44
FRÉDÉRIC JOUVAL . PICTURETANK Handicapés LE PLAISIR POUR TOUS PAGES 2-5 «PRÉSIDER LE JURY, C’EST COMME CONDUIRE UNE VOITURE» INTERVIEW DES FRÈRES COEN ET TOUTE L’ACTUALITÉ DU FESTIVAL CAHIER CENTRAL Esquivé en France, le débat sur l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap met mal à l’aise: aider à explorer la sensualité, est-ce de la prostitution? CANNES MAURICE GARÇON, REGARDS SUR L’OCCUPATION PAGES II-III L FRÉDÉRIC STUCIN 1,80 EURO. DEUXIÈME ÉDITION N O 10569 JEUDI 14 MAI 2015 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 1,90 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 1,90 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal(cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300CFA.

Liberation Du Jeudi 14 Mai 2015

Embed Size (px)

DESCRIPTION

jornal francês

Citation preview

  • FRD

    RIC

    JOUVA

    L.PICTU

    RETA

    NK Handicaps

    LEPLAISIRPOURTOUSPAGES 25

    PRSIDERLE JURY,CESTCOMMECONDUIREUNEVOITUREINTERVIEWDES FRRES COENET TOUTE LACTUALIT DU FESTIVAL CAHIER CENTRAL

    EsquivenFrance, ledbatsurlaccompagnementsexueldespersonnesensituationdehandicapmetmal laise:aiderexplorer lasensualit,est-cede laprostitution?

    CANNES

    MAURICEGARON, REGARDSSURLOCCUPATION PAGES IIIIIL

    FRD

    RIC

    STUCIN

    1,80 EURO. DEUXIME DITION NO10569 JEUDI 14MAI 2015 WWW.LIBERATION.FR

    IMPRIM EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 2,50 , Andorre 2,50 , Autriche 3,00 , Belgique 1,90 , Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 , Espagne 2,50 , EtatsUnis 5,00 $, Finlande 2,90 , GrandeBretagne 2,00 , Grce 2,90 ,Irlande 2,60 , Isral 23 ILS, Italie 2,50 , Luxembourg 1,90 , Maroc 20 Dh, Norvge 30 Kr, PaysBas 2,50 , Portugal(cont.) 2,70 , Slovnie 2,90 , Sude 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300CFA.

  • Ledbat sur laccompagnementsexuel tarif est esquiv enFrancedepuis des annes. Lundeses plus fervents dfenseurs,lessayisteMarcelNuss, publiesonautobiographie avec lespoirde faire bouger les lignes.

    Assistanatsexuel: passerle handicap

    T our de force ou nime coupdpe dans leau ? Vendredisortira en librairie lauto-biographie de Marcel Nuss danslaquelle il revient sur la cration delAssociation pour la promotion de lac-compagnement sexuel (Appas). Enmars, cest lui qui organisait en Alsacela premire formation dassistantssexuels sur le sol franais (lire page sui-vante). A grand renfort de camras et dejournalistes, lcrivain, lui-mme lour-dement handicap, souhaitait mettrele dbat sur la place publique. Plus dis-crtement, en fvrier, cinq Franaisont t certifis assistant sexuels enSuisse, lissue dune forma-tion de dix-huit mois dlivrepar lassociation Corps solidai-res. Avec, l encore, lide de faireavancer cette question en France.

    BESOIN. Promis depuis des annes, ledbat sur laccompagnement sexuel despersonnes en situation de handicap estsoigneusement esquiv. Lassistancesexuelle consiste, en change dune r-tribution, aider les personnes majeu-res en situation de handicap qui nepeuvent pas avoir accs leur proprecorps dcouvrir leur identit sexue, explorer leur sensualit, accder lautonomie sexuelle. Certains ont be-soin daide pour exprimenter la sexualit.Il faut que ce besoin spcifique soit re-connu, expose Julia Tabath, prsidentede CH(s)OSE, collectif runissant despoids lourds du handicap comme lAs-

    sociation des paralyss de France (APF)ou encore lAssociation franaise contre

    les myopathies (AFM) et quimilite, depuis plusieurs an-nes, pour linstauration dun

    service daccompagnement avec desaidants dment forms.En 2011, le dput UMP Jean-FranoisChossy appelait dans un rapport pro-mouvoir lide que toute personne doitpouvoir recevoir lassistance humaine n-cessaire lexpression de sa sexualit etplaidait pour un cadre thique et juridi-que. En 2012, Franois Hollande avaitpromis un vrai dbat public. Et puis,rien. En 2013, le Comit consultatifnational dthique a tranch dfavora-blement sur la question au nom duprincipe de non-utilisation marchande ducorps humain. Mais, dans les faits,cest une pratique dj existante,pointe Pascal Prayez, psychologue-cli-nicien, auteur de Non-Assistance sexuelle personne en danger (1) et cofondateur

    de Corps solidaires. Il a t le seul assis-tant sexuel certifi en France entre 2009et 2011. Plusieurs associations racontentles nombreuses sollicitations reues depersonnes voulant tre mises en relationavec des assistants sexuels. Dans cer-tains tablissements, des contacts sontlaisss disposition des rsidents. Ilfaut dvelopper une offre concerte, struc-ture, pour viter de rester dans linitiativeindividuelle qui, elle, peut entraner desdrives, plaide Pascal Prayez.Si, du monde associatif au politique,chacun saccorde pour la prise enconsidration de la sexualit et de lin-timit des personnes handicapes, las-

    sistance sexuelle continue de diviser.En France, ces prestations tarifes sontassimiles de la prostitution. Lesparents, auxiliaires de vie, directeursdinstitutions qui mettent en relationassistants sexuels et personnes handi-capes risquent des poursuites pourproxntisme.Quelques jours avant la tenue de la for-mation de lAppas, les grants de lhtelqui accueillait lvnement ont fait ma-chine arrire, de peur dtre poursuivispour proxntisme. Puis le tribunal degrande instance de Strasbourg les aobligs accueillir lvnement au mo-tif que la convention de lAppas pouvait

    tre considre comme une formation lducation sexuelle en gnral.

    AMOUR. Lassistance sexuelle na rien voir avec lexploitation du corps humain,cest un faux dbat. Lchange dargentpermet de prvenir lattachement, deplacer cette prestation dans un systmede service, dfend Julia Tabath. Pourlassociation Femmes pour le dire, fem-mes pour agir, laccs la sexualit despersonnes handicapes ne doit pas pas-ser par la marchandisation des corps.Une prestation sexuelle heure fixe, jour fixe ! O est le dsir ? O estlamour ? interroge sa prsidente,

    Maudy Piot. Il y a tant dautrespossibilits, comme louverture dela socit toutes et tous, pourpermettre aux personnes handica-pes de faire des rencontres et nepas les rduire un seul besoinsexuel assouvir.Le dernier coup mdiatique de

    Marcel Nuss portera-t-il ses fruits ?Le dbat tant promis sur lassistancesexuelle aura-t-il lieu? Pas sr. Si las-sociation CH(s)OSE a bien t reue enmars au secrtariat dEtat charg desPersonnes handicapes, les dossiersnavance pas pour autant. Pour laquestion des aidants sexuels, il sagiraitde rglementer des rapports sexuels tari-fs. Et a, en France, pour le moment,cest interdit par la loi, a dclar en f-vrier sur RFI Sgolne Neuville (PS),semblant fermer toutes les portes. Enattendant, lAppas a dj programmune autre formation au mois de juin.(1) Editions LHarmattan

    ParANNECLAIRE GENTHIALONLESSENTIEL

    LE CONTEXTELa question de lassistanat sexuelpour les handicaps est posecrment dans un livre paratrevendredi, qui plaide pourune reconnaissance en France.

    LENJEULes opposants mettent en avantla nonmarchandisation des corps.

    Srie de photos ralise aux PaysBas en 2001. La France, en 2013, a tranch

    ANALYSE

    Lchangedargent permetde prvenir lattachement,de placer cette prestationdansun systmede service.Julia TabathprsidenteducollectifCH(s)OSE

    LIBRATION JEUDI 14MAI 20152 EVENEMENT

  • ParALEXANDRASCHWARTZBROD

    Sensations

    Il subsiste en Franceune ingalit criante,dont on parle trs peu,cest lingalit devantle plaisir. Les handicapsle savent bien qui finissentpar ne plus connatre de leurcorps que douleurs et gestesfroids des soins quotidiens.Comment aider des femmeset des hommes incapables debouger, et donc de se touchersans laide de quelquun, dcouvrir leur corpset les sensations agrables quecelui-ci peut leur procurer?Comment le faire surtoutsans impliquer les prochesque ces dsirs ne regardentpas? En ayant recours des assistants forms pource job et surtout rmunrs.Pourquoi? Parce queles handicaps vivent pourla plupart dans une grandesolitude affective et quele pire serait lattachement,plus cruel encore quele manque quand il nest pasassouvi. Payer permetde surmonter cet cueil.Mme Franois Hollandesest mu de ce sujet en 2012,promettant un vrai dbatpublic avant de raliser quele plaisir pour tous risquaitde lui valoir autant de retoursde bton que le mariage pourtous. Et denterrer le projet.Rsultat, la France estun des rares pays occidentaux laisser les handicaps sedbrouiller avec leur solitudeet leurs frustrations au nomde la non-marchandisationdes corps. Si nouschoisissons dy consacrerquatre pages, cest dabordpour dire quil ny a pasdemal se faire du bien,et ensuite pour expliquerprcisment de quoi ilretourne car, commesouvent, la peur et le blocagedcoulent de lignorance.Il ne sagit en aucun casdimposer quoi que ce soit,mais de laisser la possibilitde choisir des femmeset des hommes souvent privsde la moindre libert.

    DITORIAL

    dfavorablement sur laccompagnement sexuel, au nom du principe de nonutilisationmarchande du corps humain. PHOTOSFRDRIQUE JOUVAL. PICTURE TANK

    Dans le Bas-Rhin, une association formedes apprentisaccompagnants sexuels aux subtilits dumtier.

    Vous serez stigmatisscomme les invalidesE lle hausse la voix pour tenirles mdias distance desquatorze stagiaires. Cestson mari, le trs mdiatique Mar-cel Nuss, auteur de plusieurs livressur la sexualit des handicaps,qui a convi la presse cette pre-mire formation daccompa-gnants sexuels dans un petit hteldErstein (Bas-Rhin). Les journa-listes sont venus en nombre, alors Jill, habituelle-ment discrte, doit composer, arrondir les angles,surveiller les camras pour protger lanonymatdes uns et des autres.Tous les stagiaires ont t, dans leurs pratiques,confronts la question de la sexualit des person-nes handicapes. La moiti travailledans le mdico-social, lautre dans lesexe. Ce sont des escorts, comme Jill.Cest elle qui les a tous recruts, lintuition, auressenti. Les petites mains de lAppas, lassocia-tion organisatrice de la formation, ce sont, pourbeaucoup, les siennes.Ne au Chili, elle a t adopte par un ingnieuret une directrice marketing. Ils divorcent troismois plus tard. Elle grandit en banlieue parisienne,assiste la descente aux enfers dune grande femmedaffaires, sa mre. Une super-nana qui a

    beaucoup fait pour le girl power. Etla surtout soutenue dans tous seschoix, la drogue, la prostitution, lemari polyhandicap qui a deuxfois son ge.Groupie. La grande damesouffrait dune maladie dgnra-tive du cerveau. Alcoolique, elle at emporte par un cancer au d-but de lanne. Sa fille lui a ferm

    les yeux. Adolescente, Jill vit chez son pre dansle Sud de la France. Elle fait un CAP de mcanicienauto, avant de devenir htesse daccueil dans lessupermarchs. On lui dit quelle a un bon contactavec les clients. Jill suit son copain de lpoque etatterrit Strasbourg. Fatigue de lui autant que

    de lAlsace, elle part Lyon et emm-nage dans une coloc avec cinq garons.Je navais jamais t clibataire, alors je

    me suis lance dans le monde du libertinage. Je merendais seule dans des clubs changistes, des saunas,je montais dans les coins coquins. Ce monde-l meplaisait beaucoup, jai dcid den vivre, raconte-t-elle simplement. Le trottoir, trop glauque. Jillopte pour Internet, se cre une annonce, prend unsecond tlphone. Jimaginais que, pour devenirescort, il fallait parler cinq langues, tre laise dansles dners mondains En fait, on va

    REPORTAGE

    Aprs Je veux faire lamour,Marcel Nuss publie le 15 mai En dpitdu bon sens, autobiographie dunttard tuba, prfac par le philosopheMichel Onfray, publi auxditions de lEveil. Polyhandicap,lauteur crit grce un systmede reconnaissance vocale.

