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ETUDE LINGUISTIQUE CONTRASTIVE DE DEUX LIPOGRAMMES D’ENRIQUE JARDIEL PONCELA : « Un marido sin vocación » y « El chófer nuevo » Elsa Pierrot Mémoire de Master (1 ère année) sous la direction de Monsieur Gilles Luquet Université de Paris III - Sorbonne Nouvelle Janvier 2008

Memoire Lipogramme

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ETUDE LINGUISTIQUE CONTRASTIVE DE DEUX LIPOGRAMMES

D’ENRIQUE JARDIEL PONCELA :

« Un marido sin vocación » y « El chófer nuevo »

Elsa Pierrot

Mémoire de Master (1ère année)

sous la direction de Monsieur Gilles Luquet

Université de Paris III - Sorbonne Nouvelle

Janvier 2008

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2

Remerciements

Eric Beaumatin, Gilles Luquet

Montse Nofre, Ramón Lladó

Màrius Serra, Martine Legrand

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3

« Que voulez-vous que je vous dise, mon pauvre fou ? Je gage que vous vous attendez à des éloges de moi pour votre tour de gobelet ; et bien vous n’en aurez pas, mon ami ; vous serez blâmé ; et je ne m’explique pas qu’un homme sérieux s’étudie à de semblables bagatelles… Je le répète, vous êtes un fou. »

« Réponse d’une inconnue », dans Voyage autour du monde sans la lettre A (Jacques Arago).

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4

SOMMAIRE

Page

Présentation

- Premières considérations sur le lipogramme 7

- Sujet d’étude : deux lipogrammes d’Enrique Jardiel Poncela 13

- Vers une approche linguistique du lipogramme 20

Introduction 31

Première partie : La lettre – Etude phonétique et graphique 32

1. Considérations préliminaires 34

1. 1. Le décompte informatique des lettres 34

1. 2. A versus E : qui gagne ? 35

2. Etude graphique des lipogrammes 39

2. 1. Le vocalisme des nouvelles 39

2. 2. Les fréquences consonantiques 41

3. Etude phonétique : sonorités et rythme 43

Deuxième partie : Les mots – Etude lexicale et morphosyntaxique 47

1. Préliminaires : les outils linguistiques 48

1. 1. L’analyse informatique de la morphosyntaxe 49

1. 2. Dictionnaires de fréquence 49

1. 3. Grammaire 52

2. Contraintes lexicales et morphosyntaxiques 53

2. 1. Formes permises par les lipogrammes 53

2. 1. A. Les formes verbales 53

2. 1. B. Les formes substantives 55

2. 2. Observation de la règle et détournements linguistiques 57

2. 2. A. Les formes verbales 58

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5

2. 2. B. Les formes substantives dans « El chófer nuevo » 62

2. 2. C. Les formes substantives dans « Un marido sin vocación » 66

3. Quelques remarques sur le lexique 68

3. 1. Comparaison lexicale des deux lipogrammes 69

3. 2. Les emprunts 70

3. 3. Figures de style et synonymie 71

Troisième partie : La narration – Etude stylistique 74

1. Conséquences sur la structure générale du récit 77

1. 1. Le temps du récit 77

1. 2. Les lieux du récit 81

1. 3. Les personnages et la situation d’énonciation 82

2. La contrainte au service du style 84

2. 1. Différents registres de langue 84

2. 2. La caricature des personnages 86

Conclusion 89

Bibliographie 90

ANNEXES 96

1. Textes de base pour l’analyse informatique 96

Annexe 1 : « Un marido sin vocación » 97

Annexe 2 : « El chófer nuevo » 100

Annexe 3 : « Los vecinos del principal derecha » 102

Annexe 4 : « La señorita Nicotina » 105

Annexe 5 : « El domador y los dos ancianos » 107

Annexe 6 : « El amor que no podía ocultarse » 110

Annexe 7 : « Un abanico demasiado moderno » 112

Annexe 8 : « El somarova » 114

Annexe 9 : « ¡Mátese usted y vivirá feliz! » 116

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6

Annexe 10 : « Una vida extraordinaria » 119

Annexe 11 : « La Universidad de Herby » 122

Annexe 12 : « El consejo » 124

Annexe 13 : « Noche de sábado » 127

Annexe 14 : « ¡Por Dios, que no se entere nadie! » 130

Annexe 15 : « Un asunto de novela » 135

Annexe 16 : « La recepción de los tres Reyes Magos » 138

2. Résultats de l’analyse informatique 141

- Décomptes des lettres

Annexe 17 : Décompte des voyelles 142

Annexe 18 : Décompte des consonnes 143

- Lemmatisation et analyse morphosyntaxique des lipogrammes

Annexe 19 : Catégories grammaticales dans « Un marido sin vocación » 148

Annexe 20 : Catégories grammaticales dans « El chófer nuevo » 156

- Fréquences des mots dans les textes

Annexe 21 : Ordre de fréquence dans « Un marido sin vocación » 164

Annexe 22 : Ordre de fréquence dans « El chófer nuevo » 167

- Répartitions morphosyntaxiques

Annexe 23 : Catégories grammaticales dans « Un marido sin vocación » 170

Annexe 24 : Catégories grammaticales dans « El chófer nuevo » 173

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7

Présentation

1. Premières considérations sur le lipogramme

1.1. Ses caractéristiques et sa place dans le monde littéraire

L’écriture lipogrammatique, encore aujourd’hui, après avoir

traversé des millénaires et de nombreuses cultures, n’est quasiment

connue que d’une minorité d’aficionados de la littérature ludique en

général. Certaines œuvres récentes ont permis sa popularisation au

XXème siècle, comme La Disparition de Georges Perec, roman écrit

sans la lettre e, l’un des plus longs lipogrammes écrits, du moins

parmi les textes qui sont parvenus jusqu’à nous.

Pour preuve de l’écho qu’a eu ce roman en France, la définition

de « lipogramme » dans le Nouveau Petit Robert y fait allusion :

« Texte dans lequel on s’astreint à ne pas faire figurer une ou

plusieurs lettres de l’alphabet (ex. La Disparition de G. Perec,

sans la lettre e). »1

Quant à la popularité des autres lipogrammes, elle est très

variable, et encore faudrait-il les connaître.

Car comme le précise Perec lui-même dans son article

« Histoire du lipogramme »2, il est très difficile de recenser avec

1 C’est vrai en France, mais la célébrité de cette contrainte dans d’autres pays varie selon la popularité des lipogrammes qui y ont été écrits. Par exemple, en Espagne, où le lipogramme a connu son âge d’or au XVIIème siècle, les références littéraires seront plutôt Alonso de Alcalá y Herrera, ou Francisco de Navarrete y Ribera.

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8

exactitude l’intégralité des œuvres lipogrammatiques, même en

restreignant le champ de la recherche, du fait de la discrétion qui

caractérise ces textes. D’une part, leurs auteurs ne bénéficient

généralement pas d’une très grande notoriété; d’autre part, si l’auteur

n’annonce pas la nature de son texte3, il y a de fortes chances pour

que le lecteur (même un chercheur assidu) ne s’aperçoive pas qu’il y

manque une lettre, jusque dans les cas les plus évidents a priori. A

titre d’exemple, on peut rappeler une anecdote de la parution de La

Disparition, où certains critiques littéraires ne s’étaient pas aperçus,

après avoir lu les 312 pages du roman, de l’absence de la lettre e,

pourtant la plus courante dans la langue française.

Pourquoi ? Sûrement parce que notre esprit est fait de telle sorte

que l’on remarque plus facilement ce qui est en trop que ce qui

manque : « …malgré soi, on ne note que l’insolite, le particulier, le

misérablement exceptionnel… »4. Ce manque ne commence à se

faire sentir que lorsque ce qui est absent bénéficie d’une certaine

importance.

C’est pour cela qu’en matière de lipogrammes, plus la lettre que

l’auteur s’astreint à ne pas faire apparaître dans un texte est

fréquente, plus la contrainte est remarquable. Parallèlement, il résulte

que le travail d’écriture devient automatiquement plus difficile.

Ecrire un texte sans y, par exemple, est nécessairement plus facile

qu’écrire sans e, du moins est-ce le cas en français. La « difficulté

lipogrammatique » dépend de l’ordre de fréquence des lettres, qui

n’est pas le même selon les langues ; de telle sorte que la question de

la traduction du lipogramme a souvent représenté un véritable casse-

tête pour ceux qui se sont penchés sur la question : par exemple, la

traduction du roman La Disparition en espagnol, devenu El

Secuestro, est un lipogramme en a et non en e, décision prise par les

2 « Histoire du lipogramme », de Georges Perec, in Oulipo, La littérature potentielle (Idées/Gallimard n° 289), 1973. 3 L’expérience tend plutôt à montrer le contraire : la majeure partie des lipogrammes sont annoncés comme tels dès le titre ou dans la présentation. 4 Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris : Galilée, 2000 [1974] (p.105).

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9

traducteurs pour respecter l’ordre de fréquence des lettres dans la

langue d’arrivée.5

Dans son article, Perec évoque l’intérêt – mais aussi le mépris –

qu’a suscité cette forme d’écriture lors de ses apparitions

sporadiques dans l’histoire des lettres. On s’aperçoit que les

lipogrammes ont souvent été perçus comme une lubie sans intérêt

littéraire, et à ce sujet les qualificatifs ne manquent pas :

« curiosités », « amusements », « frivolités » ; voire même « jeu

puéril », « tour de force inepte », « manière de niaiser ». Ils ne

seraient propices qu’à mettre en valeur l’agilité d’esprit de son

auteur. Une marque de vanité, en somme, ou un manque de goût.

Parmi les nombreuses critiques adressées à cette contrainte, on

trouve notamment celle qui consiste à dire que le fait d’exclure une

des lettres de l’alphabet dénature la langue dans laquelle est écrit le

texte : le style de l’auteur semble plus forcé, plus artificiel.

D’autre part, comme le souligne Màrius Serra6, grand

spécialiste catalan des jeux de langage, le lipogramme n’a pas

nécessairement de « finalité énigmistique » (sauf par exemple chez

Perec, où la disparition du e a une portée symbolique), contrairement

à beaucoup d’autres formes de la littérature ludique. Il ne cache a

priori aucun message secret à découvrir, et pour cela, il paraît

d’autant plus superflu. Mais en réalité, l’énigme n’est-elle pas dans

l’écriture elle-même, dans la découverte de la contrainte (même s’il

est vrai que la plupart des textes s’annoncent souvent comme

lipogrammes dès le titre) ?

Un autre problème que pose cette contrainte est de savoir quel est

son intérêt : pourquoi écrirait-on sans une lettre ? Qu’est-ce que cela

apporte à l’écriture ? Qu’est-ce que cela lui enlève ?

5 Georges Perec, El secuestro, Barcelona: Anagrama, 1997, traduction de Marisol Arbués, Mercè Burell, Marc Parayre, Hermes Salceda et Regina Vega. Perec écrivit à ce sujet : « Ecrire sans a est badin en français, périlleux en espagnol ; c’est l’inverse pour l’e » (article cité). 6 Màrius Serra, “Lipograma”, Verbalia: juegos de palabras y esfuerzos del ingenio literario, Barcelona: Península, 2001.

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10

A cette question, de nombreuses réponses ont été apportées,

certaines cherchant à défendre le lipogramme des attaques qui lui

sont généralement faites. Il apparaît que cette forme d’écriture est

tout d’abord ludique, autant pour l’auteur que pour le lecteur, elle

serait même pour l’écrivain source d’inspiration, un élément

supplémentaire qui le pousserait à la créativité :

« D’abord, lui qui n’avait pas pour un carat d’inspiration (il

n’y croyait pas, par surcroît, à l’inspiration !) il s’y montrait au

moins aussi imaginatif qu’un Ponson ou qu’un Paulhan »

(Georges Perec, « Post-scriptum » de La Disparition).

En imaginant comment présenter le lipogramme à des novices

qui s’interrogeraient sur son utilité, Eric Beaumatin répond qu’il ne

sert « à rien », il est « aussi inutile et contingent que peuvent l’être le

bœuf bourguignon, le sonnet, les talons aiguille ou les langues indo-

européennes. Il se contente d’être, tout simplement, une réalité »7.

L’inévitable question de l’intérêt du lipogramme n’est peut-être

due qu’à sa rareté d’apparition, ce qui lui confère son aspect insolite,

bien que son principe n’ait rien en soi de plus curieux que celui

d’autres formes littéraires plus répandues et auxquelles nous sommes

plus accoutumés.

Si l’on considère que le langage, ainsi que l’écriture, sont toujours

nécessairement contraints, dans la mesure où personne n’a jamais

réellement la liberté de dire ou d’écrire ce qu’il veut ou comme il le

veut, on peut donc percevoir le lipogramme comme une simple

contrainte supplémentaire.

Si l’on se réfère à la définition de la littérature selon l’Oulipo

(Ouvroir de Littérature Potentielle), on s’aperçoit que toute écriture

est contrainte, dans la mesure où on donne une forme à un texte

(lettre, poème, sonnet ou vers libres, scénario, bande dessinée…). 7 Eric Beaumatin, « Des lipogrammes et de leur exploitation en didactique des langues », Actes des Quatrièmes Journées pédagogiques sur l’enseignement du français langue étrangère (1987), Madrid, APFM (Association des Professeurs de Français de Madrid), 1988, pp. 65-73.

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11

Les possibilités de types d’écriture sont infinies, et le lipogramme est

l’une d’elle ; son excentricité ne tient qu’à ce qu’elle est aujourd’hui

moins reconnue que le sonnet, le calligramme ou l’acrostiche.

1.2. Genèse du lipogramme espagnol

Le premier texte écrit avec cette contrainte en Espagne semblerait

être la « Novela de los tres hermanos, escrita sin el uso de la A » de

Francisco de Navarrete y Ribera, publiée en 1640 dans Flor de

sainetes et qui, comme son titre l’indique, se dispense de la lettre a.

Dans les quatorze années suivantes, cinq autres écrivains empruntent

le même chemin que Navarrete en composant des nouvelles

lipogrammatiques, les plus fameuses aujourd’hui étant les cinq

nouvelles d’Alonso Alcalá y Herrera, qui s’abstient d’une voyelle

différente dans chacune d’elle. Ce soudain engouement pour cette

forme d’écriture, dans un laps de temps aussi court, est aujourd’hui

considéré comme un véritable courant littéraire de l’époque baroque

espagnole, et l’on parle même de « tradition vocalique », puisque

toutes ces nouvelles sont lipogrammatiques exclusivement en a, e, i,

o et u.

A propos de cette tradition espagnole, les articles les plus

complets sont celui de Georges Perec, qui y consacre un paragraphe

entier ; celui d’Eric Beaumatin, qui recense les lipogrammes de

l’époque baroque connus à ce jour ; celui de Màrius Serra qui les

classe dans les « artifices de soustraction » ; celui de Josep María

Solá-Solé et enfin le mémoire de recherche de Pablo Moíño Sánchez,

ces deux derniers se focalisant tous deux sur Alcalá y Herrera.8

8 - Georges Perec, « Histoire du lipogramme », op. cit. - Eric Beaumatin, « Fortune littéraire et infortune critique des lipogrammatistes du XVIIème siècle espagnol », Mélanges offerts à Maurice Molho, vol.1, Paris, Ibérica, 1988. - Màrius Serra, « Lipograma », op. cit.

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D’autres encore ont évoqué les auteurs lipogrammatistes de

cette époque, mais souvent de manière moins complète et en portant

un jugement critique et subjectif sur les œuvres, dans la lignée des

considérations que l’on a citées plus haut. Ludwig Pfandl, pour ne

citer que lui, parle de “juego sin alma y absurda afectación”9.

L’Enciclopedia Universal Ilustrada de 1958, quant à elle, dans son

article “Lipograma”, reste très vague en confrontant lipogrammes de

l’Antiquité, d’autres de l’époque baroque espagnole et enfin l’anglo-

saxon Eve’s Legend de Lord Holland (monovocalisme, variante

extrême du lipogramme vocalique, en e et en latin), en finissant sur

ces mots :

“Estas trabas del lenguaje estuvieron en boga principalmente

durante los siglos XVII y XVIII, pero en la época actual no se

estilan semejantes puerilidades”

Outre son jugement peu original, l’article pèche par son

manque de précision, puisque la tradition lipogrammatique

espagnole, bien que connaissant une longue période de silence,

reprend deux siècles plus tard avec la parution en 1848 de La fuga de

las vocales d’Emilio de Tamarit y Maymir, qui écrit, comme Alcalá

y Herrera, cinq nouvelles, chacune lipogrammatique en une des

voyelles de l’alphabet. Dans son article « Lipogramas en España Ss.

XIX-XX », José Fradejas Lebrero dresse la liste de tous les

lipogrammes écrits durant ces deux derniers siècles en Espagne, en

décrivant pour chacun le contenu et les circonstances de publication

de ces textes. Il commence donc par Emilio de Tamarit y Maymir,

puis évoque deux autres auteurs (dont Juan Ramón Jiménez) dont les

écrits ne sont pas des lipogrammes à proprement parler puisqu’ils se

passent non pas d’une ou plusieurs lettres, mais d’un groupe

- Josep María Solá-Solé, « Una extravagancia del barroco: la omisión de una vocal », Boletín de la Academia Norteamericana de la lengua española, New York, 1977-78. - Pablo Moíño Sánchez, Una muestra de la literatura lúdica del siglo XVII: Las novelas sin vocales (tesina), Universidad Autónoma de Madrid, 2005. 9 Ludwig Pfandl, Historia de la literatura nacional española en la Edad de Oro, Barcelona: J. Gili, 1933, p. 403.

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grammatical (le verbe, par exemple), ce qu’on nomme plutôt

liponymie.10 Le paragraphe suivant est consacré à Rubén Darío pour

son monovocalisme en a – Amar hasta fracasar – soit un

lipogramme en e, i, o et u.

On pourrait ajouter à cette liste le poète mexicain Celedonio

Junco de la Vega, qui n’apparaît pas dans l’article de Fradejas, à

juste titre, puisque ce n’est pas un lipogrammatiste espagnol

(cependant, ses textes sont écrits en espagnol). Il signa sous le nom

de Martín de San Martín un recueil de sonnets, dont cinq d’entre eux

sont lipogrammatiques (chacun omettant une voyelle différente)11.

2. Sujet d’étude : deux lipogrammes d’Enrique Jardiel Poncela

2.1. Jardiel Poncela et le jardielismo

Le dernier auteur dont parle Fradejas dans son article est Enrique

Jardiel Poncela, aujourd’hui relativement reconnu dans l’histoire

littéraire espagnole, comme auteur de la generación del 27, ou plutôt

de ce qu’on a appelé l’ « autre » génération, celle des rénovateurs de

l’humour espagnol dans la littérature des années 1920, qui compte

des auteurs tels que Ramón Gómez de la Serna, Edgar Neville,

Miguel Mihura, José López Rubio et Antonio Lara « Tono ».

Il connut d’abord la célébrité en raison de ses œuvres théâtrales,

et l’on a coutume de considérer que son premier grand succès a lieu

10 Dans l’article « Lipograma » de l’Enciclopedia Universal Ilustrada (t. 30, Madrid: Espasa-Calpe, 1958), on peut lire: « Otras obras se han escrito por el estilo, no sólo omitiendo letras, sino determinadas palabras de las más corrientes, ó ciertas terminaciones de vocablos ». Or ce type de contrainte n’est pas assimilable ni identifiable au lipogramme, dans la mesure où l’origine grecque du mot (leipein-gramma) signifie stricto sensu « laisser une lettre ».

Emmanuël Souchier propose, quant à lui, les termes lipoverbes, lipoadjectifs qui sont inclus, avec le lipogramme, dans la classe des lipolepses. 11 Nous n’avons pas réussi à retrouver les références précises de ces textes. Apparemment, ils ont été publiés dans le recueil Sonetos, en 1904, accompagnés d’un prologue de José López-Portillo y Rojas.

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en 1927 avec Una noche de primavera sin sueño. Par la suite, il

publie de nombreux romans qui le distinguent de ses contemporains

par son style inimitable, dont les plus fameux aujourd’hui sont Amor

se escribe sin hache et La tournée de Dios, entre autres.

Son écriture se caractérise par la diversité des moyens

d’expression, de typographies et de mises en page pratiqués dans ses

textes, très populaire à une époque où la liberté de créativité est le

mot d’ordre du dadaïsme et du surréalisme, deux courants littéraires

qui exercent une grande influence sur les auteurs de la Génération de

27, notamment Ramón Gómez de la Serna, contemporain et ami de

Jardiel. L’insertion de dessins, de cadres, de formes revient

systématiquement dans les romans de Jardiel : parfois celui d’un

personnage, celui d’une horloge dont les aiguilles marquent l’heure

de l’action, parfois des hiéroglyphes, des cartes de visite, des

annonces de décès comparables à celles qu’on lit dans les journaux ;

ou encore un grand cadre vide au début du roman invitant le lecteur à

y écrire ce qui bon lui semblera12. Jardiel n’hésite pas à utiliser une

dimension visuelle dans son écriture, en jouant avec la taille et la

forme des caractères, avec la mise en page, mais aussi en mélangeant

les genres littéraires et artistiques. On s’aperçoit d’ailleurs, en

s’intéressant à sa biographie, qu’il a toujours baigné dans des univers

artistiques variés, ce qui a pu l’influencer pour utiliser des moyens

d’expression diversifiés dans ses textes : son père était journaliste et

sa mère, peintre ; d’autre part, il a longtemps travaillé pour le théâtre,

où il a exercé le rôle de metteur en scène de ses propres textes, ainsi

que pour le cinéma (doublage de textes en espagnol, petits rôles

d’acteur, adaptation de ses pièces de théâtre).

Cette caractéristique de Jardiel, ce que les critiques nomment

jardielismo, ce style d’écriture qui s’approprie des techniques des

autres arts qui l’entourent, a souvent porté la critique à le comparer

12 On peut par exemple penser au prologue de l’auteur dans La tournée de Dios, dont une page entière est faite de vignettes, semblable à une planche de bande dessinée (Enrique Jardiel Poncela, La tournée de Dios, Barcelona : Planeta, 1979 [1932]).

Page 15: Memoire Lipogramme

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aux surréalistes (Alfredo Marqueríe13 évoque les Calligrammes

d’Apollinaire), ainsi qu’à l’humoriste et dessinateur français Cami,

qui est aussi son contemporain.

Il y a dans ses textes un goût certain pour la transgression des

règles classiques de l’écriture, ce qui est d’ailleurs le cas dans la

littérature ludique en général. Le texte n’est plus linéaire, et la

dimension graphique de l’écriture joue là-dedans un rôle primordial.

Le signifiant acquière une matérialité par l’usage de lettres de toutes

tailles, de différentes polices, d’espaces typographiques. D’ailleurs,

la manière dont travaillait Jardiel corrobore l’originalité de son texte.

Marqueríe raconte qu’il s’installait régulièrement à une table de café,

muni d’un stylo plume, de petits ciseaux et d’un tube de colle. A

partir de là, il opérait par collages, superposant les textes les uns par-

dessus les autres, et ses ratures étaient matérialisées par de grandes

taches bleues, qui faisaient ressembler ses manuscrits à un

« véritable échiquier ».

Un exemple probant de ce type d’écriture « animée » est une

courte pièce de théâtre inachevée, Flotando en el éter14, écrite en

1952, l’année de la mort de Jardiel. Les lettres elles-mêmes sont les

protagonistes de la pièce et forment des mots en se déplaçant les

unes par rapport aux autres sur l’espace scénique, qui remplace la

feuille blanche. L’auteur met ainsi en évidence le palindrome : amor

/ broma, déjà évoqué dans « Por qué se ha escrito este libro »,

prologue du roman Amor se escribe sin hache.15

D’autre part, s’il est vrai que Jardiel est aujourd’hui célèbre

pour ses pièces de théâtre et ses romans, on oublie souvent la

profusion de textes multi-génériques qu’a laissée cet auteur : essais

(sur le théâtre, la critique, sur la politique, notamment à propos de la

Guerre Civile espagnole), récits sur les débâcles qu’essuient

quelques unes de ses pièces, surtout vers la fin de sa vie, souvenirs

13 Alfredo Marqueríe, « Jardiel y el jardielismo », La Estafeta literaria (n°312), 27 de febrero de 1965, pp. 18-19. 14 Enrique Jardiel Poncela, « Flotando en éter », Obra inédita, Barcelona: AHR, 1967. 15 Enrique Jardiel Poncela, « 8.986 palabras a manera de prólogo », Amor se escribe sin hache, Madrid: Cátedra, 1990 [1929], p. 98.

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de voyages, correspondance, « théâtre à lire », recueils d’aphorismes,

nouvelles policières, textes courts, charades et inventions

d’acronymes. La critique a tendance à considérer que Jardiel

n’accordait pas beaucoup d’importance à ce type de textes mineurs,

mais rien n’est moins sûr puisqu’il a continué à en écrire jusqu’à la

fin de sa vie.

2.2. Les deux lipogrammes

Jardiel Poncela a écrit deux cuentos – « Un marido sin vocación »

et « El chófer nuevo » – respectivement lipogrammatiques en e et en

a, qui ont paru pour la première fois dans le journal madrilène La

Voz, en 1926 et 1927, dans la section réservée aux nouvelles. Le

premier est le récit du mariage malheureux de Ramón Camomila et

Sylvia : le mari s’aperçoit, après avoir fêté ses noces, qu’il n’aime

pas sa femme et se montre prêt à toutes sortes d’extravagances pour

se défaire d’elle, au point de se faire passer pour fou. Le deuxième

raconte les déboires d’un ancien chauffeur de pompiers, Melecio

Volodio, qui parvient à distraire le narrateur de son ennui par les

accidents qu’il provoque sur la route.

« Un marido sin vocación » pourrait être une courte pièce de

théâtre : il est presque entièrement dialogué, les répliques sont

brèves, ponctuées d’exclamations, d’interrogations et de points de

suspension. On trouve même quelques didascalies qui décrivent les

réactions du personnage de Sylvia. Il se divise en plusieurs scènes,

dont il est difficile de déterminer le nombre car le découpage du

texte varie selon les éditions. Le ton général de la nouvelle est léger

et l’expression plutôt familière. En revanche, la narration a plus

d’importance dans « El chófer nuevo », où les phrases sont plus

longues, plus complexes ; quant au registre, il est légèrement plus

soutenu, bien qu’il s’agisse encore une fois de langue parlée.

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En cela, Jardiel se distingue des autres lipogrammatistes

espagnols qui l’ont précédé, dont le style est parfois plus pompeux,

ce qui leur a souvent été reproché. Par exemple, Solá-Solé décrit les

nouvelles d’Alonso Alcalá y Herrera comme étant imprégnées de

« largas y pomposas descripciones, retorcidas frases y finos

arabescos de la lengua » (p. 129).

Au contraire, au sujet de Jardiel, José Fradejas juge que « en

ningún momento se percibe el pie forzado de la falta de las vocales »

(p. 551), et en effet, il est très probable que si le lipogramme n’était

pas annoncé d’entrée de jeu au début des nouvelles, une bonne partie

des lecteurs ne s’apercevrait pas de l’absence des voyelles.

2.3. Disparition de voyelles et disparition de nouvelles

Après la première parution des deux cuentos dans le journal La

Voz de Madrid de 1926 et 1927, Jardiel décide d’introduire ses deux

lipogrammes dans un recueil de textes courts, regroupant nouvelles,

aphorismes, courtes pièces de théâtre, essais : El libro del

convaleciente (dans la section « Ventanilla de cuentos corrientes »),

où apparaît, juste après chaque titre, l’indication « Novela escrita sin

el uso de la E, la más usual en castellano » y « Novela escrita sin el

uso de la A », respectivement dans « Un marido sin vocación » et

« El chófer nuevo ».

Les deux lipogrammes apparaissent de nouveau en 1951 dans

un autre recueil de récits courts – Para leer mientras sube el

ascensor – où cette fois-ci, après les indications sur l’absence des

voyelles, un astérisque renvoie au bas de la page et nous donne à lire

une note de l’éditeur :

« Este curioso trabajo forma parte de una serie de cinco (sin la

E, sin la A, sin la O, sin la I y sin la U) que el autor publicó en

la sección de cuentos del diario “La Voz” en 1926 y 1927. Se

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reproducen aquí los dos primeros, que son los característicos

por significar el máximo esfuerzo, ya que la E y la A son las

dos letras más usadas en castellano. N. del E. »

Cette note est donc signée par l’éditeur du livre (maison

d’édition Aguilar), mais il est difficile de croire que Jardiel ne l’ait

pas lue avant de donner son accord pour la publication. Or, l’allusion

aux trois autres lipogrammes censés avoir été publiés dans le journal

La Voz pose un problème – et pas des moindres – car jusqu’à nos

jours, ces trois textes sont restés introuvables et n’ont

vraisemblablement jamais vu le jour.

Depuis cette note de 1951, immanquablement, les deux

lipogrammes sont toujours présentés comme faisant partie d’un

ensemble de cinq, à l’image des productions penta-lipogrammatiques

des précurseurs espagnols de Jardiel (Alcalá y Herrera et Emilio de

Tamarit).

Dans toutes les éditions de ces lipogrammes, la note de l’éditeur

est même simplement recopiée mot pour mot, sans indication

supplémentaire : tout d’abord, dans une édition de l’Enciclopedia

Pulga de 1958, et jusque dans les œuvres complètes de Jardiel,

publiées à titre posthume la même année, et qui ne sont pas vraiment

complètes puisqu’il faut attendre 1973 pour que la septième édition

des Obras completas inclue la Obra inédita (ensemble de lettres,

essais, aphorismes qui n’avaient jamais été présentés au public par

Jardiel). Mais toujours aucune trace des trois lipogrammes en i, o et

u.

En 1959, le journal scientifique La Hora XXV. Al servicio del

médico présente quelques textes de la « Ventanilla », dont les deux

lipogrammes, accompagnés de la même note, invariablement signée

par un mystérieux E (car, à vrai dire, rien ne nous assure vraiment

que la note soit de l’éditeur, et le E. pourrait aussi bien désigner

l’escritor, même si cette hypothèse reste peu vraisemblable).

Plus récemment, la nouvelle « El chófer nuevo » a été publiée

dans un recueil de nouvelles intitulé Cuentos sobre ruedas où il n’est

Page 19: Memoire Lipogramme

19

pas fait allusion aux autres lipogrammes, ni même à « Un marido sin

vocación ».

L’article de José Fradejas est très précis au sujet des cinq

lipogrammes et apporte beaucoup d’éclaircissements, toutefois sans

offrir de réponse définitive. Après avoir recensé toutes les

publications des cuentos (lipogrammatiques ou non) de Jardiel

Poncela publiés dans La Voz dans les deux années indiquées par

l’éditeur, il se rend à l’évidence en admettant qu’aucun autre

lipogramme, hormis les deux que nous connaissons, n’a paru dans ce

laps de temps, et en tire les conclusions suivantes :

« Pues bien, el editor estaba transcordado o Enrique Jardiel

Poncela trastrocó las fechas y nos confundió »

Outre la possibilité d’erreur involontaire de la part de l’auteur

ou de l’éditeur, au sujet de la date ou du journal où auraient paru ces

nouvelles, Fradejas propose une autre solution, non moins probable,

connaissant le goût de Jardiel à égarer ses lecteurs :

« Jardiel no escribió nada más que estos [“Un marido sin

vocación” et “El chófer nuevo”] y se vanaglorió de haber

escrito más, hasta cinco. De no ser así, ¿por qué no recogió en

El libro del convaleciente los cinco cuentillos? »

L’hypothèse la plus vraisemblable que l’on puisse faire est que

Jardiel ait effectivement eu le projet d’écrire cinq lipogrammes, mais

qu’il ait interrompu son travail après avoir écrit les deux premiers.

S’il les avait réellement écrits, pourquoi se serait-il autant appliqué à

les garder cachés du public ?

Pour notre part, on considérera que n’existent que les deux

lipogrammes dont les textes nous sont parvenus, et on réduira l’objet

de notre étude à ces lipogrammes en a et en e.

Page 20: Memoire Lipogramme

20

3. Vers une approche linguistique du lipogramme

3.1. Les travaux existants

Le désintérêt pour le lipogramme dont on a déjà parlé auparavant

est confirmé par le peu de recherches qui ont été menées sur des

textes lipogrammatiques.

Ce n’est pas également vrai pour tous les lipogrammes : par

exemple, La Disparition de Georges Perec a fait couler beaucoup

d’encre, mais aussi parce que l’absence de la lettre e avait une portée

symbolique qui pesait sur tout le roman, causée par son homophonie

avec le pronom eux. La disparition de la lettre est traduite par

beaucoup d’indices parsemés tout au long du texte, comme l’absence

des chapitres correspondant à la position du e dans l’alphabet, ou

encore la forme graphique de la lettre. Contrairement à la définition

de lipogramme par Màrius Serra (cf. p. 3), La Disparition se

distingue des autres textes par l’énigme qu’elle pose au lecteur, qui

doit découvrir la contrainte et les indices qui l’accompagnent. Ainsi,

la majeure partie des études sur ce roman portent davantage sur un

aspect littéraire que linguistique du lipogramme.16

Quant aux deux lipogrammes de Jardiel, ils n’ont quasiment

jamais été étudiés, que ce soit d’un point de vue littéraire ou

linguistique, il est même assez rare qu’ils soient cités par les

critiques de Jardiel. Par exemple, on trouve dans l’ouvrage

16 On peut se reporter à la thèse de doctorat de Marc Parayre, Lire La Disparition de Georges Perec, Université Toulouse-Le Mirail, 1992 ; ainsi qu’au mémoire de Marie Séonnet, Enjeux et stratégies traductives dans le cas d’un texte à contrainte lipogrammatique : la version castillane de La Disparition de Georges Perec, Université de Paris III, 1999.

Page 21: Memoire Lipogramme

21

bibliographique de Juan Bonet Gelabert17 une fiche chronologique

assez détaillée des textes parus entre 1919 et 1946 : il ne fait que

mentionner les journaux dans lesquels ont paru les articles et

nouvelles écrits dans les années 1926-1927, notamment La Voz, sans

préciser pour autant le titre de chacun des textes.

La plupart des études sur le lipogramme espagnol évoquent les

deux nouvelles de Jardiel (Fradejas leur concède tout de même un

généreux paragraphe) ; cependant, dans les travaux qui existent sur

l’œuvre complète de Jardiel, ils restent dans l’ombre, comme la

plupart des textes courts, pourtant nombreux, qu’a écrit cet auteur. Il

faut reconnaître, pour la défense des précédentes recherches

effectuées sur l’écriture de Jardiel, que « Un marido sin vocación »

et « El chófer nuevo », à eux deux, ne dépassent pas cinq pages

d’imprimerie ; parallèlement, Jardiel a produit des romans longs ou

des pièces de théâtre, qui ont toujours davantage retenu l’attention

des critiques que ses textes courts. L’auteur devait pourtant apprécier

ces textes puisqu’il en fit plusieurs recueils (Máximas mínimas, El

libro del convaleciente, Exceso de equipaje…), « un millar largo de

artículos y cuentos, veintiséis novelas cortas, sesenta y ocho

comedias e infinidad de otros trabajos que no pueden clasificarse »18,

pour reprendre les mots de l’auteur quant aux textes écrits

antérieurement à 1928, date charnière dans la carrière littéraire de

Jardiel puisqu’elle marque le début de sa popularité.

Certaines études abordent la question linguistique dans

l’écriture de Jardiel, mais elles ne font que l’effleurer. En

s’interrogeant sur les mécanismes de l’humour dans ses romans, ses

pièces de théâtre, ses textes courts, on parvient inévitablement à

s’intéresser aux aspects de la langue elle-même telle que Jardiel

l’utilise, dans ses jeux de mots, à travers les figures de style qu’il

emploie ; mais bien souvent, des remarques plus littéraires prennent

le dessus, lorsqu’il s’agit par exemple de parodies de certains genres

17 Juan Bonet Gelabert, El discutido indiscutible. Jardiel Poncela. Los que le ensalzan, los que le menosprecian y los que le imitan, Madrid: Biblioteca Nueva, 1946. 18 Enrique Jardiel Poncela, “8.986 palabras a manera de prólogo”, op. cit. (p. 73).

Page 22: Memoire Lipogramme

22

littéraires ou encore de caricatures de la société espagnole du début

du XXème siècle.

Cécile François19, par exemple, a travaillé sur la morphologie

des nouvelles de Jardiel recueillies dans la « Ventanilla de cuentos

corrientes » (dans laquelle apparaissent les deux lipogrammes), en

expliquant par quels procédés stylistiques Jardiel parvient à une

forme d’humour. Elle démontre également que la forme même de

cuentos est particulièrement propice à produire des textes

humoristiques. Cependant, même si son analyse comprend les deux

textes lipogrammatiques, elle n’explique pas en quoi l’absence des

lettres influe sur le texte.

Quelques travaux ont été menés d’un point de vue sensiblement

plus linguistique sur les lipogrammes en général et qui pourront nous

être utiles comme point de départ dans nos recherches. L’article de

Solá-Solé20 base son investigation sur la fréquence des voyelles dans

les cinq lipogrammes d’Alcalá y Herrera, ainsi que la fréquence des

éléments grammaticaux (substantifs, adjectifs, verbes, etc.), calculs

qui permettent de mettre en évidence les effets de la contrainte par

rapport à des textes sans contraintes qui lui sont contemporains (tous

de la fin du XVIIème siècle).

Parallèlement à notre étude, Elodie Gevrey21 travaille elle aussi

sur l’aspect linguistique du lipogramme, et plus particulièrement sur

les lipogrammes en a de l’époque baroque, ceux de cinq auteurs

(Navarrete y Ribera, Alcalá y Herrera, Lizárazu y Berbinzana,

Castillo Solórzano, Zurita y Haro), en comparant les différentes

fréquences de voyelles, consonnes, catégories grammaticales

observées pour l’absence de la lettre a en espagnol.

19 Cécile François, « Los cuentos de Enrique Jardiel Poncela. Una forma literaria al servicio de la renovación del humor », <http://www.lehman.cuny.edu/ciberletras/v18/francois.html>. 20 Josep María Solá-Solé, « Una extravagancia del barroco: la omisión de una vocal », op.cit. 21 Mémoire en cours d’écriture : Elodie Gevrey, Etude linguistique des lipogrammes en A de l’époque baroque espagnole (titre provisoire), Universidad de Paris III, 2008.

Page 23: Memoire Lipogramme

23

On peut encore signaler, dans un autre registre, le mémoire de

Marie Séonnet22, où la version espagnole de La Disparition de Perec

est mise en parallèle avec l’original français, afin de distinguer les

problèmes que génère la contrainte dans les deux langues. Elle

établit à cet effet des tableaux comparatifs des « formes

grammaticales non-utilisables par catégories morphosyntaxiques »,

qui permettent de dresser une liste précise des détournements

linguistiques imposés par la contrainte au moment de l’écriture. En

revanche, la question des fréquences n’y est pas abordée.

3.2. Nécessité d’une étude linguistique des lipogrammes

Même s’il est vrai que les lipogrammes ont chacun un intérêt

littéraire, si l’on met de côté le jeu de la contrainte, il semble

cependant que ce qui est le plus transformé par le sacrifice d’une

lettre, ce n’est pas, en principe, le contenu narratif, mais plutôt la

morphologie, la syntaxe, le lexique, la graphie et la phonétique. En

interdisant l’utilisation d’une lettre, d’une seule des vingt-neuf lettres

de l’alphabet espagnol, c’est toute la structure de la langue qui est

affectée : on ne peut plus utiliser certains mots, certaines classes

grammaticales, certains types de verbes, ou encore certains temps

verbaux. Cela est d’autant plus vrai dans le cas de lipogrammes

vocaliques, comme ici : en e et en a, sachant qu’il s’agit des lettres

les plus fréquentes de la langue espagnole (elles représentent à elles

seules 26% du pourcentage d’apparition des lettres dans les textes)23.

La langue se voit transformée, et sa singularité est probablement due

au fait qu’elle paraît familière et à la fois très étrangère, entre

normalité et subversion. Le lecteur perçoit « l’anormalité » du texte,

sans nécessairement être capable d’en expliquer la cause.

22 Marie Séonnet, op.cit. 23 Données du Diccionario de frecuencias de las unidades lingüísticas del castellano (Alameda & Cuetos), Oviedo: Publicaciones de la Universidad, 1995 (vol.1).

Page 24: Memoire Lipogramme

24

Dans les études, plus ou moins linguistiques, des lipogrammes

(espagnols ou non), on s’aperçoit que leur centre d’intérêt principal

est le décalage que la contrainte crée par rapport à une langue

« standard » ; parfois, la question des limites qui restreignent

l’écrivain lors de l’écriture de ces textes est également abordée.

Il nous semble pourtant qu’il manque un maillon important de

la chaîne de l’écriture, et qui n’a apparemment jamais vraiment été

étudié de manière approfondie. Perec disait : « Ecrire est un jeu qui

se joue à deux, entre l’écrivain et le lecteur »24.

