voit tant d’articles sur la Chine et le Moyen-Orient dans la presse dite « sérieuse ».

Les relations entre la presse de style et les marques sont encore plus directes. On sait par exemple que le choix de la marque créditée en couverture n’est pas anodin… Oui, et ça dépend de la somme d’argent dont a besoin le magazine pour boucler son numéro… Un groupe peut dire par exemple on vous donne tant pour que le magazine paraisse, à condition qu’on ne voit pas untel et untel. […] Toutes les règles de rédaction sont bri-sées pour le client. Normalement, après une interview, on ne peut pas relire ses citations, mais tout le monde permet au client de se relire, ce qui lui permet de contrôler exac-tement son discours. Si un gros client menace de retirer sa pub s’il ne relit pas, on le lui permet. Normalement, un annonceur n’a pas à savoir de quoi sera faite la partie rédactionnelle du numéro ; là, le client a un droit de regard sur ce qui va paraître, et parfois même sur les photos.

Et dans la presse de style ? Si, par exemple, il y a un deal avec une marque pour la couverture et qu’elle « prête » son mannequin vedette ainsi que ses vêtements, le photographe est censé envoyer les images qu’il aura choisies, mais c’est en réalité la marque qui aura le dernier mot.

C’est presque de la coédition… Oui, on peut presque parler de coproduction de contenu entre les marques et les magazines… D’ailleurs, les « contenus » des marques sont pris en charge par des personnes qui dirigent des magazines, préten-dument indépendantes… Par exemple, aujourd’hui, Jefferson Hack [rédacteur en chef d’Another magazine, ndlr] s’occupe du magazine de Chanel ainsi que du site Nowness, financé par LVMH… ça doit probablement créer des liens et une certaine dépendance.

On lit peu de réelles enquêtes sur le luxe (ou alors sur la contrefaçon et pour la condamner), et plutôt que d’en expliquer les mécanismes, les médias préfèrent en célé-brer le faste. Jusqu’où est-ce toujours de l’information ? C’est impossible de lire une enquête sur le luxe pour une raison simple : si un éditeur publie son titre, c’est qu’il est financé par le luxe, donc c’est impossible de se retourner contre son financier, c’est exclu ! Quant à savoir si c’est toujours une information, technique-ment oui, une ouverture de boutique est une information. Maintenant, pourquoi le mettre en avant et au détriment de quoi, c’est une question qui revient au lecteur. […] Il y a un prisme pour comprendre la manière dont sont organisés les journaux, c’est le conflit israélo-palestinien, qui est une

[…] Toutes les règles de rédaction sont brisées pour le client. Normalement, après une interview, on ne peut pas relire ses citations, mais tout le monde permet au client de se relire, ce qui lui permet de contrôler exactement son discours…

[…] on peut presque parler de coproduction de contenu entre les marques et les magazines…

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métaphore pour toute la presse : le Herald Tribune fait attention à ne pas trop traiter les sujets relatifs à Israël parce que le New York Times le fait, et chaque quoti-dien va privilégier une catégorie d’information parce qu’il a un volant d’annonceurs qui lui sont fidèles.

Les journalistes de l’IHT, dont l’information sur le Moyen-Orient sera plus

développée, moquaient le NYT quand, en plein conflit libyen, ils ont mis en couverture un sujet comme « Le quinoa est-il casher ? » Ça aussi, c’est une information, mais mérite-t-elle de faire la couverture ?Ça ressemble à du marketing appliqué aux pages des médias… Exactement. Comme si l’ensemble des infor-mations se divisait en parts de marché. Ce n’est pas la manière de traiter l’information, qui est toujours rigoureuse, mais la sélection des infos traitées et au détriment de quoi. Certaines infos ne font pas partie du club et, pour y voir plus clair, il faut regarder qui finance le club…

Les journalistes ne sont-ils pas frustrés de ce dispositif tourné vers les marques et les clients ? Si, d’autant qu’on ne leur avait pas dit à l’uni-versité… Avoir l’impression de faire des publireportages, même s’ils sont réalisés avec rigueur, est déprimant pour beaucoup…

Cette manière dont le réel est régenté dans les pages des journaux signifie qu’il ne reste plus de place pour de jeunes créateurs indépendants par exemple… Le plus ennuyeux, c’est que cer-tains magazines qui se revendiquent indépendants – on pourrait parler de i-D ou de Dazed & Confused – ne sont tournés que vers les marques qui annoncent dans leurs pages. Les défi-

lés couverts par le magazine ne sont que celles-là. Et quand une ligne bis est vraiment inmontrable, on se contente d’images backstage, avec des mannequins maigrichonnes et à moitié nues… Alors, dans le même temps, ils continuent à ne payer aucun de leurs colla-borateurs ou presque, comme de vrais indépendants… Ce qui est vraiment malsain, c’est qu’il préemptent le

label « indépendant », coupant l’herbe sous le pied de ceux qui le sont vraiment.

La seule critique de mode respectée et crainte est anglaise, Suzy Menkès, et écrit dans l’IHT. De la même manière qu’on ne peut pas aller en voyage de presse, on ne doit pas accepter de cadeau. Suzy Menkès recevait des cadeaux somptueux, qu’elle renvoyait toujours… Quant aux autres journalistes, ils savent que la meilleure manière de se brûler avec un journal est d’accepter ce genre de cadeau ou d’invitation… Tout le monde aime et respecte Suzy Menkès, mais c’est Cathy Horyn au NYT qui a pris la relève. Elle peut être très dure, surtout sur son blog, et les gens vont la lire pour ça ; ils n’aiment pas quand elle est élogieuse.

À part ces deux exceptions, les journa-listes de mode sont assez contraints dans leurs propos. Comment expliquez-vous que les blogs, qui ne subissent pas de pression d’annonceur, ne soient pas plus libres dans les leurs ? La seule manière serait que ça reste anonyme, mais le principe d’un blog est qu’il tourne autour d’une personne, il est son émanation ou son reflet, donc, presque par définition, il ne peut pas être anonyme ! Twitter est soumis au même régime : un journaliste peut twitter ce qu’il veut au sortir d’un défilé, mais s’il travaille aussi pour un journal, cela le mettra en porte-à-faux et il se fera rappeler à l’ordre dans la minute…

Au niveau national, la seule presse indé-pendante est aujourd’hui en ligne : Slate ou, ici, Rue89 et Mediapart… Ils font le travail que les quotidiens classiques ne font plus. […] Les sites des journaux

sont aussi des espaces de plus grande liberté, car ils ont aussi besoin d’être alimentés quotidiennement et n’ont pas de problème d’espace. Le hic est que le tarif appliqué pour les journalistes est dix fois inférieur. Du coup, on y lit de jeunes plumes, encore curieuses, même si parfois encore inexpérimentées… On ne sera pas critique pour autant, mais on pourra y parler de projets indépendants. Les sites des magazines de style, c’est différent ; on n’y est pas ou peu payé (entre 10 et 20 dollars le papier), mais on peut se faire la main et apprendre son métier, car certains noms de magazine sonnent comme des sésames.

Quels sont les derniers espaces dans lesquels les jour-nalistes peuvent produire un travail non phagocyté par les marques ? Paradoxalement, dans les magazines de marques, comme Acne Paper ou Nowness, qui sont déjà financés et qui n’ont pas à faire la course tous les mois pour boucler le budget.

