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Les réseaux sociaux d'entreprise tardent à s'exprimer Les réseaux sociaux envahissent le monde du travail. Mais un certain nombre d'entre eux vivotent, faute de répondre aux espoirs initiaux. Seuls ceux ayant bénéficié d'une bonne animation et de l'implication des managers ont des chances de succès. // Par Judith Chétrit D ire qu'on n'avait pas ça il y a deux ans ! » Cette exclamation est signée Valérie Benvenuto, directrice géné- rale d'Open, une entreprise de ser- vices numériques présente dans 16 régions en France. Avec un grand nombre de collaborateurs qui travaillent à distance ou pour la clientèle, elle voulait « favoriser la transversalité » et « décloisonner le partage de l'information au sein de l'entreprise ». La solution mise en place s'appelle Yammer, un réseau social d'entreprises incorporé dans le package Office 365 du géant américain Microsoft. Les salariés d'Open ont été d'emblée inscrits dans quatre groupes en fonction de leur région de travail, de la business unit et deux groupes plus généraux relayant la communication interne et les événements sociaux comme des campagnes caritatives ou des marathons. 80% des entreprises équipées. La décision d'Open est loin d'être u n cas isolé. À en croire le cabinet de conseil en transformation numérique Lecko, 80 % des entreprises françaises cotées se sont équipées d'au moins un réseau social en interne. On parle mutualisation Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 37-39 SURFACE : 253 % PERIODICITE : Mensuel DIFFUSION : 17584 JOURNALISTE : Judith Chétrit 1 septembre 2017 - N°184

Lesréseaux sociaux d'entreprise tardent à s'exprimer · d'entreprise tardent ... s'appelle Yammer, ... donner des exemples de réussite pour donner l'envie d'y collaborer et ne

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Page 1: Lesréseaux sociaux d'entreprise tardent à s'exprimer · d'entreprise tardent ... s'appelle Yammer, ... donner des exemples de réussite pour donner l'envie d'y collaborer et ne

Les réseaux sociauxd'entreprise tardentà s'exprimerLes réseaux sociaux envahissent le monde du travail. Mais uncertain nombre d'entre eux vivotent, faute de répondre aux espoirsinitiaux. Seuls ceux ayant bénéficié d'une bonne animation et del'implication des managers ont des chances de succès. //

Par Judith Chétrit

Dire qu'on n'avait pas ça il y a deuxans ! » Cette exclamation est signéeValérie Benvenuto, directrice géné-rale d'Open, une entreprise de ser-

vices numériques présente dans 16 régions en

France. Avec un grand nombre de collaborateursqui travaillent à distance ou pour la clientèle,elle voulait « favoriser la transversalité » et« décloisonner le partage de l'information ausein de l'entreprise ». La solution mise en places'appelle Yammer, un réseau social d'entreprisesincorporé dans le package Office 365 du géant

américain Microsoft. Les salariés d'Open ont

été d'emblée inscrits dans quatre groupes enfonction de leur région de travail, de la businessunit et deux groupes plus généraux relayantla communication interne et les événementssociaux comme des campagnes caritatives ou

des marathons.

80% des entreprises équipées.La décision d'Open est loin d'être u n cas isolé. Àen croire le cabinet de conseil en transformation

numérique Lecko, 80 % des entreprises françaisescotées se sont équipées d'au moins un réseausocial en interne. On parle mutualisation •

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Les spécialistesvoient

l'implicationdes managers

comme unecondition

clé de laréussite d'unréseau sociald'entreprise.

• d'expertises, groupes de projets et partagede la connaissance. Nombreuses sont ainsi lesinitiatives pour inciter les salariésà être toujoursplus actifs en ligne. Chez Michelin, on y louel'échange debonnes pratiques entre lesdifférentssites de production qui communiquaient peuentre eux auparavant. Par exemple, les ques-tions techniques ne sont plus nécessairementagrégéespar le siègeet envoyées à chaque usine,raconte Paola Cinelli, responsable de BibSpacelancé en 2013. Une intelligence collective qui sepasserait du système central. Ainsi, « lorsqu'ona déployé Outlook, on a mis en place une com-munauté d'entraide pour les gens qui auraientdes questions quant à son utilisation. Le tauxd'appel pour notre helpdeska été de 8 % alorsque d'habitude pour un tel déploiement, onapproche les 25 % », se félicite-t-elle. Le recueildesbonnes pratiques a aussiété la stratégie adop-téepar Atos. Le spécialistedu big data a multipliéla création de communautés par métier ou lieude travail sur son réseausocial BlueKiwi. De soncôté, Schneider Electric a mis en place un réseausocial appelé Spice en 2012. L'objectif est deconnecter ses salariés présents partout dans lemonde, de leur permettre d'échanger des idéeset de trouver un soutien afin d'améliorer leurquotidien au bureau. Lorsque le groupe a lancéun projet d'égalité entre les femmes et hommes,les hommes étaient invités à publier des témoi-