A partir de cette observation, il nous apparaît qu’il y a deux

aspects du lipogramme qu’il serait intéressant d’étudier, dans une

approche exclusivement linguistique : tout d’abord, la contrainte

qu’il crée au moment de l’écriture pour l’auteur (contraintes

grammaticale, lexicale, syntaxique) ; et ensuite, ce qui est peut-être

moins évident au premier abord, la contrainte qu’il crée au moment

de la lecture pour le lecteur (contrainte phonétique, par exemple). Il

s’agirait de vérifier si les contorsions linguistiques auxquelles se plie

l’auteur de lipogrammes, en s’interdisant l’usage d’un certain

nombre de mots, de temps verbaux, de formes grammaticales

précises, n’ont pas une influence dans la lecture, puisque, comme on

le précisait plus haut, beaucoup considèrent que le lipogramme

dénature la langue en la transformant de manière notable. Josep

María Solá-Solé, dans son article, effleure la question de la

perception du lipogramme par le lecteur :

« La lengua, nacida para la usual comunicación y la fácil

intercomprensión (sic), sufre una extorsión que la aparta de sus

más naturales y genuinos propósitos »25

24 Entretien avec Georges Perec paru dans Le Sauvage (n°60), décembre 1978. 25 Josep María Solá-Solé, “Una extravagancia del barroco: la omisión de una vocal”, op. cit.

Page 25: Memoire Lipogramme

25

Il laisse donc entendre que la compréhension (ou du moins, la

fluidité de la lecture) est entravée par les contraintes linguistiques

qu’impose le manque d’une lettre au texte.

Sachant que cette remarque s’applique aux lipogrammes

d’Alcalá y Herrera, il faudrait vérifier à quel point cet effet de la

contrainte est vrai, respectivement dans les textes de ce dernier et

dans ceux de Jardiel Poncela, en soulignant éventuellement les

contrastes existants.

Mais en quoi consisterait une analyse linguistique dans le cas

précis de lipogrammes ? Les interrogations que génère un texte

quant à sa langue et son style ne sont pas toujours les mêmes selon le

type de document que l’on étudie. Dans le cas de la poésie, par

exemple, on s’intéresse généralement à des problèmes de rythme,

liés à la métrique, ou encore aux sonorités. Comme on l’a vu, le cas

du lipogramme occasionne un bon nombre de nouvelles

problématiques pour ce qui est du langage et de la manière dont il est

utilisé. C’est d’autant plus vrai ici pour les deux nouvelles de Jardiel

qui se privent des deux lettres les plus fréquentes de l’espagnol, le a

et le e.

Le premier pas que l’on peut faire pour sonder ces textes serait

de s’intéresser aux fréquences de lettres, d’emplois de groupes et de

temps grammaticaux, de syntagmes qui, évidemment, diffèrent, ou

pour le moins, subissent l’impact de l’absence d’une lettre.

Comment procéder concrètement ?

La linguistique statistique, ou quantitative (lingüística

computacional en espagnol) joue ici un rôle important puisque son

étude porte, entre autres, sur la fréquence de phonèmes, de syllabes,

de mots, de lexies, de types morphosyntaxiques. Cette branche de la

linguistique, notamment appliquée aux textes littéraires, est encore

une découverte toute récente sachant qu’elle est apparue avec la

découverte des technologies informatiques. Elle est aujourd’hui

source d’intérêt, car elle permet d’aborder l’analyse stylistique des

textes sous un angle de vue totalement innovateur et riche en

Page 26: Memoire Lipogramme

26

enseignements, mais elle est loin de faire l’unanimité, surtout chez

les plus anciens26. Les calculs statistiques permettent d’établir une

norme dans une langue donnée (fréquence de lettres, utilisation

d’adjectifs, de verbes…), en se basant sur un corpus préalablement

choisi, et à partir de cette norme, les linguistes mesurent les écarts

entre divers échantillons de textes.

Cette étude paraît donc pertinente pour le lipogramme, puisque

la contrainte crée nécessairement un écart par rapport à la norme

établie en ce qui concerne la fréquence des lettres et l’utilisation de

certaines formes grammaticales et lexicales. Reste à vérifier à quel

point les calculs corroborent effectivement cette observation.

Une des inquiétudes des linguistes, et plus particulièrement des

littéraires, est que cette nouvelle approche du langage et des textes

que fait naître la linguistique quantitative ne soit trop scientifique,

dans la mesure où cette méthode d’analyse s’éloigne de tout

jugement artistique ou esthétique. Elle semble dénaturer le texte dans

la mesure où elle porte à considérer le travail d’écriture comme

une activité systématique. Toutefois, il faut prendre en compte le fait

que l’écriture du lipogramme, comme toute écriture à contraintes, est

en partie régie par une forme de règle, qui oblige l’écrivain à une

attention particulière. Citons quelques exemples : Georges Perec

aurait constitué des listes de mots lipo-conformes en préparant La

Disparition. Quant à Jardiel, il aurait écrit ses deux nouvelles en

suivant une méthode autant, si ce n’est plus, systématique :

«“Para que no resulten unos cuentos completamente idiotas

aunque sean muy meritorios por el juego ese de las letritas, lo

que hago - explicaba el propio Jardiel - es escribir cuentos de

manera normal, y luego, como si del bordado de un cañamazo

se quitasen las flores rojas o azules y se sustituyesen por otras,

26 Charles Muller, “Quelques principes de linguistique statistique : expérience, calcul et prévision”, Langue française et linguistique quantitative, Genève : Slatkine, 1979 (p. 215).

Page 27: Memoire Lipogramme

27

así voy quitando las palabras que tienen determinada vocal y

las reemplazo por otras sin ella”»27.

L’écueil serait de penser que ces lipogrammes ont été écrits

dans l’unique but de se soumettre à la contrainte, par jeu ou par défi,

ce qui porterait à croire que le seul intérêt de ces textes serait la

disparition d’une lettre28. C’est pourquoi les calculs quantitatifs

auxquels on pourra avoir recours doivent demeurer un simple outil à

l’analyse des textes, permettant d’amener des constatations plus

générales sur le style.

Notre travail consistera donc dans la comparaison méticuleuse de

la langue écrite dans les lipogrammes avec les usages de la langue

telle qu’elle est décrite dans les grammaires (l’Esbozo de la Real

Academia sera une de nos principales références). La comparaison

s’établira aussi avec la langue littéraire, à partir d’un corpus de textes

qu’il reste à définir.

Cependant, il faudra rester vigilant quant aux conclusions que

l’on pourra tirer de ces calculs dans le sens où le corpus des deux

textes de Jardiel est, en principe, trop maigre pour pouvoir mener

une analyse réellement significative. Si l’on se réfère aux travaux du

linguiste Charles Muller, on s’aperçoit qu’il utilise dans ses

exemples des corpus beaucoup plus étendus, comme les tragédies de

Racine, ou le théâtre de Molière29.

D’autre part, il s’agit de savoir à partir de quels textes on fixe la

norme qui doit nous permettre d’analyser les nouvelles de Jardiel, de

manière à obtenir des renseignements profitables.

En premier lieu, une comparaison avec ses autres textes non-

lipogrammatiques s’impose : on choisira l’ensemble des nouvelles

publiées dans la « Ventanilla de cuentos corrientes », section dans

27 Article de P.M.R, « Cuentos y poemas con una sola vocal », Hoja del lunes, Madrid, 30 de enero de 1967, p. 18. Nous notons par pure précaution que l’origine de cette citation de Jardiel n’est pas connue. 28 Il semble d’ailleurs que ce soit à partir de cette même considération que se fonde l’indifférence générale pour cette forme d’écriture. 29 Nous prenons l’exemple de l’article « La longueur moyenne du mot dans le théâtre classique », op. cit.

Page 28: Memoire Lipogramme

28

laquelle sont incluses « Un marido sin vocación » et « El chófer

nuevo ».

Ensuite, il faudrait comparer les effets de la contrainte que l’on

aura observé avec les mêmes calculs opérés sur d’autres

lipogrammes espagnols en a et en e, ceux d’Alcalá y Herrera, par

exemple (en prenant garde au fait que ce n’est pas un contemporain

de Jardiel et que la langue n’est évidemment pas la même).

On mènera également une étude contrastive tout au long de la

recherche entre les lipogrammes en a et en e. Le but de l’analyse

contrastive est, d’une part, de distinguer les différentes contraintes

imposées au texte selon la lettre omise, d’autre part, d’établir une

échelle de difficulté entre les deux.

On procédera de deux manières différentes : d’une part, comme

l’avait fait précédemment Marie Séonnet pour le lipogramme de

Perec, on dressera la liste de toutes les formes grammaticales

qu’interdit l’absence des lettres ; d’autre part, on se basera sur les

résultats obtenus par les calculs de fréquence effectués sur le corpus

à l’aide de logiciels pour établir une relation avec les observations

précédentes.

Tout au long de ce travail, on s’efforcera de distinguer quels

types de contraintes se posent au moment de l’écriture, ainsi qu’à la

lecture.

3.3. Variantes dans les publications des textes

On remarque que l’édition de 1951 de Para leer mientras sube

el ascensor (où apparaît pour la première fois la note de l’éditeur

informant de l’existence de cinq lipogrammes) contient deux

variantes dans « El chófer nuevo ».

Page 29: Memoire Lipogramme

29

D’une part, un segment de phrase disparaît du texte. Nous recopions

la phrase entière en mettant entre crochets le tronçon de texte

supprimé :

« Prescindo, diciendo esto, de su dominio peregrino del motor:

Volodio no sólo conservó de continuo en los extremos de sus

dedos los secretos de mi “Mercedes”, sino que en el tiempo

que vivió conmigo domesticó el motor de un modo mirífico, [y

el coche corrió, frenó y retrocedió obedeciendo como un

perrito lulú los gestos de su chófer] »

Il semble difficile de déterminer si cette variante est cause d’un oubli

de l’éditeur au moment de recopier le texte, ou bien un choix de

Jardiel, ce qui est peu vraisemblable car rien ne justifierait que cette

phrase soit ôtée du texte.

L’autre variante de l’édition de 1951 est l’orthographe de

« simoun » qui s’hispanise en « simún » (qui apparaît d’ailleurs sans

guillemets dans le texte, là où il y en avait dans les premières

éditions).

Le terme « simún » est défini par le Diccionario de la Real

Academia Española comme « viento abrasador que suele soplar en

los desiertos de África y Arabia », et l’on précise qu’il est parvenu

dans la langue espagnole par l’intermédiaire du français “simoun”

(qui, lui-même, l’avait emprunté à l’arabe).

Est-ce un choix de l’auteur d’avoir ôté le gallicisme « simoun »

en l’hispanisant ? C’est possible, car le mot aurait été incorporé à la

langue espagnole en 1925 par la Real Academia30.

Considérant que la différence n’est pas très significative du

point de vue de l’analyse des fréquences de voyelles, on décidera

désormais d’effectuer nos calculs à partir du dernier vocable accepté

par la RAE, c’est-à-dire « simún ».

30 Joan Corominas, Diccionario crítico etimológico de la lengua castellana (vol.IV), Madrid: Gredos, 1954.

Page 30: Memoire Lipogramme

30

Ces différences qu’affiche le texte de Para leer de 1951 sont

reproduites dans certaines éditions suivantes, ce qui nous permet de

savoir quelles sources ont utilisé les éditeurs. Il s’agit de la

Ventanilla de cuentos corrientes de l’Enciclopedia Pulga et de

Cuentos sobre ruedas (1990).

Page 31: Memoire Lipogramme

31

INTRODUCTION

Ce travail se présente en trois parties, chacune d’elle cherchant à mettre en relief les

influences du lipogramme à différentes échelles du texte, afin de prouver que la contrainte

agit sur de nombreux niveaux textuels, de la lettre jusqu’à la narration elle-même dans ses

possibilités d’organisation. La première partie est consacrée à l’aspect phonétique et

graphique du lipogramme, c’est-à-dire aux phénomènes observés sur les lettres, consonnes et

voyelles. La deuxième partie s’attache à déterminer les particularités syntaxiques et lexicales

d’un texte lipogrammatique. Enfin, la troisième partie tente de montrer que les contraintes

imposées à la syntaxe et au lexique des textes ont elles-mêmes un effet sur la « manière de

raconter », sur les choix narratifs et sur le style de Jardiel Poncela.

L’étude des lipogrammes s’efforce de conserver tout au long de son parcours dans les

différentes dimensions du langage un intérêt constant pour le passage de l’écriture des textes à

leur lecture, c’est-à-dire à la perception de ces textes par un lecteur de langue espagnole.

Page 32: Memoire Lipogramme

32

Première partie

DE LA PLUS PETITE UNITÉ : LA LETTRE

ÉTUDE PHONÉTIQUE

« Y ansi [A] es la primera [letra] que el hombre pronuncia en naciendo, salvo que el varón como tiene más fuerça dize A, y la hembra E, en que parece entrar en el mundo, lamentándose de sus primeros padres Adan y Eva”

Sebastián de Covarrubias, “Article A” du Tesoro de la lengua castellana o española

Page 33: Memoire Lipogramme

33

La première « dimension » de texte touchée par la contrainte

est celle de la plus petite unité de langue, peut-être pour cette raison

aussi est-elle la plus discrète. Il s’agit de la lettre.

Comme on l’a dit plus haut, la contrainte littéraire du

lipogramme - qui consiste en l’absence, en général volontaire de la

part de l’auteur, d’une ou plusieurs lettres de l’alphabet - est

probablement la moins visible et remarquable de toutes les formes

d’écriture « à contrainte » existantes.

La lettre recèle deux dimensions : d’une part, sa partie

graphique, régulière dans des textes imprimés (variable si elle est

manuscrite) ; d’autre part, sa partie sonore, c’est-à-dire le ou les

phonèmes qui lui correspondent. Dans le cas qui nous intéresse, qui

est celui de l’espagnol, le travail d’étude des phonèmes est

grandement facilité par le fait que l’espagnol est une langue

phonétique, dans la mesure où à chaque lettre ne correspond qu’un

seul phonème31. Ainsi, la graphie <a> correspond toujours au

phonème /a/, et la graphie <e> correspond toujours au phonème /e/.

De cette considération sur la double dimension de la lettre

découle un problème qui se pose quant à notre sujet : la contrainte

est-elle remarquable (quand elle l’est) graphiquement ou

phonétiquement ? Le lecteur remarque-t-il le manque d’un graphème

ou d’un phonème ?

La réponse n’est pas évidente. Le graphème est nécessairement

visible et remarquable, puisque le lecteur est obligé de la déchiffrer

pour la lire. Quant au phonème, on ne peut pas déclarer

catégoriquement qu’il soit présent à l’esprit du lecteur au moment de

sa lecture, à moins que le texte ne soit lu à voix haute. Dans le cas

contraire, on peut toujours conjecturer que, même dans une lecture

mentale, la dimension phonétique et sonore d’un texte est toujours

plus ou moins présente. Et d’ailleurs, si ce n’était pas le cas, quel

intérêt aurait la métrique d’un poème ? Quel rôle laisserait-on aux

31 Pour ce qui est des voyelles, on ne prend pas en compte leurs allophones, et on simplifie le schéma vocalique de l’espagnol à cinq phonèmes /a/, /e/, /i/, /o/ et /u/, en réduisant le répertoire présenté par l’Esbozo de 1973 (p. 35).

Page 34: Memoire Lipogramme

34

assonances et aux rimes ? Et l’on sait qu’un poème n’est pas toujours

dit, or quand il est lu mentalement, on en perçoit le rythme et les

sonorités.

En partant du principe que les deux aspects aient la même

importance à la lecture, il semble difficile de déterminer lequel, de la

graphie ou de la sonorité de celle-ci, attire la plus grande attention du

lecteur ; car il s’agirait de se prononcer sur un acte inconscient,

assimilé par chacun au moment de l’apprentissage de la lecture et

depuis longtemps devenu mécanique.

I – 1. Considérations préliminaires

I - 1. 1. Le décompte des lettres

Les nouvelles possibilités des technologies informatiques

développées par la recherche en linguistique statistique ouvrent le

champ à un grand nombre d’expériences à appliquer aux textes

littéraires. Pour les lipogrammes, on a choisi plusieurs types de

traitement de texte, dont le décompte des voyelles et des consonnes,

effectué à partir du programme AntConc32, dont on observera les

résultats dans l’étude phonétique qui suit.

Le corpus sur lequel nous avons travaillé ne se limite pas aux

deux lipogrammes, comme on l’avait annoncé dans la présentation

de l’étude. Il contient également les quatorze autres nouvelles non-

lipogrammatiques publiées dans le même recueil, la « Ventanilla de

cuentos corrientes », toutes à peu près de même extension (trois à six

pages environ)33. Les quatorze textes et les deux nouvelles

32 On peut trouver plus d’informations sur ce programme sur la page : <http://www.antlab.sci.waseda.ac.jp/software.html>. 33 Il s’agit, dans l’ordre d’apparition des textes, de : “Los vecinos del principal derecha”, “La señorita Nicotina”, “El domador y los dos ancianos”, “El amor que no podía ocultarse”, “Un abanico demasiado moderno”, “El somarova”, “¡Mátese usted y vivirá feliz!”, “Una vida extraordinaria”, “La Universidad de Herby”, “El consejo”,

Page 35: Memoire Lipogramme

35

lipogrammatiques ont d’abord tous été destinés à être publiés dans

les journaux de l’époque avec lesquels Jardiel collaborait (La Voz,

Blanco y negro, Buen Humor et Gutiérrez), puis rassemblés par

l’auteur dans une même compilation.

I – 1. 2. A versus E : qui gagne ?

S’il est difficile de déterminer si la contrainte est perceptible

phonétiquement ou graphiquement, il nous semble intéressant de

s’arrêter un moment sur l’importance respective du a et du e, les

deux lettres qui disparaissent dans les nouvelles de Jardiel. Cela nous

permettra, entre autres, d’établir un degré de « difficulté

lipogrammatique », expression que nous devons à Raymond

Queneau34 ; et peut-être également de mesurer « l’étrangeté

lipogrammatique » des deux nouvelles. Pour ce qui est de ce

deuxième concept, son principe est similaire au premier. La

difficulté lipogrammatique nous amène à nous interroger sur le

processus d’écriture, tandis que l’étrangeté lipogrammatique

s’intéresse davantage à la perception d’un texte où il manque une

lettre par un lecteur supposé non averti.

Or, comme on l’avait signalé plus tôt, les deux étapes du texte

à contraintes, ce « jeu qui se joue à deux », entre l’écrivain et le

lecteur, convergent vers la même problématique : à quelle point la

langue est-elle transformée et assujettie aux impératifs de la

contrainte ?

Plus concrètement, prenons un exemple : écrire sans w est plus

facile qu’écrire sans e, du moins en espagnol. Parallèlement, un texte

sans e a plus de chances d’être perçu comme « curieux » qu’un texte

sans w, et attirera donc probablement plus l’attention.

“Noche de sábado”, “!Por Dios, que no se entere nadie!”, “Un asunto de novela” et “La recepción de los tres Reyes Magos”. 34 Article sur le lipogramme “Ecrit en 1937”, Bâtons, chiffres et lettres, Paris, Gallimard, 1950.

Page 36: Memoire Lipogramme

36

Si cette remarque tombe sous le sens, la question devient plus

complexe quand on confronte les deux voyelles a et e, les plus

fréquentes du castillan.

Dès une des premières éditions des nouvelles (El libro del

convaleciente, 1939), « Un marido sin vocación » est présenté

comme un « récit écrit sans utiliser la lettre E (la plus courante en

castillan) ». Il paraît difficile de savoir à partir de quelles données se

base l’éditeur en écrivant ce sous-titre, jugeant que la lettre e serait

plus fréquente que le a, à une époque où les méthodes informatiques

pour le calcul de fréquence ne sont pas encore apparues.

Aujourd’hui, nous bénéficions d’un large éventail de travaux

effectués sur la fréquence des lettres et des phonèmes espagnols,

mais qui ne simplifient pas le problème.

Un article de Guillermo Rojo35 sur la fréquence des phonèmes dans

l’espagnol parlé recense la totalité des études sur le sujet jusqu’à

1991, qui sont les suivantes :

- Pour la langue écrite :

- 1939, Zipf-Rogers obtiennent les résultats suivants : pour <a>

14,06%, pour <e> 12,20%.

- 1946, Navarro-Tomás obtient <a> 13% et <e> 11,75%

- 1961, Alarcos-Llorach obtient <a> 13,70% et <e> 12,60%

- 1967, Lloyd-Schintzer obtiennent <a> 15,21% et <e> 9,73%

(corpus composé à partir du dictionnaire)

- 1981, Mosterín obtient <e> 13,89% et <a> 12,13%

- 1991, Rojo obtient le même résultat pour <a> et <e> : 13,46%

- On peut signaler d’autre part la « liste de lettres ordonnées

alphabétiquement » du dictionnaire de fréquences d’Alameda et

Cuetos, qui n’apparaît pas dans l’article puisqu’il date de 1995, et

qui obtient : <e> 13,19% et <a> 12,85%36.

35 Guillermo Rojo, “Frecuencia de fonemas en español actual”, M. Brea, F. Fernández Rei, Homenaxe ó profesor Constantino García, t. 1, Universidade de Santiago de Compostela, 1991. 36 Nous signalons que dans les conclusions du dictionnaire d’Alameda-Cuetos apparaît une erreur (p. 956) : les résultats sont récapitulés, mais à l’inverse, c’est-à-dire : <a> 13,19% et <e> 12,85% (au lieu de <a> 12,85% et <e> 13,19%, p. 14), ce qui porte à confusion puisqu’on ne saurait déterminer quel résultat est le bon.

Page 37: Memoire Lipogramme

37

- Langue écrite et parlée :

- 1972, Guirao-Borzone obtiennent <e> 14,51% et <a> 12,45%

- Langue orale :

- 1965, Delattre obtient /e/ 14% et /a/ 12,97%

- 1980, Quilis-Esgueva obtiennent /e/ 14,67% et /a/ 12,19%

Comme le font remarquer Quilis et Esgueva dans leur article,

hormis les résultats obtenus par Alameda et Cuetos, Mosterín et

Rojo, il semblerait que de manière générale les calculs effectués à

partir d’un corpus écrit démontrent que le <a> est plus fréquent,

tandis que les calculs effectués à partir d’enregistrements oraux

démontrent que le /e/ est plus fréquent.

Mais le problème reste de savoir si ces résultats sont réellement

représentatifs de la langue espagnole et de l’usage des lettres,

puisque dans chaque cas, les calculs ont été faits à partir de corpus

différents, donc nécessairement inégaux. En effet, certains se basent

sur la langue parlée, d’autres sur la langue écrite, chacun d’eux

utilisant des textes d’époques différentes et des techniques variées,

mettant à part ou non les hiatus, diphtongues et triphtongues. Si bien

que le problème de définir quelle est la lettre la plus fréquente en

espagnol n’a peut-être pas de réponse définitive. Il est à noter que,

comme le font observer Quilis et Esgueva, les résultats statistiques

varient considérablement selon les corpus de textes sur lesquels sont

basés les calculs. Ils donnent pour exemple les résultats de Llloyd et

Schnitzer qui obtiennent 15,21% de <a> contre 9,73% de <e>, ce qui

montre un écart beaucoup plus grand que la normale entre les deux

lettres. Or, ce décompte des lettres a été obtenu à partir d’un corpus

bien particulier : le dictionnaire. On pourrait donc supposer que d’un

point de vue purement lexical, l’espagnol contient plus de <a> ;

tandis que, si l’on considère des textes écrits, la prolifération de mots

courts et courants tels que « de », « que », « el », « en »37 fait

basculer les calculs et le <e> devient alors plus fréquent.

37 Voir le tableau p. 57, (II – 2. 1.)

Page 38: Memoire Lipogramme

38

Comme l’ont fait remarquer de nombreux linguistes,

l’interprétation des données obtenues en linguistique statistique est

souvent difficile, en partie à cause du paramètre instable qu’est le

corpus : l’analyse peut aboutir à de grandes erreurs dans la lecture

des nombres38.

Il semble que, selon les sources, notamment dans les travaux

sur le lipogramme, les résultats se contredisent. On peut nommer,

entre autres, le travail de traduction de La Disparition de Georges

Perec vers l’espagnol, pour lequel les traducteurs avaient fait le

choix de modifier les règles de la contrainte, en passant d’un

lipogramme en e à un lipogramme en a, ce qu’ils justifiaient par le

fait que le a serait la lettre la plus fréquente en castillan. Perec lui-

même écrivait, dans son Histoire du lipogramme :

« Ecrire sans a est badin en français, périlleux en espagnol :

c’est l’inverse pour l’e. »

Si l’on écoutait Perec, le lipogramme en a serait donc plus

difficile à écrire en espagnol qu’un lipogramme en e. Mais Perec

était-il assez hispaniste pour que son jugement ait du poids sur le

nôtre ?

D’autre part, comme le fait remarquer Marie Séonnet dans son

étude sur la traduction de La Disparition, la tradition

lipogrammatique espagnole tend majoritairement à exalter le a,

puisque l’on recense cinq textes écrits sans cette voyelle39. Or, les

auteurs de textes à contrainte, comme celle du lipogramme,

cherchent généralement à accomplir la performance la plus ardue. Le

choix de la lettre a comme lettre interdite par les auteurs

38 On peut se référer, à ce sujet, à l’article de Michel Lenoble : « Statistique lexicale et critique littéraire : le mariage impossible ? », En hommage à Charles Muller. Méthodes quantitatives et informatiques dans l’étude des textes, pp. 567-573. 39 On pourra voir, à ce sujet, l’étude d’Elodie Gevrey, Etude linguistique de cinq lipogrammes en A de l’époque baroque espagnole, mémoire de Master en cours, Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, 2008.

Page 39: Memoire Lipogramme

39

lipogrammatistes de l’époque baroque est-il la marque de sa

prééminence sur le e ?

Pour tenter de résoudre ce problème, ou du moins de l’éclaircir,

on se propose d’entrer dans le vif du sujet et d’étudier les

phénomènes observés dans la répartition des voyelles des

lipogrammes de Jardiel Poncela.

I – 2. Etude graphique des lipogrammes

I – 2. 1. Vocalisations des nouvelles

Le décompte des voyelles, et plus précisément des graphèmes,

dans les deux nouvelles lipogrammatiques de Jardiel, ainsi que dans

les autres textes qui les accompagnent dans la « Ventanilla de

cuentos corrientes », nous permet de faire des observations sur un

corpus plus pertinent, regroupant des textes synchroniques, du même

auteur et publiés dans le même recueil. Ils auront une valeur plus

significative et exploitable à l’échelle de notre étude que les calculs

exposés précédemment qui prétendent englober dans leur analyse la

langue entière.

Il s’agit de mettre en évidence, par une méthode contrastive, les

différences observables imposées aux textes par la contrainte.

Voici, ci-dessous, les résultats obtenus par l’analyse informatique40.

40 Voir aussi en annexe les résultats pour l’intégralité des nouvelles de la « Ventanilla de cuentos corrientes » (annexe 17).

  Chófer   Marido  

Page 40: Memoire Lipogramme

40

La première observation qui résulte de ces fréquences est que

dans le lipogramme en a, la voyelle la plus fréquente est le e ; et

dans le lipogramme en e, la voyelle la plus fréquente est le a.

Sachant que ces deux voyelles sont les plus fréquentes en espagnol,

il est donc naturel que l’absence de l’une d’elle laisse la première

place à l’autre.

Mais ce n’est pas tout, puisqu’en observant les résultats

statistiques pour la totalité des nouvelles de la « Ventanilla de

cuentos corrientes », on s’aperçoit que « El chófer nuevo » détient la

plus haute fréquence de <e> et de <o>, et « Un marido sin

vocación » la plus haute fréquence de <a> et de <i>.

Peut-on en déduire que l’absence d’une des deux voyelles <a>

et <e> ait aussi une influence sur d’autres voyelles qu’elles-mêmes,

ce qui reviendrait à considérer que certaines lettres ont des affinités

particulières avec le <a> et le <e>, en l’occurrence le <i> et le <o> ?

Bien sûr, la haute fréquence des voyelles non interdites dans

les deux lipogrammes est en partie la conséquence du déséquilibre

causé par la disparition d’un des paramètres.

Cependant, rappelons que, de manière presque constante, le

<o> est plus fréquent que le <i> en espagnol, ce qui est démontré à

la fois dans les études statistiques sur les phonèmes espagnols autant

que par les calculs effectués sur les textes de Jardiel (cf. annexe 17).

On peut éventuellement supposer que la hausse de fréquence

du <i> dans « Un marido sin vocación » (20,31% contre 18,24%

A   0   625  A%   0   +39,06  E   601   0  E%   +38,06   0  I   288   325  I%   18,24   20,31  O   525   499  O%   33,25   31,19  U   165   151  U%   -­‐10,45   -­‐9,44  Total  vocales   1579   1600  

Page 41: Memoire Lipogramme

41

dans « El chófer nuevo ») est due au fait que le bigramme <ia> est

assez fréquent en espagnol41, notamment pour être la terminaison de

l’imparfait des verbes de deuxième et troisième conjugaisons ; or,

l’imparfait est l’un des temps principaux de cette nouvelle.

Enfin, quant à la lettre <u>, elle ne subit aucune influence dans

les lipogrammes, puisque son pourcentage d’apparition dans les deux

nouvelles est à peu près égal à celui des autres textes.

Revenons au problème posé auparavant de la relative fréquence

du <a> et du <e>. Si l’on observe les résultats trouvés sur les

quatorze nouvelles publiées dans la « Ventanilla de cuentos

corrientes » avec les deux lipogrammes, on s’aperçoit que neuf

d’entre elles contiennent plus de <e>, et cinq ont plus de <a>. Les

résultats acquis par l’analyse informatique ne nous éclairent donc pas

davantage et il est toujours aussi difficile de départager laquelle de

ces deux lettres est la plus courante, d’autant plus que les écarts de

fréquence pour certaines nouvelles sont parfois infimes.

I – 2. 2. Les fréquences consonantiques

Pour ce qui est des fréquences de consonnes dans les textes,

elles suivent plus ou moins un schéma normal, autant relativement

aux fréquences des autres nouvelles que si l’on considère les études

sur les fréquences consonantiques de l’espagnol en général. Dans les

deux nouvelles, le <s>, consonne la plus courante en espagnol, a la

plus haute fréquence, comme c’est le cas de huit des quatorze

nouvelles de la « Ventanilla ». Quant aux fréquences les plus basses,

on ne trouve rien de très surprenant non plus : <w>, <x> et <j> sont

les plus basses de « El chófer », pour « Un marido » c’est le <k>42.

41 On se réfère aux résultats présentés dans le dictionnaire de fréquences d’Alameda et Cuetos, Diccionario de frecuencias de las unidades lingüísticas del castellano, Oviedo: Publicaciones de la Universidad, 1995 (« Recuento total de bigramas tipo Type », p. 513), où le bigramme <ia> apparaît 25e de la liste. 42 Nous remarquons par ailleurs que, dans cette nouvelle, aucun taux n’est nul, c’est-à-dire que toutes les lettres sont utilisées, sauf le e.

Page 42: Memoire Lipogramme

42

Il est plus instructif de s’intéresser aux fréquences relatives des

consonnes des lipogrammes en comparaison avec celles des autres

textes. Par exemple, « El chófer nuevo » a la plus haute fréquence de

<c> et de <f>, cette dernière lettre étant une des moins courantes en

espagnol (0,67% d’occurrences43), ce qu’on comprend facilement

quand on s’aperçoit que le mot « chófer » est répété quinze fois dans

le texte (cf. tableau p. 30) : c’est le mot le plus fréquent de la

nouvelle, si l’on ne prend pas en compte les mots courts « de »,

« el », « y ».

« Un marido sin vocación » détient le taux le plus élevé de

<w> et de <y>, la première étant la lettre la moins courante en

espagnol (0,01%) ; or le mot d’origine anglaise « sandwich » y est

répété trois fois. D’autre part, on remarque une grande répétition de

la conjonction « y » en position anaphorique dans le texte (cf. p. 30).

Quant à la haute fréquence de <b>, elle est en partie due à un

passage du texte où apparaît une allitération :

« fuimos a la boda. ¡La boda! ¡Bah!... Una boda como

todas las bodas: galas blancas, […], bimbas »

A l’inverse, la nouvelle a les taux les plus bas de <d>, <q> et

<t>.

Le <q> appartient à très peu de lexèmes espagnols, mais l’un

d’eux est un des plus fréquents de la langue : le pronom relatif ou la

conjonction « que ». On comprend alors qu’en supprimant la lettre

<e>, on affaiblit par là l’usage de la lettre <q>. De la même manière,

la préposition « de » est le mot le plus fréquent en espagnol : la

suppression du <e> entraîne fatalement une baisse du pourcentage de

<d>.

Ci-dessous est exposée, à titre d’exemple, une partie des

résultats du décompte de consonnes, en fonction des lettres qui nous 43 Juan Ramón Alameda, Fernando Cuetos, Diccionario de frecuencias de las unidades lingüísticas del castellano, Oviedo: Publicaciones de la Universidad, 1995 (Vol. 1 et 2).

Page 43: Memoire Lipogramme

43

intéressent. Pour l’intégralité des résultats de l’analyse informatique,

on se reportera aux annexes.

Fréquences consonantiques dans « El chófer nuevo »

  abanico   amor   asunto   chofer   consejo   dios  C   138   134   180   189   173   266  C%   7,51   5,51   7,18   10,05   6,49   7,63  F   18   21   20   44   28   29  F%   0,98   0,86   0,8   2,34   1,05   0,83   Fréquences consonantiques dans « Un marido sin vocación »   chofer   consejo   dios   domador   herby   marido  D   177   248   291   231   177   130  D%   9,41   9,3   8,34   8,92   8,27   6,9  Q   37   51   66   47   28   5  Q%   1,97   1,91   1,89   1,81   1,31   0,27  T   145   233   264   193   170   104  T%   7,71   8,74   7,57   7,45   7,95   5,52  B   38   93   86   79   77   77  B%   3,02   3,49   2,47   3,05   3,6   4,09  W   0   0   1   0   2   3  W%   0   0   0,03   0   0,09   0,16  Y   34   56   77   53   70   64  Y%   1,81   2,1   2,21   2,05   3,27   3,4  

II – Etude phonétique. Sonorité et rythme des textes

On se propose à présent d’étudier l’aspect exclusivement

phonologique des textes sous l’angle de vue de la contrainte et des

effets qu’elle peut avoir sur la sonorité et le rythme des textes.

Le /a/ est la voyelle la plus ouverte dans le système vocalique

espagnol, donc le manque de ce phonème ne produit pas le même

effet sonore sur le texte que pour l’absence d’autres voyelles.

Page 44: Memoire Lipogramme

44

Sa disparition crée sans doute un phénomène d’ « asphyxie »,

un sentiment d’étouffement causé par la répétition de voyelles

fermées. Cette impression est peut-être renforcée, d’autre part, par le

fait que « El chófer nuevo », lipogramme en a, soit la nouvelle qui

ait le plus faible taux vocalique (39,57%) et le plus grand nombre de

consonnes (60,43%). Sachant que la moyenne proposée par Quilis et

Esgueva correspond à 47,56% de voyelles et 53,43% de consonnes,

on peut se demander quelle est la raison de l’écart qu’on observe

dans le lipogramme (on pourrait notamment faire l’hypothèse d’un

lien entre l’absence du a et l’augmentation des consonnes).

Le texte peut également apparaître comme « peu aéré » dans

certains passages énumératifs, dans des phrases très longues

uniquement rythmées par les virgules, comme c’est le cas dans la

description des « exploits » du chauffeur.

« Pero es lo cierto que siempre que el chófer nuevo puso

en movimiento el motor de mi coche ejecutó sorpredentes ejercicios llenos de riesgos y sembró el terror en todos los sitios por donde metió el coche; destrozó los vidrios de infinitos comercios, derribó postes telefónicos y luminosos, hizo cisco trescientos coches del servicio público, pulverizó los esqueletos de miles de individuos, suprimiéndolos del mundo de los vivos, en oposición con sus evidentes deseos de seguir existiendo; quitó de en medio todo lo que se le puso enfrente; hendió, rompió, deshizo, destruyó; encogió mi espíritu, superexcitó mis nervios; pero me divirtió de un modo indecible, porque Melecio Volodio no fué un chófer, no ; fué un simún rugiente. »

Outre la longueur de la phrase, dont les respirations sont peu

nombreuses, la répétition et la juxtaposition de verbes au prétérit à la

troisième personne du singulier, dont la terminaison est

invariablement en <o> accentue le rythme saccadé de la phrase, ainsi

que la sensation d’étouffement et de monotonie (d’autant plus que

l’accentuation est presque toujours portée sur la dernière syllabe, mis

à part un verbe à prétérit fort : « deshizo »).

D’une manière générale, dans les deux cas des lipogrammes en

a ou en e, on s’aperçoit que les autres voyelles prennent - de manière

Page 45: Memoire Lipogramme

45

logique - une plus grande place dans le texte. Leur fréquence

augmente, et il ne reste plus que quatre phonèmes : les possibilités de

combinaisons de voyelles sont considérablement restreintes. Ceci

participe, en quelque sorte, à une forme de monotonie, étant donné

que les voyelles restantes se répètent davantage. Prenons l’exemple

de « El chófer nuevo », qui est probablement le plus frappant à

l’écoute, en raison de l’absence du /a/.

La nouvelle commence ainsi :

« Me lo cedió mi tío Heliodoro »44

Si l’on ne garde que les voyelles de cette séquence, on obtient :

/e/ /o/ /e/ /io/ /i/ /io/ /e/ /io/ /o/ /o/

Cette mise en relief des voyelles dans le texte met en évidence

la répétition des phonèmes, surtout quand celui qui manque est le /a/,

seule voyelle ouverte du système phonétique espagnol. De plus, le

<u> est une voyelle peu usitée en comparaison avec les autres : les

sonorités vocaliques ne tournent donc quasiment qu’autour de trois

phonèmes : /e/, /i/ et /o/.

A l’inverse, l’étrangeté phonétique dans « Un marido sin

vocación » réside davantage dans l’omniprésence du /a/, et non pas

tellement de l’absence de /e/, par exemple :

“¡La boda! ¡Bah!... Una boda como todas las bodas:

galas blancas, azahar por todos lados, alfombras, música sacra,

bimbas, sonrisas…”

On pourrait également se demander si l’absence d’une lettre,

créant ainsi la plus grande répétition de certaines voyelles, n’aurait

pas pour effet d’accentuer le rythme du texte. Par exemple, dans

« Un marido sin vocación », la première scène dialoguée, passage

44 On peut d’ailleurs interpréter cet incipit comme un jeu de consonances de la part de Jardiel, dans la mesure où « Me lo cedió » est assez proche phonétiquement de « Melecio ».

Page 46: Memoire Lipogramme

46

qu’on pourrait qualifier de stichomythique s’il s’était agi s’une pièce

de théâtre, joue beaucoup des sonorités :

- ¿Un matrimonio?

- Un matrimonio, sí – corroboró Ramón.

- ¿Tuyo?

- Mío.

On remarque que dans les deux premières répliques, le même

segment de phrase est répété, une fois sur un mode interrogatif,

l’autre sur un mode assertif, ce qui modifie considérablement les

intonations. Suit l’adverbe tonique « sí », puis un verbe

monovocalique en o qui, avec le nom « Ramón » crée une

allitération en r. Puis, dans les deux répliques suivantes apparaissent

deux pronoms possessifs accentués, dont les terminaisons sont en

écho /jo/.

Des passages entiers pourraient servir d’exemple pour montrer

l’importance du rythme et de la sonorité des phrases qui ajoutent au

caractère distrayant des textes. Même si l’absence d’une lettre n’est

pas directement impliquée dans cet aspect, du moins y participe-t-

elle et l’amplifie-t-elle.

Conclusion

Il semble donc que la contrainte soit perceptible, en principe,

d’un point de vue phonétique : dans le cas du lipogramme en e, où la

voyelle prédominante est le /a/, la plus ouverte et donc la plus

« marquante » à l’écoute ; dans le lipogramme en a, où toutes les

voyelles son fermées.

On peut rappeler rapidement, en outre, que dans le cas du

lipogramme français, les effets de l’absence d’une lettre ne sont pas

du tout les mêmes et beaucoup moins drastiques qu’en espagnol,

puisque le système phonétique est fait de telle sorte que les

Page 47: Memoire Lipogramme

47

combinaisons de voyelles et de consonnes forment des phonèmes

différents. Ainsi, même si le système phonétique du français est

réduit par la contrainte, il lui reste, malgré tout, un nombre important

de combinaisons possibles, et la variété phonétique est maintenue.