Propos recueillis par Angelo Cirimele

MODEP.56 : INDUSTRY

PHOTOGRAPHIE JONATHAN DE VILLIERS, STYLISME EVE MAENO

P.70 : LOOKING FOR SOME SINPHOTOGRAPHIE NICOLAS ARISTIDOU, STYLISME EVE MAENO

P.80 : NOT FAR FROM THE CITYPHOTOGRAPHIE PEJMAN BIROUN VAND, STYLISME MAURO BIASIOTTO

[…] les Chinois ne se contentent plus de la campagne « ghetto » avec le mannequin chinois uniquement destinée à leur marché ; ils veulent voir la vraie grande pub à Paris et à Milan

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ROBE : CHANEL

CYCLISTE :AZZEDINE ALAÏA

SANDALES NOIRES TALON PLEXIGLAS :CHANEL

BRACELET « CALINE » EN ARGENT ETBOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT :

HERMÈS

INDUSTRYPhotographie : Jonathan de Villiers assisté de Halldora Magnusdottir

Stylisme : Eve MaenoCoiffure : Kazuko Kitaoka

Maquillage : Min K assistée de Déborah EmyMannequin : Thana Kuhnen chez Nathalie

Casting : Zo’Estica ParisMerci à Première Vision

PULL ET JUPE : LOUIS VUITTON

POLO : BEN SHERMAN

CYCLISTE : AZZEDINE ALAÏA

ESCARPINS : LOUIS VUITTON

BRACELET « CALINE », BAGUE « CYTHERE » ET SAUTOIR « AZUR RANDOM » EN ARGENT ET

BOUCLES D’OREILLES « TREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

DÉBARDEUR ET JUPE À CARREAUX : MARC JACOBS

CYCLISTE : AZZEDINE ALAÏA

ESCARPINS : LOUIS VUITTON

MANCHETTES EN RÉSINE : CHANEL

BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

HAUT ZIPPÉ, JUPE ET CYCLISTE :AZZEDINE ALAÏA

TOP ORANGE :CHANEL

SANDALES LACÉES :AZZEDINE ALAÏA

MANCHETTES EN RÉSINE :CHANEL

BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

ROBE : MARC BY MARC JACOBS

POLO :BEN SHERMAN

CYCLISTE :AZZEDINE ALAÏA

ESCARPINS :« UN BOUT » CHRISTIAN LOUBOUTIN

MANCHETTES EN RÉSINE :CHANEL

BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

ROBE : ISSEY MIYAKE

CYCLISTE : AZZEDINE ALAÏA

MANCHETTES EN RÉSINE : CHANEL

BOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

T-SHIRT ET JUPE : MARNIPOLO : FRED PERRYCYCLISTE ET SANDALES LACÉES : AZZEDINE ALAÏASAC DE SPORT : BEN SHERMANBRACELET « CALINE » EN ARGENT ETBOUCLES D’OREILLES « ÉTREINTE » EN ARGENT : HERMÈS

Photographie : Nicolas AristidouStylisme : Eve Maeno

Coiffure et maquillage : Camille ArnaudMannequin : Sophia Lie chez Women

Merci à l’école Duperré.

LOOKING FORSOME SIN

DÉBARDEUR :NINA RICCIROBE :MARC BY MARC JACOBSSACOCHE EN CUIR NOIR :KERSTIN ADOLPHSONCŒURS EN MÉTAL ET SAC IMPRIMÉ :TIENDA ESQUIPULASPENDENTIFS :BANDIT BY SARAH TARISAC SANTIAG VINTAGE :CHEZ IGLAÏNE

CHEMISE IMPRIMÉE VINTAGE :AREUVINTAGE.COMPULL :NINA RICCIPANTALON :LIMI FEUSAC IMPRIMÉ ET PANIER EN PLAS-TIQUE :TIENDA ESQUIPULAS

T-SHIRT ET DÉBARDEUR À CARREAUX :MARC JACOBSCOLLIER À BOULES :SPIRIT VINTAGECOLLIER À PIERRES :FABRICE

TOP MANCHES À FRANGES :NINA RICCIJUPE IMPRIMÉE VINTAGE :AREUVINTAGE.COM(PAR DESSUS, ROBE EN MOUSSELINE AVEC RAYURES DE PERLE MICHEL KLEIN)PENDENTIFS :BANDIT BY SARAH TARI

ROBE NOIRE :MM6TOP ASYMÉTRIQUE :YOHJI YAMAMOTOJUPE :REINHARD LUTHIER POUR IGLAÏNESAC SANTIAG VINTAGE :IGLAÏNECOLLIER :FABRICE

T-SHIRT ET JUPE :JUNYA WATANABECHAUSSETTES :KERSTIN ADOLPHSONCHAUSSURE :CÉLINECOLLIERS :FABRICE

COAT IN FLOWERS BRODERIE LIGHT BLUE AND WHITE WITH GREY WOOL SLEAVES : PRADA

Photographie : Pejman Biroun Vand assisté de Silvio Biolcati

Stylisme : Mauro Biasiotto Mannequins : Sofia Fanego & Erika chez Next Models Milano

Coiffure : Dora Roberti chez w-mmanagment utilisant Bumble & bumbleMaquillage : Giovanni Lovine chez w-mmanagment

Lieu : Kings Studios Merci à Federica Perazzoli et Daniele Innamorato,

www.kingsart.it

NOT FAR FROM THE CITY

TOP AND SKIRT :MIU MIU

T-SHIRT : NIKE TROUSERS :AMERICAN APPARELNECKLACE :SWAROVSKI SHOES : CARVEN

LEATHER PATCHWORK COAT,T-SHIRT AND SKIRT :

CÉLINE

GILET IN LEATHER “MOTORCYCLE” : NEIL BARRETTSTRIPES SHIRT IN SILK :EQUIPMENT FEMME

PRINTS SILK SHIRT AND NECKLACE : MIU MIU

LONG SILK DRESS : MSGM

FLOWERS LONG SKIRT AND PERFECTO BLUE JACKET :

ACNE

COTTON FUXIA PULL LONG SLEAVES :ACNE SHORTS : JIL SANDER

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TEXTESP.92 : CONTRE

LES SPAMS DE LA FNAC

P.94 : MOODBOARD CAPELINES 70’S

P.98 : CHRONIQUEFOLLOW ME, I FOLLOW YOU

P.100 : ART CONTEMPORAIN CLÉMENT CHEROUX

P.104 : RÉTROVISION KITSCH

P.108 : DESIGN RÉSOLUTIONS DE SALON

moment où un agent me fait signe. J’explique que je souhaite NE PLUS RECEVOIR de mails promotionnels, et la personne me demande si j’ai ma carte d’adhérent. J’explique que je l’ai jetée de rage et elle m’en redonne une autre aussitôt au cas où. Elle vérifie sur ma page et m’explique qu’en effet j’ai tout accepté (ah bon ? on ne m’avait certainement pas posé la question), qu’elle va décliquer l’ensemble des catégories pour que je ne sois plus importunée. Elle est pleine de bonne volonté, mais je sens bien que son pouvoir est limité. Je suis partie après l’avoir remerciée, et quelques jours plus tard, ça recommençait. En fait, ça ne s’était jamais ar-rêté. Les mails promotionnels de la Fnac se succèdent à un rythme infernal. J’ai l’impression que leur poli-tique de bourrin autiste s’accentue encore avec les fêtes, car les envois semblent de plus en plus fréquents, et je finis par y retourner une deuxième fois, suppliant qu’on m’efface définitivement de la liste, jurant que je renonce sans regret aucun à ma carte et que je me fiche résolument de ces promotions à n’en plus finir, que ça me donne justement envie de ne rien acheter.

