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Jeudi 2 avril 2015 - 71 e année - N o 21837 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA Le Nigeria réussit son alternance démocratique CLIMAT ÉTATS-UNIS ET RUSSIE ANNONCENT LEURS ENGAGEMENTS LIRE PAGE 12 LA BONNE LEÇON D’UN GÉANT D’AFRIQUE LIRE PAGE 28 RELIGION LE SALAFISME GAGNE DU TERRAIN DANS LES MOSQUÉES LIRE PAGE 12 DÉBATS « POUR LA REFONDATION DE “CHARLIE HEBDO” » LIRE PAGE 20 A Abuja, capitale du Nigeria, le 26 mars 2015. BEN CURTIS/AP Le général Muhammadu Buhari a été élu, mardi 31 mars, contre le président sortant, Goodluck Jonathan Ce scrutin marque un tournant dans l’histoire agitée de la première puissance économique d’Afrique INTERNATIONAL LIRE PAGES 2-3 Radio France s’enfonce dans la crise Après deux semaines de grève des personnels de la radio publique, qui pa- ralyse l’antenne, le conflit entre direction et syndicats est dans l’impasse Le protocole d’accord de la direction est jugé in- suffisant par les syndicats. Ils réclament le maintien des emplois, des différentes stations et des orchestres Affaibli, le président de Radio France, Mathieu Gallet, a rendu, mercredi 1 er avril, son « projet stratégique » à sa ministre de tutelle, Fleur Pellerin La Cour des comptes publie un sévère rapport sur la radio, « pointant des défaillances qui ne sont pas acceptables » et des coûts qui ont explosé L’UMP dénonce la responsabilité du gouver- nement dans la crise et l’accuse de faire de M. Gallet un « bouc émissaire » LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 8 Q u’est-ce qu’on attend d’un bon lycée ? L’émulation, la mention, la préparation aux études supérieures, répondront cer- tains parents d’élèves, sûrs que le bacca- lauréat est aujourd’hui « donné ». D’autres privilé- gieront l’accompagnement, l’ouverture d’esprit, une bienveillance mettant leurs enfants à l’abri de la pression. En publiant, mercredi 1 er avril, comme chaque an- née, les indicateurs de résultats des lycées, le minis- tère de l’éducation nationale avance sa propre ré- ponse : un bon lycée n’est pas forcément celui qui af- fiche 100 % de réussite au bac. C’est celui qui fait parcourir « le plus long chemin possible à ses élèves », affirme Catherine Moisan, la directrice du service statistique du ministère. Celui qui parvient à faire réussir des enfants plutôt fragiles scolairement, et souvent de milieux défavorisés. Le « cru 2014 » compte 49 lycées généraux et technologiques et 59 lycées professionnels – sur un total de 4 500, publics et privés confondus –, qui sont, selon cette définition, les champions de la « plus-value ». LIRE LA SUITE PAGE 16 Gommage à la poudre de noyau d’abricot dispersée à faible pres- sion, dépoussiérage, puis pose de plusieurs couches de cire micro- cristalline afin de conserver la patine du bronze et le protéger de la corrosion : la plus célèbre des statues de Napoléon vient de subir une cure intensive de jou- vence à l’abri d’un hangar dis- cret. Restaurée, elle retrouve l’hôtel des Invalides, jeudi 2 avril, après un exil de neuf mois. Mais ce déplacement n’a pas permis de dissiper tous ses mystères. LIRE PAGE 19 FRANCE CLASSEMENT DES LYCÉES : À CHACUN SON « BON » ÉTABLISSEMENT par mattea battaglia et aurélie collas 282 jours d’exil pour la plus célèbre statue de Napoléon ENQUÊTE LE REGARD DE PLANTU SCIENCE & MÉDECINE QUAND L’ENFANT TRINQUE IN UTERO SUPPLÉMENT N° 3 RICHARD III UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE SHAKESPEARE LES ŒUVRES COMPLÈTES 9 ,99 PARIS 15 e CANAPÉS, LITERIE, MOBILIER : 3 000 M 2 DENVIES ! Du 1 er au 30 avril Offres exceptionnelles sur toute la collection www.topper.fr 7J/7 • M° BOUCICAUT • P. GRATUIT Canapés : 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40 Literie : 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10 Armoires lits : 60 rue de la Convention, 01 45 71 59 49 Mobilier Design : 145 rue St-Charles, 01 45 75 06 61 Meubles Gautier : 147 rue St-Charles, 01 45 75 02 81 Le savoir-faire la Française A Un savoir-faire reconnu au service du confort et de l’esthétique, un choix de cuirs unique, parmi les plus beaux du monde. Labels NF Prestige et Entreprise du Patrimoine Vivant.

Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

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Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

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Page 1: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

Jeudi 2 avril 2015 ­ 71e année ­ No 21837 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

Le Nigeria réussit son alternance démocratique

CLIMATÉTATS-UNIS ET RUSSIE ANNONCENT LEURS ENGAGEMENTS→ LIRE PAGE 12

LA BONNE LEÇON D’UN GÉANT D’AFRIQUE→ L IRE PAGE 28

RELIGIONLE SALAFISME GAGNE DU TERRAIN DANS LES MOSQUÉES→ LIRE PAGE 12

DÉBATS« POUR LA REFONDATION DE “CHARLIE HEBDO” »→ LIRE PAGE 20

A Abuja, capitale du Nigeria,

le 26 mars 2015.BEN CURTIS/AP

▶ Le général Muhammadu Buhari a été élu, mardi31 mars, contre le président sortant, Goodluck Jonathan

▶ Ce scrutin marque un tournant dans l’histoire agitée de la première puissance économique d’Afrique

INTERNATIONAL → LIRE PAGES 2-3

Radio France s’enfonce dans la crise ▶ Après deux semaines de grève des personnels de la radio publique, qui pa­ralyse l’antenne, le conflit entre direction et syndicats est dans l’impasse

▶ Le protocole d’accord de la direction est jugé in­suffisant par les syndicats. Ils réclament le maintien des emplois, des différentes stations et des orchestres

▶ Affaibli, le président de Radio France, Mathieu Gallet, a rendu, mercredi 1er avril, son « projet stratégique » à sa ministre de tutelle, Fleur Pellerin

▶ La Cour des comptes publie un sévère rapport sur la radio, « pointant des défaillances qui ne sont pas acceptables » et des coûts qui ont explosé

▶ L’UMP dénonce la responsabilité du gouver­nement dans la crise et l’accuse de faire de M. Gallet un « bouc émissaire »→ L IRE LE CAHIER ÉCO PAGE 8

Q u’est­ce qu’on attend d’un bon lycée ?L’émulation, la mention, la préparationaux études supérieures, répondront cer­tains parents d’élèves, sûrs que le bacca­

lauréat est aujourd’hui « donné ». D’autres privilé­gieront l’accompagnement, l’ouverture d’esprit,une bienveillance mettant leurs enfants à l’abri dela pression.

En publiant, mercredi 1er avril, comme chaque an­née, les indicateurs de résultats des lycées, le minis­tère de l’éducation nationale avance sa propre ré­ponse : un bon lycée n’est pas forcément celui qui af­

fiche 100 % de réussite au bac. C’est celui qui fait parcourir « le plus long chemin possible à ses élèves »,affirme Catherine Moisan, la directrice du servicestatistique du ministère. Celui qui parvient à faire réussir des enfants plutôt fragiles scolairement, etsouvent de milieux défavorisés.

Le « cru 2014 » compte 49 lycées généraux ettechnologiques et 59 lycées professionnels – sur untotal de 4 500, publics et privés confondus –, quisont, selon cette définition, les champions de la «plus­value ».

→ LIRE L A SUITE PAGE 16

Gommage à la poudre de noyau d’abricot dispersée à faible pres­sion, dépoussiérage, puis pose de plusieurs couches de cire micro­cristalline afin de conserver la patine du bronze et le protéger de la corrosion : la plus célèbre des statues de Napoléon vient de subir une cure intensive de jou­vence à l’abri d’un hangar dis­cret. Restaurée, elle retrouve l’hôtel des Invalides, jeudi 2 avril, après un exil de neuf mois. Mais ce déplacement n’a pas permis de dissiper tous ses mystères.

→ LIRE PAGE 19

FRANCE

CLASSEMENT DESLYCÉES : À CHACUN

SON « BON »ÉTABLISSEMENT

par mattea battaglia

et aurélie collas

282 jours d’exilpour la plus célèbre statuede Napoléon

ENQUÊTE

LE REGARD DE PLANTU

SCIENCE & MÉDECINE

QUAND L’ENFANTTRINQUE IN UTERO

→ SUPPLÉMENT

N° 3 RICHARD IIIUNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

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Page 2: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

2 | international JEUDI 2 AVRIL 2015

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Au Nigeria, le sacre démocratique de BuhariDictateur militaire dans les années 1980, Muhammadu Buhari est sorti vainqueur d’une élection exemplaire

PORTRAITkaduna (nigeria) - envoyé spécial

Ses adversaires auraient dûse méfier. En se préparantà l’élection présidentiellede 2015, le général (à la re-

traite) Muhammadu Buhari ne s’était pas contenté de changer de lunettes. Dans sa troisième tenta-tive pour prendre le pouvoir parles urnes, l’ex-dictateur (1983-1985) a aussi changé de style. Et peut-être, aussi, d’idées. Mais pour en avoir le cœur net, il fau-dra attendre qu’il exerce le pou-voir, après la passation de pou-voir, le 29 mai, de Goodluck Jona-than, président sortant vaincudans les urnes, une espèce jus-qu’ici inconnue au Nigeria.

Dans la longue série des dicta-teurs militaires que le pays a en-durée jusqu’aux années 1990, Mu-hammadu Buhari ne fait pourtantpas partie de ceux qui ont laissé un souvenir attendri. Sous son rè-gne bref, moins de deux ans, son ambition était de transformer le Nigeria en camp disciplinaire. Sonmot favori était d’ailleurs « disci-pline », pour justifier notamment

les châtiments corporels (« chico-tage » à coups de fouet, obligationde faire des pompes…) imposéspar les soldats au moindre soup-çon de manquement à un ordre que nul n’avait pris soin de définiravec précision. Mais sous Mu-hammadu Buhari, le Nigeria aaussi fait la preuve de son indé-pendance sourcilleuse – une vertuadorée dans le pays –, rompant avec le Fonds monétaire interna-tional (FMI), dont les fonctionnai-res étaient en train d’imposer àune grande partie de l’Afrique des recettes d’ajustement structurel qui allaient détruire l’équilibre so-cial de nombreux pays. Avant d’appliquer, ceci étant, des mesu-res d’austérité comparables.

Muhammadu Buhari fut viterenversé par un de ses pairs, luiaussi général, Ibrahim Babangida.Et puis, qui se souvient de ses er-rements d’alors ? La moitié des 174 millions d’habitants du pays ont moins de 19 ans, des envies deconquérir le monde et, pour com-mencer, de trouver un emploi.

Trente ans plus tard, est-ce lemême homme qui prend cette fois le pouvoir par les urnes ?

Muhammadu Buhari a dit à plu-sieurs reprises qu’il avait« changé », qu’il s’était « converti à la démocratie ». Et, même, qu’il avait abandonné son envie pres-sante d’étendre à l’ensemble des 36 Etats (plus la capitale fédérale) du Nigeria la charia déjà appli-quée aux 12 Etats du Nord depuis le début des années 2000. On le jugera sur pièce. Le Nigeria, c’est aussi la démonstration que cette élection haletante, la plus belledepuis la fin des dictatures, peutsanctionner un responsable. Au pays du clientélisme roi, c’est un coup de tonnerre.

Vieille baderne

Pour en arriver là, il a fallu que lacampagne électorale fasse sonœuvre sur le général à la retraite. La vieille baderne, tout à coup, ne semblait plus si vieille (72 ans). Surtout, elle promettait de chan-ger la vie du Nigeria, devenupremière économie d’Afrique en 2014, en mettant fin au gâchisdes ressources naturelles. C’est peut-être de cela que rêve, à nou-veau, le Nigeria : mettre fin à la gabegie. Alors, pourquoi pas avec

un père fouettard, adouci peut-être par l’âge ?

En février, devant une sallepleine à craquer du centre de ré-flexion Chatham House, à Lon-dres, le candidat avait dénoncé le fait que le Nigeria était désormais coupé en deux, avec « une écono-mie réservée à une petite élite ayant tout, isolée sur son île de prospérité, et une autre, pour le plus grand nombre, dénué de tout dans un vaste océan de misère ». Il avait aussi promis de mettre fin aux « fuites » dans le secteur deshydrocarbures, concernant la production pétrolière, dont 10 %environ des quelque 2 millions debarils produits chaque jour sont détournés. Pendant la campagne, un dessin animé montrait Mu-hammadu Buhari et son colistier transformés en superhéros. Sur lamusique de James Bond, ils fai-saient disparaître à coups de balai(l’emblème de la coalition de l’op-position formée en 2013) tous les maux du Nigeria, à commencer par la corruption.

