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LA PREUVE DANS LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF BELGE Rapport présenté par M. F. DEBAEDTS Premier Auditeur au Conseil d'Etat de Belgique

LA PREUVE DANS LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF … · Il nous a paru utile, en vue d'une bonne compréhension du sujet, de commencer no-tre exposé sur la preuve dans le contentieux

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LA PREUVE DANS LE CONTENTIEUXADMINISTRATIF BELGE

Rapport présenté par

M. F. DEBAEDTS

Premier Auditeur au Conseil d'Etatde Belgique

Il nous a paru utile, en vue d'une bonne compréhension du sujet, de commencer no-tre exposé sur la preuve dans le contentieux administratif par une brève esquisse del'organisation de ce contentieux, en fonction des compétences attribuées aux juridic-tions administratives.

Nous donnerons ensuite un aperçu des dispositions régissant la procédure devant lejuge administratif ou, du moins, de celles de ces dispositions qui, directement ou in-directement, intéressent la preuve.

Dans les paragraphes suivants, nous examinerons et illustrerons par un choix d'exem-ples tirés de sa jurisprudence, l'application et l'usage que, dans chacune des principa-les sphères de sa compétence, le juge administratif a faits de ces dispositions pour ré-gler la preuve.

Enfin, en raison de l'importance des problèmes examinés, un paragraphe distinct seraconsacré aux restrictions mises à la liberté du juge administratif quant aux moyens depreuve et à l'appréciation de leur valeur.

I. Quelques mots sur l'organisation du contentieux administratif.

Ainsi que le Conseiller d'Etat (1) H.BUCH l'a fait observer, en se référant à P.WIGNY,dans la seule étude qui ait été consacrée en Belgique à la preuve en droit administratif(2), l'organisation du contentieux administratif était caractérisée jusqu'en 1946 parune disparité, voire une confusion extrême.

Il n'existait aucune juridiction administrative à compétence générale. Des dizaines decompétences particulières, notamment en matière de taxes communales, d'électionscommunales, de milice, d'assistance publique, de sécurité sociale, de dommages deguerre, étaient attribuées à autant de juridictions, le plus souvent composées selon leprincipe de l"administrateur-juge" et qui, pour la plupart, n'offraient de garantiessuffisantes ni sur le plan de l'indépendance, ni sur celui de la procédure ni même du

(1) Actuellement président de Chambre.(2) H.BUCH, La preuve en droit administratif belge, dans "Recueils de la Société

Jean Bodin, tome XIX, Bruxelles, 1963, p. 289-303.

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point de vue de la formation juridique. Le pays ne connaissait pas de juridiction sta-tuant au contentieux de la fonction publique.

La création d'un Conseil d'Etat par la loi du 23 décembre 1946, entrée en vigueur en1948, est venue modifier profondément cette situation.

La section d'administration s'est essentiellement vu attribuer un quadruple pouvoirjuridictionnel :

1) elle statue sur les recours en annulation d'actes administratifs (recours pour ex-cès de pouvoir ) ;

2) elle connaît des recours en annulation de décisions contentieuses administratives(recours en cassation) ;

3) elle statue sur l'appel de certaines décisions prises en application de la loi électo-rale communale et de la loi sur l'assistance publique (appel ou recours de pleinejuridiction) ;

4) elle se prononce sur les demandes de réparation pour dommage exceptionnelcausé par une autorité administrative (1).

Alors que les compétences mentionnées au 1) et au 4) comblaient un vide, celles énon-cées aux 2 et 3) visaient principalement à apporter plus d'uniformité au fonctionne-ment des diverses juridictions inférieures et à assurer un respect plus scrupuleux de laloi et des garanties élémentaires, propres à toute activité juridictionnelle.

II. Schéma de la procédure du contentieux administratif.

1. Les prescriptions légales en matière de procédure applicables aux juridictionsadministratives inférieures sont aussi diverses que ces juridictions elles-mêmes.

Elles se signalent surtout par leur commune insuffisance et imprécision.

Ainsi, l'activité juridictionnelle, importante et variée, qu'exercent les députations per-manentes des conseils provinciaux, n'a été soumise par la loi, sur le plan de la procé-dure, qu'à quelques rares prescriptions.

(1) Dans ce domaine, le Conseil d'Etat n'a obtenu la "justice déléguée" que par laloi du 3 juin 1971, article 3, paragraphe 2. Sa compétence était, jusqu'alors,purement consultative. A remarquer que c'est le juge ordinaire qui est compé-tent en matière de responsabilité normale de la puissance publique.

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Un seul exemple suffira : en matière de déchéance de conseillers communaux, la loise borne à disposer que les conseillers communaux intéressés doivent être avisés desfaits pouvant entraîner leur déchéance, et à leur impartir un délai de huit jours pouradresser un mémoire en défense à la députation permanente (1).

Il va sans dire que des règles de procédure aussi sommaires ne font aucune place à desprescriptions touchant la preuve.

Des prescriptions de cette nature se rencontrent, il est vrai, ailleurs : elles se réfèrentgénéralement à certaines dispositions du Code civil. !

Il ne saurait entrer dans notre propos de passer en revue les différents régimes de preu-ve qui s'appliquent aux diverses juridictions administratives inférieures. Nous nous oc-cuperons exclusivement de la preuve dans la procédure devant le Conseil d'Etat dont -d'autres l'ont déjà signalé (2) - on s'inspire de plus en plus pour régler la procédure de-vant les différentes juridictions administratives inférieures (3).

2. A l'exception d'un article, qui règle le cas où une pièce est arguée de faux (4) etde quelques autres, relatifs à l'audition de témoins et à la désignation d'experts, la lé-gislation sur le Conseil d'Etat ne contient pas de dispositions spécifiques touchant lapreuve.

La charge de la preuve, notamment, n'est pas réglée par la loi et, mises à part les légè-res réserves faites ci-dessus, les modes de preuves ne le sont pas davantage.

Il n'empêche que certaines dispositions du règlement de procédure présentent, commetelles, une importance primordiale à cet égard.

Les principales règles de procédure figurent à la loi organique du Conseil d'Etat elle-même (5). Elles ont été développées conformément à l'article 21 de cette loi, dansdes arrêtés royaux délibérés en conseil des ministres (6).

Les dispositions du règlement de procédure les plus importantes du point de vue dela preuve sont les suivantes.

La requête introductive comprend l'objet du recours ainsi qu'un exposé des faits etdes moyens (7).

(1) Loi électorale communale, article 82.(2) H.BUCH, loc. cit. p. 293.(3) Voir, par exemple, l'arrêté royal du 31 mai 1958 déterminant la procédure des

commissions en matière de cumul médico-pharmaceutique.(4) L'article 51 de l'arrêté du Régent déterminant la procédure devant la section

d'administration en fait une question préjudicielle, du moins lorsque la pièce estessentielle pour la solution du litige.

(5) Loi du 23 décembre 1946, modifiée en dernier lieu par la loi du 1er juillet 1971.(6) Arrêté du Régent du 23 août 1948, modifié en dernier lieu par l'arrêté royal

du 31 décembre 1968.

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Une copie de la requête est transmise par le premier président à l'auditeur général, quidésigne un membre de l'auditorat pour veiller "à l'accomplissement des mesures préa-lables à l'instruction" (8).

S'il apparaît, sur le vu de la requête, que le Conseil d'Etat n'est manifestement pascompétent ou que la demande est manifestement irrecevable ou non fondée, le mem-bre de l'auditorat désigné fait immédiatement rapport.

Dans ce cas, la chambre peut dispenser les parties des mesures préalables à l'instructionet ordonner la réduction des délais prescrits pour les actes de la procédure (9).

Dans tous les autres cas, le greffier envoie une copie de la requête à la partie adverse.Celle-ci dispose d'un délai de trente jours pour transmettre au greffe un mémoire enréponse et le dossier administratif, s'il est en sa possession.

Si le dossier ne se trouve pas en possession de la partie adverse, l'auditeur général enréclame communication à l'autorité qui le détient.

Dans ce cas, le délai de trente jours pour la transmission du mémoire en réponse necommence à courir qu'à dater du jour où la partie adverse a été avisée du dépôt dudossier au greffe (10).

Le greffier transmet une copie du mémoire en réponse à la partie requérante et l'avi-se du dépôt du dossier au greffe. La partie requérante a trente jours pour faire parve-nir au greffe un mémoire en réplique.

Une copie de celui-ci est transmise par le greffier à la partie adverse (11).

Si la partie adverse s'abstient d'envoyer un mémoire en réponse dans le délai, la par-tie requérante en est avisée par le greffe et peut remplacer le mémoire en réplique parun mémoire ampliatif de la requête (12).

Si les nécessités de l'instruction le justifient, les délais imposés aux parties pour latransmission des mémoires peuvent, après avis de l'auditeur général, être prorogés parordonnance motivée du président de la chambre saisie (13).

Après l'accomplissement des mesures préalables, le dossier est transmis au membre del'auditorat désigné par l'auditeur général.

Si le magistrat désigné estime que le dossier n'est pas complet ou que des renseigne-ments complémentaires sont requis, il correspond directement avec toutes les auto-

(7) Règlement de procédure, article 2, paragraphe 1er, 2).(8) Ibidem, article 5.(9) Ibidem, article 91.(10) Règlement de procédure, article 6.(11) Ibidem, article 7.(12) Ibidem, article 8.(13) Ibidem, article 9.

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rites et peut leur demander, ainsi qu'aux parties, tous renseignements et documentsutiles.

L'instruction préliminaire se termine par un rapport sur l'affaire rédigé par le membrede l'auditorat désigné. Ce rapport examine aussi bien les faits que les points de droit.

Il est transmis à la chambre compétente désignée par le premier président (1).

Si la chambre estime qu'il y a lieu de procéder à de nouveaux devoirs, elle peut ordon-ner qu'il y soit procédé, soit à l'audience, soit en dehors, par le conseiller ou le mem-bre de l'auditorat qu'elle commet à cet effet (2).

Dans la pratique, ce sera presque toujours le membre de l'auditorat auteur du rapportqui sera désigné pour procéder aux devoirs d'instruction ordonnés par la chambre.

Le magistrat chargé de l'instruction dispose de pouvoirs très étendus.