Un jeune homme m’explique qu’il n’arrive pas à enlever mon adresse mail, comme si quelque chose de parfaitement irréversible avait eu lieu la maudite fois où je me suis laissée convaincre de prendre cette carte pour l’achat de je ne sais plus quel matériel infor-matique (ah ? on ne vous a pas dit qu’elle est payante ? avais-je eu droit à la caisse). Je suis condamnée à ne plus pouvoir reprendre ma liberté de personne

anonyme qui peut venir de temps en temps acheter une clé usb ou n’importe quoi d’autre, je ne peux plus leur échapper… car je suis devenue une adresse mail sur laquelle déverser ces torrents d’offres : j’ai l’impres-sion d’être comme une oie à qui on vient d’enfourner un entonnoir dans le cou.

J’explique que ce n’est pas normal, que c’est contraire à la loi, comme cela est d’ailleurs mention-né à la fin de ces maudits messages, mais le jeune homme, dépassé et impuissant, ne sait pas trop quoi me répondre. Il a l’air lui-même d’avoir été englouti par la machine et ne pas savoir comment s’en dépêtrer. Peut-être que pour avoir essayé de me désinscrire, la Fnac va le punir et lui envoyer à son tour des mails promotionnels jusqu’à la nuit des temps, en espé-rant qu’il deviendra lobotomisé et n’aura plus qu’une chose en tête : acheter des articles à la Fnac. Il a sans doute, à juste titre, assez peur de mettre le doigt dans le même engrenage que moi, de se retrouver avalé par cette monstrueuse hydre. Évidemment, rien ne s’arrête après ma deuxième tentative et l’offensive commerciale reprend de plus belle avec ses promotions spéciales et ses occasions à ne pas rater.

Valérie Mréjen

Valérie Mréjen est artiste, elle vit et travaille à Paris. Son dernier film, En ville , réalisé avec Bertrand Schefer, est sorti en juillet dernier, et son prochain livre, Forêt noire, paraîtra chez POL en mars.

L’anti-intellectualisme primaire et cette façon de plus en plus répandue d’employer le mot « élitiste » dès qu’on évoque une proposition exigeante ou différente, expéri-mentale, qui nécessite en tout cas un peu de souplesse et d’ouverture d’esprit.

L’expression « prise de tête ». Récemment, je l’ai même entendue dans la bouche d’un ambassadeur. Cela m’a vraiment choquée. Au cours d’un déjeuner, nous entre tenions une conversation sur mon travail – qu’il ne connaissait pas – et il m’a demandé, à pro-pos du projet en cours : « Alors, ça sera un film d’action, ou plutôt un film qui parle beaucoup, genre prise de tête ? »

Les boîtes vocales sur lesquelles on tombe pour signaler un dysfonctionnement ou demander réparation, et qui ne proposent que des options posi-tives, qui n’énoncent que des choix où la notion de pro-blème sera toujours absente. D’une manière générale, cette tendance de plus en plus marquée de la société contemporaine à vouloir tout faire entrer dans des caté-gories préétablies, à tout pré-formater.

Les mails publicitaires envahissants et im-portuns qui demandent en plus une explication si on cherche à se désinscrire, explication à cocher, là aussi, parmi un choix imposé par avance : « vous êtes absent en ce moment », « vous recevez déjà notre news-letter », etc. Mais il est bien sûr toujours impossible

d’avancer ce qu’on pense vraiment ou ce qu’on voudrait dire, à savoir, dans mon cas : ÇA NE M’INTÉRESSE PAS. Un beau matin, je n’en peux plus, je me suis endormie la veille en y pensant tellement ça m’énerve. Je ne sup-porte plus ces envois intrusifs, insistants et insuppor-tables. Et surtout, je n’arrive pas à comprendre qu’on ne puisse pas se désinscrire au bas des mails promo-tionnels : j’ai bien essayé une dizaine de fois pourtant, en cliquant nettement et sûrement sur « se désinscrire », et tombais aussitôt sur un message qui m’annonçait : « vous êtes déjà désinscrit ». Ah bon, eh bien tant mieux. Alors voyons pendant quelques jours si ça marchait en effet. Mais dès le surlendemain ou trois jours après au plus tard, je recevais immanquablement à nouveau ces mails commerciaux de la Fnac, Fnac pro, Fnac adhérents, Fnac Noël, Fnac promotions, Fnac high-tech, Fnac dvd. Pour être sûre de ne pas rater sa cible, elle avait ainsi multiplié les intitulés pour donner au client ainsi ferré l’impression qu’il est un interlocuteur privilégié de toutes ses ramifications.

Je décidais donc, ce matin-là, de prendre sur mon temps et de me déplacer, car je ne supporte plus cet envahissement forcé malgré mes nombreuses ten-tatives (j’ai aussi essayé d’envoyer des messages via le site, mais ils sont manifestement tombés dans la catégorie Fnac cause toujours) et je pars au magasin des Halles. Il faut aller à l’espace client et prendre un numéro dans la file parce que plusieurs personnes pa-tientent déjà. J’attends une bonne demi-heure, jusqu’au

Le projet de l’intelligence artificielle est de doter les machines du raisonnement humain, afin qu’elles nous offrent des réponses adéquates. Enfin, c’est le projet…

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CONTRE

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[…] J’ai bien essayé pourtant, en cliquant nettement et sûrement sur « se désinscrire », et je suis aussitôt tombée sur un message qui m’annonçait : « vous êtes déjà désinscrit ».

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ILLUSTRATIONS FLORENCE TÉTIER

MOODBOARD

CAPELINES 70’S

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Brigitte Bardot, 1971

Capelines de Mic Mac.L’Officiel de la mode, no 652, 1979

Ample capeline en paille de la Bagagerie.L’Officiel de la mode, no 723, 1986

L’Officiel no 622, 1976

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Capeline à fleurs.Anonyme, 1972

Capeline de tulle noir et tulipes aux tons pastels.L’Officiel de la mode, no 324, 1949

Capeline multicolore.L’Officiel de la mode, no 539, 1967

FOLLOW ME,I FOLLOW YOU

CHRONIQUE

« Follow me, I follow you », cela pourrait ressembler à un titre de new wave à la Talking Heads, mais décrit plutôt le mode d’être et d’usage

d’un genre nouveau, le genre Tumblr…

… Celui que l’on a appelé longtemps surfeur puis blog-geur est maintenant le « follower » – de celui qui prend la vague autant qu’il ne la trace. Les allers et retours du Tumblerer sont ceux du promeneur comme ceux du prescripteur, semeur et pilleur des images du présent.

Tumblr, c’est une surface ouverte, malléable, à singulariser, où l’on update des images, des gifs, des fonds panoramiques pour restituer un état d’esprit, celui du moment, celui de la mode : une qualité de présent. Le tumbler est le nom d’une espèce de pigeon reconnue pour son mode de vol spécifique, en culbute : l’oiseau faisant, dans son vol en boucles, looping sur lui-même. « Follow me, I follow you », c’est alors la col-lection de soi et des autres, suivre l’autre, tel un vecteur. C’est suivre sous l’attraction d’un mouvement continu une identité plastique, une collection qui se fabrique comme un collage ouvert, identique aux gestes de l’éclectisme exotique du xixe siècle ou aux signifiants joints du dadaïsme. À la différence près que le collage fait ici monde, avec l’idée démiurge du tumblr constitué en constellation et univers. Partant de là, Tumblr porte bien son nom, entre cascade et culbute, sèche-linge et

nom de Batmobile, le mode d’existence du « tumblring » construit, polit et aplanit ce que l’on nomme sujet et lui agrège, mouillé ou pas, les formes du contempo-rain comme prothèses et extensions. Ce qui est parlant, c’est la plateforme qui s’invente là sans hiérarchie, et le mode d’adhésion qu’elle suppose.

