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La reconversion des sportifs : une épreuve de la petitesse?

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La reconversion des sportifs :une épreuve de la petitesse?Pascaline Guiota & Fabien Ohlaa Université de LausannePublished online: 02 Jul 2013.

To cite this article: Pascaline Guiot & Fabien Ohl (2007) La reconversion des sportifs :une épreuve de la petitesse?, Loisir et Société / Society and Leisure, 30:2, 385-416,DOI: 10.1080/07053436.2007.10707758

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la recOnversIOn des spOrtIfs : une épreuve de la petItesse ?

Pascaline guioT

Fabien ohl Université de Lausanne

L’engagement dans la pratique sportive peut être appréhendée comme une carrière avec ses premières phases d’initiation, bien souvent liées aux socialisations familiales, une phase de déroulement qui se passe en diffé-rentes étapes et niveaux, et une phase de fin de carrière qui impose une reconversion. C’est aussi un découpage souvent retenu en sociologie pour l’analyse des carrières professionnelles. Notre travail porte sur la dernière phase, celle de la reconversion, à partir du cas de triathlètes européens de haut niveau. Les travaux, sur la professionnalisation du football (Faure et Suaud, 1998), l’analyse des carrières des escrimeurs professionnels et des femmes gymnastes (Birrell et Turowetz, 1979), les femmes professionnelles de golf (Théberge, 1977) ou sur les escaladeurs (Donnelly, 1994), confirment l’intérêt d’approcher le sport par les perspectives d’une sociologie du travail ou des occupations. Nous nous inspirons des travaux de Hughes (1958) pour qui les groupes professionnels (occupational groups) doivent être étudiés par rapport aux processus biographiques dans lesquels se façonnent les identités par les interactions entre les membres du groupe ou avec l’environnement. La carrière de triathlète est assimilable à une occupation professionnelle même si le triathlon est souvent vécu comme une passion et un loisir et n’est pas toujours clairement une profession. Le triathlète rémunéré ne perçoit pas nécessairement son activité en tant que travail, mais en même temps l’arrêt de l’activité peut être vécue comme une situation de chômage. Les glissements de sens qui affectent les définitions du travail et du loisir et les contradictions entre les façons dont l’activité est vécue et définie se reflètent dans l’embarras que suscite chez ces sportifs la question de la définition de leur engagement. Tous les triathlètes de notre échantillon ne sont pas des pro-fessionnels1, mais tous s’engagent ou se sont engagés dans leur sport comme des professionnels. Leurs identités sont constamment travaillées et définies par le monde à part du triathlon et ils sont valorisés et identifiés par leur discipline. Le sport est prétexte à une profusion d’images et de textes portant sur quelques personnages remarquables et les triathlètes, bien que moins médiatisés que d’autres sportifs, n’y échappent pas. Presse écrite, télévision,

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Internet ou cinéma, aucun support n’est épargné. Le plus fréquemment, les récits traitent de la phase de déroulement de la carrière à travers les récits des moments héroïques. Les médias concentrent leur attention sur les succès de ces hommes et de ces femmes d’exception, sur ces « grands personnages singuliers » du sport (Duret, 1994). Les médias abordent parfois les échecs ou les doutes des champions mais ce sont surtout les récits de leur grandeur qui monopolisent l’attention. Or, le chercheur ne peut se contenter de s’in-téresser aux seuls moments de gloire. Comprendre les carrières, identifier les souffrances ou les réussites, saisir les effets du sport, suppose aussi de porter une attention aux autres phases.

La reconversion imposée par l’âge, l’absence de résultat, la blessure, la fatigue ou encore la conscience de la nécessité sociale de décrocher impose aussi une conversion identitaire (Strauss, 1992). Notre point de vue est de mieux comprendre ce moment de conversion comme un « tournant », un « moment d’inflexion » (turning point), qui constitue une épreuve que les sportifs doivent affronter individuellement et à travers laquelle ils se forgent (Martucelli, 2006). Ce moment particulier intervient comme une épreuve psychologique et sociale d’une nature différente des épreuves rencontrées jusque-là par ces sportifs. Ils ont acquis une certaine notoriété, se sont grandis, ont gagné en surface sociale, ont été reconnus et célébrés parfois. Les épreuves sportives sont simultanément des épreuves de force et des épreuves de grandeur, ce sont à la fois les performances qui sont évaluées et les manières de les obtenir (Duret et Trabal, 2001). Une gloire soudaine peut constituer une épreuve de la grandeur, elle peut affecter la perception de soi et ses relations aux autres (Heinich, 2004). La reconversion est une autre épreuve de la carrière d’un sportif. C’est un « tournant » qui s’accom-pagne d’un risque d’une perception d’un rétrécissement de soi, d’un déclin de son capital corporel, d’une perte d’un élément central de la construction identitaire. Cette épreuve nécessite de repenser ses valeurs et sa vocation, d’abandonner ou de transformer son « ancienne identité », de modifier ce qui donnait du sens à sa vie. Il s’agit ici d’abord d’observer des itinéraires et de voir comment ces personnes ont trouvé des prises pour prolonger leur gran-deur, changer de registre et se reconstruire, provisoirement ou durablement, en donnant une autre signification à leur vie, en évitant que le « je » ne soit pas seulement un résidu. Ce moment de la carrière n’est pas toujours facile à vivre. Il est aussi celui d’un déclin rapide, de blessures, de souffrances ou de crises identitaires comme de reconversions exemptes de difficultés. En effet, la reconversion d’un travailleur du sport est une épreuve sociale qui peut être difficile à surmonter. La fin de carrière des sportifs peut être vécue comme un passage dans l’ombre relativement brutal. Contrairement à l’artiste qui est grand par ses œuvres et peut espérer en produire tout au long de sa vie (Heinich, 2004), le sportif est grand par des actes qu’il ne peut espérer produire très longtemps. De plus, si les œuvres artistiques ou

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savantes survivent durablement, souvent même au-delà de la disparition du producteur, « les grandeurs » du sportif sont beaucoup plus éphémères. Les récits de la vie sportive peuvent les prolonger mais rares sont les cham-pions demeurant durablement présents dans les mémoires au-delà d’un cercle restreint d’initiés. Hormis le cas des grands champions de sports très médiatisés, la reconnaissance externe s’efface assez brutalement. De plus, l’arrêt de l’exercice provoque des modifications physiques et la perception du corps, excessivement dépendante de la performance, se transforme. Les athlètes sont alors confrontés à la nécessité de trouver des ressources pour réajuster leurs ancrages identitaires. Sans exclure une diversité de ressources mobilisables – les triathlètes que nous avons étudiés ont souvent des niveaux de formation assez élevés –, la forte emprise du sport sur le temps et l’es-pace des athlètes n’est guère propice à favoriser la multiplicité des référents identitaires. La vie des athlètes est souvent associée à des réseaux sociaux entrecroisés avec l’univers de la compétition. Cela renforce le poids de la dimension sportive dans la construction identitaire : l’autoperception, l’exté-riorisation et les modes de désignation de l’identité tendent à être cohérents et l’identité personnelle et statutaire, à se construire essentiellement sur le registre du sport. Si ce mode de construction identitaire apporte une certaine unité, il n’est évidemment pas favorable à l’acquisition de compétences plu-rielles facilitant une adaptation à la diversité des situations de la vie sociale. Ainsi, le passage du devant de la scène aux coulisses peut constituer une épreuve délicate à négocier.

Les reconversions des triathlètes varient selon les biographies, le jeu de différentes ressources et les contextes d’implication. Car si l’imaginaire démocratique (Ehrenberg, 1991) incite à croire que « n’importe qui » peut devenir « quelqu’un » grâce au sport, tout le monde ne s’en sort pas de la même manière. Être sportif de haut niveau, c’est accéder à une importante reconnaissance externe : « après la perf, c’est la reconnaissance des potes et de mes parents ! Et ça, c’est puissant comme truc, tu peux pas savoir ! » (entretien avec un athlète lors d’un stage de triathlon). La compétition et la performance apportent des grands moments de consécration mais confrontent aussi au risque de connaître des épreuves liées à la reconver-sion et à une retraite très précoce comparée à d’autres carrières. En outre, cette grandeur est parfois ambiguë, la surface sociale acquise signifie aussi une assignation à une identité de sportif, de champion célèbre, qui n’est guère propice à une diversité de registres identitaires (internes ou externes ; Jenkins, 1996). L’épreuve principale n’est alors pas celle de la grandeur (Heinich, 1999) mais plutôt de la « petitesse ». C’est le retour à l’anonymat, le rétrécissement de sa surface sociale, l’effacement plus ou moins marqué de la reconnaissance externe. Se pose alors la question du devenir, de la vie quotidienne de « l’après ». Comment gérer ce passage et retourner à une vie plus « ordinaire » ?

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Différentes approches de la reconversion

Les travaux sur les reconversions des sportifs ont notamment porté sur les arrêts liés aux blessures. Sparkes et Smith (2002) montrent qu’elles ont pour conséquence une remise en cause douloureuse du statut d’athlète et des dif-ficultés relatives à l’identité masculine. Bien que moins importante qu’en cas de blessure grave, l’épreuve du passage d’une forte reconnaissance et d’une grande visibilité, notamment médiatique, à une situation ordinaire peut être difficile à négocier. D’ailleurs, les faits divers narrent régulièrement les récits des souffrances et des drames qui affectent les anciens champions (le footballeur Maradona obèse et toxicomane, le cycliste Pantani mort d’une overdose de cocaïne en 2005, etc.).

En effet, se reconvertir a souvent pour corollaire des changements phy-siques, affectifs, psychologiques et sociaux. La reconversion impose de passer à un autre temps et un autre espace. Elle confronte à la « petitesse » lorsqu’il s’agit de quitter la scène le mieux possible et de négocier l’effacement pro-gressif des traces laissées par son identité passée. Plusieurs travaux soulignent les souffrances liées au changement de situation. Chamalidis (2000) montre qu’apprivoiser la fin de carrière passe par un processus de deuil, dans un but de préservation de soi. Les sportifs ne sont pas tous confrontés aux mêmes difficultés de reconversion. Les variables liées au type de pratique, son mode d’organisation, le niveau et la durée de la carrière, l’âge de reconversion, les origines sociales et le niveau culturel doivent être prises en compte.

