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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER La fibrillation atriale chez la personne âgée : déterminants de la prescription danticoagulants. Étude originale réalisée chez 170 résidents dEHPAD Atrial fibrillation among elderly patients: determining factors for anticoagulant prescriptions. Original study performed on 170 care home residents C. Suna-Enache · G. Bidamant · G. Kaltenbach · T. Vogel Reçu le 15 juillet 2013 ; accepté le 30 juillet 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé Introduction : Le bénéfice des antivitamines K (AVK) dans la fibrillation auriculaire (FA) pour la prévention primaire des accidents cérébrovasculaires est clairement démontré. Pourtant, 25 à 30 % des sujets âgés de plus de 75 ans ne sont pas anticoagulés. L objectif de cette étude pros- pective est dévaluer les raisons de la non-anticoagulation des sujets âgés en FA vivant en Établissement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) à la lumière des dernières recomman- dations de la Société européenne de cardiologie qui stipule que toute personne de plus de 75 ans en FA devrait théorique- ment prendre des AVK. Patients et méthode : Étude prospective réalisée du 1 er juin 2011 au 15 août 2011 dans 11 EHPAD de la communauté urbaine de Strasbourg chez 781 résidents de plus de 75 ans (âge moyen : 87,1 ans), dont 170 étaient en FA (permanente ou paroxystique). L analyse a comporté lévaluation du risque embolique artériel (score CHA 2 DS 2 VASc), du risque hémorragique (score HAS-BLED), la nature du traitement anticoagulant et/ou antiagrégant, les raisons de la non- anticoagulation (questionnaire auprès du médecin coordon- nateur) et une évaluation de la dépendance (groupe GIR). Résultats : Parmi les 170 sujets en FA, 49 % avaient un anti- coagulant, 28 % un antiagrégant, 1 % une association anti- coagulant et antiagrégant et 22 % étaient sans traitement. Les patients appartenant au groupe GIR-1 (31,7 % de la popula- tion correspondant aux déments grabataires) étaient moins souvent anticoagulés que ceux des groupes GIR-2, 3 et 4, respectivement 27,7, 64,1, 50 et 70,8 % (p < 0,05). Aucune association nest retrouvée entre la prescription danticoagu- lant, le score CHA 2 DS 2 VASc et le score HAS-BLED. Les raisons évoquées de la non-anticoagulation étaient, par ordre décroissant : un antécédent de complications hémorragiques (30 fois), un mauvais état général (14 fois), la nature paro- xystique de la FA (14 fois), un antécédent de chutes (14 fois), pas de raisons évoquées (11 fois), un mauvais équilibre (6 fois), lâge avancé (5 fois) et loubli de la part du médecin (2 fois). Conclusion : Dans cette population de plus de 75 ans en FA, qui devrait théoriquement être anticoagulée par AVK, 49 % des résidents des 11 EHPAD ne prennent pas dAVK dont certains pour des raisons discutables (nature paroxystique de la FA, âge avancé des résidents). Des mesures de formation des médecins, sappuyant sur les dernières recommanda- tions de la Société européenne de cardiologie, semblent nécessaires. Mots clés Personne âgée · Fibrillation atriale · Anticoagulants Abstract Introduction: The benefits of vitamin K antago- nists in auricular fibrillation (AF) for the primary prevention of cerebrovascular accidents has been clearly demonstrated. However, 25 to 30% of patients over the age of 75 are not provided with anticoagulants. The aim of this prospective study is to assess the reasons for not providing anticoagu- lants for elderly patients with AF living in care homes, in the light of recent recommendations from the European Cardio- logy Society, which state that everyone over the age of 75 with AF should theoretically take vitamin K antagonists. Patients and method: Prospective study performed from 01/06/2011 to 15/08/2011 in 11 care homes in metropolitan Strasbourg among 781 residents aged over 75 (average age: C. Suna-Enache · G. Bidamant · G. Kaltenbach · T. Vogel (*) Pôle de gériatrie, hôpitaux universitaires de Strasbourg, France e-mail : [email protected] T. Vogel Hôpital de la Robertsau, pavillon Schutzenberger, 83, rue Himmerich, F-67091 Strasbourg cedex, France EA-3072, institut de physiologie, faculté de médecine, université de Strasbourg, France Cah. Année Gérontol. (2013) 5:268-273 DOI 10.1007/s12612-013-0358-2