Mais le Nigeria n’est pas un des-sin animé. Pour remporter l’élec-tion, il a aussi fallu une machine àgagner. En 2013, trois partis d’op-position au Parti démocratiquedu peuple (PDP, au pouvoir depuisle retour à la démocratie) avaient fait alliance. Des poids lourds duPDP avaient fait défection pour rejoindre le Congrès de tous les progressistes (APC), qui devenait soudain un adversaire redouta-ble. On attendait que leurs divers responsables s’écharpent au mo-ment du choix du candidat pourla présidentielle. Mais des primai-res organisées avec soin et clarté avaient imposé Muhammadu Bu-hari. En sous-main, de grandsnoms du milieu des affaires auNigeria avaient aidé à financer cesvieux routiers de la politique sansle sou. L’APC allait affronter unPDP aux caisses pourtant rem-plies aux sources même de l’Etat, et finalement l’emporter.

Ainsi, Muhammadu Buhari estdevenu président. Une autre vie,sans nul doute, pour cet hommené en 1942 dans ce qui est

aujourd’hui l’Etat de Katsina, dans le nord du pays, dans une petite ville, Daura, proche de la frontière avec le Niger. Quittant une famille de 23 enfants, Muhammadu Buhari s’est forgéau sein d’une autre « famille » :l’armée nigériane. Une carrière impeccable, commencée au célè-bre Barewa College de Zaria (voi-sine de Kaduna), d’où est sortie une grande partie de l’élite du pays (cinq dirigeants, six si on le compte désormais à deux repri-ses), puis à la grande académie militaire de Kaduna.

Cette ville, qui était la capitale duNord-Nigeria pendant la colonisa-tion, allait devenir le centre du pouvoir de l’Etat indépendant pendant des décennies. Les géné-raux, les grands barons de l’éco-nomie ou de la politique se sont cooptés au sein de cette « mafia de Kaduna » qui a gardé le pouvoirprès de trente ans en dépit de ses divisions et rivalités. Aujourd’hui, c’est un peu leur revanche, la ré-surgence d’une Nigeria qu’on pen-sait disparu.

Gestion des hydrocarbures

En 1975, lorsque le très populaire général Murtala Mohammed réussit un coup d’Etat, il nomme Buhari à la tête de la province du Nord. C’est la promesse d’une in-fluence qui ne se démentira pas. L’année suivante, Murtala Mo-hammed est assassiné, et un autre général, Olusegun Oba-sanjo, lui succède.

Muhammadu Buhari va se voirconfier par ce dernier la gestiondes hydrocarbures. Le Nigeria

Des partisans de Muhammadu Buhari célèbrent la victoire de leur candidat, le 31 mars, à Kano. GORAN TOMASEVIC/REUTERS

Quittant

une famille

de 23 enfants,

Muhammadu

Buhari s’est forgé

au sein d’une

autre « famille » :

l’armée nigériane

vient de rejoindre l’OPEP et serêve en puissance pétrolière. La NNPC, une société nationale aux multiples fonctions, est créée. Ellesera bientôt un monstre irréfor-mable, un puits sans fond, au cœur de toutes les corruptions. Mais à ce stade, l’avenir nigérian semble aussi pétrolier que pro-metteur. La NNPC crée des oléo-ducs, fait monter du brut depuis le delta du Niger, région de pro-duction, jusqu’à Kaduna, où une raffinerie est construite.

La « mafia de Kaduna » a soignésa « capitale bis ». Le week-end,impossible de trouver un respon-sable du pouvoir à Lagos ou à Abuja. « Ils sont à Kaduna », s’en-tend-on immanquablement ré-péter jusqu’aux années 2000. A Kaduna, dans l’une de leurs gran-des maisons aux allures de palais.Muhammadu Buhari, bien en-tendu, a la sienne. Son voisin, Shehu Yar’Adua, était le frère d’ar-mes et de coups d’Etat d’OlusegunObasanjo (chef de la junte de 1976 à 1979, puis président élu de 1999 à 2007). Et le frère du défunt prési-dent Umaru Yar’Adua. Il a été as-sassiné en prison par une autrepersonnalité, féroce, de ce groupe : Sani Abacha. A la grande époque, tout ce monde rival et complice menait grand train àKaduna, loin du regard des sim-ples mortels, n’apparaissant que pour des cérémonies ou au club de polo de la ville, qui s’honore d’être le « premier du Nigeria ».

Dans le club des officiers d’élite,chacun ou presque connaîtra son heure au pouvoir. En 1983, vint le tour de Muhammadu Buhari. La « discipline » et la chicotte ne suf-fisent pas à réformer l’économie. Moins de deux ans après, il estrenversé par le général IbrahimBabangida. On l’accuse d’avoir dé-tourné de l’argent : rien ne sera jamais prouvé. Le général Buhari, au contraire, semble être l’un des seuls dirigeants à ne s’être attri-bué aucun bloc pétrolier. Peut-être est-ce, au fond, ce qui fonde laconfiance que les Nigérians ont placée en lui. p

jean-philippe rémy

son élection, en avril 2011, s’était ouverte sur un bain de sang : au moins 800 morts lorsde violences intercommunautaires intervenuesessentiellement dans le Nord, musulman. Puis, son mandat se poursuivit, marqué au fer rouge par les horreurs commises dans le nord du payspar la secte islamiste Boko Haram contre la-quelle il a tardé à réagir. Finalement, Goodluck Jonathan restera peut-être dans l’histoire de sonpays comme celui qui a permis, pour la pre-mière fois au Nigeria, une transition démocrati-que et pacifique dans la plus grande puissance économique et démographique d’Afrique.

Fait sans précédent, Goodluck Jonathan avaittéléphoné, avant même la fin du dépouillement,au vainqueur du scrutin, Muhammadu Buhari, pour reconnaître sa défaite. Il a ensuite diffusé un communiqué demandant à ses partisans d’accepter le résultat. « L’ambition de quiconque ne justifie pas qu’on verse le sang d’un Nigérian(…) L’unité, la stabilité et le progrès de notre cherpays importent plus que tout », a-t-il estimé.

Cet appel au calme alors que nombre d’obser-vateurs redoutaient d’indicibles violences atté-nuera sans doute le bilan contrasté de cet homme, chrétien du sud, de l’ethnie Ijaw, arrivéau pouvoir à la mort, par maladie, de son prédé-cesseur, Umaru Yar’Adua, en mai 2010, dont ilfut le vice-président. « Il est président par acci-dent, déclarait durant son mandat l’écrivainAdewale Maja-Pearce, sorti de l’ombre parce qu’ilétait considéré comme flexible. »

Est-ce cette flexibilité qui explique la difficultéqu’il éprouva à affronter les spasmes du géantnigérian ? Il fut ainsi critiqué pour l’incapacité de son armée à contenir l’expansion insurrec-tionnelle de Boko Haram, qui a coûté la vie à plus de 13 000 personnes depuis six ans. Au planéconomique, il fut certes félicité, sur la scène in-ternationale, pour s’être entouré de quelques technocrates expérimentés. Mais cela n’empê-cha guère les scandales de se perpétuer dans ce pays gangrené par une corruption endémique. p

christophe châtelot

Goodluck Jonathan, un président bon perdant

P R É S I D E N T I E L L E A U N I G E R I A

Page 3: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 international | 3

Les Nigérians passent de la peur à l’espoirLe géant africain connaît la première alternance démocratique de son histoire

kaduna (nigeria) - envoyé spécial

C’est la nuit, mardi31 mars, et personnene dort dans tout leNigeria. Il y a des

endroits où règne un vacarme in-sensé, des rodéos de voitures et demotos, des cris, des chants, avecdes accidents et même des morts au milieu de toute cette joie.D’autres où pèse un silence qu’on pourrait toucher. Un présidentélu vient d’admettre sa défaite à l’élection présidentielle. C’est lapremière fois qu’une chose pa-reille se produit dans toute l’his-toire du pays.

Le Nigeria, nation superlative,semblait avoir déjà presque toutconnu : la colonisation, la fin de l’esclavage dans le nord du pays (1936), la splendeur de la rente pé-trolière, la misère de la chute descours puis leur remontée, uneguerre civile (1967-1970), une col-lection de dictatures militaires as-sez fournie, et bien d’autres cho-ses encore, belles ou pas. Mais ja-mais il n’avait encore vécu une victoire à la loyale à une élection présidentielle, et un président sor-tant, Goodluck Jonathan, recon-naissant sa défaite et félicitant le vainqueur, Muhammadu Buhari.

Plus tôt dans la soirée, des dizai-nes de millions de Nigérians avaient commencé à poser les feuilles de papier que, depuis di-manche, ils couvraient de chiffresà mesure qu’étaient égrenés lesrésultats du vote dans les trente-six Etats, plus la capitale fédérale, Abuja. On a compté frénétique-ment, pendant plus de deux jours, en grappes serrées devant les téléviseurs diffusant, en di-rect, ces résultats depuis la Com-mission nationale électorale in-dépendante (INEC), qui n’a jamais autant mérité son nom.

Tout n’est pas encore gagné

Jusqu’au bout, le suspense est de-meuré fort, comme la menace de la violence qui pointait au bout deces résultats, tandis que AttahiruJega, le président de l’INEC, subis-sait toutes les pressions en cou-lisse, et y résistait, menant stoï-quement jusqu’au bout son inter-minable annonce. Cette litanie de chiffres a fait visiter, lentement et solennellement, le Nigeria aux Nigérians, comme une vie de la nation défilant au ralenti. Il y a eu les surprises, à commencer par la diversité des votes, parfois. L’ar-gent a coulé à flots pour tout faus-ser, mais le Nigeria, au bout ducompte, a résisté à cette corrup-tion électorale ordinaire, porté par l’espoir fou du changement.

Dans l’ultime séquence de l’an-nonce, le dernier Etat a été celui deBorno, dans le Nord-Est. Borno, oùsévit l’insurrection de Boko Ha-ram, et où plus de 10 000 person-nes ont été tuées ces dernières an-nées. C’est là, aussi, que les lycéen-nes de Chibok, dont le sort est en-core inconnu, ont été enlevées en avril 2014. Le choix de l’INEC était un hommage ému à ces Nigériansmartyrisés, et forcément un rap-pel discret de l’incapacité du pou-voir de Goodluck Jonathan de mettre fin à cette menace.

Pourtant, cette nuit, GoodluckJonathan vient sans doute de sau-ver le Nigeria. Il le sait et le dit en mots très simples, dans un mes-sage court qui est le plus fort, iro-niquement, de tout son passage au pouvoir depuis 2010 : « J’ai pro-mis à ce pays des élections libres etjustes. J’ai tenu parole. (…) Aucune ambition personnelle ne vaut le sang d’un Nigérian. »

Kaduna, plus encore qued’autres parties du pays, vient d’échapper à un suicide collectif,et en direct. Ce n’est pas une expression hyperbolique. En 2011,plus de 800 personnes ont été assassinées dans le pays à la suite de la présidentielle où s’oppo-saient, déjà, les deux hommes de ce scrutin. Plus des trois quarts deces victimes ont été décomptées ici, à Kaduna, parce que les parti-sans de Muhammadu Buhari, lespremiers, avaient lancé des va-gues de massacres de chrétiens, jugés par nature « partisans » de Goodluck Jonathan.

Mais la violence interreligieusen’est pas une fatalité. La preuve, il existe des hommes comme Sam-son Auta, du Interfaith Mediation Center, une association qui tra-vaille à rassembler les commu-nautés religieuses et évite bien des morts. Ces dernières quaran-te-huit heures, Samson les a pas-sées pendu au téléphone, avec l’ensemble de ses contacts dans les différents quartiers, les diffé-rentes communautés, et ce qu’il dit fait froid dans le dos : « On

était au bord du désastre. Les gens à qui je parlais me disaient qu’ils étaient prêts à aller jusqu’au boutsi on leur volait l’élection. SiGoodluck Jonathan avait été dé-claré élu, le Nord aurait été plongé dans le chaos. »

« Véritable culte »

Tout n’est pas encore gagné. Dans la région du delta du Niger, des groupes armés ont promis qu’ils reprendraient les armes si Goo-dluck Jonathan, originaire de l’Etatde Bayelsa, était battu. Même à Kaduna, des consignes ont été données du côté de l’état-major del’All Progressives Congress (APC) de Muhammadu Buhari pour li-miter la liesse et éviter qu’elle ne« vire au massacre », analyse luci-dement Ahmed Tijjani Ramalan, une personnalité influente des instances du parti dans cet Etatcrucial où le vainqueur de la prési-dentielle a sa résidence. « Que vou-lez-vous, les gens qui soutiennent

Buhari lui vouent un véritable culte, ici, soupire-t-il, c’est aussi trèsdangereux, évidemment. »

Il y a aura tout de même des cé-lébrations dans les jours à venir.Les vaches achetées dans le quar-tier de Tudun Wada vont être abattues, grillées et partagées dans la joie, aux cris de « change-ment ». Mohammed Moussa Ab-dou, qui était comme chaque in-dividu du quartier, prêt à la guerretotale, aime tout le monde ce soir,et sent palpiter un Nigeria qu’on croyait ne voir exister que lors desvictoires de l’équipe nationale de football. Il espère, fiévreusement, que change la vie avec le nouveau président et enfin, « la sécurité, une amélioration de l’économie et la fin de la corruption ». C’est pources valeurs cardinales que le Nige-ria a voté, peut-être plus encore que pour l’ex-général Buhari.