La pratique du triathlon, quel que soit le niveau d’expertise, exige l’ac-quisition de trois techniques sportives, le cyclisme, la course et la natation, à priori peu compatibles entre elles. Bien que proches par leur nature énergé-tique, elles sont différentes d’un point de vue de la motricité et de la techni-cité. Toutes les trois sont exigeantes, elles imposent des quantités importantes d’entraînement ; réunies, elles nécessitent des temps d’entraînement encore plus considérables. Le triathlon est une pratique à « maturité tardive », la combinaison de trois sports d’endurance permet aux plus de 25 ans de rester performants. Les problèmes de reconversion ne se posent donc pas dans les mêmes termes que pour d’autres sportifs, telles les gymnastes étudiées par Lavallée et Robinson (2006) qui terminent leur carrière très jeunes (moins de 17 ans) après l’avoir commencée très tôt (6 ans). Les pratiquants de notre échantillon découvrent le triathlon vers 20 à 25 ans pour les anciens nageurs et 25 à 30 ans pour les anciens coureurs, les données sur les cyclistes sont peu significatives. Ils prolongent ainsi leur carrière sportive après une première période de compétition en tant que nageur ou coureur, plus rarement en tant que cycliste, souvent commencée très tôt (à partir de 6 ans pour certains). L’image d’aventure humaine, en pleine nature, parfois extrême (l’Ironman) constitue une source d’infléchissement d’un mode de vie déjà basé sur une

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quantité conséquente d’efforts. La diversité des pratiques est motivante et constitue un nouveau défi et le cadre de l’effort leur semble plus agréable puisqu’ils quittent stades et piscines.

Les triathlètes sont donc souvent plus âgés que dans d’autres sports et, contrairement au cyclisme, à la natation ou à la course à pied, l’épreuve de la reconversion n’est pas habituellement de nature professionnelle bien qu’elle puisse avoir des conséquences financières. Les triathlètes sont sou-vent diplômés et ont majoritairement des métiers qu’ils ont mis en retrait ou aménagés pour le triathlon. Contrairement à d’autres sports comme le cyclisme ou les sports collectifs médiatisés, pour être triathlète, il faut trouver soi-même un revenu financier suffisant pour pratiquer et, ensuite, au moment de la reconversion, il faut trouver d’autres ressources. Même un titre de Champion du monde ne suffit pas à assurer un patrimoine ou des revenus durables. Ainsi, les personnes rencontrées, évoluant au meilleur niveau national, vivent modestement.

Mais la question économique est secondaire ; les triathlètes n’ont pas fait fortune par leurs résultats, néanmoins, la plupart trouvent ou retrouvent des emplois. Leurs difficultés viennent davantage des conversions identitaires posées par l’arrêt de la pratique. Fondamentalement, toutes les pratiques sportives de très haut niveau exigent de s’y consacrer corps et âme. L’emprise de l’entraînement et de la compétition sur la vie de l’individu est considérable. Le triathlon se situerait plutôt dans les standards d’exigence les plus élevés en raison de la diversité des pratiques. Plusieurs travaux se sont penchés sur les difficultés de la reconversion sportive et celles-ci ont été étudiées d’un point de vue psychosociologique, notamment par Stephan (2003). Les résultats de ces études suggèrent que l’arrêt de la pratique sportive de haut niveau provoque un déséquilibre temporaire, suivi d’un retour à un nouvel équili-bre traduisant une adaptation accomplie. Cet événement met à l’épreuve les capacités de « flexibilité et de malléabilité » dans les différentes dimensions identitaires mises en jeu. La flexibilité permet le désengagement du domaine sportif et le développement et/ou le maintien de l’engagement dans une nou-velle situation socioprofessionnelle et relationnelle. Pour Marlyse2, « Il faut savoir tourner la page et ne pas vivre dans le passé, s’accrocher à un mode de vie que l’on ne peut plus suivre. Savoir se fixer de nouveaux challenges est à mon avis essentiel pour une reconversion heureuse ».

Plusieurs auteurs montrent que les reconversions sont facilitées lorsque l’investissement dans le sport n’a pas été exclusif (Coakley, 2006), qu’il a été caractérisé par un choix personnel et non des contraintes externes et que l’individu est pris en compte en tant que personne qui fait du sport plutôt qu’en tant que sportif (Lavallée et Robinson, 2006). À la différence d’autres sports beaucoup plus encadrés, les triathlètes de cette génération ont réalisé leur carrière de façon relativement indépendante d’organisations

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et d’entraîneurs. En conséquence, les décisions liées à leurs carrières sont rarement sous influence. Point de parents, ni d’entraîneurs ou de dirigeants pour soutenir ou humilier, guider ou imposer des choix ou se grandir à tra-vers les performances de « leur » champion (Kerr et Dacyshyn, 2000). On pourrait donc imaginer des conditions facilitant les fins de carrière ainsi que des constructions identitaires plus favorables à une reconversion réussie pour les triathlètes.

Cependant, une reconversion est nécessaire parce qu’une conversion initiale s’est produite. Les travaux de Papin (2000) sur les conversions des gymnastes montrent que ces athlètes s’engagent par choix successifs dans une carrière à haut niveau, au sein d’un processus de « conversion » parfois de nature « vocationnelle », c’est-à-dire à priori librement consenti car vécu d’une manière intégrée (Faure et Suaud, 1995)3. Dans une pratique ascétique comme le sport, et particulièrement le triathlon, l’idée de « vocation » est particulièrement parlante. Elle est inspirée de l’œuvre de Weber (1964, p. 161) pour qui le protestant crée une norme ascétique décisive « la motivation psychologique par laquelle le travail en tant que vocation [Beruf] constitue le meilleur, sinon l’unique moyen de s’assurer de son état de grâce ». Ainsi, comme pour le protestant, le travail sportif n’est pas seulement intéressé et guidé par des profits, il est foncièrement de l’ordre de la vocation, d’une quête de salut qui va bien au-delà de la seule notoriété, du classement ou des médailles. Certes, le salut sportif est séculaire et si sacré il devait y avoir, c’est d’abord autour de la personne elle-même. Comme le souligne Goffman, ce sont moins des grandeurs situées en dehors de la société que les individus qui sont célébrés. Les rites sacrés se sont raréfiés et les rituels interpersonnels ont gagné en importance (Goffman, 1974). En conséquence, l’investissement quotidien en heures d’entraînement, la diététique, le sommeil, les séances de kiné sont assumés comme les activités principales organisant le quotidien et prennent du sens par rapport à l’idée de vocation mais aussi de célébration de l’identité individuelle. Les cahiers d’entraînement des athlètes, véritables carnets de bord avec programmes détaillés indiquent l’effet structurant très fort de la pratique du sport. Ainsi intériorisée, cette vie sportive « dans un monde séparé » et « à contretemps » s’érige véritablement comme un style de vie partagé par un cercle restreint de pairs, faisant de l’être un individu « séparé » du commun des mortels (Papin, 2000). Plusieurs autres travaux indiquent que l’emprise du sport affecte les constructions identitaires. La per-sonnalité est généralement dépossédée de tout ancrage ordinaire et réduite aux dimensions sportives (Kerr et Dacyshyn, 2000 ; Lavallée et Robinson, 2006). La célébrité sportive monopolise les définitions de soi et transforme les affirmations identitaires (Adler et Adler, 1989).

Une autre difficulté de la reconversion vient du changement d’environ-nement et de liens sociaux qu’elle implique. Quitter l’univers de la compéti-

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tion, c’est aussi renoncer à des liens sociaux, des modes de reconnaissance par ses pairs et un statut rarement reconnu dans d’autres champs sociaux. Le capital social acquis n’a généralement de valeur qu’au sein du monde du sport et joue peu le rôle de démultiplicateur des autres capitaux (économique et culturel) en dehors du sport (Bourdieu, 1980).

Vie « ordinaire » et sportive ne sont pas forcément aussi séparées, tous les sportifs, et en particulier les triathlètes, ne fréquentent pas les structu-res d’entraînement de haut niveau. Le triathlon implique une vie hors du commun mais plus « intégrée » au monde ordinaire que dans d’autres sports, d’équipe notamment. Par l’intériorisation d’un projet de vie centré sur l’ac-tion, le dépassement de soi, l’affrontement de milieux naturels, l’individu en vient à se construire et à se faire reconnaître comme un être d’exception dans les médias, auprès de ses pairs et parmi les pratiquants plus ordinai-res. À titre d’exemple, les finischers4 du triathlon mythique d’Hawaï sont présentés comme des « Iron Man ». Il s’agit ici d’une transformation de soi, autant physique que symbolique et sociale, qui accompagne l’engagement quasi sacerdotal, puis le maintien dans la pratique au plus haut niveau de réalisation de soi. Cette expérience de la peine et de la souffrance, comme cette attention obsessionnelle aux états corporels et psychologiques est parta-gée avec d’autres sportifs, d’autres disciplines et d’autres âges. Elle constitue l’une des difficultés partagées par de nombreux sportifs de haut niveau dans l’expérience de fin de carrière (Chamalidis, 2000 ; Lavallée et Robinson, 2006 ; Stephan et al., 2003). C’est une dimension saillante de l’expérience des triathlètes qui, après une première carrière dans une discipline, n’ont pas voulu ou pas pu renoncer à cette hypertrophie de l’attention au corps et se sont investis pleinement dans le triathlon.

Méthode

Notre recherche n’est pas indépendante d’un itinéraire personnel et en par-ticulier, pour l’un de nous, de la pratique du triathlon au plan international. Nous sommes partis du constat que, quel que soit le niveau, ce sport a une forte emprise sur l’ensemble de la vie de celui qui le pratique. Il existe ainsi de nombreux sportifs de haut niveau, parfois anonymes, qui doivent eux aussi faire face à cette « épreuve de la petitesse ». En effet, la reconversion, en tant que « turning point » (Strauss, 1992) d’une carrière, impose des adaptations qui touchent les repères identitaires des triathlètes. Les moments de gloire ou de retour à un certain anonymat constituent en effet des « tournants » de la carrière. Guidés et encadrés collectivement par les formes d’organisation sociale de la pratique, ces moments sont importants dans les expériences individuelles. Pour essayer d’en saisir les effets, nous nous sommes principale-ment adossés à des récits de vie recueillis directement mais aussi par d’autres

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sources à partir de l’idée qu’il « y a récit de vie dès qu’il y a description sous forme narrative d’un fragment de l’expérience vécue » (Bertaux, 2005). Nous avons pu recueillir des informations par courrier électronique, cour-rier, autobiographie, récits de vie, entretiens, presse (sportive, généraliste, magazine, spécialisée) ou Internet. Un guide composé à partir d’un ensemble d’indicateurs a été élaboré et nous a servi dans les différentes méthodes. La diversité des sources pourrait poser des problèmes d’homogénéité du corpus. Comment en effet comparer un entretien avec une description de carrière par la presse ou sur un site Internet ? Cette hétérogénéité des sources n’est pas sans poser de problème, chaque source présente des biais et offre un regard particulier. Les données provenant de différentes sources ont été traitées comme différents moyens de compréhension des itinéraires de reconversion des triathlètes. Nous avons cherché à retrouver la structure diachronique de l’histoire racontée et reconstituée à partir du croisement des données (schématisation sous forme d’arborisation de l’histoire trajectoire de chacun avec toutes les informations recueillies quelle que soit leur nature). Car toutes ces données, même si elles semblent incompatibles à priori, font état d’une même réalité, déclinable en plusieurs niveaux d’analyse (historique, psychique et sémantique, discursive). Mises en relation avec les événements biographiques, les causalités séquentielles, le parcours de vie racontée et le contexte, elles servent à reconstituer les adaptations de fin de carrière.