    REPRES

    7 ansdemprisonnement et 150000euros damende, cest la peineencourue en cas de proxntismeau terme de larticle 2255 ducode pnal.

    Lassistance sexuelle pour les personnes en situation de handicapest reconnue aux EtatsUnis et enIsral. En Europe, les assistantssexuels sont reconnus ou bnficient dun statut en Allemagne,PaysBas, Danemark, Suisse,Autriche, Italie et Espagne.

    AnneClaire Genthialonvous en dit plus au micro

    de Florent Chatainwww.liberation.fr

    RADIO

    Suite page 4

    ALLEMAGNE

    MO

    SELL

    E

    VOSGES

    BAS-RHIN

    HAUT-RHIN

    Strasbourg

    Erstein

    25 km

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 3

  • dans un appart passer une oudeux heures et on nest pas oblig de se taper un s-minaire avant ! A ses dbuts, elle est gne dedemander de largent pour quelque chose qu[elle]faisait gratis auparavant.Un jour, un client lappelle. Il est Grenoble. Jillsouffle dans le combin. Si dj une heure de routea vous fait peine, mieux vaut quon raccroche, luidit lhomme. Il est en fauteuil roulant. Jill ne voitpas o est le problme. Son souci, cest de trouverun moyen de locomotion. Elle y parviendra.Ctait sympa, je suis reste laprs-midi entier, jelui ai demand de tout mexpliquer. Car je vivaiscomme une valide dans un monde de valides. Jai eudu plaisir et lui aussi. Sur le chemin du retour, je mesuis mise penser tous ces gens qui ne peuvent passe dshabiller, se gratter loreille, manger, se mastur-ber, caresser lautre En rentrant, elle contactedes associations pour proposer ses services. EnSuisse, jai t accueillie comme le messie. L-bas,les assistants sexuels nembrassent pas et refusentla pntration. Pas moi, explique-t-elle. Les asso-ciations franaises jouent discrtement les inter-mdiaires, la mettent en relation avec des person-nes handicapes de toute la France. Beaucoupde clients valides sattachent, sont en mode PrettyWoman. Ils voulaient memmener, me sortir de l,sans comprendre que jtais trs bien! Les handicapssinterdisent demble toute projection. Depuis leurenfance, on leur rpte que la femme et les enfants,le pavillon en banlieue et le chien, ce nest paspour eux.Jill lit tous les articles sur le sujet. Le nom de Mar-cel Nuss revient sans cesse. En groupie, la jeunefemme rve de le rencontrer. Ils correspondent parmails, discutent via Skype et tombent amoureux.Il linvite passer un week-end dans son pavillondErstein. Un mois plus tard, elle sinstalle. Ctaiten janvier 2013. A ct de Marcel, terriblementviril, ses ex, des jeunes grands et bruns, passentpour des lavettes et des losers.Frileuses. Ensemble, ils cument les colloqueset confrences consacres la sexualit et au han-dicap. Des gens qui ne sont pas concerns mais quiparlent beaucoup. Finalement, les grandes associa-tions sont trs frileuses, nous voulions faire les chosessimplement et passer laction pour former des pros-titues volontaires. LAppas nat ainsi. Et le 14 f-vrier dernier, Marcel et Jill se marient. Un bb esten projet. A 60 ans, Marcel a lge de son pre; 30 ans, Jill a lge de sa fille. Quatre auxiliaires devie se relaient pour soccuper de son mari. Elle par-ticipe au roulement, histoire dtre seule avec lui.Lancienne femme de Marcel a tout assum pendantvingt-trois ans en plus de lducation de leurs deuxenfants. Admirable, dit Jill. Parfois, elle a un peuhonte de le dire, elle se pose comme un dchetsous sa couette, mange du chocolat et regarde Con-fessions intimes. Dans le milieu, on la surnommela Brigitte Lahaie des handicaps. Sur Facebook,elle rassure les uns sur leur sex-appeal, console lescurs tristes, donne des conseils de drague.Elle a reu des dizaines de demandes pour la for-mation. Il y a des gens qui arrivent avec un discoursmagnifique sur le don de soi, mais jai senti que celanallait pas le faire du tout! annonce Jill, lil rieur.On peut aider une personne handicape en faisant lescourses, du bricolage. Pourquoi vouloir se mettre nudans un lit et avoir un rapport sexuel avec elle? Unmonsieur disait avoir tellement envie de faire dubien nos amies roulettes. Trop prsomptueux,recal. Un autre, au cours de lentretien, a avouquil faisait chambre part depuis deux ans avecsa femme, au moins, une femme handicape nepourra pas me dire non. Recal. Une chmeusevoulait se lancer dans cette carrire, estimant lesdbouchs prometteurs. Recale.Ceux qui ont t retenus sont gs de 21 73 ans,ont une sexualit panouie, et sont capablesdapprendre sur eux-mmes, a peru Jill. Elle a t-moign durant la formation et a mis en garde lessoignants: on ne pratique pas avec ses patients.Cela ne peut pas tre : Je viens pour votre panse-ment et aprs ce sera une petite fellation. Tousnexerceront pas. Ce sera plus facile pour les tra-

    Jill (en haut gauche)etMarcel Nuss ( droite),ont organis uneformation pour lesaccompagnants sexuelsle 14mars Erstein.Parmi les intervenants,Nina deVries (en bas gauche), prtresse de laprofession enAllemagne.PHOTOSPASCALBASTIEN

    vailleurs du sexe, reconnat Jill. Durant ces quatrejours, ils ont parl de confiance, de sexualit, rfl-chi la chimie des motions, chang avec des os-topathes, des psychologues, sexologues, juristesConseils pratiques. Nina de Vries, prtresse delassistance sexuelle en Allemagne, sest raconte,saupoudrant des conseils pratiques. Si aprs laprestation, la personne est triste, ne la consolez pas;ne montrez pas que vous avez peur ou que vous res-sentez de la piti, mais soyez-en conscient; soyezdroit dans vos bottes car vous serez stigmatiss par

    la socit comme les handicaps le sont. Avoir djeu un chagrin damour est un plus, avoir djachet un service sexuel aussi. Un orgasme avecune personne handicape, le nec plus ultra. Lesstagiaires auraient voulu davantage de concret, aumoins entendre des handicaps exprimer leurs d-sirs, leurs frustrations. Je leur ai propos de peloterMarcel, plaisante Jill. Elle promet dadapter lecontenu de la prochaine session de juin. Des dizai-nes de candidatures sont dj arrives.

    Envoye spciale Erstein NOMIE ROUSSEAU

    Suite de la page 3

    LIBRATION JEUDI 14MAI 20154 EVENEMENT

  • JULIEN27 ANS, INFIRMEMOTEURCRBRAL:

    Jai dj pens faireappel des prostitues

    J e vis en appartement individueldepuis septembre Strasbourg.Jai pass toute ma vie en institu-tion, partir de mes 4 ans, jai tinterne dans des structures mdico-so-ciales. Jai eu plusieurs histoiresdamour avec des internes, handicapeselles aussi, souvent plus que moi. Noustions assez pudiques, on se voyait dansles coins, derrire le mur de la cantine,dans le parc pour sembrasser. Celanallait pas plus loin, car nous ntionsjamais labri des regards. Plusieursfois, on sest fait surprendre par la sur-veillante. Ctait trs gnant. Des amissont passs en conseil de discipline, ontt mis pied trois jours parce que leurcompagnon de chambre les a surpris enpleine fellation. La seule solution, cestde tomber sur un pion sympa. Je nenai rencontr quun seul. Il enfermait lescouples dans la salle de classe, seuls.Pour ne pas se faire prendre, les gensvont dans les toilettes, les salles debains. Il y a mme eu des histoires decul entre une pionne et des lves. Toutle monde y trouvait son compte. asest su Elle a t exclue.Jai rencontr une fille juste avantquelle ne retourne vivre chez ses pa-rents, la campagne, o la voiture estindispensable. Jai t oblig de mettremes parents dans la confidence. Ils ont

    accept de memmener voir une picede thtre laquelle elle devait assis-ter avec son pre. Les retrouvaillesont d se faire en public, devant toutle monde Ce jour-l, ses parentsont compris que notre relation taitsrieuse. Le week-end, sa mre ladposait chez la mienne pour laprs-midi. Ma mre restait toujours, au caso nous aurions besoin de quelquechose.Je nai jamais t avec une femmevalide. Jai trop peur de leur faire subirmon handicap. Je nai pas envie quema femme mhabille, me dshabille,quelle finisse par me voir comme quel-quun dinfrieur. Faire appel desprostitues, jy ai dj pens. Ma mrema dit que si a devait se faire, ce seraitmieux la maison, quelle partirait etque je naurais qu lappeler sur sonportable quand ce serait fini.Ce nest que rcemment que jaipu faire lamour jusqu la pntration.Ma copine, elle aussi en fauteuil,ma aid me dshabiller et me rha-biller. Un accompagnement sexuel nouspermettrait de vivre pleinement notresexualit. Ce pourrait tre une solutionmais cest tellement intime! Pour lins-tant, on se contente de ce quon arrive faire.

    Recueilli par N.Ro.

    SABINE50ANS, ASSISTANTE SEXUELLE:

    Jememets dispositionde lapersonne

    D epuis le mois dernier, je suisassistante sexuelle certifie etdes institutions font appel moi pour raliser des accompagnementssensuels. Au cours des deux derniresannes, jai suivi une formation organi-se par lassociation Corps solidaires, enSuisse, pays o lassistance sexuelle estlgale. Les cours thoriques et pratiquestaient dispenss par des experts duhandicap, des psychologues Pour in-tgrer la formation, jai t slection-ne: les participants devaient avoir plusde 30 ans et exercer une activit pour nepas vivre de lassistance sexuelle.Devenir assistante sexuelle est labou-tissement dun cheminement. Jai tducatrice spcialise et jai t mariependant plusieurs annes une per-sonne handicape moteur. Pour moi,cest tellement vident ! Comment nepas tre interpelle par ces personnespour qui tout plaisir, tout dsir est im-possible ? Bien sr, il faut tre au clairavec sa vie sexuelle. Cest une forme dedon de soi et tout le monde na pas lamaturit pour. Mais un accompagne-

    ment est avant tout une rencontre entreun assistant et un bnficiaire. Ma pre-mire assistance a t magnifique. Sedonner et recevoir dans le plus grandrespect est trs fort. Au pralable, nousdterminons les besoins, les envies dela personne handicape. Pour certains,il sagit dapprendre connatre cecorps, leur montrer quil nest pas quelobjet de soins mais quil peut tre tou-ch, caress. Dans ce processus, lassis-tant est libre de fixer ses limites.Moi, par exemple, je nembrasse paset je naccepte pas encore la pntra-tion. Je me mets la disposition de lapersonne pour un moment de bien-tre, de douceur, de plaisir. Je suis r-munre entre 100 et 130 euros delheure. Largent permet de ne pas avoirdinvestissement affectif. Je suis encontact rgulier avec les autres assis-tants de ma formation, cest importantde pouvoir changer entre nous sur ceque nous vivons, et cest un moyenaussi de nous superviser, de nous enca-drer pour prvenir toute drive.

    Recueilli par A.-C..G.