Mais cette nuit, la peur qui re-tombe est si lourde qu’on n’est pasencore certain de bien cerner ces

espoirs. La veille au soir, dans unbar d’une rue reculée, où chré-tiens et musulmans coexistent toujours malgré les violences dupassé et les déclarations incen-diaires de certains responsablesreligieux, le tenancier (chrétien) de l’établissement était loin de cé-der à l’ivresse, en débouchant unebière : « Si on perd, on va se retrou-ver face à l’arrogance de tous ces gens, et d’un coup de menton il indiquait un vendeur haoussa desuya (viande grillée) plus loin dans la rue. Il va falloir faire atten-tion, ce sera dangereux pendant des jours après les résultats. »

Un peu plus loin, dans la mêmerue, il y avait un bordel connudans Kaduna. Il a fermé. La pres-sion des musulmans du quartier ?« Pas du tout, la maison était tenuepar une femme. Son fils en a hérité mais il est devenu pasteur, alors il aarrêté cette activité », commente sobrement le tenancier. p

jean-philippe rémy

« J’ai promis à ce

pays des élections

libres et justes.

J’ai tenu parole.

Aucune ambition

personnelle

ne vaut le sang

d’un Nigérian »

GOODLUCK JONATHAN

LES DATES

19601er octobre

Proclamation de l’indé-pendance du Nigeria.

198331 décembre

Coup d’Etat du général Muhammadu Buhari.

199927 février

Victoire d’Olusegun Obasanjo à l’élection présidentielle, scellant le retour de la démocratie.

20105 mai

Goodluck Jonathan succède au président Umaru Yar’Adua, décédé en cours de mandat. M. Jonathan sera élu à la présidence en avril 2011.

201314 mai

L’état d’urgence est ins-tauré dans trois Etats du Nord (Borno, Adamawa et Yobe), soumis à l’insurrection des islamis-tes de Boko Haram.

201424 août

Boko Haram proclame l’instauration d’un « cali-fat » sur les zones qu’il contrôle. Sept mois plus tard, alors qu’une inter-vention militaire régionale a été lancée contre son mouvement, le chef de Boko Haram, Aboubakar Shekau, annonce son ral-liement à l’Etat islamique (EI).

201531 mars

Muhammadu Buhari remporte l’élection présidentielle, consacrant la première alternance démocratique au Nigeria.

A gauche : des Nigérians suivent les résultats de l’élection, à Daura (nord), le 28 mars. AKINTUNDE AKINLEYE/REUTERS

Ci-dessous : Muhammadu Buhari (à droite), vainqueur de la présidentielle,et Goodluck Jonathan, le président sortant, à Abuja, le 26 mars. BEN CURTIS/AP

Page 4: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

4 | international JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Nucléaire iranien : l’unité des puissances mise à malLes discussions de Lausanne, qui devaient s’achever dans la nuit, ont été suspendues dans la confusion générale

lausanne (suisse) - envoyé spécial

Une pause ou un désac­cord majeur ? Les né­gociations sur le nu­cléaire iranien, qui

devaient aboutir à un accord poli-tique entre l’Iran et les grandespuissances avant le mardi 31 mars à minuit, ont été inter-rompues dans la plus grande confusion, mercredi 1er avril, à1 h 30 du matin, à Lausanne, enSuisse, avec des déclarations con-tradictoires des principaux pro-tagonistes sur les raisons de cetajournement, avant de reprendredans la matinée.

Laurent Fabius, le chef de la di-plomatie française, est reparti à Paris dans la nuit sans faire le moindre commentaire sur cette dernière session de pourparlers en cours depuis le 26 mars, son ca-binet précisant seulement qu’ilreviendra « lorsque ce sera utile ». Une attitude qui laisse supposerque la séquence de tractations quiavait commencé mardi, à 7 heuresdu matin, dans les salons de l’hô-tel Beau Rivage, en vue de parve-nir à un compromis avant la date butoir de la fin mars, a été lourde de tensions.

Mais de son côté, Sergueï La-vrov, le ministre russe des affai-res étrangères, s’est montré opti-miste. Il a été le premier à s’expri-mer à l’issue de l’ultime réunion de plus de trois heures entre Mo-hammad Javad Zarif, son homo-logue iranien, et les chefs de la di-plomatie du « P5 + 1 », regrou-pant les cinq pays membres duConseil de sécurité de l’ONU, plusl’Allemagne.

« On peut dire avec une relativecertitude qu’au niveau ministériel, nous sommes parvenus à un ac-cord de principe sur tous les as-pects clés d’un règlement de ce dos-sier, qui commencera à être cou-ché sur le papier dans les prochai-nes heures ou d’ici un jour », aestimé M. Lavrov.

« On continue »

Quelques instants plus tard, peuavant 2 heures du matin, M. Zarifa provoqué une cohue en sepostant sur les marches d’un es-calier de l’hôtel pour faire une brève déclaration allant dans lemême sens. « De bons progrèsont été accomplis dans les discus-sions, a-t-il affirmé d’un tonposé. J’espère que nous pourrons

conclure notre travail mercredi etcommencer la rédaction » d’unaccord.

Mais à peine ces propos avaient-ils été prononcés que d’autres ac-teurs ont donné une lecture net-tement plus réservée. Un diplo-mate occidental a démenti qu’il y avait un accord de principe sur lesgrandes lignes d’un texte : « Pas encore, on continue de négocier », a-t-il souligné. Et un diplomateaméricain, cité par l’AFP, a égale-ment relevé que « toutes les ques-tions n’ont pas été réglées ».

Tout laisse croire que les Etats-Unis ont été pris de court par la suspension des négociations. Vers minuit, les services du départe-ment d’Etat ont conseillé aux jour-nalistes américains d’aller se cou-cher et de revenir vers 6 heures dumatin, ce qui laissait supposer queles pourparlers allaient se prolon-ger pour tenter d’arracher un

accord jusqu’à la dernière heure.Ces interprétations divergentes

semblent indiquer que l’unité du« P5 + 1 » s'est fracturée au mo-ment où les négociations en-traient dans une phase cruciale.L’accord en discussion à Lau-sanne est en effet fondamental car il doit fixer les principaux paramètres du programme nu-cléaire iranien et conduire à une

levée progressive des sanctions internationales qui frappent l’Iran, en échange d’assurances que Téhéran ne cherche pas à se doter de la bombe atomique. Cetexte âprement négocié doit ser-vir de feuille de route à la pro-chaine étape qui vise à régler tousles détails techniques pour arriver à un accord définitif d’ici au 30 juin.

Tensions perceptibles

Il était difficile de mesurer, mer-credi matin, la portée des dissen-sions qui ont conduit à cette inter-ruption des discussions. Mais plus les négociations avançaient àLausanne, plus les tensions étaient perceptibles. Alors que les négociations approchaient de leur dénouement, un diplomate occidental a souligné que les blo-cages portaient sur « trois points difficiles » : la durée d’application

de l’accord, le calendrier de la le-vée des sanctions contre l’Iran et l’adoption d’un mécanisme, dit« snap back », qui permettrait de réimposer des sanctions siTéhéran ne tenait pas ses engage-ments.

Sur la durée, les Occidentauxont fait savoir qu’ils veulent unaccord sur environ quinze ans, une période jugée trop longue parl’Iran. Quant aux multiples sanc-tions (ONU, Etats-Unis, Unioneuropéenne), les Iraniens vou-draient les voir retirer rapide-ment en cas d’accord, alors que lesgrandes puissances plaident pourune levée progressive.

A moins qu’un compromispuisse être rapidement trouvé surces points clés, la poursuite de cesinterminables négociations, amorcées en 2003, paraît forte-ment compromise. p

yves-michel riols

La Palestine devient le 123e membre de la Cour pénale internationaleL’Autorité palestinienne n’a pas l’intention de déposer une plainte contre la colonisation israélienne dans l’immédiat

la haye - correspondance

L a Palestine compte désor-mais officiellement parmiles 123 Etats membres de la

Cour pénale internationale (CPI). Mais l’Autorité palestinienne ne déposera pas, du moins dans l’im-médiat, de « plainte » visant la co-lonisation israélienne, comme l’avait annoncé début mars le mi-nistre des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki. « Nous ne cher-chons pas la vengeance, mais la justice », a-t-il déclaré lors d’une conférence à l’Institut des scien-ces sociales (ISS) de La Haye, aux Pays-Bas, la veille de la cérémonie d’adhésion de la Palestine à la Cour, le mercredi 1er avril. Une cé-rémonie symbolique, qui lui per-met néanmoins d’agir désormais en qualité d’Etat au sein d’une or-ganisation internationale et d’ydisposer d’un droit de vote, con-trairement à Israël, qui s’oppose à cette juridiction établie par traité et chargée de poursuivre les auteurs de crimes de masse com-mis depuis 2002.

Ramallah a adhéré à la Cour le1er janvier, à la suite de l’échecd’une résolution du Conseil de sé-curité visant à fixer un calendrier pour la reconnaissance de l’Etat palestinien et la fin de la colonisa-tion israélienne. Israël et les Etats-Unis avaient vivement con-damné la démarche, déniant à la Palestine la qualité d’Etat qui lui ouvrait les portes de la CPI.

Accord secret

Le gouvernement israélien a aussi gelé les rentrées fiscales, de 106 millions d’euros mensuels,collectées pour le compte des Pa-lestiniens. Une décision sur la-quelle il est revenu vendredi, après, selon la presse israélienne, un accord secret selon lequel Ra-mallah n’ouvrirait pas de nou-veau front devant la Cour ciblant spécifiquement la politique de co-lonisation. La procureure Fatou Bensouda peut bien sûr ouvrirune enquête sans requête des Pa-lestiniens, mais les demandes sur un point précis ont plus de chance d’aboutir.

Parallèlement à sa demanded’adhésion à la Cour début jan-vier, Ramallah a demandé à laprocureure d’enquêter sur les cri-mes commis depuis le13 juin 2014, visant ainsi l’opéra-tion « Bordure protectrice » con-duite par l’armée israélienne à Gaza durant l’été. Mme Bensouda alancé un examen préliminaire,étape préalable à l’ouverture éventuelle d’une enquête. Mais la procédure s’annonce très longue, et l’issue incertaine.

Une première demande palesti-nienne avait été rejetée en avril 2012, au motif que la Pales-tine n’était pas un Etat. L’obstacle est désormais surmonté, mais la procureure devra encore analyser tous les aspects légaux, et, « juridi-quement, il est possible de rétablir l’incompétence de la Cour et de dé-clarer l’affaire irrecevable », es-time un expert en droit interna-tional. D’autant que la bataille po-litico-judiciaire qui s’annonce pourrait aussi cibler la Cour. Enmars, le ministre des affairesétrangères israélien, Avigdor Lie-

berman, promettait de faire du lobbying pour convaincre lesEtats de ne pas contribuer au bud-get de la juridiction. Pour l’ins-tant, « il n’y a pas de signe », dit-ondu côté de diplomates occiden-taux à La Haye. « Ils peuvent utili-ser toutes les pressions qu’ils veu-lent, mais ils ne peuvent pas stop-per la Cour », assure de son côté Nabil Abouznaid, chef de la délé-gation de Palestine aux Pays-Bas.

Les pressions israéliennes ontdébuté dès l’été. Alors que le chef de l’Autorité palestinienne, Mah-moud Abbas, tentait d’obtenir l’aval de toutes les factions avant

de rejoindre la CPI, diplomates et experts rappelaient que des res-ponsables palestiniens, en parti-culier du Hamas, pourraient aussi être ciblés. « Peut-être que nous serons aussi visés par des en-quêtes, mais nous n’avons paspeur », assure Nabil Abouznaid. « Aujourd’hui, nous sommes à ar-mes égales, assure le diplomate,ils peuvent être mes voisins de pri-son à Scheveningen », le centre de détention de la Cour, « mais cette fois, ils ne détiennent pas les clés ».