La fibrillation atriale chez la personne âgée: déterminants de la prescription d’anticoagulants. Étude originale réalisée chez 170 résidents d’EHPAD; Atrial fibrillation

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

La fibrillation atriale chez la personne âgée : déterminantsde la prescription d’anticoagulants. Étude originale réaliséechez 170 résidents d’EHPAD

Atrial fibrillation among elderly patients: determining factors for anticoagulant prescriptions.Original study performed on 170 care home residents

C. Suna-Enache · G. Bidamant · G. Kaltenbach · T. Vogel

Reçu le 15 juillet 2013 ; accepté le 30 juillet 2013© Springer-Verlag France 2013

Résumé Introduction : Le bénéfice des antivitamines K(AVK) dans la fibrillation auriculaire (FA) pour la préventionprimaire des accidents cérébrovasculaires est clairementdémontré. Pourtant, 25 à 30 % des sujets âgés de plus de75 ans ne sont pas anticoagulés. L’objectif de cette étude pros-pective est d’évaluer les raisons de la non-anticoagulation dessujets âgés en FAvivant en Établissement de personnes âgéesdépendantes (EHPAD) à la lumière des dernières recomman-dations de la Société européenne de cardiologie qui stipuleque toute personne de plus de 75 ans en FA devrait théorique-ment prendre des AVK.Patients et méthode : Étude prospective réalisée du 1er juin2011 au 15 août 2011 dans 11 EHPAD de la communautéurbaine de Strasbourg chez 781 résidents de plus de 75 ans(âge moyen : 87,1 ans), dont 170 étaient en FA (permanenteou paroxystique). L’analyse a comporté l’évaluation durisque embolique artériel (score CHA2DS2VASc), du risquehémorragique (score HAS-BLED), la nature du traitementanticoagulant et/ou antiagrégant, les raisons de la non-anticoagulation (questionnaire auprès du médecin coordon-nateur) et une évaluation de la dépendance (groupe GIR).Résultats : Parmi les 170 sujets en FA, 49 % avaient un anti-coagulant, 28 % un antiagrégant, 1 % une association anti-coagulant et antiagrégant et 22 % étaient sans traitement. Lespatients appartenant au groupe GIR-1 (31,7 % de la popula-tion correspondant aux déments grabataires) étaient moins

souvent anticoagulés que ceux des groupes GIR-2, 3 et 4,respectivement 27,7, 64,1, 50 et 70,8 % (p < 0,05). Aucuneassociation n’est retrouvée entre la prescription d’anticoagu-lant, le score CHA2DS2VASc et le score HAS-BLED. Lesraisons évoquées de la non-anticoagulation étaient, par ordredécroissant : un antécédent de complications hémorragiques(30 fois), un mauvais état général (14 fois), la nature paro-xystique de la FA (14 fois), un antécédent de chutes (14 fois),pas de raisons évoquées (11 fois), un mauvais équilibre(6 fois), l’âge avancé (5 fois) et l’oubli de la part du médecin(2 fois).Conclusion : Dans cette population de plus de 75 ans en FA,qui devrait théoriquement être anticoagulée par AVK, 49 %des résidents des 11 EHPAD ne prennent pas d’AVK dontcertains pour des raisons discutables (nature paroxystique dela FA, âge avancé des résidents). Des mesures de formationdes médecins, s’appuyant sur les dernières recommanda-tions de la Société européenne de cardiologie, semblentnécessaires.

Mots clés Personne âgée · Fibrillation atriale ·Anticoagulants

Abstract Introduction: The benefits of vitamin K antago-nists in auricular fibrillation (AF) for the primary preventionof cerebrovascular accidents has been clearly demonstrated.However, 25 to 30% of patients over the age of 75 are notprovided with anticoagulants. The aim of this prospectivestudy is to assess the reasons for not providing anticoagu-lants for elderly patients with AF living in care homes, in thelight of recent recommendations from the European Cardio-logy Society, which state that everyone over the age of75 with AF should theoretically take vitamin K antagonists.Patients and method: Prospective study performed from01/06/2011 to 15/08/2011 in 11 care homes in metropolitanStrasbourg among 781 residents aged over 75 (average age:

C. Suna-Enache · G. Bidamant · G. Kaltenbach · T. Vogel (*)Pôle de gériatrie, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Francee-mail : [email protected]