Page 48: Memoire Lipogramme

48

Deuxième partie

LES MOTS

ETUDE MORPHOSYNTAXIQUE ET LEXICALE

Page 49: Memoire Lipogramme

49

Après avoir analysé phonétiquement les textes, on agrandit

l’angle de vue de l’étude pour s’intéresser maintenant aux mots

entiers, autant d’un point de vue lexical que morphosyntaxique. Il

s’agit d’observer dans quelle mesure la contrainte a une influence

dans le choix des morphèmes et lexèmes, et s’il est possible d’établir

une règle constante à partir de ces obligations. Cette étude aura pour

but, à terme, de constater si l’absence d’une lettre peut avoir

également des effets sur la narration et sur le style des textes. On décide de traiter synchroniquement la morphosyntaxe et le

lexique du texte, qui s’imbriquent et se confondent étroitement dans

le problème de la contrainte. Séparer hermétiquement ces deux

aspects du texte reviendrait à compliquer considérablement notre

propos, et impliquerait de nombreuses répétitions. Cette partie de

notre travail est donc exclusivement consacrée à des observations

d’ordre grammaticales et lexicales sur les textes. Les conclusions

qu’on pourra en tirer apparaîtront dans le chapitre suivant, qui

s’intéresse à la narration.

I - 1. Préliminaires. Les outils linguistiques

Pour cette étude morphosyntaxique et lexicale, on s’appuiera

sur trois types de documents distincts :

- d’une part, les outils de base que sont les grammaires

espagnoles, dont on suivra plus ou moins le schéma dans l’étude des

mots et de leur fonction syntaxique dans la phrase.

- les dictionnaires de fréquence et autres articles ayant trait à la

linguistique statistique, qui nous informent sur l’usage des mots et

leur fréquence d’apparition dans la langue, dépendamment ou

indépendamment des rapports syntagmatiques qui les unissent.

Page 50: Memoire Lipogramme

50

- enfin, on s’aidera des résultats obtenus par l’analyse

informatique des textes, effectuée par le programme Freeling, afin de

comparer les résultats obtenus à partir des textes de Jardiel avec les

observations normatives de la grammaire et des études statistiques en

général.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de spécifier

précisément dans quelle mesure on utilisera chacun de ces

documents, en s’efforçant de choisir les outils les plus appropriés et

adaptés.

II – 1. 1. L’analyse informatique des textes

Comme on l’a précisé dans la première partie, on a effectué sur

les seize nouvelles de la « Ventanilla de cuentos corrientes » une

analyse des formes lexicales : la lemmatisation et l’analyse

morphosyntaxique (qui fournit le classement des mots du texte par

catégories grammaticales), effectuées à l’aide du programme

FreeLing45. Les résultats obtenus requièrent une vérification

systématique, à cause de l’ambiguïté de certains mots, dont les

natures sont variées. L’analyse informatique permet également de

classer les mots des nouvelles par ordre alphabétique et selon leur

fréquence d’apparition, sans distinction de leur fonction syntaxique

dans la phrase.

II - 1. 2. Dictionnaires de fréquence

Les dictionnaires de fréquence nous serviront majoritairement

pour déterminer quels sont les mots qui manquent le plus à Jardiel au

moment de l’écriture de ses lipogrammes, c’est-à-dire les plus

indispensables à la langue. En effet, plus un mot a une fréquence 45 Le site internet consacré à ce programme permet également de faire des essais avec des courtes phrases (Menu : « On-line Demo ») : < http://garraf.epsevg.upc.es/freeling/index.php>.

Page 51: Memoire Lipogramme

51

d’usage élevée, plus il est nécessaire dans la construction syntaxique

d’un énoncé. On pense surtout en disant cela aux mots

« fonctionnels » (prépositions, conjonctions, adverbes).

Bien sûr, il ne s’agira pas d’examiner la fréquence de chacun

des mots des lipogrammes, ce qui n’apporterait pas une information

suffisante pour déterminer à quel point la contrainte modifie le

langage. En revanche, dans certains cas précis, une consultation des

dictionnaires pourra nous être utile.

Il faut avant tout déterminer lesquels de ces dictionnaires sont

les plus appropriés. Deux critères majeurs sont à tenir en compte

dans une analyse statistique : d’une part, la synchronie des textes

formant le corpus de base aux calculs, c’est-à-dire qu’ils doivent être

plus ou moins contemporains des textes de Jardiel, d’autre part, une

certaine conformité dans le type de documents constituant le corpus

(textes littéraires, scientifiques…).

Un des premiers dictionnaires de fréquence de l’espagnol à être

paru est celui d’Alphonse Juilland et Eugenio Chang-Rodríguez, le

Frequency dictionary of Spanish words de 1964, qui s’inscrit dans le

vaste projet de réaliser des dictionnaires de fréquence pour chacune

des langues romanes. Le corpus sur lequel se basent les deux auteurs

comprend des œuvres parues entre 1920 et 1940, notamment quatre

pièces de théâtre de Jardiel Poncela qui sont les suivantes :

- 49 personajes que encontraron su autor (1939)

- Margarita, Armando y su padre (1931)

- Usted tiene ojos de mujer fatal (1933)

- Una noche [de] primavera (1948)

Le corpus paraît donc parfaitement approprié pour se plier à

une comparaison avec les lipogrammes et servir de référent,

puisqu’il embrasse une période où ont été écrites les nouvelles (dans

les années 1926-1927), et contient des textes de l’auteur qui nous

intéresse. De plus, une des qualités de ce dictionnaire est qu’il

distingue dans ses entrées les différentes flexions sous lesquelles

apparaît un mot : par exemple, pour un substantif, le singulier ou le

pluriel, pour un verbe, le temps et le mode, ce qui permet des

Page 52: Memoire Lipogramme

52

interprétations autres que lexicales, comme la fréquence relative des

temps. En outre, les résultats sont détaillés selon les critères

suivants : fréquence totale du mot, puis les différentes fréquences

selon le type de textes (théâtre, roman, essai, périodique et

technique), ce qui permet de focaliser nos recherches sur des

fréquences spécifiquement littéraires.

Cependant, une critique que l’on peut faire à ce dictionnaire, et

qui est relativement déterminante pour l’utilisation qu’on en fera, est

que, comme le signale Charles Muller46, la liste du vocabulaire de

base ne comprend que 5000 mots ce qui, à l’échelle de calculs

statistiques, est peu précis et fiable :

« Une compilation de 300 000 mots n’offre plus de

garantie au-delà du 500e mot ; avec 1 million de mots, on peut

obtenir une liste de fréquence d’environ 1000 mots, et une liste

d’environ 2 à 3000 mots à partir d’un échantillon de 5

millions. En deçà de ces limites, les fréquences trop faibles

présentent des écarts aléatoires qui masquent la hiérarchie

réelle du lexique et leur ôtent toute valeur pratique »47

Pour n’en donner qu’un exemple, preuve de l’existence de

« résultats statistiquement déficitaires », le mot « chófer » n’apparaît

pas dans la liste, ce qui ne signifie pas qu’il ait été peu usité au début

du XXème siècle, mais plutôt que la limite de mots compris dans le

dictionnaire est trop restrictive et écarte des mots d’usage assez

courant48.

Deux ouvrages assez récents, le Diccionario de frecuencias de

las unidades lingüísticas del castellano de Alameda et Cuetos, et

Frecuencias del español: diccionario y estudios léxicos y

morfológicos d’Almela Pérez, pourront nous servir, bien que les

corpus sur lesquels ils fondent leurs résultats soient anachroniques

46 Charles Muller, « Un dictionnaire de fréquence de l’espagnol moderne », Langue française et linguistique quantitative : recueil d’articles, Genève : Slaktine, 1979. 47 Propos de Pierre Guiraud, dans Problèmes de la statistique linguistique (p. 96), cités par Charles Muller. 48 Le mot « chofer » apparaît pour la première fois dans le DRAE en 1927, comme gallicisme.

Page 53: Memoire Lipogramme

53

avec les textes de Jardiel. Le second, par exemple, est digne d’intérêt

puisqu’il présente non seulement les fréquences des mots mais aussi

celles des suffixes et préfixes. Le premier, outre une liste de mots,

présente une liste de bigrammes (réunion de deux lettres dans un

mot) ordonnés par ordre de fréquence.

II - 1. 2. La grammaire

Enfin, le dernier problème qui se pose avant de commencer

l’analyse morphosyntaxique est de déterminer comment structurer

cette étude, c’est-à-dire dans quel ordre aborder les différents

éléments et surtout, à partir de quelle classification. L’analyse

informatique répartit les mots selon les classes grammaticales

suivantes : adjectifs, adverbes, conjonctions, déterminants, noms,

noms propres, prépositions, pronoms, verbes. On pourrait choisir de

suivre ce schéma, mais il semble qu’il ne soit pas le plus pertinent

dans notre cas, d’autant plus que cette classification comporte un

certain nombre d’erreurs, ce qui contraint à une révision constante

des données.

En s’appuyant à la fois sur les schémas proposés par l’Esbozo

de la Real Academia et sur la Gramática d’Emilio Alarcos Llorach,

on choisit de traiter les formes interdites ou permises par la

contrainte dans l’ordre suivant : les formes verbales à part ; puis dans

les formes substantives, on regroupe les substantifs et adjectifs (dont

seuls les suffixes et préfixes nous intéressent). Les pronoms, articles

et déterminants sont mélangés et regroupés selon les critères

suivants : personnels, possessifs, démonstratifs, relatifs (dont

interrogatifs et exclamatifs), définis, indéfinis. Enfin, on décide de

traiter conjointement les adverbes, conjonctions et prépositions selon

le type d’information qu’ils apportent (temps, lieu, causalité,

finalité…).

Page 54: Memoire Lipogramme

54

II – 2. Contraintes morphosyntaxiques

II – 2. 1. Formes permises et interdites des lipogrammes

Déterminer les contraintes d’écriture qu’ont rencontrées Jardiel

et les auteurs de lipogrammes en général est impossible à l’échelle

de la langue entière, et constituerait un travail long, monotone et

finalement inutile, puisqu’il n’apporterait aucune information qui

puisse s’appliquer à tout type de texte en général. Nous voulons dire

par là que même si tous les mots sont déterminés par la contrainte, il

n’y a pas pour autant systématiquement de conclusions à tirer du

vocabulaire employé.

Cependant, selon certaines classes grammaticales précises et

délimitées, on peut établir des systématismes à partir des règles de la

contrainte, c’est-à-dire des formes qui, de manière constante,

contiennent la lettre interdite.

a) Les formes verbales

C’est notamment le cas pour les verbes, dont les désinences

sont toujours les mêmes selon les conjugaisons, du moins est-ce le

cas pour les verbes réguliers.

Le tableau suivant présente les formes verbales permises, en

fonction du type de conjugaison, des personnes employées49, et dans

le cas des deux lipogrammes, en a ou e. On part du principe que les

verbes ne contiennent pas la lettre interdite dans leur radical.

49 On précise que l’on désigne les personnes employées comme P1 (yo), P2 (tú), P3 (él), P4 (nosostros), P5 (vosotros), P6 (ellos).

Page 55: Memoire Lipogramme

55

El chófer nuevo (Lipogramme en A)

Un marido sin vocación (Lipogramme en E)

Verbes en -ar (première conjugaison)

Temps simples - Indicatif : Présent : P1 Prétérit : P1, P3 - Subjonctif : Présent Aucun temps composé possible à cause de la terminaison du participe en -ado.

Infinitif Gérondif Participe Temps simples - Indicatif : Présent Imparfait Prétérit : P2, P3, P4, P6 Futur : P2, P3, P6 Conditionnel - Subjonctif : Imparfait en -ra - Impératif Temps composés - Indicatif : Antepresente : P2, P3, P6 Imperfecto Antepretérito : P2, P3, P4 Antepospretérito Antefuturo : P2, P3, P6 - Subjonctif : Antepresente

Verbes en -er (deuxième conjugaison)

Infinitif Gérondif Participe Temps simples - Indicatif : Présent Prétérit Futur : P1, P4, P5 - Subjonctif : Imparfait en -se Futur - Impératif Temps composés - Indicatif : Passé composé : P1, P4 Antepretérito - Subjonctif : Antepretérito en -se Antefuturo

Participe Temps simples - Indicatif : Présent : P1 Imparfait Prétérit : P1, P3, P4 - Subjonctif : Présent Temps composés Mêmes formes que pour les verbes en -ar

Page 56: Memoire Lipogramme

56

b) Les formes substantives

Contrairement aux formes verbales, il semble difficile d’établir

un systématisme de formes permises et interdites des formes

substantives : on se contentera de constituer une liste de mots non

conformes à la contrainte pour chacun des textes, parmi les plus

fréquents, c’est-à-dire parmi les 100 premiers mots des listes des

dictionnaires de fréquence.

Les classements de mots en catégories grammaticales sont

parfois un peu hasardeux puisque nombre d’entre eux sont

polysémiques, le but étant de rendre le tableau lisible et de mettre en

évidence les manques créés par la contrainte en fonction de ce

qu’expriment ces mots.

Verbes en –IR (troisième conjugaison)

Infinitif Gérondif Participe Temps simples - Indicatif : Présent Prétérit Futur : P1, P4, P5 - Subjonctif : Imparfait en -se Futur - Impératif Temps composés - Indicatif : Passé composé : P1, P4 Antepretérito - Subjonctif : Antepretérito en -se Antefuturo

Infinitif Participe Temps simples - Indicatif : Présent : P1, P4, P5 Imparfait Prétérit : P1, P3, P4 Futur : P2, P3, P6 Conditionnel - Subjonctif : Présent - Impératif : P4 Temps composés Mêmes formes que pour les verbes en -ar

Page 57: Memoire Lipogramme

57

On produit également plus bas, un tableau comparatif des quinze

formes les plus fréquentes dans les deux lipogrammes et dans les

dictionnaires de fréquence de Juilland et Alameda.

50 Les suffixes et préfixes énumérés font partie de la liste des affixes les plus fréquents du dictionnaire d’Almela (op. cit.).

El chófer nuevo (Lipogramme en A)

Un marido sin vocación (Lipogramme en E)

Noms et adjectifs50 : Suffixes : -a, -dad, -ista. Préfixes : anti-, trans- Personnels : Ella(s), nosotras, vosotras / la(s) Possessifs : Nuestra, vuestra / mía, tuya, suya… Démonstratifs : Aquel sous toutes ses formes, esta(s), esa(s) Áquel, ésta, ésa Relatifs : Cual, cuya / cuál Définis / Indéfinis La(s) / Una(s), algo, alguien, alguno, nada, nadie, cada, tal, cualquier Adverbes, conjonctions, prépositions - Temps : antes, atrás, ahora, cuando, ya, durante, todavía, mañana, ayer, jamás, nunca - Lieu : a, para, hacia, hasta, aquí, allí, allá, acá, fuera, debajo, delante, arriba, atrás - Adversatif / concessif : mas, aunque, mientras - Final : para - Autres : terminaison en –amente, así, más, bastante, tan, también

Suffixes : -nte Préfixes : des-, re-, en-, pre-, ex- Él, ella(s), ello(s), usted(es) / me, te, se, le(s) Nuestro/a, vuestro/a Aquel, este, ese, áquel, éste, ése sous toutes leurs formes Que, cuales, quien, donde / qué, cuáles, quién, dónde El / Alguien, nadie, cualquier - Temps : antes, luego, después, siempre, durante, entonces - Lieu : en, sobre, entre, lejos, cerca, enfrente, encima, donde - Adversatif / concessif : pero, aunque - Final : para que, con fin de - Causal : porque, ya que, puesto que… - Autres : terminaison en –mente, de, pues, e, bien, también

Page 58: Memoire Lipogramme

58

Liste des quinze mots les plus fréquents pour les deux liogrammes et dans deux dictionnaires de fréquence :

El chófer nuevo Un marido sin

vocación Dictionnaire de Juilland / Chang-Rodríguez

Dictionnaire d’Alameda

de el y

que un en

chófer no lo

Melecio coche

los por mi del

y a la al

con un

Ramón Silvia

los por su

una las más no

de el la y a en él

que haber

su no un por con una

de la

que y el en a

los se un lo las con una por

II – 2. 2. Observance de la règle et détournements

linguistiques et grammaticaux dans les lipogrammes

Après avoir présupposé quelles catégories morphosyntaxiques et

lexicales pourraient être touchées par le manque d’une lettre, dans

les deux cas du lipogramme en a et du lipogramme en e, il s’agit de

vérifier quels sont les phénomènes observés dans les nouvelles de

Jardiel, et s’ils confirment les hypothèses que l’on a faites.

Jusqu’à quel point l’auteur se plie-t-il aux règles de la contrainte

qu’on a exposées et comment essaye-t-il de détourner les interdits ?

On ne recopie pas les listes de catégories morphosyntaxiques

employées dans les textes obtenues par l’analyse informatique, par

souci de concision, mais elles sont consultables en annexes (23 et

24).

Page 59: Memoire Lipogramme

59

a) Les formes verbales

- Lipogramme en E : Un marido sin vocación

VERBES EN –AR

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X X O X X O Imparfait X X X O X X X O Présent X O X X X X X

VERBES EN –ER

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X X O X O Imparfait X X X O X X X O Présent X O O

VERBES EN –IR

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X X O X O Imparfait X X X O X X X O Présent X O X O X

X : temps permis par la contrainte O : temps utilisés dans les lipogrammes

Dans « Un marido sin vocación », le temps prédominant est le

prétérit, suivi par l’imparfait et le présent.

Pourtant, après examen du tableau ci-dessus, il semble que le

temps verbal le plus adapté au lipogramme en e est l’imparfait,

puisque il est permis à toutes les personnes, pour toutes les

conjugaisons. Or, Jardiel n’utilise l’imparfait que pour P3 (mises à

part cinq occurrences de P6).

P1 est exclusivement utilisée au présent, alors qu’il est également

permis à l’imparfait et au prétérit (pour les verbes en –ER et –IR). P3

Page 60: Memoire Lipogramme

60

est quasiment la seule personne utilisée (à part quelques exceptions

sporadiques de P4 et P6).

Jardiel n’a donc pas nécessairement choisi les temps verbaux, ni

les personnes les plus facilement adaptables à la contrainte.

En revanche, on s’aperçoit tout de même que quelques formes

peu commodes sont évitées, comme P2, qui n’est permis que dans

très peu de cas (prétérit et futur des verbes en –AR, futur des verbes

en

-IR). Pour ce qui est des conjugaisons, la plus fréquente est la

première (verbes en –AR), qui totalise 54% des formes verbales du

texte (verbes en -IR : 30%, -ER : 16%). Le tableau des formes

verbales permises (cf. p. 26-27) montre que la première conjugaison

est plus avantageuse que la troisième, mais pas de manière notable

puisqu’elle permet le gérondif et toutes les formes du présent de

l’indicatif, or ces temps ne sont pas exploités dans le texte.

On s’aperçoit même que, outre le fait de ne pas utiliser les

formes les plus commodes dans la contrainte, l’auteur surpasse par

moments les interdits qu’on a préétablis auparavant. On en a

plusieurs exemples concrets : tout d’abord, on décèle une sorte de

jeu avec l’irrégularité vocalique de certains verbes, dans la mesure

où un grand nombre de ceux qui sont employés sont des verbes à

affaiblissement, dont la base radicale comporte un e, qui alterne avec

i une fois conjugué, ou autres irrégularités. Par exemple, on trouve :

advertir (advirtió), sentir (sintió), decir (dijo), vestir (vistió), querer

(quiso), ver (vista), sonreír (sonría). Donc, l’infinitif est non-

conforme au lipogramme, alors que la forme conjuguée l’est.

D’autre part, en principe, dans « Un marido sin vocación », où la

lettre e est interdite, la troisième personne du singulier est interdite

au présent de l’indicatif pour les verbes en -ER (de type « comer »

qui donne « come »). Or on trouve à trois reprises l’occurrence

« hay » du verbe « haber », verbe à la conjugaison irrégulière et qui

résiste donc à la règle. A l’inverse, on peut ajouter que certains

verbes dont l’infinitif est lipo-conforme ne le sont pas une fois

conjugués, comme c’est le cas pour les verbes à diphtongues (o > ue,

Page 61: Memoire Lipogramme

61

par exemple, « oler »51 > « huelen »), ce qui représente un nouveau

piège à éviter.

Peut-on concevoir sérieusement que Jardiel avait pensé aux

particularités des conjugaisons des verbes irréguliers avant d’écrire

son texte ? Ou bien s’est-il aperçu au fil de l’écriture que ces formes

ne posaient pas de problème ? La deuxième hypothèse semble plus

vraisemblable.

D’ailleurs, la petite extension des textes (deux à trois pages)

permet probablement plus de liberté dans l’écriture que dans le cas

de textes plus longs, où l’attention de l’auteur doit rester éveillée tout

au long du texte, ce qui rend plus nécessaires les considérations

préalables sur les formes permises ou non par le lipogramme.

On pourrait donc penser que dans l’écriture lipogrammatique,

l’observance de la règle n’est pas incompatible avec une forme de

spontanéité dans l’écriture.

- Lipogramme en A : El chófer nuevo VERBES EN –AR

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X O X O Présent X O

VERBES EN –ER

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X O X X O X X X O Présent X O X O X O X X X

VERBES EN –IR

1ère personne

2ème personne

3ème personne

4ème personne

5ème personne

6ème personne

Prétérit X O X X O X X X Présent X O X O X O X X X O

51 Seul verbe à diphtongue de ce type dans le texte, qui apparaît sous la forme « olían ».

Page 62: Memoire Lipogramme

62

Dans « El chófer nuevo », le prétérit et le présent de l’indicatif

sont les deux temps les plus fréquents, le prétérit arrivant en tête : il a

pour avatantage de permettre, en plus du présent, l’usage de P3 pour

les verbes en –AR. Cette fois-ci, ce sont effectivement les deux

temps les plus accommodables à la contrainte, puisque le tableau

montre qu’ils sont les seuls utilisables pour les verbes de la première

conjugaison (avec le présent du subjonctif), et ils permettent

l’emploi de toutes les personnes pour les deux autres conjugaisons.

P1 et P3 sont de loin les personnes les plus utilisées (elles sont

les seules à être autorisées à presque tous les temps), P2 et P6

apparaissent sporadiquement.

Pour ce qui est des conjugaisons, il y a une corrélation entre les

verbes utilisés et les contraintes imposées par le lipogramme. En

effet, le tableau met en évidence que les verbes en –AR offrent peu

de possibilités de temps, or leur fréquence d’apparition dans le texte

est la plus basse (29%), alors qu’elle était la plus haute dans le

lipogramme en e.

Les verbes en –ER et –IR, qui sont permis exactement pour les

mêmes temps et personnes, ne se répartissent pas pour autant

également dans le texte : on a 39% de verbes en –ER et 32% de

verbes en –IR.

Quant aux détournements des irrégularités verbales, on trouve

encore une fois des verbes conjugués dont la forme infinitive

contient un a dans son paradigme : haber / hacer (hubiesen hecho),

saber (sé), hacer (hizo, hice), haber (he sido). Ces verbes étant d’un

usage très courant (notamment l’auxiliaire « haber », cf. § 2. 1. b), ils

étaient nécessaires à Jardiel malgré leur fausse apparence de non-

lipogrammatiques.

D’autre part, dans la forme « tómeme el señor », la présence du

pronom enclitique permet d’éviter l’impératif « toma », qui n’aurait

pas convenu. Plus loin, l’auteur a recours à une périphrase verbale

lexicalisée (« es preciso que expliques »), qui se construit avec le

Page 63: Memoire Lipogramme

63

subjonctif, évitant ainsi l’emploi de l’impératif « explícame ». Le

verbe « presenciar » (« presenció »), qui, sémantiquement, a une

forte connotation temporelle, de simultanéité, permet d’éviter

l’emploi de l’imparfait (estaba presente), qui n’aurait pas convenu.

Dans les deux cas des lipogrammes, même en supposant que

Jardiel ait préétabli des listes de formes verbales « lipo-conformes »

comme celles qu’on a constituées, il est difficilement concevable

qu’il ait également pensé aux cas particuliers des verbes à

paradigmes irréguliers (verbes à affaiblissement, à alternance

vocalique…). De plus, les formes les plus fréquemment employées

dans les textes ne sont pas nécessairement celles qui se plient à la

contrainte, d’où l’idée générale que l’écriture de lipogrammes ne

consiste pas toujours à suivre « au pied de la lettre » les emplois les

plus simples qui se proposent. On s’aperçoit au contraire que

l’auteur, au lieu de se maintenir à un cadre restrictif de formes

facilement employables, exploite jusqu’à la limite ce que lui permet

la règle de la lettre absente.

b) Les formes substantives dans « El chófer nuevo »

- Le problème du féminin

Dans « El chófer nuevo », une des contraintes les plus notables

est que beaucoup de féminins sont évincés par l’absence de a, étant

donné qu’une majeure partie des substantifs de genre féminin

terminent en –a en espagnol. Les seuls féminins qui apparaissent

dans le texte – et ils sont peu nombreux – ont un suffixe en –sión ou

–ción52 (« condiciones », « emociones », « excursiones »,

« obsesión », « cuestión », « desilusiones », « emociones »,

« oposición ») et sont toujours qualifiés par des adjectifs invariables

en genre (« inoncebibles », « terrible », « fuertes »). Les formes au

pluriel permettent d’éviter l’utilisation d’un article féminin ; quant

52 Il existe d’autres suffixes féminins ne portant pas de a (-xión, -gión, -ez, -sis, -tud, -umbre), mais qui ne sont pas exploités dans le texte.

Page 64: Memoire Lipogramme

64

aux substantifs au singulier, ils sont précédés de la préposition « en »

permettant l’omission de l’article (« en obsesión », « en cuestión »,

« en oposición »). Dans certains cas de nominalisation de verbes à

l’infinitif, phénomène dérivationnel qui produit systématiquement

des substantifs masculins, on peut imaginer que c’est encore une fois

un détournement grammatical pour paraphraser un mot non

conforme à la contrainte, comme par exemple : « mi vivir », qui

remplace « mi vida », ou « el correr » au lieu de « la velocidad ».

L’interdiction de certains pronoms personnels féminins (ella,

nosotras, vosotras) n’est pas une contrainte trop lourde puisque ceux-

ci ne sont pas obligatoires en espagnol à partir du moment où la

personne à laquelle il est fait allusion est rendue explicite par le

contexte ; et de toute façon, la nouvelle ne comportant pas de

personnage féminin, l’auteur se passe d’eux sans difficulté.

L’absence de personnage féminin, ou d’objet féminin, dans le

texte permet à la fois d’éliminer toute possibilité d’emploi de

possessifs (nuestra, vuestra), d’articles (la, una) et de démonstratifs

comme « esta » ou « esa ». Quant au pronom « aquel », il est

facilement remplaçable par « este » ou « ese », à partir du moment

où ce qui est désigné n’est pas trop lointain dans le temps ou dans

l’espace.

- Adverbes en –amente

A travers l’utilisation de certains syntagmes adverbiaux, en

s’appuyant sur une préposition, il est possible que Jardiel paraphrase

la classe d’adverbe terminant en -amente, par exemple en écrivant

« de continuo », plutôt que « continuamente », « de súbito » au lieu

de « súbitamente », « en extremo », au lieu de « extremamente »,

« de un modo muy expresivo » pour « vivamente », « de un modo

instintivo » plutôt que « instintivamente », ou encore « de un modo

mirífico » au lieu de « maravillosamente ».

- Adverbes de temps

Comme on peut le voir dans le tableau des formes adverbiales

interdites au lipogramme en a, de nombreux indicateurs de temps ne

peuvent plus être employés. Pour contourner le problème, Jardiel a

Page 65: Memoire Lipogramme

65

recours à d’autres formes nettement moins prototypiques que celles

qu’elles remplacent :

« Y no bien concluyó mi tío su elogio… »

Cette locution conjonctive, qui traduit la simultanéité ou la

succession proche d’événements, a probablement pour but de

paraphraser un « cuando » ou un « tan pronto como », qui pour des

raisons évidentes ne conviennent pas ; et il est d’ailleurs intéressant

de remarquer qu’elle est appuyée par la conjonction « Y » qui a une

forte connotation consécutive, comme pour insister sur la temporalité

de la succession des événements.

Un autre exemple de ce type de paraphrases temporelles se

trouve dans « como no lo dominó ningún chófer de los que tuve

después ». Généralement, ce genre de construction est plus

fréquemment rétrospective que prospective, c’est-à-dire qu’il est

plus orthosyntaxique53 de dire « como nunca había tenido antes ».

Jardiel a également recours à des approximations, dans le sens

où dans certains cas précis, le remplacement d’un adverbe temporel

transforme le sens de l’énonciation, même si le lecteur restitue

facilement le sens initial. Par exemple dans la phrase : « me creo que

siempre voy conduciendo », l’adverbe « siempre » marque ici la

persistance d’une action au moment de l’énonciation (accentuée par

la construction gérondive progressive) ce qui n’est pas son usage

principal. Ce sens revient normalement à l’adverbe « todavía ».

De la même manière, « en el tiempo » est moins fréquent que

« mientras », « cuando » ou « durante ».

Dans certaines constructions syntaxiques figées, un mot est

supprimé, ce qui crée un sensible manque par rapport à ce qu’un

lecteur espagnol aurait pu attendre :

53 On reprend ici un concept inventé par Jean-Claude Chevalier et Marie-France Delport dans L’Horlogerie de sainte Jérôme : « Des multiples constructions syntaxiques qui s'offrent pour le renvoi à une représentation conceptuelle de la réalité, il en est une qui s'impose parce qu'on la tient pour plus directement adéquate à ce qu'elle entend prendre pour référence » (p. 92).

Page 66: Memoire Lipogramme

66

« No sólo conservó […], sino que en el tiempo… »

Ici, la tournure classique a tendance à se construire avec «

también », mais elle est aussi grammaticalement correcte sans cet

adverbe.

- La préposition « a »

Mais un des interdits les plus gênants pour l’auteur est celui de

la préposition « a », cinquième mot dans la liste de fréquences de

Juilland. D’autre part, c’est un morphème polyvalent. Il est employé

devant un complément d’objet direct de personne, ou comme

marqueur de temps, de lieu (dans ses emplois les plus fréquents). Or,

on remarque que l’auteur a recours à deux stratagèmes pour éviter

son utilisation devant le COD de personne54 : d’une part, l’utilisation

de la forme passive, qui n’est pas la plus usuelle en espagnol, comme

dans « Melecio quedó elegido chófer… » (plutôt que « elegí a

Melecio… »). D’autre part, Jardiel « dépersonnifie » le complément

d’objet direct de personne, comme dans la phrase :

« pulverizó los esqueletos de miles de individuos »

Il est évident que, sans la spécification des « squelettes »,

Jardiel aurait été contraint d’utiliser la préposition « a » devant

« individus ».

De la même manière, on trouve plus haut :

« obedeciendo […] los gestos de su chófer »

Encore une fois, l’emploi de « a » est évité par une synecdoque

du complément de personne, tout à fait appropriée au contexte

puisque les « gestes » désignent parfaitement le maniement du volant

de la voiture. Au lieu de nommer les personnes en question (les

54 Il est d’ailleurs intéressant de constater que Marie Séonnet, au sujet du lipogramme en A El Secuestro, traduction espagnole de La Disparition, rencontre les mêmes détournements grammaticaux du « a » prépositionnel (Enjeux et stratégies traductives dans le cas d’un texte à contrainte lipogrammatique : la version castillane de La Disparition de Georges Perec, p. 30-33).

Page 67: Memoire Lipogramme

67

individus ou le chauffeur), Jardiel désigne une partie ou une

apparence de ces derniers (les squelettes ou les gestes).

c) Les formes substantives dans « Un marido sin vocación »

- Le problème du masculin

Dans « Un marido sin vocación », les contraintes changent. Le

féminin n’est plus interdit, ce qui permet à Jardiel de réintégrer un

personnage féminin (Silvia).

Dans cette nouvelle, c’est parfois le masculin qui pose

davantage problème, notamment pour ce qui est des pronoms

personnels, entre autres « le », complément d’objet indirect, qui ne

peut plus être employé. Cet obstacle est surmonté de deux manières :

d’une part, en explicitant toujours les compléments d’objet indirect

(« obligó al pago al fotógrafo », « abordó a Ramón y a Silvia »), et

de préférer le pronom accusatif « la » : « buscarla », « mirándola »,

« obligarla ». L’autre détournement possible de l’emploi de « le » est

le laísmo, c’est-à-dire l’emploi du pronom « la » à valeur accusative

là où devrait apparaître un pronom à valeur dative (« le »), comme

dans « inspirarla asco». D’autre part, les personnages sont toujours

nommés, afin d’éviter « él » et « ella ».Comme on le disait plus haut,

c’est encore une fois le masculin qui pose problème pour l’emploi de

l’article défini « el ». Un des moyens de détourner son utilisation

consiste à le faire fusionner avec la préposition « a » en « al »,

stratagème dont on trouve beaucoup d’occurrences dans les textes

(« al matrimonio », « al pago », « al fotógrafo »…) ; ou plus

simplement, l’article peut être utilisé au pluriel (« los »).

- L’usage de pronoms personnels datifs et des verbes

pronominaux est presque complètement interdit, puisque les

pronoms réfléchis « me », « te », « se » sont proscrits, et même s’il

reste « nos » et « os », on a vu que P4 et P5 n’étaient pas des

personnes très exploitées dans les textes.

- Tous les démonstratifs étant interdits, l’auteur perd des

capacités de monstration. L’unique adjectif remplaçant peut-être son

Page 68: Memoire Lipogramme

68

emploi est le pondéral « tal » dans « tal solución », qui remplit les

fonctions déictiques du pronom démonstratif.

- La plupart des pronoms relatifs sont également écartés par la

contrainte, entre autres le très fréquent « que », qui est également la

conjonction de subordination la plus prototypique. Cela explique la

syntaxe particulière des phrases dans « Un marido sin vocación » :

d’une manière générale, soit la phrase est simple, soit elle est

constituée par deux énoncés juxtaposés ou coordonnés. Parfois le

pronom est remplacé par deux points « : », comme dans l’exemple

suivant, où l’auteur évite ainsi l’emploi de la conjonction de

subordination :

« vió clarísimo : ni amaba a Silvia…»

On remarque notamment que le classement des catégories

grammaticales met en évidence la prééminence de la coordination

dans le texte, par rapport à la subordination (annexe 23 : 44

conjonctions de coordination, contre 9 conjonctions de

subordination).

- Un certain nombre d’adverbes de temps étant inutilisables,

Jardiel a recours à des expressions moins courantes, ou bien, de

manière répétitive, il emploie la préposition « a » pour ponctuer les

événements du récit (« a las dos horas », « al año », « al onzavo »,

« al otro día »).

- La préposition « de », la plus courante en espagnol si l’on en

croit les résultats des dictionnaires de fréquence (p. 10), qui traduit le

plus souvent une relation d’appartenance est remplacée aisément par

le pronom possessif. Dans l’expression « Incapaz para dominar… »,

la préposition « de » aurait été plus orthosyntaxique, sachant que

l’adjectif « incapaz » se construit normalement avec « para » quand

il est suivi d’un substantif, et avec « de » quand il est suivi d’un

verbe à l’infinitif55. En premier lieu, la préposition « de » est la

55 Définition de « incapaz » dans le Diccionario de uso del Español de María Moliner (Madrid: Gredos, 2007, vol. 1).

Page 69: Memoire Lipogramme

69

marque de relations d’appartenance ou de qualité. Pour ce qui est du

sens possessif, il est aisément remplacé par les pronoms possessifs.

Dans le deuxième cas, une des solutions possibles est de remplacer

le groupe génitif par un adjectif, comme dans « infantil docilidad »

(docilidad de niña).

- Enfin, on pourrait penser que les formes « onzavo » et

« dozavo » qui apparaissent dans le texte sont un détournement des

graphies, plus courantes aujourd’hui « onceavo » et « doceavo »,

mais ces dernières n’apparaissent pour la première fois dans le

DRAE qu’en 1984 : on peut donc supposer que les deux formes

orthographiques étaient aussi courantes les unes que les autres à

l’époque où Jardiel écrit ses textes.

II – 3. Quelques remarques sur le lexique

Il est impossible de déterminer jusqu’à quel point la contrainte a

un effet sur chaque mot du texte. On remarque, d’autre part, que ce

n’est pas le lexique qui est le plus contraignant dans le lipogramme,

puisque par un système de synonymie et de paraphrase, les mots non

conformes peuvent être remplacés facilement.

On ne s’intéresse pas ici aux morphèmes grammaticaux que l’on

a étudiés auparavant, en particulier aux mots de liaison et aux

connecteurs de discours qui, eux, sont moins facilement

interchangeables et ont moins d’équivalents. A ce sujet, les

conclusions exposées à la fin du Diccionario de frecuencias de las

unidades lingüísticas del español sont très éclairantes, dans la

mesure où il est mis en évidence que les mots les plus fréquents de la

langue espagnole sont des mots courts, de deux à trois lettres, qui

Page 70: Memoire Lipogramme

70

sont toujours des mots « fonctionnels »56. D’ailleurs, la liste des

quinze mots les plus fréquents (cf. p. 29) en est la preuve.

Ainsi, la difficulté lipogrammatique consiste davantage à

remplacer les morphèmes grammaticaux (tels que « de », « el »,

« la », « que »…) qu’à trouver des synonymes aux lexèmes qui

contiennent la lettre interdite.

II – 3. 1. Comparaison lexicale des deux lipogrammes

Dans certains cas, il est tout de même intéressant de voir les

mécanismes mis en place pour éviter l’usage d’un mot non

conforme. Dans la mesure où chaque mot est scrupuleusement

choisi, puisque l’auteur de lipogrammes doit rester constamment

vigilant tout au long de l’écriture pour éviter d’utiliser la lettre

interdite, on peut affirmer que le vocabulaire employé dans les textes

ne doit rien au hasard.

Jusque dans le choix des personnages du « Chófer nuevo », par

exemple, qui maintiennent des rapports de parenté « tío » /

« sobrino ». Ils n’auraient évidemment pas pu être « padre » et

« hijo », ni « amigos » ou « camaradas » comme dans « Un

marido ». On s’aperçoit notamment des contraintes lexicales en

comparant les deux lipogrammes et en observant qu’un même

signifié apparaît sous deux formes différentes. Dans le lipogramme

en e, les chapeaux sont des « bimbas » (mot familier pour désigner le

chapeau haut-de-forme, « sombrero de copa » en espagnol) ; tandis

que dans le lipogramme en a, Jardiel évoque un « sombrero frégoli »

(Léopoldo Frégoli étant un célèbre transformiste de l’époque, qui

apparaissait souvent coiffé d’un chapeau haut-de-forme). Autre

exemple : une voiture est nommée « coche », « dieciséis cilindros »

et « Mercedes » dans l’un ; « “auto” » dans l’autre. Dans les deux

nouvelles, le thème de la folie est plus ou moins présent (du moins à

travers l’excès de ses personnages), ainsi on observe, dans le même 56 « Es un hecho conocido […] que las palabras de mayor uso suelen ser cortas […] palabras funcionales cuyo papel es de tipo sintáctico », José Ramón Alameda, Fernando Cuetos, op. cit. (p. 957-959).

Page 71: Memoire Lipogramme

71

champ lexical : d’une part, « furia », « rabia », « manicomio »,

d’autre part « enfermo ». D’un point de vue grammatical également,

certains morphèmes plus ou moins synonymes se répartissent entre

les deux nouvelles : pour les conjonctions adversatives, par exemple,

on a « pero » dans « El chófer nuevo », et « mas » (variante de la

première, aujourd’hui réduite à la langue écrite) dans « Un marido

sin vocación ».

II – 3. 2. Les emprunts

Une des caractéristiques de l’écriture de Jardiel Poncela est son

goût pour les mots étrangers, majoritairement anglais et français,

qu’il reproduit généralement dans leur forme originale dans ses

textes, sans adaptation phonologique. Dans les deux lipogrammes

apparaît un nombre considérable de ces emprunts, tous signalés par

des italiques. Dans « Un marido sin vocación », on a « lunch »,

« sandwichs », « smokings » et « dancing ». Or, mis à part le dernier,

tous ces mots sont inclus pour la première fois dans le DRAE en

1927, date à laquelle paraissent les nouvelles, dont l’épilogue

précise :

« [El diccionario] Incluye también los vocablos incorrectos

y los extranjerismos que con más frecuencia se usan, y los

señala con un asterisco, poniendo en su lugar la expresión

propiamente española que debe sustituirlos”

Ainsi, « lunch » devrait être « merienda » ; « sandwich »,

« emparedado » ; et « smoking », « chaqueta ». On remarquera que

les mots proposés par l’Académie pour remplacer les emprunts

qu’on a signalés dans les textes contiennent tous la lettre e.