Il peut non seulement demander aux parties et autorités tous les renseignements etdocuments utiles, mais peut aussi entendre les parties et toutes autres personnes, pro-céder sur les lieux à toutes constatations, désigner des experts et déterminer leur mis-sion.

Il n'est pas d'usage, à moins que cela ne soit jugé nécessaire à la bonne marche del'instruction, de convoquer les parties à l'audition des témoins ou à une descente surles lieux.

Jusqu'il y a peu de temps, les témoins ne pouvaient être entendus sous serment qu'àl'audience et le refus de déposer n'était pas punissable.

La loi du 3 juin 1971 a sensiblement renforcé le pouvoir d'enquête du Conseil d'E-tat sur ce point en disposant que les témoins peuvent être entendus sous serment entoutes circonstances et que le témoin qui refuse de comparaïtre, de prêter serment oude déposer, sera puni d'une amende de vingt-six à cent francs (3).

Après l'accomplissement des devoirs d'instruction, le magistrat qui en est chargé ré-dige un rapport complémentaire qui, tout comme le rapport originaire, est transmisà la chambre et soumis à la contradiction écrite des parties (4).

A l'audience, un conseiller résume les faits de la cause et les moyens des parties.

Celles-ci peuvent comparaître en personne ou se faire représenter par un avocat ins-

( 1 ) Règlement de procédure, article 12.(2) Loi organique, article 16 ; règlement de procédure, articles 13 et 16 à 25.(3) Loi du 3 juin 1971, article 7 ; loi organique, article 16, alinéas 2 et suivants.(4) Ibidem, articles 13 et 14.

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crit au tableau de l'ordre.

Les parties et leurs avocats peuvent présenter des observations orales, mais il ne peutpas être produit d'autres moyens que ceux développés dans la requête.

A la fin des débats, le membre de l'auditorat rapporteur donne son avis sur l'affaire,après quoi le président de la chambre prononce la clôture des débats et met la causeen délibéré (5).

3. Le schéma ci-dessus montre que la procédure devant le Conseil d'Etat, commepresque toutes les procédures administratives, est du type inquisitorial.

C'est dire qu'au lieu d'être abandonnée essentiellement à l'initiative des parties, l'ins-truction de l'affaire est dirigée par le juge lui-même.

Les parties se bornent à donner leur version des circonstances de fait et à exposerleurs moyens ; pour le surplus, c'est le Conseil d'Etat lui-même qui dirige la procédu-re et qui exécute les mesures d'instruction que la mise en état de la cause lui paraîtrequérir.

Il est généralement admis que la procédure du contentieux administratif doit être in-quisitoriale en raison de l'inégalité des parties intéressées au litige. Or, c'est précisé-ment sur le plan de la preuve que cette inégalité est la plus marquée. Aussi, dans denombreux cas, le juge ne pourra-t-il découvrir la vérité matérielle que s'il est investid'un large pouvoir d'investigation qu'il peut utiliser discrétionnairement (6).

On peut affirmer que, devant le Conseil d'Etat belge, le caractère inquisitorial de laprocédure est particulièrement prononcé, principalement en raison des trois aspectssuivants : l'obligation, pour l'autorité, de produire dans toutes les causes le dossiercomplet, la présence à côté du Conseil d'un auditorat conçu essentiellement commeun organe d'instruction et capable comme tel de remédier à toute omission, manque-ment ou incapacité d'une des parties et, enfin, le rôle du greffe, qui assure au débatessentiellement écrit son caractère contradictoire en se chargeant de notifier tous mé-moires et rapports aux parties intéressées et de mettre à leur disposition, aux finsde consultation, toutes les pièces produites au Conseil d'Etat.

Examinons de plus près les deux premiers de ces aspects, particulièrement importantsdu point de vue de la preuve.

(5) Ibidem, article 29.(6) Voir, pour la Belgique : le rapport au Régent qui précède l'arrêté du 23 août

1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseild'Etat (Moniteur belge des 23-24 août 1948) ;H.Buch, loc. cit., p. 295 et 296.

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4. Il y a tout d'abord l'obligation pour l'administration de transmettre le dossier augreffe du Conseil d'Etat dans un délai déterminé.

Une question importante se pose aussitôt : quels documents le dossier doit-il conte-nir ?

Si l'on veut répondre positivement à cette question, on ne peut guère le faire de ma-nière plus concrète qu'en disant que le dossier doit contenir tous les documents quiont trait à la cause et qui peuvent être utiles à son appréciation par le Conseil d'Etat.

Une réponse aussi générale ne nous avançant guère, il paraît plus intéressant de procé-der par élimination et de déterminer ce qui ne doit pas figurer au dossier.

Bien qu'elle ait une portée générale, l'obligation de communiquer le dossier, imposéepar l'article 13 de la loi du 23 décembre 1946 et par l'article 6 de l'arrêté du Régentdu 23 août 1948, ne s'étend pas à la communication de documents qui ne sauraientrecevoir de publicité sans grave danger pour l'ordre public (1).

Il découle de l'article 64 de la Constitution que tout arrêté royal doit être le résul-tat d'un accord entre le Chef de l'Etat et le ministre responsable.

L'inviolabilité de la personne du Roi, prévue à l'article 63 de la Constitution, a pourcorollaire qu'aucune pièce montrant comment un arrêté royal a été élaboré d'un com-mun accord entre le Roi et le ministre responsable ne peut être rendue publique.

Le Conseil d'Etat exclut dès lors d'office des débats la communication du Cabinet duRoi dont il ressortirait qu'à une date déterminée, un arrêté royal n'était pas encorerevêtu du contreseing ministériel requis.

Doivent, de même, être écartées des débats dans un recours en annulation de l'arrêtéroyal portant révocation d'un capitaine de port, les lettres du Cabinet du Roi, la no-te du Ministre au Cabinet du Roi et les lettres du Ministre à l'administration commu-nale (2).

La jurisprudence montre que les rapports et notes de service établis par des servicesadministratifs en vue d'éclairer l'autorité investie du pouvoir de décision peuvent pré-senter un caractère confidentiel et ne doivent, dès lors, pas être versés au dossier ad-ministratif.

Ainsi, le Conseil d'Etat a estimé qu'une note des services provinciaux destinée à éclai-rer la députation permanente dans l'exercice de son pouvoir d'approbation à l'égardde la nomination d'un receveur communal ne fait pas partie du dossier administra-tif (3).

(1) C.E., Alpi, e.a. no. 1707, du 4 juillet 1952 ; Groesz, no.2861, du 28 octobre 1953.(2) C.E., Michielsen, no. 1222, du 19 décembre 1951 ; Meulemeester, no. 7082,

du 19 mai 1959.(3) C.E., commune de Schoten, no. 6921, du 27 février 1959.

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Dans le domaine juridictionnel, il n'est pas davantage requis que soient joints au dossiertous documents généralement quelconques.

Lorsqu'elle arrête le compte de fin de gestion d'un receveur communal, la députationpermanente, selon une jurisprudence bien établie, agit comme juridiction.

Les rapports établis à cet égard par les bureaux de l'administration provinciale à l'in-tention de la députation permanente ont été qualifiés par le Conseil d'Etat de "docu-ments d'ordre intérieur destinés à préparer la décision qu'elle allait rendre dans l'ac-complissement des fonctions juridictionnelles qui lui sont dévolues"(1).

Cette décision est fondée sur la conception que le personnel administratif mis à la dis-position des membres d'une juridiction pour aider ceux-ci dans l'accomplissement deleur mission ne peut, sur le plan juridique, être distingué de la juridiction elle-même.Ces agents n'ont pas de pouvoir propre et ne sont pas responsables, vis-à-vis de l'ex-térieur, des opinions qu'ils émettent à l'intention de la juridiction. Du point de vuejuridique, le travail qu'ils effectuent s'identifie au travail préparatoire de la juridictionelle-même.

Les travaux préparatoires que les membres d'une juridiction accomplissent en vue dela solution du litige et qui se concrétisent dans des documents écrits ne font pas par-tie du dossier et demeurent soustraits au débat contradictoire entre parties.

Il ne faudrait pas, en effet, que le principe du débat contradictoire serve à offrir auxparties l'occasion de critiquer la solution que le juge lui-même a mise au point dans lesilence de son cabinet.

Ainsi, le Conseil d'Etat a décidé fort justement que la commission d'appel des domma-ges de guerre aux biens privés n'avait pas motivé sa décision au voeu de la loi en se ré-férant au rapport de l'assesseur technicien qui est membre de cette même commission.Ce rapport fait partie de la délibération mais ne constitue pas, en vertu du principedu secret du délibéré, une pièce du dossier (2).

5. Second élément particulièrement important de la procédure inquisitoriale : l'exis-tence et le fonctionnement d'un auditorat près le Conseil d'Etat.

Le membre de l'auditorat chargé de l'affaire, non seulement veillera à ce que le dos-sier administratif soit déposé et que le débat contradictoire écrit entre parties se dé-roule selon les règles de la procédure, mais encore rassemblera, avant l'élaboration deson rapport, en mettant en oeuvre les pouvoirs conférés à l'auditorat par l'article 12du règlement de procédure, tous renseignements complémentaires sur les circonstan-ces de fait qu'il jugera nécessaires.

(1) C.E., Pottier, no. 3916, du 3 octobre 1957.(2) C.E., Hunselmans, no. 6257, du 2 mai 1958 ; Sté Coop. "L'essor commercial",

no. 6402, du 24 juin 1958.

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Le rapport sur l'affaire examinera ces faits et la preuve de ceux-ci, le rapporteur ayanttoute liberté de donner une version des faits ou d'avancer une argumentation s'écar-tant de celle présentée par les parties, notamment par la partie requérante.

Enfin le rapporteur peut,s'il le juge nécessaire, proposer à la chambre d'ordonner denouveaux devoirs, conformément à l'article 13 du règlement de procédure, ou bienla chambre peut en ordonner d'initiative, après avoir pris connaissance du rapport del'auditorat.

Le complément d'instruction peut aller de la réclamation de documents et de l'audi-tion de témoins jusqu'à la désignation d'un expert et la descente sur les lieux.

En règle générale, c'est le rapporteur de l'auditorat qui en est chargé.