T. VogelHôpital de la Robertsau, pavillon Schutzenberger,83, rue Himmerich, F-67091 Strasbourg cedex, France

EA-3072, institut de physiologie, faculté de médecine,université de Strasbourg, France

Cah. Année Gérontol. (2013) 5:268-273DOI 10.1007/s12612-013-0358-2

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87.1 years), 170 of whom have AF (permanent or paraoxys-tic). The study included an assessment of the arterial embolicrisk (CHA2DS2VASc score), the haemorrhagic risk (HAS-BLED test), the type of anticoagulant and/or antiaggregatingtreatment, the reasons for not providing anticoagulants(questionnaire for the coordinating doctor) and an assess-ment of dependency (Iso-resource group).Results: Among the 170 patients with AF, 49% had an anti-coagulant, 28% had antiaggregating treatment, 1% had acombination of anticoagulant and antiaggregating treatmentand 22% had no treatment. Patients from Iso-resourcegroup 1, (31.7% of the subjects who were bedridden) wereless likely to have been given anticoagulant treatment thanpatients from Iso-resource groups 2, 3 and 4, of whom res-pectively 27.7%, 64.1%, 50% and 70.8% received suchtreatment (P < 0.05). No link was found between theCHA2DS2VASc and HAS-BLED scores on the prescriptionof anticoagulant treatment. The reasons given for not provi-ding anticoagulant treatment were, in decreasing order: ahistory of haemorrhagic complications (30 times), poorgeneral health (14 times), the paraoxystic nature of the AF(14 times), a history of falls (14 times), no reasons given(11 times), poor balance (6 times), advanced age (5 times)and doctors not considering such treatment (twice).Conclusion: Among this study group over 75 years of agewith AF, which should theoretically receive anticoagulationtreatment using vitamin K antagonists, 49% of residents in11 elderly care homes do not take vitamin K antagonists,some of whom for debatable reasons (paraoxystic nature ofthe AF, advanced age of residents). Training for doctors,based on the latest recommendations from the EuropeanCardiology Society, appears necessary.

Keywords Elderly people · Atrial fibrillation ·Anticoagulants

Introduction

La fibrillation atriale (FA) est le trouble du rythme le plusfréquent chez la personne âgée. Elle est associée à un risqueaccru d’accidents vasculaires cérébraux (AVC), de décom-pensation cardiaque, d’altération de la qualité de vie ainsiqu’à un excès de mortalité [1].

Le contexte dans lequel s’inscrit ce travail est bien docu-menté. Malgré l’efficacité démontrée du rapport bénéfice/risque favorable du traitement anticoagulant dans la FA, letaux de prescription des AVK chez les patients âgés en FAreste insuffisant (under-use) sans raison rationnelle, et cemalgré les dernières recommandations des sociétés savantesde cardiologie. Dans l’étude ATRIA, seulement 60 % despatients entre 65 et 80 ans avec une FA non valvulaire et sans

contre-indication étaient anticoagulés. Dans cette étude,seulement 35 % des plus de 85 ans en FA prenaient un anti-coagulant [2]. D’autres études rapportent à la fois de l’over-treatment et de l’under-treatment en désaccord avec lesrecommandations récentes [3–5]. Dans ce contexte rapportéde prescriptions (ou de non-prescriptions) inappropriéesd’AVK dans la FA, il nous est paru intéressant de réévaluercette problématique en Établissement d’hébergement de per-sonnes âgées dépendantes (EHPAD), à l’heure où les nou-veaux anticoagulants (NACO) effectuent leur percée marke-ting sur le marché mondial de la FA.

Matériel et méthode

Il s’agit d’une étude prospective menée du 1er juin 2011 au15 août 2011 dans 11 EPHAD de la communauté urbaine deStrasbourg. Ces 11 EHPAD ont été initialement retenus carle médecin coordinateur de ces établissements est égalementle médecin traitant.