Alors, nous en sommes là, passant de page en page, de lien de lien, d’image en image, à liker et relin-ker ce qui nous semble bon, bien, cool, cata. Tumblr propose donc une compilation d’instantanés photo-graphiques ou animés, une « plateforme de microblog-ging ». L’espace vertical d’une pensée se constitue au jour le jour, évidemment journal/diary mais davantage prisme d’un goût singulier et centrifugé, au moment où Facebook reprend et généralise cette forme du journal archivé. Compiler comme centrifuger sa vie, la collec-tion devient une évidence formelle qui se regarde, qui se commente, à laquelle on adhère. D’où l’idée du « fol-low me » comme l’injonction prophétique d’une vérité qui se dit maintenant, ou dans l’heure qui suit. Entre quantité d’adeptes et accréditation par le nombre de relais, la médiatisation immédiate fabrique une réalité

appliquée et diffusable. Le relativisme des contenus est intégré au mouvement d’ensemble puisque les images qui arrivent à la suite poussent celles qui sont là, le non-référencement de l’origine des images libère d’un attachement scientifique, et les contenus sont pensés comme une image ou une pose de soi. Rien n’autorise au répit. Le présent est le présent : du continu.

Alors, en sommes-nous las ? Suivre comme être suivi, ce n’est pas rien. Loin de produire une para-noïa, ce mode d’adhésion contemporain inscrit des communautés hors des lieux et des regroupements, hors d’une surveillance impudique de l’intime comme l’est la grande tour de contrôle Facebook. Dans l’instant, en cascade, le tumblerer édite ce qui lui semble bon, bien, cool, cata, et ne propose que cela. Alors, chacun y trouve son compte : de l’excitation à la reconnaissance, du goût à la communauté d’esprit. Alors oui, effective-ment virtuel, mais circulant et actif. La limite de l’exer-cice sera la péremption rapide de ce qui fait l’instant, un esprit décousu. Ce qui en fait sa qualité, c’est l’esprit d’une plateforme continue d’un présent déroulé, puis d’une archive du présent. En cela, l’esprit de Tumblr se déploie comme une esthétique de l’amateur, une collec-tion grégaire et le cabinet de curiosités d’une actualité

à suivre… avec l’idée du “follow me” comme sens de la visite.

Tumblr n’est pas un bureau de tendance industrielle mais la formulation plastique d’un auteur contre toute attente ; singularité qui s’inscrit dans l’espace d’une société des images émergentes. De fait, Tumblr excite la mode, relaie les identités de styles et témoigne d’un cocktail de genres, l’avatar n’est pas celui virtuel d’un Second Life, il est la pose instantanée d’un état esprit, d’une personne qui s’expose sciemment. Pour note, et pour Wikipédia, le tumbler est « idéal pour servir les long drinks. Ceux-ci, préparés pour être servis dans des tumblers, n’excèdent pas 15 cl puisque la glace occupe un espace important dans le verre. Sa forme allongée permet d’empiler les cubes de glace et donc de rafraîchir la boisson dans son intégralité. »

Mathieu Buard

À gauche : capture d’écran du site du magazine Garage en forme de Tumblr (garagemag.com).À droite : capture d’écran du Tumblr du magazine Novembre (novembremagazine.com).

[…] Suivre comme être suivi, ce n’est pas rien. Loin de produire une paranoïa, ce mode d’adhésion contemporain inscrit des communautés hors des lieux et des regroupements, hors d’une surveillance impudique de l’intime comme l’est la grande tour de contrôle Facebook.

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La première exposition qui ait marqué votre parcours a fait l’objet d’une longue et douloureuse polémique : il s’agissait de l’exposition « Mémoire des camps », pré-sentée à l’hôtel de Sully en 2001. Comment en êtes-vous venu à aborder ce sujet ? Il est vrai que cette étape a été particulière-ment marquante. Il s’agissait d’une commande de la direction du patrimoine photographique. J’avais lon-guement réfléchi à mon projet théorique : il s’agissait de démontrer qu’il faut dépasser les images comme choc pour les envisager comme des documents révélant quelque chose sur le « comment » plus que sur le « pour-quoi ». Qui a eu besoin de telle photographie ? qui était derrière l’appareil ? La photographie n’était plus envi-sagée comme un vecteur de propagande mais comme un document écrivant l’histoire, une source nouvelle qui venait s’ajouter aux habituelles. Il s’agissait de dire que la photographie permet de comprendre des choses qu’aucun témoignage écrit ne rendra jamais, comme le regard d’un déporté sortant d’un camp en 1945.

C’est Claude Lanzmann qui a lancé la polémique : lui qui disait qu’il détruirait toute image des camps s’il en trouvait une, vous a attaqué en répétant qu’il n’y avait pas d’image possible de cet indicible, démonstration qui est au cœur de son film Shoah. Comment avez-vous répondu à ses arguments ? J’en ai un souvenir assez douloureux, mais aujourd’hui, je la vois de manière beaucoup plus posi-tive, car elle contenait beaucoup de questions : peut-on exposer ce sujet, mêler les images des bourreaux et celles

des victimes ? Je pensais avoir répondu à toutes ces questions, d’ailleurs l’exposi-tion n’a soulevé aucune polémique en Italie, en Suisse ni en Espagne, où elle a ensuite été montrée. Mais j’ai compris que toute une génération a un rapport

très viscéral à cette iconographie. On nous a reproché de chercher la preuve par l’image, alors qu’on était bien au-delà de cela. Donc, si l’exposition a eu un mérite, c’est celui de faire bouger les lignes. Auparavant, les historiens refusaient en France de considérer la pho-tographie comme un vrai document historique, au-delà de l’histoire de la Shoah. Vers 2000, les esprits ont commencé à évoluer, et j’estime avoir participé de cette évolution. Les historiens travaillent désormais sur les photographies de la guerre d’Algérie, du Vietnam, de 1914-18.

Comment expliquer cette frilosité des historiens vis-à-vis de la photographie ? C’est très complexe. En photographie, il y a une fascination pour le référent. On voit avant tout la chose représentée : comme dit Roland Barthes, le réfé-rent adhère. Donc on oublie tout ce qu’il y a autour : le dispositif technique, l’opérateur, les motivations. Mon projet consistait à démontrer qu’il faut aussi, au-delà de la monstruosité, dépasser le référent. Pourquoi ces images ont-elles été faites, par qui, un journaliste, un photographe de l’armée ? Est-elle propagande, mise en scène, a-t-elle été réalisée clandestinement par un déporté ?

Le centre Pompidou possède aujourd’hui une des plus grandes collections de photographie au monde. Comment cherchez-vous aujourd’hui à l’enrichir ? Dans le cabinet photo créé en 1981, nous pos-sédons aujourd’hui 30 000 œuvres, sans compter les

… célébrant le photomaton, l’auteur remarqué de l’expo-sition « Shoot ! La photographie existentielle », à Arles en 2010, fait passer dans le monde de la photographie un courant d’air frais, qu’il partage avec nous.