Il importe d'observer que le caractère contradictoire du débat ne s'en trouve jamaiscompromis puisque tous les rapports de l'auditorat ainsi que tous les éléments et piè-ces complémentaires fournis par les nouveaux devoirs d'instruction sont soumis auxparties.

3. La preuve dans la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Après ces considérations préliminaires, le moment paraît venu d'examiner, à la lumiè-re de la jurisprudence, quel est, sur le plan de la preuve, le comportement du jugeadministratif suprême.

Il importe, à cet égard, d'établir une nette distinction entre les divers domaines de sacompétence. En effet, s'il n'y a qu'un seul règlement de procédure, un examen de lajurisprudence a tôt fait de révéler que l'application de ce règlement varie considéra-blement selon la compétence exercée. Du coup, on aperçoit aussi que le régime de lapreuve est conditionné non seulement par des éléments de procédure, mais aussi parle contenu du litige.

Examinons successivement le recours en annulation - qui est de loin le domaine leplus important de la compétence du Conseil d'Etat et où le règlement de la preuveprend sa forme la plus originale - , le recours de pleine juridiction et le recours en cas-sation.

Nous ferons abstraction, pour simplifier les choses, des litiges relatifs aux demandesde réparation pour dommage exceptionnel. Ces litiges sont, en effet, moins importants,du moins du point de vue quantitatif et l'on peut admettre que la situation en matiè-re de preuve n'y est guère différente de ce qu'elle est dans les recours en annulation.

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A. La preuve dans le recours en annulation.

S'il est un domaine où la procédure inquisitoriale prend toute sa significaiton,c'est bien celui du recours en annulation, parce que c'est là qu'au départ l'inégalitéentre parties est la plus sensible et que le juge use le plus largement de la libertéqui lui est laissée de régler la charge de la preuve, en tenant compte des circonstan-ces particulières de la cause.

Pour ces raisons, et parce qu'il s'agit du domaine qui est à tous égards le plus im-portant de la compétence du Conseil d'Etat, il convient que nous nous arrêtionsplus longuement à la jurisprudence qui s'y est établie.

Affirmer que la procédure en annulation est soumise à la règle "actori incumbitprobatio" serait induire le lecteur en erreur.

Il est plus exact de dire qu'en principe le requérant supporte, non pas la chargede la preuve, mais uniquement celle des allégations.

En règle générale, c'est-à-dire dans des cas ne présentant pas de complications, leConseil d'Etat aura acquis toute certitude quant aux faits allégués par le requérantpar le dépôt du dossier auquel l'autorité est tenue ou, de toute manière, après quece dossier aura été complété par les pièces ou renseignements réclamés par l'audi-torat.

2. Qu'advient-il dans les rares cas où l'autorité néglige de déposer le dossier ourefuse de communiquer certains documents ?

En pareille occurrence, le Conseil d'Etat ou bien charge un membre de l'auditoratde procéder à des devoirs d'instruction (1) ou bien ordonne par voie d'arrêt (2) ledépôt du dossier.

Si la négligence ou le refus persistent, le juge intervertit totalement la charge de lapreuve et en tire la présomption que les circonstances telles que présentées par lerequérant répondent à la réalité, du moins lorsqu'elles offrent en soi quelque vrai-semblance.

Il y a lieu d'observer que l'étendue de la preuve mise ainsi à la charge de l'autori-té dépend du contenu du litige et, notamment, du point jusqu'où le juge entendpousser son contrôle de la régularité à l'égard du contenu de l'acte attaqué devantlui.

(1) G.E. Bertoldi, no. 358, du 19 mai 1950.(2) C.E., Bettini, no. 3109, du 29 janvier 1954 ; Lontain, no. 4577, du 30 sep-

tembre 1955; Jamotte, no. 7188, du 26 juin 1959.

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La jurisprudence du Conseil d'Etat a subi, à cet égard, une certaine évolution.

S'il n'y a pas d'obligation légale de motiver, c'est-à-dire d'indiquer les motifs dansl'acte ou l'instrument lui-même, le Conseil d'Etat exige que les motifs qui ont dé-terminé l'action de l'autorité se dégagent du dossier, mais il ne l'a fait, au début,que dans les seuls cas où la loi subordonnait cette action à l'existence de certainesconditions.

Par la suite, étendant son contrôle, il est allé jusqu'à décider que l'autorité peut ê-tre tenue d'établir à propos de chacun de ses actes - fût-ce même un acte que, se-lon le droit écrit, elle accomplit en toute liberté - qu'il procède de motifs légale-ment admissibles, c'est-à-dire de motifs qui existent réellement et qui, en outre,sont reconnus exacts en fait et en droit.

Le Conseil d'Etat maintient ce principe même si les pièces proprement dites de lacause ne doivent pas être produites, par exemple, parce que cela pourrait nuire àl'ordre public.

En matière d'expulsion d'étrangers, le Conseil d'Etat considère que, dérogeant àla règle générale inscrite à l'article 128 de la Constitution, l'arrêté-loi du 28 sep-tembre 1959 ne confère au Ministre de la Justice le pouvoir d'expulser un étrangerque dans les limites que cet arrêté-loi prévoit, à savoir que l'étranger ait pénétréou séjourne dans le Royaume sans l'autorisation requise, ou que sa présence soitjugée nuisible ou dangereuse pour la sécurité ou l'économie du pays.

Lorsque, même après une mesure d'instruction, le ministre refuse purement et sim-plement la communication du dossier, le Conseil d'Etat annule l'arrêté d'expulsionattaqué, sur la base de la considération "que la partie adverse a l'obligation de pré-ciser celle des conditions exceptionnelles prévues par l'arrêté-loi du 28 septembre1939 qui lui permet de justifier l'expulsion " (1).

Si le ministre fonde son refus de communiquer les pièces relatives à l'expulsionsur le danger que cela ferait courir à l'ordre public, le Conseil d'Etat adopte la po-sition suivante :

"Considérant que,si l'article 13 de la loi (2) n'oblige pas le Gouvernementà communiquer des informations dont la publicité pourrait présenter degraves dangers pour l'ordre public, cet article oblige cependant la partie ad-verse à justifier devant le Conseil d'Etat la décision incriminée ; qu'il nelui suffit pas de se référer à un motif formulé en termes généraux dans l'ac-te lui-même pour établir devant le Conseil d'Etat que cet acte a été prisdans les limites de l'arrêté-loi du 28 septembre 1939" (3).

(1) C.E., Bertoldi, no. 358 du 19 mai 1950.(2) Il s'agit de l'article de la loi organique du Conseil d'Etat qui impose la pro-

duction du dossier administratif.(3) C.E. Groesz, no.2861, du 28 octobre 1953 ; dans le même sens : Ginter, no.

979, du 29 juin 1951 ; Alpi, no. 1707 du 4 juillet 1952 ; Bettini, no.3109,du 29 janvier 1954.

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En vertu de l'article 97 de la loi communale, le collège des bourgmestre et échevinsn'a le droit d'interdire une représentation que dans des "circonstances extraordinai-res".

Lorsque l'existence de cette condition légale n'appert pas de la décision incriminéeelle-même, elle doit ressortir soit du mémoire en réponse, soit du dossier produit (1).

3. Ainsi qu'il a été observé plus haut, le Conseil d'Etat a commencé à exiger, àpartir d'un moment déterminé, que l'autorité fasse connaître ses motifs même dansles cas où, selon la loi, elle agit librement, du moins lorsque le requérant a pu faireadmettre que la licéité de ces motifs était douteuse.

Le Conseil d'Etat annulera même si l'autorité n'a pas formellement refusé de com-muniquer certaines pièces, dès lors que le dossier produit ne lui permet pas de serendre suffisamment compte des motifs de fait qui ont déterminé la décision atta-quée.

Etait attaqué devant le Conseil d'Etat, le refus de l'Office national de sécurité so-ciale d'exonérer le requérant, pour cause de force majeure, du paiement des majo-rations de cotisation et des intérêts de retard imposés en raison du paiement tardifdes cotisations d'employeur.

Après avoir constaté que la décision attaquée ne devait pas être motivée, c'est-à-dire ne devait pas comporter de motivation formelle, l'arrêt dispose :

"qu'il faut cependant que le dossier soumis au Conseil d'Etat lui permetted'exercer son contrôle ;

Considérant qu'en l'espèce, le seul élément contenu dans le dossier est unenote datée du 12 mars 1956, inscrite en marge de la requête du 2 mars1956, signée par le conseil de la requérante, libellée comme suit : "J'ai re-çu cet avocat. J'ai entendu son exposé. J'ai refusé. Il m'a dit qu'il allaitnéanmoins introduire requête. Refus. Nouvelle entrevue paraît inutile" ;que cette note ne permet pas au Conseil d'Etat de discerner les motifs dela décision attaquée".

Et le Conseil d'Etat prononce l'annulation sans même donner à la partie adversel'occasion de compléter le dossier ou de fournir des renseignements complémen-taires (2).

Dans un autre cas, un militaire de carrière demandait l'annulation du refus du Mi-nistre de la Défense nationale de l'admettre au corps des sous-officiers de carrière.

Le requérant faisait valoir que sa conduite et sa manière de servir ne laissaient au-cunement à désirer et qu'il réunissait toutes les conditions requises pour être ad-

(1) C.E., s.p.r.l. Luxor-Films, no. 225, du 23 janvier 1950 ; Universal Film,no. 588, du 27 novembre 1950.

(2) C.E. Jespers, no. 6557, du 19 septembre 1958.

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mis au corps des sous-officiers de carrière. Il en déduisait qu'à défaut de motif jus-tifiant le refus d'admission, la décision du Ministre était entachée d'une erreur dedroit ou de fait.

Le Conseil d'Etat a annulé la décision attaquée, en se fondant sur une motivationdont voici l'essentiel :

"Considérant qu'en cours d'instance, interrogée par l'auditeur rapporteur, lapartie adverse répondit que "la décision attaquée semble trouver sa justifica-tion dans le fait que l'intéressé ne répondait pas aux conditions de sécuritérequises pour l'emploi qu'il occupait à l'époque" ; qu'une allégation noncirconstanciée, qui n'est corroborée par aucun élément du dossier soumis auConseil d'Etat, ne saurait constituer la justification d'une décision adminis-trative ;

Considérant que, en l'absence de toute justification, la décision attaquée estréputée prise pour des motifs légalement inadmissibles ou matériellementinexistants " (1).