D’autre part, le mot « chófer », lui aussi intégré par l’Académie

en 1927, qui apparaît dans la deuxième nouvelle, a pour synonyme

« conductor » qui ne pose pas de problème particulier en espagnol,

Page 72: Memoire Lipogramme

72

puisqu’il est lipo-conforme. Cependant, il est assez révélateur

d’observer que dans le roman Amor se escribe sin hache (1928)57,

Jardiel utilise à plusieurs reprises ce gallicisme, mais sous sa forme

française et en italiques : « chauffeur ». La raison pour laquelle il n’a

pas conservé la forme originale du mot dans « El chófer nuevo »,

contrairement à ses habitudes, est ici évidente.

II – 3. 3. Figures de style et synonymie

Un des détournements linguistiques possibles d’un mot contenant

la lettre interdite est de lui faire correspondre un synonyme. Par

exemple, dans la phrase « te pongo en condiciones de ser testigo, e

incluso intérprete », le mot « interprète » est employé dans le sens de

personnage actant, en opposition avec témoin (passif), ce qui n’est

pas son usage le plus fréquent en espagnol. Il est ici employé dans le

sens qui lui est donné dans les milieux artistiques pour désigner

l’acteur, « actor ». De même, le mot « fonda », qui apparaît dans

« Un marido sin vocación » et qui désigne un hôtel de basse

catégorie, vient probablement ici remplacer le mot « hotel ».

Dans certains cas de figure, des mots non conformes à la

contrainte sont remplacés, non par un synonyme, mais par un mot

ayant les mêmes caractéristiques, et dont on comprendra le sens

implicitement. Entre autres, par un procédé métonymique, Jardiel

évite de nommer la couleur noire (« negro ») en écrivant « color

antracita » (anthracite), c’est-à-dire « couleur charbon », image que

le lecteur comprend d’autant plus que le personnage se trouve dans

la locomotive d’un train à vapeur. De la même manière, à l’aide des

seuls mots « vagón », « locomotora » et « maquinistas », Jardiel

parvient à suggérer que l‘action se déroule dans un train (« tren »).

Dans ce même paragraphe, il est assez surprenant de lire le mot

« arribar », généralement réservé à l’abordage des bateaux, tandis

que les personnages se trouvent dans un train. Il est fort probable que

57 Enrique Jardiel Poncela, Amor se escribe sin hache, Madrid: Catedra, 1990 (p. 121, par exemple).

Page 73: Memoire Lipogramme

73

la raison de ce décalage soit d’éviter l’emploi de son hyperonyme

« llegar ».

Conclusion La contrainte éloigne toute possibilité de contingence dans

l’écriture, comme le signale Hermès Salceda au sujet de La

Disparition de Georges Perec58. En effet, aucun mot n’est choisi au

hasard, l’auteur ne peut pas se laisser aller à écrire ce qui lui passe

par la tête ; il doit toujours rester vigilant pour s’empêcher d’utiliser

la lettre interdite. Cela suppose un travail plus approfondi sur le

vocabulaire choisi, les tournures de phrase, donc la syntaxe.

Rappelons que Perec constituait des listes de mots avant d’écrire son

roman lipogrammatique. Certes, l’idée qui consiste à croire que tout

lipogramme n’est qu’une liste de mots qui sont permis par la

contrainte n’est pas pour autant une idée recevable, comme le

prouvent certaines formes employées dans les nouvelles de Jardiel

Poncela.

Est-ce que le lipogramme n’est qu’une simple traduction d’un

texte sans contrainte ?

Cela supposerait que l’auteur ait écrit un texte sans contrainte

auparavant et aurait petit à petit modifié, corrigé, effacé tout ce qui

ne correspondait pas à la règle.

Si l’on acceptait ce principe, alors il faudrait considérer le travail de

l’écrivain en deux étapes : premièrement, la rédaction d’un texte

« normal », sans contraintes ; puis la « traduction » du texte en

lipogramme, qui consisterait à changer chaque mot contenant la

lettre interdite. En somme, on pourrait presque comparer ce travail à

58 Hermes Salceda, « La Disparition : roman de l’écriture et de la lecture », Georges Perec : Inventivité, postérité, Actes du colloque de Cluj-Napoca, 2004.

Page 74: Memoire Lipogramme

74

la traduction d’une langue à une autre, d’un système à un autre,

chacun renfermant des règles précises.

On pourrait alors parler de « langue lipogrammatique », qui serait

une langue dérivée de chacune des langues sources. L’auteur traduit-

il son propre texte pour obéir à la contrainte ?

D’un point de vue lexical, on pourrait le concevoir : par un système

de synonymies et d’équivalences, l’auteur remplace les lexèmes

contenant la lettre interdite.

Cependant, le fait que certaines temps et modes verbaux bien précis

soient interdits au lipogramme, conjugués à certaines personnes,

suppose plutôt que l’auteur ait auparavant réfléchi, au moins

vaguement, au type de personnages qu’il allait créer, ainsi qu’au lieu

et au temps de l’action.

Page 75: Memoire Lipogramme

75

Troisième partie

LA NARRATION

ÉTUDE STYLISTIQUE

« me divirtió de un modo indecible… »

Page 76: Memoire Lipogramme

76

L’écriture de lipogrammes a principalement deux effets dans la

construction syntaxique et lexicale du texte : la langue doit se plier

aux règles de la contrainte qui, en écartant une lettre de l’alphabet,

écartent à la fois tout un ensemble de formes verbales et

substantives ; et malgré cela, l’expérience prouve souvent que, loin

de se soumettre docilement à ces lois et de prendre les chemins les

plus faciles, les auteurs lipogrammatistes cherchent à repousser les

limites de cette contrainte, ou du moins à détourner les obstacles

qu’elle fait naître, et même à en jouer. D’ailleurs, le lipogramme fait

partie de ce qu’on appelle la littérature ludique, c’est-à-dire que sa

première raison d’être est le jeu (un jeu scientifique, certes), la

distraction, autant pour l’auteur que pour le lecteur.

A titre d’exemple, toute la trame de La disparition de Georges

Perec ne tourne-t-elle pas autour de la disparition de la lettre e, lettre

assassine dont les personnages suivent la trace ?

Dans les nouvelles de Jardiel Poncela, il n’y a pas de portée

symbolique de l’absence des deux lettres a et e, ni d’énigme posée

au lecteur étant donné que la contrainte est annoncée en sous-titre.

En revanche, Jardiel met à profit cette forme d’écriture bien

particulière pour enrichir son propre style : lui qui apprécie utiliser

des moyens d’expression variés, des typographies originales, lui qui

s’exprime toujours à travers un flot de jeux de langage, de tournures

imagées, il trouve dans la contrainte lipogrammatique un stimulateur

efficace.

A partir du moment où l’on s’aperçoit de cela, l’absence de la

lettre n’apparaît plus comme un défi contraignant qui oblige l’auteur

à écrire dans un style qui n’est pas le sien ; bien au contraire, elle

devient un outil, une forme d’expression qui sert le style.

Page 77: Memoire Lipogramme

77

Il est assez surprenant de constater que, sans l’indication en sous-

titre de la contrainte, aucun lecteur de langue espagnole ne s’aperçoit

du manque d’une lettre, et ne perçoit d’ailleurs en premier lieu

aucune « étrangeté » dans les textes. C’est davantage le style de

Jardiel qui retient leur attention, tout d’abord parce qu’il est assez

littéraire et que la langue est celle d’une autre époque. D’autre part,

les procédés stylistiques qui se multiplient dans ses textes donnent

l’impression au lecteur que l’étrangeté provient davantage de la

« façon de raconter » que de la suppression d’une lettre.

Or n’y a-t-il pas un lien entre cette « façon de raconter », c’est-à-

dire le style de l’auteur, et la contrainte ?

Le rapprochement peut paraître « forcé » au premier abord,

puisqu’il est bien évident que l’écriture « jardielesque » n’est pas née

avec les deux lipogrammes. Cependant, on peut noter que le choix de

l’auteur pour cette forme d’écriture particulière qu’est le lipogramme

n’est pas anodin, puisqu’il correspond aussi à sa vision de la

littérature et à son goût pour les lettres, les mots et les jeux de

langage en général.

Il semblerait que ce même style de Jardiel, riche en images, en

détournements de formules stéréotypées, jouant sur l’absurde des

situations narrées, parvienne à masquer les détournements lexicaux

et syntaxiques qu’on a décrits plus tôt.

L’effet inverse n’est pas moins vrai, dans la mesure où la

contrainte, loin d’être un obstacle gênant pour l’auteur, est un appui

dans beaucoup d’occasions pour mettre en valeur certains effets de

langage et figures de style. Elle a aussi une influence sur les choix

narratifs de Jardiel, du moins en partie, notamment pour ce qui est de

la situation d’énonciation, des temps et des lieux du récit, ainsi que

pour les personnages qui apparaissent dans l’intrigue. Enfin,

l’absence d’une lettre influence, en partie, jusqu'au ton général du

texte, c’est-à-dire au registre de langue qu’utilisent narrateurs et

personnages.

Page 78: Memoire Lipogramme

78

III – 1. Conséquences sur la structure générale du récit

Il a été démontré que la contrainte avait des effets sur la syntaxe

et le lexique des textes : exclusion presque totale du genre féminin

dans « El chófer nuevo », interdiction de l’emploi de temps et modes

verbaux déterminés, à des personnes précises, ainsi que de certains

adverbes de temps, de lieu. Ces règles, à long terme, atteignent non

seulement la forme des phrases mais aussi la structure du récit entier,

dont les paramètres principaux (temps, lieux, personnages et

situation d’énonciation) vont eux aussi devoir s’adapter aux

détournements formels imposés par la contrainte. La forte difficulté

lipogrammatique des deux nouvelles, qui se privent des deux lettres

les plus fréquentes de l’espagnol, entraîne des transformations jusque

dans la manière de raconter les faits.

III – 1. 1. Le temps du récit

Les indicateurs temporels dans un récit sont majoritairement

représentés par le temps des verbes (différentes formes de passé et de

présent), ainsi que par les adverbes de temps tels que ceux qu’on a

énumérés plus tôt (cf. tableau p. 28).

Dans les deux nouvelles de Jardiel, la notion de temps reste assez

floue, ce qui ne surprend pas le lecteur, puisque de toutes manières,

la longueur de la nouvelle – de deux à trois pages pour les deux

lipogrammes – oblige l’auteur à une certaine concision dans la

description du décor et de la chronologie. En effet, ce genre littéraire

particulier a pour caractéristique de focaliser la narration sur l’action,

sur le déroulement d’un seul événement : dans « El chófer nuevo »,

l’événement principal est la conduite de Melecio Volodio, le

nouveau chauffeur ; dans « Un marido sin vocación », le récit se

concentre sur le mariage du protagoniste Ramón Camomila.

Page 79: Memoire Lipogramme

79

Dans les deux nouvelles, l’action se déroule dans un temps passé,

qui est le temps privilégié du récit59, avec une variation entre les

deux textes : comme on l’a noté auparavant, l’imparfait est

totalement interdit dans le lipogramme en A, puisque ses

terminaisons sont –ía ou –aba. Donc le seul temps du passé utilisable

dans « El chófer nuevo » est le prétérit, dans lequel l’action énoncée

est considérée comme ponctuelle et achevée. En revanche,

l’imparfait permet d’exprimer un événement passé dans sa longévité,

dans sa durée. Comme le démontre Mauricio Molho, l’imparfait est

un temps qui s’étend dans une durée indéterminée passée et future

par rapport au moment où se déroule l’action :

« una forma verbal tal como hablaba […] significa que el

sujeto está en su hablar desde un tiempo tan corto o tan largo

como se quiera […] y que seguirá hablando durante un tiempo

tan corto o tan largo como se quiera imaginar »

«Una propriedad del imperfecto […] es el poder evocar

acontecimientos in fieri, aprehendidos en su transcurso, cosa

que el aoristo, que visualiza el acontecimiento en la

perspectiva de su término, no puede hacer »60

Sans l’imparfait, l’auteur ne peut donc pas exprimer de durée

indéterminée, puisque le prétérit, quand à lui, ne traduit que des

actions ponctuelles, même si la nuance est parfois à peine

perceptible.

L’absence de l’imparfait, remplacé nécessairement par le prétérit,

entraîne quelques détournements linguistiques. En effet, le récit est

donc raconté au prétérit, mais certains verbes, dans le contexte d’une

phrase, prennent une valeur d’imparfait que le lecteur sait rétablir

instinctivement, par exemple :

59 D’ailleurs, l’intégralité des nouvelles de la « Ventanilla de cuentos corrientes » est écrite au passé. 60 Mauricio Molho, Sistemática del verbo español (Aspectos, modos, tiempos), Madrid: Gredos, 1975 (p. 253 et 268).

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« […] en el tiempo que vivió conmigo domesticó el motor

de un modo mirífico, y el coche corrió, frenó y retrocedió

obedeciendo como un perrito lulú los gestos de su chófer »

Dans ce passage descriptif, le syntagme adverbial à valeur

temporel « en el tiempo que » contient une idée de durée, tandis que

le prétérit « vivió » représente une période dans le passé bien

déterminée. De même, les différentes actions de « correr », « frenar »

et « retroceder » ne se sont pas des événements ponctuels, puisque de

nombreux indicateurs de temps, ainsi que le contexte, prouvent le

contraire : tout d’abord, on sait qu’ont eu lieu douze excursions,

donc les faits sont répétés. La durée est également marquée par le

gérondif « obedeciendo », qui exprime une durée limitée en cours

d’exécution.

Une autre méthode que met en oeuvre Jardiel pour détourner

l’interdit de l’imparfait est de s’appuyer sur des circonstances

d’énonciation particulières : dans un passage, le narrateur s’adresse

au lecteur directement, à travers le vocatif « señores », tout en

réfléchissant sur les actes de son chauffeur. Ainsi, il se place dans un

temps présent (celui de l’énonciation), dont la perspective permet

d’employer plus facilement le prétérit, puisque les événements sont

bel et bien achevés, là où il aurait certainement été plus

« orthologique »61 d’employer l’imparfait.

On remarque également qu’à la fin de la nouvelle, quand le

chauffeur explique sa conduite au narrateur, commence par s’auto-

désigner à la première personne du singulier (« he sido »), puis

généralise son cas au « chófer de bomberos ». Cet artifice permet

d’utiliser un présent dit de « vérité générale » (« un chófer de

bomberos es siempre el dueño del sitio por donde se mete »), en

évitant l’emploi de l’imparfait, interdit par le lipogramme en a, qui

aurait été le temps attendu dans les circonstances d’énonciation.

61 Mot emprunté à Jean-Claude Delport et Marie-France Chevalier dans L’horlogerie de Saint-Jérôme (Paris, l’Harmattan, 1995) : « des multiples représentations que je peux me construire d’une même réalité il en est une qui l’emporte parce que, à tort ou à droit, réputée plus directement adéquate à ladite « réalité » : c’est ce que j’ai proposé d’appeler l’orthologie » (p. 103).

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Dans d’autres cas encore, c’est le sens même du verbe employé

qui traduit la durée de l’imparfait, comme dans : « presenció el

momento descrito », où le verbe « presenciar » suppose que le

chauffeur a assisté à la scène qui vient d’être décrite, et implique

donc une notion de durée.

D’autre part, cette même étendue dans le temps qu’implique

l’imparfait le délègue souvent au rôle descriptif dans la narration

(planter le décor, définir les circonstances) ; pendant que le prétérit

sert à évoquer les faits ponctuels qui coupent le récit.

Ainsi, même si la différence entre le prétérit et l’imparfait n’est

pas très nette, dans le sens où ce sont deux temps facilement

substituables l’un à l’autre, l’omniprésence du prétérit a un effet sur

le récit : il présente les événements narrés de manière totalement

coupée du présent ; et ces événements sont ponctuels et ne persistent

pas.

Dans « Un marido sin vocación », si aucun temps verbal ne pose

fondamentalement de problème, un certain nombre d’indicateurs de

temps (adverbes et conjonctions) est interdit, ce qui est mis à profit

par Jardiel qui, en répétant les mêmes expressions, occulte le

problème. En effet, on remarque que la majorité des indicateurs de

temps dans cette nouvelle se construisent avec la préposition « a »

(« a las dos horas », « al año », « al onzavo [sandwich] », « al

subir », « al otro día », « al arribar », « al pisar »). Un autre indice de

temps est donné par la conjonction « y », qui apparaît fréquemment

en début de phrase, avec un sens consécutif. Il suffit d’observer le

tableau des formes les plus fréquentes dans la nouvelle pour

s’apercevoir de l’importance de la préposition (« a », mais aussi le

partitif « al ») et de la conjonction, puisqu’elles sont les trois plus

récurrentes. Or, ces répétitions ne sont pas là par hasard, car Jardiel

aurait tout aussi bien pu s’en passer pour rédiger son texte. Au

contraire, elles viennent renforcer la réitération des excentricités

inventées par le personnage, et elles ont donc un effet humoristique.

Page 82: Memoire Lipogramme

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III – 1. 2. Le décor du récit

On entend ici, par le mot de « décor », toutes les descriptions

liées à l’environnement spatial où se déplacent les personnages,

c’est-à-dire les lieux de l’action (mais pas uniquement dans le sens

géographique du terme). De la même manière que pour la dimension

temporelle du récit, l’espace n’est pas ce qui importe en premier lieu

dans une courte nouvelle62.

Notons cependant que, pour ce qui concerne « El chófer nuevo »,

on a montré que l’un des usages les plus fréquents de l’imparfait

(temps interdit à tout le lipogramme), quand il est combiné avec le

prétérit, est la « mise en scène » des événements narrés. Il est donc

concevable que l’absence du temps passé « descriptif » soit une des

causes du peu d’informations liées au décor dans la nouvelle.

En effet, les lieux ne sont presque jamais spécifiés : dans la

présentation du narrateur au chauffeur, aucun indice de lieu

n’apparaît ; dans la deuxième partie, on ne comprend que très tard

que l’action a lieu dans la voiture du narrateur, puisqu’il indique que

le chauffeur ralentit la vitesse de celle-ci (« moderó el correr del

coche »). D’autre part, si les marqueurs de lieu ne sont pas touchés

par la contrainte de façon notable, en revanche, la plupart de ceux

qui désignent spécifiquement la direction (« a », « para », « hacia »,

« hasta ») sont interdits. Or, la caractéristique essentielle d’une

voiture étant de se déplacer, Jardiel est contraint de focaliser son

récit, non pas sur le parcours suivi par les protagonistes, mais plutôt

sur les éléments extérieurs (la conduite de Melecio, les dégâts

produits…).

III – 1. 3. Les personnages et la situation d’énonciation

62 Cécile François souligne dans les textes de Jardiel l’absence de références spatiales : « escasas notaciones tipográficas de los cuentos que se explican por el principio de condensación y brevedad del género », <http://www.lehman.cuny.edu/ciberletras/v18/francois.html>.

Page 83: Memoire Lipogramme

83

Il semble que l’interdiction d’utiliser certaines lettres ait même

eu une influence sur le choix des personnages.

Tout d’abord, comme on l’a déjà signalé, il n’y a pas de

personnage féminin dans « El chófer nuevo ». Même s’il est difficile

d’affirmer que la seule cause en est le lipogramme, on peut malgré

tout signaler que la femme a un grand rôle dans l’œuvre de Jardiel

(dans la « Ventanilla de cuentos corrientes », la moitié des nouvelles

mettent en scène des personnages féminins). D’autre part, l’absence

du <a> ne signifie pas nécessairement que le féminin soit écarté : il

suffit pour s’en apercevoir de penser aux lipogrammes en A de

l’époque baroque, notamment Los dos soles de Toledo, d’Alonso

Alcalá y Herrera, où le substantif masculin « sol » désigne la femme

(assez souvent, il apparaît au pluriel et désigne métonymiquement

les yeux), ce qui permet d’éviter l’usage d’articles, de déterminants

et d’adjectifs féminins. Cependant, cela est permis au XVIIème siècle

dans la langue poétique de l’époque, et le stratagème est moins

facilement applicable dans un texte contemporain, qui plus est dans

un texte de Jardiel Poncela.

La non-utilisation du a, même si elle n’est pas un critère suffisant

pour la disparition de tout personnage (ou substantif) féminin, est

néanmoins incitatif dans ce sens.

Jardiel a choisi, pour cette nouvelle, deux personnages : le

chauffeur, qui est au centre de la nouvelle, et le narrateur qui non

seulement s’exprime à la première personne, mais fait également

part au lecteur d’une expérience qu’il a lui-même vécu aux côtés du

chauffeur. C’est donc un narrateur homodiégétique qui s’exprime

dans le texte. Les personnes qu’il va avoir à employer sont P1 (yo)

pour s’auto-référer, et P3 pour se référer aux personnages délocutés

(le chauffeur et l’oncle). Ce sont les deux formes de personnes

majoritaires dans la nouvelle (cf. annexe 24). Cette situation

d’énonciation (narrateur homodiégétique, usage majoritaire de la

première et troisième personne du singulier) est peut-être la plus

prototypique d’un récit, d’ailleurs six des quatorze nouvelles de la

Page 84: Memoire Lipogramme

84

« Ventanilla » présentent ce schéma63. Or, elle est aussi la plus

facilement adaptable au lipogramme puisque, si l’on se reporte au

tableau des formes verbales permises (p. 32), on s’aperçoit que P1 et

P3 sont les seules personnes à accepter l’emploi de verbes de la

première conjugaison.

Les choix narratifs, dans « Un marido sin vocación », diffèrent

sensiblement. Encore une fois, deux personnages principaux sont

mis en scène, mais le narrateur n’est aucun d’eux. Le narrateur

pourrait presque passer pour extradiégétique dans ce texte, si

n’apparaissait pas, à deux reprises, la première personne du pluriel

(nosotros), qui inclut le locuteur dans un groupe dont il fait partie :

P4 correspond à un vague « los amigos ». Le narrateur fait donc bien

partie du récit, mais assez étrangement il n’apparaît que dans un

paragraphe du texte, sans qu’aucune raison diégétique ne

l’explique64. P3 devient alors la personne la plus utilisée, puisque les

deux protagonistes sont délocutés, et P1 n’apparaît que dans les

répliques de Ramón. Encore une fois, en observant le tableau

comparatif des formes permises par la contrainte et les formes

employées dans le texte (p. 30), on s’aperçoit qu’il y a une certaine

cohérence dans le choix des personnes P1, P3 et P4, car ce sont

celles qui permettent le plus de temps verbaux aux trois

conjugaisons.

Encore une fois, il est difficile d’affirmer que ces choix narratifs

soient la seule conséquence du lipogramme ; cependant, on peut au

moins faire l’hypothèse que la contrainte a un pouvoir « incitatif »

sur la structure générale du récit. Pour s’en assurer, il faudrait

comparer les nouvelles de Jardiel avec d’autres textes

lipogrammatiques, en s’intéressant particulièrement à la narration.

63 Il s’agit de “El amor que no podía ocultarse”, “El somarova”, “¡Mátese usted y vivirá feliz!”, “Noche de sábado”, “Un asunto de novela” et “Una vida extraordinaria”. 64 Ce n’est d’ailleurs pas la seule « étrangeté » du texte de Jardiel : au début de la nouvelle, un personnage est nommé (Manolo Romagoso), sans aucune raison apparente, d’autant plus qu’il disparaît totalement de la nouvelle par la suite.

Page 85: Memoire Lipogramme

85

III – 2. La contrainte au service du style

III – 2. 1. Les différents registres de langage

Comme on l’avait précisé en introduction, les deux lipogrammes

ne correspondent pas exactement au même registre de langue : « El

chófer nuevo » est plus soutenu, plus littéraire ; tandis que « Un

marido sin vocación » paraît plus familier, de part le fait que les

nombreuses interventions au style direct des personnages sont

exclamatives et interrogatives (cf. « Puntuación », Annexe 23).

Or, cette différence entre les deux textes a un but précis : dans les

deux cas, il s’agit de caricaturer des styles littéraires ou des registres

de langue particuliers, par l’emphase et la disproportion.

- Dans « Un marido sin vocación », la syntaxe simple des

phrases, les échanges de mots brefs et la parataxe sont dus, comme

on l’a fait remarquer auparavant, à la difficulté d’utiliser des

pronoms relatifs (le seul accepté étant « cual »), et à l’interdiction

d’utiliser toute conjonction de subordination, dont un grand nombre

se forment à partir de « que » (« porque », « aunque », « así

que »…). Donc, c’est bien la contrainte qui pousse l’auteur à choisir

la structure de son texte, c’est-à-dire un texte en grande partie

dialogué, formé de répliques courtes, presque toujours exclamatives

ou interrogatives. Cela a pour effet, à la lecture, de créer une

disjonction entre les événements narrés, qui sont presque uniquement

coordonnés entre eux par la conjonction « y », ou juxtaposés.

D’ailleurs, dès l’incipit de la nouvelle, le ton est annoncé :

l’emphase de la première phrase, due à l’inversion de l’ordre

canonique sujet / verbe / complément, en plus de la reprise du cliché

de la description de la nature (« cuando más olían las rosas y mayor

sombra daban las acacias »), est brusquement rompue par

l’intervention soudaine et familière du personnage :

Page 86: Memoire Lipogramme

86

« - ¡Hay un matrimonio próximo, pollos! »

Dans les passages dialogués, on s’aperçoit que peu d’indications

sont données sur les personnes qui s’expriment (dans le premier, par

exemple, il y a seulement “corroboró Ramón”) ; or cette

simplification permet d’éviter l’emploi du pronom personnel (« le

dijeron », par exemple). L’oralité, qui se caractérise par la concision

et la simplification de la syntaxe, permet d’éviter l’emploi de

constructions complexes, qui nécessitent souvent le « que »,

conjonction ou pronom relatif. Au lieu d’être gêné par la contrainte,

Jardiel en tire profit, en insistant sur les marques d’oralité, par un

emploi surabondant des formes exclamatives et interrogatives, par

des interjections (« ¡Bah! », « ¡Vamos! », « ¡Cuidado! »), par de

nombreuses répétitions, par des abréviations, comme « auto » et

« foto » (qui sont pourtant conformes à la contrainte dans leur

intégralité), et qui sont aussi, avec les mots étrangers, une marque de

modernité. L’oral est à tel point présent dans le texte que le signifiant

graphique traduit parfois cette oralité : certains mots subissent des

transformations, comme « Vivaaaan », qui insiste sur la longueur de

la voyelle et sur le mouvement de la voiture qui emporte les mariés.

Enfin, on pourrait se demander si le titre même de la nouvelle

n’est pas un clin d’œil de Jardiel, puisque le mot « vocación » est

assez proche de « vocal » (voyelle), d’ailleurs ils se suivent dans le

dictionnaire ; or la nouvelle s’intitule « sin vocación ».

- Dans « El chófer nuevo », l’auteur peut réintégrer les mots

fonctionnels contenant un e qui manquaient dans la première

nouvelle (« de », « que », « en »), et la syntaxe s’apparente alors plus

à celle d’un texte littéraire. La majorité du texte est constitué par le

récit du narrateur, et même si apparaissent des passages dialogués,

ils sont beaucoup plus développés que ceux du lipogramme en a.

L’absence de la voyelle entrainant un certain nombre de restrictions

quant à l’usage du féminin, l’auteur a recours à la substantivation de

Page 87: Memoire Lipogramme

87

verbes à l’infinitif, comme « el correr », ou « el vivir » ; or ces

formes de verbes substantivées apparaissent en général dans des

textes littéraires et poétiques. Ce registre de langue plus soutenu est

appuyé par le choix des patronymes des personnages, Heliodoro et

Melecio Volodio, qui sont d’origine grecque65, et par certains choix

de mots comme « mirífico », qui est généralement d’un registre

poétique (si l’on en croit le DRAE). Comme dans l’incipit de « Un

marido sin vocación », Jardiel caricature ici l’emphase excessive des

personnages du théâtre postromantique du début du XXème siècle, en

ridiculisant le faux-semblant de dramatisme de certains passages :

« ¡Que yo mire en lo profundo de tus ojos, Melecio

Volodio!... Di… ¿Por qué persistes en ese feroz proceder, en

ese cruel ejercicio? […] Y Melecio prorrumpió en sollozos »

D’autre part, l’impossibilité d’employer des adverbes en –mente

quand la voyelle flexive de la base du mot est –a– oblige à user de

périphrases adverbiales de manière, moins naturelles et plus

ampoulées, au moyen d’une préposition : « de súbito », « de

continuo », « en extremo », ou encore en utilisant le syntagme « de

un modo + adjectif », qui est répété cinq fois dans le texte.

III – 2. 2. Caricature des personnages

La contrainte a également un effet sur la manière dont les

personnages agissent, ainsi que sur les rapports qu’ils maintiennent

entre eux.

Dans « Un marido sin vocación », les rapports entre Ramón et

Silvia sont tournés en ridicule : d’une part, on trouve un personnage

masculin omniprésent, impulsif et hyperactif, de l’autre, un

personnage féminin complètement passif et presque rendu

65 En grec, Melecio (µελέτη) signifie « soin, souci, inquiétude » (Anatole Bailly, Abrégé du dictionnaire grec-français).

Page 88: Memoire Lipogramme

88

transparent. En effet, Ramón est le seul personnage à être actant dans

la nouvelle ; les seuls verbes qui s’appliquent à Silvia décrivent son

obéissance et sa résignation : « bajaba los ojos », « iba llorando »,

« sufría ». Le personnage féminin va même jusqu’à être réifié,

comparé à des pâtisseries (« insulsa como unas natillas », jouant sur

le double sens, propre et figuré, de l’adjectif).

Or, rappelons que les pronoms personnels « me », « te », « le »

sont tous proscrits. Ce qui a pour conséquence de devoir toujours

expliciter le complément d’objet indirect, quand c’est possible,

comme « obligó al pago al fotógrafo », ou « dirigió unas palabras

durísimas a Silvia ». Dans d’autres cas, ce sont les personnages eux-

mêmes, et en particulier Silvia, qui prennent la place de l’objet direct

(« mirándola », « obligarla » et même « inspirarla asco », qui est un

laísmo), ce qui participe à la réification et à la passivité du

personnage qu’on évoquait plus haut66.

Dans « El chófer nuevo », le même procédé parallèle se met en

place pour éviter la préposition « a » devant le complément de

personne. D’une part, l’auteur peut détourner le complément de

personne en le dépersonnalisant ou en le démembrant, comme c’est

le cas dans la phrase : « obedeciendo los gestos de su chófer » ;

d’autre part, la phrase peut être tournée à la voix passive, ce qui a

pour effet de présenter les faits subis par le sujet : « Melecio quedó

elegido chófer ». Ces détournements linguistiques ne font que

participer à la déshumanisation des personnages, qui est un procédé

littéraire fréquent dans l’écriture de Jardiel Poncela. D’ailleurs, le

récit commence ainsi : « Me lo cedió mi tío ». Dès la première

phrase de la nouvelle, l’absence de référent pour le pronom « lo »,

combiné avec le verbe « ceder » qui s’applique généralement

davantage aux objets (et plus loin « sírvete »), désoriente, et l’on ne

comprend qu’après que le « lo » désigne le chauffeur.

66 Ce procédé de dépersonnalisation des personnages est propre au style de Jardiel, ce que démontre Cécile François dans son article : « Del automatismo a la cosificación no hay más que un paso que el narrador salva frecuentemente al comparar los personajes de la historia que cuenta con diversos objetos ».

Page 89: Memoire Lipogramme

89

Conclusion

Le choix de l’écriture lipogrammatique n’est donc pas le fruit du

hasard, car il correspond à une « volonté de style » de l’auteur, à

l’envie d’écrire un texte original dans sa forme.

La règle de la lettre absente n’agit pas de manière directe sur les

conditions de la narration, ni sur le style dans lequel s’écrit le texte,

mais les contraintes syntaxiques et lexicales qui, elles, sont bien

réelles, ont un effet stimulateur dans le choix des temps de la

narration, étroitement liés aux personnes grammaticales, et donc aux

personnages du récit. Certaines particularités syntaxiques, liées à

l’impossibilité d’employer des formes contenant la lettre exclue,

n’ont pas d’impact direct sur la « manière de raconter », mais

viennent renforcer le style que l’auteur a voulu donner à ses textes.

Il reste à savoir si les considérations qu’on a exposées sur les

conséquences du lipogramme dans la diégèse et son influence sur le

style sont possiblement extrapolables à d’autres lipogrammes

similaires en a et en e.

Page 90: Memoire Lipogramme

90

CONCLUSION

Après avoir étudié les textes sous différents angle de vue – phonétique,

morphosyntaxique, lexical et narratif – quelles conséquences peut-on en tirer pour ce qui est

des caractéristiques respectives des lipogrammes en a et en e ?

Il semble impossible de quantifier, à tous ces niveaux textuels différents, la « difficulté »

imposée par la contrainte dans les deux cas. Il est évident, en revanche, que l’absence des

voyelles, autant a que e, crée des obstacles considérables au moment de l’écriture.

D’autre part, chaque nouvelle est écrite dans un style bien particulier, qui leur confère ue

couleur propre. Or, on a vu que les choix narratifs et stylistiques peuvent être en partie la

conséquence de la contrainte. Mais l’étude de deux seuls textes, qui plus est de deux nouvelles

de courte extension d’un même auteur, ne suffit pas à affirmer qu’il y ait effectivement une

corrélation entre l’absence d’une lettre et la « manière de raconter ». La comparaison avec

d’autres auteurs lipogrammatistes apporterait certainement des réponses plus sures.

Le lipogramme est parfois perçu, dans son mode de fonctionnement, comme une sorte

de traduction d’un texte fictif sans contrainte. Même si l’étude des structures syntaxiques et

du lexique des textes montrent que cette idée n’est pas concevable dans la perspective des

méthodes mises en œuvre pour l’écriture de lipogrammes, qui requiert un minimum de règles

préétablies, la comparaison n’est pas pour autant inintéressante dans la mesure où dans les

deux cas de figure – traduction et écriture lipogrammatique – se pose le problème de

l’adaptation, c’est-à-dire du choix des formes de langage qui soient les plus naturelles

possibles et les plus conformes aux usages de la langue. Du moins, c’est le cas de Jardiel

Poncela, dont les textes ne laissent pas – ou peu – entrevoir l’absence d’une lettre.

La discrétion de la contrainte peut avoir divers facteurs : d’une part, la forme de

nouvelle, c’est-à-dire de récit bref, qui se concentre sur un seul événement central qui oblige à

la concision, facilite assez le travail de Jardiel. De plus, le caractère absurde qui caractérise

l’ensemble des nouvelles du recueil « Ventanilla de cuentos corrientes » détourne l’attention

du lecteur des détournements linguistiques et grammaticaux qui sont imposés au texte.

Page 91: Memoire Lipogramme

91

BIBLIOGRAPHIE

SOURCES : Editions des nouvelles lipogrammatiques de Jardiel :

- La Voz, Madrid, 1926-1927 - “Ventanilla de cuentos corrientes”, El libro del convaleciente. Inyecciones de alegría para

hospitales y sanatorios, Zaragoza: Hispánica, 1939 (pp. 175-181) - Para leer mientras sube el ascensor, Madrid: Aguilar, 1951 (pp. 195-203) - Ventanilla de cuentos corrientes, colección Enciclopedia Pulga, Barcelona: ed. G.P, [1958]

(pp. 1-14) - Obras completas (4 à 6 t.), México: AHRMEX, 1958 (1ª edición), Barcelona: AHR, 1960 (2ª),

1963 (3ª), 1965 (4ª), 1969 (5ª), 1970 (6ª), 1973 (7ª) - La Hora XXV. Al servicio del médico, publicación mensual literaria, Director: Vicente

Esquiroz (n°20), enero 1959 (pp. 21-28) - VVAA: García Pavón (F.), Jardiel Poncela (E.), Cortázar (J.), Castro (L.), Sueiro (D.),

Martínez Villena (R.), Domenech (R.), Anónimos de “La Codorniz”, Cuentos sobre ruedas, Madrid: Popular, 1990 (ne contient que la nouvelle “El chófer nuevo”).

Autres œuvres littéraires lipogrammatiques : Espagnoles :

- Alcalá y Herrera (A.), Varios effetos de amor en cinco novelas ejemplares y nuevo artificio de escribir prosas y versos, sin una de las cinco vocales, excluyendo vocal differente en cada novela, Lisboa: a costa de Francisco de Costa, 1641

- Navarrete y Ribera (F.), “Novela de los tres hermanos, escrita sin el uso de la A”, Flor de sainetes, Firenze: Alinea, 2001 [1640]

- E.T. [Eugenio de Tamarit], La fuga de las vocales, juguete literario, Madrid: D. Manuel Alvárez, 1849

- Françaises :

- Arago (J.), Voyage autour du monde sans la lettre A, Paris, Les autodidactes, 1994 [1853] - Le Carpentier (P.H.M.), Essais lipogrammatiques et lettres originales, familières et badines,

Paris, E. Dentu, 1858 - Perec (G.), La Disparition, Denoël, 1969 - Perec (G.), El secuestro, Barcelona: Anagrama, 1997 (traduction de Marisol Arbués, Mercé

Burrel, Marc Parayre, Hermes Salceda, Regina Vega)

Page 92: Memoire Lipogramme

92

Bibliographie générale d’Enrique Jardiel Poncela : (En rappelant que la bibliographie de Jardiel est en réalité beaucoup plus complexe, car de nombreux textes ont été publiés dans des recueils différents, nous ne donnons ici pour mémoire que les titres de ses ouvrages. Les références éventuelles renverront aux Obras completas mentionnées plus haut). Romans :

- Amor se escribe sin hache - Diez minutos antes de medianoche - ¡Espérame en Siberia, vida mía! - El naufragio del “Mistinguett” - Pero… ¿hubo alguna vez once mil vírgenes? - El plano astral - La “tournée” de Dios

Recueils d’essais et nouvelles :

- 3 proyectiles del 42 - Exceso de equipaje - Lecturas para analfabetos (Pirulís de la Habana) - El libro del convaleciente - Tres comedias con un solo ensayo

Théâtre :

- 49 personajes que encontraron su autor - A la luz del ventanal - A las seis, en la esquina del bulevard - Agua, aceite y gasolina - Un adulterio decente - El amor del gato y del perro - El amor sólo dura 2.000 metros - Angelina o el honor de un brigadier - Blanca por fuera y rosa por dentro - Carlo Monte en Monte Carlo - Las cinco advertencias de Satanás - Como mejor están las rubias es con patatas - Cuatro corazones con freno y marcha atrás - Dos farsas y una opereta - El cadáver del señor García - Eloísa está debajo de un almendro - Es peligroso asomarse al exterior - Los habitantes de la casa deshabitada - Los ladrones somos gente honrada - Una letra protestada y dos letras a la vista - Madre (el drama padre) - Margarita, Armando y su padre - Un marido de ida y vuelta - Una noche de primavera sin sueño - El pañuelo de la dama errante - El sexo débil ha hecho gimnasia - Las siete vidas del gato

Page 93: Memoire Lipogramme

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- Los tigres escondidos en la alcoba - Tú y yo somos tres - Usted tiene ojos de mujer fatal

Editions posthumes :

- Obra inédita (ensayos, política, artículos, etc…), Barcelona : AHR, 1967 - Obras completas, México : AHRMEX, 1958 - Obras selectas, Barcelona : AHR, 1971 (primera edición)

LITTERATURE CRITIQUE (secondaire): Biographies et critiques sur l’œuvre de Jardiel : Nous ne tiendrons pas compte des études ayant pour seul objet l’œuvre théâtrale de Jardiel Poncela, qui composent la majeure partie de la bibliographie de l’auteur.

