232
La Torture en Droit International Guide de jurisprudence

La Torture en Droit International · Droit International. Guide de jurisprudence. Association pour la . Prévention de la Torture. Fondée en 1977 par Jean-Jacques Gautier, banquier

  • Upload
    others

  • View
    16

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

La Torture en Droit International

Guide de jurisprudence

Association pour la Prévention de la Torture

Fondée en 1977 par Jean-Jacques Gautier, banquier et avocat suisse, l’Association pour la prévention de la torture (APT) est une organisation non-gouver-nementale basée à Genève qui œuvre dans le monde entier en faveur de la prévention de la torture et d’autres mauvais traitements.

L’APT rêve d’un monde où nul ne sera soumis à la torture, ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, tel que l’établit la Déclaration univer-selle des droits de l’homme.

L’APT se concentre sur la prévention de la torture, plutôt que la dénonciation de cas individuels ou la réhabilitation de victimes. Cette focalisation straté-gique sur la prévention permet à l’APT de collaborer avec des autorités étatiques, des services policiers, judiciaires, des institutions nationales, des uni-versitaires et des ONG qui s’engagent en faveur de réformes institutionnelles et d’un changement de pratiques.

Pour prévenir la torture, l’APT articule son travail autour de trois objectifs liés les uns aux autres :

1. La transparence des institutionsPromouvoir une surveillance externe des institu-tions où se trouvent des personnes privées de liberté et mettre l’accent sur les responsabilités des autori-tés en charge de celles-ci par le biais de mécanismes indépendants de visite ou d’autres mécanismes de contrôle.

2. Des cadres juridiques efficacesVeiller à la promotion, au respect et à la mise en œuvre universelle des normes juridiques relatives à la prévention de la torture et autres mauvais traite-ments élaborées à l’échelon national, régional et international.

3. Le renforcement des capacitésFormer les acteurs nationaux et internationaux tra-vaillant auprès de personnes privées de liberté, en encourageant l’acquisition de connaissances et leur mobilisation en faveur de pratiques préventives.

Association pour la Prévention de la Torture (APT)

10, Route de Ferney, C.P. 137 1211 Genève 19 – Suisse

Tél: +41 22 919 21 70 – Fax: +41 22 919 21 80e-mail: [email protected] – site web: www.apt.ch

Center for Justice and International Law

Le Center for Justice and International Law (CEJIL) est une organisation de droits humains non-gouvernementale sans but lucratif, avec un statut consultatif auprès de l’Organisation des États américains (OEA) et des Nations Unies (NU), ainsi qu’un statut d’observateur auprès de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP).

La mission de CEJIL est de parvenir à la pleine et entière mise en œuvre de normes internatio-nales relatives aux droits humains par les États membres de l’OEA, en s’appuyant sur le sys-tème interaméricain de protection des droits humains (SIP). Pour accomplir sa mission et ses objectifs, CEJIL :

1) entame des procédures judiciaires dans des cas exemplaires et surveille leurs résul-tats ;

2) forme des défenseurs de droits humains et des représentants de gouvernements sur l’utilisation du SIP et de standards inter-nationaux de droits humains ; et

3) a crée une stratégie intégrale pour pré-coniser plus de transparence, de dialogue et d’efficacité de la protection des droits humains auprès de l’OEA, du SIP et des États membres.

L’approche adoptée par le CEJIL est centrée sur la victime. Cette organisation travaille en par-tenariat avec des défenseurs et des organisa-tions de défense des droits de l’homme afin de contribuer à la justice sociale. Crée en 1991 par un groupe de défenseurs éminents de droits humains américains, en ce moment CEJIL a des bureaux à Washington D.C., ÉU ; San Jose, Costa Rica ; Buenos Aires, Argentine et Rio de Janeiro, Brésil. En 2006-2007, CEJIL a mis en œuvre des activités dans 23 pays.

Center for Justice and International Law (CEJIL)

1630 Connecticut Ave., NW, Suite 401, Washington D.C. 20009 – 1053, U.S.A.

Tél. + 1 202 319 3000 – Fax +1 202 319 [email protected] – www.cejil.org

La Torture en Droit International

Guide de jurisprudence

La Torture en Droit International, guide de jurisprudence

Publié conjointement par l’Association pour la Prévention de la Torture (APT) et le Center for Justice and International Law (CEJIL) en 2008. Cette publication est traduit de l’anglais (version originale).

Pour des exemplaires de cette publication et des informations complémentaires, veuillez contacter :

Association pour la Prévention de la Torture (APT)C.P. 137, CH-1211 Genève 19, SuisseTél: + 41 22 919 2170 Fax: +41 22 919 [email protected] www.apt.ch

Center for Justice and International Law (CEJIL)1630 Connecticut Ave., NW, Suite 401, Washington D.C. 20009 – 1053, U.S.A.Tél. + 1 202 319 3000 Fax +1 202 319 [email protected] www.cejil.org

COPYRIGHT © 2008, Association pour la Prévention de la Torture (APT) et Center for Justice and International Law (CEJIL)

Tous droits réservés. Le contenu de cette publication peut être librement cité ou réimprimé, à condition de citer la source. Les demandes d’autorisation de reproduction et/ou de traduction de la publication doivent être adressées à l’APT et au CEJIL.

ISBN 978-2-940337-40-8

Conception graphique: minimum graphicsImprimé par: SRO-Kundig, Geneva

iii

Table des matièresAbbréviations viii

Avant-Propos ix

Introduction 1

Chapitre 1: Les Organes de Traités des Nations Unies 7

Introduction 8

1.1 Définitions 9

1.1.1 L’ICCPR et le Comité des droits de l’homme 9

1.1.1.1 L’article 7 de l’ICCPR 9

1.1.1.2 L’article 10 de l’ICCPR 11

1.1.2 L’UNCAT et le Comité contre la torture 13

1.1.2.1 « Une douleur ou des souffrances aiguës » infligées « intentionnellement » 15

1.1.2.2 But recherché 15

1.2 Les obligations des États parties 16

1.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés 16

1.2.2 Obligation de procéder à des enquêtes 19

1.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation criminalisant la torture 21

1.2.3.1 Compétence universelle 25

1.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitements 27

1.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procédurales 29

1.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimes 32

1.3 Champ d’application 34

1.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements 34

1.3.2 Les sanctions légitimes 35

1.3.2.1 La peine de mort 37

1.3.2.2 Les châtiments corporels 42

1.3.3 Conditions de détention 45

iv

1.3.4 Isolement cellulaire 47

1.3.5 Détention au secret et disparitions forcées 49

1.3.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’homme 52

1.3.7 Extradition et expulsion 53

1.3.7.1 Les assurances diplomatiques 58

Conclusion 61

Chapitre 2 : Le Système Régional Européen 63

Introduction 64

2.1 Définitions 63

2.1.1 Torture 64

2.1.2 Traitements inhumains 68

2.1.3 Traitements dégradants 69

2.2 Les obligations des États parties 72

2.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés 72

2.2.2 Obligation de procéder à des enquêtes 75

2.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation 78

2.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitements 79

2.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procédurales 80

2.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimes 82

2.3 Le champ d’application 82

2.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements 83

2.3.2. Les sanctions légitimes 85

2.3.2.1 La peine de mort 86

2.3.2.2 Les châtiments corporels 87

2.3.3 Conditions de détention 88

2.3.4. Isolement cellulaire 92

2.3.5 Détention au secret et disparitions forcées 93

2.3.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’homme 94

2.3.7 Extradition et expulsion 96

2.3.7.1 Les assurances diplomatiques 100

Conclusion 102

v

Chapitre 3 : Le Système Régional Interamericain 105

Introduction 106

3.1 Définitions 106

3.1.1 Torture 108

3.1.2 Traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants 111

3.1.3 Traitement humain des détenus 112

3.2 Les obligations des États parties 113

3.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés 114

3.2.2 Obligation de procéder à des enquêtes 117

3.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation 118

3.2.3.1 Compétence universelle 119

3.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitements 121

3.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procédurales 121

3.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimes 124

3.3 Champ d’application 125

3.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements 125

3.3.2 Les sanctions légitimes 127

3.3.2.1 La peine de mort 127

3.3.2.2 Les châtiments corporels 128

3.3.3 Conditions de détention 129

3.3.4 Isolement cellulaire 131

3.3.5 Détention au secret et disparitions forcées 132

3.3.6 Les proches de victimes de violations des droits de l’homme 135

3.3.7 Extradition et expulsion 136

3.3.7.1 Les assurances diplomatiques 137

Conclusion 138

Chapitre 4 : Le Système Régional Africain 139

Introduction 140

4.1 Définitions 140

4.1.1 La dignité 141

4.1.2 La torture 141

4.1.3 Les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants 143

vi

4.2 Les obligations des États parties 143

4.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés 144

4.2.2 Obligation de procéder à des enquêtes 147

4.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation criminalisant la torture 147

4.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitements 148

4.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procédurales 148

4.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimes 151

4.3 Champ d’application 152

4.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements 152

4.3.2 Les sanctions légitimes 154

4.3.2.1 La peine de mort 154

4.3.2.2 Les châtiments corporels 155

4.3.3 Conditions de détention 155

4.3.4 Isolement cellulaire 156

4.3.5 Détention au secret et disparitions forcées 157

4.3.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’homme 158

4.3.7 Extradition et expulsion 158

Conclusion 160

Chapitre 5 : Les Tribunaux Internationaux 161

Introduction 162

5.1 Définitions 163

5.1.1 Le critère relatif au but recherché 166

5.1.2 Les douleurs ou souffrances infligées intentionnellement 169

5.1.3 Le critère relatif aux actes commis à titre officiel 170

5.1.4 La distinction entre torture et autres mauvais traitements 173

5.1.4.1 Le traitement inhumain 174

5.1.4.2 Le traitement cruel 175

5.1.4.3 Atteintes à la dignité de la personne 177

5.1.4.4 Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé 179

vii

5.1.4.5 Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes 181

5.1.4.6 Autres actes inhumains 183

5.1.4.7 Résumé 186

5.1.5 Tortures et autres mauvais traitements relevant du crime de génocide 187

5.2 Champ d’application 189

5.2.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements 189

5.2.2 Les sanctions légitimes 190

5.2.2.1 La peine de mort 190

5.2.2.2 Châtiments corporels 190

5.2.3 Conditions de détention 191

5.2.4 Isolement cellulaire 192

5.2.5 Détention au secret et disparitions forcées 193

5.2.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’homme 193

5.3 La Cour pénale internationale 194

5.3.1 La torture en tant que crime contre l’humanité 195

5.3.2 La torture en tant que crime de guerre 196

Conclusion 97

Conclusion 199

Index des affaires 203

viii

AbbréviationsCharte africaine Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

CADH Convention américaine relative aux droits de l’homme

CADHP Commission africaine des droits de l’homme et des peuples

CAT Comité contre la torture

CEDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

CrEDH Cour européenne des droits de l’homme

CrIDH Cour interaméricaine des droits de l’homme

CIDH Commission interaméricaine des droits de l’homme

CPI Cour pénale internationale

CRC Comité des droits de l’enfant

CCPR Comité des droits de l’homme

IACPPT Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture

ICCPR Pacte international relatif aux droits civils et politiques

OEA Organisation des États américains

OPCAT Protocole facultatif se rapportant à l’UNCAT

TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda

TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

UNCAT Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

UNCRC Convention relative aux droits de l’enfant

ix

Avant-proposL’Association pour la prévention de la torture (APT) est une organisation non gouvernementale internationale qui milite dans le monde entier en faveur de la prévention de la torture et autres mauvais traitements. L’APT articule son action autour de trois objectifs complémentaires : des cadres juridiques effec-tifs, la transparence des institutions et le renforcement des capacités.

Le présent Guide représente l’aboutissement d’un projet lancé en 2002 avec la publication d’un Guide de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la torture et les mauvais traitements. Ce texte sert de base au chapitre 2 du présent Guide.

Le Center for Justice and International Law (CEJIL) est une organisation non gouvernementale régionale de défense des droits de l’homme dont la mission est de parvenir à la pleine et entière mise en œuvre des normes internationales relatives aux droits de l’homme par les États membres de l’Organisation des États américains. Le CEJIL s’appuie, pour ce faire, sur le système interamé-ricain de protection des droits de l’homme et sur d’autres mécanismes inter-nationaux de protection. L’approche adoptée par le CEJIL est centrée sur la victime. Cette organisation travaille en partenariat avec des défenseurs et des organisations de défense des droits de l’homme afin de contribuer à la justice sociale. Pour accomplir sa mission, le CEJIL entame des procédures judiciaires suite à de graves violations des droits de l’homme afin d’obtenir justice et répa-ration pour les victimes et de promouvoir la protection des droits de l’homme par le biais de changements dans les législations, les politiques et les pratiques nationales.

Le présent Guide résulte d’un travail collectif visant à faire en sorte que les normes juridiques internationales et régionales relatives à la prévention de la torture et autres mauvais traitements soient universellement respectées et appliquées. Les gouvernements, les représentants des professions juridiques et les acteurs de la société civile doivent savoir quels actes sont considérés comme de la torture ou des mauvais traitements et connaître toute la portée des enga-gements pris par les États en vue de prévenir les actes de torture, enquêter à leur sujet et les sanctionner. Ces normes doivent être systématiquement appliquées sur le plan international, régional et national afin de garantir une protection

x

égale pour tous. Ce Guide vise à répondre à des questions telles que : Quels sont les éléments constitutifs de la torture ? Qui doit être tenu pour responsable en cas de recours à des mauvais traitements ? Dans quels cas un État doit-il enquê-ter sur des allégations portant sur de telles atteintes aux droits de l’homme ? Comment les détenus doivent-ils être traités ?

L’APT et le CEJIL tiennent à remercier tout particulièrement l’auteur de cette publication, Emma Reilly, conseillère juridique à l’APT, qui a fourni une analyse éclairante de la jurisprudence des systèmes internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme. L’APT et le CEJIL souhaitent également remercier Ariela Peralta, Directrice adjointe du CEJIL, qui a exa-Ariela Peralta, Directrice adjointe du CEJIL, qui a exa-miné la jurisprudence du système interaméricain de protection des droits de l’homme et a apporté ses commentaires sur la version préliminaire de ce Guide. Nous sommes également très reconnaissants à Debra Long, Edouard Delaplace et Matt Pollard, anciens collègues de l’APT, de leurs contributions au texte de ce Guide et de leurs commentaires. Nous aimerions également remer-cier Silvio Flückiger, Caroline Fournet, Gulia Grazioli et Yann Ledochowski, anciens stagiaires à l’APT, pour les recherches préliminaires qu’ils ont faites dans le cadre de ce projet.

Mark Thomson Viviana Krsticevic Secrétaire général de l’APT Directrice exécutive du CEJIL

AV

AN

T-P

RO

PO

S

1

INT

RO

DU

CTIO

N

Introduction

2

INT

RO

DU

CTI

ON

Le droit international relatif aux droits de l’homme définit les limites du pou-voir des États sur les individus et impose aux États des obligations positives envers ces derniers. Les États signent et ratifient de leur plein gré des traités qui reconnaissent et garantissent les droits de tout individu et ils se soumettent au contrôle d’organes judiciaires ou quasi-judiciaires habilités à examiner des plaintes individuelles. Au 21e siècle, alors que très peu d’États reconnaissent ouvertement être responsables de violations des droits de l’homme, il est peut-être difficile d’imaginer la nature révolutionnaire des premiers traités relatifs aux droits de l’homme. Pour la première fois, le droit international ne régis-sait plus uniquement les relations entre États mais aussi celles liant les États et les individus. En ce qui concerne certains actes, les États ne pouvaient plus affirmer qu’aucune intervention extérieure n’était possible en raison de leur souveraineté territoriale. Le comportement des États sur le plan interne était désormais soumis à un contrôle extérieur.

À l’instar de l’esclavage ou du génocide, la prohibition de la torture est absolue en droit international. La torture n’est autorisée en aucun cas, y compris en cas de guerre, d’état d’exception ou de menace terroriste. Cette prohibition est si forte et universellement acceptée qu’elle constitue désormais un prin-cipe fondamental du droit international coutumier. Cela signifie que même les États qui n’ont ratifié aucun des traités internationaux interdisant explici-tement la torture ne peuvent y avoir recours contre qui que ce soit, où que ce soit. Cependant, il n’existe pas de forum au niveau international auprès duquel un individu peut déposer une plainte fondée uniquement sur une violation du droit international coutumier. Ainsi, ce type de violations n’entraîne souvent des conséquences que s’il existe une volonté politique parmi les autres États de se tenir mutuellement responsables de ces actes.1

L’étendue de l’ensemble des obligations incombant aux États en matière de pré-vention de la torture est, par conséquent, largement déterminée par les traités internationaux et les organes chargés de les interpréter. Au niveau interna-tional, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies et le Comité des Nations Unies contre la torture sont respectivement chargés d’interpréter les obligations incombant aux États aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention contre la torture. Si l’État en

1 Lorsqu’un recours est déposé par un État, la Cour internationale de justice a compétence pour apprécier si une violation du droit international coutumier a réellement été commise (article 38(1)(b), Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, T.S. 993, entré en vigueur le 24 octobre 1945, et incorporé à la Charte par l’article 92 de cette dernière).

3

INT

RO

DU

CTIO

N

question a reconnu la compétence de ces Comités en la matière, ces organes peuvent examiner des plaintes individuelles déposées contre cet État. Ces Comités ne sont pas des tribunaux, mais plutôt des organes quasi-judiciaires, ce qui signifie que leurs décisions, bien qu’importantes pour l’interprétation des traités, ne sont pas juridiquement contraignantes. Il existe également trois systèmes régionaux de protection des droits de l’homme : en Europe, dans les Amériques et en Afrique. Ces trois systèmes ont adopté un mécanisme de pro-tection des droits de l’homme constitué de deux organes : une Commission, qui est un organe quasi-judiciaire habilité à prendre des décisions et à émettre des recommandations, et une Cour qui est habilitée à rendre des arrêts juridi-quement contraignants. En 1999, suite à des réformes adoptées par le système européen de protection des droits de l’homme, la Commission européenne des droits de l’homme a été supprimée.

Le droit international n’existe pas dans un vide déconnecté de la réalité. Les juges siégeant dans les Cours et les membres des Comités et des Commissions, qui interprètent les traités, sont également des membres de la société et les attitudes au sein de celle-ci évoluent avec le temps. Avec l’élaboration d’une culture des droits de l’homme, le terme de « torture » recouvre désormais des actes qui n’avaient peut-être pas été envisagés par les rédacteurs des premières déclarations et traités dans lesquelles ce terme était mentionné. Il faut saluer cette évolution. Comme cela a été souligné dans le Commentaire des Conven-tions de Genève publié par le CICR, une définition stricte énumérant chaque acte prohibé n’aboutirait qu’à tester l’ingéniosité apparemment sans fin des tortionnaires plutôt que de fournir à leurs victimes une protection effective.2

Les organes internationaux et régionaux se nourrissent de plus en plus de leurs jurisprudences respectives et s’inspirent des experts indépendants et des organes d’experts, bâtissant ainsi un corpus de droit international plus systé-matique et cohérent. Ils se réfèrent, en particulier, aux rapports et conclusions du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture.3 Pour ne prendre qu’un exemple significatif, la reconnaissance au niveau international du fait que le viol constitue un acte de torture trouve son origine dans les déclarations publiées

2 CICR, Commentaire des Conventions de Genève, Convention IV, Comité international de la Croix-Rouge, Genève, 1958 (réimprimé 1994), pp. 38–39.

3 Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture est un expert indépendant dont le mandat a été créé en 1985 par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Son mandat a été prorogé par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui a remplacé la Commission des droits de l’homme en 2006. Le Rapporteur spécial peut examiner des cas individuels mais ses opinions et recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes et sont trop souvent ignorées par les États.

4

INT

RO

DU

CTI

ON

par le Rapporteur spécial sur la torture.4 Ces déclarations ont été prises en compte, en 1996, par la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Martí de Mejía c. Pérou. La Commission interaméricaine est ainsi devenue le premier organe régional à reconnaître explicitement que le viol pouvait constituer un acte de torture.5 L’année suivante, la Cour européenne a fait de même dans l’affaire Aydin c. Turquie.6 Les communications soumises à cette Cour par Amnesty International incluaient des références à la décision de la Commission interaméricaine ainsi qu’aux rapports du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, et elles mentionnaient également le fait que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) avait inculpé des individus pour torture en se fondant sur des allégations indiquant que ceux-ci avaient violé des femmes détenues.7 En 1998, le TPIY, à son tour, s’est référé aux décisions de la Cour européenne et de la Commission interaméricaine afin de conclure que le viol constituait un acte de torture.8 La même année, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a également conclu que le viol constituait un acte de torture,9 et, en 2000, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a, elle aussi, spécifiquement conclu que le viol pouvait être quali-fié de torture ou autre traitement cruel, inhumain ou dégradant.10

Le présent Guide de la jurisprudence internationale sur la torture et autres formes de mauvais traitements vise à fournir, à la fois aux experts et aux per-sonnes qui sont moins familières avec le droit international, une vue d’en-semble de la définition de la torture, des obligations incombant aux États en la matière, du champ d’application de cette prohibition ainsi que des règles de droit pénal international relatives à la responsabilité individuelle pour crimes de torture. Les quatre premiers chapitres traitent du droit international et régional applicable aux États au sein des systèmes onusien, européen, inter-américain et africain. Pour faciliter le travail de comparaison, ces chapitres

4 Voir, par exemple, le Rapport du Rapporteur spécial sur la torture publié en 1986, Doc. ONU E/CN.4/1986/15, §119 ; ou sa déclaration à la Commission des droits de l’homme de 1992 pré-cisant spécifiquement que le viol constitue un acte de torture, Compte rendu analytique de la 21e séance de la Commission des droits de l’homme, Doc. ONU E/CN.4/1992/SR.21, §35.

5 Martí de Mejía c. Pérou, CIDH, Affaire 10970, Rapport N°5/96, 1 mars 1996.6 Aydin c. Turquie, N°. 23178/94, Recueil 1997-VI, arrêt du 25 septembre 1997.7 Ibid., §51.8 Le Procureur c. Delalić et autres (Affaire Čelebići), Affaire No. IT-96-21, TPIY, Chambre de

première instance II, jugement du 16 novembre 1998; Le Procureur c. Furundžija, Affaire N°IT-95-17/1, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 10 décembre 1998.

9 Le Procureur c. Akayesu, Affaire No. ICTR-96-4-T, TPIR, Chambre de première instance I, jugement du 2 septembre 1998.

10 Malawi African Association et autres c. Mauritanie, CADHP, Communication N°s 54/1991, 61/1991, 98/1993, 164/1997 à 196/1997 et 210/1998, 27e session, 27 avril–11 mai 2000.

5

INT

RO

DU

CTIO

N

ont une même structure, ce qui reflète également les références réciproques qui ne cessent d’enrichir ces systèmes. Le cinquième chapitre traite de la respon-sabilité pénale individuelle pour crime international de torture, en examinant la jurisprudence des deux tribunaux pénaux internationaux ad-hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ainsi que le statut de la Cour pénale internationale.

Enfin, il ne faut pas oublier que, bien que la prohibition juridique de la torture soit solidement établie, la réalité doit encore se conformer à la stricte lettre de la loi. De plus, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes non judiciaires pour faire en sorte que les agents de l’État ne recourent pas à la torture ou ne tolèrent pas son usage et pour veiller à ce que les violations soient décelées et que les victimes reçoivent des soins et se voient accorder des réparations.

7

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1Les Organes de Traités des Nations Unies

Introduction 8

1.1 Définitions 9

1.2 Les obligations des États parties 16

1.3 Champ d’application 34

Conclusion 61

1

8

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

IntroductionL’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 énonce que «  nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».11 Cet article est généralement considéré comme reflétant une norme de droit international coutumier. Dans le cadre juridique élaboré par les Nations Unies, la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont explicitement prohibés aux termes d’un certain nombre de traités internationaux, qui sont juridiquement contraignants pour les États qui les ont ratifiés.12 De nombreux traités ont mis en place des Comi-tés, connus sous le nom générique d’organes de traités. Ces Comités sont char-gés de veiller à ce que les États parties respectent leurs obligations aux termes de ces traités. Ces organes accomplissent leur mission en publiant des Obser-vations générales ou des Recommandations qui fournissent une interprétation approfondie de certains aspects spécifiques du traité concerné. Certains de ces organes sont habilités à se prononcer également sur des plaintes individuelles, à condition que l’État concerné ait fait une déclaration reconnaissant leur compétence en la matière.

L’objectif du présent chapitre est d’analyser la définition de la torture appliquée au sein du système des Nations Unies, en examinant les Observations géné-

11 Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217A (III), Doc. ONU A/810, à 71, (1948).

12 La torture et les autres formes de mauvais traitements sont prohibées notamment aux termes des textes suivants  : Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), Rés. AG 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (N°16) à 52, Doc. ONU A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. à 171, entré en vigueur le 23 mars 1976 ; la Convention contre torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT), Rés. AG 39/46, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (N°51) à 197, Doc. ONU A/39/51 (1984), entrée en vigueur le 26 juin 1987 ; Article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant, Rés. AG 44/25, annexe, 44 U.N. GAOR Supp. (N°49) à 167, Doc. ONU A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990 ; Article 10 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Rés. AG 45/158, annexe, 45 Doc. ONU GAOR Supp. (N°49A) à 262, Doc. ONU A/45/49 (1990), entrée en vigueur le 1er juillet 2003 ; et l’article 15 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, Rés. AG A/61/611 (2006). De plus, l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de dis-crimination raciale, 660 U.N.T.S. 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, prévoit que chacun a « droit à la sûreté de la personne et à la protection de l’État contre les voies de fait ou les sévices ». Par ailleurs, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a déclaré que « la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits indi-viduels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme [notamment le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants], constitue une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention [sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes] », (CEDAW, Recommandation générale, N°19, §7).

9

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

rales et la jurisprudence de ces organes de traités, en particulier le Comité des droits de l’homme (CCPR), qui veille au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR),13 et le Comité contre la torture (CAT), qui veille au respect de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT).14

Le présent chapitre se divise en trois parties. La première partie contient une analyse des éléments requis pour qu’un acte puisse être qualifié de torture ou autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. La deuxième partie examine les obligations incombant aux États parties aux termes des princi-paux traités. La troisième partie analyse le champ d’application de ces obliga-tions. Afin de faciliter un travail de comparaison, cette structure sera reprise dans les chapitres 2 à 4 qui portent sur les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme.

1.1 DéfinitionsÀ la différence des organes régionaux, dont la jurisprudence sera examinée dans les chapitres suivants, ni le Comité des droits de l’homme ni le Comité contre la torture n’ont estimé nécessaire d’établir des distinctions nettes entre la torture et les autres mauvais traitements prohibés.

1.1.1 L’ICCPR et le Comité des droits de l’hommeLe Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (ICCPR) a été le premier traité universel des droits de l’homme à inclure explicitement la prohibition de la torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.15 Cette prohibition vise à protéger aussi bien la dignité que l’inté-grité physique et mentale de l’individu.16 Les deux dispositions particulière-ment pertinentes en la matière sont les articles 7 et 10 de l’ICCPR.

1.1.1.1 L’article 7 de l’ICCPRL’article 7 de l’ICCPR prévoit que :

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhu-mains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. »

13 Le CCPR a été créé aux termes de l’article 28 de l’ICCPR.14 Le CAT a été créé aux termes de l’article 17 de l’UNCAT.15 Aux fins de ce chapitre, le terme « traitement » couvre également la notion de « peine ».16 CCPR, Observation générale N°20, « Interdiction de la torture et des peines ou traitements

cruels, inhumains ou dégradants » (1992) §2, in Doc. ONU HRI/GEN/1/Rev.7.

10

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Tout en les interdisant de manière absolue, l’article  7 ne contient pas une définition des actes prohibés. Dans son Observation générale sur l’article 7, le CCPR a déclaré qu’il n’estimait pas nécessaire d’établir une liste des actes interdits ni de fixer des distinctions nettes entre la torture et les autres formes de mauvais traitements interdits. Ce Comité a, toutefois, précisé que « ces dis-tinctions dépendent de la nature, du but et de la gravité du traitement infligé ».17 Par conséquent, dans sa jurisprudence, le CCPR ne précise souvent pas quel aspect de cette interdiction a fait l’objet d’une infraction, constatant simple-ment l’existence d’une violation de l’article 7.

Le CCPR a indiqué que le fait de déterminer si un traitement particulier consti-tuait une violation de l’article 7 « dépend de toutes les circonstances, par exemple la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques et mentales ainsi que le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime ».18 Des facteurs tels que l’âge et la santé mentale de la victime peuvent donc aggraver l’effet d’un traitement infligé de sorte que celui-ci peut relever du champ d’application de l’article 7. Cependant, il ne suffit pas que le traitement soit susceptible d’entraî-ner des effets néfastes sur le plan physique ou mental ; il faut prouver que cela a été le cas dans un cas d’espèce donné.19

La deuxième phrase de l’article 7 vise à faire en sorte que cette prohibition soit comprise comme incluant toute expérience médicale ou scientifique conduite en l’absence du libre consentement de la personne concernée. Cette prohibi-tion spécifique était une réaction aux atrocités commises par des médecins dans les camps de concentration nazis durant la Seconde guerre mondiale. À cet égard, le Comité a déclaré qu’il était nécessaire d’assurer une protection spéciale aux personnes qui ne sont pas en mesure de donner un consentement valable, en particulier celles qui sont privées de liberté, lesquelles ne doivent faire l’objet d’aucune expérience médicale ou scientifique qui puisse porter atteinte à leur santé.20

À la différence de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT), qui sera examinée infra, l’ICCPR ne requiert aucun niveau de participation ou de consentement tacite d’un agent de l’État pour qu’un acte puisse être qualifié de torture ou de mauvais traitements. Le CCPR précise que « l’État partie a

17 Ibid., §4.18 Vuolanne c. Finlande, CCPR, Communication N°265/1987, 7 avril 1989, §9.2.19 Ibid.20 Ibid., §7.

11

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

le devoir d’assurer à toute personne, par des mesures législatives ou autres, une protection contre les actes prohibés par l’article 7, que ceux-ci soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé ».21

1.1.1.2 L’article 10 de l’ICCPRL’article 10(1) de l’ICCPR stipule que :

« Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le res-pect de la dignité inhérente à la personne humaine. »

Pour les personnes privées de leur liberté, l’article 10 complète la prohibition de la torture et autres mauvais traitements. Non seulement les détenus ne doivent pas être soumis à des traitements contraires à l’article 7, mais ils ont également un droit positif à être traités avec respect. Cette disposition implique que les détenus « ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté ; le respect de leur dignité doit être garanti à ces personnes de la même manière qu’aux personnes libres ».22 Elle couvre donc des formes de traitement dont le caractère ne serait pas suffisamment grave pour être qualifié de cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 7.23

D’après la jurisprudence du CCPR, il semble que ce Comité a tendance à appli-quer l’article 10(1) aux conditions générales de détention, en réservant l’ar-ticle 7 aux situations dans lesquelles l’intégrité personnelle d’un individu est l’objet d’atteintes spécifiques.24 Par exemple, dans l’affaire Kennedy c. Trinidad et Tobago, le Comité a estimé que les coups dont a fait l’objet le requérant, alors qu’il se trouvait en garde à vue, constituait une violation de l’article 7, tandis que les conditions générales dans lesquelles il a été détenu et qui étaient mar-quées par une surpopulation au cours de sa détention préventive, et par un placement à l’isolement dans le couloir de la mort, constituaient une violation de l’article 10(1).25 Par ailleurs, pour soutenir qu’il y a eu violation de l’article 7,

21 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §2.22 CCPR, Observation générale N°21, « Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec

humanité » (1992), §3, in Doc. ONU HRI/GEN/1/Rev.7.23 En dépit de ce seuil de gravité moins élevé et, bien que l’article 10 dans son ensemble ne soit pas

inclus dans la liste des droits non-dérogeables figurant dans l’article 4 de l’ICCPR, le CCPR a, néanmoins, conclu que l’article 10(1) exprimait une norme de droit international général et ne pouvait pas faire l’objet d’une dérogation. Voir CCPR, Observation générale N°29, Déroga-tions en période d’état d’urgence, §13(a), in Doc. ONU HRI/GEN/1/Rev.7.

24 Manfred Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary, 2e édition révisée, NP Engel, Strasbourg, 2005, p. 250.

25 Kennedy c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°845/1998, 26 mars 2002, §§7.7–7.8. Dans cette affaire, le requérant a été maintenu en détention provisoire durant un total de quar-

12

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

un détenu doit démontrer qu’il a été soumis à des traitements pires que ceux réservés aux autres détenus. Dans l’affaire Pinto c. Trinidad et Tobago, le requé-rant s’est plaint des conditions de détention déplorables mais il n’a « pas fourni de détails sur la manière dont il était traité, si ce n’est relativement aux condi-tions de détention également imposées à tous les prisonniers ».26 Le CCPR a, par conséquent, conclu qu’il n’y avait pas, en l’espèce, violation de l’article 7.27 Par contre, dans l’affaire Mukong c. Cameroun, le fait que le requérant ait «  fait particulièrement l’objet d’un traitement exceptionnellement dur et dégradant », ayant été « détenu au secret, menacé de torture et de mort et intimidé, privé de nourriture et laissé enfermé dans sa cellule plusieurs jours sans possibilité de promenade » a conduit le Comité à conclure à une violation de l’article 7.28

On peut soutenir qu’une violation de l’article 7 relative à une personne pri-vée de liberté implique automatiquement une violation de l’article 10(1). Par exemple, dans l’affaire Linton c. Jamaïque, le Comité a estimé que « les bru-talités dont l’auteur a été victime (…), le simulacre d’exécution mis au point par les gardiens de la prison et le fait de ne pas l’avoir convenablement soigné pour les blessures qu’il a reçues au cours de sa tentative d’évasion avortée (…) constituent un traitement cruel et inhumain au sens de l’article 7 du Pacte et, par conséquent, constituent aussi une violation du paragraphe 1 de l’article 10 ».29

Si la jurisprudence du CCPR permet de dégager certaines tendances générales, de nombreux chevauchements subsistent dans l’application par le Comité des articles 7 et 10(1). Dans certains cas, les conditions générales de détention sont si déplorables qu’elles atteignent le seuil de gravité requis pour être qualifiées

ante-deux mois en compagnie de cinq à dix autres détenus dans une cellule mesurant 2 mètres sur 3. Après son procès, il a été détenu durant près de huit ans dans le couloir de la mort et, au cours de cette période, il a été placé à l’isolement dans une petite cellule sans accès à la lumière naturelle et sans sanitaires si ce n’est un seau hygiénique. Il n’était autorisé à quitter sa cellule qu’une fois par semaine et recevait uniquement de la nourriture totalement inadaptée qui ne prenait pas en compte ses besoins diététiques spécifiques.

26 Pinto c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°512/1992, 16  juillet 1996, §8.3. Le CCPR n’a pas effectué de constatation de fait quant aux conditions de détention dans cette affaire.

27 Dans cette affaire, le Comité n’a pas spécifiquement précisé si les conditions de détention con-stituaient une violation de l’article 10(1), bien qu’il ait conclu que cette disposition avait été violée eu égard à d’autres allégations. Ibid.

28 Mukong c. Cameroun, CCPR, Communication N°458/1991, 21 juillet 1994, §9.4.29 Linton c. Jamaïque, CCPR, Communication N°255/1987, 22 octobre 1992, §8.5. Voir aussi Bai-

ley c. Jamaïque, CCPR, Communication N°334/1988, 31 mars 1993, §9.3 : « À son avis, le fait que M. Bailey ait été frappé à plusieurs reprises à coups de matraque, de tuyaux de fer et de gour-dins puis que, bien que blessé à la tête et aux mains, il n’ait pas été soigné constitue un traitement cruel et inhumain au sens de l’article 7 du Pacte et, partant, une violation du paragraphe 1 de l’article 10 ».

13

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

de violations de l’article 7, tandis que, dans d’autres cas, des infractions à l’ar-ticle 10(1) ont été constatées lorsque des individus ont fait l’objet d’agressions spécifiques.30

1.1.2 L’UNCAT et le Comité contre la tortureEn 1984, afin de décrire les mesures spécifiques à prendre pour lutter contre la torture, l’UNCAT a défini la torture de la manière suivante :

« tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notam-ment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la dou-leur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhé-rentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».31

L’UNCAT fait également obligation aux États de prévenir «  d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».32 Cependant, l’UNCAT ne fournit pas de définition de ces actes. Le Comité contre la torture a lui-même reconnu que « dans la pratique, la ligne de démarcation entre les mauvais traitements et la torture est souvent floue ».33

Cependant, le Rapporteur spécial sur la torture a estimé qu’une «  analyse approfondie des travaux préparatoires de l’article  1er et de l’article  16 de la Convention contre la torture, ainsi qu’une interprétation systématique de

30 Voir, par exemple, Walker et Richards c. Jamaïque, CCPR, Communication N°639/1995, 28 juillet 1997. Dans cette affaire, le requérant n’a pas allégué de violation de l’article 7 eu égard aux coups.

31 Article premier de l’UNCAT.32 Article 16 de l’UNCAT.33 CAT, Observation générale N°2, « Application de l’article 2 par les États parties », Doc. ONU

CAT/C/GC/2/CRP.1/Rev.4 (23 novembre 2007), §3. Il convient de noter que cette absence de distinction claire peut poser problème eu égard aux obligations de l’État qui ne s’appliquent qu’à la torture et non aux autres actes de mauvais traitements. Voir partie 1.2.3, infra.

14

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

ces deux dispositions à la lumière de la pratique du Comité contre la torture conduisent à conclure que les critères décisifs à retenir pour distinguer la torture des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants devraient être le but de l’acte et l’état d’impuissance de la victime plutôt que l’intensité de la dou-leur ou des souffrances infligées ».34 Le Rapporteur spécial considère que, si la torture est prohibée en toutes circonstances, les circonstances dans lesquelles d’autres formes de traitements sont perpétrées doivent permettre de détermi-ner si ces actes peuvent être qualifiés de cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’UNCAT. Si le recours à la force est légal (en vertu du droit interne) et s’il poursuit un objectif légitime, et si la force est utilisée de manière non excessive et s’avère nécessaire pour atteindre cet objectif (à savoir si cet usage de la force est proportionné), il ne sera alors généralement pas qualifié comme traitement cruel, inhumain ou dégradant.35 Cependant, dans une situation de détention ou de contrôle direct similaire, la question de l’évaluation de la proportionnalité ne se pose pas et toute forme de pression ou de contrainte physique ou mentale constitue à tout le moins un traitement cruel, inhumain, ou dégradant.36

Il existe un élément commun dans les définitions de la torture et des autres formes de mauvais traitement selon l’UNCAT, à savoir que tous ces actes doivent impliquer un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel (cette disposition est examinée en détail dans la par-tie  1.2.1. infra). Cependant, aux termes de l’UNCAT, un traitement cruel, inhumain ou dégradant n’est pas assimilé à un acte de torture, soit parce qu’il ne poursuit pas les mêmes buts que ceux visés par la torture ou qu’il n’est pas commis de manière intentionnelle ou encore parce que l’intensité de la dou-leur ou des souffrances n’est pas suffisamment « aiguë » au sens de l’article premier de cette Convention. Il est dès lors intéressant d’analyser plus en détail ces aspects de la définition de la torture selon l’article 1.

34 Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Manfred Nowak, Doc. ONU E/CN.4/2006/6 (23 décembre 2005), §39.

35 Manfred Nowak et Elizabeth McArthur, « The distinction between torture and cruel, inhu-man or degrading treatment », Torture, Vol. 16, N°3, 2006, pp. 147–151. Les « objectifs légi-times  » incluent le fait de procéder à une arrestation légale, d’empêcher l’évasion d’une personne légalement détenue, de réagir en état de légitime défense, de défendre une personne contre des violences illégitimes et de réprimer légalement une émeute ou une insurrection.

36 Ibid.

15

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

1.1.2.1 « Une douleur ou des souffrances aiguës » infligées « intentionnellement »La définition de la torture figurant dans l’UNCAT ne couvre pas uniquement des actions mais également des omissions.37 De nombreux auteurs ont conclu que le dol éventuel (recklessness), mais non la négligence, pourrait suffire pour satisfaire le critère de l’élément intentionnel requis par cette définition de la torture. Cependant, il semble qu’au moins un membre du CAT ne soit pas de cet avis. En 2007, lors de l’examen du rapport soumis par le Danemark, M. Grossman a demandé à la délégation danoise de confirmer son interprétation selon laquelle, aux termes du Code pénal militaire danois, la négligence ne pouvait pas servir de base à l’engagement de poursuites pénales dans les cas d’actes de torture et il a demandé quel était le motif de cette exclusion, étant donné que la négligence était, par ailleurs, « une composante subjective bien établie de responsabilité pénale ».38 Il est, pour l’heure, difficile de déterminer dans quelle mesure les autres membres du CAT approuvent cette analyse.

L’évaluation du caractère aigu d’une douleur ou de souffrances physiques ou mentales comprend un élément subjectif. Lorsque l’agent de l’État, qui inflige une douleur ou une souffrance ou qui consent tacitement à ce que celle-ci soit infligée, est conscient du fait que la victime est particulièrement vulnérable, il est possible que des actes qui, dans d’autres cas, n’auraient pas atteint le seuil de gravité nécessaire pour être constitutifs de torture, pourrait alors l’atteindre.39 Il faut se rappeler que la torture purement mentale est incluse dans la définition et que, par conséquent, la menace de torture peut être assimilée de la torture psychologique.40

1.1.2.2 But recherchéLa liste des buts recherchés, figurant dans l’article premier de l’UNCAT, n’est pas exhaustive; les termes « aux fins notamment de » indique que cette liste

37 Voir Nigel Rodley et Matt Pollard, « Criminalisation of Torture: State Obligations under the United Nations Convention against Torture » [2006] E.H.R.L.R N°2, p. 115, p. 120. Voir aussi, par exemple, CAT, Observations finales sur le Chili, Doc. ONU CAT/C/CR/32/5 (14 juin 2004), §§6(j) et 7(m), dans lesquelles le Comité a recommandé que le Chili cesse de refuser de fournir des soins médicaux d’urgence aux femmes souffrant de complications dues à des avortements illégaux lorsque celles-ci ne révèlent pas les noms des personnes qui ont pratiqué ces avorte-ments.

38 Examen du Danemark, CAT, Compte rendu analytique de la 757e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.757 (8 mai 2007), §35.

39 Ceci est implicite dans l’affaire Dzemajl et al c. Yougoslavie, CAT, Communication N°161/2000, 21 novembre 2002, §9.2.

40 Ceci est bien établi. Voir, par exemple, CAT, Rapport sur l’Argentine, Doc. ONU A/45/44, 1990, §154.

16

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

peut comprendre d’autres buts similaires. Le point commun entre ces diffé-rents buts pourrait peut-être se résumer à un certain lien entre les intérêts ou les politiques de l’État et de ses organes.41 Une douleur ou des souffrances suf-fisamment aiguës infligées par un agent de la fonction publique de manière purement sadique, mais sans autre but, sembleraient, par conséquent, être exclues de la définition de la torture. Cependant, il est probable qu’un tel com-portement relèverait du champ d’application de l’article 1 de l’UNCAT s’il était accompagné d’un élément additionnel consistant à infliger une punition ou une intimidation, et s’il était commis avec le consentement tacite de l’État.42

1.2 Les obligations des États parties1.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés– ICCPRLa prohibition de la torture et autres mauvais traitements selon l’ICCPR s’ap-plique indépendamment du fait que ces actes soient « commis par des agents publics ou d’autres personnes agissant comme tels ou par des particuliers » et « que ce soit en encourageant, en ordonnant, en tolérant ou en perpétrant des actes prohibés ».43 Par conséquent, la prohibition des mauvais traitements ne crée pas uniquement une obligation négative imposant aux agents de l’État de ne pas se livrer à ce type de traitements. L’État a également l’obligation positive de protéger les personnes se trouvant sous sa juridiction contre les actes com-mis par des particuliers.44

– UNCATL’UNCAT spécifie que, pour être qualifiées de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, la douleur ou la souffrance doivent être infli-gées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Cette disposition implique que les États ne sont généralement pas tenus res-ponsables des actes commis hors de leur contrôle. Cependant, ils peuvent être tenus responsables d’actes de torture commis par des particuliers s’ils ne réa-

41 Burgers et Danelius, The United Nations Convention against Torture, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1988, p. 119.

42 Ibid. Voir également les parties 1.1.2.1 et 1.2.1 du présent Guide.43 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §13.44 Voir aussi CCPR, Observation générale N°31, La nature de l’obligation juridique générale

imposée aux États parties au Pacte, Doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (26 mai 2004), §8.

17

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

gissent pas de manière adaptée ou s’ils ne prennent pas des mesures générales et spécifiques afin de les prévenir.

La jurisprudence du CAT semble indiquer que c’est uniquement en cas d’ab-sence de tout contrôle gouvernemental de jure que le Comité reconnaît comme agents de l’État des personnes détenant un pouvoir de facto. Lorsqu’une région est contrôlée de facto par une faction qui ne bénéficie pas du soutien du gouver-nement, les actes commis par les membres de cette faction ne relèvent pas de la définition de la torture adoptée à l’article premier de la Convention.45 Ainsi, dans l’affaire G.R.B. c. Suède,46 le Comité a estimé que les mauvais traitements susceptibles d’être infligés par le Sendero luminoso (Sentier lumineux), entité non étatique contrôlant d’importantes parties du Pérou, ne pouvaient pas être qualifiés de torture au sens de l’article premier de l’UNCAT. Par contre, dans l’affaire Elmi c. Australie,47 le Comité a estimé que, dans la circonstance exceptionnelle d’une absence totale d’autorité étatique (la Somalie n’ayant pas, à l’époque, de gouvernement central), les actes commis par des groupes exer-çant une autorité quasi-gouvernementale pouvaient relever de la définition de l’article premier. Si cette décision a conduit certains auteurs à estimer que le Comité appliquerait désormais une définition plus large de la notion d’« agents de la fonction publique » dans un nombre plus important de circonstances, de tels espoirs ont été déçus trois ans plus tard lors de l’examen de l’affaire H.M.H.I. c. Australie.48 Entretemps, un gouvernement national de transition avait été formé en Somalie et, bien que des doutes subsistaient quant à l’éten-due et à la pérennité de son pouvoir territorial, le Comité a estimé que les actes commis par des entités autres que celles agissant sous l’autorité ou avec le consentement du nouveau gouvernement ne relèveraient pas de la définition de la torture au sens de l’article premier.49

45 Il est important de rappeler que l’article premier de l’UNCAT spécifie également que la défini-tion de la torture s’applique « sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large ». Par conséquent, le fait que des actes soient perpétrés par des personnes qui ne sont pas (de jure ou de facto) des agents de la fonction publique ne signifie pas que ces actes ne puissent pas être qualifiés de « torture » aux termes d’autres traités ou lois.

46 G.R.B. c. Suède, CAT, Communication N°83/1997, 15 mai 1998, §6.5. Voir également, M.P.S. c. Australie, CAT, Communication N°138/1999, 30 avril 2002, §7.4 ; SV et consorts c. Canada, CAT, Communication N°49/1996, 15 mai 2001, §9.5.

47 Elmi c. Australie, CAT, Communication N°120/1998, 14 mai 1999, §6.5.48 H.M.H.I. c. Australie, CAT, Communication N°177/2001, 1er mai 2002.49 Ibid., §6.4. Dans l’affaire Y.H.A. c. Australie, cette question a également été soulevée par le

requérant mais n’a pas été spécifiquement abordée par le CAT, voir CAT, Communication N°162/2000, 23 novembre 2001.

18

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Dans l’affaire Dzemajl et al c. Yougoslavie, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si l’absence de réaction adéquate d’un État partie face à des actes de torture commis par des particuliers pouvait constituer un « consentement tacite » aux termes de l’UNCAT.50 Dans cette affaire, la police, bien que pré-sente sur les lieux, n’était pas intervenue afin d’empêcher la destruction d’un campement de Roms. Le Comité a estimé que cette absence de réaction consti-tuait un consentement tacite au sens de l’article 16 de l’UNCAT, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants.51 Dans sa décision, le Comité a souligné qu’il avait déjà exprimé, à l’égard d’autres États, son inquiétude face aux informations indiquant que la police et des responsables de l’applica-tion des lois n’avaient pas assuré une protection adéquate contre des attaques racistes.52 Cette décision confirme le fait que lorsqu’un État ne prend pas de mesures afin de prévenir des actes de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou s’il ne poursuit pas en justice des particuliers responsables de ces actes, un tel comportement peut constituer un consente-ment tacite et donner lieu à une obligation de rendre des comptes aux termes de l’UNCAT.

Le CAT a clarifié davantage la nature et l’étendue de la responsabilité de l’État en cas d’actes de torture ou de mauvais traitements commis par des acteurs non étatiques dans sa récente Observation générale N°2. Reconnaissant que l’indifférence ou l’inaction de l’État pouvaient encourager et/ou permettre de fait la perpétration d’actes de torture et de mauvais traitements, le CAT a déclaré que « si les autorités de l’État ou toute autre personne agissant à titre offi-ciel ou au nom de la loi savent ou ont des motifs raisonnables de penser que des actes de torture ou des mauvais traitements sont infligés par des acteurs non-éta-tiques ou du secteur privé et n’exercent pas la diligence voulue pour prévenir de tels actes, mener une enquête ou engager une action contre leurs auteurs afin de les punir conformément à la Convention, l’État partie est tenu pour responsable et ses agents devraient être considérés comme les auteurs, les complices ou les responsables d’une quelconque autre manière, en vertu de la Convention, pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à la commission d’actes interdits ».53 Le Comité a en particulier attiré l’attention sur l’application de ce principe en

50 Dzemajl et al c.Yougoslavie (2002), op. cit.51 Ibid., §9.2.52 Le CAT a fait référence à cette question dans ses Observations finales sur le rapport initial

de la Slovaquie, Doc. ONU A/56/44 (2001), §104; Observations finales sur le second rapport périodique de la République tchèque, Doc. ONU A/56/44 (2001), §113 ; et Observations finales sur le second rapport périodique de la Géorgie, Doc. ONU CAT/56/44 (2001), §81.

53 CAT, Observation générale N°2, §18.

19

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

ce qui concerne la violence fondée sur le genre, notamment le viol, la violence domestique, les mutilations génitales féminines et la traite des êtres humains.54

1.2.2 Obligation de procéder à des enquêtesAux termes de l’UNCAT et de l’ICCPR, les États parties ont l’obligation d’en-quêter sur les allégations de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

– UNCATL’article 12 de l’UNCAT précise que :

« Tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immé-diatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raison-nables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. »

Cette obligation de procéder à des enquêtes est complétée par l’article  13, qui prévoit que tout individu a le droit de porter plainte devant les autorités compétentes et que l’État doit prendre des mesures afin d’assurer la protec-tion du plaignant ainsi que des témoins contre tout risque de représailles. Les articles 12 et 13 s’appliquent également aux traitements cruels, inhumains et dégradants.55

Si le Comité n’a pas donné d’avis spécifique quant au temps maximum qui doit s’écouler entre l’apparition des soupçons de mauvais traitements et le lance-ment ou la conclusion de l’enquête, il a souligné, dans l’affaire Blanco Abad c. Espagne, que «  la rapidité est essentielle autant pour éviter que la victime continue de subir les actes prohibés que parce que, à moins que les tortures n’en-traînent des effets permanents et graves, d’une façon générale, selon les méthodes employées, les marques physiques de la torture et, à plus forte raison, des trai-tements cruels, inhumains ou dégradants, disparaissent à brève échéance ».56 Dans cette affaire, le Comité a estimé qu’une période de dix-huit jours séparant les premières informations faisant état de mauvais traitements et l’ouverture d’une enquête, était trop longue.

L’obligation qui incombe à l’État de garantir une enquête rapide et impartiale ne dépend pas du dépôt d’une plainte formelle par la victime. En effet, il suffit

54 Ibid.55 Article 16 de l’UNCAT.56 Blanco Abad c. Espagne, CAT, Communication N°59/1996, 14 mai 1998, §8.2.

20

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

qu’une victime ait affirmé avoir été torturée,57 ou qu’il existe d’autres motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitements ait été commis, quelle que soit l’origine de ce soupçon.58

De plus, l’enquête doit être efficace, elle doit être menée par des personnes qua-lifiées59, et « viser à la fois à déterminer la nature et les circonstances des faits dénoncés autant que l’identité des personnes qui peuvent être impliquées ».60 Au moins lorsque cela est nécessaire pour garantir le droit à une réparation, la victime présumée doit être informée de la conclusion de l’enquête.61

– ICCPRL’article 2(1) de l’ICCPR fait obligation aux États de garantir à tous les indi-vidus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, et l’article 2(3) prévoit que les personnes dont les droits ont été violés doivent bénéficier d’un recours utile, ces droits devant être déter-minés par les autorités compétentes en la matière. Lues conjointement avec l’article 7, ces dispositions signifient que « les plaintes [relatives à des mauvais traitements] doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes ».62 De plus, le droit de déposer plainte pour mauvais traitements doit être reconnu dans le droit interne de l’État partie.63 Le CCPR a conclu que l’ouverture d’une enquête ne doit pas dépendre du dépôt d’une plainte mais doit être initiée dès qu’il existe des motifs de croire que des mauvais traite-ments ont été commis.64

Les enquêtes menées par l’État doivent être effectives. Dans l’affaire Fuenza-lida c. Équateur, les autorités ont procédé à une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements faites par le requérant. Celles-ci ont, par la suite, été rejetées par un tribunal pénal. Cependant, le CCPR a estimé que cette

57 Parot c. Espagne, CAT, Communication N°6/1990, 2 mai 1995, §10.4. Voir aussi Blanco Abad c. Espagne (1998), op. cit., §8.6. Dans cette affaire, le CAT a déclaré qu’il « suffit que la vic-time se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci l’obligation de la considérer comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention ». Ce point a, de nouveau, été souligné, dans l’affaire Ltaief c. Tunisie, CAT, Communication N°189/2001, 14 novembre 2003, §10.6,

58 Blanco Abad c. Espagne (1998), op. cit., §8.2. Voir aussi Ltaief c. Tunisie (2003), op. cit., §10.5.59 Ristic c. Yougoslavie, CAT, Communication N°113/1998, 11 mai 2001, §9.5.60 Blanco Abad c. Espagne (1998), op. cit., §8.8.61 Dimitrijevic c. Serbie et Monténegro, CAT, Communication N°207/2002, 24 novembre 2004,

§5.4.62 CCPR, Observation générale, N°20, §14.63 Ibid.64 Alzery c. Suède, CCPR, Communication N°1416/2005, 25 octobre 2006, §11.7.

21

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

enquête était, en l’espèce, insuffisante, car rien dans le dossier n’indiquait que l’incident au cours duquel le requérant avait été blessé par balle ait été examiné par le tribunal.65

L’obligation incombant à l’État de procéder à une enquête s’étend même aux actes commis par un régime antérieur. Dans son Observation générale sur l’article 7, le CCPR a déclaré que «  l’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les États d’enquêter sur de tels actes ; de garantir la pro-tection contre de tels actes dans leur juridiction ; et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir. Les États ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours utile, y compris le droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus complète possible ».66 Ainsi, dans l’affaire Rodríguez c. Uruguay, le Comité a conclu que le fait que l’État n’ait pas enquêté sur les allégations du requérant, selon lesquelles il avait été torturé par la police secrète de l’ancien régime mili-taire, constituait une violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2(3) du Pacte et ce, indépendamment de l’existence d’une loi d’amnistie.67 De plus, dans l’affaire Zelaya Blanco c. Nicaragua, le Comité a estimé que, indépen-damment de l’éventuelle efficacité d’autres voies de recours, « la responsabilité de l’enquête incombe à l’État partie du fait qu’il est tenu d’offrir un recours effi-cace ».68 Ainsi, à l’instar de l’UNCAT, l’ICCPR prévoit que l’État a l’obligation de procéder à une enquête sur des allégations de torture, indépendamment de toute autre action entreprise par le requérant ou par d’autres personnes en son nom afin d’obtenir réparation.

1.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation criminalisant la tortureL’UNCAT fait explicitement obligation aux États de promulguer et d’appliquer une législation criminalisant la torture. Une obligation similaire peut égale-ment être déduite des dispositions de l’ICCPR.

65 Fuenzalida c. Équateur, CCPR, Communication N°480/1991, 12 juillet 1996, §9.4. Le requé-rant a affirmé que les tirs faisaient délibérément partie d’une plus vaste machination de la police mais l’État partie a affirmé que cette réaction était nécessaire afin d’empêcher l’évasion du requérant.

66 CCPR, Observation générale 20, §15.67 Rodríguez c. Uruguay, CCPR Communication N°322/1988, 19 juillet 1994. Le Comité s’est dit

préoccupé par le fait « qu’en adoptant cette loi, l’État partie n’ait contribué à créer un climat d’impunité qui peut nuire à l’ordre démocratique et donner lieu à d’autres violations graves des droits de l’homme » (§12.4).

68 Zelaya Blanco c. Nicaragua, CCPR, Communication N°328/1988, 20 juillet 1994, §10.6.

22

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

– UNCAT69

L’article 4 de l’UNCAT prévoit que :

« 1. Tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture.

2. Tout État partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité. »

Cet article se limite aux seuls actes de torture et ne figure pas parmi ceux énu-mérés dans l’article 16 de cette Convention comme s’appliquant également aux autres formes de mauvais traitements.

Le CAT s’enquiert systématiquement auprès des États parties quant aux dispo-sitions figurant dans leur droit pénal interne. Le Comité a également souligné, à plusieurs reprises, que l’article 4 de la Convention requérait des États parties qu’ils « incorpore[nt] le crime de torture dans [leur] droit interne et adopte[nt] une définition de la torture couvrant tous les éléments contenus dans l’article premier de la Convention ».70 Une fois une telle législation adoptée, le Comité va examiner à la fois sa conformité avec la définition figurant à l’article premier de l’UNCAT et son application dans la pratique.71 Même les États dotés de systèmes juridiques (dits « monistes ») dans lesquels les dispositions du droit international ont un effet direct et peuvent être invoquées devant des juridic-tions nationales doivent prendre des mesures en vertu de cet article. De plus, dans la pratique, les personnes exerçant une autorité hiérarchique ne peuvent « se soustraire à l’obligation de s’expliquer ni à leur responsabilité pénale pour des actes de torture ou des mauvais traitements commis par des subordonnés » lorsqu’elles savaient ou auraient dû savoir que de tels actes étaient susceptibles d’être commis.72

69 Pour de plus amples informations sur la jurisprudence du CAT dans ce domaine, voir Rodley et Pollard, « Criminalisation of Torture », op. cit.

70 CAT, Observations finales sur l’Italie, Doc. ONU CAT/C/ITA/CO/4, 18 mai 2007, §5. Lors de sa 38e session, tenue en avril-mai 2007, le Comité a traité de cette question dans six des sept Observations finales qu’il a adoptées (Danemark, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne et Ukraine : Rapport du Comité contre la torture, Doc. ONU A/62/44, 2007). Le Comité a également soulevé cette question lors de son dialogue avec un septième État partie (Luxembourg : CAT, Compte rendu analytique de la 762e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.762, 2007, §8).

71 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur l’Ouzbékistan, Doc. ONU A/55/44, 1999, §80. Voir Comité des droits de l’homme, Observations finales sur l’Ouzbékistan, Doc. ONU CCPR/CO/71/UZB/Add.2, 2004, §2(I), qui indiquent que les recommandations du CAT ont été au moins partiellement appliquées.

72 CAT, Observations générale N°2, §26.

23

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

Le CAT n’a pas prévu une peine minimum pouvant refléter de manière appro-priée la gravité du crime de torture. Cependant, une analyse des avis exprimés par des membres du Comité a conduit un expert à conclure qu’une peine allant de six à vingt ans d’emprisonnement serait généralement considérée comme appropriée.73 Dans l’examen de l’affaire Urra Guridi c. Espagne, le Comité a estimé que l’imposition de peines légères à trois gardes civils, qui avaient été déclarés coupables d’actes de torture, était incompatible avec l’obligation d’im-poser une sanction appropriée et constituait, par conséquent, une violation de l’article 4(2) de l’UNCAT.74

Par ailleurs, le Comité a considéré que les grâces accordées ultérieurement aux gardes civils dans l’affaire Urra Guridi c. Espagne avaient eu pour conséquence pratique de conférer l’impunité aux auteurs d’actes de torture et d’encoura-ger la répétition de tels actes. Ces grâces constituaient donc une violation de l’article 2(1) de l’UNCAT qui requiert des États qu’ils prennent des mesures efficaces afin de prévenir la torture.75 En adoptant un raisonnement similaire, le Comité a considéré que les mesures d’amnistie prononcées pour des crimes de torture étaient incompatibles avec les obligations incombant aux États en vertu de l’article 4 de la Convention contre la torture. Le Comité a déclaré : « Afin de garantir que les auteurs d’actes de torture ne jouissent pas de l’impu-nité, [les États parties doivent] veiller à ce que les personnes accusées d’avoir commis le crime de torture fassent l’objet d’une enquête – et, le cas échéant, de poursuites – et de veiller à ce que la torture soit exclue du champ d’application des lois d’amnistie ».76 Cette obligation d’appliquer le droit pénal à tout acte de torture est illimitée dans le temps de sorte que les règles relatives à la prescrip-tion ne doivent en aucun cas s’appliquer au crime de torture.77

73 Chris Ingelse, The UN Committee against Torture: An Assessment, Kluwer Law International, 2001, p. 342.

74 Urra Guridi c. Espagne, CAT, Communication N°212/2002, 17  mai 2005, §6.7. Les peines prononcées à l’encontre des gardes civils, qui ont été déclarés coupables d’avoir torturé un membre présumé de l’ETA, avaient été réduites par la Cour suprême espagnole de quatre à un an d’emprisonnement. Les condamnés avaient, ultérieurement, été graciés par le Conseil des ministres.

75 Ibid., §6.6.76 CAT, Observations finales sur l’Azerbaïdjan, Doc. ONU A/55/44, 1999, §69(c). Voir aussi CAT,

Observations finales sur le Sénégal, Doc. ONU A/51/44, 1996, §117 ; CAT, Observations finales sur le Chili, Doc. ONU CAT/C/CR/32/5, 2004, §7b; CAT, Observations finales sur le Bahreïn, Doc. ONU CAT/CO/34/BHR, 2005, §6d ; CAT, Observations finales sur le Cambodge, Doc. ONU CAT/C/CR/31/7, 2005, §6.

77 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur la Turquie, Doc. ONU CAT/C/CR/30/5, 2003, §7(c) ; CAT, Observations finales sur le Chili, Doc. ONU CAT/C/CR/32/5, 2004, §7(f).

24

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

– ICCPRL’article 2(2) de l’ICCPR prévoit que :

« Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur. »

Cela va plus loin que les exigences figurant à l’article 4 de l’UNCAT, à la fois en termes d’éventail de mesures à prendre que de catégories de traitements pou-vant relever de cette disposition. Dans le cas présent, comme l’article 7 inter-dit la torture et les traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, l’article 2(2) exige spécifiquement des États qu’ils adoptent des lois ou prennent d’autres mesures pour lutter contre toutes ces formes de mauvais traitements.

Le CCPR estime clairement que les mesures nécessaires pour prévenir les vio-lations de l’article  7 comprennent la criminalisation des actes de torture et des autres mauvais traitements et il a déclaré, dans son Observation générale sur l’article 7, que «  les États parties devraient indiquer, lorsqu’ils présentent leurs rapports, les dispositions de leur droit pénal qui répriment la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en précisant les sanc-tions applicables à de tels actes, qu’ils soient commis par des agents publics ou d’autres personnes agissant comme tels ou par des particuliers ».78 Le Comité examinera non seulement la façon dont ces lois luttent de manière adéquate contre la torture et les autres formes de mauvais traitement, mais également leur mise en application dans la pratique.79

Par ailleurs, le CCPR a déclaré que « ceux qui violent l’article 7, que ce soit en encourageant, en ordonnant, en tolérant ou en perpétrant des actes prohi-bés, doivent être tenus pour responsables ».80 Comme cela a été examiné supra, l’obligation générale de fournir une réparation aux victimes et de punir les responsables de ces actes interdit l’adoption d’amnisties pour des actes de tor-ture, et comme l’indique cette déclaration du Comité, cette prohibition peut également s’étendre à d’autres formes de mauvais traitements. Cependant, si l’État est tenu de punir les auteurs de ces actes, le Pacte ne donne pas aux par-

78 CCPR, Observation générale N°20, §13.79 Voir, par exemple, CCPR, Observations finales sur le Sri Lanka, Doc. ONU CCPR/CO/79/

LKA, 2003, §9.80 CCPR, Observation générale N°20, §13.