4. Lorsque, dans l'articulation des faits, le requérant a pu faire admettre quel'autorité était mal ou incomplètement éclairée quant aux faits sur lesquels elle de-vait fonder son appréciation, le Conseil d'Etat, selon le cas, chargera l'auditorat deprocéder à des devoirs d'instruction ou désignera un expert.

Un conseil communal avait édicté un règlement qui obligeait un transporteur à nefaire entrer ou sortir ses camions de son garage que dans une direction déterminée.

La deputation permanente improuva cette décision parce qu'elle constituait une en-trave à l'exercice de la profession d'un riverain et portait atteinte à son droit depropriété.

Sur le recours du conseil communal, le Roi décida toutefois que la délibération duconseil communal pouvait produire ses effets.

L'arrêté royal était essentiellement fondé sur le motif que le règlement litigieuxn'avait pas pour effet d'empêcher le requérant d'exercer sa profession de transpor-teur mais uniquement de rendre moins facile l'entrée et la sortie de ses camions.

Le transporteur saisit alors le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de cet ar-rêté royal. Le Conseil d'Etat, constatant que les éléments figurant au dossier etceux produits par la partie requérante laissaient subsister un doute quant à l'exac-titude matérielle des faits et situations retenus par le Roi, chargea un expert ju-diciaire de déterminer, entre autres, si les camions de la requérante pouvaient ef-fectuer sans inconvénient la manoeuvre imposée par l'arrêté royal.

(1) C.E., Treigner, no. 10.486, du 6 mars 1964. Comparez : C.E., commune deSchoten, no. 8477, du 7 mars 1961.

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Le rapport de l'expert ayant fait clairement apparaître que la réponse à cette ques-tion était négative, le Conseil d'Etat annula l'arrêté royal incriminé parce qu'il étaitfondé sur des "motifs inexacts" (1).

Le Conseil d'Etat procède à la désignation d'un expert lorsqu'un soumissionnaire é-vincé lors d'une adjudication publique invoque devant lui que l'offre de l'adjudica-taire n'était pas conforme au cahier des charges, et qu'il ne s'estime pas en mesurede vérifier directement lui-même cette assertion (2).

Lorsqu'un candidat évincé lors d'une promotion allègue devant le Conseil d'Etat quel'autorité investie du pouvoir de nomination a été laissée dans l'ignorance de cer-tains éléments concrets qui ont trait à la manière de servir du candidat promu etqui pouvaient être déterminants pour l'appréciation des mérites respectifs des candi-dats en présence, le Conseil d'Etat charge l'auditeur de procéder à des devoirs d'ins-truction.

Après avoir pris connaissance du résultat de ceux-ci, le Conseil d'Etat annule la pro-motion attaquée, en se fondant essentiellement sur les motifs suivants :

"Qu'il appartient à l'autorité qui nomme de comparer les titres et méritesdes candidats et que l'ancienneté de service et les peines disciplinaires en-courues par les candidats peuvent être déterminantes; qu'il importe toute-fois que l'autorité compétente puisse se livrer à cette compétence en pleineconnaissance de cause et en toute clarté ; qu'il résulte de ce qui précède,plus particulièrement des déclarations faites par X lors des devoirs d'instruc-tion, que l'état de services sur la base duquel les nominations ont été déci-dées n'était pas de nature à éclairer l'autorité qui nomme sur certains man-quements du candidat nommé, manquements qui se sont révélés suffisammentgraves pour donner lieu à une mesure d'ordre (3).

5. Dans un récent arrêt, le Conseil d'Etat a assigné une nette limite à son pou-voir d'instruction quant aux faits (4).

Le requérant demandait l'annulation d'un arrêté de la députation permanente im-prouvant la délibération par laquelle une fabrique d'église avait adjugé la locationd'un bien rural.

Le motif déterminant de l'arrêté attaqué était que le requérant n'exerçait pas laprofession d'agriculteur à titre principal et que, partant, sa soumission ne répon-

(1) C.E., S.P.R.L. Ets. Calmein et Cie, no. 5884, du 21 novembre 1957.(2) C.E., S.P.R.L. Jan De Nul, no. 5138, du 29 mai 1956 ; S.A. Dynamische

Constructie Dinaco, no. 13.561, du 20 mai 1969.

(3) C.E., De Cordt, no. 13.975, du 24 février 1970.(4) C.E., Claeys, no. 14.098, du 29 avril 1970.

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dait pas au cahier des charges régissant la location.

Le requérant avait communiqué au Conseil d'Etat, en ce qui concerne l'importancede chacune de ses activités, une série d'éléments de fait qui, à son estime, établis-saient que l'agriculture était bien sa profession principale et que, partant, l'arrêtéattaqué était entaché d'erreur dans les motifs.

Dans un arrêt amplement motivé, le Conseil d'Etat, tout en déclinant l'offre de preu-ve faite par le requérant - offre qui supposait du reste un complément d'instruc-tion - a reconnu fondé le moyen invoqué par le requérant, l'autorité administrativen'ayant pas admis celui-ci à fournir devant elle la preuve requise.

L'arrêt était motivé, quant aux principes, par les considérations :

"Que, dans le cadre d'un recours en annulation de décisions administrati-ves, le Conseil d'Etat ne statue pas comme juge d'appel ; que, dès lors, ilne lui appartient pas de refaire, à l'occasion d'un moyen en annulation,l'examen des faits ni de se livrer à un nouvel examen concernant la portéeréelle des faits qui doivent être considérés comme relevant de la cause afinde substituer sa propre version de ces faits à celle qui a été admise par l'au-torité ayant pouvoir de décision ; que des éléments de fait et des élémentsde preuve ne peuvent être utilement allégués par une partie - pour autantqu'elle cherche ainsi à faire admettre une version déterminée de faits consi-dérés comme relevants - que devant l'autorité administrative investie du pou-voir de décision, et non pas devant le Conseil d'Etat ; que, rapportée à laconstatation des faits par l'autorité, la mission de sauvegarde du droit incom-bant au Conseil d'Etat a toutefois pour corollaire que celui-ci doit exami-ner si cette autorité est arrivée à sa version des faits dans le respect des rè-gles qui régissent l'administration de la preuve et si elle a réellement faitmontre, dans la recherche des faits, de la minutie qui est de son devoir".

Appliquant les principes ainsi posés aux circonstances de la cause, le Conseil d'E-tat, après examen, conclut :

"Qu'il n'appert pas du dossier administratif produit en l'espèce que le requé-rant ait été invité directement et personnellement à produire, en rapport avecles objections que l'autorité avaient retenues à la suite des réclamations intro-duites contre le document produit antérieurement, des documents ou élémentsde preuve nouveaux de nature, selon lui, à établir qu'il possédait bien la quali-té contestée ; qu'à défaut de pareille mesure d'instruction, la constatation desfaits retenus en l'espèce n'a pas été effectuée avec la minutie dont l'autoritédoit faire preuve dans la recherche des faits ; que le moyen invoqué par le requé-rant contre la décision attaquée est fondé".

Cet arrêt montre clairement la répugnance du Conseil d'Etat à instruire lui-mêmequant à des faits sur lesquels, ainsi qu'il appert des éléments de la cause, le dossierne permet pas de faire toute la lumière en raison d'une carence manifeste de l'au-torité lors de l'examen de l'affaire. En d'autres termes, l'instruction ordonnée parle Conseil d'Etat dans le cadre d'un recours en annulation doit présenter un carac-tère complémentaire ou de contrôle mais ne peut jamais être substituée à ce qui,

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de toute évidence, est la mission spécifique de l'autorité elle-même.

Dans cet ordre d'idées, il convient de souligner, ainsi qu'en témoigne l'arrêt ici ana-lysé, que si le Conseil d'Etat devant une telle carence de l'autorité dans l'examendes faits, prononce l'annulation, il le fait en application d'un principe dit de bonneadministration, en l'occurrence le devoir de minutie qui incombe à l'autorité dansla recherche des faits.

6. Les considérations qui précèdent ne doivent pas faire croire qu'il suffit d'al-léguer devant le Conseil d'Etat à peu près n'importe quoi pour qu'aussitôt il metteen branle son appareil d'instruction.

Il est vrai que l'obligation faite à l'autorité de produire le dossier administratif per-met, dans la plupart des cas, d'apprécier sur-le-champ le degré de vraisemblance oude sérieux des allégations avancées par le requérant.

Une simple affirmation, qui ne se laisse en rien rattacher à quelque élément du dos-sier, ne peut donner lieu à instruction.

Il est indispensable, en pareil cas, qu'il y ait réellement commencement de preuveou que des indices très concrets rendent plausibles les faits allégués.

Ainsi, il n'y a pas lieu de donner suite à la demande d'audition de témoins formu-lée par le requérant lorsque cette demande n'articule pas de faits précis dont lapreuve devrait être rapportée (1).

Et la foi qui s'attache à un rapport officiel ne peut être énervée par une pure af-firmation que le requérant n'étaye d'aucun élément, non seulement d'aucune dis-position écrite, mais encore d'aucune indication de noms (2).

La plupart des rejets font suite à un moyen pris du détournement de pouvoir, fré-quemment invoqué par les requérants, mais très difficile à établir parce que portantsur un élément purement psychologique, à savoir la poursuite, par l'autorité, d'unefin contraire à l'intérêt général ou à la finalité particulière de la loi.

La preuve du détournement de pouvoir se fait à l'aide de présomptions graves, pré-cises et concordantes.

Nombreux sont les arrêts où le Conseil d'Etat a déclaré que des allégations pure-ment gratuites ne suffisent pas à établir le détournement de pouvoir (3) ou qu'ilne peut être fait droit à une demande d'instruction où le requérant se borne à desaffirmations pures et simples, non étayées du moindre commencement de preuve.(4).

(1) CE., Garnier, no. 10.968, du 15 janvier 1965.(2) C.E., De Reuse, no. 12.745, du 3 mars 1968.(3) Voir e.a. C.E., D'Haese, no. 10.449, du 18 février 1964 ; Pauwels, no. 12.895,

du 27 mars 1968.(4) Voir e.a. C.E., Roedolf, no. 9308, du 10 avril 1962 ;Germonpré, no.10.745,

du 30 juin 1964.