À partir d’une identification de la population des triathlètes européens francophones, nous avons recruté les participants selon nos réseaux de rela-tion en essayant de prendre autant de femmes que d’hommes, des âges et des situations sociales variées (de différents niveaux, reconnus, sacralisés ou non). Le nombre de cas a été déterminé à priori par le moment de saturation, soit le moment où des cas supplémentaires n’apportent plus beaucoup d’in-formation nouvelle. Notre échantillon a néanmoins été limité par les refus de répondre ou les réponses partielles et inexploitables. Mais il semble que, malgré ces obstacles, nous ayons été proches de la saturation.

Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés à des tri athlètes en transition ou ayant évolué à un haut niveau (national, international). Notre échantillon principal est composé de 22 personnes5 (12 femmes et 10 hommes). La moyenne d’âge est d’un peu plus de 33 ans. L’essentiel de nos données vient de cette phase du travail. Des données complémentaires sont puisées dans la deuxième partie de l’enquête, moins exploitée ici, dans laquelle nous avons écouté d’une manière plus approfondie, cinq couples, un célibataire « intermittent », un « ex » concubin d’une triathlète, une sportive momentanément séparée, donc au total 13 informateurs, dont six femmes (quatre sportives et deux conjointes non pratiquantes) et sept hommes (cinq « ex » anonymes du haut niveau et un « ex » conjoint de triathlète). Les

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deux phases réunissent un échantillon de 35 cas (18 femmes, 17 hommes) ; en outre, nous avons sept cas supplémentaires qui sont moins bien documentés en raison de manque de source et de refus de participer à un entretien.

Nous avons choisi notre échantillon de triathlètes selon leurs positions (rôles, statuts, ressources) et leurs différences à partir d’informations obte-nues par des réseaux relationnels communs. Sans être exhaustif, l’échan-tillon représente une partie des triathlètes de haut niveau des années 1990. Les refus de réponse, les personnes injoignables, le peu de temps accordé à l’enquêteur ou l’absence de documents explique l’absence de certaines grandes figures du triathlon mais ne biaise pas l’échantillon. Les difficultés qui surgissaient avec certains triathlètes venaient probablement du fait qu’ils se sont faits seuls, qu’ils se méfient d’anciens triathlètes qu’ils connaissent et qu’ils ne sont pas tous disposés à parler.

Avoir été « quelqu’un »

Les épreuves sportives sont une ressource pour construire sa singularité et se conformer à la nécessité d’une « invention de soi » (Kaufmann, 2004). Cependant, en « s’inventant » par le sport et ses épreuves, les individus prennent le risque d’endosser des identités fortement valorisées mais aussi très vulnérables. Elles peuvent rapidement être fragilisées par un arrêt de la compétition. Et si certains se contentent d’avoir « été quelqu’un », le statut d’ancien ou de reconverti ne permet pas toujours de donner durablement une identité positive. Il invite à la quête d’un autre statut qui ne se réduit pas à la gestion des reliquats de cette identité passée et déclinante.

Tous ces sportifs ne se ressemblent pas. Les gloires et les reconver-sions sont très diverses. Il y a des différences liées aux titres – celui de « champion national » n’a pas la même reconnaissance ou durabilité que celui de « champion olympique » ou de « champion du monde » – et d’autres liées aux disciplines. Les pratiques très médiatisées peuvent plus facilement permettre aux sportifs de se contenter de gérer durablement leur image et leur capital économique. Les sports aux financements plus réduits, comme c’est le cas du triathlon, imposent des reconversions plus actives. En arrêtant leur sport, les triathlètes doivent réajuster leur vie. En raison des épreuves très contraignantes imposées par le triathlon (natation, cyclisme, course à pied), l’emprise de ce sport sur le quotidien est particulièrement forte. En effet, le triathlète ne peut faire carrière qu’en rompant ou en mettant en retrait certains liens sociaux. Certes, il en tisse d’autres, plus « fonctionnels », liés au contexte très confidentiel de ce sport. Callède (1992) fait l’hypothèse d’une « désocialisation » progressive des sportifs de haut niveau par rapport

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à la vie courante. Leur univers est très exclusif et ne favorise pas d’éventuels processus de reconversion. La spécificité du sportif de haut niveau est de vivre dans un monde à part, en décalage avec la vie ordinaire.

La pratique du triathlon à haut niveau est un monde à part. Elle ne peut guère s’envisager sans effets sur la vie sociale, familiale ou professionnelle. Par exemple, les éloignements en raison de stages et de compétitions sont fréquents. Les lieux de résidence peuvent être déterminés par la pratique sportive. Une grossesse se planifie, en fonction du plan de carrière. L’union avec un triathlète, lorsqu’elle se fait, demande beaucoup d’adaptations, voire de sacrifices de la part du conjoint. La force de l’identité de sportif de haut niveau relègue d’autres identités statutaires à un second rang6. Difficile d’être aussi un parent ou un conjoint lorsque le sportif « appartient » à l’univers de la performance sportive. Au moment de la reconversion se succèdent des processus de séparation et de réintégration, ou d’intégration tout court, avec des rites de passage vers une nouvelle identité.

Pour les triathlètes, le mariage, la mise en couple, l’achat d’une maison sont des évènements qui symbolisent le passage à une nouvelle vie. La ten-dance est même à la revendication de la normalité. Le souhait est d’être comme tout le monde, conscient qu’à ce moment c’est le prix à payer pour réintégrer le monde ordinaire. Marlyse qui pense avoir été perçue un peu comme quelqu’un hors norme, parce qu’elle faisait des Iron Man, se définit aujourd’hui comme ayant été « une licenciée parmi d’autres », sans « être une extrémiste : je n’ai pas sacrifié d’autres choses qui me semblaient impor-tantes [profession, amis, famille] ». Néanmoins, à ce jour, elle ne côtoie plus qu’exceptionnellement ses compagnons d’entraînement. Après s’être mariée, elle est revenue se fixer dans sa région natale pour donner naissance à deux enfants. Le tout très rapidement, après avoir arrêté sa carrière internationale et nationale. Malgré leur nouveau statut de parent, d’autres, comme Pierre ou Claude, ont poursuivi leur carrière pendant un temps ou plus durablement. Dans les faits, en dépit de ses dénégations, Marlyse n’était pas « stabilisée » affectivement, matériellement et socialement de la même manière, avant sa « retraite ». Tout se passe comme s’il y avait eu une urgence à rattraper le temps « perdu » dans sa vie de femme, en inversant le sens du processus d’investissement et en le faisant savoir :

Mon mari et moi-même avons en même temps créé …, une marque de vêtements de triathlon pour la compétition et ce n’est pas une chose facile de créer une entreprise ! ! ! Antoine a de son côté arrêté sa carrière de haut niveau après les championnats du monde… pour rester auprès de moi et de notre petit bébé qui allait naître. Amandine est née le 14 avril dernier et depuis, nous essayons de concilier nos rythmes avec le sien.

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Le prolongement de la grandeur en « interne »

Le premier mode d’arrêt de la carrière que l’on peut identifier est le prolon-gement de la grandeur en « interne », c’est-à-dire en relation avec le sport de compétition. En effet, en procédant ainsi, il n’y a pas de rupture avec la forte emprise du sport. C’est une manière d’éviter les nécessaires adaptations à un temps et un espace non liés au sport. En réalité, il s’agit d’un arrêt de la compétition qui ne nécessite justement pas de véritable reconversion.

Parmi les autres raisons expliquant les difficultés des sportifs à s’ar-racher de leur milieu, il y a le souci de prolonger leur grandeur, et l’une des façons d’y parvenir est d’accompagner des athlètes. Le triathlète « réutilise sa grandeur », sa notoriété, son image, ses compétences et son expérience dans le milieu du triathlon. Cette reconversion peut être choisie ou contrainte. Les trajectoires de deux triathlètes comme Pierre et Bernard en rendent compte. Tous deux connaissent ou ont connu la grandeur par leurs palmarès sportifs et ont exploité leur image médiatique ; ils ont notamment participé à la campagne de publicité pour une marque d’appareils de stimulation musculaire électrique.

Bernard, après avoir fait une carrière internationale et s’être progressi-vement arrêté pour des raisons de santé, a mis sa notoriété et son expérience au service de la grandeur des autres en devenant entraîneur et sélection-neur des équipes de Belgique, masculine et féminine, de triathlon longue distance. Dans une certaine mesure, cela lui permet, lorsque les athlètes suivis sont performants, de partager les réussites et de décliner son identité sur un registre très proche de ce qu’il pouvait faire précédemment. Pour Jean, l’idée d’accompagner les « jeunes leaders » en devenant un partenaire d’entraînement encore très compétitif révèle le souci de poursuivre sa gran-deur et sa « vocation » mais aussi la difficulté de s’arracher du milieu. Dans cette étape, le « corps performant » devient un « corps plaisir », en passant parfois par un « corps souffrant » symboliquement ou physiquement. Les types d’entraînement, la diététique, le rapport au corps et à la performance, le style de vie sont réorientés vers et dans une reconstruction identitaire. Dans cette deuxième phase, aux objectifs sportifs se substituent des finalités socioprofessionnelles, conjugales ou familiales. Le sentiment d’accomplisse-ment engendré par le processus de reconversion est lié à la réalisation de ces nouveaux buts. Marlyse nous dit avoir une vie « très remplie », qui lui laisse à peine le temps de répondre aux questions. Pierre, « surbooké », arrêtera assez vite les courriels après avoir répondu aux premières questions7.

Pour Pierre, encore sur le circuit international, la reconversion est de nature plus commerciale. Il propose ses services et son expérience pour enca-drer des stages d’entraînement de triathlon « clefs en main » aux États-Unis et en investissant de nouvelles modalités de pratique (Triathlon Xterra,

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dans une version raid ou Trail) dans lesquelles il décroche de nouvelles consécrations. Il s’agit de véritables produits commerciaux vendus grâce à sa renommée qui fait office de label de qualité. Certains vont continuer à pratiquer le triathlon à un autre niveau. Tout en étant reconnus comme « anciens champions », ils vont devenir des anciens qui méritent le respect pour leur capacité à limiter les effets de l’âge sur les performances ; ils mon-trent ainsi aux nouveaux venus que les anciens méritent de la considération. Nous pouvons citer les exemples des pionniers du triathlon, tels Mark Allen et Roc Barel, qui prolongent leur légende par leurs performances.