Quelles sont les difficultés auxquelles s’expose un conservateur aujourd’hui dans le domaine de la pho-tographie, maintenant qu’elle est admise comme un art à part entière ? Il y a eu un premier combat, mené par la génération qui m’a précédé, de Jean-Luc Monterosso à Jean-Claude Lemagny, à la Bibliothèque nationale : ils ont permis que la photographie soit reconnue comme un objet culturel méritant des expositions et des lieux. On peut leur en être infiniment reconnaissant ! Mais sans leur adresser de reproche, ils l’ont fait en démon-trant que la photographie avait tous les atouts de l’art : un auteur s’exprime, avec une volonté d’art, une Kunstwollen. Ils ont calqué sur la photographie le système de compréhension hérité de l’art ; ils ont donc érigé des grands maîtres, élu des chefs-d’œuvre, repre-nant la catégorie du portrait, du paysage, de la nature morte, etc. L’enjeu de ma génération est autre : il s’agit de montrer que la photographie fonctionne différem-ment. De réinventer des catégories. Pour moi, la photo spirite, le tir photographique, le photomaton… ne sont pas des épiphénomènes. Pour comprendre la photo, même la photo d’art, il faut regarder ses périphéries. En outre, je milite pour réintroduire le terme de « séren-dipité », notion utilisée surtout en anglais pour défi-nir une partie du hasard qui s’avère positif : un hasard heureux. En photographie, cette notion est cruciale, autant que la volonté d’art.

Que penser du concept de photographie plasticienne, qui a un temps défini les artistes qui s’adonnaient à la pho-tographie, et semble aujourd’hui complètement désuet ?

Dans les années 80 et 90, ce terme a permis d’appré-hender tout un groupe d’artistes. C’est la construction théorique d’une époque, une catégorie fondée même si elle partait dans tous les sens. Cette notion en dit plus sur la façon de penser la photo à l’époque que sur les artistes. Aujourd’hui, on est passé à d’autres nomenclatures.

Est-il cohérent de continuer à séparer la photographie des autres arts ? Cette question du médium doit toujours être en tension. Il faut qu’il y ait une délimitation, ne serait-ce que pour des raisons de conservation dans les musées, mais on doit davantage décloisonner. Pour l’exposition consacrée à Munch – dialogue entre moi-même et un autre conservateur –, nous avons essayé de le faire. Comment un peintre pratique-t-il la photographie ? comment l’intègre-t-il dans ses toiles ? Nous avons créé un va-et-vient entre les différents médias. C’est une des grandes chances de travailler à Pompidou, que de mon-ter ainsi des projets associant différents spécialistes.

ART CONTEMPORAIN

Désormais conservateur au centre Pompidou chargé de la photographie, Clément Chéroux s’est fait remarquer plus d’une fois par son brillant iconoclasme :

déjouant les catégories, réhabilitant la photo vernaculaire…

CLÉMENT CHÉROUX

[...] La cabine [de photomaton] est un confessionnal moderne, mais aussi une manière pour les artistes de créer des histoires en quatre images. Et, bien sûr, un lieu de l’interrogation de l’identité.

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trouver les formes adéquates à l’idée que l’on veut faire passer. Un rythme, un montage, un éclairage… L’exposition est une phrase, avec ses mots, ses liants, sa syntaxe, son style. Ce n’est pas une affaire de goût. Par exemple, la scénographie de « La subversion des images » était fondamentale : elle a été dessinée comme un œil, car la question de la pulsion scopique était fon-damentale. Dans cette exposition consacrée à la photo-graphie surréaliste se trouvaient en effet des images de police, des façades de maison, des clichés amateur, qui fascinaient le groupe par leur puissance d’incarnation, mais aussi parce qu’ils proposaient des canons autres que ceux de l’académisme. Pour le faire comprendre, nous avons réinventé des catégories, examiné des dizaines d’archives, de photographes mais aussi d’écri-vains, en élargissant les frontières de la photo surréa-liste, aux groupes tchèques ou mexicains, mais aussi de façon conceptuelle, en regardant aussi par exemple les photomatons. Qu’ils fassent des portraits dans la première cabine photomaton en 1929 est aussi impor-tant qu’Explosante fixe de Man Ray.

Le photomaton est d’ailleurs votre dernière passion, autour de laquelle vous organisez une exposition au musée de l’Élysée à Lausanne. Qu’est-ce qui vous fas-cine dans ce genre ? Pour les surréalistes, les premiers à l’avoir utilisé, c’est comme un équivalent visuel à l’écriture automatique. Dans cette exposition, j’étudie pourquoi le photomaton a tant inspiré les artistes, de 1928 à aujourd’hui, avec Thomas Ruff ou Cindy Sherman en passant par Warhol. Ils ont transcendé cette technique, s’intéressant à la cabine comme un espace curieux, à la fois intime et public, qui contient une certaine dualité propice à un certain danger de l’expression de soi-même.

La cabine est un confessionnal moderne, mais aussi une manière pour les artistes comme Topor de créer des histoires en quatre images. Et, bien sûr, un lieu de l’in-terrogation de l’identité. J’ai découvert par un exemple un artiste israélien méconnu, Alain Baczynsky : dans les années 70, il a fait à Paris une longue psychanalyse, et à chaque fois qu’il sortait de la séance il réalisait un photomaton, en mimant ce qu’il s’était passé avec le psy. Sur trois ans, il a réalisé 240 autoportraits fascinants, que nous venons d’acquérir au centre Pompidou.

Votre exposition « Shoot ! », réalisée pour les rencontres d’Arles en 2010, fut aussi un grand moment de révéla-tion de la photographie amateur. Je l’aime beaucoup, car elle avait un degré de complexité que j’aurai du mal à retrouver. Elle mêlait l’histoire, le vernaculaire, le contemporain des contem-porains s’appropriant l’histoire, et aussi l’expérience du visiteur, qui pouvait lui-même « tirer » à la carabine de foire et se faire ainsi photographier. Il y avait notam-ment tous les portraits réalisés ainsi par une femme tout au long de sa vie, qu’un collectionneur hollandais avait dénichés. Elle a aujourd’hui 83 ans et continue à shooter ! Quand elle est venue à Arles, il y a eu un vrai phénomène de fascination pour elle, on l’a accueillie comme une pop star, bien mieux que Mick Jagger…sujet d’une exposition à deux pas.

Propos recueillis par Emmanuelle Lequeux

p. 101 : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Paris, Porte d’Orléans, juin 1929, photo présentée dans l’exposition « Shoot ! », ©DR.p. 102 : Clément Chéroux, ©DR.

négatifs. Si l’on compte les fonds de négatifs Man Ray et Brassaï, cela s’élève à 70 000 numéros. C’est la plus importante d’Europe, en concurrence avec le MoMA de New York et le Getty Museum de Los Angeles. Sur la création européenne, elle est sans équivalent. Mais nous sommes très heureux de l’acquisition toute récente de la collection Christian Bouqueret : il a com-mencé dans les années 70 à rassembler des clichés de Germaine Krull, Brassaï, Kertesz, en achetant à des prix très abordables. Grâce au mécénat d’Yves Rocher, nous avons pu acquérir près de 7 000 images, principalement de l’entre-deux-guerres, pour une valeur de plusieurs millions d’euros. C’est un patrimoine extraordinaire qui permet de repenser ce qui s’est passé à cette époque, une valorisation exceptionnelle pour la collection. Nous sommes très riches en surréalisme, mais il nous manquait pas mal de choses sur la Nouvelle vision allemande. Nous possédons désormais 300 Krull, alors que nous n’en avions que 15.

Quant aux acquisitions contemporaines, dans quel sens allez-vous ? Nous essayons de combler les manques, notamment des photographes des années 1980 et 90, mais aussi des très jeunes. Nous jonglons entre la réalité du marché et les nécessités de la collection… et en essayant de susciter des donations, à l’instar des 200 tirages que vient de nous offrir Marc Riboud. C’est du donnant-donnant : la valorisation symbolique d’un artiste est l’un de nos principaux outils.

