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JANIER 2016 L’INNOVATION : UNE APPROCHE ÉCONOMIQUE

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JAN

IER 2016L’INNOVATION :

UNE APPROCHE ÉCONOMIQUE

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Du point de vue technique, il est possible de distinguer 4 catégories

d’innovations (qui peuvent être liées à une innovation technologique, ou pas) :

Nouveau produit ou service,

Nouveau processus de fabrication ou de distribution,

Nouveau marketing (design/packaging ou fixation du prix),

Nouvelle organisation institutionnelle (mode d’interactions au sein de

l’entreprise – délocalisation par exemple - ou avec ses clients).

Du point de vue industriel, les dépôts de brevets dans le monde sontrelativement plus concentrés dans la pharmacie, les biotechnologies,l’automobile, les TIC et la santé.

Depuis 10 ans, le nombre de brevets dans les secteurs industriels au niveau mondial aaccéléré dans la chimie, les nanotechnologies, les nouveaux matériaux, l’impression 3D etles technologies laser.

Du point de vue économique, l’innovation est étroitement liée à (et mesuréepar) la « productivité globale des facteurs ». (fraction de la croissance de la valeurajoutée qui n’est expliquée ni par l’augmentation du facteur travail (y.c. qualité de la main-d’œuvre), ni par l’augmentation du capital (y.c. qualité du capital). Elle reflète l’efficacité dela combinaison du travail et du capital. Cf. numéro d’Essentiel de février 2015.

L’INNOVATION : UNE NOTION À DIMENSIONS MULTIPLES

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LA PRODUCTIVITÉ GLOBALE DES FACTEURS DÉCÉLÈRE DANS LE MONDE DEPUIS UNE DIZAINE D’ANNÉES (1/2)

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2002

2003

2004

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2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

France Etats-Unis Moyenne 19 pays OCDE

Gains annuels de productivité globale des facteurs(en % par an, moyenne centrée glissante sur 7 ans, source: OCDE)

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LA PRODUCTIVITÉ GLOBALE DES FACTEURS DÉCÉLÈRE DANS LE MONDE DEPUIS UNE DIZAINE D’ANNÉES (2/2)

Doublement des gains annuels de productivité globale des facteurs aux États-Unis dans les années 1990 (TIC), mais pas ailleurs (cf Essentiel de mai 2015).

Décrochage entre les USA et reste du monde depuis près de 15 ans : les gainsde productivité globale augmentent chaque année plus vite aux États-Unisqu’ailleurs depuis le début des années 2000.

Néanmoins les gains annuels de productivité globale faiblissent partout d’annéeen année depuis 15 ans, et le phénomène continue aujourd’hui.

Une évolution qui n’est pas très facile à expliquer en première analyse.

Toute crise économique a un effet « branches mortes coupées » qui joue à lahausse sur la productivité (les entreprises peu performantes sont balayées) : onl’a vu au tournant des années 2010 mais l’effet n’a été que temporaire.

Les gains de rentabilité liés à la réorganisation de la chaîne logistique mondiale(délocalisations d’activités vers les pays émergents) commencent à s’essoufflersur le passé récent (cf. Essentiel d’octobre 2015). Mais cela ne peut pas expliquer leralentissement général de la productivité depuis 15 ans.

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LES NOUVELLES THÉORIES DE LA CROISSANCE ÉTUDIENT DE PRÈS LES MÉCANISMES D’INNOVATION (1/2)

Théorie néoclassique des années 1950 : « la croissance par tête à long terme c’estuniquement le progrès technique » mais on ne sait pas trop d’où il vient. Toujoursvrai mais un peu court pour expliquer l’économie d’aujourd’hui.

Modèles dits « AK » : variante des précédentes où « l’important est d’investir etd’accumuler du capital ». Mais problème pour expliquer que les USA ont eu plus decroissance que l’Europe dans les années 1990 alors que l’épargne y était moins élevée.

Modèles « néo-schumpeteriens » depuis les années 1990 (Aghion et Howitt) :

s’intéressent aux innovations industrielles qui créent des produits ouservices de meilleure qualité et qui remplacent les précédents.