    RMI GENDARME 32ANS, HANDICAPMOTEUR,RALISATEURDEDOCUMENTAIRES:

    Lide dassistancesexuelleme choqueJ e suis handicap moteur. Je faispartie de ces personnes qui nepeuvent pas avoir accs leurcorps. Dans ce dbat, je fais partie despremiers concerns ! (1) Et pourtant,lide mme dassistance sexuelle mechoque. Tous les arguments que je peuxentendre autour de cette question, cestde la charit la sauce judo-chr-tienne. Je trouve cette ide violente,discriminatoire. Lide mme de fournirun service spcialis, cest reconnatreque les corps handicaps ne ferontjamais envie ! Quils ne peuvent pasplaire. Le prjug nest pas de dire queles personnes handicapes nont pas desexualit, mais de considrer quellessont condamnes dsirer. Que leplaisir de faire lamour ne serait paspartag ! Moi, jaffirme que le seulbesoin que nous avons, cest, validesou pas, davoir lopportunit de sereconnatre dans le regard de lautre, dese rencontrer.Alors que nous venons de passer le capdes dix ans de la loi pour la participa-tion et la citoyennet des personnes

    handicapes, et avant de valoriser despropositions bankable, assurons-nousque le minimum vital soit bien mis enuvre pour quelles puissent vivre defaon autonome et libre. Il faut que lestablissements soient plus ouverts, quelon permette dy accueillir des person-nes de lextrieur et quelles puissent ydormir. Que les personnes en situationde handicap vivant chez elles bnfi-cient daides pour ne pas rester clotreset puissent accder la vie en communet aux rencontres ! Et, pour ceux quinont pas accs leur propre corps,pourquoi des ergothrapeutes ne tra-vailleraient pas des sex-toys adaptspour vivre des moments dextase entoute autonomie ?La sexualit ne peut tre entenduecomme un besoin spcifique hors delide dun accs lducation, laprvention, lintimit et la libert.

    Recueilli par A.-C.G.

    (1) RmiGendarme est aussi lauteur deJe naccepterai aucune assistante sexuellesi lui faire lamour ne la fait pas ellemmetrembler de plaisir (ditions Flblb).

    LAETITIA REBORD32ANS, ATTEINTEDUNEAMYOTROPHIE SPINALE:

    Jai peurdemourir sansavoir eude relationJ ai une maladie gntique volu-tive qui me paralyse complte-ment. Dcouvrir son corps, cestcompliqu quand on ne peut pas se tou-cher sans laide de quelquun, mme sije ressens tout. Et puis, jai t touchepar beaucoup de mains depuis ma nais-sance, celles dinfirmiers, daidantsDes gens qui mont vue nue. Aujour-dhui, jessaie de mincarner dans moncorps. A luniversit, je tranais essen-tiellement avec des valides. Je suis sou-vent tombe amoureuse; ce ntait pasrciproque. Les hommes ont vraimentdu mal avec le handicap. Jai une auxi-liaire de vie 24h /24h, huit personnes serelaient. Je serai panouie lorsque jauraitrouv quelquun qui maime.Bien sr, dans mes fantasmes, je ren-contre cette personne et la sexualitvient naturellement. Mais rien ne sepasse et le temps presse. Jai peur demourir sans avoir connu les relationssexuelles. Voil un an et demi, jai con-tact des escort-boys, cest arriv deuxfois. Les deux ont refus. Je milite pourune forme de prostitution spcialiseavec plus dhumanit derrire quunepipe 20 euros! Je suis exigeante! Ilme faut un accompagnant sexuel mongot. La plupart de ceux que je connaisont un certain ge, voire lge de monpre Cest sr que ce mtier ncessite

    une maturit sexuelle. Je fonde tousmes espoirs sur la formation de lAppas(lire pages 3 et 4). Il y a beaucoupdhommes forms, et des jeunes !Mattacher, cest ce qui me fait le pluspeur. Quand on est tellement en man-que affectif comme moi Si je suis clairedans ma tte, je peux sans doute faire ensorte de ne pas trop souffrir par la suite.Cest un risque que jaccepte. La socita tendance vouloir surprotger lespersonnes vulnrables. On ma souventdemand si je navais pas peur de tom-ber sur un pervers. Mais je ne vais pasminterdire toute sexualit !Mes parents ne sont pas gns lideque je fasse appel un accompagnantsexuel. Simplement, ma maman a dumal imaginer une relation sans senti-ment. Mais on en est toutes capables. Etpuis, la prestation est tarife, cest unebarrire. Jimagine une rencontre aupa-ravant, pour connatre la personne, dis-cuter de ce quon va faire. Toucher lecorps dun homme nu, cest trs im-portant pour moi. Il y a des personnesqui se satisfont de massages rotiques.Je pense avoir besoin daller jusquaubout. Laccompagnement sexuel ne vapas gurir ma solitude. Ce sera un levierpour aller vers dautres choses. Je mesentirai dj plus femme.

    Recueilli par N.Ro.

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 EVENEMENT 5

  • AuBurundi,larmepasseaucoupdEtatAprs avoir enflamm la rue, lobstinationduprsident PierreNkurunziza rester aupouvoir pour un troisimemandat a entranlinterventiondesmilitaires.

    ParMARIA MALAGARDIS

    U n homme providentielpeut-il empcher le Burundide sombrer dans un bain desang ? En annonant mer-credi matin, sur les ondes de la radioprive Insanganiro, que les forces descurit avaient dcid de prendre ladestine du pays en main, le major-g-nral Godefroid Niyombare a cr ladivine surprise que beaucoupespraient sans plus y croire,dans ce petit pays de lAfriquedes Grands Lacs. Peu aprs ce coup dethtre, des milliers de manifestantssont descendus dans les rues de Bujum-bura, la capitale, pour exprimer leurjoie et leur soulagement aprs des se-maines de confrontations violentes avecles forces de lordre.Il peut sembler paradoxal de se rjouirdun coup dEtat militaire dans un paysqui en a dj connu quatre depuis 1966.Mais ce coup de tonnerre dans un cielbien peu serein est mettre en relationavec le coup dEtat lectoral que ten-tait dimposer Pierre Nkurunziza depuisle 25 avril, lorsquil avait officiellementconfirm son intention de briguer un

    troisime mandat. Cette candidature detrop, juge inconstitutionnelle lissuede deux mandats dj calamiteux, avaitaussitt enflamm la rue. Or malgr lesmorts une vingtaine et le front com-mun de lopposition, laquelle rsistait toutes les sirnes ethniques manipu-les par le pouvoir, Pierre Nkurunzizasobstinait. Mercredi matin, quand il at brusquement destitu, il ntait pas Bujumbura. Mais un sommet rgio-

    nal Dar es-Salaam, en Tanza-nie, consacr la situation auBurundi. Officiellement on ne

    devait y aborder que la question des r-fugis qui affluaient dans les pays voi-sins suite aux violences (lire ci-contre).Et non le troisime mandat. Reste quetout le monde connaissait lhostilit quecette option suscitait auprs de tous lesinterlocuteurs rgionaux, comme desOccidentaux. Et la runion tait biencense tre celle de la dernirechance pour convaincre le Prsident,au moins, de reporter ces lections po-tentiellement explosives.

    SAUVEUR. En fin daprs-midi les parti-cipants au sommet ont certes con-damn le coup dEtat. Une position de

    RCIT

    LIBRATION JEUDI 14MAI 20156 MONDE

  • principe pour lUnion africaine, quiavait de la mme faon condamn leralliement des militaires aux manifes-tants lors de la chute de Blaise Compa-or, au Burkina Faso, en novembre.Sans pour autant rclamer le retour dece dernier au pouvoir.Mercredi aprs-midi, Bujumbura, desngociations taient dj en cours entremilitaires putschistes et loyalistes, tousdaccord pour viter de verser le sangdes Burundais. Pierre Nkurunzizapeut-il encore compter sur un derniercarr de fidles? Ou sur ses miliciens?Il aura en tout cas commis lerreur clas-sique de quitter son pays en pleinecrise. Son absence offrait la meilleureopportunit pour le mettre hors-jeu. Enle destituant, le gnral Niyombare sestpos en sauveur de lunit nationalemais aussi en garant de la reprise duprocessus lectoral, dans un climat se-rein. Les putschistes nentendent doncpas garder le pouvoir.

    DISGRCE. Dans sa premire dclara-tion, le gnral na pas manqu dajou-ter quil avait observ avec dsolationles violences et le cynisme qui ont ca-ractris son ancien compagnon dar-mes. Car le prsident destitu et lechef des putschistes se connaissent trsbien. Pierre Nkurunziza et GodefroidNiyombare ont fait partie du mmemouvement de rbellion pendant lalongue guerre civile qui a meurtri lepays, partir de 1993, la suite dunprcdent et sanglant coup dEtat.Aprs le retour de la paix et la signaturedes accords dArusha en 2000, Niyom-bare devient chef dtat-major et sim-plique activement dans lintgration desdiffrents mouvements de gurillas ausein de larme. Il y reste dailleurs trsapprci. Encore aujourdhui membredu parti prsidentiel, le CCDD-FND,Niyombare aura t brivement chef desservices de renseignement, avant dtrebrusquement remerci en fvrier pouravoir os mettre en doute lopportunitdu fameux troisime mandat. Depuis,il vivait lcart, sans cesse menac. Onavait mme tent dassassiner sa femme,affirme un proche du gnral.Face la situation explosive du Burundi,cet homme du srail tomb en disgrcea lavantage dtre Hutu, la mme eth-nie que le Prsident. Disqualifiant ainside facto toute nouvelle tentative desfaucons pour rveiller les braises delaffrontement ethnique. Nkurunzizafut aussi un temps prof de gym, ce quilencourage peut-tre montrer ses ca-pacits dendurance: aprs avoir tentde nier le coup dEtat, il a quitt Dar es-Salaam, mercredi en fin daprs-midi,direction Bujumbura. Aussitt, fronti-res et aroport ont t ferms. Quant la police, contrle par le rgime, elletait invisible.

    Les dizaines demilliers de Burundais, souvent tutsis, entasssdans les campsduHCR, craignent un rveil du conflit ethnique.

    AuRwanda, le spectre delpurationhante les rfugisD ans lattente dune rationde mas et de haricots, An-celme (1) dambule parmi destoilettes prfabriques et des tentesblanches sans savoir o aller, commeun bateau la drive. Le terrain devolley install leur intention par dejeunes humanitaires occidentaux nychange rien: tous les r-fugis du camp de Gas-hora, dans le sud duRwanda, ont le mme regard inquiet,les mmes vtements quils nont paschang depuis plusieurs semaines,souvent les mmes craintes et parfoisles mmes souvenirs que ce cultiva-teur de 43 ans qui en accuse dj dixde plus.Plus de 5000 Burundais, majoritaire-ment des femmes et des enfants, sontpris en charge par le gouvernementrwandais et le Haut Commissariatpour les rfugis (HCR) dans ce campmilitaire dsaffect. Cent personnesen moyenne arrivent chaque jour de-puis la frontire, trente minutes deroute. Un millier sont ensuite dpla-cs vers le camp de Mahama, danslest du Rwanda. A trente minutes deroute de l, on est Kigali, la capitale.Bribes. Trois semaines aprs le dbutdu mouvement contre un troisimemandat du prsident de la Rpubli-que, Pierre Nkurunziza, beaucoup derfugis de Gashora ne sont pas aucourant des vnements en cours Bujumbura (lire ci-contre). Des bribesdinformations filtrent par la radiorwandaise pour ceux qui arrivent la capter. Les autres rclament desunits tlphoniques pour appeler delautre ct de la frontire.Selon lONU, 50 000 Burundais ontrejoint en un mois la rpublique d-mocratique du Congo, la Tanzanie etle Rwanda, le pays qui en accueillele plus: 25000 au total. Le week-enddernier, le Programme alimentairemondial (PAM) sest inquit dunecrise humanitaire et a indiqu treprt venir en aide 50000 person-nes de plus dans les trois prochainsmois si la crise persistait au Burundi.Assis au pied dun arbre, Ancelme serappelle de lanne 1993, quand lesTutsis burundais quittaient leur mai-son aprs lassassinat du prsidenthutu Melchior Ndadaye, qui sonna le

    dbut de dix ans de guerre civile: Alpoque, on avait fui dans les commu-nes voisines. Vingt-deux ans plustard, il refait son baluchon et quittesa province natale de Kirundo, rgiondu nord frontalire avec le Rwanda.Sa femme et ses six enfants dormenteux aussi sous les tentes du HCR.