Vous avez une double formation, histoire et histoire de l’art. On peut imaginer que cela constitue une des spécificités de votre regard sur la photographie. Cela me permet d’aborder la photographie autant pour sa valeur documentaire que comme objet

plastique. Il y a de l’art dans la photographie, mais la photographie est un ensemble plus grand que l’art lui-même. Je me passionne ainsi pour la photographie amateur ou médicale. Il est primordial de s’intéres-ser à la « photographie vernaculaire » : elle représente un pourcentage énorme de la production. Mais sur-tout, depuis les années 20, les artistes n’ont cessé de la regarder. Walker Evans, Moholy-Nagy, les surréalistes, Jeff Wall, tous utilisent ses codes. Helmut Newton a beaucoup regardé le porno, Bruno Serralongue regarde la photo de presse… On me reproche de défendre le ver-naculaire contre l’artistique, alors que je m’intéresse à l’insertion de l’un dans l’autre. Comme l’art ne singe pas, mais transcende le vernaculaire. C’est un immense

répertoire de formes qui propose de passionnants chan-tiers : il y a des boulevards à tracer. Mais de plus en plus de chercheurs identifient des corpus.

Votre exposition « La subversion des images », en 2010, au centre Pompidou, relevait d’ailleurs de cette démarche. Toute exposition doit avant tout être créative,

[...] je milite pour réintroduire le terme de « serendipité », un hasard heureux. En photographie, cette notion est cruciale, autant que la volonté d’art.

[...] Il y a de l’art dans la photographie, mais la photographie est un ensemble plus grand que l’art lui-même.

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que des artistes vont ramener au-devant de la scène. Kitsch provoque, Kitsch blasphème, Kitsch exhibe, Kitsch racole, mais Kitsch n’est pas Manifeste. Loin des avant-gardes, la revue promeut le « mauvais goût », dans une esthétique pop et une certaine violence Dada, par opposition au bon goût d’une société bourgeoise pom-pidolienne au modernisme étriqué dans ses certitudes.

Kitsch n’est pas une énième édition post-surréaliste, comme les années 50 et 60 en ont vu apparaître, mais un objet unique et déroutant. On cherche du texte ? Il n’y en a pas. Si ce n’est au sommaire, où l’on trouve associés à la rédaction Christian Bourgois et Roman Cieslewicz, les initiateurs, avec les complices Jacques Sternberg, Roland Topor et Marie Concorde, éditeur spécialisé dans la littérature érotique. En couverture, sous le titre, la reproduction d’une peinture de l’artiste américain Tom Wesselman : une bouche – lourdement fardée, entr’ouverte et cigarette se consumant en coin – n’offre aucune ambiguïté, Kitsch allume. Avec quelques années d’avance, la revue annonce par ses suites et la profusion d’images le phénomène éditorial des graph-zines de la fin des années 70. Kitsch s’ouvre sur k/pola-roid, une série de photographies instantanées de petites culottes qui préfigure déjà la mythique rubrique « le strip-tease des copines » de L’Écho des savanes dans sa deuxième formule au milieu des années 80.

Au sein des 136 pages en noir et blanc sont suc-cessivement convoqués les peintres Richard Lindner, considéré comme l’un des fondateurs du Pop Art, et le sculpteur britannique hyperréaliste Allen Jones, qui organise toute son œuvre autour du concept de

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KITSCHUn éditeur de livres fait appel à un directeur artistique de magazine de mode

pour réaliser une revue érotique très visuelle. Hier ? Non, en 1970… L’éditeur est Christian Bourgois, le DA, Roman Cieslewicz, et la revue : Kitsch.

RÉTROVISION

Repéré par Peter Knapp pour son travail de direction artistique au sein de l’équipe rédactionnelle de la revue Ty i Ja (« Toi et moi » – cf. Magazine no 26) à Varsovie, Roman Cieslewicz devient son assistant lorsqu’il émigre à Paris en 1963. Au magazine Elle, la direc-tion artistique de Peter Knapp envisage la modernité comme un credo au service de la femme émancipée et le magazine sert de tremplin à toutes les expérimenta-tions graphiques. Roman Cieslewicz s’empare de cette opportunité et produit de nombreuses illustrations et des photomontages, dont la facture reste encore dans l’esprit de ses mentors de l’avant-garde polonaise des années 30, les constructivistes du groupe Blok. La conception des douze vignettes de l’horoscope vont inspirer à Cieslewicz une orientation plus pop de son graphisme. Il opte pour un travail en noir et blanc où les détails sont épurés. Il réduit les documents, pra-tique la retouche photographique et répète les visuels à nouveau agrandis avant l’impression. Les images sérielles, l’emploi des trames et l’utilisation parodique de la symétrie à la façon des tests de Rorschach contri-buent à l’émancipation d’un style graphique qui s’im-pose dans le milieu de l’édition.

En 1966, Roman Cieslewicz succède à Peter Knapp à la direction artistique de Elle, collabore à Vogue avec Antoine Kieffer, réalise un album hors série consacré à Che Guevara, pour Jeune Afrique en 1967, prend la direction artistique de la revue d’art contem-porain Opus International et contribue à la naissance des éditions Christian Bourgois. Ce dernier lui com-mande la ligne graphique d’une nouvelle collection, intitulée « 10|18 », en référence au format de poche des livres, où Roman Cieslewicz reprend le traitement au trait des horoscopes de Elle pour faire figurer en cou-verture une série de portraits d’auteurs en relation avec les textes publiés. Ainsi Karl Marx, Ho Chi Minh, Michel Butor, Boris Vian, Lautréamont et quelques autres vont-ils s’afficher, hauts en couleur, à la devan-ture des libraires. Une idée novatrice qui affirme la jeune collection auprès du public.

La collaboration avec Christian Bourgois n’en reste pas là et prend une forme plus expérimentale avec la parution en novembre du no 1 de la revue Kitsch. Kitsch, c’est la libération du « caché ». D’une culture ver-naculaire du corps, de la sexualité, de l’érotisme, de la mort, que les conventions ont repoussée hors cadre et

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[…] Kitsch provoque, Kitsch blasphème, Kitsch exhibe, Kitsch racole, mais Kitsch n’est pas Manifeste. Loin des vant-gardes, la revue promeut le « mauvais goût », dans une esthétique pop et une certaine violence Dada, par opposition au bon goût d’une société bourgeoise pompidolienne…

la femme objet. Quelques déclamations de Ben sur le Nouveau en art. Les dessinateurs Jim, Toshio Saeki, Petr Herel, qui donnent à voir un mélange détonnant de sadisme, de violence gratuite, de masochisme et de scatologie. Dans un esprit situationniste, on trouve aussi le détournement publicitaire, le roman-photo le plus cru dans la violence du propos, avec des extraits des fascicules bon marché, Satanik, introduits à la rubrique k/aaahhh… comme réservé aux âmes simples ou alors aux esprits complètement décadents, le roman-photo utilise une langue de simple d’esprit. Le mot clef est évidemment « aahhh », balbutiement du primate, sont aussi au rendez-vous. Début des années 70, le roman-photo très pré-sent dans les kiosques n’a pas encore été détrôné par les séries télévisuelles, et l’on découvre, par ailleurs, les auteurs phare de la bande dessinée érotique et underground. Ainsi, Kitsch présente des extraits de la Marquise d’O par Guido Crepax et, en quasi exclusivité, l’univers des névroses de Robert Crumb. La photogra-phie et les « photographistes », selon la dénomination de Cieslewicz, sont aussi présents, avec les travaux d’Hannes Jähn, Thomas Weir et Guy Bourdin – celui-ci quittant momentanément l’univers « glossy » des maga-zines de mode pour une série montrant une femme nue, de dos, se débattant pour se libérer des liens qui enserrent ses mains… Images intrigantes renvoyant peut-être à la violence sociétale des médias. Février 1971. Kitsch no 2 paraît dans le même format, impression noir et blanc, toujours 136 pages.