La grandeur sert souvent le projet de reconversion. La dimension sportive de l’identité continue à exister avec des aménagements adaptés aux compétences, à l’expérience, aux nouveaux rôles qui re-définissent progressivement « l’ex-champion » au sein du milieu qui l’a construit. Ainsi, Marlyse, au moment de sa retraite et après avoir obtenu « de bonnes perfor-mances nationales et internationales », crée sa section sportive de triathlon scolaire et sa ligne de vêtements spécialisés dans le triathlon. Bernard, en devenant entraîneur et sélectionneur national pour la longue distance, n’a pas pu quitter le monde du triathlon pour sa retraite sportive. Il a changé ses domaines de compétence, mais pas forcément son réseau de connais-sance. Actuellement à l’étranger pour s’occuper d’un pôle d’entraînement de triathlon, il n’est pas revenu dans sa région natale, contrairement à Marlyse, Claude ou les sœurs Dupasquier, il continue ainsi à organiser sa vie autour du triathlon. Pierre, encore compétitif, prolonge sa grandeur de « champion olympique » à travers ses stages d’entraînement aux États-Unis. Il fait preuve ici à la fois de qualité d’organisateur, d’éducateur-entraîneur et de manager. Il s’inscrit ainsi totalement dans les nouvelles manières de concevoir le sport aventure, à l’étranger de surcroît. Pierre présente les caractéristiques d’une stratégie de « rebond », dans la mesure où il exploite son vécu sur différents « fronts », se servant de sa « renommée » comme tremplin commercial.

Le prolongement de la grandeur peut se faire par l’utilisation de ses compétences au service de la formation des futures élites sportives. Il en est ainsi pour Marlyse ; après avoir fait sa dernière course, elle affirme :

[…] j’avais décidé de tout arrêter. La motivation à l’entraînement n’était plus là et je trouvais pénible de faire « les trois » tous les jours. J’avais besoin d’autre chose ; ma reconversion professionnelle était assurée car je suis prof d’EPS dans un lycée de Lyon et il me suffisait de réintégrer mon poste. Je me suis donc mise dans la tête de créer la première section sportive de triathlon du Sud-Est. Je m’éclate avec mes élèves… Je cours 30 minutes par semaine et je fais un peu de VTT avec mes élèves de la section sportive. C’est tout ! Seule la compétition me manque un peu, mais pas trop quand même.

Le prolongement de la grandeur en « interne » limite les incertitudes identitaires. Ici, pas de nécessité marquée de se redéfinir, de se réinventer,

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d’afficher d’autres référents identitaires. L’autoperception de ses compé-tences et en phase avec la reconnaissance du milieu, l’identité « interne » est en correspondance avec les modes de désignation et l’identité statutaire. L’estime de soi reste préservée dans la mesure où le nouveau rôle est basé sur la reconnaissance des expériences passées, valorisées et valorisantes du vécu, même si des adaptations sont nécessaires.

Le prolongement « externe » de la grandeur

L’autre forme de prolongement de la grandeur passe par une reconversion « externe ». Ici, la reconversion présente deux facettes. Elle peut constituer une véritable reconversion associée à une rupture avec le milieu. Elle est parfois proche de celle que nous venons d’évoquer : elle peut se composer d’un arrêt de la compétition de haut niveau sans rupture avec le milieu. Le triathlète arrête sa carrière, volontairement ou non, pour différentes raisons : une carrière accomplie, des choix professionnels, des blessures, une absence de résultats, un manque d’argent, des conflits avec l’entourage sportif, un manque d’aide et de reconnaissance de l’entourage, (« parce qu’il est temps, que tout est accompli », Claude). Mais il peut ou non revenir sous les feux des projecteurs dans un domaine ou un emploi différent. La pratique même du sport est souvent complètement abandonnée.

C’est le cas de Marlyse qui a arrêté sa carrière au sommet de sa gloire après avoir gagné un « Iron Man » : « il n’est pas difficile d’arrêter une carrière sportive si on a atteint la plupart de ses objectifs et si on n’est pas frustré par rapport à la course de trop, celle qui vous laisse des regrets pour toute une vie ». En effet, après avoir consacré en moyenne 25 h hebdomadaire à la pra-tique, jusqu’à 40 h en période foncière dans les stages, on ne peut même plus parler de pratique d’entretien. Marlyse et Antoine ont depuis deux enfants et ont créé une ligne de vêtements techniques pour le triathlon, qu’ils com-mercialisent. Ils en font d’ailleurs personnellement la promotion sur diverses grandes compétitions, exploitant ainsi encore leur notoriété. Dans ce cas, de figure la reconversion est duelle, à la fois externe et interne.

D’autres, les « sœurs jumelles » Laure et Marie se sont arrêtées peu après des JO. L’une est géologue et l’autre physiothérapeute. Elles pro longent un peu leurs liens avec le milieu sportif en contribuant à des ouvrages, elles y parlent de la façon de gérer le triple effort sur longue distance et de stratégies d’entraînement.

Leur reconversion professionnelle et leur vie de femme pourraient sembler être des exemples de réussite. En réalité, elles sont associées à des souffrances en relation avec leurs nouvelles identités statutaires. Marie évoque ses déchirements. La reconversion se fait en deux temps. Après un

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premier arrêt, elle reprend sa carrière pour aller jusqu’aux JO, ensuite elles sortent du circuit de compétition. Lors d’une première interruption, Marie évoque succinctement dans une interview leurs difficultés respectives à se reconstruire une « vie civile ». Laure ne suivra pas Marie dans son année sab-batique. Selon cette dernière, Laure vivra difficilement ce choix différent :

Pour elle, c’était l’horreur, la pire des années. Pour rien au monde, elle ne recommencera la même chose. Il faut que l’on soit ensemble. C’était pareil pour moi. S’il n’y avait pas eu Laure, je ne serais pas repartie. Après l’année noire qu’elle a eue en 98, elle s’est dit : « soit j’arrête, soit je repars, mais si je repars, ce sera pas toute seule. C’est un véritable renouveau. Quand on a commencé en 1989, on s’est lancé toutes les deux. Là, on est reparties ensemble pour un come-back. Moi comme elle, on est plus efficaces et plus motivées à le faire ensemble. Tout le monde en Afrique du Sud nous enviait cette complicité à l’entraînement.

Cette première tentative de reconversion échouera et Marie préférera reprendre l’aventure du triathlon (pendant six ans), la vie « sédentaire, du commun des mortels » constituant alors une épreuve trop difficile à surmon-ter à ce moment de son histoire personnelle et sportive : « Quand je travaillais, j’ai changé de personnage, complètement. J’ai oublié mon passé de triathlète. Les gens me connaissaient et m’appréciaient en tant que physio. Et je préfère que ce soit ainsi. Je ne voulais pas être une « triathlète convertie ». Une autre personne quoi ! ». Pour Marie, il y a un monde où elle est triathlète et un autre où elle est physio, deux vies distinctes, deux réseaux de relations, deux rôles bien identifiés que Marie n’arrive pas à concilier. Pourtant, le maintien de son statut d’athlète était important, associé à une souffrance corporelle marquée : « Quand j’ai arrêté, j’étais saturée, je n’en pouvais plus. Je voulais rester chez moi, tranquille, plus bouger, plus me faire mal à l’entraînement. » Un autre rôle interfère dans les relations, celui de sœurs jumelles qui ont partagé leur enfance mais aussi le temps et les moments du sport. Il leur a été nécessaire, en plus de la réintégration d’un milieu professionnel plus traditionnel, d’être plus autonomes l’une de l’autre. En effet, Laure rencon-trée en compétition, lors de la journée promotionnelle de la femme dans le triathlon, avouait chercher du travail en tant que géologue et « galérer » pour en trouver hors de Paris dans un lieu plus proche de ses racines. Car en fait elle ne souhaitait pas s’installer dans la région parisienne, bien qu’elles en aient été des « représentantes » sportives, cette fois d’un point de vue professionnel et personnel.

Marlyse et les sœurs jumelles ont pu suivre un cursus universitaire leur permettant de réussir des concours ouvrant sur des métiers qu’elles tentent de réintégrer après leur carrière de haut niveau. La reconnaissance reste de nature sociale avec un réinvestissement possible dans un autre domaine et l’usage d’anciennes et de nouvelles ressources tout à la fois. C’est d’ailleurs

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un peu la nouvelle forme de « conversion » envisagée actuellement par les générations de triathlètes qui suivent. Il en est allé ainsi de triathlètes comme Justine et Claire qui ont mené parallèlement leurs études puis réussi les concours de professeur de sport, ou encore Patrick, lui aussi inséré dans le suivi du triathlon et des triathlètes, parallèlement puis consécutivement à leurs carrières sportives. De même, Paula, que la presse spécialisée considère comme « une des plus jolies triathlètes de l’Hexagone », déclare lors d’une interview pour un magazine spécialisé :

[…] j’ai assuré mes arrières professionnellement. Je souhaite faire une petite carrière dans le triathlon, c’est-à-dire participer aux grands cham-pionnats. Les Jeux, c’est autre chose… J’ai demandé à intégrer l’armée de terre comme athlète de haut niveau et j’ai eu une réponse positive. Si je suis titularisée comme prof des Écoles, je pourrais me mettre en disponibilité de l’Éducation Nationale et incorporer l’armée. Dans ce cas, je pourrais me consacrer à cent pour cent au triathlon.

La diversité des situations et des ressources utilisées au moment de la retraite sportive ressemble à un bricolage qui permet des arrangements identitaires plus ou moins durables, qui peuvent se révéler être relativement efficaces ou une source de tension durable.

Une reconversion « domestique »

Les stratégies de reconversion peuvent aussi reposer sur le réinvestissement de soi, de son organisation spatiale et temporelle autour de la sphère domes-tique. L’arrêt de la carrière de triathlète, par choix, lassitude, blessure ou en raison de performances déclinantes, s’accompagne d’un investissement domestique. L’identité statutaire se décline alors autour du couple, de la paternité ou de la maternité. Les cas de figures sont cependant très divers et il ne s’agit pas nécessairement d’un basculement complet dans lequel une identité domestique permettrait d’effacer toute référence à la biographie sportive.