Si on s’efforce de part et d’autrede calmer le jeu, la société civilemultiplie les initiatives. Raji Sou-rani, directeur du Centre palesti-nien pour les droits de l’homme(PCHR), une ONG basée à Gaza, a « rencontré la procureure de la CPI,le comité d’enquête, des rendez-vous ont eu lieu avec des avocats etdes organisations », dit-il. Lors dela guerre de Gaza, les militants du Centre ont rassemblé preuves ettémoignages. « Ce n’est pas seule-ment pour les Palestiniens, mais pour toute la région : que veut le monde pour notre région ? L’Etat

de droit, ou la loi de la jungle ? »Des responsables israéliens ont,

de leur côté, menacé d’entamer des procédures tous azimuts. L’Is-rael Law Center, réputé proche du gouvernement, s’en est fait une spécialité depuis plusieurs an-nées, obtenant des condamna-tions pour terrorisme devant des tribunaux américains notam-ment. L’organisation a déjàadressé trois plaintes à la Cour, vi-sant notamment Mahmoud Ab-bas et le chef du Hamas, Khaled Mechaal. Tous possèdent la natio-nalité jordanienne, rappelle l’Is-rael Law Center et sont, à ce titre, passibles de la CPI. La Jordanie est membre de la Cour, ce qui auto-rise la procureure à enquêter sur les crimes de guerre commis parses ressortissants, quel que soit le lieu. La Cour n’est pas tenue de donner suite aux centaines de plaintes qu’elle reçoit chaque an-née, mais l’initiative démontre bien que la guerre judiciaire nefait que commencer. p

stéphanie maupas

avec hélène sallon (à paris)

« Aujourd’hui,

nous sommes

à armes égales »

avec

les Israéliens

NABIL ABOUZNAIDchef de la délégation de Palestine aux Pays-Bas

Le président américain, Barack Obama, lors d’une téléconférence avec le secrétaire d’Etat, John Kerry, le 31 mars. PETE SOUZA/WHITE HOUSE

Il était difficile

de mesurer,

mercredi matin,

la portée

des dissensions

qui ont conduit à

cette interruption

des discussions

LES DATES

2003-2005Premières négociations sur le nucléaire iranien, conduites par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

2006-2010Le Conseil de sécurité adopte quatre résolutions contre l’Iran, accusé de dissimuler un pro-gramme en vue de fabriquer une bombe atomique.

2013L’Iran et les pays du « P5 + 1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allema-gne) signent un accord intéri-maire, le 24 novembre, à Ge-nève, et se donnent un an pour conclure un accord.

2014Faute de compromis sur les ca-pacités iraniennes d’enrichisse-ment d’uranium, combustible in-dispensable à la fabrication d’une bombe, et sur la levée des sanctions réclamées par Téhé-ran, il est décidé de prolonger de sept mois les tractations, d’ici à mars 2015.

2015Les protagonistes ne sont pas parvenus à un accord politique avant le 31 mars, la date butoir qu’ils s’étaient fixée. Mais ils de-vaient poursuivre les tractations mercredi 1er avril, en espérant fi-naliser un accord technique d’ici au 30 juin.

Page 5: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

P1� R&D� « Innover maintenant pour continuer à innover demain ».P2� ENGAGEMENT� Celgene met en place un modèle « pay for benefit ».MÉDICAMENT� Les enjeux de la vraie vie.P3 � SANTÉPUBLIQUE� L’alcoolisme, un tabou à lever, un fléau à combattre. E-SANTÉ� La question de l’eicience. TÉLÉMÉDECINE� L’innovation en pratique, au quotidien. P4� ENJEUX� Le parcours de santé, clef del’innovation en santé. ÉQUIPEMENTS DE SANTÉ� Le dispositif médical, un secteur stratégique pour l’avenir. L’ANALYSE� Claude Le Pen, économiste de la santé : « La fin de la santé demasse ».

COMMUNIQUÉ JEUDI 2 AVRIL 2015 ❶

Spécial santé et innovation

ÊTES-VOUS BIEN SOIGNÉS ?

LES PARLEMENTAIRES s’apprêtent à discuter d’unprojet de loi soutenu par la ministre de la Santé,Marisol Touraine,et destiné à réorganiser les basesdu système de santé.Porté depuis près de trois anspar le gouvernement, ce texte aura connu de nom-breuses péripéties durant sa phase d’élaboration,dont une forte hostilité du corps médical, symbo-lisée par une importante manifestation parisien-ne, le 15mars dernier.Au final, la dernière versioncontient d’importantesmodificationspar rapport àla copie d’origine : le gouvernement a ainsi déposé57 amendements pourmodifier son propre texte !Principale pommedediscorde avec lesmédecins li-béraux,le tiers payant généralisé,c’est-à-dire la dis-pense totale d’avance de frais pour le patient,reste

la mesure-phare du projet pour le grand public.Mais, derrière cet aichage « de gauche », le granddessein de la loi Touraine porte sur la structura-tion des « parcours de santé ». Face à la demandede soins des 15 millions de patients chroniques,lesréponses en termes d’organisation sont en efetnotoirement insuisantes. Faute d’une coordina-tion des professionnels de santé autour du patient,de nombreux patients chroniques connaissent desruptures dans leur prise en charge, reçoivent cer-tains soins trop tard ou, à l’inverse, subissent desdoublons inutiles d’examensmédicaux.Aujourd’hui,l’innovationensantépassenotammentpar un suivi plus concerté et évalué des patientschroniques. Outre une prise en charge pluridisci-

plinaire entre professionnels, les industriels de lasanté revendiquent leur participation aux parcoursde santé. Les laboratoires pharmaceutiques souhai-tentvérifier que leurs traitements sont utilisés à bonescient. La mauvaise observance coûterait en efet9milliards d’euros par an, selon une étude d’IMSHealth.Mais d’autres secteurs,dont ceux du disposi-tif médical et de l’e-santé, doivent contribuer à unemeilleure eicience du systèmede santé,enpermet-tant un retour d’information sur les soins délivrés eten incitant les malades à se prendre eux-mêmes encharge. Le «virage ambulatoire » prôné par MarisolTouraine dépendra donc de la capacité des pouvoirspublics à favoriser les bons investissements sur lestechnologies les plus performantes.PierreMongis�

�TRIBUNE

LES NOUVEAUXVISAGES DEL’INNOVATIONEN SANTÉ

TRADITIONNELLEMENT,dans l’uni-vers de la santé, c’est l’innovationdite « thérapeutique » qui a porté leprogrès médical depuis plusieursdécennies.Après la phase des « blockbusters »,ces médicaments à large spectrethérapeutique, les industriels sontaujourd’hui focalisés sur des pro-duits complexes, développés dansdes indications restreintes et dontl’eicacité peut se révéler détermi-nante pour de petits groupes de ma-lades. Ce nouveau modèle de soinsbouleverse les modalités de finance-ment de l’innovation. Les entreprisesrevendiquent en efet des niveauxde prix importants,car elles doiventamortir les coûts très élevés deR&D,sans compensation sur les volumes.Les autorités, elles, sont confrontéesà la restriction des budgets consacrésà la dépense de médicaments. Et, auvu des prix concédés,elles attendentlégitimement des preuves d’eica-cité des nouveaux produits une foisqu’ils sont mis sur le marché.Ce contexte général a été bousculé àl’automne dernier par l’arrivée d’untraitement très eicace contre l’hé-patite C. Face au nombre importantde malades, les autorités et le labo-ratoire se sont finalement enten-dues sur un accord classique de typeprix/volume. Véritable choc budgé-taire pour l’assurance-maladie, cetévénement montre les limites dusystème actuel. Pourra-t-on à l’ave-nir continuer à financer l’innovationmajeure à large spectre de difusion ?Les entreprises s’alarment et s’in-quiètent,mais rien n’indique,à l’exa-men de leur « pipe-line », qu’un telcas de figure va se reproduire d’ici àdeux ou trois ans.Pour autant, il faut s’interroger surle modèle actuel de fixation des prix.Des approches plus innovantes doi-vent sedévelopper,où les laboratoiress’engageront sur la performance deleursproduits,souspeinedesubirdesbaisses de prix.Au-delà, les pouvoirspublics devront également efectuerdes arbitrages en faveur d’autres sec-teurs de la santé, où les innovationssont fortes et portent en germe uneorganisation des soins plus ei-ciente : c’est le cas pour le dispositifmédical et la santé digitale.Aujourd’hui, la clef n’est plus seule-ment de concevoir desmédicamentsqui guérissent,mais d’imaginer desservices de santé globaux et égale-ment de s’assurer que ces servicessont bien utilisés par les profession-nels de santé et les patients.�

Gérard de Pouvourville,économiste de la santé, titulaire

de la chaire Essec-Santé.

R&D� « INNOVER MAINTENANT POURCONTINUER À INNOVER DEMAIN »L’innovation est au cœur de la stratégie d’AbbVie.Le laboratoire

biopharmaceutique concentre son expertise sur des pathologies graveset complexes,où les besoins médicaux sont aujourd’hui encore peusatisfaits.En virologie,par exemple, AbbVie a travaillé pendant plus

de dix ans pour mettre au point un nouveau traitement contre l’hépatite Cchronique.Entretien avec Jérôme Bouyer,président d’AbbVie France.

VOUS ÊTES POSITIONNÉS surle traitement de l’hépatite C.Enquoi est-ce une avancée majeurepour lutter contre cette pathologie ?Nos chercheurs se sont appuyés surun solide programme de développe-ment clinique, réalisé dans 25pays,comptant aujourd’hui plus de 3 400patients. Grâce à un mécanisme d’ac-tion innovant, on atteint aujourd’huides taux de guérison de 95 à 100%.Un tel niveau d’eicacité est révolu-tionnaire pour les patients atteintsd’hépatiteC chronique,ycompris chezceux qui sont les plus diiciles à trai-ter. Avec des durées de traitementréduites et des modalités d’adminis-tration simples, l’adhésion au traite-ment devrait de plus être améliorée.

En quoi vos recherchespeuvent-elles contribuerà améliorer la santé de demain ?La mission d’AbbVie peut se résumertrès simplement : innover mainte-nant pour continuer à innover de-main. Avec plus de 20molécules endéveloppement en phases 2 et 3,dont30 % biologiques, notre portefeuilleest très prometteur. Nos équipes deR&D travaillent actuellement sur

des traitements novateurs dans dif-férentes formes de cancer, dans lesmaladies neurodégénératives, dansla virologie, mais aussi dans les pa-thologies résultant de dérèglementsdu système immunitaire. Nous tra-vaillons également sur des maladiesmal connues, comme la maladie deVerneuil. Cette pathologie chroniquede la peau, qui concerne 1% de la po-pulation française, se caractérise pardes nodules inflammatoires et desabcès très douloureux localisés typi-

quement au niveau des plis, associésà des écoulementsmalodorants et descicatrices très invalidantes pour lespatients. Peu diagnostiquée, la mala-die de Verneuil n’a pas aujourd’hui detraitement curatif. Les patients sontpris en charge principalement parantibiothérapie à fortes doses et surde longues durées, et par chirurgie,

ce qui peut avoir un très lourd impactsur leur qualité de vie.Ainsi, certainspatients ont subi plus de 20 interven-tions chirurgicales sur une dizained’années.

Vous vous investissezégalement dans la prévention.Quels sont vos objectifs ?Aujourd’hui,avec l’allongement de ladurée de la vie,plus de 15millions deFrançais sont touchés par une mala-die chronique.Et ce chifre augmentede façon inexorable, ce qui fragiliseles fondements de notre système desanté.Or,nous savons que la mise enœuvre d’actions ciblées de préven-tion permettrait d’éviter l’apparitionde ces pathologies, ou du moins, defreiner leurévolutiondans lamajoritédes cas. A l’instar de tous les acteursde santé, l’industrie pharmaceutiquedoit contribuer, au-delà de l’inno-vation thérapeutique, à la réflexionsur l’adaptation du système de santé.Nous devons être force de proposi-tions dans l’amélioration de la qua-lité des soins pour rendre meilleurela qualité de vie des patients.Avec le soutien d’AbbVie, un comitéscientifique pluridisciplinaire vient

©ABBVIE/DR

de rédiger un Livre blanc, qui pro-pose 12 recommandations inspiréesdes pratiques innovantes émergeantdans les régions. Ce rapport* vise àencourager lamiseenplaced’actionspilotes en France, en 2015. Cette ini-tiative s’inscrit dans un programmeeuropéen lancé en 2013 par AbbVie :«Recipes for sustainablehealthcare ».Construite en partenariat avecl’association européenne de santépublique Eupha (European PublicHealth Association) et l’entreprisePhilips Healthcare, une conférencede lancement du Livre blanc euro-péenorganiséeàBruxelles,le 19marsdernier,a permis demettre envaleurplus de 20 projets innovants en ter-mes de prise en charge des patients.C’est en facilitant ces échanges, encapitalisant sur les actions qui fonc-tionnent en régions ou dans les paysvoisins,et enpermettant l’émergenced’idées nouvelles, qu’AbbVie sou-haite participer au débat. Car, plusque jamais, si la santé est l’afairede tous, notre objectif commun estbien la pérennité et l’eicience dusystème de soins.Propos recueillis par Pierre Mongis�

*Rapport téléchargeable sur www.iceps.fr

En discussion au Parlement, le projet de loi de Santé vise à mieux organiser les parcoursde santé des patients atteints demaladies chroniques et à promouvoir le « virage ambulatoire ».

©EVERYTHINGPOSSIBLE/FOTOLIA.COM/DR

©DR

« Si la santéest l’afaire de tous,

notre objectif communest bien la pérennité

et l’eiciencedu système de soins.»