25

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

ticuliers le droit d’exiger que l’État partie engage des poursuites pénales contre une autre personne.81

1.2.3.1 Compétence universelleSi la plupart des autres mesures spécifiques requises aux termes de l’UNCAT peuvent, de l’avis du Comité des droits de l’homme, s’appliquer parallèlement en vertu de l’article 7 de l’ICCPR, tel n’est pas le cas pour l’exigence d’éta-blir et d’exercer une compétence universelle pour les actes de torture qui n’est prévue que par l’UNCAT.82 Cependant, la compétence universelle facultative, impliquant que tout État a la capacité légale, mais non l’obligation, d’exercer une compétence universelle pour le crime de torture, constitue probablement aujourd’hui une norme du droit international coutumier.83

L’article 5 de l’UNCAT stipule que :

« 1. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :

a) Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit État ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État ;

b) Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État ;

c) Quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié.

2. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des États visés au paragraphe 1 du présent article.

3. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée confor-mément aux lois nationales. »

81 Voir, par exemple, H.C.M.A. c. Pays-Bas, CCPR, Communication N°213/1986, 30 mars 1989, §11.6 ; S.E. c. Argentine, CCPR, Communication N°275/1988, 26 mars 1990, §5.5 ; Rodríguez c. Uruguay (1994), op. cit., §6.4.

82 À l’instar de l’article 4, cet article est limité, dans son application, à la torture et ne s’applique pas aux autres formes de mauvais traitements.

83 Cela a été confirmé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans son arrêt relatif à l’affaire Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §156. Voir également Nigel Rodley, The Treatment of Prisoners under International Law, 2nd ed., Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 107. Pour une analyse de la question de l’immunité diplomatique qui est parfois associée à ce problème, voir Antonio Cassese, « Peut-on poursuivre des hauts dirigeants des États pour les crimes internationaux ? À propos de l’affaire Congo c. Belgique (CIJ) », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé N°3, 2002, pp. 479–499.

26

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Bien que cet article 5 soit rarement invoqué dans la jurisprudence du CAT, il a bénéficié de certains éclaircissements dans le cadre de l’affaire Roitman Rosenmann c. Espagne. Cette affaire concernait une requête infructueuse déposée par l’Espagne auprès du Royaume-Uni visant à faire extrader l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, afin que celui-ci soit poursuivi en Espagne pour actes de torture à l’encontre de citoyens espagnols commis au Chili sous son régime. Le Comité a observé que, si les États parties possédaient une com-pétence extraterritoriale pour des actes de torture commis à l’encontre de leurs propres ressortissants, l’article 5(1)(c) établissait « une faculté discrétionnaire plutôt que l’obligation formelle de présenter une demande d’extradition et d’in-sister pour obtenir satisfaction ».84 Cependant, le Comité, rappelant que l’un des objectifs de l’UNCAT était d’empêcher l’impunité pour les actes de torture, a précisé que « la Convention impose (…) l’obligation [à un État partie] de tra-duire en justice une personne accusée d’avoir commis des actes de torture qui se trouve sur son territoire ».85 Cette obligation s’applique aussi bien en l’absence de demande d’extradition que lorsque l’État refuse d’extrader la personne concer-née ; elle ne dépend donc pas de l’existence préalable d’une telle demande.86 De plus, lorsqu’un État, sur le territoire duquel le suspect se trouve, ne traduit pas ce dernier en justice, le refus de donner suite à une demande d’extradition constitue une violation de ses obligations aux termes de l’UNCAT.87

Ainsi, l’UNCAT requiert des États parties qu’ils exercent leur compétence et traduisent en justice un individu soupçonné de torture ou qu’ils extradent celui-ci vers un État où il sera poursuivi. Cette obligation va donc au-delà du droit international coutumier qui permet, sans l’exiger, l’exercice de la com-pétence universelle, en ce qu’elle rend obligatoire l’exercice de la compétence universelle par les États parties. Le CAT insiste sans cesse davantage sur cette

84 Roitman Rosenmann c. Espagne, CAT, Communication N°176/2000, 30 avril 2002, §6.7. Cette communication a été déclarée irrecevable mais le CAT a néanmoins examiné certaines des questions de fond soulevées par cette affaire.

85 Ibid. Cette obligation découle notamment des articles 5(2), et 7(1). L’article 7(1) prévoit que «  L’État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. » De plus, l’article 6 prévoit que les États doivent placer en détention toute personne se trouvant sur leur territoire qui est soupçonnée d’avoir commis des actes de torture. Voir aussi CAT, Observations finales sur le Royaume-Uni, Doc. ONU A/54/44, §77(f).

86 Guengueng et autres c. Sénégal, CAT, Communication N°181/2001, 17  mai 2006, §9.7. Cette affaire concernait le fait que le Sénégal n’avait ni traduit en justice l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, ni donné suite à une demande d’extradition déposée par la Belgique en vertu de la compétence universelle pour actes de torture. En 2007, sous la pression de l’Union Africaine, le Sénégal a créé son propre tribunal pour crimes de guerre afin de juger Habré.

87 Ibid., §9.11.

27

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

question lors de ses discussions avec les États parties et, désormais, le Comité inclut systématiquement, dans ses Observations finales, une recommandation appelant les États parties qui ne l’ont pas encore fait à adopter une législation prévoyant une compétence universelle pour le crime de torture.88

1.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitementsAfin de prévenir de manière efficace le recours à la torture et aux mauvais traitements, il faut absolument éliminer toute incitation à commettre ce type d’abus à des fins d’enquête. Les déclarations obtenues suite à de tels traite-ments, qui ne sont par ailleurs en aucun cas fiables, doivent en conséquence être déclarées irrecevables en vertu de la loi.89

– UNCATL’article 15 de l’UNCAT prévoit que :

« Tout État partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite. »

Cette prohibition est absolue. Bien que cette interdiction ne figure pas parmi celles explicitement énumérées à l’article 16 comme s’appliquant aux autres formes de mauvais traitement, il semble, à la lumière de l’interprétation du Comité relatif à cet article 16, que cette prohibition s’applique également aux déclarations obtenues suite à des traitements cruels, inhumains ou dégra-dants.90 Étant donnée l’importance de l’élément du but recherché dans la défi-nition de la torture, il semble probable que toute forme de mauvais traitement prohibés qui aboutit à des déclarations à charge sera, dans tous les cas, quali-fiée de torture.91

88 Le CAT examine également l’efficacité et la portée d’une telle législation. Par exemple, dans ses Observations finales sur la Belgique de 2003, le Comité a exprimé sa préoccupation face à la réforme des règles relatives à l’exercice de la compétence universelle qui permettrait au Ministre de la justice de dessaisir des juges de certaines affaires (Doc. ONU CAT/C/CR/30/6, 2003, §5(g)).

89 Pour un résumé des études portant sur l’efficacité relative de la torture et d’autres méthodes, voir, par exemple, Jeannine Bell, « One thousand shades of gray: The effectiveness of torture », Bloomington Legal Studies Research Paper N°37, 2005, disponible sur http://ssrn.com. Cette étude conclut que le recours à la torture ne doit pas être considéré comme un moyen plus fiable que des méthodes d’interrogatoire non violentes, l’efficacité desquelles a été prouvée.

90 CAT, Observation générale N°2, §§3, 6.91 Voir partie 1.1.2.2, supra.

28

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Cette prohibition s’applique aux déclarations faites par la victime de mauvais traitements aussi bien à propos d’elle-même qu’à propos de tiers.92 Il semble que cette prohibition recouvre également toute information ou élément de preuve dérivés, ce qui inclut les informations découvertes en se fondant sur des éléments contenus dans des déclarations faites sous la torture.93 Le CAT considère que cette obligation découle de la nature absolue de la prohibition de la torture. Par conséquent, en cas d’allégations faisant état d’une déclaration obtenue sous la torture, l’État partie a l’obligation de « vérifier si des déclara-tions qui font partie des éléments d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture », indépendamment du fait que ces actes de torture présumés aient été commis dans un lieu relevant de la juridiction de cet État.94 De plus, l’État doit veiller à ce que, dans le cadre de toute procédure, les individus puissent contester la légalité de tout élément de preuve s’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a été obtenu sous la torture.95

– ICCPRL’article 14(3)(g) de l’ICCPR prévoit que toute personne a le droit de « ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ». Le CCPR reconnaît également qu’il « importe, pour dissuader de commettre des viola-tions de l’article 7, que la loi interdise d’utiliser ou déclare irrecevables dans une procédure judiciaire des déclarations et aveux obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit ».96 Par conséquent, il est interdit de recourir à toute contrainte physique ou mentale, exercée de manière directe ou indirecte.97 En cas d’allégation affirmant que des éléments de preuve ont été obtenus sous la contrainte, il incombe au ministère public de prouver que tel n’était pas le cas.98

Si, aux termes de l’UNCAT, cette prohibition s’étend à tous les éléments de preuve, la nature de la procédure des plaintes individuelles prévue par l’IC-CPR implique que le CCPR ne peut conclure à une violation de l’article 7 qu’au regard des mauvais traitements auxquels a été soumis le requérant ou la per-

92 P.E. c. France, CAT, Communication N°193/2001, 21 novembre 2002.93 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Royaume-Uni, Doc. ONU A/54/44, 1999,

§76(d) ; CAT, Observations finales sur la Zambie, Doc. ONU A/57/44, 2002, §3(b)(iii).94 P.E. c. France (2002), op. cit., §6.3. Voir aussi G.K. c. Suisse, CAT, Communication N°219/2002,

7 mai 2003, §6.10.95 CAT, Observations finales sur le Royaume-Uni, Doc. ONU CAT/C/CR/33/3, 2004, §5(d).96 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §12. 97 Voir Berry c. Jamaïque, CCPR, Communication N°330/1998, 7 avril 1994, §11.7; Sahadeo c.

Guyana, CCPR, Communication N°728/1996, 1er novembre 2001, §9.3 ; Deolall c. Guyana, CCPR, Communication N°912/2000, 1er novembre 2004, §5.1.

98 Singarasa c. Sri Lanka, CCPR, Communication N°1033/2001, 21 juillet 2004, §7.4; Sultanova et Ruzmetov c. Ouzbékistan, CCPR, Communication N°915/2000, 30 mars 2006, §7.3.

29

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

sonne qui est à l’origine de la plainte. Cependant, le Comité peut estimer qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable aux termes de l’article 14(1) de l’ICCPR lorsque les personnes témoignant contre le requérant ont été soumises à la torture.99

1.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procéduralesLe recours à la torture intervient généralement lorsqu’une personne est privée de liberté, que ce soit dans un cadre judiciaire ou administratif. Le CAT et le CCPR ont interprété leur traité respectif comme incorporant une obligation pour les États parties d’adopter des garanties procédurales et de veiller à leur respect. Les États sont également tenus de former le personnel qui peut être amené à entrer en contact avec les détenus.

– UNCATL’article 10 de l’UNCAT prévoit que :

« 1. Tout État partie veille à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du per-sonnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent inter-venir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit.

2. Tout État partie incorpore ladite interdiction aux règles ou instructions édictées en ce qui concerne les obligations et les attributions de telles per-sonnes. »

Pour le personnel médical, cette formation doit désormais inclure le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits (Protocole d’Istanbul).100

L’article 11 de l’UNCAT prévoit que :

« Tout État partie exerce une surveillance systématique sur les règles, instruc-tions, méthodes et pratiques d’interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture. »

99 Bazarov c. Ouzbékistan, CCPR, Communication N°959/2000, 14 juillet 2006, §8.3.100 CAT, Observations finales sur la Turquie, Doc. ONU CAT/C/CR/30/5, 2003, §7(k).

30

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Dans l’affaire Baraket c. Tunisie, le CAT a estimé que, dans un cas de torture ayant entraîné la mort, la Tunisie n’avait pas respecté, entre autres, ses obliga-tions aux termes de l’article 11 de l’UNCAT.101

Le CAT estime que, aux termes de l’article 11, les États doivent respecter les normes internationales y compris l’Ensemble de règles minima pour le traite-ment des détenus.102 et l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonne-ment.103 De plus, le CAT inclut fréquemment dans ses Observations finales une recommandation demandant que les États mettent « en place un système de surveillance systématique et indépendant sur le traitement de fait des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées ».104 Si le Protocole facultatif à la Conven-tion contre la torture prévoit la mise en place de mécanismes nationaux de prévention destinés à répondre précisément à cet objectif, il est clair que la conclusion de ce protocole ne réduit pas l’ampleur de l’obligation préexistante, prévue par l’UNCAT, de surveiller le traitement des personnes privées de liberté mais prévoit au contraire des mécanismes plus détaillés afin d’atteindre cet objectif.105

– ICCPRDans son Observation générale sur l’article 7, le CCPR a reconnu l’importance de surveiller les règles relatives aux interrogatoires, de former « [l]e personnel responsable de l’application des lois, le personnel médical ainsi que les agents de la force publique et toutes les personnes intervenant dans la garde ou le trai-tement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce

101 Baraket c. Tunisie, CAT, Communication N°60/1996, 10 novembre 1999.102 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Kirghizistan, Doc. ONU A/55/44, 1999,

§75(e).103 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur Monaco, Doc. ONU CAT/C/CR/32/1, 2004,

§5(e).104 CAT, Observations finales sur le Brésil, Doc. ONU A/56/44, 2001, §120(d). Voir aussi, par

exemple, CAT, Observations finales sur la Moldavie, Doc. ONU CAT/C/CR/30/7, 2003, §6(l) ; CAT, Observations finales sur la Russie, Doc. ONU A/52/44, 1996, §43(d) (et Doc. ONU CAT/C/CR/28/4, 2002, §8(f)).

105 Cela est clairement précisé dans le Préambule de l’OPCAT. Le CAT a également précisé que l’obligation préexistante s’appliquait et a, ainsi, encouragé le gouvernement du Cambodge, à « établir une procédure systématique menée par un organisme indépendant pour surveiller la façon dont les personnes arrêtées, détenues ou incarcérées sont traitées dans la pratique » et « [à] signer et [à] ratifier le Protocole facultatif à la Convention », (CAT, Observations finales sur le Cambodge, Doc. ONU CAT/C/CR/30/2, 2003, §7(i)). Voir aussi, par exemple, CAT, Observa-tions finales sur Monaco, Doc. ONU CAT/C/CR/32/1, 2004, §5(f)–(g)).

31

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

soit », et d’intégrer la prohibition des mauvais traitements dans les règles opé-rationnelles et les normes éthiques que doivent respecter ce personnel.106

Le Comité a, par ailleurs, reconnu que les garanties procédurales peuvent four-nir un moyen efficace de prévenir les mauvais traitements. Il a ainsi précisé qu’il « faut faire en sorte que les prisonniers soient détenus dans des lieux de détention officiellement reconnus comme tels et que leur nom et le lieu de leur détention ainsi que le nom des personnes responsables de leur détention figurent dans un registre aisément accessible aux intéressés, notamment aux membres de la famille et aux amis. De même, la date et le lieu des interrogatoires, ainsi que les noms de toutes les personnes y assistant doivent être inscrits sur un registre et ces renseignements doivent également être disponibles aux fins de la procédure judiciaire ou administrative ».107

Le CCPR a fait part de ses attentes de manière plus détaillée dans son Obser-vation générale sur l’article 10(1), en invitant les États à « indiquer dans leurs rapports dans quelle mesure ils se conforment aux normes des Nations Unies applicables au traitement des détenus  : l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (1957), l’Ensemble de principes pour la protection des personnes soumises à une forme quelconque d’emprisonnement (1988), le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (1978) et les Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1982) ».108 Ces règles et principes détaillés prévoient, notamment, que des registres détaillés soient tenus dans tous les lieux de détention, que les détenus aient un accès adéquat au monde extérieur, ainsi qu’à un avocat et à des soins médicaux. Par ailleurs, les agents de la force publique ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions.

En outre, le Comité estime également que les États doivent mettre en place un système de surveillance impartial des établissements pénitentiaires afin de veiller à l’application effective des règles relatives au traitement des personnes privées de liberté.109 Le CCPR a fourni peu d’indications quant à la forme que

106 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §10. Voir aussi CCPR, Observation générale N°21, 1992, §9.

107 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §11.108 CCPR, Observation générale N°21, 1992, §5.109 Ibid., §6.

32

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

devrait prendre cette surveillance, mais dans ses Observations finales sur la Namibie en 2004, il a estimé que, même si les magistrats avaient mandat d’ef-fectuer des inspections indépendantes dans les centres de détention, il fallait mettre en place « un organe externe indépendant chargé de visiter les centres de détention, de recueillir les plaintes concernant des faits survenus dans ces centres » et qu’il était « nécessaire par ailleurs d’instituer un mécanisme fort et indépendant chargé d’enquêter sur les allégations de brutalités commises par la police en général ».110 Dans l’affaire Alzery c. Suède, le CCPR a fait référence « à la bonne pratique internationale » en matière de surveillance de la détention, y compris au fait de pouvoir « rencontrer en privé le détenu » et effectuer un « examen médical ou médico-légal approprié ».111 Dans cette affaire, le Comité a conclu à l’existence d’une violation du fait du non-respect de ces éléments. Il est dès lors clair que l’obligation fondamentale de mettre en place un organe indépendant chargé de surveiller les centres de détention découle non seule-ment du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, mais également de l’UNCAT elle-même et de l’ICCPR.

1.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimesL’UNCAT et l’ICCPR imposent aux États parties l’obligation de fournir une réparation et une indemnisation adéquate aux victimes de torture ou de mau-vais traitements.

– UNCATL’article 14 de l’UNCAT prévoit que :

« Tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont droit à indemnisation. »

Le CAT considère que « le droit à un recours utile contre une violation de la Convention s’inscrit en filigrane de toute la Convention, car, dans le cas contraire, les protections fournies par la Convention auraient un caractère largement illu-soire ».112 Dans certains cas, la Convention prévoit elle-même un recours pour des violations particulières et, lorsque tel n’est pas le cas, le Comité a interprété

110 CCPR, Observations finales sur la Namibie, Doc. ONU CCPR/CO/81/NAM, 2004, §14.111 Alzery c. Suède (2006), op. cit., §11.5.112 Agiza c. Suède, CAT Communication N°233/2003, 20 mai 2005, §13.6.

33

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

une disposition de fond de l’UNCAT comme contenant, en elle-même, une voie de recours en cas de violation de cette dernière.113 Ainsi, si l’article 14 n’est pas explicitement inclus dans la liste des articles applicables aux autres mau-vais traitements énumérés dans l’article 16, le Comité a soutenu dans l’affaire Dzemajl et al c. Yougoslavie que « [les] obligations positives découlant de la pre-mière phrase de l’article 16 de la Convention englobent l’obligation d’accorder une réparation et une indemnisation aux victimes d’un acte au sens de ladite disposition ».114 L’État est donc tenu de fournir une réparation et une indemni-sation aux victimes de toutes les formes de mauvais traitement.

De plus, dans l’affaire Urra Guridi c. Espagne, le Comité a estimé que le fait de gracier trois gardes civils qui avaient été jugés coupables de torture avait non seulement enfreint les articles 2 et 4, mais également l’article 14 de l’UNCAT, car la réparation « doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des vio-lations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire ».115

– ICCPRL’article 2(3) de l’ICCPR prévoit que :

« Les États parties au présent Pacte s’engagent à :

(a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;

(b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législa-tive, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ;

113 Voir, par exemple, Agiza c. Suède (2005), Ibid. Dans cette affaire, le Comité a estimé que l’in-terdiction du refoulement prévue par l’article 3 de l’UNCAT devait être interprétée comme incluant un recours en cas de violation.

114 Dzemajl et al c. Yougoslavie (2002), op. cit., §9.6. Cette position a été confirmée par le CAT dans son Observation générale N°2, §3. La première phrase de l’article 16 énonce que : « Tout État partie s’engage à interdire dans tout territoire sous sa juridiction d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consen-tement exprès ou tacite. »

115 Urra Guridi c. Espagne (2005), op. cit., §6.8.

34

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié. »

Le CCPR a insisté, à plusieurs reprises, sur l’importance d’un recours effectif et a indiqué que les États parties devaient indiquer dans les rapports soumis à ce Comité la manière dont leur système juridique garantissait effectivement qu’il soit mis fin immédiatement à tous les actes prohibés par l’article 7, et que soient accordées les réparations appropriées.116

Dans l’affaire Rodríguez c. Uruguay, examinée supra, le Comité a réitéré sa position selon laquelle le droit à réparation ne pouvait pas inclure le droit d’exi-ger l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de particuliers. Cependant, afin de garantir le droit du requérant à réparation, l’État partie doit prendre des mesures effectives « a) afin qu’il soit procédé à une enquête officielle sur les allégations de l’auteur selon lesquelles il a été torturé, pour identifier les respon-sables des tortures et des mauvais traitements et permettre à l’auteur d’obtenir réparation au civil ; b) afin que l’auteur soit indemnisé comme il convient ; et c) afin que de telles violations ne se reproduisent pas ».117 Ainsi, à l’instar du CAT, le CCPR considère que les mesures visant à garantir la non-répétition des vio-lations font partie de l’obligation de fournir réparation.

1.3 Champ d’applicationLe CCPR et le CAT ont tous deux élaboré une abondante jurisprudence sur l’étendue des obligations des États en matière de prohibition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au-delà de l’in-terprétation « traditionnelle » visant à prévenir le recours à la torture lors des interrogatoires. La présente partie offre une vue d’ensemble de cette jurispru-dence, en recensant certaines des principales sources de violations de la prohi-bition absolue de la torture et des autres mauvais traitements.

1.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements– ICCPRL’article 4(2) de l’ICCPR prévoit de manière explicite que l’État ne peut déro-ger au droit de tout individu de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements selon l’article 7, même en cas de danger public exception-nel. Le CCPR a souligné ce point dans son Observation générale sur l’article 7,

116 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §14.117 Rodríguez c. Uruguay (1994), op. cit., §14.

35

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

en notant qu’« aucune raison, y compris l’ordre d’un supérieur hiérarchique ou d’une autorité publique, ne saurait être invoquée en tant que justification ou circonstance atténuante pour excuser une violation de l’article 7 ».118

– UNCATAucune disposition de l’UNCAT ne peut faire l’objet de dérogations. L’ar-ticle 2(2) de cette Convention prévoit que :

« Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »

Cette disposition est complétée par l’article  2(3), qui prévoit que les ordres d’un supérieur ne peuvent être invoqués pour justifier le recours à la torture. Comme cela a été examiné supra, l’infraction de torture ne peut faire l’objet de moyens de défense,119 d’une prescription ou d’une amnistie. La prohibition de la torture est ainsi absolue.

Les efforts de certains États visant à justifier la torture et autres mauvais trai-tements comme étant des moyens de protéger la sécurité publique ou d’éviter des situations d’urgence a incité le CAT à réitérer la nature absolue de la pro-hibition de la torture dans une déclaration adoptée suite aux événements du 11 septembre 2001,120 dans ses Observations finales aux États parties,121 et dans son examen de l’Affaire Agiza c. Suède, dans laquelle il a souligné que « les pro-tections prévues par la Convention sont absolues, même en cas de préoccupation touchant la sécurité nationale ».122 Par ailleurs, dans son Observation générale N°2, le Comité a souligné que les dispositions de l’UNCAT s’appliquaient par-tout où l’État partie exerçait un contrôle de jure ou de facto.123

1.3.2 Sanctions légitimesSi l’article 7 de l’ICCPR ne prévoit aucune exception à la prohibition de la tor-ture et autres mauvais traitements, le CCPR a clairement précisé que certaines

118 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §3.119 Voir également, CAT, Observations finales sur le Royaume-Uni, Doc. ONU CAT/C/CR/33/3,

2004, §4(a)(ii) et5(a).120 Doc. ONU A/57/44, 2002, §§17–18.121 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur les États-Unis, Doc. ONU CAT/C/USA/C/2,

2006, §14–15, dans lesquelles le CAT a répété que l’UNCAT s’appliquait en temps de guerre et sur le territoire sur lequel l’État partie exerçait un contrôle de facto.

122 Agiza c. Suède (2005), op. cit., §13.8.123 CAT, Observation générale N°2, §16.

36

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

sanctions légitimes étaient autorisées.124 La légalité de toute sanction doit être déterminée en fonction du droit national et international, le droit internatio-nal l’emportant en cas de divergence. Comme l’a noté le CCPR dans l’affaire Osbourne c. Jamaïque, « le fait qu’une peine soit autorisée en droit interne ne peut être invoqué comme la justifiant au regard du Pacte ».125

L’exception relative aux « sanctions légitimes » est explicitement mentionnée dans l’UNCAT qui exclut spécifiquement de sa définition de la torture « la dou-leur ou [les] souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».126 À la différence de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l’Assemblée géné-rale des Nations Unies en 1975, la Convention contre la torture de 1984 n’a pas développé le concept de sanctions légitimes. Le texte de la Déclaration de 1975, sur lequel le langage de la Convention contre la torture s’est fondé, fait spécifiquement référence « à la douleur ou aux souffrances résultant unique-ment de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles, dans une mesure compatible avec l’Ensemble de règles minima pour le traite-ment des détenus » qui interdit, notamment, les châtiments corporels infligés aux détenus.127 Il est possible que ce changement de terminologie s’explique uniquement par des considérations techniques car lors des négociations ayant conduit à l’adoption de l’UNCAT, les États se sont montrés réticents à l’idée de faire référence, dans un traité contraignant, à un texte n’ayant pas le statut de traité, tel que l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.128

Bien que cette question ne soit pas encore définitivement résolue, il est devenu clair que le CAT déterminera la légalité d’une sanction en se référant aux stan-dards et au droit tant national qu’international, y compris l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.129 Il s’agit là d’une approche logique, étant donné la nature absolue de la prohibition de la torture et la nécessité d’avoir une application cohérente de cette règle. Cela reflète également le prin-cipe général de droit international exprimé dans la Convention de Vienne sur

124 Voir, par exemple, Vuolanne c. Finlande (1989), op. cit.125 Osbourne c. Jamaïque, CCPR, Communication N°759/1997, 15 mars 2000, §9.1.126 Article premier de l’UNCAT.127 Article premier de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et

autres peines ou traitements cruels.128 Voir Burgers et Danelius, op. cit., p. 121.129 Voir, par exemple, Observations finales sur la République Démocratique du Congo, Doc. ONU

A/61/44, 2006, §26(11) ; Observations finales sur le Togo, Doc. ONU A/61/44, 2006, §36(19).

37

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

le droit des traités qui dispose qu’un État partie « ne peut invoquer les dispo-sitions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ».130

Le CAT et le CCPR ont également élaboré une importante jurisprudence rela-tive à deux types de sanction qu’un certain nombre d’États a estimé comme relevant des « sanctions légitimes » : la peine de mort et les châtiments corpo-rels.

1.3.2.1 La peine de mort– ICCPRL’ICCPR ne contient pas de clause mentionnant explicitement les «  sanc-tions légitimes » mais le CCPR a fréquemment été appelé à examiner des cas impliquant la peine de mort et, en particulier, le « phénomène du couloir de la mort », expression qui fait référence à l’angoisse suscitée par une détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort.

Aux termes de l’article 6 de l’ICCPR, la peine de mort peut être appliquée, dans le cadre de circonstances strictement délimitées.131 Par conséquent, l’applica-tion de la peine capitale suite à un procès équitable ne constitue pas en prin-cipe une infraction de l’article  7.132 Cependant, le CCPR considère que l’un des objectifs du Pacte est de limiter le recours à la peine capitale,133 et les com-mentaires et la jurisprudence de ce Comité reflètent de plus en plus cette opi-nion. Lorsqu’un État a aboli la peine de mort, le CCPR estime désormais que cet État ne peut pas « renvoyer quelqu’un de [sa] juridiction, par voie d’expul-sion ou d’extradition, s’il peut être raisonnablement prévu que l’intéressé sera condamné à mort, sans obtenir la garantie que la peine capitale ne sera pas

130 Article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 1155 U.N.T.S. 331, entrée en vigueur le 27 janvier 1980. L’approche adoptée par le CAT reflète les déclarations interpréta-tives faites par le Luxembourg et les Pays-Bas au moment de la ratification de ce traité selon lesquelles le terme de « sanctions légitimes » faisait référence à celles admises aussi bien par les législations internes que par le droit international. Ces déclarations n’ont pas fait l’objet de commentaires de la part d’autres États. Par contre, un certain nombre d’États ont émis des objections face à la réserve émise par le Qatar visant à écarter « toute interprétation des disposi-tions de la Convention qui soit incompatible avec les préceptes du droit islamique et de la religion islamique ».

131 La peine capitale est interdite en toutes circonstances par le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Cependant, ce texte n’est contraignant que pour les États qui l’ont ratifié.

132 Lorsqu’un procès, qui aboutit à une condamnation à mort, est inéquitable, cela constitue auto-matiquement une violation de l’article 7. Voir Larrañaga c. Philippines, CCPR Communica-tion N°1421/2005, 24 juillet 2006, §7.11.

133 Voir Errol Johnson c. Jamaïque, CCPR, Communication N°588/1994, 22 mars 1996.

38

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

appliquée ».134 Le CCPR a également déclaré que, lorsqu’il est procédé à une exécution capitale, celle-ci doit être effectuée « de manière à causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales ».135 Pour se déterminer, le Comité « considère les facteurs personnels pertinents relatifs à l’auteur de la communi-cation, les conditions précises de détention dans le quartier des condamnés à mort et la question de savoir si la méthode d’exécution envisagée est particuliè-rement horrible ».136 Ainsi, le Comité a estimé qu’une exécution par asphyxie au gaz constituerait un traitement cruel et inhumain qui violerait l’article 7,137 alors qu’une exécution par injection létale ne serait pas contraire à ce texte.138

S’il est clair que les conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort peuvent constituer une violation de l’article 10(1) ou de l’article 7 au même titre que les conditions régnant dans d’autres lieux carcéraux,139 la plupart des membres du CCPR a systématiquement rejeté l’idée que le « phé-nomène du couloir de la mort » constituait en soi une violation de ces disposi-tions. Le Comité a détaillé sa position dans l’examen de l’affaire Errol Johnson c. Jamaïque.140 Il a souligné, à nouveau, que l’application de la peine de mort était autorisée par l’article 6 de l’ICCPR dans le cadre de circonstances strictes. La détention dans le quartier des condamnés à mort peut être une conséquence nécessaire de l’application de la peine capitale et ne peut donc pas, en soi, être considérée comme une violation des articles 7 et 10(1) de l’ICCPR.141 Par ail-leurs, le fait de considérer la durée d’attente d’un détenu dans le couloir de la mort comme un facteur déterminant dans le constat d’une violation des articles  7 et 10(1) pourrait laisser entendre aux États parties qu’ils doivent exécuter la sentence capitale aussi vite que possible après son imposition. Étant donné que le droit international requiert que le Pacte soit interprété à la lumière de son objet et de son but,142 qui incluent la réduction du recours à la

134 Judge c. Canada, CCPR, Communication N°829/1998, 5 août 2003, §10.4. Le CCPR a explici-tement déclaré dans le §10.6 que cette décision s’appliquait indépendamment du fait que l’État ait ratifié le deuxième protocole facultatif à l’ICCPR.

135 CCPR, Observation générale, N°20, 1992, §6.136 Kindler c. Canada, CCPR, Communication N°470/1991, 30 juillet 1993, §15.3.137 Ng c. Canada, CCPR, Communication N°469/1991, 5 novembre 1993, §16.4. Cette affaire con-

cernait l’extradition de M. Ng du Canada vers les États-Unis.138 Kindler c. Canada (1993), op. cit. Voir aussi Cox c. Canada, CCPR, Communication N°539/1993,

31 octobre 1994, §17.3.139 Voir, par exemple, Freemantle c. Jamaïque, CCPR, Communication N°625/1995, 24  mars

2000, §7.3140 Errol Johnson c. Jamaïque (1996), op. cit. §§8.2–8.6.141 Voir aussi Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque, CCPR, Communications N°s 210/1986 et

225/1987, 6 avril 1989, §13.6  ; Barrett et Sutcliffe c. Jamaïque, CCPR, Communications N°s 270/1988 et 271/1988, 30 mars 1992, §8.4.

142 Article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

39

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

peine capitale,143 le Comité a rejeté cette interprétation.144 Par conséquent, dans l’affaire Errol Johnson c. Jamaïque, tout en concédant qu’il était inacceptable de maintenir des prisonniers dans le couloir de la mort durant de nombreuses années, le CCPR a toutefois refusé, pour des raisons pragmatiques, de conclure à une violation des articles 7 et 10(1).

Dans des cas particuliers, des facteurs aggravants peuvent impliquer que la détention dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation des articles 7 ou 10(1). À cet égard, « chaque affaire doit être considérée sur le fond, compte tenu de la responsabilité de l’État partie dans les retards des procédures judiciaires, et compte tenu des conditions carcérales propres à l’établissement pénitentiaire en cause et des effets psychologiques sur l’intéressé ».145 Le Comité a constaté des violations lorsqu’un mineur se trouvait détenu dans le quar-tier des condamnés à mort,146 lorsqu’un un ordre d’exécution était émis à l’encontre d’une personne atteinte de maladie mentale,147 lorsqu’un prisonnier était remis dans le quartier des condamnés à mort après avoir été informé que sa peine avait été commuée,148 et lorsque la durée de détention dans la cellule des condamnés était déraisonnablement longue.149

– UNCATSi le CAT soulève de plus en plus souvent la question de la peine de mort dans ses discussions avec les États Parties,150 s’il salue son abolition dans ses Obser-

143 À l’appui de cette position, le CCPR a fait référence à son Observation générale N°20 de 1992, §16, et au Préambule du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

144 Errol Johnson c. Jamaïque (1996), op. cit., §8.2, 8.4.145 Francis c. Jamaïque, CCPR, Communication N°606/1994, 25  juillet 1995, §9.1. Dans cette

affaire, le Comité a conclu que la dégradation sérieuse de la santé mentale du requérant, les conditions carcérales qu’il a endurées, les passages à tabac répétés auquel il aurait été soumis par les gardiens, ainsi que les moqueries et l’angoisse subies pendant les cinq jours passés dans la cellule des condamnés en attendant son exécution annoncée constituaient une violation des articles 7 et 10 (1).

146 Clive Johnson c. Jamaïque, CCPR, Communication N°592/1994, 20 octobre 1998. La condam-nation imposée constituait une violation de l’article 6(5) de l’ICCPR, qui interdit l’application de la peine de mort pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de dix-huit ans.

147 R.S. c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°684/1996, 2 avril 2002. Le Comité a pris en compte l’état de santé mentale du prisonnier au moment où cet ordre d’exécution avait été émis.

148 Chisanga c. Zimbabwe, CCPR, Communication N°1132/2002, 18 octobre 2005.149 Pratt et Morgan c. Jamaïque (1989), op. cit.; Pennant c. Jamaïque, CCPR, Communication

N°647/1995, 20 octobre 1998.150 Voir, par exemple, Questions à l’Ukraine, Compte rendu analytique de la 283e séance, Doc.

ONU CAT/C/SR.283, 1997, §21.

40

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

vations finales,151 s’il exprime ses préoccupations lorsque cette peine continue à être imposée,152 et s’il recommande son abolition,153 ou l’adoption d’un mora-toire sur son utilisation,154 il n’a jamais explicitement déclaré qu’il considérait que l’imposition de la peine capitale était, en soi, contraire à l’UNCAT. Cer-tains membres du Comité ont souligné que la peine de mort ne constituait pas en soi une violation de l’UNCAT et, de ce fait, ne relevait pas du mandat du Comité.155

Le Comité a, toutefois, spécifiquement demandé à l’Autriche de fournir des renseignements détaillés sur les cas de refus d’extradition, de renvoi ou d’ex-pulsion en raison du risque encouru par la personne concernée de faire l’objet d’actes de torture, de mauvais traitements ou de la peine capitale à son retour dans le pays.156 Cette extension explicite est inhabituelle même si elle reflète le droit régional européen.157 Lorsque le Guatemala a élargi le champ d’applica-tion de la peine capitale à de nouveaux types de crimes alors même que ce pays avait accepté de ne pas prendre une telle mesure en vertu d’instruments inter-nationaux et régionaux, le Comité a estimé que le fait de ne pas avoir annulé les condamnations intervenues pour ces nouveaux types de crimes constituait une forme de peine ou traitement cruel et inhumain et violait l’article 16.158.Ainsi, si le Comité n’a jamais explicitement étendu la prohibition de la torture et autres mauvais traitements à l’exécution de la peine de mort, il semble qu’il soit disposé à considérer que la peine capitale constitue une violation de l’UNCAT

151 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur la Turquie, Doc. ONU CAT/C/CR/30/5, 2003, §4.

152 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Bélarus, Doc. ONU A/56/44, 2001, §45(i).153 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Kirghizistan, Doc. ONU A/55/44, 2000,

§75(g).154 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Japon, Doc. ONU CAT/C/JPN/CO/1, 2007,

§20.155 Voir, par exemple, la déclaration de M. Mariño Menéndez qui a précisé qu’alors que le main-

tien de la peine de mort dans le droit égyptien ne constituait pas en soi une violation de la Convention, le Comité souhaitait recevoir des informations complémentaires quant à son application dans la pratique, CAT, Summary Record of the 532nd meeting, Doc. ONU CAT/C/SR.532, 2002, §15. Voir aussi l’examen de la Libye, CAT, Compte rendu analytique de la 381e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.381, 1999, §38.

156 CAT, Observations finales sur l’Autriche, Doc. ONU CAT/C/AUT/CO/3, 2005, §8.157 Ni la législation du Conseil de l’Europe ni celle de l’Union européenne relatives à l’extradition

n’interdisent spécifiquement l’extradition d’un individu accusé d’un crime passible de la peine de mort. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme a soutenu que le « phénomène du couloir de la mort » pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant et que, par conséquent, l’extradition lorsqu’il y avait un risque réel que la peine de mort soit imposée constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Voir Soering c. Royaume-Uni, N°14038/88, CrEDH (Series A) N°161, arrêt du 7  juillet 1989, examiné au chapitre 2.

158 CAT, Observations finales sur le Guatemala, Doc. ONU A/61/44, 2006, §32(22).

41

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

lorsqu’un État partie agit en violation de ses obligations légales prévues par d’autres instruments.

Des circonstances spécifiques entourant la peine de mort peuvent faire en sorte que son imposition constitue une violation, même en l’absence de normes de droit régional applicables en la matière. Par exemple, le CAT a estimé que le fait de créer une situation d’incertitude pour les prisonniers se trouvant dans le quartier des condamnés à mort, en retardant l’adoption d’un instrument abo-lissant la peine capitale, constituait un traitement cruel et inhumain contraire à l’article 16.159 À l’instar du CCPR, le CAT a également estimé que la méthode d’exécution de la peine de mort pouvait être assimilée, en soi, à une torture ou à un mauvais traitement. Ce Comité a, par exemple, estimé que le fait de pro-céder à des exécutions par lapidation constituait une violation de l’UNCAT.160 Il arrive que le CAT ait appliqué dans ce domaine des limites plus strictes que celles adoptées par le CCPR. En effet, le CAT a indiqué que le recours aux injec-tions létales devrait faire l’objet d’un réexamen en raison du risque encouru d’infliger des douleurs et des souffrances aigues.161 Si le CAT estime que les injections létales, souvent considérées comme la méthode d’exécution la plus «  humaine  », constituent de manière générale des mauvais traitements, ou peut-être même une forme de torture, la réponse à la question de savoir si le CAT estimera qu’une autre méthode d’exécution quelle qu’elle soit est accep-table est dès lors incertaine.162

Outre ses conclusions relatives à la peine de mort en général, le CAT a adopté une approche similaire à celle du CCPR en estimant que des caractéristiques ou des circonstances relatives à la personne condamnée peuvent faire en sorte que l’imposition de la peine de mort ait un caractère cruel, inhumain ou dégra-dant dans un cas particulier. Par exemple, l’application de la peine de mort à

159 CAT, Observations finales sur l’Arménie, Doc. ONU A/56/44, 2001, §39(g). Au moment où le CAT a examiné le rapport de l’Arménie en novembre 2000, ce pays n’avait encore ni signé ni ratifié le Protocole N°6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit la peine de mort en temps de paix.

160 A.S. c. Suède, CAT Communication N°149/1999, 24 novembre 2000.161 CAT, Observations finales sur les États-Unis, Doc. ONU A/61/44, 2006, §37(31). Cette diffé-

rence peut cependant s’expliquer par les informations qui sont apparues au cours de la période de treize ans qui s’est écoulée entre la décision du CCPR et la prise de position du CAT.

162 Des membres du Comité ont émis des commentaires relatifs à d’autres méthodes d’exécution. Par exemple, M. Mavrommatis s’est dit profondément inquiet du fait que les exécutions par pendaison n’étaient pas considérées comme inhumaines au Japon, CAT, Compte rendu analy-tique de la 767e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.767, 2007, §40.

42

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

une femme qui vient d’accoucher constituerait probablement un traitement inhumain et dégradant.163

À l’instar du CCPR, le CAT a conclu à l’existence de violations relatives aux conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort et il a recom-mandé dans ses Observations finales que ces conditions soient améliorées.164 Le CAT n’a pas encore eu à examiner un cas spécifiquement lié au phénomène du couloir de la mort ; il est donc difficile de déterminer si le CAT suivra la jurisprudence du CCPR dans ce domaine.

1.3.2.2 Châtiments corporelsLa question des châtiments corporels a été examinée par le CCPR, le CAT et, en ce qui concerne les mineurs, par le Comité des droits de l’enfant (CRC).

– ICCPRDans son Observation générale sur l’article 7, le CCPR a déclaré que l’interdic-tion prévue à l’article 7 de l’ICCPR s’étendait aux « peines corporelles, y compris les châtiments excessifs infligés à titre de sanction pénale ou de mesure éduca-tive ou disciplinaire  ».165 La jurisprudence ultérieure de ce Comité a montré que tout châtiment corporel serait considéré comme une violation de l’ICCPR. Dans l’Affaire Osbourne c. Jamaïque, le CCPR a déclaré que « quelle que soit la nature de l’infraction à punir, quel qu’ait été son degré de brutalité, le Comité est profondément convaincu que les châtiments corporels constituent une peine cruelle, inhumaine et dégradante, contraire à l’article 7 du Pacte ».166 Dans l’af-faire Higginson c. Jamaïque, le Comité a confirmé que le fait même d’imposer une peine de châtiment corporel constituait une violation de l’article 7, que cette peine soit effectivement appliquée ou non.167

Le CCPR a explicitement déclaré que la prohibition des châtiments corporels s’étendait aux établissements scolaires et aux institutions médicales,168 et il a

163 Examen de la Libye, Compte rendu analytique de la 381e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.381, 1999, §38.

164 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Japon, Doc. ONU CAT/C/JPN/CO/1, 2007, §19 ; CAT, Observations finales sur le Guyana, Doc. ONU CAT/C/GUY/CO/1, 2006, §23.

165 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §5.166 Osbourne c. Jamaïque (2000), op. cit., §9.1. Voir aussi Higginson c. Jamaïque, CCPR, Communi-

cation N°792/1998, 28 mars 2002, §6 ; Pryce c. Jamaïque, CCPR, Communication N°793/1998, 15 mars 2004, §6.2 ; Sooklal c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°928/2000, 25 octobre 2001, §4.6. Cette prohibition s’applique aux châtiments imposés en vertu de la charia. Voir CCPR, Observations finales sur le Yémen, Doc. ONU CCPR/CO/84/YEM, 2005, §16.

167 Higginson c. Jamaïque (2002), op. cit.168 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §5.

43

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

salué son interdiction dans la sphère aussi bien privée que publique.169 Jusque récemment, le Comité s’est abstenu d’émettre des recommandations expli-cites quant aux châtiments corporels administrés par des acteurs privés, en particulier les châtiments infligés à des enfants par leurs proches, considérant apparemment que cette question relevait du CRC. Cependant, suite au lance-ment du rapport mondial sur la violence à l’encontre des enfants en novembre 2006,170 il semble que le CCPR ait adopté une prise de position plus large, recommandant à la Zambie d’« interdire toutes les formes de violence à l’égard des enfants où qu’elles se produisent ».171

– UNCATJusqu’en 1996, le CAT était relativement prudent dans son approche des châti-ments corporels, en recommandant, par exemple, au Royaume-Uni de simple-ment reconsidérer la question des châtiments corporels « en vue de déterminer s’il n’y aurait pas lieu d’abolir ces pratiques dans les territoires dépendants où elles ont encore cours  ».172 Cependant, à l’instar du CCPR, le CAT a récem-ment adopté une approche plus stricte et il est désormais clair qu’il considère que tout châtiment corporel constitue une violation de l’UNCAT. En 2002, le CAT a ainsi adressé une recommandation à l’Arabie Saoudite dans des termes beaucoup plus fermes en demandant à cet État de « reconsidérer l’imposition de châtiments corporels, peines qui sont contraires à la Convention ».173

Le CAT considère que les États ne doivent pas se contenter d’adopter une législation prohibant les châtiments corporels dans les centres de détention, les hôpitaux, les établissements scolaires et autres institutions publiques. Le Comité a précisé qu’un mécanisme de surveillance devait également être mis en place afin de veiller à ce que ces lois soient strictement appliquées.174 Si le CAT n’a jamais traité dans le détail de la question des châtiments corporels administrés aux enfants par leurs parents, un certain nombre de membres du

169 Voir, par exemple, CCPR, Observations  finales sur le Guyana, Doc. ONU CCPR/C/79/Add.121, 2000, §5, dans lesquelles le Comité s’est félicité « de la promulgation de la loi de 1996 sur la violence dans la famille et de son application aux enfants ».

170 Ce rapport est le résultat de recherches conduites par l’Expert indépendant chargé de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants. Voir http://www.violencestudy.org/

171 CCPR, Observations finales sur la Zambie, Doc. ONU CCPR/C/ZMB/CO/3, 2007, §22. Le CCPR reconnaît que le respect total de cette obligation requiert des changements sociétaux et peut prendre un certain temps, mais il a précisé que les États devraient néanmoins « prendre toutes les mesures voulues en vue de l’abolition pure et simple des châtiments corporels », voir CCPR, Observations finales sur la Barbade, Doc. ONU CCPR/C/BRB/CO/3, 2007, §12.

172 CAT, Observations finales sur le Royaume-Uni, Doc. ONU A/51/44, 1996, §65(i).173 CAT, Observations finales sur l’Arabie Saoudite, Doc. ONU CAT/C/CR/28/5, 2002, §8(b).174 CAT, Observations finales sur l’Afrique du Sud, Doc. ONU CAT/C/ZAF/CO/1, 2006, §25.

44

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

Comité ont récemment indiqué qu’ils considéraient que cette question relevait du champ d’application de l’UNCAT.175 Pour l’heure, il est difficile de détermi-ner si cette position sera adoptée par l’ensemble du Comité ou si les observa-tions détaillées portant sur la question des châtiments corporels dans la sphère privée demeureront du domaine exclusif du CRC.

– La Convention relative aux droits de l’enfant (UNCRC)Si le CCPR, le CAT et le Comité des droits de l’enfant (CRC) traitent tous de la question des châtiments corporels dans des institutions publiques, les dis-positions de la Convention relative aux droits de l’enfant offrent au CRC plus de possibilités qu’au CAT et au CCPR de traiter de la question des châtiments corporels infligés dans le cadre domestique. L’article 37(a) de l’UNCRC exige notamment que : « Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou trai-tements cruels, inhumains ou dégradants. » Cette disposition est complétée par celle prévue à l’article 19(1), qui précise que :

« Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

Dans son Observation générale sur le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châti-ments, le CRC a souligné avec force que : « L’expression ‘toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales’ est dépourvue de toute ambi-guïté et ne laisse aucune place à un quelconque degré de violence à caractère légal contre les enfants. Les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments sont des types de violence et les États sont donc tenus de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour les éliminer ».176

175 Voir les questions de M. Mavrommatis et de Mme Belmir adressées aux Pays-Bas, Compte rendu analytique de la 763e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.763, 2007, §§14, 40 ; et celles de Mme Belmir et de M. Mariño Menéndez adressées au Luxembourg, Compte rendu analytique de la 759e séance, Doc. ONU CAT/C/SR.759, 2007, §§39–40.

176 CRC, Observation générale N°8, Doc. ONU CRC/C/GC/8, 2006, §18. Le CRC estime que cela constitue « une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties » (Ibid., §22).

45

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

1.3.3 Conditions de détentionLe CCPR et le CAT reconnaissent que les conditions de détention peuvent constituer en soi des mauvais traitements ou, dans des cas extrêmes, une forme de torture. Toutefois, le système de détention dans son ensemble peut également créer des conditions favorables à la torture ou autres mauvais trai-tements, ou, au contraire, un environnement dans lequel de tels actes ne sont pas tolérés. Étant donnée l’autonomie réduite dont ils bénéficient, les prison-niers et autres détenus sont particulièrement vulnérables aux abus. Ainsi, l’ICCPR inclut explicitement un article exigeant que les détenus soient traités avec humanité,177 et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) vise à assurer «  l’établissement d’un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».178

– ICCPRComme discuté dans la section 1.1 du présent chapitre, le CCPR examine habi-tuellement les conditions générales de détention à la lumière de l’article 10(1) de l’ICCPR et les abus visant des détenus particuliers à la lumière de l’article 7.

Dans son Observation générale sur l’article 10, le CCPR a indiqué que l’obli-gation de traiter avec humanité les détenus, prévue à cet article, implique le respect des normes existantes de l’ONU en la matière.179 Dans l’affaire Mukong c. Cameroun, le CCPR a expliqué plus en détail les obligations prévues par cet article, en énonçant les normes minima absolues qui doivent être respectées quel que soit le niveau de développement de l’État partie. « Les règles 10, 12, 17, 19 et 20 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus pré-voient notamment les normes suivantes : minimum de surface et de volume d’air pour chaque détenu, installations hygiéniques suffisantes, vêtements ne devant en aucune manière être dégradants ou humiliants, fourniture d’un lit séparé et

177 Voir l’analyse de l’article 10(1), supra.178 Article premier du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.179 Cette Observation générale fait spécifiquement référence aux normes suivantes : l’Ensemble

de règles minima pour le traitement des détenus (1957), l’Ensemble de principes pour la pro-tection des personnes soumises à une forme quelconque d’emprisonnement (1988), le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (1978) et les Principes d’éthique médi-cale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhu-mains ou dégradants (1982), CCPR, Observation générale N°21, 1992, §5.

46

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

alimentation d’une valeur nutritive suffisante pour assurer la santé et la vigueur des détenus. Il est à noter que ce sont là des exigences minima qui de l’avis du Comité devraient toujours être observées, même si des considérations écono-miques ou budgétaires peuvent rendre ces obligations difficiles à respecter ».180

À l’instar de l’article 7, pour « entrer dans le champ d’application de l’article 10 du Pacte le traitement inhumain doit avoir un degré minimum de sévérité. L’ap-préciation de ce minimum dépend de toutes les circonstances, comme la nature et le contexte du traitement, sa durée, ses effets psychiques ou physiques et, dans certains cas, le sexe, l’âge, l’état de santé ou une autre circonstance particulière de la victime ».181 Le Comité a estimé qu’il y avait eu violation de l’article 10(1) provenant, entre autres, des situations suivantes : surpopulation, manque de lumière naturelle et d’aération, nourriture inadéquate ou inappropriée, pénu-rie de matelas, manque d’installations sanitaires, manque d’hygiène, services médicaux inadéquats (y compris en matière de soins psychiatriques) et manque de structures éducatives ou récréatives.182

– UNCATAu cours de ses visites dans des lieux de détention, le CAT a constaté l’existence de violations fondées sur les conditions de détention.183 Par exemple, après une visite de prisons en Turquie, le Comité a appelé les autorités à « démolir immé-diatement et systématiquement toutes les cellules d’isolement qualifiées de ‘sar-cophage’ qui constituent en elles-mêmes une forme d’instrument de torture. En effet, ces cellules ont une dimension d’environ 60 x 80 centimètres, elles sont dépourvues de lumière et d’aération adéquate et il est possible d’y rester unique-ment debout ou accroupi ».184 À l’instar du CCPR, le CAT s’est dit préoccupé

180 Mukong c. Cameroun (1994), op. cit., §9.3.181 Brough c. Australie, CCPR, Communication N°1184/2003, 17 mars 2006, §9.2.182 Voir, par exemple, Mika Miha c. Guinée Équatoriale, CCPR, Communication N°414/1990,

8 juillet 1994 ; Griffin c. Espagne, CCPR, Communication N°493/1992, 4 avril 1995 ; Yasseen et Thomas c. Guyana, CCPR, Communication N°676/1996, 30 mars 1998 ; Bozize c. République centrafricaine, CCPR, Communication N°428/1990, 7  avril 1994  ; Freemantle c. Jamaïque (2000), op. cit. ; Sextus c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°818/1998, 16 juillet 2001 ; Lantsova c. Fédération de Russie, CCPR, Communication N°763/1997, 26 mars 2002 ; Madafferi c. Australie, CCPR, Communication N°1011/2001, 26 juillet 2004.

183 En vertu de l’article  20 de l’UNCAT, le CAT est habilité à demander aux États parties d’autoriser ce type de visites lorsque le Comité reçoit « des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie ». À ce jour, le CAT n’a pas encore conclu à l’existence d’une violation fondée uniquement sur les conditions de détention mais il a néanmoins indiqué que de telles violations étaient possibles. Voir, par exemple, Attia c. Suède, CAT, Communication N°199/2002, 17 novembre 2003.

184 CAT, Compte rendu succinct des résultats des travaux concernant l’enquête sur la Turquie, Doc. ONU A/48/44/Add.1, 1993, §52.

47

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

par les conditions de détention marquées par les facteurs suivants : surpopu-lation, violence entre prisonniers, manque de séparation entre les différentes catégories de détenus, périodes de détention excessives dans des lieux équipés uniquement pour des détentions de courte durée, manque de lumière natu-relle ou d’aération, manque d’hygiène, des services médicaux inadéquats ou des retards excessifs dans l’accès aux soins médicaux et manque de structures éducatives ou récréatives.185 À nouveau, à l’instar du CCPR, le CAT s’est direc-tement référé à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, en recommandant aux États de mettre fin à toutes pratiques contraires à ces règles.186

1.3.4 Isolement cellulaireLa question de l’isolement cellulaire a été abordée par le CCPR et par le CAT, et elle est également traitée dans d’autres principes directeurs et recomman-dations internationales. Le principe 7 des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus prévoit par exemple que « des efforts tendant à l’aboli-tion du régime cellulaire ou à la restriction du recours à cette peine doivent être entrepris et encouragés ».

– ICCPRDans son Observation générale N°20, le CCPR a déclaré que l’isolement cellu-laire prolongé pouvait constituer une violation de l’article 7.187 Dans ses Obser-vations finales sur le rapport du Danemark en 2000, le Comité a exprimé son opinion selon laquelle « l’isolement cellulaire est une peine sévère entraînant de graves conséquences psychologiques qui ne se justifie qu’en cas d’extrême néces-sité ; le recours au placement en isolement cellulaire hormis dans des circons-tances exceptionnelles et pour des périodes limitées est contraire au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte ».188 Par conséquent, si l’isolement cellulaire ne peut se justifier par l’existence de circonstances prévalant dans le cas d’espèce, il

185 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur le Japon, Doc. ONU CAT/C/JPN/CO/1, 2007 ; Observations finales sur la Croatie, Doc. ONU CAT/C/CR/32/3, 2004 ; Observations finales sur le Chili, Doc. ONU CAT/C/CR/32/5, 2004 ; Observations finales sur la Moldavie, Doc. ONU CAT/C/CR/30/7, 2003  ; Observations finales sur la Fédération de Russie, Doc. ONU CAT/C/CR/28/4, 2002, en particulier le §6(i) qui qualifie les conditions de vie d’enfants placés dans des institutions de traitement inhumain ou dégradant.

186 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur la République Démocratique du Congo, Doc. ONU CAT/C/DRC/CO/1, 2006, §11 ; CAT, Observations finales sur le Togo, Doc. ONU CAT/C/TGO/CO/1, 2006, §19.

187 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §6.188 CCPR, Observations finales sur le Danemark, Doc. ONU CCPR/CO/70/DNK, 2000, §12.

48

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

constitue une violation de l’article 10(1) et, si ce régime d’isolement perdure de manière prolongée, il constitue, dans tous les cas, une violation de l’article 7.

Dans l’affaire Polay Campos c. Pérou, le Comité a estimé que le placement en isolement cellulaire du requérant durant neuf mois, au cours de sa détention préventive, constituait une violation de l’article 10(1) de l’ICCPR et que, par la suite, « l’isolement total de M. Polay Campos pendant une année, de même que les restrictions dont sa correspondance avec sa famille a fait l’objet [ont] constitu[é] un traitement inhumain au sens de l’article 7 »,189 ainsi qu’une vio-lation de l’article 10(1).

Cependant, le placement en isolement cellulaire ne constitue pas, en toutes circonstances, une violation du Pacte. Dans l’affaire Vuolanne c. Finlande, le requérant a été placé en isolement cellulaire pour une durée totale de dix jours à titre de sanction pour s’être absenté sans autorisation durant son service militaire.190 Le CCPR a estimé qu’« il ne semble pas (…) que la détention cellu-laire qui a été imposée à l’auteur ait eu sur lui des effets physiques ou mentaux négatifs de par sa rigueur, sa durée et le but recherché ».191 Le Comité a conclu que la seule atteinte à la dignité du requérant provenait du fait que « la mesure disciplinaire qui lui a été imposée était embarrassante en soi ».192 Le Comité a à nouveau souligné qu’une peine n’est dégradante que si l’humiliation ou l’abais-sement qui en résulte dépasse un certain seuil et si elle comporte des éléments qui dépassent le simple fait d’être privé de liberté. Ainsi, le Comité a estimé que, dans le cas d’espèce, ni l’article 7 ni l’article 10 n’avaient été violés.

– UNCATSi le CAT n’a pas encore eu à examiner cette question en détail dans le cadre de sa procédure d’examen des requêtes individuelles, ce Comité considère égale-ment que l’isolement cellulaire peut constituer un mauvais traitement ou un acte de torture.193 Par exemple, dans son enquête sur des éléments indiquant un recours systématique à la torture au Pérou, le Comité a estimé que le régime de l’isolement cellulaire qui inclut « l’imposition d’un régime de privation sen-sorielle et d’interdiction quasi absolue de communiquer crée des souffrances per-

189 Polay Campos c. Pérou, CCPR, Communication N°577/1994, 6 novembre 1997, §8.6.190 Vuolanne c. Finlande (1989), op. cit.191 Ibid., §9.2.192 Ibid.193 Ingelse considère qu’il est improbable qu’une plainte spécifiquement fondée sur cette question

soit un jour déposée devant le CAT, étant donné que le CCPR est mieux équipé pour traiter de ce problème, Ingelse, op. cit., p. 257.

49

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

sistantes et injustifiées pouvant être assimilées à la torture » et il a recommandé aux autorités péruviennes de mettre un terme à cette situation.194

Le CAT a adopté des positions de plus en plus strictes en matière d’isolement cellulaire. Par exemple, dans ses Observations finales de 2002 sur le Dane-mark, il avait uniquement recommandé à l’État partie de continuer à étudier les effets du régime cellulaire sur les détenus et de mettre en place des méca-nismes de contrôle de la justification de cette mesure ainsi que de sa durée.195 Cependant, dans ses Observations finales de 2007, le CAT, tout en observant que des améliorations avaient été constatées, s’est montré beaucoup plus ferme dans ses recommandations, en déclarant que les autorités danoises ne devaient « appliquer le régime cellulaire qu’en dernier recours, pour une période aussi courte que possible, sous une supervision stricte et en ménageant la possibilité d’un examen judiciaire ». Le Comité a ajouté que les autorités devaient assurer le respect du principe de proportionnalité et établir des limites strictes quant à l’application de l’isolement cellulaire s’agissant des personnes arrêtées en rai-son d’infractions liées à la sécurité de l’État et qui pouvaient être maintenues indéfiniment en régime cellulaire durant leur détention provisoire.196 De plus, le Comité a recommandé aux autorités danoises d’« offrir aux détenus placés en régime cellulaire davantage de contacts humains qui présentent un intérêt sur le plan psychologique ».197

Le Comité est même allé plus loin dans ses Observations finales sur le Japon. En réponse à des allégations selon lesquelles l’isolement cellulaire était utilisé à titre de punition, les garanties procédurales faisaient défaut et, dans certains cas, la période d’isolement excédait dix ans, le Comité a recommandé à l’État partie non seulement de modifier sa législation, mais également d’examiner « systématiquement tous les cas de placement prolongé en régime cellulaire, en prévoyant une évaluation psychologique et psychiatrique par des spécialistes, en vue de libérer les personnes dont la détention peut être considérée comme contraire aux dispositions de la Convention ».198

1.3.5 Détention au secret et disparitions forcéesLa prévention effective de la torture requiert l’adoption et l’application de garanties procédurales visant à ce que tous les détenus fassent l’objet d’un

194 CAT, Résumé des résultats de l’enquête concernant le Pérou, Doc. ONU A/56/44, 2001, §186.195 CAT, Observations finales sur le Danemark, Doc. ONU A/57/44, 2002, §74(c)-(d).196 CAT, Observations finales sur le Danemark, Doc. ONU CAT/C/DNK/CO/5, 2007, §14.197 Ibid.198 CAT, Observations finales sur le Japon, Doc. ONU CAT/C/JPN/CO/1, 2007, §18.

50

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

enregistrement et bénéficient d’un contact régulier avec le monde extérieur. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui n’est pas encore entrée en vigueur, vise à élimi-ner le recours à la détention au secret et aux disparitions forcées, lesquelles exposent les détenus à un risque particulier et qui peuvent, en soi, constituer des mauvais traitements ou une forme de torture. Cette Convention donne la définition suivante des « disparitions forcées » :

« [L]’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de per-sonnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimu-lation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».199

Cette Convention traite également de la détention au secret, requérant des États qu’ils promulguent des lois garantissant « que toute personne privée de liberté sera autorisée à communiquer avec sa famille, son conseil ou toute autre personne de son choix, et à recevoir leur visite, sous la seule réserve des condi-tions établies par la loi ».200

Si les allégations de détention au secret et de disparitions forcées ont, dans le passé, été examinées principalement par le CCPR et le CAT, un Comité des dis-paritions forcées habilité à traiter spécifiquement de ces questions sera bientôt mis en place.201 Il est probable que le CCPR et le CAT auront à examiner un nombre plus restreint de requêtes individuelles suite à des disparitions forcées, au fur et à mesure qu’un nombre croissant d’États ratifieront le nouveau traité. Cependant, il est possible que le mandat de ce nouveau Comité soit par la suite confié à l’un des organes de traités existants, le CCPR étant alors peut-être le candidat le plus probable.202

– ICCPRComme l’a noté le CCPR dans son Observation générale sur l’article 7, « la sur-veillance systématique des règles, instructions, méthodes et pratiques en matière d’interrogatoire ainsi que des dispositions concernant la garde et le traitement

199 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 2006, Rés. AG 61/177, 20 décembre 2006, Doc. ONU A/RES/61/177 (pas encore entrée en vigueur), Article 2.

200 Ibid. Article 17(d).201 Ibid. Article 26.202 Ibid. article 27.

51

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit constitue un moyen efficace d’éviter les cas de torture et de mauvais traitements. Pour garantir effectivement la protection des personnes détenues, il faut faire en sorte que les prisonniers soient détenus dans des lieux de détention officiellement reconnus comme tels et que leur nom et le lieu de leur détention ainsi que le nom des personnes responsables de leur détention figurent dans un registre aisément accessible aux intéressés, notamment aux membres de la famille et aux amis […]. Des dispositions interdisant la détention au secret doivent également être prises ».203

Un grand nombre de cas de détentions au secret examinés par le CCPR com-prennent également des allégations d’autres types de mauvais traitements commis durant la période au cours de laquelle les autorités refusent au détenu tout contact avec le monde extérieur. Cependant, la détention au secret peut, en soi, constituer une violation de l’article 10(1) de l’ICCPR, même si la durée de cette détention est relativement courte.204 En cas de détention prolongée au secret, celle-ci peut constituer un traitement cruel et inhumain ou même une forme de torture. Dans l’affaire El-Megreisi c. Libye, le CCPR a estimé que le fait d’avoir maintenu le requérant en « détention prolongée [de plus de trois ans] au secret en un endroit inconnu constitu[ait] une torture et un traitement cruel et inhumain et qu’il y a[vait] eu violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte ».205

D’après la jurisprudence du CCPR, il apparaît clairement que ce Comité consi-dère que le recours aux disparitions forcées «  est inséparablement lié à un traitement qui équivaut à une violation de l’article 7 ».206 Pour conclure à une violation de cet article 7, il n’est pas nécessaire d’établir le recours à d’autres mauvais traitements. Dans l’affaire Laureano c. Pérou, le Comité a conclu que « l’enlèvement et la disparition de la victime, qui a été empêchée de communi-quer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitu[ai]ent un traitement cruel et inhumain infligé en violation de l’article 7  ».207 Souvent, les dispari-tions forcées impliquent également une infraction au droit à la vie, garanti par l’article 2 de l’ICCPR.208

203 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §11.204 Arutyunyan c. Ouzbékistan, CCPR, Communication N°917/2000, 29 mars 2004, §6.2. Dans

cette affaire, la détention au secret avait duré deux semaines.205 El-Megreisi c. Libye, CCPR, Communication N°440/1990, 23 mars 1994, §5.4.206 Mojica c. République dominicaine, CCPR, Communication N°449/1991, 15 juillet 1994, §5.7.207 Laureano c. Pérou, CCPR, Communication N°540/1993, 25 mars 1996, §8.5.208 CCPR, Observation générale N°6, 1982, §4. Voir aussi, par exemple, Laureano c. Pérou (1996),

Ibid., §§8.3–8.4.