Par exemple, Claude, ancien nageur de très bon niveau, effectue, à la suite à d’une ambiance conflictuelle au sein du club de natation, une première reconversion réussie dans le triathlon vers 17 ans (1988). Il mène une carrière individuelle de haut niveau, avec un pic ascendant de de 22 à 28 ans. Puis il intègre le club de triathlon de Pontoise, où il se met au ser-vice de l’équipe avec Pierre notamment sur le circuit de l’Iron Tour et les Grands Prix (entre 27 et 33 ans). À 28 ans, il devient « papa » et achète sa maison actuelle, « une maison, ça t’engage surtout financièrement, mais ça te stabilise aussi… dans ton couple… tes choix de vie… Tu es obligé de voir certaines choses différemment. C’est d’autres emmerdes aussi ! ! ». À 32 ans, son deuxième enfant naît. À cette époque, il modifie ses références

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identitaires statutaire et personnelle. Il court désormais essentiellement pour des objectifs d’équipe, « levant le pied au niveau individuel » (entretien, février 2005) pour s’occuper de ses enfants. Il disparaît progressivement des classements nationaux, sans pour autant devenir un anonyme dans le milieu grâce à des réseaux de connaissances qu’il conserve. Il arrête officiellement le triathlon en 2003.

Dans ce cas de figure, la reconversion n’est pas ressentie comme une épreuve, mais comme une suite « logique des choses », « une évidence ». Pour Claude, cela a été « facile », « découlant d’un long processus », une trajectoire, semble-t-il, continue sans rupture marquée, même si certaines périodes constituent des jalons : stages d’entraînement en Australie, professionnali-sation dans sa pratique avec Pontoise, paternité, intégration de la fonction publique territoriale, arrêt final de la pratique à cause de problème de santé. En fait, il s’agit plutôt d’une reformulation, voire d’une renaissance identi-taire, pour cet athlète qui n’a pas « coupé » ses liens avec son milieu local et familial (parents, conjoint, enfants). L’effacement progressif des traces de la haute compétition et de ses résultats se réalise parallèlement à une nouvelle organisation des réseaux sociaux, du temps et de l’espace. Claude, comme Marlyse et bien d’autres, en devenant « Papa » ou « Maman », ajuste ses identités personnelle et statutaire.

On ne peut pas en déduire que l’univers domestique ou l’identité statu-taire de parent soient toujours des ressources suffisantes à une reconversion réussie. Évoquant sa situation, Claudia, médaillée d’argent aux JO, semble ne pas pouvoir se contenter d’une identité de « mère » ou de « compagne » : « Je croyais que vivre avec l’être aimé et avoir un enfant suffirait. Je me suis trompée. » Elle explique ses difficultés par la force des effets de la socialisa-tion sportive par la compétition : « En fait, j’avais besoin d’objectifs. Il ne faut pas rêver, quand on a pris l’habitude de la haute compétition, on ne devient pas une femme au foyer en étant épanouie. » Il ne s’agissait pourtant pas d’un repli exclusif sur la sphère domestique. Claudia a également travaillé dans une société d’assurance, mais la valorisation par le travail lui semblait trop terne comparée aux émotions de la compétition.

L’identité personnelle contre l’assignation au registre sportif

Pour ces sportifs, la revendication identitaire peut passer durablement par la compétition ou le registre du sport. La revendication d’une autre identité personnelle peut aussi se faire contre l’emprise de l’identité sportive. Certains triathlètes ressentent une sorte de dualisation de leur identité au cours de leur carrière. Ils ont, d’une part, une identité sportive, publique, valorisée

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par leurs résultats et valorisante par toute la production symbolique qui s’y rattache et, d’autre part, ils vivent et revendiquent une identité plus person-nelle qui peut être en contradiction avec l’identité sportive.

La fluidité identitaire, qui pour d’autres pourrait sembler relativement ordinaire (De Singly, 2003), est perçue comme une dissonance pour les triathlètes qui revendiquent un ancrage identitaire dans une autre pratique culturelle. Cette manière d’être apparaît comme la revendication d’un autre soi-même, parfois effacé du fait de la monopolisation de la vie par la pratique sportive intensive. C’est une manière de ne pas renoncer à soi, de devenir quelqu’un « en plus » (Jean) et en dehors du triathlon, mais aussi de ne pas choisir de se cloisonner, voire pour certains de se « cloîtrer ! » (propos d’un finischer Iron Man). Dans ce cas de figure, le « retrait » social – fréquent dans le sport de haut niveau en raison des contraintes temporelles et spatiales imposées par la production de la performance – est limité par la mobilisation d’autres réseaux sociaux et d’autres registres identitaires.

Il y a dans ce fonctionnement une volonté de préservation de soi. C’est le cas de Jean, triathlète d’envergure internationale, mais aussi chanteur dans des comédies musicales qu’il organise. Il crée d’ailleurs une rubrique intitulée « double voix » sur son site Internet. En effet, on peut dans son cas parler de double voie, voire de double vie :

[…] le spectacle fait partie de ma carrière sportive, la saison hivernale est réservée à la préparation des spectacles… Aujourd’hui, le temps et l’expérience m’ont montré les directions vers lesquelles je pouvais m’investir. Il est vrai que je suis du genre à aimer beaucoup de choses et reste souvent impressionné par la diversité et les quantités de choses que l’homme est capable de faire. Le sport et la compétition m’ont appris à mieux vivre et à mieux guider mes choix.

Jean vient de quitter la scène internationale après ses derniers J. O. Il s’oriente à présent vers la reprise de ses études et vers l’accompagnement des jeunes athlètes avec lesquels il s’entraîne encore. Apparemment très soucieux des façons dont on l’identifie, il prolonge sa grandeur en continuant à évoluer au plus haut niveau français et en accompagnant des jeunes athlètes. « Je m’accompagne à arrêter en faisant profiter les autres de mon expérience du haut niveau et en faisant attention à ne pas donner l’image du traîne-savate… Je ne veux pas montrer une image démotivée et démotivante du gars qui va s’arrêter et qui n’y arrive pas ! » Même si Jean se positionne sur deux registres, le sport et la comédie musicale, l’arrêt ne peut être brutal. Il lui faut à la fois montrer que ses compétences sportives demeurent (il continue la compétition et prolonge sa grandeur en « interne »), qu’il peut se reconvertir et prolonger sa grandeur par la réussite de ses athlètes mais aussi, qu’il n’est pas assigné au registre du sport et que ses choix sont personnels.

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Accéder au travail et quitter ce monde à part

La question du travail est difficilement abordée par les athlètes d’autant plus que, pour certains, l’investissement dans le « travail » sportif de haut niveau a des conséquences néfastes sur les insertions professionnelles plus durables. C’est le cas, que nous avons déjà évoqué, de Laure, rencontrée à un triathlon en 2004. Elle y est venue dans le cadre de l’année de promotion de la femme en triathlon pour représenter la sportive de haut niveau accom-plie. Or, Laure avoue être à la recherche d’emploi et éprouver de grandes difficultés à retrouver du travail. Les contradictions entre les modes de désignation, être identifiée en tant que modèle de la sportive de haut niveau, et une autoperception beaucoup plus négative, provoque un embarras très perceptible lors de l’entretien.

La fin de carrière sportive est aussi vécue comme une retraite pro-fessionnelle à un âge où l’on commence à peine une carrière dans d’autres domaines. La confrontation à ces différents états de soi, retraité du sport et en recherche d’emploi, se fait dans un contexte d’anonymisation. Le passage d’une certaine grandeur à une sorte de « petitesse » favorise le mal-être. Les athlètes expriment ces souffrances dans la nécessité qu’ils ont de s’affranchir de ce « monde à part8 », pour se « retrouver face à soi-même », « sortir de ce petit monde », « être libre » souvent dans un souci de préservation de l’estime de soi, comme nous l’a signalé Laure.

Les plus grandes difficultés d’adaptation sont éprouvées par les sportifs n’ayant pas accès à une diversité de registres identitaires et qui connaissent des difficultés après une carrière de haut niveau, ici dans le triathlon. Très souvent, ils n’ont ni les moyens matériels, ni l’environnement social favorable à une réinsertion dans d’autres domaines.

On voit les difficultés se profiler pour ceux qui n’ont pas su ou pu se créer un univers parallèle à celui du sport, surtout si leur pratique intensive du triathlon les en a empêché. Ceux dont les expériences hors de la sphère du sport d’élite sont limitées ont du mal à se réinventer une identité « ordi-naire » dans une vie « normale ». Patricia, « ex-Championne » d’Europe, du monde, médaillée de bronze aux JO en 2000 en natation, spécialiste de dos et triathlète dilettante (actuellement sur les Grands Prix de triathlon) évoque les difficultés qu’il y a à retrouver ses valeurs de référence en dehors du sport : « Ici, je suis partagée entre le plaisir d’être dans l’eau et celui d’être confrontée à une concurrence. Ce sont les Championnats de France, c’est un niveau d’excellence. J’y côtoie des gens qui se donnent les moyens de réussir. Je sais ce qu’ils font pour y parvenir, les efforts consentis à l’entraînement. Ces valeurs de travail, je ne les retrouve pas souvent ailleurs. » Plusieurs athlètes ressentent une perte de sens, voire de contrôle de leur vie et une perte d’identité. Les sportifs à succès sont particulièrement menacés d’ef-

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fondrement quand ils n’ont eu ni la possibilité, ni l’opportunité, ni le temps d’accéder à une diversité de registres identitaires. Dans les expériences de socialisation, l’autoperception, l’extériorisation comme les modes de désigna-tion renvoient à la question de l’identité sportive. Il y a encore un an, Patricia se battait pour disputer les Jeux olympiques en natation, aujourd’hui, elle avoue avoir du mal à se sortir du haut niveau. Elle dit souffrir d’un décalage avec l’autre vie, celle qui ne répond pas au rythme réglé du sportif, avec ses exigences et ses références. « À 29 ans, j’arrive avec une autre culture, il n’est pas facile de la faire reconnaître. On m’écoute, on ne me comprend pas [elle parle ici du monde du travail] dans mon club, j’évoluais dans un climat de confiance, en dehors elle est dure à gagner. » Pourtant, elle dispose de ressources culturelles puisqu’elle termine son cycle à l’École supérieure de commerce de Paris et prépare son départ pour Tokyo pour deux ans. Elle espère y trouver plus de reconnaissance pour ce qu’elle a réalisé et vécu depuis dix ans. À ses yeux, partir à l’autre bout du monde l’aiderait à se reconstruire : « En France, je n’arrive pas à faire la part entre mon identité d’étudiante et mon identité personnelle. À 29 ans, les autres sont passés par des expériences que je rencontre maintenant, alors que je me mets à cher-cher un travail. Ici, j’ai 36 000 possibilités mais je ne sais pas comment m’y prendre. Au Japon, je n’aurai pas le choix. »

Savoir partir au bon moment et laisser des traces

Pour se reconvertir, les triathlètes utilisent plusieurs ressources. Dans le cas des triathlètes français, les reconversions professionnelles se font de façon dominante, dans le service public (enseignement, éducateur) ou dans le sport (fédération, entraîneur). Cependant, si l’on observe finement les parcours de chacun, on constate qu’il existe une grande diversité de trajectoires et de situations individuelles qui permettent de faire face, avec plus ou moins de succès, aux épreuves de la reconversion. Il existe aussi des composantes plus spécifiques qui font la grandeur de l’athlète. Il s’agit notamment de la capacité à gérer le temps et en particulier à savoir s’arrêter au bon moment, en évitant de rendre visibles le déclin, les blessures ou la course en trop. Il faut laisser une trace honorable en montrant que l’on contrôle sa sortie comme on a pu le faire pour sa vie d’athlète. C’est le cas de Marlyse qui a arrêté sa carrière au sommet de sa gloire après avoir gagné un Iron Man. Jean, lui aussi, pense qu’il faut s’arrêter au sommet et ne pas faire la « course de trop » ! S’arrêter au bon moment est une condition à une reconversion réussie.