Page 6: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

❷ JEUDI 2 AVRIL 2015

Communiqué spécial santé et innovation

AVEC 15 MILLIONS DE PATIENTSatteints de maladies chroniques,descoûts croissants pour permettre leprogrès médical et un contexte fi-nancier particulièrement diicile, lesystème de santé français doit revi-siter sonmodèle historique.Forts de ce constat, les industriels dela santé sont de plus en plus nom-breux à s’impliquer dans une nou-velle organisation des soins.« En tantqu’acteur de santé responsable, unlaboratoire pharmaceutique inno-vant doit aller au-delà de la mise àdisposition de médicaments eica-ces, estime Franck Auvray, directeurgénéral de Celgene France. Si l’inno-vation thérapeutique reste au cœurde notre métier, notre devoir est des’assurer qu’elle est accessible auxmalades qui en ont besoin,mais éga-lement qu’elle est conforme aux cri-tères d’eicacité identifiés lors desphases de recherche clinique.»

UNTRAITEMENT EFFICACE

OU REMBOURSÉ

En juillet 2014, Celgene a signé avecle Comité économique des produitsde santé (Ceps), l’organisme qui fixeles prix des médicaments,un accordinédit sur le prix de l’une de ses mo-lécules en hématologie. Ce médica-ment est indiqué pour traiter lemyé-lome multiple, une forme de cancerdu sang, en cas d’échec des traite-ments dits « de référence ».Cet accord s’inspire du principe dupay for benefit anglo-saxon.« Le trai-tement ne coûte à l’assurance-ma-ladie que s’il est démontré qu’il estprofitable au patient, indique Franck

©JPC-PROD-FOTOLIA.COM/DR

Auvray.Dans le cas contraire,Celgenerembourse l’assurance-maladie.»Cette démarche est rendue possiblegrâce à un registre mis en place de-puis la mise à disposition du médi-cament et qui, renseigné par le pro-fessionnel de santé,assure le suivi detous les patients traités par ledit mé-dicament. « Ce registre a d’abord vo-cation à soutenir l’eicacité du Plande gestion des risques qui accompa-gne obligatoirement la mise sur lemarché des nouveaux médicaments,précise Franck Auvray. Mais c’estégalement un dispositif pivot pourconsolider le recueil de données detolérance,de bon usage et d’eicacitédu traitement.« Ce type de démarcheinnovante n’est possible qu’avec l’en-gagement des professionnels de san-té à nos côtés, ajoute Franck Auvray.Avec cet accord, Celgene a souhaités’inscrire dans une démarche res-ponsable : par nature, nous restonscentrés sur le bénéfice clinique pourle patient et son accès au traitement,mais nous devons également être at-tentifs aux dépenses de santé pour lacollectivité. »

EN FINIR AVEC LES SILOS

« L’innovation passe par la volonté detoutes les parties prenantes d’êtreen partage plutôt qu’en silos : in-dustriels, professionnels de santé,autorités et associations de pa-tients », airme Franck Auvray. Lemodèle pay for benefit en est unexemple. La nécessaire réflexioncommune autour du parcours desoins en est une autre. En hémato-logie précisément, Celgene s’impli-

que aux côtés d’associations commeFrance Lymphome Espoir et l’AF3M(Association française des maladesdu myélome multiple). « Le parte-nariat avec l’industrie pharmaceu-tique est pour nous aussi utile quenaturel : il est important que lesprojets d’amélioration de qualité devie et d’éducation des patients reflè-tent leurs réels besoins », témoigneGuy Bouguet, président de FranceLymphome Espoir. « Ces entreprisesdoivent être associées à l’élaborationdes parcours de soins,car ce sont el-les qui connaissent le mieux leursproduits, ajoute Bernard Delcour,président de l’AF3M. Et leur savoir-faire en termes d’ingénierie de pro-jet est précieux pour optimiser cesparcours de soins, par exemple ennous aidant à définir des référentielsde compétences pour les patients.»

Pierre Mongis�

Laboratoire américain spécialisé en oncologie, en hématologieet dans les maladies inflammatoires chroniques,Celgene s’engagesur la valeur du médicament en vie réelle et préconise une approche

collaborative du parcours de soins comme autant de pistes pour innoverdans le domaine de la santé.

MÉDICAMENT,LES ENJEUX DE LAVRAIE VIEEnmatière de lutte contre le cancer, le suivi des médicaments

et de leurs efets secondaires dans la vie « réelle » devient un élément clefpour optimiser les parcours de soins.

Engagement� CELGENE MET EN PLACEUNMODÈLE « PAY FOR BENEFIT »

« L’INNOVATIONAUJOURD’HUI EST TOUT

AUTANT DANS LAMOLÉCULEQUE DANS LE MODÈLE »

Quelle est votre conceptionde l’innovation chez Celgene ?Si notre vocation première est deconcevoir et de développer des médi-caments eicaces pour les patients,etnotamment pour des maladies sanssolutions thérapeutiques satisfai-santes,notre conviction est qu’il fautaller au-delà.Faceauxdéfisfinancierset organisationnels du système desanté,une entreprise commeCelgenes’attache à innover en proposant desalternatives aux approches tradition-nelles. La contribution des indus-triels peut notamment s’illustrer surl’amélioration du parcours de soins.

Quelques industriels réfléchissent dans ce sens.Cette réflexion est loin d’êtreanodine, car elle induit des changements dans la façon d’appréhender notremétier : il s’agit toujours de rendre accessible aux patients des traitementsinnovants,et d’en sécuriser l’utilisation.Mais cela impose également de co-créer avec les diférentes parties prenantes en amont, pour tendre vers desoptions satisfaisantes qui répondent aux enjeux et aux intérêts des autoritéset des industriels.La prise de conscience d’intérêt général à préserver et le rôlede cette concertation,très tôt dans le processus,sont à mes yeux deux condi-tions indispensables à toute velléité d’innover sur lemodèle. P. M.�

FranckAuvray,directeur général de Celgene France.

CONNAÎTRE LE MÉDICAMENT dansla « vraie vie ».L’enjeu est aujourd’huiau cœur de toutes les réflexions surl’organisation et le financement desoins. Le constat est sans appel : du-rant les phases de R&D, les médica-ments sont par essence testés sur descohortes restreintes de patients,quel-ques milliers voire quelques dizainesdemilliers.Leur arrivée sur lemarchérepose donc sur des hypothèses, entermes d’eicacitémais également desécurité.Or,une fois qu’ils sont difu-sés à grande échelle,lamultiplicationdu nombre de patients aux profilsdiférents accroît le risque d’efets in-désirables ou la probabilité que le pro-duit n’agisse pas commeprévu.Face àces incertitudes, les autorités sanitai-res exigent de plus en plus que les in-dustries de santé engagent des étudesde suivi après lamise sur lemarchédeleursmédicaments.Elles peuvent êtreintégrées dans les plans de gestiondes risques,imposés auxproduits lan-cés après 2005, qui visent à surveillerle bon usage, la sécurité d’emploi et àcompléter les données disponibles aumoment de lamise sur lemarché.

DES TRAITEMENTS SUR MESURE

Aujourd’hui, le suivi en vie réelleapparaît incontournable dans le do-maine de l’oncologie, car les traite-ments contre le cancer relèventmajo-ritairement de la médecine dite « per-sonnalisée ». Il s’agit de traitementssouvent très innovants, qui ciblentde petits groupes de malades et sontadaptés en fonction des caractéristi-quesdechacun.L’undesbutsdelamé-decine personnalisée est notammentdene pas administrer ces traitementsaux malades qui n’en tireraient pasbénéfice. « Ces produits nécessitentdes coûts de développement très éle-vés et présentent le plus souvent desefets indésirables non négligeables,explique le Pr Guy Laurent, onco-

hématologue au CHU de Toulouse.Ilssont mis sur le marché à des phasesde plus en plus précoces, afin de nepas pénaliser les malades qui en ontbesoin. C’est pourquoi il est essentielde disposer de données envie réelle.»

LE PROJET CAPTORÀTOULOUSE

A Toulouse, le Pr Guy Laurent est lecoordonnateur d’un vaste projet bap-tisé « Captor » (Cancer Pharmacologyof Toulouse Oncopole and Region).Consacré à l’innovation, à l’évalua-tion, à la difusion des médicamentsanticancéreux et à la formation, ceprojet de recherche bénéficie d’unfinancement de 10millions d’euros,versés par l’Agence nationale de larecherche scientifique dans le cadredes Investissements d’avenir. Parmises axes de travail,Captor intègre unenouvelle approche, la « pharmaco-logie sociale », qui vise à « évaluer leparcours des médicaments antican-céreux dans la vraie vie. « Nous me-nons,par exemple, une étude sur les800 patients suivis pour un lympho-

me, précise Guy Laurent. Elle a pourbut de vérifier les modalités d’admi-nistration des traitements, l’obser-vance des patients, la détection etl’évaluation d’éventuelles toxicités.»Pour le Pr Guy Laurent,« ces donnéessont essentielles, car le rapport bé-néfice/risque peut être très variabled’un patient à l’autre. Elles doivents’intégrer aujourd’hui dans tous lesparcours de soins, afin de favoriser labonne décision au bonmoment ».

SUIVRE LE PATIENT

HORS DE L’HÔPITAL

Guy Laurent milite également pourun suivi, dans la « vraie vie », des pa-tients après les phases de traitementdu cancer. « En dehors des périodesoù le malade est hospitalisé, nousmanquons d’informations sur lesefets secondaires des chimiothé-rapies, mais également sur les co-morbidités et les périodes d’anxiétéqui peuvent être très importantes.»Au CHU de Toulouse, le programmede télémédecine AMA (Assistancemédicale ambulatoire) a été mis enplace afin d’améliorer le parcoursde soins des patients traités par chi-miothérapie pour une hémopathiemaligne.« Chaque patient est équipéd’un téléphone mobile et bénéficied’un entretien téléphonique régulieravec une infirmière, explique GuyLaurent. En sept ans, les résultatssont très probants,avec une diminu-tion par deux du taux de réhospita-lisation,unemeilleure observance etaucun cas de décès par toxicité.»Fort de ce succès, un dispositif si-milaire (AMA-AC) a été créé pouraccompagner les patients en phased’après-cancer, associant le médecingénéraliste, l’infirmière coordinatriceet l’oncologue, destiné à gérer lesévénements physiques, psychiqueset sociaux au-delà de la fin du traite-ment. P. M.�

©DR

©DR

« Les données en vie réellesont essentielles, car lerapport bénéfice/risquepeut être très variabled’un patient à l’autre.Elles doivent s’intégreraujourd’hui dans tous lesparcours de soins, afin defavoriser la bonne décision

au bon moment. »Pr Guy Laurent

Page 7: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

JEUDI 2 AVRIL 2015❸

Communiqué spécial santé et innovation

Santé publique�L’ALCOOLISME,UN TABOU À LEVER,UN FLÉAU À COMBATTRE

REPOUSSER LES FRONTIÈRES de lamaladie,explorer des champsmal ounon couverts, augmenter l’espérancede vie, mais aussi améliorer la qua-lité de vie des patients…Telles sont,leplus souvent,les valeurs qui animentles laboratoires pharmaceutiques.Aujourd’hui,loindemédicaliser la so-ciété,certaines entreprises cherchentà venir en aide à des populationsmal prises en charge. C’est le cas parexemple de la dépendance à l’alcool,une maladie trop souvent réduite àun «mauvais » comportement social.Derrière le tabac,elle est la deuxièmecause de mortalité en France, à l’ori-gine de 50 000 décès par an.Pourtant,les scientifiques sont formels : l’al-coolisme est une pathologie neuro-biologique qui se traduit par unepertede contrôle de la consommation liéeà un déséquilibre des circuits de larécompense. Elle conduit le patientà poursuivre sa consommation d’al-cool, y compris s’il est conscient desdangers encourus. En France, prèsde 2millions de personnes en souf-frent, et seulement 8% d’entre elles

sont suivies médicalement pour leurdépendance à l’alcool. Face à ce fléaumajeur de santé publique, la recom-mandation de référence reste l’absti-nence.Mais l’objectif est très diicileà atteindre et surtout à tenir dans letemps : seul un tiers des patients yparvient en un an et de 10 à 20% res-tent abstinents au bout de quatre ans.

LA DÉPENDANCE À L’ALCOOL,

UN PROBLÈME QUE L’ON TAIT

Selon un sondage OpinionWay,com-mandé par le laboratoire Lundbecket réalisé en février 2015, trois quartsdes patients soufrant actuellementde dépendance à l’alcool, ou en ayantsoufert par le passé, et 80% des mé-decins généralistes s’accordent à direque ladépendanceà l’alcool estunsujet

©BLUESKYIMAGES-FOTOLIA.COM/DR

Deuxième causede mortalitéen France,l’alcoolismeest mal prisen charge.Aujourd’hui,des solutions

médicales existentpour permettred’améliorer cette

situation.

LABORATOIRE DANOIS, Lundbeck est

détenu à 70% par une fondation. Avec

2 milliards d’euros de chifre d’afaires

par an, dont 20% sont réinvestis dans

la R&D, c’est l’un des principaux labo-

ratoires innovants dans le domaine

du système nerveux central. Il emploie

5 800 personnesdans lemonde, dont 500

enFrance.Terred’électionpourLundbeck,

la France accueille l’une des quatre usines

du groupe, à Sophia-Antipolis (Alpes-

Maritimes), qui produit aujourd’hui, pour

le monde entier, un médicament contre

la dépendance à l’alcool.