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7. En ce qui concerne les formalités substantielles ou prescrites à peine de nul-lité, le Conseil d'Etat a fait plus que déplacer la charge de la preuve.

Il a posé que, lorsqu'une décision doit, au voeu de la loi, faire l'objet d'un acte au-thentique, comme c'est le cas pour les résolutions du conseil communal et du col-lège des bourgmestre et échevins, aucune preuve de l'accomplissement d'une forma-lité substantielle n'est admise en dehors de l'acte légalement prescrit.

Si donc, dans le cas d'une décision prononçant la suspension d'un agent communal,le procès-verbal du collège des bourgmestre et échevins ne mentionne pas que cettedécision a été prise au scrutin secret, cette formalité est réputée ne pas avoir étéobservée et la preuve du contraire n'est pas admise (1).

Il en est de même lorsque la mention du caractère public d'une séance du conseilcommunal fait défaut dans le procès-verbal de celui-ci (2).

Les arrêtés royaux et ministériels doivent, de même, en règle générale, justifier eux-mêmes de leur régularité formelle (3).

Est annulé, l'arrêté ministériel qui devait être soumis à l'avis motivé de la section delégislation du Conseil d'Etat et qui, cette formalité substantielle n'ayant pas été ac-complie, ne fait pas état de l'urgence (4).

8. On nous permettra, pour terminer, de faire suivre quelques notes relatives àla preuve de la recevabilité du recours.

La preuve du caractère tardif du recours incombe à la partie adverse (5).

Mais, si le requérant reste en défaut d'apporter la preuve contraire, il y a lieu d'ad-mettre la présomption avancée par l'administration, selon laquelle le requérant, quiétait secrétaire du recteur d'un institut agronomique supérieur de l'Etat, a dû avoirconnaissance de l'arrêté ministériel qui, près de quatre ans avant l'introduction deson recours, avait nommé un autre agent au poste de secrétaire-administrateur decet institut (6).

(1) C.E., Pinte, no. 575, du 20 novembre 1950 ; voir aussi C.E., Elections C.A.P.Jupille, no. 11.653, du 18 février 1966.

(2) C.E., Lepage, no. 2251, du 5 mars 1953.(3) C.E., Collet, no. 3809, du 12 novembre 1954.(4) C.E., Groupement de la boulangerie belge, no. 47, du 20 mai 1949 ; S.A. Bel-

gian Bunkering, no. 345, du 25 avril 1950.(5) C.E., Petitbois, no. 810, du 23 mars 1951 ; Debie, no.828, du 16 avril 1951 ;

De Meyer, no. 6733, du 9 décembre 1958.(6) C.E., Baudry, no. 4623, du 20 octobre 1955 ; dans le même sens, Daniels,

no. 4618, du 18 octobre 1955.

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La preuve de l'existence d'un intérêt ou d'une lésion légaux incombe au requérant(1).

Cette dernière règle n'est pas non plus d'une rigueur absolue.

Dans certaines circonstances, il peut être extrêmement difficile sinon impossible àla partie requérante d'apporter cette preuve. Ainsi qu'en témoigne l'arrêt analyséci-après, le Conseil d'Etat se contente alors de très faibles présomptions et, en fait,intervertit la charge de la preuve.

A l'occasion d'un recours en annulation d'une promotion effectuée dans un établis-sement public créé sous la forme d'une association sans but lucratif par une organi-sation syndicale du personnel, la partie adverse souleva une exception tirée, notam-ment, de ce que l'association requérante n'avait pas qualité quant à l'objet de sonrecours, puisqu'elle n'avait pas apporté la preuve qu'elle comptait des agents de l'é-tablissement en cause parmi ses affiliés et que ces agents lui avaient confié la défen-se de leurs intérêts.

Le Conseil d'Etat a rejeté cette exception sur la base d'une motivation trop détail-lée pour que nous puissions la reproduire in extenso (2).

Nous nous bornerons à dégager les lignes de force de l'argumentation du Conseild'Etat.

Le droit à la protection de la vie privée et au secret, garanti par la liberté syndica-le, exclut que la production de la liste des membres puisse être légalement impo-sée pour établir l'adhésion dont bénéficie une organisation syndicale.

Cela vaut aussi pour les organisations créées sous la forme d'une association sansbut lucratif, puisque, outre des membres "à part entière" disposant du droit devote, peut-être peu nombreux et dont les noms sont déposés annuellement au gref-fe du tribunal de première instance, ces associations peuvent, selon une pratiquegénéralement admise, compter de très nombreux membres qui, juridiquement, nesont pas des membres à part entière mais qui, sans toutefois être votants, peuventprétendre, eux aussi, aux services et avantages assurés par l'association.

Sauf le cas d'élections organisées par l'autorité, ainsi s'exprime l'arrêt, la libertésyndicale paraît impliquer "que la preuve de la représentativité d'un syndicat ...consistera généralement ... en des présomptions plus ou moins confirmées par desfaits, en premier lieu par le fait que l'association se manifeste effectivement, ensorte qu'il appartient, en réalité, à la partie adverse, de produire des éléments defait qui sont de nature à renverser cette première présomption et de prouver quela prétention à la représentativité que l'association justifie par le contenu de ses sta-

(1) C.E. Callebert, no. 812, du 4 avril 1951 ; Legein, no. 92o. du 11 juin 1951.

(2) C.E., A.S.B.L. Verbond van het vlaams overheidspersoneel, no. 12,521, du12 juillet 1967.

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tuts, et par son activité, ne correspond pas à la réalité et est indûment invoquée."

Appliquant ces principes au cas d'espèce, l'arrêt constate, d'une part, qu'il est appa-ru des éléments de la cause que l'association requérante est tenue informée de l'évo-lution interne des problèmes du personnel de la partie adverse, ce qui justifie laprésomption que le personnel de l'institution entend utiliser l'association en causecomme son porte-parole et que celle-ci bénéficie donc d'une certaine adhésion au-près de ce personnel et, d'autre part, que la partie adverse n'a produit aucun faitpositif qui infirme cette présomption.

Et l'arrêt de conclure que l'association requérante peut être considérée comme re-présentative du personnel de la partie adverse et a, dès lors, qualité pour agir devantle Conseil d'Etat en vue de la défense des intérêts collectifs qu'elle désire assumerdans son recours, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la partie adverse ne pou-vant, par conséquent, être retenue.

B. La preuve dans les recours de pleine juridiction.

1. L'action du Conseil d'Etat statuant comme juge d'appel peut être examinéede façon plus sommaire, ce secteur de sa compétence étant bien moins important,du moins du point de vue quantitatif, que sa compétence d'annulation pour excèsde pouvoir. Une bonne part de ce qui a été exposé quant à cette dernière compé-tence s'applique du reste également ici.

Mais il importe de relever d'emblée certaines différences importantes.

L'autorité administrative qui a accompli l'acte attaqué devant le Conseil d'Etat nesaurait être partie adverse à la cause, étant donné qu'elle a agi comme juridictionadministrative.

Est partie adverse, la personne qui a introduit un recours devant la juridiction ad-ministrative inférieure ou, le cas échéant, celle qui s'est défendue devant cette ju-ridiction contre ce recours. Comme il peut s'agir tant d'un particulier que d'une auto-rité administrative, la partie adverse n'est pas nécessairement, et n'est même pas leplus souvent, une autorité administrative.

D'autre part, le dossier ayant été constitué principalement par une juridiction admi-nistrative ou ayant du moins été complété par celle-ci par voie d'une instruction,l'obligation de le produire devant le Conseil d'Etat n'a pas ici la même significationque dans les recours en annulation, et il n'y a pas non plus, ici, la même inégalitéde départ entre parties.

Enfin, la circonstance qu'il se substitue en tous points à la juridiction inférieuredans l'appréciation des circonstances de fait amène le Conseil d'Etat, dans ce do-

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maine, à faire un usage plus fréquent de son pouvoir d'instruction.

2. Les différences relevées ci-dessus expliquent, notamment, que la règle "actoriincumbit probatio " reçoit ici une application un peu plus effective.

Les requérants doivent étayer leurs griefs d'éléments de fait suffisamment concrets,de sorte qu'il y ait réellement commencement de preuve.

Le Conseil d'Etat se refuse à ordonner des devoirs d'instruction sur la base d'alléga-tions vagues et impersonnelles ou de prétendus faits non suffisamment précisés (1).

Il n'en arrive pas moins que fréquemment le requérant parvienne à convaincre leConseil d'Etat soit qu'à tort le premier juge n'a pas ordonné d'instruction, soit quel'instruction effectuée sur ordre de celui-ci a été incomplète.

Il n'est pas de domaine où le Conseil d'Etat ordonne plus de devoirs d'instruction -comportant audition de témoins et généralement aussi descente sur les lieux - quecelui de l'appel en matière d'élections communales et de déchéance de conseillerscommunaux.

3. En ce qui concerne plus spécialement le contentieux des élections communales,il est intéressant d'examiner la conception que le Conseil d'Etat s'est faite de la foiqui s'attache aux procès-verbaux des bureaux électoraux.

Se basant sur l'intention du législateur, telle qu'elle se déduit de l'ensemble du sys-tème de contrôle qu'il a mis en place pour les opérations électorales proprementdites, le Conseil d'Etat a jugé que les procès-verbaux des bureaux électoraux ne fontpas pleinement foi, en ce sens que serait exclue toute preuve d'irrégularités qui n'ysont pas mentionnées, mais que l'absence d'observations au procès-verbal ne consti-tue qu'une présomption "iuris tantum" de régularité.

Cette présomption ne peut être renversée que par "des éléments certains et concor-dants" (2).

Chose remarquable, le Conseil d'Etat a également imposé aux députations perma-nentes le respect de la foi, ainsi comprise, des procès-verbaux.