- Ariza Viguera (M.), Enrique Jardiel Poncela en la literatura, Madrid: Fragua, 1974 - Bonet Gelabert (J.), El discutido indiscutible. Jardiel Poncela. Los que le ensalzan, los que le

menosprecian y los que le imitan, Madrid: Biblioteca Nueva, 1946 - Flórez (R.) Jardiel Poncela, Madrid: Epesa, 1969 - François (C.), “Los cuentos de Enrique Jardiel Poncela. Una forma literaria al servicio de la

renovación del humor”, <http://www.lehman.cuny.edu/ciberletras/v18/francois.html> - Galán Lores (C.), “Enrique Jardiel Poncela”, Zaragoza (año XXVI), 1967, pp. 143-156 - Gallud Jardiel (E.), Enrique Jardiel Poncela. La ajetreada vida de un maestro del humor,

Madrid: Espasa Calpe, 2001 - Lacosta (F.C.), “El humorismo de Enrique Jardiel Poncela”, Hispania (n°48), 1964, pp. 501-

506 - Marqueríe (A.), “Jardiel y el jardielismo”, La estafeta literaria (n°312), 27 de febrero de 1965,

pp. 18-19 - VVAA, Jardiel Poncela, teatro, vanguardia y humor: Actas del VI Congreso de Literatura

Española Contemporánea, Universidad de Málaga,10,11 12 y 13 de noviembre de 1992, Anthropos, 1993

- Centro Virtual Cervantes, Jardiel cumple cien años : <http://cvc.cervantes.es/ACTCULT/jardiel/>

Bibliographie non consultée :

- Flórez (R.), Mío Jardiel. (Jardiel está debajo de un almendro en flor), Madrid: Biblioteca Nueva, 1966

- McKay (D.R.), “Enrique Jardiel Poncela”, The Modern Language Review, vol. 71, n°4, 1976, pp. 945-946

Page 94: Memoire Lipogramme

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- Sánchez Castro (M.), El humor en los autores de la “otra generación del 27”. Análisis lingüístico-contrastivo. Jardiel Poncela, Mihura, López Rubio y Neville, European University Studies: Series 24, Ibero-Romance Languages Litteratures (vol.82)

- Seaver (P.W), El primer período de Enrique Jardiel Poncela 1927-1936: valoración del humorismo de un iconoclasta español, San Francisco, Mellen Resarch University Press, 1992

Ouvrages critiques sur la littérature contemporaine de Jardiel :

- Antología del cuento español 1900-1939, Edición de José María Martínez Cachero, Madrid: Castalia, 1994

- Ruiz-Copete (J.D.), La otra generación del 27: los narradores, Málaga: Centro Cultural de la Generación del 27, 2002

Sur le lipogramme:

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- Fradejas Lebrero (J.), “Lipogramas en España Ss. XIX-XX”, Homenaje a José María Martínez Cachero. Investigación y crítica, vol.II, Universidad de Oviedo, 2000, pp. 535-551

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1988, pp. 73-89 - Perec (G.), Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 2000 [1974] - Pfandl (L.), Historia de la literatura nacional española en la Edad de Oro, Barcelona : J. Gili,

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Academia Norteamericana de la lengua española, New York, 1977-1978, pp. 129-140

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- García Hoz (V.), Vocabulario usual, vocabulario común y vocabulario fundamental, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, 1953

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<http://buscon.rae.es/ntlle/SrvltGUILoginNtlle> Linguistique statistique :

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- Charpentier (C.), David (J.), La recherche française par ordinateur en langue et littérature, Actes du colloque organisé par l’Université de Metz en juin 1983, Genève/Paris, Slatkine/Champion, 1985

- Martí Antonín (M.A.), Castellón Masalles (I.), Lingüística computacional, Barcelona: EUB (Edicions Universitat de Barcelona), 2000

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Page 96: Memoire Lipogramme

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- Alarcos Llorach (E.), Gramática de la lengua española, Madrid: Espasa Calpe, 2005 [1999] - Séonnet (M.), Enjeux et stratégies traductives dans le cas d’un texte à contrainte

lipogrammatique : la version castillane de La Disparition de Georges Perec, Mémoire de maîtrise, Université de Paris III, 1999

- Ullmann (S.), Lenguaje y estilo, Madrid: Aguilar, 1968

Page 97: Memoire Lipogramme

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ANNEXES

Première partie

LE CORPUS

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ANNEXE 1

UN MARIDO SIN VOCACIÓN

(NARRACIÓN ESCRITA SIN UTILIZAR LA LETRA « E » LA MÁS USUAL EN CASTELLANO)

Un otoño – muchos años atrás –, cuando más olían las rosas y mayor sombra daban las acacias, un microbio muy conocido atacó, rudo y voraz, a Ramón Camomila: la furia matrimonial. - ¡Hay un matrimonio próximo, pollos! – advirtió como saludo [a]67 su amigo Manolo Romagoso cuando subían juntos al casino y toparon con los camaradas más íntimos. - ¿Un matrimonio? - Un matrimonio, sí – corroboró Ramón. - ¿Tuyo? - Mío. - ¿Con una muchacha? - ¡Claro! ¿Iba a anunciar mi boda con un cazador furtivo? - Y ¿cuándo ocurrirá la cosa? - Lo ignoro. - ¿Cómo? - No conozco [aún]68 a la novia. Ahora voy a buscarla... Y Ramón Camomila salió como una bala a buscar novia por la ciudad.

* * * A las dos horas conoció a Silvia, una chica algo rubia, algo baja, algo gorda, algo sosa, algo rica y algo idiota; hija única y suscriptora contumaz a La Moda y la Casa (publicación para muchachas sin novio). Y al año, todos los amigos fuimos a la boda. ¡La boda! ¡Bah!... Una boda como todas las bodas: galas blancas, azahar por todos lados, alfombras, música sacra, bimbas, sonrisas, codazos, almohadón [para hincar las rodillas los novios y] para hincar las rodillas los padrinos; lunch, sandwichs duros como un fiscal... Al onzavo sandwich hubo una fuga súbita por la sacristía, y un “auto” pasó raudo, y unos gritos brotaron: - ¡Adiós! ¡Adiós! ¡Vivan los novios! ¡Vivaaan! Y los amigos cogimos otro sandwich – dozavo – y otra copita. Y allí acabó la cosa. 67 Le segment de phrase entre crochets apparaît dans les éditions suivantes : Para leer mientras sube el ascensor, l’Enciclopedia Pulga et Cuentos sobre ruedas. En revanche, elle n’apparaissait pas dans El libro del convaleciente, La Hora XXV, et Obras Completas. 68 Le segment de phrase entre crochets, et les deux autres suivants, apparaissent dans les éditions suivantes : El libro del convaleciente, La Hora XXV, et Obras Completas. En revanche, elle disparaît dans Para leer mientras sube el ascensor, l’Enciclopedia Pulga et Cuentos sobre ruedas.

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* * *

Mas para Ramón Camomila la cosa no había acabado allí... Al contrario: allí daba principio. Y al subir con su novia al “auto” fugitivo, vió claro, vió clarísimo: ni amaba a Silvia, ni notaba inclinación ninguna al matrimonio, ni sintió su alma con la vocación más mínima por constituir un hogar dichoso. - ¡Soy un idiota! – murmuró Ramón –. No valgo para marido y lo noto cuando ya soy ciudadano casado... Y corroboró, rabioso: - ¡Soy un idiota! Silvia, arrinconada junto a Ramón, bajaba los ojos con rubor, y al bajar los ojos subía dos mil grados la rabia masculina. - ¡Dios mío! – gruñía Ramón, mirándola –. ¡Casado! ¡Casado con una niña insulsa como unas natillas!... No hay ya salvación para mí..., ¡no la hay! Incapaz para dominar su irritación, dirigió unas palabras durísimas a Silvia. - ¡Prohibido fingir rubor y mirar a la alfombra! – gritó. Silvia miró al parabrisas con infantil docilidad. Y Ramón añadió para su sayo, alumbrado por una brusca solución: “Voy a lograr su odio. Voy a obligarla a suplicar un divorcio rápido. Poco valgo si no logro inspirarla asco con cuatro o cinco burradas a cuál más disparatada...” Y tal solución tranquilizó mucho su alma. Por lo pronto, al subir a la fotografía (visita clásica tras una boda), Ramón hizo la burrada inicial. Un fotógrafo modoso y finísimo abordó a Ramón y a Silvia. - Grup[it]o nupcial, ¿no? – indagó. - Sí – dijo Ramón. Y añadió: - Con una variación. - ¿Cuál? - La sustitución más original vista hasta ahora... Novio por fotógrafo. Hoy hago yo la “foto”. ¡Viva la originalidad! Y Ramón aproximó la máquina y advirtió al asombrado fotógrafo: - ¡Vamos! Coja por la mano a la novia y sonría con ilusión... La cara más alta... ¡Cuidado! ¡Así!... ¡Ya! Ramón tiró la placa, y a continuación obligó al pago al fotógrafo; guardó los duros y salió con Silvia orondo y dichoso. - ¡Al “auto”! – mandó. Silvia ahora iba ya llorando. - ¡La cosa marcha! – susurró Ramón.

* * * Al otro día trasladaban sus organismos a Irún. (Lo clásico, asimismo, tras una boda.) Ramón no quiso subir al vagón con Silvia.

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- Yo viajo con los maquinistas – anunció –. Voy a la locomotora... ¡Hasta la vista! Y subió a la locomotora, y ocupó su actividad ayudando a partir carbón. Al arribar a Irún, había adquirido un magnífico color antracita.

* * * Ya allí, compró sus harapos a un sordo-mudo andrajoso, vistió los harapos y marchó a la fonda a buscar [a] Silvia. Y tocado con las ropas andrajosas anduvo por Irún, acompañando a Silvia y cogido a su brazo mórbido y distinguido. Nutrido público los miraba pasar, asombrado. Silvia sufría cada día más. - ¡La cosa marcha! ¡La cosa marcha! – murmuraba todavía Ramón –. Pronto rogará Silvia un divorcio total... Sigamos las burradas. Sigamos con la droga antimatrimonial, multiplicando la dosis...

* * * Ramón vistió a continuación sus fracs/smokings69 más maravillosos, y al pisar un salón, un dancing u otro lugar público acompañado por Silvia, imitaba a los criados, y con un paño al brazo acudía, solícito, a todas las llamadas. Una mañana pintó sus párpados con barniz rojo.

* * * Por fin lo trasladaron al manicomio. Y Ramón asistió a su propia dicha: su contrato matrimonial yacía roto y vivía imposibilitado para otra boda con otra Silvia...

69 Dans Para leer mientras sube el ascensor, l’Enciclopedia Pulga et Cuentos sobre ruedas, on lit “smokings”; dans El libro del convaleciente, La Hora XXV, et Obras Completas, on lit “fracs”.

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ANNEXE 2

EL CHÓFER NUEVO

(NARRACIÓN ESCRITA SIN UTILIZAR LA LETRA « A »)

Me lo cedió mi tío Heliodoro, y me lo recomendó de un modo muy expresivo diciéndome: - ¡Es un chófer único en el globo, créeme! Si dispone de un buen coche, este hombre consigue prodigios enormes, que en un circo le hubiesen hecho rico. Obedéceme y sírvete de él; tú tienes un coche estupendo y te mueres de tedio, ¿no es cierto? Pues te juro, querido sobrino, que cediéndote un chófer como Melecio te pongo en condiciones de ser testigo, e incluso intérprete, de emociones inconcebibles, sin precedentes en el mundo de lo locomotivo. Porque como este chófer no existen dos... Melecio Volodio, el chófer propuesto, que presenció el momento descrito, sonrió entonces con gesto misterioso. Y no bien concluyó mi tío su elogio, el chófer rozó levemente el borde izquierdo de su sombrero frégoli, color crepúsculo griego, se inclinó con un gentil movimiento y murmuró: - Tómeme el señor, que conozco mi oficio... Y sin otros incidentes que mereciesen ser escritos, Melecio Volodio quedó elegido chófer de mi dieciséis cilindros con cien duros de sueldo.

* * * Doce excursiones, que tuvieron un epílogo tristemente quirúrgico, me convencieron, en un solo mes, de que como Melecio no existió en el universo chófer ninguno. Prescindo, diciendo esto, de su dominio peregrino del coche. Volodio no sólo conservó de continuo en los extremos de sus dedos los secretos de mi Mercedes, sino que en el tiempo que vivió conmigo domesticó el motor de un modo mirífico, [y el coche corrió, frenó y retrocedió obedeciendo como un perrito lulú los gestos de su chófer.]70 Pero este mérito resultó pequeño y ridículo enfrente de otros méritos inconcebibles de Melecio Volodio. Uno, sobre todos, me preocupó en extremo, y se convirtió de súbito en obsesión terrible de mis nervios. El mérito en cuestión estribó, señores, en el frío desdén con que Melecio Volodio miró siempre el peligro. ¿Fué el desprecio de los bienes terrenos? ¿Fué un deseo de morir, fruto de desilusiones y de dolores ocultos? ¿Fué simplemente heroísmo? ¿O fué el gusto por servirme y el prurito de divertir, con emociones fuertes, mi vivir tedioso?

70 Le segment de phrase entre crochets apparaît dans les éditions suivantes : El libro del convaleciente, La Hora XXV, et Obras Completas. En revanche, elle disparaît dans Para leer mientras sube el ascensor, l’Enciclopedia Pulga et Cuentos sobre ruedas.

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Lo ignoro; no lo sé... Pero es lo cierto que siempre que el chófer nuevo puso en movimiento el motor de mi coche ejecutó sorpredentes ejercicios llenos de riesgos y sembró el terror en todos los sitios por donde metió el coche; destrozó los vidrios de infinitos comercios, derribó postes telefónicos y luminosos, hizo cisco trescientos coches del servicio público, pulverizó los esqueletos de miles de individuos, suprimiéndolos del mundo de los vivos, en oposición con sus evidentes deseos de seguir existiendo; quitó de en medio todo lo que se le puso enfrente; hendió, rompió, deshizo, destruyó; encogió mi espíritu, superexcitó mis nervios; pero me divirtió de un modo indecible, porque Melecio Volodio no fué un chófer, no ; fué un simún [“simoun”]71 rugiente. ¿Por qué este furor, este estropicio continuo? ¿Por qué, si Volodio dominó el coche como no lo dominó ningún chófer de los que tuve después? Hice lo posible por conocer el fondo del misterio, y lo logré por fin. - ¡Melecio! – le dije, volviendo de un terrible circuito que produjo horrendos efectos destructores – . Es preciso que expliques lo que te ocurre. Muchos infelices muertos por nuestro coche piden un desquite... ¡Que yo mire en lo profundo de tus ojos, Melecio Volodio!... Dí... ¿Por qué persistes en ese feroz proceder, en ese cruel ejercicio? Melecio inspeccionó el horizonte, medio sumido en el crepúsculo, y moderó el correr del coche. Luego hizo un gesto triste. - No soy cruel ni feroz, señor – susurró dulcemente –. Destrozo y destruyo y rompo y siembro el terror... de un modo instintivo. - ¡De un modo instintivo! ¡Eres entonces un enfermo, Melecio! - No. Pero me ocurre, señor, que he sido muchísimo tiempo chófer de bomberos. Un chófer de bomberos es siempre el dueño del sitio por donde se mete. Todo el mundo le permite correr; no se le detiene; el sonido estridente e inconfundible del coche de los bomberos, de esos héroes con cinturón, es suficiente, y el chófer de bomberos corre, corre, corre... ¡Qué vértigo divino! Concluyó diciendo: - Y mi defecto es que me creo que siempre voy conduciendo el coche de los bomberos. Y como esto no es cierto, y como hoy no soy, señor, el dueño del sitio por donde me meto, pues, ¡pulverizo todo lo que pesco!... Y Melecio prorrumpió en sollozos.

71 De même que la phrase signalée entre crochets un peu plus haut, les éditions des nouvelles présentent deux orthographes différentes pour le mot simún. L’un est hispanisé et l’autre garde l’orthographe française, et est mis entre guillemets (« simoun »).

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ANNEXE 3 : LOS VECINOS DEL PRINCIPAL DERECHA

Al llegar a mi patria, de regreso de la Argentina, hice lo que suele hacer todo el que se encuentra en mi caso: me instalé en un hotel y me dediqué a buscar un piso desalquilado. Para un hombre con dinero, encontrar un piso desalquilado es cosa fácil. Yo traía mucho dinero de América y encontré rápidamente lo que necesitaba. América había sido pródiga para mí. Es cierto que durante doce años trabajé furiosamente. Pero también es cierto que a cabo de los doce años de trabajo incesante me hallé sin colocación y sin dinero. ¿Cómo volver a mi patria fracasado? Una tarde paseaba por Palermo pensando esta triste cosa cuando tropecé con una gruesa cartera de cuero negro. La abrí: la cartera contenía una bolsita con diamantes y 150.000 dólares en billetes. También contenía unas tarjetas y una cédula de identidad con el nombre y las señas de su dueño, pero como desde el primer momento había decidido quedarme la cartera, rompí las tarjetas y la cédula y procuré olvidar el nombre de aquel caballero, lo que logré en seguida, porque yo tengo una memoria fatal. De este modo me hice rico en América. Y es que en América todo el que trabaja mucho acaba por hacer fortuna. El cuarto que alquilé al llegar a mi patria era precioso. Lo decoré todo a mi gusto y comencé a vivir una vida sin preocupaciones, llena de molicie y refinamiento. De cuando en cuando invitaba a cualquier muchacha sin compromiso a pasar unos días en mi compañía, y cuando me sentía harto de su modo de reír o de su gesto al ponerse el pyjama la sustituía por otra. Este procedimiento de gustar el amor, como si fuese un piano de manubrio, es una de las bases en que durante años se ha sustentado la tranquilidad de los hombres solteros. Pero una tarde, en esa hora romántica y húmeda del crepúsculo, estaba solo en casa, porque me hallaba en un momento de transición entre el piano pasado y el piano futuro. Alguien hizo sonar el timbre y, como una tromba, se me metió en casa una dama estrepitosamente perfumada con “gardenias pútridas” de Lelong. La dama atravesó el living-room, irrumpió en mi despacho y se dejó caer en uno de los sillones con la vista fija en el suelo, las cejas fruncidas y mordiéndose ligeramente el labo inferior. La contemplé. Traía la cabeza destocada y se envolvía en un déshabillé de charmeuse y terciopelo. Llevaba unos pendientes de ópalos y unas chinelas amaranto con los tacones rojos, iguales a los de los cortesanos de Luis XIV. Era rubia; de un rubio frenético. No quise romper su silencio porque, precisamente, al sentarse en el sillón, el déshabillé se había arrugado y dejaba al descubierto las dos piernas de la dama en una extensión suficiente para privar del habla a un orador famoso; cuanto más a mí, que hablo poquísimo. Detalle interesante: las medias que envolvían aquellas piernas prodigiosas eran de gasa, color “risa de sordo”.

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Pero semejante situación no podía prolongarse. La dama alzó de pronto su cabeza y me dijo:

- Caballero: perdone usted esta intromisión. Soy la vecina del principal derecha. He tenido un feroz disgusto con mi marido y, llevada de la ira, me he ido de casa. Cuando he querido reaccionar estaba en la escalera. ¿A dónde ir así? Y se me ocurrió llamar en su piso. Si a usted le parece charlaremos un rato, hasta que yo me tranquilice.

- Y es posible que usted consiga tranquilizarse, señora. Quien no podrá tranquilizarse seré yo mientras usted se obstine en mostrar enteramente la región de sus ligas.

La dama rectificó los pliegues de su deshabillé y me hizo de pronto esta pregunta insólita. - ¿Qué opina usted del amor? - Creo - repuse para ayudarla en su propósito de quitarle tirantez a nuestra

entrevista - que el amor es una especie de ascensor hidráulico; se le puede exigir que funcione bien durante cinco años; durante diez; durante quince; pero llega un momento en que se estropea y se niega a funcionar.

- ¿Y entonces? - Entonces, señora, hay que cambiar de ascensor o subir a pie; es inevitable. La dama sonrió con esa sonrisa luminosa exclusiva de las personas inteligentes. Luego se inclinó hacia mí, rodeó mi cuello con sus brazos y murmuró esta sola palabra: - ¡Ay! Cuando una mujer suspira mientras rodea con sus brazos el cuello de un hombre, debe uno darse por enterado de que la dama tiene ganas de suspirar. - Es usted capaz de enloquecer a cualquier mujer, amigo mío; sin embargo,

nuestro amor es imposible. Yo lo sospecho; ¡imposible, sí! Y se retorció un dedo; luego, dos; después, tres; y al final, todos los dedos de la mano. Entonces, llamaron a la puerta. - ¡Mi marido! - ¿Usted cree? Fui a abrir y, en efecto, entró el marido. Tenía un aire triste. - Caballero - me dijo -. No me explique usted nada. Usted no tiene la culpa. ¡Ella

ha sido la que ha venido aquí!... ¡Dios mío, qué vergüenza! Rompió a llorar, me rogó un vaso de agua, y por tres veces le llevé agua, coñac, tila y

azahar. Al volver yo al despacho me encontraba siempre al marido paseándose excitado, increpando a su mujer, y, ésta, tumbada en su silla, mirando la calle con gesto displicente. Por fin, a las ocho de la noche, después de que efectué, trayendo agua, una agotadora labor de camello del desierto, decidieron volverse a su casa. Ya en la puerta el marido me estrechó enérgicamente las manos mientras me decía:

- Gracias, gracias… Nunca olvidaré esto; nunca lo olvidaré. Y se fueron.

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Media hora después yo subía rápidamente la escalera y llamaba en el principal derecha. Nadie contestó a mis timbrazos. Entonces el portero, asomándose al hueco del ascensor,

me advirtió que en el principal derecha no vivía nadie, pues el cuarto estaba desalquilado desde hacía seis meses. Esta noticia me produjo una gran contrariedad. Porque necesitaba hablar de nuevo con los vecinos del principal derecha para preguntarles si ellos habían visto, por casualidad, una bolsita con brillantes que yo guardaba en el bargueño de mi despacho y que había echado de menos al rato de marcharse de mi casa el matrimonio.

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ANNEXE 4 : LA SEÑORITA NICOTINA

Se fueron a almorzar a un restaurante donde les dieron huevos a « la Malmaison », pollo con gelatina, crema de guindas, helado y un disgusto espantoso, porque la cuenta subió más que Napoleón después de la campaña de Italia. Acabado el almuerzo, ella se dio a conocer.

- Me llamo Nicotina - dijo. - ¿Cómo? ¿Eres tú Nicotina, la famosa Nicotina: la que envenena, la que se

infiltra en el organismo, la que destroza la garganta y los bronquios, la que llena de extraños tatuajes los pulmones, la que hace perder la memoria, la que ensucia el estómago y arruina la salud y el bolsillo?

- Yo soy - murmuró muy bajito -. Pero, ¡ah!, han exagerado mucho. Se hacen furibundas campañas contra mí… y créeme; no soy tan mala como parezco. Amo hasta la vejez a miles de hombres sin que les ocurra nada malo. Esos mismos médicos que despotrican contra mí, me adoran. Porque soy la mujer más deseada del globo… Millones y millones de hombres me rinden culto.

- Pero tú les intoxicas. La señorita Nicotina sonrió y repuso dulcemente: - ¿Y qué amor no intoxica, amigo mío? Y él sintió la comezón de probar un amor que de tal manera fascinaba a los humanos, y exclamó en un susurro delirante, con el delirio arrollador propio de los adolescentes:

- Nicotina, Nicotina… Diez minutos después tuvo el primer vómito. Pasaron los años y la señora Nicotina - eternamente joven desde que, siglos atrás, llegase de América - seguía siendo el amor más firme de aquel hombre: ese amor del que no se puede desistir. Su cariño le agotaba, y al mismo tiempo le daba energías. Sus caricias le envenenaban lentamente; pero nunca habría podido prescindir de ellas. Al despertarse por las mañanas, se apoderaba de Nicotina, que había velado su sueño desde la plataforma de la mesita de noche. Mientras se afeitaba, Nicotina estaba a su lado; al salir a la calle salía acompañado de Nicotina; durante su trabajo, Nicotina le acompañaba, y cuando una idea se resistía a surgir, o él luchaba por darle forma, allí estaba Nicotina para inspirarle con un beso largo y absorbente; y cuando el dolor o la preocupación le asaltaban era también Nicotina la que se distraía, arrojando lejos las ideas negras. Otras veces, en el teatro, por ejemplo, donde las autoridades no dejaban entrar a Nicotina, él se agitaba molesto, desasosegado e inquieto, y no bien llegado el entreacto, corría al vestíbulo y allí volvía a encontrar a Nicotina y cruzaba largos párrafos con ella. Había amigos que al presentarles Nicotina le decían displicentemente:

- Gracias. No me gusta. Y él los miraba con un poco de envidia y otro poco de admiración. Después de todo eran

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seres extraordinarios, que habían sabido resistir el amor de aquella mujer absorbente y fatal. Cuando alguna pasión desgraciada le rasgaba el alma, la llamaba a voces:

- ¡Nicotina! Y ella aparecía entre nubes azules para decirle: - ¿Qué? - Acabo de tener un disgusto terrible con Natalia. - Ya lo sé. ¿No recuerdas que Natalia era también amiga mía? Efectivamente, Natalia era íntima amiga de Nicotina, razón por la cual mucha gente decía de ella:

- Fuma como un carretero. (Aunque hay miles de carreteros que no fuman.) - Pues bien: soy muy desgraciado, Nicotina… - No sufras, pobrecito mío. Aquí me tienes a mí. Ámame. En cuanto a Natalia, yo

la daré un buen cáncer de laringe en castigo de su estupidez. Es verdad que su amor le hacía cisco por meses y le producía una tos que le facilitaba

pintorescamente la expulsión de los bronquios, pero él le perdonaba eso con gusto. Hasta que un día… ¡Oh! ¡Él no lo habría creído jamás! Hasta entonces siempre había creído que la señorita Nicotina era un veneno. Pero aquel día empezó a sospechar si la señorita Nicotina no sería una tanguista.

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ANNEXE 5 : EL DOMADOR Y LOS DOS ANCIANOS Figuraos que era una tarde primaveral, una de esas tardes de primavera que la Naturaleza confecciona “en serie” para descansar de la agotadora superproducción a que desde hace tantos siglos se ve obligada. Figuraos que yo también paseaba por la calle de Alfonso XII (cerca del Retiro) con el famoso domador de fieras Demetri Mitsgorursky, polaco desde la batalla del Somme. Demetrio era un hombre serio y grave, como la fachada de un Museo de Ciencias; reía muy de tarde en tarde, y a todo el que le quería oír le decía que “estaba aburrido de divertirse constantemente”. Pero esto no pasaba de ser una “frase”; en realidad, le encantaba “hacer frases” lo más sensacionales posible. Y figuraos, por último, que cuando aquella tarde primaveral paseábamos ambos por la calle de Alfonso XII (acerca del Retiro) discutiendo sobre la naturaleza del hombre, el domador se apresuró a lanzar su frasecita correspondiente. Y he aquí la frase que lanzó: - “El hombre es un león con un cuello planchado.” Me pareció una tontería, y así se lo dije. Y Demetrio entonces se detuvo y me detuvo.

- No es una tontería - protestó -. Es una verdad indiscutible. Me alcé de hombros sonriendo.

- Muchas veces - siguió él - se ha dicho que el hombre es una fiera, pero jamás se ha demostrado, y la cosa ha quedado en el aire, como un vilano o una figura retórica.

- ¿Y tú puedes demostrarme que el hombre es una fiera? - Sí. - ¿Que cualquier hombre es una fiera? - Sí. - ¿Ahora mismo? - Ahora mismo. Y no sólo te demuestro que el hombre es una fiera, sino que soy

capaz de domarlo en menos de media hora, como domé a “Mustafá”. (“Mustafá” era uno de sus leones: una criatura verdaderamente encantadora, capaz de hacer encaje de bolillos.)

Desparramé en derredor una mirada. De pronto, al otro lado de la verja del Retiro, a lo largo de lo cual paseábamos, descubrí dos ancianos apacibles que charlaban tomando el sol. Lo cierto es que jugué con ventaja, pues a uno de ellos le conocía de antiguo: un hombre de tal bondad, que sólo podía compararse con un ángel de Forli o con un mantecado a la vainilla.

- Aquel anciano - le dije al domador -. ¿Puedes demostrarme que aquel anciano es una fiera?

- Te voy a demostrar que lo es, y que lo es también su acompañante. Antes de diez minutos verás rugir a esos caballeros; dentro de un cuarto de hora espumajearán de rabia, y de aquí a media hora habrán caído domados a mis pies.

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Les llamó la atención al través de los barrotes de la verja: - ¡Eh! ¡Pchsss! ¡Eh! ...

Los ancianos caballeros volvieron sus rostros, miraron a Demetrio y se miraron entre sí. Y Mitsgorursky se dirigió a la verja que nos separaba de los dos ancianos. - ¿Le conoce? - Yo, no. ¿Y usted? - No le he visto nunca hasta hoy. - ¡Es raro! El domado siguió en sus gritos.

- ¡Eh! ¡Pchsss! ¡Eh!... Y metiendo su bastón entre los barrotes comenzó a azuzarlo, como hacía en el circo con sus leones. - ¡Eh! ¡Fiera!... ¡Fiera! ¡Eeeh!... Los ancianos se miraron de nuevo y murmuraron:

- Debe de estar mal de la cabeza. - Sí, debe de estar mal de la cabeza.

Reanudaron su tranquila marcha. Pero Demetrio también reanudó su marcha y sus gritos:

- ¡Eh! ¡Fiera!... ¡Fiera! ¡Eeeh!... Unos por el interior del Parque y el otro por el extremo, separados únicamente por la verja, anduvieron seis u ocho metros. Mitsgurorsky seguía azuzándolos:

- ¡Eeeh! ¡Fieeera!... Noté en los ancianos un principio de desazón. Uno de ellos murmuró:

- ¡Qué lata! El otro dijo con la vista fija en las puntas de sus botas:

- Es sensible que esto pueda ocurrir. Demetrio, implacable, seguía agitando el bastón por entre los barrotes y gritando:

- ¡Fieras! ¡Fieras! ¡Eeeh!... La desazón de los ancianos crecía. Uno de ellos declaró:

- Loco o cuerdo, empieza a fastidiarme… El otro no replicó, pero vi perfectamente que se mordía los labios. Mitsgorursky continuó su trabajo sin perder terreno:

- ¡Fieeeras!... ¡Eeeh! ¡Uuuuh, uh!... Entonces el anciano segundo miró torvamente a Demetrio y gruñó:

- ¡Idiota! - ¡Eeeh!... ¡Uh! ¡Fiera! ¡Uuuh!...

Y ahora fueron los dos ancianos los que se detuvieron para gritar: - ¡Idiota! - ¡Majadero! - ¡Uuuh! ¡Uh! ¡Fieras! ¡Eeeh! - les azuzó, como siempre, Demetrio. - ¡Idiota! ¡Más que idiota!... ¿Quiere usted dejarnos en paz? Y el otro anciano clamó: - ¡Cretino! ¡Voy a llamar a un guardia! - ¡Eeeh! ¡Fieeraaaa!... ¡Uuuh! - replicó el domador sin alterarse.

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Esta vez hubo un silencio que tenía ya categoría dramática. Los ancianos se detuvieron, tragaron saliva y avanzaron hacia la verja para encararse con Mitsgorursky; llovieron insultos:

- ¡Sinvergüenza! ¿No se abochorna de su conducta? - ¡Fieeras! ¡Eeeh! ¡Uh! - dijo Demetrio como si nada oyese. - ¡Bandido! ¡Más que bandido! ¡Voy a salir para que pagues cara tu

desvergüenza! - rugió uno de los ancianos enarbolando su bastón y corriendo en busca de una puerta. El otro le siguió.

Pero la puerta estaba levísima, y Demetrio corrió también sin cesar de azuzarlos: - ¡Fiera! ¡Fiera!

Se pararon otra vez, rojos, congestionadísimos; la ira hacía sus palabras balbucientes:

- ¡Canalla! ¡Cana…! ¡Burlarse de dos…! ¡Perro judío! ¡Si pudiese agarrarte por la garganta!...

- ¡Fiera! ¡Fiera! - siguió tranquilamente mi amigo. Los dos ancianos se agarraron a la verja, gritando, insultando ferozmente a Demetrio, con los ojos saltones y las venas hinchadas.

- ¡Fiera! ¡Fiera! - decía él con un ritmo mecánico. - ¡Judas! ¡Ladrón! - ¡Malnacido! - ¡Fieeera! ¡Fiera! ¡Eeeh!...

Uno de los ancianos intentó trepar por los barrotes; el otro quiso romperlos a mordiscos, mas no pudieron hacer ninguna de las dos cosas y sus pupilas parecían lanzar rayos; echaban espuma por la boca; un temblor convulsivo, que atacaba sus mandíbulas, entorpecía el buen desarrollo de los insultos terribles que emitían. Daba miedo verlos. Daba más miedo ver a aquellos pacíficos ancianos que a los terribles leones de Mitsgorursky. Así transcurrieron veinte minutos, al cabo de los cuales el agotamiento pudo más que la rabia y los dos caballeros cayeron al suelo jadeantes: ya no gritaban; sólo se oía en ellos una especie de estertor. Entonces Demetrio los dejó en paz. Se separó de la verja, se volvió hacia mí y dijo con una sonrisa:

- ¿Ves? Eran dos fieras y ya están domados. No me negarás que tenía razón… Encendimos unos cigarrillos y continuamos nuestro paseo hablando de otras cosas menos indiscutibles.

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ANNEXE 6 : EL AMOR QUE NO PODÍA OCULTARSE

Durante tres horas largas hice todas aquellas operaciones que denotan la impaciencia en que se sumerge el alma: consulté el reloj, le di cuerda, volví a consultarlo, le di cuerda nuevamente, y, por fin, le saltó la cuerda; sacudí unas motitas que aparecían en mi traje; sacudí otras del fieltro de mi sombrero; revisé dieciocho veces todos los papeles de mi cartera; tarareé quince cuplés y dos romanzas; leí tres periódicos sin enterarme de nada de lo que decían; medité; alejé las meditaciones; volví a meditar; rectifiqué las arrugas de mi pantalón; hice caricias a un perro, propiedad del parroquiano que estaba a la derecha; di vueltas al botoncito de la cuerda de mi reloj hasta darme cuenta de que se había roto antes y que no tendría inconveniente en dejarse dar vueltas un año entero. ¡Oh! Había una razón que justificaba todo aquello. Mi amada desconocida iba a llegar de un momento a otro. Nos adorábamos por carta desde la primavera anterior. ¡Excepcional Gelda! Su amor había colmado la copa de mis ensueños, como dicen los autores de libretos para zarzuelas. Sí. Estaba muy enamorado de Gelda. Sus cartas, llenas de una gracia tierna y elegante, habían sido el lugar geométrico de mis besos. A fuerza de entenderme con ella sólo por correo había llegado a temer que nunca podría hablarla. Sabía por varios retratos que era hermosa y distinguida como la protagonista de un cuento. Pero en el libro de Caja del Destino estaba escrito con letra redondilla que Gelda y yo nos veríamos al fin frente a frente; y su última carta, anunciando su llegada y dándome cita en aquel café moderno - donde era imprescindible aguantar a los cinco pelmazos de la orquesta - me había colocado en el Empíreo, primer sillón de la izquierda. Un taxi se detuvo a la puerta del café. Ágilmente bajó de él Gelda. Entró, llegó junto a mí, me tendió sus dos manos a un tiempo con una sonrisa celestial y se dejó caer en el diván con un “chic” indiscutible. Pidió no recuerdo qué cosa y me habló de nuestros amores epistolares, de lo feliz que pensaba ser ahora, de lo que me amaba…

- También yo te quiero con toda mi alma. - ¿Qué dices? - me preguntó. - Que yo te quiero también con toda mi alma. - ¿Qué?

Vi la horrible verdad. Gelda era sorda. - ¿Qué? - me apremiaba. - ¡Que también yo te quiero con toda mi alma! - repetí gritando.

Y me arrepentí en seguida, porque diez parroquianos se volvieron para mirarme, evidentemente molestos. - ¿De verdad que me quieres? - preguntó ella con esa pesadez propia de los enamorados y de los agentes de seguros de vida -. ¡Jurámelo! - ¡¡Lo juro!!

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- ¿Qué? -¡Lo juro! - Pero dime que juras que me quieres - insistió mimosamente. Grande flor.

- ¡¡Juro que te quiero!! - vociferé. Veinte parroquianos me miraron con odio.

- ¡Qué idiota! - susurró uno de ellos -. Eso se llama amar de viva voz. - Entonces - siguió mi amada, ajena a aquella tormenta -, ¿no te arrepientes de

que haya venido a verte? - ¡De ninguna manera! - grité decidido a arrostrarlo todo, porque me pareció

estúpido sacrificar mi amor a la opinión de unos señores que hablaban del Gobierno.

- ¿Y… te gusto? - ¡¡Mucho!! - En tus cartas decías que mis ojos parecían muy melancólicos. ¿Sigues

creyéndolo así? - ¡¡Sí!! - grité valerosamente -. ¡¡Tus ojos son muy melancólicos!! - ¿Y mis pestañas? - ¡¡Tus pestañas, largas y rizadísimas!!

Todo el café nos miraba. Habían callado las conversaciones y la orquesta y sólo se me oía a mí. En las cristaleras empezaron a pararse los transeúntes.

- ¿Mi amor te hace dichoso? - ¡¡Dichosísimo!! - Y cuando puedas abrazarme… - ¡¡Cuando pueda abrazarte - chillé, como si estuviera pronunciando un discurso

en una Plaza de Todos - creeré que estrecho contra mi corazón todas las rosas de todos los rosales del mundo!!

No sé el tiempo que seguí afrontando los rigores de la opinión ajena. Sé que, al fin, se me acercó un guardia.

- Haga el favor de no escandalizar - dijo -. Le ruego a usted y a la señorita que se vayan del local.

- ¿Qué ocurre? - indagó Gelda. - ¡¡Nos echan por escándalo!! - ¡Por escándalo! - habló ella estupefacta -. Pero si estábamos en un rinconcito

del café, ocultando nuestro amor a todo el mundo y contándonos en voz baja nuestros secretos…

Le dije que sí para no meterme en explicaciones y nos fuimos. Ahora vivimos en una “villa” perdida en el campo, pero cuando nos amamos, acuden siempre los campesinos de las cercanías preguntando si ocurre algo grave.

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ANNEXE 7 : UN ABANICO DEMASIADO MODERNO

Cuando gané el centro de la habitación, cuando abrí los brazos, cuando incliné tristemente la cabeza, suspirando: “¡Soy muy desgraciado!”, mi tía Evangelina me lanzó una mirada terrible y me dijo:

- No te canses, sobrino; sé lo que vas a decirme. No tengo dinero. Aquella perspicacia me desconcertó al pronto; mas no me fue difícil recobrarme y hacer una de mis mejores escenas para ablandar el corazón de la tía y que me diese unos billetes de Banco. Mi tía Evangelina era algo cardíaca, y su víscera se ablandó una vez más; pero, desgraciadamente, su prístina confesión era exacta: no tenía dinero. Tía Evangelina se levantó, fue a una vitrina, que era la apoteosis de lo antiguo, y sacó de ella un abanico precioso.

- Toma - me dijo -. Véndelo, empéñale; haz lo que quieras. Fue un regalo de mi pobre abuela, pero me desprendo de él con gusto. ¿Qué no haré por ti?

Y estuvo a punto de llorar; pero yo le aconsejé que lo dejara para las ocho de la noche, hora en que había de volver a verla, y ella prometió aplazar su llanto, con lo cual el abanico y yo nos marchamos vertiginosamente. El abanico tenía un varillaje de nácar jaspeado, y el país de seda, con pinturas lo bastante feas para que fuesen bonitas. Estaba roto en algunas partes y ofrecía un junto muy estimable para cualquier anticuario corto de vista. Penetré en la primera tienda con un aire triunfal. El anticuario era un viejo gordo y mal encarado.

- ¡Hola! - dije familiarmente, como si conociese a aquel hombre desde la entrada de Napoleón en Mantua.

Dejé el abanico abierto sobre el mostrador y añadí: - ¡Tontería de abanico! ¿Qué? ¿Cuánto?

El viejo lo miró un segundo y lo empaquetó de nuevo murmurando: - No me sirve. Es demasiado moderno.

Le miré aterrado. Esperaba cualquier cosa menos semejante monstruosidad. - ¿Moderno? - Sí, sí, moderno. Es un abanico de mi tiempo. - No tendrá usted la pretensión de creerse moderno - le dije un poco enojado.

El viejo se alzó de hombros. - No me sirve.

Y me señaló la puerta, como si la puerta fuese una cosa digna de verse. Salí, crucé la calle e hice irrupción en la tienda de enfrente. Aquí el dueño era dueña; una mujer con peluquín y cara de imbécil de Renacimiento, que estaba embutida en un sillón. Contempló el abanico.

- Esto es muy moderno - dijo. Y me agredió con esta pregunta: - ¿Cuánto quiere? - Sesenta duros - exclamé heroico.

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La mujer sonrió como un conejo con reuma. - Seis reales - dijo. - Celebraré que le den a usted morcilla, señora.

Y pise el arroyo otra vez, pesaroso de haber expuesto tal crueldad a una dama. Felizmente aquélla era la calle de los anticuarios; diez metros más arriba se abría un establecimiento análogo. Los dueños eran dos individuos de esos cuyo encuentro a solas en una calle oscura excita a la entrega súbita de la cartera. Les presenté el abanico, ya con cierta timidez.

- ¿Les conviene? Miraron al varillaje; miraron al país.

- Esto es muy moderno. No nos vale. Y me despidieron con un gesto. En la esquina frontera había una cuarta tienda de objetos antiguos. Despachaba una joven. Dejé en sus manos el abanico sin pronunciar una sola palabra.

- Tome - dijo al instante, devolviéndomelo -. Es demasiado moderno. Entré en nuevas tiendas, mas sin lograr que me dijesen algo más original de lo que me habían dicho hasta entonces. Cuando agoté las casas de antigüedades me di a recorrer la compraventa. Idéntico resultado.

- Es muy moderno. - Es moderno. - Es demasiado moderno.