Une nouvelle couverture de Wesselman est choisie pour son caractère provocateur, un portrait de femme en symétrie, réuni par un attouchement du bout de la langue, puis dans un déroulé similaire au no 1, k/Aslan introduit le numéro avec une série de pin-ups et des images de science-fiction de Virgil Finlay, que les rédacteurs disent « jamais dépassé ni sur les plans de la technique et de l’érotisme, ni surtout sur celui du délire mental ». K/Pigalle succède avec quelques cartes postales de prostitués, k/Ramon Gomez de la Serna et des extraits de son opuscule sur les seins. Viennent ensuite des visuels de Roy Lichtenstein, un parallèle entre Kienholz et l’art dans la Chine maoïste de la révo-lution culturelle, des dessins de George Grosz et d’Egon Schiele. Un éclectisme que complètent des bandes des-sinées d’Osborne Lipking et Irons.

Si un numéro 3 est annoncé pour le mois de mai 1971, Kitsch ne paraîtra plus. Kitsch est un objet éditorial éphémère et c’est ce qui en fait le sens. Kitsch appartient à un temps d’expérimentation déterminé – à l’instar d’autres revues contemporaines comme Avant-Garde, d’Herb Lubalin et Ralph Ginsburg –, à une géné-ration d’éditeurs qui préfèrent arrêter une publication plutôt que lasser le lecteur. Cette posture convenant tout à fait à Roman Cieslewicz, qui persévérera inlassa-blement dans ce travail « d’aiguiseur de rétines », avec d’autres publications tel Kamikaze, journal d’informa-tion panique.

Pierre Ponant

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cinq dernières années, la distance infime distinguant la préoccupation exclusivement décorative de celle du design est immédiatement pulvérisée. Dans ces productions exquises, précipité de mauvais goût sublime et étreinte immédiate du fris-son bourgeois, se lit la quête passionnée du beau. Sauf que le designer, lui et d’autres n’y parviennent plus. Ce n’est pas leur métier d’ailleurs. Ils ne sont alors qu’à peine capables d’effleurer le joli, et ça fait un peu de peine. Ce sont ces deux nostalgies identifiables du design qui s’exposent côte à côte. Celle de la brutalité nourrie du projet politique qui a fait accéder le design à la stature qui est la sienne, l’illusion scientifique de besoins cernés et figés, l’histoire arrêtée par la mise en œuvre des évidences. Celle de la beauté recherchée dans toutes les choses de l’autre côté : l’inlassable pour-suite des siècles qui précèdent l’épouvantable xxe – une quête enfermée dans des académismes si idiots qu’elle s’y est fatalement asphyxiée, en même temps que Dieu mourait, ou à peu près. Il y a peut-être un lien. Le salon offre la scène ininterrompue d’une tentative nouvelle d’accouplement.

Le design français est de ce point de vue exem-plaire. Il partage la passion esthétique de la rigueur avec un goût presque instinctif pour la jouissance affranchie. Il tend vers le beau, il ne sait pas autre-ment. Le sein de Marie-Antoinette, sa tasse préférée

(elle aurait été moulée sur le sien) en serait le symbole le plus clair. Le design français est un moine punis-seur qui trafique du dionysiaque. L’atelier de confise-rie sado-masochiste. Loft-protestantisme pour agent de change en période de bonus cosmique. À l’image de ce chalet minimal présenté dans la livraison bimes-trielle du magazine Marie-Claire Maison : une table, huit chaises autour, presque rien. Compter, à la louche, 20 000 euros pour l’ensemble : la « sensation de chaleur et d’intimité » est sûrement à ce prix, et toujours faire semblant que tout va bien.

Si je vais insister sur la France, c’est que les petites entreprises s’y sont multipliées. Ça rappelle presque l’expo « Mobi Boom » aux Arts déco l’année der-nière ; la France des années 50 et ses myriades de petites sociétés qui inventent le pays reconstruit tout de neuf avec pas grand-chose, chic et maigre, par obligation presque. Lorsque l’on sait aujourd’hui (en le devinant surtout, parce que c’est le grand secret) à quel point ce marché du design est petit, on est épaté. Quelle pas-sion, quand même. Tant de travail, toute cette énergie

Lorsqu’on n’est pas soi-même vendeur de marchandise, ou seulement de manière très indirecte, c’est innocemment à la recherche de l’inspiration qu’on

se rend dans un salon commercial. Ou bien pour vérifier l’état de cette inspiration chez les autres…

Plus malhonnêtement, le but premier serait de trou-ver des raisons tangibles de rendre compte, avec enthousiasme si possible, de manifestations patentes de qualité – car, oui, il est décidément trop facile de toujours débiner le travail d’autrui. Et il faudrait me résoudre à m’avouer défunt si je n’étais plus capable de ces émotions heureuses, de l’envie de participation à la grande fête : le salon est l’orchestre symphonique des espérances. En cours de répétition, il en partage toutes les discordances, il y a peu d’accords, il faut trier, on doit construire soi-même l’harmonie. Paris est la capitale autoproclammée de la Création – pour jouer, on doit ici faire semblant de croire qu’enveloppe et contenu sont une même chose. S’enchaînent l’un des plus grands salons de décoration d’intérieur au monde et les défilés de haute couture et de prêt-à-porter. Le salon Maison et Objet se déploie dans un endroit qui n’est pas décoratif du tout (Villepinte, proximité Roissy et Sevran, ville banlieue-purgatoire emblématique). Ce salon excite une quantité très importante de pro-fessionnels internationaux. Une population plutôt féminine, souvent vêtue avec élégance, qui parcourt inlassablement les allées en traînant une petite valise comme un chien mort. Cette concentration microcosmique de la décoration délimite en son sein un espace plus petit encore, celui du design. Il se signale par une formule inquiétante

– Now! Design à vivre. Pléonasme autoritaire, comme si le reste appartenait au navrant hier ou se projetait dans un demain finalement inaccessible, n’était des-tiné qu’à crever. Mieux vaut s’en convaincre, ce sont les termes d’un contrat tacite, la règle du jeu. Now! pré-sente un mélange bizarre et banal à la fois. La séche-resse des Modernes devenue style y jouxte les fantai-sies décoratives, le spartiate le débauché, l’efficace le rêveur. Les figurines de porcelaine du designer Jaime Hayon, directeur artistique de l’entreprise espagnole Lladro, sont situées à l’entrée, en grande quantité. Elles vous placent immédiatement en porte-à-faux. Une sta-tuaire luisante, déclinaison précieuse, pop, joyeuse : étant donnée la place aujourd’hui occupée par ce desi-gner, aimable et souriant, et qui n’est certainement pas la plus nuisible des nouvelles figures du terrain ces

DESIGN

RÉSOLUTIONS DE SALON

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[…] « Now! » présente un mélange bizarre et banal à la fois. La sécheresse des Modernes devenue style y jouxte les fantaisies décoratives, le spartiate le débauché, l’efficace le rêveur.

et ce temps, pour se partager des ombres de fractions de miettes ? Un authentique mystère. Ou un vrai prestige : le fantôme héroïque encore une fois, la mission de ser-vice public, le socialisme fondateur. Inversement, on aurait la satisfaction d’une élite exquise, la haute cou-ture qui serait aussi une avant-garde. On retrouve ici le salon, précisément, son confort et ses manières, sa publi-cité, le manifeste bourgeois renouvelé – jeune, frais, pas démonstratif. Pour faire bouger les montagnes infran-chissables (si peu d’argent, si peu de culture), ce design pratique l’incantation, une self-fullfilling prophecy : en annonçant qu’il existe, il va exister. Nouveau-nés, revenants, émergents : Eno Studio (Édition de nouveaux objets), Moustache, Petite Friture, Marcel by, Haymann, La Corbeille, Forestier, Alki, Ésé (Édition sous étiquette), Super-ette – parmi les petits, j’en oublie sûrement, des couteaux, les textiles, la vannerie.