Il y a été amené par les considérations : "qu'au demeurant c'est dans la composi-tion et le fonctionnement des bureaux de vote et des bureaux de dépouillement,en particulier aussi dans la présence de témoins électoraux, que le législateur a, detoute évidence, entendu placer les garanties du déroulement régulier de l'élection ;que le respect de la volonté claire et nette du législateur a pour corollaire que l'au-torité chargée de contrôler la régularité des élections n'est en droit de revoir les dé-

(1) C.E., Elections communales de Lincent, no. 10.976, du 19 janvier 1965 ;Hautes-Wihéries, no. 11.093, du 3 mars 1965 ; Opprebais, no. 14.738, du 14mai 1971 ; Zwevezele, no. 15.083, du 15 décembre 1971.

(2) Voir e.a. C.E., Elections communales de Stokkem, no.6873, du 17 février1959 ; Courtrai, no.11.180, du 14 avril 1965 ; Markegem, no.11.374, du 30juin 1965.

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cisions prises par les bureaux de vote ou par les bureaux de dépouillement que s'ilexiste des motifs bien déterminés qui ne peuvent résulter que des procès-verbauxmêmes ou de réclamations apportant des éléments précis et concrets suffisants pourétablir une présomption d'irrégularité dans un cas où cette irrégularité a pu influersur le résultat de l'élection ; que cette restriction des pouvoirs de l'autorité de con-trôle, si elle ne barre pas la route à l'exercice arbitraire de son droit d'appréciation,du moins y met un frein" (1).

4. La composition et l'équipement des députations permanentes font que, danscertains cas, celles-ci ne remplissent leur mission juridictionnelle que de manièreplutôt défectueuse.

Le Conseil d'Etat a été amené à annuler certaines décisions dans des cas où l'exa-men des faits devant la députation permanente avait été effectué en méconnaissancede certaines règles de procédure à ce point élémentaires qu'on ne les trouve nulle-part écrites.

C'est ainsi que le Conseil d'Etat a décidé que, lorsque la députation permanente, a-gissant comme juridiction, a commis un agent pour procéder à une enquête concer-nant les circonstances de fait et que cet agent a entendu des témoins, "la consta-tation par écrit et la signature des déclarations sont les garanties indispensablesque l'audition de témoins a été complète et objective ; que la députation ne peut,dès lors, pas fonder régulièrement sa décision sur une audition de témoins, alorsqu'elle n'a pas sous les yeux les déclarations mêmes des témoins (2).

5. Tout comme en matière de recours en annulation, le Conseil d'Etat a décidé,ici aussi, que l'observation des formes substantielles de procédure, telle que la pu-blicité de l'audience à laquelle il a été fait rapport devant la députation permanen-te et à laquelle celle-ci a statué, doit être attestée par la décision même et qu'endehors de celle-ci toute preuve de cette observation est exclue (3).

C. La preuve dans le recours en cassation.

1. Lorsqu'il statue comme juge de cassation, le Conseil d'Etat ne peut connaîtred'éléments de preuve qui n'ont pas été soumis au juge du fait. L' offre d'apporterde nouveaux éléments de preuve est irrecevable (4).

(1) C.E., Elections communales de St-Nicolas, no. 14.532, du 12 février 1971.(2) C.E., Leroy, no.8343, du 10 janvier 1961 ; Van de Velde, no. 8362 du 17

janvier 1961.(3) C.E., Elections communales de Merelbeke, no. 6926, du 3 mars 1959 ; Damme

no. 6949, du 10 mars 1959.(4) C.E., Chapelle, no. 14.055, du 9 avril 1970.

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Si donc ,on ne saurait, dans ce domaine, parler d'une administration directe de lapreuve devant le Conseil d'Etat, il est intéressant d'examiner certains aspects ducontrôle que celui-ci exerce sur le juge du fait.

2. Selon la formule classique utilisée dans les arrêts du Conseil d'Etat, le juge dufait apprécie "souverainement" la force probante des faits qui lui sont soumis oudes éléments de preuve produits (1).

Le juge du fait apprécie aussi "souverainement" le point de savoir s'il est suffisam-ment éclairé ou si, en revanche, il ordonnera des devoirs d'instruction (2).

Cette formule a quelque chose de trompeur. A faire l'inventaire de toutes les pos-sibilités de contrôle que le Conseil d'Etat s'est reconnues en la matière, on constatequ'il ne reste que fort peu du caractère absolu que l'on est tenté de lui attribuer àpremière vue.

A la vérité, on peut admettre que, sans se substituer entièrement au juge du faitdans l'appréciation de la force probante des éléments du dossier, le Conseil d'Etatfixe une limite , largement tracée, de ce qui paraît raisonnable, limite au-delà de la-quelle il n'admet plus l'appréciation du juge inférieur et s'avise d'un moyen de cas-sation qui lui permette de le mettre en évidence d'une manière juridiquement ac-ceptable.

Il trouve généralement ce moyen sur le plan de la motivation.

En mettant en oeuvre son pouvoir de contrôle de la motivation de la décision at-taquée, contrôle qu'il peut pousser et nuancer jusqu'à l'infini, le Conseil d'Etat in-tervient énergiquement dans l'appréciation de la force probante des éléments depreuve.

Un choix d'exemples tirés de la jurisprudence illustrera les considérations qui vien-nent d'être faites.

3. S'il appartient au juge du fait d'apprécier s'il est suffisamment éclairé ou sides devoirs d'instruction s'imposent, il n'en reste pas moins que la commission derévision pour résistants armés ne motive pas sa décision à suffisance en omettantde procéder à l'audition d'un témoin sans indiquer les motifs pour lesquels ellen'a pas donné suite à la demande qui lui en avait été faite par voie de conclusions(3), pas plus que la commission d'appel des pensions de réparation ne motive sadécision au voeu de la loi en se bornant à se rallier aux conclusions de l'office mé-dico-légal sans examiner autrement les éléments de preuve produits devant elle (4).

(1)C.E.,Nuyts, no.8196, du 8 novembre 1960 ; Vanrijckel, no. 13.700, du 24 sep-tembre 1969 ; Sebille, no. 13.962, du 13 février 1970 ; Dewitte, no.14.369,du 26 novembre 1970.

(2)C.E., Dierickx, no. 11.826, du 24 mai 1966.(3)C.E. Daoût, no. 6055, du 7 février 1958.(4)C.E. Thiteux, no. 6079, du 20 février 1958.

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Lorsque la commission supérieure d'appel estime que le protocole d'expertise médi-co-légale contient des contradictions, elle est tenue de s'informer plus complètement.En aucun cas, elle ne peut arguer de ces prétendues contradictions pour motiver lerejet de la demande de pension (1).

L'appréciation du juge du fait n'est pas souveraine lorsqu'elle se heurte à un docu-ment dont la force probante est légalement réglée ou aux principes généraux d'in-terprétation.

La renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que defaits non susceptibles d'une autre interprétation.

En décidant que la renonciation "aux droits éventuels aux dommages de guerre"signifie la renonciation non seulement aux indemnités mais aussi au crédit de res-tauration, alors que l'acte de renonciation ne le mentionne pas et que le motif dela renonciation indiqué dans l'acte ne le concerne pas, la commission d'appel violela foi due à l'acte de renonciation (2).

4. L'appréciation du juge du fait n'est pas davantage souveraine lorsque ce juge atenu certains documents ou éléments du dossier pour inexistants ou n'y a pas euégard (3).

Il est censé avoir nié les éléments de preuve lorsque, après les avoir examinés, ilconclut à leur rejet sans en indiquer les motifs (4).

Le Conseil d'Etat se considère dans l'impossibilité de vérifier si la commission su-périeure des pensions a examiné un document déterminé, lorsque celui-ci n'est men-tionné ni dans le rapport du greffier ni dans la décision attaquée, alors que tousles autres documents le sont (5).

5. Si, en vertu de son pouvoir d'appréciation dit souverain, il appartient au jugedu fait, lorsque les éléments du dossier sont contradictoires, de mettre en balancela force probante des uns et des autres, il ne lui est pas pour autant loisible de fai-re abstraction purement et simplement de certains de ces éléments.

Le juge du fait ne peut fonder son appréciation sur des éléments déterminés sansindiquer dans sa décision les motifs pour lesquels il rejette certains autres, qui ysont contraires.

(1) C.E., Verhaegen, no. 3932, du 20 décembre 1954.(2) C.E., S.A. Compagnie d'Entreprises C.F.E. no. 13.838, du 11 décembre 1969.(3) C.E., Jollings, no. 12.436, du 6 juin 1967 ; Boonen, no. 13.691, du 16 septem-

bre 1969.(4) C.E., Etat belge c/S.P.R.L. Longeval, no. 7194, du 30 juin 1959.(5) C.E.,Hoyoux,, no. 13.774, du 6 novembre 1969.

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Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé que la commission de révision pour résistants armésn'excède pas son pouvoir d'appréciation en attachant plus de crédit "pour les mo-tifs qu'elle énonce" à certaines déclarations qu'à d'autres (1).

La même commission reste dans les limites de son pouvoir d'appréciation et motivedûment sa décision en justifiant son refus de retenir un témoignage après avoir ana-lysé les circonstances, qu'elle estime invraisemblables, dans lesquelles le témoin au-rait rencontré celui dont la reconnaissance est demandée et après avoir confrontésa déposition avec celles d'autres témoins (2).

Mais lorsque le Conseil d'Etat constate que la commission supérieure des pensionss'est bornée à énumérer les pièces du dossier dont certaines sont de nature à justi-fier le rejet, d'autres à justifier l'octroi de la demande, il considère"qu'en présencede ces éléments contradictoires, la commission supérieure aurait dû indiquer lesmotifs pour lesquels elle attache à certains de ces documents une valeur probante,qu'elle refuse aux autres ; que, telle qu'elle est motivée, la décision ne permet pasau Conseil d'Etat de déceler les raisons pour lesquelles des éléments de preuve per-tinents ont été rejetés ..." (3).

6. Enfin, et c'est la dernière phase du contrôle qu'il exerce sur l'appréciation fai-te par le juge inférieur de la force probante des pièces du dossier, le Conseil d'Etatse reconnait le pouvoir de vérifier si la décision qui lui est déférée n'a pas donnéaux éléments de preuve et déclarations produits une interprétation inexacte ou sile jugement qu'elle contient ne va pas autrement à l'encontre des éléments du dos-sier (4).