Así hasta cuarenta y seis veces. Era la una y media de la tarde; comenzaban a cerrar las tiendas. De tanto ser plegado y desplegado el país del abanico se había hecho tiras. Me sentí realmente fatigado. Pero gracias a un potente esfuerzo aún me zambullía en otro establecimiento. Detrás del mostrador se alzaba un ciudadano con patillas y cara de alfombra turca.

- Vea si le conviene este abanico. Lo miró, lo remiró; se colgó unos lentes, volvió a mirarlo. Lo examinó al trasluz y luego bajo una bombilla de cien bujías. Por último, lo extendió hacia mí.

- Es demasiado moderno - declaró, como quien ha descubierto una nueva momia egipcia.

Fue entonces cuando me senté en una silla y me puse pausadamente a encender un cigarrillo.

- ¿Desea usted algo más? - inquirió el tendero. - No, no - respondí -. Haga lo que tenga usted por costumbre; cierre la tienda,

póngase a almorzar… - Pero… - No me diga nada, amigo mío - concluí -. Me he sentado para hacer tiempo a que

el abanico sea lo bastante antiguo.

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ANNEXE 8 : EL SOMAROVA

Aquella mujer se llamaba… ¿cómo se llamaba? No lo recuerdo; pero sí recuerdo que sus padres eran de León. Vestía de un modo muy elegante, y la exquisitez de sus maneras y costumbres extrañaba mucho, casi tanto como el acto de levantarse de un tranvía para cederle el asiento a uno de la soldadura autógena. Al verme por la calle con ella, mis amigos se apresuraban a decir que me engañaba con otro; apunto este detalle para que se den ustedes cuenta de lo hermosa que era. Pero no me engañaba con nadie; os lo juro. Lentamente, yo, que acostumbraba pisar en todos los charcos los días de lluvia, a romper la contera del bastón y hacer otras cosas de idéntico mal gusto e igual de reprobables, fui volviéndome exquisito y ultrasensible como mi amada: todas las mujeres ultrasensibles y exquisitas verifican en sus amados semejante transformación. Al principio todo fue bien. Yo estaba muy satisfecho de mi cambio, de usar camisas de seda, de pintarme las uñas de las manos con esmalte rojo y las de los pies con esmalte azul; de dejarme caer en las butacas con una laxitud oriental, de fumar cigarrillos egipcios manufacturados en Inglaterra, de quemar sándalo en mi alcoba y de absorber bicarbonato diciendo que era cocaína. Pero el día en que mi amada me enseñó a beber y a preparar la bebida rusa “somarova”, colmo y empíreo de la exquisitez, aquel día comenzó a iniciarse mi desventura. Fue en su casa, una tarde en que nos aburríamos como dos rompientes de acantilado. De pronto, mi amada se había levantado y me había dicho, entornando los ojos, según la moda de Chamonix:

- Felipe… Voy a enseñarte a preparar el “somarova”. El “somarova” es una bebida rusa.

- ¡Ah! - dije sencillamente. - Aprendí a hacerla el año que estuve con mi abuelo pescando truchas en el

Volga. - ¿El Volga no es volcán? - No. Un río. - ¿Francés? - Ruso. - ¿No pasa por París? - No. La circunstancia de que no pase por París, cosa que hace todo el que se estima, me forzó a desdeñar un poco el Volga. Mi amada había empezado a preparar el “somarova” e iba dándome explicaciones. La operación era complicada. - ¿Ves? - decía -. Se exprimen un limón y una naranja en una jarrita de café, y se

le añade azúcar; se mueve bien con una varilla de cristal y con la cucharilla se retiran las pipas que hayan caído al exprimir. Se vierte en la copa de metal hielo, ron y anís, a partes iguales, y se echan en la mezcla algunos granos de

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menta y dos o tres frutas escarchadas. En el licor así obtenido se escancia el café y lo demás, y vuelve a removerse a conciencia. ¿Te das cuenta? Ahora se cogen guindas, se mojan en éter, y el “somarova” está dispuesto.

- ¿Y… ya? - Ya no falta más que beberlo. Efectivamente; mi amada cogió el vaso en forma de búcaro y se lo tomó todo de un golpe. - Pero, oye - murmuré yo -. ¿Y yo? - Hazte más. Ya sabes cómo se prepara…

Cogí el limón y lo exprimí en agua; añadí éter; junté ron, frutas escarchadas, naranja y anís; eché granos de menta y de mascar un trozo de hielo. Me hizo la impresión de que tomaba zotal.

- ¿No te gusta? Tuve el valor de no responder. Y me fui a casa. Pero al día siguiente ordené a mi doncella que me trajese media docena de pasteles, perejil, mostaza, goma arábiga en polvo, tomillo y yeso cocido. Agregué pedacitos de badana de un sombrero viejo y me encerré en mi cuarto, donde me dediqué a hacer algunas manipulaciones infernales, rellenando los pasteles. Entregué los pasteles rellenos a mi doncella, y ésta los llevó a casa de mi amada con una tarjeta: “Amada mía: Tómatelos en ayunas. Son unos pasteles llamados “ascatrocis”, que aprendí a fabricar cuando estuve con mi abuelo en Madagascar injertando flautines en palmeras. Los “ascatrocis” son exquisitos. - Tu Felipe.”

* * *

Mi amada murió aquella misma noche. Los médicos certificaron de un derrame seroso. Pero los médicos no saben una palabra de Medicina.

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ANNEXE 9 : ¡MÁTESE USTED Y VIVIRÁ FELIZ!

La oratoria es una de las fuerzas ciegas de la Naturaleza. Agradezco vivamente las felicitaciones que el lector me está dirigiendo por haber construido la frase anterior, y paso en seguida a decir por qué opino que la oratoria es una de las fuerzas ciegas de la Naturaleza. Y para decirlo del modo más claro trasladaré a estas cuartillas una curiosa historia. Oídme.

* * *

Mateos Ramos nació con el don de la oratoria, como podía haber nacido con una afección renal. No heredó aquella cualidad, pues sus padres no pudieron dejarle en herencia ni siquiera un cerebro selecto; así es que me sería dificilísimo explicar porqué misteriosas causas Mateo poseía el don de la oratoria. Pero que lo poseía era indudable. Desde la cuna, la fuerza de su elocuencia se hizo sentir eficazmente a su alrededor. Su llanto al exigir - por ejemplo - el biberón, no era un llanto como el de los demás niños, ese llanto agudo, persistente e irresistible, merced al cual cuantos lo oyen piensan en el rey Herodes con melancólica nostalgia. Su llanto era apremiante, electrizante, enérgico e imperativo, igual que un clarín. Al percibirlo, todos los de la casa se precipitaban como centellas en busca del biberón, y a los pocos segundos Mateo se encontraba con seis biberones distintos para elegir. Su elocuencia empezaba a triunfar. Y siguió triunfando. En los juegos infantiles le bastaban dos palabras para que todos los juguetes de sus amiguitos pasaran a sus manos. En el Instituto no se movía la hoja de un árbol ni la hoja de un libro contra la voluntad de Mateo. Y en la Universidad él llevaba a sus compañeros a la huelga o los encerraba en las aulas con sólo un discursillo de dos o tres minutos. De suerte que Mateo Ramos, como los churreros avezados, podía ufanarse de mover la masa a su capricho. Triunfó en la vida. Y fracasó en el amor; porque se esforzó en enamorar a las mujeres intensificando su elocuencia, nunca supo que a las mujeres se las enamora intensificando los besos. Como todo aquel que fracasa en amor, Mateo se hizo pesimista. (Es absurdo, pero cuando un hombre ve su amor rechazado por una mujer morena, en lugar de dedicarse a buscar una mujer rubia, que sería lo lógico, se dedica a decir que la vida es una comedia odiosa, la Humanidad una jaula y chacales y la Galvanoplastia una cosa importante.) Con su pesimismo a cuestas, Mateo se hizo reconcentrado y hosco; paseaba solo, llamaba idiotas a los vendedores de cacahuetes, pegaba puntapiés a los árboles y sacaba la lengua a las estatuas.

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- ¡Es un caso perdido! - pensaba yo al verle. Por aquellos días ocurrió que una Sociedad cultural invitó a Mateo a dar una conferencia en sus salones. Mateo accedió. Y declaró que el título de su charla sería este extraño consejo: “¡Mátese usted y vivirá feliz!” Me prometí no faltar al acto. El local rebosaba de público. Había expectación enorme para oír al “rey de la oratoria”, como anunciaban los programas. Cuatro gramófonos esperaban que Mateo empezase a hablar para recoger en sus discos vírgenes cuanto dijese el conferenciante. Diez minutos más tarde el acto comenzaba. Mateo Ramos prologó su charla asegurando que la vida no merecía la pena de ser vivida. Hizo observar cómo nuestra mayor razón de vivir estriba en crecer y multiplicarse, y construyó unos admirables períodos, demostrando que el crecer era una cosa aburridísima y que el multiplicarse sólo traía consigo dolores y sobresaltos. Cuando todos estuvimos bien convencidos de que crecer y multiplicarse era una verdadera equivocación, Mateo pasó a estudiar los estímulos que podemos tener los humanos para seguir viviendo. Eran éstos, según él, la riqueza, el poder, la paternidad, el amor, etc., etc.

- La riqueza no se alcanza casi nunca - dijo - y cuando se alcanza nos llena de terror al perderla y nos hace duros de corazón.

“El poder sólo lleva consigo angustias y tribulaciones - declaró - y la Muerte acaba con todo poder humano. “La paternidad - dijo - nunca puede compensarnos del dolor de ver sufrir a los hijos.

Y adujo razones y más razones que fortificaban su tesis con una elocuencia arrebatadora. Los oyentes estábamos ya hechos polvo. Casi todos llorábamos, muchos gemían a gritos.

- En cuanto al amor - siguió Mateo implacable - es una mentira gigantesca. Al año de habernos muerto la persona que nos adoraba sólo nos recuerda el día de nuestro santo. Y a los cinco años, ni el día de nuestro santo siquiera. ¿Qué nos queda, pues, para ser felices? ¡Nada, señores, nada! Por eso yo me encararía con el Hombre y le diría: “Mátese usted y vivirá feliz”. Por eso yo…

Todavía la oratoria de Mateo siguió derribando el edificio de la felicidad humana. Y su palabra tenía tal poder de sugestión que las personas del público se fueron abandonando poco a poco el salón de actos y comenzaron a suicidarse en el vestíbulo. Cada dos o tres segundos se oía un nuevo tiro.

- ¡Ya ha caído otro! - pensaba yo con angustia. Mateo seguía hablando arrebatadamente, y en el vestíbulo continuaba la racha de suicidios. Al poco rato sólo yo quedaba en el salón. Intenté resistir a Mateo, pero no pude, y salí al vestíbulo y me tiré por el hueco de la escalera.

* * *

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De las quinientas personas que habían compuesto el público de la conferencia, sólo un oficial de ingenieros y yo sobrevivimos después de tres meses de cama. Como empezaba a fulgir la primavera y como no nos influía ahora la oratoria de Mateo, ambos estábamos encantados de vivir. Una tarde, mientras merendábamos, alguien nos dio la noticia terrible:

- Mateo Ramos se ha suicidado ayer. ¿También Mateo? Yo no me explicaba aquello. Todo el mundo sabe que el que predica una cosa es siempre el único que no lo hace. Los cirujanos no se dejan operar; los farmacéuticos no consienten en tomar ninguna medicina; los cocineros apenas si comen dos o tres fruslerías; los vendedores de aparatos no oyen nunca la radio, y las gallinas no toman huevos fritos. ¿Por qué, pues, Mateo que predicaba el suicidio, se había suicidado? Me lo explicó al día siguiente el oficial.

- A Mateo - dijo - le ha convencido su propia oratoria. Parece ser que había comprado los discos de gramófono impresionados con su conferencia. Pues bien; cuando los puso en su gramola y se oyó hablar a sí mismo, la fuerza de su oratoria era tal que Mateo quedó más impresionado aún que los discos y se comió dos quilos de estricnina.

* * *

He aquí explicado por qué he dicho al principio que al juicio mío la oratoria es una de las fuerzas ciegas de la Naturaleza.

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ANNEXE 10 : UNA VIDA EXTRAORDINARIA O EL PODER DE LA IMAGINACIÓN

Cuando comencé a aburrir, que fue al acabar de besar las manos de señora y de estrechar dedos de caballero, me refugié en un rincón, hasta donde llegaba mejor el perfume de las tuberosas que el escándalo de la orquesta. Me apoyé sobre una balaustrada que caía sobre el jardín y pensé:

- He aquí todo preparado para una entrevista de amor. Es de noche; hay luna llena; el perfume del jardín sube por la escala de la atmósfera hasta esta terraza; se oye una música lejana y estoy vestido de smoking… Para una entrevista de amor clásica no falta más que una dama extraordinaria junto a mí…

Y apenas me había dicho aquello, a la velocidad terrible del pensamiento (el pensamiento, según los últimos cálculos, recorre en un segundo 7.839.456.768 kilómetros), apenas me había dicho aquello una dama apareció en la terraza y se apoyó en la balaustrada a mi vera. Era alta, muy rubia; llevaba un traje amarillo. Parecía un lápiz Fáber. Su cuerpo tenía laxitudes emocionantes, y los ojos eran grandes y ovalados; en el centro de ellos las pupilas asemejaban dos confettis azules, en los que un pintor genial y minucioso hubiera dado dos pinceladitas de purpurina. ¿Tenía veinte años o treinta? Por la frescura de la piel y la firmeza de sus líneas no se hubiera calculado más de veinte. Por la luz fatigada de sus miradas se la habrían creído entrando ya en los treinta, y tal vez sobrepasándolos. Rocé su brazo derecho con mi brazo izquierdo para tener oportunidad de decirle:

- Perdóneme… No la vi entrar. Creí que estaba solo… - Todos estamos solos aun cuando nos hallemos en medio de una multitud -

replicó ella. Y agregó como explicación: - Yo he consumido mi vida en buscar alguien que me acompañase, y todo lo que he logrado ha sido cambiar constantemente de compañía y no encontrar jamás una compañía eterna. Suspiró. Me miró tristemente y volvió a mirar a la luna, lo cual me humilló porque siempre he creído que la luna es mucho menos expresiva que yo. Pero comprendí que era necesario ponerse a tono con la honda tristeza de aquella dama y murmuré, mirando hacia las nubes:

- Eternidad… ¡oh, Eternidad! Ella me agradeció mucho aquella elocuencia y crispando una de sus manecitas sobre mi muñeca, susurró:

- Amigo mío… Usted me comprende… - No sólo la comprendo - dije -, sino que ya no podría vivir tranquilo sin

contemplar la luna reflejada en el fondo de sus ojos. Me incliné hacia ella y miré al fondo de sus ojos. No se veía la luna, porque la tapaba yo con mi propia cabeza, pero me guardé mucho de decirlo. En aquella postura permanecimos unos segundos. Al final de ellos la dama se enderezó y dijo, gravemente, rechazándome:

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- ¡Basta! ¡Basta, por Dios! - ¿Cómo se llama usted? - hablé yo sin pizca de lógica. - Valentina; pero déjeme, por Dios… No me mire más. - Valentina - exclamé yo con la entonación de un actor en la escena penúltima del

segundo acto -. Valentina… ¡Yo necesito mirarte hasta morir! - Si lo hicieras durante más de unos segundos, ya no podrías separarte de mí, y tu

vida sería un infierno. - ¿Un infierno? - ¡Espantoso!

El tono con que pronunció aquellas palabras me subyugó (Hay que recordar que era de noche, que la luna alumbraba la terraza, que hasta allí subía el perfume de las tuberosas, etcétera, etc.) Me acerqué a Valentina de nuevo y le dije de un modo imperativo:

- ¡Háblame de tu vida! Ella abrió sus ojos con terror, como si realmente hubiese puesto mi mano en una herida no cicatrizada.

- ¡Calla, calla! - suplicó tapándome la boca con las plumas de su abanico. - ¿Tan terrible ha sido tu vida que no quieres recordarla siquiera? - ¡Oh, sí! - murmuró Valentina -. Hablemos de otra cosa.

Diez minutos más tarde habíamos hablado de la dueña de la casa, de lo aburrida que resultaba la fiesta, de las teorías cósmicas de Laplace, del retraso de los trenes, de cómo se conservan las violetas para que no se mustien, del calor que hace en los trópicos, de los zapatos de brocado, de las leyes de protección a la infancia y de la influencia de Shakespeare en el Teatro sueco. Dudo que nadie haya aprovechado mejor diez minutos. En realidad, el que había hablado era yo; pero Valentina asentía a todo lo dicho. Se la veía preocupada y con el pensamiento ausente. Al rato, con esa vuelta al lugar “del suceso”, común en las mujeres y en los asesinos de ancianas desvalidas, Valentina empezó a narrarme su agitada existencia.

- Me casé joven; a los diecisiete años - declaró -, con un diplomático a quien envenenaba lentamente el whisky. Del brazo de Arnaldo recorrí todo el Oriente, y cuando le sorprendió la muerte en Yokohama, como murió de congestión inesperadamente en el cuarto del hotel, no tuve valor para afrontar la intervención del juzgado y huí a las cuatro de la mañana con un violinista húngaro que desde tiempo atrás me hacía el amor. Matías Malpouski era un hombre raro, que al interpretar determinadas composiciones sufría ataques de nervios espantosos. Una mañana, en el Pera Hotel de Constantinopla, me echó las manos al cuello en medio de un ataque, y desapareció creyendo que me había matado. Un año entero viví sola, adscrita al servicio de contraespionaje ruso. Hasta que, persiguiendo a un espía ucraniano, me enamoré de él y marchamos juntos a Sudamérica. Nos instalamos en un corte de maderas de los bosques del Chaco, y un capataz, a quien mi amor había enloquecido, mató en riña a mi compañero. El capataz robó la caja de la Compañía Maderera y me llevó con él, secuestrada, a Australia. Fue entonces cuando tuve mi primer hijo, que me fue arrebatado y depositado en el hospicio de Sidney. Al año nació el segundo chiquitín, y el capataz se le llevó, dejándome sola y desamparada.

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Horacio Forsendwey, el rey del caucho, me ofreció su mano, y un mes más tarde salíamos en viaje de bodas, hacia Siam. Mi vida de seis años junto a Horacio fue un oasis en el centro del desierto. Le amé y me amaba… Hasta que cierta tarde, en Nueva Cork, el coche de Horacio chocó en Broadway con un autobús de servicio público y Horacio murió. Viuda de nuevo, con una gran fortuna, me retiré a Escocia, y allí el amor, un amor tumultuoso me visitó de nuevo en la persona de Ramsday Love, un muchachito de apenas diecisiete años. Le hice comprender lo absurdo de nuestro amor ante la diferencia de edades. Ramsday insistió y yo volví a desengañarle. Se fue, al parecer, convencido; pero al día siguiente aparecía muerto en su cuarto. Se había suicidado por mí… Desde entonces - acabó Valentina - vago de un lado a otro, rodeada de las terribles sombras del pasado y sin hallar la dicha en ningún sitio…

Calló. Hubo una pausa. La historia de la vida de Valentina me había impresionado. Fui a decir algo, pero en aquel mismo instante una persona entró en la terraza y avanzó hacia nosotros. Era la señora de Mencheta, una insoportable dama de cuarenta y tantos años, que hablaba con una vulgaridad difícilmente imitable, y a quien solía huir al descubrirla en un salón.

- ¡Querido Ricardo! - exclamó avanzado hacia mí -. ¡Cuánto me alegro encontrar a Valentina en tan buena compañía!

Y acercándose a Valentina, la señora de Mencheta la tomó por la barbilla materialmente. - ¿Verdad que es muy linda? - me dijo. - Extraordinariamente linda. - ¡Hija mía! - habló, besando a Valentina -. ¿Quién dirá que no tiene más que dieciocho años? - ¿Dieciocho años? - pregunté, sin comprender nada de todo aquello. Justo.

- ¡Dieciocho! Si hasta el mes pasado no ha salido del colegio de monjas francesas… Su padre y yo hemos preferido que completase bien su educación, y hoy, Ricardo, hemos puesto de largo a Valentina por primera vez y la asomamos a los salones… Quiera Dios que no se case pronto… ¡Cuesta tanto separarse de las hijas!...

Miré a Valentina. Tenía los ojos clavados en el suelo; por las encendidas mejillas rodaban dos lágrimas abrasadoras. No supe qué decir y bajé a fumar un cigarrillo.

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ANNEXE 11 : LA UNIVERSIDAD DE HERBY O LOS ENCANTOS DE LA DEMOCRACÍA

La Universidad de Herby era exactamente igual a cualquiera otra de las Universidades enclavadas en territorio de los Estados Unidos, sólo que tenía las fachadas pintadas de encarnado. En la Universidad de Herby se jugaba al fútbol, se bailaba, se bromeaba, se montaba a caballo, se hacía esgrima y boxeo, se flirteaba y no se estudiaba, prque realmente se carecía en absoluto de tiempo para ello. Alumnos y alumnas se guardaban los respetos y las diferencias naturales en las gentes bien educadas. Y los profesores alternaban con los alumnos, ya para explicarles el binomio de Newton, ya para aclararles las nebulosidades de la Lógica, ya para organizar un concurso de natación o un match de boxeo, ya para cazar mariposas o comer sandwichs, hamburgers y hot-dogs. La Universidad de Herby era un centro educativo perfecto, lleno de democracia norteamericana, de rubias-platino, de optimismo y de evónimos. Idénticos gastos y aficiones enlazaban a los alumnos y a los profesores, y el fútbol, o el triunfo en el ring de Joe Louis o la muerte de “Baby Face” preocupaba lo mismo a unos que a otros. Si los profesores eran superiores a los alumnos, obedecía esto a que sabían más que ellos, y si las muchachas eran superiores a los muchachos, la superioridad nacía de que eran más hermosas. En Herby sólo los méritos daban superioridad. Aquello era un paraíso reglamentado y sujeto a un horario inflexible. Sólo así se comprende que el día 7 de abril no ocurriese en Herby una catástrofe. Os contaré lo ocurrido rápidamente, porque tengo que ir al teatro y el tiempo apremia. El día 7 de abril, Frank Treesvelt, Presidente de la República, y el ministro de Educación, visitaban, amablemente guiados por el honorable Elías Compton, rector de la Universidad, las diferentes instalaciones de Herby. A las once y dos minutos de la mañana, Mr. Treesvelt, el ministro, Compton y el acompañamiento se hallaban visitando las cocinas. Y en aquel mismo instante, el profesor Ramsay explicaba a sus alumnos la lección 37, de Álgebra superior cando… En medio de un teorema complicado se oyó un maullido de gato famélico. El profesor Ramsay se volvió vivamente a sus alumnos e interrogó sin alterarse:

- ¿Quién ha hecho el gato? Nadie contestó. El profesor agregó con serenidad:

- En Herby, señores alumnos, no hay un solo gato. ¿Quién de ustedes ha maullado?

Y como en la Universidad se enseñaba que la mentira envilece al hombre, el alumno Honorio Pringue se levantó para decir:

- Yo he sido el que ha maullado. - ¿Con el objeto de burlarse de mí? - indagó Ramsay. - Sí, señor. Con ese objeto y con ese otro objeto.

Y enseñó un pito de papel. - Pase usted a mi despacho.

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Pringue pasó al despacho de Ramsay y Ramsay le siguió. - Lo que usted ha hecho se merece esto - dijo el profesor.

Y echándose sobre Pringue, le dio diez puñetazos en cada ojo. Luego, profesor y alumno volvieron a clase tranquilamente. Pero no faltó quien expusiera lo ocurrido al honorable Compton, y al tener noticia de ello, el rector llamó al profesor Ramsay en su despacho.

- Profesor - le dijo -, ha corregido usted la grosería de un alumno y eso es meritorio. Pero también es verdad que usted ha pegado a un hombre, y eso merece un castigo. Yo le impongo el castigo, profesor Ramsay.

Y lanzándose contra el profesor Ramsay, el honorable Elías Compton le colocó catorce porrazos en la nariz y diecinueve en las mandíbulas. Terminado lo cual, ambos volvieron a sus ocupaciones. La ocupación perentoria del rector era contarle lo sucedido al ministro de Enseñanza, y así se apresuró a hacerlo. El ministro tuvo frases de caluroso elogio para Compton.

- No obstante - dijo por último -, usted ha pegado al profesor Ramsay, que es un sabio matemático, y es usted acreedor de docenas de golpes.

Y el ministro de Enseñanza le propinó las dos docenas de golpes a Compton, exactamente distribuido por todo el cuerpo. Entonces el presidente Frank Treesvelt intervino:

- Muy bien, ministro. Ha cumplido usted su deber. Pero el hecho de pegar a un rector de Universidad es punible. Soy el Presidente de la República y debo dar ejemplo de justicia a mi país… Colóquese bien, que le voy a boxear el estómago.

Y, con gran precisión, el Presidente Treesvelt le atizó veintiséis puñetazos al ministro de Enseñanza. Hecho lo cual, el Presidente Treesvelt se colocó ante un espejo y habló así:

- Frank: has hecho lo que debías, como te enseñó tu padre y tu lejano tío Heliodoro. No obstante, el deber te ha arrastrado a pegar a un ministro de Enseñanza, y eso, en un país democrático, es una grave falta. Voy a castigarte…

Y el Presidente Treesvelt se arreó un puñetazo tan terrible que desde entonces anduvo ya mal de la cabeza, pronunció discursos sensacionales todos los jueves y dijo a todo el que le quiso oír que él iba a arreglar el problema social, económico y político del Mundo.

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ANNEXE 12 : EL CONSEJO

Al abrir la puerta, la doncella lo miró de arriba abajo: como se mira a los mendigos y a las estatuas griegas. En seguida se apresuró a decir: - No sé si el señor podrá recibirlo… Y se esfumó en el pasillo que con respeto al organismo de la casa, era un esófago tapizado de damasco apócrifo. Pero no se trataba de un mendigo, ni de una estatua griega. Se trataba de un ciudadano - provisto de cédula personal y de fiebres intermitentes - que en el Registro Civil se distinguía por los apelativos de Mateo Mariano José Federico Luis González Garruste, y que estaba en la más absoluta miseria. Aquel martes 8 de marzo, González, atacado de paludismo, oscilaba entre la desesperación y la fiebre de cuarenta grados. Había vagado por la ciudad durante horas enteras, y nadie le había dado un céntimo ni un consuelo. A la caída de la tarde, rendido ya, Mateo se metió en el domicilio de un antiguo amigo a solicitar un socorro. Sus proyectos debían de ser tan claros, que la doncella anunció a su amo: - En el despacho hay un hombre que pregunta por el señor. (Porque en la vida de los hombres, para retratar a un ser desdeñable, se dice “un hombre”).

* * *

- ¡Hola! -dijo Arístides, el antiguo amigo, al enfrentarse en su despacho con Mateo. - Hola, Arístides -contestó el otro, envuelto en esa clase de timidez tan frecuente en los conejos de monte. - ¿Qué te trae por aquí? - Pues ya ves… Pasaba por ahí cerca… - … Y te dijiste: “Voy a saludar a Arístides.” - Eso es - corroboró Mateo, persuadido de que aquel principio no podía conducir a nada bueno. Hubo una pausa pesada. El atardecer se arrebujaba en nubes. Las calles se teñían de gris. Mateo se armó de valor. Y murmuró: - Perdona, Arítides; pero he venido porque… Se detuvo como si llevase una bujía engrasada. Luego siguió: - … Porque… Estoy enfermo. Tengo fiebre, ¿sabes? - ¡Hombre! - borbotó Arítides, detrás de su puro humeante -. ¡Vete a acostar inmediatamente! Para las fiebres no hay nada mejor que meterse en la cama. - Es que no tengo cama, Arístides. Pero Arístides no quería entender lo que se decía, y agregó jovialmente: - ¡Qué demonio de Mateo! ¡Siempre con tus extravagancias! Ahora resulta que has prescindido de tener cama… ¡Eres incorregible!

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- Sí. Soy incorregible - murmuró el otro, sumergido en una tristeza infinita. Y volvió a la carga de este modo: - Hace tres días que no como. - Pues te vas a hacer polvo el estómago. Juega con esas cosas y verás… Cuando yo digo que no tienes arreglo… - Y duermo en los portales de la Plaza Mayor… - ¡También es capricho! - reprochó Arístides con semblante severo. - Desde anteayer no me acuesto entre sábanas, y voy de un lado a otro de la ciudad bajo el frío y bajo la lluvia. - ¿Y todavía te extrañas de tener fiebre? Lo que no sé es cómo no te has muerto de una bronconeumonia. Es preciso que cambies de manera de ser. Mateo decidió entonces quitarle a Arístides todas las ocasiones de irse por la tangente. - ¿Cómo he de cambiar? - gruñó -. Si hago cuanto te he dicho es porque no tengo ni un céntimo. - ¡Vaya, hombre! Pues hay que tener dinero. El dinero es la palanca del mundo. - Ya lo sé. - Entonces, ¿por qué te obstinas en no tenerlo…? Una nueva pausa. Mateo González disparó la frase inapelable: - He venido a que me des unas pesetas, Arístides. Tú no puedes dejarme morir de hambre y de enfermedad en medio de la calle. Eres rico. Eres un viejo amigo. Te pido ese dinero a guisa de préstamo. Arístides se agitó en su sillón sin acertar a replicar nada por el momento. Se acarició la barbilla, frunció las cejas, se inclinó sobre el ventanal para contemplar la calle. Por fin se volvió hacia Mateo, como iluminado por una idea feliz. - Es deplorable; es muy deplorable eso que te sucede - dijo -. Es francamente deplorable. Es deplorabilísimo. Y la verdad, Mateo, me das pena… Mateo se levantó indignado: - ¡Ya comprendo que debo darte pena! Pero, pobre y caído, no te toleraré humillaciones. Arístides se levantó también y apoyó una de sus manos en el hombro izquierdo del naúfrago. - Veo que no me entiendes -aclaró -. Me das pena, pero no por tu situación. Por lo que me das pena es porque te encuentro acobardado e incapaz de un arranque viril. Estás en la miseria… ¿Y debes conformarte con estarlo? ¿Debes recurrir a la petición? Eso entraña una cobardía. La vida es una lucha: un enorme campo de batalla; un sitio donde uno no debe rendirse. Todo combate en la vida: los animales, los elementos, los hombres. Hay que luchar. Yo soy un luchador, y al hombre que me dijese “No tengo” le contestaría “Robe usted”. Resignarse es morir. No te resignes nunca, Mateo. Y dispensa si ahora no puedo remediarte, pero este mes he tenido muchos gastos y nada puedo hacer por ti. Lo siento. Te juro que lo siento, y si… Lo fué empujando, empujando, y cuando Arístides acabó de hablar, Mateo se encontró en la escalera de la casa. Tuvo una crisis de dolor y de lágrimas. Llegó hasta el portal gimiendo como un sommier desvencijado. El viento frío de la noche le abarquilló el ala del sombrero y le heló los bronquios.

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Entonces su dolor se convirtió en furia. Pateó la acera en medio de insultos feroces para Arístides, y, si no logró que su amigo oyera los insultos, por lo menos consiguió que los propios pies le entraran en calor. Por último, se calló. Sacó un papel del bolsillo, escribió en él unas líneas y volvió a subir a casa de Arístides. Abrió la misma doncella; lo pasaron al mismo despacho…

* * *

Y cuando Arístides fué al despacho por segunda vez al encuentro de Mateo, y con el ceño mucho más fruncido que antes, se encontró con que en el despacho no había nadie. Mateo González había aprovechado los instantes en que la doncella le dejara solo para marcharse, poniendo un papel escrito en sitio bien visible. Y en el papel Arístides tuvo ocasión de leer lo siguiente: “Querido Arístides: Tienes mucha razón. Resignarse es de cobardes. Me has convencido. Al que diga a uno “No tengo” debe contestársele “¡Robe usted!”. Te acabo de robar las dieciséis libras esterlinas que tenías en la vitrina del despacho. He hecho cuentas. La libra esterlina se ha cotizado hoy en Bolsa a 41,50. Resulta, pues, que de este robo voy a sacar 664 pesetas. No me negarás que para la primera vez es un verdadero éxito. Gracias de todo corazón. Un abrazo de Mateo. Nota. - Lamento haber tenido que romper el cristal de la vitrina, aumentando con ello tus gastos de este mes. Pero, chico, no había más remedio.”

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ANNEXE 13 : NOCHE DE SÁBADO

Mi amiga, la exquisita Georgette Desvremail, me tomó del brazo izquierdo y murmuró: - Ven, Mauricio… Me llevó hasta el ventanal cruzando de norte a sur la habitación, y cuando los dos estuvimos de cara a la noche, que embadurnaba a la ciudad, Georgette me preguntó: - ¿Qué hora es? - Las doce - repuse, después de hacer varios cálculos tomando como base la altura de las estrellas, el color de la luna y mi reloj de pulsera. Ella enarcó sus cejas sutiles, entornó los pétalos que le servían de párpados, respiró ansiosamente las emanaciones de gasolina que subían de la calle y, echando hacia atrás su cabeza, murmuró: - Las doce… Y hoy es sábado… ¡Las doce! ¡Noche de sábado! ¡¡Las doce!! ¡La hora de lo misterioso y de lo sobrenatural! ¡¡Oh!! Y fué a caer desmayada en un silloncito; pero antes de que ocurriera, yo retiré vivamente el sillón y, en vista de ello, Georgette no se desmayó.

* * *

Verdaderamente, nadie dejará de pensar que procedí de un modo perverso retirando el sillón en que se disponía a caer desmayada Georgette. Por eso voy a declarar ahora mismo que yo no retiré el sillón para que Georgette se diese un porrazo contre el parquet, sino porque tenía la seguridad de que mi amiga no se desmayaría si notaba la posibilidad del porrazo. Georgette Desvremail no era, ciertamente, una mujer excepcional. Era una histérica, entendiéndose por ello el verdadero histerismo: esto es, predominio de la sensación sobre el razonamiento, propensión a exagerar la realidad, egolatría, exclusivismo, prurito de aparecer como víctima, etc., etc. Varias veces intenté zafarme de la influencia que Georgette ejercía sobre mí, y otras tantas fracasé, como si hubiese intentado establecer una tómbola en las alturas del Himalaya. La vez última había consultado el caso con un amigo médico: Teodoro Pineal. - ¿Quieres renunciar a elle porque es una histérica? - me preguntó -. Entonces renuncia a todas las mujeres del mundo. Enamórate del Álgebra, de la Física o de la Geografía Postal, pero no te enamores de ninguna mujer, porque no hay una sola que no sea histérica. La diferencia está en que unas son histéricas-morenas y otras, histéricas-rubias. Y yo, que creo a ojos cerrados en Teodoro y en el sulfato de quinina, seguí amando a Georgette.

* * *

La escena que siguió al conato de desmayo fué terrible. Gerogette me llamó Landrú, monstruo antediluviano e idiota. Yo la contesté aconsejándola baños fríos, y esto, en

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lugar de calmarla, la irritó más. Y cuando parecía que la rabia y la desesperación iban a hacerla estallar como una bomba de trilita, Georgette vino hacia mí y me dijo dulcemente, haciendo una transición: - Llévame a la calle. Mauricio. Es noche de sábado. Quisiera correr aventuras espantosas y sobrenaturales esta noche. Los espíritus maléficos, las brujas y los trasgos andan sueltos… El terror me agarrota, y al mismo tiempo me atrae… ¡Vamos! E hizo ademán de dirigirse a la puerta. - Escucha, Georgette - la dije, interponiéndome entre la puerta y ella -. Lo que pretendes es una estupidez, que no califico porque no soy catedrático. Hasta hoy me he sujetado a tus caprichos, pues odio los seguros de vida y las discusiones; pero no estoy dispuesto a que salgamos esta noche de casa a buscar unas brujas, unos trasgos y unos espíritus maléficos que no existen más que en tu imaginación y en algunas aldeas del Cáucaso, según se entra a mano derecha. - Es decir ¿que te niegas a acompañarme a correr aventuras sobrenaturales y espantosas? - Me niego a que hagamos el burro por Madrid - repliqué de un modo acaso un poco vulgar. Georgette dió tres alaridos en si bemol y se retorció los dedos, desesperada; volvió a llamarme monstruo ante(i)diluviano; se dejó caer en diecisiete sillones diferentes; lloró; golpeó el suelo con sus zapatos; volvió a llorar y a gritar, y, por último, logró levantarme dolor de cabeza y sacarme de quicio. - ¿Qué es lo que quieres? - rugí, por fin. - ¡Me parece que te lo he dicho bien claro! - chilló Georgette. La cogí de la mano y la arrastré fuera de la estancia. Segundos más tarde estábamos en el jardín y a la puerta del garage. Elegí el coche grande, invité a Georgette a subir y me acomodé a su lado ante el volante. - Manda abrir la verja - me dijo. - No hace falta. Di marcha, atravesamos el jardín como un rayo y precipité el coche contra la verja, que se vino abajo con estrépito. Georgette emitió un grito de espanto. - Tranquilízate - le dije -. No hemos hecho más que empezar. Ahora vamos a apagar los faroles. - ¿A apagar los faroles? - Sí. Verás que emocionante. Y llevando el auto a toda marcha por el centro del paseo, comencé a correr en zig-zag, haciendo que cada vez que nos metíamos en la acera tirásemos un farol al suelo; luego viré en redondo, y como el paseo estaba ya a oscuras, me fué fácil chocar con tres coches pequeños, que fueron a para a las fachadas de las casas. Georgette lloraba de terror y lanzaba agudos gritos; pero yo la hacía el mismo caso que si fuera un ventrículo. Pronto corrimos por la carretera. Llevábamos una velocidad infernal y yo estaba satisfechísimo. Al descubrir la casilla de un peón caminero, me dirigí rectamente a la puerta, la forzamos, atravesamos el interior y salimos al campo por la pared frontera. Georgette se tapaba los ojos y rezaba a la Virgen de los Desamparados. No tardó en interrumpir sus oraciones para decirme, con angustia: - ¡Un paso a nivel!

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Y para añadir en el límite del horror: - ¡Esta cerrado! ¡¡Viene un tren!! ¡¡¡Frena!!! Por toda respuesta, pisé a fondo el acelerador. El auto se lanzaba en las rectas como un obús y tomaba las curvas con verdadero apetito. El tren apareció rugiente. Nosotros avanzamos furiosos, y en un vértigo rompimos la barrera del paso a nivel y cruzamos de un salto la vía. La locomotora, que nos cortaba el terreno por la derecha, se llevó por delante el baúl, el faro-piloto, los neumáticos de repuesto, la matrícula y los guardabarros de la parte posterior del automóvil. Georgette se había sentado en el suelo del coche para no ver aquellas cosas terribles. La obligué a levantarse nuevamente y le advertí: - Fíjate bien; ahora viene lo más bonito. ¿Ves aquel precipicio que hay allá, a la izquierda? ¡Verás cómo caemos en él de cabeza…! - ¡No! ¡No! - gritó Georgette, que ya no se acordaba de que aquella noche era sábado. Pero nada podía contenerme. Hice un brusco viraje y lancé el auto al barranco.

* * *

En el pasillo de la clínica, cuando nos trasladaban a Georgette y a mí a la sala de operaciones, se cruzaron nuestras camillas. - Salimos a correr aventuras sobrenaturales y espantosas, Georgette - la dije -. ¿No crees que se cumplieron tus deseos? - Efectivamente; todo lo sucedido ha sido espantoso - repuso -; pero no sobrenatural. La expliqué: - Lo sobrenatural ha sido, amiga mía, que no nos hayamos muerto ninguno de los dos. Georgette no contestó nada. Pero desde aquel día, los sábados no sale nunca de noche y se retira a sus habitaciones a las doce menos cuarto en punto.

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ANNEXE 14 : ¡POR DIOS, QUE NO SE ENTERE NADIE…!

Una tarde de febrero, “ella” se dejó olvidado su bolso en un banco de la estación del Metro del Príncipe de la Vergara, y “él” se apoderó del bolso, porque los bolsos de mujeres le atraían de singular manera. Y en el interior - de seda color azul góndola - encontró diecinueve tarjetas de visita. En una de ellas leyó: ASUNCIÓN IRIGARAY CEAS VELÁZQUEZ, 214 Las dieciocho tarjetas restantes decían lo mismo. Al día siguiente devolvió el bolso a la señorita Asunción Irigaray Ceas, junto con una carta en la que cinco borradores consecutivos le permitieron contar lo ocurrido con bastante soltura, mezclando acertadísimos párrafos de galantería insoportable. La respuesta de Asunción vino treinta horas después. La señorita de Irigaray dedicaba a Mariano tonelada y media de frases amables, le agradecía en el alma el envío del bolso y le preguntaba cuál era su poeta preferido. Esto último obligó a Mariano - que no conocía la labor de ningún poeta - a visitar a su amigo, el popular escritor Elías Ranch. - Mira, Elías - le dijo -, vengo para que me digas cuál debe ser mi poeta preferido. Una señorita me lo pregunta y como yo no entiendo una palabra de literatura… Elías advirtió a Mariano que Garcilaso era el poeta preferible. Y Mariano pudo comunicar a la señorita de Irigaray que su poeta preferido era Garcilaso. La muchacha replicó con otra carta hablándole de pintura. “¿Y a usted qué pintor le gusta más?”, acababa diciendo. Para poder opinar decentemente, Mariano se vió obligado a visitar a un pintor famoso que le ilustrara en la materia. Dos días después, visitaba a un músico por la misma causa, y luego a un escultor, y a un ingeniero de minas, y a un perito electricista, y a un vidriero, y a un encuadernador… La correspondencia con la señorita de Irigaray comenzó a hacérsele penosa a Mariano. Era terrible la cantidad de conocimientos necesarios para dialogar con aquella muchacha. Y para evitar semejante suplicio, para evitar esa lucha por la cultura, Mariano le declaró su amor a Asunción. Entonces ya no se ocuparon ambos más que discutir cuándo y dónde y de qué forma debían celebrar su primera entrevista.