52

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

– UNCATSi le CAT a conclu à une violation de l’UNCAT concernant des traitements lors de la détention au secret, l’absence d’enquêtes sur des allégations de mauvais traitements perpétrés durant la détention au secret ou encore une expulsion illégale incluant le recours à la détention au secret,209 ce Comité n’a pas établi, à ce jour, l’existence d’une violation fondée uniquement sur ce type de détention. Le CAT considère la détention au secret plutôt comme un facteur créant une situation qui favorise le recours à la torture.210 Ainsi, le Comité demande aux États parties d’inclure des informations relatives à la détention au secret dans les rapports qui lui sont soumis sous les rubriques relatives aux articles 2(1) and 11 qui traitent des mesures de prévention de la torture.211

1.3.6 Proches des victimes de violations des droits de l’hommeLe CCPR considère que les familles des victimes de violations des droits de l’homme peuvent elles-mêmes être victimes de mauvais traitements, en par-ticulier dans des cas impliquant des disparitions forcées ou des exécutions. Étant donné que le CAT a eu à se prononcer, à cet égard, sur un nombre plus restreint de cas, ce Comité n’a pas encore conclu à l’existence d’une violation en la matière. Cependant, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées reconnaît explicitement les proches des disparus comme des victimes de plein droit.

– ICCPRLe CCPR a estimé que les membres de la famille de personnes disparues pou-vaient eux-mêmes être victimes d’une violation de l’article  7. Dans l’affaire Quinteros Almeida c. Uruguay, où la requérante était la mère d’une personne disparue après avoir été arrêtée par des militaires dans l’enceinte de l’ambas-sade du Venezuela à Montevideo, le Comité a déclaré comprendre « la douleur et l’angoisse causées à la mère par la disparition de sa fille et par les incertitudes qui demeurent quant à son sort et au lieu où elle se trouve. L’auteur a le droit de savoir ce qu’il est advenu de sa fille. De ce point de vue, la mère est également

209 Arkauz Arana c. France, CAT, Communication N°63/1997, 9 novembre 1999.210 Ibid., §11.4. Voir aussi CAT, Observations finales sur l’Espagne, Doc. ONU CAT/C/CR/29/3,

2002, §10.211 CAT, Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États

parties doivent présenter en application de l’article 19 de la Convention, Doc. ONU A/60/44, Annexe VII.

53

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

victime des violations du Pacte dont sa fille fait l’objet et, en particulier, de vio-lations de l’article 7 ».212

De même, dans l’affaire Schedko c. Bélarus, l’CCPR a conclu que le fait que « les autorités aient tout d’abord omis de notifier à l’auteur la date prévue pour l’exécution de son fils, puis aient persisté à ne pas lui indiquer l’emplacement de la tombe de son fils, constitu[ait] un traitement inhumain à l’égard de l’au-teur ».213 Ainsi, l’État sera considéré comme violant les droits des proches d’une personne condamnée s’il n’informe pas ceux-ci des détails de l’exécution, indépendamment de la question de savoir si l’exécution constitue, en soi, une violation des droits de la personne condamnée.

1.3.7 Extradition et expulsionL’extradition ou l’expulsion d’un individu qui risque d’être soumis à la torture, en cas de renvoi vers un autre État, sont explicitement interdites par l’UNCAT. Le CCPR a affirmé que ces expulsions étaient également interdites en vertu de l’ICCPR, lequel couvre également les cas où il existe un risque de traitements ou de peines cruels, inhumains ou dégradants.

– UNCATLa grande majorité des communications examinées par le CAT concernent l’article 3 de l’UNCAT qui précise que :

« 1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. »

Dans son Observation générale sur l’article 3, le CAT a confirmé que cette dis-position s’appliquait uniquement en cas de risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de l’UNCAT et qu’elle n’englobait pas les autres formes de mauvais traitement.214 L’expression «  autre État  » figurant à l’ar-212 Quinteros Almeida c. Uruguay, CCPR, Communication N°107/1981, 21 juillet 1983, §14.213 Schedko c. Bélarus, CCPR, Communication N°886/1999, 3 avril 2003, §10.2. Voir aussi Shuku-

rova c. Tadjikistan, CCPR Communication N°1044/2002, 17 mars 2006, § 8.7 ; Sankara et al c. Burkina Faso, CCPR, Communication N°1159/03, 28 mars 2006, § 12.2 ; Bazarov c. Ouzbékis-tan (2006), op. cit., §8.5.

214 CAT, Observation générale N°1, 1997, §1. Voir aussi, par exemple, B.S. c. Canada, CAT, Com-munication N°166/2000, 14 novembre 2001, §7.4.

54

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

ticle 3 de l’UNCAT désigne l’État vers lequel la personne concernée va être expulsée, refoulée ou extradée aussi bien que tout autre État vers lequel elle peut être expulsée, refoulée ou extradée ultérieurement.215 En application de l’article premier de l’UNCAT, seules les violations commises par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite sont considérées comme relevant de l’article 3.216

Le CAT a précisé, par ailleurs, que lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un individu risque d’être soumis à la torture, l’exis-tence d’un tel risque doit être « appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ».217 Il n’est pas nécessaire que ce risque soit «  hautement probable  », mais il doit être encouru «  personnelle-ment et actuellement ».218 Pour être actuel, ce risque doit être lié à des agents qui font encore partie de la fonction publique, ou à des personnes agissant à titre officiel. Ainsi, dans l’affaire A.D. c. Pays-Bas, les allégations selon les-quelles le requérant aurait été torturé sous un gouvernement précédent n’ont pas été considérées comme suffisantes pour démontrer que cette personne encourait un risque actuel, étant donné le changement de pouvoir politique qui était intervenu.219 Lorsque le requérant a été victime de torture dans un passé récent, le CAT prend généralement en compte cet élément.220 Par contre, si une longue période s’est écoulée, le Comité peut estimer que le risque n’est plus actuel, indépendamment du fait que le gouvernement ait changé ou non entretemps.221

215 CAT, Observation générale N°1, 1997, §2.216 Ibid., §3. Voir aussi l’analyse, dans la partie 1.2.1, de la disposition relative aux actions menées

« à titre officiel », et également, par exemple, K.K. c. Suisse, CAT, Communication N°186/2001, 11 novembre 2003, §6.8 ; G.R.B. c. Suède (1998), op. cit., §6.7.

217 CAT, Observation générale N°1, 1997, §6.218 Ibid., §6–7.219 A.D. c. Pays-Bas, CAT, Communication N°96/1997, 12 novembre 1999, §7.4. Voir aussi M.M.K.

c. Suède, CAT, Communication N°221/2002, 3 mai 2005, §8.6; S.A. c. Suède, CAT, Commu-nication N°243/2004, 6 mai 2004, §4.2 ; T.M. c. Suède, CAT, Communication N°228/2003, 18 novembre 2003, §7.3. De tels changements n’excluent pas, cependant, que le Comité puisse conclure à l’existence d’une violation si le risque perdure, comme ce fut le cas dans l’affaire T.A. c. Suède, CAT, Communication N°226/2003, 6 mai 2005 (§7.3).

220 CAT, Observation générale No. 1, 1997, §8(b).221 Voir, par exemple, X, Y et Z c. Suède, CAT, Communication N°61/1996, 6 mai 1998, §11.2 ;

H.A.D. c. Suisse, CAT, Communication N°126/1999, 10 mai 2000, §8.6; S.S. c. Pays-Bas, CAT, Communication N°191/2001, 5 mai 2003, §6.6  ; A.I. c. Suisse, CAT, Communication N°182/2001, 12 mai 2004, §6.5-6.7; S.S.S. c. Canada, CAT, Communication N°245/2004, 16 novembre 2005, §8.4; N.Z.S. c. Suède, CAT, Communication N°277/2005, 22 novembre 2006, §8.5.

55

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

Le Comité prend en compte toutes les constatations de faits provenant des juri-dictions internes de l’État partie mais il ne se considère pas lié par ces constats ; il peut « apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circons-tances de chaque affaire ».222 Le risque auquel est exposé le requérant est évalué au moment de l’examen de sa requête ; par conséquent, le CAT peut prendre en compte des éléments qui sont apparus depuis le dépôt de la communication.223 Dans l’évaluation de ce risque, le Comité peut examiner si l’État vers lequel cet individu doit être envoyé est lui-même partie à l’UNCAT ou s’il autorise le CAT à examiner des plaintes individuelles.224 Lorsque l’expulsion a déjà eu lieu, le Comité prend sa décision à la lumière des informations que l’État partie avait, ou aurait dû avoir, en sa possession au moment de l’expulsion.225 Si l’État partie expulse une personne au cours de la période séparant le dépôt de la requête de son examen par le CAT, cela peut constituer, en soi, une violation de la Convention.226

Le CAT a élaboré une importante jurisprudence relative au critère selon lequel le requérant doit courir «  ‘personnellement un risque réel et prévisible’ d’être torturé ».227 Ainsi, « l’existence dans un pays d’un ensemble de violations sys-tématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en tant que telle un motif suffisant pour conclure qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays  ; il doit exister en effet des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnel-lement menacé ».228 En outre, il n’est pas suffisant que le requérant démontre

222 CAT, Observation générale N°1, 1997, §9.223 Voir, par exemple, Attia c. Suède (2003), op. cit., §12.1, qui fait référence à l’affaire H.M.H.I. c.

Australie (2002), op. cit.224 Voir, par exemple, Khan c. Canada, CAT, Communication N°15/1994, 15 novembre 1994,

§12.5 ; Korban c. Suède, CAT, Communication N°88/1997, 16 novembre 1998 ; Attia c. Suède (2003), §12.3. Le CAT a réexaminé cet aspect de la décision qu’il avait prise dans l’affaire Attia c. Suède (2003) ), op. cit., dans une affaire suivante, Agiza c. Suède (2005), qui concernait l’époux de Mme Attia. Le Comité a indiqué que, étant donné les informations apparues au cours de la période écoulée entre ces deux affaires concernant le non-respect par l’Égypte des assurances diplomatiques que ce pays avait fournies, la première affaire aurait pu donner lieu à une décision différente. Voir Agiza c. Suède (2005), op. cit., §13.5.

225 Voir, par exemple, Agiza c. Suède (2005), op. cit., §13.2; Tebourski c. France, CAT, Communica-tion N°300/2006, 1er mai 2007, §8.1.

226 Voir, par exemple, Brada c. France, CAT, Communication N°195/2002, 17 mai 2005. Dans cette affaire, le Comité a également clairement précisé que les requérants ne devaient pas être expulsés avant l’épuisement des voies de recours internes, §13.5.

227 A.R. c Pays-Bas, CAT, Communication N°203/2002, 14 novembre 2003, §7.3. Voir aussi S.P.A. c. Canada, CAT, Communication N°282/2005, 7 novembre 2006, §7.2.

228 Khan c. Canada (1994), op. cit., §12.2. Voir aussi, par exemple, Mutombo c. Suisse, CAT, Com-munication N°13/1993, 27 avril 1994, §9.3 ; E.A. c. Suisse, CAT, Communication N°28/1995, 10 novembre 1997, §11.2 ; N. P. c. Australie, CAT, Communication N°106/1998, 6 mai 1999, §6.4;

56

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

qu’il risque d’être torturé dans une région spécifique de l’État s’il est possible de l’expulser vers une autre région sans lui faire encourir le risque d’être tortu-ré.229 L’examen se fait au cas par cas et, par conséquent, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une per-sonne donnée n’encourt pas le risque d’être torturée.230 Il n’est donc pas permis à un État de prendre des décisions fondées exclusivement sur une liste de pays « sûrs » ou sur tout autre critère qui exclurait un examen individuel du cas.231

La charge de présenter des arguments défendables incombe à l’auteur de la communication,232 même si l’État est tenu de remettre au CAT toutes les infor-mations pertinentes et nécessaires.233 Le requérant doit présenter un minimum d’éléments nécessaires pour étayer ses allégations et rendre sa communication recevable.234 Le Comité « considère qu’une exactitude parfaite ne peut guère être attendue de victimes de la torture »,235 cependant, des incohérences matérielles graves conduiront généralement au rejet de la requête.236 Lorsqu’un requérant fournit un niveau suffisant d’informations crédibles, il est possible de renver-ser le fardeau de la preuve. Dans l’affaire A.S. c. Suède, le Comité a estimé que la requérante avait « fourni suffisamment de détails au sujet de son mariage sighe ou mutah et de son arrestation, par exemple les noms des personnes concer-nées, leur position, les dates, les adresses, le nom du poste de police, etc., qui auraient pu être et qui, dans une certaine mesure, ont été vérifiés par les services suédois de l’immigration et qu’il y a[vait] donc déplacement de la charge de la preuve ».237 Dans cette affaire, le Comité a estimé que les autorités suédoises n’avaient pas déployé assez d’efforts afin de déterminer s’il y avait des motifs sérieux de croire que la requérante risquait d’être soumise à la torture ; par conséquent, le CAT a estimé que tout renvoi forcé de la requérante vers l’Iran

S.S.H. c. Suisse, CAT, Communication N°254/2004, 15 novembre 2005, §6.3 ; El Rgeig c. Suisse, CAT, Communication N°280/2005, 15 novembre 2006, §7.4.

229 B.S.S. c. Canada, CAT, Communication N°183/2001, 12 mai 2004, §11.5. Voir aussi H.M.H.I. c. Australie (2002), op. cit., §6.6.

230 Khan c. Canada (1994), op. cit., §12.2.231 Voir, par exemple, CAT, Observations finales sur la Finlande, Doc. ONU A/51/44, 1996, §62.232 CAT, Observation générale N°1, 1997, §5. Cette position a été confirmée dans la jurisprudence

du Comité. Voir, par exemple, Zare c. Suède, CAT, Communication N°256/2004, 12 mai 2006, §9.5  ; M.A.K. c. Allemagne, CAT, Communication N°214/2002, 12 mai 2004, §13.5  ; S.L. c. Suède, Communication N°150/1999, 11 mai 2001, §6.4.

233 Article 22(4) de l’UNCAT. Voir aussi Agiza c. Suède (2005), op. cit., §13.10.234 Y c. Suisse, CAT, Communication N°18/1994, 17 novembre 1994, §4.2.235 Kisoki c. Suède, CAT, Communication N°41/1996, 8 mai 1996, §9.3. Voir aussi, par exemple,

Tala c. Suède, CAT, Communication N°43/1996, 15 novembre 1996, §10.3  ; C.T. et K.M. c. Suède, CAT, Communication N°279/2005, 17 novembre 2006, §7.6.

236 Voir H.K.H. c. Suède, CAT, Communication N°204/2002, 19 novembre 2002.237 A.S. c. Suède (2000), op. cit., §8.6.

57

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

ou vers tout autre pays où cette femme risquait d’être expulsée ou renvoyée vers l’Iran constituait une violation de l’article 3 de la Convention.

Comme nous l’avons vu dans la partie 1.2.2, les États parties à l’UNCAT sont tenus de mener une enquête effective sur les allégations de violations commises dans le passé. Cependant, comme l’a observé le Comité dans l’affaire Agiza c. Suède, « la nature du refoulement est telle (…) qu’une allégation de violation (…) porte sur une expulsion ou un renvoi futur ; en conséquence, le droit à un recours utile que contient l’article 3 exige, dans ce contexte, qu’il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l’on est en présence d’une allégation plausible mettant en cause le respect de l’article 3 ».238

– ICCPRLe Comité des droits de l’homme considère que les États parties à l’ICCPR « ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou trai-tements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement ».239 Cette prohibition a une portée plus large que celle prévue aux termes de l’UNCAT en ce qu’elle s’étend à toutes les formes de mauvais traitements, mais la jurispru-dence du CCPR relative à cette question est moins fournie que celle du CAT.

Lorsqu’il est amené à décider si une expulsion constitue une violation de l’ar-ticle 7, le CCPR examine si l’extradition ou l’expulsion exposent un individu à un risque réel de mauvais traitements, à savoir si ces mauvais traitements seraient une « conséquence nécessaire et prévisible » de l’expulsion.240 Cepen-dant, l’angoisse inhérente au fait de quitter un État où un individu a résidé depuis longtemps n’est pas considérée comme une condition suffisante pour constituer un mauvais traitement.241

L’article 13 de l’ICCPR prévoit que :

« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un État partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité

238 Agiza c. Suède (2005), op. cit., §13.7. Voir aussi Arkauz Arana c. France (1999), op. cit.239 CCPR, Observation générale N°20, 1992, §9.240 G.T. c. Australie, CCPR, Communication N°706/1996, 4 novembre 1997, §8.1, 8.6; A.R.J. c.

Australie, CCPR, Communication N°692/1996, 28 juillet 1997, §6.8-6.9.241 Canepa c. Canada, CCPR, Communication N°558/1993, 3 avril 1997, §11.2.

58

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin. »

Le CCPR accorde à l’État partie « un pouvoir discrétionnaire très étendu » pour déterminer si une affaire relève des questions de sécurité nationale.242 Ainsi, dans une affaire relative à des vols de restitution,243 le CCPR a estimé que les droits du requérant n’avaient pas été violés aux termes de cet article. Cepen-dant, dans cette même affaire, le Comité a soutenu que le droit à un recours effectif garanti par les articles 7 et 2 de l’ICCPR requiert que « pour que le réexamen d’une décision d’expulsion alors qu’il existe un risque réel de torture soit effectif, il doit pouvoir avoir lieu avant l’expulsion afin d’éviter un préjudice irréparable à l’individu, faute de quoi il est inutile et vide de sens ».244 Ainsi, si l’État est tenu d’assurer un examen indépendant de ses décisions, le fait de ne pas se conformer à cette obligation peut constituer une violation des seuls articles 7 et 2, et non nécessairement de l’article 13.

1.3.7.1 Les assurances diplomatiquesUn certain nombre d’États tentent de répondre à l’interdiction d’expulser des individus vers des États où ils risquent d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements en cherchant à obtenir de l’État de destination des assu-rances diplomatiques selon lesquelles la personne en question ne sera pas sou-mise à de tels actes. Aussi bien le CCPR que le CAT se sont montrés sceptiques quant à la valeur de ces assurances et ils exigent des États qui continuent de recourir à de telles assurances qu’ils établissent des procédures bien définies relatives à leur utilisation, ainsi que de solides mécanismes judiciaires de contrôle et des dispositifs efficaces de suivi en cas de renvoi. Les deux Comités reconnaissent que ces assurances auront peu de valeur lorsqu’elles émanent d’un État qui a régulièrement manqué à son obligation de ne pas soumettre à la torture ou autres mauvais traitements des personnes étant sous sa juridiction.

– UNCATDans ses Observations finales de 2006 sur les États-Unis, le CAT s’est dit inquiet du recours par l’État partie aux assurances diplomatiques ou à d’autres formes de garanties qu’un individu ne sera pas soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé, transféré ou extradé vers un autre État. En particulier, le CAT s’est dit 242 Alzery c. Suède (2006), op. cit., §11.10. Voir aussi Borzov c. Estonie, CCPR Communication

N°1136/2002, 26 juillet 2004.243 La « restitution » est le transfert d’une personne d’un pays vers un autre, sans aucune forme de

procédure ordinaire judiciaire ou administrative.244 Alzery c. Suède (2006), op. cit., §11.8.

59

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

« préoccupé par le secret qui entoure ces procédures, notamment le fait qu’elles échappent à tout contrôle judiciaire, et par l’absence de dispositif de surveillance pour vérifier si les assurances ont été honorées  ».245 S’il s’est abstenu d’inter-dire en toutes circonstances l’utilisation de ces « assurances diplomatiques », le Comité a exhorté les États-Unis à établir et mettre en œuvre des procédures bien définies pour l’obtention de ces assurances, ainsi que des mécanismes judiciaires appropriés de contrôle et des dispositifs efficaces de suivi en cas de refoulement. Le Comité a, par ailleurs, conclu que le gouvernement américain « ne devrait s’en remettre aux ‘assurances diplomatiques’ qu’à l’égard des États qui ne violent pas systématiquement les dispositions de la Convention et après examen attentif de chaque cas quant au fond ».246

L’affaire Agiza c. Suède est particulièrement éclairante dans ce domaine.247 Dans cette affaire, le requérant, soupçonné d’implication dans des activités terroristes, avait été transféré de Suède vers l’Égypte le 18 décembre 2001, à bord d’un avion fourni par les États-Unis. Il avait été victime de mauvais trai-tements commis par des agents étrangers immédiatement avant son expulsion, alors qu’il se trouvait encore sur le territoire suédois. Le Comité a estimé que ces mauvais traitements avaient été infligés avec le consentement tacite de la police suédoise. Cependant, même en l’absence de ces mauvais traitements, l’État partie disposait d’informations suffisantes au moment du transfert pour aboutir à la « conclusion naturelle » que le requérant courait un risque réel d’être torturé. De plus, « l’obtention d’assurances diplomatiques qui (…), de surcroît, n’étaient assorties d’aucun mécanisme pour assurer leur respect n’était pas suffisante pour protéger le requérant contre ce risque manifeste ».248 Ainsi, si les assurances diplomatiques pourraient ne pas être, de façon inhé-rente, incompatibles avec les obligations d’un État aux termes de l’article 3 de l’UNCAT, elles doivent inclure des dispositions prévoyant à la fois leur mise en application et un mécanisme de suivi rigoureux. Le CAT a précisé ces élé-ments dans l’affaire Pelit c. Azerbaïdjan, en notant que le fait de rechercher des assurances diplomatiques « revient en soi à reconnaître qu’en cas d’expulsion, la requérante risquerait de subir de tels traitements ».249 Par ailleurs, le Comité a 245 CAT, Observations finales sur les États-Unis, Doc. ONU CAT/C/USA/CO/2, 2006, §21.246 Ibid.247 Agiza c. Suède (2005), op. cit.248 Ibid., §13.4. Dans sa décision, le Comité n’a pas explicitement indiqué que cette affaire impli-

quait une « restitution extraordinaire », dans laquelle des personnes soupçonnées de représen-ter une menace à la sécurité nationale sont transférées vers des États où elles seront torturées afin de les contraindre à fournir des informations aux services de sécurité d’un État tiers. De telles pratiques sont clairement prohibées par l’UNCAT.

249 Pelit c. Azerbaïdjan, CAT, Communication N°281/2005, 1er mai 2007, §11.

60

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATI

ON

S U

NIE

S

1

estimé que le mécanisme de suivi après l’expulsion adopté par l’État de renvoi doit être, dans les faits et de l’avis du requérant, « objectif, impartial et suffi-samment fiable ».250

– ICCPRComme cela a été examiné supra, dans le cadre du droit à la vie, le CCPR a soutenu que les États qui avaient aboli la peine de mort ne devaient pas extra-der des individus vers d’autres pays où ils risquaient d’être condamnés à la peine capitale. Cependant, le Comité a autorisé une exception à cette règle. Lorsque le pays de destination donne l’assurance que la peine de mort ne sera pas appliquée, une extradition ne constitue pas automatiquement une viola-tion de l’article 6.251 Le CCPR a adopté, toutefois, une position plus restrictive lors de son examen du respect de l’article 7, notamment eu égard aux « restitu-tions extraordinaires » et à la « guerre contre le terrorisme ».

Dans ses Observations finales de 2006 sur les États-Unis, le Comité a indiqué que « l’État partie devrait faire preuve de la plus grande circonspection dans le recours aux assurances diplomatiques et mettre en place des procédures claires et transparentes, assorties des mécanismes de contrôle judiciaire voulus, avant d’expulser une personne, ainsi que des mécanismes efficaces pour contrôler scru-puleusement et activement le sort des personnes concernées ».252 Par ailleurs, le Comité a explicitement reconnu les limites des assurances diplomatiques en précisant que « plus la pratique de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est systématique, moins il est probable qu’un risque réel d’être soumis à un tel traitement puisse être évité par l’obtention d’assu-rances, aussi vigoureuse que puisse être la procédure de suivi convenue ».253

Le Comité a adopté cette position dans l’Affaire Alzery c. Suède.254 Les faits invoqués dans cette affaire étaient substantiellement les mêmes que ceux rela-tifs à l’affaire Agiza c. Suède, qui a été examinée par le CAT et à laquelle le CCPR a explicitement fait référence.255 Le CCPR a estimé que, si l’existence d’assurances diplomatiques pouvait être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un risque réel de torture ou de mauvais traitements, de

250 Ibid.251 Judge c. Canada (2002), op. cit., §10.4.252 CCPR, Observations finales sur les États-Unis, Doc. ONU CCPR/C/USA/CO/3, 2006, §16.253 Ibid.254 Alzery c. Suède (2006), op. cit.255 Le requérant avait également été transféré de Suède vers l’Égypte le 18 décembre 2001 à bord

d’un avion fourni par les États-Unis, avec la participation d’agents de sécurité américains et égyptiens.

61

LE

S O

RG

AN

ES

DE

TR

AIT

ÉS

DE

S N

ATIO

NS

UN

IES

1

telles assurances devaient être fiables et être assorties d’un suivi et d’autres mesures visant à leur mise en œuvre effective.256 Dans le cas d’espèce, ces assu-rances ne prévoyaient aucun mécanisme permettant de vérifier leur respect en pratique. Aucune autre disposition n’avait été prise pour garantir une appli-cation effective de l’accord et les visites effectuées n’étaient pas conformes à la bonne pratique internationale puisque les visiteurs n’avaient jamais rencon-tré en privé le détenu et qu’aucun examen médical ou médico-légal approprié n’avait été effectué. Par conséquent, le Comité a conclu que les assurances diplomatiques reçues n’avaient pas été suffisantes dans le cas d’espèce pour supprimer le risque de mauvais traitements et que, de ce fait, la Suède avait enfreint l’article 7 de l’ICCPR.

ConclusionLes conclusions, recommandations et décisions des organes de traités ne sont pas, stricto sensu, juridiquement contraignantes ; elles n’ont qu’un pouvoir de conseil. Cependant, ces organes ont, au fil du temps, pleinement fait usage de la flexibilité inhérente à ce pouvoir relativement limité, développant les défini-tions de la torture et des mauvais traitements, l’étendue des obligations incom-bant aux États, ainsi que le champ d’application de la prohibition de ces actes. Cela reflète également une évolution conduisant à un ancrage d’une culture des droits de l’homme dans toutes les régions du monde. Le CCPR, étant le plus ancien des deux organes, a été nettement plus courageux que le CAT dans un certain nombre de questions examinées supra.

Les organes de traités ne se réunissent que quelques semaines par an. De ce fait, si leur influence a une importance primordiale, ils ne peuvent apporter qu’une contribution limitée à la jurisprudence internationale en matière de torture. De même que les organes de traités inspirent les mécanismes régionaux, une grande partie de la jurisprudence de ces organes reflète les standards élaborés par les mécanismes régionaux. Les organes de traités ont fait un nombre par-ticulièrement élevé de références aux décisions de la Commission et de la Cour européennes des droits de l’homme. Cela n’a rien d’étonnant ; le mécanisme régional européen a été le premier à être mis en place et il a un nombre bien plus élevé d’affaires que les autres systèmes. Ainsi, le système régional euro-péen a élaboré la jurisprudence la plus détaillée en matière de prohibition de la torture et autres mauvais traitements. Cette jurisprudence sera analysée dans le chapitre 2, la jurisprudence des systèmes interaméricains et africains étant respectivement étudiée dans les chapitres 3 et 4.256 Alzery c. Suède (2006), op. cit., §§11.3, 11.5.

Le Système Régional Européen

Introduction 63

2.1 Définitions 64

2.2 Les obligations des États parties 72

2.3 Le champ d’application 82

Conclusion 102

2

64

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

IntroductionLa Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) a été ouverte à la signature en 1950. L’interdiction de la torture et d’autres formes de mauvais traitement est inscrite à son article 3, lequel prévoit que :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhu-mains ou dégradants. »

L’article 3 de la CEDH ne définit pas la torture ni les peines ou traitements inhumains ou dégradants.257 Par conséquent, la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que la Commission européenne des droits de l’homme jusqu’à la suppression de cet organe en novembre 1999,258 ont élaboré une jurispru-dence complexe et abondante afin de préciser les éléments constitutifs de ces formes d’abus.

L’objectif du présent chapitre est d’examiner les définitions qui se sont déga-gées de la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes, ainsi que le récent élargissement du champ d’application de l’article 3 de la CEDH.

2.1. DéfinitionsEn se fondant sur la simple proclamation de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants inscrite à l’article 3 de la CEDH, la Cour et la Commission ont élaboré des définitions complexes de ces actes prohibés et ont établi des distinctions entre eux.

2.1.1 TortureL’Affaire grecque259 et l’affaire Irlande c. Royaume-Uni260 sont les deux princi-pales affaires concernant la distinction entre ces divers actes prohibés. L’Affaire grecque, examinée par la Commission européenne, portait sur le comporte-ment des forces de sécurité grecques après le coup d’État militaire de 1967. La

257 Aux fins de ce chapitre, le terme « actes » couvre également la notion d’« omissions », et le terme « traitements » couvre également la notion de « peines ».

258 Depuis 1998, suite à une révision des mécanismes de surveillance du système des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le travail de la Commission européenne des droits de l’homme a été incorporé dans celui de la Cour européenne des droits de l’homme qui a fait l’objet d’une restructuration. La Commission a cessé de fonctionner le 1er novembre 1999, conformément au Protocole N°11 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

259 Affaire grecque, N°3321/67, 3322/67, 3323/67 et 3344/67, Yearbook of the European Convention on Human Rights, N°12, 1969.

260 Irlande c. Royaume-Uni, N°5310/71, CrEDH (Série A) N°25, arrêt du 18 janvier 1978.

65

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

Commission a adopté une approche générale qui établissait une distinction entre la « torture », les traitements « inhumains » et les traitements « dégra-dants ». La Cour et la Commission européennes, à la différence de leurs homo-logues internationaux ou régionaux, ont continué à suivre cette approche en établissant des distinctions entre les différentes formes de mauvais traitements. Si ces définitions ont été précisées et affinées depuis l’examen de ces deux pre-mières grandes affaires, la torture reste marquée d’une « infamie spéciale » qui la différencie des autres formes de mauvais traitements.

Dans l’Affaire grecque, la Commission européenne a considéré que ces abus s’inscrivaient dans une continuité, chacun constituant une forme aggravée du précédent. Il apparaissait que la caractéristique distinctive de la torture n’était pas nécessairement la nature et la gravité de l’acte, mais plutôt le but recher-ché. La Commission avait ainsi précisé que toute torture ne pouvait être qu’un traitement inhumain et dégradant et tout traitement inhumain ne pouvait être que dégradant. Selon elle, la notion de traitements inhumains couvrait pour le moins un traitement qui provoque volontairement de grandes souffrances mentales ou physiques et qui, en l’espèce, ne pouvait se justifier. Toujours selon elle, le mot torture était quand à lui souvent utilisé pour décrire un traitement inhumain ayant un but, par exemple d’obtenir des informations ou des aveux ou d’infliger une peine, et était généralement une forme aggravée de traite-ments inhumain. Enfin, un traitement ou une peine appliquée à un individu pouvait être dit dégradant s’il l’humiliait grossièrement devant autrui ou le poussait à agir contre sa volonté ou sa conscience.261

Cependant, dans des décisions ultérieures et notamment dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, l’aspect de la définition de la torture relatif au but recherché a été marginalisé durant un certain temps au profit de celui relatif à un seuil fondé sur une échelle de gravité délimitant ces trois actes. L’affaire Irlande c. Royaume-Uni portait sur le traitement de personnes soupçonnées d’être membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) par des militaires britan-niques stationnés en Irlande du Nord. Une requête avait été déposée contre le Royaume-Uni par le gouvernement irlandais, lequel alléguait notamment que le recours, lors d’interrogatoires, aux «  cinq techniques » (privation de sommeil, posture de tension, privation de nourriture solide et liquide, bruit, encapuchonnement) constituait une violation de l’article 3. Dans son arrêt, la Cour a établi une distinction entre la torture, le traitement inhumain et le traitement dégradant, estimant qu’une telle différenciation était nécessaire à

261 Affaire grecque (1969), op. cit., p.186, §2.

66

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

cause de la « spéciale infamie » qui s’attache aux actes de torture.262 La Cour a ainsi conclu que, pour constituer une torture, un acte devait provoquer « de fort graves et cruelles souffrances ».

Dans cette affaire, la Cour a estimé que les « cinq techniques » avaient causé « sinon de véritables lésions, du moins de vives souffrances physiques et morales ; elles ont entraîné de surcroît (…) des troubles psychiques aigus en cours d’inter-rogatoire ». Ces actes s’inscrivaient, de ce fait, dans la catégorie des traitements inhumains, ils n’ont toutefois pas « causé des souffrances de l’intensité et de la cruauté particulières qu’implique le mot torture ainsi entendu ».263 La Cour contredisait ici la décision prise par la Commission dans l’Affaire grecque, aux termes de laquelle de telles pratiques pouvaient être assimilées à des actes de torture,264 remplaçant ainsi la distinction fondée sur le but recherché au profit d’une évaluation subjective de l’intensité des douleurs et souffrances causées par l’acte.265 Selon une telle distinction, un traitement dégradant qui atteint un certain degré d’intensité peut être requalifié de traitement inhumain, lequel, à son tour, s’il atteint un niveau d’intensité suffisant, peut être assimilé à un acte de torture.266

L’approche du « seuil de gravité » a été reprise dans plusieurs décisions ulté-rieures de la Cour et de la Commission.267 Par exemple, dans l’affaire Aydin contre Turquie,268 la Cour a rappelé les éléments constitutifs de la torture, tels que définis dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, et s’est fondée sur eux pour affirmer que le viol pouvait constituer un acte de torture. Cette affaire concer-nait une jeune femme qui avait été détenue par la police turque pour implica-tion présumée avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Au cours de sa détention, elle avait eu les yeux bandés, avait été déshabillée, frappée, arrosée 262 Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit., §167.263 Ibid., §167.264 Voir l’Affaire grecque (1969), op. cit., qui a conclu que l’utilisation combinée de certaines tech-

niques pouvaient être assimilée à de la torture.265 Voir l’opinion séparée du juge Zekia, qui ne partageait pas l’avis selon lequel « la souffrance

physique ou mentale doit être extrême pour qu’un cas de mauvais traitement constitue une ‘torture’ » parce que « de par sa nature, la torture permet des degrés dans l’intensité, l’acuité et les méthodes adoptées pour l’infliger ». Le juge Zekia n’estimait pas non plus que la Cour avait compétence pour contredire la précédente décision de la Commission qui avait déclaré que les traitements pouvaient être assimilés à de la torture. Il a affirmé qu’il s’agissait là « d’une constatation de fait relevant de la compétence de l’autorité qui s’occupe de l’affaire en première instance », Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit., opinion séparée de M. Le Juge Zekia, §B.

266 Morgan et Evans, Preventing Torture, Clarendon Press, Oxford, 1998, p.82.267 Voir, par exemple, Aksoy c. Turquie, N°21987/93, Recueil 1996-VI, arrêt du 18 décembre 1996 ;

Aydin c. Turquie (1997), op. cit. ; Selmouni c. France, N°25803/94, Recueil des arrêts et déci-sions 1999-V, arrêt du 28 juillet 1999.

268 Aydin c. Turquie (1997), op. cit.

67

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

de puissants jets d’eau froide et violée. La Cour a statué que « le viol d’un détenu par un agent de l’État doit être considéré comme une forme particulièrement grave et odieuse de mauvais traitement, compte tenu de la facilité avec laquelle l’agresseur peut abuser de la vulnérabilité de sa victime et de sa fragilité. En outre, le viol laisse chez la victime des blessures psychologiques profondes qui ne s’effacent pas aussi rapidement que pour d’autres formes de violence physique ou mentale. [...] Dans ces conditions, la Cour est convaincue que l’ensemble des actes de violence physique et mentale commis sur la personne de la requérante et celui de viol, qui revêt un caractère particulièrement cruel, sont constitutifs de tortures interdites par l’article 3 de la Convention ».269 En outre, la Cour a conclu qu’elle serait « parvenue à la même conclusion pour chacun de ces motifs pris séparément », à savoir l’allégation de torture en raison du viol et l’allégation de torture en raison des autres formes de violence physique et mentale subies. Ainsi, un acte de viol peut constituer en soi une torture.

Une distinction entre ces trois actes ne peut néanmoins pas être établie sim-plement par une mesure absolue de l’intensité des douleurs ou des souffrances infligées. L’appréciation de ce minimum de gravité est relative et « dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc.».270 Récemment, la Cour a déclaré que si la gravité des souffrances constituait un élément de poids, « il est des circonstances où la preuve de l’effet réel sur une personne peut ne pas être un élément majeur ».271

L’arrêt prononcé dans l’affaire Selmouni c. France a constitué une étape déci-sive dans l’approche de la Cour, notamment parce qu’il faisait référence, pour la première fois, à la définition de torture inscrite à l’article premier de l’UNCAT.272 En se référant à cette définition, la Cour a à nouveau souligné l’importance de l’aspect de la torture relatif au but recherché, qui avait été négligé depuis l’examen de l’Affaire grecque. Dans plusieurs de ses décisions ultérieures, la Cour a fait référence à l’UNCAT, soulignant dans l’Affaire Ilhan c. Turquie que « outre la gravité des traitements, la notion de torture suppose un

269 Ibid., §83–86.270 Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit., §162.271 Keenan c. Royaume-Uni, N°27229/95, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, arrêt du 3 avril

2001, §113.272 Ayant conclu que les souffrances infligées étaient au moins assimilables à un traitement inhu-

main et dégradant, la Cour a déclaré qu’il « reste à savoir si les ‘douleurs ou souffrances’ infligées ... peuvent être qualifiées d’‘aiguës’ au sens de l’article 1er de la Convention des Nations Unies », Selmouni c. France (1999), op. cit., §100. Pour un examen de l’article premier de l’UNCAT, voir chapitre 1.

68

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

élément intentionnel, reconnu dans la Convention des Nations Unies contre la torture (…) qui précise que le terme ‘torture’ s’entend de l’infliction intention-nelle d’une douleur ou de souffrances aiguës aux fins notamment d’obtenir des renseignements, de punir, ou d’intimider ».273

De manière générale, le système judiciaire européen s’est gardé de dresser une liste des actes susceptibles d’être automatiquement considérés comme suf-fisamment graves pour constituer un acte de torture. La Cour s’est toujours réservée une certaine latitude dans l’examen des actes prohibés et a conclu que la CEDH devait être traitée comme « un instrument vivant (…) à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles ».274 La Cour a réitéré cet avis en des termes particulièrement forts dans l’affaire Selmouni c. France,275 lorsqu’elle a affirmé que « certains actes autrefois qualifiés de ‘traitements inhumains et dégradants’, et non de ‘torture’, pourraient recevoir une qualification différente à l’avenir ». La Cour a estimé que « le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, paral-lèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques ».276 Ainsi, la Cour n’est pas liée par ses décisions antérieures, mais s’estime libre de réexa-miner sa jurisprudence et d’élargir le champ d’application de l’article 3 à des actes qui n’avaient pas été considérés auparavant comme constitutifs d’actes de torture ou de mauvais traitement.277

2.1.2 Traitements inhumainsDans l’Affaire grecque, la Commission a établi une distinction non seulement entre la torture et les autres formes de mauvais traitement, mais également entre les traitements inhumains et les traitements dégradants. La Commission

273 Ilhan c. Turquie, N°22277/93, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, arrêt du 27 juin 2000, §85. Voir aussi Salman c. Turquie, N°21986/93, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, arrêt du 27 juin 2000 ; Akkoç c. Turquie, N°s 22947/93 et 22948/93, Recueil des arrêts et décisions 2000-X, arrêt du 10 octobre 2000 ; et Bati et consorts c. Turquie, N°57834/00, Recueil des arrêts et décisions 2004-IV (extraits), arrêt du 3 juin 2004.

274 Tyrer c. Royaume-Uni, N°5856/72, CrEDH (Série A) N°26, arrêt du 25 avril 1978, §31. Voir aussi Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit., §102 ; Loizidou c. Turquie, N°15318/89, CrEDH (Série A) N°310, arrêt du 23 mars 1995, §71 ; Bursuc c. Roumanie, N°42066/98, arrêt du 12 octobre 2004 ; Mamatkulov et Askarov c. Turquie, N°s. 46827/99 et 46951/99, Recueil des arrêts et déci-sions 2005-I, arrêt du 4 février 2005, §121.

275 Selmouni c. France (1999), op. cit. Cette affaire portait sur des allégations de diverses formes de mauvais traitement (coups de poing répétés, coups portés avec des objets et abus sexuel) infligés au requérant au cours de sa garde à vue.

276 Selmouni c. France (1999), op. cit., §101.277 Voir par exemple Henaf c. France, N°65436/01, Recueil des arrêts et décisions 2003-XI, arrêt du

27 novembre 2003, §55.

69

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

a considéré que les traitements inhumains couvraient pour le moins les trai-tements qui provoquaient volontairement de graves souffrances mentales ou physiques et qui, en l’espèce, ne pouvaient se justifier.278 En outre, dans l’affaire ultérieure Irlande c. Royaume-Uni, la Commission a estimé que « toute défini-tion des dispositions de l’article 3 de la Convention doit partir de la notion de ‘traitements inhumains’ ».279 Toutefois, la Cour et la Commission ont formulé un nombre plus restreint de définitions des traitements inhumains que des autres actes prohibés. Le traitement inhumain peut être défini par rapport aux autres formes de mauvais traitements ; il s’agit d’un traitement qui n’est pas suffisamment grave ou ne présente pas l’élément requis du but recherché pour être qualifié de torture mais qui, en même temps, franchit le « seuil supérieur de gravité » qui le démarque d’un traitement dégradant.280

L’arrêt rendu dans l’affaire Campbell et Cosans c. Royaume-Uni illustre à la fois cette approche plutôt ambiguë de la définition du traitement inhumain ainsi que la manière dont la Cour apprécie la nature des actes prohibés en se fondant sur le « seuil de gravité » des actes prohibés.281 Cette affaire concernait une menace de châtiments corporels à l’encontre de deux écoliers. Même si ces châtiments n’ont pas été infligés, la Cour a néanmoins déclaré qu’« un risque d’agissements prohibés par l’article 3 (…) peut se heurter lui-même à ce texte s’il est suffisamment réel et immédiat. Ainsi, menacer quelqu’un de le torturer pourrait, dans des circonstances données, constituer pour le moins un ‘traite-ment inhumain’ ».282

2.1.3 Traitements dégradantsÀ la différence des traitements inhumains, les traitements dégradants ont été l’objet de réflexions approfondies quant à leur définition, sans doute parce qu’ils constituent le minimum de gravité au-delà duquel un acte est qualifié de violation de l’article 3. Ici encore, c’est l’Affaire grecque qui sert de point de départ aux affinements successifs apportés à ces définitions. Dans cette affaire, il a été conclu que, pour qu’un acte soit considéré comme dégradant, il devait

278 Affaire grecque (1969), op. cit., p.186, §2.279 Irlande c. Royaume-Uni, N°5310/71, Rapport de la Commission (Série B) Tome 23-1, 1976,

p.389.280 Voir M. Evans et R. Morgan, Preventing Torture, Clarendon Press, Oxford, 1998, §389.281 Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, N°s.7511/76 et 7743/76, CrEDH (Série A) N°48, arrêt du

25 février 1982.282 Ibid., §26. La Cour a estimé que la menace de punition n’était pas suffisamment grave pour

constituer un acte de torture ou de traitement inhumain, et qu’elle n’avait pas humilié ni avili les deux garçons au point de constituer un traitement dégradant. Voir aussi Tyrer c. Royaume-Uni (1978), op. cit., §29.

70

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

inclure une forme d’humiliation grossière.283 Par ailleurs, dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, la Cour a déclaré que, pour relever du champ d’application de l’article 3, un acte de mauvais traitement devait atteindre un « minimum de gravité ».284

La Commission et la Cour ont élaboré sur ces caractéristiques dans leurs déci-sions ultérieures. Dans l’affaire Asiatiques d’Afrique orientale c. Royaume-Uni, la Commission s’est prononcée dans les termes suivants : « L’article 3 stipule que nul ne peut être soumis à ‘la torture ni à des peines ou traitements inhu-mains ou dégradants’. Prise dans ce contexte, l’expression ‘traitements dégra-dants’ montre que cette disposition vise en général à empêcher les atteintes particulièrement graves à la dignité humaine. Par conséquent, une mesure qui abaisse une personne dans son rang, sa situation ou sa réputation, ne peut être considérée comme ‘traitement dégradant’ au sens de l’article 3 que si elle atteint un certain degré de gravité ».285 Par conséquent, pour qu’un acte soit constitutif de traitement dégradant, il doit, d’une manière ou d’une autre, porter atteinte à la dignité de la personne. La Cour s’est également prononcée sur l’approche fondée sur le « seuil de gravité » dans son examen de l’affaire Tyrer c. Royaume-Uni. Cette affaire portait sur un garçon, de quinze ans, condamné pour agres-sion à recevoir des coups de verge. Après avoir estimé que ce traitement n’était pas assez grave pour constituer un acte de torture ou un traitement inhumain, la Cour s’est demandée s’il pouvait être assimilé à un traitement dégradant, en remarquant que « ce qui importe aux fins de l’article 3 est qu’il soit humilié non par sa seule condamnation, mais par l’exécution de sa peine. (…) Pour qu’une peine soit ‘dégradante’ et enfreigne l’article 3, l’humiliation ou l’avilissement dont elle s’accompagne doivent se situer à un niveau particulier ».286 La Cour a, en outre, déclaré que l’appréciation du niveau d’humiliation ou d’avilisse-ment causé par l’acte en question s’avère « nécessairement relative : elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, et notamment de la nature et du contexte de la peine ainsi que de ses modalités d’exécution ».287

L’appréciation du niveau minimum de gravité d’un traitement comprend un élément objectif et un élément subjectif. Dans l’affaire Campbell et Cosans c.

283 Affaire grecque (1969), op. cit., p.186, §2.284 Irlande c. Royaume-Uni, (1978), op. cit., §162.285 Asiatiques d’Afrique orientale c. Royaume-Uni, N°s.4403/70-4419/70, 4422/70, 4423/70,

4434/70, 4443/70, 4476/70-4478/70, 4486/70, 4501/70, 4526-70-4530/70, Rapport de la Com-mission du 14 décembre 1973, Décisions et rapports 78-B, p.55, §189, publié suite à la résolu-tion du Comité des Ministres DH(94) 30 du 21 mars 1994.

286 Tyrer c. Royaume-Uni, (1978), op. cit., §30.287 Ibid.

71

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

Royaume-Uni, la Cour a déclaré que « pour ‘dégrader’, un ‘traitement’ doit lui aussi causer à l’intéressé – aux yeux d’autrui ou aux siens – une humiliation ou un avilissement atteignant un minimum de gravité ».288 Le caractère subjectif de cette évaluation a été réitéré dans l’affaire Yankov c. Bulgarie.289 Dans cette affaire, le requérant s’était vu raser le crâne de force, et ce sans base légale ni jus-tification valable. La Cour a conclu que « même si l’intention n’était pas d’humi-lier le requérant, le fait de l’avoir privé de ses cheveux sans justification précise revêtait en soi un caractère punitif arbitraire et était donc de nature à donner à l’intéressé le sentiment que pareille mesure visait à l’avilir et/ou à l’intimider ».290 Ainsi, l’évaluation de la gravité d’un traitement prendra en compte l’apprécia-tion subjective du traitement de la victime. La Cour a, de surcroît, affirmé que la discrimination raciale pouvait constituer en soi un traitement dégradant.291

L’approche adoptée traditionnellement par la Cour a consisté à apprécier si le traitement en question visait à humilier ou avilir la personne concernée.292 Cependant, dans des affaires plus récentes, telles que V c. Royaume-Uni, la Cour a conclu que « l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 ».293 Cette affaire concernait l’allé-gation selon laquelle le procès d’un garçon, âgé de dix ans, accusé du meurtre d’un autre enfant plus jeune, constituait une violation de l’article 3. Cette allé-gation soutenait que la nature accusatoire du procès, la procédure en publique devant un tribunal pour adulte, la durée du procès, la disposition de la salle d’audience et la forte présence des médias et du public avaient créé un effet cumulé constitutif d’une violation de l’article 3. La Cour a estimé que l’absence d’intention de la part des pouvoirs publics d’humilier ou d’avilir le requérant ne saurait exclure l’examen d’une allégation de violation de l’article 3, même si, dans ce cas d’espèce, la Cour n’a pas conclu à l’existence d’une telle violation.294

288 Campbell et Cosans c. Royaume-Uni (1982), op. cit., §28. Dans cette affaire, la Cour a estimé que les deux écoliers n’avaient pas subi d’effets préjudiciables, et que les sentiments d’appréhension suscités par ce châtiment n’étaient pas suffisamment graves pour relever du champ d’applica-tion de l’article 3.

289 Yankov c. Bulgarie, N°39084/97, Recueil des arrêts et décisions 2003-XII (extraits), arrêt du 11 décembre 2003.

290 Ibid., §117.291 Voir par exemple, Chypre c. Turquie, N°25781/94, Recueil des arrêts et décisions 2001-IV, arrêt

du 10 mai 2001, §310.292 Raninen c. Finlande, N°20972/92, Recueil 1997-VIII, arrêt du 16 décembre 1997, §55.293 V c. Royaume-Uni, N°24888/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-IX, arrêt du 16 décembre

1999, §71. Voir aussi Farbtuhs c. Lettonie, N°4672/02, arrêt du 2 décembre 2004 ; Gorodnichev c. Russie, N°52058/99, arrêt du 24 mai 2007.

294 V c. Royaume-Uni (1999), op. cit., §71. Dans cette affaire, la Cour a estimé que tous les efforts avaient été entrepris pour modifier le procès afin de tenir compte du jeune âge de l’accusé, et que, par conséquent, il n’y avait pas eu violation de l’article 3.

72

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

Adoptant un raisonnement similaire dans l’affaire Peers c. Grèce, la Cour a par contre constaté que le requérant avait, en l’espèce, subi un traitement dégra-dant, bien qu’aucune preuve n’ait été apportée quant à une « véritable intention d’humilier ou de rabaisser » le requérant.295 Ainsi, une absence d’intention ne saurait exclure un constat de violation. Toutefois, suite à son arrêt dans l’affaire Price c. Royaume-Uni, la Cour pourra prendre en compte l’absence d’intention quand elle est amenée à déterminer le montant de l’indemnisation.296

2.2 Les obligations des États partiesL’article 3 impose aux États parties l’obligation négative de ne pas soumettre les personnes à des actes de torture ou à des traitements ou peines inhumains ou dégradants. La Cour et la Commission ont conclu que les obligations incom-bant à l’État en vertu de cet article allaient plus loin, et comprenaient également des obligations positives de protéger tout individu contre ces formes d’abus.

2.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés D’une façon générale, l’État ne pourrait être tenu pour responsable d’actes contraires à l’article 3 que si ceux-ci étaient infligés par des personnes exerçant des fonctions officielles. Cependant, l’article premier de la CEDH impose aux États parties l’obligation d’assurer à toute personne relevant de leur juridic-

295 Peers c. Grèce, N°28524/95, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, arrêt du 19 avril 2001, §74–75. Le requérant dans cette affaire était un usager de drogue condamné qui avait été détenu pendant un certain temps dans l’hôpital psychiatrique d’une prison puis transféré dans le quartier d’isolement de cette prison. Il a été allégué que les conditions de détention y étaient mauvaises et inappropriées pour une personne nécessitant des soins psychiatriques. La Cour a estimé que le fait que les autorités compétentes n’aient rien fait pour améliorer ces conditions de détention inacceptables, dénotait d’un « manque de respect pour l’intéressé », et qu’il y a eu, par conséquent, violation de l’article 3. Voir aussi, par exemple, l’affaire Kalashnikov c. Russie, N°47095/99, Recueil des arrêts et décisions 2002-VI, arrêt du 15 juillet 2002, §101 ; et l’affaire Labzov c. Russie, N°62208/00, arrêt du 16 juin 2005, §48.

296 La requérante dans l’affaire Price c. Royaume-Uni n’avait ni bras ni jambes et souffrait de troubles rénaux. Elle a été emprisonnée durant sept jours pour outrage à un magistrat (« contempt of court ») et, pendant cette période, elle n’avait pas été autorisée à utiliser le char-geur de batterie pour son fauteuil roulant électrique, cet appareil ayant été considéré comme un objet de luxe. Par ailleurs, elle avait été contrainte de passer une nuit dans la cellule d’un commissariat de police, lieu qui était inapproprié pour une personne handicapée et où elle a contracté une infection rénale en raison de la faible température qui régnait dans cette cellule. Par la suite, la requérante a été transférée dans un centre de soins d’une prison qui n’était pas non plus adapté à ses besoins. La Cour a estimé que, malgré l’absence de preuves d’une réelle intention d’humilier ou de rabaisser la requérante, les conditions de détention étaient inappropriées et constituaient un traitement dégradant. Toutefois, la Cour a déclaré que, pour déterminer le montant de l’indemnité, elle avait tenu compte du fait qu’il n’y avait pas eu inten-tion d’humilier ou de rabaisser la requérante, voir Price c. Royaume-Uni, N°33394/96, Recueil des arrêts et décisions 2001-VII, arrêt du 10 juillet 2001, §34.

73

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

tion les droits et libertés consacrés par ladite Convention. Lue conjointement avec l’article 3, cette disposition exige de ces États qu’ils prennent des mesures visant à assurer qu’aucune personne relevant de leur juridiction ne soit sou-mise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants infligés par des particuliers.

Cette obligation positive a été examinée dans l’affaire A c. Royaume-Uni.297 Cette affaire avait pour objet les coups de bâton assénés à un garçon par son beau-père. En l’occurrence, cet homme avait été poursuivi en justice, mais avait finalement été acquitté par un jury qui avait estimé que la punition en question était un « châtiment raisonnable », et ne constituait donc pas un délit. La Cour a considéré que « combinée avec l’article 3, l’obligation que l’article 1 de la Convention impose aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute per-sonne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Conven-tion leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures ou à des peines ou traitements inhu-mains ou dégradants, même administrés par des particuliers ».298 Dans cette affaire, la responsabilité de l’État était engagée du fait qu’il n’avait pas protégé de manière adéquate le requérant contre les mauvais traitements infligés. La Cour a souligné que, bien que l’enfant « eût subi un traitement d’une gravité suffisante pour relever de l’article 3 », le jury avait acquitté son beau-père qui lui avait infligé le traitement en question.299 Bien qu’importante, cette décision ne doit pas être interprétée de façon trop large. L’État ne saurait être responsable de tout acte de mauvais traitement commis dans la sphère privée ; la responsa-bilité de l’État doit encore être engagée d’une manière ou d’une autre.

La nécessité d’un lien avec l’État a été confirmée dans l’affaire Z et autres c. Royaume-Uni.300 Ce cas concernait quatre enfants victimes de négligence extrême et de mauvais traitements de la part de leurs parents. La situation familiale avait été signalée aux services sociaux et médicaux compétents pen-dant plusieurs années, et la police avait également été informée des conditions dans lesquelles vivaient ces enfants ainsi que de leur état de santé. Malgré leurs conditions de vie épouvantables, les enfants n’avaient pas été protégés de manière adéquate et leur prise en charge n’était intervenue que cinq ans après

297 A c. Royaume-Uni, N°25599/94, Recueil 1998-VI, arrêt du 23 septembre 1998.298 Ibid., §22–23. Voir aussi H.L.R. c. France, N°24573/94, Recueil 1997-III, arrêt du 29 avril 1997.299 Ibid., §23. Voir aussi Z et autres c. Royaume-Uni, N°29392/95, Recueil des arrêts et décisions

2001-V, arrêt du 10 mai 2001, §73.300 Z et autres c. Royaume-Uni (2001), op. cit., §73. Voir aussi E et consorts c. Royaume-Uni,

N°33218/96, arrêt du 26 novembre 2002.

74

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

que les mauvais traitements eurent été signalés aux autorités locales. Dans son arrêt, la Cour a rappelé ses conclusions dans l’affaire A c. Royaume-Uni aux termes desquelles les États sont tenus de prendre des mesures pour faire en sorte que les individus ne soient pas soumis à des mauvais traitements infligés par des particuliers. Elle a précisé que ces « dispositions doivent permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables, et inclure des mesures raisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance ».301 Par conséquent, étant donné que les autorités locales n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour mettre un terme aux mauvais traitements dont elles avaient eu connais-sance, la Cour a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 3.

L’affaire Pretty c. Royaume-Uni302 fournit un exemple supplémentaire de l’obli-gation positive de protection qui incombe à l’État. Dans cette affaire, la requé-rante souffrait d’une maladie dégénérative incurable qui entraînait de grandes souffrances physiques et une immense détresse. Elle a cherché à obtenir de la part du ministre public britannique la garantie que son époux ne serait pas poursuivi en justice s’il l’aidait à mettre fin à ses jours. La requérante a affirmé que, du fait de l’absence d’une telle garantie, l’État avait violé l’article 3, en manquant à son obligation de prendre des mesures pour la protéger contre des souffrances inutiles.

Dans son arrêt, la Cour, citant d’autres affaires, notamment A c. Royaume-Uni et Z et autres c. Royaume-Uni,303 a à nouveau souligné l’obligation positive des États d’accorder une protection contre tout traitement inhumain et dégradant, même lorsque ces traitements résultaient d’actes commis par des particuliers. Néanmoins, la Cour a tenu à établir une distinction entre l’obligation positive imposée dans de tels cas et les circonstances de l’affaire en question. La Cour a noté que l’obligation de l’État résultait de la nécessité d’assurer « la suppression ou l’atténuation du dommage encouru (effet que peut avoir une mesure consis-tant, par exemple, à empêcher des organes publics ou des particuliers d’infliger des mauvais traitements ou à améliorer une situation ou des soins) ».304 Dans le cas

301 Z et autres c. Royaume-Uni (2001), op. cit., §73. Voir aussi Osman c. Royaume-Uni, N°23452/94, Recueil 1998-VIII, arrêt du 28 octobre 1998, §116 ; Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, N°13178/03, Recueil des arrêts et décisions 2006-XI, arrêt du 12 octobre 2006, §53 ; Union des témoins de Jéhovah c. Géorgie, N°71156/01, arrêt du 3 mai 2007, §96.

302 Pretty c. Royaume-Uni, N°2346/02, Recueil des arrêts et décisions 2002-III, arrêt du 29 avril 2002.

303 La Cour a également cité l’affaire Keenan c. Royaume-Uni (2001), op. cit., et l’affaire D c. Royaume-Uni, N°30240/96, Recueil 1997-III, arrêt du 2 mai 1997.

304 Pretty c. Royaume-Uni, (2002), op. cit., §55.

75

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

d’espèce, cependant, l’accomplissement de l’obligation positive contraindrait l’État à « cautionner des actes visant à interrompre la vie. Or pareille obligation ne peut être déduite de l’article 3 de la Convention ».305 Par conséquent, la Cour a conclu qu’il n’existait aucune obligation positive, aux termes de l’article 3, obli-geant l’État à s’engager à ne pas poursuivre en justice l’époux de la requérante, ou à créer un cadre légal pour toute autre forme de suicide assisté.306 L’obligation positive de protéger tout individu contre des mauvais traitements infligés par des particuliers est donc de nature purement protectrice et ne recouvre que la suppression ou l’atténuation du dommage et non le fait de donner d’autres types d’assurances.

2.2.2 Obligation de procéder à des enquêtesLe champ d’application de l’article 3 a connu l’un de ses développements les plus remarquables lorsqu’il a été admis que l’absence d’enquête effective menée par l’État constituait une violation de cette disposition. Suite à l’arrêt rendu dans l’affaire Ribitsch c. Autriche,307 la Cour a établi que lorsqu’un individu, qui est en bonne santé au moment de son placement en garde à vue, se trouve être blessé au moment de sa libération, il incombe à l’État de fournir une expli-cation plausible sur l’origine de ses blessures. Faute de quoi une question se pose aux yeux de l’article 3, et ce indépendamment du fait que le requérant ait ou non apporté d’autres éléments de preuve de mauvais traitements.308 Afin de fournir cette explication, l’État doit procéder à une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements.

Il semble que la Cour ait décidé de conclure à l’existence d’une violation en cas d’absence d’enquête effective de l’État afin de pallier aux difficultés de réu-nir des éléments de preuve en matière d’allégations de mauvais traitements. Dans l’Affaire grecque et dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, la Commission et la Cour ont déclaré que, pour être en mesure de conclure à une violation de l’article 3, elles devaient pouvoir s’appuyer sur des preuves attestant « au-delà de tout doute raisonnable » l’existence de mauvais traitements.309 Dans

305 Ibid., §55.306 Ibid., §56.307 Ribitsch c. Autriche, N°18896/91, CrEDH (Série A) N°336, arrêt du 4 décembre 1995, §34–39.

Voir aussi Salman c. Turquie (2000), op. cit., ; Aksoy c. Turquie (1996), op. cit. §61 ; Assenov et autres c. Bulgarie, N°24760/94, Recueil 1998-VIII, arrêt du 28 octobre 1998 ; Labita c. Italie, N°26772/95, Recueil des arrêts et décisions 2000-IV, arrêt du 6 avril 2000 ; et plus récemment, Stefan Iliev c. Bulgarie, N°53121/99, arrêt du 10 mai 2007.

308 Ibid., §34–39.309 Voir Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit., §161 ; voir également Affaire grecque, (1969), op.

cit., p. 196, §30.

76

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

l’affaire Irlande c. Royaume-Uni, la Cour s’est penchée sur, d’une part, la néces-sité d’obtenir ce standard de preuve et, d’autre part, la difficulté d’obtenir ces preuves auprès de l’auteur présumé de la violation, à savoir les autorités ou les agents étatiques. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’« une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Le comportement des Parties lors de la recherche des preuves entre en ligne de compte dans ce contexte ».310

Au fil des années, la Cour a sans cesse davantage pris conscience des difficul-tés que pouvaient rencontrer les victimes concernant l’obtention d’éléments de preuve étayant les faits allégués. Par conséquent, elle a imposé aux États l’obliga-tion de mener des enquêtes effectives sur les allégations de mauvais traitements. Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire Mamadov (Jalaloglu) c. Azerbaïdjan, lorsque les événements en question tombent, entièrement ou en large partie, sous la connaissance exclusive des autorités, comme cela est le cas des per-sonnes se trouvant détenues sous leur contrôle, de fortes présomptions de fait apparaîtront concernant des blessures intervenues lors d’une telle détention. En effet, le fardeau de la preuve pourrait être considéré comme appartenant aux autorités, lesquelles devront fournir une explication satisfaisante et convain-cante.311 Ainsi, lorsque l’État a une connaissance exclusive des faits, ou est seul habilité à les obtenir, la charge de la preuve est, de fait, renversée.

L’importance de l’obligation de procéder à des enquêtes a été soulignée dans l’affaire Assenov et al c. Bulgarie.312 Cette affaire concernait deux requérants, M. Assenov qui avait quatorze ans au moment des faits, et son père. Ces deux personnes ont affirmé que M. Assenov avait subi des mauvais traitements de la part de policiers pendant sa détention. Si la Cour a déclaré qu’il lui avait été impossible de déterminer qui – des policiers ou du deuxième requérant – était l’auteur de ces blessures, elle a néanmoins conclu à une violation procédurale de l’article 3, lu conjointement avec l’article premier,313 étant donné que l’État n’avait pas procédé à une enquête effective. La Cour a noté qu’une telle enquête devait « pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables ».314

310 Irlande c. Royaume-Uni, (1978), op. cit., §161.311 Mammadov (Jalaloglu) c. Azerbaïdjan, N°34445/04, arrêt du 11 janvier 2007, §62.312 Assenov et autres c. Bulgarie, (1998), op. cit. Voir aussi Indelicato c. Italie, N°31143/96, arrêt du

18 octobre 2001.313 L’article premier de la Convention précise que « Les Hautes Parties contractantes reconnaissent

à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ».

314 Assenov et autres c. Bulgarie (1998), op. cit., §102. Voir aussi Lbita c. Italie (2000), op. cit., §64. Les exigences relatives à cette obligation de procéder à une enquête suivent celles requises pour l’article 2. Voir, par exemple, McCann et al c. Royaume-Uni, N°18984/91, CrEDH (Série

77

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

Elle a relevé que, sans cette obligation de procéder à une enquête, «  l’inter-diction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique (…), et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle ».315 La Cour a, ainsi, étendu les obligations incombant à l’État afin de rendre effectifs les droits garantis par la CEDH.