    Les gens du parti au pou-voir nous ont prvenus, ra-conte-t-il, en colre. Ils

    ont dit : Tous ceux qui contestent letroisime mandat du Prsident seronttus. Ancelme a dcid de partir la fin avril, au moment o le congrsdu CNDD-FDD a dsign Pierre Nku-runziza comme son candidat laprsidentielle de juin.Barrages. Un groupe rejoint An-celme au pied de larbre. Il y a desfemmes, des enfants, des adoles-cents, des vieillards et quelques hom-mes de son ge. Un bb dans lesbras, un couple raconte avoir fui lamme province, dans les mmes con-ditions : pied, en laissant les plusvieux derrire eux et en se mfiantdes barrages dresss certains pointsde la frontire par les Imbonerakure,

    la ligue de jeunesse du CNDD-FDD,accuse dtre une milice arme parles Nations unies. Nous sommes despotiers Twa [le troisime groupe duBurundi, ndlr], raconte lhomme. LesImbonerakure ont marqu la porte denotre maison et nous ont dit quils cas-seraient nos pots sur nos ttes parce quenous ne sommes pas du parti. Des mai-sons ont brl dans la nuit. Nous som-mes alls sauver une femme, puis on atent de rclamer justice. La police nousa dit de rentrer chez nous.Les rfrences aux Imbonerakure re-viennent sans cesse dans les rcitsdes rfugis. Lautre jour, on en atrouv deux dans le camp, on les a re-mis aux policiers rwandais, sex-clame Bosco, venu de la province deBururi, dans le sud du Burundi. Une

    nuit, il a abandonn ses vaches et seschvres sur sa colline. Il soccupe d-sormais du nettoyage du camp, ungilet du HCR sur le dos et pay aulance-pierres. Moi, je suis membre delUprona [lancien parti unique tutsi,dont une aile est dans lopposition],raconte-t-il. Ma maison a t atta-que, alors je me suis enfui avec mafemme et mes cinq enfants.Dbut avril, un document confiden-tiel de lONU confirmait que certainsmembres des Imbonerakure staientarms. Nous aussi, nous avons r-clam des armes, poursuit Bosco. Maisles autorits nous ont rpondu de chan-ger de parti.Gnocide. Quand on parle politi-que, les regards sont plus gnsquinquiets. On trouve parmi les r-fugis des membres des principauxgroupes dopposition burundais,mais aucun militant du CNDD-FDD,malgr les nombreuses divisions queconnat le parti prsidentiel. Unjour, jai entendu un Imbonerakuredire que leur objectif tait de ne plus voirde Tutsis au Burundi dici 2020,ajoute Bosco. Une question qui, du

    ct rwandais de lafrontire, inquite ga-lement tous ceux quise rappellent du gno-cide de 1994 et se m-fient dune ventuelleinfiltration au Burundides Forces dmocrati-ques de libration du

    Rwanda (FDLR), hritires des mili-ces hutues rwandaises Interahamwebases au Congo. Il y a des Hutus etdes Tutsis dans larme burundaise, ditBosco. Mais on a peur que des militai-res hutus se mettent tuer des militai-res tutsis, ou linverse.Quand je vais rentrer, je sais que mamaison aura t vide, quils aurontpill les tles du toit. Celles de mes voi-sins ont dj t dtruites, lche An-celme. On a dj voulu tuer mon prequand les Tutsis se faisaient tuer, parceque lui aussi tait de lUprona. Ilmavait dit de ne jamais appartenir un autre parti avant de mourirdans un camp de rfugis.

    Envoy spcial KigaliPIERRE BENETTI

    (1) Les prnoms ont t changs.

    17jours de contestation dans la rueont fini par pousser larmeburundaise ragir contre letroisime mandat de PierreNkurunziza. Au moment o lePrsident se trouvait hors du pays.

    50 km

    RWANDATANZANIE

    RPDM

    DUC

    ONGO BURUNDI

    Bujumbura

    GashoraKigali LA MALDICTION DUTROISIME MANDATCest son obstination se reprsenter une fois de trop qui a peuttre perdu Pierre Nkurunziza. Dela mme faon quelle a perduBlaise Compaor au Burkina Faso.En Afrique, il y a dautres candidatsau mandat de trop : au Congo,en RDC et peuttre au Rwanda.

    REPRES

    Un jour, jai entenduunImbonerakure [milicien dupartiprsidentiel, ndlr]dire que leurobjectif tait de ne plus voir deTutsis au Burundi dici 2020.Boscomembrede lUprona, unparti dopposition

    REPORTAGE

    10ans au pouvoir nauront pasrendu Pierre Nkurunzizaparticulirement populaire. Cestpar la rpression policire et lesintimidations quil persistait semaintenir la tte de lEtat.

    Unpolicier et unsoldat burundaisrepoussent lesmanifestants,mercredi Bujumbura.PHOTOJENNIFERHUXTA. AFP

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 MONDE 7

  • Migrants:lEuropeinventelasolidaritparquotas

    LaCommissiona prsentmercredi sesmesures pourrpondre lafflux dedemandeursdasile dans lUEet soulager lespays du Sud.

    L a Commission europennea prsent mercredi sastratgie pour une politi-que migratoire. Quotas,rinstallation et lutte contre lespasseurs font partie des mesuresqui seront dbattues ces prochainsjours. Dans ce catalogue, on trouvedes dispositions de long terme,comme une possible ouverture delimmigration lgale, et dautresenvisages pour le mois de mai.

    QUE SIGNIFIENT LES QUOTAS ?Cest la proposition phare: organi-ser une rpartition de demandeursdasile dans lUnion europenne.Partant du constat que la solidaritentre Etats membres est proche dezro lorsquil sagit de les accueillir,la Commission imagine un mca-nisme temporaire pour une rparti-tion selon des critres objectifs :PIB, nombre dhabitants, de de-mandeurs dasile accueillis de-puis 2010, de rfugis rinstalls,taux de chmage. Ce systme nefonctionnerait quen cas daffluxmassif de demandeurs dasile(notion qui nest pas encore dfi-nie), pour des personnes dont lebesoin de protection est clair. Dansce cadre-l, la France accueillerait14,17% de ces personnes.Le systme de rpartition concer-nerait des demandeurs dont on peutpenser, a priori et aprsun premier entretien,quils ont de forteschances de devenir rfugis. Selonune source europenne, les Syrienset les Erythrens seraient les pre-miers concerns. Cette faon dor-ganiser laccueil de potentiels rfu-gis serait une premire en Europe.Jusqu prsent, seul le rglementDublin III sen mlait. Un rglementrgulirement critiqu car il faitporter la charge de laccueil sur lespays du sud de lEurope: les pre-miers pays de passage des deman-deurs dasile sont les responsablesde lexamen de la demande. SelonKris Pollet, conseiller juridique ausein de lONG Ecre (Conseil euro-pen pour les rfugis et exils), onse situerait ici dans un cadre dro-gatoire au rglement Dublin, davan-tage tourn vers la solidarit.

    QUI SY OPPOSE ?Theresa May, la ministre de lInt-rieur britannique, a dj fait mon-

    ter la pression en assurant quun telsystme encouragerait davantageles migrants se lancer dans destraverses prilleuses. La Hongriesoppose aussi aux quotas. Mais ilest peu probable que les adversairesde cette mesure puissent labloquer. Les pays qui accueillent leplus de demandeurs dasile, ceux

    du Sud en premireligne, comme la Grceet lItalie, mais aussi

    la France et lAllemagne, se sontprononcs en faveur dun telsystme.La base juridique utilise par laCommission (article 78, paragra-phe 3, du trait sur le fonctionne-ment de lUE) pour laborer sa pro-position implique quune majoritqualifie des Etats membres suffit

    pour ladopter. Cest une vraie n-gociation politique qui va sengager,estime Yves Pascouau, directeur duprogramme migrations du thinktank European Policy Centre. Cestintressant. Ce qui est certain, cestque la participation volontaire nefonctionne pas. On passe la vitessesuprieure avec un systme de solida-rit contraignante. Notons au pas-sage que, selon les traits, leRoyaume-Uni, lIrlande et le Dane-mark ont la possibilit de ne pasparticiper un tel programme.

    QUELLES MESURESCONTRE LES PASSEURS ?Alors que Federica Mogherini,vice-prsidente de la Commissioneuropenne et haute reprsentantede lUE pour la politique extrieure,

    tte le terrain auprs du Conseil descurit pour une opration mari-time, selon les lments delangage en vigueur dans les eauxlibyennes, afin de dtruire lesbateaux des passeurs, des mesurescomplmentaires ont t prsen-tes mercredi.Il sagit pour lessentiel damlio-rer la collecte de renseignementsconcernant les organisations cri-minelles qui prosprent sur lecommerce migratoire. Le rledEuropol (lagence europenne depolice) sera renforc, commen-cer par sa mission Jot Mare quivise dmanteler les rseaux. Lacoordination entre diffrentesagences europennes (dont Fron-tex, pour la scurit maritime, ouencore Eurojust, pour la coopra-

    tion judiciaire) est lordre dujour. Le but poursuivi par lUnioneuropenne est de mieux com-prendre les rseaux de passeurs,de reprer leurs modalits dactionafin de les dmanteler, de sattaquer leurs avoirs et de juger leurs res-ponsables. Un plan daction serapropos la fin du mois. Ce 18 mai,le Conseil des ministres des Affai-res trangres voquera sa mise enuvre, y compris la neutralisationdes bateaux de passeurs, mesuredont la faisabilit laisse pour lemoins sceptiques nombre dex-perts.

    COMMENT AIDER LA RINSTALLATION ?Bruxelles souhaite que les Etatssengagent davantage dans desprogrammes de rinstallation quipermettent de transfrer vers lEu-rope des personnes dj rfugiesdans des pays proches des zones deconflit. On pense par exemple auLiban qui accueille prs de 1,3 mil-lion de rfugis syriens. La Com-mission propose daider la rins-tallation de 20000 rfugis par an.Son aide est chiffre: elle est prte engager 50 millions deuros pourla priode 2015-2016. La rparti-tion se ferait sur la mme logiquedes quotas, pour lheure sur unebase volontaire.

    ParCDRIC VALLETIntrimBruxelles

    DCRYPTAGE

    Desmigrants tentent de rejoindre les ctes grecques de lle de Rhodes, le 20 avril. PHOTOARGIRISMANTIKOS. REUTERS

    14%Ce serait la part de demandeurs dasile accueillir parla France en cas daffluxmassif, selon les quotasproposs par Bruxelles.

    Plus de 360000 demandesdasile ont t traitesen 2014 par les 28 Etatsde lUnion europenne.La moiti seulement 185000ont t acceptes, et six paysont assum lessentiel deleffort: Allemagne, Sude,France, Italie, RoyaumeUniet PaysBas.

    REPRES

    Unemissionnavaledoit tre lance pourperturber les activits despasseurs,mais il nest pasquestiondoprationsmilitaires en Libye.Federica Mogherinichefde ladiplomatieeuropenne

    LIBRATION JEUDI 14MAI 20158 MONDE

  • Nousnavons pastout fait lammevaluation [de lasituation],maiscette rencontre nousa permis demieuxnous comprendre.Notamment surla ncessit dviterles gestes quipourraient nuire long terme auxrelations bilatralesentre la Russieet les Etats-Unis.Sergue Lavrovleministre russedesAffairestrangres, proposde la rencontreentre sonhomologueamricain,JohnKerry, etVladimirPoutine, qui a eu lieumardi.

    4,5%Cest la part dlushomosexuels au nouveauParlement britannique(29 sur 650) ce qui leplace en premier dansle monde en termes dereprsentation LGBT.Etabli par un professeur delUniversit de Caroline duNord, Andrew Reynolds,ce chiffre comprend leslus ouvertement homosexuels et ceux qui ontdemand tre inclus.

    P lusieurs actes daccu-sation pour crimes deguerre contre Bacharal-Assad et ses collabora-teurs ont t de nouveau ta-blis par une commission in-ternationale finance par lesOccidentaux. Ces actes sefondent sur des documentsofficiels sortis clandestine-ment de Syrie, selon unrapport de Commission in-ternationale pour la justice etla responsabilit (Cija) dontThe Guardian se fait large-ment lcho. Le quotidienbritannique ajoute que laCija, finance par plusieursgouvernements occidentaux,a galement tabli des actesdaccusation contre la rbel-lion pour crimes contre lhu-manit.Ce matriel accumul par laCija ne peut pour le momenttre dpos devant la Courpnale internationale (CPI),la Chine et la Russie, un desmeilleurs allis dAl-Assad,bloquant systmatiquement lONU toute possibilit desaisine du procureur sur lecas de la Syrie.Manie. Les preuves pr-sentes dans les actes dac-cusation sont fondes surdes documents gouverne-mentaux sortis de Syrie parune quipe de 60 enquteurssyriens au pril de leur vie.Environ 500 000 pages ontt rassembles par la Cija, tel point quil a fallu recruterdes employs pour visionnerdes heures de vidos de cri-mes prsums commis parlopposition ou les groupes

    jihadistes, dont lEtat isla-mique (EI).Si les trois actes daccusationportent principalement surles premiers mois du soul-vement contre le rgime, partir de mars 2011, ils met-tent surtout en lumire lamachine administrative de larpression. Les documentsofficiels subtiliss montrentdes ordres prcis pour cra-ser le soulvement populaire

    qui stendait de Damas auxdiffrentes provinces, selonla Cija. Ainsi, la manie durgime de donner des ordrescrits travers la chane decommandement et de rappor-ter aussi par crit ce quil sestpass montre que tout remonteau plus haut du pouvoir Damas.Ces documents permettentde connatre les rouages durgime, qui a voulu dmon-trer, mercredi, par une photopublie par lagence officielleSana, quAli Mamlouk, chefdes services de scurit, neserait pas assign rsi-dence, contrairement cequont avanc mardi par desjournaux europens. Ceux-cifaisaient tat de contactsdAli Mamlouk avec les ser-vices secrets turcs et du faitquil ait dnonc lenvahis-sante prsence iranienne.