* * *

- ¿Nos reunimos en una chocolatería? - indagaba Mariano en la carta décimo-sexta.

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- No, no - respondía Asunción -. Nos vería la gente juntos y pensarían mal.

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- ¿Y por qué no en la calle? Para conocernos, yo llevaría un clavel en la solapa, y usted, zapatos de charol… - Imposible. Los zapatos de charol no están de moda.

* * *

- ¿En un partido de fútbol? - Odio el fútbol.

* * *

- Tomaré un palco para un cinematógrafo y dejaré a usted el número del palco en la taquilla. - Inaceptable, porque el cine estropea la vista.

* * *

- Podemos coger el correo de Barcelona y apearnos en la estación de Meco, que está siempre desierta. - Jamás. El farmacéutico de Meco es amigo de casa.

* * *

- ¿Y si nos apeamos en Torrejón de Ardoz? - Medio Torrejón me conoce.

* * *

- ¿Guadalajara? - He vivido diez años y soy conocidísima.

* * *

- ¿La conoce a usted alguien en las islas de Hawai? - Mucha gente. Mi padre es de allí. Mariano pensaba ya en emigrara, cuando Asunción, con incongruencia encantadoramente femenina, le escribió: - “Alquile usted un saloncito en una casa honorable y contando con los dos somos personas dignas y con que debemos conocernos alguna vez personalmente, allí nos reuniremos. Pero es preciso que no se entere nadie, que no nos vean entrar ni salir. La fama de una muchacha soltera es frágil. ¡Por Dios, que no se entere nadie!”

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Y Mariano se apresuró a buscar el saloncito. Lo alquiló en una calle aristocrática y solitaria. Además le aconsejó a Asunción: - “Nuestras visitas deben ser de madrugada, que es la hora más discreta. Usted puede salir sigilosamente de su casa y reunirse conmigo sin ser vista. La espero el martes en un taxi en la esquina de la calle Uzcudum. ¡Quiera Dios que sea usted la mujer ideal con que yo sueño para esposa!”

* * *

El martes de madrugada, Mariano esperaba, en la esquina de la calle Uzcudum, encerrado en un taxi. A las catorce pesetas y ochenta céntimos llegó Asunción. Una mano enguantada que abre la portezuela, una oleada de perfume: - ¡Usted, Asunción! - ¡Usted, Mariano! Y los dos cayeron hacia atrás, porque el auto arrancó bruscamente. - Esperaba con ansia este momento - dijo Mariano, que no era un hombre demasiado original. - Yo también - susurró ella. - En estos instantes me siento completamente feliz. - Yo, también. - Querría que nuestra mutua dicha fuese eterna. - Yo, también. - Estoy emocionadísimo y me he venido sin corbata. - Yo, también. Mariano comprendió que el diálogo resultaba algo monótono, pero se sentía sin fuerzas para enderezarlo, como esos comediógrafos que sufren en la busca y captura de un rasgo de ingenio al través de treinta cuartillas de réplicas. El auto filaba velozmente. Asunción emitió asustada: - ¿No se enterará nadie? - No. - ¡Por Dios, que no se entere nadie! He dejado a mis padres dormidos. - ¿Dormidos? - Sí. Como he salido de casa a las tres de la madrugada… - Claro…, claro… ¿Sus papás se acuestan temprano? - Sí. A las once en punto. - Y madrugarán, naturalmente… - Sí, madrugan. Mi padre usa dentadura postiza. - ¡Ya! No podía decirse que aquello tuviese mucho interés novelesco ni amoroso. De súbito el coche quedó inmóvil. - Hemos llegado - anunció Mariano innecesariamente. - ¡Que no se entere nadie, por Dios! - aulló Asunción todavía, antes de apearse. - Descuide, descuide. Mariano pagó rápidamente, ambos cruzaron la acera y quedaron inmóviles ante el sereno que se ocupaba de abrirles el portal.

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- ¡Virgen Santa! ¡El sereno! - Tápese el rostro con el cuello del abrigo… Unas breves palabras, una cerilla encendida y el sereno que cerró el portal tras ellos. Al quedar solos, Mariano creyó desmayarse. - ¿Qué le ocurre a usted? - inquirió Asunción. - Este portal - anunció él con espanto - no es el nuestro. - ¿Qué? - Como las dos casa son iguales y yo no he venido más que tres veces, nos hemos equivocado. Esta casa es la número 9; yo he alquilado el saloncito en la número 7. Hubo un silencio en que un Esquilo hubiese envidiado para una de sus tragedias. Mariano intentó abrir la puerta con su llave; no entraba. Llamó con voz suave por el agujero de la cerradura: - Serenoooo… Luego vociferó: - ¡¡Sereno!! - ¡Chist! ¡Calle! - suplicó Asunción -. ¡Van a oírle! - ¿Y si no me oyen para qué quiero llamar? Entonces Asunción se sentó en el suelo y lloró. Mariano se paseaba en la oscuridad y se pegó tres veces contra el arranque del barandado de la escalera. Después gimió seis “¡madre mía!”, y Asunción intercaló su frase predilecta: - ¡Por Dios, que no se entere nadie! Cerca de ellos se abrió una puerta y una dama, teñida de modo imperfecto les abordó. - No podemos salir a la calle - explicó Mariano. - Pues no salgan ustedes, criaturas. ¡Quédense en casa! ¿Dónde se está mejor que en el hogar? Y desapareció. Pero la puerta de enfrente expulsó al portal a un caballero grueso. - Éstas no son horas de dar voces por las escaleras - advirtió. - Es que no podemos salir… - ¡Ah! Yo no tengo llave del portal; pero llamaré al sereno. Y durante media hora aulló por la cerradura y golpeó la puerta de la calle con pies y manos. Cinco vecinos más surgieron en su auxilio. Entonces se descubrió que el sereno se había dejado la llave puesta por fuera y que la salida era imposible. Acudieron otros ocho vecinos, provistos de extraños objetos, con los que pegaron rudamente en la puerta. Los alaridos llamando al sereno se oían en todo el barrio. - Debe de estar en la taberna. - Llamaremos desde un balcón. Cuatro hombres de buena voluntad se reintegraron a sus casas para seguir gritando desde los balcones. Los del portal charlaban con animación. - Yo protejo a todos los enamorados - declaraba el señor grueso. A las cuatro y media el sereno abrió la puerta. Se le hizo una ovación entusiasta. Luego se le explicó lo ocurrido. - Entonces - le dijo a Mariano - usted es el caballero que ha alquilado una habitación en el 7…

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Y mirando a Asunción agregó: - ¡Hum! No hay como Madrid para ver líos gordos… La comitiva se puso en marcha hacia el 7. Todos los vecinos del 9 despidieron a Mariano y a Asunción amablemente y les desearon la felicidad más completa. El sereno les dió otra cerilla y también hizo votos por su dicha. Pero nuestros amigos se suicidaron de vergüenza aquella misma noche.

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ANNEXE 15 : UN ASUNTO DE NOVELA

Aquel año, durante la temporada de verano, había yo llevado a la aldea al ilustre Ismael Margut. Se lo tenía ofrecido desde hacía bastante tiempo. - Querido Margut: le tengo que llevar un verano a la aldea - decía yo. - ¡Oh! Iré con muchísimo gusto - respondía él estrujándome los dedos de una mano y enseñándome toda la dentadura, sistema con que las personas civilizadas demuestran su satisfacción. Y añadía, invariablemente, resoplando, pues estaba muy grueso: - Allá en la aldea encontraré asunto para una nueva novela… Porque había olvidado advertir que Ismael Margut era novelista psicológico, y nadie ignora que los novelistas psicológicos consumen su existencia buscando asuntos para novelas y específicos para adelgazar. Cuando Ismael Margut llegó a la aldea, iba lleno de ilusiones, de cuartillas y de datos equivocados. Por ejemplo: se extrañó mucho de que allí no hubiese ninguna librería. - Entonces - me preguntó más desolado que la Siberia - mis novelas, ¿no se venden aquí? - No, señor - me atreví a contestarle -. Aquí el centro del mercado pertenece a la manteca de vaca. Abrió dos ojos como la Caja Postal. - ¡Dios mío! ¿Y cómo se las arregla esta pobre gente para leer mis libros? - volvió a interrogar Ismael, para el que no existía nada en el mundo fuera de sus libros y de la ternera “a la polonesa”. No tuve valor para asegurarle que “aquella pobre gente” vivía muy a gusto sin leer sus novelas, y mentí con piedad de madre abadesa: - Cuando quieren comprar sus libros, suben a Oviedo. No hay más que tres horas de tren. - ¡Oh, oh! - protestó Margut -. Tendré que hacer un artículo en mi periódico pidiendo al Gobierno que organice entre la capital y los pueblos de la provincia una línea de autobuses para la venta ambulante de novelas. Da pena que estos buenos aldeanos se vean obligados a subir a Oviedo para comprar mis libros. Es muy sensible… Y vertió dos lágrimas que cayeron al suelo para, una vez allí, facilitar el desarrollo del heno. Pero no debía ser aquella la única desilusión que había de soportar el ilustre Ismael Margut. Observé que a las seis horas de llegar a la aldea se aburría como una cornucopia, y le llevé a la tertulia de la botica. En una habitación contigua al saloncito de despacho se reunían diariamente el boticario, el cura, el médico y veintiséis frascos de jarabes simples. De camino hacia la botica, Ismael iba alegre y feliz; daba puntapiés a las piedrecitas que hallábamos al paso y tarareaba cuplés absolutamente reñidos con su seriedad literaria. - ¿Dice usted que el boticario es hombre aficionado a la lectura? - Sí. Ha estado tres años suscrito a “La Gaceta del Apicultor”. - ¡Ah! Muy bien, muy bien…

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Y administraba un puntapié gigantesco a una piedrecita. Por fin, no puedo callar más tiempo la idea que le rondaba el cerebro y se detuvo en seco: - Dígame… ¿Y usted cree que el boticario habrá leído mis libros? - ¿Quién no, maestro? - le repuse para hacerle la vida agradable. Pero el boticario no sólo no había leído sus libros, sino que cuando yo pronuncié el nombre del ilustre novelista, me oyó como quien oye un gargarismo. - Muy señor mío… ¿Quiere usted acompañarme a jugar al tute? - fué todo lo que le dijo al estrecharle la mano. Margut no sabía jugar al tute y sufrió bastante durante la velada. Cuando Ismael se hubo convencido de que en la aldea era tan desconocido como monsieur Briand, se refugió en la idea de escribir una nueva novela y se lanzó a la caza a lazo del asunto. Pero el asunto, como esos pasadores del cuello que se nos caen en el momento álgido de nuestra toilette, no aparecía. Yo veía a Ismael desesperarse sin poderle remediar aquella desesperación. Pronto comenzó a vivir una vida incongruente y absurda, que me hacía pensar en la muerte como en una liberación, que dijo Mazarino. Se acostaba de madrugada; se levantaba diez o doce veces durante la noche; me obligaba a mí a levantarme y, cuando habíamos andado un par de leguas por el campo, a la luz de la luna, decía: - Volvamos a casa, amigo mío. No encuentro ese asunto, ¡no lo encuentro! ¡Oh! ¡No sabe usted lo que sufrimos los artistas en la concepción de nuestras obras!... Y encendió un cigarro de mi petaca. En la mesa y durante las comidas los malos ratos eran más intensos. Había decidido que lo único que excitaba su imaginación era la langosta a la mayonesa, y me estaba francamente arruinando. Alguna palabra mía, en la que iba encerrada una protesta, le hacía decir: - ¡Oh, querido amigo! Usted no escribe, usted no sabe lo que es esta terrible lucha por el hallazgo de un asunto… Una tarde, el espectáculo de unos mozos que iban de romería, le obligó a exclamar: - ¿Ve usted? De ahí esperaba yo sacar un asunto, de estas costumbres ancestrales, sencillas y poéticas… ¡Y no lo encuentro, no lo encuentro! Pero, Dios mío, ¿dónde encontraría yo ese asunto?... Siempre he oído decir que en las aldeas había asuntos magníficos: la vieja que vive aislada en una cabaña y todos la tienen por bruja, que aparece por fin muerta misteriosamente en su chiribitil… El joven que se disputa con otro el amor de una muchacha, y de madrugada es hallado en la orilla de un riachuelo, ya frío y rígido… ¿No habrá aquí uno de esos asuntos? Usted ¿no conoce ninguno? - Sí, señor - dije resueltamente -. Conozco uno. - ¿Uno? ¡Hable, hable, amigo mío! - Se trata de un idiota que va a pasar una temporada con un amigo suyo… y que no le deja de vivir a fuerza de decir y de hacer tonterías… Margut me miraba con recelo. - Un día - seguí yo - durante cierto paseo, el amigo comprende que todo aquello está durando demasiado. Y entonces concibe la idea del crimen. ¡Sí! Matará a aquel idiota y será feliz al cabo… Y el amigo saca un cuchillo de la vaina…

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En el mismo instante me eché mano al bolsillo para sacar el pañuelo - juro que fué para sacar el pañuelo - y con gran sorpresa vi que Ismael Margut daba un grito gutural y escapaba corriendo desesperadamente. Tomó el tren aquella misma noche. Pero yo, ni me lo expliqué ni me lo explicaré nunca, pues acababa de proporcionarle un gran asunto de novela.

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ANNEXE 16 : LA RECEPCIÓN DE LOS TRES REYES MAGOS

“Mis amigos estaban tan borrachos que iban dando vivas al maestro Alonso. Mis amigos eran ocho o nueve; puede que fuesen menos, tres o cuatro; pero no estoy muy seguro, pues no sé qué extraños fenómenos se verificaban en mis pupilas que una vez me parecía que mis amigos eran siete, otras que eran catorce y otras que no eran más que dos. Anticiparé que, sin embargo, yo no estaba borracho; soy una persona seria que no bebe más que agua de Mondáriz y, alguna vez, vitriolo. Pero sólo alguna vez, y de tarde en tarde. Habíamos recorrido varios “cabarets”, estos sitios tan aburridos, y todos nos tambaleábamos, acaso por culpa de la mala pavimentación. De vez en cuando, al encontrar bajo nuestros pies un adoquín a medio levantar, todos tropezábamos con tales ímpetus, que hubo calle que la recorrimos en vuelo planeado. Entonces solía suceder que aterrizábamos de cabeza entrando no se sabía por dónde en un nuevo “cabaret”, del que nos echaban al poco rato dando muchas voces y dirigiéndonos unas palabras que nosotros, por fortuna para los que las pronunciaban, no comprendíamos bien. Recuerdo, no obstante, que un transeúnte se detuvo para mirarnos y exclamar con voz cavernosa: - ¡Qué asco! ¡Vaya un espectáculo el de la juventud de hoy! Y recuerdo también que aquellas santas y morales palabras excitaron en mí el deseo de llorar, y que lloré con abundancia. - ¿Qué le pasa a ése? - dijo uno de mis compañeros. - Llora - contestó otro. - Pero ¿por qué llora? - Porque tiene gana - fue la respuesta. - ¡Ah! Entonces… Y sin hacerme caso, volvieron a su tarea de dar vivas. Recorrimos más calles; entramos en más “cabarets” de los que nos echaban con la misma prisa de siempre; varios transeúntes nos apostrofaron de nuevo; yo torné a llorar y mis compañeros a interesarse por mi llanto y a vitorear nuevamente. Fué entonces cuando en el grupo sonaron varios bostezos. Nos aburríamos como palmeras africanas. Eran las tres de la madrugada del 5 al 6 de enero de no recuerdo qué año.”

* * *

“Le doy a usted todos estos detalles, señor juez de guardia, porque soy el único que no está borracho y me encuentro en la obligación de defenderme y defender a mis compañeros. Nosotros, señor juez de guardia, no somos unos ciudadanos inmorales ni pretendemos ir contra las malas costumbres. Nosotros somos unas víctimas de la tradición popular. Óigame usted hasta el final, señor juez.”

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* * *

“He dicho que a las tres de la madrugada nos aburríamos. Esto le ocurre a todo aquel que se decide a correr una juerga en España o liebres en Escocia. Al tiempo en que iba ya a darse la orden de disolverse el grupo, alguien dijo: - Propongo que vayamos a recibir a los tres Reyes Magos. Y la proposición fué aceptada con el mayor entusiasmo. La tradición ha hecho que recibir a los Reyes Magos, asistir al sepelio de la sardina y jugar a la lotería de cartones sean tres fiestas típicas, y mis amigos y yo estimamos extraordinariamente todo lo que es tradicional. Antiguamente se iba a recibir a los Reyes Magos, asistir al sepelio de la sardina y jugar a la lotería de cartones sean tres fiestas típicas, y mis amigos y yo estimamos extraordinariamente todo lo que es tradicional. Antiguamente se iba a recibir a los Reyes Magos con escaleras, faroles, bandas de música y otros excesos. Hoy esta fiesta se halla tan decaída como un enfermo grave, y si alguien va aún a recibir a los tres generosos monarcas de Oriente es prescindiendo de las escaleras, de las músicas y de los faroles. Nosotros no llevábamos músicas ni escaleras, tampoco llevábamos faroles, pero íbamos intensamente alumbrados. - Nos dirigimos - como todo el mundo hace en estos casos - a las afueras de la capital. En realidad si los tres Reyes Magos iban a entrar en la ciudad por algún sitio, el sitio tenía que ser aquél. Caminábamos entre risas y bromas. Nadie debe ofenderse si declaro que nosotros no creíamos absolutamente que los tres Reyes Magos llegaran. El más joven de la pandilla tenía treinta años, dos meses y un día (una cadena perpetua) y al cumplir esa edad los regios portadores de juguetes se han olvidado de uno lo bastante para que la desconfianza y la incredulidad nos opriman el pecho. Hacía un rato que habíamos dejado atrás Madrid y enfilábamos ya la carretera desierta que lleva a Burgos por Aranda de Duero. - Supongo que encontraremos a los Reyes - dijo uno - en las proximidades de Buitrago. - Y tú ¿qué les vas a pedir? - Les voy a pedir un kilométrico para volver en tren. - Yo les pediré la mano de una de sus hijas, que deben ser unas muchachas muy bien educadas y tendrán acciones de la Telefónica. - Y yo, diez duros. - Y yo, una goma para el paraguas. - Pues yo les voy a pedir lumbre, porque se me han acabado las cerillas. Éstos eran nuestros comentarios cuando de manos a boca nos topamos en medio de la carretera con tres hombres. - ¡Alto! - dijo uno de ellos, autoritario. Nos detuvimos. - ¿Quiénes son ustedes? - preguntó mi amigo Peporro Menéndez. - Somos los Reyes Magos. Nos quedamos todos de piedra pómez. Nos quedamos todos de piedra pómez.”

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* * *

“Ésta es la verdad de todo lo ocurrido, señor juez de guardia. Como también son verdad estas otras cosas: primera, que aquellos Reyes Magos llevaban gorras con viseras y bufandas; segunda, que también llevaban pistolas; tercera, que apuntándonos con sus pistolas nos obligaron a despojarnos de nuestros trajes en medio de la carretera; cuarta, que cuando les hubimos obedecido echaron a correr con las ropas camino de Oriente; y quinta, que no han regresado todavía. Por esta causa, señor juez de guardia, hemos aparecido mis amigos y yo, a las cuatro de la mañana y en camiseta en la carretera de Madrid a Burgos por Aranda de Duero. Pero nosotros, señor juez de guardia, no queremos ir contra las malas costumbres y…”

* * *

Mis compañeros me felicitaron en voz baja, pues gracias a mí, íbamos a ser puestos en libertad. Pero nuestra alegría duró poco. - Señores: la verdad es - dijo el juez - que a las cuatro de la mañana estaban ustedes en camiseta en la carretera de Madrid a Burgos por Aranda de Duero. Usted dice que ninguno de ustedes quiere ir contra las malas costumbres… ¿Y han pensado ustedes, señores, si no será una mala costumbre esa de salir a las afueras a recibir a los Reyes Magos? Hizo un gesto y entraron dos guardias. Pasamos la noche en el calabozo.

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Deuxième partie

ANALYSE INFORMATIQUE

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Annexe 17 : Décompte des voyelles

  abanico   amor   asunto   chofer   consejo   dios  A   446   420   648   0   575   852  A%   28,15   26,35   28,76   0   24,95   28,04  E   491   463   616   601   722   853  E%   29,88   29,05   27,34   38,06   31,32   28,07  I   226   224   311   288   311   402  I%   13,74   14,05   13,8   18,24   13,49   13,23  O   327   327   426   525   493   630  O%   19,9   20,51   18,91   33,25   21,39   20,73  U   153   160   252   165   204   302  U%   9,31   10,04   11,19   10,45   8,85   9,94  Total  voyelles   1643   1594   2253   1579   2305   3039  

domador   herby   marido   matese   nicotina  609   428   625   671   419  

27,04   25,46   39,06   27,58   30,52  633   538   0   628   360  

28,11   30,74   0   25,81   26,22  298   230   325   347   204  

13,23   13,14   20,31   14,26   14,86  483   400   499   533   265  

21,45   22,86   31,19   21,91   19,3  229   154   151   254   125  

10,17   8,8   9,44   10,44   9,1  2252   1750   1600   2433   1373  

noche   recepcion   somarova   vecinos   vida  

696   637   423   589   855  28,65   28,09   30,59   26,83   30,61  760   643   410   652   796  

30,19   28,35   29,65   29,7   27,56  305   261   166   317   394  

12,12   11,51   12   14,44   13,64  527   501   260   414   556  

20,94   22,09   18,8   18,86   19,25  229   226   124   223   287  9,09   9,97   8,97   10,16   9,94  2517   2268   1383   2195   2888  

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Annexe 18 : Décompte des consonnes

  abanico   amor   asunto   chofer   consejo   dios  B   63   40   97   38   93   86  B%   3,43   1,64   3,87   3,02   3,49   2,47  C   138   134   180   189   173   266  C%   7,51   5,51   7,18   10,05   6,49   7,63  D   167   180   215   177   248   291  D%   9,08   7,4   8,57   9,41   9,3   8,34  F   18   21   20   44   28   29  F%   0,98   0,86   0,8   2,34   1,05   0,83  G   42   45   68   30   67   80  G%   2,28   1,85   2,71   1,6   2,51   2,29  H   29   32   51   45   68   54  H%   1,58   1,31   2,03   2,39   2,55   1,55  J   29   22   15   7   23   23  J%   1,58   0,9   0,6   0,37   0,86   0,66  K   0   0   0   0   0   0  K%   0   0   0   0   0   0  L   183   178   290   148   248   374  L%   9,96   7,31   11,56   7,87   9,3   10,72  M   130   124   147   130   148   188  M%   7,07   5,09   5,86   6,91   5,55   13,99  N   265   211   308   214   319   468  N%   14,41   8,67   12,28   11,38   11,97   13,42  Ñ   7   6   13   8   8   10  Ñ%   0,38   0,25   0,52   0,43   0,3   0,29  P   65   74   101   75   121   153  P%   3,53   3,04   4,03   3,99   4,54   4,39  Q   28   55   59   37   51   66  Q%   1,52   2,26   2,35   1,97   1,91   1,89  R   218   237   289   241   337   456  R%   11,85   9,73   11,52   12,82   12,64   13,07  S   206   231   311   249   366   467  S%   11,2   9,49   12,4   13,24   13,73   13,39  T   153   152   200   145   233   264  T%   8,32   6,24   7,97   7,71   8,74   7,57  V   39   39   64   46   54   64  V%   2,12   1,6   2,57   2,45   2,03   1,83  W   0   0   0   0   0   1  W%   0   0   0   0   0   0,03  X   6   3   7   9   3   8  X%   0,33   0,12   0,28   0,48   0,11   0,23  Y   35   31   57   34   56   77  Y%   1,9   1,27   2,27   1,81   2,1   2,21  

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Z   18   19   16   14   22   23  Z%   0,98   0,78   0,63   0,74   0,83   0,66  Total  consonnes   1839   2434   2508   1880   2666   3488  

domador   herby   marido   matese   nicotina  79   77   77   86   54  

3,05   3,6   4,09   3,14   3,46  170   141   170   229   113  6,56   6,59   9,03   8,35   7,24  231   177   130   229   118  8,92   8,27   6,9   8,35   7,56  49   32   26   44   16  

1,89   1,5   1,38   1,6   1,02  52   44   54   52   37  

2,01   2,06   2,87   1,9   2,37  71   56   41   51   27  

2,74   2,62   2,18   1,86   1,73  27   16   14   21   13  

1,04   0,75   0,74   0,77   0,83  6   3   1   0   0  

0,23   0,14   0,05   0   0  237   231   195   287   179  9,15   10,8   10,36   10,46   11,47  150   113   138   150   105  5,79   5,28   7,33   5,47   6,73  302   238   221   318   209  

11,66   11,13   11,74   11,59   13,39  2   14   11   6   14  

0,08   0,65   0,58   0,22   0,9  86   106   65   118   62  

3,32   4,96   3,45   4,3   3,97  47   28   5   52   34  

1,81   1,31   0,27   1,9   2,18  376   264   242   340   180  

14,51   12,34   12,85   12,4   11,53  373   293   243   412   198  14,4   13,7   12,9   15,02   12,68  193   170   104   200   133  7,45   7,95   5,52   7,29   8,52  53   39   62   51   17  

2,05   1,82   2,76   1,86   1,09  0   2   3   0   0  0   0,09   0,16   0   0  3   9   2   7   7  

Page 146: Memoire Lipogramme

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0,12   0,42   0,11   0,26   0,45  53   70   64   55   33  

2,05   3,27   3,4   2,01   2,11  31   16   15   35   12  1,2   0,75   0,8   1,28   0,77  

2591   2139   1883   2743   1561  

noche   recepcion   somarova   vecinos   vida  72   50   49   74   88  

2,44   1,85   4,02   2,91   2,66  210   168   127   198   246  7,13   6,2   7,84   7,78   7,43  223   238   136   237   319  7,57   8,78   8,4   9,31   9,64  35   27   24   25   36  

1,19   1   1,48   0,98   1,09  101   67   33   52   42  3,43   2,47   2,04   2,04   1,27  68   37   27   61   101  

2,31   1,37   1,67   2,4   3,05  26   24   18   18   36  

0,88   0,89   1,11   0,71   1,09  0   1   0   0   7  0   0,04   0   0   0,21  

317   212   163   260   347  10,76   7,82   10,06   10,22   10,49  162   171   129   157   225  5,5   6,31   7,96   6,17   6,8  308   311   188   307   416  

10,45   11,48   11,6   12,06   12,57  4   18   10   11   24  

0,14   0,66   0,62   0,43   0,76  115   108   68   121   137  3,9   3,99   4,2   4,75   4,14  60   63   27   53   64  

2,04   2,32   1,67   2,08   1,93  408   378   183   323   383  

13,84   13,95   11,3   12,69   11,57  393   463   217   331   388  

13,34   17,08   13,4   13,01   11,73  271   214   116   202   251  9,2   7,9   7,16   7,94   7,59  70   53   37   40   78  

2,38   1,96   2,28   1,57   2,36  

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0   0   0   0   3  0   0   0   0   0,09  6   7   43   6   9  

0,2   0,26   2,65   0,24   0,27  71   75   12   53   79  

2,41   2,77   0,74   2,08   2,39  27   25   13   16   30  

0,92   0,92   0,8   0,63   0,91  2947   2710   1620   2545   3309  

Répartition des voyelles et des consonnes dans les textes :   abanico   amor   asunto   chofer   consejo   dios  %  voyelles   47,19   39,57   47,32   45,65   46,37   46,56  %  consonnes   52,81   60,43   52,68   54,35   53,63   53,44  

domador   herby   marido   matese   nicotina  46,5   45   45,94   47   47,33  53,5   55   54,06   53   52,67  

noche   recepcion   somarova   vecinos   vida  46,07   45,56   46,59   46,31   47,14  53,93   54,44   53,41   53,69   52,86  

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ANNEXE 19 : Catégories grammaticales dans « Un marido sin vocación »

Dans les annexes 19 et 20 apparaissent un certain nombre d’erreurs et d’incohérences dans le classement grammatical (par exemple, des verbes reconnus comme des substantifs). Nous avons choisi de laisser les résultats dans la forme première que leur donne l’analyse informatique. Adjetivos mayor mayor AQ0CS0 conocido conocido AQ0MSP rudo rudo AQ0MS0 voraz voraz AQ0CS0 matrimonial matrimonial AQ0CS0 próximo próximo AQ0MS0 juntos junto AQ0MP0 íntimos íntimo AQ0MP0 furtivo furtivo AQ0MS0 rubia rubio AQ0FS0 baja bajo AQ0FS0 gorda gordo AQ0FS0 sosa soso AQ0FS0 rica rico AQ0FS0 idiota idiota AQ0CS0 única único AQ0FS0 suscriptora suscriptor AQ0FS0 contumaz contumaz AQ0CS0 blancas blanco AQ0FP0 sacra sacro AQ0FS0 duros duro AQ0MP0 súbita súbito AQ0FS0 raudo raudo AQ0MS0 fugitivo fugitivo AQ0MS0 clarísimo clarísimo AQ0MS0 mínima mínimo AQ0FS0 dichoso dichoso AQ0MS0 casado casado AQ0MSP rabioso rabioso AQ0MS0 arrinconada arrinconado AQ0FSP masculina masculino AQ0FS0 Casado casado AQ0MSP Casado casado AQ0MSP insulsa insulso AQ0FS0 Incapaz incapaz AQ0CS0 durísimas durísimo AQ0FP0 Prohibido prohibido AQ0MSP infantil infantil AQ0CS0 brusca brusco AQ0FS0

rápido rápido AQ0MS0 disparatada disparatado AQ0FSP clásica clásico AQ0FS0 inicial inicial AQ0CS0 modoso modoso AQ0MS0 finísimo finísimo AQ0MS0 nupcial nupcial AQ0CS0 original original AQ0CS0 Viva vivo AQ0FS0 asombrado asombrado AQ0MSP alta alto AQ0FS0 orondo orondo AQ0MS0 dichoso dichoso AQ0MS0 clásico clásico AQ0MS0 magnífico magnífico AQ0MS0 andrajoso andrajoso AQ0MS0 andrajosas andrajoso AQ0FP0 mórbido mórbido AQ0MS0 distinguido distinguido AQ0MSP Nutrido nutrido AQ0MSP asombrado asombrado AQ0MSP total total AQ0CS0 antimatrimonial antimatrimonial AQ0000 maravillosos maravilloso AQ0MP0 público público AQ0MS0 acompañado acompañado AQ0MSP solícito solícito AQ0MS0 llamadas llamado AQ0FPP rojo rojo AQ0MS0 matrimonial matrimonial AQ0CS0 imposibilitado imposibilitado AQ0MSP Adverbios atrás atrás RG más más RG muy mucho RG Ramón_Camomila Ramón_Camomila NP00000

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más más RG sí sí RG Ramón Ramón NP00000 Claro claro RG No no RN Ahora ahora RG Ramón_Camomila Ramón_Camomila NP00000 allí allí RG no no RN allí allí RG allí allí RG claro claro RG más más RG Ramón Ramón NP00000 No no RN ya ya RG Ramón Ramón NP00000 Ramón Ramón NP00000 No no RN ya ya RG no no RN Ramón Ramón NP00000 Poco poco RG no no RN a_cuál_más a_cuál_más RG mucho mucho RG Por_lo_pronto por_lo_pronto RG Ramón Ramón NP00000 Ramón Ramón NP00000 no no RN Sí sí RG Ramón Ramón NP00000 más más RG ahora ahora RG Hoy hoy RG Ramón Ramón NP00000 más más RG Así así RG Ya ya RG a_continuación a_continuación RG ahora ahora RG ya ya RG Ramón Ramón NP00000 asimismo asimismo RG no no RN allí allí RG más más RG todavía todavía RG Ramón Ramón NP00000

Pronto pronto RG Ramón Ramón NP00000 a_continuación a_continuación RG más más RG Ramón Ramón NP00000 Conjunciones cuando cuando CS y y CC y y CC como como CS cuando cuando CS y y CC Y y CC Y y CC como como CS y y CC y y CC y y CC Casa Casa NP00000 Y y CC como como CS como como CS y y CC y y CC Y y CC y y CC Y y CC Y y CC ni ni CC ni ni CC ni ni CC y y CC cuando cuando CS Y y CC y y CC como como CS y y CC Y y CC si si CS o o CC Y y CC y y CC y y CC Y y CC Y y CC y y CC y y CC y y CC y y CC

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y y CC Y y CC y y CC y y CC Y y CC y y CC y y CC y y CC u u CC y y CC Y y CC y y CC Determinantes Un uno DI0MS0 muchos mucho DI0MP0 las el DA0FP0 las el DA0FP0 un uno DI0MS0 la el DA0FS0 un uno DI0MS0 su su DP3CS0 los el DA0MP0 Un uno DI0MS0 Un uno DI0MS0 Tuyo tuyo DP2MSS Mío mío DP1MSS una uno DI0FS0 mi mi DP1CSS un uno DI0MS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 una uno DI0FS0 la el DA0FS0 las el DA0FP0 dos dos DN0CP0 una uno DI0FS0 la el DA0FS0 todos todo DI0MP0 los el DA0MP0 la el DA0FS0 La el DA0FS0 Una uno DI0FS0 todas todo DI0FP0 las el DA0FP0 todos todo DI0MP0 las el DA0FP0 los el DA0MP0 un uno DI0MS0 onzavo onzavo DN0MS0

una uno DI0FS0 la el DA0FS0 un uno DI0MS0 unos uno DI0MP0 los el DA0MP0 los el DA0MP0 otro otro DI0MS0 otra otro DI0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 su su DP3CS0 su su DP3CS0 la el DA0FS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 lo el DA0NS0 un uno DI0MS0 los el DA0MP0 los el DA0MP0 la el DA0FS0 mío mío DP1MSS una uno DI0FS0 unas uno DI0FP0 su su DP3CS0 unas uno DI0FP0 su su DP3CS0 una uno DI0FS0 su su DP3CS0 un uno DI0MS0 cuatro cuatro DN0CP0 cinco cinco DN0CP0 tal tal DD0CS0 su su DP3CS0 la el DA0FS0 una uno DI0FS0 la el DA0FS0 Un uno DI0MS0 una uno DI0FS0 La el DA0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 La el DA0FS0 la el DA0FS0 los el DA0MP0 La el DA0FS0 otro otro DI0MS0 sus su DP3CP0

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Lo el DA0NS0 una uno DI0FS0 los el DA0MP0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 su su DP3CS0 un uno DI0MS0 sus su DP3CP0 un uno DI0MS0 los el DA0MP0 la el DA0FS0 las el DA0FP0 su su DP3CS0 cada cada DI0CS0 La el DA0FS0 La el DA0FS0 un uno DI0MS0 las el DA0FP0 la el DA0FS0 la el DA0FS0 sus su DP3CP0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 otro otro DI0MS0 los el DA0MP0 un uno DI0MS0 todas todo DI0FP0 las el DA0FP0 Una uno DI0FS0 sus su DP3CP0 su su DP3CS0 propia propio DI0FS0 su su DP3CS0 otra otro DI0FS0 otra otro DI0FS0 Sustantivos otoño otoño NCMS000 años año NCMP000 rosas rosa NCCP000 sombra sombra NCFS000 acacias acacia NCFP000 microbio microbio NCMS000 furia furia NCFS000 matrimonio matrimonio NCMS000 pollos pollo NCMP000 amigo amigo NCMS000 casino casino NCMS000 camaradas camarada NCFP000

matrimonio matrimonio NCMS000 matrimonio matrimonio NCMS000 muchacha muchacha NCFS000 boda boda NCFS000 cazador cazador NCMS000 cosa cosa NCFS000 novia novia NCFS000 buscarla buscarla NCFS000 bala bala NCFS000 novia novia NCFS000 ciudad ciudad NCFS000 horas hora NCFP000 chica chica NCFS000 hija hija NCFS000 publicación publicación NCFS000 muchachas muchacha NCFP000 novio novio NCMS000 año año NCMS000 amigos amigo NCMP000 boda boda NCFS000 boda boda NCFS000 boda boda NCFS000 bodas boda NCFP000 galas gala NCFP000 azahar azahar NCMS000 lados lado NCMP000 alfombras alfombra NCFP000 música música NCFS000 bimbas bimba NCFP000 sonrizas sonrizas NC00000 codazos codazo NCMP000 almohadón almohadón NCMS000 rincar rincar NC00000 rodillas rodilla NCFP000 padrinos padrino NCMP000 lunch lunch NCMS000 sandwichs sandwichs NC00000 fiscal fiscal NCCS000 sandwich sandwich NC00000 fuga fuga NCFS000 sacristía sacristía NCFS000 auto auto NCMS000 gritos grito NCMP000 novios novio NCMP000 amigos amigo NCMP000 sandwich sandwich NC00000 copita copita NCFS000 cosa cosa NCFS000 cosa cosa NCFS000 contrario contrario NCMS000

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principio principio NCMS000 novia novia NCFS000 auto auto NCMS000 vió vió NC00000 vió vió NC00000 inclinación inclinación NCFS000 matrimonio matrimonio NCMS000 alma alma NCFS000 vocación vocación NCFS000 hogar hogar NCMS000 idiota idiota NCCS000 marido marido NCMS000 noto noto NCMS000 ciudadano ciudadano NCMS000 idiota idiota NCCS000 ojos ojo NCMP000 rubor rubor NCMS000 ojos ojo NCMP000 grados grado NCMP000 rabia rabia NCFS000 Dios dios NCMS000 niña niña NCFS000 natillas natilla NCFP000 salvación salvación NCFS000 irritación irritación NCFS000 palabras palabra NCFP000 rubor rubor NCMS000 alfombra alfombra NCFS000 parabrisas parabrisas NCFN000 docilidad docilidad NCFS000 sayo sayo NCMS000 alumbrado alumbrado NCMS000 solución solución NCFS000 odio odio NCMS000 divorcio divorcio NCMS000 logro logro NCMS000 asco asco NCMS000 burradas burrada NCFP000 solución solución NCFS000 alma alma NCFS000 fotografía fotografía NCFS000 visita visita NCFS000 boda boda NCFS000 burrada burrada NCFS000 fotógrafo fotógrafo NCMS000 Grupo grupo NCMS000 variación variación NCFS000 sustitución sustitución NCFS000 vista vista NCFS000 Novio novio NCMS000

fotógrafo fotógrafo NCMS000 foto foto NCFS000 originalidad originalidad NCFS000 máquina máquina NCFS000 fotógrafo fotógrafo NCMS000 Coja coja NCFS000 mano mano NCFS000 novia novia NCFS000 ilusión ilusión NCFS000 cara cara NCFS000 Cuidado cuidado NCMS000 Ramón ramón NCMS000 placa placa NCFS000 pago pago NCMS000 fotógrafo fotógrafo NCMS000 duros duro NCMP000 auto auto NCMS000 cosa cosa NCFS000 marcha marcha NCFS000 día día NCMS000 organismos organismo NCMP000 boda boda NCFS000 Ramón ramón NCMS000 vagón vagón NCMS000 maquinistas maquinista NCCP000 locomotora locomotora NCFS000 vista vista NCFS000 locomotora locomotora NCFS000 actividad actividad NCFS000 carbón carbón NCMS000 color color NCMS000 antracita antracita NCFS000 harapos harapo NCMP000 sordo-mudo sordo-mudo NC00000 harapos harapo NCMP000 fonda fonda NCFS000 ropas ropa NCFP000 cogido cogido NCMS000 brazo brazo NCMS000 público público NCMS000 día día NCMS000 cosa cosa NCFS000 marcha marcha NCFS000 cosa cosa NCFS000 marcha marcha NCFS000 divorcio divorcio NCMS000 burradas burrada NCFP000 droga droga NCFS000 multiplicando multiplicando NCMS000 dosis dosis NCFN000