L’obligation de procéder à une enquête ne dépend pas du dépôt d’une plainte ; même « lorsqu’une plainte proprement dite n’est pas formulée, il y a lieu d’ouvrir une enquête s’il existe des indications suffisamment précises donnant à penser qu’on se trouve en présence de cas de torture ou de mauvais traitement ».316 La Cour a énuméré un certain nombre de conditions requises afin qu’une enquête sur des allégations de mauvais traitements puisse être considérée comme effective. Le plaignant doit avoir un accès effectif à la procédure d’enquête,317 et l’enquête doit être menée sans délai et avec diligence.318 En outre, les per-sonnes responsables de l’enquête doivent être indépendantes de celles soumises à l’investigation,319 ce qui implique non seulement l’absence de tout lien hiérar-chique ou institutionnel, mais aussi une indépendance réelle en pratique.320 Plus récemment, la Cour a explicitement précisé que l’obligation de procéder à une enquête s’étendait au-delà des seules allégations de mauvais traitements perpé-trés par les agents de l’État ; il est dorénavant clair que cette obligation positive s’applique également aux mauvais traitements perpétrés par des particuliers.321

A) N°324, arrêt du 27 septembre 1995, §161 ; Kaya c. Turquie, N°22729/93, Recueil 1998-I, arrêt du 19 février 1998, §86.

315 Assenov et autres c. Bulgarie (1998), op. cit., §102. Voir aussi Selmouni c. France (1999), op. cit., §§79–80. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté l’objection préliminaire du gouvernement selon laquelle les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées. La Cour a estimé que « la notion de recours effectif implique (…) des investigations approfondies et effectives (…). [L]es autorités n’ont pas pris les mesures positives que les circonstances de la cause imposaient pour faire abou-tir le recours invoqué par le Gouvernement ».

316 Union des témoins de Jéhovah c. Géorgie, op. cit., §97.317 Aksoy c. Turquie, (1996), op. cit., §98  ; Ihan c. Turquie (2000), op. cit., §92. Dans ces deux

affaires, la Cour, ayant conclu à l’existence d’une violation de l’article 3, a examiné les condi-tions dans lesquelles l’enquête avait été menée à la lumière de l’article 13 de la Convention. Le raisonnement s’applique néanmoins également aux violations procédurales de l’article 3.

318 Voir, par exemple, Ilhan c. Turquie (2000), op. cit. §§92–93 ; Dalan c. Turquie, N°38585/97, arrêt du 7 juin 2005, §31 ; Osman c. Bulgarie, N°43233/98, arrêt du 16 février 2006, §74 ; Colibaba c. Moldavie, N°29089/06, arrêt du 23 octobre 2007, §53.

319 Barbu Anghelescu c. Roumanie, N°46430/99, arrêt du 5 octobre 2004, §66. Voir aussi Güleç c. Turquie, N°21593/93, Recueil 1998-IV, arrêt du 27 juillet 1998, §§81–82 ; Mikheyev c. Russie, N°77617/01, arrêt du 26 janvier 2006.

320 Kelly et autres c. Royaume-Uni, N°30054/96, arrêt du 4 mai 2001, §114.321 M.C. c. Bulgarie, N°39272/98, Recueil des arrêts et décisions 2003-XII, arrêt du 4 décembre

2003, §151 ; Union des témoins de Jéhovah c. Géorgie, op. cit., §97; Šečič c. Croatie, N°40116/02, arrêt du 31 mai 2007.

78

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

2.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législationSi, à la différence de l’UNCAT, la CEDH ne contient pas une obligation explicite de criminaliser la torture, un tel impératif découle de l’obligation implicite de protéger les individus contre les mauvais traitements infligés par d’autres par-ticuliers et d’enquêter sur les cas où des mauvais traitements pourraient avoir eu lieu. Ainsi, dans l’affaire M.C. c. Bulgarie, la Cour a déclaré que « les États ont l’obligation positive, inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de poursuites effectives ».322 Par ailleurs, cette obligation de protection est particulièrement stricte en ce qui concerne les personnes vulnérables. Dans l’affaire A. c. Royaume-Uni, la Cour a conclu que les « enfants et autres personnes vulnérables, en particulier, ont droit à la protection de l’État, sous la forme d’une prévention efficace, les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne ».323

Comme cela a été examiné supra, les enquêtes doivent pouvoir mener à l’iden-tification et à la punition des responsables. Cependant, aux termes de la CEDH, il ne peut y avoir de peine sans loi. L’article 7 de la Convention européenne précise :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

Les actes de torture devraient relever de l’exception prévue par le deuxième alinéa de cet article, même s’il se peut que cela ne concerne pas encore toutes les formes de traitement inhumain ou dégradant.324 L’obligation de protéger tout individu et celle d’assurer un moyen efficace de dissuasion contre toute forme de mauvais traitement devraient en conséquence être considérées comme don-nant conjointement lieu à une obligation de promulguer, sur le plan interne, 322 M.C. c. Bulgarie, op. cit., §153.323 A. c. Royaume-Uni (1998), op. cit., §22. Voir aussi X et Y c. Pays-Bas, N°8978/80, CrEDH (Série

A) N°91, arrêt du 26 mars 1985, §§21–27 ; Stubbings et autres c. Royaume-Uni, N°s. 22083/93 et 22095/93, Recueil 1996-IV, arrêt du 22 octobre 1996, §§62–64 ; M.C. c. Bulgarie, op. cit., §150.

324 Voir partie 1.2.3 du présent document.

79

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

une législation criminalisant la torture ainsi que certains ou tous les traite-ments inhumains ou dégradants.325 Par ailleurs, la Cour examinera le carac-tère adéquat d’une telle législation, laquelle devra être appliquée de manière effective.326

2.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitementsL’article 6(1) de la CEDH prévoit notamment que :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publi-quement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impar-tial, établi par la loi, qui décidera [...] du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Dans l’affaire Jalloh c. Allemagne, la Cour européenne a conclu que « des élé-ments à charge – qu’il s’agisse d’aveux ou d’éléments matériels – rassemblés au moyen d’actes de violence ou de brutalité ou d’autres formes de traitements pouvant être qualifiés de torture – ne doivent jamais, quelle qu’en soit la valeur probante, être invoqués pour prouver la culpabilité de la victime. Toute autre conclusion ne ferait que légitimer indirectement le type de conduite moralement répréhensible que les auteurs de l’article 3 de la Convention ont cherché à inter-dire […] ».327 Ainsi, tout recours à des preuves obtenues sous la torture consti-tue automatiquement une violation de l’article 6(1), de même que l’article 3.

La Cour a explicitement laissé ouverte la question de savoir si l’utilisation d’éléments de preuves obtenus par un acte n’équivalant pas à de la torture, mais qualifié de traitement inhumain ou dégradant, compromettait automa-tiquement le caractère équitable d’un procès.328 Dans tout examen de cette question, la Cour va prendre en compte « la nature et le degré de la coercition, l’existence de garanties appropriées dans la procédure et l’utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus ».329 Cependant, la Cour a précisé qu’on « ne saurait

325 Il faut souligner que, si le Comité contre la torture exige des États qu’ils adoptent des lois créant ou définissant un crime spécifiquement qualifié de « torture », l’obligation correspondante figurant dans la CEDH ne requiert pas nécessairement que ces crimes soient qualifiés spécifi-quement de « torture », « traitement inhumain », ou « traitement dégradant » ; il est probable-ment suffisant que tous les aspects de ces abus soient couverts d’une manière ou d’une autre, quelle que soit la dénomination de l’infraction en question.

326 Voir, par exemple, A. c. Royaume-Uni (1998), op. cit, §24 ; M.C. c. Bulgarie, op. cit, §167 ; Maco-vei et consorts c. Roumanie, N°5048/02, arrêt du 21 juin 2007.

327 Jalloh c. Allemagne, N°54810/00, Recueil des arrêts et décisions 2006-IX, arrêt du 11 juillet 2006, §105. Dans cette affaire, la Cour a fait référence à l’article 15 de l’UNCAT.

328 Ibid., §107.329 Ibid., §101.

80

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

exclure que, dans les circonstances d’une affaire donnée, l’utilisation d’éléments de preuve obtenus au moyen d’actes délibérés de mauvais traitements n’équiva-lant pas à des actes de torture entache le procès de la victime d’iniquité, indépen-damment de la gravité de l’infraction reprochée, de l’importance attachée aux éléments de preuve et des possibilités dont a disposé la victime pour contester leur versement au dossier et leur utilisation à son procès ».330

2.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procéduralesLes garanties procédurales en matière de privation de liberté sont consa-crées par l’article 5 de la CEDH, qui prévoit notamment que tout placement en détention doit respecter les procédures prévues par la loi,331 que toute per-sonne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai, des raisons de son arrestation,332 que toute personne arrêtée ou détenue doit être aussitôt traduite devant un juge,333 et que :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »334

L’article 6(2) de la CEDH prévoit, en outre, que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Par ailleurs, les éléments d’un procès équitable sont énoncés dans l’article 6(3), qui prévoit que :

« Tout accusé a droit notamment à :

a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratui-tement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

330 Ibid., §106. 331 Article 5(1) de la CEDH.332 Article 5(2) de la CEDH.333 Article 5(3) de la CEDH.334 Article 5(4) de la CEDH.

81

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

e. se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Le non-respect de garanties procédurales internes et internationales peut résul-ter à ce qu’un traitement, qui sinon ne relèverait pas de l’article 3, soit considéré comme un mauvais traitement ou de la torture. Par exemple, l’utilisation de menottes ou d’autres instruments de contrainte ne pose normalement pas de problèmes au regard de l’article 3 lorsqu’une telle mesure a été imposée en lien avec une détention légale et qu’elle n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’expo-sition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme néces-saire dans les circonstances de l’espèce (ce qui peut comprendre la nécessité thérapeutique).335 Néanmoins, dans de tels cas, la Cour doit pouvoir aboutir à la conclusion que les garanties de procédure applicables à la décision d’entraver ou de traiter de force le requérant ont été respectées et que la manière dont le requérant est soumis à cette mesure ne dépasse pas le seuil de gravité établi par la jurisprudence de la Cour.336

La Cour a considéré, en outre, que « des examens médicaux convenables étaient des garanties essentielles contre les mauvais traitements des personnes placées en garde à vue. Ces examens doivent être effectués par des médecins dûment qualifiés, en dehors de la présence de la police, et le rapport de l’examen doit faire état non seulement de toutes les lésions corporelles relevées mais aussi des explications fournies par le patient quant à la façon dont elles sont survenues et de l’avis du médecin sur la compatibilité des lésions avec les explications ».337

Bien qu’elle n’ait pas, à ce jour, reconnu l’existence d’une violation de l’article 3 fondée uniquement sur le fait que l’État n’avait pas assuré la formation du per-

335 Raninen c. Finlande, op. cit., §56 ; Mathew c. Pays-Bas, op. cit., §180 ; Kucheruk c. Ukraine, N°2570/04, arrêt du 6 septembre 2007, §139. Pour ce qui est de la nécessité médicale, la Cour a estimé que l’usage d’un moyen de contrainte ou l’administration par la force d’un traitement qui est nécessaire à des fins thérapeutiques conformément aux principes établis de la méde-cine, ne peut en principe être qualifié de traitement inhumain ou dégradant. La Cour doit, tou-tefois, pouvoir conclure que la nécessité médicale a été démontrée de façon convaincante, voir Herczegfalvy c. Autriche, N°10533/83, CrEDH (Série A) N°244, arrêt du 24 septembre 1992, §§82–83 ; Ciorap c. Moldavie, N°12066/02, arrêt du 19 juin 2007, §§82–83, 89.

336 Voir Nevmerzhitsky c. Ukraine, N°54825/00, Recueil des arrêts et décisions 2005-II, arrêt du 5 avril 2005, §94. Dans cette affaire qui concernait le cas d’un requérant en grève de la faim qui a refusé d’être alimenté de force et qui s’est vu imposer le port de menottes, un écarteur buccal et un tube spécial inséré dans l’œsophage, le gouvernement n’avait présenté aucune justifica-tion médicale du traitement réservé à ce détenu. Étant donnée la gravité des actes infligés au requérant, la Cour a estimé que ce traitement constituait un acte de torture. Voir aussi Kuche-ruk c. Ukraine, op. cit., §139 ; Ciorap c. Moldavie, op. cit. §§82–83, 89.

337 Akkoç c. Turquie (2000), op. cit., §118. La Cour a mis en avant, à cet égard, les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture.

82

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

sonnel, la Cour européenne a souligné que toute évaluation du recours à la force par les agents chargés de l’application des lois devait tenir compte notam-ment de la préparation et du contrôle des actes d’usage de la force.338 Le niveau de formation des agents chargés de l’application des lois sera sans doute pris en compte lors de telles évaluations.339

2.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimesDans l’affaire Assanidze c. Géorgie,340 la Cour a, à nouveau, souligné la portée de l’obligation incombant à l’État de garantir aux victimes une réparation et une indemnisation adéquates pour les mauvais traitements subis :

« [U]n arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obliga-tion juridique au regard de [l’article 46 de la Convention] de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder à la partie lésée s’il y a lieu la satisfaction qui lui semble appropriée. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, indivi-duelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci ».341

Le droit d’obtenir une réparation s’étend donc au-delà de la simple indemni-sation financière, et peut même exiger des États parties à la Convention qu’ils modifient leur législation interne.

2.3 Le champ d’applicationComme nous l’avons examiné dans la partie  2.1 supra, une jurisprudence abondante définissant les actes prohibés a émergé des décisions de la Cour et de la Commission européennes des droits de l’homme. Cependant, les déve-

338 Andronicou et Constatinou c. Chypre, N°25052/94, Recueil 1997-VI, arrêt du 9 octobre 1997, §171.

339 Ibid., §185.340 Assanidze c. Géorgie, N°71503/01, Recueil des arrêts et décisions 2004-II, arrêt du 8 avril 2004.341 Ibid., §198.

83

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

loppements récents de la jurisprudence relative à l’article 3 ont moins porté sur les définitions de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégra-dants, désormais bien établies, que sur le champ d’application de l’article 3 et, par conséquent, sur la portée des obligations qui incombent, en la matière, aux États parties.

2.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitementsL’article 15 de la CEDH prévoit que l’État ne peut jamais déroger à ses obliga-tions consacrées par l’article 3, même en cas de « guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation ».342 Comme précisé supra, la Commission a, dans l’Affaire grecque, défini les mauvais traitements comme couvrant pour le moins un traitement qui provoque volontairement de graves souffrances mentales ou physiques et qui, en l’espèce, ne peut se justifier.343 Malgré le carac-tère non dérogeable de cette prohibition, en employant l’expression qui, en l’es-pèce, ne peut se justifier, la Commission semblait laisser la voie ouverte à des arguments selon lesquels il pouvait y avoir des circonstances dans lesquelles les mauvais traitements pourraient être justifiés. Ce point controversé a fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’affaire Irlande c. Royaume-Uni.344 Dans cette affaire, la Commission s’est demandée si cette prohibition était absolue, « ou s’il p[ouvait] exister des circonstances spéciales (…) dans lesquelles un trai-tement contraire à l’article 3 p[ouvait] se justifier ou s’excuser ».345 Dans sa déci-sion, la Commission a comblé la lacune créée par l’Affaire grecque, en estimant que la prohibition était « absolue et que les actes violant cette disposition ne p[ouvait] jamais trouver de justification au regard de la Convention ou du droit international ».346

Le raisonnement tenu par la Commission dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni semble clair et sans ambiguïté : un acte qui atteint le seuil de la torture ou celui des peines ou traitements inhumains ou dégradants ne peut en aucun cas

342 L’article 15(1) prévoit qu’« en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condi-tion que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ». Toutefois, l’article 15(2) déclare explicitement qu’aucune dérogation à l’article 3 n’est permise, même en cas d’un tel danger public.

343 Affaire grecque,(1969), op. cit., p.186, §2.344 Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit.345 Irlande c. Royaume-Uni (1978), op. cit., p.389. Cette question n’a pas été réexaminée par la Cour

dans son arrêt.346 Ibid., p.390.

84

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

se justifier. En outre, la conduite de la victime ne peut être invoquée comme moyen de défense. Par exemple, dans l’affaire Tomasi c. France, le gouverne-ment a justifié les traitements infligés à M. Tomasi par le fait que celui-ci était soupçonné d’avoir été impliqué dans un attentat terroriste. La Cour a rejeté cet argument en déclarant que les « nécessités de l’enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité, notamment en matière de terrorisme, ne sauraient conduire à limiter la protection due à l’intégrité physique de la personne ».347

En outre, le comportement de la victime au cours de sa détention ne saurait, en soi, justifier des traitements inhumains ou dégradants. Dans l’affaire Rivas c. France,348 le requérant, mineur au moment des faits, avait reçu un coup de pied aux testicules de la part d’un policier, ce qui lui avait valu une hospitalisation d’urgence. La tentative du gouvernement de justifier les actes du policier en les présentant comme une réaction à une tentative d’évasion du requérant a été rejetée par la Cour, qui a affirmé que « la tentative de fuite alléguée ne saurait dégager l’État de la responsabilité qu’il porte en l’espèce ».349 La Cour a en outre considéré que le coup de pied infligé au détenu ne découlait pas d’un impératif de nécessité, le requérant n’étant pas armé et se trouvant dans un commissariat de police, ce qui voulait dire que d’autres moyens auraient pu être utilisés pour l’empêcher de fuir.

Ces arrêts ont suivi le raisonnement adopté dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni.350 Dans cette affaire, la Cour avait conclu que le comportement du requé-rant ou « victime » ne saurait avoir aucune incidence sur la protection accordée par la Convention. La Cour a réitérée que « l’article 3 (…) ne prévoit pas de restrictions (…) et il ne souffre nulle dérogation d’après l’article 15 (…) même en cas de danger public menaçant la vie de la nation ».351

L’affaire X c. Allemagne a présenté un cas dans lequel un traitement normale-ment considéré comme contraire à l’article 3 pouvait ne pas relever du champ d’application de cette disposition.352 Dans cette affaire, la Commission euro-péenne a dû déterminer si le fait de nourrir de force un prisonnier qui était en en grève de la faim constituait une violation de l’article 3. Tout en estimant que le fait de nourrir de force une personne comportait des aspects dégradants

347 Tomasi c. France, N°12850/87, CrEDH (Série A) N°241-A, arrêt du 27 août 1992, §115.348 Rivas c. France, N°59584/00, arrêt du 1er avril 2004.349 Ibid., §41.350 Chahal c. Royaume-Uni, N°22414/93, Recueil 1996-V, arrêt du 15 novembre 1996.351 Ibid., §79.352 X c. Allemagne, 7 EHRR 152, 1984.

85

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

qui, dans certaines circonstances, pouvaient être considérés comme interdits par l’article 3 de la Convention, la Commission a néanmoins conclu que les autorités n’avaient fait en l’espèce qu’agir au mieux des intérêts du requérant lorsqu’elles avaient choisi entre respecter la volonté de l’intéressé de n’accep-ter aucune nourriture et courir ainsi le risque de le voir subir des préjudices durables ou même mourir, ou réagir en tentant d’assurer sa survie tout en sachant que pareille réaction pouvait porter atteinte à sa dignité humaine.353

Plus récemment, dans l’affaire Jalloh c. Allemagne,354 la Cour a estimé que l’article 3 n’interdisait pas, en principe, le recours à une intervention médicale de force susceptible de faire progresser une enquête relative à une infraction. Cependant, toute atteinte portée à l’intégrité physique d’une personne en vue de l’obtention d’éléments de preuve doit donner lieu à un examen rigoureux. En l’espèce, la Cour a estimé que la décision d’administrer de force au requé-rant un émétique afin de lui faire régurgiter un sachet de drogue ne saurait être justifiée, parce que l’infraction n’était pas suffisamment grave et que les preuves auraient pu être obtenues par des méthodes moins intrusives.

2.3.2 Les sanctions légitimesMalgré l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains et dégradants, la Cour et la Commission européennes ont établi des distinctions entre des actes qui sont inhérents aux sanctions légitimes et ceux qui ne le sont pas.355

Cette approche peut s’interpréter comme une tentative d’établir une distinc-tion entre les traitements et peines susceptibles d’être considérés comme une composante « raisonnable » ou inévitable d’un système pénal, et les actes qui portent une atteinte inacceptable à l’intégrité physique ou mentale d’une per-sonne. Il est clair que la tolérance de certaines sanctions légitimes ne donne par carte blanche aux États pour mettre en place une législation autorisant des actions assimilables à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitement. Les sanctions légitimes ne doivent pas entrer en contradiction avec l’esprit de l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains et dégra-dants. Il n’en reste pas moins que la qualification de « sanctions légitimes » peut paraître assez subjective et impliquer de nombreux éléments propres à

353 Ibid., §153–154.354 Jalloh c. Allemagne (2006), op. cit., §§76–82.355 Voir Campbell et Cosans c. Royaume-Uni (1982), op. cit., §30, Y c. Royaume-Uni, Rapport de

la Commission N°8, 1991 ; Costello-Roberts c. Royaume-Uni, N°13134/87, CrEDH (Série A) N°247-C, arrêt du 25 mars 1993.

86

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

une société, à savoir les opinions dominantes dans les domaines culturel, poli-tique et religieux.

La Cour et la Commission européennes ont examiné la question des sanc-tions légitimes dans le contexte des châtiments corporels et, dans une moindre mesure, de la peine de mort. Elles ont élaboré une vaste jurisprudence sur cette question.356

2.3.2.1 La peine de mortLa tension entre, d’une part, la prohibition absolue de la torture et, d’autre part, l’autorisation de certaines formes de sanctions légitimes s’est manifestée à pro-pos de la peine de mort. Si le système européen des droits de l’homme depuis longtemps restreint l’imposition de la peine de mort sans pour autant l’inter-dire complètement,357 l’adoption par le Conseil de l’Europe du Protocole N°13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des liber-tés fondamentales a marqué une évolution en direction de l’abolition totale de la peine capitale. Ce Protocole, entré en vigueur le 1er juillet 2003, a comblé la lacune créée par le Protocole N°6, qui n’excluait pas la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou en cas de danger imminent de guerre. Le Protocole N°13 interdit la peine de mort en toutes circonstances, même si, comme pour tout traité, il ne lie juridiquement que les États l’ayant ratifié.

Avant l’entrée en vigueur du Protocole N°13, la Cour utilisait une méthode indirecte pour faire en sorte que la peine de mort relève du champ d’appli-cation de l’article 3. L’une des affaires les plus significatives en la matière est l’affaire Soering c. Royaume-Uni.358 Dans cette affaire, la Cour a constaté l’exis-tence d’une violation en motivant celle-ci, non par l’imposition de la peine de mort en tant que telle, mais plutôt par les conditions dans lesquelles le requé-rant serait contraint de vivre en attendant son exécution dans le quartier des condamnés à mort.

La Cour a noté qu’« aucun détenu condamné à mort ne saurait éviter l’écoule-ment d’un certain délai entre le prononcé et l’exécution de la peine, ni les fortes tensions inhérentes au régime rigoureux d’incarcération nécessaire ».359 Elle a

356 Voir Tyrer c. Royaume-Uni (1978), op. cit. ; Campbell et Cosans c. Royaume-Uni (1982), op. cit.357 Voir le Protocole N°6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales.358 Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit.359 Ibid., §111.

87

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

toutefois estimé que certains facteurs pouvaient faire en sorte que cette peine relève de l’article 3 :360 

« Eu égard, cependant, à la très longue période à passer dans le ‘couloir de la mort’ dans des conditions aussi extrêmes, avec l’angoisse omniprésente et croissante de l’exécution de la peine capitale, et à la situation personnelle du requérant, en particulier son âge et son état mental à l’époque de l’infraction, une extradition vers les États-Unis exposerait l’intéressé à un risque réel de traitement dépassant le seuil fixé par l’article 3 ».361

En d’autres termes, si la peine capitale était une sanction légitime, et qu’elle le demeure pour les États n’ayant pas ratifié les Protocoles No6 et 13, il n’en demeure pas moins que, dans certaines circonstances, la « manière dont elle est prononcée ou appliquée, la personnalité du condamné et une disproportion par rapport à la gravité de l’infraction, ainsi que les conditions de la détention vécue dans l’attente de l’exécution » peuvent constituer une violation de l’ar-ticle 3.362 Ainsi, dans l’affaire Öcalan c. Turquie,363 sur laquelle la Cour a eu à statuer avant l’entrée en vigueur du Protocole N°13, celle-ci a indiqué que le fait de « prononcer la peine de mort à l’encontre du requérant à l’issue d’un procès inéquitable devant un tribunal dont l’indépendance et l’impartialité sont sujettes à caution s’analyse en un traitement inhumain contraire à l’article 3 de la Convention ».364

2.3.2.2 Les châtiments corporelsL’affaire Tyrer c. Royaume-Uni (qui a été examinée supra) est l’une des affaires qui a défini l’approche de la Cour à l’égard des châtiments corporels. Malgré les arguments soulevés pour le compte de l’île de Man selon lesquels le châtiment judiciaire corporel en question ne constituait pas une violation de la Conven-tion, car il « ne choqu[ait] pas l’opinion publique locale »,365 la Cour a estimé « qu’une peine ne perd pas son caractère dégradant par cela seul qu’elle passe pour constituer, ou constitue réellement, un moyen efficace de dissuasion ou de lutte contre la délinquance ».366 Tout en estimant que le type de châtiment en question n’était pas suffisamment grave pour constituer un acte de torture, la

360 Il convient de noter que cela peut également relever de l’article 2.361 Soreing c. Royaume-Uni (1989), op. cit., §111. Voir aussi la décision du CCPR dans l’affaire Pratt

et Morgan c. Jamaïque (1986), op. cit.362 Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit., §104.363 Öcalan c. Turquie, N°46221/99, Recueil des arrêts et décisions 2005-IV, arrêt du 12 mai 2005.364 Ibid., §175.365 Tyrer c. Royaume-Uni (1978), op. cit., §31.366 Ibid., §31.

88

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

Cour a déclaré que : « Les peines judiciaires corporelles impliquent, par nature, qu’un être humain se livre à des violences physiques sur l’un de ses semblables. En outre, il s’agit de violences institutionnalisées (…). [Ce] châtiment (…) a porté atteinte à ce dont la protection figure précisément parmi les buts principaux de l’article 3 (…) : la dignité et l’intégrité physique de la personne ».367 Cet arrêt n’a pas, pour autant, institué une interdiction absolue de toute forme de châtiment corporel. Pour être considéré comme une violation de l’article 3, le châtiment en question doit en effet atteindre le seuil minimum de gravité requis.368

2.3.3 Les conditions de détentionEn ce qui concerne les personnes privées de liberté, le recours à la force phy-sique au-delà de ce qui est rendu strictement nécessaire par le comportement de la personne détenue constitue en principe une infraction à l’article  3.369 Néanmoins, les violations susceptibles d’être commises dans les lieux de détention ne se limitent pas aux violences perpétrées par les agents chargés de l’application des lois, par le personnel carcéral ou médical, ou par d’autres détenus. Depuis longtemps, la Cour européenne a estimé que les conditions générales de détention pouvaient constituer une source de violations de l’ar-ticle 3.370 Particulièrement depuis son arrêt dans l’affaire Aerts c. Belgique,371 la Cour a examiné les conditions matérielles de détention des individus privés de liberté, prenant en compte les effets cumulatifs de la surpopulation, des ins-tallations sanitaires, du chauffage, de l’éclairage, du matériel de couchage, de la nourriture, des loisirs et des contacts avec le monde extérieur. Dans l’affaire Kudła c. Pologne, la Cour a déclaré que, aux termes de l’article 3 de la Conven-tion, il incombe à « l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprison-nement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis ».372

367 Ibid., §33.368 Voir par exemple Campbell et Cosans c. Royaume-Uni (1982), op. cit. Dans cette affaire, la Cour

a estimé que la menace de châtiment corporel n’avait pas causé des souffrances suffisamment graves pour être constitutives d’un traitement dégradant.

369 Ribitsh c. Autriche, op. cit., §38 ; Berlínski c. Pologne, N°s.27715/95 et 30209/96, arrêt du 20 juin 2002, §59 ; Kucheruk c. Ukraine, op. cit., §§131–132.

370 Voir par exemple Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit.371 Aerts c. Belgique, N°25357/94, Recueil 1998-V, arrêt du 30 juillet 1998.372 Kudła c. Pologne, N°30210/96, Recueil des arrêts et décisions 2000-XI, arrêt du 26 octobre 2000,

§94. Voir aussi Nevmerzhitsky c. Ukraine (2005), op. cit., McGlinchey et autres c. Royaume-Uni,

89

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

Tout en gardant son pouvoir de visiter les lieux de détention, la Cour s’appuie sans cesse davantage, dans son appréciation des conditions de détention, sur les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le mécanisme régional de visites créé par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.373

Récemment, la Cour est allée au-delà de l’examen des conditions matérielles de détention pour s’intéresser aux structures mêmes du régime carcéral.374 La décision prise dans l’affaire Van der Ven c. Pays-Bas offre un bon exemple de cette nouvelle approche.375 Le requérant avait été détenu dans une prison de haute sécurité et les restrictions imposées par ce régime carcéral avaient entraîné chez lui une profonde dépression confirmée du point de vue médical. Il était régulièrement soumis à des fouilles corporelles, y compris des fouilles anales, aussi bien lors des inspections hebdomadaires des cellules qu’avant et après les visites extérieures et les rendez-vous chez le dentiste ou le coiffeur. Ces fouilles ne répondaient pas à des impératifs réels de sécurité et ne découlaient pas du comportement du requérant. Prenant en compte le fait que le requé-rant faisait déjà l’objet d’un grand nombre de mesures de contrôle, la Cour a

N°50390/99, Recueil des arrêts et décisions 2003-V, arrêt du 29 avril 2003 ; Kadiķis c. Lettonie, N°62393/00, arrêt du 4 mai 2006, Mamedova c. Russie, N°7064/05, arrêt du 1er juin 2006.

373 Par exemple, dans l’affaire Aerts c. Belgique, la Cour a explicitement pris en compte le rapport établi par le CPT suite à sa visite dans la prison en question. Ce rapport critiquait sévèrement les conditions de détention, estimant que le niveau de prise en charge des patients était en-des-sous du minimum acceptable du point de vue éthique et humain, et qu’il comportait un risque indéniable d’aggravation de l’état mental des personnes internées. Néanmoins, dans ce cas d’espèce, la Cour a estimé qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour établir « à suffisance » que ces conditions de détention avaient provoqué des souffrances contraires à l’article 3, voir Aerts c. Belgique (1998), op. cit. §§65–67. Les rapports du CPT ont eu plus d’effets dans l’affaire Dougoz c. Grèce, où la Cour a conclu que les conditions dans lesquelles le requérant avait été détenu, en attendant d’être expulsé, constituaient un traitement inhumain et dégradant. Ces conditions de détention étaient marquées par une importante surpopulation, un manque de lits ou de literie (certains détenus dormaient dans les corridors), des installations sanitaires insuffisantes et un manque de nourriture. Dans cette affaire, la Cour n’a pas non plus entrepris de visiter les lieux mais s’est basée sur un rapport du CPT relatif aux conditions de détention dans le commissariat et le centre de détention en question. Ce rapport concluait que les cel-lules et le régime de détention n’étaient pas adaptés à de longs séjours en détention. Le CPT a même estimé nécessaire de visiter à nouveau ces lieux de détention. La Cour a estimé que ces faits étayaient les déclarations du requérant, et elle a conclu à l’existence d’une violation de l’article 3, voir Dougoz c. Grèce, N°40907/98, Recueil des arrêts et décisions 2001-II, arrêt du 6 mars 2001. Voir aussi Peers c. Grèce (2001), op. cit.

374 Cette approche a été élaborée notamment dans une série de cas contre l’Italie. Voir, par exemple, Messina c. Italie, N°25498/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-V, décision du 8 juin 1999 ; Indelicato c. Italie (2001), op. cit. ; Ganci c. Italie, N°41576/98, décision du 20 sep-tembre 2001 ; et Bonura c. Italie, N°57360/00, décision du 30 mai 2002.

375 Van der Ven c. Pays-Bas, N°50901/99, Recueil des arrêts et décisions 2003-II, arrêt du 4 février 2003.

90

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

estimé que « la pratique des fouilles à corps hebdomadaires, qui fut imposée au requérant pendant une période d’environ trois ans et demi, alors qu’il n’y avait pour cela aucun impératif de sécurité convaincant, a porté atteinte à sa dignité humaine et a dû provoquer chez lui des sentiments d’angoisse et d’infériorité de nature à l’humilier et à le rabaisser ».376 La Cour a ainsi conclu que le requérant avait été, à tout le moins, victime de traitements dégradants en violation de l’article 3 de la Convention.

La Cour procède à un examen sur le fond de chaque affaire, il est ainsi pos-sible que des aspects positifs du régime carcéral compensent des conditions de détention au point que ces dernières ne constituent pas une violation. Par exemple, dans l’affaire Valašinas c. Lituanie, la Cour a estimé que le peu d’es-pace alloué au requérant dans son dortoir devait être évalué à la lumière de la grande liberté de déplacement dont il bénéficiait entre 6h30 et 22h30.377 Il est, néanmoins, peu probable que la Cour aboutirait à une conclusion similaire si plusieurs aspects des conditions de détention avaient un effet négatif cumulé sur les détenus. Par ailleurs, il ne suffit pas que les conditions de détention soient susceptibles de créer un degré de détresse atteignant le seuil de gravité minimum requis pour que ce traitement relève de l’article 3 ; le requérant doit démontrer qu’il a réellement souffert d’une telle détresse.378 Dans le cas de malades mentaux, le fait d’évaluer si une peine ou un traitement en cause res-pecte les normes de l’article 3 implique que soient prises en compte leur vulné-rabilité particulière ainsi que leur incapacité, dans certains cas, de se plaindre des effets d’un traitement spécifique auquel ils sont soumis.379

Les obligations des États en vertu de l’article 3 de la Convention comprennent une obligation positive de protéger l’intégrité physique des détenus, notam-ment en leur fournissant les soins médicaux nécessaires.380 Cela peut nécessiter un transfert dans certains cas, par exemple vers un hôpital psychiatrique spé-cialisé.381 Cependant, l’article 3 ne « peut être interprété comme établissant une

376 Van der Ven c. Pays-Bas (2003), op. cit., §62. Voir aussi Lorsé et autres c. Pays-Bas, N°52750/99, arrêt du 4 février 2003, §74 ; Frérot c. France, N°70204/01, arrêt du 12 juin 2007, §48. Dans cette affaire, la Cour a estimé que les fouilles à nu non-systématiques constituaient un traitement dégradant, mais n’avaient pas atteint le niveau du traitement inhumain.

377 Valašinas c. Lituanie, N°44558/98, Recueil des arrêts et décisions 2001-VIII, arrêt du 24 juillet 2001, §103.

378 Van der Graaf c. Pays-Bas, N°8704/03, décision du 1er juin 2004 ; Aerts c. Belgique (1998), op. cit., §34–37.

379 Herczegfalvy c. Autriche, op. cit., §82 ; Aerts c. Belgique,(1998), op. cit., §63.380 Voir McGlinchey et autres c. Royaume-Uni (2003), op. cit., §57 ; Ilhan c. Turquie (2000), op. cit.

§87.381 Voir Kucheruk c. Ukraine, op. cit., §151.

91

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d’obtenir un traitement médical d’un type particulier ».382 La Cour examine, dans chaque cas d’espèce, si l’état de santé d’un prisonnier est compatible avec son maintien en détention. Dans l’affaire Mouisel c. France,383 le requérant devait suivre une chimiothérapie prolongée car il souffrait de leucémie, et un rapport médical avait recommandé qu’il soit placé dans une unité spécialisée, mais les autorités pénitentiaires n’ont fait que le transférer dans une prison à proximité d’un hôpital. Ce n’est qu’un an après ce transfert que le requérant s’était vu accorder une libération conditionnelle basée sur ses besoins d’hospitalisation régulière. La Cour a ainsi examiné le délai qui s’était écoulé entre le rapport recommandant le transfert du requé-rant dans une unité spécialisée et sa libération conditionnelle afin d’évaluer si son maintien en détention avait pu créer « une situation qui [avait] atteint un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention ».384 La Cour a, notamment, pris en compte les « éléments qui mettaient en lumière la progression de la maladie de l’intéressé et le caractère difficilement adéquat de la prison pour y faire face, sans que des mesures par-ticulières ne soient prises par les autorités pénitentiaires ».385 La Cour a ainsi constaté que les autorités nationales n’avaient pas accordé une attention suffi-sante à l’état de santé du requérant afin de s’assurer qu’il n’était pas soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. La Cour a conclu qu’en l’espèce, son maintien en détention « a[vait] porté atteinte à sa dignité. Il a[vait] constitué une épreuve particulièrement pénible et causé une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux ».386 Alors que la Cour n’a pas établi une obligation générale de remettre en liberté un détenu pour raisons de santé, elle a approuvé la libération conditionnelle d’individus atteints de maladies incurables dont l’état de santé requiert un traitement conséquent et régulier.

Ainsi, l’État est tenu de s’assurer que tout détenu est détenu dans des conditions qui soient compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les conditions et les modalités de la détention ne soumettent pas les détenus à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance

382 Kudła c. Pologne (2000), op. cit., §93.383 Mouisel c. France, N°67263/01, Recueil des arrêts et décisions 2002-XI, arrêt du 14 novembre

2002.384 Ibid., §45.385 Ibid., §45.386 Ibid., §48. Voir aussi, par exemple, Hüseyin Yildirim c. Turquie, N°2778/02, arrêt du 3 mai

2007.

92

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprison-nement, la santé et le bien-être des détenus soient assurés de manière adéquate, notamment par la fourniture d’une assistance médicale.387

2.3.4 L’isolement cellulaireLa Cour a estimé que l’isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total pouvait détruire la personnalité d’un détenu et constituait une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par des impératifs de sécurité ou toute autre raison. D’un autre côté, l’isolation d’avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline ou de protection ne consti-tue pas, en soi, une forme de peine ou traitement inhumain ou dégradant.388 Par conséquent, l’isolement cellulaire ne constitue pas automatiquement une violation de l’article 3.389

Lorsqu’elle est amenée à apprécier si, dans un cas d’espèce donné, l’isolement cellulaire relève du champ d’application de l’article 3, la Cour va examiner, entre autres, la rigueur de la mesure, sa durée, l’objectif poursuivi et ses effets sur l’intéressé.390 Lorsque les conditions de détention respectent les normes énoncées par la CEDH et que le détenu peut entrer en contact avec le monde extérieur, au travers de visites et de contacts avec le personnel pénitentiaire, l’interdiction d’entrer en contact avec d’autres détenus ne constitue pas une violation de l’article 3, à condition que le régime auquel est soumis le détenu soit proportionnel à l’objectif poursuivi, et que la période d’isolement ne soit pas excessive. Lorsqu’elle doit déterminer si une période d’isolement cellulaire est excessive aux yeux de l’article 3, la Cour prendra en compte les conditions de détention, y compris l’étendue de l’isolement social.391 Ainsi, dans l’affaire Ramirez Sanchez c. France, la Cour a estimé qu’une période de plus de huit ans d’isolement cellulaire n’avait pas été excessive, « compte tenu des condi-tions matérielles de [l]a détention [du requérant], de son isolement ‘relatif ’, de la volonté des autorités de le placer dans des conditions de détention normales et de sa personnalité et de sa dangerosité ».392 Par contre, dans l’affaire Mathew

387 Voir Papon c. France, N°64666/01, Recueil des arrêts et décisions 2001-VI, décision du 7 juin 2001 ; Geflmann c. France, N°25875/03, arrêt du 14 décembre 2004.

388 Messina c. Italie, op. cit.389 Voir par exemple Öcalan c. Turquie, op. cit., §191, Valašinas c. Lithuanie (2001), op. cit., §112 ;

Rohde c. Danemark, N°69332/01, arrêt du 21 juillet 2005, §93.390 Dhoest c. Belgique, N°10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, §§117-8 ; McFeeley

et autres c. Royaume-Uni, N°8317/78, décision de la Commission du 15 mai 1980.391 Rohde c. Danemark (2005), op. cit., §97.392 Ramirez Sanchez c. France, N°59450/00, Recueil des arrêts et décisions 2006-IX, arrêt du

4 juillet 2006, §150.

93

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

c. Pays-Bas, une période d’environ dix-neuf mois d’isolement cellulaire a été considérée comme excessive à la lumière des mauvaises conditions de déten-tion et des problèmes de santé du requérant.393 Dans la première de ces deux affaires, la Cour a souligné l’importance des garanties susceptibles de prévenir l’arbitraire, telles que des évaluations régulières de la nécessité de maintenir le détenu en isolement cellulaire, ainsi que de l’état de santé physique et mentale du prisonnier, de même que l’accès à un examen judiciaire indépendant du placement en isolement cellulaire.394

2.3.5 La détention au secret et les disparitions forcéesL’article 5(3) de la Convention prévoit que :

« Toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judi-ciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assu-rant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

La Cour considère que la détention non reconnue d’un individu constitue une totale négation de ces garanties et une violation extrêmement grave de l’article 5. Étant donné qu’il appartient aux autorités de rendre compte du sort des individus placés sous leur contrôle, l’article 5 leur commande de prendre des mesures effectives contre le risque de disparition et de mener une enquête rapide et effective concernant une allégation plausible selon laquelle une per-sonne a été détenue et n’a pas été revue depuis.395 L’obligation de procéder à des enquêtes a constitué un élément essentiel dans de nombreuses affaires relatives à des disparitions.396

Dans l’affaire Aksoy c. Turquie, le gouvernement a affirmé qu’il lui avait été nécessaire de maintenir le requérant au secret durant quatorze jours dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme. La Cour a estimé que « le requérant, qui a été détenu pendant une longue période, n’a pas joui de garanties suffisantes.

393 Mathew c. Pays-Bas, N°24919/03, Recueil des arrêts et décisions 2005-IX, arrêt du 29  sep-tembre 2005.

394 Ramirez Sanchez c. France (2006), op. cit., §139–145.395 Orhan c. Turquie, N°25656/94, arrêt du 18 juin 2002, §369. Voir aussi Timurtaş c. Turquie,

N°23531/94, Recueil des arrêts et décisions 2000-VI, arrêt du 13 juin 2000, §103 ; Çiçek c. Tur-quie, N°25704/94 , arrêt du 27 février 2001, §164.

396 Voir par exemple, Kurt c. Turquie, N°24276/94, Recueil 1998-III, arrêt du 25 mai 1998 ; Çakici c. Turquie, N°23657/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-IV, arrêt du 8 juillet 1999 ; Akdeniz et consorts c. Turquie, N°23954/94, arrêt du 31 mai 2001. Cette obligation est examinée plus en détail dans la partie 2.2.2 du présent document.

94

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

En particulier, la privation de l’accès à un avocat, un médecin, un parent ou un ami, et l’absence de toute possibilité réaliste d’être traduit devant un tribunal aux fins de contrôle de la légalité de sa détention, signifiaient que le requérant était complètement à la merci de ses gardiens ».397 En conséquence, la Cour a constaté qu’il y avait eu violation de l’article 5(3) ; les contraintes de la situation ne pouvaient pas justifier une détention au secret.398

En outre, la détention au secret peut constituer une violation de l’article 8 de la Convention qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Dans l’affaire Sari et Çolak c. Turquie, la Cour a souligné que « lorsqu’une personne est arrêtée, le fait de pouvoir communiquer rapidement avec sa famille peut revêtir une importance capitale. La disparition inexpliquée d’un membre de la famille, même pour une brève période, peut causer une vive angoisse ».399 Dans cette affaire, la Cour a estimé qu’une période de détention au secret de sept jours avait constitué une violation de l’article 8.

2.3.6 Les proches de victimes de violations des droits de l’hommeLa Cour a étendu les bénéficiaires de l’obligation de l’État de procéder à une enquête effective aux proches des victimes de disparitions forcées. Dans l’af-faire Kurt c. Turquie,400 une requête avait été déposée au nom d’une personne disparue et de sa mère. En ce qui concerne le disparu, la Cour a estimé que « les autorités n’ont pas fourni d’explications plausibles et étayées quant à l’endroit où se trouve le fils de la requérante (…). Les autorités ne se sont pas acquittées de leur obligation de rendre compte du sort d’Üzeyir Kurt (…). Partant, (…) la Cour estime qu’il y a une violation particulièrement grave du droit à la liberté et à la sûreté garanti à l’article 5 ».401 Pour ce qui est de sa mère, la Cour a souligné qu’elle était restée « dans l’angoisse car elle savait que son fils était détenu et aucune information officielle n’était fournie quant à ce qu’il était devenu. Cette angoisse perdure depuis longtemps  ».402 Ses souffrances étaient considérées 397 Aksoy c. Turquie (1996), op. cit., §83. En formulant sa décision, la Cour s’est référée aux conclu-

sions des rapports du CPT, du CAT et d’Amnesty International (§80). Voir aussi Demir et autres c. Turquie, Recueil 1998-VI, arrêt du 23 septembre 1998, §§55, 57.

398 Aksoy c. Turquie, (1996), op. cit., §84.399 Sari et Çolak c. Turquie, nos. 42596/98 et 42603/98, arrêt du 4 avril 2006, §36.400 Kurt c. Turquie (1998), op. cit. Voir aussi Çakici c. Turquie (1999), op. cit.401 Kurt c. Turquie (1998), op. cit., §128–9.402 Kurt c. Turquie (1998), op. cit., §133. À l’appui de cette conclusion, la Cour européenne a cité la

Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, l’affaire Quinteros c. Uruguay examinée en 1983 par le CCPR, op. cit., la Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes ainsi que la jurisprudence de la Cour interaméricaine.

95

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

comme suffisamment graves pour que la Cour estime qu’il y avait violation de l’article 3 à l’égard de cette dernière.

Après cette décision, la Cour a évité d’ouvrir la porte à un afflux de demandes émanant de proches en imposant un certain nombre de conditions. Dans l’affaire Ipek c. Turquie,403 le requérant a allégué la détention non reconnue et la disparition subséquente de ses deux fils lors d’une opération menée par des forces armées dans son village. La Cour a déclaré que le fait de savoir si un membre de la famille d’une ‘personne disparue’ était victime d’un traite-ment contraire à l’article  3 dépendait de l’existence de facteurs particuliers qui donnent aux souffrances du requérant une dimension et un caractère dis-tincts de la détresse émotionnelle pouvant être considérée comme inévitable-ment provoquée chez les proches de victimes de violations graves des droits de l’homme.404 Parmi ces « facteurs particuliers » figurent la proximité de la parenté (un certain poids sera conféré au lien parent-enfant), les circonstances particulières de la relation, la mesure dans laquelle la personne a été témoin des événements en question, la participation du parent dans les tentatives d’obten-tion de renseignements sur le disparu, et la manière dont les autorités ont réagi à ces demandes.405

La Cour a pris soin de distinguer entre les circonstances dans l’affaire Ipek c. Turquie et celles de l’affaire Tahsin Acar c. Turquie.406 Dans ce dernier cas, la requête du frère ne remplissait pas les critères applicables, la Cour ayant estimé que « l’existence de facteurs particuliers qui pourraient justifier le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention à l’encontre du requérant lui-même ne se trouve pas établie ».407

403 Ipek c. Turquie, N°25760/94, Recueil des arrêts et décisions 2004-II (extraits), arrêt du 17 février 2004.

404 Ibid., §181. Dans cette affaire, le requérant, tout comme la mère dans l’affaire Kurt c. Turquie (1998), op. cit., était présent quand les forces de sécurité ont emmené ses fils. Il a effectué à de nombreuses reprises des démarches afin de savoir ce qui était arrivé à ses fils. Malgré cela, les autorités turques ont systématiquement refusé de collaborer à sa recherche de la vérité. La Cour a conclu que le père avait, lui-même, été victime d’une violation de l’article 3, à cause de l’anxiété qu’il a éprouvée du fait de ne pas pouvoir connaître le lieu où se trouvaient ses fils.

405 Ibid., §181 et Tahsin Acar c. Turquie, N°26307/95, Recueil des arrêts et décisions 2004-III, arrêt du 8 avril 2004, §238.

406 Tahsin Acar c. Turquie, N°26307/95, op. cit.407 Ibid., §239. Dans cette affaire, le requérant était le frère du disparu. Contrairement au cas de

la mère dans l’affaire Kurt c. Turquie (1998), op. cit, il n’était pas présent quand les forces de sécurité ont emmené son frère. Bien qu’il ait été impliqué dans diverses démarches, ce n’est pas lui qui a supporté le poids de la tâche. La Cour a, en outre, estimé qu’il n’existait pas de circonstances aggravantes découlant de la réaction des autorités. Par conséquent, elle a conclu que le requérant n’avait pas été victime d’une violation de l’article 3.

96

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

Ces affaires montrent clairement que l’État a d’une manière générale l’obliga-tion de procéder à une enquête sur les disparitions non seulement à l’égard des victimes, mais également de leurs proches. Pour ce qui est des disparitions, l’essence d’une violation des droits des proches ne réside pas tant dans le fait de la disparition du membre de la famille que dans les réactions et le compor-tement des autorités par rapport à la situation qui est portée à leur attention.408

2.3.7 Extradition et expulsionLa nature de l’obligation incombant à l’État de protéger les individus contre des violations a fait l’objet d’une analyse approfondie dans plusieurs affaires d’expulsion ou d’extradition. Cet examen est allé au-delà de l’interdiction de l’expulsion collective de non-ressortissants prévue par l’article  4 du Proto-cole No4 à la Convention.

L’affaire Soering c. Royaume-Uni est le cas le plus représentatif en la matière.409 Cette affaire concernait une demande d’extradition, formulée par les États-Unis, d’un citoyen allemand accusé de meurtre, résidant au Royaume-Uni. Le requérant avait affirmé qu’en cas d’extradition, le Royaume-Uni violerait l’article 3. Si la CEDH n’interdit pas l’imposition de la peine de mort per se, et ne la considère pas comme une forme de torture,410 il a été a soutenu que les conditions de détention dans le « couloir de la mort » pouvaient constituer une violation de l’article 3.

Pour ce qui est de l’obligation de protéger les individus, la Cour a estimé que le Royaume-Uni violerait l’article 3 s’il extradait Soering, parce que celui-ci serait exposé à un « risque réel » d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.411 En d’autres termes, la violation dans de telles circonstances n’est pas due au comportement éventuel de l’État de destination, mais à celui de l’État de renvoi, en ce que ce dernier exposerait cette personne à de mauvais traitements.412 La Cour a ainsi adopté une approche indirecte de la question de la peine de mort. Tout en considérant que celle-ci ne constituait pas, en soi, une

408 Ipek c. Turquie (2004), op. cit., §181 et Tahsin Acar c. Turquie (2004), op. cit., §238.409 Soering c. Royaume-Unie (1989), op. cit. Voir aussi l’affaire antérieure Amekrane c. Royaume-

Uni, N°5961/72, Annuaire de la Convention européenne des droits de l’homme, N°16, 1973, p.357, qui a donné lieu à un règlement à l’amiable.

410 L’article 2(1) de la Convention précise que : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. ».

411 Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit., §92. Il faut souligner que, dans cette affaire, il n’a pas été affirmé que les conditions constitueraient une forme de torture.

412 Bien entendu, lorsque l’État de destination est lui-même partie à la Convention européenne, la question de sa propre responsabilité devra également être examinée.

97

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

violation de la Convention, la Cour a conclu que le fait d’exposer un individu aux conditions de détention dans le « couloir de la mort » pourrait constituer un traitement contraire à l’article 3. Un État se doit donc de veiller à ce que les individus ne soient pas exposés à des mauvais traitements suite à une extradi-tion ou à une expulsion.

Le raisonnement suivi dans l’affaire Soering c. Royaume-Uni a été l’objet d’un réexamen dans le cadre d’affaires ultérieures et une jurisprudence abondante a été établie sur ce sujet.413 L’une des affaires les plus importantes est, à cet égard, l’affaire Cruz Varas c. Suède.414 Elle concernait l’expulsion potentielle de deux demandeurs d’asile politique chiliens au motif qu’ils n’auraient pas avancé de raisons politiques suffisamment graves pour se voir conférer le statut de réfu-gié. Les requérants ont déclaré qu’ils encouraient un risque réel d’être torturés s’ils étaient expulsés vers le Chili, où ils affirmaient avoir déjà été torturés. La Cour a estimé qu’il devait exister des « motifs sérieux et avérés » de croire à l’existence d’un risque réel de traitement contraire à l’article 3.415 La Cour a précisé que, pour contrôler l’existence de ce risque, il lui fallait se référer en priorité aux circonstances qui étaient, ou devaient être, connues de l’Etat en cause au moment de l’expulsion, mais que cela ne l’empêchait pas de tenir compte de renseignements ultérieurs. Dans ce cas d’espèce, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux et avérés de croire à l’existence d’un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants.

Cette approche de l’appréciation du niveau de risque encouru par un individu a été reprise dans l’affaire Vilvarajah c. Royaume-Uni.416 Dans cette affaire, la Cour a noté qu’« en vue d’apprécier l’existence, à l’époque considérée, d’un risque de traitements contraires à l’article 3 (..), la Cour se doit d’appliquer des critères rigoureux, eu égard au caractère absolu de cette disposition et au fait qu’elle consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques ».417 Cette affaire portait sur une expulsion qui avait déjà eu lieu, ainsi le moment pertinent pour évaluer le niveau de risque était celui existant au moment de

413 Voir, par exemple, Cruz Varas et consorts c. Suède, N°15576/89, CrEDH (Série A) N°201, arrêt du 20 mars 1991  ; Vilvarajah et consorts c. Royaume-Uni, N°s.13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, CrEDH (Série A) N°215, arrêt du 30 octobre 1991  ; H.L.R. c. France (1997), op. cit. ; D c. Royaume-Uni (1997), op. cit. ; Jabari c. Turquie, N°40035/98, Recueil des arrêts et décisions 2000-VIII, arrêt du 11 juillet 2000 ; Naoumenko c. Ukraine, N°42023/98, arrêt du 10 février 2004 ; Öcalan c. Turquie (2005), op. cit.

414 Cruz Varas et consorts c. Suède (1991), op. cit.415 Ibid., §75.416 Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni (1991), op. cit.417 Ibid., §108, citant Soering c. Royaume-Uni (1989), op. cit., §88.

98

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

l’expulsion. Par contre, lorsqu’une expulsion n’a pas encore eu lieu, le moment pertinent pour évaluer le niveau de risque est la date à laquelle la Cour examine cette affaire, si bien que les éléments intervenus depuis le premier examen de l’affaire peuvent être pris en compte.418

Dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni, le requérant était menacé d’expulsion en raison de sa participation présumée à des actes de terrorisme. Tout en recon-naissant les difficultés auxquelles les États doivent faire face pour protéger leurs populations de la violence terroriste, la Cour a déclaré que la Convention euro-péenne interdisait la torture (ainsi que les traitements ou peines inhumains ou dégradants) de manière absolue et ce, quels que soient les agissements de la victime. Par conséquent, les intérêts nationaux ne sauraient l’emporter sur les intérêts d’un individu dès lors qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que celui-ci courrait le risque de subir des mauvais traitements en cas d’expulsion.419

Dans l’affaire Jabari c. Turquie,420 Mme Jabari affirmait que son expulsion de la Turquie vers l’Iran lui ferait courir un risque réel de torture en raison de la nature des sanctions pénales dont sont passibles les femmes reconnues cou-pables d’adultère, lesquelles incluent la lapidation. Comme cela a été souligné supra, en cas d’éventuel renvoi, un État a l’obligation de protéger les individus contre des actes qui sont contraires à l’article 3, même lorsque l’État de desti-nation impose des sanctions considérées comme « légitimes » aux termes de sa législation interne. Dans cette affaire, la Cour a estimé que Mme Jabari encou-rait un risque réel d’être soumise à des traitements contraires à l’article 3.421

La Cour a développé la portée de l’obligation de ne pas expulser des personnes vers des États où celles-ci risquent d’être soumises à des mauvais traitements, et ce, en y incluant les cas où des personnes risquent d’être victimes, dans l’État de destination, de mauvais traitements dus à un manque de soins médicaux adéquats alors que le pays de renvoi avait accepté la responsabilité de fournir les soins médicaux requis. L’une des principales affaires en la matière est l’af-faire D c. Royaume-Uni422 dans laquelle le requérant avait été arrêté pour pos-session de cocaïne à son arrivée au Royaume-Uni en provenance de St Kitts. Cet homme a, par la suite, été condamné à purger une peine dans une prison du Royaume-Uni. En prison, il a été diagnostiqué comme étant séropositif et

418 Chahal c. Royaume-Uni (1996), op. cit., §97.419 Ibid., §78–79.420 Jabari c. Turquie (2000), op. cit.421 Ibid., §41–42.422 D c. Royaume-Uni (1997), op. cit.

99

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

porteur du sida, affection qu’il avait contractée avant son arrivée au Royaume-Uni. Pendant sa détention, il a reçu le traitement médical requis par son état de santé. Cependant, à sa libération, les autorités ont tenté de le renvoyer à St Kitts. Le requérant a fait opposition en affirmant que s’il était renvoyé à St Kitts, où les structures hospitalières étaient extrêmement limitées, il serait exposé à une mort rapide et dans des conditions inhumaines et dégradantes.

La Cour a rappelé le principe établi en vertu duquel les États de renvoi sont tenus de veiller à ce que les personnes concernées ne soient pas l’objet de traitements ou de peines contraires à l’article 3, indépendamment de leurs agissements ou de la manière dont elles sont entrées sur le territoire de l’État de renvoi, à savoir légalement ou illégalement.423 La Cour a relevé que ce principe avait été appliqué dans les cas de risques émanant soit directement d’un État soit d’organismes non-étatiques contre lesquels l’État n’était pas en mesure d’offrir une protection appropriée.424 La Cour a, cependant, souligné qu’étant donnée l’importance de la protection accordée par l’article 3, elle devait demeurer suf-fisamment souple pour s’adapter à de nouvelles situations.425

Ainsi, la Cour a conclu qu’un arrêt brutal du traitement médical ainsi que les conditions défavorables qui attendaient le requérant en cas de renvoi réduiraient davantage son espérance de vie et constitueraient un traitement inhumain. Dans cette affaire, la Cour a souligné que l’État avait assumé la res-ponsabilité du traitement du requérant et que celui-ci était devenu dépendant des soins médicaux et palliatifs qu’il recevait. La Cour a ajouté que, même si les conditions dans lesquelles le requérant se trouverait en cas de renvoi ne consti-tuaient pas en soi une infraction de l’article 3, « son expulsion l’exposerait à un risque réel de mourir dans des circonstances particulièrement douloureuses et constituerait donc un traitement inhumain ».426

Cette affaire ne crée toutefois pas de précédent en matière de constat d’une violation fondée sur le seul fait que le pays de destination n’offre pas des soins d’aussi bonne qualité que le pays de renvoi. Dans l’affaire Amegnigan c. Pays-Bas,427 la Cour a pris soin d’établir une distinction entre les faits relatifs à cette affaire et les « circonstances exceptionnelles » constatées dans l’affaire D c. Royaume-Uni. L’affaire Amegnigan c. Pays-Bas concernait un ressortissant togolais atteint du sida qui affirmait qu’en cas d’expulsion vers son pays d’ori-

423 Voir par exemple Chahal c. Royaume-Uni (1996), op. cit., §80.424 D c. Royaume-Uni (1997), op. cit., §49.425 Ibid., §49.426 Ibid., §53.427 Amegnigan c. Pays-Bas, N°25629/04, décision du 25 novembre 2004.

100

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

gine, il serait exposé à un risque réel de mort pénible. La Cour a estimé que cette expulsion n’enfreindrait pas la Convention, étant donné que la maladie du requérant n’était pas dans une phase terminale, que les médicaments anti-rétroviraux étaient disponibles au Togo, et que le requérant avait de la famille au Togo qui seraient en mesure de l’aider. La même question sera bientôt exa-minée par la Grande Chambre de la Cour dans l’affaire N c. Royaume-Uni, qui concerne l’expulsion d’une femme séropositive vers l’Ouganda.428 Cependant, l’état actuel de la jurisprudence indique que l’expulsion d’un individu atteint d’une maladie grave vers son pays d’origine ne constituera une violation de l’article 3 de la Convention que si la maladie en question est dans une phase terminale, et si un traitement adéquat n’est pas disponible dans le pays vers lequel l’individu est expulsé.

Pendant longtemps, la Cour et la Commission se sont limitées à examiner des allégations de risques émanant d’autorités étatiques. Plus récemment, cepen-dant, la Cour a confirmé que le caractère absolu de l’interdiction de la torture et l’obligation de protéger les individus pouvaient engager la responsabilité de l’État même lorsque le risque dans le pays de destination émanait d’autres enti-tés que les autorités étatiques. L’affaire H.L.R. c. France constitue, à cet égard, l’un des cas les plus significatifs.429 Cette affaire concernait un ressortissant colombien qui, après avoir été emprisonné pour infraction à la législation sur les stupéfiants, faisait l’objet d’un ordre d’expulsion de France vers la Colom-bie. Le requérant affirmait que son renvoi en Colombie l’exposerait à des actes de vengeance de la part des trafiquants de drogue qui l’avaient recruté. Il a ainsi affirmé que, si la France procédait à son expulsion, elle violerait l’article 3.

Si la Cour n’a pas conclu, en l’espèce, à l’existence d’une violation de l’article 3, elle a néanmoins reconnu que l’origine d’un risque de mauvais traitements pouvait émaner d’acteurs privés et non des autorités étatiques, déclarant qu’« en raison du caractère absolu du droit garanti, la Cour n’exclu[ait] pas que l’article 3 (…) trouve aussi à s’appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique ».430

2.3.7.1 Les assurances diplomatiquesDans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni, discutée supra, le Royaume-Uni a cher-ché et a obtenu l’assurance du gouvernement indien qu’en cas d’extradition du 428 N c. Royaume-Uni, N°26565/05, en instance.429 H.L.R. c. France (1997), op. cit.430 H.L.R. c. France (1997), op. cit., §40. Voir aussi l’affaire plus récente Salah Sheekh c. Pays-Bas,

N°1948/04, arrêt du 11 janvier 2007.

101

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

requérant, celui-ci « jouira[it] de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu’il n’a[vait] aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d’aucune sorte par les autorités indiennes ».431 Si la Cour n’a pas mis en doute le fait que cette assurance ait été fournie de bonne foi, elle a souligné que les violations des droits de l’homme commises par certains des membres des forces de sécurité indiennes constituaient un problème per-sistant, en dépit des efforts déployés par le gouvernement et les tribunaux de ce pays. La Cour a ainsi conclu que l’extradition du requérant constituerait une violation de l’article 3, indépendamment de l’existence de l’assurance en question.432

La décision prise dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni ne peut pas être inter-prétée comme impliquant que la Cour ne tiendrait pas compte des assurances diplomatiques dans des affaires similaires. Plusieurs commentateurs ont cité l’affaire Mamatkulov et Askarov c.Turquie à titre de précédent démontrant que la Cour pouvait accepter les assurances diplomatiques dans certaines circons-tances. Cependant, lors de l’examen de cette affaire, la Cour n’a pas explicite-ment traité de cette question.433 En l’espèce, elle a simplement noté l’existence d’une assurance diplomatique et a conclu, en se fondant sur tous les éléments à sa disposition, que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils encouraient un risque personnel d’être soumis à la torture.434 Dans l’affaire Saadi c. Italie, la Tunisie a refusé de fournir les assurances, demandées par l’Italie, à l’encontre de l’usage de la torture et d’autres mauvais traitements.435 La Cour a cepen-dant noté que, même si de telles assurances avaient été données, « cela n’aurait pas dispensé la Cour d’examiner si de telles assurances fournissaient, dans leur application effective, une garantie suffisante quant à la protection du requérant contre le risque de traitements interdits par la Convention [la Cour mentionne l’affaire Chahal]. Le poids à accorder aux assurances émanant de l’État de desti-nation dépend en effet, dans chaque cas, des circonstances prévalant à l’époque considérée ».436

Il importe de noter que, en vertu du Protocole  N°6, les États membres du Conseil de l’Europe sont tenus de ne pas expulser ou extrader un individu qui risque d’encourir la peine de mort. Dans l’affaire Aylor Davis c. France, la Cour

431 Chahal c. Royaume-Uni (1996), op. cit., §37.432 Ibid., §105.433 Mamatkulov et Askarov c. Turquie (2005), op. cit.434 Ibid., §76–77.435 Saadi c. Italie, N°37201/06, arrêt du 28 février 2008.436 Ibid., §148.

102

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

EU

RO

EN

2

a estimé que les garanties fournies par le pays de destination, à savoir les États-Unis, avaient écarté le risque pour le requérant d’être condamné à mort, et que, par conséquent, la France ne violerait pas cette interdiction si elle extradait le requérant.437

À ce jour, la jurisprudence laisse entendre qu’à l’avenir, la Cour européenne pourrait être amenée à accepter des assurances diplomatiques contre la torture et les mauvais traitements lorsque celles-ci sont fournies de bonne foi, que les autorités de l’État de destination sont réellement en mesure de prévenir de tels traitements dans les circonstances de l’espèce, et, à la suite de la jurisprudence des organes de traités de l’ONU, avec la possible condition supplémentaire que ces assurances contiennent un mécanisme de suivi rigoureux pour contrôler leur respect. La Cour doit réexaminer cette question dans un certain nombre d’affaires pendantes, y compris celles relatives à Ramzy c. Pays-Bas, Ahmed et Aswat c. Royaume-Uni et Boumedienne c. Bosnie-Herzégovine, ce qui lui per-mettra de mieux préciser sa position.438

ConclusionLa formulation fort simple de l’interdiction de mauvais traitements contenue dans l’article 3 de la CEDH cache la complexité des questions sous-jacentes. En se fondant sur cette proclamation, la Cour et la Commission européennes ont élaboré des définitions complexes et distinctes des divers actes prohibés. Si la Cour européenne a estimé que les trois catégories d’actes prohibés pouvaient et devaient être distinguées, la partie 2.1 du présent document a montré qu’il pouvait s’avérer difficile d’identifier les éléments distinctifs d’une telle caté-gorisation. Une telle approche risque d’aboutir à la conclusion que des actes « n’atteignant pas » le seuil de la torture constituent « seulement » un traite-ment inhumain ou dégradant. Il est important de rappeler que les traitements inhumains ou dégradants constituent une violation de l’article 3 au même titre que les actes de torture.