Il est évident qu'un contrôle effectué sur la base de critères aussi larges permet unesubstitution pratiquement totale au juge du fait.

Ce n'est point là, toutefois, ce que recherche le Conseil d'Etat, lequel n'appliqueces critères qu'avec une extrême circonspection.

Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, le Conseil d'Etat n'a d'autre souci que de conte-nir l'appréciation de la force probante par le juge du fait dans les limites, largementtracées, de ce qui paraît raisonnable, limites que le juge du fait ne peut transgresser.

(1) C.E., Vermeren, no. 5407, du 11 décembre 1956.(2) C.E., Verken, no. 5973, du 17 janvier 1958.(3) C.E., Chapelle, no. 14.055, du 9 avril 1970. Dans le même sens : Cornells,

no. 10.985, du 21 janvier 1965 ; Schelfhaut, no.11.682, du 8 mars 1966.(4) Ainsi, le Conseil d'Etat examine si la présomption retenue par le juge du fait

est tirée d'éléments relevants.C.E., Goossens, no. 10.657, du 2 juin 1964 ;voiraussi Jollings, no. 12.436, du 6 juin 1967 ; De Paepe, no. 13.760, du 28 oc-tobre 1969.

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IV. Restrictions mises à la libre appréciation des éléments de preuve.

En principe, tous les modes de preuve sont admis devant le Conseil d'Etat, et celui-ci en apprécie librement la valeur.

Un examen plus poussé révèle trois exceptions :

a) le règlement de procédure ne fait pas état du serment décisoire et le Conseild'Etat n'a, dès lors, jamais recours à ce mode de preuve ;

b) en vertu du même règlement, le Conseil d'Etat ne peut avoir égard à une piè-ce arguée de faux ;

c) le Conseil d'Etat et le juge administratif en général sont liés par le principe del'autorité de la chose jugée.

Si l'exclusion du serment décisoire se passe de commentaires, les deux autres res-trictions requièrent certaines précisions quant à leur portée exacte.

A. Foi des actes authentiques.

1. En vertu de l'article 51 du règlement de procédure, le Conseil d'Etat est tenupar la foi qui s'attache à un acte authentique.

Le contenu d'un tel acte ne peut être attaqué que par la procédure de l'inscriptionde faux devant le juge judiciaire. Si l'une des parties manifeste l'intention d'enga-ger cette procédure à l'égard d'une pièce produite au Conseil d'Etat, celui-ci est te-nu de suspendre l'instruction de l'affaire.

Le Conseil d'Etat n'a pas encore été amené à formuler une définition générale del'acte administratif revêtu de l'authenticité. La jurisprudence fournit cependantd'intéressantes indications à cet égard.

2. Les procès-verbaux des juridictions administratives participent, de toute façon,de l'authenticité (1).

Leurs énonciations font foi jusqu'à l'inscription de faux, pour autant qu'elles aientun rapport direct avec la disposition (2).

Est également couverte par l'authenticité, la constatation que les formes prescritespar la loi ont été accomplies (3).

(1) C.E., Vandaele, no. 12.434, du 6 juin 1967.(2) C.E., Detournay, no. 573, du 20 novembre 1950 ; Piffet et Delchambre,

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Cela vaut aussi pour la mention de la présence d'une personne à l'audience (4) oude la date à laquelle le conseil du requérant a été entendu (5).

3. Tous les actes de l'administration active doivent en principe être consignés dansun écrit, ne peuvent dès lors être établis que par un écrit (6), et cet acte revêt uncaractère authentique.

C'est le cas, de toute manière, des procès-verbaux des réunions du conseil commu-nal (7).

Sont également authentiques, toutes les pièces qu'une autorité administrative a éta-blies pour justifier du respect de prescriptions ou de délais légaux.

Cela vaut, entre autres, pour la déclaration du collège des bourgmestre et échevinsaux termes de laquelle un plan d'alignement a été déposé à la maison communale,auxfins de consultation par le public, pendant l'enquête publique qui a eu lieu de telledate à telle date (8).

Fait foi jusqu'à inscription de faux, le procès-verbal par lequel le commissaire depolice constate que la demande d'autorisation d'exploiter un établissement dange-reux, insalubre ou incommode a été affichée pendant les quinze jours prescrits parl'article 4, alinéa 4, du règlement général pour la protection du travail (9).

Les procès-verbaux des réunions d'autorités ou de collèges administratifs en géné-ral, bien qu'ils ne contiennent pas de décisions ou d'actes proprement dits, parais-sent participer du même caractère d'authenticité.

Ainsi, il a été jugé que le procès-verbal approuvé du conseil de direction d'un dé-partement ministériel doit être tenu pour le reflet exact des discussions ayant eulieu au sein de ce conseil (10).

Ne participent pas de l'authenticité, par contre, les écrits confectionnés occasion-nellement par une autorité administrative sans que cela puisse être mis en rapportavec quelque mission légale.

no. 4709, du 1er décembre 1955.(3) C.E., Claessens, no. 13.853, du 16 décembre 1969.(4) C.E., De Wolf, no. 13-593, du 30 mai 1969 .(5) C.E., Pire.no. 11.504, du 12 novembre 1965.(6) Voir, lorsqu'il s'agit d'une nomination, C.E., Vancraeynest, no.4048, du 7

février 1955.(7) C.E., Biebauw, no. 9663, du 26 octobre 1962.(8) C.E., Verbeeck, no. 9864, du 8 février 1963.(9) C.E., de Marneffe, no. 14.182du 19 juin 1970.(10) C.E., Van Maele, no.9027, du 12 décembre 1961.

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Par exemple, la déclaration du bourgmestre selon laquelle le bétail enlevé pendantl'occupation avait été réquisitionné "ne constitue pas un acte établissant juridique-ment qu'il s'agissait d'une réquisition plutôt que d'un enlèvement" (1).

4. Lorsqu'une pièce est arguée de faux, le Conseil d'Etat décide, conformémentà l'article 51, alinéa 2, du règlement de procédure, qu'il y a lieu de la rejeter desdébats si l'autre partie déclare qu'elle n'entend pas s'en servir (2).

Conformément à l'article 51, alinéa 4, du même règlement de procédure, il n'estpas tenu compte des pièces arguées de faux lorsqu'elles sont sans influence sur ladécision finale (3).

Seuls les tribunaux judiciaires sont compétents pour statuer sur une inscription defaux, mais il n'y a pas lieu, pour le Conseil d'Etat, de surseoir à statuer aussi long-temps que le juge ordinaire n'a pas été saisi d'une action ayant cet objet. Entre-temps, l'acte argué de faux devant lui fait pleinement foi de son contenu (4).

B. L'autorité de la chose jugée.

1. Il ne saurait être question d'examiner ici sous tous ses aspects le problème del'autorité de la chose jugée.

Nous nous bornerons à dégager quelques principes jurisprudentiels importants.

Lorsqu'une juridiction administrative a tenu certains faits pour établis ou a portéà leur égard un jugement déterminé, cette constatation ou ce jugement lient nonseulement, en premier lieu, la juridiction elle-même, mais aussi les autres juridictionset autorités administratives pour autant toutefois que ladite décision relève de l'objetdu pouvoir juridictionnel dont la juridiction considérée est investie.

Voici quelques cas d'application.

2. L'appréciation de l'électorat communal appartient au collège des bourgmestreet échevins avec possibilité d'appel devant la Cour d'appel.

D'autre part, les députations permanentes du conseil provincial et, au degré d'ap-pel, le Conseil d'Etat connaissent des réclamations relatives à la régularité des élec-tions communales.

(1) C.E., Etat belge, no. 4873, du 12 janvier 1956.(2) C.E., Wattier, no. 755, du 23 février 1951.(3) C.E., Guéry, no. 4514, du 14 juillet 1955 ; Zerck, no. 4940, du 7 février 1956.(4) C.E., Biebauw, no. 9663, du 26 octobre 1962.

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Une jurisprudence à présent constante du Conseil d'Etat veut que tant celui-ci quela députation permanente sont liés, dans l'appréciation de cette régularité, par lesdécisions passées en force de chose jugée, en matière d'électorat (1), du moins, entant que cet électorat lui-même soit mis en cause.

Bien que le Conseil d'Etat n'ait pas encore pris position sur ce point, il paraît évi-dent, en revanche, que s'il se prononce sur la déchéance d'un conseiller communalqui ne remplit pas les conditions d'éligibilité, il ne doit nullement tenir compte d'unélément figurant à une décision éventuelle qui aurait été prise relativement à l'élec-torat du même conseiller communal, l'objet des deux compétences envisagées sesituant à des plans différents.

Mais la situation est à nouveau tout autre lorsqu'un arrêt du Conseil d'Etat a décla-ré le conseiller communal éligible le jour du scrutin et que la déchéance de ceconseiller est par la suite poursuivie devant la députation permanente pour le mo-tif que les conditions d'éligibilité ne sont pas remplies. L'autorité de la chose jugéequi s'attache à l'arrêt du Conseil d'Etat s'oppose, en pareille occurrence, à ce quela députation permanente prononce la déchéance du conseiller intéressé, à moinsqu'il n'ait été établi devant elle que la situation de celui-ci a, depuis l'élection, su-bi un changement ayant entraîné la perte des conditions d'éligibilité (2).

3. Dans un tout autre domaine, il a été jugé que la décision de la commission ci-vile d'invalidité qui se prononce sur le caractère direct du lien entre le fait domma-geable et l'infirmité encourue et qui renvoie le demandeur devant l'office médico-légal pour l'expertise du dommage, est définitive sur le premier point, dès lorsqu'elle n'a pas été déférée à la commission supérieure d'appel dans les trente joursde sa notification, et que, partant, la décision ultérieure de la commission supérieu-re d'appel qui ne respecte pas ce caractère définitif, méconnaît l'autorité de la cho-se jugée (3).

Celui qui formule une nouvelle demande d'allocations de chômage après avoir étédébouté d'une première, ne peut faire valoir contre la nouvelle décision qui lui re-fuse le bénéfice de ces allocations, des moyens se rapportant à la période au sujetde laquelle il a été statué définitivement par la première décision (4).

