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ÉDITORIAL Médecine palliative 85 N° 2 – Avril 2007 Med Pal 2007; 6: 85-86 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuer notre pratique soignante Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, CHBA Vannes. L’homme a toujours cherché à maîtriser non seulement sa vie mais aussi son environnement. Il s’est également ins- crit dans une quête d’autonomie et de responsabilisation qui lui ouvre la voix de la liberté. Ces volontés, non exclusives, ne l’empêchent cependant pas d’être régulièrement confronté à ses limites et à ses chimères. Parmi les chimères qui hantent l’être humain, la question de l’immortalité est récurrente. L’homme tente de penser l’immortalité car la mort est pour lui un non-sens auquel il ne peut simplement pas se ré- soudre. Anne-Marie Dozoul nous offre un éclairage passion- nant avec son regard d’anthropologue. Elle nous mène dans les méandres de la réalité humaine, au-delà des différences culturelles. Cette approche nous est peu familière, en dehors des lectures que nous avons pu avoir ou des conférences auxquelles nous avons pu assister. L’homme regarde le monde mais il se regarde aussi au sein de son monde. Il ne s’agit pas simplement d’un regard narcissique. L’homme tente de se penser et, pour ce faire, il lui faut bien se comprendre lui-même, comprendre l’autre que lui comme comprendre son environne- ment. Cet environnement est humain, naturel, culturel, social… Nous mesurons régulière- ment la difficulté à penser l’être comme le monde de façon globale. Tant de singularités dont il faut tenir compte, tant de savoirs né- cessaires, tant de difficultés à s’ouvrir à l’autre viennent, entre autres, complexifier cette ten- tative. Si la fin de vie est un moment privilé- gier pour dire de soi comme de l’autre, ce n’est pas le seul moment où l’homme se pose dans cette posture. Il s’agit peut-être d’un moment si singulier qu’il exacerbe cette volonté. Pour se penser, se dire, l’homme se situe dans une attitude qu’il souhaite être éthique. Dans nos sociétés modernes, l’éthique semble avoir une position es- sentielle, du moins dans les discours souvent plus intention- nels qu’efficients. Ne nous parle-t-on pas d’éthique à tous les niveaux ? Éthique médicale, bien entendu, éthique finan- cière, éthique politique, éthique juridique, etc. Il y aurait de l’éthique partout. Sûrement existe-t-il un véritable souci d’éthique dans chaque activité humaine. Le nier serait s’ins- crire dans une suspicion sans réelle base concrète. Cepen- dant, il ne suffit pas de brandir le terme d’éthique pour que l’on s’inscrive, véritablement, dans une démarche éthique. De nombreux auteurs nous l’ont régulièrement rappelé dans la revue. Caroline Doucet, avec son regard de psychologue, nous le restitue très clairement dans notre réflexion qui se veut éthique. Il ne suffit pas de vouloir penser éthique pour le faire vraiment. Il nous faut nous inscrire dans une démar- che rigoureuse qui exige de nous un effort. Cet effort n’est pas que réflexif, il est aussi parfois militant tant il s’inscrit dans un souci d’approcher, au plus près, les valeurs qui sont les nôtres. L’homme ne fait pas seulement que de se penser. Il cherche aussi à vivre, à vivre bien, sans souffrance ni dou- leur. La douleur est un des symptômes fréquents en fin de vie même s’il n’est pas le seul. De ce fait, nous avons comme obligation (j’allais dire « éthique », mais disons professionnelle et humaine) de soulager au mieux les symptômes, dont la douleur, auxquels sont confrontés les patients que nous soignons et accompagnons. L’idée que, sous prétexte que le patient est en fin de vie, il ne faut pas utiliser de méthode instrumentale pour traiter un symptôme n’est pas recevable. L’essentiel réside dans le fait que l’utilisation d’une technique s’inscrit dans le souci d’apporter un soulagement maximum avec des effets dé- létères minimums dans le seul but de la recherche du con- fort du patient. De ce fait, il nous faut maîtriser (pour une fois, ce mot est applicable dans notre domaine) les tech- niques actuelles d’antalgies. La SFAP a réuni un groupe de travail sur l’indication et l’utilisation de l’analgésie autocontrôlée par le patient (PCA) à l’hôpital et à domi- cile. Elle nous autorise, dans ce numéro, à publier les tex- tes des recommandations rédigées par les experts de ce groupe. Ces recommandations s’intéressent au patient al- gique cancéreux ou devant bénéficier de soins palliatifs. On en profitera pour noter l’évidence que le rôle des pro- fessionnels en soins palliatifs s’inscrit très tôt dans le dé- roulement de la maladie et non pas dans les seuls derniers jours de vie même si nous affirmons, clairement, que les phases pré-agonique et agonique imposent une prise en charge médicale, humaine et sociale de qualité. De même, l’évaluation et le traitement de la douleur sont des com- Viallard ML. La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuer notre pratique soignante. Med Pal 2007; 6: 85-86. Adresse pour la correspondance : Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Consultation de la douleur, CH Bretagne Atlantique, BP 70555, 56017 Vannes Cedex. e-mail : [email protected] Pour se penser, se dire, l’homme se situe dans une attitude qu’il souhaite être éthique.