On ne saurait sous-estimer l’importance et le caractère instructif de la jurispru-dence européenne, qui a fortement influencé les autres organes judiciaires et quasi-judiciaires régionaux et internationaux, notamment en ce qui concerne les définitions de la torture et des traitements inhumains et dégradants. L’Af-faire grecque, par exemple, a beaucoup influé sur la rédaction de la Déclaration

437 Aylor-Davis c. France, N°22742/93, décision du 20 janvier 1994.438 Ramzy c. Pays-Bas, N°25424/05, en instance ; Ahmed et Aswat c. Royaume-Uni, N°24027/07, en

instance ; Boumedienne c. Bosnie-Herzégovine, N°38703/06, en instance.

103

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL E

UR

OP

ÉE

N

2

des Nations-unies sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1975) ainsi que sur la définition ultérieure de la torture contenue dans la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhu-mains ou dégradants (1984). En outre, ces décisions ont eu un impact profond sur la réforme pénale en Europe, en déclarant plusieurs peines et traitements particuliers comme étant des violations de l’article  3. La Cour a également anticipé et contribué à l’évolution de la société. À titre d’exemple, les arrêts de la Cour relatifs aux châtiments corporels ont conduit le gouvernement bri-tannique à interdire les châtiments corporels dans les établissements scolaires publics à partir de 1986, et dans les écoles privées à partir de 1998. Ainsi la Cour n’a pas été le simple reflet de l’évolution des valeurs des droits de l’homme en Europe, mais elle a servi de moteur et de catalyseur pour une protection accrue des droits de l’homme.

L’élément le plus significatif est peut-être que la Cour s’est toujours réservée une certaine souplesse, considérant la CEDH comme un instrument vivant. Elle a admis que les idées et valeurs ne demeuraient pas statiques et que des actes ou des omissions qui n’étaient auparavant pas qualifiés de torture ou de traitements inhumains ou dégradants pouvaient l’être par la suite. Ainsi, la Cour n’est pas liée par ses arrêts précédents et est libre de réexaminer ses déci-sions. En adoptant cette approche, la Cour s’est assurée la possibilité de conti-nuer à répondre aux défis lancés par les formes de mauvais traitement et d’abus aussi bien « traditionnelles » que nouvelles.

Le Système Régional Interamericain

Introduction 105

3.1 Définitions 106

3.2 Les obligations des États parties 113

3.3 Champ d’application 125

Conclusion 138

3

106

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

IntroductionL’article premier de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme de 1948 stipule simplement :

« Tout être humain a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne. »

Ce droit a été élaboré plus en détail dans toute une série de normes contrai-gnantes inscrites dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme et, avant tout, dans celles figurant dans la Convention interaméri-caine pour la prévention et la répression de la torture (IACPPT), qui est entrée en vigueur en 1987.

Les organes de contrôle du système interaméricain, à savoir la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), de nature quasi-judiciaire,439 et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CrIDH), de nature judi-ciaire, ont élaboré une jurisprudence abondante traitant de la protection du droit à l’intégrité de la personne. Cette jurisprudence, qui est issue de rapports, d’avis consultatifs et d’arrêts,440 a défini les comportements prohibés ainsi que l’étendue des obligations incombant à l’État en termes de prévention et de dili-gence.

L’objectif du présent chapitre est d’identifier les principes et standards qui ont été élaborés dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour interamé-ricaines des droits de l’homme et de définir, ainsi, l’étendue et les limites de la responsabilité des États en matière de comportements constitutifs de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants au regard du système interaméricain.

3.1 DéfinitionsLa Convention américaine relative aux droits de l’homme (CADH) a détaillé les droits inclus dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme

439 En ce qui concerne les attributions quasi-judiciaires de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, voir les articles 44 à 51 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et les Règles de procédure de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dont les modifications ont été approuvées durant la 126e session régulière de cet organe, qui s’est tenue du 16 au 27 octobre 2006. Ces deux documents sont disponibles sur le site internet de la Commission à l’adresse suivante : www.cidh.oas.org.

440 En ce qui concerne le caractère judiciaire de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, voir les articles 61 à 69 de la CADH. La portée des Avis consultatifs de la Cour est régie par l’article 64 de la CADH.

107

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

et a mis en place des mécanismes de contrôle des droits contenus dans cette Convention. L’article 5 de la CADH prévoit, notamment, que :

« 1. Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale.

2. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de sa liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. »

La CADH ne définit pas les types de comportement constitutifs de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant,441 et elle n’établit pas de distinc-tion entre les différents actes prohibés. Pour comprendre le concept de torture dans le système interaméricain, il est nécessaire de faire appel à d’autres ins-truments, notamment l’IACPPT ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour et de la Commission interaméricaines.

L’IACPPT ne mentionne pas la Cour interaméricaine comme organe habilité à surveiller son application, mais prévoit plutôt un système aux termes duquel les États doivent soumettre des rapports à la Commission quant aux mesures qu’ils adoptent en application de cette Convention.442 Cependant, dans l’af-faire Paniagua Morales et al c. Guatémala, la Cour a conclu à l’existence d’une violation de l’IACPPT, sans mentionner la source qui lui donnait compétence pour se prononcer sur cette question.443 Dans une affaire ultérieure, Villa-grán Morales et al c. Guatémala, la Cour a explicitement élargi le champ de sa compétence afin d’y inclure le contrôle de l’application de l’IACPPT, en décla-rant qu’elle était habilitée à le faire dès lors qu’un État avait consenti à être lié par l’IACPPT et avait accepté la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme eu égard à la CADH.444 L’IACPPT fait également partie du corps de lois interaméricain et aide la Cour à établir le contenu et la portée de l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements contenue dans l’article 5(2) de la CADH.445

441 Aux fins de ce chapitre, le terme « traitement » couvre également le terme « peine ».442 Article 17 de l’IACPPT.443 Paniagua Morales et al c. Guatémala (affaire « Panel Blanca »), CrIDH, arrêt du 8 mars 1998,

Série C N°37, §§133–36.444 Villagrán Morales et al c. Guatémala (affaire des « Enfants de la rue »), CrIDH, arrêt du

19 novembre 1999, Série C N°63, §247.445 Tibi c. Équateur, CrIDH, arrêt du 7 septembre 2004, Série C N°114, §145. Voir aussi l’affaire La

Cantuta c. Pérou, CrIDH, arrêt du 29 novembre 2006, Série C N°162, ainsi que l’interprétation de cet arrêt du 30 novembre 2007.

108

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

3.1.1 TortureL’article 2(1) de l’IACPPT définit la torture comme suit :

« tout acte par lequel sont infligées intentionnellement à une personne des peines ou souffrances, physiques ou mentales, aux fins d’enquêtes au criminel ou à toute autre fin, à titre de moyen d’intimidation, de châtiment personnel, de mesure préventive ou de peine. On entend également par torture l’appli-cation à toute personne de méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer sa capacité physique ou mentale même si ces méthodes et procédés ne causent aucune douleur physique ou angoisse psychique.

Ne sont pas couvertes par le concept de torture les peines ou souffrances, phy-siques ou mentales, qui sont uniquement la conséquence de mesures légale-ment ordonnées ou qui leur sont inhérentes, à la condition que les méthodes visées au présent article ne soient pas employées dans l’application de ces mesures. »

Cette définition va au-delà de celle adoptée par l’UNCAT en ce qu’elle ne requiert pas que la peine ou la souffrance soit « aiguë ». De plus, cette défini-tion utilise l’expression « à toute autre fin » plutôt que celle de « aux fins notam-ment de » figurant dans l’UNCAT et elle inclut les méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer ses capacités, indépendamment du fait que ces méthodes entraînent ou pas une douleur ou une souffrance. À l’instar de l’UNCAT, cette définition inclut un élément matériel et un élément relatif au but recherché. Par ailleurs, l’article 3 de l’IACPPT (examiné dans la partie 3.2.1) précise que pour être qualifié de torture, un acte doit être commis par un sujet agissant dans des conditions bien définies.446

L’élément matériel est constitué par le fait d’infliger intentionnellement des peines ou des souffrances ou de recourir à des méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer sa capacité physique ou mentale. Lorsqu’elles sont amenées à déterminer quels actes sont constitutifs de torture, la Commission et la Cour interaméricaines ont pris en compte des éléments objectifs tels que la durée au cours de laquelle les douleurs ou les souffrances ont été infligées, la méthode utilisée pour provoquer la douleur, le but recher-ché, les circonstances sociopolitiques, et le caractère arbitraire ou autre de la

446 Pour un examen détaillé de ces critères, voir Carlos Villán Durán, La Práctica de la Tortura y los Malos Tratos en el Mundo. Tendencias actuales, 2 Revista de Derechos Humanos, Cáte-dra UNESCO de Derechos Humanos 107, p.113 ; Carlos Villán Durán, La Convención contra la Tortura y su Contribución a la Definición del Derecho a la Integridad Física y Moral en el Derecho Internacional, 2 Revista Española de Derecho Internacional pp.386, 386–398 (1985).

109

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

privation de liberté, ainsi que des éléments subjectifs tels que l’âge, le sexe ou la vulnérabilité particulière de la victime.447

En ce qui concerne l’intentionnalité des violations, la Cour a déclaré que les vio-lations de la Convention ne pouvaient être fondées sur des règles qui prennent en compte des facteurs psychologiques pour établir la culpabilité individuelle. Selon elle, et aux fins de l’analyse, l’intention ou le mobile de l’agent qui a violé les droits consacrés par la Convention importent peu – il est possible de conclure à l’existence d’une violation, même si l’identité de l’auteur de ces actes n’est pas connue. Toujours selon la Cour, ce qui est décisif c’est de savoir si une violation des droits reconnus par la Convention a été perpétrée avec le soutien ou le consentement tacite de l’État ou si ce dernier a permis que ces actes soient commis sans prendre de mesures pour prévenir ces actes ou en punir les res-ponsables.448 Dans certaines circonstances, il peut même ne pas être nécessaire de démontrer qu’un individu a souffert pour prouver l’existence d’une viola-tion commise par l’État. La Cour a, ainsi, indiqué que le fait de remettre une personne aux mains d’organes officiels et répressifs, qui recourent à la torture et à l’assassinat en toute impunité constitue en soi un manquement à l’obliga-tion de prévenir les violations du droit à la vie et à l’intégrité physique de la personne, même si cet individu n’a pas été torturé ni assassiné, ou si ces faits ne peuvent être prouvés dans un cas d’espèce.449

Ainsi, dans le système interaméricain, le critère de l’intentionnalité peut être rempli non seulement en cas de non-respect par l’État de l’obligation néga-tive de s’abstenir de recourir à la torture ou à d’autres comportements por-tant atteinte à l’intégrité de la personne, mais également en cas de violation de l’obligation positive de faire preuve de diligence et de garantir le respect des droits. Comme la Cour l’a récemment réitéré, la responsabilité internationale peut donc être engagée en l’absence d’une intentionnalité stricte de la part d’un agent de l’État ou d’une personne agissant à titre officiel.450

En ce qui concerne l’élément relatif au but recherché, la Cour interaméricaine a opté pour une approche plus large que celle adoptée par d’autres organes inter-nationaux. Cela s’explique peut-être par la définition plus large de la torture contenue dans l’IACPPT. Dans l’affaire Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou, la

447 Voir, par exemple, Ximenes-Lopes c. Brésil, CrIDH, arrêt du 4 juillet 2006, Série C N°149, §127.448 Velásquez-Rodríguez c. Honduras, CrIDH, arrêt du 29 juillet 1982, Série A N°4, §173 ; Godínez-

Cruz c. Honduras, CrIDH, arrêt du 20 janvier 1989, Série C N°5, §183.449 Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §175.450 Servellón-García c. Honduras, CrIDH, arrêt du 21 septembre 2006, Série C N°152, §107.

110

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

Cour a déclaré que, dans des situations de violations massives des droits de l’homme, le recours systématique à la torture vise à intimider la population, ce qui implique que tous ces cas relèvent du champ d’application de la Conven-tion.451 Lorsque des actes de torture sont commis de manière répétée, ils rem-plissent aussi généralement le critère relatif au but recherché. Dans l’affaire Tibi c. Équateur, la Cour a conclu que le recours répété à des actes de violence visait à diminuer les capacités physiques et mentales de la victime, et à annuler sa personnalité pour la contraindre à plaider coupable d’un crime.452 La Cour a estimé que tout acte qui a été planifié et infligé délibérément à une victime pour briser sa résistance psychologique et la forcer à s’accuser elle-même ou à avouer des activités illégales, ou afin de la soumettre à d’autres types de châ-timent qui s’ajoutent à la privation de liberté peut être qualifié de torture phy-sique et mentale.453 Par conséquent, tout mauvais traitement perpétré après la condamnation d’un individu remplirait ce critère. De plus, même la menace de mauvais traitements peut atteindre le seuil de gravité requis, en effet la Cour est d’avis que la menace ou le danger réel d’être soumis à des souffrances phy-siques entraîne, dans certaines circonstances, un degré d’angoisse mentale tel qu’il peut être considéré comme une « torture psychologique ».454

La Commission interaméricaine est devenue le premier organe juridictionnel international à reconnaître le viol comme acte de torture, dans l’affaire Raquel Martí de Mejía c. Pérou.455 La Commission a noté que le viol est une méthode de torture mentale qui a souvent pour objectif d’humilier la victime, ainsi que sa famille ou sa communauté.

La Cour et la Commission interaméricaines ont ainsi fait preuve d’une flexi-bilité plus grande que d’autres organes internationaux en adoptant une défini-tion élargie de la torture et de la responsabilité de l’État fondée sur la nécessité de garantir les principes fondamentaux de protection des droits de l’homme.

451 Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou, CrIDH, arrêt du 8 juillet 2004, Série C N°110, §116.452 Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §148.453 Ibid., §146. Voir aussi Cantoral-Benavides c. Pérou, CrIDH, arrêt du 18 août 2000, Série C N°69,

§104.454 Urrutia c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 27 novembre 2003, Série C N°103, §92. Voir aussi Tibi

c. Équateur (2004), op. cit., §149; Servellón-García c. Honduras (2006), op. cit., §99.455 Martí de Mejía c. Pérou (1996), op. cit.

111

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

3.1.2 Traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradantsL’article 6 de l’IACPPT prévoit, notamment, que :

« Les États parties s’engagent (…) à prendre des mesures efficaces pour préve-nir et punir (…) d’autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégra-dants dans leur juridiction. »

L’IACPPT ne fournit toutefois pas de définition de tels agissements et ne pré-cise pas ce qui différencie la torture des autres formes de mauvais traitement.456 La Cour et la Commission interaméricaines ont par conséquent adopté, dans l’affaire Luis Lizardo Cabrera c. République dominicaine, les distinctions éla-borées dans la jurisprudence du système européen (examinées en détail dans les parties 2.1.2 et 2.1.3).457 En outre, la Commission a estimé que tant la CADH que l’IACPPT lui accordaient une certaine latitude afin d’apprécier si un acte ou une pratique constituaient une torture ou d’autres formes de mauvais trai-tement à la lumière de l’intensité ou de la gravité de ces actes. Une telle quali-fication doit être opérée au cas par cas, en prenant en compte les particularités de chaque affaire, la durée des souffrances, les effets physiques et mentaux sur la victime et la situation personnelle de celle-ci.458

La Cour interaméricaine a adopté une approche similaire à celle de la Commis-sion. Dans l’affaire Loayza Tamayo c. Pérou, la Cour a indiqué que la distinc-tion entre ces différents actes résidait en partie dans la gravité du traitement infligé, en notant que la violation du droit à l’intégrité physique et mentale d’un individu relevait d’une catégorie de violations qui présente plusieurs degrés de gravité et englobe des actes allant de la torture à d’autres formes d’humi-liation ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant entraînant des effets physiques et mentaux plus ou moins importants causés par des facteurs exo-gènes et endogènes, qui doivent être prouvés dans chaque cas d’espèce.459 Dans l’affaire Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay, la Cour a souligné qu’un acte pouvait être qualifié de traitement inhumain même en l’absence de préjudice physique. La Cour a précisé que le fait de créer une situa-tion menaçante, ou de menacer un individu de torture peut, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain.460

456 Lizardo Cabrera c. République dominicaine, CIDH, Affaire 10832, Rapport N°35/96, 17 février 1998, §76.

457 Ibid., §§77–80.458 Ibid., §§82–83.459 Loayza Tamayo c. Pérou, CrIDH, arrêt du 17 septembre 1997, Série C N°33, §57.460 Affaire Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay, CrIDH, arrêt du 2 sep-

tembre 2004, Série C N°112, §167.

112

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

Dans l’affaire Frères Gómez Paquiyauri c. Pérou, la Cour interaméricaine, citant la Cour européenne, a indiqué que l’appréciation de la gravité des actes susceptibles de constituer des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou des actes de torture était relative, et dépendait de l’ensemble des circonstances de l’espèce, telles que la durée des mauvais traitements, leurs conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime, entre autres.461 Ainsi, comme c’est le cas pour le système européen, la vulnérabilité particulière de la victime peut constituer un facteur aggravant qui transforme en torture un traitement qui, sinon, aurait été qualifié de cruel, inhumain ou dégradant.

La Cour a souligné que la distinction entre la torture et les autres actes interdits n’était pas rigide mais évoluait plutôt à la lumière des exigences croissantes en matière de protection des droits et libertés fondamentaux. Par conséquent, un acte qui, dans le passé, aurait été qualifié de peine ou traitement cruel, inhu-main ou dégradant pourrait à l’avenir constituer une forme de torture.462

3.1.3 Traitement humain des détenusL’article XXV de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme prévoit notamment :

« Tout individu qui a été privé de sa liberté a droit (…) à un traitement humain au cours de sa détention. »

Cette disposition est complétée par l’article XXVI qui précise que toute per-sonne accusée de délit a le droit de ne pas se voir condamner à « des peines cruelles, dégradantes ou inusitées ».

Si les Déclarations ne sont généralement pas considérées comme des ins-truments juridiquement contraignants, la Commission et la Cour intera-méricaines ont, toutes deux, indiqué qu’elles estimaient que la Déclaration américaine avait pleine force juridique. Dans l’affaire White et Potter c. États-Unis, la Commission a exprimé l’opinion selon laquelle dès lors qu’un État a accepté d’être lié par les dispositions de la Charte de l’OEA, les dispositions des autres instruments et les résolutions de l’OEA en matière de droits de l’homme (y compris la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme) acqué-raient une force juridiquement contraignante.463 Dans un Avis consultatif

461 Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §113.462 Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit.463 White et Potter c. États-Unis, CIDH, Résolution 23/81, Affaire 2141, 6 mars 1981, §16. Voir aussi

Roach et Pinkerton c. États-Unis, CIDH, Résolution 3/87, Affaire 9647, 22 septembre 1987, §48.

113

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

sollicité par le gouvernement colombien, la Cour interaméricaine a déclaré qu’aucune des dispositions de la Convention américaine ne saurait être inter-prétée comme excluant ou limitant les effets découlant de la Déclaration amé-ricaine des droits et devoirs de l’homme, ou d’autres textes internationaux de même nature.464

L’obligation d’assurer un traitement humain aux détenus est détaillée dans l’article 5 de la CADH, qui prévoit notamment que :

« 3. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.

4. Les prévenus doivent être, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés, et soumis à un régime approprié à leur condition de personnes non condamnées.

5. Lorsque le prévenu est dans sa minorité, il doit être séparé des adultes et traduit, avec toute la célérité possible, devant un tribunal spécialisé où il rece-vra un traitement approprié à son statut.

6. Les peines privatives de liberté doivent avoir pour but essentiel l’amende-ment et le reclassement social des condamnés. »

Ainsi, plutôt que d’interpréter la CADH à la lumière d’instruments internatio-naux juridiquement non contraignants, tels que l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, la Cour interaméricaine peut conclure à une violation directe de la Convention lorsqu’un certain nombre de ces normes n’ont pas été respectées.

3.2 Les obligations des États partiesLa Cour interaméricaine a estimé dans un avis consultatif qu’en concluant des traités relatifs aux droits de l’homme, les États se soumettent à un ordre juri-dique au sein duquel ils assument, pour le bien commun, diverses obligations, non pas en relation avec d’autres États, mais à l’égard des individus placés sous leur juridiction.465 L’obligation incombant aux États aux termes de l’article 1(1) de la CADH de respecter les droits et libertés fixe une limite à l’exercice de l’autorité publique et part du principe qu’il existe des sphères de l’existence

464 Interprétation de la Déclaration américaine sur les droits et devoirs de l’homme dans le cadre de l’article 64 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-10/89 du 14 juillet 1989, CrIDH, Série A N°10, §36(b). Cette position a fait l’objet de contro-verse étant donné que cette Déclaration n’est « pas un traité », comme la Cour l’a, elle-même, reconnu (§23).

465 L’effet des réserves sur l’entrée en vigueur de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-2/82 du 24 septembre 1982, CrIDH, Série A N°2, §29.

114

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

humaine auxquelles les États ne peuvent pas porter atteinte.466 L’obligation de garantir le libre et plein exercice des droits prévue par ce même article implique l’obligation de prévenir toute violation des droits de l’homme, d’enquêter sur ces actes, d’en punir les auteurs et d’assurer une indemnisation aux victimes, ainsi que de supprimer les obstacles à l’exercice et à la jouissance de tous les droits.467

Aux termes des articles 1 et 6 de l’IACPPR, les États sont tenus de prendre « des mesures efficaces pour prévenir et réprimer la torture dans leur juridic-tion ».468 La Cour a déclaré qu’il était impossible de fournir une énumération détaillée de ces mesures, lesquelles varient en fonction du droit concerné et des conditions spécifiques à chaque État partie.469 Cependant, une analyse de la CADH et de la jurisprudence de la Cour permet de recenser un certain nombre d’obligations spécifiques qui sont analogues à celles existant dans les systèmes onusien et européen de protection des droits de l’homme.

3.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privésL’article 3 de l’IACPPT prévoit que :

« Sont coupables du crime de torture :

a.  Les employés ou fonctionnaires publics qui, agissant en cette qualité, ordonnent, prônent, encouragent l’emploi de la torture ou l’utilisent directe-ment, ou n’ont pas empêché son emploi quand ils pouvaient le faire.

b. Les personnes qui, à l’instigation des fonctionnaires ou employés publics visés à l’alinéa a) ci-dessus ordonnent, prônent, encouragent l’emploi de la torture, s’en font les complices ou y ont recours elles-mêmes directement. »

Aux termes de la CADH, l’État est responsable de toute action ou omission – émanant d’un de ses pouvoirs ou organes, quel que soit leur rang – qui consti-tue une violation de la Convention américaine.470 Comme nous l’avons vu

466 L’expression «  lois  » dans l’article  30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86 du 9 mai 1986, CrIDH, Série A N°6, §21 ; Velásquez-Rodrí-guez c. Honduras (1982), op. cit., §165 ; Bamaca-Velásquez c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2000, Série C No. 70, §210.

467 Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit.468 Article 6 de l’IACPPT. L’article 17 de l’IACPPT a, de plus, établi l’obligation incombant aux

États parties à la Convention de faire rapport des mesures adoptées. Dans les faits, les États respectent rarement cette obligation.

469 Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §175; Godínez-Cruz c. Honduras (1989), op. cit., §§184–85.

470 Massacre de Pueblo Bello c. Colombie, CrIDH, arrêt du 31 janvier 2006, Série C N°140, §112.

115

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

dans la partie 3.1.1, pour que la responsabilité de l’État soit engagée, il n’est pas nécessaire d’établir, comme cela est le cas en droit pénal interne, la culpabilité ou l’intention des auteurs ; il n’est pas non plus nécessaire d’identifier indivi-duellement les agents à qui sont imputées les violations des droits de l’homme inscrits dans la Convention.471

Si la responsabilité de l’État est bien évidemment engagée lorsque ses agents infligent eux-mêmes des mauvais traitements à des individus,472 le simple fait qu’une violation soit soutenue ou tolérée par une autorité publique – par action ou omission – suffit pour que la responsabilité de l’État soit engagée.473 Comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire Velásquez-Rodriguez c. Honduras, un acte illégal qui viole les droits de l’homme et qui, initialement, n’est pas direc-tement imputable à un État (par exemple parce qu’il s’agit d’un acte commis par un particulier ou parce que l’auteur n’a pas été identifié) peut engager la responsabilité internationale de l’État, non en soi mais en raison de l’absence de diligence à prévenir la violation ou à y répondre comme le veut la Conven-tion.474 En résumé, l’acte ou l’omission doit pouvoir être, d’une manière ou d’une autre, imputable à l’État et doit constituer une violation d’une obligation précédemment assumée par celui-ci ou dont la source est reconnue comme étant une norme du droit international coutumier.

La Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention de Belém Do Pará) étend la respon-sabilité de l’État en matière d’actes de violence commis dans la sphère privée. L’article premier de cette Convention définit les violences contre les femmes comme :

«  tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée ».

471 Ibid.,472 Voir, par exemple, Massacre de Mapiripán c. Colombie, CrIDH, arrêt du 15 septembre 2005

Série  C N°134, §112  ; Communauté Moiwana c. Suriname, CrIDH, arrêt du 15  juin 2005, Série C N°124, §211 ; Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §108 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §91 ; 19 commerçants c. Colombie, CrIDH, arrêt du 5 juillet 2004, Série C N°109, §183 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., § 71 ; Bulacio c. Argentine, CrIDH, arrêt du 18 sep-tembre 2003, Série C N°100, §111; Sánchez c. Honduras, CrIDH, arrêt du 7 juin 2003, Série C N°99, §81 ; Goiburú et al c. Paraguay, CrIDH, arrêt du 22 septembre 2006, Série C N°153, §66 ; La Cantuta c. Pérou, op. cit., §96.

473 Massacre de Mapiripán c. Colombie (2005), op. cit., §110. Voir aussi Servellón-García c. Hondu-ras (2006), op. cit., §107.

474 Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §172.

116

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

La Convention de Belém Do Pará s’applique à la violence contre les femmes « perpétrée ou tolérée par l’État ou ses agents, où qu’elle se produise ».475 Les obligations incombant à l’État en matière de protection des femmes contre la violence sont détaillées dans l’article 7, qui prévoit que les États parties doivent s’engager :

« a. à ne commettre aucun acte de violence et à ne pas pratiquer la violence contre les femmes et à s’assurer que les autorités, les fonctionnaires et les agents et institutions respectent cette obligation ;

b. à agir avec la diligence voulue pour prévenir la violence contre la femme, mener les enquêtes nécessaires et sanctionner les actes de violence exercés contre elle ;

c. à incorporer dans leur législation nationale des normes pénales, civiles et administratives ainsi que toute autre norme qui s’avère nécessaire pour prévenir, sanctionner, éliminer la violence contre les femmes, et à arrêter les mesures administratives pertinentes ;

d. à adopter les dispositions d’ordre juridique pour obliger l’auteur des actes de violence à s’abstenir de harceler, d’intimider et de menacer la femme, de lui nuire ou de mettre sa vie en danger par n’importe quel moyen qui porte atteinte à son intégrité physique ou à ses biens ;

e. à prendre toutes les mesures appropriées, y compris celles d’ordre législatif, pour modifier ou abroger les lois et règlements en vigueur ou pour modifier les pratiques juridiques ou coutumières qui encouragent la persistance ou la tolérance des actes de violence contre la femme ;

f. à instituer des procédures juridiques équitables et efficaces à l’intention de la femme qui a été l’objet d’actes de violence, notamment l’adoption de mesures de protection, la réalisation d’instructions opportunes et l’accès effectif à ces procédures ;

g. à mettre au point les mécanismes judiciaires et administratifs nécessaires pour assurer que la femme sujette à des actes de violence soit effectivement dédommagée, qu’elle reçoive des réparations ou bénéficie d’une compensation par tout autre moyen équitable et efficace ;

h. à adopter les mesures législatives ou autres qui s’avèrent nécessaires pour donner effet à la présente Convention. »

475 Article 2(c) de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme.

117

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

L’article 8 de la Convention énonce une série de politiques et de programmes que l’État doit adopter afin de veiller à ce que ce droit soit effectivement res-pecté.

3.2.2 Obligation de procéder à des enquêtesLe devoir de diligence et l’obligation d’assurer des garanties inscrits dans l’ar-ticle premier de la CADH sont reflétés dans l’article 8 de l’IACPPT, qui stipule que :

« Les États parties garantissent à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture dans sa juridiction, le droit à un examen impartial de la plainte.

Lorsqu’une plainte a été déposée ou qu’il existe des motifs bien fondés de croire qu’un acte de torture a été commis dans leur juridiction, les États par-ties garantissent que leurs autorités respectives ouvriront d’office et immédia-tement une enquête sur la plainte et mettront en mouvement, s’il y a lieu, la procédure pénale appropriée.

Lorsque toutes les étapes de la juridiction interne de l’État concerné ont été franchies et que les voies de recours établies par celui-ci sont épuisées, l’affaire peut être soumise aux instances internationales dont la compétence a été acceptée par cet État. »

La Commission et la Cour interaméricaines figurent parmi les organes qui ont compétence pour connaître de ces affaires.

Dans l’affaire Vargas Areco c. Paraguay, la Cour a réaffirmé que l’État était tenu de procéder à une enquête en vertu d’une obligation impérative consacrée par le droit international qui ne peut être atténuée par une législation ou tout autre acte adopté au niveau interne.476 Dans l’affaire Servellón-García c. Honduras, la Cour a précisé que cette obligation naissait dès que les autorités étatiques avaient connaissance d’allégations de torture ou avaient des motifs de croire que des actes de torture avaient été commis. Dès cet instant, selon la Cour, elles doivent procéder d’office et sans délai à une enquête rigoureuse, impartiale et effective. Celle-ci doit être menée par tous les moyens légaux disponibles et avoir pour objectif d’établir la vérité des faits, ainsi que de procéder à une enquête et de rechercher, appréhender, juger et punir tous les responsables de

476 Vargas Areco c. Paraguay, CrIDH, arrêt du 26 septembre 2006, Série C N°155, §81. Voir aussi Baldeón-García c. Pérou, CrIDH, arrêt du 6 avril 2006, Série C N°147, §157 ; Gutiérrez Soler c. Colombie, CrIDH, arrêt du 12 septembre 2005, Série C N°132, §54 ; et Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §159.

118

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

ces actes.477 En outre, pour être considérée comme effective, l’enquête doit res-pecter les standards internationaux. Par exemple, dans l’affaire Vargas Areco c. Paraguay, la Cour a estimé que l’enquête devrait tenir compte des règles internationales en matière de documentation et d’interprétation des éléments de preuve médicaux-légaux relatifs à la commission d’actes de torture et, en particulier, celles définies par le Protocole d’Istanbul.478

Lorsqu’au cours d’une enquête, des questions relatives au secret d’État, à la confidentialité, à l’intérêt public ou à la sécurité nationale apparaissent, la détermination du caractère secret de ces informations ne doit pas dépendre exclusivement d’un organe étatique dont des membres sont considérés comme responsables de l’acte faisant l’objet d’une enquête, car cela serait clairement incompatible avec une protection judiciaire effective.479

Les buts visés par de telles enquêtes incluent la nécessité d’éviter la répétition des violations, de lutter contre l’impunité et de respecter le droit de la victime à connaître la vérité. En outre, la Cour interaméricaine est allée plus loin que ses homologues internationaux en estimant que non seulement les victimes, mais également la « société dans son ensemble » avait le droit de connaître la vérité.480

3.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législationL’article 2 de la CADH prévoit que :

« Si l’exercice des droits et libertés visés à l’article 1 n’est pas déjà garanti par des dispositions législatives ou autres, les États parties s’engagent à adopter en accord avec leurs prescriptions constitutionnelles et les dispositions de la pré-sente Convention les mesures législatives ou autres nécessaires pour donner effet aux dits droits et libertés. »

477 Servellón-García c. Honduras (2006), op. cit., §119. Voir aussi Vargas Areco c. Paraguay (2006), op. cit., §§74–81; Montero-Aranguren et al (Centre de détention de Catia) c. Vénézuela, CrIDH, arrêt du 5 juillet 2006, Série C Nº150, §79 ; Ximenes-Lopes c. Brésil (2006), op. cit., §148 ; Mas-sacres d’Ituango c. Colombie, CrIDH, arrêt du 1er juillet 2006, Série C N°148, §296 ; Baldeón-García c. Pérou (2006), op. cit., §94 ; Massacre de Pueblo Bello c. Colombie (2006), op. cit., §143.

478 Vargas Areco c. Paraguay (2006), op. cit., §93.479 Mack Chang c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2003, Série C N°101, §§180–181. Voir

aussi La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit., §111.480 Vargas Areco c. Paraguay (2006), op. cit., §81. Voir aussi Massacres d’Ituango c. Colombie

(2006), op. cit., §§299, 402 ; Baldeón-García c. Pérou (2006), op. cit., §§195, 201 ; Blanco Romero c. Vénézuela, CrIDH, arrêt du 28 novembre 2005, Série C N°138, §98 ; Montero-Aranguren et al c. Vénézuela (2006), op. cit., §137.

119

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

Cette obligation spécifique complète et renforce l’obligation de respecter et de garantir les droits consacrés par l’article premier de la CADH.481

L’article 6 de l’IACPPT développe cette obligation, en précisant notamment que :

« Les États parties s’assurent que tout acte ou tentative de torture constituent des crimes selon leur droit pénal ; ils établissent pour les punir des sanctions sévères tenant compte de leur gravité.

Les États parties s’engagent également à prendre des mesures efficaces pour prévenir et punir en outre d’autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants dans leur juridiction. »

Le crime doit être défini conformément à la définition de la torture adoptée en droit international. Celle-ci est considérée par la Cour interaméricaine comme établissant un standard minimum en matière de définition correcte de ce type de comportement et comme spécifiant les éléments essentiels devant être respectés.482 En particulier, la Cour a estimé que si des éléments considérés comme non-dérogeables au niveau international en matière de poursuites sont éliminés, ou que des mécanismes sont introduits qui portent atteinte au sens ou à l’effectivité, cela pourrait aboutir à l’impunité en matière de comporte-ments que les États sont tenus de prévenir, d’éliminer et de sanctionner en vertu du droit international.483

3.2.3.1 Compétence universelleL’article 12 de l’IACPPT stipule que :

« Tout État partie prend dans les cas ci-après les mesures nécessaires pour affirmer sa juridiction sur le crime décrit dans la présente Convention :

a. quand le crime de torture a été commis dans sa juridiction ;

b. quand le délinquant présumé est l’un de ses ressortissants ;

c. quand la victime est un ressortissant de cet État et que celui-ci le juge appro-prié.

481 L’expression «  lois  » dans l’article  30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86 du 9 mai 1986, CrIDH, Série  A N°6, opinion séparée du juge Hector Gros Espiell, §6 ; Mise en application du droit de réponse ou de rectification (articles 14(1), 1(1) et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-7/86 du 29 août 1986, CrIDH, Série A N°7, §29–30 ; Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §165–66.

482 Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §92.483 Ibid.

120

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

Tout État partie prend en outre les mesures nécessaires pour affirmer sa juri-diction sur le crime décrit dans la présente Convention lorsque le délinquant présumé se trouve dans sa juridiction et que l’extradition n’est pas accordée selon les dispositions de l’article 11.

La présente Convention n’exclut pas la juridiction pénale exercée conformé-ment au droit interne. »

L’article 14 prévoit, en outre, que lorsqu’un État partie refuse d’extrader un individu, il doit soumettre «  l’affaire à ses autorités compétentes comme si le crime avait été commis dans sa juridiction aux fins d’instruction et, le cas échéant, de poursuites pénales, dans les conditions définies par sa législation nationale ». En outre, l’article 13 fait obligation aux États parties d’inclure la torture parmi les infractions donnant lieu à extradition.

Ainsi, l’IACPPT prévoit la compétence universelle pour le crime de torture. Les États sont tenus soit d’extrader les suspects, soit de procéder à des enquêtes et, le cas échéant, d’engager des poursuites pénales, indépendamment de la nationalité du suspect et du fait que le crime ait été commis, ou non, sous la juridiction de l’État concerné.484

Bien que l’obligation d’extrader les suspects figure explicitement dans l’IACPPT, la Cour a directement fondé ses décisions sur la CADH lorsqu’elle a eu à statuer sur des affaires liées à un cas d’extradition. Dans l’affaire Goiburú et autres c. Paraguay, qui portait sur la détention illégale et arbitraire, la torture et la disparition forcée de quatre personnes entre 1974 et 1977, la Cour a estimé que conformément à l’obligation générale d’assurer des garanties, inscrite dans l’article 1(1) de la Convention américaine, le Paraguay devait adopter les mesures nécessaires, de nature diplomatique et judiciaire, afin de poursuivre en justice et punir tous les responsables des violations commises, ce qui inclut de donner suite aux demandes d’extradition par tous les moyens possibles.485 En outre, la Cour considère que le fait de demander l’extradition de personnes soupçonnées du crime de torture constitue une obligation aux termes du droit international coutumier, et que les mécanismes de garantie collective instau-rés par la CADH et les obligations régionales et internationales à cet égard obligent les États de la région à collaborer de bonne foi dans ce domaine, que

484 Rodley, op. cit., pp.52-53.485 Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §130. Il faut signaler qu’au moment de ces faits,

l’IACPPT n’avait pas encore été adoptée, ce qui peut expliquer le fait que la Cour n’ait pas explicitement fait référence aux dispositions de cet instrument relatives à l’extradition.

121

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

ce soit en accordant l’extradition ou en traduisant en justice les responsables sur leur territoire.486

3.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitementsL’article 10 de l’IACPPT stipule que :

« Aucune déclaration obtenue par la torture ne sera admise comme preuve dans une instance, sauf contre la ou les personnes accusées d’avoir commis le crime de torture et pour prouver uniquement que l’accusé avait obtenu une telle déclaration par ce moyen. »

Cette disposition complète l’article 8 de la CADH, qui assure notamment à toute personne accusée d’un délit les garanties suivantes :

« 2(g). [Le] droit pour l’accusé de ne pas être obligé à témoigner contre lui-même ou à se déclarer coupable ;

(…)

3. L’aveu de l’accusé ne sera valable que s’il est fait sans coercition d’aucune sorte. »

Cette dernière disposition peut, toutefois, avoir une portée plus étendue car elle n’est pas limitée à la torture, mais s’applique à toutes les formes de contrainte y compris sans doute les autres formes de mauvais traitement.

Ainsi, dans l’affaire Cantoral-Benavides c. Pérou, la Cour, ayant estimé que le requérant avait été l’objet de tortures physiques et mentales dans le but de briser sa résistance mentale et le forcer à s’accuser lui-même ou à avouer cer-taines activités illégales, a conclu à l’existence d’une violation de l’article 8 de la CADH.487

3.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procéduralesL’article 7 de l’IACPPT stipule que :

« Les États parties prennent les mesures requises pour assurer qu’une atten-tion spéciale est accordée à l’interdiction de la torture dans la formation des agents de police et d’autres fonctionnaires chargés de la garde des personnes

486 Ibid., §§131–132. Voir aussi La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit., §160.487 Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §§104, 132–133. Voir aussi Tibi c. Équateur (2004),

op. cit., §149.

122

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

privées provisoirement ou définitivement de leur liberté, lors des interroga-toires, détentions et arrestations.

Les États parties prennent aussi les mesures similaires requises pour prévenir les traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. »

Lorsque des groupes particulièrement vulnérables, tels que des enfants, sont détenus dans des centres de détention ou des postes de police, il peut s’avérer nécessaire que les agents chargés de l’application des lois reçoivent une forma-tion supplémentaire portant sur les besoins particuliers de ces groupes.488

La CADH contient également un certain nombre de garanties procédurales. Celles-ci comprennent le droit de toute personne détenue à être informée des raisons de sa détention.489 Dans l’affaire Tibi c. Équateur, la Cour a explicite-ment élargi ce droit aux représentants légaux de la personne concernée, en déclarant que ce droit prévoyait un mécanisme pour éviter tout comportement illégal ou arbitraire dès les premiers instants de la privation de liberté, et pour assurer la défense du détenu. La Cour a ajouté que le détenu ainsi que les per-sonnes qui le représentent ou en ont la garde légale ont le droit d’être informées des motifs et raisons de la détention, ainsi que des droits du détenu.490 Le droit d’être traduit sans délai devant un juge est également garanti.491 Dans l’affaire Petruzzi et autres c. Pérou,492 la Cour a affirmé que cette garantie était essen-tielle à la protection du droit à l’intégrité et à la liberté de la personne. Cette garantie s’applique, par conséquent, à toutes personnes soupçonnées de tout crime ou délit, y compris d’infractions en matière de terrorisme.493

L’article 27(2) de la CADH prévoit que, même dans des situations d’urgence, les États parties ne peuvent pas suspendre un certain nombre de droits, dont le droit à l’intégrité de la personne, de même que les « garanties indispensables à la protection des droits susvisés ». La Cour interaméricaine a été amenée à définir la nature de ces garanties dans deux avis consultatifs. Dans son Avis consulta-tif sur le droit à l’habeas corpus (à savoir, le droit de contester la légalité d’une détention), lequel est garanti par les articles 7(6) et 25(1) de la CADH, la Cour a déclaré que l’habeas corpus jouait un rôle essentiel pour garantir le respect de la vie et de l’intégrité physique des personnes, en prévenant leur disparition

488 Voir, par exemple, Bulacio c. Argentine (2003), op. cit., §136.489 Article 7(4) de la CADH.490 Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §109.491 Article 7(5) de la CADH.492 Castillo Petruzzi et al c. Pérou, CrIDH, arrêt du 30 mai 1999, Série C N°52.493 Ibid., §§109–112. La Cour interaméricaine a cité, à cet égard, la jurisprudence de la Cour euro-

péenne. Voir §108.

123

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

ou leur maintien en détention secrète, et en les protégeant contre la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Cour a également précisé que ce droit ne pouvait, par conséquent, être suspendu en aucune circonstance.494 Le même raisonnement s’applique à d’autres garanties procédurales, en particulier celles spécifiées à l’article 8 de la CADH.495 L’ar-ticle 8 prévoit notamment le droit pour tout accusé d’être entendu par un juge ou un tribunal, de bénéficier de la présomption d’innocence, d’être assisté d’un interprète, de recevoir une notification détaillée des charges portées contre lui et le droit d’être assisté par un défenseur de son choix et de communiquer librement avec celui-ci.

L’article 5 de la CADH prévoit notamment :

« 3. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.

4. Les prévenus doivent être, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés, et soumis à un régime approprié à leur condition de personnes non condamnées.

5. Lorsque le prévenu est dans sa minorité, il doit être séparé des adultes et traduit, avec toute la célérité possible, devant un tribunal spécialisé où il rece-vra un traitement approprié à son statut. »

Ainsi, un grand nombre de garanties procédurales qui dans d’autres systèmes sont déduites d’articles généraux interdisant les mauvais traitements, sont explicitement énoncées dans le système interaméricain. La Cour a par ail-leurs également conclu à un certain nombre d’autres obligations spécifiques. Par exemple, dans l’affaire De la Cruz Flores c. Pérou, la Cour a établi que, en vertu de l’article 5 de la CADH, l’État était tenu d’assurer aux prisonniers des visites médicales régulières et des soins, ainsi qu’un traitement adapté quand cela s’avérait nécessaire. Elle a estimé que l’État devait également faire en sorte que les détenus puissent être traités par le médecin désigné par eux, ou par leurs représentants ou tuteurs légaux.496 Dans l’affaire Tibi c. Équateur, la Cour a souligné que l’État avait la responsabilité de garantir les droits des indivi-dus qu’il détenait, et de fournir des informations et des éléments de preuve

494 L’habeas corpus dans les situations d’urgence (articles 27(2), 25(1) et 7(6) de la Convention américaine relative aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-8/87 du 30  janvier 1987, CrIDH, Série A N°8, §35.

495 Les garanties judiciaires dans les états d’urgence, (articles 27(2), 25 et 8 de la Convention amé-ricaine relative aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-9/87 du 6 octobre 1987, CrIDH, Série A N°9.

496 De la Cruz Flores c. Pérou, CrIDH, arrêt du 18 novembre 2004, Série C N°115, §132.

124

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

concernant le sort du détenu.497 Cela semble requérir de l’État qu’il tienne des registres détaillés dans les lieux de détention.

3.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimesL’article 63(1) de la CADH prévoit que :

«  Lorsqu’elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été violés, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonnera égale-ment, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée.»498

L’article 9 de l’IACPPT prévoit, en outre, que les États parties doivent « prévoir dans leurs législations nationales des dispositions garantissant qu’une compen-sation adéquate sera versée aux victimes du crime de torture ». En outre, les États responsables de violations ne peuvent invoquer leurs dispositions juridiques internes afin de modifier ou d’enfreindre leur obligation de fournir réparation. Celle-ci est régie à tous égards (quant à sa portée, nature, méthode et détermi-nation des bénéficiaires) par le droit international.499 Les États peuvent déter-miner la manière dont le droit de rectification ou de réponse doit être exercé au niveau interne mais cela ne porte aucunement atteinte à l’exigibilité, sur le plan international, de l’obligation de respecter et de garantir les droits qu’ils ont assumés en vertu de l’article 1(1) de la CADH.500

La Cour considère que la réparation d’un préjudice provoqué par une viola-tion des droits de l’homme exige, lorsque cela est possible, le rétablissement de la situation antérieure à ladite violation. Si cela n’est pas possible, la Cour ordonnera l’adoption d’un ensemble de mesures qui, outre le fait de garantir le respect des droits qui ont été bafoués, prévoient une réparation des consé-

497 Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §129. Voir aussi Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §98 ; Bulacio c. Argentine (2003), op. cit., §138.

498 Cela reflète un principe de droit international coutumier ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §188 ; 19 commerçants c. Colombie (2004), op. cit., §220 ; Theissen c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 3 Juillet 2004, Série C N°108, §40.

499 Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §189. Voir aussi Ariel E. Dulitzky, Alcance de las Obligaciones Internacionales de los Derechos Humanos in Claudia Martín, Diego Rodrí-guez Pinzón & José A. Guevara B. Comp. Derecho Internacional de los Derechos Humanos, 79, 82 (Universidad Iberoamericana y otros, 1e édition, 2004).

500 Exigibilité du droit de rectification ou de réponse (articles 14(1), 1(1) et 2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-7/86 du 29 août 1986, CrIDH, Série A N°7.

125

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

quences des violations et accordent une indemnisation des préjudices provo-qués dans le cas d’espèce.501 La Cour interaméricaine va beaucoup plus loin que d’autres organes internationaux en matière de types de réparation qu’elle peut ordonner. Par exemple, dans l’affaire Vargas Areco c. Paraguay, outre une indemnisation financière, la Cour a statué que l’État était, notamment, tenu d’organiser un acte public officiel afin de reconnaître sa responsabilité interna-tionale et présenter des excuses aux proches des victimes, d’élaborer du maté-riel didactique sous forme audiovisuelle à l’intention des écoles élémentaires et secondaires afin d’illustrer le risque inhérent au service militaire obligatoire et de donner à une rue le nom de la victime.502

3.3 Champ d’applicationLa Cour et la Commission interaméricaines, à l’instar de leurs homologues régionaux et internationaux, ont fourni une interprétation large de la pro-hibition de la torture et des mauvais traitements figurant dans la CADH et l’IACPPT, et ce afin d’assurer aux individus la protection la plus complète pos-sible.

3.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitements Le droit à l’intégrité de la personne fait partie des droits non-dérogeables inscrits à l’article 27(2) de la CADH; ce droit ne saurait faire l’objet d’aucune exception de la part des États, même dans des situations extrêmes telles que la guerre, la menace de guerre, la lutte contre le terrorisme et n’importe quels autres crimes, l’état de siège ou d’urgence, les troubles ou conflits internes, la suspension des garanties constitutionnelles, l’instabilité politique interne ou d’autres situations d’urgence ou de calamité publique ou lorsque la survie d’un pays est menacée.503 De même, comme cela a été examiné dans la partie 3.2.5,

501 Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §189 ; Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §§141–42 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §143 ; Ximenes-Lopes c. Brésil (2006), op. cit., §177.

502 Vargas Areco c. Paraguay (2006), op. cit., §136(d).503 Article 27(1) de la CADH. Voir aussi Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Para-

guay (2004), op. cit., §157 ; Tibi c. Équateur (2004), §143 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §89 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §111 ; De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §125 ; Berenson-Mejía c. Pérou, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2004, Série C N°119, §100 ; Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §95 ; Servellón-García c. Honduras (2006), op. cit., §97  ; Baldeón-García c. Pérou (2006), op. cit., §117. Voir, de manière plus générale, Robert Goldman, Claudio M. Grossman, Claudia Martin et Diego Rodríguez-Pinzón, The International Dimension of Human Rights, Banque interaméricaine de développement, 2001, section IIIA, p.49.

126

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

les garanties judiciaires indispensables à la protection de ce droit ne peuvent pas être suspendues.504 Les articles 4 et 5 de l’IACPPT renforcent cette prohibi-tion absolue en ce qui à trait à la responsabilité pénale individuelle pour actes de torture au plan interne :

« Article 4

Le fait d’avoir agi sur les ordres d’autorités supérieures n’exonère pas de la responsabilité pénale attachée à la perpétration du crime de torture.

Article 5

Ne peut être invoquée ni admise comme justification du crime de torture l’existence de certaines circonstances, telles que l’état de guerre, la menace de guerre, l’état de siège, l’état d’alerte, les bouleversements ou conflits inté-rieurs, la suspension des garanties constitutionnelles, l’instabilité politique interne et d’autres crises ou calamités publiques.

Le caractère dangereux du détenu ou du condamné, l’insécurité de la prison ou du pénitencier ne peuvent justifier la torture. »

Le crime de torture ne peut faire l’objet d’aucune prescription,505 et les gou-vernements demeurent responsables des actes commis par des régimes précé-dents s’ils ne prennent pas des mesures adéquates pour lutter contre l’impunité et assurer réparation.506 De même, le crime de torture ne peut pas faire l’objet d’une amnistie car cela laisserait les victimes sans moyens de défense et per-pétuerait l’impunité pour les crimes contre l’humanité. Les amnisties sont donc ouvertement contraires à la lettre et l’esprit de la Convention américaine, et portent incontestablement atteinte aux droits qu’elle garantit. Elles consti-tuent, en soi, une violation de la Convention et engagent la responsabilité inter-nationale de l’État.507

Dans des affaires plus récentes, la Cour interaméricaine a explicitement déclaré que la prohibition absolue s’appliquait non seulement à la torture, mais également aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en soulignant que tant la torture que les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont strictement prohibés par le droit international relatif aux droits de l’homme. La prohibition de la torture et des autres peines ou trai-

504 Article 27(2) de la CADH.505 Voir, par exemple, Communauté Moiwana c. Suriname (2005), op. cit.506 Voir, par exemple, La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit.507 Almonacid-Arellano et al c. Chili, CrIDH, arrêt du 26 septembre 2006, Série C N°154, §119.

Voir aussi Barrios-Altos c. Pérou, interprétation de l’arrêt au fond (article 67 de la CADH), CrIDH, arrêt du 3 septembre 2001, Série C N°83, §18.

127

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

tements cruels, inhumains ou dégradants est absolue et il est impossible d’y déroger même dans les circonstances les plus extrêmes, telles que la guerre ou la menace de guerre, la lutte contre le terrorisme ou tout autre crime, la loi martiale ou l’état d’urgence, les troubles ou conflits internes, la suspension des garanties constitutionnelles, l’instabilité politique interne ou tout autre situa-tion d’urgence ou de calamité publique.508

La Cour a fait référence, à plusieurs reprises, à la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction absolue de toutes les formes de torture,509 et il est maintenant clair qu’elle considère également que la prohibition des autres formes de mau-vais traitement fait partie intégrante du droit international coutumier. 510

3.3.2 Les sanctions légitimesL’IACPPT prévoit explicitement une nuance à la prohibition de tout mauvais traitement en précisant dans son article 2 que :

« Ne sont pas couvertes par le concept de torture les peines ou souffrances, physiques ou mentales, qui sont uniquement la conséquence de mesures léga-lement ordonnées ou qui leur sont inhérentes, à la condition que les méthodes visées au présent article ne soient pas employées dans l’application de ces mesures. »

En apparence, cette clause a une portée plus étroite que celle prévue par l’UNCAT, car elle précise explicitement que les méthodes relevant de la défi-nition de la torture, qui sont infligés dans le cadre d’une mesure reconnue à d’autres égards comme légitime, seront néanmoins qualifiées de torture.

3.3.2.1 La peine de mortSi l’imposition de la peine de mort n’est pas interdite par l’article 4 de la CADH, relatif au droit à la vie, son utilisation est soumise à des limitations strictes. La Cour a indiqué qu’elle interprétera de manière restrictive les conditions dans lesquelles cette peine peut être imposée.511 L’imposition de la peine de mort, ou les circonstances relatives à son usage, peuvent ainsi, dans certains cas, violer les droits garantis par l’article 5 de la CADH.

508 Berenson-Mejía c. Pérou (2004), op. cit., §100 ; De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §125 ; Las Palmeras c. Colombie, CrIDH, arrêt du 6 septembre 2001, Série C N°90, §58.

509 Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §128 ; Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §143 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §112 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §92.

510 Ximenes-Lopes c. Brésil (2006), op. cit., §127.511 Voir Restrictions sur la peine de mort (articles 4(2) et 4(4) de la Convention américaine relative

aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-3/83 du 8 septembre 1983 ; Hilaire et al c. Trinidad et Tobago, CrIDH, arrêt du 21 juin 2002, Série C N°94, §99.

128

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

La Commission n’a pas encore statué sur le fait de savoir si une méthode parti-culière d’exécution s’assimilait à une peine ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant en comparaison à d’autres méthodes, bien qu’elle se soit réservé la compétence de se prononcer sur ce point à l’avenir.512 Néanmoins, la Com-mission a estimé que l’imposition obligatoire de la peine de mort suite à une condamnation pour meurtre constituait une violation de l’article 5. La Cour a estimé que les garanties figurant dans cette disposition de la CADH présup-posaient que les personnes protégées par la Convention étaient considérées et traitées individuellement comme des êtres humains, particulièrement dans le cas où un État partie envisageait de limiter ou de restreindre les droits et les libertés les plus fondamentaux de l’individu.513 L’imposition obligatoire de la peine de mort en fonction de la catégorie du crime concerné, et non de la situa-tion personnelle de l’individu en question ou des circonstances d’une affaire particulière, s’assimilait donc à un traitement inhumain ou dégradant.

Dans l’affaire Hilaire et al c. Trinidad et Tobago, la Cour interaméricaine s’est référée à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Soering c. Royaume-Uni et a estimé que l’angoisse endurée par des prisonniers qui attendent dans le quartier réservé aux condamnés à mort une exécution, laquelle peut être effectuée sans préavis, constituait un traitement cruel, inhu-main et dégradant.514 Cette décision faisait suite au témoignage d’un expert indiquant que les procédures conduisant à une mort par pendaison de per-sonnes reconnues coupables d’homicide terrifiaient et déprimaient les prison-niers. Cet expert avait ajouté que d’autres détenus étaient incapables de trouver le sommeil en raison de cauchemars, et pouvaient encore moins se nourrir.515

3.3.2.2 Les châtiments corporelsDans l’affaire Loayza Tamayo c. Pérou, la Cour, citant une nouvelle fois la juris-prudence de la Cour européenne, a estimé que tout recours à la force qui n’est pas absolument nécessaire pour assurer une conduite appropriée de la part du détenu constituait une atteinte à la dignité de la personne en violation de l’article 5.516

512 Sewell c. Jamaïque, Affaire 12347, Rapport N°76/02, 27 décembre 2002, §118.513 Baptiste c. Grenade, CIDH, Affaire 11743, Rapport N°38/00, 13 avril 2000, §89. Voir aussi Ait-

ken c. Jamaïque, CIDH, Affaire 12275, Rapport N°58/02, 21 octobre 2002, §111 ; Knights c. Grenade, CIDH, Affaire 12028, Rapport N°47/01, 4 avril 2001, §81.

514 Hilaire et al c. Trinidad et Tobago (2002), op. cit., §§167–169. La Cour a estimé que la législation permettant ce système était incompatible avec la CADH.

515 Ibid., §168.516 Loayza Tamayo c. Pérou (1997), op. cit., §57.

129

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

Dans l’affaire Caesar c. Trinidad et Tobago, la Cour, se référant à la jurispru-dence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies et de la Cour euro-péenne, a estimé que la nature même des châtiments corporels infligés à des personnes accusées de crimes reflétait une institutionnalisation de la violence qui, bien qu’autorisée par la loi, ordonnée par les juges et exécutée par les auto-rités pénitentiaires, constituait une sanction incompatible avec la Convention. La Cour a ajouté qu’en tant que telle, la flagellation constituait une forme de torture.517 Dans cette affaire, la Cour a également constaté d’importantes cir-constances aggravantes, y compris l’humiliation extrême provoquée par la flagellation elle-même, l’angoisse, l’anxiété et la peur éprouvées par le détenu dans l’attente de subir cette peine, période caractérisée par des retards exces-sivement longs, ainsi que le fait que le détenu avait été témoin des souffrances d’autres prisonniers ayant déjà reçu le fouet.518

La Cour interaméricaine ne s’est pas encore prononcée sur les châtiments cor-porels infligés dans la sphère privée, par exemple, les châtiments administrés à des enfants par leurs parents. Étant donné la volonté de la Cour d’adopter les standards élaborés par d’autres organes internationaux, et compte tenu de la position du Comité des droits de l’enfant en la matière, il semble probable que la Cour conclurait à l’existence d’une violation de la CADH si l’État en question n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables afin de prévenir de tels actes.

3.3.3 Conditions de détentionLa Cour interaméricaine a clairement précisé que les personnes privées de liberté avaient le droit d’être traitées avec dignité. Étant donné que l’État est responsable de la gestion des centres de détention et qu’il exerce un contrôle total sur les personnes privées de liberté, il est le garant des droits des détenus, y compris de leur droit à l’intégrité de leur personne.519 Par conséquent, l’État a l’obligation de veiller à ce que les conditions de détention respectent la dignité personnelle des détenus. La Cour a estimé que des conditions de détention inadéquates pouvaient causer – selon leur gravité, la durée de la détention et les caractéristiques personnelles du détenu – des souffrances allant au-delà des

517 Caesar c.Trinidad et Tobago, CrIDH, arrêt du 11 mars 2005, Série C N°123, §73.518 Ibid., §88.519 Neira Alegría et al c. Pérou, CrIDH, arrêt du 19 janvier 1995, Série C N°20, §60 ; Cantoral-Bena-

vides c. Pérou (2000), op. cit., §87 ; Hilaire et al c. Trinidad et Tobago (2002), op. cit., §165. Voir aussi Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §§129, 150 ; Institut de rééducation pour mineurs délin-quants c. Paraguay (2004), op. cit., §§152–153 ; et Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §98, Caesar c. Trinidad et Tobago (2005), op. cit., §97; Berenson-Mejía c. Pérou (2004), op. cit., §102.

130

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

épreuves inévitables, inhérentes à toute détention, et s’accompagner de senti-ments d’humiliation et d’infériorité, en violation de l’article 5 de la CADH.520

Comme cela a été examiné dans la partie 3.2.5 supra, la CADH prévoit spé-cifiquement la séparation des différentes catégories de détenus. La Cour a développé, dans sa jurisprudence, d’autres obligations relatives aux conditions de détention. En particulier, la Cour a conclu que les conditions de détention constituaient des violations du droit à un traitement humain consacré par l’article 5 de la CADH lorsqu’elles étaient marquées par les facteurs suivants : surpopulation, manque de lumière naturelle et d’aération, literie inadéquate, conditions sanitaires insuffisantes, nourriture inappropriée ou inadéquate, activité physique inadéquate, manque d’accès aux structures éducatives ou récréatives, manque de soutien psychologique ou de soins médicaux, et place-ment en isolement ou restrictions injustifiées au droit de visites.521 En outre, les États sont tenus de veiller à ce que les détenus bénéficient de soins médicaux adéquats, y compris en leur permettant d’être examinés par un médecin de leur choix.522 Dans l’affaire Montero-Aranguren c. Venezuela, la Cour a sou-ligné que le fait de bénéficier de l’assistance d’un médecin n’ayant aucun lien avec les autorités du centre de détention constituait une garantie importante contre la torture et les mauvais traitements physiques ou mentaux des déte-nus.523 Le fait de fournir et d’assurer des conditions de détention adéquates

520 Montero-Aranguren et al c. Venezuela (2006), op. cit., §97. L’article 19 de la CADH prévoit une protection spéciale pour les enfants en précisant que : « Tout enfant a droit aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, de la part de sa famille, de la société et de l’État ». Cette obligation est, par conséquent, particulièrement stricte en ce qui concerne les conditions de détention des mineurs. Voir, par exemple, Servellón-García c. Honduras (2006), op. cit., §112 ; Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay (2004), op. cit., §16 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §§124, 163, 164, 171 ; Bulacio c. Argentine (2003), op. cit., §126, 134 ; Villagrán Morales et al c. Guatémala (1999), op. cit., §§146, 191.

521 Voir, par exemple, Caesar c. Trinidad et Tobago (2005), op. cit., §96 ; Raxcacó Reyes c. Guaté-mala, CrIDH, arrêt du 15 septembre 2005, Série C N°134, §95 ; Berenson-Mejía c. Pérou (2004), op. cit., §102 ; Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §150 ; Institut de rééducation pour mineurs délin-quants c. Paraguay (2004), op. cit., §151 ; De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §130. Voir aussi l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies.

522 Tibi c. Équateur (2004), op. cit., §156 ; Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Para-guay (2004), op. cit., §157 ; Bulacio c. Argentine (2003), op. cit., §131. Voir aussi Principe 24 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement auquel s’est référée la Cour dans l’affaire Tibi c. Équateur. Ce principe prévoit que : « Toute personne détenue ou emprisonnée se verra offrir un examen médical approprié dans un délai aussi bref que possible après son entrée dans le lieu de détention ou d’emprisonnement; par la suite, elle bénéficiera de soins et traitements médicaux chaque fois que le besoin s’en fera sentir. Ces soins et traitements seront gratuits ».

523 Montero-Aranguren et al c. Vénézuela (2006), op. cit., §102. La Cour a fait référence en la matière aux conclusions de la Cour européenne dans l’affaire Mathew c. Pays-Bas (2005), op. cit.

131

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

constitue une obligation immédiate. La Cour a précisé que les États ne pou-vaient pas invoquer des difficultés économiques pour justifier de conditions de détention qui ne respectaient pas la dignité inhérente à la personne humaine.524

Dans l’affaire Berenson-Mejía c. Pérou, la Cour a établi un lien explicite entre les conditions de détention et les objectifs de la détention, en déclarant que les conditions de détention qui ont des effets négatifs sur l’intégrité physique, mentale ou morale des détenus étaient contraires au « but essentiel » des peines privatives de liberté, tel qu’établi par l’article 5(6) de la CADH, à savoir l’amen-dement et le reclassement social des condamnés.525 Par ailleurs, l’État doit prendre des mesures afin de veiller à ce que tous les détenus aient la possibilité de bâtir un projet de vie, bien qu’ils soient incarcérés.526

3.3.4 Isolement cellulaireLa Cour interaméricaine a adopté une interprétation plus large du terme d’« isolement cellulaire » que celles adoptées par d’autres organes internatio-naux. La Cour a, en effet, utilisé ce terme afin de designer à la fois l’isolement d’un détenu par rapport aux autres prisonniers ainsi que l’isolement résultant d’une détention illégale. Sa jurisprudence en la matière comporte donc des chevauchements importants avec celle relative à la détention au secret et aux disparitions forcées, qui sera examinée dans la partie 3.3.5.

La Cour a estimé qu’un isolement prolongé et un régime cellulaire coercitif constituaient, en soi, des traitements cruels et inhumains portant atteinte à l’intégrité psychique et morale de la personne ainsi qu’au droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine.527 En sus de la souffrance inhérente à l’isolement cellulaire, ce régime de détention place les individus dans une position particulièrement vulnérable et accroît le risque d’agressions et d’actes arbitraires dans les centres de détention.528 Ainsi dans l’affaire Montero-Aran-guren c. Vénézuela, la Cour a estimé que les cellules d’isolement devaient être utilisées à titre de mesure disciplinaire ou afin de protéger des personnes uni-

524 Montero-Aranguren et al c. Vénézuela (2006), op. cit., §85.525 Berenson-Mejía c. Pérou (2004), op. cit., §101  ; Baena-Ricardo c. Panama, CrIDH, arrêt du

2 février 2001, Série C N°72, §106.526 Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay (2004), op. cit., §164.527 De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §128 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §87 ;

Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §150 ; Prison Miguel Castro-Castro c. Pérou, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2006, Série C N°160, §323.