En cinq ans, ce sont plus de 50 millions

d’euros qui ont été versés dans l’outil

de production français, soit 37% des

investissements industriels du groupe.

Et ce n’est pas fini : Nicolas Giraud, pré-

sident de la filiale française, se mobilise

pour obtenir la fabrication d’un nouvel

antidépresseur de dernière génération

lancé par le laboratoire. En cas de succès,

Lundbeck serait l’un des seuls groupes

pharmaceutiques à produire l’ensemble

de la gamme de ses derniers produits sur

le territoire hexagonal.�

LUNDBECK, UN LABORATOIREFRANCOPHILE

SOLUTION IDOINE pour difuser l’ex-pertise médicale, pour lutter contreles déserts médicaux et pour opti-miser les coûts, elle se décline sousdiverses formes : téléconsultation,télé-expertise,télédiagnostic…Premier opérateurfrançais de servicesde télémédecine, laCompagnie généra-le de téléradiologie(CGTR), société fran-çaise créée en 2008,propose un nouvelécosystème, intégré,agréé pour l’héber-gement de donnéesde santé et unique-ment accessible parle biais d’un réseaudédié privé.«Aujourd’hui, nousavons créé plusieursfilières de téléméde-cine qui ont permis la prise en chargede plus de 300 000 patients depuisnotre création, et nous dépasseronsles 100 000 patients par an à la fin de2015, indique Imad Bousaid,directeurdu développement.La demande s’est

Télémédecine� L’INNOVATIONEN PRATIQUE,AUQUOTIDIEN

La télémédecine bénéficie d’un cadrelégal et s’est transformée en une pratique de plus

en plus utilisée par le corps médical.

cience dépend de la valeur d’usagepour les patients et les professionnels.La consommation de ces dispositifsrelève aujourd’hui essentiellementdu secteur du bien-être,ciblée sur despersonnes plutôt en bonne santé. Or,c’est la population des 15millions depatients chroniques qui doit être vi-sée.L’intégrationdans les parcours desanté apparaît donc stratégique,maisse heurte à des problématiques nonrésolues : valorisation financière etretour sur investissement, propriétéet confidentialité des données,leviersd’appropriation de ces outils par lesprofessionnels de santé… Second en-jeu,lemodèle économique de l’e-santéreste incertain. Faut-il laisser fairele marché et la libre concurrence, aurisqued’unaccès inégalitaire en fonc-tion des revenus ? Ou l’e-santé peut-elle être prise en charge par les assu-reurs publics et privés,au titre de sesbénéfices en termes de prévention etde suivi des patients ? Enfin, troisiè-me question qui découle de la précé-dente : le niveau d’« assurabilité » despatients peut-il être conditionné àl’usage de ces dispositifs ?Et la perspective de « bonus-malus »en fonction du comportement dechacun est-il compatible avec les va-leurs profondes de notre société ?

François Vernonnet�

E-santé� LAQUESTION DE L’EFFICIENCE

tabou. Lorsqu’ils ont pris consciencede leur problème avec l’alcool, deuxtiers des personnes concernées n’enn’ont jamais parlé à personne. Seuls,15 %despatientsactuels sesontadres-sés à unmédecin généraliste.En moyenne, le problème identifiéavec l’alcool chez les personnes in-terrogées a duré,ou dure,depuis onze

ans.Les raisons de ce silence sont trèsdiverses, la plus courante étant unesous-estimation du problème par lepatient (seulement 22 % des patientsse considérant actuellement commedépendants à l’alcool).On observe également que la moitiédes personnes déclarant avoir actuel-lement, ou avoir eu, un problème dedépendance à l’alcool estiment quecette maladie reste « un problèmelié à une faiblesse, à un manque devolonté ». Ces constats mettent enévidenceunbesoinde sensibilisationet d’information sur la reconnais-sance de la dépendance à l’alcoolcomme une maladie et non commeune faiblesse sociale et donc de saprise en charge via les solutions ettraitements existants.Dès lors,que faire pour améliorer cetteprise en charge ? Spécialisé dans lesmaladies du système nerveux cen-tral, le laboratoire Lundbeck s’est en-gagé dans le champ des addictions.« Notre démarche,en tant que labora-toire spécialisé dans les pathologiesdu système nerveux central, est delutter au quotidien contre la doublepeine qui touche les patients atteints

de maladies mentales. En efet, cespatients se sentent diférents,avec unfort enfermement sur eux-mêmes etleur maladie,mais aussi stigmatisésen raison de cettemaladie.La sociétéles exclut, car on rejette ce que l’oncraint. Par les traitements que nousproposons dans tous les champs dela psychiatrie, nous souhaitons per-mettre à ces patients de sortir del’isolement provoqué par leur patho-logie, explique Nicolas Giraud,prési-dent de Lundbeck France.Parvenir àboire moins est déjà une victoire ensoi. Il est prouvé qu’une baisse de laconsommation diminue les risquesde morbidité et de mortalité liés àl’alcool. Il faut briser l’exclusion dontsont victimes les personnes en dé-pendance alcoolique, c’est pourquoinotre entreprise s’engage plus loinaux côtés des professionnels de santéet des patients.»

UN PROGRAMME

D’ACCOMPAGNEMENT INNOVANT

L’innovation portée par Lundbeckne se limite pas à la conception et lacommercialisation de médicaments.« Nousmettons en place un program-me d’accompagnement, destiné àcréer le dialogue entre les profession-nels de santé et les patients et à favo-riser un suivi au long cours, préciseNicolas Giraud. L’idée est de permet-tre au médecin généraliste de fixerun contrat avec son patient afin deprendre en charge sa consommationdemanière responsable.»Le programme se décline en quatreétapes : repérage des patients, en-gagement du dialogue, initiation dela prise en charge, suivi rapprochéfondé sur la motivation et le soutienau malade. Une initiative qui s’ap-puie sur une enquête montrant que66 % des médecins généralistes s’es-timent insuisamment formés pour

accompagner ce type de patients. Etles patients ont, eux, des diicultésà évoquer le sujet avec leur méde-cin : 72 % attendent plus de deux ansavant de le faire. Outre ce program-me,une campagnede sensibilisationnationale vise à inciter les patients àparler de leur consommation d’al-cool avec leur médecin. « Cette cam-pagne veut lever les tabous et fairecomprendre aux patients que leurdépendance à l’alcool est une mala-die et non pas une faiblesse, ajouteNicolas Giraud. Des solutions exis-tent, l’alcool n’est pas une fatalité, àcondition d’accepter de se faire aiderpar sonmédecin.» Pierre Mongis�

« La campagnede sensibilisation veutlever les tabous et faire

comprendre aux patients queleur dépendance à l’alcoolest une maladie et non pasune faiblesse.» Nicolas Giraud,

président de Lundbeck France.

©LUNDBECKFRANCE/DR

©LUNDBECKFRANCE/DR

accélérée en 2014, car la technologiea définitivement fait ses preuves.Les médecins, désormais convaincus,l’intègrent dans leur pratique quo-tidienne et les établissements ontcompris que la télémédecine est un

levier essentiel pourfaire faceà lapénuriemédicale, maîtriserles coûts et amélio-rer l’eicience, parexemple en rédui-sant le tempsdenon-utilisation d’équipe-ments lourds (scan-ners,IRM…) ».Forte de son succès,la CGTR va poursui-vre la diversificationde son ofre sur denouveaux champsde la télémédecine.« La force de notreproposition, c’est

de travailler d’abord sur des projetsmédicaux cohérents, en collabora-tion avec les besoins des praticiens,avant de mettre au point les solu-tions technologiques », précise ImadBousaid. P. M.�

« La télémédecine estun levier essentiel pourfaciliter les coopérationsmédicales et faciliterle recrutementdes praticiens. »

Imad Bousaid, directeur

du développement, CGTR.

©CGTR/DR

L’essor de l’e-santé ofre des perspectives infinies pour le système de santé,à condition que son impact puisse être précisément évalué.

©PANDPSTOCK001-FOTOLIA.COM/DR

de la révolution informatique et nu-mérique est appelé à modifier dura-blement le fonctionnement du sys-tème de santé.Dans le domaine de la télésanté,c’est aujourd’hui le concept de santéconnectée qui apparaît comme l’undes plus dynamiques. Appelé aussi« M Santé » (pour Santé mobile), ilregroupe à la fois des objets connectéset des applications santé utilisablessur smart-phones et tablettes. Prisede tension en continu,mesure de l’ac-tivité physique, coaching nutrition,suivi de la glycémie, surveillance àdomicile, etc., chaque mois, de nou-veaux usages voient le jour. Au cœurde l’innovation, l’e-santé pose néan-moins plusieurs questions sur sonimpact réel dans l’amélioration dusystème de santé. D’abord, son ei-

PÈSE-PERSONNES, tensiomètres etthermomètres électroniques, lecteursde glycémie sans contact, appareilsrespiratoires connectés…le champdel’e-santé ne cesse de s’étendre,au grédu progrès spectaculaire des techno-logies digitales. Le cabinet de conseilPrecepta évalue le potentiel du mar-ché entre 3,5 et 4milliards d’euros en2020,contre 2,7 actuellement.Définiecomme « l’application des technolo-gies de l’information et de la commu-nication (TIC) à l’ensemble des activi-tés en rapport avec la santé »,l’e-santése décompose en trois segments iné-gaux : les systèmes d’information desanté (2,36milliards d’euros en 2014),la télésanté (200millions d’euros) etlatélémédecine(146millionsd’euros).L’ensemble des acteurs en sontconvaincus,l’avènement

Page 8: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

❹ JEUDI 2 AVRIL 2015

Communiqué spécial santé et innovation

Daté du 2 avril 2015, GrandAngle est édité par CommEdition • Directeur général Éric Lista • CommEdition,agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Pierre Mongis,François Vernonnet •

•Maquette,technique & réalisation Aline Joly • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ.NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.

LA FRANCE EST-ELLE TOUJOURSun territoire favorable àl’innovation en matière de santé ?Biensûr,lepotentiel d’attractivitéduterritoire français reste très impor-tant pour les industriels de la santé,en raison de la taille de son marché,des performances de son système desoins,de laqualitédesesenseignantset de ses chercheurs et de la compé-tence de ses cadres,de ses ingénieurset de ses employés.Cela étant,depuisquelques années, il ne faut pas se lecacher, les freins à l’innovation ten-dentàsemultiplier.Lesdélaisd’accèsau marché pour les nouveaux médi-caments, de l’ordre de 180 jours enmoyenne,sont parmi les plus élevésau monde. De plus, les règles d’éva-luation médicale, de fixation et derévision des prix, et d’encadrementbudgétaire,via la loi de Financementde la Sécurité sociale, changent tropsouvent. Comment continuer à in-vestir 2milliards d’euros sur dix anspour mettre à la disposition du mar-ché une innovation thérapeutique,quand les règles changent tous lesans ?Nos entreprises ont besoind’uncadre visible, lisible et durable pourcontinuer à innover.Autre élément pénalisant, la fisca-lité importante,complexe et souventmal comprise, qui représente au to-tal près de 11 % du chifre d’afairesde nos entreprises. Aujourd’hui, lesautorités publiques ont encore trop

©BAYER/DR

tendance à analyser le système desanté en termes de coût pour la col-lectivité,plutôt qu’en termes d’inves-tissement pour l’avenir et de valeurajoutée pour l’économie. Les critè-res de fixation des prix ne sont plusadaptés aux enjeux de l’innovationthérapeutiquemajeure.

Pour autant, les entreprises desanté ne renoncent pas à investir

dans l’innovation et vont mêmeplus loin que la seule mise au pointde solutions thérapeutiques…En efet,malgré ce contexte défavo-rable, elles continuent de s’impli-quer auprès de leurs patients, touten prenant en compte les impératifsbudgétaires et la nécessité de pro-mouvoir le juste soin. Le premierenjeu, aujourd’hui, est de s’assurerque les traitements sont bien pres-

crits par les médecins et bien obser-vés par les patients. C’est pourquoinous souhaitons nous investir dansl’organisation des parcours de santé.Aujourd’hui, l’innovation empruntediverses voies : elle combine des mo-lécules, des dispositifs médicaux,des outils de type e-santé et plusencore une ingénierie élaborée entermes de projets collaboratifs.ChezBayer,nous participons à la concep-tion de ces parcours de santé, parexemple à Nantes avec le CHU et leGérontopôle. Le but est de réduirele taux de ré-hospitalisation despatients âgés,grâce à l’interventiond’un gestionnaire de cas chargéd’organiser la sortie de l’hôpital etde coordonner les prises en chargeen ambulatoire.Autre exemple,nous avonsmené unprojet de coordination en post-AVC àBordeaux. Il a permis d’augmenterde 17 % à 50 % le taux des patientsen consultation précoce (entre 3 et6 mois après l’AVC,consultation cri-tique pour le devenir du patient), dediminuer le risque de rechute et dediviser par cinq le temps de consul-tation du neurologue,grâce à l’inter-vention en amont d’une infirmièreclinicienne. Dans notre entreprise,l’ensemble de nos collaborateurssont formés à cette notion de par-cours de santé,car c’est pour nous,laclef pour bâtir un système de santéplus performant et durable.