La Commission d'appel en matière de dommages de guerre aux biens privés ne peutse prononcer de nouveau sur les circonstances de fait qui ont été admises définiti-vement par une décision antérieure (5), pas plus que la commission d'appel despensions de réparation ne peut remettre en question la qualité d'ayant droit de pri-sonnier politique reconnue par les juridictions des prisonniers politiques (6).

(1) Voir e.a. C.E., élections communales de 's Gravenwezel, no.6888, du 24 fé-vrier 1959 ; Berg, no.7083, du 19 mai 1959.

(2) C.E., Van de Vijver, no. 3190, du 1er mars 1954.(3) C.E., Van Huile, no. 1257, du 1er avril 1952.(4) C.E., Geeraert, no. 4499, du 14 juillet 1955.(5) C.E., Etat belge, no. 4690, du 24 novembre 1955.(6) C.E., Broeckaert, no. 5437, du 31 décembre 1956.

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D'autre part, il a été décidé que l'autorité de la chose jugée s'attachant à une déci-sion par laquelle une juridiction instituée pour statuer sur les titres à une pensionde travailleur indépendant, ne reconnait pas la qualité d'indépendant pour une pé-riode déterminée n'est pas méconnue par la décision des juridictions instituées enmatière de pensions de retraite et de survie des ouvriers qui, contrairement à laconstatation faite dans la première décision visée, estiment dans les limites de leurcompétence, non point que l'intéressé avait la qualité de travailleur indépendantpendant cette période, mais simplement que son occupation comme ouvrier pendantla même période est insuffisamment établie et ne saurait donc être prise en consi-dération (1).

4. Il est particulièrement intéressant d'examiner dans quelle mesure le Conseild'Etat tient l'autorité disciplinaire pour liée par l'autorité de la chose jugée quis'attache à la décision du juge pénal, relative aux faits fondant l'action disciplinaire.

Lorsque le juge pénal s'est prononcé sur l'existence même de ces faits, sa décisions'impose à l'autorité disciplinaire.

C'est ainsi qu'il a été décidé que l'autorité disciplinaire méconnaît l'autorité de lachose jugée qui s'attache au jugement qui, pour non existence des faits, a acquittéun agent de l'inculpation de faux et d'usage de faux, en infligeant à cet agent unepeine disciplinaire fondée sur les graves erreurs qu'il a commises dans la rédactiondes pièces qui ont été soumises à l'appréciation du tribunal, et en cherchant à éta-blir que les constatations faites dans ces pièces ne concordent pas avec la réalité (2).

L'autorité disciplinaire n'est pas uniquement liée par l'appréciation du juge pénalrelative à l'existence des faits disciplinaires ; elle peut l'être aussi par la qualifica-tion que ce juge a attribuée aux dits faits.

Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé que l'autorité disciplinaire ne pouvait pas légalementsuspendre un agent de ses fonctions pour "avoir, pendant l'occupation ennemie,exercé une activité politique en faveur de l'ennemi et avoir, de ce fait, gravementmanqué à ses devoirs d'agent de l'Etat", alors que des décisions judiciaires avaientétabli que l'intéressé n'avait pas exercé d'activité politique en faveur de l'ennemipendant l'occupation, de sorte qu'en en jugeant autrement l'autorité disciplinaire"s'est fondée sur des faits que l'autorité judiciaire a refusé d'imputer à l'agent ouauxquels elle a refusé de reconnaître ce caractère" (3).

Ce qui précède n'implique nullement qu'une sanction disciplinaire ne puisse jamaisêtre fondée sur des faits à raison desquels l'intéressé a été acquitté au pénal.

Au contraire, "l'action disciplinaire administrative se distinguant de l'action pénalepar sa nature et par son objet" (4), l'autorité disciplinaire pourra généralement a-gir sur la base d'une qualification différente de la qualification pénale.

(1) C.E., Schenck, no. 12.137, du 3 janvier 1967.(2) C.E., Cordier, no. 6540, du 5 septembre 1958.(3) C.E., Marquet, no. 6555, du 19 septembre 1958.(4) Voir l'arrêt Cordier, déjà cité.

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Le Conseil d'Etat a jugé qu'un acquittement au pénal prononcé au motif que lesfaits imputés à l'intéressé ne constituaient pas"des manquements graves aux devoirsciviques du requérant", n'empêche pas l'autorité disciplinaire"d'apprécier"ces mêmesfaits, dont le juge pénal a admis la matérialité ,"par rapport à la fonction exercéepar celui qui doit répondre devant elle de son comportement"(l).

Il a, de même, estimé que "si l'autorité administrative est liée par la force de la cho-se jugée qui s'attache aux décisions des cours et tribunaux quant à la constatationdes faits, elle n'est pas liée pour autant par la manière dont ces juridictions ont ap-précié le comportement du fonctionnaire intéressé à l'occasion des faits mis à sacharge"(2).

5. En résumé, on peut dire que l'autorité administrative est liée par la force dela chose jugée pour autant que les faits qui sont à la base de l'action disciplinaireaient été tenus pour non établis par le juge, pour autant aussi qu'elle ne puisse don-ner à ces mêmes faits une qualification identique à celle qui a été écartée par lejuge. En revanche, l'autorité pourra poursuivre disciplinairement, sur la base defaits que le juge pénal a tenus pour établis, mais dont il a acquitté l'intéressé enraison de l'impossibilité de leur donner une qualification pénale, pour autant qu'el-le attribue à ces faits une qualification spécifiquement disciplinaire en les mettanten rapport avec les exigences dont l'exercice des fonctions en cause peut être assor-ti.

V. Considérations finales.

La charge de la preuve, dans le contentieux administratif, n'est pas légalement ré-glée.

Ce n'est qu'au cas où une juridiction administrative inférieure est appelée à statuersur les droits que l'intéressé peut faire valoir, par exemple aux dommages deguerre ou à une pension de réparation,qu'il est généralement admis que la preuvedes conditions légales requises pour la reconnaissance de ces droits appartient aurequérant.

Dans tous les autres cas, liberté entière est laissée au juge administratif, et plusparticulièrement au Conseil d'Etat, de répartir discrétionnairement la charge de lapreuve.

La loi prévoit, toutefois, que la charge des allégations devant le Conseil d'Etat in-

(1) C.E, Boute, no. 7711, du 17 mars 1960.(2) C.E., Meulemeester, no. 7082, du 19 mai 1959 ;

dans le même sens, Wolles, no. 265, du 21 février 1950, et De Groelard,no. 5647, du 14 mai 1957.

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combe au requérant.

Le point de savoir si les faits allégués par celui-ci sont de nature à justifier soit unplus ample examen par le juge, soit une interversion de la charge de la preuve,s'ap-précie dans chaque cas particulier, les possibilités dont disposent les parties et la"conviction morale" du juge jouant, dans cette appréciation, un rôle considérable.

La règle jurisprudentielle la plus importante est celle en vertu de laquelle le refusou l'omission de l'autorité de communiquer les documents ou éléments réclaméspar le juge crée la présomption que les faits articulés par le requérant répondent àla réalité.

La réponse à la question de savoir quelle est l'étendue de la preuve imposée par lejuge à l'administration, dépend du point jusqu'où celui-ci entend pousser son con-trôle des motifs de l'administration.

La nature différente des recours entraîne inévitablement, malgré l'uniformité de laprocédure, une certaine différenciation de la preuve.

Comme dans les recours de pleine juridiction l'inégalité entre parties est moinsmarquée et que le dossier s'y constitue d'une autre manière que dans les recoursen annulation, la règle "actori incumbit probatio" reçoit, dans la première sortede recours, une application plus effective.

Quant aux modes de preuves admis, il importe de faire à nouveau une distinctionentre le Conseil d'Etat et les juridictions administratives inférieures.

Il arrive que, devant certaines de celles-ci, les modes de preuve admis soient limi-tés (nécessité d'une preuve écrite, exclusion de la preuve par présomption, etc.).

Ces cas sont toutefois trop nombreux et trop variés pour que nous puissions lesexaminer de plus près.

Devant le Conseil d'Etat, tous les modes de preuve sont admis à l'exception duserment.

En vertu d'une disposition légale expresse, le juge administratif suprême est toute-fois lié par les énonciations des actes authentiques et, en vertu d'un principe géné-ral de droit, il l'est également, dans les limites qui ont été précisées ci-avant, parl'autorité de la chose jugée qui s'attache à toute décision juridictionnelle.

L'autorité administrative est tenue de produire le dossier de l'affaire sur simple de-mande, soit du greffier, soit de l'auditeur général.

Elle doit également donner suite à toute demande de production de documentsqui lui est faite par l'auditorat ou par le Conseil.

Si l'autorité est relevée de cette obligation lorsque l'intérêt public s'oppose à laproduction de ces documents, il n'en résulte pas pour autant qu'elle ne doive pas,

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en pareil cas, faire connaître et expliquer les motifs qui fondent sa décision.

Jamais le juge n'a égard à des documents qui ne seraient pas connus de toutes lesparties.

Il peut d'office, soit à la demande des parties, ordonner une audition de témoins,la comparution personnelle de l'une des parties ou une descente sur les lieux, ou en-core désigner un expert.

Il n'est pas tenu de donner suite à la demande qui lui en est faite par les parties.Le Conseil d'Etat, statuant comme juge de cassation, a toutefois décidé que le jugeinférieur doit indiquer dans sa décision, les motifs qui l'ont déterminé à rejeter pa-reille demande.

L'initiative d'une convocation de témoins ou d'experts n'appartient jamais auxparties.

La jurisprudence administrative en matière de preuve est largement "prétorienne".

La procédure administrative présente un caractère inquisitorial très marqué, et con-tinue ainsi, en dépit du nouveau Code judiciaire de 1967, à se distinguer nettementde la procédure de droit privé (1).

La pratique ne révèle pas sur le plan de la réglementation de la preuve, l'existencede lacunes flagrantes.

(1) On a notamment écrit, au sujet du projet de Code judiciaire :"Une option fondamentale consacre tout d'abord la fidélité du projet ausystème de la procédure accusatoire.

Pénétré par conviction, par tempérament et par profession des droits de lapersonne, l'auteur du projet entend, de manière catégorique, persister àassurer aux parties elles-mêmes la direction du procès".

(R.Philips, Le juge dans l'action judiciaire, dans les Annales de droit, 1968,p.336).

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