En quittant le sport de haut niveau, il s’opère un processus de déclin progressif qui constitue également une sorte de désacralisation du statut de premier, de leader d’une équipe. Le passage à l’anonymat commence par des places et des résultats moins valorisants. Sébastien, par exemple, triathlète le

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plus en vue de ces dernières années, est complètement passé à côté des JO de 2000. Cet échec a constitué une sorte de rupture dans sa carrière média-tique française. Sa stature de monstre sacré, d’athlète infaillible toujours au meilleur niveau, a été remise en cause. Or il n’a pas vraiment arrêté sa carrière, mais n’est plus en haut de l’affiche française et participe nettement moins, voire plus du tout aux courses de championnat. Pour autant, il n’a pas annoncé une quelconque reconversion. Car il vient de gagner le triathlon international de Chicago, cette dernière saison, en y rencontrant les meilleurs du moment. Cette autre manière de s’arrêter, progressivement, sans effet d’annonce, intrigue dans le milieu du triathlon. Savoir arrêter une carrière quand on est « grand » suppose de partir avec les honneurs, c’est-à-dire en annonçant l’arrêt ou en laissant une dernière trace remarquable.

La « trace » laissée par l’athlète est un élément important du choix du moment de l’arrêt de la compétition. Il arrive que les athlètes attendent un dernier grand résultat ou un évènement spécifique pour partir. Par la perfor-mance, l’athlète s’inscrit dans une histoire : la sienne et celle des événements. La performance, le record sont souvent des moments clés d’un parcours de vie. C’est « comme laisser une trace » (jeune triathlète de la ligue), auprès des autres participants bien sûr, mais également d’un public plus large, en parti-culier par le biais des journaux locaux, nationaux et spécialisés et des médias en général. Le prolongement de la grandeur s’appuie sur des souvenirs, des anecdotes mais également des objets. On garde des photos, des vidéos, des coupes, des médailles, des équipements ou des coupures de presse, bref, tout ce qui constitue une ressource à la construction du sens, pour soi et pour d’autres. Ces traces sont parfois conservées comme des reliques, par des parents fiers de leur progéniture ou par l’athlète lui-même.

Les traces s’enracinent aussi dans le quotidien. Les moments de labeur forgeant les corps, les programmes d’entraînement à l’origine de souf frances ou, au contraire, de sensations de bien-être et de puissance, marquent les expériences corporelles et sont consignés dans des carnets de bord ou d’entraînement (book). Moins liés aux moments glorieux ou médiatisés, ils sont composés par les impressions techniques, le ressentit les remarques ou les photos personnelles des athlètes. Tous les triathlètes avec qui nous avons collaboré ont conservé ces carnets par lesquels ils composent et se recomposent leur histoire. Loin de la version médiatique des événements, plus superficielle, le « book » rappelle l’inscription des expériences sportives dans les corps.

L’importance de ces diverses traces est ambiguë. Elles permettent certes d’entretenir l’ancrage sportif des différentes dimensions de l’identité et constituent une sorte de prolongement de la grandeur de l’athlète. Mais si, dans certains cas, cette mémoire facilite le deuil d’une période révolue,

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le souvenir donnant du sens et parfois une cohérence aux parcours de vie, dans d’autres, elle tend à hypertrophier la dimension sportive de l’identité. Là encore, cette mémoire renvoie à un espace-temps, un univers « séparé », dans lequel l’athlète reconverti peut ne plus se reconnaître. Or, se reconvertir suppose de passer à autre chose, de faire de nouveaux projets, de trouver des formes de reconnaissance au présent et de ne pas s’enfermer dans une désignation exclusivement associée au passé sportif. C’est d’autant plus important que les anciens athlètes doivent également faire face à des trans-formations physiques qui leur rappellent qu’ils sont lentement dépossédés de leurs capacités passées.

Le poids des événements

Réussir en triathlon suppose d’accorder une place primordiale à sa pratique. Sandra, triathlète classée pendant cinq ans avec son équipe en première division, parle même « d’une activité très scientifique, avec beaucoup de paramètres à contrôler ». « Cette pratique m’a apporté avant, une certaine reconnaissance de mes parents, de mes amis, de la nouveauté et surtout une sacrée rigueur de travail, à mener de front avec les études ! » Aujourd’hui, pour Sandra, le triathlon est redevenu une passion, « un échappatoire du boulot » (elle est aussi professeur d’EPS), « un loisir » assez important car elle le pratique encore avec les honneurs au niveau régional, mais n’en attend plus les mêmes choses « […] sortir en extérieur, être fière de moi à travers la réali-sation de nouveaux défis… ». Pour produire une performance, le rapport au temps et à l’espace est profondément modifié : « tu nages, tu roules, tu cours et puis tu manges, tu dors, tu respires triathlon », nous dit Paul, triathlète longue distance et « Iron Man » (cf. entretien avec un « finisher » à Gérardmer). Se reconvertir ailleurs que dans le sport implique le chemin inverse. Les périodes d’entraînement et de compétition ne sont plus structurantes et il faut prendre de nouveaux repères temporels et spatiaux. La journée, la semaine ne sont plus rythmées de la même manière. Les ancrages identitaires sont bousculés par cette mutation qui implique un repositionnement et, dans la majorité des cas, de véritables épreuves sociales. « Je ne m’arrêterais pas net, mais progressivement… j’ai peur un peu du manque… du vide… Je m’ar-rêterais peut-être pour faire des enfants, ou pour faire une pratique qui me prenne moins d’heures. Mais je ne m’arrêterais pas sur la demande de mon « copain », s’il me respecte, il me laisse mes passions, mes loisirs ! » (Sandra). Les liens familiaux, conjugaux, professionnels, amicaux sont retravaillés par le désengagement, comme par l’engagement. La reconversion marque une étape dans une trajectoire de vie, mais c’est un événement « puissant » dans la carrière d’un sportif, tout comme l’ascension à la gloire, surtout lorsqu’on n’y est pas vraiment préparé. L’événement peut apparaître banal dans un premier temps, mais ses conséquences à long terme sont importantes. Les événements

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peuvent provoquer des contradictions entre différents registres mobilisables, voire diviser les référents identitaires (Kaufmann, 2004). C’est ce qu’exprime très bien Patricia. Dans un premier temps, tout se passe comme s’il y avait deux identités parallèles, voire superposées, plus ou moins conflictuelles. Puis, un deuxième temps, lorsque le basculement identitaire a été réalisé et intégré (cas des triathlètes reconvertis depuis un bon moment où l’identité nouvelle est à priori conquise, comme pour Claude). L’identité donnée à voir ou à entendre résulte plus de l’histoire produite, retranscrite, racontée. Les identités sont alors le produit du travail narratif et réflexif de leurs auteurs et participent ainsi constamment à leur construction de soi. Loin d’être juste une rupture de contexte, c’est parfois d’un véritable changement de vie dont il s’agit. Cette division identitaire est vécue par tous les triathlètes étudiés. Ainsi, des moments de flottement identitaire existent aussi pour ceux qui se sont le plus préparés à cette transition.

L’identité sportive, en tant que triathlète de haut niveau se construit à partir de représentations et de valeurs collectives partagées, mais chacun à sa manière. Il en est ainsi de l’idée d’évoluer dans un monde à part (le triathlon), d’être un peu marginal, de ne pas faire comme tout le monde, de vouloir dépasser ses limites : « moi, en troisième, je ne faisais pas le con… C’est pour ça que j’ai fait du haut niveau… déjà associable !… Peut-être une autre forme de connerie ? !… » (Claude). Ce fort sentiment d’appartenance à un collectif, de sportifs d’exception, de groupe d’entraînement ou de pas-sionnés du triathlon, fonctionne avec le sentiment d’une singularité, voire d’une marginalité. Les pratiques sont des ressources et donnent l’occasion de renforcer (à l’intérieur du groupe) ou d’opposer (à l’extérieur du groupe) l’identité statutaire et l’identité personnelle. Nous sommes donc en présence d’une sorte de culture partagée qui donne l’occasion de « devenir quelqu’un » par et dans la pratique du triathlon de haut niveau. Paradoxalement, alors que la carrière sportive semble très cohérente et structurée, les observations de l’histoire de vie de certains des athlètes étudiés montrent l’existence de nombreuses ruptures. Certaines se lisent dans le refus de voir ou de pré-senter la marginalité de leur vie comme la conséquence de leur engagement dans leurs projets sportifs. Il y a une ambiguïté de cette vie « vocationnelle » « oui, je suis arrivée globalement aux résultats que je pouvais espérer, mais je ne dis pas que j’ai trouvé ma vocation… je l’ai peut- être même loupée ? ! » (Sandra).

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hommes et femmes à l’épreuve de la reconversion

Les différences entre les sexes peuvent être abordées en comparant les façons dont les « tournants », les « moments d’inflexion » (turning points ; Strauss, 1992) sont négociés par les hommes et les femmes. Dans les cas étudiés, hommes et femmes sont confrontés à des difficultés analogues dans plusieurs domaines et adoptent des stratégies assez proches de reconversion.

Cependant, les différences peuvent être significatives en ce qui concerne la nouvelle vie en couple et/ou l’arrivée d’un enfant. Les femmes triathlètes performantes de haut niveau, « entrent en couple » plus tardive-ment, voire pas du tout. Elles ne sont pas « célibataires » pour autant lors de leurs carrières sportives, mais forment plutôt un couple sur un mode non traditionnel : en transit, intermittent, non « co-habitant » (De Singly, 2000). Les reconversions ont différents effets sur les arrangements entre les sexes au sein du couple9.