Des rencontres systématiques avec chaque médecin coor-dinateur ont été organisées. L’analyse a comporté :

• le calcul du risque embolique artériel (score CHA2DS2-VASc). Ce score comprend : C : dysfonction VG ou insuf-fisance cardiaque : score 1 ; H : hypertension artérielle =1 point ; A2 : âge > 75 ans = 2 points ; D : diabète =1 point ; S2 AVC/AIT/embolie = 2 points ; V : maladievasculaire = 1 point ; A : âge 65–74 ans = 1 point ; Sc :sexe féminin = 1 point. Le score maximum est donc de 9,l’âge pouvant compter pour 0, 1 ou 2 points ;

• le calcul du risque hémorragique (score HAS-BLED). Cescore compte : H : hypertension artérielle = 1 point ; A :dysfonction rénale ou hépatique (abnormal renal and liverfunction) = 1 point pour chacun ; S : AVC (stroke) =1 point ; B : saignement (bleeding) = 1 point ; INR labile =1 point ; E : sujet > 65 ans (elderly) = 1 point ; D :médicaments (aspirine ou AINS) ou alcool (drugs andalcohol) = 1 point chacun ;

• l’évaluation de la dépendance à l’aide du groupe GIRen utilisant les dix activités discriminantes et les septactivités illustratives. Les sujets sont considérés commedépendants s’ils sont GIR-1 (dément grabataire ou per-sonne en fin de vie), GIR-2 (grabataire lucide oudément déambulant), GIR-3 (dépendance partielle pourles activités basiques de la vie quotidienne) et GIR-4(perte des transferts ou en l’absence de problème detransfert, personne qui nécessite une aide pour les repaset/ou les soins corporels) ;

• l’analyse des motifs–raisons de la non-anticoagulation dela FA. Les rencontres avec les médecins coordinateurss’effectuaient à l’aide d’un questionnaire comportant,dans un premier temps, des questions ouvertes. Dans un

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second temps, le questionnaire devient semi-directif enutilisant les variables retrouvées dans la littérature qui sontavérées être associées à la prescription (et à la non-prescription) d’anticoagulants chez le sujet âgé en FA[3–5].

D’un point de vue statistique, les variables qualitativesont été analysées à l’aide d’un test de Chi2, et les variablesquantitatives ont été évaluées à l’aide d’un test de Fischer. Leseuil de significativité est établi à 0,05 %.

Résultats

Les 11 EHPAD totalisent 781 résidents.

Parmi ces résidents, 170 personnes, soit 21,7 % des rési-dents, ont un diagnostic posé de FA, permanente ou paroxys-tique, actuel ou dans leurs antécédents. L’âge moyen desrésidents en FA est de 87,1 ans. La répartition par catégoriesd’âge des résidents en FA est représentée par la Figure 1.

Soixante-dix-huit pour cent des résidents en FA sont desfemmes (Fig. 2).

La majorité des résidents en FA présentent une dépen-dance lourde (107 résidents sont GIR-1 et 2, contre 56 rési-dents en GIR-3 et 4) (Fig. 3).

Parmi les 170 sujets en FA, 49 % ont un anticoagulant,28 % un antiagrégant, 1 % une association anticoagulant etantiagrégant, et 22 % n’ont aucun traitement antithrombo-tique (Fig. 4). Les patients appartenant au groupe GIR-1(31,7 % de la population) bénéficient moins souvent d’uneanticoagulation que ceux des groupes GIR-2, 3 et 4, respec-tivement 27,7, 64,1, 50 et 61 % (p < 0,05).

Le score CHA2DS2VASc moyen est à 4,9 ± 1,4. La répar-tition des différents scores est rapportée par la Figure 5. Lescore CHA2DS2VASc n’est pas associé à la prescriptiond’anticoagulants oraux.

Le score HAS-BLED moyen est à 2,5 ± 0,9. Aucuneassociation n’est retrouvée entre la prescription d’anticoagu-lant et le score HAS-BLED (répartition des différents scoresrapportée par la Figure 6).

Les raisons évoquées de la non-anticoagulation sont, parordre décroissant : un antécédent de complications hémorra-giques (35 %), un mauvais état général (16 %), la natureparoxystique de la FA (16 %), un antécédent de chutes(16 %), pas de raisons évoquées (13 %), un mauvais

Fig. 1 Répartition des tranches d’âge les patients présentant

une FA

Fig. 2 Sex-ratio des patients présentant une FA

Fig. 3 Répartition des GIR les patients présentant une FA

Fig. 4 Traitements antithrombotiques proposés chez les patients

présentant une FA

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équilibre ou la non-observance (7 %), l’âge avancé (6 %)et l’oubli de la part du médecin (2 %) (Fig. 7).