Mécanisme d’obsolescence, avec des gagnants et des perdants, et au finalun effet net sur la croissance très positif : « destruction créatrice ».

Raisonnement : l’entreprise innovante créé un nouveau bien intermédiaire plus efficace.Elle a le brevet mais toute l’économie en tire aussi profit par effet de diffusion des gainsde productivité. Le brevet confère un monopole qui profite jusqu’à l’arrivée del’innovation suivante. L’effort de R&D résulte d’un arbitrage entre un coût (« je paye desgens qui ne produisent pas directement aujourd’hui ») et un gain (« j’aurai demain unbrevet qui rentabilise mon investissement de R&D jusqu’à l’innovation suivante»).

LES NOUVELLES THÉORIES DE LA CROISSANCE ÉTUDIENT DE PRÈS LES MÉCANISMES D’INNOVATION (2/2)

Première implication de la théorie néo-schumpeterienne :

Une rotation plus élevée des entreprises sur un marché est susceptible d’êtrefavorable à la croissance car…

… elle peut correspondre à l’entrée sur le marché de nouvellesentreprises innovantes et à la sortie des entreprises associées auxinnovations du passé.

… la menace de nouveaux entrants incite les entreprises présentes sur lemarché à innover pour échapper à une éventuelle concurrence.

De fait, le mouvement d’entrées-sorties des entreprises sur les marchés estplus important aux USA qu’en Europe :

50 % des nouveaux produits pharmaceutiques aux États-Unis ont été introduits par desentreprises de moins de 10 ans versus 10 % seulement en Europe.

Parmi les capitalisations les plus importantes, 12 % avaient moins de 20 ans d’existenceaux Etats-Unis à la fin des années 1990, versus 4 % seulement en Europe. L’écart estencore plus important pour le S&P500.

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LE NOMBRE DE NOUVEAUX ENTRANTS (START-UP) DÉCROÎT D’ANNÉE EN ANNÉE DEPUIS 15 ANS

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INNOVATION TECHNOLOGIQUE VERSUS ADAPTATION TECHNOLOGIQUE

Deuxième implication de la théorie néo-schumpeterienne :

Distinction entre l’innovation au sens strict (qui repousse la frontière technologique)de l’adaptation (qui applique des technologies inventées ailleurs et en diffuse l’utilisationdans l’ensemble de l’économie).

La progression de la productivité dans l’économie est une combinaison entrel’innovation et l’adaptation/diffusion des nouvelles technologies. Certainespolitiques favorisent plutôt l’innovation et d’autres plutôt l’adaptation.

Distinction très utile pour fournir un début d’explication au décrochage des gains deproductivité européens par rapport aux États-Unis:

l’Europe aurait rattrapé la frontière technologique américaine au début desannées 1990,

les États-Unis auraient repoussé la frontière dans le courant des années 1990(TIC) et la diffusion à l’Europe de cette innovation serait restée limitée -> écartde gains de productivité entre USA et Europe résulterait donc en bonne partied’un problème européen de diffusion des innovations technologiques. Et leralentissement des gains de productivité américain depuis 15 ans pourrait aussi êtreexpliqué avec le même argument de la diffusion technologique insuffisante.

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LES DONNÉES CONFIRMENT QUE LES INNOVATIONS CONTINUENT MAIS SE DIFFUSENT ASSEZ MAL

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QUELQUES CARACTÉRISTIQUES DES ENTREPRISES À LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE

La frontière technologique a continué à progresser sur les dernières années,surtout dans les services (qui concentrent les effets de la digital economy)...

… mais ces innovations se sont relativement peu propagées aux entreprises en-dessous de la frontière technologique (surtout dans les services où laconcurrence et la menace de nouveaux entrants est moindre).

Les entreprises à la frontière technologique opèrent habituellement dansplusieurs pays, souvent intégrées dans des chaînes logistiques internationales.

Selon l’OCDE, la probabilité d’appartenir à un groupe multinational est de 0,42(versus 0,29 pour des entreprises qui ne sont pas à la frontière).