Le parcours de santé est aucœur de la loi de Santé.Est-elleà la hauteur des enjeux ?C’est une loi nécessaire, et qui doit in-citer les professionnels à s’organiserpour une prise en charge collective etoptimisée des patients, notammentchroniques.Cependant,jepensequ’ellene va pas assez loin en termes demoyens et d’outils pour décloisonnerle système de santé.Les industriels dela santé sont tenus à l’écart,alors qu’ilspeuvent contribuer à l’émergence desolutions innovantes. Je formuleraideuxpropositionspourmieuxassocierles industriels aux parcours de santé.D’abord,on pourrait imaginer que cesprojets soient portés par des média-teurs, des tiers de confiance compa-rables aux hébergeurs de données desanté,dont lamissionseraitdegarantirlaneutralité et laviabilité des partena-riatspublic/privé.Ensuite,pourquoinepas consacrer 10% des taxes prélevéeschaque année sur le secteur pour créerun fonds de financement des parcoursdesanté ?Les industriels,encollabora-tion avec les professionnels de santé,pourraient ainsi mettre en œuvre,viace fonds de financement, des projetsd’amélioration des parcours de santé.Cette initiative serait plus accepta-ble pour les industriels, car il s’agiraitd’un investissement pour l’avenir etnon plus d’un prélèvement destinéuniquement à renflouer les caisses.Propos recueillis par Pierre Mongis �

Fervent partisan des parcours de santé, le groupe Bayer HealthCare œuvre pour que les industriels soient davantageassociés à leur conception et à leur réalisation. Analyse et propositions de Philippe Mougin,directeur des afaires publiques

et du développement régional de Bayer HealthCare France.

Philippe Mougin

LE PROGRÈS médical se carac-tériseparune tendancede fond,une innovation «de rupture »,comme disent les chercheurs:la combinaison de la génétiqueet du Big Data aboutit à la find’une certaine médecine demasse. Désormais, les traite-ments sont et seront deplus enplus individualisés, coûteux eteicients. Individualisés,parceque, avec la génétique, il estpossible de cerner des sous-ca-tégories de population donton sait qu’elles réagiront de fa-çon positive aux traitements.Coûteux,parce queces traitements réclament toujours d’énormesinvestissements en matière de recherche, qu’ilfaut amortir surunnombre restreintdepatients.Eicients enfin, parce que la génétique permetde prédire leur eicacité,mais aussi parce quele Big Data favorise leur suivi en vie « réelle », lamesure immédiate du bénéfice/risque et facilitealors la décision des autorités (extension ou res-trictiond’indication,retrait dumarché,suivi ren-forcé…) Cette révolution copernicienne constatéeaujourd’hui en oncologie, mais qui tend à sedévelopper dans d’autres domaines,avec notam-ment l’avènement des produits biologiques,pose selonmoi trois types de défis pour l’avenir.

LE PREMIER est organisationnel : l’ère de lamédecine personnalisée nous oblige à repen-ser en profondeur la structuration de l’ofre desoins,le rôle des diférents acteurs,lesmodesderétribution, les exigences en termes de qualitédes prises en charge…Malheureusement,la mu-tation s’annonce lente, polémique, sans doutedouloureuse pour nombre de professionnels.

DEUXIÈME DÉFI, la viabilitéfinancière de ce nouveaumodèle de soins est d’ores etdéjà fragile, comme l’a mon-tré le débat sur l’hépatite C àl’automne dernier. Outre lecontexte de la crise financièreet des ressources limitées,c’estaussi la question de la priseen charge par les assurancesdu « gros risque » en santé quiest en jeu. Face aux sommesengagées pour payer les trai-tements, les assureurs, qu’ilssoient privés ou publics, ré-

clament aujourd’hui un retour sur investisse-ment etveulent doncpayer à la performance.Laconséquence, c’est qu’à l’individualisation dutraitement pourrait répondre l’individualisa-tion de la couverture du risque, avec toutes lesdérives potentielles en termes de sélection parle risque ou par l’argent.

CELA CONDUIT AU TROISIÈME ENJEU quiporte sur les valeurs profondes de nos sociétéscontemporaines.Celles-citirentunegrandepartiede leur richesse matérielle du développement desecteurs nonmarchands comme la santé,l’éduca-tion, la culture,qu’elles ont aujourd’hui du mal àfinancer,qu’elles considèrent comme un « coût »,comme une « charge » à minimiser.C’est le para-doxe de nos sociétés en crise : chercher les écono-mies là où réside sans doute la clef du développe-ment futur.Une société riche etmoderne ne doit-elle pas accepter d’investir sur le long terme dansces secteurs non marchands, quitte à dépenser« à crédit » sur le court terme? Il faudra bien quece débat intrinsèquement politique,et qui engagel’identitémêmede laNation,soit tenuunjour.�

L’analyse � Claude Le PenÉconomiste de la santé, professeur à Paris-Dauphine.

Enjeux�« LE PARCOURS DE SANTÉ,CLEF DE L’INNOVATION EN SANTÉ »

« Le premier enjeu,aujourd’hui,estde s’assurer que

les traitements sontbien prescrits

par les médecins etbien observéspar les patients.C’est pourquoinous souhaitonsnous investir dansl’organisationdes parcoursde santé.»

LA FIN DE LA SANTÉ DEMASSE

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Equipements de santé� LE DISPOSITIFMÉDICAL,UN SECTEUR

STRATÉGIQUE POUR L’AVENIR

secteur est de plus en plus encadré par les pou-voirs publics. Les conditions d’accès au marchés’allongent, les critères d’éligibilité aumarquageeuropéen se durcissent en raison des risques entermes de sécurité des patients.En 2013, l’afairedes prothèses mammaires défectueuses a illus-tré la nécessité demieux encadrer l’entrée sur lemarché et le suivi de ces produits (la matériovi-gilance). L’inflation réglementaire pénalise unsecteur dont les cycles de vie des produits sontcourts, par rapport à celui du médicament : ladurée de vie d’un produit est en général de troisou quatre ans, et il est très vite remplacé par deconstantes innovations.Conscients de ce handi-cap, les pouvoirs publics ont inscrit le dispositifmédical parmi les 34 plans industriels stratégi-ques. Les objectifs de ce plan sont de plusieursordres : favoriser le transfert de technologie dela recherche fondamentale vers la production,simplifier et accélérer les process de mise sur lemarché, accompagner et soutenir le développe-ment à l’international des entreprises, regrou-per les entreprises autour de projets communsd’envergure… Aujourd’hui, l’essor de ce secteurapparaît comme un enjeu clef pour améliorerles performances du système de santé. C’est no-tamment le cas pour les systèmes d’informa-tion et les logiciels médicaux, deux domainesqui relèvent du secteur du dispositif médical,et qui doivent améliorer leurs échanges pourpermettre le développement de projets pharescomme le Dossier médical personnel. F. V.�

Lemarché du dispositif médical regroupe tous les produitset technologies nécessaires à la délivrance des soins.A l’heure de l’émergence desmaladies chroniques,

c’est un secteur clef pour demeilleures performances.

DES BÉQUILLES AUX IRM de dernière généra-tion,des pansements aux prothèses ultrasophis-tiquées, des lits médicalisés au cœur artificiel…le secteurdudispositifmédical est le plushétéro-gène qui soit,au point que personne n’est catégo-rique sur le nombre de références de produits enEurope : 500 000,800 000,voire plus de 1million.En France, le chifre d’afaires global est évalué àplus de 19milliards d’euros (plus de 200milliardsd’euros dans le monde), en croissance de 4 à 6%par an. Mais, derrière ces données globales, lasituationest contrastée selon les gammesdepro-duits. Si le marché domestique français se placeau 4e rangmondial,les ventes relèventmajoritai-rement des filiales de grands groupes étrangers(Jand J,GEHealthcare,BectonDickinson…)Malgré la qualité reconnue de leurs produits,la compétence de leurs ingénieurs et de leurséquipes de production, les entreprises françai-ses ne disposent pas, en général, de la taille suf-fisante pour réussir en France comme à l’export.D’autant que, face à la hausse des dépenses, le

©MATTEI / PHOTO FEATS-FOTOLIA.COM / DR

De la prothèse de hanche au scanner…

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0123JEUDI 2 AVRIL 2015 international | 9

A Paris, les peshmergas demandent « plus d’aide »Une délégation de combattants kurdes irakiens menée par Mustafa Qadir Mustafa est reçue mercredi à l’Elysée

ENTRETIEN

Une délégation de pesh­mergas, les combat­tants kurdes irakiens,devait rencontrer à Pa-

ris, mercredi 1er avril, le présidentfrançais, François Hollande, et des responsables militaires. Le Monde a rencontré, mardi 31 mars, Mus-tafa Qadir Mustafa, ministre des peshmergas au sein du gouverne-ment régional du Kurdistan (GRK).

Quel est le but de votre visite ?Nous voulons remercier le pré-

sident français pour l’aide qu’il a apportée au Kurdistan contre Daech [acronyme arabe de l’Etatislamique], de par sa participationà la coalition et de par l’aide mili-taire qu’il a fournie aux peshmer-gas. Nous voulons lui transmettrele message que nous avons besoinde davantage d’aide et d’assis-tance. Daech est une organisationterroriste internationale qui œuvre contre nous tous. C’est unemenace contre toute l’humanité.

Quelle aide militaire avez-vous reçue jusqu’à présent et quels sont vos besoins ?

Nous avons reçu des armes –des mitraillettes et des « douch-kas » [mitrailleuses lourdes de mo-dèle russe] – ainsi que des muni-tions en nombre limité. C’est in-suffisant car nos ennemis ont dé-robé des armes sophistiquées en Irak et en Syrie. Nous avons be-soin d’armes lourdes : des armesantichar, des chars, plus de muni-tions. L’Allemagne nous a fourni trente missiles antichar de typeMilan, ce qui est peu pour contrô-ler les 1 000 kilomètres de frontoù nos combattants sont postés.Il nous faut également une aideaérienne plus intensive et des ex-perts militaires pour entraîner lespeshmergas et coordonner les frappes. Enfin, nous avons des be-soins en ingénierie militaire et endéminage. 70 % de nos victimesont été tuées par des mines etdans des attentats-suicides.

Comment expliquez-vous que cette aide n’ait pas été plus grande ?

Il y a peut-être une intention po-litique de la part de tous les acteursde limiter l’aide aux forces kurdes. Nous espérons avoir tort. Peut-êtresont-ils inquiets que les armes res-tent aux mains des Kurdes après laguerre. Un tel raisonnement seraitinfondé. Notre objectif est pacifi-que et nous voulons la coexis-tence. Nous ne nous sommes ja-mais posés en menace face au gou-vernement central. Nos ambitionsse limitent à nos frontières.

L’Iran a été le premier pays à vous apporter une aide mili-taire. Celle-ci se poursuit-elle ?

Oui, l’Iran continue à nousaider. Comme les autres pays, il nous fournit des armes et des mu-nitions en nombre limité. Cette aide nous est transmise directe-ment et non par le gouvernementde Bagdad. Je ne sais pas pourquoiles Iraniens le font et pas les forcesde la coalition.

Les milices chiites pro-gouver-nementales interviennent de plus en plus dans des régions où vos forces sont présentes. Quelles sont vos relations avec elles ?

Actuellement, nous n’avons pasde contact avec elles. Il peut y avoir une compétition. Si nousdevons être en relation avec cesmilices, ce sera par l’intermé-diaire du ministère de la défense irakien. Nous avons un comité conjoint entre, d’une part, le mi-nistère des peshmergas et le mi-

nistère de l’intérieur kurde et, de l’autre, les ministères de l’inté-rieur et de la défense irakiens.

La ville de Kirkouk, dans l’est du pays, ne pourrait-elle pas de-venir un enjeu de compétition entre vos forces et ces milices ?

Kirkouk est sous le contrôle despeshmergas. Nous continuons de protéger la ville, mais nous som-mes prêts à discuter de tout pro-blème avec Bagdad. Nous consi-dérons Kirkouk comme faisant partie du Kurdistan. Nous noussommes battus pour pendant desdécennies, au prix de nombreu-ses victimes. Cela fait partie de nos droits historiques. La Consti-tution irakienne de 2005 offre une solution constitutionnelle à cette question, mais qui n’a pasété mise en œuvre [l’article 140 de la Constitution irakienne prévoitla tenue d’un référendum sur lerattachement de Kirkouk à la ré-gion autonome du Kurdistan].

Comptez-vous finalement par-ticiper à la bataille pour libérer Mossoul, le fief de l’Etat islami-que en Irak ?

Nous n’avons jamais dit quenous ne participerions pas à la ba-

taille de Mossoul. Nous le feronsmais avec un appui des forces ira-kiennes et de la coalition.

Il nous faudra du temps pourpréparer la bataille et son succèsdépendra des armes que nous aurons. Pousser Daech hors de Mossoul est la clé pour libérer le reste du pays.

Un appui des forces arabes sunnites sera-t-il nécessaire ?

La libération des régions occu-pées par Daech est une question autant militaire que politique. C’est pourquoi les Arabes sunnitesdoivent en être partie prenante, sous l’égide des forces fédérales irakiennes.