528 Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §150. Voir aussi De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §129 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §87 ; Castillo Petruzzi et al c. Pérou (1999), op. cit., §195 ; Suárez-Rosero c. Équateur, CrIDH, arrêt du 12 novembre 1997, Série C N°35, §90 ; Prison Miguel Castro-Castro c. Pérou (2006), op. cit., §323.

132

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

quement le temps nécessaire, et devaient strictement respecter le fait d’être raisonnable, nécessaire et légale. La Cour a en outre spécifiquement déclaré que les règles minima en matière de conditions de détention devaient toujours être respectées.529 Par ailleurs, même la menace d’un placement en isolement cellulaire peut suffire pour constituer un traitement inhumain aux termes de l’article 5 de la CADH.530

Lorsque la détention est en outre illégale, la Cour a estimé qu’il était permis de conclure, même en l’absence d’éléments de preuve supplémentaires, que les traitements subis pendant l’isolement cellulaire étaient inhumains et dégra-dants.531

La Commission interaméricaine est allée plus loin que la Cour en la matière en estimant que l’isolement cellulaire constituait, dans les circonstances spéci-fiques de l’affaire Lizardo Cabrera c. République dominicaine, une torture aux termes de la définition donnée par l’IACPPT.532 Dans cette affaire, l’isolement cellulaire avait été délibérément imposé par des agents de l’État à titre de châti-ment personnel et il incluait un traitement aggravant comprenant la privation de nourriture et de boisson, en dépit de l’état fragile dans lequel se trouvait le requérant après une grève de la faim.533 Toutefois, cette conclusion semble se limiter aux circonstances spécifiques de ce cas. Plus récemment, dans l’affaire Rosario Congo c. Équateur, la Commission a estimé que l’isolement cellulaire avait équivalu à un traitement inhumain et dégradant.534

3.3.5 Détention au secret et disparitions forcéesComme cela a été examiné dans la partie 3.3.1, la prohibition de la torture et des mauvais traitements est absolue. Les États doivent adopter des mesures afin de renforcer cette interdiction, notamment en prohibant, dans les cas exceptionnels et dans toute autre circonstance, la détention prolongée au cours

529 Montero-Aranguren et al c. Vénézuela (2006), op. cit., §94. La Cour interaméricaine a fait spé-cifiquement référence, à cet égard, à d’autres organes internationaux, notamment au rapport sur la Turquie du Comité des Nations Unies contre la torture, à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, et aux conclusions de la Cour européenne dans l’affaire Mathew c. Pays-Bas (2005), op. cit.

530 Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay (2004), op. cit., §167. Voir aussi partie 3.1.1 supra.

531 Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §87. Voir aussi Sánchez c. Honduras (2003), op. cit., §98; Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §150 ; Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §§83, 84, 89 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §108.

532 Lizardo Cabrera c. République dominicaine (1998), op. cit.533 Ibid., §86.534 Rosario Congo c. Équateur, CIDH, Affaire 11427, Rapport N°63/99, 13 avril 1999, §59.

133

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

de laquelle le détenu n’a pas de lien avec le monde extérieur et ne peut disposer de moyens ou de recours judiciaires lui permettant de revendiquer ses droits.535

Le fait de permettre à un détenu de communiquer avec le monde extérieur constitue l’une des méthodes les plus efficaces afin de prévenir et de déceler le recours à la torture et autres mauvais traitements dans les lieux de déten-tion. Comme l’a déclaré la Cour interaméricaine dans l’affaire Suárez-Rosero c. Équateur, la privation de contact avec le monde extérieur engendre des souf-frances morales et psychologiques chez tout individu, le met dans une posi-tion particulièrement vulnérable, et augmente les risques d’agression et d’actes arbitraires en prison.536 La Cour a donc systématiquement conclu que la déten-tion au secret était une mesure d’exception dont l’objectif était d’empêcher toute interférence avec l’enquête menée sur les faits en question. La durée de cette détention doit se limiter aux délais expressément prévus par la loi. Même dans ce cas, l’État est tenu de faire en sorte que le détenu bénéficie des droits minima et non-dérogeables stipulés par la Convention, et plus particulière-ment celui de contester la légalité de sa détention et de pouvoir être défendu efficacement durant sa détention.537

Si la CADH ne prohibe pas, dans l’absolu, le recours à la détention au secret, celle-ci peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant lorsqu’elle est utilisée de manière arbitraire ou prolongée, ou si elle enfreint la législation interne.538 Dans de tels cas, le simple fait qu’un détenu soit privé de contact avec le monde extérieur peut amener la Cour à conclure que cette personne a été soumise à des mauvais traitements.539

La Commission interaméricaine a appliqué l’approche adoptée par la Cour,540 et a, de plus, établi que même la décision de réduire ou de limiter les visites aux

535 Habeas corpus en situations d’urgence (articles 27(2), 25(1) et 7(6) de la Convention américaine relative aux droits de l’homme), Avis consultatif OC-8/87 du 30 janvier 1987, CrIDH, Série A N°8, §36.

536 Suárez-Rosero c. Équateur (1997), op. cit., §90. Voir aussi Castillo Petruzzi et al c. Pérou (1999), op. cit., §195 ; Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §84 ; Bamaca-Velásquez c. Guaté-mala (2000), op. cit., §150 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §87.

537 Ibid., §51.538 Voir, par exemple, Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §§82-83 ; Bamaca-Velásquez c.

Guatémala (2000), op. cit., §150 ; Urrutia c. Guatémala (2003), op. cit., §87 ; Suárez-Rosero c. Équateur (1997), op. cit., §90 ; Berenson-Mejía c. Pérou (2004), op. cit., §103.

539 Suárez-Rosero c. Équateur (1997), op. cit., §91. Voir aussi De la Cruz Flores c. Pérou (2004), op. cit., §130 ; Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §108.

540 Voir, par exemple, Garces Valladares c. Équateur, CIDH, Affaire  11778, Rapport N°64/99, 13 avril 1999 ; Levoyer Jiménez c. Équateur, CIDH, Affaire 11992, Rapport N°66/01, 14 juin 2001.

134

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

détenus était interdite, car elle constituait une forme arbitraire de châtiment additionnel.541

Les dispositions de la CADH et la jurisprudence de la Cour et de la Commis-sion interaméricaines relatives à la détention au secret et aux disparitions forcées sont complétées par les normes figurant dans la Convention intera-méricaine sur la disparition forcée des personnes. L’article 2 de cet instrument définit la disparition forcée comme :

« la privation de liberté d’une ou de plusieurs personnes sous quelque forme que ce soit, causée par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivie du déni de la reconnaissance de cette privation de liberté ou d’information sur le lieu où se trouve cette personne, ce qui, en conséquence, entrave l’exercice des recours juridiques et des garanties pertinentes d’une procédure régulière ».

L’article 11 de cette Convention énonce des mesures qui doivent être prises pour prévenir les disparitions forcées et la détention au secret :

« Toute personne privée de liberté doit être gardée dans un centre de détention officiellement reconnu comme tel ; elle doit comparaître sans retard, confor-mément à la législation interne respective, devant l’autorité judiciaire com-pétente.

Les États parties dressent et tiennent des registres actualisés de détenus et, lorsque leur législation interne le prescrit, les mettent à la disposition des membres de la famille du détenu, des magistrats, des avocats, de toute per-sonne ayant un intérêt légitime ainsi que d’autres autorités. »

En outre, l’article 10 requiert notamment que même dans des situations d’ur-gence,

«  les fonctionnaires judiciaires compétents bénéficient d’un accès libre et immédiat à tous les centres de détention et à chacune de ses dépendances de même qu’à tous lieux où il y a des raisons de croire que la personne disparue peut se trouver, y compris ceux qui relèvent de la juridiction militaire ».

Aussi bien la Cour que la Commission considèrent que les disparitions forcées non résolues constituent une violation continue de l’article 5 de la CADH, ainsi que de plusieurs autres articles de cette Convention, notamment des articles 4

541 Voir La situation des droits de l’homme en Uruguay, Rapport annuel de la Commission inte-raméricaine des droits de l’homme 1983-1984, OEA/Ser.L/V/II/63, doc.10, 28 septembre 1984.

135

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

(droit à la vie), 7 (droit à la liberté de la personne) et 8 (garanties judiciaires).542 Les disparitions forcées effectuées par des agents de l’État ou avec le consen-tement de ces derniers entraînent souvent une dissimulation de preuves. Par conséquent, s’il est établi que l’État a encouragé ou toléré de telles pratiques, l’existence de preuves indirectes ou circonstancielles ou une déduction logique pertinente suffisent à prouver qu’une disparition forcée a eu lieu dans un cas d’espèce.543 De même, lorsqu’il y a un recours systématique à des mauvais traitements et que l’État n’enquête pas sur des affaires données, la Cour peut déduire que les disparus ont éprouvé, pour le moins, de profonds sentiments de peur, d’anxiété, et d’impuissance, en violation de l’article 5 de la CADH.544

3.3.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’hommeLa Cour interaméricaine prend fréquemment en compte les souffrances endu-rées par les proches des victimes au moment de l’examen de la question des réparations, une fois qu’elle a conclu à la violation des droits de la victime directe de mauvais traitements.545 Mais la Cour est allée plus loin en faisant preuve d’une volonté croissante de considérer que la souffrance des proches des victimes directes relevait du champ d’application de l’article 5 de la CADH. Cette tendance a été particulièrement manifeste dans les cas de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par des forces de sécurité étatiques. Par exemple, dans l’affaire Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou, la Cour a estimé que la souffrance et le sentiment d’impuissance vis-à-vis des autorités étatiques éprouvés par les membres de la famille les plus proches des victimes assassinées constituaient un traitement cruel, inhumain et dégra-dant.546 Ce raisonnement s’applique particulièrement lorsque l’État ne procède

542 Voir Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §128 ; Blake c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 24 janvier 1998, Série C N°36, §65 ; Godínez-Cruz c. Honduras (1989), op. cit., §§163, 166 ; Fairén-Garbi et Solís-Corrales c. Honduras, CrIDH, arrêt du 15 mars 1989, Série C N°6, §147 ; Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §§155, 158.

543 Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §130. Voir aussi Villagrán Morales et al c. Gua-témala (1999), op. cit., §69; Castillo Petruzzi al c. Pérou (1999), op. cit., §62 ; Paniagua Morales et al c. Guatémala (1998), op. cit., §72 ; Blake c. Guatémala (1998), op. cit., §§47, 49; Ganga-ram-Panday c. Suriname, CrIDH, arrêt du 21 janvier 1994, Série C N°16, §49 ; Fairén-Garbi et Solís-Corrales c. Honduras (1989), op. cit., §130–133; Godínez-Cruz c. Honduras (1989), op. cit., §§127, 130, 133–136; Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit., §124, 127–130.

544 La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit., §113.545 Voir, par exemple, Suárez-Rosero c. Équateur (1997), op. cit., §102.546 Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou (2004), op. cit., §118. Voir aussi Sánchez c. Honduras (2003),

op. cit., §101 ; Bamaca-Velásquez c. Guatémala (2000), op. cit., §160 ; Cantoral-Benavides c. Pérou (2000), op. cit., §105 ; Villagrán Morales et al c. Guatémala (1999), op. cit., §§175–176 ; Castillo-Páez c. Pérou, CrIDH, arrêt du 27 novembre 1998, Série C N°43, §59 ; Servellón-García

136

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

pas à une enquête adéquate de la violation ou refuse de fournir aux proches de la victime des informations relatives à cette enquête.547

Il n’est pas possible de préciser avec certitude quel degré de proximité avec la victime directe est requis pour que la Cour puisse conclure à une violation dis-tincte du droit des proches de cette victime. Il faut faire la preuve de l’existence de liens étroits avec les victimes ; c’est la raison pour laquelle, dans le passé, les père et mère des victimes ont normalement été considérés comme répondant à ce critère.548 Dans l’affaire La Cantuta c. Pérou, la Cour a conclu à la violation des droits de membres de la famille avec qui les victimes avaient vécu avant leur décès, ou qui avaient pris une part active dans leur recherche après leur disparition, mais elle a estimé que certains frères et sœurs n’avaient pas suffi-samment donné la preuve qu’ils avaient subi un préjudice réel.549 Néanmoins, dans l’affaire Communauté Moiwana c. Suriname, la Cour a conclu à l’exis-tence d’une violation des droits de toute la communauté au sein de laquelle vivaient les victimes directes de ces faits.550 Dans cette affaire, 39 membres de cette communauté avaient été tués lors d’une opération militaire. Les survi-vants avaient dû abandonner le village et n’avaient donc pas pu enterrer les morts conformément à leurs traditions. Par ailleurs, l’État n’avait pas procédé à une enquête sur ces faits ni puni les responsables de ces actes. Étant donné que cette décision de la Cour précède celle prise dans l’affaire La Cantuta c. Pérou, il semble probable que l’extension du groupe des victimes indirectes au-delà du cercle familial des victimes directes ne s’appliquera que dans des violations d’une ampleur similaire.

3.3.7 Extradition et expulsionL’article 22(8) de la CADH stipule que :

« En aucun cas l’étranger ne peut être refoulé ou renvoyé dans un autre pays, que ce soit son pays d’origine ou non, lorsque son droit à la vie ou à la liberté individuelle risque de faire l’objet de violation en raison de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de sa condition sociale ou en raison de ses opinions politiques. »

c. Honduras (2006), op. cit., §§126–128 ; Baldeón-García c. Pérou (2006), op. cit., §129 ; Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §102.

547 Voir, par exemple, Vargas Areco c. Paraguay (2006), op. cit., §95 ; La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit., §123 ; Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §97 ; Massacres d’Ituango c. Colombie (2006), op. cit., §340 ; Gómez-Palomino c. Pérou, CrIDH, arrêt du 22 novembre 2005, CrIDH, Série C N°136, §61.

548 19 commerçants c. Colombie (2004), op. cit., §218.549 La Cantuta c. Pérou (2006), op. cit., §128.550 Communauté Moiwana c. Suriname (2005), op. cit., §§94–100.

137

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

L’article 13 de l’IACPPT prévoit pour sa part que :

« Lorsqu’il existe des présomptions fondées que la vie de la personne recher-chée est en danger, qu’elle sera soumise à la torture, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou qu’elle sera jugée par des tribunaux d’exception ou ad hoc dans l’État requérant, l’extradition n’est pas accordée et la personne recherchée n’est pas renvoyée. »

Ni la Cour ni la Commission n’ont spécifiquement traité de ces dispositions dans leur jurisprudence. Toutefois, la Commission a examiné le principe du non-refoulement dans l’affaire Centre haïtien des droits de l’homme et al c. États-Unis.551 Cette affaire concernait le rapatriement forcé par les États-Unis de citoyens haïtiens. Bien que les États-Unis n’aient ratifié ni la CADH ni l’IACPPT, la Commission a toutefois estimé que les actions du gouvernement des États-Unis consistant à intercepter les Haïtiens en haute mer, et à les ren-voyer en Haïti dans des navires placés sous sa juridiction, les exposant à des actes de brutalité de la part de l’armée haïtienne et de ses partisans constituaient une atteinte au droit à la sécurité des réfugiés haïtiens aux termes de l’article premier de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.552

Dans son Rapport sur la situation des droits de l’homme des demandeurs d’asile dans le système canadien de détermination du statut de réfugié, la Com-mission a énoncé certaines des obligations qui doivent être respectées avant de pouvoir procéder à une expulsion.553 Une fois encore, les conclusions de la Commission se sont fondées sur la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, car le Canada n’a ratifié ni la CADH ni l’IACPPT. Ces obligations comprennent l’accès à un examen judiciaire et administratif des décisions en la matière, et qu’il soit procédé à un examen au fond des cas individuels et de la situation dans les pays concernés et ce, jusqu’au moment du renvoi.554

3.3.7.1 Les assurances diplomatiquesLa Cour et la Commission interaméricaines n’ont pas encore eu à examiner une affaire impliquant des assurances diplomatiques. Cependant, dans une opinion séparée exprimée dans le cadre de l’examen de l’affaire Goiburú et al c. Paraguay, le juge Cançado Trindade s’est référé favorablement à un rap-

551 Centre haïtien des droits de l’homme et al c. États-Unis, CIDH, Affaire 10675, Rapport N°51/96, 13 mars 1997.

552 Ibid., §171.553 Rapport sur la situation des droits de l’homme des demandeurs d’asile dans le système cana-

dien de détermination du statut de réfugiés, CIDH, OEA/Ser.L/V/II.106, Doc. 40 rev. (2000).554 Ibid., §111–116.

138

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

INT

ER

AM

ER

ICA

IN

3

port du Parlement européen qui a estimé  inacceptables les pratiques de cer-tains gouvernements consistant à limiter leurs responsabilités en demandant des assurances diplomatiques à des pays où il y a fortement lieu de penser que la torture est pratiquée.555 Compte tenu de cette opinion et de la volonté de la Cour de s’inspirer d’autres organes internationaux, si un cas impliquant des assur-ances diplomatiques venait à lui être soumis, il semble probable que, dans des circonstances similaires, la Cour interaméricaine opterait pour une position semblable à celle adoptée, à cet égard, par le Comité des Nations Unies contre la torture, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies et la Cour euro-péenne des droits de l’homme.

ConclusionIl est possible d’affirmer que la Cour et la Commission interaméricaines ont été, parmi les organes internationaux, celles qui ont fait la preuve du plus grand courage en montrant une volonté d’élargir non seulement les définitions de la torture et autres mauvais traitements ainsi que la portée des obligations incom-bant à l’État, mais également leur propre domaine de compétence. De plus, la Cour a ordonné un plus large éventail de réparations que ses homologues inter-nationaux et régionaux, prenant en compte non seulement le préjudice fait aux victimes directes et indirectes des actes de torture, mais également la nécessité des sociétés de se souvenir de ce qui a été fait en leur nom, et ce au travers de la construction de monuments, du baptême de rues et de l’introduction de sujets d’étude dans les programmes scolaires. Étant donné le passé récent d’un certain nombre de pays sud-américains, l’adoption d’une approche aussi large était sans doute prévisible. Elle n’en mérite pas moins d’être saluée.

555 Goiburú et al c. Paraguay (2006), op. cit., §58, qui cite le Parlement européen, Doc. A6-0213/2006, pp. 1–6, §10.

139

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL IN

TE

RA

ME

RIC

AIN

3

Le Système Régional Africain

Introduction 139

4.1 Définitions 140

4.2 Les obligations des États parties 143

4.3 Champ d’application 152

Conclusion 160

4

140

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

IntroductionÀ l’instar de ses homologues interaméricain et, précédemment, européen, le système africain de protection des droits de l’homme comprend une Com-mission et une Cour. À la différence des autres systèmes régionaux, la mise en place d’une Cour n’est pas prévue dans le principal traité régional de droits de l’homme, mais plutôt dans un Protocole relatif à cet instrument, qui est entré en vigueur en janvier 2004. Les premières sessions de la Cour se sont pen-chées sur des questions de procédure et, au moment de la rédaction du présent ouvrage, cette Cour n’a pas encore émis d’arrêt. Par conséquent, ce chapitre sera exclusivement consacré aux travaux de la Commission, qui va poursuivre ses activités.

Il faut souligner, dès le départ, qu’il n’existe aucun mécanisme de mise en appli-cation des décisions et recommandations de la Commission et celles-ci ont été largement ignorées par les États. Comme l’a remarqué la Commission, le prin-cipal objectif de la procédure de communications devant la Commission est d’initier un dialogue positif entre les plaignants et l’Etat visé pour aboutir à un règlement à l’amiable du conflit. Selon elle un préalable pour obtenir un règle-ment à l’amiable est la bonne foi des parties concernées, y compris leur volonté de participer au dialogue.556 Malheureusement, dans bon nombre d’affaires, les États n’ont montré aucune bonne volonté en la matière.

Le système africain est le plus récent des trois systèmes régionaux et certaines questions examinées infra n’ont pu être examinées que dans un très petit nom-bre d’affaires. La Commission africaine s’est néanmoins référée de manière croissante à la jurisprudence des autres organes internationaux et régionaux et il est à espérer qu’elle continuera à agir en ce sens et à contribuer à la mise en place d’un système cohérent de droit international.

4.1 DéfinitionsL’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après Charte africaine) prévoit que :

«  Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme, notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants, sont interdites. »

556 Organisation mondiale contre la torture et al c. Rwanda, CADHP, Communications N°s 27/1989, 46/1991, 49/1991, 99/1993, 20e session, 21–31 octobre 1996, §18.

141

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

Ainsi, à la différence des autres systèmes de protection des droits de l’homme, la torture et les autres formes de mauvais traitement sont mentionnés à titre d’exemples dans le cadre de la prohibition plus large de toute exploitation ou d’avilissement de l’homme. Ils sont inclus dans la même catégorie que l’esclavage qui est l’une des rares pratiques à être traitée avec le même sérieux que la torture en droit international. Cependant, cette différence d’approche entre la Charte africaine et les autres instruments internationaux est due en grande partie au contexte historique propre à l’Afrique, et n’a pas eu, jusqu’à présent, d’effet perceptible quant à la nature et la portée de cette prohibition.

4.1.1 La dignitéComme cela a été souligné supra, dans le système africain, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements fait partie du droit positif au respect de la dignité humaine. La Commission considère la dignité humaine comme un « droit fondamental dont tous les êtres humains doivent jouir sans discrimination aucune, indépendamment de leurs capacités ou incapacités mentales, selon le cas ».557 Ce droit peut être violé lorsque l’État expose des individus à « une souffrance et une indignité personnelles ».558 Ces actes peuvent prendre plusieurs formes et dépendent des conditions spéci-fiques à chaque cas d’espèce.559

4.1.2 La tortureLa Commission n’a pas cherché à établir de distinctions nettes entre le non-respect de la dignité d’un individu, les traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la torture.560 Certains auteurs estiment que la gravité particu-lière des violations de l’article  5 constatée par la Commission rendait une telle distinction superflue.561 Néanmoins, il est clair que la Commission con-sidère la torture comme étant une forme aggravée ou particulièrement grave de mauvais traitements. Dans l’affaire International Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr.) c. Nigéria, la Commission a estimé que « l’article 5 interdit non

557 Purohit et Moore c. Gambie, CADHP, Communication N°241/2001, 33e session, 15–29 mai 2003, §57.

558 Modise c. Botswana, CADHP, Communication N°97/1993, 27e session, 23 octobre - 6 novembre 2000, §91.

559 Purohit et Moore c. Gambie, (2003), op. cit., §58. Dans cette affaire, la Commission a estimé que le fait d’avoir désigné les personnes souffrant de maladie mentale comme des « déments » et des « idiots » a eu pour effet de « les déshumanise[r] et [de] leur dénie[r] toute forme de dignité, en violation de l’article 5 de la Charte Africaine » (§59).

560 Aux fins de ce chapitre, le terme « traitement » couvre également la notion de « peine ».561 Voir Evelyn A. Ankumah, The African Commission on Human and Peoples’ Rights: Practice

and Procedures, Martinus Nijhoff, La Haye, 1996, p.118.

142

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

seulement la torture, mais aussi le traitement cruel, inhumain ou dégradant. Cela comprend, non seulement des actes qui causent de graves souffrances phy-siques ou psychologiques, mais aussi ceux qui humilient la personne ou la forcent à agir contre sa volonté ou sa conscience ».562 Bien qu’ambiguë, cette déclaration suggère que, à l’instar d’autres systèmes de protection des droits de l’homme, la Commission africaine ne conclura à l’existence d’un cas de torture que si le critère de la souffrance « grave » est rempli. En outre, pour parvenir à une telle conclusion, la Commission devra pouvoir s’appuyer sur des preuves de cas spécifiques d’abus physiques et psychologiques ; des allégations formulées en termes généraux ne seront pas suffisantes.563

Les articles 60 et 61 de la Charte africaine stipulent que, dans son interpréta-tion des dispositions de la Charte, la Commission doit s’inspirer des autres sources du droit international, notamment des traités des Nations-Unies et du droit international coutumier. C’est ainsi que la Commission a parfois adopté la définition de la torture figurant dans l’UNCAT,564 et, dans l’affaire Répub-lique démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, elle a pris en compte les dispositions de lutte contre la torture contenues dans le droit inter-national humanitaire.565

Si la Commission n’a pas encore examiné en profondeur la définition même de la torture, ses conclusions les plus récentes ont été étayées de manière plus rigoureuse que par le passé. Cette évolution, ainsi que la mise en place de la Cour africaine, permettent d’espérer qu’à l’avenir la définition de la torture adoptée par la Charte africaine fera l’objet d’analyses plus approfondies.

562 International Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr.) c. Nigéria, CADHP, Communications N°s 137/1994, 139/1994, 154/1996 et 161/1997, 24e session, 22–31 octobre 1998, §79. Voir éga-lement la déclaration de la Commission dans une affaire ultérieure aux termes de laquelle « l’Article 5 de la Charte n’interdit pas uniquement les traitements cruels, mais également les traitements inhumains et dégradants. Ceci comprend non seulement les actes qui causent de graves souffrances physiques et psychologiques, mais qui humilient également ou forcent l’indi-vidu à marcher contre sa volonté ou sa conscience », Doebbler c. Sudan, CADHP, Communi-cation N°236/2000, 33e session, 15–29 mai 2003, §36. Cette déclaration peut suggérer que la gravité de la souffrance ne constituera pas un élément déterminant en matière de distinction entre la torture et d’autres formes de mauvais traitement.

563 Ouko c. Kenya, CADHP, Communication N°232/1999, 28e session, 23 octobre–6 novembre 2000, §26.

564 Voir, par exemple, Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe, CADHP, Communica-tion N°245/2002, 39e session, 11–15 mai 2006, §180.

565 République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, communication N°227/1999, 33e session, 15–29 mai 2003, §70.

143

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

4.1.3 Les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradantsDans l’affaire Huri-Laws c. Nigéria, la Commission africaine a adopté le rai-sonnement de la Cour européenne pour aboutir à la conclusion que, afin d’être qualifié de cruel, inhumain et dégradant, un traitement devait atteindre un seuil minimum de gravité, dont l’appréciation dépendait de toutes les circonstances de l’affaire, telles la durée de ce traitement, ses effets physiques ou mentaux et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime.566 Néanmoins, une fois ce seuil minimum atteint, le concept de peine ou traitement cruel, inhu-main ou dégradant doit être interprété « de manière à inclure la protection la plus large possible contre les abus, tant physiques que mentaux ».567

4.2 Les obligations des États partiesLa Commission africaine a précisé clairement que les États disposaient de dif-férents moyens pour assurer une protection effective des droits de l’homme.568 Il existe cependant des exigences minimales et la Commission a, ainsi, estimé qu’il y aurait lieu de considérer que, dans le cas des droits de l’homme non-dérogeables, notamment celui de ne pas être soumis à la torture, les obligations positives des États vont plus loin que dans d’autres domaines.569 La présente partie va examiner la nature des obligations positives qui incombent aux États parties afin de garantir le respect du droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Bon nombre de ces obligations sont énoncées dans les Lignes directrices de Robben Island, adoptées par une résolution de la Commission.570 Cependant, à la différence de la Charte africaine, ces Lignes directrices n’ont pas de caractère contraignant. Elles ne peuvent donc assister la Commission et la Cour qu’en matière d’interprétation des normes juridiques, tout en constituant également un levier politique pour les États et les ONG.

566 Huri-Laws c. Nigéria, CADHP, Communication N°225/1998, 28e session, 23  octobre– 6 novembre 2000, §41, citant l’affaire Irlande c. Royaume-Uni (1978), examinée par la CEDH, op. cit.

567 Media Rights Agenda c. Nigéria, CADHP, Communication N°224/1998, 28e  session, 23 octobre–6 novembre 2000, §71. Voir aussi Huri-Laws c. Nigéria (2000) ; op. cit., §40 ; Purohit et Moore c. Gambie (2003), op. cit., §58.

568 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., §155.569 Ibid.570 Lignes directrices et mesures d’interdiction et de prévention de la torture et des peines ou trai-

tements cruels, inhumains ou dégradants en Afrique (« Lignes directrices de Robben Island »), adoptées par la CADHP, Rés. 61 (XXXII) 02 : Résolution sur les Lignes directrices et mesures d’interdiction et de prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en Afrique (2002).

144

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

4.2.1 Obligation de protection contre les mauvais traitements infligés par des acteurs privés La Charte africaine met davantage l’accent sur les devoirs qui incombent aux individus que ne le font les autres instruments des droits de l’homme interna-tionaux et régionaux. Son chapitre II (articles 27 à 29) énumère spécifiquement ces devoirs. La Commission africaine a estimé que « la dignité humaine est (…) un droit naturel que tout être humain est obligé de respecter, par tous les moyens, et qui confère également à tout être humain le devoir de le respecter ».571 Néan-moins, aux termes de la procédure de communications individuelles, seuls les États peuvent être tenus pour responsables de violations et la responsabilité de l’État ne peut être engagée que s’il existe un lien avec l’appareil de l’État ou un individu agissant à titre officiel.

Dans l’affaire Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad, la Commission a estimé que l’article premier de la Charte africaine, qui stipule que les États parties sont non seulement tenus de reconnaître les droits contenus dans la Charte, mais doivent également s’engager à adopter « des mesures (…) pour les appliquer », impliquait que « si un État néglige de faire respecter les droits énoncés dans la Charte africaine, cela constitue une violation, même si l‘État ou ses agents ne sont pas la cause immédiate de la viola-tion ».572 Ainsi, le fait que le gouvernement tchadien n’ait pas assuré la sécurité de ses citoyens contre des acteurs non-étatiques, ou n’ait pas enquêté sur des violations commises par des acteurs non-étatiques, a conduit la Commission à conclure que cet État avait violé ses obligations prévues par l’article 5 de la Charte africaine.573

La Commission a réitéré, dans des affaires ultérieures, l’obligation incombant à l’État de protéger les individus contre les mauvais traitements infligés par des acteurs non-étatiques,574 mais il a fallu attendre l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe pour que la portée de la responsabilité de l’État en matière d’actes commis par des acteurs non-étatiques fasse l’objet d’un exa-men détaillé.575 Cette affaire traitait, notamment, d’allégations de torture et d’exécutions extrajudiciaires qui auraient été commises par l’Union natio-

571 Purohit et Moore c. Gambie (2003), op. cit., §57.572 Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad, CADHP, Communication

N°74/1992, 18e session, 2–11 octobre 1995, §20.573 Ibid, § 22.574 Voir, par exemple, Purohit et Moore c. Gambie (2003), op. cit., §61  ; Mouvement burkinabè

des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, CADHP, Communication N°204/1997, 29e session, 23 avril–7 mai 2001, §42.

575 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit.

145

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

nale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF, parti au pouvoir), et par des membres de l’Association des anciens combattants de la guerre de libération nationale du Zimbabwe. Bien que ces groupes aient été étroitement liés au gouvernement, la Commission a conclu que ces organisations et leurs membres étaient des acteurs non-étatiques. Dans ce contexte, la Commission a, à nouveau, souligné l’importance de l’article premier de la Charte africaine, en réitérant l’avis que l’État ne pouvait être tenu responsable de violations de droits que si celles-ci pouvaient lui être imputables en raison d’une action ou d’une omission d’une autorité publique.576

Citant, en particulier, la jurisprudence de la Cour interaméricaine,577 la Com-mission a estimé que le droit relatif aux droits de l’homme imposait l’obligation aux États de protéger les citoyens ou les individus placés sous leur juridiction des actes dommageables commis par d’autres. Ainsi, un acte perpétré par une personne privée, et qui n’est donc pas directement imputable à l’État, peut engager la responsabilité de ce dernier, non pas à cause de l’acte en soi mais parce que l’Etat n’a pas agi avec la diligence voulue pour prévenir la violation ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour indemniser les victimes.578 Cepen-dant, la Commission africaine semble interpréter ce standard de manière plus restrictive que les autres organes internationaux dont elle s’est inspirée. Elle a, ainsi, déclaré explicitement que les cas isolés de carence politique ou les inci-dents sporadiques de non répression ne seraient pas des conditions suffisantes pour justifier l’action internationale, considérant plutôt qu’un État ne pouvait être tenu pour complice qu’en cas d’absence systématique de protection contre les violations commises par des acteurs privés.579

Dans l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe, la Com-mission a conclu que, étant donné que l’État avait enquêté sur des alléga-tions de torture portées à son attention et que le requérant n’avait pas apporté d’éléments de preuve démontrant la responsabilité ou le consentement tacite des organes de l’État dans des actes spécifiques de violence, il n’y avait pas lieu de conclure à une violation des articles 1 ou 5 eu égard aux violences perpétrées

576 Ibid., §142.577 La Commission africaine s’est amplement référée à l’obligation de diligence telle qu’élaborée

par la Cour interaméricaine dans l’affaire Velásquez-Rodríguez c. Honduras (1982), op. cit. ; Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., §144–146. Elle s’est référée aussi à l’affaire X et Y c. Pays-Bas, examinée par la CEDH en 1985, op. cit (§153) ainsi qu’aux traités et mécanismes de l’ONU (§159).

578 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit. §143.579 Ibid., §§159-60.

146

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

par des acteurs non-étatiques.580 Par contre, la Commission a conclu à une violation de l’article premier pour d’autres motifs.

– Protocole relatif aux droits de la femmeLe Protocole à la Charte africaine relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole relatif aux droits de la femme) requiert des États parties qu’ils pro-tègent les femmes contre toutes formes de violence, définies par cet instrument comme « tous actes perpétrés contre les femmes causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris la menace d’entreprendre de tels actes, l’imposition de restrictions ou la privation arbitraire des libertés fondamentales, que ce soit dans la vie privée ou dans la vie publique… ».581 Ainsi, ce protocole fixe, en cas de mauvais traitements infligés par des acteurs privés, un niveau de respon-sabilité de l’État plus élevé que celui prévu par la Charte africaine tel que cet instrument a été interprété par la Commission dans l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe.

Les États parties sont tenus d’incorporer, dans leurs rapports périodiques à la Commission africaine, des indications sur les mesures, législatives ou autres, qu’ils ont prises pour assurer la protection des femmes, y compris les femmes en détention, contre tout acte de violence.582 La nouvelle Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est compétente pour interpréter ce Proto-cole.583

4.2.2 Obligation de procéder à des enquêtesParmi les mesures destinées à donner effet aux droits contenus dans la Charte africaine figure l’obligation incombant à l’État de procéder à une enquête sur les allégations de torture ou de mauvais traitements.584 Cependant, la Commis-sion africaine a interprété cette obligation de manière plus restrictive que les autres organes régionaux. Dans l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe, la Commission a souligné qu’une enquête inefficace n’aboutissait

580 Ibid., §§164, 183.581 Article 1(k), Protocole relatif aux droits de la femme.582 Article 26, Protocole relatif aux droits de la femme, lu conjointement avec les articles 3, 4, 5 et

11.583 Article 27, Protocole relatif aux droits de la femme.584 Voir par exemple, Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad (1995),

op. cit., §22 ; Amnesty International et autres c. Soudan, CADHP, Communication N°s 48/1990, 50/1991, 52/1991, 89/1993, 26e session, 1–15 novembre 1999, §56 ; Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan, CADHP, Communications N°s 222/1998 et 229/1999, 33e session, 15–19 mai 2003, §46 ; Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., §146.

147

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

pas automatiquement à la conclusion de l’existence d’une violation. La Com-mission a, en effet, estimé qu’une seule enquête non suivie d’effet n’établissait pas un défaut de diligence de la part d’un État. Il s’agissait alors plutôt de déter-miner si celui-ci s’acquittait sérieusement de ses obligations, cela s’appréciant au travers des actions des organismes publics et des particuliers, au cas par cas.585 De même, la Commission n’estime pas que l’État soit obligé d’enquêter sur chaque allégation, en particulier lorsque de nombreuses violations ont été commises  ; il suffit que l’État démontre que les mesures entreprises étaient à la hauteur de la situation.586 Néanmoins, lorsque l’État a connaissance d’allégations de torture et ne procède à aucune enquête, il semble que la Com-mission conclurait à l’existence d’une violation.587

Aux fins des affaires soumises à la Commission, le seul fait de procéder à une enquête ne constitue cependant pas une mesure suffisante. Les résultats de l’enquête doivent être rendus publics, ou doivent, au moins, être communiqués à la Commission.588 Lorsque des allégations d’abus ne sont pas contestées par l’État défendeur, la Commission fonde sa décision sur les éléments fournis par le plaignant.589

4.2.3 Obligation de promulguer et d’appliquer une législation criminalisant la tortureL’article premier de la Charte africaine prévoit que :

« Les États membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la pré-sente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer. »

Lu conjointement avec l’article  5, cet article créé l’obligation pour les États parties de criminaliser les actes de torture et autres formes de mauvais traite-ment. La Commission africaine a confirmé que les obligations incombant aux États, aux termes de la Charte africaine, incluaient le fait de prendre des mesures positives de poursuite et de punition des personnes qui commettent

585 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., §158.586 Ibid., §210.587 Ibid., §186.588 Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (2001), op. cit., §42.589 Ibid., §42. Voir, par exemple, Free Legal Assistance Group et al c. Zaïre, CADHP, Communica-

tions N°s 25/1999, 47/1990, 56/1991, 100/1993, 18e session, 2–11 octobre 1995, §40 ; Internatio-nal Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr.) c. Nigéria (1998), op. cit., §81; Constitutional Rights Project and Civil Liberties Organisation c. Nigéria, CADHP, Communications N°s 143/1995 et 150/1996, 26e session, 1–15 novembre 1999, §28.

148

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

de tels délits.590 Selon la Commission, la seule existence d’un système juridique pénalisant et réprimant les voies de faits et la violence ne suffit pas en soi ; le gouvernement doit encore s’acquitter de son obligation de s’assurer effective-ment que de tels actes de violence fassent réellement l’objet d’enquêtes et de répression.591 La Commission ne s’est pas encore prononcée sur l’importance de pénaliser spécifiquement les actes de torture par opposition à la simple exis-tence d’infractions connexes sanctionnant le fait d’infliger des préjudices phy-siques ou mentaux.

4.2.4 Obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou autres mauvais traitementsLa Commission africaine n’a pas encore eu à examiner la question de l’exclusion de certains éléments de preuve. Cependant, les Lignes directrices de Robben Island conseillent aux États de « prendre des dispositions pour que toute décla-ration dont il est établi qu’elle a été obtenue par usage de la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une telle déclaration a été faite ».592 Il semble par conséquent probable que la Commission africaine prendra une position similaire à celle adoptée par les autres organes régionaux et internationaux et conclura que les États ont l’obligation d’exclure toute déclaration obtenue sous la torture ou d’autres mauvais traitements.

4.2.5 Obligation de former le personnel et de fournir des garanties procéduralesÀ l’instar d’autres instruments des droits de l’homme régionaux ou interna-tionaux, la Charte africaine contient un certain nombre de garanties procé-durales. L’article 6 de la Charte prévoit que :

« Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalable-ment déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. »

590 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit, §159. Voir aussi Amnesty International et autres c. Soudan, (1999), op. cit., §56 ; Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan (2003), op. cit., §45–46; Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (2001), op. cit., §42.

591 Ibid., §159.592 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §29.

149

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

L’article 7 de la Charte précise et donne effet à cette disposition :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :

a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;

b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;

c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;

d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impar-tiale.

2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne consti-tuait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant. »

La Commission africaine a détaillé les composantes du droit à un procès équi-table dans sa Résolution sur la procédure relative au droit de recours et à un procès équitable, qui prévoit, notamment, que les personnes arrêtées doivent être rapidement informées de tout chef d’inculpation retenu contre elles ; les accusés doivent disposer de suffisamment de temps pour la préparation de leur défense, et ont le droit de faire appel devant une juridiction supérieure. Par ail-leurs, les États doivent fournir aux personnes qui en ont besoin une assistance judicaire.593 Dans l’affaire Rights International c. Nigéria, la Commission afric-aine a souligné le fait qu’elle considérait cette Résolution comme faisant partie intégrante des droits garantis par l’article 7.594

L’affaire Rights International c. Nigéria a été examinée lors de la 26e session de la Commission, au cours de laquelle les Directives et Principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique ont été adoptés.595 Ces principes élaborent en plus grand détail les critères essentiels pour la tenue d’un procès équitable, notamment le fait que le procès doit être public et se

593 CADHP, Rés. 4(XI)92 : Résolution sur la procédure relative au droit de recours et à un procès équitable (1992).

594 Rights International c. Nigéria, CADHP, Communication N°215/98, 26e  session, 1–15 novembre 1999, §29.

595 CADHP, Rés. 41(XXVI)99 : Résolution sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judi-ciaire en Afrique (1999).

150

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

tenir devant un tribunal indépendant et impartial, et que les accusés doivent pouvoir bénéficier de l’assistance d’avocats dûment formés et indépendants. En outre, ces Principes reconnaissent explicitement le droit à l’habeas corpus,596 le droit d’être détenu dans un lieu reconnu par la loi, le droit pour les femmes détenues de bénéficier de protections spéciales, et la nécessité de procéder à des inspections indépendantes des lieux de détention afin de veiller à ce que toutes les normes en la matière soient strictement observées. La Commission a explicitement pris en compte ces principes dans ses décisions ultérieures.597

Ces principes sont complétés par les Lignes directrices de Robben Island, qui fournissent plusieurs garanties de nature procédurale et autre, notamment à l’intention des personnes privées de liberté. Parmi celles-ci figurent : le droit d’informer un membre de la famille ou tout autre personne appropriée de sa détention ;598 le droit d’être examiné par un médecin indépendant,599 le droit d’accès à un avocat,600 ainsi que la nécessité de dresser un procès-verbal intégral de tous les interrogatoires,601 et de tenir à jour dans tout lieu de détention un registre officiel de toutes les personnes privées de liberté.602 En outre, les Lig-nes directrices prévoient que les États doivent créer des mécanismes indépen-dants habilités à examiner les plaintes déposées par les personnes privées de liberté,603 et mettre en place, promouvoir et renforcer des institutions nation-ales indépendantes ayant mandat de visiter tous les lieux de détention.604 Bien que, à la différence de la Charte africaine, ces Lignes directrices n’aient pas un caractère strictement contraignant à l’égard des États, elles peuvent contribuer à interpréter cet instrument. La Commission africaine encourage les États à rendre compte dans leurs Rapports périodiques des mesures qu’ils ont prises pour mettre en œuvre ces Lignes directrices.605

596 Ce droit, ainsi que plusieurs autres dispositions contenues dans les Directives et Principes, avait déjà été affirmé précédemment par la Commission. Voir, par exemple, Constitutional Rights Project et Civil Liberties Organisation c. Nigéria (1999), op. cit., §20–34.

597 Voir, par exemple, Zegveld et Ephrem c. Érythrée, CADHP, Communication N°250/2002, 34e session, 6–20 novembre 2003, §56.

598 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §20(a).599 Lignes directrices de Robben Island, §20(b).600 Lignes directrices de Robben Island, §20(c)601 Lignes directrices de Robben Island, §28.602 Lignes directrices de Robben Island, §30.603 Lignes directrices de Robben Island, §40.604 Lignes directrices de Robben Island, §41.605 CADHP, Rés. 61(XXXII)02 : Résolution sur les Lignes directrices et mesures d’interdiction et

de prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en Afrique (2002), §5.

151

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

Ainsi, le système africain met en place de manière très détaillée un système complet de garanties procédurales. Cependant, il faut souligner que, parfois, la Commission interprète ces garanties de manière restrictive. Cela a été le cas, par exemple, dans l’affaire Purohit et Moore c. Gambie, qui traitait du cas de personnes privées de liberté pour raisons de maladie mentale et se trouvant dans l’incapacité de contester leur internement. En l’espèce, la Commission a conclu que cette situation, bien que ne répondant pas aux normes interna-tionales, ne constituait pas une violation des dispositions de l’article 6 de la Charte africaine, parce que celui-ci « n’était pas censé traiter de situations où les personnes ayant besoin d’une assistance médicale sont internées ».606 Cette interprétation restrictive va nettement à l’encontre de la tendance interna-tionale qui vise à étendre le champ de protection réelle pour toute personne privée de liberté. Quant aux catégories de détenus plus « traditionnelles », la Commission a reconnu l’importance des garanties procédurales, en concluant par exemple que « les Etats parties à la Charte ne peuvent pas se baser sur la situation politique au sein de leur territoire ou sur un grand nombre d’affaires en instance auprès des tribunaux pour justifier [un] retard excessif » avant de présenter l’accusé à un juge.607

Il n’existe pas de jurisprudence de la Commission africaine traitant spécifique-ment de la formation du personnel, bien que les Lignes directrices de Robben Island prévoient que les États se doivent « [d’]établir, [de] promouvoir et [de] soutenir des codes de conduite et d’éthique et [de] développer des outils de for-mation pour le personnel chargé de la sécurité et de l’application des lois, ainsi que pour le personnel de toute autre profession en contact avec des personnes privées de liberté, tel que les avocats ou le personnel médical ».608 La Commis-sion a incorporé, dans son programme d’activités, la formation aux questions générales relatives aux droits de l’homme à l’intention de diverses catégories d’agents de l’État, mais n’a pas spécifiquement déclaré qu’une formation visant à lutter contre le recours à la torture faisait partie des obligations des États aux termes de la Charte africaine.

4.2.6 Obligation de fournir réparation et d’indemniser les victimesLa Commission considère que les engagements pris par les États parties aux termes de l’article premier de la Charte africaine impliquent l’obligation

606 Purohit et Moore c. Gambie (2003), op. cit., §68.607 Article 19 c. Erythrée, CADHP, Communication N°275/2003, 41e session, 16–30 mai 2007, §99.608 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §46.

152

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

d’assurer aux victimes un recours utile et exécutoire en cas de violations. Les États ont l’obligation de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme de toute personne se trouvant sur leur territoire. La Commission a souligné dans l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe que le fait de donner effet aux droits signifie que toute personne dont les droits ont été violés se verra accorder des recours utiles car un droit sans possibilité de recours n’a que peu de valeur.609 Les lignes directrices de Robben Island précisent la por-tée de l’obligation de réparation : celle-ci existe indépendamment du fait que des poursuites pénales aient été engagées avec succès ou pourraient l’être ; elle s’étend aux victimes et à leurs proches et comprend des soins médicaux, une réadaptation sociale, une rééducation médicale ainsi qu’une indemnisation et un soutien adéquats.610

4.3 Champ d’applicationLes premières décisions de la Commission se caractérisaient par une absence de raisonnement détaillé ; très souvent, après un résumé succinct des faits et des dispositions applicables, la Commission se contentait de conclure à l’existence ou non d’une violation. Il est, par conséquent, difficile d’apprécier le champ d’application précis de la prohibition de la torture et des mauvais traitements dans le système africain. Plusieurs affaires récentes ont présenté une analyse plus approfondie, mais il demeure difficile de déterminer quel est le champ d’application de l’interdiction fixé par la Commission et de savoir si les déci-sions de la Commission seront ultérieurement entérinées par la Cour africaine lorsque celle-ci commencera son examen du contenu de la Charte africaine.

4.3.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitementsÀ la différence d’autres traités internationaux de droits de l’homme, la Charte africaine ne comporte pas de clause dérogatoire. La Commission a, par con-séquent, estimé qu’aucune dérogation aux droits consacrés par la Charte afric-aine ne saurait être justifiée par un état de guerre, un état d’urgence ou par d’autres circonstances spéciales.611 En outre, la Commission est de l’avis que

609 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., §171.610 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §50.611 Voir, par exemple, Constitutional Rights Project et Civil Liberties Organization c. Nigéria,

CADHP, Communications N°s  140/1994, 141/94 et 145/1995, 26e  session, 1–15  novembre 1999, §41 ; Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad (1995), op. cit., §21 ; Zegveld et Ephrem c. Érythrée (2003), op. cit., §60 ; Article 19 c. Érythrée (2007), op. cit. §87, 108.

153

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

« Même si l’on suppose que la restriction imposée par la Charte sur la capacité à déroger aux dispositions va à l’encontre des principes internationaux, il existe certains droits tels que […] le droit d’être à l’abri de la torture et du traitement cruel, inhumain et dégradant auxquels l’on ne peut pas déroger pour une quel-conque raison et dans toute circonstance ».612

La Commission estime que, pour être légitime, toute limitation des droits garantis par la Charte africaine doit viser à remplir la condition stipulée par l’article  27(2) qui prévoit que ces droits «  s’exercent dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun ».613 La Commission a ajouté que ces limitations doivent être « strictement proportion-nels et absolument nécessaires pour les avantages à obtenir. Ce qui est plus impor-tant, une limitation ne doit jamais entraîner comme conséquence le fait de rendre le droit lui-même illusoire ».614 Toute loi interne qui a pour effet de limiter des droits doit être conforme aux dispositions de la Charte africaine,615 et même une application restreinte de ces lois ne saurait être acceptable. La Commission a indiqué, en effet, que le fait de « priver certaines personnes d’un droit fondamen-tal est tout aussi une violation que s’il était privé à un grand nombre ».616 Étant donné le caractère absolu de la prohibition de la torture et d’autres mauvais traitements, il est clair que toute limitation des droits consacrés par l’article 5 de la Charte africaine, ou concernant les garanties procédurales nécessaires pour assurer ces droits, constituerait une violation de la Charte.

Les amnisties pour actes de torture ou d’autres violations graves des droits de l’homme ne sont pas compatibles avec la prévention de l’impunité ni avec le droit des victimes à un recours utile ; elles sont, par conséquent, absolument interdites par le système africain.617 De plus, comme dans d’autres systèmes

612 Article 19 c. Erythrée (2007), op. cit,§98.613 Constitutional Rights Project et Civil Liberties Organization c. Nigéria (1999), op. cit., §41.614 Ibid., §42 ; Voir aussi Institut pour les droits humains et le développement en Afrique (pour le

compte des réfugiés sierra-léonais en Guinée) c. République de Guinée, CADHP, Communica-tion N°249/2002, 36e session, 23 novembre–7 décembre 2004, §71–72.

615 Voir, par exemple, Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), op. cit., §75  ; Jawara c. Gambie, CADHP, Communications N°s 147/1995 et 149/1996, 27e session, 27 avril–11 mai 2000, §59 ; Article 19 c. Erythrée (2007), op. cit. §90–92 ; Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zim-babwe (2006), op. cit, §190.

616 Constitutional Rights Project et Civil Liberties Organization c. Nigéria, CADHP, Communica-tions N°s 143/1995 et 150/1996, 26e session, 1–15 novembre 1999, §32. Cette prise de position contraste nettement avec celle adoptée par la Commission en ce qui a trait aux responsabilités de l’État pour les violations commises par des acteurs privés. Voir partie 4.2.1, supra.

617 Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe (2006), op. cit., voir notamment §211, 215. La Commission a fait amplement référence à la jurisprudence internationale et régionale pour parvenir à cette conclusion. Voir aussi les Lignes directrices de Robben Island, op. cit. §16.

154

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

juridiques, un changement de gouvernement n’éteint pas la responsabilité pour les abus commis dans le passé, y compris l’obligation de fournir répara-tion aux victimes.618

4.3.2 Les sanctions légitimesL’article 5 de la Charte africaine ne connaît pas d’exception explicite, mais il est clair que la Commission considère qu’il existe des circonstances dans lesquelles un traitement, qui serait autrement prohibé, peut être légitimé.

4.3.2.1 La peine de mortL’article 4 de la Charte africaine stipule que :

« La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. »

Si ce texte ne comprend aucune référence explicite à la peine de mort, il est clair que la Commission ne considère pas que l’application de la peine capitale suite à un procès équitable constitue une violation de l’article 4.619 Cependant, en cas de vices de procédure, l’imposition de la peine de mort est considérée comme une privation arbitraire du droit à la vie, en violation des dispositions de cet article.620

Dans l’affaire Interights et Autres (pour le compte de Bosch) c. Botswana,621 la Commission a été amenée à examiner la question de la peine de mort à la lumière de l’article 5. Dans cette affaire, la requérante a affirmé « qu’il y avait des chances qu’une peine et un traitement inhumains soient infligés […] du fait que la sentence sera exécutée par la méthode cruelle de la pendaison qui expose la victime à une souffrance inutile, dégradante et humiliante  ».622 La Com-

618 Achutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi, CADHP, Communications N°s  64/1992, 68/1992, et 78/1992, 18e session, 2 –11 octobre 1995, §12.

619 En 1999, la Commission a adopté une Résolution appelant les États parties à envisager un moratoire sur la peine de mort, ou du moins à n’appliquer cette peine qu’aux crimes les plus graves. Il est, par conséquent, clair que la Commission ne considère pas que la peine de mort constitue, en soi, une violation de l’article 4 ou de l’article 5, voir CADHP, Rés. 42(XXVI)99 : Résolution appelant les États à envisager un moratoire sur la peine capitale.

620 Voir, par exemple : International Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr.) c. Nigéria (1998), op. cit., §103 ; Forum of Conscience c. Sierra Leone, CADHP, Communication N°223/98, 28e ses-sion, 23 octobre–6 novembre 2000, §19.

621 Interights et Autres (pour le compte de Bosch) c. Botswana, CADHP, Communication N°240/2001, 34e session, 6–20 novembre 2003.

622 Ibid., §5.

155

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

mission ne s’est pas prononcée sur cette question dans ses conclusions. Elle a cependant rejeté l’argument selon lequel l’application de la peine de mort était disproportionnée par rapport à la gravité du crime commis et constituait, de ce fait, une violation de l’article 5. La Commission a souligné qu’« aucune règle de droit international ne prescrit les circonstances dans lesquelles la peine de mort peut être imposée ».623 La requérante a, en outre, affirmé que le fait de ne pas être avertie raisonnablement à l’avance de la date et de l’heure de son exécu-tion constituait un traitement cruel, inhumain et dégradant. La Commission s’est explicitement abstenue d’examiner cette question dans ses conclusions, déclarant que l’État défendeur n’avait pas disposé de suffisamment de temps pour étudier cet argument afin d’y répondre. Néanmoins, la Commission a souligné qu’«  un système judiciaire doit avoir un visage humain concernant les questions relatives à l’exécution de condamnations à mort »,624 indiquant ainsi qu’il est pour le moins possible que certaines circonstances entourant l’application de la peine de mort soient en violation de l’article 5.

4.3.2.2 Les châtiments corporelsDans l’affaire Doebbler c. Soudan, la Commission africaine a déclaré sans équivoque que tout châtiment corporel était strictement interdit par l’article 5 de la Charte africaine et a affirmé qu’aucun individu et, en particulier, aucun gouvernement d’un pays n’a le droit d’infliger des violences physiques à un individu accusé d’une infraction. Un tel droit reviendrait selon elle à autoriser l’institutionnalisation de la torture en vertu de la Charte et serait contraire avec la nature même de ce traité des droits de l’homme.625 Si la Commission n’a pas encore eu à examiner d’affaires traitant des châtiments corporels infligés par un acteur privé, il est probable que les conditions décrites dans la par-tie 4.2.1 supra conduiraient à conclure à l’engagement de la responsabilité de l’État.

4.3.3 Conditions de détentionTout comme les autres organes internationaux et régionaux, la Commission africaine a conclu que les conditions de détention pouvaient constituer, en soi, un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Elle a constaté l’existence de vio-lations dans les cas où les conditions de détention étaient marquées par les

623 Ibid., §31.624 Ibid., §41.625 Doebbler c. Soudan (2003), op. cit., §42. La Commission s’est référée dans sa décision (au §38)

à l’affaire Tyler c. Royaume-Uni qui avait été examinée par la CrEDH.

156

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

facteurs suivants : surpopulation,626 conditions insalubres,627 nourriture insuf-fisante ou de mauvaise qualité,628 manque d’accès à des soins médicaux,629 pri-vation de lumière,630 exposition excessive à la lumière,631 manque d’accès à l’air libre,632 et enchaînement des détenus dans des cellules.633 Les conclusions de la Commission à cet égard sont complétées par la Déclaration de Kampala sur les conditions de détention en Afrique.634 Dans plusieurs de ses décisions, la Com-mission s’est également référée de manière explicite à l’Ensemble de Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, et notamment aux Principes 1 et 6, qui prévoient que tout détenu doit être traité d’une manière humaine, et ne doit être soumis ni à la torture ni à d’autres mauvais traitements.635

4.3.4 Isolement cellulaireLa Commission a conclu, à plusieurs reprises, que l’isolement cellulaire con-stituait une violation de l’article 5 de la Charte africaine.636 Alors que dans sa jurisprudence actuelle, l’isolement cellulaire a toujours été accompagné par d’autres violations de l’article 5, la Commission a néanmoins estimé qu’« une période prolongée en détention au secret ou isolement cellulaire pourrait en elle seule être considérée comme une forme de châtiment ou de traitement cruelle,

626 Affaire Achutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi (1995), op. cit., §7 ; Malawi African Association et Autres c. Mauritanie (2000), op. cit., §§116, 118.

627 Huri-Laws c. Nigéria (2000), op. cit., §§40–41 ; Malawi African Association et Autres c. Mauri-tanie (2000), op. cit., §§116, 118 ; Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), op. cit., §§70–72.

628 Civil Liberties Organisation c. Nigéria, CADHP, Communication N°151/1996, 26e  session, 1–15 novembre 1999, §27 ; Achutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi (1995), op. cit., §7 ; Malawi African Association et Autres c. Mauritanie (2000), op. cit., §§116, 118.

629 Civil Liberties Organisation c. Nigéria (1999), op. cit., §27  ; Achutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi (1995), op. cit., §7 ; Malawi African Association et Autres c. Mauritanie (2000), op. cit., §§116, 118.

630 Civil Liberties Organisation c. Nigéria (1999), op. cit., §27.631 Ouko c. Kenya, (2000), op. cit., §22–23.632 International Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr) c. Nigéria (1998), op. cit., §§80–81.633 Achutan (pour Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi

(1995), op. cit., §7 ; International Pen et al (au nom de Saro-Wiwa Jr) c. Nigéria (1998), op. cit., §§80–81 ; Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), op. cit., §§70–72.

634 Cette résolution a été adoptée par consensus lors du Séminaire organisé à Kampala sur les conditions de détention en Afrique, le 21 septembre 1996. Ce texte a été ajouté en annexe à la Résolution de l’ECOSOC No. 1997/36 du 21 juillet 2007.

635 Voir, par exemple, Huri-Laws c. Nigéria (2000), op. cit., §§40 ; Ouko c. Kenya, (2000), op. cit., §24–25.

636 Voir, par exemple, Achutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et Vera Chirwa) c. Malawi (1995), op. cit., §7 ; Malawi African Association et Autres c. Mauritanie (2000), op. cit.§115 ; Media Rights Agenda c. Nigéria (2000), op. cit., §70.

157

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

inhumaine ou dégradante ».637 Il n’est cependant pas clairement établi durant combien de temps un détenu doit être placé en isolement cellulaire pour que cette forme de détention puisse être qualifiée de « prolongée ».

4.3.5 Détention au secret et disparitions forcéesComme ses homologues internationaux et régionaux, la Commission afric-aine estime que la détention au secret à la fois crée un environnement propice à la torture ou aux mauvais traitements et, du moins lorsqu’il a un caractère prolongé, le maintien en détention au secret constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

La Commission a précisé sans équivoque sa position en la matière dans l’affaire Zehveld et Ephrem c. Erythrée en déclarant que : « La détention au secret con-stitue une grave violation des droits de l’homme qui peut entraîner d’autres vio-lations telles que la torture, le mauvais traitement ou l’interrogatoire sans les mesures de protection appropriées. Une période prolongée en détention au secret ou isolement cellulaire pourrait en elle seule être considérée comme une forme de châtiment ou de traitement cruelle, inhumaine ou dégradante. La Commission Africaine est de l’avis que toutes les détentions doivent respecter les principes fondamentaux des droits de l’homme. Il ne devrait y avoir aucune détention au secret et les Etats doivent indiquer que quelqu’un est détenu en précisant le lieu de sa détention. En outre, toute personne détenue doit avoir rapidement l’accès à un avocat et aux membres de sa famille […] ».638 Pourtant, la Commission n’a pas constaté de violation de l’article 5 dans cette affaire, bien que les onze opposants politiques en question aient été détenus au secret pendant deux ans. Dans une affaire ultérieure, Article 19 c. Erythrée, qui traitait de journali-stes détenus en même temps que ces opposants, la Commission a déclaré que « l’Erythrée a[vait] violé l’article 5 en maintenant en détention les journalistes et les dissidents politiques sans contact avec l’extérieur ».639 Dans cette décision, la Commission n’a pas fait référence au fait qu’elle n’avait pas constaté de viola-tion de l’article 5 dans l’affaire précédente. Il n’est, donc, pas possible d’établir s’il s’agissait d’une simple omission, ou bien si la Commission considérait que le critère d’une détention « prolongée » se situait quelque part entre deux et six ans de privation de liberté.

637 Zegveld et Ephrem c. Erythrée 52003, op. cit., §55.638 Ibid. Voir aussi Amnesty International et Autres c. Soudan (1999), op. cit., §54 ; Huri-Laws c.

Nigéria (2000), op. cit., §§40-41 ; Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan (2003), op. cit., §44.639 Article 19 c. Erythrée (2007), op. cit., §102.

158

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

Outre l’éventuelle violation de l’article 5, la Commission estime que le fait de refuser à un détenu le droit d’avoir accès à un avocat constitue une violation de l’article 7(1)(c) de la Charte africaine, qui prévoit le droit à la défense, et que le refus de permettre à un détenu de voir sa famille viole l’article 18, qui consacre les droits de la famille.

Dans l’affaire Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, la Commission a clairement établi que les disparitions forcées constituaient une violation des articles 5 et 6 de la Charte africaine.640 À l’appui de cette conclusion, la Commission s’est référée explicitement à la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.641

4.3.6 Les proches des victimes de violations des droits de l’hommeEn ce qui concerne la détention au secret, la Commission a déclaré que : « La privation du droit de voir sa famille constitue un traumatisme psychologique difficile à justifier sur une base rationnelle, et cela peut constituer un traitement inhumain ».642 Il n’est alors guère surprenant que la Commission ait déclaré que les membres des familles de victimes de disparitions forcées ou de détention au secret étaient elles-mêmes victimes d’une violation de l’article 5,643 ainsi que de l’article 18, qui garantit les droits de la famille.644

Il est possible qu’à l’avenir ce statut de victime soit étendu au-delà des membres de la famille afin d’y englober toute la communauté. Les Lignes directrices de Robben Island stipulent que : « Le statut de victimes devrait également être reconnu aux familles et aux communautés qui ont été touchées par la torture et les mauvais traitements infligés à l’un de leurs membres ».645

4.3.7 Extradition et expulsionSi la Commission n’a pas encore explicitement déclaré que l’article 5 incluait une prohibition de toute expulsion d’un individu vers un pays où celui-ci risque d’être torturé, sa jurisprudence en la matière, lue conjointement avec les principes généraux relatifs à la responsabilité de l’État, tend à indiquer

640 Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (2001), op. cit., §44.641 Ibid.642 Civil Liberties Organisation c. Nigéria (1999), op. cit., §27.643 Voir, par exemple, Amnesty International et Autres c. Soudan (1999), op. cit., §54 ; Law Office

of Ghazi Suleiman c. Soudan (2003), op. cit., §44. La Commission a cité, à cet égard, l’avis du Comité des droits de l’homme. Voir Article 19 c. Érythrée (2007), op. cit., §101.

644 Article 19 c. Érythrée (2007), op. cit., §103.645 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §50.

159

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL A

FR

ICA

IN

4

l’existence d’une telle prohibition. En particulier, la Commission a clairement déclaré que les garanties d’une procédure régulière devaient être rigoureuse-ment respectées avant qu’un demandeur d’asile ne puisse être renvoyé.646 Ceci est conforme avec les dispositions de l’article 12 de la Charte africaine, qui prévoient notamment que :

« 3. Toute personne a le droit, en cas de persécution, de rechercher et de rece-voir asile en territoire étranger, conformément à la loi de chaque pays et aux conventions internationales.

4. L’étranger légalement admis sur le territoire d’un État partie à la présente Charte ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi. »

Le principe de non-refoulement figure également à l’article  2(3) de la Con-vention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, qui prévoit que :

« Nul ne peut être soumis par un État membre à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière, le refoulement ou l’expulsion qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour les raisons énumérées à l’article 1, para-graphes 1 et 2 ».

En outre, les Lignes directrices de Robben Island stipulent que  : « Les États devraient faire en sorte que nul ne soit expulsé ou extradé vers un autre État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la torture ».647 Il en ressort que le droit au non-refoulement peut être lu comme faisant partie intégrante de la Charte africaine.

À la différence des autres organes internationaux, la plupart des cas d’expulsion soumis à la Commission ont concerné des expulsions collectives. L’article 12(5) de la Charte africaine stipule que :

«  L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou reli-gieux ».