    Pour dmonter cette thse,Mamlouk est montr auxcts de Bachar al-Assad etdu chef la commission duParlement iranien pour lapolitique trangre et la s-curit nationale, AlaeddineBoroujerdi. A en croire cettemise en scne, Ali Mamloukserait toujours une picematresse du systme Al-As-sad, qui chaque jour ne peutque constater la perte de

    pans entiers duterritoire. Mer-credi, les jihadis-tes de lEI ont prisune grande partiedune localit si-tue sur une routestratgique de la

    province de Homs (centre)aprs des combats ayant fait48 morts.Jihadistes. Selon lObser-vatoire syrien des droits delhomme (OSDH) le groupeextrmiste sest empar delarges parties dAl-Soukhnaet de ses environs aprs descombats commencs dans lanuit de mardi mercredi. Legouverneur de Homs, TalalBarazi, a confirm lAFPque les jihadistes taient en-trs dans certains quartiersde la ville. Selon lObserva-toire, au moins 28 soldats etsuppltifs ainsi que 20 jiha-distes de lEI ont t tus et100 belligrants ont t bles-ss. Aujourdhui, la capitaleprovinciale de Homs est qua-siment sous le contrle durgime mais assige par lesinsurgs et lEI.

    JEAN-LOUIS LE TOUZET

    Syrie:lesrouagesdelarpressionaugrandjourCRIMES DE GUERREDesdocuments officiels sortisdupaysdcrivent lamachinede terreurdAl-Assad.

    Le procs deMark Colborne, Anglais de 37 ans, a dbutce mardi. Il avait t arrt en juin car il projetait de commettre des attentats contre les princes Charles etWilliam. Ainsi, Harry, troisime dans la ligne de successionet aux cheveux roux, aurait pu accder au trne. Je veuxun attentat terroriste de masse qui attirera lattention surnotre souffrance, [] celle de mes frres travers lemonde.Colborne avait exprim par crit dans des notesretrouves par la police quil se sentait marginalis etdnigr par la socit parce quil est blanc et roux. Il at arrt quand son demifrre a dcouvert ses plans.

    LE ROUX DE LINFORTUNE

    LHISTOIRE

    AAlep, le 1ermai, aprs lexplosion dune bombe baril du rgime. PHOTOHOSAMKATAN. REUTERS

    Prsident de lAssemblenationale et numro 2 durgime bolivarien, derrireNicols Maduro, DiosdadoCabello continue sonoffensive contre la pressedopposition, ou ce quil enreste. Les responsables duquotidien El Nacional, etdes sites dinformationTal Cual et La Patilla, soit22 personnes en tout, sesont vus notifier une interdiction de quitter le territoire, aprs une plainte deCabello. Qui reproche auxtrois mdias davoir rpercut une information donne par deux quotidienstrangers, ABC MadridetNuevo Herald Miami,qui lassocient un cartelde la drogue. PHOTOAFP

    LE NUMRO 2 DUVENEZUELA FAITTAIRE LA PRESSE

    LES GENS

    ParARNAUD VAULERIN

    KimJong-untransformeunministreenchair canon

    L a purge a t meneau canon antiarien. Sielle est bien confirme,lexcution publique du mi-nistre nord-coren de la D-fense dmontrerait la diffi-cult du dictateur, KimJong-un, asseoir son pou-voir. Explications.

    Que sestil pass ?Hyon Yong-chol aurait t vusomnolent lors dun rassem-blement prsid par KimJong-un en personne. Il seserait par ailleurs permis dedsobir au Grand Succes-seur. La sanction na pastard: selon le NIS, les servi-ces de renseignement sud-corens, le ministre de la D-fense a t excut au canonantiarien, le 30 avril, danslacadmie militaire Kang-gon, une vingtaine de ki-lomtres au nord de Pyong-yang. Le Comit pour lesdroits de lhomme en Coredu Nord avait publi le moisdernier des images ariennesdu site montrant des batte-ries antiariennes postes surun champ de tir. Linforma-tion, si elle est confirme, estsurprenante car Hyon Yong-chol a t nomm lannedernire par Kim Jong-un la tte du ministre de laDfense. Gnral peu connu,g de 66 ans, il avait tpromu en 2010 avant de de-venir marchal adjoint deuxans plus tard. Il a t vula dernire fois en publicles 27 et 28 avril lors de deuxconcerts. Quelques jours plustt, il avait rencontr Mos-cou son homologue russe,Sergue Chogou, et staitentretenu avec VladimirPoutine en novembre.

    Ces excutionssontelles frquentes ?Le NIS, qui a communiquses informations plusieurs

    parlementaires sud-corens,a prcis que des centainesde personnes auraient assist lexcution. Cette sinistrecoutume a dj t confir-me par plusieurs transfugesces dernires annes. Finavril dj, les Sud-Corensavaient annonc quunequinzaine de Nord-Corensavaient t passs par les ar-mes depuis le dbut de lan-ne, dont deux vice-minis-tres et des membres dunorchestre o Ri Sol-ju, lafemme de Kim Jong-un,chantait jadis. Les servicesde renseignement sud-co-rens valuaient 68 le nom-bre de personnes excutesdepuis 2012. Dans ce rgnede la terreur, la purge la plusemblmatique reste celle deJang Song-taek, loncle dudictateur et rgent. En d-cembre 2013, le beau-fils dufondateur du rgime, Kim Il-sung, avait t condamnpour trahison et corruptionpuis excut. Comme dansun bon rgime stalinien,lex-numro 2 du rgimetait alors accus de tous lesvices et notamment dtretrop proches des Chinois.

    Que signifientces purges ?Depuis son arrive latte du pays, le poupon tren-tenaire Kim Jong-un a mul-tipli les purges et les no-minations-rvocations quiattestent dune difficult asseoir son autorit. Celamontre en mme temps quele pouvoir nord-coren, loindtre un bloc homogne, estconstitu de clans aux int-rts divergents sinon contra-dictoires. Le refus rcentde son leader de se rendre Moscou pour cause de pro-blmes internes sexpliquesans doute par cette fbrilitau sein du rgime.

    DCRYPTAGE

    Cematriel ne peut pour lemoment tre dpos devantla CPI, Pkin etMoscoubloquant systmatiquementtoute possibilit de saisine.

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 MONDEXPRESSO 9

  • Aprs troismandats la tte de la rgion,il se voyait comme le grand favori sasuccession.Mais enune semaine, le PSa impos la candidaturedeClaudeBartolone.

    ParLILIAN ALEMAGNAetLAURE EQUY

    P romis, il nen est pas ngocier sonlot de consolation post-Ile-de-France. Ni avec Claude Bartolone,candidat sorti du chapeau la semainedernire, quil a vu lundi pour lui cder bongr mal gr son maillot de champion socia-liste. Ni avec Franois Hollande, avec lequelil sest entretenu mercredi lElyse. Jean-Paul Huchon, mis hors jeu mercredi dernieraprs trois mandats la tte du conseil rgio-nal, dit ne pas encore envisager la suite. Jenai rien dealer, assure-t-il ses proches.Un fauteuil au Conseil conomique, social etenvironnemental? On en a discut, il nestpas super preneur, glisse un proche. Un hy-pothtique portefeuille ministriel? Huchona fait une croix dessus. Il y a un dcalage en-tre son ressenti et ce qui transparat de lui. Onne lachte pas pour un paquet de sucre, dit unproche. Avant de revendiquer un pantouflage,lopinitre de 68 ans, qui a coutume de diretant que je ne suis pas mort je ne suis pasmort, doit dabord digrer le revers.Il y a dix jours, Huchon pensait encore pou-voir faire plier sa rivale et premire vice-pr-sidente au conseil rgional, Marie-Pierre deLa Gontrie. Les deux ex-strauss-kahnienstaient partis pour saffronter lorsdune primaire fixe au 28 mai. Hu-chon tait convaincu quil gagnerait,pas avec un score de chef dEtat africain, maisil laurait emport, veut croire un soutien.Marie-Pierre tait trop faible pour gagnermais trop forte pour tre nglige, prvient undirigeant PS. Et au sommet de lEtat, on sin-quite de voir les numros 1 et 2 dIle-de-France striper, baston qui affaiblirait lecandidat dsign par les militants. Le pre-mier secrtaire du PS, Jean-Christophe Cam-badlis, et Claude Bartolone tentent une ul-time conciliation lors dun djeuner quatre lhtel de Lassay, rsidence du prsident delAssemble nationale. Bartolone leur dit: Ilfaut que vous trouviez une solution, raconteun cadre PS. Une proposition est sur la table:un ticket Huchon-La Gontrie avec un passagede relais en cours de mandat. Le premier ac-cepte, pas la seconde, qui veut porter la can-didature et laisser llu des Yvelines les ma-nettes du Stif, le syndicat des transports dela rgion. Huchon refuse mais sort, persuaddavoir fait une proposition honnte : Jaimontr que jtais ouvert alors que jen prendsplein la gueule, rapporte-t-il ses quipes.Huchon sait qu quelques jours de la date li-

    mite du dpt des candidatures internes,lhypothse dun troisime homme cir-cule. Celle dune candidature de lex-minis-tre Benot Hamon monte. Un scnario inac-ceptable pour lexcutif, se rassure le sortant.Et le matin du djeuner Lassay, Huchon, quia accompagn le dput des Yvelines dans unlyce de Trappes ne la pas trouv spciale-ment dtermin. Quant une candidature deBartolone, elle est cense avoir t enterremi-avril, quand le prsident de lAssemblea fait savoir Hollande quil nirait pas.

    PLI. Pourtant, mercredi, prenant tout lemonde de court, Bartolone se lance. Danslaprs-midi, Hamon a mis ses proches aucourant. La rumeur monte jusque dans lesbureaux du conseil rgional. Mais commebeaucoup de bruits circulent, explique un deses amis, ce nest que lorsquil a Bartolone autlphone que Jean-Paul comprend vraiment.Cest pli. Pendant que le patron PS de la Sei-ne-Saint-Denis se dclare publiquement etengrange les soutiens, Huchon encaisse. Tarddans la soire, dans un communiqu, il tem-porise et explique quil va changer avecson concurrent dans les prochains jours. Ason quipe, il lche, amer: Avant dtre can-didat, jai tous t les voir, ils mont tous dit dy

    aller. Valls ne lui avait-il pas apportson soutien ? Et Hollande, quil a ac-compagn en Armnie pour les cr-

    monies du centenaire du gnocide, ne lui apas demand de passer la main ? A moinsquil ait refus dcouter les rserves sur lerisque du mandat de trop, un quatrime, lencontre des rgles fixes par le PS, ou surlamende dont il a cop pour un litige sur lescomptes de sa campagne de 2010.Jeudi, le lendemain, Huchon est devant lapresse pour parler de la candidature de Pa-ris aux JO de 2024. Le voil vantant, dconfit,les valeurs olympiques. Ouvrant la sanceplnire avec les lus rgionaux, le prsidentsautorise un trait dhumour et fait partagerson horoscope du jour particulirement ap-propri : Cur : Vous passerez une journepleine de gaiet! Russite: des occasions pour-raient se prsenter, permettant de consolidervotre position. Forme: faites un check-up. Lesastres ne lui dictent nanmoins pas sa lignede conduite. Se rallier ou pas? Quand? Hu-chon consulte, embarque lEE-LV Jean-Vin-cent Plac pour dner. Il faut que tu te ralliesmais que tu aies une discussion politique aveceux, lui conseille un soutien. Conscient quilperdrait une primaire face Bartolone, Hu-

    chon est dans une phase dacceptation maisavec des moments compliqus, deux pas enavant, un pas en arrire, note un PS franci-lien. Do son interview au Monde le lundi,o pointe un lger ressentiment: Je suisle patron dune rgion de 12 millions dhabitantset jai gagn trois fois la rgion. On ne me traitepas comme une serpillire. En dpit de ce tonpeu engageant, Huchon nimagine pas demonter au front contre Bartolone, quil doitrencontrer le jour mme au conseil rgional.