Discussion

Les résultats principaux de ce travail sont :

• seule la moitié d’une population de 170 résidents en FAvivant en EHPAD bénéficie d’un traitement par anticoa-gulants ;

• la prescription d’anticoagulants dans cette populationalsacienne de résidents en EHPAD n’est pas corrélée auscore de CHA2DS2VASc ;

• certains déterminants de non-prescription d’anticoagu-lants relèvent de critères irrationnels ou non fondés :âge avancé, le caractère paroxystique de la FA, l’oubliou l’absence d’arguments (« je ne sais pas »).

Certains des motifs de non-prescriptions des AVK dansla FA demeurent concordants avec les données de la littéra-ture : hémorragie actuelle ou passée, chute, refus ou mauvaiseobservance du patient [6]. L’âge avancé a également été

retrouvé comme associé à une diminution de prescriptionsdes anticoagulants dans la FA [7]. Dans le travail de Glads-tone et al., il est rappelé que sur une cohorte de 600 patientsvenant de présenter un AVC et étant connus comme ayant uneFA, 40 % des patients à l’admission étaient sous anticoagu-lants, 30 % sous antiagrégants et 30 % n’avaient pas de trai-tement antithrombotiques [5]. Pugh et al. ont montré dans unerevue systématique que l’avancée en âge, le risque d’hémor-ragie digestive, un antécédent de complications hémorragi-ques, une augmentation du risque de chute et la présence decomorbidités représentent des « barrières » à la prescriptionde traitement anticoagulant dans la FA [8]. De manièrecomplémentaire, Baczek et al., dans une méta-analyse, mon-trent une amélioration des pratiques des prescriptions aucours du temps. Il apparaît dans ce travail que la prise demédicaments, une consommation d’alcool, la présence d’unedémence, de chutes, d’un saignement digestif, d’une hémor-ragie intracrânienne, d’une insuffisance rénale, d’une insuffi-sance hépatocellulaire et d’un âge avancé sont associées àune diminution de l’utilisation de la warfarine [9].

L’association entre une diminution de la prescription desanticoagulants dans la FA et l’avancée en âge n’est pas fon-dée sur un rationnel physiopathologique. Une approcherationnelle doit se focaliser sur l’évaluation du rapport béné-fice/risque des anticoagulants dans la FA chez le sujet âgé.

Il convient de rappeler que le nombre d’AVC attribuablesà la FA augmente avec l’âge, passant de moins de 2 % avant70 ans à près de 25 % entre 80 et 89 ans [10]. De nombreusesétudes ont montré les bénéfices des AVK dans la préventiondes AVC avec une réduction du risque de plus de 60 % [11].

Le bénéfice des AVK a été montré dans des populationsde sujets très âgés (octogénaires) présentant de la FA [12]. Lerisque hémorragique augmente modestement sous AVK(entre 1 à 3 % par an), surtout pendant les premiers moisde traitement et de manière plus marquée chez les sujetstrès âgés ou présentant une fragilité (diminution multisysté-mique des réserves physiologiques) [13,14].

Fig. 5 Répartition du score CHA2DS2-VASc chez les patients

présentant une FA

Fig. 6 Répartition du score HAS BLED chez les patients présen-

tant une FA

Fig. 7 Raisons évoquées de la non-anticoagulation de la fibrillation

atriale

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Le rapport bénéfice/risque et notamment le bénéfice« net » des AVK dans la FA ont été évalués par plusieurstravaux.

Ce bénéfice « net » des AVK dans la FA s’est avéré clai-rement favorable dans la prise en charge de la FA chez lespersonnes âgées. Ainsi, l’étude ATRIA, incluant plus de13 559 sujets en FA non valvulaire, a comptabilisé lesAVC ischémiques évités et les hémorragies intracrâniennesinduites sous AVK en présence d’une FA, en ajoutant unfacteur pondérateur de 1,5 aux hémorragies intracrâniennesinduites en raison de leur gravité potentielle. Dans cetteétude, il n’a été observé de bénéfice « net » significatif desanticoagulants qu’après l’âge de 75 ans. Cette constatations’explique par l’existence d’une augmentation du risqueemboligène de la FA avec l’avancée en âge qui apparaîtsupérieure à l’augmentation du risque hémorragique avecl’avancée en âge sous AVK [15].