646 Organisation mondiale contre la torture et al c. Rwanda (1996), op. cit., §34 ; Rencontre afri-caine pour la défense des droits de l’homme c. Zambie, CADHP, Communication N°71/1992, 20e session, 21–31 octobre 1996, §31 ; Union interafricaine des droits de l’homme, Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme et al c. Angola, CADHP, Communication N°159/1996, 22e session, 2–11 novembre 1997, §20.

647 Lignes directrices de Robben Island, op. cit., §15.

160

LE

SY

ST

ÈM

E R

ÉG

ION

AL

AF

RIC

AIN

4

Comme la Commission l’a souligné : « En termes clairs, les auteurs de la Charte pensaient que l’expulsion collective constituait une menace spéciale contre les droits de l’homme ».648

Le raisonnement adopté par la Commission dans l’affaire Modise c. Botswana indique que cette protection s’applique également au déplacement forcé à l’intérieur d’un pays. Dans cette affaire peu commune, le gouvernement du Botswana avait retiré la nationalité du requérant et avait déporté celui-ci à maintes reprises. Cette personne avait été contrainte de vivre dans le « home-land » du Bophuthatswana pendant huit ans, puis elle avait dû vivre sept autres années dans un « no-man’s-land » spécialement créé et situé entre ce « home-land » et le Botswana. La Commission a conclu que « ces actes l’ont exposé à des souffrances dans sa personne et l’ont privé de sa dignité, en violation du droit de protection contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants énoncé par l’article 5 de la Charte ».649 Il est clair qu’un tel raisonnement s’appliquerait également au cas de figure d’un déplacement forcé strictement interne.

ConclusionLes décisions de la Commission africaine en matière de définition des actes prohibés ainsi que de la portée de leur prohibition se sont avérées plus restric-tives que celles adoptées par ses homologues internationaux et régionaux. Cependant, cela est dû, en partie, à la nature de cet organe. Sans mécanisme de mise en application de ses décisions et de ses recommandations, la Com-mission doit compter en grande partie sur la bonne foi des États, et elle se trouve ainsi sans doute obligée d’adopter une approche plus pragmatique. Il est néanmoins à espérer que la Cour africaine qui vient de voir le jour et qui est habilitée à émettre des arrêts juridiquement contraignants adoptera une posi-tion plus cohérente, plus courageuse et plus respectueuse à l’égard des normes internationales que ne l’a fait la Commission.

648 Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme c. Zambie (1996), op. cit., §19.649 Modise c. Botswana (2000), op. cit., §91.

Les Tribunaux Internationaux

Introduction 161

5.1 Définitions 163

5.2 Champ d’application 189

5.3 La Cour pénale internationale 194

Conclusion 197

5

162

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

IntroductionComme nous l’avons examiné supra, la prohibition de la torture est incorporée dans plusieurs instruments internationaux de droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations Unies contre la torture, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Convention américaine relative aux droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Tous ces instruments ont en commun un élément majeur : ils considèrent le droit de ne pas être soumis à la torture en tant que droit de l’homme qui doit être garanti par l’État et, par conséquent, ils traitent de la responsabilité de l’État en la matière. Les Statuts des Tribunaux pénaux inter-nationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR) adoptent une approche différente. Ces instruments considèrent la torture comme un crime dont la responsabilité incombe à des individus.

Cette différence d’optique n’empêche pas ces différents organes de s’inspirer mutuellement en ce qui touche à la définition de la torture et au champ d’application de sa prohibition. Ainsi, l’objectif du présent chapitre est d’analyser la définition de la torture en tant que crime de guerre et en tant que crime contre l’humanité, telle qu’adoptée par les Tribunaux pénaux inter-nationaux (ci-après les Tribunaux). Étant donné que ces Tribunaux définis-sent souvent le crime de torture par opposition aux autres infractions relatives aux mauvais traitements contenues dans leurs Statuts ou élaborées dans leur jurisprudence, la définition de ces infractions sera également analysée. Le droit international considère le crime de torture comme un acte d’une gravité telle que, pour être prohibé, il n’a pas besoin d’être incorporé dans un Statut ; par conséquent, la nature coutumière de cette prohibition sera, elle aussi, exami-née. Le présent chapitre se conclura par un examen des dispositions pertinen-tes du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI).

Le présent chapitre a une structure légèrement différente de celle des quatre premiers chapitres de cet ouvrage. Étant donné que les Tribunaux pénaux internationaux traitent de la responsabilité individuelle et non étatique pour les crimes de torture et autres infractions relatives aux mauvais traitements, nous n’examinerons pas en détail les obligations de l’État. Néanmoins, il est important de souligner que ces Tribunaux font parfois référence à l’étendue de la responsabilité étatique. La Chambre de première instance du TPIY a déclaré que : « Les États sont tenus non seulement d’interdire et de sanctionner le recours à la torture mais encore de le prévenir (…). Les États sont tenus de prendre toutes

163

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

les mesures qui peuvent prévenir le recours à la torture (…). Il en résulte que les règles internationales non seulement interdisent la torture mais condamnent également i) le fait de ne pas prendre les mesures nécessaires au niveau national pour que l’interdiction ne reste pas lettre morte, et ii) le fait que demeurent en vigueur ou que soient adoptées des lois qui sont contraires à l’interdiction ».650 En outre, elle a déclaré que : « l’interdiction de la torture impose aux États des obligations (…) vis-à-vis de tous les autres membres de la communauté interna-tionale dont chacun a un droit corrélatif ».651 De telles déclarations permettent de renforcer le poids moral des obligations étatiques, mais n’ont pas, en soi, de caractère contraignant à l’égard des États et ne seront donc pas examinées dans le détail.

5.1 DéfinitionsAux termes des Statuts du TPIY et du TPIR, le crime de torture est considéré à la fois comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité.

Pour ce qui est des crimes de guerre, les deux Statuts s’appuient largement sur les Conventions de Genève de 1949, mais ils ne couvrent pas exactement les mêmes crimes. Cette différence d’approche est due à la spécificité de chacun de ces deux conflits : les conflits dans l’ex-Yougoslavie avaient un caractère à la fois international et interne, alors que le conflit au Rwanda avait un caractère exclusivement interne. Par conséquent, le Statut du TPIY accorde à ce Tribunal compétence pour connaître des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949,652 ainsi que d’autres violations des lois ou coutumes de la guerre.653 Le Statut du TPIR traite, quant à lui, des infractions à l’article 3 commun aux Conventions de Genève et au deuxième Protocole additionnel de 1977, qui s’appliquent tous deux à des conflits armés à caractère interne.654 Ainsi les Stat-uts de ces deux Tribunaux ont chacun pris en compte les situations particu-lières qui ont motivé leur création. En tout état de cause, la qualification d’un crime comme « crime de guerre » dépend de l’existence d’un conflit armé.

650 Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §148.651 Ibid., §151. De telles obligations sont connues comme des obligations erga omnes.652 Article 2 du Statut du TPIY. L’article 2(b) stipule que « la torture ou les traitements inhumains,

y compris les expériences biologiques » constituent un crime relevant de la compétence du Tri-bunal dès lors qu’ils sont « dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la Convention de Genève pertinente ».

653 Article 3 du Statut du TPIY.654 Article 4 du Statut du TPIR. L’article 4(a) prévoit que la torture, qui est citée à titre d’exemple

d’un « traitement cruel », constitue une « violation grave de l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre, et du Protocole additionnel II auxdites Conventions du 8 juin 1977 ».

164

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Les Statuts de ces deux Tribunaux diffèrent également eu égard aux crimes contre l’humanité. La définition fournie par le Statut du TPIR est la plus largement acceptée, et correspond à celle prévalant en droit international coutumier. Elle prévoit que le Tribunal est habilité à poursuivre en justice les individus auteurs des crimes d’assassinat, d’extermination, de réduction en esclavage, d’expulsion, d’emprisonnement, de torture, de viol, de persécu-tions et d’autres actes inhumains « lorsqu’ils ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse ».655 À la différence du droit international coutumier, le Statut du TPIY requiert que les crimes en question aient été « commis au cours d’un con-flit armé, de caractère international ou interne » plutôt que dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.656 Ce critère peut sembler restreindre le champ d’application de l’interdiction relative à ce crime, mais en réalité elle n’a pas eu de conséquence dans les faits, car tous les crimes pour lesquels ce Tribunal est compétent ont été commis durant un conflit armé. En outre, dans l’affaire Le Procureur c. Tadić, la Chambre a renoncé à invoquer le critère du conflit armé, en estimant que « la condition de l’existence d’un conflit armé est un ‘élément constitutif de la compétence et non de l’intention requise pour les crimes contre l’humanité’ ».657 Le Statut du TPIY se distingue en outre du TPIR en ce qu’il ne requiert pas que les actes criminels découlent de motifs d’ordre national, politique, ethnique, racial ou religieux.658

655 Article 3 du Statut du TPIR.656 Article 5 du Statut du TPIY.657 Le Procureur c. Tadić, Affaire n° IT-94-1-T, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999,

§249. Dans son arrêt précédent portant sur une motion de la défense présentée dans le cadre de cette même affaire, la Chambre du TPIY a estimé que « l’absence de lien entre les crimes contre l’humanité et un conflit armé international est maintenant une règle établie du droit internatio-nal coutumier », Le Procureur c. Tadić, Affaire N°IT-94-I-AR72, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, le 2 octobre 1995, §141.

658 Ayant comparé les dispositions de l’article 3 du Statut du TPIR avec l’article 5 du Statut du TPIY, la Chambre de première instance du TPIR dans l’affaire Le Procureur c. Musema a sou-ligné que : « si ces dispositions ont toutes deux trait aux crimes contre l’humanité, à l’exception du crime de persécution, il existe entre elles une différence matérielle et substantielle en ce qui concerne les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité. Cette différence tient en ceci que, contrairement à l’Article 5 du Statut du TPIY, qui ne requiert aucun motif discriminatoire, l’Article 3 du Statut du TPIR retient expressément les motifs discriminatoires d’ordre ‘natio-nal, politique, ethnique, racial ou religieux’ pour les infractions d’assassinat, d’extermination, d’expulsion, d’emprisonnement, de torture, de viol et d’autres actes inhumains ». Le Procureur c. Musema, Affaire N°ICTR-96-13-A, TPIR, Chambre de première instance I, Jugement du 27 janvier 2000, §211.

165

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

Il faut souligner, dès le départ, que cette « double qualification » du crime de torture a peu de conséquence sur la définition de la torture. Comme l’a déclaré sans équivoque la Chambre de première instance II du TPIY, « [l]a définition de l’infraction de torture est la même quel que soit l’article du Statut en vertu duquel les actes de l’Accusé ont été incriminés ».659

Aucun des deux Statuts ne fournit une définition spécifique de la torture ou d’autres formes de mauvais traitement et, par conséquent, ces définitions ont été élaborées par la jurisprudence de ces Tribunaux, qui se sont inspirés des autres instruments et organes internationaux. En particulier, les Tribunaux pénaux internationaux se sont référés à la définition adoptée par l’UNCAT660 ainsi qu’à la jurisprudence du Comité contre la torture,661 du Comité des droits de l’homme,662 de la Cour européenne des droits de l’homme,663 et de la Cour et de la Commission interaméricaines.664 L’analyse de la jurisprudence des Tri-bunaux met en lumière les principaux éléments de leur définition de la torture : un élément relatif au but recherché, le fait d’infliger intentionnellement des douleurs ou des souffrances aigües et, dans le cas du TPIR, peut-être également un critère relatif au fait d’agir à titre officiel.

659 Le Procureur c. Krnojelac, Affaire N°IT-97-25-T, TPIY, Chambre de première instance II, Juge-ment du 15 mars 2002, §178. Voir aussi Le Procureur c. Kvočka et consorts, Affaire N°IT-98-30/1, TPIY, Chambre de première instance I, Jugement du 2 novembre 2001, §158, Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić, Affaire N°IT-95-9, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 17 octobre 2003, §79. Dans l’affaire Le Procureur c. Naletilić et Martinović, la Chambre de première instance du TPIY a noté l’existence de chevauchements entre ces deux crimes de torture. « Dans le jugement Čelebići, la torture était considérée tant comme une infraction grave aux Conventions de Genève que comme une violation des lois ou coutumes de la guerre. Dans le jugement Furundžija, elle l’était comme une violation des lois ou coutumes de la guerre. Dans les jugements Kunarac et Kvočka, la torture était considérée comme un crime contre l’humanité et une violation des lois ou coutumes de la guerre », voir Le Procureur c. Naletilić et Martinović, Affaire N°IT-98-34-T, TPIY, Chambre de première instance, Jugement du 31 mars 2003, §336 - note de bas de page 890.

660 Voir Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §159–163 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, Affaires N°s IT-96-23 et IT-96-23/1, TPIY, Chambre de première instance II, Juge-ment du 22 février 2001, §§142, 146.

661 Voir Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §163.662 Voir Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §461 ; Le Procureur

c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §§480–481 ; Le Procureur c. Kvočka et consorts (2001), op. cit., §146.

663 Voir Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §462–466, 487–489 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §§478–479 ; Procureur c. Kvočka et Consorts (2001), op. cit., §150 ; Le Procureur c. Krnojelac (2002), op. cit., §181.

664 Voir Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §§481–486.

166

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

5.1.1 Le critère relatif au but recherchéLe TPIR et le TPIY ont tous deux adopté le critère relatif au but recherché figu-rant dans la définition de la torture contenue à l’article premier de l’UNCAT, qui a été examinée en détail au chapitre 1 du présent Guide.

– Le TPIRDans l’affaire Le Procureur c. Akayesu, la Chambre de première instance I du TPIR a explicitement adopté la définition de la torture de l’UNCAT et a, par conséquent, estimé que, pour être qualifiées torture, une douleur ou une souf-france devaient viser l’un des buts suivants :

« a) obtenir de la victime ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux ;

b) punir la victime ou une tierce personne d’un acte que la victime ou la tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis ;

c) aux fins d’intimider la victime ou la tierce personne ou de faire pression sur elles ;

d) pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit ».665

Cependant, le TPIR ne considère pas cette liste comme exhaustive. Dans l’affaire Le Procureur c. Akayesu, la Chambre a examiné si le viol était consti-tutif de torture, et a affirmé qu’à l’instar de la torture, le viol était utilisé à des fins notamment d’intimidation, de dégradation, d’humiliation, de discrimi-nation, de sanction, de contrôle ou de destruction d’une personne. Comme elle, le viol constituait une atteinte à la dignité de la personne et s’assimilait en fait à la torture lorsqu’il était commis par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.666 Ainsi, la dégradation, l’humiliation et le con-trôle ou la destruction d’une personne font également partie des buts prohibés permettant de qualifier un acte d’infraction de torture relevant de la compé-tence du TPIR. En outre, dans l’affaire Le Procureur c. Musema, la Chambre de première instance a cité la définition de l’article premier de l’UNCAT dans son intégralité. La phrase « aux fins notamment » figurant dans cette défini-tion laisse clairement entendre que la liste des buts recherchés énoncés dans l’UNCAT n’est pas exhaustive.667

665 Le Procureur c. Akayesu (1998), op. cit., §§593–594.666 Ibid., §597.667 Le Procureur c. Musema (2000), op. cit., §285. Voir aussi partie 1.1.2.2

167

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

– Le TPIYLa Chambre d’appel du TPIY a estimé que la définition de la torture contenue dans l’article premier de l’UNCAT représentait une norme de droit interna-tional coutumier.668 En outre, dans l’affaire Le Procureur c. Kronjelac, la Cham-bre d’appel II a souligné que le critère relatif au but recherché était l’un des éléments qui « distinguent la torture des autres formes de mauvais traitements. La torture, en tant que crime, n’est pas un acte de violence gratuit ; elle vise, en infligeant des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à atteindre un certain résultat ou objectif. Par conséquent, des souffrances, même très aiguës, infligées en l’absence de pareil but ou objectif, ne pourraient être qualifiées de tortures aux termes des articles 3 et 5 du Statut du Tribunal ».669 Cependant, si l’acte en question doit viser un but donné, « il suffit que le but défendu ait été l’un des mobiles de l’acte ; il n’est pas nécessaire qu’il ait été le seul but visé ou le princi-pal ».670

Certains actes peuvent automatiquement remplir le critère relatif au but recher-ché, particulièrement en cas d’implication d’un agent de l’État. La Chambre de première instance du TPIY dans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts a conclu qu’« il est difficile d’imaginer qu’un viol commis par un agent de l’État, ou à son instigation ou avec son consentement, puisse être considéré comme ayant une finalité autre que la volonté de punir, de contraindre, de discriminer ou d’intimider. Pour la Chambre de première instance, c’est un phénomène inhérent aux situations de conflit armé ».671

Alors que l’article premier de l’UNCAT fournit explicitement une liste illus-trative des buts prohibés aux termes du droit international relatif aux droits de l’homme, la jurisprudence du TPIY ne permet pas d’établir si ce Tribunal considère cette liste comme étant exhaustive en ce qui concerne le crime de torture au regard du droit international humanitaire coutumier. Dans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts, la Chambre de première instance II a explic-itement déclaré que : « L’emploi de l’expression ‘aux fins notamment’ dans la

668 Le Procureur c. Furundžija, Affaire N°IT-95-17/1, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 21 juillet 2000, §111 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, Affaires N°s IT-96-23 et IT-96-23/1, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 12 juin 2002, §146 ; Le Procureur c. Brđanin, Affaire N°IT-99–36, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 3 avril 2007, §246.

669 Le Procureur c. Krnojelac, op. cit., §180. Voir aussi Le Procureur c. Brđanin, Affaire N°IT-99-36, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 1er septembre 2004, §486 ; Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit.,§442.

670 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), Ibid., §470. Voir aussi Le Procureur c. Kvočka et consorts (2001), op. cit., §140 ; Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §81 ; Le Procureur c. Brđanin, (2004), Ibid., §487.

671 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), Ibid., §495.

168

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

définition coutumière de la torture [à l’article premier de l’UNCAT] indique que les buts énumérés ne constituent pas une liste exhaustive mais qu’ils sont simplement cités à titre d’exemple ».672 Cependant, dans l’affaire ultérieure Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, la même Chambre a estimé que, pour pouvoir être qualifié de torture au regard du droit international coutumier, un acte ou une omission « doit avoir pour but d’obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, d’intimider ou de contraindre la victime ou un tiers, ou d’opérer une discrimination pour quelque motif que ce soit »,673 sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte aucun autre but. Dans l’affaire Kunarac, la Chambre d’appel ne s’est pas spécifiquement penchée sur la question des buts recherchés par la torture, bien qu’elle ait souligné que la Chambre de pre-mière instance n’avait pas pris en compte l’arrêt de la Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c. Furundžija. Dans cette affaire, la liste des buts recher-chés par la torture avait été élargie pour y inclure l’humiliation de la victime ou d’un tiers.674 Étant donné que les raisonnements adoptés dans ses arrêts par la Chambre d’appel lient juridiquement les Chambres de première instance,675 il semble en ressortir que la liste des buts prohibés n’est pas exhaustive, même si les autres buts doivent sans doute être étroitement liés à ceux qui sont explicite-ment prohibés.676 En tout état de cause, un arrêt plus récent de la Chambre de première instance II a affirmé que les buts prohibés « ne constituent pas une liste exhaustive ».677

Ainsi, la jurisprudence du TPIY dans son ensemble suggère que la liste des buts recherchés par la torture n’est pas exhaustive. En tout cas, le fait que les buts explicitement prohibés ne constituent pas forcément les seuls ou les principaux buts permet de faire en sorte que le critère relatif au but recherché ne limite pas de manière excessive la capacité des Tribunaux pénaux internationaux à poursuivre en justice et à punir les auteurs du crime de torture.

672 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), Ibid., §470. Voir aussi Le Procureur c. Brđanin (2004), op. cit., §487.

673 Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §497  ; Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit. §494 ; Le Procureur c. Furundžija, (2000), op. cit., §111.

674 Le Procureur c. Furundžija (2000), Ibid., §111.675 Le Procureur c. Aleksovski, Affaire N°IT-95-14/1, TPIY, Chambre de première instance I, Juge-

ment du 25 juin 1999, §113 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2002), op. cit., §143.676 Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §162.677 Le Procureur c. Brđanin (2004), op. cit., §487.

169

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

5.1.2 Les douleurs ou souffrances infligées intentionnellementDans l’affaire Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, la Chambre d’appel du TPIY a rappelé la distinction entre « intention » et « mobile ». Dans son exa-men du viol en tant que forme de torture, la Chambre a affirmé que « même si le mobile de l’auteur du crime est d’ordre purement sexuel, il ne s’ensuit pas qu’il n’avait pas l’intention de commettre un acte de torture ou que son comportement ne cause pas à la victime une douleur ou des souffrances aiguës, qu’elles soient physiques ou mentales, puisque pareilles douleur ou souffrances sont les con-séquences probables et logiques de son comportement. Au vu de cette définition, il est important de déterminer si l’auteur de l’acte entendait agir d’une manière qui, dans le cours normal des choses, causerait à ses victimes une douleur ou des souffrances aiguës, qu’elles soient physiques ou mentales ».678 Ainsi, la notion d’«  intention  » s’applique aux conséquences raisonnablement prévisibles du comportement de l’auteur des actes en question.

Le crime de torture peut être commis soit par un acte positif, soit par omission, à condition qu’il s’agisse d’un acte ou d’une omission « intentionnels, c’est-à-dire un acte qui, jugé objectivement, apparaît délibéré et non accidentel ».679 Il n’a pas encore été établi si l’infraction connexe consistant à aider et encourager un crime de torture pouvait également être commise par omission.680

Conformément à la définition adoptée par le droit international coutumier, le TPIY a estimé que « c’est la gravité de la douleur ou des souffrances infligées qui distingue la torture d’infractions similaires ».681 Cependant, le niveau de douleur et de souffrance requis pour atteindre ce seuil de gravité n’est pas clairement défini et cela ne peut pas non plus être déterminé en listant les constatations des Tribunaux pénaux internationaux. Dans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts, la Chambre de première instance du TPIY a retenu la position de l’ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Sir Nigel Rodley, qui avait déclaré qu’ « une définition juridique ne peut dépendre d’un catalogue de pra-tiques horribles car ce serait tout simplement mettre à l’épreuve l’ingéniosité des tortionnaires et non pas édicter une interdiction juridique valable ».682

678 Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2002), op. cit., §153.679 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §468.680 La Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c. Brđanin ne s’est pas prononcé sur ce point :

Le Procureur c. Brđanin (2007), op. cit., §274.681 Le Procureur c. Kvočka et Consorts (2001), op. cit., §142. Voir aussi Le Procureur c. Delalić et

Consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §468.682 Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići) (1998), Ibid., §469, citant Sir Nigel Rodley,

ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Le TPIR a, lui aussi, suivi ce raisonnement :

170

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Par conséquent, le degré de douleur ou de souffrance requis pour atteindre le seuil de la torture sera évalué au cas par cas, en prenant en compte toutes les circonstances spécifiques de chaque affaire, y compris « des critères subjectifs, tels que les conséquences physiques ou psychologiques pour la victime du traite-ment auquel celle-ci a été soumise et, dans certains cas, des facteurs tels que l’âge, le sexe ou l’état de santé de la victime ».683 Parmi les autres éléments perti-nents à prendre en compte figurent « la préméditation et l’institutionnalisation des mauvais traitements, la condition physique de la victime, la manière et la méthode employée, ainsi que la position d’infériorité de la victime » ou bien encore la durée des actes infligés.684

Il n’est pas nécessaire qu’une peine physique soit infligée pour qu’un acte puisse être assimilé à de la torture. Dans l’affaire Le Procureur c. Kvočka et consorts, la Chambre de première instance du TPIY a déclaré « qu’il ne doit pas néces-sairement y avoir de dommages corporels pour que des actes soient qualifiés de torture, puisque les atteintes à l’intégrité mentale sont une forme courante de torture. Par exemple, les souffrances mentales endurées par une personne contrainte d’assister aux graves sévices infligés à un proche peuvent atteindre le degré de gravité requis pour que ces actes soient qualifiés de torture. Ainsi, dans l’affaire Furundžija, la Chambre de première instance a conclu que le fait de contraindre une personne à assister aux graves violences sexuelles infligées à une femme qu’elle connaît constitue une forme de torture pour l’intéressé. La présence de spectateurs, plus particulièrement de membres de la famille, lorsqu’une personne subit un viol, entraîne pour celle-ci de graves souffrances mentales constitutives de torture ».685

5.1.3 Le critère relatif aux actes commis à titre officielIl faut souligner dès le départ que la responsabilité pénale pour les actes de torture et autres mauvais traitements n’incombe pas seulement à l’individu qui a effectivement commis ces actes prohibés. L’article 7 du Statut du TPIY et l’article 6 du Statut du TPIR utilisent ici le même langage :

voir Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Affaire N°ICTR-95-1-T, TPIR, Chambre de pre-mière instance, Jugement du 21 mai 1999, §149.

683 Le Procureur c. Kvočka et consorts (2001), op. cit., §143. Voir aussi Le Procureur c. Brđanin (2004), op. cit., §484 ; Le Procureur c. Simić, Affaire N°IT-95-9/2, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 17 octobre 2002, §34.

684 Le Procureur c. Krnoljelac, op. cit., §182.685 Le Procureur c. Kvočka et consorts (2001), op. cit., §149. Voir aussi Le Procureur c. Naletilić et

Martinović (2003), op. cit., §§345–380, confirmé par la Chambre d’appel dans son arrêt du 3 mai 2006 sur la même affaire à §§291–300 ; Le Procureur c. Furundžija (2000), op. cit., §114.

171

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

« Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé [dans le] présent statut est individuellement responsable dudit crime. »

– Le TPIRDans ce domaine également, l’essentiel de la jurisprudence émane du TPIY. Quant au TPIR, l’affaire la plus significative à cet égard est l’affaire Le Procu-reur c. Akayesu. Dans cette affaire, la Chambre de première instance a expres-sément inclus parmi «  les éléments essentiels de la torture » la nécessité que « l’auteur [soit] lui-même un agent de la fonction publique agissant à titre offi-ciel, ou […] à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite ».686 Cette prise de position a été réitérée dans l’arrêt rendu dans l’affaire Le Procu-reur c. Musema en 2000.687

– Le TPIYEn ce qui concerne le critère relatif aux actes commis à titre officiel, la juris-prudence du TPIY avait, jusque récemment, adopté des positions contradic-toires quant au fait de savoir si, pour qu’un crime puisse être qualifié de torture, l’auteur devait agir à titre officiel, ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de l’État. Dans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts, la Cham-bre de première instance II a estimé que le critère relatif aux actes commis à titre officiel s’appliquait effectivement, même si cette exigence était suscep-tible d’être interprétée de façon assez large dans le contexte du droit interna-tional humanitaire pour y inclure « les agents des parties au conflit autres que les États afin que l’interdiction conserve une signification dans les situations de conflits armés internes ou de conflits internationaux impliquant des entités non étatiques ».688 Dans son arrêt rendu, en 2000, dans l’affaire Le Procureur c. Furundžija, la Chambre d’appel a également affirmé que le critère relatif aux actes commis à titre officiel faisait partie de la définition de la torture.689

Malgré cette déclaration de la Chambre d’appel, la Chambre de première instance a estimé, dans l’affaire Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković que : « La définition de la torture en droit international humanitaire ne comporte pas les mêmes éléments que celle généralement appliquée dans le domaine des droits de l’homme. » Elle a estimé notamment que « la présence d’un agent de l’État

686 Le Procureur c. Akayesu (1998), op. cit., §594.687 Le Procureur c. Musema (2000), op. cit., §285.688 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §473.689 Le Procureur c. Furundžija (2000), op. cit., §111.

172

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

ou de toute autre personne investie d’une autorité n’est pas requise pour que la torture soit constituée en droit international humanitaire ».690 La Chambre de première instance a adopté la même position, à plusieurs reprises, dans des affaires ultérieures,691 avant que la Chambre d’appel n’adopte cette même posi-tion dans son arrêt dans l’affaire Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković en 2002. Dans cette affaire, la Chambre d’Appel a spécifiquement déclaré que l’UNCAT « lie des États et vise à réglementer leurs activités ; c’est seulement à cette fin et dans cette mesure qu’elle traite des actes d’individus agissant à titre officiel ».692 La Chambre d’appel a réduit la portée de ses conclusions précédem-ment adoptées dans l’affaire Le Procureur c. Furundžija – dans lesquelles elle avait apparemment déclaré le contraire – en les limitant aux faits de ce cas d’espèce. Elle a ainsi spécifiquement précisé qu’une « affirmation […] qui revi-ent à dire que la définition figurant dans la Convention relative à la torture reflète l’état du droit international coutumier en ce qui concerne les obligations des États, ne signifie pas que cette définition reflète totalement l’état du droit international coutumier en ce qui concerne la signification du terme torture en général ».693 Ainsi, au moins pour ce qui concerne le TPIY, le critère relatif aux actes commis à titre officiel ne s’applique pas au crime de torture.

Alors que la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux adopte large-ment la définition de la torture figurant dans l’UNCAT, elle n’aboutit pas exactement aux mêmes définitions. Ceci est en grande partie dû à la différence de ces régimes juridiques : l ’UNCAT fait partie du droit international relatif aux droits de l’homme, tandis que les Tribunaux pénaux internationaux sont habilités à traiter de questions relatives au droit international humanitaire et au droit pénal international. Le droit relatif aux droits de l’homme régit les rapports entre l’individu et l’État, définissant les limites du pouvoir étatique, alors que le droit humanitaire vise à restreindre la conduite de la guerre afin de diminuer son impact sur les victimes d’un conflit. Par conséquent, si au regard du droit international relatif aux droits de l’homme, il faut démontrer l’existence d’un lien entre un acte donné et l’État, cela n’est pas le cas pour un individu tenu responsable d’une infraction du droit humanitaire.694 En outre, cette différence est dorénavant reflétée dans le Statut de Rome de la CPI, qui

690 Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §496.691 Voir Le Procureur c. Kvočka et consorts (2001), op. cit., §139 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać

et Vuković (2002), op. cit., §148 ; Le Procureur c. Brđanin (2004), op. cit., §488 ; Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §82.

692 Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2002), Ibid., §146.693 Ibid., §147.694 Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §470.

173

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

ne requiert pas qu’un individu agisse à titre officiel pour qu’il puisse être tenu pénalement responsable du crime de torture.

5.1.4 La distinction entre torture et autres mauvais traitementsLes Statuts du TPIR et du TPIY établissent une liste de crimes « moins graves » qui permet de faire en sorte que d’autres formes de mauvais traitements relèvent de la compétence de ces deux Tribunaux. Ceux-ci considèrent que la distinction entre la torture et les autres infractions relatives aux mauvais traitements repose sur le but recherché par cet acte, ainsi que sur sa gravité. L’existence d’un but prohibé permet aux Tribunaux de qualifier de tels actes de « torture », mais en cas d’absence d’un tel but, les actes en question relèveront d’autres catégories de mauvais traitements.

En ce qui concerne le concours idéal d’infractions, c’est-à-dire le fait d’être condamné pour deux infractions distinctes pour un même comportement, la Chambre d’appel du TPIY a estimé, dans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts, que « partant de l’idée que l’équité envers l’accusé et le fait que seuls des crimes distincts peuvent justifier un cumul de déclarations de culpabilité, la Chambre d’appel estime qu’un tel cumul n’est possible, à raison d’un même fait et sur la base de différentes dispositions du Statut, que si chacune des disposi-tions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre. Un élément est nettement distinct s’il exige la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres ».695 Ainsi, par exemple, un même comportement peut faire l’objet de deux chefs d’accusation, pour viol et torture, étant donné que le crime de viol inclut un élément de pénétration qui ne figure pas dans la définition de torture, tandis que le crime de torture requiert un élément de but recherché qui n’existe pas dans la définition de viol.696

En droit pénal, les crimes sont définis à la fois par un élément matériel relatif à l’acte physique et connu sous le nom d’actus reus, et un élément mental relatif à l’état d’esprit de l’auteur du crime, connu sous le nom de mens rea. Si l’un de ces éléments fait défaut, un accusé ne peut pas être déclaré coupable. La prise en compte, dans ce contexte, d’un élément mental peut entraîner une divergence entre l’application du concept de traitement cruel, inhumain ou dégradant au regard du droit relatif aux droits de l’homme et son application en droit pénal.

695 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), Affaire N°IT-96-21, TPIY, Chambre d’ap-pel, Arrêt du 20 février 2001, §412.

696 Voir, par exemple, Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2002), op. cit., §179.

174

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Comme cela est la cas pour le crime de torture, la responsabilité pénale pour les autres infractions de mauvais traitement n’incombe pas uniquement à la seule personne qui a réellement perpétré les actes prohibés ; l’article 7 du Statut du TPIY et l’article 6 du Statut du TPIR prévoient que quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ces crimes – ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ces crimes – est également indivi-duellement responsable de ces actes.

5.1.4.1 Le traitement inhumainLe traitement inhumain constitue aux termes de l’article  2(b) du Statut du TPIY une infraction spécifique, mais il n’est pas explicitement inclus en tant que tel dans le Statut du TPIR.

L’article 2 du Statut du TPIY prévoit notamment que :

« Le Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui com-mettent ou donnent l’ordre de commettre des infractions graves aux Conven-tions de Genève du 12 août 1949, à savoir les actes suivants dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la Convention de Genève pertinente :

(…)

(b) la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biolo-giques ;

(…) »

Les traitements inhumains considérés comme une infraction grave aux Con-ventions de Genève ne sont l’objet de poursuites par le TPIY que s’ils sont commis à l’encontre de personnes protégées par les dispositions de ces mêmes Conventions.697 Ainsi, la portée de cette infraction est plus limitée que celle de la torture, qui est également incorporée dans le Statut de ce Tribunal en tant que crime contre l’humanité.

Le TPIY a défini le traitement inhumain comme « un acte ou une omission intentionnel, c’est-à-dire un acte qui, jugé objectivement, apparaît délibéré et non accidentel, et qui cause de graves souffrances mentales ou physiques ou constitue une atteinte grave à la dignité humaine ».698 Le Tribunal a adopté la

697 Voir, par exemple, Le Procureur c. Kordić et Čerkez, Affaire N°IT-95-14/2-T, TPIY, Chambre de première instance III, Jugement du 26 février 2001, §256.

698 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §543. Voir aussi Le Pro-cureur c. Kordić et Čerkez (2001), op. cit., §256 ; et Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §502.

175

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

définition du CICR relative à l’intention requise pour qu’un acte puisse être qualifié d’infraction de traitement inhumain : « L’auteur doit avoir agi délibéré-ment ou avoir délibérément omis d’agir. Toutefois, le comportement délibéré en soi ne suffit pas. Il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention expresse d’humilier la victime ou de lui faire subir des traitements dégradants, il faut qu’il ait été conscient des conséquences prévisibles et logiques de ses actes. »699

Tout acte de torture constitue un traitement inhumain,700 mais le traitement inhumain est une infraction plus large qui comprend également « un traite-ment qui provoque délibérément des souffrances mentales et physiques, graves, mais néanmoins insuffisantes pour justifier la qualification de torture  ».701 Ainsi, la distinction entre torture et traitement inhumain se fonde sur la gravité des souffrances infligées ainsi que sur le but recherché par ces actes. Le concept de traitement inhumain s’étend également aux « actes qui violent le principe fondamental du traitement humain et attentent en particulier à la dignité humaine ».702 Ainsi le TPIY définit le traitement inhumain par rapport à son antonyme : un traitement qui n’est pas humain est nécessairement inhu-main.703 Pour déterminer si un acte donné est « contraire au principe du traite-ment humain et constitue, partant, un traitement inhumain », il faut examiner toutes les circonstances de l’espèce.704

5.1.4.2 Le traitement cruelLe traitement cruel n’apparaît pas explicitement, en tant qu’infraction, dans le Statut du TPIY, mais celui-ci est explicitement mentionné dans le Statut du TPIR.

– TPIRL’article 4 du Statut TPIR prévoit notamment que :

« Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à poursuivre les per-sonnes qui commettent ou donnent l’ordre de commettre des violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre, et du Protocole additionnel II auxdites Conventions du 8 juin 1977. Ces violations comprennent, sans s’y limiter :

699 Le Procureur c. Aleksovski (1999), op. cit., §56.700 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §442.701 Ibid., §542.702 Ibid., §442. 703 Ibid., §518.704 Ibid., §544.

176

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ; … »

Il apparaît ainsi clairement qu’aux yeux du TPIR, la torture est une forme aggravée de traitement cruel. Cependant, ce Tribunal n’a pas encore examiné la relation spécifique entre ces deux infractions, ni la définition précise du traitement cruel.

– TPIYLe traitement cruel n’est pas spécifiquement mentionné en tant qu’infraction dans le Statut du TPIY. Néanmoins, le TPIY considère que l’infraction de traitement cruel relève du champ d’application de l’article 3 de son Statut, en tant que violations aux lois ou coutumes de la guerre.705 Les éléments carac-téristiques des infractions relatives aux traitements cruels et aux traitements inhumains sont identiques.706 Ceci est également vrai pour leur relation avec le crime de torture : tout acte de torture peut être qualifié de traitement cruel, mais le traitement cruel couvre également des actes ne présentant pas le degré de gravité ou l’élément relatif au but recherché qui leur permettraient d’être qualifiés de torture.707

Le seul élément qui puisse différencier l’infraction de traitement cruel de celle de traitement inhumain concerne les personnes qui bénéficient d’une protec-tion. Un acte ne peut constituer un traitement cruel aux termes de l’article 3 du Statut du TPIY que s’il est commis à l’encontre de personnes ne participant pas directement aux hostilités.708 Par contre, un acte peut être qualifié de trait-

705 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §440. Voir aussi Le Procu-reur c. Blaškić, Affaire N°IT-95-14, TPIY, Chambre de première instance I, Jugement du 3 mars 2000, §186 ; Le Procureur c. Strugar ‘Dubrovnik’, Affaire N°IT-01-42, TPIY, Chambre de pre-mière instance II, Jugement du 31 janvier 2005, §261 ; Le Procureur c. Orić, Affaire N°IT-03-68, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 30 juin 2006, §351 ; Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §78 ; Le Procureur c. Limaj et consorts, Affaire N°IT-03-66, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 30 novembre 2005, §653–658.

706 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §443 ; Le Procureur c. Simić, Affaire N°IT-95-9/2, Chambre de première instance II, Jugement du 17 octobre 2002, §74 ; Le Procureur c. Krnoljelac, (2002), op. cit., §130 ; Le Procureur c. Orić, Ibid., §350.

707 Voir, par exemple, Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §71.708 Voir l’article 3 commun aux Conventions de Genève, qui déclare : « 1. Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de

forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.

À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :

177

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

ement inhumain quand il vise toute personne protégée par les dispositions pertinentes des Conventions de Genève.709

5.1.4.3 Atteintes à la dignité de la personneTout comme le traitement cruel, l’infraction d’atteinte à la dignité de la per-sonne n’est pas explicitement mentionnée, en tant qu’infraction, dans le Statut du TPIY, mais elle figure explicitement dans le Statut du TPIR.

– Le TPIRL’article 4 du Statut du TPIR donne compétence à ce Tribunal de connaître des violations à l’article 3 commun aux Conventions de Genève et des violations au deuxième Protocole additionnel à ces Conventions. L’article 4(e) interdit spécifiquement :

« les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humi-liants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ».

Le TPIR n’a pas encore entrepris une analyse détaillée des éléments caractéri-stiques de cette infraction, bien que, dans l’affaire Le Procureur c. Musema, la Chambre de première instance I ait indiqué à propos des atteintes à la dignité de la personne qu’ « on pourrait voir dans ces infractions une forme atténuée de la torture, à cette différence près que le mobile exigé pour que la torture soit constituée ne serait pas requis ; et qu’il ne serait pas davantage nécessaire que les actes répréhensibles soient commis sous le couvert de l’autorité de l’État ».710 Dans la même affaire, les traitements humiliants et dégradants ont été définis comme « le fait de soumettre les victimes à un traitement qui porte atteinte à leur dignité ».711

– Le TPIYComme cela a été signalé supra, l’infraction d’atteinte à la dignité de la per-sonne n’apparaît pas explicitement dans le Statut du TPIY, mais elle y est incluse en vertu de la référence faite dans ce Statut aux Conventions de Genève.

a. les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;… »

Voir aussi Le Procureur c.Tadić, Affaire N°IT-94-1-T, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 7 mai 1997, §723 ; Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §546.

709 Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §426. Voir aussi Le Procu-reur c. Naletilić et Martinović (2003), op. cit., §246.

710 Le Procureur c. Musema (2000), op. cit., §285.711 Ibid.

178

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Dans l’affaire Le Procureur c. Aleksovski, la Chambre de première instance I s’est basée sur l’arrêt rendu dans l’affaire Le Procureur c.Tadić712 afin de con-clure que l’article 3 du Statut du TPIY incorporait l’article 3 commun aux Con-ventions de Genève, et intégrait, par voie de conséquence, l’article 3(1)(c), qui interdit toute atteinte à la dignité des personnes, et, en particulier, tout traite-ment humiliant et dégradant.713

Dans l’affaire Le Procureur c. Aleksovski, la Chambre de première instance I du TPIY a défini l’atteinte à la dignité de la personne comme « un acte motivé par le mépris de la dignité d’une autre personne. Par voie de conséquence, un tel acte doit être gravement humiliant ou dégradant pour la victime. Il ne doit pas néces-sairement porter directement atteinte au bien-être physique ou mental de la vic-time. Il suffit que l’acte visé lui inflige une souffrance réelle et durable découlant de l’humiliation ou du ridicule. Le degré de souffrance que peut endurer une vic-time dépend naturellement de son tempérament ».714 Cependant, la Chambre, afin d’éviter « une injustice pour l’accusé [puisque] sa culpabilité dépendrait (...) non pas de la gravité de l’acte commis mais entièrement de la sensibilité de la victime »,715 a tempéré ces critères subjectifs en y ajoutant une condition objec-tive qui prévoit que « l’humiliation de la victime doit être suffisamment intense pour que toute personne sensée en soit outragée ».716

Il n’est pas nécessaire, cependant, que l’humiliation soit provoquée par un seul acte : « Le degré de gravité d’un acte et de ses conséquences peut découler soit du caractère de l’acte en lui-même, soit de la répétition d’un acte ou d’un ensem-ble d’actes qui, individuellement, ne constitueraient pas un crime au sens de l’article 3 du Statut. La forme que prennent les violences infligées, ainsi que leur durée et leur degré de gravité, ou l’intensité et la durée des souffrances physiques ou morales serviront de critères pour évaluer si les faits commis peuvent être qualifiés de crime. En d’autres termes, c’est sur l’analyse des faits de l’affaire que reposera principalement la décision de la Chambre quant aux accusations por-tées par les victimes ou l’Accusation ».717 C’est ainsi qu’un harcèlement répété peut constituer une atteinte à la dignité de la personne au même titre qu’un acte unique plus sévère.

712 Voir Le Procureur c. Tadić (1995), op. cit..713 Voir Le Procureur c. Aleksovski (1999), op. cit., §48.714 Ibid., §56.715 Ibid.716 Ibid.717 Ibid., §57.

179

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

Comme c’est le cas pour tout crime, les constatations de fait ne constituent pas un élément suffisant  ; les Tribunaux pénaux internationaux doivent, de surcroît, déterminer si l’accusé a agi avec l’intention ou autre dol requis. À cet égard, la Chambre de première instance du TPIY s’est référée au Commen-taire du CICR sur les Conventions de Genève, en estimant que « l’accusé doit avoir commis l’acte incriminé dans l’intention d’humilier ou de ridiculiser la victime [...]  ; l’auteur doit avoir agi délibérément ou avoir délibérément omis d’agir. Toutefois, le comportement délibéré en soi ne suffit pas. Il n’est pas néces-saire que l’auteur ait eu l’intention expresse d’humilier la victime ou de lui faire subir des traitements dégradants, il faut qu’il ait été conscient des conséquences prévisibles et logiques de ses actes ».718

5.1.4.4 Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé L’article 2 du Statut du TPIY, qui traite des infractions graves aux Conventions de Genève, prévoit notamment que :

« Le Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui com-mettent ou donnent l’ordre de commettre des infractions graves aux Conven-tions de Genève du 12 août 1949, à savoir les actes suivants dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la Convention de Genève pertinente :

(…)

(c) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé ;

(…) »

Cette infraction figure à l’article 2(c) du Statut du TPIY parmi les infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, mais elle n’est pas explicitement mentionnée dans le Statut du TPIR. Tout comme l’infraction de traitement inhumain, son champ d’application est plus étroit que celui de la torture car, pour que cet acte relève de la compétence du Tribunal, il doit être commis à l’encontre de personnes protégées par les Conventions de Genève.

Le TPIY a défini le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé comme « un acte ou une omission intentionnel, c’est-à-dire un acte qui, jugé objective-ment, apparaît délibéré et non accidentel, et qui cause de grandes souffrances

718 Ibid., §56.

180

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

physiques et morales ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé. Entrent dans cette catégorie les actes qui ne remplissent pas les conditions posées quant au but pour être qualifiés de torture, alors même que tous les actes de torture répondent à la définition donnée  ».719 Par conséquent, si le crime de torture comprend un élément relatif au but recherché (voir partie 5.1.1 supra), l’infraction relative au fait de causer intentionnellement de grandes souffran-ces peut, par contre, être commise « pour d’autres raisons, par exemple, à titre de peine, de vengeance, ou par pur sadisme ».720

Cette définition est similaire à celle relative au traitement inhumain (voir partie 5.1.4.1 supra). En fait, la Chambre de première instance III du TPIY a déclaré dans l’affaire Le Procureur c. Kordić et Čerkez que ce crime « fait partie des infractions groupées sous l’intitulé général de traitements inhumains ».721 La distinction entre d’une part, le crime relatif au fait de causer intentionnel-lement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé et, d’autre part, le crime de traitements inhumains, est minime, et de nombreux actes sont susceptibles de relever des deux définitions à la fois. Cependant, la première de ces infractions « se distingue des traitements inhumains en ce qu’elle exige la preuve de la gravité des atteintes physiques ou morales. Aussi les actes dont les conséquences affectent uniquement la dignité de la personne humaine n’entrent-ils pas dans cette catégorie ».722 Par conséquent, cette infraction se situe entre la torture et les traitements inhumains sur une échelle de gravité du préjudice occasionné : « Tout acte ou omission assimilé à des tortures ou au fait de causer intentionnellement de graves souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé constitue égale-ment un traitement inhumain. Cependant, cette troisième catégorie que con-stituent les traitements inhumains ne comprend pas uniquement les actes déjà incorporés dans les deux précédentes ; elle englobe également les actes qui violent le principe fondamental du traitement humain et attentent en particulier à la dignité humaine ».723

Dans l’affaire Le Procureur c. Krstić, la Chambre de première instance du TPIY a examiné le degré de gravité des souffrances ou des atteintes requis afin que ces actes puissent réunir les critères de cette infraction. Elle a con-clu que «  l’atteinte grave n’est pas nécessairement permanente et irréversible,

719 Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §511.720 Le Procureur c. Naletilić et Martinović (2003), op. cit., §340.721 Le Procureur c. Kordić et Čerkez (2001), op. cit., §243.722 Ibid., §245.723 Le Procureur c. Delalić et Consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §442.

181

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

mais qu’elle implique une souffrance allant au-delà du chagrin, de la gêne ou de l’humiliation passagère. Elle doit hypothéquer gravement et durablement la capacité de la victime à mener une vie normale et fructueuse ».724 Le Tribunal va déterminer la gravité des souffrances au cas par cas, prenant en compte les circonstances de l’espèce.725

5.1.4.5 Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnesL’infraction relative aux atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes figure explicitement dans le Statut du TPIR, mais il est également possible de considérer qu’elle fait partie du Statut du TPIY, bien que cette question demeure controversée.

– TPIYDans l’affaire Le Procureur c. Blaškić, la Chambre de première instance I du TPIY a rappelé que « cette infraction figure à l’article 3(1)(a) commun aux Con-ventions de Genève »,726 et a, en outre, estimé qu’ «  il s’agit d’une infraction large qui (…) englobe le meurtre, la mutilation, les traitements cruels et la tor-ture et qui, partant, se définit par l’accumulation des éléments de ces infrac-tions particulières. Cette infraction est à rapprocher de celles des articles 2(a) (homicide intentionnel), 2(b) (traitements inhumains) et 2(c) (fait de porter des atteintes graves à l’intégrité physique) du Statut ».727 La Chambre a déclaré qu’il faut, de surcroit, établir que l’accusé a agi volontairement ou par imprudence délibérée.728 Dans une affaire ultérieure, la Chambre de première instance III a confirmé l’arrêt prononcé dans l’affaire Le Procureur c. Blaškić, et elle a conclu que « lorsque l’acte n’a pas entraîné la mort de la victime, il serait préférable de le qualifier de ‘ fait de causer intentionnellement de grandes souffrances’ ou de ‘traitements inhumains’ en vertu de l’article 2 du Statut ».729 Il apparaît donc qu’il y ait de nombreux chevauchements entre l’infraction d’atteinte à la vie et d’autres infractions qui figurent explicitement dans le Statut du TPIY.

724 Le Procureur c. Krstić, Affaire N°IT-98-33-T, TPIY, Chambre de première instance I, Jugement du 2 août 2001, §513. Dans cette affaire, la Chambre traitait de la question connexe relative au fait de causer de graves atteintes à l’intégrité physique ou mentale des membres d’un groupe, en tant qu’acte susceptible, si le critère de l’intention est rempli, de constituer un génocide. Voir partie 5.1.5.

725 Le Procureur c. Naletilić et Martinović (2003), op. cit., §343, le Procureur c. Krstić (2001), op. cit., §513.

726 Le Procureur c. Blaškić (2000), op. cit., §182.727 Ibid.728 Ibid.729 Le Procureur c. Kordić et Čerkez (2001), op. cit., §260.

182

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Pourtant, un arrêt plus récent de la Chambre de première instance II du TPIY semble contredire ces conclusions. Dans l’affaire Le Procureur c. Vasilijević, la Chambre a refusé de reconnaître l’existence d’une infraction d’atteinte à la vie qui pourrait relever de la compétence du Tribunal en déclarant qu’« en l’absence dans la pratique des États d’indications précises sur ce que peut être en droit coutumier la définition des ‘atteintes portées à la vie et à l’intégrité corpo-relle’ (…) la Chambre de première instance n’est pas convaincue qu’il existe dans ce corps de règles un tel crime qui engagerait la responsabilité pénale individu-elle de son auteur ».730 Cette conclusion est surprenante, non seulement par ce qu’elle contredit la jurisprudence précédente, mais aussi parce que l’infraction d’atteinte portée à la vie et à l’intégrité personnelle figure parmi les infractions énumérées dans l’article 3 commun aux Conventions de Genève comme étant l’un des actes prohibés, en tout temps et en tout lieu, dans le cadre de conflits armés non-internationaux. Dans l’affaire Le Procureur c. Tadić, la Chambre d’appel du TPIY a déclaré sans équivoque que « le droit international coutu-mier impos[ait] une responsabilité pénale pour les violations graves de l’article 3 commun ».731 Il reste à voir quelle position adoptera la Chambre d’appel à pro-pos de l’infraction d’ « atteinte portée à la vie et à l’intégrité personnelle ».

– TPIRL’article 4(a) du Statut du TPIR mentionne parmi les violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du deuxième Protocole additionnel :

« Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ».

Ainsi, aux termes du Statut du TPIR, l’infraction de torture en tant que crime de guerre peut être considérée comme faisant partie d’une infraction plus large d’atteinte portée à la vie.732 La Chambre de première instance s’est abstenue d’examiner si cette infraction devait être considérée comme une norme de droit international coutumier engageant une responsabilité pénale, en affir-mant qu’«  une telle analyse lui semble superflue dans la mesure où (…) [l]e

730 Le Procureur c. Vasilijević, Affaire N°IT-98-32-T, TPIY, Chambre de première instance  II, Jugement du 29 novembre 2002, §203. Pour qu’une infraction puisse être considérée comme faisant partie du droit international coutumier, les États doivent, par leur pratique, indiquer qu’ils s’estiment liés par cette norme.

731 Le Procureur c.Tadić (1995), op. cit., §134.732 Le Procureur c. Ntakirutimana, Affaire N°ICTR-96-10 et ICTR-96-17-T, TPIR, Chambre de

première instance I, Jugement du 21 janvier 2003, §859.

183

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

Rwanda est devenu partie aux Conventions de 1949 le 5 mai 1964 et au Protocole II le 19 novembre 1984 ».733

5.1.4.6 Autres actes inhumainsLes Statuts du TPIY et du TPIR prévoient que d’« autres actes inhumains » peuvent constituer des crimes contre l’humanité. Cette catégorie englobe un certain nombre d’actes criminels différents qui ne sont pas explicitement énu-mérés et elle sert, en d’autres termes, de « filet de sécurité » permettant de poursuivre et de sanctionner les auteurs d’actes qui ne sont pas expressément mentionnés dans les Statuts. Cependant, la notion d’« autres actes inhumains » est assez large et imprécise, ce qui rend difficile une évaluation de son contenu.

– TPIRL’article 3(i) du Statut du TPIR qualifie les « autres actes inhumains » de crimes contre l’humanité relevant de la compétence du Tribunal, lorsque ces actes sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse. Dans l’affaire Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, la Chambre a souligné que « depuis l’adoption du Statut du Tribunal de Nuremberg, la catégorie de crimes baptisée ‘autres actes inhumains’ est considérée comme un instrument particulièrement pertinent au regard de la répression des crimes contre l’humanité non désignés de manière précise comme tels mais d’une gravité comparable à celle des crimes énumérés (…). Il est toujours dangereux, dans ce domaine surtout, de vouloir trop préciser. Quelque soin que l’on prît à énumérer toutes les sortes d’exactions, on serait toujours en retard sur l’imagination des tortionnaires éventuels qui voudraient, en dépit de toutes les interdictions, assouvir leur bestialité. Plus une énuméra-tion veut être précise et complexe, plus elle prend un caractère limitatif. La for-mule adoptée est à la fois souple et précise ».734 Ainsi, la notion d’« autres actes inhumains » n’est pas « une catégorie d’infractions ‘ fourre-tout’ »735 destinée à inclure les infractions de moindre gravité, mais une catégorie qui comprend des infractions d’une gravité équivalente à celles explicitement énumérées dans le Statut (assassinat, extermination, réduction en esclavage, expulsion, emprisonnement, torture, viol, persécution pour des raisons politiques, racia-les et religieuses).

733 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana (1999), op. cit., §156.734 Ibid., §149.735 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana (1999), op. cit., §583.

184

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Dans l’affaire Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, la Chambre de pre-mière instance du TPIY a ainsi estimé que les actes inhumains sont « d[es] actes ou d[es] omissions qui causent délibérément des souffrances mentales ou physiques ou qui portent une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de la victime ou qui constituent une atteinte grave à la dignité humaine ».736 Dans l’affaire Le Procureur c. Bagilishema, la même Chambre a fourni un exemple concret de cette catégorie d’actes, en constatant que « le fait d’emprisonner un grand nombre de personnes dans un espace exposé aux intempéries, sans eau, ni nourriture ou installations sanitaires constitue un acte inhumain dès lors que l’acte ainsi commis est délibéré et qu’il entraîne pour les victimes des souf-frances mentales ou physiques graves ou une atteinte grave à la dignité de la personne ».737 Il apparaît, par conséquent, que cette infraction est similaire au concept de traitement inhumain, qui n’est pas explicitement mentionné dans le Statut du TPIR.

– TPIYL’article 5 du Statut du TPIY, qui énumère les crimes contre l’humanité, prévoit que le TPIY est habilité à juger « d’autres actes inhumains », lorsque ceux-ci ont été commis au cours d’un conflit armé et sont dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit.

Tout comme le TPIR, le TPIY a constaté que cette catégorie d’infractions com-prend des actes qui ne relèvent d’aucun alinéa de l’article 5 du Statut du TPIY mais présentent une gravité similaire aux crimes énumérés.738 Cette absence de précision semble enfreindre le principe fondamental selon lequel nul ne peut être puni pour un acte qui n’était pas clairement défini comme infrac-tion pénale à l’époque où cet acte a été commis.739 La Chambre de première instance II du TPIY a examiné cette question dans l’affaire Le Procureur c. Kupreškić et consorts, et a déclaré que : « On a pu exprimer la crainte que cette catégorie manque de précision, qu’elle soit trop générale pour constituer un outil fiable pour le Tribunal et qu’elle contrevienne ainsi au principe de ‘spécificité’ du droit pénal. Il est donc impératif d’en préciser la teneur. L’expression ‘autres actes inhumains’ était délibérément destinée à former une catégorie supplétive. On

736 Ibid., §151.737 Le Procureur c. Bagilishema, Affaire N°ICTR-95-1A, TPIR, Chambre de première instance I,

Jugement du 7 juin 2001, §490.738 Le Procureur c. Naletilić et Martinović (2003), op. cit., §247.739 On se réfère à ce principe en utilisant l’expression latine nullum crimen sine lege certa. Voir Le

Procureur c. Stakić, Affaire n° IT-97-24, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 31 juillet 2003, §719.

185

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

a en effet estimé qu’il n’était pas souhaitable d’en énumérer les composants de manière exhaustive, puisque cela aurait pour unique effet de créer la possibilité de violer la lettre des prohibitions ».740

Par conséquent, la Chambre de première instance du TPIY a cherché à identi-fier les comportements qui constitueraient ces « autres actes inhumains » en se référant aux instruments internationaux des droits de l’homme, notamment à l’UNCAT. Ainsi, la Chambre a estimé que « des formes graves de traitements cruels ou dégradants de personnes appartenant à un groupe ethnique, religieux, politique ou racial particulier ou des manifestations généralisées ou systéma-tiques de traitements cruels, humiliants ou dégradants avec une intention de discrimination ou de persécution » constituent « indubitablement » des crimes contre l’humanité.741 Dans sa jurisprudence, le TPIY a affirmé que ce crime englobait le transfert forcé de groupes de civils,742 la prostitution forcée,743 les disparitions forcées,744 «  les atteintes graves à l’intégrité physique et men-tale »,745 « les ‘mutilations et autres types de sévices graves’, les ‘voies de fait et actes de violence’ ».746 Pour être qualifiés de crimes contre l’humanité, « ces actes et d’autres actes similaires doivent être exécutés de manière systématique et à grande échelle. Autrement dit, ils doivent être aussi graves que les crimes visés aux autres alinéas de l’article 5 ».747

Pour qu’un acte puisse relever de cette catégorie, « l’auteur, au moment de l’acte ou de l’omission, [devait avoir] l’intention d’infliger de grandes souffrances phy-siques ou mentales, ou d’attenter gravement à la dignité humaine de la victime, ou [savoir] que son acte ou son omission était susceptible de causer pareilles souffrances ou d’attenter gravement à la dignité humaine, et qu’il ne s’en est pas soucié ».748

740 Le Procureur c. Kupreškić et Consorts, Affaire N°IT-95-16-T, TPIY, Chambre de première ins-tance II, Jugement du 14 janvier 2000, §563.

741 Ibid., §566.742 Ibid.743 Ibid.744 Ibid.745 Le Procureur c. Blaškić et consorts (2000), op. cit., §239.746 Le Procureur c. Kordić et Čerkez (2001), op. cit., §270.747 Le Procureur c. Kupreškić et consorts (2000), op. cit., §566. Voir aussi Le Procureur c. Blaškić

(2000), op. cit., §239.748 Le Procureur c. Vasilijević (2002), op. cit. §236. Cette définition a, par la suite, été confirmée par

les Chambres de première instance dans l’affaire Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §76  ; Le Procureur c. Galić, Affaire N°IT-98-29-T, TPIY, Chambre de première ins-tance I, Jugement du 5 décembre 2003, §154 ; Le Procureur c. Dragomir Milošević, Affaire N°IT-98-29/1, TPIY, Chambre de première instance III, Jugement du 12 décembre 2007, §935.

186

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

Il est d’autant plus difficile de définir cette catégorie que l’infraction en ques-tion souvent se fond et se confond avec d’autres crimes énumérés dans le Statut. En ce qui concerne le rapport entre les actes inhumains comme crimes contre l’humanité selon l’article 5(i) et le traitement cruel comme crime de guerre selon l’article 3, la Chambre de première instance II a déclaré que « ces deux crimes [sont clairement présentés comme des] alternatives l’un de l’autre et doi-vent être considérés comme tels. Hormis la condition de pratique généralisée ou systématique exigée pour les crimes contre l’humanité, aucun de ces crimes ne requiert la preuve d’éléments non requis par l’autre. En d’autres termes, il est évident que chaque fois qu’est constitué un acte inhumain visé par l’article  5 i) du Statut, est ipso facto également constitué un traitement cruel visé par l’article 3. La réciproque n’est cependant pas vraie : un traitement cruel relevant de l’article 3 n’est pas couvert par l’article 5 i) en l’absence de la condition de pratique généralisée ou systématique. Ainsi, si les preuves établissent la commis-sion des actes en question, une condamnation ne peut être prononcée que pour l’une des deux infractions : l’accusé sera reconnu coupable d’actes inhumains si les conditions relatives au contexte des crimes contre l’humanité sont réunies ; à défaut, il sera reconnu coupable de traitements cruels en tant que crimes de guerre ».749 Le traitement cruel correspond lui-même au traitement inhumain visé par l’article 2, qui énumère les infractions graves aux Conventions de Genève.750 Dans l’affaire Le Procureur c. Krnojelac et Autres, la Chambre de première instance a conclu qu’« il ressort de la jurisprudence du Tribunal qu’il faut fondamentalement établir pour les traitements cruels l’existence des mêmes éléments constitutifs que pour les traitements et actes inhumains ».751

5.1.4.7 RésuméLa jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux indique que ceux-ci considèrent que les infractions commises à l’encontre des détenus se situent sur une échelle de gravité, chaque infraction constituant une forme aggravée de la précédente. « La torture » est l’infraction la plus grave, et elle implique un élément relatif au but recherché. Puis, par ordre de gravité suit l’infraction rel-ative au « fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé ». Des actes causant des

749 Le Procureur c. Kupreškić et consorts (2000), op. cit., §711. Voir aussi Le Procureur c. Jelisić, Affaire N°IT-95-10-T, TPIY, Chambre de première instance, Jugement du 14 décembre 1999, §52.

750 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §551.751 Le Procureur c. Krnojelac et consorts, op. cit., §130, Le Procureur c. Vasilijević (2002), op. cit.

§234, Le Procureur c. Galić (2003), op. cit., §152, Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana (1999), op. cit., §151, 153.

187

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

souffrances moins aigües, ou qui portent atteinte à la dignité de la personne, relèvent des catégories relatives au « traitement inhumain », au « traitement cruel » ou à d’« autres actes inhumains » en fonction respectivement des cir-constances de l’espèce. Enfin, un traitement qui n’atteint pas le seuil de gravité suffisant pour constituer un traitement inhumain peut être qualifié de traite-ment humiliant ou dégradant relevant de l’infraction d’atteinte à la dignité de la personne. Si le Tribunal conclut à l’existence de l’infraction d’atteinte à la vie, cette catégorie englobe plusieurs de ces infractions, mais son utilisation est généralement limitée aux cas ayant entraîné un décès.

5.1.5 Tortures et autres mauvais traitements relevant du crime de génocideLes infractions de mauvais traitements peuvent, dans certaines circonstances, être des éléments constitutifs du crime de génocide. Les deux Statuts du TPIY et du TPIR contiennent des dispositions identiques, basées sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. L’article 2(2) du Statut du TPIR et l’article 4(2) du Statut du TPIY stipulent, ainsi, que :

« Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

(...)

(b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

(...) »

Ainsi, pour être qualifiés d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale aux termes de cet article, les actes prohibés doivent cibler des personnes en fonc-tion de leurs origines nationale, ethnique, ou raciale ou de leur appartenance religieuse dans l’intention de détruire le groupe en question.

– TPIRDans l’affaire Le Procureur c. Akayesu, la Chambre de première instance I du TPIR a précisé qu’elle entendait « par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, sans s’y limiter, les actes de torture, que cette dernière soit physique ou mentale, les traitements inhumains ou dégradants, le viol, les violences sexuelles, la persécution ».752 Il n’est pas nécessaire que ces atteintes soient de

752 Le Procureur c. Akayesu (1998), op. cit., §504. Voir aussi Le Procureur c. Gacumbtsi, Affaire N°ICTR-2001-64-T, TPIR, Chambre de première instance III, Jugement du 17 juin 2004, §291.