Facebook à l'assautdes entreprises françaisesD'abord expérimenté dans des entreprises-pilotes comme la SNCF,RenaultRetails, Century 21ou encore Club Med, Workplace est la dernière tenta-tive de Facebook pour faire pleinement partie de la vie de bureau. Premieravantage : une interface connue de 33millions de Français déjà inscrits surFacebook.De quoi vaincre les réticences envers les nouvelles technologies.Mais le géant américain ne communique pas sur le nombre d'employésfrançais qui utilisent Workplace. Sur cette application récente, les salariésne sont pas sur leurs comptes privés, mais sur un compte professionnel dif-férencié. On y retrouve peu ou prou la même interface avec un algorithmemettant en avant certains messages s'ils émanent de top managers et desfonctionnalités comme la diffusion de vidéos en direct. Au Club Med, parexemple, l'idée était de relier plus aisément les employés qui n'avaientpas accès au quotidien à un PC,comme les GOdans les différents sites dugroupe. « Lorsqu'on veut montrer le chantier d'un nouveau village ou pourles vœux de début d'année du président, on utilise la vidéo en direct », té-moigne Marina Bianconi, directrice marque employeur et développeur RH.Lacommunication interne a été réduite à quelques mails par semaine pourpromouvoir les meilleures publications parmi les quelque 500 messageshebdomadaires postés en ligne. «Mais nous ne sommes pas un réseausocial d'entreprise (RSE).Plein d'outils pour communiquer existent déjà,s'exclame Julien Lesaicherre, directeur deWorkplace pour la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique. Lemarché du RSEest un cimetière. Les réseauxutilisés dans les entreprises n'intègrent pas suffisamment la dimensionproductivité ou résolution de problème. »Un argument pour se différencierdes autres poids lourds du secteur comme Jive, Microsoft ou Salesforce.

gnages sur les meilleures initiatives prises eninterne. Louis-Pierre Guillaume, qui occupe unefonction de knowledge management officer, n'enest pascomplètement satisfait pour autant. Envi-ron 10000 personnes s'y connectent au moinsune fois par semaine, « on était 20000 salariésl'an dernier », assure-t-il. Dans un premier temps,Schneider Electric avait fait appel à une dizainede salariés volontaires pour expérimenter ceréseau social et faire part de leurs premièresimpressions. L'objectif? Les convaincre de sonutilité pour qu'ils puissent ensuite prêcher labonne parole dans l'entreprise. « Il y a un cyclede vie des réseaux sociaux dans une entreprise :au départ, c'est nouveau et cela demande ungros travail d'accompagnement du changement.On est monté jusqu'à 60000 personnes qui s'yconnectaient un an et demi après le lancement.Mais ensuite, il faut maintenir la curiosité desdébuts en organisant des formations, en parleraux nouveaux managers. L'usage diminue sil'intérêt perçu n'est pas évident », analyse lespécialiste de la gestion du savoir.

Des salariés réticents. Dans cer-taines entreprises, malgré les efforts d'équipesmotivées, les salariés sont réticents à utiliserfréquemment les réseaux sociaux internes. Cer-tains disent ne pasavoir de temps à y consacrer,d'autres n'y voient pas de bénéfices immédiatsou craignent un flicage de l'entreprise. « L'évo-lution est très hétérogène d'une entreprise à uneautre. On surveille l'activité d'une trentaine degrandes entreprises. Certaines ont dépassé les50 % de collaborateurs actifs engagés, quandd'autres démarrent avec 5 à 10% d'activité », dé-taille Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko.Le risque redouté par certains, la transformationdu réseau social en une discussion de comptoir2.0 avec de nombreux passagers clandestins,simples observateurs et non acteurs. « Ce n'estpas une communauté en ligne qui va régler unproblème d'écoute pour une équipe qui travaillesur le même palier, estime Paola Cinelli. Il fautidentifier des leaders dans chaque communauté,donner des exemples de réussite pour donnerl'envie d'y collaborer et ne pas raconter que celasefait en deux clics. C'est un investissement ini-tial en temps pour en gagner par la suite. »Certains réseaux sociaux permettent ainsi lepartage de documents et les modifications col-lectives en temps réel lorsque des salariés tra-vaillent sur un projet. Un gain de temps et unediminution des e-mails envoyés, notent lesexperts. Selon un rapport du McKinsey GlobalInstitute, lesréseaux sociaux internes pourraientavoir une valeur annuelle de plusieurs centainesde millions de dollars grâce à l'augmentation de

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la productivité des collaborateurs, notammentles plus qualifiés. Encore faut-il que les managersne soient pas décontenancés par ces réseaux quiont tendance à bousculer une hiérarchie tradi-tionnelle en incitant dessalariés de tout niveau àl'esprit critique et à la collaboration. « Il faut lesrassurer avant le lancement car ils craignent queleurs salariés y passent trop de temps », confieMarie-Laure Deschamp, corporate communitymanagerdu réseausocial de la Françaisedes jeux,FDJ connect, où le temps moyen de connexionpar jour est de huit minutes.