    RCIT

    La rgion IledeFrance estla premire et plus richergion de France, produisantun tiers de la richesse nationale. Nen consommant quuncinquime, elle redistribue ladiffrence au reste du paysgrce de multiples transferts. Elle concentre un quartde lenseignement suprieur,un tiers des cadres. Elle estla premire rgion touristiquemondiale.

    REPRES

    4,96cest, en milliards deuros,le budget de la rgion IledeFrance pour 2015, dont1,8 milliard sont consacrsaux transports.

    [BartoloneouHuchon,] cestbonnet blanc et blancbonnet []. Ils ontchangde candidatmais ne changerontpas le bilan.Valrie Pcressettede listeUMPaux rgionalesen IledeFrance

    Cher Jean-Paul,je crois quenousavonsmontr tous notre sens desresponsabilits et toi,lattachement cettergion. Tupeuxcompter surmoi.Je tembrasse. Barto.SMS de Claude BartoloneJeanPaulHuchon

    Ile-de-France:commentHuchonachu

    LIBRATION JEUDI 14MAI 201510 FRANCE

  • Il nest pas un candidat lambda, il nest pasdans une logique de ralliement, il na pas dint-rt faire allgeance illico pour gagner unposte, dcrypte un proche.

    SMS. Mais, miracle, quelques heures plustard, le sortant et le candidat signent un com-muniqu commun pour se fliciter des con-ditions du rassemblement aujourdhui runies.Llu des Yvelines et celui de Seine-Saint-De-nis se frquentent de longue date, des liens

    amicaux selon leurs entourages, qui ontsans doute contribu viter le psychodrame.Le prsident de lAssemble, qui lui donne ducher Jean-Paul et signe dun je tembrasse.Barto ses SMS, sait quil ne peut faire cam-pagne sans le sortant. Des projets communs,telle une tribune, sont dans les tuyaux. Bartoa besoin de Jean-Paul, prvient un proche. Ilfaut quil laccompagne, il garde un pouvoir denuisance jusquen dcembre. En politique,tant quon nest pas mort

    Rocardien et fdraliste, Jean-PaulHuchona longtemps rejet lamtropole avant dese rsigner,mettant mal son leadership.

    Unprsident tortou rgionC est lhistoire du type qui, lafin, se retrouve toujours seul.Ce qui vient de se jouer enquelques jours pour enlever Jean-Paul Huchon tout espoir de quatrimemandat nest au fond que le remake enacclr de ce quil a vcu commeprsident de la rgion. Sur le nouveaumtro comme sur le dossier de la m-tropole du Grand Paris, chaque fois,Huchon partit en troupe mais ne vitarriver aucun renfort. Ds lors, quefaire ? Se rallier. Au risque de suivreavec des pieds en plomb.A chaque fois, le chef de lexcutif r-gional aime safficher en adversairersolu. Le projet dune rocade de m-tro autour de la capitale que la RATPappelle Mtrophrique? Lui le rebap-tise mtro ferique. Les tudes ontbeau montrer lexplosion des dplace-ments de banlieue banlieue, Huchondfend que la rgion naura plus uneuro investir sur le rseau existant sielle se lance dans cette folie. Llu estdautant plus braqu quen 2008,lide dune rocade est devenue cellede Nicolas Sarkozy. Mais, au fil desmois, la position devient difficile te-nir. Comment refuser un investisse-ment qui, dvidence, soulagerait labanlieue ?Born mais pas idiot, Jean-Paul Hu-chon va faire de son obstination un

    instrument de ngociation: jacceptevotre nouveau mtro mais vous me re-mettez en tat mes lignes de RER.Le 26 janvier 2012, il signe avec le pou-voir de droite un accord actant ce deal,un accord historique, proclamera-t-il rgulirement par la suite. Dsor-mais, le voil le meilleur partisan dumtro Grand Paris Express. La ralit,disait-il Libration en 2013, cestquon a chang de projet et que je suis leseul capable de le porter.Monstre. Au demeurant, lorsque lagauche arrive au pouvoir, Jean-MarcAyrault puis Manuel Valls confirmentles engagements financiers de lEtatsur les transports. Jean-Paul Huchonlinterprte comme un soutien, bienque les pouvoirs publics soutiennentsrement autant les lments decroissance de lIle-de-France que lapersonne de son prsident.Plus dure, et plus politique, est lhis-toire de la mtropole. Ds que la ques-tion dune gouvernance de la zonecentrale de lagglomration mergedans le dbat public, au dbut des an-

    nes 2000, Jean-Paul Huchon part enguerre contre cette ide. La mtro-pole, cest la rgion, va-t-il rpter,mme si un village de Seine-et-Marnene rencontre pas les problmes deLa Courneuve. La plupart des rgiona-listes sont contre la mtropole et Hu-chon peut bon droit se sentir sou-tenu dans ce combat.Mais dans son camp politique, chez lessocialistes, cest le grand lchage. Ber-trand Delano, partisan de la mtro-pole, cache peine quel point le pr-sident de la rgion lagace. On ne veutpas brutaliser la rgion mais on se de-mande si Jean-Paul Huchon va atter-rir, persifle un lu de lexcutif pari-sien (aux vux de Huchon). En 2012,Claude Bartolone, lpoque prsidentde la Seine-Saint-Denis, prconise lafusion de son dpartement avec lestrois qui lentourent(Hauts-de-Seine,Val-de-Marne et Paris). Un monstrede plus de six millions dhabitants aucur de la rgion Cauchemar.Couronne. En 2013, alors que le gou-vernement Ayrault prpare une loi surles mtropoles entrinant celle duGrand Paris, qui soutient encore Jean-Paul Huchon dans son rgionalisme?Pas grand monde. Faible consolation:les socialistes dIle-de-Francescharpent sur la forme donner lafuture instance. Mais la mtropole

    avance, soutenue par AnneHidalgo, qui signe une tri-bune en ce sens. Et provo-que par l le ralliement deJean-Paul Huchon. La r-gion ne peut pas rester lcart de ce mouvement,

    reconnat-il in fine dans une interview Libration. ll la rsum lors dun en-tretien ultrieur: Jai fini par me r-soudre accepter la mtropole.Cette position rsigne nest paslidal du leadership. La rgion a beauavoir un bilan, tout se passe comme sipersonne ne lincarnait. Ailleurs,quand une ville construit un tramway,le maire joue sa rlection. En Ile-de-France, o la rgion a construit bienttdix lignes de tramway sur 120 kilo-mtres, le plus gros rseau du pays,qui se souvient que cest Jean-PaulHuchon qui a coup les rubans? Cer-tains lus appellent ironiquement Hu-chon le prince de la grande couronne.Rocardien, fdraliste, lancien mairede Conflans-Sainte-Honorine (Yveli-nes) dfend que la vocation de la r-gion est dorganiser lamnagementdu territoire entre petite et grande cou-ronne avec une solidarit de la petite vis--vis de la grande. Pour lui, les m-tropoles ne sont pas la solution. Encela, de fait, il est bien seul.

    SIBYLLE VINCENDON

    JeanPaulHuchon Paris

    le 6 juin 2014.PHOTO

    FRDRICSTUCIN

    En Ile-de-France, o la rgiona construit bientt dix lignes detramway, qui se souvient que cestHuchonqui a coup les rubans?

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 FRANCE 11

  • S ocialiste, gaulliste,chevnementiste,provocateur : au filde ses interventions, Jean-Marie Le Pen ne cesse dlar-gir la gamme de ses accusa-tions lgard de FlorianPhilippot. Suspendu la se-maine passe, le prsidentdhonneur du FN voit dans cedernier le principal artisan desa chute. Et laccuse, dansle Figaro, dtre le vritabledirigeant du mouvement,Marine Le Pen ayant t vic-time dune espce de mara-boutage de la part de sonbras droit. Par un tonnantraisonnement, elle se trouveexonre de toute responsa-bilit relle dans la situationactuelle mais voit du mmecoup remises en cause sesqualits de chef.Ce nest pas tout: Jean-MarieLe Pen dnonce aussi chezPhilippot, et dans son entou-rage, un tat desprit htro-phobe vident. Dans un pr-cdent entretien, il voquaitles mignons composantselon lui lentourage du vice-prsident frontiste. Autantdallusions lhomosexualitde Florian Philippot, outen dcembre par Closer qui a t condamn pouratteinte la vie prive.

    Jean-Marie Le Pen a envie demettre en relief lhomosexualitde Florian Philippot, a jug surBFMTV Yohann Roszwitch,prsident de SOS Homo-phobie. [Ses] sorties sontinsidieuses, puisque compren-nent ceux qui ont envie decomprendre. Elles feraientcho une homophobie quele responsable associatif jugelargement rpandue au seindu FN. De son ct, Philippota jug mercredi que sil y a

    une connotation homophobedans [ces] insultes, cela rajou-tera au dshonneur de leurauteur.Inverti. Au-del de lex-prsident du FN, des consi-drations clairement homo-phobes se sont fait entendreen priphrie du parti. Leprsident de Radio Courtoi-sie, Henry de Lesquen, aainsi qualifi le Front natio-nal mariniste de lupanarpdrastique. Lhebdo dex-trme droite Rivarol voit dansPhilippot linverti qui pr-

    pare les petites fiches deMarine Le Pen. Pour un meccomme moi qui a fait lAlgrie,tre reprsent par un pdgaulliste, cest quand mme unpeu gros, a quant lui d-clar lancien frontiste RogerHoleindre. Des propos qui,par ricochet, visent aussiMarine Le Pen, coupabledavoir encourag de tellesvolutions.Ds 2012, Nicolas Lebourg etJoseph Beauregard, spcia-

    listes de lex-trme droite,proposaienttoutefois unelecture pluspolitique decette question.Lopposition

    interne ces jeunes hommesgays qui forment lun des pre-miers cercles autour de MarineLe Pen nest pas rductible lhomophobie, jugeaient-ilsdans un ouvrage consacraux numros 2 du FN (1).Est mise en cause la cons-truction dun lobby gay ausein du FN, o les places decadres seraient alloues auxamis, poursuivaient-ils,ainsi quune attitude quivise lisolement de MarineLe Pen. Pour les auteurs,lide dun communauta-

    risme gay au sein du FN poseun problme idologiqueet non uniquement moralau parti dextrme droite,pourfendeur de tous lescommunautarismes.Clanisme. Un cadre duFN assurait rcemment quelorientation de Philippotpourrait ne pas tre une ques-tion, mais elle le devient. Il es-saie dimposer un certain nom-bre de jeunes gens homosexuelsdans le parti, provoquant enretour un rejet massif. Un ju-gement qui rejoint les proposde Jean-Marie Le Pen, quidclarait il y a peu: On voittrs bien [que Philippot] sem-pare des leviers de commande,place ses hommes, ses mi-gnons, partout. Un discoursqui mobilise aussi biendauthentiques homophobesque des cadres qui se senti-raient flous par le cla-nisme du numro 2 du Frontnational. Ces attaques sajou-tent aux autres griefs entre-tenus par une partie de lap-pareil vis--vis de Philippot, commencer par une lignetatiste dans laquelle ne seretrouvent pas les lmentsles plus libraux.

    DOMINIQUE ALBERTINI(1) Dans lombre des Le Pen(d. NouveauMonde).

    LePenfustigePhilippotetlelobbygayauseinduFNHARO Lex-prsident duparti dextrmedroite a pris pour cible le brasdroit de sa fille etmultiplie les allusions son orientation sexuelle.