La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuer notre pratique soignante

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É D I T O R I A L

Médecine palliative

85

N° 2 – Avril 2007

Med Pal 2007; 6: 85-86

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuer notre pratique soignante

Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, CHBA Vannes.

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homme a toujours cherché à maîtriser non seulementsa vie mais aussi son environnement. Il s’est également ins-crit dans une quête d’autonomie et de responsabilisation quilui ouvre la voix de la liberté. Ces volontés, non exclusives,ne l’empêchent cependant pas d’être régulièrement confrontéà ses limites et à ses chimères. Parmi les chimères qui hantentl’être humain, la question de l’immortalité est récurrente.L’homme tente de penser l’immortalité car la mort est pourlui un non-sens auquel il ne peut simplement pas se ré-soudre. Anne-Marie Dozoul nous offre un éclairage passion-nant avec son regard d’anthropologue. Elle nous mène dansles méandres de la réalité humaine, au-delà des différencesculturelles. Cette approche nous est peu familière, en dehorsdes lectures que nous avons pu avoir ou des conférencesauxquelles nous avons pu assister. L’homme regarde lemonde mais il se regarde aussi au sein de son monde. Il nes’agit pas simplement d’un regard narcissique. L’hommetente de se penser et, pour ce faire, il lui faut bien se

comprendre lui-même, comprendre l’autreque lui comme comprendre son environne-ment. Cet environnement est humain, naturel,culturel, social… Nous mesurons régulière-ment la difficulté à penser l’être comme lemonde de façon globale. Tant de singularitésdont il faut tenir compte, tant de savoirs né-cessaires, tant de difficultés à s’ouvrir à l’autreviennent, entre autres, complexifier cette ten-tative. Si la fin de vie est un moment privilé-gier pour dire de soi comme de l’autre, ce n’estpas le seul moment où l’homme se pose dans

cette posture. Il s’agit peut-être d’un moment si singulier qu’ilexacerbe cette volonté. Pour se penser, se dire, l’homme sesitue dans une attitude qu’il souhaite être éthique. Dans nossociétés modernes, l’éthique semble avoir une position es-sentielle, du moins dans les discours souvent plus intention-nels qu’efficients. Ne nous parle-t-on pas d’éthique à tousles niveaux ? Éthique médicale, bien entendu, éthique finan-cière, éthique politique, éthique juridique, etc. Il y aurait del’éthique partout. Sûrement existe-t-il un véritable soucid’éthique dans chaque activité humaine. Le nier serait s’ins-crire dans une suspicion sans réelle base concrète. Cepen-

dant, il ne suffit pas de brandir le terme d’éthique pour quel’on s’inscrive, véritablement, dans une démarche éthique. Denombreux auteurs nous l’ont régulièrement rappelé dans larevue. Caroline Doucet, avec son regard de psychologue,nous le restitue très clairement dans notre réflexion qui seveut éthique. Il ne suffit pas de vouloir penser éthique pourle faire vraiment. Il nous faut nous inscrire dans une démar-che rigoureuse qui exige de nous un effort. Cet effort n’estpas que réflexif, il est aussi parfois militant tant il s’inscritdans un souci d’approcher, au plus près, les valeurs qui sontles nôtres.