Dénicheur de talents. Les spécialistesvoient l'implication des managers comme unecondition-clé de la réussite d'un réseau sociald'entreprise. Qu'ils soient directement interpel-lés, questionnés ou à l'origine d'une discussion,ils doivent également motiver leurs troupes enligne et s'essayerà une forme moins hiérarchiséedu management. Ils y gagnent en compréhen-sion sur le quotidien de leurs collaborateurs eten retour, obtiennent une meilleure compréhen-sion des décisions prises par la direction chezleurs collaborateurs. Ils peuvent aussi dénicherdes talents qui se font repérer par la pertinencede leurs idées et commentaires. « Si le directeurgénéral ou un membre du comité de directioncommente une publication, ce sera pris commeun encouragement de la direction. Quelquechose qui ne se serait pas passé d'aussi sponta-nément dans la vraie vie », affirme Sophie Palès,déléguée générale de l'Association française dela communication interne (Afci). Un réflexepourtant difficile à acquérir. « Tout le monde n'apas la même appétence pour les réseaux sociauxdans la vie privée ou professionnelle », avanceValérie Benvenuto. Le collaboratif s'apprend etse traduit souvent par un dispositif d'accompa-gnement en amont ou par l'animation d'unecommunauté sur le réseau social afin de fédérerl'ensemble des communautés créées. « Toutesles entreprises sont obsédées par la notion decollaboration. Il existe des outils mais rien nemarche s'il y a un souci dans la compréhensionde la mission et des objectifs », soutient JulienLesaicherre, directeur de Workplace, l'offre deFacebook pour les entreprises. « Les réseauxsociaux deviennent presque une commoditécar ils ne coûtent pas cher et sont faciles à ins-taller. Mais l'outil ne se suffit pas à lui-même.L'entreprise est différente de la vie personnelleoù Facebook s'est déployé tout seul », souligneArnaud Rayrole, qui prône l'accompagnementpar l'exemple de micro-initiatives intéressantes.Chez Orange, trois personnes et demie travaillentà temps plein sur le réseau social d'entreprisePlazza, souvent cité en exemple parmi les

connaisseurs du sujet. Y sont inscrits 100 000 sa-lariés, dont la moitié y écrit une publication,laisseun commentaire ou « like » un post tous lesmois. Lescommunautés les plus actives - il y ena 20 000 - travaillent dans la vente, les fonctionssupports ou la recherche et développement. « Onest dans un secteur d'activité où la vitesse dediffusion de l'information est vitale », témoigneSylvain Hudelot, global community manager.Pour autant, Orange a un autre réseau social,« complémentaire » d'après la direction, maiscomplètement officieux. Le groupe « TuSais-QueTuBossesChezOrangeQuand » rassembleplus de 8 000 salariés sur Facebook depuis troisans, alternant entre messagesprofessionnels etmessagespersonnels reliés plus ou moins direc-tement à la vie salariée. « Avant, on n'avait pasidée de tous les métiers présents et on se perdaitvite de vue quand des gens quittaient l'entre-prise », raconte Christophe Ndi, techniciende maintenance informatique à l'origine de lapage. « De fil en aiguille, ce compte Facebook estdevenu un canal de communication où mêmedes managers et des chefs de produit d'Oranges'expriment. » Il faut disposer d'une adresseprofessionnelle pour pouvoir intégrer ce groupesecret et fermé. Le modérateur vérifie l'adressegrâce à l'annuaire interne. Ce métagroupe estparticulièrement utilisé par les conseillers com-merçants et les personnels techniques. Il se veutdifférent du réseau officiel, dans le ton employéet les sujets discutés. Ces utilisateurs redoutent-ils la censure de l'entreprise? « Ici, on ne parlepas syndicats et politique et on ne poste pas depetites annonces. Mais c'est un bon outil pourprendre la température sociale. On a quandmême vécu des heures noires », précise le tech-nicien de maintenance. Aujourd'hui, ChristopheNdi expérimente d'autres outils pour faciliter etaccroître les échanges entre salariés. Il lui arrivemême de former d'autres équipes au communitymanagement.

Remonter les erreurs, une volontéd'innover que Franck La Pinta, responsable desformations transversales à la Société générale,juge indispensable. En 2008, il a été à l'initiativedu premier réseau social interne du groupe, dédiéà la filière RH. « J'avais une obsession: de l'expé-rimentation, toujours de l'expérimentation. Cepionnier du réseau social regrette le manque decommunication desentreprises sur leurs échecsenmatière de réseau.Cela ne contribue pasà enrichirla courbe d'expérience commune des entreprisesfrançaises. » Sur ce sujet comme sur d'autres, lacommunication des entreprises est résolumentpositive et oublie leserreurs du passé.Elle penche-rait même vers le plaidoyer sansnuance. •

« L'évolution esttrès hétérogène.Certainesgrandesentreprisesont dépasséles 50% decollaborateursactifs engagés,quand d'autresdémarrentavec5 à 10 %d'activité. »

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