    JeanMarie Le Pen et Florian Philippot, le 28 fvrier, loccasion dunmeeting de la prsidente du FN. PHOTOALBERT FACELLY

    Pour unmec commemoi quia fait lAlgrie, tre reprsentpar unpd gaulliste, cestquandmmeunpeu gros.Roger Holeindreancien frontiste

    ParJONATHAN BOUCHETPETERSEN

    Rformeducollge:Cambadlis cogne,Vallaud-Belkacemajuste

    D ans le combat ef-frn pour la mdio-crit, ChristianeTaubira est en passe dtre d-passe par Najat Vallaud-Bel-kacem. Revenant mercredimatin sur cette salve lancelundi soir par NicolasSarkozy lors dun meeting enSeine-Saint-Denis, le patrondu Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadlis, amaladroitement fustig uneattaque lgrement xno-phobe et ds lors inadmis-sible dans notre rpublique.Selon le dput de Paris, lasortie de Sarkozy a en effetune certaine connotation.Madame Taubira a t atta-que pour les raisons que lonsait, pour la couleur de sapeau. Et madame Vallaud-Belkacem est attaque pourquoi ? Parce quelle sappelleBelkacem. Des angles dat-taques ethnicistes pointspar Camba quon retrouvesouvent la une de Valeursactuelles, lhebdo de lultra-droite, qui a fait de ces deuxministres les cibles obses-sionnelles de sa batailleidentitaire.

    Au sortir du Conseil des mi-nistres mercredi matin, alorsque lopposition est toujoursaussi remonte, le porte-pa-role du gouvernement a son-n la mobilisation: Le prsi-dent de la Rpublique soutient[la rforme du collge] et a de-mand tous les membres dugouvernement [leur] soutien.Et dinsister: Il faut quil yait une cohrence et un soutiende lensemble du gouverne-ment alors que, jusqu pr-sent, on a surtout entenduManuel Valls monter forte-ment au crneau notam-ment lAssemble mardi.

    Mercredi matin, sur lun despoints chauds du projet etalors quune journe degrve est prvue mardi, NajatVallaud-Belkacem avait unpeu ajust sa copie en an-nonant que le Conseil sup-rieur des programmes (CSP)devait lui remettre dici mi-octobre des propositions surles langues anciennes. Alorsque les opposants la r-forme salarment de la dis-parition non prvue dulatin et du grec, elle a de-mand au CSP dapporter,dans son projet du pro-gramme de franais de lacinquime la troisime,des articulations plus lisiblesavec les langues et cultures delAntiquit.

    Dans cette lettre, rendue pu-blique par lAFP, elle dit parailleurs souhaiter que le CSPtravaille galement sur lethme Langues et culturesde lAntiquit prvu dansles nouveaux enseignementspratiques interdisciplinaireset quil rdige des program-mes pour les enseignementsde complment de latin etde grec. Victoire, a lanclancien ministre latinisteFranois Bayrou.Dimanche, Najat Vallaud-Belkacem avait dj annoncla nomination dun dlguinterministriel pour pro-mouvoir lallemand lcole.Pas de quoi enlever BrunoLe Maire, qui mne la bataillepour lUMP, le rve dun d-bat public ce propos avec lePremier ministre. Lequel luiavait lanc dans lhmicycle:Nous sommes tous aussirpublicains que vous [], sivous voulez un vrai dbat, pro-jet contre projet, nous y som-mes prts.

    DROIT DE SUITE

    Prs de 190000 euros de factures du ministre dela Justice, poque Dati, ont t retoqus le 22 janvier parla Cour des comptes, rvle le Point. Sur 269000 eurosde rceptions en 2007, 8985,87 euros, notamment pourdes foulards Herms selon lhebdo, ont t invalids. Etcest le comptable de lpoque qui va devoir payer. Pareilpour les quasi 180000 euros de contrats passs en 2008et 2009 avec la socit de conseil de Pierre Giacometti,alors lun des principaux conseillers de Sarkozy, impliqudans laffaire des sondages de lElyse. PHOTO REUTERS

    RACHIDA DATI PINGLE,LE COMPTABLE TRINQUE

    LES GENS

    LIBRATION JEUDI 14MAI 201512 FRANCEXPRESSO

  • TRANSPORTSLa candidateUMPaux rgionalessemballe sur lesmoyens de faire des conomies.

    Pcresseveutmettrepiedlessans-papiers

    L es conomies, en cam-pagne, cest facile. Di-manche, sur Europe 1,Valrie Pcresse, tte de listeUMP pour les rgionales dedcembre en Ile-de-France,a assur quelle trouverait70 millions deuros en sup-primant la tarification sociale

    pour les tran-gers en situationirrgulire. Un

    dispositif par ailleurs injuste,selon elle, car rserv auxseuls clandestins.

    C e qui est exact, cestque la rgion offre unerduction de 75% dansles transports publics aux

    bnficiaires de laide mdi-cale dEtat (AME), donc pardfinition aux trangers ensituation irrgulire sans res-sources. Sur les 165 000 b-nficiaires de lAME en Ile-de-France, 110 000 ont faitles dmarches afin de profi-ter de cette tarification so-ciale pour les transports.Mais il est faux daffirmerque tous les autres usagerspayent, eux, plein pot.Outre ces 110 000 trangersirrguliers sans ressources, la

    tarif ica-tion so-ciale con-

    cerne 550 000 autresFranciliens, bnficiaires dela couverture maladie uni-verselle complmentaire(CMU-C) ou allocataires duRSA, tous Franais ou tran-gers en situation rgulire certains titulaires du RSAont par ailleurs droit la gra-tuit des transports.Ajoutons que le choix defaire profiter les bnficiairesde lAME dun tarif socialnest pas la fantaisie qualair de dnoncer Pcresse.Larticle 123 de la loi SRUde 2000 oblige les autoritsde transport offrir au moins50% de rduction toutes lespersonnes dont les ressour-ces sont infrieures ou galesau seuil dobtention de laCMU-C. Un plafond de res-sources (8645 euros par an)qui est le mme que celuisous lequel un tranger peutbnficier de lAME. Largion Ile-de-France estimedonc simplement respecterla loi.Cette interprtation est aussicelle que faisait en 2005 unrapport de lInspection g-nrale des affaires sociales,citant les bnficiaires delAME parmi les cibles ori-

    ginelles de la loi. Il notaittoutefois que laccs dessans-papiers la tarificationsociale provoquait des d-bats au sein des autorits detransport. Dix ans aprs, lespratiques divergent encoreselon les collectivits, maison trouve dautres rseauxoffrant aux bnficiaires delAME les mmes avantagesque ceux ayant la CMU-C.Lautre aspect de la polmi-que concerne le bnfice es-compt par Valrie Pcresse:70 millions deuros. Impen-sable, selon la rgion, quia vot une subvention de84 millions deuros au titrede lensemble de la tarifica-tion sociale des transports.Partant du principe que lestrangers irrguliers psentun sixime des 660 000 b-nficiaires, la rgion estimeque le cot direct de la me-sure sur le budget serait in-frieur 15 millions.Valrie Pcresse affiche, elle,un montant de 70 millionspar la grce dun calculthorique ne tenant pasfranchement compte de laprcarit des intresss Ellepart en effet du postulat quesi les 110000 bnficiaires delAME navaient pas accs ce tarif rduit, ils payeraientchacun 70 euros mensuelspour un forfait Navigo, gn-rant un surplus hypothtiquedenviron 70 millions.

    CDRIC MATHIOT

    Nous allonsmettrefin la rductionde 75%dans lestransports pourles trangers ensituation irrgulire.Cela conduit desinjustices terribles,parce que tous ceuxqui sont en situationrgulire, eux,payent plein pot.Et a permettrade rcuprer70millionsdeuros.Valrie Pcressedimanche surEurope 1

    DSINTOX

    INTOX RETROUVEZDSINTOX

    DANS LE28 MINUTESDLISABETHQUIN, SUR ARTE 20 H 05

    La justice a confirm mercredi le non-lieudans laffaire du Bugaled Breizh et rejet lerecours des familles des cinq marins mortsdans le naufrage du chalutier breton dansla Manche en janvier 2004. Ces derniresrclamaient la poursuite des investiga-tions, toujours convaincues que le bateauimmatricul au Guilvinec (Finistre) a tenvoy par le fond par un sous-marinqui se serait pris dans ses filets. Des

    manuvres internationales avec des sous-marins de diverses nationalits, y comprisfranaise, se droulaient en effet dans lazone ce jour-l. Linstruction, qui sestplusieurs fois heurte au secret dfense,na pas valid cette thse. Interrog avantla confirmation du non-lieu, Me Tricaud,avocat du fils dune des victimes, avait an-nonc quil saisirait la Cour de cassation etla Cour europenne des droits de lhomme.

    A RETOUR SUR LERECOURSDESFAMILLESDEVICTIMESBugaled:non-lieuconfirm

    La maison darrt de Strasbourg est sous le feu des critiques de la contrleure des prisons. Nonprise en comptede lalerte dun dtenu en danger, conditions de dtention dgradantes, prsence de camras dans des lieux desoin: Adeline Hazan a publi un rapport critique sur laprison alsacienne. Cest la cinquime fois depuis la cration du poste de contrleur gnral des lieux de privationde libert, en 2008, que linstitution a recours une procdure durgence pour formuler des recommandationssur un tablissement pnitentiaire. Ce rapport est contest par Christiane Taubira qui, dans un courrier, fustigedes affirmations qui paraissent manquer de prcision,nullement tayes, ou rapportes sans preuves objectives.Mardi, Adeline Hazan sest dite tonne par le tonemploy par la garde des Sceaux, jugeant ses rponsestotalement insuffisantes. PHOTOYOANVALAT. AP

    ADELINE HAZAN MET LA MAISONDARRT DE STRASBOURG AU PILORI

    LES GENS

    Fini les vires antillaises et marocaines. Mis en examenpour corruption et blanchiment de fraude fiscale,Patrick Balkany nest plus autoris quitter la France.Le dputmaire de LevalloisPerret (HautsdeSeine)vient de remettre son passeport au juge Renaud VanRuymbeke, comme la rvl le Canard enchan. Unemesure impose par le contrle judiciaire, auquel lluest soumis depuis que son immunit parlementaire a tleve. Balkany a galement interdiction dentrer encontact avec certains protagonistes du dossier. Cest unedcision inutilement humiliante, juridiquement inadapteet qui touche non seulement un citoyen mais galementun lu, sest indign son avocat, MeGrgoire Lafarge.Depuis dcembre 2013, le ple financier enqute sur lepatrimoine des Balkany, souponns davoir dissimul aufisc deux villas Marrakech et SaintMartin.

    BALKANY CLOU LEVALLOISPOUR LES VACANCES

    LHISTOIRE

    La reproductionde nos petites annonces

    est interdite

    Le CarnetEmilie Rigaudias0140105245

    [email protected]

    CARNET

    SOUVENIRS

    SERGENousmanque tellement

    depuis 20 ans.Yvon et Pierre Roche

    DCS

    AgatheERISTOVGENGIS-KHAN

    s'est chappele 8mai 2015.

    Elle nous laisseses silhouettes flottantes,

    ses labyrinthes,ses forts de papier,

    sonmondedense et lger.

    De la part de :Hlne, Ariane,Delphine

    ERISTOV,Gilbert LASCAVET,YannickDENIS.

    Les obsques auront lieule vendredi 15mai 2015,

    14 heures, en la cathdralerusse, 12, rueDaru,

    Paris (8e), puis 16 heures,au crmatoriumdu cimetire

    duPre-Lachaise.

    Tl. 01 40 10 52 45Fax. 01 40 10 52 35

    Vous pouvez nous faire parvenirvos textes par e.mail :

    [email protected]

    Vous organisezun colloque,un sminaire,une confrence

    Contactez-nous

    Rservations et insertionsla veille de 9h 11h

    pour une parution le lendemain

    Tarifs : 16,30 TTC la ligneForfait 10 lignes 153 TTC

    pour une parution(15,30 TTC la ligne supplmentaire)

    Abonns et associations : -10%

    Le Carnet

    Vous organisezun colloque,un sminaire,une confrence

    Contactez-nous

    ParTONINO SERAFINI

    Protectionde lenfant:lesdputsadoptent le texte

    C est une propositionde loi qui vise scu-riser les parcours des275 000 enfants pris encharge par lAide sociale lenfance, la moiti dentreeux tant placs dans desfoyers ou des familles dac-cueil, les autres faisant lobjetdun suivi ducatif domi-cile. Dans la nuit de mardi mercredi, lAssemble natio-nale a largement adopt cetexte sur la protection delenfant. La proposition de

    loi de la snatrice PS MichelleMeunier et de Muguette Dini,ex-snatrice centriste, avaitt adopte il y a prs dedeux mois lunanimit parle Snat. Mardi, la secrtairedEtat la Famille, LaurenceRossignol, avait appel leslus mettre de ct les lo-giques partisanes sur un telsujet. Le groupe UMP a re-connu que le texte allait dansle bon sens, mais ses dputsse sont partags entre votespour et abstention.