L’homme ne fait pas seulement que de se penser. Ilcherche aussi à vivre, à vivre bien, sans souffrance ni dou-leur. La douleur est un des symptômes fréquents en finde vie même s’il n’est pas le seul. De ce fait, nous avonscomme obligation (j’allais dire « éthique », mais disonsprofessionnelle et humaine) de soulager au mieux lessymptômes, dont la douleur, auxquels sont confrontés lespatients que nous soignons et accompagnons. L’idée que,sous prétexte que le patient est en fin de vie, il ne fautpas utiliser de méthode instrumentale pour traiter unsymptôme n’est pas recevable. L’essentiel réside dans lefait que l’utilisation d’une technique s’inscrit dans le soucid’apporter un soulagement maximum avec des effets dé-létères minimums dans le seul but de la recherche du con-fort du patient. De ce fait, il nous faut maîtriser (pour unefois, ce mot est applicable dans notre domaine) les tech-niques actuelles d’antalgies. La SFAP a réuni un groupede travail sur l’indication et l’utilisation de l’analgésieautocontrôlée par le patient (PCA) à l’hôpital et à domi-cile. Elle nous autorise, dans ce numéro, à publier les tex-tes des recommandations rédigées par les experts de cegroupe. Ces recommandations s’intéressent au patient al-gique cancéreux ou devant bénéficier de soins palliatifs.On en profitera pour noter l’évidence que le rôle des pro-fessionnels en soins palliatifs s’inscrit très tôt dans le dé-roulement de la maladie et non pas dans les seuls derniersjours de vie même si nous affirmons, clairement, que lesphases pré-agonique et agonique imposent une prise encharge médicale, humaine et sociale de qualité. De même,l’évaluation et le traitement de la douleur sont des com-

Viallard ML. La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuer notre pratique

soignante. Med Pal 2007; 6: 85-86.

Adresse pour la correspondance :

Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Consultation de la douleur,

CH Bretagne Atlantique, BP 70555, 56017 Vannes Cedex.

e-mail : [email protected]

Pour se penser, se dire, l’homme se situe dans une attitude qu’il souhaite être éthique.

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Médecine palliative

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N° 2 – Avril 2007

La pluridisciplinarité permet au sens de ponctuernotre pratique soignante

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pétences qui s’imposent aux professionnels des soins pal-liatifs. C’est, là aussi, une voie qui nous permet de nousinscrire, sans rien renier, dans la logique des soins de sup-port. Jean-Michel Pellat nous situe l’intérêt et la place del’analgésie spinale dans le traitement de la douleur can-céreuse. Il nous aide ainsi, par ce travail très intéressant,à nous qualifier un peu plus au plan médical et soignant.

S’il faut prendre en charge, efficacement, la douleuret les symptômes des patients, il n’en faut pas moins gar-der une vigilance sur nos pratiques médicales et soignan-tes. On évoque très fréquemment la notion de « doubleeffet ». Il nous est parfois dit que sous prétexte de calmerune douleur, une angoisse réfractaire ou tout autre symp-tôme, nous avons des pratiques qui flirtent avec la prati-que euthanasique. Parfois, il nous est dit que bien quenous refusions la pratique euthanasique, nous utilisonsdes subterfuges pour répondre à une demande d’un pa-tient. Ce procès en hypocrisie n’est pas si rare. GuillemetteLaval a mené une étude originale qui permet, objective-ment, de démontrer qu’il n’en est rien. Cette étude permetde mieux évaluer nos pratiques. Elle permet égalementde donner sens à cette pratique et, à partir d’une bonneévaluation des pratiques, elle devrait nous donner les ar-guments pour démontrer que la pratique euthanasique

masquée n’est pas aussi fréquente qu’on veut bien le dire.De même, cette pratique euthanasique masquée, si elleétait réellement pratiquée, nous renverrait à notre respon-sabilité éthique avant même de nous renvoyer à nos res-ponsabilités déontologiques et juridiques.

Nathalie Lelièvre nous éclaire sur la loi relative audroit des malades en fin de vie et sur les modificationsque celle-ci implique pour les professionnels comme pourles patients. Une mise au point claire et utile.

Ainsi, tout au long de ce numéro, la pluridisciplinariténous permet de nous approcher le plus possible de la co-hérence entre nos intentions affirmées et nos pratiquessur le terrain. La pluridisciplinarité n’est pas un vain mot,ni une pure intentionnalité. Comme nous le vivons, cha-que jour, là où nous travaillons, nous constatons, à la lec-ture de ce numéro toute la richesse qu’elle nous apporte.C’est par elle que l’approche globale du sujet est possible.C’est par elle que le sens vient ponctuer nos pratiques.C’est également par la pluridisciplinarité que nous pou-vons prétendre à la réflexion et à la pratique éthique.Parce qu’elle nous donne les moyens de penser ce quel’on fait et de faire ce que l’on pense avec comme soucipremier le service rendu au patient, on peut ainsi prendresoin d’autrui comme de soi-même.