Inévitable ou presque, un arrière-goût de Droog, sans la sécheresse précisément, qui fait que dans la plupart des petits objets, souvent raffinés, on approche surtout l’anecdote (Eno). Se des-sine quelquefois une perspective moins frivole – avec Ésé, il y a le désastre indus-triel et social de Saint-Étienne en héritage génétique, ce qui tend un peu l’histoire – ou poser l’ancrage régional sans laisser déteindre le régionalisme (Alki, des Basques). L’ambition super luxe pour un monde nou-veau, arrière-goût sixties (Toni Grilo pour Haymann). Trait et épaisseurs bien sen-ties, mode sans y toucher, même décennie d’ancrage (Ionna Vautrin, Moustache). Des

hochets domestiques précieux pour les grandes per-sonnes (Constance Guisset, Petite Friture). On tend vers le rituel, la concentration d’une table mise en scène comme l’autel (Benjamin Graindorge pour Moustache). Ce sont généralement des objets peu efficaces – ran-gements approximatifs, assises précaires, luminaires maigres –, et ils s’adressent d’évidence à ceux qui n’ont déjà plus besoin de rien. C’est d’ailleurs précisément de rien qu’ils ont besoin : de l’aérien, de l’éthéré, du transparent, le léger, le subtil, le vaporeux, l’inutile. Des ready-made in France manufacturés, l’élégance impondérable de notre design. Pour échapper à tous les désastres, un masque, un loup sans orifices pour les yeux. Si je veux des bombes délicieuses et des poèmes déchirants, je regarde ailleurs.

Pierre Doze

DE GAUCHE À DROITEJean-Sébastien Poncet pour Ésé ©DRJaime Hayon pour Lladro ©DRIonna Vautrin pour Moustache ©DR

PORTFOLIOP.116 : VIETNAM

PHOTOGRAPHIE : BRUNO HERLIN

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Photographie : Bruno Herlin

VIETNAM

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Magazine n° 8 juin, juillet, août paraîtra le 8 juin

STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY

SPÉCIAL MODE & DÉFILÉSN° 5 — VOL. 2 — SEPTEMBRE, OCTOBRE, NOVEMBRE 2011MAGAZINE

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MARS

9 mars au 16 septembreExposition Louis Vuitton

– Marc Jacobs aux Arts décoratifs, organisée comme une mise en regard des débuts du malletier et de l’interprétation de leur dernier directeur artistique.Lesartsdecoratifs.fr/

13 marsSéminaire public à l’IFM : Le langage du vêtement, par Jean-Claude Bologne, professeur à l’Icart.Ifm-paris.com/

21 mars au 12 aoûtLiving Fashion est la nouvelle exposition du MOMU d’Anvers, sur les vêtements quotidiens des femmes de 1750 à 1950.Momu.be/

24 mars au 17 juinExposition Helmut Newton, 200 tirages, une première rétrospective parisienne au Grand Palais, à défaut d’une fondation…Rmn.fr/

27 mars2e journée Agences ouvertes, ou la pub vue de l’intérieur ; mais toutes les agences ne participent pas.Agences-ouvertes.com/

29 mars au 31 décembreOuverture de Forme Publique, première biennale de création de mobilier urbain, sur l’esplanade de la Défense.Ladefense.fr/

29 mars au 1er avril6e édition de Drawing Now, le salon parisien du dessin contemporain, au Carrousel du Louvre.Drawingnowparis.com/

30 marsConférence de Jean-Luc Nancy autour des

expositions Ai Weiwei et Berenice Abbott, sur les mutations architecturales et urbanistiques des villes.Jeudemaume.org/

AVRIL

3 avrilSéminaire public à l’IFM : Haute couture et mode quotidienne sous l’Occupation, par Dominique Veillon (CNRS).Ifm-paris.com/

4 avril au 2 juinComme un Ananas, exposition de Philippe Katerine sur lui-même à la galerie des Galeries. Et vous pouvez venir avec vous-même.Galeriedesgaleries.com/

4 avrilHaut les mains ! de Jerzy Skolimowski, 1968, 90’. Reprise de ce film censuré d’un grand réalisateur polonais.En salles.

5 avril au 1er juinLa Guerre du Feu, exposition de Hanania & Brunnquell, mêlant photo, illustration et performance.12mail.fr/

10 avrilLes Informelles, soirée mensuelle organisée par Florian Gaité, invitent le magazine Dorade à sortir du support papier pour proposer expositions et performances.Pointephemere.org/

11 avril au 19 maiThis and There, exposition qui célèbre 10 ans du Pavillon, post-grade du palais de Tokyo, sous le commissariat de Claude Closky.Fondation-entreprise-ricard.com/

11 avrilI Wish, de Kore-Eda Hirokazu, 2011, 126’. Réalisateur méconnu, dont la poésie enchante.En salles.

17 au 22 avrilSalon international du meuble de Milan. Le rendez-vous incontournable de la profession.Infos sur cosmit.it/

20 au 22 avril5e Foto book festival. Festival du livre de photographie de Kassel et remise du prix annuel au Bal.Fotobookfestival.org/

25 avrilVous n’avez encore rien vu, d’Alain Resnais, 2011, 95’. Le dernier Resnais, où il est question de théâtre et de vidéo.En salles.

27 au 29 avrilLe catalogue et ses hybrides, une exposition de Charlotte Cheetham (manustuff.org), avec une journée de lectures et de projections, le tout dans un nouvel espace parisien : -1.moinsun.com/

27 au 30 avrilLe Festival de Hyères réunit les professionnels de la mode et de l’image. Au programme, des expositions Yohji Yamamoto et Inez & Vinoodh.Villanoailles-hyeres.com/

AvrilCollection des Livres Club d’Étienne Robial. Un connaisseur partage ses trouvailles et ses coups de cœur. Dates à définir.Galerie-anatome.com/

MAI

Jusqu’au 20 maiDerniers jours d l’exposition Le Néon dans l’art, des années 40 à nos jours.maisonrouge.org/

4 au 6 maiFestival des Très courts. 3 minutes maximum pour raconter une histoire. Ou pas.Forumdesimages.fr/

9 maiTokyo Koen de Shinji Aoyama, 2011, 119’. Le dernier film du réalisateur japonais également auteur d’Eureka.En salles.

10 mai au 19 aoûtExpositions Prada et Schiaparelli, rétrospective de vêtements, dessins et accessoires au Metropolitan de New York.Metmuseum.org/

10 mai au 21 juinDaniel Buren s’attaque au Grand Palais pour Monumenta 2012.Monumenta.com/

30 mai au 10 juinReprise intégrale de la Quinzaine des réalisateurs cannoise.Forumdesimages.fr/

31 mai au 3 juinJardins Jardin, une exposition de micro jardins et de paysages urbains dans le jardin des Tuileries.Jardinsjardin.com/

31 mai au 4 juinDesigners Days, parcours de design parisien sur le thème de l’identité, qui poussera jusque Pantin cette année.Designersdays.com/

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