Les différences entre hommes et femmes ne sont pas toujours très spectaculaires. Hommes et femmes utilisent différents modes de recon-version, et cela, en interne comme en externe. Les trajectoires semblent souvent proches. Les deux sexes peuvent partager les mêmes succès, dans des reconversions heureuses, ou être confrontés à des doutes et des souf-frances analogues. Le moment de la reconversion est assez prévisible ; les triathlètes se retirent majoritairement après une carrière de dix ans, quinze pour les plus performants, sans différences entre les hommes et les femmes de notre échantillon. Les trajectoires ne sont pas vraiment linéaires, elles sont toutes faites de ruptures dues aux blessures, ou à des accidents, des déceptions, des baisses de motivation, voire des dépressions. Elles ne sont pas contingentes non plus comme si l’individu devait montrer qu’il impose son rythme aux évènements et qu’il est aux commandes de sa propre vie (Kaufman, 2004). Ce n’est généralement pas un évènement qui impose un arrêt immédiat. Une blessure, un grave accident ou un accouchement ne sont pas nécessairement synonymes de fin de carrière. Parfois, le retour est rapide (rééducation efficiente, performances accrues, résultats en progrès, motivation exacerbée…). On observe pour les deux sexes des périodes de reprises plus ou moins longues, des « come-back », spectaculaires parfois, ou des diversifications de pratique sportive avant d’abandonner complètement le triathlon.

C’est plus souvent le temps et le cumul de plusieurs facteurs qui font diverger les trajectoires masculines et féminines, accélérant l’arrêt de pra-tique et guidant les modes de reconversion. Les femmes sont plus sensibles à l’accumulation d’événements. Dans un premier temps, les femmes triathlètes qui ont eu des enfants reprennent provisoirement leur pratique. C’est le cas de Marie. Mais elle perçoit que sa situation de triathlète de haut niveau entre

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en contradiction avec l’identité statutaire de femme mariée : « je voudrais passer un peu plus de temps avec Bernard, mon mari. Ce n’est pas toujours évident d’associer une vie de sportive égoïste et une vie de femme mariée ». L’identité sportive apparaît être autocentrée, alors que, pour Marie, le rôle de femme mariée s’y oppose. Le « nous » conjugal absorbe le « je » qu’accentue l’emprise du sport de haut niveau sur la vie quotidienne. Il est en effet plus difficile pour ces athlètes d’accéder au « moi d’abord » de l’identité fluide qui « renvoie directement à cette compétence de décider qui il est » (De Singly, 2003, p. 79) ; l’identité personnelle est parfois difficile à construire tant l’identité statutaire de sportif de haut niveau est prégnante.

La maternité peut être vécue tel un épisode de « repos relatif » en termes de programmation sportive, car on parle rarement d’arrêt total. En revanche, lorsque plusieurs facteurs se combinent (arrivée d’un enfant, achat d’une maison, période de chômage, blessure, baisse de résultat), les différences sont plus visibles. Les hommes s’arrêtent rarement en raison de l’arrivée d’un enfant, surtout si leur conjointe n’est pas une sportive, ou n’y consacre pas toute sa vie. Ils accompagnent l’événement à leur manière, sans, dans un premier temps, changer véritablement leur mode de vie. C’est le cas de Claude, cité précédemment, qui poursuit sa carrière. Il se sent même stabilisé par l’arrivée d’un enfant et choisit d’arrêter progressivement sa carrière cinq ans après la naissance de son enfant parce globalement « il a fait ce qu’il voulait faire ».

Les changements peuvent être progressifs et certaines de nos tri athlètes semblent avoir moins de prise sur les événements. Lorsqu’un enfant est attendu, elles sont partiellement dépossédées de leur décision. L’assignation aux rôles traditionnels associés au statut de parent semble plus encombrante pour certaines triathlètes. C’est le cas pour Sandra : l’arrêt peut s’envisager par rapport à une nouvelle identité statutaire de mère, mais pas sous la pres-sion. Le désengagement doit être un choix personnel et non la réponse à une demande de son ami. Ce qui domine, et que refusent Sandra ou d’autres, c’est que pour la femme, en raison de sa supposée fonction biologique, la ques-tion de la reconversion se pose moins, elle paraît reconvertie physiquement. Durant le temps de la grossesse, la pratique est plus difficile. Mais les diffé-rences se prolongent bien au-delà. Pour la « mère », la carrière de tri athlète et le statut de sportive de haut niveau, sont relégués à un second rang, parfois « patrimonialisés », plus rarement réactualisés. C’est leur nouveau statut de mère qui est au premier plan. En revanche, les « pères » peuvent continuer leur pratique quasiment sans l’interrompre, s’ils le souhaitent. D’ailleurs, ils sont d’abord triathlètes avant d’être pères ou lorsqu’ils exposent leur pater-nité, c’est un choix de rôle et non une assignation. L’épisode de la maternité intervient tard dans la vie de ces femmes sportives. Un des éléments qui fait que Sandra redoute d’être mère est son anticipation des effets de ce

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nouveau statut sur le registre des rôles qu’elle pourrait jouer. Pour elle, la question de la maternité se pose très peu avant 28 ans : « La maternité a été très peu un sujet qui m’a interpellé entre 18 et 28 ans. En effet, j’étais très prise dans le triathlon, qui m’a énormément occupée. De plus, les femmes dans mon entourage sont pour la plupart sportives et donc ont eu souvent des enfants tard. »

La passion sportive conduit Sandra à « planifier » son éventuelle pre-mière grossesse à un moment « arrangeant », de préférence après la carrière sportive, ou alors entre deux périodes de transition. L’emprise du triathlon lui fait se représenter les « mères » comme une catégorie différente : « Pour moi, les femmes avec des enfants étaient des femmes d’une autre catégorie, d’un autre âge, avec d’autres intérêts », très éloignée. Toutes ne souhaitent pas d’enfant, une des raisons est qu’être mère signifierait l’abandon provisoire ou durable du triathlon ainsi qu’une relégation à un second plan du statut de sportive de haut niveau. Sandra est avec son ami depuis cinq ans. Elle se sent vieillir et ses amis trentenaires ont commencé à avoir des enfants. Elle sent les pressions normatives de ses amies « En avançant en âge, à partir de 25 à 30 ans, mes amis du même âge ont commencé à avoir des enfants, l’une après l’autre (sportives ou non). La prise de conscience a commencé pour moi : « bientôt il faudrait que ce soit à mon tour », disaient-elles… J’ai réalisé que mon rôle dans la société n’était pas seulement de trouver un travail, faire du sport, mais qu’il « fallait » aussi s’attacher à avoir des enfants ! »

Elle y réfléchit, et elle perçoit « tous les problèmes qui en découleraient : associer travail, trajets pour travailler (elle est professeur d’EPS titulaire remplaçant), loisirs réduits, vie conjugale et sport… La tâche me semble insurmontable, plus difficile qu’un Ironman ! ». Elle arrête le triathlon en continuant la course à pied de moindre intensité. Elle sent que son « ami aura le désir prochainement d’être père », mais elle est plutôt « inquiète et non conquise par ce rôle. Je crains fortement le désaccord futur, si mon désir de non-maternité perdure ». La reconversion par un nouveau statut et les rôles qui y sont associés ne la convainc pas « la mère « doit » s’occuper énormément des enfants au contraire du père, plus libre de ses mouvements, justement ! Une mère qui « s’amuse » à faire du sport n’est pas bien vue, n’est pas une bonne mère. Le père peut davantage garder ses habitudes. J’ai peur de ne pas me retrouver et de m’accomplir dans cet éventuel nouveau rôle, comme cela était en sport, dans le triathlon ». Avoir des enfants semble aller à l’en-contre de la manière dont elle pense pouvoir être elle-même et affirmer sa singularité. Sans que les dissymétries soient systématiques, les reconversions des femmes impliquent davantage d’ajustements pratiques et identitaires.

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Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 30, no 2, Denis Auger et Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Conclusion : « l’art de ne plus être et d’avoir été »

L’arrêt de la compétition de haut niveau constitue donc une épreuve sociale que certains triathlètes perçoivent à peine et que d’autres surmontent avec difficulté. Loin des clichés d’une étape insignifiante ou d’un moment de crise, nous observons une grande diversité de situations et de ressources mobilisées. Les stratégies de reconversions professionnelles et personnelles dépendent des biographies individuelles, du sexe, de la diversité des contex-tes, des réseaux de relation et des ressources culturelles et économiques. On constate néanmoins la revendication de chaque triathlète d’exister dans sa singularité. Les formes de reconversion observées indiquent une quête d’une identité personnelle retravaillée en dehors et au-delà des seuls groupes d’ap-partenance. La reconversion conduit à négocier des compositions identitaires en plusieurs étapes, où l’identité personnelle est une synthèse provisoire faite d’arrangements multiples avec soi-même, les autres, les institutions, les contextes et les événements.

Plusieurs auteurs suggèrent que les fins de carrière sont plus difficiles lorsque l’âge de l’arrêt de pratique est plus tardif (Taylor, Ogilivie et Lavallée, 2005 ; Wylleman et Lavallée, 2004). C’est certainement vrai lorsque l’on com-pare les athlètes qui finissent leurs carrières autour de l’adolescence et ceux qui terminent un peu plus tard. Les premiers ont l’avantage d’être confronté à des problèmes identitaires analogues à ceux que les autres jeunes de leur âge éprouvent. En revanche, pour les plus âgés, ils sont en décalage avec leurs pairs. Dans le cas de notre population, on retrouve ce décalage. Après une vie façonnée par et autour du triathlon, alors que d’autres investissent leur énergie dans une carrière professionnelle et ont des enfants, il n’est pas facile de revenir à une vie plus traditionnelle. Ces difficultés s’observent dans la propension à prolonger son investissement sportif dans une des trois disciplines. Après être venu d’une discipline, on renonce à décrocher tota-lement en se relançant dans une des activités du triathlon. C’est une façon moins brutale d’arrêter une carrière sportive, cela crée une autre période transitoire dans le processus de reconversion. Cela pourrait être une sorte de « dispositif de médiation » entre ancienne et nouvelle identité si le registre n’était pas si proche. Le choix du sport se fait généralement sans revenir au sport initialement prédominant et dans des types d’épreuve ou des catégo-ries différentes mais cette conversion identitaire ne permet pas de donner un nouveau sens à la vie.