Les bénéfices des nouveaux anticoagulants (antithrom-bine : dabigatran ; anti-Xa : rivaroxaban, apixaban) dans laprévention des AVC dans la FA ont été établis par des étudesde non-infériorité versus warfarine, mais dans des popula-tions ne comportant pas spécifiquement des personnes âgées[11,16,17]. L’évaluation du risque hémorragique dans cespopulations d’études « non gériatriques » chez les sous-groupes de plus de 75 ans objective une tolérance similaireà la warfarine, mise à part l’évaluation à long terme du dabi-gatran qui semble mettre en évidence une augmentation durisque hémorragique [17].

L’évolution du bénéfice net en fonction de l’âge dans laFA n’a pas été évaluée à ce jour par une étude de cohorteavec les nouveaux anticoagulants (antithrombine, anti Xa).Dans un travail utilisant une modélisation mathématique, ilapparaît que, pour un score de CHA2DS2VASc à 1, le dabi-gatran, le rivaroxaban et l’apixaban ont un bénéfice net favo-rable. Dans ce travail, le bénéfice net de ces trois anticoagu-lants apparaît supérieur à celui de la warfarine pour un scorede CHA2DS2VASc supérieur ou égal à 2. L’interprétation detels résultats doit rester prudente dans la mesure où ces cons-tatations ne représentent pas les résultats de « vraie vie »d’une étude de cohorte comme l’étude ATRIA, mais lesrésultats de calculs à partir des essais qui ont évalué ces molé-cules par rapport à la warfarine (RE-LY [11], ROCKET-AF[16] et ARISTOTLE [17]) [18].

Concernant le risque de complications hémorragiquesgrave chez une personne âgée sous anticoagulants à risquede chute, il convient de mentionner le travail déjà ancien deMan-Son-Hing et al. qui, à l’aide d’une modélisation mathé-matique (à la méthodologie discutable), estiment qu’unpatient sous AVK devrait chuter 295 fois par an pour quele risque de survenue d’un hématome intracérébral deviennesupérieur au bénéfice de la prévention des AVC ischémiquesd’origine cardioembolique [19].

Il convient de rappeler, enfin, l’expérience négative pourla pratique professionnelle que représente une complicationhémorragique sous anticoagulant. À la suite d’un accidenthémorragique sous AVK, les médecins ont tendance àréduire leurs prescriptions d’AVK alors qu’à l’inverse lasurvenue d’un AVC ischémique chez un patient en FA nonanticoagulée ne modifie pas leurs pratiques [20].

Conclusion

Ce travail original confirme la sous-prescription des anticoa-gulants dans la FA, dans une population de résidents enEHPAD. Certains motifs de non-prescription ne reposentpas sur des bases rationnelles mais davantage sur des appré-hensions subjectives négatives.

La connaissance (et la mise en application) des derniè-res recommandations de l’European Society of Cardiology(ESC) paraît essentielle. Celles-ci ont clarifié les indicationsd’anticoagulations dans la FA avec la proposition d’unnouveau score de risque embolique, le CHA2DS2VASc quiaffine l’estimation du risque d’embolie artérielle par rap-port à l’ancien score CHADs2. Rappelons-le, un scoreCHA2DS2VASc supérieur ou égal à 1 est désormais une indi-cation de traitement anticoagulant dans la FA [21]. Des sco-res estimant le risque hémorragique sont également proposésau clinicien comme le HAS-BLED et le score HEMOR-R2HAGES, ce dernier ayant été évalué spécifiquement chezdes personnes âgées. L’intérêt de ces scores d’évaluation durisque hémorragique n’est pas d’établir des contre-indications à la prescription des traitements antithromboti-ques, mais de proposer une réévaluation régulière du patientà risque hémorragique élevé, afin de s’efforcer de corrigerles facteurs de risque d’hémorragie potentiellement réversi-bles. Une telle approche permet d’optimiser l’efficacité dutraitement antithrombotique tout en minimisant le risquehémorragique.

Enfin, comme le rappelle le consensus d’expert de laSociété française de gériatrie et de gérontologie et de laSociété française de cardiologie, il convient égalementd’effectuer une évaluation gériatrique standardisée dupatient en FA, afin d’optimiser la prise en charge globaledu sujet âgé en FA [22].

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