188

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

nature permanente ou irréversible.753 Dans l’affaire Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, la même Chambre a élargi sa définition antérieure, en utilisant le terme d’ « atteinte grave à l’intégrité physique » pour désigner « un acte qui porte gravement atteinte à la santé de la victime ou qui a pour effet de la défig-urer ou de provoquer des altérations graves de ses organes externes, internes ou sensoriels ».754 Le TPIR n’a pas encore donné de définition précise de l’« atteinte grave à l’intégrité mentale » mais il a souligné que, à l’instar de l’« atteinte grave à l’intégrité physique », le fait de déterminer si un tel acte a réellement été com-mis doit être établi au cas par cas.755

– TPIYDans l’affaire Le Procureur c. Krstić, une Chambre de première instance du TPIY a estimé que « [s]’agissant de l’atteinte grave à l’intégrité physique ou men-tale visée à l’article 4 du Statut, on peut s’inspirer utilement de l’interprétation qu’a donnée le Tribunal du fait de causer intentionnellement de grandes souf-frances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé ».756 Se fondant sur la jurisprudence du TPIY et du TPIR, la Chambre a défini de manière détaillée l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale comme « un acte ou une omission intentionnel causant de grandes souffrances phy-siques ou mentales. La gravité des souffrances doit s’apprécier au cas par cas, eu égard aux circonstances de l’espèce. S’inscrivant dans le droit fil du Jugement Akayesu, la Chambre de première instance déclare que l’atteinte grave n’est pas nécessairement permanente et irréversible, mais qu’elle implique une souf-france allant au-delà du chagrin, de la gêne ou de l’humiliation passagère. Elle doit hypothéquer gravement et durablement la capacité de la victime à mener une vie normale et fructueuse. En plein accord avec les précédents évoqués plus haut, la Chambre considère que les traitements inhumains, la torture, le viol, les violences sexuelles et l’expulsion constituent autant d’actes suscep-tibles de causer des atteintes physiques ou mentales graves ».757

753 Ibid., §502.754 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana (1999), op. cit., §109.755 Ibid., §113.756 Le Procureur c. Krstić, (2001), op. cit., §511. Voir partie 5.1.4.4, supra.757 Ibid., §153. En ce qui concerne l’évaluation au cas par cas, voir aussi Le Procureur c. Blaškić

(2000), op. cit., §243. Pour la portée de ce crime, voir aussi Le Procureur c. Karadžić et Mladić, Review of the Indictments pursuant to Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, Affaires N°s IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, TPIY, du 11 juillet 1996, §93.

189

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

5.2 Champ d’applicationDans leurs arrêts, les deux Tribunaux ont appliqué et élaboré un ensemble de normes de droit international dont la cohérence ne cesse de croître. Ils ont défini les catégories d’actes susceptibles d’être constitutifs de torture, et ont souligné la nature absolue de la prohibition de la torture.

5.2.1 La nature absolue de la prohibition de la torture et autres mauvais traitementsLa nature absolue de la prohibition de la torture selon les Statuts des Tribunaux pénaux internationaux découle de son caractère de norme de droit interna-tional coutumier. La prohibition de la torture, au même titre que l’interdiction de l’esclavage et du génocide, figure parmi les prohibitions les plus strictes du droit international coutumier. Elles sont désignées sous le nom de normes impératives ou jus cogens. Le TPIY a souligné ceci dans de nombreux arrêts.758 Ainsi, la Chambre de première instance a déclaré, dans l’affaire Le Procureur c. Furundžija, que :

« En raison de l’importance des valeurs qu’il protège, [le principe de l’interdic-tion de la torture] est devenu une norme impérative ou jus cogens, c’est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier ‘ordi-naire’. La conséquence la plus manifeste en est que les États ne peuvent déro-ger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative. (…) La valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture rend compte de l’idée que celle-ci est désormais l’une des normes les plus fon-damentales de la communauté internationale. En outre, cette interdiction doit avoir un effet de dissuasion en ce sens qu’elle rappelle à tous les membres de la communauté internationale et aux individus sur lesquels ils ont auto-rité qu’il s’agit là d’une valeur absolue que nul ne peut transgresser ».759

Le caractère impératif et erga omnes de ce principe aboutit également à établir la compétence universelle en matière de poursuites des auteurs d’actes de tor-ture.760

758 Voir, par exemple, Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići) (1998), op. cit., §454 ; Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković (2001), op. cit., §466 ; Le Procureur c. Simic, op. cit., §34.

759 Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §§153–154.760 Ibid., §§153–157.

190

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

5.2.2 Les sanctions légitimesEn se basant sur la définition de la torture figurant dans l’article premier de l’UNCAT, le TPIR a, dans l’affaire Le Procureur c. Musema, explicitement exclu de sa définition de torture « la douleur ou (…) [autres] souffrances résul-tant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».761 Le TPIY a aussi fréquemment cité cet élément de la définition, bien qu’aucun de ces deux Tribunaux ne l’ait explicitement appliquée. La définition contenue dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale cite égale-ment cette exception.762

5.2.2.1 La peine de mortLa peine de mort, en tant que telle, ne peut être prononcée que par des tribu-naux compétents dans les seuls États qui ne l’ont pas encore abolie. Par con-tre, les deux Tribunaux ont considéré que les cas de personnes tuées sur ordre ou à l’instigation d’autres organes ou individus dans le cadre des conflits du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie relevaient des infractions relatives au génocide, à l’extermination, à l’assassinat ou à l’homicide intentionnel.763 Aucune excep-tion relative à l’imposition de la peine de mort, à son mode d’exécution, ou aux conditions de détention dans le couloir de la mort n’est donc pertinente dans le cadre de l’action de ces Tribunaux. Cependant, il est important de souligner que ni le TPIR ni le TPIY ne sont habilités à prononcer des condamnations à la peine de mort.

5.2.2.2 Châtiments corporels– Le TPIRL’article 4 du Statut du TPIR donne compétence à ce Tribunal de poursuivre les personnes ayant commis ou ordonné des violations graves à l’article 3 com-mun aux Conventions de Genève, y compris, comme le précise l’article 4(a) de ce Statut, « toutes formes de peines corporelles ». La menace de recourir au châ-timent corporel, ou à toute autre infraction prohibée par l’article 4, constitue également une infraction aux termes de ce Statut.764

761 Le Procureur c. Musema (2000), op. cit., §285.762 Voir l’article 7(2)(e) du Statut de Rome.763 Voir, par exemple, Le Procureur c. Milošević, Affaire N°IT-02-54-T, TPIY, Acte d’accusation du

22 novembre 2002 ; Le Procureur c. Bagilishema, Affaire N°ICTR-95-1A, TPIR, Acte d’accusa-tion du 17 septembre 1999.

764 Voir l’article 4(h) du Statut du TPIR.

191

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

– Le TPIYLes châtiments corporels ne sont pas explicitement mentionnés dans le Statut du TPIY, bien qu’ils soient prohibés aux termes de son article 2 en tant que traitement inhumain constituant une infraction grave aux Conventions de Genève,765 et aux termes de son article 3 en tant que violation des lois ou cou-tumes de la guerre. Dans ce dernier cas, ces actes sont généralement considérés comme relevant du chef d’inculpation de traitement cruel.766 Les traitements cruels et inhumains sont examinés en détail dans les parties 5.1.4.1 et 5.1.4.2 supra.

5.2.3 Conditions de détentionLa détention illégale d’un civil constitue une infraction grave aux Conven-tions de Genève, reconnue comme telle par l’article 2(g) du Statut du TPIY. De même, l’article 4(g) du Statut du TPIR précise que le fait de prononcer des condamnations sans respecter les procédures prévues par la loi constitue une infraction grave aux Conventions de Genève. Alors qu’un grand nombre de détentions survenues dans le contexte des conflits du Rwanda ou de l’ex-You-goslavie avaient, en soi, un caractère illégal, les Tribunaux pénaux internation-aux, à l’instar d’autres mécanismes internationaux et régionaux, ont en outre estimé que les conditions de détention pouvaient constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, ou être constitutives d’une des autres infrac-tions relevant de leur compétence.

– TPIYDans l’affaire Le Procureur c. Delalić et consorts, la Chambre de première instance II du TPIY a appliqué aux conditions de détention dans le camp de Čelebići les critères juridiques applicables à l’infraction de traitements cruels et à celle relative au fait de causer intentionnellement de grandes souffran-ces ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé.767 Le Tribunal a finalement conclu qu’il était plus approprié de considérer que ces conditions de détention relevaient de l’infraction de traitements inhumains.768 Dans l’affaire Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić, la Chambre de première instance a énuméré des exemples de cas de conditions de détention qui pour-

765 Voir, par exemple, Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §§526–528.

766 Dans ce contexte, le châtiment corporel constituerait un traitement cruel. Voir, par exemple, Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), Ibid., §548.

767 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), Ibid., §556.768 Ibid., §558.

192

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

raient être constitutifs de traitements inhumains ou qui pourraient relever de l’infraction de traitement cruel et inhumain en tant qu’acte de persécution, si le critère de l’élément mental était rempli. Ces actes comprennent « le harcèle-ment, les humiliations, la création d’un climat de peur par la torture et d’autres formes de violences physiques et psychologiques, le manque de nourriture et d’eau, le surpeuplement, les conditions de détention malsaines et l’accès insuf-fisant aux soins médicaux ».769 Ainsi, les conditions inhumaines ne se limit-ent pas aux seules conditions matérielles de la détention, mais peuvent inclure des violences psychologiques. Le TPIY a estimé, à cet égard, que des facteurs tels qu’une atmosphère de terreur ou de crainte, des menaces à la vie, ou bien un état d’intimidation permanente constituaient un traitement inhumain. Lorsque les souffrances infligées atteignent le seuil de gravité requis et lorsque le critère relatif au but recherché est rempli, les conditions de détention peuvent constituer un acte de torture.770

– Le TPIRÉtant donné le contexte du conflit au Rwanda, le TPIR a, jusqu’à présent, con-sidéré la détention de groupes de civils avant tout comme une composante d’autres crimes, notamment de génocide, lorsque des civils ont été délibéré-ment regroupés avant d’être massacrés. Cependant, le TPIR partage l’avis des autres organes internationaux selon lequel les conditions de détention peuvent, en soi, être assimilées à des traitements inhumains ou relever de l’infraction relative aux autres actes inhumains. Dans l’affaire Le Procureur c. Bagilishema, par exemple, la Chambre de première instance I a déclaré que « le fait d’emprisonner un grand nombre de personnes dans un espace exposé aux intempéries, sans eau, ni nourriture ou installations sanitaires constitue un acte inhumain dès lors que l’acte ainsi commis est délibéré et qu’il entraîne pour les victimes des souffrances mentales ou physiques graves ou une atteinte grave à la dignité de la personne ».771

5.2.4 Isolement cellulaireLa question de l’isolement cellulaire est surtout pertinente en ce qui touche aux circonstances du conflit dans l’ex-Yougoslavie, et n’a par conséquent été examinée en détail que par le TPIY. Celui-ci a suivi le même raisonnement

769 Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić (2003), op. cit., §97. Voir aussi : Le Procureur c. Limaj et consorts (2005), op. cit. §652 ; Le Procureur c. Blagojević et Jokić, Affaire N°IT-02-60-T, TPIY, Chambre de première instance, Jugement du 17 janvier 2005, §609.

770 Voir, par exemple, Le Procureur c. Krnojelac, (2002), op. cit., §183.771 Le Procureur c. Bagilishema (2001), op. cit., §490.

193

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

que celui adopté par les autres organes internationaux et régionaux. Le TPIY a, ainsi, estimé, dans l’affaire Le Procureur c. Krnojelac, que « le cachot ne con-stitue pas, en soi, une forme de torture. Cependant, compte tenu de la sévérité de la sanction, de sa durée et de l’objectif poursuivi, le cachot peut causer les mêmes souffrances physiques ou mentales aiguës que celles constitutives de l’infraction de torture. Dans la mesure où l’on peut montrer qu’il a été infligé dans l’un des buts défendus de la torture et qu’il a causé une douleur ou des souffrances aiguës, le cachot est assimilable à un acte de torture ».772

5.2.5 Détention au secret et disparitions forcéesDans son examen des types d’actes pouvant être constitutifs de torture, le TPIY s’est référé à la décision du Comité des droits de l’homme aux termes de laquelle la détention au secret pouvait contribuer à conclure à l’existence d’un cas de torture.773 En outre, la disparition forcée d’individus a été reconnue par les deux Tribunaux, ainsi que par le Statut de la CPI, comme constituant un crime contre l’humanité lorsqu’il s’accompagne de l’élément mental perti-nent.774

5.2.6 Les proches de victimes de violations des droits de l’hommeIl est bien établi que les témoins d’actes de torture ou de mauvais traitements peuvent, eux-mêmes, être victimes de mauvais traitements ou, dans les cas graves, de torture. Les deux Tribunaux ont pris en compte les répercussions d’un tel traumatisme sur les témoins. À l’instar des organes internationaux qui évaluent la responsabilité des États en matière de torture, les deux Tribunaux examinent également les effets de la torture et des mauvais traitements sur les proches des victimes directes. En effet, l’un des objectifs de ces Tribunaux est de rendre justice à la fois aux victimes et à leurs proches.775

772 Le Procureur c. Krnojelac, (2002), op. cit.,§183.773 Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), (1998), op. cit., §461. L’affaire citée était

celle de Luciano Weinberger Weisz c. Uruguay, CCPR, Communication N°28/1978, Doc. ONU CCPR/C/OP/1 à 57 (1984). Dans cette affaire, la victime avait été détenue au secret, ligotée, les yeux bandés, pendant trois mois.

774 Voir, par exemple, Le Procureur c. Musema (2000), op. cit., §200 ; Le Procureur c. Kupreškić et consorts (2000), op. cit., §566.

775 Voir, par exemple, Le Procureur c. Nikolić Affaire N°IT-94-2-S, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 18 décembre 2003, §120.

194

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

– Le TPIYDans l’affaire Le Procureur c. Blagojević et Jokić, une Chambre de première instance du TPIY a estimé qu’«  au moment de la séparation, le sentiment d’impuissance totale et de peur extrême pour la sécurité de sa famille, de ses amis (…) est une expérience traumatisante qui laisse des séquelles durables, voire per-manentes ».776 Dans cette affaire, la peur avait un caractère suffisamment grave pour constituer une atteinte grave à l’intégrité mentale. Le TPIY a également considéré le traumatisme permanent enduré par les proches de victimes de disparitions forcées, qui sont privés d’informations établissant avec certitude si leurs parents sont décédés ou indiquant dans quelles circonstances ils sont morts, comme atteignant le seuil requis pour constituer une atteinte grave à l’intégrité mentale.777

Outre la reconnaissance des proches comme victimes à part entière, la Cham-bre d’appel du TPIY a estimé que « les effets du crime sur la famille de la victime peuvent également être pris en compte pour décider de la culpabilité de l’auteur du crime et de la peine applicable ».778 Par ailleurs, de telles considérations ne s’appliquent pas qu’aux seuls proches directs : « La Chambre d’appel considère que, même lorsque le lien de parenté n’a pas été établi, une chambre de première instance aurait raison de supposer que l’accusé savait que sa victime ne vivait pas coupée de tout, mais qu’elle était liée à des individus ».779

– Le TPIREn raison du nombre beaucoup plus restreint d’affaires qu’il a jugées, le TPIR n’a pas encore eu à traiter directement de la question des proches de victimes directes en tant que victimes à part entière de torture ou de mauvais traite-ments. Cependant, étant donné le niveau élevé de références réciproques entre les deux Tribunaux pénaux internationaux, il semble probable que le TPIR suivra, à cet égard, la jurisprudence du TPIY.

5.3 La Cour pénale internationaleLe Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI) est similaire aux Statuts du TPIY et du TPIR. Il est donc probable que la CPI s’inspirera de la jurisprudence de ces Tribunaux ad hoc. Par conséquent, toute

776 Le Procureur c. Blagojević et Jokić, (2005), op. cit., §647.777 Ibid., §653.778 Le Procureur c. Blaškić, Affaire N°IT-95-14, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 29 juillet 2004,

§683.779 Le Procureur c. Krnojelac, Affaire N°IT-97-25, TPIY, Chambre d’appel, 17 septembre 2003,

§260.

195

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

analyse de la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux ne saurait être complète sans un bref examen du Statut de Rome. Tout comme ceux insti-tuant le TPIY et le TPIR, ce Statut considère la torture à la fois comme un crime contre l’humanité et comme un crime de guerre.

5.3.1 La torture en tant que crime contre l’humanitéL’article 7(1)(f) du Statut de Rome mentionne expressément la torture comme un crime contre l’humanité relevant de la compétence du CPI « lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque  ». L’article 7(2)(e) définit le crime de torture comme :

« le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle  ; l’acception de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souf-frances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».

Cette définition ne retient ni le critère relatif au but recherché ni le critère relatif aux actes commis à titre officiel contenus dans l’article premier de l’UNCAT. Aux termes du Statut de Rome, ainsi que dans la jurisprudence du TPIY, des individus agissant en dehors d’un cadre légal ou officiel peuvent être tenus responsables d’actes de torture. Le Statut prévoit une exception pour les sanc-tions légitimes, ce qui, comme pour les autres juridictions, apparaît comme une disposition pragmatique visant à souligner le caractère distinctif des trait-ements qui sont une composante inévitable d’un système pénal, notamment en ce qui concerne la souffrance inhérente à toute privation de liberté. En tout état de cause, ces sanctions légitimes ne peuvent pas enfreindre l’esprit de la prohibition absolue de la torture.

La définition de la torture fournie par le Statut de Rome est, à un certain égard, plus restrictive que celles contenues dans les instruments internationaux précédents. Le Statut introduit un nouveau critère, à savoir que la torture doit être infligée par l’accusé « à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle ». Ce critère est susceptible d’empêcher une action en justice contre des individus qui commettent ou facilitent des actes de torture dans un cadre « irrégulier », même si ces personnes peuvent être inculpées de complicité dans la perpétration de ces actes. Cette restriction ignore également la réalité des souffrances subies par les victimes qui, bien que ne pas se trouvant sous la garde ou le contrôle de l’auteur du crime, peuvent endurer d’immenses souf-

196

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

frances lorsqu’elles apprennent que des douleurs physiques ont été infligées à leurs proches.

5.3.2 La torture en tant que crime de guerreL’article 8(2)(a)(ii) énumère « la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques » parmi les infractions graves aux Conventions de Genève. Ces actes sont réprimés par le Statut de la CPI en tant que crimes de guerre. Si cet article est beaucoup moins précis que l’article 7 en matière de portée et de définition du crime de torture, la Commission préparatoire de la CPI a fourni les critères suivants d’une définition de la torture comme crime de guerre :

« 1. L’auteur a infligé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une ou plusieurs personnes.

2. L’auteur a infligé cette douleur ou ces souffrances afin, notamment, d’obte-nir des renseignements ou des aveux, de punir, d’intimider ou de contraindre ; ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination, quelle qu’elle soit.

3. Ladite ou lesdites personnes étaient protégées par une ou plusieurs des Conventions de Genève de 1949.

4. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant ce statut de personne protégée.

5. Le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé international.

6. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé ».780

Ainsi, s’il n’est pas requis qu’un acte ou une omission aient été commis dans un but prohibé pour qu’il puisse être qualifié de crime contre l’humanité, il faut, par contre, démontrer l’existence d’une tel but afin de pouvoir qualifier un acte de torture de crime de guerre. En effet, la Commission préparatoire a estimé que la seule différence entre l’infraction de crime de traitement inhumain et celle de torture résidait dans l’élément relatif au but recherché.781

780 Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, Texte final du projet d’éléments des crimes, Doc. ONU PCNICC/2000/1/Add. 2. 2 novembre 2000, p.21, article 8(2)(a)(ii)-1.

781 Ibid.

197

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATIO

NA

UX

5

Les crimes de guerre relèvent de la compétence de la Cour «  en particulier lorsque ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle ».

Aux termes du Statut de Rome, la CPI peut également poursuivre les auteurs d’actes de torture lorsque ceux-ci sont perpétrés dans le cadre d’un conflit armé à caractère non-international et s’ils sont commis « à l’encontre de per-sonnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause ». En outre, le Statut de Rome donne compétence à la CPI en matière d’un certain nombre d’infractions connexes. Son article 8(2)(c)(i) interdit « les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutila-tions, les traitements cruels et la torture », tandis que l’article 8(2)(c)(ii) interdit « les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants ». Cependant, l’article 8(2)(d) prévoit expressément que de tels actes ne seront pas poursuivis par la CPI s’ils sont perpétrés au cours de « situ-ations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire ».

ConclusionDans les Statuts des Tribunaux pénaux internationaux, la torture est simple-ment mentionnée comme l’un des crimes sur lequel ces Tribunaux ont com-pétence. Aucun de ces deux Statuts ne définit le terme de «  torture », et les Tribunaux se sont donc amplement référés aux définitions élaborées par d’autres instruments et organes. Cependant, malgré ces références, la jurispru-dence de ces deux Tribunaux sur ces questions de définition n’est pas totale-ment cohérente et présente des différences notables non seulement entre les deux Tribunaux, mais également entre les différentes Chambres de première instance d’un même Tribunal. Par exemple, la jurisprudence est loin d’être établie quant à la question de savoir si la liste de buts fournie par l’UNCAT doit être interprétée comme ayant un caractère exhaustif ou simplement illustratif aux termes du droit international coutumier. Si la contribution des Tribunaux pénaux internationaux à la définition des actes de torture ne doit donc pas être surestimée, elle ne doit pas non plus être négligée, car la CPI s’inspirera sans doute de l’expérience de ces Tribunaux.

198

LE

S T

RIB

UN

AU

X IN

TE

RN

ATI

ON

AU

X

5

L’une des principales contributions de la jurisprudence des tribunaux ad hoc a été la reconnaissance que la prohibition de la torture « est devenue une norme impérative ou jus cogens, c’est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier ‘ordinaire’ ».782 Il faut saluer l’affirmation judicaire de l’universalité de cette prohibition comme un grand pas vers une protection effective des droits de l’homme.

782 Le Procureur c. Furundžija (1998), op. cit., §153.

Conclusion

200

CO

NC

LUS

ION

La prohibition de la torture et autres mauvais traitements a été proclamée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme seulement trois ans après la fin de la Deuxième guerre mondiale, ce qui constitue un délai très court pour la gestation d’un document aussi révolutionnaire. Il s’agissait-là d’une réponse directe aux atrocités commises durant ce conflit. Cette interdiction a été adop-tée dans l’espoir que le fait de soumettre à un contrôle international le com-portement des États au niveau interne aboutirait à ce que de telles violations des droits fondamentaux de l’homme ne soient plus jamais perpétrées.

La jurisprudence examinée dans le présent Guide fournit de grandes raisons d’être optimiste. Depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la prohibition de la torture contenue dans cette proclamation a acquis un caractère juridiquement contraignant tant au niveau international que régional et elle a été reconnue comme étant une norme de droit inter-national coutumier. Un nombre croissant d’États ont ratifié des traités inter-disant la torture et ont accepté la compétence de mécanismes de contrôle de l’application de ces traités. De plus, les individus responsables de violations massives des droits de l’homme peuvent être traduits en justice devant des tribunaux internationaux. Cependant, les mécanismes au niveau international et régional d’application de ces normes demeurent relativement faibles ou sont absolument inexistants. Par conséquent, des mesures à caractère non juridique sont nécessaires afin de soutenir et consolider les progrès acquis.

Le nombre croissant de sources juridiques relatives à la prohibition de la torture a eu pour effet d’accroître la volonté des organes internationaux et régionaux de s’inspirer mutuellement de leur jurisprudence. Ces références réciproques ont contribué à la mise en place d’un ensemble de normes de droit interna-tional riche, détaillé, et surtout de plus en plus cohérent. La comparaison entre les diverses parties thématiques du présent Guide démontre que la prohibition universelle de la torture et autres mauvais traitements est finalement en train de conduire à l’existence de standards universels en la matière. Comme cela a été souligné dans l’introduction, le rôle joué par les organes et les experts non judiciaires dans ce processus ne doit pas être sous-estimé. Lorsque des avo-cats, des ONG et des individus appellent les tribunaux, les commissions ou les comités à élargir la définition de la torture ou autres mauvais traitements, ils étayent leurs arguments en se référant aux travaux académiques ainsi qu’aux rapports et aux avis d’experts internationaux respectés tels que les Rappor-teurs spéciaux des Nations Unies ou d’organes régionaux.

201

CO

NC

LUS

ION

Si la tendance générale au sein de chaque système examiné ici a privilégié une protection accrue de l’individu, il faut rester vigilant afin de s’assurer que ces progrès soient consolidés. De même que les tribunaux et les organes interna-tionaux peuvent élargir le champ d’application de cette prohibition en inter-prétant des instruments rédigés en des termes généraux, de même peuvent-ils en réduire la portée. Alors qu’auparavant il était absolument tabou de remettre en cause la prohibition absolue de la torture, cette interdiction est aujourd’hui l’objet d’articles de presse et de débats politiques qui font appel à des arguments créatifs visant à contourner le respect des normes internationales de droits de l’homme établies.783 La prohibition juridique absolue de la torture, tout comme l’interdiction de l’esclavage ou du génocide, demeure solidement ancrée au niveau international. Dans ce contexte, il est essentiel de veiller à ce que tous les aspects de cette prohibition soient pleinement reflétés au niveau interne. Les progrès vers la réalisation des droits de l’homme sont graduels mais les reculs peuvent survenir rapidement.

Bien entendu, les lois ne sont souvent utiles qu’après les faits. Les obliga-tions incombant aux États en matière d’enquête, d’exclusion de tout élément de preuve obtenu sous la torture ou autres mauvais traitements, de répara-tion et d’indemnisation des victimes, ne s’appliquent, par définition, qu’à ce stade. Les lois doivent, par conséquent, être complétées par des mécanismes de prévention effectifs qui protègent les individus les plus vulnérables. C’est en faisant en sorte que des observateurs indépendants puissent faire connaître les conditions dans les lieux de détention, que la police et les autres agents chargés de l’application des lois soient pleinement formés, et que les responsables de mauvais traitements soient tenus de répondre de leurs actes au niveau interne qu’il sera possible d’empêcher à l’avenir le recours à la torture.

783 Pour un examen détaillé et une réponse à ces arguments, voir la publication de l’APT Désa-morcer le scénario de la bombe à retardement : Pourquoi nous devons toujours dire NON à la torture, disponible sur le site internet suivant : www.apt.ch.

Index des affaires

204

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Comité des droits de l’hommeA.R.J. c. Australie, CCPR, Communication N°692/1996, 28 juillet 1997.Alzery c. Suède, CCPR, Communication N°1416/2005, 25 octobre 2006.Arutyunyan c. Ouzbékistan, CCPR, Communication N°917/2000, 29 mars

2004.Bailey c. Jamaïque, CCPR, Communication N°334/1988, 31 mars 1993.Barrett et Sutcliffe c. Jamaïque, CCPR, Communications N°s 270/1988 et

271/1988, 30 mars 1992.Berry c. Jamaïque, CCPR, Communication N°330/1998, 7 avril 1994.Borzov c. Estonie, CCPR Communication N°1136/2002, 26 juillet 2004.Brough c. Australie, CCPR, Communication N°1184/2003, 17 mars 2006.Bozize c. République centrafricaine, CCPR, Communication N°428/1990,

7 avril 1994.Canepa c. Canada, CCPR, Communication N°558/1993, 3 avril 1997.Chisanga c. Zimbabwe, CCPR, Communication N°1132/2002, 18 octobre

2005.Cox c. Canada, CCPR, Communication N°539/1993, 31 octobre 1994.Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque, CCPR, Communications N°s 210/1986

et 225/1987, 6 avril 1989.El-Megreisi c. Libye, CCPR, Communication N°440/1990, 23 mars 1994.Francis c. Jamaïque, CCPR, Communication N°606/1994, 25 juillet 1995.Freemantle c. Jamaïque, CCPR, Communication N°625/1995, 24 mars 2000.Fuenzalida c. Équateur, CCPR, Communication N°480/1991, 12 juillet 1996.G.T. c. Australie, CCPR, Communication N°706/1996, 4 novembre 1997.Griffin c. Espagne, CCPR, Communication N°493/1992, 4 avril 1995.H.C.M.A. c. Pays-Bas, CCPR, Communication N°213/1986, 30 mars 1989.Higginson c. Jamaïque, CCPR, Communication N°792/1998, 28 mars 2002.Errol Johnson c. Jamaïque, CCPR, Communication N°588/1994, 22 mars

1996.Clive Johnson c. Jamaïque, CCPR, Communication N°592/1994, 20 octobre

1998.Judge c. Canada, CCPR, Communication N°829/1998, 5 août 2003.Kennedy c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°845/1998, 26 mars

2002.Kindler c. Canada, CCPR, Communication N°470/1991, 30 juillet 1993.Lantsova c. Fédération de Russie, CCPR, Communication N°763/1997,

26 mars 2002.

205

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Larrañaga c. Philippines, CCPR Communication N°1421/2005, 24 juillet 2006.

Laureano c. Pérou, CCPR, Communication N°540/1993, 25 mars 1996.Linton c. Jamaïque, CCPR, Communication N°255/1987, 22 octobre 1992.Madafferi c. Australie, CCPR, Communication N°1011/2001, 26 juillet 2004.Mika Miha c. Guinée Équatoriale, CCPR, Communication N°414/1990, 8 juil-

let 1994.Mojica c. République dominicaine, CCPR, Communication N°449/1991,

15 juillet 1994.Mukong c. Cameroun, CCPR, Communication N°458/1991, 21 juillet 1994.Ng c. Canada, CCPR, Communication N°469/1991, 5 novembre 1993.Osbourne c. Jamaïque, CCPR, Communication N°759/1997, 15 mars 2000.Pennant c. Jamaïque, CCPR, Communication N°647/1995, 20 octobre 1998.Pinto c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°512/1992, 16 juillet

1996.Polay Campos c. Pérou, CCPR, Communication N°577/1994, 6 novembre

1997.Pryce c. Jamaïque, CCPR, Communication N°793/1998, 15 mars 2004.Quinteros Almeida c. Uruguay, CCPR, Communication N°107/1981, 21 juillet

1983.R.S. c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°684/1996, 2 avril 2002.Rodríguez c. Uruguay, CCPR Communication N°322/1988, 19 juillet 1994.S.E. c. Argentine, CCPR, Communication N°275/1988, 26 mars 1990.Sahadeo c. Guyana, CCPR, Communication N°728/1996, 1er novembre 2001.Sextus c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°818/1998, 16 juillet

2001.Singarasa c. Sri Lanka, CCPR, Communication N°1033/2001, 21 juillet 2004.Sooklal c. Trinidad et Tobago, CCPR, Communication N°928/2000, 25 octo-

bre 2001.Sultanova et Ruzmetov c. Ouzbékistan, CCPR, Communication N°915/2000,

30 mars 2006.Vuolanne c. Finlande, CCPR, Communication N°265/1987, 7 avril 1989.Walker et Richards c. Jamaïque, CCPR, Communication N°639/1995, 28 juil-

let 1997.Yasseen et Thomas c. Guyana, CCPR, Communication N°676/1996, 30 mars

1998.Zelaya Blanco c. Nicaragua, CCPR, Communication N°328/1988, 20 juillet

1994.

206

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Comité contre la tortureA.D. c. Pays-Bas, CAT, Communication N°96/1997, 12 novembre 1999.A.I. c. Suisse, CAT, Communication N°182/2001, 12 mai 2004.A.R. c Pays-Bas, CAT, Communication N°203/2002, 14 novembre 2003.A.S. c. Suède, CAT Communication N°149/1999, 24 novembre 2000.Agiza c. Suède, CAT Communication N°233/2003, 20 mai 2005.Arkauz Arana c. France, CAT, Communication N°63/1997, 9 novembre 1999.Attia c. Suède, CAT, Communication N°199/2002, 17 novembre 2003.B.S. c. Canada, CAT, Communication N°166/2000, 14 novembre 2001.B.S.S. c. Canada, CAT, Communication N°183/2001, 12 mai 2004.Baraket c. Tunisie, CAT, Communication N°60/1996, 10 novembre 1999.Blanco Abad c. Espagne, CAT, Communication N°59/1996, 14 mai 1998.C.T. et K.M. c. Suède, CAT, Communication N°279/2005, 17 novembre 2006.Dimitrijevic c. Serbie et Monténegro, CAT, Communication N°207/2002, 24

novembre 2004.Dzemajl et al c. Yougoslavie, CAT, Communication N°161/2000, 21 novembre

2002.E.A. c. Suisse, CAT, Communication N°28/1995, 10 novembre 1997.El Rgeig c. Suisse, CAT, Communication N°280/2005, 15 novembre 2006.Elmi c. Australie, CAT, Communication N°120/1998, 14 mai 1999.G.K. c. Suisse, CAT, Communication N°219/2002, 7 mai 2003.G.R.B. c. Suède, CAT, Communication N°83/1997, 15 mai 1998.Guengueng et autres c. Sénégal, CAT, Communication N°181/2001, 17 mai

2006.H.A.D. c. Suisse, CAT, Communication N°126/1999, 10 mai 2000.H.K.H. c. Suède, CAT, Communication N°204/2002, 19 novembre 2002.H.M.H.I. c. Australie, CAT, Communication N°177/2001, 1er mai 2002.K.K. c. Suisse, CAT, Communication N°186/2001, 11 novembre 2003.Khan c. Canada, CAT, Communication N°15/1994, 15 novembre 1994.Kisoki c. Suède, CAT, Communication N°41/1996, 8 mai 1996.Korban c. Suède, CAT, Communication N°88/1997, 16 novembre 1998.Ltaief c. Tunisie, CAT, Communication N°189/2001, 14 novembre 2003.M.A.K. c. Allemagne, CAT, Communication N°214/2002, 12 mai 2004.M.M.K. c. Suède, CAT, Communication N°221/2002, 3 mai 2005.M.P.S. c. Australie, CAT, Communication N°138/1999, 30 avril 2002.Mutombo c. Suisse, CAT, Communication N°13/1993, 27 avril 1994.N. P. c. Australie, CAT, Communication N°106/1998, 6 mai 1999.

207

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

N.Z.S. c. Suède, CAT, Communication N°277/2005, 22 novembre 2006.P.E. c. France, CAT, Communication N°193/2001, 21 novembre 2002.Parot c. Espagne, CAT, Communication N°6/1990, 2 mai 1995.Pelit c. Azerbaïdjan, CAT, Communication N°281/2005, 1er mai 2007.Ristic c. Yougoslavie, CAT, Communication N°113/1998, 11 mai 2001.Roitman Rosenmann c. Espagne, CAT, Communication N°176/2000, 30 avril

2002.S.A. c. Suède, CAT, Communication N°243/2004, 6 mai 2004.S.P.A. c. Canada, CAT, Communication N°282/2005, 7 novembre 2006.S.S.H. c. Suisse, CAT, Communication N°254/2004, 15 novembre 2005.S.S.S. c. Canada, CAT, Communication N°245/2004, 16 novembre 2005.SV et consorts c. Canada, CAT, Communication N°49/1996, 15 mai 2001.T.A. c. Suède, CAT, Communication N°226/2003, 6 mai 2005.T.M. c. Suède, CAT, Communication N°228/2003, 18 novembre 2003.Tebourski c. France, CAT, Communication N°300/2006, 1er mai 2007.Urra Guridi c. Espagne, CAT, Communication N°212/2002, 17 mai 2005.X, Y et Z c. Suède, CAT, Communication N°61/1996, 6 mai 1998.Y c. Suisse, CAT, Communication N°18/1994, 17 novembre 1994.Y.H.A. c. Australie, CAT, Communication N°162/2000, 23 novembre 2001.Zare c. Suède, CAT, Communication N°256/2004, 12 mai 2006.

Commission et Cour européennes des droits de l’hommeA c. Royaume-Uni, N°25599/94, Recueil 1998-VI, arrêt du 23 septembre 1998.Aerts c. Belgique, N°25357/94, Recueil 1998-V, arrêt du 30 juillet 1998.Affaire grecque, N°3321/67, 3322/67, 3323/67 et 3344/67, Yearbook of the Euro-

pean Convention on Human Rights, N°12, 1969.Ahmed et Aswat c. Royaume-Uni, N°24027/07, en instance.Akdeniz et consorts c. Turquie, N°23954/94, arrêt du 31 mai 2001.Akkoç c. Turquie, N°s 22947/93 et 22948/93, Recueil des arrêts et décisions

2000-X, arrêt du 10 octobre 2000.Aksoy c. Turquie, N°21987/93, Recueil 1996-VI, arrêt du 18 décembre 1996.Amegnigan c. Pays-Bas, N°25629/04, décision du 25 novembre 2004.Amekrane c. Royaume-Uni, N°5961/72, Annuaire de la Convention europée-

nne des droits de l’homme, N°16, 1973.Andronicou et Constatinou c. Chypre, N°25052/94, Recueil 1997-VI, arrêt du

9 octobre 1997.

208

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Asiatiques d’Afrique orientale c. Royaume-Uni, N°s 4403/70-4419/70, 4422/70, 4423/70, 4434/70, 4443/70, 4476/70-4478/70, 4486/70, 4501/70, 4526-70-4530/70, Rapport de la Commission du 14 décembre 1973, Déci-sions et rapports 78-B, publié suite à la résolution du Comité des Ministres DH(94) 30 du 21 mars 1994.

Assanidze c. Géorgie, N°71503/01, Recueil des arrêts et décisions 2004-II, arrêt du 8 avril 2004.

Assenov et autres c. Bulgarie, N°24760/94, Recueil 1998-VIII, arrêt du 28 octobre 1998.

Aydin c. Turquie, N°23178/94, Recueil 1997-VI, arrêt du 25 septembre 1997.Aylor-Davis c. France, N°22742/93, décision du 20 janvier 1994.Barbu Anghelescu c. Roumanie, N°46430/99, arrêt du 5 octobre 2004.Bati et consorts c. Turquie, N°57834/00, Recueil des arrêts et décisions 2004-

IV (extraits), arrêt du 3 juin 2004.Berlínski c. Pologne, N°s 27715/95 et 30209/96, arrêt du 20 juin 2002.Bonura c. Italie, N°57360/00, décision du 30 mai 2002.Boumedienne c. Bosnie-Herzégovine, N°38703/06, en instance.Bursuc c. Roumanie, N°42066/98, arrêt du 12 octobre 2004.Çakici c. Turquie, N°23657/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-IV, arrêt

du 8 juillet 1999.Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, N°s 7511/76 et 7743/76, CrEDH (Série A)

n° 48, arrêt du 25 février 1982.Chahal c. Royaume-Uni, N°22414/93, Recueil 1996-V, arrêt du 15 novembre

1996.Chypre c. Turquie, N°25781/94, Recueil des arrêts et décisions 2001-IV, arrêt

du 10 mai 2001.Çiçek c. Turquie, N°25704/94, arrêt du 27 février 2001.Ciorap c. Moldavie, N°12066/02, arrêt du 19 juin 2007.Costello-Roberts c. Royaume-Uni, N°13134/87, CrEDH (Série A) N°247-C,

arrêt du 25 mars 1993.Cruz Varas et consorts c. Suède, N°15576/89, CrEDH (Série A) N°201, arrêt du

20 mars 1991.D c. Royaume-Uni, N°30240/96, Recueil 1997-III, arrêt du 2 mai 1997.Dalan c. Turquie, N°38585/97, arrêt du 7 juin 2005.Demir et autres c. Turquie, Recueil 1998-VI, arrêt du 23 septembre 1998.Dhoest c. Belgique, N°10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987.Dougoz c. Grèce, N°40907/98, Recueil des arrêts et décisions 2001-II, arrêt du

6 mars 2001.

209

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

E et consorts c. Royaume-Uni, N°33218/96, arrêt du 26 novembre 2002.Farbtuhs c. Lettonie, N°4672/02, arrêt du 2 décembre 2004.Frérot c. France, N°70204/01, arrêt du 12 juin 2007.Ganci c. Italie, N°41576/98, décision du 20 septembre 2001.Geflmann c. France, N°25875/03, arrêt du 14 décembre 2004.Gorodnichev c. Russie, N°52058/99, arrêt du 24 mai 2007.Güleç c. Turquie, N°21593/93, Recueil 1998-IV, arrêt du 27 juillet 1998.Henaf c. France, N°65436/01, Recueil des arrêts et décisions 2003-XI, arrêt du

27 novembre 2003.Herczegfalvy c. Autriche, N°10533/83, CrEDH (Série A) N°244, arrêt du

24 septembre 1992.H.L.R. c. France, N°24573/94, Recueil 1997-III, arrêt du 29 avril 1997.Hüseyin Yildirim c. Turquie, N°2778/02, arrêt du 3 mai 2007.Ilhan c. Turquie, N°22277/93, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, arrêt

du 27 juin 2000.Indelicato c. Italie, N°31143/96, arrêt du 18 octobre 2001.Ipek c. Turquie, N°25760/94, Recueil des arrêts et décisions 2004-II (extraits),

arrêt du 17 février 2004.Irlande c. Royaume-Uni, N°5310/71, Rapport de la Commission (Série B)

Tome 23-1, 1976.Irlande c. Royaume-Uni, N°5310/71, CrEDH (Série A) N°25, arrêt du 18 jan-

vier 1978.Jabari c. Turquie, N°40035/98, Recueil des arrêts et décisions 2000-VIII, arrêt

du 11 juillet 2000.Jalloh c. Allemagne, N°54810/00, Recueil des arrêts et décisions 2006-IX, arrêt

du 11 juillet 2006.Kadiķis c. Lettonie, N°62393/00, arrêt du 4 mai 2006.Kalashnikov c. Russie, N°47095/99, Recueil des arrêts et décisions 2002-VI,

arrêt du 15 juillet 2002.Kaya c. Turquie, N°22729/93, Recueil 1998-I, arrêt du 19 février 1998.Keenan c. Royaume-Uni, N°27229/95, Recueil des arrêts et décisions 2001-III,

arrêt du 3 avril 2001.Kelly et autres c. Royaume-Uni, N°30054/96, arrêt du 4 mai 2001.Kucheruk c. Ukraine, N°2570/04, arrêt du 6 septembre 2007.Kudła c. Pologne, N°30210/96, Recueil des arrêts et décisions 2000-XI, arrêt

du 26 octobre 2000.Kurt c. Turquie, N°24276/94, Recueil 1998-III, arrêt du 25 mai 1998.Labita c. Italie, N°26772/95, Recueil des arrêts et décisions 2000-IV, arrêt du

6 avril 2000.

210

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Labzov c. Russie, N°62208/00, arrêt du 16 juin 2005.Loizidou c. Turquie, N°15318/89, CrEDH (Série A) N°310, arrêt du 23 mars

1995.Lorsé et autres c. Pays-Bas, N°52750/99, arrêt du 4 février 2003.M.C. c. Bulgarie, N°39272/98, Recueil des arrêts et décisions 2003-XII, arrêt

du 4 décembre 2003.Macovei et consorts c. Roumanie, N°5048/02, arrêt du 21 juin 2007.Mamatkulov et Askarov c. Turquie, N°s 46827/99 et 46951/99, Recueil des

arrêts et décisions 2005-I, arrêt du 4 février 2005.Mamedova c. Russie, N°7064/05, arrêt du 1er juin 2006.Mammadov (Jalaloglu) c. Azerbaïdjan, N°34445/04, arrêt du 11 janvier 2007.Mathew c. Pays-Bas, N°24919/03, Recueil des arrêts et décisions 2005-IX,

arrêt du 29 septembre 2005.McCann et al c. Royaume-Uni, N°18984/91, CrEDH (Série A) N°324, arrêt du

27 septembre 1995.McFeeley et autres c. Royaume-Uni, N°8317/78, décision de la Commission du

15 mai 1980.McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, N°50390/99, Recueil des arrêts et déci-

sions 2003-V, arrêt du 29 avril 2003.Union des témoins de Jéhovah c. Géorgie, N°71156/01, arrêt du 3 mai 2007.Messina c. Italie, N°25498/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-V, décision

du 8 juin 1999.Mikheyev c. Russie, N°77617/01, arrêt du 26 janvier 2006.Mouisel c. France, N°67263/01, Recueil des arrêts et décisions 2002-XI, arrêt

du 14 novembre 2002.Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, N°13178/03, Recueil des

arrêts et décisions 2006-XI, arrêt du 12 octobre 2006.N c. Royaume-Uni, N°26565/05, en instance.Naoumenko c. Ukraine, N°42023/98, arrêt du 10 février 2004.Nevmerzhitsky c. Ukraine, N°54825/00, Recueil des arrêts et décisions 2005-

II, arrêt du 5 avril 2005.Öcalan c. Turquie, N°46221/99, Recueil des arrêts et décisions 2005-IV, arrêt

du 12 mai 2005.Orhan c. Turquie, N°25656/94, arrêt du 18 juin 2002.Osman c. Bulgarie, N°43233/98, arrêt du 16 février 2006.Osman c. Royaume-Uni, N°23452/94, Recueil 1998-VIII, arrêt du 28 octobre

1998.Papon c. France, N°64666/01, Recueil des arrêts et décisions 2001-VI, décision

du 7 juin 2001.

211

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Peers c. Grèce, N°28524/95, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, arrêt du 19 avril 2001.

Pretty c. Royaume-Uni, N°2346/02, Recueil des arrêts et décisions 2002-III, arrêt du 29 avril 2002.

Price c. Royaume-Uni, N°33394/96, Recueil des arrêts et décisions 2001-VII, arrêt du 10 juillet 2001.

Ramirez Sanchez c. France, N°59450/00, Recueil des arrêts et décisions 2006-IX, arrêt du 4 juillet 2006.

Ramzy c. Pays-Bas, N°25424/05, en instance.Raninen c. Finlande, N°20972/92, Recueil 1997-VIII, arrêt du 16 décembre

1997.Ribitsch c/ Autriche, N°18896/91, CrEDH (Série A) N°336, arrêt du

4 décembre 1995.Rivas c. France, N°59584/00, arrêt du 1er avril 2004.Rohde c. Danemark, N°69332/01, arrêt du 21 juillet 2005.Saadi c. Italie, N°37201/06, arrêt du 28 février 2008.Salah Sheekh c. Pays-Bas, N°1948/04, arrêt du 11 janvier 2007.Salman c. Turquie, N°21986/93, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII, arrêt

du 27 juin 2000.Sari et Çolak c. Turquie, N°42596/98 et 42603/98, arrêt du 4 avril 2006.Šečič c. Croatie, N°40116/02, arrêt du 31 mai 2007.Selmouni c. France, N°25803/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-V, arrêt

du 28 juillet 1999.Soering c. Royaume-Uni, N°14038/88, CrEDH (Series A) N°161, arrêt du

7 juillet 1989.Stefan Iliev c. Bulgarie, N°53121/99, arrêt du 10 mai 2007.Stubbings et autres c. Royaume-Uni, N°s 22083/93 et 22095/93, Recueil 1996-

IV, arrêt du 22 octobre 1996.Tahsin Acar c. Turquie, N°26307/95, Recueil des arrêts et décisions 2004-III,

arrêt du 8 avril 2004.Timurtaş c. Turquie, N°23531/94, Recueil des arrêts et décisions 2000-VI,

arrêt du 13 juin 2000.Tomasi c. France, N°12850/87, CrEDH (Série A)N° 241-A, arrêt du 27 août

1992.Tyrer c. Royaume-Uni, N°5856/72, CrEDH (Série A) N°26, arrêt du 25 avril

1978. V c. Royaume-Uni, N°24888/94, Recueil des arrêts et décisions 1999-IX, arrêt

du 16 décembre 1999.

212

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Valašinas c. Lituanie, N°44558/98, Recueil des arrêts et décisions 2001-VIII, arrêt du 24 juillet 2001.

Van der Graaf c. Pays-Bas, N°8704/03, décision du 1er juin 2004.Van der Ven c. Pays-Bas, N°50901/99, Recueil des arrêts et décisions 2003-II,

arrêt du 4 février 2003.Vilvarajah et consorts c. Royaume-Uni, N°s 13163/87, 13164/87, 13165/87,

13447/87 et 13448/87, CrEDH (Série A) N°215, arrêt du 30 octobre 1991.X c. Allemagne, 7 EHRR 152, 1984.X et Y c. Pays-Bas, N°8978/80, CrEDH (Série A) N°91, arrêt du 26 mars 1985.Y c. Royaume-Uni, Rapport de la Commission N°8, 1991.Yankov c. Bulgarie, N°39084/97, Recueil des arrêts et décisions 2003-XII

(extraits), arrêt du 11 décembre 2003.Z et autres c. Royaume-Uni, N°29392/95, Recueil des arrêts et décisions 2001-

V, arrêt du 10 mai 2001.

Commission et Cour interaméricaines des droits de l’homme19 commerçants c. Colombie, CrIDH, arrêt du 5 juillet 2004, Série C N°109.Aitken c. Jamaïque, CIDH, Affaire 12275, Rapport N°58/02, 21 octobre 2002Almonacid-Arellano et al c. Chili, CrIDH, arrêt du 26 septembre 2006, Série C

N°154.Baena-Ricardo c. Panama, CrIDH, arrêt du 2 février 2001, Série C N°72.Baldeón-García c. Pérou, CrIDH, arrêt du 6 avril 2006, Série C N°147.Bamaca-Velásquez c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2000, Série C

N°70.Baptiste c. Grenade, CIDH, Affaire 11743, Rapport N°38/00, 13 avril 2000.Barrios-Altos c. Pérou, Interprétation de l’arrêt au fond (article 67 de la

CADH), CrIDH, arrêt du 3 septembre 2001, Série C N°83.Berenson-Mejía c. Pérou, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2004, Série C N°119.Blake c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 24 janvier 1998, Série C N°36.Blanco Romero c. Vénézuela, CrIDH, arrêt du 28 novembre 2005, Série C

N°138.Bulacio c. Argentine, CrIDH, arrêt du 18 septembre 2003, Série C N°100.Caesar c.Trinidad et Tobago, CrIDH, arrêt du 11 mars 2005, Série C N°123.Cantoral-Benavides c. Pérou, CrIDH, arrêt du 18 août 2000, Série C N°69.Castillo-Páez c. Pérou, CrIDH, arrêt du 27 novembre 1998, Série C N°43.Castillo Petruzzi et al c. Pérou, CrIDH, arrêt du 30 mai 1999, Série C N°52.

213

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Centre haïtien des droits de l’homme et al c. États-Unis, CIDH, Affaire 10675, Rapport N°51/96, 13 mars 1997.

De la Cruz Flores c. Pérou, CrIDH, arrêt du 18 novembre 2004, Série C N°115.Fairén-Garbi et Solís-Corrales c. Honduras, CrIDH, arrêt du 15 mars 1989,

Série C N°6.Frères Gómez-Paquiyauri c. Pérou, CrIDH, arrêt du 8 juillet 2004, Série C.

N°110.Gangaram-Panday c. Suriname, CrIDH, arrêt du 21 janvier 1994, Série C

N°16.Garces Valladares c. Équateur, CIDH, Affaire 11778, Rapport N°64/99,

13 avril 1999.Godínez-Cruz c. Honduras, CrIDH, arrêt du 20 janvier 1989, Série C No5.Goiburú et al c. Paraguay, CrIDH, arrêt du 22 septembre 2006, Série C N°153.Gutiérrez Soler c. Colombie, CrIDH, arrêt du 12 septembre 2005, Série C

N°132.Hilaire et al c. Trinidad et Tobago, CrIDH, arrêt du 21 juin 2002, Série C N°94.Institut de rééducation pour mineurs délinquants c. Paraguay, CrIDH, arrêt du

2 septembre 2004, Série C N°112.Knights c. Grenade, CIDH, Affaire 12028, Rapport N°47/01, 4 avril 2001.La Cantuta c. Pérou, CrIDH, arrêt du 29 novembre 2006, Série C N°162.Las Palmeras c. Colombie, CrIDH, arrêt du 6 septembre 2001, Série C N°90.Levoyer Jiménez c. Équateur, CIDH, Affaire 11992, Rapport N°66/01, 14 juin

2001.Lizardo Cabrera c. République dominicaine, CIDH, Affaire 10832, Rapport

N°35/96, 17 février 1998.Loayza Tamayo c. Pérou, CrIDH, arrêt du 17 septembre 1997, Série C N°33.Mack Chang c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2003, Série C

N°101.Massacre de Mapiripán c. Colombie, CrIDH, arrêt du 15 septembre 2005 Série

C N°134.Massacre de Pueblo Bello c. Colombie, CrIDH, arrêt du 31 janvier 2006, Série

C N°140.Massacres d’Ituango c. Colombie, CrIDH, arrêt du 1er juillet 2006, Série C

N°148.Communauté Moiwana c. Suriname, CrIDH, arrêt du 15 juin 2005, Série C

N°124.Montero-Aranguren et al (Centre de détention de Catia) c. Vénézuela, CrIDH,

arrêt du 5 juillet 2006, Série C N°150.

214

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Neira Alegría et al c. Pérou, CrIDH, arrêt du 19 janvier 1995, Série C N°20.Paniagua Morales et al c. Guatémala (affaire « Panel Blanca »), CrIDH, arrêt

du 8 mars 1998, Série C N°37.Prison Miguel Castro-Castro c. Pérou, CrIDH, arrêt du 25 novembre 2006,

Série C N°160.Martí de Mejía c. Pérou, CIDH, Affaire 10970, Rapport N°5/96, 1 mars 1996.Raxcacó Reyes c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 15 septembre 2005, Série C

N°134.Roach et Pinkerton c. États-Unis, CIDH, Résolution 3/87, Affaire 9647, 22 sep-

tembre 1987.Rosario Congo c. Équateur, CIDH, Affaire 11427, Rapport N°63/99, 13 avril

1999.Sánchez c. Honduras, CrIDH, arrêt du 7 juin 2003, Série C N°99.Servellón-García c. Honduras, CrIDH, arrêt du 21 septembre 2006, Série C

N°152.Suárez-Rosero c. Équateur, CrIDH, arrêt du 12 novembre 1997, Série C N°35.Theissen c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 3 Juillet 2004, Série C N°108.Tibi c. Équateur, CrIDH, arrêt du 7 septembre 2004, Série C N°114.Urrutia c. Guatémala, CrIDH, arrêt du 27 novembre 2003, Série C N°103.Vargas Areco c. Paraguay, CrIDH, arrêt du 26 septembre 2006, Série C N°155.Velásquez-Rodríguez c. Honduras, CrIDH, arrêt du 29 juillet 1982, Série A

N°4.Villagrán Morales et al c. Guatémala (affaire des « Enfants de la rue »), CrIDH,

arrêt du 19 novembre 1999, Série C N°63.White et Potter c. États-Unis, CIDH, Résolution 23/81, Affaire 2141, 6 mars

1981.Ximenes-Lopes c. Brésil, CrIDH, arrêt du 4 juillet 2006, Série C N°149.

Commission africaine des droits de l’homme et des peuplesAchutan (au nom de Banda) et Amnesty International (au nom de Orton et

Vera Chirwa) c. Malawi, CADHP, Communications N°s 64/1992, 68/1992, et 78/1992, 18e session, 2–11 octobre 1995.

Institut pour les droits humains et le développement en Afrique (pour le compte des réfugiés sierra-léonais en Guinée) c. République de Guinée, CADHP, Communication N°249/2002, 36e session, 23 novembre–7 décembre 2004.

215

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Amnesty International et autres c. Soudan, CADHP, Communication N°s 48/1990, 50/1991, 52/1991, 89/1993, 26e session, 1–15 novembre 1999.

Article 19 c. Erythrée, CADHP, Communication N°275/2003, 41e session, 16–30 mai 2007.

Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad, CADHP, Communication N°74/1992, 18e session, 2–11 octobre 1995.

Constitutional Rights Project and Civil Liberties Organisation c. Nigéria, CADHP, Communications N°s 143/1995 et 150/1996, 26e session, 1–15 novembre 1999.

Doebbler c. Sudan, CADHP, Communication N°236/2000, 33e session, 15–29 mai 2003.

Forum of Conscience c. Sierra Leone, CADHP, Communication N°223/98, 28e session, 23 octobre–6 novembre 2000.

Free Legal Assistance Group et al c. Zaïre, CADHP, Communications N°s 25/1999, 47/1990, 56/1991, 100/1993, 18e session, 2–11 octobre 1995.

Huri-Laws c. Nigéria, CADHP, Communication N°225/1998, 28e session, 23 octobre–6 novembre 2000.

Interights et Autres (pour le compte de Bosch) c. Botswana, CADHP, Commu-nication N°240/2001, 34e session, 6–20 novembre 2003.

International Pen et al (au nom de Ken Saro-Wiwa Jr.) c. Nigéria, CADHP, Communications N°s 137/1994, 139/1994, 154/1996 et 161/1997, 24e ses-sion, 22–31 octobre 1998.

Jawara c. Gambie, CADHP, Communications N°s 147/1995 et 149/1996, 27e session, 27 avril–11 mai 2000.

Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan, CADHP, Communications N°s 222/1998 et 229/1999, 33e session, 15–19 mai 2003.

Malawi African Association et autres c. Mauritanie, CADHP, Communica-tion Nos 54/1991, 61/1991, 98/1993, 164/1997 à 196/1997 et 210/1998, 27e session, 27 avril–11 mai 2000.

Media Rights Agenda c. Nigéria, CADHP, Communication No 224/1998, 28e session, 23 octobre–6 novembre 2000.

Modise c. Botswana, CADHP, Communication N°97/1993, 27e session, 23 octobre–6 novembre 2000.

Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, CADHP, Communication N°204/1997, 29e session, 23 avril–7mai 2001.

Organisation mondiale contre la torture et al c. Rwanda, CADHP, Communi-cations N°s 27/1989, 46/1991, 49/1991, 99/1993, 20e session, 21–31 octobre 1996.

216

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Ouko c. Kenya, CADHP, Communication N°232/1999, 28e session, 23 octo-bre–6 novembre 2000.

Purohit et Moore c. Gambie, CADHP, Communication N°241/2001, 33e ses-sion, 15–29 mai 2003.

Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme c. Zambie, CADHP, Communication N°71/1992, 20e session, 21–31 octobre 1996.

République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, commu-nication N°227/1999, 33e session, 15–29 mai 2003.

Rights International c. Nigéria, CADHP, Communication N°215/98, 26e ses-sion, 1–15 novembre 1999.

Union interafricaine des droits de l’homme, Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme et al c. Angola, CADHP, Communication N°159/1996, 22e session, 2–11 novembre 1997.

Zegveld et Ephrem c. Érythrée, CADHP, Communication N°250/2002, 34e session, 6–20 novembre 2003.

Zimbabwe Human Rights NGO Forum c. Zimbabwe, CADHP, Communica-tion N°245/2002, 39e session, 11–15 mai 2006.

Tribunal pénal international pour le RwandaLe Procureur c. Akayesu, Affaire N°ICTR-96-4-T, TPIR, Chambre de pre-

mière instance I, jugement du 2 septembre 1998.Le Procureur c. Bagilishema, Affaire N°ICTR-95-1A, TPIR, Acte d’accusation

du 17 septembre 1999.Le Procureur c. Bagilishema, Affaire N°ICTR-95-1A, TPIR, Chambre de pre-

mière instance I, Jugement du 7 juin 2001.Le Procureur c. Gacumbtsi, Affaire N°ICTR-2001-64-T, TPIR, Chambre de

première instance III, Jugement du 17 juin 2004.Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Affaire N°ICTR-95-1-T, TPIR,

Chambre de première instance, Jugement du 21 mai 1999.Le Procureur c. Musema, Affaire N°ICTR-96-13-A, TPIR, Chambre de pre-

mière instance I, Jugement du 27 janvier 2000.Le Procureur c. Ntakirutimana, Affaire N°ICTR-96-10 et ICTR-96-17-T,

TPIR, Chambre de première instance I, Jugement du 21 janvier 2003.

217

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Tribunal pénal international pour l’ex-YougoslavieLe Procureur c. Aleksovski, Affaire N°IT-95-14/1, TPIY, Chambre de première

instance I, Jugement du 25 juin 1999.Le Procureur c. Blagojević et Jokić, Affaire N°IT-02-60-T, TPIY, Chambre de

première instance, Jugement du 17 janvier 2005.Le Procureur c. Blaškić, Affaire N°IT-95-14, TPIY, Chambre de première

instance I, Jugement du 3 mars 2000.Le Procureur c. Blaškić, Affaire N°IT-95-14, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du

29 juillet 2004.Le Procureur c. Brđanin, Affaire N°IT-99-36, TPIY, Chambre de première

instance II, Jugement du 1er septembre 2004.Le Procureur c. Brđanin, Affaire N°IT-99-36, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt

du 3 avril 2007.Le Procureur c. Delalić et autres (Affaire Čelebići), Affaire N°IT-96-21, TPIY,

Chambre de première instance II, jugement du 16 novembre 1998.Le Procureur c. Delalić et consorts (Affaire Čelebići), Affaire N°IT-96-21, TPIY,

Chambre d’appel, Arrêt du 20 février 2001. Le Procureur c. Dragomir Milošević, Affaire N°IT-98-29/1, TPIY, Chambre de

première instance III, Jugement du 12 décembre 2007.Le Procureur c. Furundžija, Affaire N°IT-95-17/1, TPIY, Chambre de première

instance II, Jugement du 10 décembre 1998.Le Procureur c. Furundžija, Affaire N°IT-95-17/1, TPIY, Chambre d’appel,

Arrêt du 21 juillet 2000.Le Procureur c. Galić, Affaire N°IT-98-29-T, TPIY, Chambre de première

instance I, Jugement du 5 décembre 2003.Le Procureur c. Jelisić, Affaire N°IT-95-10-T, TPIY, Chambre de première

instance, Jugement du 14 décembre 1999.Le Procureur c. Karadžić et Mladić, Review of the Indictments pursuant to

Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, Affaire N°s IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, TPIY, du 11 juillet 1996.

Le Procureur c. Kordić et Čerkez, Affaire N°IT-95-14/2-T, TPIY, Chambre de première instance III, Jugement du 26 février 2001.

Le Procureur c. Krnojelac, Affaire N°IT-97-25-T, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 15 mars 2002.

Le Procureur c. Krnojelac, Affaire N°IT-97-25, TPIY Chambre d’appel, 17 sep-tembre 2003.

Le Procureur c. Krstić, Affaire N°IT-98-33-T, TPIY, Chambre de première instance I, Jugement du 2 août 2001.

218

IND

EX

DE

S A

FFA

IRE

S

Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, Affaires N°s IT-96-23 et IT-96-23/1, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 22 février 2001.

Le Procureur c. Kunarac, Kovać et Vuković, Affaires N°s IT-96-23 et IT-96-23/1, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 12 juin 2002.

Le Procureur c. Kupreškić et Consorts, Affaire N°IT-95-16-T, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 14 janvier 2000.

Le Procureur c. Kvočka et consorts, Affaire N°IT-98-30/1, TPIY, Chambre de première instance I, Jugement du 2 novembre 2001.

Le Procureur c. Limaj et consorts, Affaire N°IT-03-66, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 30 novembre 2005.

Le Procureur c. Milošević, Affaire N°IT-02-54-T, TPIY, Acte d’accusation du 22 novembre 2002.

Le Procureur c. Naletilić et Martinović, Affaire N°IT-98-34-T, TPIY, Chambre de première instance, Jugement du 31 mars 2003.

Le Procureur c. Naletilić et Martinović, Affaire N°IT-98-34-A, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 3 mai 2006.

Le Procureur c. Nikolić, Affaire N°IT-94-2-S, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 18 décembre 2003.

Le Procureur c. Orić, Affaire N°IT-03-68, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 30 juin 2006.

Le Procureur c. Simić, Affaire N°IT-95-9/2, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 17 octobre 2002.

Le Procureur c. Simić, Tadić et Zarić, Affaire N°IT-95-9, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 17 octobre 2003.

Le Procureur c. Stakić, Affaire N°IT-97-24, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 31 juillet 2003.

Le Procureur c. Strugar ‘Dubrovnik’, Affaire N°IT-01-42, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 31 janvier 2005.

Le Procureur c. Tadić, Affaire N°IT-94-I-AR72, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, le 2 octobre 1995.

Le Procureur c.Tadić, Affaire N°IT-94-1-T, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 7 mai 1997.

Le Procureur c. Tadić, Affaire N°IT-94-1-T, TPIY, Chambre d’appel, Arrêt du 15 juillet 1999.

Le Procureur c. Vasiljević, Affaire N°IT-98-32-T, TPIY, Chambre de première instance II, Jugement du 29 novembre 2002.

Couverture: Malleus Terroristum, Uta Richter © www.uta-richter.net

L’APT et CEJIL aimeraient remercier Uta Richter pour l’autorisation d’utiliser sa peinture afin d’illustrer cette publication.

ISBN 978-2-940337-40-8 CHF 30.- US$30.-

Association pour la Prévention de la Torture (APT)C.P. 137CH-1211 Genève 19SuisseTél: + 41 22 919 2170 Fax: +41 22 919 [email protected]

La prohibition de la torture est absolue en droit international. Mais qu’est-ce que la torture, exactement ? Est-ce que la définition est la même à travers le monde ? Que doivent faire les États pour protéger leurs populations de la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ? Et comment un individu peut être tenu responsable de ce crime abominable ?

Ce guide de jurisprudence internationale sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants met à la disposition des experts, des défenseurs des droits de l’homme et des autres personnes intéressées une ressource indispensable pour répondre à de telles questions. Ce guide a une vocation mondiale. Il examine la jurisprudence des organes onusiens, des systèmes régionaux des droits de l’homme d’Europe, des Amériques et d’Afrique, ainsi que celle des Tribunaux Pénaux Internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. Il donne un aperçu de la définition évolutive de la torture, des devoirs encourus par les Etats, de l’étendue de la prohibition de la torture et d’autres formes de mauvais traitements, ainsi que de l’étendue de la responsabilité individuelle pour le crime international de torture.

Center for Justice and International Law (CEJIL)1630 Connecticut Ave., NW, Suite 401, Washington D.C. 20009 – 1053U.S.A.Tél. + 1 202 319 3000 Fax +1 202 319 [email protected]