    DROIT DE SUITE

    LIBRATION JEUDI 14MAI 2015 FRANCEXPRESSO 13

  • V oici un torrent, la clameur disconti-nue de leau dans la nuit, lair de lamontagne, cristallin, dune fracheurvaporeuse, empli dodeurs de pin etdpica. Voici la plaine, un ocandherbe et de crales battu par le vent. Routes,cltures parallles, il ny a que des lignes droites.Et puis, au-dessus du cercle segment de la terre,stend le dme du plus grand ciel qui soit, qui r-pand une lumire transparente. Si la lecture du re-cueil Lettres pour le monde sauvage est chavire pardes sensations dt, de bonheur dtre au monde,cest que la mmoire des paysages est, chez Wal-lace Stegner, extraordinairement active.Campons en sa compagnie aprs avoir crapahutdans Hades Canyon, le canyon des enfers, ainsi senomme ce ravin, et il mrite son nom. En haut dela falaise, 3000 mtres, soudain, la rcompense.Il ny a pas de moustiques cette altitude. Le lacest glac, mais les truites si nombreuses quellessattrapent la main. Les martres, cousines ger-maines des zibelines russes qui ne se laissent ja-mais voir, jouent cache-cache. Ce texte-l estcomme une nouvelle, Au jardin dEden.Lauteur y tait en 1923, soit soixante-dix ansavant la description. On dirait quil en vient, ilcrit pour donner cette impression. Aucun visi-teur, quel que soit son pouvoir de nuisance, ne peutatteindre ce qui vit dans ma tte, aussi vif et pur quesi je lavais quitt la semaine dernire.Far West. En France, jusqu prsent, ce nest pascomme cologiste ni comme champion du nature

    writing que nous connaissions Wallace Stegner(1909-1993), mais comme chantre intransigeantdu pass. Aprs Angle dquilibre, prix Pulitzer,histoire dune jeune femme, aeule de lcrivain,au temps du Far West, les ditions Phbus ont pu-bli de lui un trs beau roman dapprentissagecrit en 1943, la Bonne Grosse Montagne en sucre(2002), titre ratibois lors du passage en collectionde poche (la Montagne en sucre, Points). La monta-gne en question reprsente le rve amricain. Ar-gent, fortune: le rve du pre de Wallace Stegner,un aventurier maladroit. Le jeune Wallace nourris-sait dautres ambitions: Moi, je voulais partir larecherche de la civilisation dont javais t priv. Laculture, luniversit, les livres allaient tre son ca-pital spirituel, lors de cette vie daprs que tu naspas connue, crit-il dans la poignante Lettre,bien trop tard, adresse sa mre, alors quil vaavoir 80 ans.Il en avait 24 quand elle est morte, et elle, 50.Fille dmigrs norvgiens, elle stait retrouvebonne tout faire dans le foyer familial, peine sortie de lenfance. Une fois marie, lexception de six annes la frontire du Sas-katchewan canadien et du Montana, le dracine-ment fut son destin, alors quelle aspirait tenirune maison, lever ses deux garons (elle enperdit un) dans un foyer stable. Son fils crivainallait essayer de la faire revivre dans ses romans,sans y parvenir. Les saintes ne sont pas deshrones ralistes. En outre, elles ont tendance hrisser les partisans actuels de la libration

    des femmes, qui les considrent comme une inventionmasculine, des victimes trop soumises et trop glori-fies de la domination des hommes. Il est arriv Stegner de pester contre les annes 60, on en aici un aperu.Lampadaires. Trois rcits tirs de son autobiogra-phie (indite en franais), Wolf Willow, constituentle cur de Lettres pour le monde sauvage. Cest propos de ce livre quau dbut dune lettre lauteur, en 1967, Vladimir Nabokov a voqu laliste de tout ce quil y a denchanteur, de dchirant,dminemment estimable (en anglais enviable). Unvoyage en diligence, en 1914, amena les Stegnerdans la rgion o le romancier puiserait plus tardle matriau de son uvre romanesque. Lhiver sepassait en ville, une bourgade peu peu quipeen trottoirs, lampadaires, journal, cole et glise.Lt, ils sinstallaient trois mois la ferme, dansla grande plaine. Ce ne sont pas les habitants desprairies qui ont invent lunivers indiffrent oulhomme impuissant. Vous risquez de vous sentir frleici, et vulnrable, mais pas inaperu. Enclin re-chercher des nourritures intellectuelles, WallaceStegner nen revendiquait pas moins lapparte-nance ces contres arides, et cette civilisationdu mouvement qui en dcoulait et lavait form.Il voyait mme dans lOuest le territoire mmedune absence dattaches bien amricaine :Lacte initial dmigration dEurope, un acte dedsaffiliation extrme dlibr, marqua le dbutdun sport national.

    CLAIRE DEVARRIEUX

    WALLACE STEGNERLettres pour lemondesauvageTraduit de langlais(EtatsUnis) par Anatole Pons.Gallmeister, 190pp., 22.

    Wallace Stegner,la plumedans la plaineLcrivain amricainclbre les paysagesde lOuest

    TIMELIFE

    PICTU

    RES.G

    ETTY

    L Garon charge

    AntiDeGaulle et Ptain, ennemi des nazis et desAmricains, des Juifs et des antismites, lavocatnpargne personne dans son Journal.Pages IIIII

    Heurts de vritRdition deKallocane, deKarin Boye, romanpr1984 sur unmonde sans individualitsni mensonges. Comment a scrit.Page VIII

    Eco,uvres complotsNumro zro: satire du journalisme trash dansune Italie des annes 90 o le vrai et le fauxse confondent.Page VI

    LIBRATION JEUDI 14 MAI 2015

  • Garon, une eaudeVichy!Journal 1939-1945dun avocatmondain,brillant et rcalcitrantL e 18 juin 1940, lavocat MauriceGaron, inclassable tnor du bar-reau, crit : Rien le matin. Je vais Poitiers. Puis il coute la thes-sef pour avoir des nouvelles dudsastre. Rien sur de Gaulle. Celui-ci nappa-rat dans son journal que le 29 juin, aprs desjours de recensement du dsastre, de remar-ques mfiantes sur les Anglais, Albion estavant tout gocentriste, et un constat: Il nereste rien de la France. Voici lhomme deLondres : De Gaule (je nai pas vu son nomcrit, est-ce ainsi quil scrit ?) a fait aussittun discours de dictateur au petit pied. Il enjoint tout soldat encore en armes de continuer lalutte. Il ordonne la flotte de mettre le cap surles bases anglaises. Il commande tous lesFranais valides de le rejoindre en Angleterre olon va faire une arme []. Brailler ses dci-sions dans un haut-parleur est un, faire quelquechose dutile est une autre chanson.Brailler, le mot nest pas choisi au hasard.Grand orateur et grand bourgeois, Garondteste instinctivement ce gnral inconnu,sorti de larme des ombres, qui sautorise dela France. Cest dabord une affaire de ton ;a le restera. 7 juin 1944 : De Gaulle fait undiscours qui ne signifie rien. Le pauvre hommea une voix dplorable. Il scande les mots en ap-puyant toujours la syllabe faible. Tout chantefaux dans son affaire. Il est ridicule de prten-tion et de suffisance. Le 8 mai 1945, Garoncoute sur les Champs-Elyses son discourspropag par les haut-parleurs. Ce nest pasmieux: Sa voix est trop dsagrable. Depuisquatre ans que je lentends, je ne puis my habi-tuer. Le ton est prtentieux. Il parat quelhomme ne correspond pas la voix. Discourssans grande envole. Puis les sirnes ont mugi.Des gens se sont embrasss. Une cohue sestrue sur la chausse. On rit, on crie. On estcontent, mais pas trs content []. On nest pasassez libr des ennuis pour que la satisfactionsoit franche.En 2012, les ditions Bartillat publiaientle Journal de Vzelay, 1938-44, de RomainRolland: un choc. Le sinistre quotidien de ladrle de guerre, de la guerre, de lOccupationpuis de la Libration, vu par la vieille gloireoublie mais plus perspicace quau temps desa clbrit pacifiste, depuis ses fentres si-tues sur la colline sacre. Edit par PascaleFroment et Pascal Fouch, le Journal gale-ment indit de Maurice Garon, grande voixjudiciaire davant et daprs-guerre, person-nalit artiste, dune fantaisiste originalit,polygraphe inspir, est un nouveau choc: ledtail et lensemble de la priode sont dpo-

    ss dans lil et la conscience dun hommedexception, mais qui nchappe pas lordi-naire des prjugs propres sa classe.Manteau de plomb. Ce journal tenupar Garon de 1912 sa mort, en 1967 sachve ici le 9 mai 1945 sur ces mots: Lavraie fte est celle o lon participe comme ac-teur et, en ralit, cette foule nest faite que despectateurs. Il manque quelque chose. Maisquoi ? Peut-tre la prsence affective desautres, une poque o ils sont soit des en-nemis, soit des monstres, soit des victimes,soit des fantmes, soit des fantoches. 26 f-vrier 1940: Je connais tout le monde Paris.Je ne peux aller nulle part sans serrer des mainset jprouve un horrible sentiment de solitude.Sil marrivait quelque peine srieuse, personnene me soutiendrait. Ce sentiment saccentuependant lOccupation, Paris, ou dans sonchteau prs de Poitiers. 21 octobre 1941: Jeporte comme un manteau de plomb. Je suis mal laise et me sens atteint par une indfinissableangoisse. La faute en est laffreuse priode quenous vivons. Chaque jour, on assiste au resser-rement de notre joug. La dfaite, il ny a quunan, ne touchait que les mes, aujourdhui, elle

    atteint les corps mmes. Cest le malaise desannes noires. Il dforme les curs, maisaiguise la vue.Garon note tout ce quil observe, entend, lit.Il sindigne des attentats contre les Alle-mands, car ils provoquent des excutionsdotages. Il dcrit les scnes de rue ou de sa-lon quil voit, quon lui raconte ; elles for-ment peu peu le tableau de lavilissement,de la violence, de la misre morale dun peu-ple travers ses individus, ses lites surtout.Un sommet dhorreur sobre est atteint avecla description de lagression de Saint-PolRoux, en Bretagne, le 23 juin 1940. Le vieilcrivain tombe en syncope tandis que sa filleest viole dans leur cave par un retre alle-mand. Les informations se sont prciseslentement: le dramaturge Charles Vildrac etle mdecin Henri Mondor ne racontent lascne Garon quen mai 1942. On apprendles nouvelles mal, tard, souvent de travers,

    quelles soient petites ou grandes: cest le r-gne des rumeurs et des faux espoirs. Lavocaten a conscience. Il cite ses sources, tale sesdoutes, se plaint de tant dobscurit. Et celaaussi accentue la solitude peuple.Un jour, il apprend quon murmure quil estjuif, gaulliste, communiste. Il note quil nelest pas, cest peu dire, mais ne semble pasle crier comme tant dautres sur les toits glis-sants. Lpoque est place sous le signe de lagrimace de Paul Lautaud, de son rire cyni-que et des grands jours, quon entendait jusquedans la rue. En mai 1940, des aviateurs an-glais ont t arrts. Daprs Lautaud, lundeux tait dguis en femme. On le dsha-bille. Deux jolis seins senvolent, ce sont despigeons voyageurs : Le plus fort est quil ycroit. Le Journal de Garon se remplit peu peu de corbeaux.Sacha Guitry, lui non plus, naime pas quonle prenne pour un juif. Garon djeune chezlui le 4 janvier 1941 : lauteur de Si Parismtait cont est fortement indign par cequon la, dans un journal, trait de juif. Dci-dment, il faut considrer que ce terme porteaujourdhui atteinte la considration. Ce ma-

    tin, Edouard Bourdetma charg de lancerune assignation pou