Les perspectives futures de la frontière technologique ne sont pas si claires(débat entre experts : Gordon vs Brynjolfsson et McAfee).

L’âge moyen des entreprises à la frontière technologique mondiale ne cesse d’augmenterdepuis 15 ans. Dans la mesure où ce vieillissement reflète un ralentissement de nouvellesentrées d’entreprises innovantes sur les marchés, ceci constitue un facteur deralentissement à venir de l’innovation et peut peser à moyen terme sur l’innovation.

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LES ENTREPRISES À LA FRONTIÈRE SONT EN MOYENNE PLUS ÂGÉES : PAS UN TRÈS UN BON SIGNAL

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POLITIQUES POUR REPOUSSER LA FRONTIÈRE ET ACCÉLÉRER LA DIFFUSION TECHNOLOGIQUE

Politique pour repousser la frontière - cas de la recherche fondamentale :

Les grandes innovations (Internet, aérospatial, antibiotiques…) sont issues de larecherche publique (moins de biais court-termiste). Pertinence de liens resserrésentre industries et enseignement supérieur technologique.

Ex.: présence très significative d’industriels au CA des établissements d’enseignement formantles jeunes recrues du secteur concerné ; favoriser les enseignants effectuant des années detravail dans les industries ; recherche de l’enseignement supérieur comme propriété desindustries ; création de clusters réunissant industries et établissements d’enseignementsupérieur.

Politique pour accélérer la diffusion technologique :

Insertion internationale (commerciale, financière, circulation travailleursqualifiés…) favorise la diffusion technologique. A contrario, Brexit complet pèserait surla productivité industrielle anglaise, un canal qui diminuerait le PIB anglais de - 0,5 %/an env.

Politique concurrentielle (surtout dans les services) / droit de la faillite nepénalisant pas trop la prise de risque / politique du logement favorisant la mobilitégéographique donc professionnelle / régulation financière / …

Politiques de l’emploi : formation professionnelle luttant contre le mismatch (nepas mettre des personnes qualifiées sur des postes peu qualifiés).

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LA FRANCE A UN PROBLÈME D’ADÉQUATION DES QUALIFICATIONS AUX POSTES QUI PEUT FREINER LA DIFFUSION TECHNOLOGIQUE

Source : OCDE

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CONCLUSION

Les États-Unis ont pris une avance technologique importante sur l’Europe dans lesannées 1990.

Depuis 15 ans, les gains de productivité liés à l’innovation ralentissent dans lemonde, non parce que les innovations technologiques seraient plus rares, maisparce qu’elles se diffuseraient plus lentement dans les économies.

Cette diffusion technologique relativement ralentie est liée à de nombreuses caractéristiquesstructurelles (e.g., baisse du nombre de nouveaux entrants sur les marchés depuis 15 ans,fonctionnement du marché du travail sous-optimal, + nombreux autres facteurs possibles).

Il n’est pas absolument certain que la frontière technologique continue àprogresser aussi rapidement dans le futur que sur le passé récent.

Les politiques qui repoussent la frontière technologique et accélèrent la diffusiontechnologique sont connues. La politique de l’emploi a un rôle à jouer.

Les nouvelles technologies de type digital economy concernent aujourd’huidavantage les services mais elles pourraient, en effaçant la frontière entreindustrie et services, offrir d’importantes opportunités pour l’industrie. Plutôt quede vendre des biens durables, les mettre à disposition pour des durées variables, ce qui éviteau client d’avoir à apprendre à se servir de son équipement, le stocker, l’assurer, l’entretenir…

Sujets qui seront suivis et approfondis dans les prochains numéros d’Essentiel.

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Sources des graphiques :OECD productivity statistics

OCDE, The Future of Productivity, 2015.

Voir aussi :Aghion, P. and P. Howitt (1992), “A Model of Growth Through Creative Destruction”,Econometrica, 60, pp. 323-351.

Aghion, P. and P. Howitt (2006), “Joseph Schumpeter Lecture: Appropriate PolicyGrowth: A Unifying Framework,” Journal of the European Economic Association, 4,pp. 269-314.

Contact :Frédéric Gonand [email protected]