Cependant, l’arrêt tardif de la pratique est aussi accompagné de res-sources professionnelles, culturelles et économiques que ne possèdent pas les populations plus jeunes. Par rapport à d’autres pratiques sportives, comme la boxe (Wacquant, 2002) ou la gymnastique (Lavallée et Robinson, 2007 ; Papin, 2000), le triathlon se distingue par le fait que les organisations (la fédé-ration, les clubs, les structures d’entraînement) n’occupaient pas, au moment

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de la carrière des personnes interrogées, une place centrale. Alors que la plupart des sportifs de haut niveau bénéficient d’organisations, d’entraîneurs ou d’agents spécialisés chargés de gérer leur carrière, les entraînements ou les déplacements, les triathlètes doivent se prendre en charge. C’est un inconvénient de ne pas bénéficier de structure de prise en charge, mais en même temps, les organisations qui alimentent et entretiennent la vocation, auxquelles les individus adhèrent, s’investissent sans compter, se sacrifient parfois, peuvent aussi imposer la reconversion par un non-renouvellement de contrat et, de fait, la rendre beaucoup plus difficile à vivre (McKenna et Thomas, 2007). Les organisations jouent un rôle important en tant qu’ins-tances de consécration, du fait des titres qu’elles distribuent, mais elles n’ont pas un rôle primordial dans les carrières des triathlètes de notre échantillon. L’accès à la pratique puis au « haut niveau », tout comme les désengagements, s’organisent de façon relativement individuelle. Les triathlètes justifient tour à tour leurs projets de vie par le « plaisir de pratiquer », la recherche d’excel-lence et de performance, la « force des événements », les réseaux relationnels ou leurs choix personnels. Ils se veulent être les produits d’une histoire singulière dans laquelle les organisations sportives occupent une place très secondaire. Cette autonomie plus grande explique probablement que si les phases de désengagement ne sont pas faciles à négocier, impliquant parfois des souffrances ou des difficultés, elles n’entraînent pas souvent des crises identitaires très marquées. On retrouve ici des résultats comparables à ceux de Young et al. (2006) qui observent que les reconversions volontaires des joueuses de tennis posent peu de problèmes alors que les départs contraints sont plus difficiles à vivre.

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1. Environ la moitié des personnes qui composent notre échantillon ne vivent que du triathlon. Mais il n’y a pas vraiment de statut professionnel en triathlon ni de véritable circuit professionnel. Certains en vivent en étant salariés d’un club ou d’une ville, grâce aux revenus issus de courses ou aux contrats de sponsoring.

2. Certains cas sont, comme celui de Marlyse ou de Claude, plus évoqués que d’autres. Ils n’ont pas vocation à représenter l’ensemble des triathlètes. Cependant, porter l’attention sur un nombre limité de cas permet de faciliter la compréhension des processus de reconversion. De plus, les cas évoqués représentent des idéaux-types, au sens de M. Weber (Essai sur la théorie de la science), qui facilitent l’intelli-gibilité. Enfin, tous les cas ne sont pas aussi bien documentés. L’utilisation de plusieurs sources, dont nos propres entretiens, nous a permis de mieux croiser les informations.

3. J. M. Faure et Ch. Suaud « Virtuoses sportifs, conversion symbolique et conditions de choix », Séminaire « Éthique, recherches et sports, du particulier au général », 1995.

4. Se dit des triathlètes, hommes et femmes, qui « finissent » un Iron Man (4 km de natation, 180 km de vélo, 42 km de course à pied), en franchissant la ligne d’arrivée debout.

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5. Afin d’assurer la confidentialité, les titres, les dates, la nationalité et les lieux ont été modifiés. Pour les mêmes raisons, les références aux articles de presse ou les adresses des sites Internet ne sont pas mentionnés. L’intérêt est de comprendre les processus et non de stigmatiser, mettre à nu ou valoriser des individus.

6. Avec quelques nuances cependant puisque les sportives médiatisées sont plus souvent présentées selon leurs identités de femme, de mère ou en tant qu’objet sexuel que comme athlète (McKay, 1992).

7. Les difficultés face à des réticences à participer à ce travail, voire des refus, les présentations de soi parfois trop lisses et positives semblent pouvoir s’expliquer de plusieurs façons. D’une part, une habitude de se prendre en charge indivi-duellement, sans recours à une institution, sans grande possibilité de plainte auprès d’une instance de référence. D’autre part, la reconversion se doit d’être présentée comme une épreuve mineure quand on sait ce qu’est le triathlon et l’épreuve que cela constitue. Enfin, avoir été un champion ou une championne, un Iron Man, laisse supposer qu’il faut montrer que l’on sait résister, quoi qu’il arrive.

8. Le risque de n’exister qu’à travers son identité sportive est bien ressenti par les athlètes. La menace, lorsque les résultats baissent, d’être dépossédé de sa seule identité est significative. Les études sur le « burnout » (arrêt brutal) des athlètes montrent bien qu’il arrive beaucoup plus fréquemment lorsque le sportif se sent dépossédé de son identité parce qu’elle est construite quasi exclusivement sur le registre du sport (Coakley, 2002). L’attention très forte, parfois presque exclusive, portée aux pratiques corporelles qui permettent la performance (l’en-traînement mais aussi l’alimentation, les régimes, le sommeil…) ne favorise pas une construction identitaire plurielle. C’est le sentiment qu’expriment bien les propos d’un junior recueillis lors d’un stage : « J’ai l’impression que lorsqu’on est sportif à haut niveau, on n’est rien d’autre. Ici en stage c’est comme si rien ni personne n’existait en dehors de mon corps fatigué » (propos d’un junior recueillis en stage).

9. L’épreuve de la reconversion pour le couple est en cours d’étude et demande-rait de nombreux développements qui feront l’objet d’un travail spécifique. Les différences de genre mériteraient un article en soi ; comme nous ne pouvons pas développer ici, nous avons choisi de rendre plus intelligible notre propos en étant plus attentifs à un cas, celui de Sandra.

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Pascaline guioT et Fabien ohl La reconversion des sportifs : Une épreuve de la petitesse ?

résumé

Le sport de haut niveau se caractérise par une emprise très importante de l’espace et du temps et une définition de soi très liée au statut de sportif. Notre étude porte sur les conséquences de cette emprise lors de l’arrêt d’une carrière sportive. Nous avons pris l’exemple du triathlon. Bien qu’il y ait peu de triathlètes professionnels en France, il y a de nombreux « anonymes » du haut niveau dont les professions aménagées leur permettent de se consacrer presque totalement à leur carrière sportive.

Arrêter sa carrière impose une reconversion de ses occupations mais constitue, dans bien des cas, une épreuve identitaire. En effet, il s’agit pour ces sportifs de quitter une vie organisée autour de la pratique du triathlon en compétition. Ce changement de situation peut devenir une véritable « épreuve de la petitesse », pour ceux qui ont connu la grandeur.

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Pour étudier la fin de carrière et ses difficultés, nous nous sommes adossés à une analyse qualitative des reconversions et de leurs conséquences. Nous constatons que l’épreuve de la fin de carrière n’est pas uniforme. Elle dépend des différentes ressources que peuvent mobiliser les athlètes mais également des singularités de leurs situations. Les reconversions peuvent être limitées, lorsque les athlètes prolongent leur grandeur en restant dans le milieu sportif ou en développant des activités en lien avec le sport. La recon-version peut également être facilitée par un investissement dans la sphère domestique. Bien s’arrêter suppose aussi de gérer le moment de rupture et de laisser des traces qui permettent de réduire l’épreuve du retrait en partant de façon honorable. L’analyse des reconversions permet de montrer que les triathlètes mobilisent une diversité de ressources afin de se « réinventer » une singularité.

Pascaline guioT and Fabien ohl Reorienting Retiring Athletes : A Crisis of Personal Diminishment ?

abstract

Amongst the characteristics of high performance sports are the amount of time and space they occupy in the athlete’s life, and the way in which the perception of the athlete as a person is so closely intermeshed with his or her sporting status. Our study deals with the consequences of this intermeshing when the athlete’s sports career draws to its close. The example we have chosen is that of the triathlon. Although there are not many professional triathletes in France, there are many high level “non-designated” competitors who have organized their personal professions so as to be able to devote most of their time to their sports careers.

Terminating one’s career signifies reorienting one’s activities and, in many cases, constitutes an identity crisis. In the cases under study, this involves abandoning a life that revolves around the practice of the triathlon at compe-tition level. This situational change can become a “crisis of self-diminishment” for those who have enjoyed great prestige. For our study of the end of such a career and the difficulties it engenders, we have based our research on a qualitative analysis of the reorientation of the athletes’ activities and its consequences. We have observed that the career-end crisis does not affect all subjects in the same way. It will depend both on the various resources the athletes can marshal up, and on the particularities of their respective situa-tions. Reorientation can be minor when athletes enjoy protracted prestige by remaining in the sports environment or by developing sports-related

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activities. Reorientation can also be made easier through an investment in the domestic arena. To bring one’s career to a satisfactory close also supposes that one chooses when to stop and that one makes the sort of memorable and honourable exit that mellows the crisis of departure. Our analysis of these reorientations indicates that triathletes have a range of resources available that allow them to “reinvent” their uniqueness.

Pascaline guioT y Fabien ohl La reconversión de los deportistas : ¿Una experiencia de la pequeñez ?

resumen

El deporte de alto nivel se caracteriza por un dominio muy importante del espacio y del tiempo y de una autodefinición muy ligada al estatuto del deportista. Nuestro estudio trata sobre las consecuencias de esta influencia cuando se interrumpe una carrera deportiva. Hemos tomado el ejemplo del triatlón. Aunque existan pocos atletas profesionales que practican esta disciplina en Francia, hay numerosos « anónimos » de alto nivel a los que las profesiones reglamentadas les permiten de consagrarse casi totalmente a su carrera deportiva.

Interrumpir su carrera impone una reconversión de sus ocupaciones pero constituye, en muchos casos, una experiencia identitaria. En efecto, se trata para estos deportistas de abandonar una vida organizada alrededor de la práctica del triatlón en competición. Este cambio de situación puede convertirse en una verdadera « experiencia de la pequeñez », para los que han conocido la grandeza.

Para estudiar el fin de carrera y sus dificultades, nos hemos respaldado en un análisis cualitativo de las reconversiones y de sus consecuencias. Cons-tatamos que la experiencia del fin de una carrera no es uniforme, depende de los diferentes recursos que puedan movilizar los atletas así que de las singularidades de sus situaciones. Las reconversiones pueden ser limitadas cuando los atletas prolongan su grandeza quedándose en el medio deportivo o desarrollando actividades con vínculos en el deporte. La reconversión puede también ser facilitada por una inversión en la esfera doméstica. Un buen retiro implica también la gestión del momento de ruptura y de dejar huellas que permitan de reducir la experiencia de la interrupción partiendo de manera honorable. El análisis de las reconversiones permite de mostrar que los triatletas movilizan una diversidad de recursos con el fin de « rein-ventarse » una singularidad.

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