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smokings smoking NCMP000 salón salón NCMS000 dancing dancing NCMS000 lugar lugar NCMS000 criados criado NCMP000 paño paño NCMS000 brazo brazo NCMS000 mañana mañana NCFS000 párpados párpado NCMP000 barniz barniz NCMS000 fin fin NCMS000 manicomio manicomio NCMS000 dicha dicha NCFS000 contrato contrato NCMS000 boda boda NCFS000 Preposiciones a a SPS00 a a SPS00 al al SPCMS con con SPS00 Con con SPS00 a a SPS00 con con SPS00 a a SPS00 a a SPS00 a a SPS00 por por SPS00 a a SPS00 a a SPS00 para para SPS00 sin sin SPS00 al al SPCMS a a SPS00 por por SPS00 para para SPS00 Al al SPCMS por por SPS00 Al al SPCMS al al SPCMS con con SPS00 al al SPCMS a a SPS00 al al SPCMS con con SPS00 por por SPS00 para para SPS00 junto_a junto_a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS

con con SPS00 para para SPS00 para para SPS00 a a SPS00 al al SPCMS al al SPCMS con con SPS00 para para SPS00 por por SPS00 a a SPS00 a a SPS00 a a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS a a SPS00 tras tras SPS00 a a SPS00 a a SPS00 Con con SPS00 hasta hasta SPS00 por por SPS00 al al SPCMS por por SPS00 a a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS al al SPCMS con con SPS00 Al al SPCMS a a SPS00 tras tras SPS00 al al SPCMS con con SPS00 con con SPS00 a a SPS00 Hasta hasta SPS00 a a SPS00 a a SPS00 Al al SPCMS a a SPS00 a a SPS00 a a SPS00 a a SPS00 con con SPS00 por por SPS00 a a SPS00 a a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS por por SPS00

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a a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS a a SPS00 con con SPS00 al al SPCMS a a SPS00 para para SPS00 con con SPS00 Pronombre cuándo cuándo PT000000 Lo él PP3MSA00 Cómo cómo PT000000 algo algo PI0CS000 algo algo PI0CS000 algo algo PI0CS000 algo algo PI0CS000 algo algo PI0CS000 algo algo PI0CS000 dozavo dozavo PN0MS000 ninguna ninguno PI0FS000 mí yo PP1CSO00 la él PP3FSA00 Cuál cuál PT0CS000 yo yo PP1CSN00 Yo yo PP1CSN00 los él PP3MPA00 Por Por NP00000 lo él PP3MSA00 Verbos olían oler VMII3P0 daban dar VMII3P0 atacó atacar VMIS3S0 Hay haber VAIP3S0 advirtió advertir VMIS3S0 saludó saludar VMIS3S0 subían subir VMII3P0 toparon topar VMIS3P0 corroboró corroborar VMIS3S0 Iba ir VMII3S0 anunciar anunciar VMN0000 ocurrirá ocurrir VMIF3S0 ignoro ignorar VMIP1S0 conozco conocer VMIP1S0 voy ir VMIP1S0 salió salir VMIS3S0 buscar buscar VMN0000 conoció conocer VMIS3S0

fuimos ir VMIS1P0 hubo haber VAIS3S0 pasó pasar VMIS3S0 brotaron brotar VMIS3P0 Vivan vivar VMIP3P0 Vivaaan Vivaaan NP00000 cogimos coger VMIS1P0 acabó acabar VMIS3S0 había haber VAII3S0 acabado acabar VMP00SM daba dar VMII3S0 subir subir VMN0000 amaba amar VMII3S0 notaba notar VMII3S0 sintió sentir VMIS3S0 constituir constituir VMN0000 Soy ser VSIP1S0 murmuró murmurar VMIS3S0 valgo valer VMIP1S0 soy ser VSIP1S0 corroboró corroborar VMIS3S0 Soy ser VSIP1S0 bajaba bajar VMII3S0 bajar bajar VMN0000 subía subir VMII3S0 gruñía gruñir VMII3S0 mirándola mirar VMG0000 hay haber VAIP3S0 hay haber VAIP3S0 dominar dominar VMN0000 dirigió dirigir VMIS3S0 fingir fingir VMN0000 mirar mirar VMN0000 gritó gritar VMIS3S0 miró mirar VMIS3S0 añadió añadir VMIS3S0 Voy Voy NP00000 lograr lograr VMN0000 Voy ir VMIP1S0 obligarla obligar VMN0000 suplicar suplicar VMN0000 valgo valer VMIP1S0 inspirarla inspirar VMN0000 tranquilizó tranquilizar VMIS3S0 subir subir VMN0000 hizo hacer VMIS3S0 abordó abordar VMIS3S0 indagó indagar VMIS3S0 dijo decir VMIS3S0 añadió añadir VMIS3S0

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hago hacer VMIP1S0 aproximó aproximar VMIS3S0 advirtió advertir VMIS3S0 Vamos ir VMIP1P0 sonría sonreír VMSP3S0 tiró tirar VMIS3S0 obligó obligar VMIS3S0 guardó guardar VMIS3S0 salió salir VMIS3S0 mandó mandar VMIS3S0 iba ir VMII3S0 llorando llorar VMG0000 susurró susurrar VMIS3S0 trasladaban trasladar VMII3P0 quiso querer VMIS3S0 subir subir VMN0000 viajo viajar VMIP1S0 anunció anunciar VMIS3S0 Voy ir VMIP1S0 subió subir VMIS3S0 ocupó ocupar VMIS3S0 ayudando ayudar VMG0000 partir partir VMN0000 arribar arribar VMN0000

había haber VAII3S0 adquirido adquirir VMP00SM compró comprar VMIS3S0 vistió vestir VMIS3S0 marchó marchar VMIS3S0 buscar buscar VMN0000 tocado tocar VMP00SM anduvo andar VMIS3S0 acompañando acompañar VMG0000 miraba mirar VMII3S0 pasar pasar VMN0000 sufría sufrir VMII3S0 murmuraba murmurar VMII3S0 rogará rogar VMIF3S0 vistió vestir VMIS3S0 pisar pisar VMN0000 imitaba imitar VMII3S0 acudía acudir VMII3S0 pintó pintar VMIS3S0 trasladaron trasladar VMIS3P0 asistió asistir VMIS3S0 yacía yacer VMII3S0 roto romper VMP00SM vivía vivir VMII3S0

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ANNEXE 20 : Catégories gramaticales dans “El chófer nuevo”

Adjetivos expresivo expresivo AQ0MS0 único único AQ0MS0 buen buen AQ0MS0 enormes enorme AQ0CP0 rico rico AQ0MS0 estupendo estupendo AQ0MS0 cierto cierto AQ0MS0 intérprete intérprete AQ0CS0 inconcebibles inconcebible AQ0CP0 precedentes precedente AQ0CP0 locomotivo locomotivo AQ0MS0 misterioso misterioso AQ0MS0 non non AQ0CS0 izquierdo izquierdo AQ0MS0 griego griego AQ0MS0 gentil gentil AQ0CS0 escritos escrito AQ0MPP quirúrgico quirúrgico AQ0MS0 solo solo AQ0MS0 peregrino peregrino AQ0MS0 continuo continuo AQ0MS0 mirífico mirífico AQ0MS0 pequeño pequeño AQ0MS0 ridículo ridículo AQ0MS0 inconcebibles inconcebible AQ0CP0 súbito súbito AQ0MS0 terrible terrible AQ0CS0 ocultos oculto AQ0MP0 fuertes fuerte AQ0CP0 tedioso tedioso AQ0MS0 cierto cierto AQ0MS0 nuevo nuevo AQ0MS0 llenos lleno AQ0MP0 infinitos infinito AQ0MP0 telefónicos telefónico AQ0MP0 luminosos luminoso AQ0MP0 público público AQ0MS0 vivos vivo AQ0MP0 evidentes evidente AQ0CP0 indecible indecible AQ0CS0 rugiente rugiente AQ0CS0 continuo continuo AQ0MS0

posible posible AQ0CS0 terrible terrible AQ0CS0 horrendos horrendo AQ0MP0 destructores destructor AQ0MP0 preciso preciso AQ0MS0 infelices infelice AQ0CP0 feroz feroz AQ0CS0 cruel cruel AQ0CS0 sumido sumido AQ0MSP triste triste AQ0CS0 cruel cruel AQ0CS0 feroz feroz AQ0CS0 instintivo instintivo AQ0MS0 instintivo instintivo AQ0MS0 muchísimo muchísimo AQ0MS0 stridente stridente AQ0000 inconfundible inconfundible AQ0CS0 suficiente suficiente AQ0CS0 divino divino AQ0MS0 cierto cierto AQ0MS0 Adverbios muy mucho RG no no RN incluso incluso RG no no RN bien bien RG levemente levemente RG tristemente tristemente RG no no RN no no RN sólo sólo RG enfrente enfrente RG siempre siempre RG simplemente simplemente RG no no RN enfrente enfrente RG no no RN no no RN no no RN después después RG Luego luego RG

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No no RN dulcemente dulcemente RG entonces entonces RG No no RN siempre siempre RG no no RN siempre siempre RG no no RN hoy hoy RG no no RN Conjunciones y y CC Si si CS y y CC y y CC Pues pues CS como como CS e e CC Porque porque CS como como CS Y y CC y y CC Y y CC como como CS sino sino CC que que CS Pero pero CC y y CC y y CC con_que con_que CS y y CC O o CC y y CC Pero pero CC siempre_que siempre_que CS y y CC y y CC pero pero CC porque porque CS si si CS como como CS y y CC que que CS y y CC ni ni CC y y CC y y CC y y CC Pero pero CC

e e CC y y CC Y y CC que que CS que que CS Y y CC como como CS y y CC como como CS pues pues CS Y y CC Determinantes mi mi DP1CSS un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 un uno DI0MS0 este este DD0MS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 lo el DA0NS0 este este DD0MS0 dos dos DN0CP0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 mi mi DP1CSS su su DP3CS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 su su DP3CS0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 mi mi DP1CSS otros otro DI0MP0 mi mi DP1CSS Doce doce DN0CP0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 su su DP3CS0 los el DA0MP0 sus su DP3CP0 los el DA0MP0 mi mi DP1CSS el el DA0MS0 el el DA0MS0 un uno DI0MS0

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este este DD0MS0 otros otro DI0MP0 todos todo DI0MP0 mis mi DP1CPS El el DA0MS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 los el DA0MP0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 mi mi DP1CSS lo el DA0NS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 mi mi DP1CSS el el DA0MS0 todos todo DI0MP0 los el DA0MP0 el el DA0MS0 los el DA0MP0 los el DA0MP0 los el DA0MP0 sus su DP3CP0 todo todo DI0MS0 lo el DA0NS0 mi mi DP1CSS mis mi DP1CPS un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 este este DD0MS0 este este DD0MS0 el el DA0MS0 lo el DA0NS0 ningún ninguno DI0MS0 los el DA0MP0 lo el DA0NS0 el el DA0MS0 un uno DI0MS0 lo el DA0NS0 Muchos mucho DI0MP0 nuestro nuestro DP1MSP un uno DI0MS0 lo el DA0NS0 tus tu DP2CPS ese ese DD0MS0 ese ese DD0MS0 el el DA0MS0

medio medio DN0MS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 un uno DI0MS0 el el DA0MS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 un uno DI0MS0 Un uno DI0MS0 el el DA0MS0 Todo todo DI0MS0 el el DA0MS0 el el DA0MS0 los el DA0MP0 esos ese DD0MP0 el el DA0MS0 Qué qué DT0CN0 mi mi DP1CSS el el DA0MS0 los el DA0MP0 el el DA0MS0 todo todo DI0MS0 lo el DA0NS0 Sustantivos tío tío NCMS000 modo modo NCMS000 chófer chófer NCMS000 globo globo NCMS000 coche coche NCMS000 hombre hombre NCMS000 prodigios prodigio NCMP000 circo circo NCMS000 coche coche NCMS000 tedio tedio NCMS000 juro juro NCMS000 sobrino sobrino NCMS000 chófer chófer NCMS000 pongo pongo NCMS000 condiciones condición NCFP000 testigo testigo NCMS000 emociones emoción NCFP000 mundo mundo NCMS000 chófer chófer NCMS000 chófer chófer NCMS000 momento momento NCMS000 entoncés entoncés NC00000 gesto gesto NCMS000 tío tío NCMS000 elogio elogio NCMS000

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chófer chófer NCMS000 borde borde NCCS000 sombrero sombrero NCMS000 frégoli frégoli NCMS000 color color NCMS000 crepúsculo crepúsculo NCMS000 movimiento movimiento NCMS000 señor señor NCMS000 oficio oficio NCMS000 incidentes incidente NCCP000 chófer chófer NCMS000 dieciséis dieciséis NCFP000 cilindros cilindro NCMP000 cien cien NCMP000 duros duro NCMP000 sueldo sueldo NCMS000 excursiones excursión NCFP000 epílogo epílogo NCMS000 mes mes NCMS000 universo universo NCMS000 chófer chófer NCMS000 dominio dominio NCMS000 coche coche NCMS000 extremos extremo NCMP000 dedos dedo NCMP000 secretos secreto NCMP000 tiempo tiempo NCMS000 motor motor NCMS000 modo modo NCMS000 mérito mérito NCMS000 méritos mérito NCMP000 extremo extremo NCMS000 obsesión obsesión NCFS000 nervios nervio NCMP000 mérito mérito NCMS000 cuestión cuestión NCFS000 señores señor NCMP000 frío frío NCMS000 desdén desdén NCMS000 peligro peligro NCMS000 desprecio desprecio NCMS000 bienes bien NCMP000 terrenos terreno NCMP000 deseo deseo NCMS000 fruto fruto NCMS000 desilusiones desilusión NCFP000 dolores dolor NCMP000 heroísmo heroísmo NCMS000 fué fué NC00000 gusto gusto NCMS000

prurito prurito NCMS000 emociones emoción NCFP000 chófer chófer NCMS000 movimiento movimiento NCMS000 motor motor NCMS000 coche coche NCMS000 sorpredentes sorpredentes NC00000 ejercicios ejercicio NCMP000 riesgos riesgo NCMP000 terror terror NCMS000 sitios sitio NCMP000 coche coche NCMS000 vidrios vidrio NCMP000 comercios comercio NCMP000 postes poste NCMP000 cisco cisco NCMS000 trescientos trescientos NCMN000 coches coche NCMP000 servicio servicio NCMS000 esqueletos esqueleto NCMP000 miles mil NCMP000 individuos individuo NCMP000 mundo mundo NCMS000 oposición oposición NCFS000 deseos deseo NCMP000 medio medio NCMS000 espíritu espíritu NCMS000 superexcitó superexcitó NC00000 nervios nervio NCMP000 modo modo NCMS000 chófer chófer NCMS000 simoun simoun NC00000 furor furor NCMS000 estropicio estropicio NCMS000 dominó dominó NCMS000 coche coche NCMS000 dominó dominó NCMS000 chófer chófer NCMS000 fondo fondo NCMS000 misterio misterio NCMS000 fin fin NCMS000 circuito circuito NCMS000 efectos efecto NCMP000 muertos muerto NCMP000 coche coche NCMS000 desquite desquite NCMS000 profundo profundo NCMS000 ojos ojo NCMP000 ejercicio ejercicio NCMS000 horizonte horizonte NCMS000

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crepúsculo crepúsculo NCMS000 coche coche NCMS000 gesto gesto NCMS000 señor señor NCMS000 terror terror NCMS000 modo modo NCMS000 modo modo NCMS000 enfermo enfermo NCMS000 señor señor NCMS000 tiempo tiempo NCMS000 chófer chófer NCMS000 bomberos bombero NCMP000 chófer chófer NCMS000 bomberos bombero NCMP000 dueño dueño NCMS000 sitio sitio NCMS000 mundo mundo NCMS000 sonido sonido NCMS000 coche coche NCMS000 bomberos bombero NCMP000 héroes héroe NCMP000 cinturón cinturón NCMS000 chófer chófer NCMS000 bomberos bombero NCMP000 vértigo vértigo NCMS000 defecto defecto NCMS000 coche coche NCMS000 bomberos bombero NCMP000 señor señor NCMS000 dueño dueño NCMS000 sitio sitio NCMS000 sollozos sollozo NCMP000 Preposiciones de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 sin sin SPS00 en en SPS00 de de SPS00 con con SPS00 de de SPS00 con con SPS00 sin sin SPS00

de de SPS00 con con SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 del del SPCMS de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 de de SPS00 sobre sobre SPS00 en en SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 en en SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 de de SPS00 de de SPS00 por por SPS00 de de SPS00 con con SPS00 en en SPS00 de de SPS00 de de SPS00 en en SPS00 por por SPS00 de de SPS00 del del SPCMS de de SPS00 de de SPS00 del del SPCMS de de SPS00 en en SPS00 con con SPS00 de de SPS00 de de SPS00 en en SPS00 de de SPS00 Por por SPS00 Por por SPS00 de de SPS00

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por por SPS00 del del SPCMS por por SPS00 de de SPS00 por por SPS00 en en SPS00 de de SPS00 Por por SPS00 en en SPS00 en en SPS00 en en SPS00 del del SPCMS de de SPS00 De de SPS00 de de SPS00 de de SPS00 del del SPCMS por por SPS00 del del SPCMS de de SPS00 de de SPS00 con con SPS00 de de SPS00 de de SPS00 del del SPCMS por por SPS00 en en SPS00 Pronombres Me yo PP1CS000 lo él PP3MSA00 me yo PP1CS000 lo él PP3MSA00 que que PR0CN000 le él PP3CSD00 él él PP3MS000 tú tú PP2CSN00 te tú P020S000 te tú PP2CS000 que que PR0CN000 te tú PP2CS000 que que PR0CN000 se él P0300000 que que PR0CN000 que que PR0CN000 que que PR0CN000 me yo PP1CS000 que que PR0CN000 ninguno ninguno PI0MS000 esto este PD0NS000

que que PR0CN000 conmigo yo PP1CSO00 Uno uno PI0MS000 me yo PP1CS000 se se P0000000 Lo él PP3MSA00 lo él PP3MSA00 que que PR0CN000 donde donde PR000000 que que PR0CN000 se se P0000000 le él PP3CSD00 me yo PP1CS000 qué qué PT0CS000 qué qué PT0CS000 que que PR0CN000 lo él PP3MSA00 le él PP3CSD00 que que PR0CN000 que que PR0CN000 te tú PP2CS000 Que que PR0CN000 yo yo PP1CSN00 qué qué PT0CS000 me yo PP1CS000 que que PR0CN000 donde donde PR000000 se él P0300000 le él PP3CSD00 se se P0000000 le él PP3CSD00 me yo PP1CS000 esto este PD0NS000 donde donde PR000000 me yo PP1CS000 que que PR0CN000 Verbos cedió ceder VMIS3S0 recomendó recomendar VMIS3S0 diciéndome decir VMG0000 Es ser VSIP3S0 créeme creer VMM02S0 dispone disponer VMIP3S0 consigue conseguir VMIP3S0 hubiesen haber VASI3P0 hecho hacer VMP00SM Obedéceme obedecer VMM02S0 sírvete servir VMM02S0 tienes tener VMIP2S0

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mueres morir VMIP2S0 es ser VSIP3S0 querido querer VMP00SM cediéndote ceder VMG0000 ser ser VSN0000 existen existir VMIP3P0 propuesto proponer VMP00SM presenció presenciar VMIS3S0 descrito describir VMP00SM sonrió sonreír VMIS3S0 concluyó concluir VMIS3S0 rozó rozar VMIS3S0 inclinó inclinar VMIS3S0 murmuró murmurar VMIS3S0 Tómeme tomar VMM03S0 conozco conocer VMIP1S0 mereciesen merecer VMSI3P0 ser ser VSN0000 quedó quedar VMIS3S0 elegido elegir VMP00SM tuvieron tener VMIS3P0 convencieron convencer VMIS3P0 existió existir VMIS3S0 Prescindo prescindir VMIP1S0 diciendo decir VMG0000 conservó conservar VMIS3S0 vivió vivir VMIS3S0 domesticó domesticar VMIS3S0 resultó resultar VMIS3S0 preocupó preocupar VMIS3S0 convirtió convertir VMIS3S0 estribó estribar VMIS3S0 miró mirar VMIS3S0 morir morir VMN0000 servirme servir VMN0000 divertir divertir VMN0000 vivir vivir VMN0000 ignoro ignorar VMIP1S0 sé saber VMIP1S0 es ser VSIP3S0 puso poner VMIS3S0 ejecutó ejecutar VMIS3S0 sembró sembrar VMIS3S0 metió meter VMIS3S0 destrozó destrozar VMIS3S0 derribó derribar VMIS3S0 hizo hacer VMIS3S0 pulverizó pulverizar VMIS3S0 suprimiéndolos suprimir VMG0000 seguir seguir VMN0000

existiendo existir VMG0000 quitó quitar VMIS3S0 puso poner VMIS3S0 hendió hender VMIS3S0 rompió romper VMIS3S0 deshizo deshacer VMIS3S0 destruyó destruir VMIS3S0 encogió encoger VMIS3S0 divirtió divertir VMIS3S0 fue ser VSIS3S0 fue ser VSIS3S0 tuve tener VMIS1S0 Hice hacer VMIS1S0 conocer conocer VMN0000 logré lograr VMIS1S0 dije decir VMIS1S0 volviendo volver VMG0000 produjo producir VMIS3S0 Es ser VSIP3S0 expliques explicar VMSP2S0 ocurre ocurrir VMIP3S0 piden pedir VMIP3P0 mire mirar VMSP1S0 Di dar VMIS1S0 persistes persistir VMIP2S0 proceder proceder VMN0000 inspeccionó inspeccionar VMIS3S0 moderó moderar VMIS3S0 correr correr VMN0000 hizo hacer VMIS3S0 soy ser VSIP1S0 susurró susurrar VMIS3S0 destruyo destruir VMIP1S0 rompo romper VMIP1S0 siembro sembrar VMIP1S0 Eres ser VSIP2S0 ocurre ocurrir VMIP3S0 he haber VAIP1S0 sido ser VSP00SM es ser VSIP3S0 mete meter VMIP3S0 permite permitir VMIP3S0 correr correr VMN0000 detiene detener VMIP3S0 es ser VSIP3S0 corre correr VMIP3S0 corre correr VMIP3S0 corre correr VMIP3S0 Concluyó concluir VMIS3S0 diciendo decir VMG0000

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es ser VSIP3S0 creo creer VMIP1S0 voy ir VMIP1S0 conduciendo conducir VMG0000 es ser VSIP3S0 soy ser VSIP1S0 meto meter VMIP1S0 pulverizo pulverizar VMIP1S0 pesco pescar VMIP1S0 prorrumpió prorrumpir VMIS3S0

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ANNEXE 21 : Mots ordonnés par fréquence dans « Un marido sin vocación »

40 y 36 a 32 la 21 al 19 con 19 un 18 Ramón 15 Silvia 12 los 11 por 11 su 11 una 8 las 8 más 8 no 8 para 7 boda 6 algo 6 cosa 5 como 5 lo 5 ya 4 allí 4 fotógrafo 4 matrimonio 4 novia 4 sus 4 voy 3 ahora 3 auto 3 Camomila 3 casado 3 cuando 3 hay 3 idiota 3 Irún 3 marcha 3 ni 3 otra 3 otro 3 soy

3 subir 2 adiós 2 advirtió 2 alma 2 amigos 2 asombrado 2 añadió 2 brazo 2 burradas 2 buscar 2 claro 2 continuación 2 corroboró 2 cuál 2 dichoso 2 divorcio 2 dos 2 duros 2 día 2 había 2 harapos 2 hasta 2 iba 2 locomotora 2 matrimonial 2 mío 2 novio 2 ojos 2 pronto 2 público 2 rubor 2 salió 2 sandwich 2 solución 2 sí 2 sígamos 2 todas 2 todos 2 tras 2 unas 2 valgo

2 vista 2 vistió 2 vió 2 yo 1 abordó 1 acabado 1 acabó 1 acacias 1 acompañado 1 acompañando 1 actividad 1 acudía 1 adquirido 1 alfombra 1 alfombras 1 almohadón 1 alta 1 alumbrado 1 amaba 1 amigo 1 andrajosas 1 andrajoso 1 anduvo 1 antimatrimonial 1 antracita 1 anunciar 1 anunció 1 aproximó 1 arribar 1 arrinconada 1 asco 1 asimismo 1 asistió 1 así 1 atacó 1 atrás 1 ayudando 1 azahar 1 año 1 años 1 bah

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1 baja 1 bajaba 1 bajar 1 bala 1 barniz 1 bimbas 1 blancas 1 bodas 1 brotaron 1 brusca 1 burrada 1 buscarla 1 cada 1 camaradas 1 cara 1 carbón 1 Casa 1 casino 1 cazador 1 chica 1 cinco 1 ciudad 1 ciudadano 1 clarísimo 1 clásica 1 clásico 1 codazos 1 cogido 1 cogimos 1 coja 1 color 1 compró 1 conocido 1 conoció 1 conozco 1 constituir 1 contrario 1 contrato 1 contumaz 1 copita 1 criados 1 cuatro 1 cuidado 1 cuándo 1 cómo 1 daba

1 daban 1 dancing 1 dicha 1 dijo 1 Dios 1 dirigió 1 disparatada 1 distinguido 1 docilidad 1 dominar 1 dosis 1 dozavo 1 droga 1 durísimas 1 fin 1 fingir 1 finísimo 1 fiscal 1 fonda 1 foto 1 fotografía 1 fuga 1 fugitivo 1 fuimos 1 furia 1 furtivo 1 galas 1 gorda 1 grados 1 gritos 1 gritó 1 grupo 1 gruñía 1 guardó 1 hago 1 hija 1 hizo 1 hogar 1 horas 1 hoy 1 hubo 1 ignoro 1 ilusión 1 imitaba 1 imposibilitado 1 incapaz

1 inclinación 1 indagó 1 infantil 1 inicial 1 inspirarla 1 insulsa 1 irritación 1 junto 1 juntos 1 La 1 lados 1 llamadas 1 llorando 1 lograr 1 logro 1 lugar 1 lunch 1 magnífico 1 mandó 1 manicomio 1 mano 1 Manolo 1 maquinistas 1 maravillosos 1 marchó 1 marido 1 mas 1 masculina 1 mayor 1 mañana 1 mi 1 microbio 1 mil 1 miraba 1 mirar 1 mirándola 1 miró 1 Moda 1 modoso 1 muchacha 1 muchachas 1 mucho 1 muchos 1 mudo 1 multiplicando 1 murmuraba

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1 murmuró 1 muy 1 máquina 1 mí 1 mínima 1 mórbido 1 música 1 natillas 1 ninguna 1 niña 1 notaba 1 noto 1 novios 1 nupcial 1 nutrido 1 o 1 obligarla 1 obligó 1 ocupó 1 ocurrirá 1 odio 1 olían 1 onzavo 1 organismos 1 original 1 originalidad 1 orondo 1 otoño 1 padrinos 1 pago 1 palabras 1 parabrisas 1 partir 1 pasar 1 pasó 1 paño 1 pintó 1 pisar 1 placa 1 poco 1 pollos 1 principio 1 prohibido 1 propia 1 próximo 1 publicación

1 párpados 1 quiso 1 rabia 1 rabioso 1 raudo 1 rica 1 rincar 1 rodillas 1 rogará 1 rojo 1 Romagoso 1 ropas 1 rosas 1 roto 1 rubia 1 rudo 1 rápido 1 sacra 1 sacristía 1 saludó 1 salvación 1 salón 1 sandwichs 1 sayo 1 si 1 sin 1 sintió 1 smokings 1 solícito 1 sombra 1 sonrizas 1 sonría 1 sordo 1 sosa 1 subió 1 subía 1 subían 1 sufría 1 suplicar 1 suscriptora 1 sustitución 1 susurró 1 súbita 1 tal 1 tiró 1 tocado

1 todavía 1 toparon 1 total 1 tranquilizó 1 trasladaban 1 trasladaron 1 tuyo 1 u 1 unos 1 vagón 1 vamos 1 variación 1 viajo 1 visita 1 viva 1 vivaaan 1 vivan 1 vivía 1 vocación 1 voraz 1 yacía 1 íntimos 1 única

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ANNEXE 22 : Mots ordonnés par fréquence dans « El chófer nuevo »

46 de 34 el 23 y 22 que 22 un 21 en 15 chófer 14 no 13 lo 12 Melecio 11 coche 11 los 10 por 9 mi 8 del 8 es 8 me 8 Volodio 7 como 7 con 5 bomberos 5 este 5 le 5 modo 5 se 4 fué 4 pero 4 qué 4 señor 4 siempre 4 su 4 te 3 cierto 3 corre 3 donde 3 mundo 3 todo 2 concluyó

2 continuo 2 correr 2 crepúsculo 2 cruel 2 diciendo 2 dominó 2 dueño 2 e 2 emociones 2 enfrente 2 entonces 2 ese 2 esto 2 feroz 2 fue 2 gesto 2 hizo 2 inconcebibles 2 instintivo 2 medio 2 mis 2 motor 2 movimiento 2 mérito 2 nervios 2 nuevo 2 ocurre 2 otros 2 pues 2 puso 2 ser 2 si 2 sin 2 sitio 2 soy 2 sus 2 terrible 2 terror

2 tiempo 2 todos 2 tío 1 bien 1 bienes 1 borde 1 buen 1 cediéndote 1 cedió 1 cien 1 cilindros 1 cinturón 1 circo 1 circuito 1 cisco 1 coches 1 color 1 comercios 1 condiciones 1 conduciendo 1 conmigo 1 conocer 1 conozco 1 conservó 1 consigue 1 convencieron 1 convirtió 1 corrió 1 creo 1 créeme 1 cuestión 1 dedos 1 defecto 1 derribó 1 descrito 1 desdén 1 deseo 1 deseos 1 deshizo 1 desilusiones

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1 desprecio 1 después 1 desquite 1 destrozo 1 destrozó 1 destructores 1 destruyo 1 destruyó 1 detiene 1 di 1 diciéndome 1 dieciséis 1 dije 1 dispone 1 divertir 1 divino 1 divirtió 1 doce 1 dolores 1 domesticó 1 dominio 1 dos 1 dulcemente 1 duros 1 efectos 1 ejecutó 1 ejercicio 1 ejercicios 1 elegido 1 elogio 1 encogió 1 enfermo 1 enormes 1 epílogo 1 eres 1 escritos 1 esos 1 espíritu 1 esqueletos 1 estribó 1 estridente 1 estropicio 1 estupendo 1 evidentes 1 excursiones 1 existen

1 existiendo 1 existió 1 expliques 1 expresivo 1 extremo 1 extremos 1 fin 1 fondo 1 frenó 1 fruto 1 frégoli 1 frío 1 fuertes 1 furor 1 gentil 1 gestos 1 globo 1 griego 1 gusto 1 he 1 hecho 1 Heliodoro 1 hendió 1 heroísmo 1 hice 1 hombre 1 horizonte 1 horrendos 1 hoy 1 hubiesen 1 héroes 1 ignoro 1 incidentes 1 inclinó 1 incluso 1 inconfundible 1 indecible 1 individuos 1 infelices 1 infinitos 1 inspeccionó 1 intérprete 1 izquierdo 1 juro 1 levemente 1 llenos

1 locomotivo 1 logré 1 luego 1 lulú 1 luminosos 1 Mercedes 1 mereciesen 1 mes 1 mete 1 metió 1 meto 1 miles 1 mire 1 mirífico 1 miró 1 misterio 1 misterioso 1 moderó 1 momento 1 morir 1 muchos 1 muchísimo 1 mueres 1 muertos 1 murmuró 1 muy 1 méritos 1 ni 1 ninguno 1 ningún 1 nuestro 1 o 1 obedeciendo 1 Obedéceme 1 obsesión 1 ocultos 1 oficio 1 ojos 1 oposición 1 peligro 1 pequeño 1 peregrino 1 permite 1 perrito 1 persistes 1 pesco

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1 piden 1 pongo 1 porque 1 Porque 1 posible 1 postes 1 precedentes 1 preciso 1 preocupó 1 prescindo 1 presenció 1 proceder 1 prodigios 1 produjo 1 profundo 1 propuesto 1 prorrumpió 1 prurito 1 pulverizo 1 pulverizó 1 público 1 quedó 1 querido 1 quirúrgico 1 quitó 1 recomendó 1 resultó 1 retrocedió 1 rico 1 ridículo 1 riesgos 1 rompió 1 rompo 1 rozó 1 rugiente 1 secretos 1 seguir 1 sembró 1 servicio 1 servirme 1 señores 1 sido 1 siembro 1 simplemente 1 simún 1 sino

1 sitios 1 sobre 1 sobrino 1 sollozos 1 solo 1 sombrero 1 sonido 1 sonrió 1 sorpredentes 1 sueldo 1 suficiente 1 sumido 1 superexcitó 1 suprimiéndolos 1 susurró 1 sé 1 sírvete 1 sólo 1 súbito 1 tedio 1 tedioso 1 telefónicos 1 terrenos 1 testigo 1 tienes 1 trescientos 1 triste 1 tristemente 1 tus 1 tuve 1 tuvieron 1 tómeme 1 tú 1 universo 1 uno 1 vidrios 1 vivir 1 vivió 1 vivos 1 volviendo 1 voy 1 vértigo 1 Y 1 yo 1 él 1 único

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Annexe 23 : Catégories grammaticales dans « Un marido sin vocación

LISTADO DE CATEGORÍAS - UN MARIDO SIN VOCACIÓN Adjetivos (calificativos) 11 AQ0CS0 Género común, singular 2 AQ0FP0 Femenino plural 15 AQ0FS0 Femenino singular 5 AQ0MP0 Masculino plural 14 AQ0MS0 Masculino singular 1 AQ0MSP Masculino singular en función de participio 1 AQSFP0 Superlativo femenino plural 2 AQSMS0 Superlativo masculino singular Conjunciones De coordinación 44 CC De subordinación 9 CS Determinantes Artículos 8 DA0FP0 Femenino plural 31 DA0FS0 Femenino singular 11 DA0MP0 Masculino plural 21 DA0MS0 Masculino singular 1 DA0NS0 Neutro singular Demostrativos 1 DD0CS0 Género común singular Indefinidos 1 DI0CS0 Género común singular 4 DI0FP0 Femenino plural 14 DI0FS0 Femenino singular 4 DI0MP0 Masculino plural 22 DI0MS0 Masculino singular Posesivos 1 DP1CSS 1ª persona, género común singular, poseedor singular 1 DP1MSS 1ª persona, masculino singular, poseedor singular 4 DP3CP0 3ª persona, género común plural 11 DP3CS0 3ª persona, género común singular Puntuación 25 Faa Exclamación inicial 25 Fat Exclamación final 53 Fc Coma 10 Fd Dos puntos 26 Fg Guión 8 Fia Interrogación inicial 8 Fit Interrogación final 48 FpPunto 3 Fpa Paréntesis inicial 3 Fpt Paréntesis final 16 Fs Puntos suspensivos 3 Fx Punto y coma 39 Fz Otros signos

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Interjecciones 4 I Nombres Comunes 1 NCCP000 Género común, plural 2 NCCS000 Género común singular 2 NCFN000 Femenino invariable 16 NCFP000 Femenino plural 57 NCFS000 Femenino singular 15 NCMP000 Masculino plural 47 NCMS000 Masculino singular Propios 87 NP00000 Pronombres Indefinidos 6 PI0CS000 Género común singular 1 PI0FS000 Femenino singular 1 PI0MS000 Masculino singular Personales 2 PP1CSN00 1ª persona, género común singular nominativo 1 PP1CSO00 1ª persona, género común singular 5 PP3FSA00 3ª persona, femenino singular acusativo 1 PP3MPA00 3ª persona, masculino plural acusativo 3 PP3MSA00 3ª persona, masculino singular acusativo Interrogativos 1 PT000000 Adverbios 34 RG Adverbios en general 7 RN Adverbios de negación Preposiciones 95 SPS00 Verbos Auxiliares

Indicativo 2 VAII3S0 Imperfecto 3ª persona singular 2 VAIP3S0 Presente 3ª persona singular 1 VAIS3S0 Pasado 3ª persona singular

Principales Gerundio 5 VMG0000 Indicativo 2 VMIF3S0 Futuro 3ª persona singular 4 VMII3P0 Imperfecto 3ª persona plural 15 VMII3S0 Imperfecto 3ª persona singular 11 VMIP1S0 Presente 1ª persona singular 2 VMIS1P0 Pasado 1ª persona plural 3 VMIS3P0 Pasado 3ª persona plural 41 VMIS3S0 Pasado 3ª persona singular Imperativo 1 VMM03P0 3ª persona plural 3 VMM03S0 3ª persona singular Infinitivo

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22 VMN0000 Participio 2 VMP00SF Femenino singular 16 VMP00SM Masculino singular

Semiauxiliares (ser) Indicativo 3 VSIP1S0 Presente 1ª persona singular

Números 4 Z

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Annexe 24 : Catégories grammaticales dans « El chófer nuevo »

LISTADO DE CATEGORÍAS - EL CHÓFER NUEVO Adjetivos Calificativos 7 AQ0CP0 Género común, plural 15 AQ0CS0 Género común, singular 8 AQ0MP0 Masculino plural 29 AQ0MS0 Masculino singular Conjunciones De coordinación 33 CC De subordinación 22 CS Determinantes Artículos 11 DA0MP0 Masculino plural 42 DA0MS0 Masculino singular 7 DA0NS0 Neutro singular Demostrativos 1 DD0MP0 Masculino plural 7 DD0MS0 Masculino singular Indefinidos 4 DI0MP0 Masculino plural 26 DI0MS0 Masculino singular Posesivos 2 DP1CPS 1ª persona, género común, plural, poseedor singular 9 DP1CSS 1ª persona, género común, singular, poseedor singular 1 DP1MSP 1ª persona, masculino singular, poseedor plural 1 DP2CPS 2ª persona, género común, plural, poseedor singular 2 DP3CP0 3ª persona, género común, plural 4 DP3CS0 3ª persona, género común, singular Signos de puntuación 7 Faa Exclamación inicial 7 Fat Exclamación final 68 Fc Coma 3 Fd Dos puntos 7 Fg Guión 8 Fia Interrogación inicial 8 Fit Interrogación final 23 Fp Punto 9 Fs Puntos suspensivos 10 Fx Punto y coma 7 Fz Igual Interjecciones 2 I Nombres Nombres comunes

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1 NCCP000 Género común, plural 1 NCCS000 Género común, singular 5 NCFP000 Femenino plural 3 NCFS000 Femenino singular 32 NCMP000 Masculino plural 101 NCMS000 Masculino singular Nombres propios 26 NP00000 Pronombres No reconocidos 5 P0300000 Demostrativos 2 PD0NS000 Género común singulart Indefinidos 1 PI0MP000 Masculino plural 3 PI0MS000 Masculino singular Personales 12 PP1CS000 1ª persona, género común singular 1 PP1CSN00 1ª persona, género común singular nominativo 1 PP1CSO00 1ª persona, género común singular oblicuo 6 PP2CS000 2ª persona, género común singular 1 PP2CSN00 2ª persona, género común singular nominativo 5 PP3CSD00 3ª persona, género común singular dativo 1 PP3MPA00 3ª persona, maculino plural acusativo 1 PP3MS000 3ª persona, masculino singular 6 PP3MSA00 3ª persona, masculino singular acusativo Realtivos 3 PR000000 12 PR0CN000 Género común, invariable Interrogativos 4 PT0CN000 Género común, invariable Adverbios 20 RG Adverbios en general, lucicones adverbiales 14 RN Adverbios de negeción Preposiciones 95 SPS00 Forma simple Verbos Auxiliares

Indicativo 1 VAIP1S0 Presente, 1ª persona singular Subjuntivo 1 VASI3P0 Presente, 3ª persona singular

Principales Gerundio 9 VMG0000 Indicativo 15 VMIP1S0 Presente, 1ª persona singular 3 VMIP2S0 Presente, 2ª persona singular 2 VMIP3P0 Presente, 3ª persona plural 10 VMIP3S0 Presente, 3ª persona singular 5 VMIS1S0 Pasado, 1ª persona singular 2 VMIS3P0 Pasado, 3ª persona plural 47 VMIS3S0 Pasado, 3ª persona singular Imperativo

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3 VMM02S0 2ª persona singular 1 VMM03S0 3ª persona singular Infinitivo 8 VMN0000 Participio 1 VMP00PM Masculino plural 6 VMP00SM Masculino singular Subjuntivo 1 VMSI3P0 Imperfecto, 3ª persona plural 1 VMSP2S0 Presente, 2ª persona singular 1 VMSP3S0 Presente, 3ª persona singular

Semiauxiliares (ser) 2 VSIP1S0 Presente de inidcativo, 1ª persona singular 1 VSIP2S0 Presente de indicativo, 2ª persona singular 8 VSIP3S0 Presente de indicativo, 3ª persona singular 2 VSIS3S0 Pasado de indicativo, 3ª persona singular 2 VSN0000 Infinitivo 1 VSP00SM Participio, masculino singular

Números 6 Z

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