Le ministère de la défense doitintégrer tout le monde. C’est déjàle cas, mais cela doit être fait en-core plus efficacement. Le gouver-nement fédéral doit montrer aux populations arabes sunnites qu’il les protège pour qu’elles se ran-gent à son côté.

Comment se passe la cohabita-tion dans les zones libérées par les forces kurdes avec les popu-lations arabes sunnites ?

Le principal problème est sécu-ritaire car une partie de la popula-

tion arabe sunnite a soutenu Daech. Ceux-là ne peuvent pas re-venir car ils ramèneraient Daech. Le départ des Arabes sunnites decertaines régions est aussi une oc-casion d’annuler les effets des po-litiques d’arabisation menéesdans les régions kurdes sous le ré-gime de Saddam Hussein. Toute-fois, la coexistence reste bonne entre nous.

Et nous accueillons un grandnombre de déplacés arabes sun-nites au Kurdistan irakien.

Quels seront les défis de l’après-guerre pour le Kurdis-tan irakien et comment vous y préparez-vous ?

On doit tous s’unir pour trouverla solution à l’après-Daech. L’Irak après Daech ne sera plus commecelui d’avant. Les Kurdes seront encore plus forts. Nous espérons que tous les problèmes d’avant-guerre avec le gouvernement cen-tral trouveront une solution. p

propos recueillis par

allan kaval et hélène sallon

Un magistrat turc meurt dans une prise d’otage à IstanbulLes deux assaillants, membres d’un groupuscule d’extrême gauche, sont morts dans l’assaut des forces spéciales

istanbul - correspondante

U n procureur turc, Meh-met Selim Kiraz, retenuen otage pendant des

heures par deux hommes armés au tribunal de Çaglayan (partie européenne d’Istanbul), est mort, mardi 31 mars, ainsi que ses ravis-seurs, à l’issue de l’opération lan-cée par la police pour le libérer.

En début d’après-midi mardi, legroupuscule marxiste clandestin appelé Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) an-nonçait que ses militants avaientcapturé le procureur Mehmet Se-lim Kiraz. La revendication, pu-bliée sur Internet, était accompa-gnée d’une photo montrant le magistrat prisonnier, une arme braquée sur la tempe.

Les militants du DHKP-C décla-raient vouloir le « punir de mort »,

afin de venger la mort d’un adoles-cent, Berkin Elvan, 15 ans, griève-ment blessé par la police au mo-ment des manifestations antigou-vernementales de la place Gezi à Istanbul, en juin 2013. Blessé à la tête par le tir d’une cartouche de gaz, il avait passé de longs mois dans le coma avant de décéder le 11 mars 2014 des suites de ses bles-sures. Sa mort avait soulevé une vague d’indignation dans le pays.

Cible de choix

Sur son site Internet Halkın Sesi, leDHKP-C exigeait que les policiers responsables fassent des aveux à la télévision et que leurs supé-rieurs soient jugés par des « tribu-naux populaires ». Le procureur Ki-raz, qui enquêtait sur les circons-tances de la mort du jeune garçon, était une cible de choix pour les ex-trémistes du DHKP-C.

Selon la version officielle, les as-saillants auraient revêtu des robes d’avocats pour mieux cacher leurs armes et pénétrer au sein du tribu-nal de Çaglayan. Leur entrée auraitété facilitée par le fait que les porti-ques de détection ne fonction-naient pas en raison d’une panne d’électricité qui a paralysé plu-sieurs heures les transports et la vie quotidienne de plusieurs villesdu pays (Istanbul, Ankara, Izmir, Erzurum). Certains y ont vu la main des extrémistes ; d’autres, telle chef du Parti républicain du peu-ple (CHP, opposition), Kemal Kili-çdaroglu, ont mis en cause la res-ponsabilité des services secrets turcs (MIT) dans la panne.

Après des heures de négocia-tions, la police est intervenue mardi en fin de journée, tuant les deux ravisseurs du magistrat, tan-dis que lui-même était grièvement

blessé. Une équipe de négocia-teurs était sur place, mais appa-remment, six heures de pourpar-lers n’ont rien donné.

« Nous avons fait notre possible »pour obtenir la reddition des as-saillants, a dit le chef de la police stambouliote, Selami Altinok, pré-cisant que ses hommes étaient in-tervenus juste après « des tirs » survenus dans la pièce où le procu-

reur était retenu prisonnier. Griè-vement blessé à la tête et à la poi-trine, Mehmet Selim Kiraz a été hospitalisé en urgence, mais il a succombé à ses blessures quelquesheures après son admission. Peu avant l’intervention des forces spé-ciales, le vice-premier ministre Ya-lçin Akdogan avait interdit aux té-lévisions de diffuser la moindre image de l’événement. Une fois l’opération achevée, le premier mi-nistre Ahmet Davutoglu a fait une déclaration dans laquelle il a dé-noncé une attaque contre la « dé-mocratie » à quelques mois des lé-gislatives du 7 juin.

Ce drame ramène sur le devantde la scène le groupuscule DHKP-C, pris d’un regain d’activitéces derniers mois. Le 2 janvier, le groupe avait revendiqué une atta-que avortée à la grenade contre despoliciers, devant le palais de Dol-

mabahçe, lieu touristique non loindes bureaux du président Recep Tayyip Erdogan à Istanbul. La po-lice a interpellé une vingtaine de proches du DHKP-C, mercredi ma-tin. Le 6 janvier, il avait revendiquél’attentat-suicide commis par une « veuve noire » daghestanaise, Diana Ramazova, 19 ans, morte ainsi que deux policiers dans un commissariat de Sultanahmet.

Considéré comme une organisa-tion terroriste par l’Union euro-péenne, la Turquie et les Etats Unis, le DHKP-C est un groupus-cule hyperviolent dont les reven-dications restent floues. Marxiste et anti-occidental, il est soutenu fi-nancièrement par une partie de la diaspora installée en Europe. Il est à l’origine de l’attentat-suicide per-pétré en février 2013 contre l’am-bassade des Etats-Unis à Ankara. p

marie jégo

Le procureur

enquêtait sur

la mort d’un

jeune, blessé par

la police lors de

heurts à Istanbul

en juin 2013

Mustafa Qadir Mustafa, ministre des peshmergas, dans son bureau, à Erbil (Irak), le 20 août 2014. RAWSHT

TWANA/METROGRAPHY POUR « LE MONDE »

« Nous avons

besoin d’armes

lourdes et d’une

aide aérienne

plus intensive »

MUSTAFA QADIR MUSTAFAministre des peshmergas

Bagdad annonce la libération de Tikrit

La bataille de Tikrit touche à sa fin. Un mois après le début de l’offensive, les forces gouvernementales irakiennes sont entrées, mardi 31 mars, dans le centre-ville de ce bastion de l’Etat islami-que (EI), ancien fief sunnite du dictateur Saddam Hussein, à 160 kilomètres au nord de Bagdad. Elles « ont levé le drapeau et sont maintenant en train de faire place nette », a indiqué le porte-parole du premier ministre, Rafid Jabouri.Dans un message posté sur Twitter, le chef du gouvernement, Haïder Al-Abadi, a annoncé « la libération de Tikrit » et a félicité « les forces de sécurité irakiennes et les volontaires pour cette étape majeure ». « Certains secteurs sont toujours sous le contrôle de [l’EI] et un travail important reste à faire », a nuancé le com-mandant Kim Michelsen, porte-parole de la coalition internatio-nale. Fer de lance de l’offensive, les milices chiites ont rejoint le front. Elles boycottaient la bataille depuis l’entrée en action de la coalition, le 25 mars.

3,5 MILLIARDSd’euros

C’est la somme que les pays donateurs, réunis à Koweït mardi 31 mars, ont promis d’accorder aux victimes de la crise humanitaire en Syrie. « Ce sont des promesses très généreuses », s’est félicité le se-crétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qualifiant la crise sy-rienne de « crise humanitaire la plus grave de notre temps ». Ces pro-messes, en hausse par rapport à 2014, restent en deçà de l’objectif de 7,7 milliards fixé l’ONU pour l’année. Le conflit, qui entame sa cin-quième année, a fait plus de 215 000 morts et 10 millions de réfugiés.

Page 10: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

10 | international & europe JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Les petits pas allemands dans la lutte contre les salafistesLa région de Düsseldorf promeut une association de déradicalisation

düsseldorf (allemagne) -

envoyé spécial

La coexistence des deuxorganisations dans unmême lieu est inatten-due. Une fois poussée la

porte de l’appartement situé aupremier étage d’un immeubled’un quartier populaire de Düs-seldorf, le visiteur a deux possibi-lités : soit il tourne à gauche, se déchausse, marche sur des tapis et pénètre dans la pièce qui fait of-fice de mosquée, soit il tourne àdroite, et, chaussures aux pieds,entre dans les locaux de l’associa-tion Wegweiser (« celui qui mon-tre le chemin »). Il peut alors ren-contrer un travailleur social – mu-sulman – dont l’objectif est de leprémunir contre les dangers du salafisme.

Wegweiser n’a pas été créée parl’association qui gère la mosquée, mais par le ministère de l’inté-rieur de Rhénanie-du-Nord - Westphalie. Cependant,l’association est indépendante. Cebureau fait en effet partie d’un ré-seau lancé en mars 2014 par lesautorités régionales pour tenterd’endiguer la montée du sala-fisme, un mouvement sunnite re-vendiquant un retour à l’islamdes origines. Une expérience ju-gée suffisamment probante au bout de douze mois pour que les pouvoirs publics la développent.

Aux trois bureaux initiaux(ouverts à Bonn, Bochum et Düs-seldorf) devraient venir s’ajouterquatre autres bureaux dans les mois à venir. « A terme, il nous enfaudrait une quinzaine. Un dans

chaque grande ville de la région »,explique Burkhard Freier, le pa-tron des renseignements géné-raux de cet Etat-région, le pluspeuplé d’Allemagne. C’est l’unedes régions les plus concernées par les tensions entre salafistes et extrême droite, et par les dé-parts en Syrie. La cheville ouvrière du projet est Dirk Sauer-born. Ce commissaire principal àDüsseldorf est un flic à la RogerHanin. Un quinquagénaire quiarpente sa ville à vélo par toustemps et n’hésite pas à se mettreà dos une partie de sa hiérarchie pour une cause qui, selon lui, envaut la peine.

Hier, il s’engageait contre l’ex-trême droite, aujourd’hui, il luttecontre ceux qu’il appelle « lespseudo-salafistes. A ne pas con-fondre avec les salafistes, qui sontdes croyants proches du Coran,explique-t-il, en tant que prési-dent de l’association Wegweiser.Je connais beaucoup de croyants très stricts et qui portent la barbe et la djellaba mais qui considèrentque l’Etat islamique utilise la reli-gion comme un prétexte. AngelaMerkel s’est exprimée en faveur dela liberté religieuse. Nous ne vou-lons pas faire campagne contreles musulmans ni même contreles salafistes. Nous voulons justeque personne ne se fasse instru-mentaliser ».

« Besoin de conseils »

L’association compte à son con-seil sept personnes, dont quatre musulmans. Dirk Sauerborn y siège à titre individuel. « Je suis policier, mais c’est par hasard », af-

firme-t-il. Le ministère de l’inté-rieur subventionne les deux pos-tes de travailleurs sociaux, dont Adil. « Si les gens croient qu’on tra-vaille pour la police, il n’y a pas de dialogue possible », reconnaît-il.

Adil est d’origine marocaine,son collègue est bosniaque. « Une grande partie de notre travailconsiste à nous faire connaître et àintervenir dans les écoles et les cen-tres de jeunes pour expliquer ce qu’est le salafisme et que ce n’estpas parce qu’un musulman porte la barbe ou qu’une femme est voi-lée qu’ils sont radicaux. On s’aper-

çoit qu’il y a un grand besoin deconseils. Très rares sont les lieux oùl’on nous dit : “Ici, il n’y a pas de problème”. Pourtant, Düsseldorfn’est pas considérée comme un haut lieu du salafisme », expliqueAdil. Pour lui, avoir une formationde travailleur social et être musul-man sont deux qualités nécessai-res pour être crédible. Il suit néan-moins en parallèle une formationà l’université sur le salafisme.

Les deux conseillers ne sontplus seuls à intervenir à Düssel-dorf. Une jeune fille de seize ans voilée, qui était proche de salafis-tes jusqu’au moment où ceux-ci l’ont battue parce qu’elle refusaitde porter la burqa, apporte désor-mais son témoignage dans les écoles.

Au fur et à mesure que Wegwei-ser se fait connaître, des person-nes poussent la porte de l’associa-tion. Des parents qui s’inquiètent du nouveau comportement de leur fils, un père qui craint que sa fille n’épouse un salafiste et parte en Syrie, et même un jeune homme tenté par le départ en Sy-rie. « Il est venu ici pendant sept

mois. Nous l’avons mis en contact avec un imam, car ce n’est pas ànous de discuter de théologie avec eux. Nous lui avons trouvé un ap-partement à l’autre bout de Düs-seldorf pour qu’il change d’envi-ronnement. Il a accepté de repren-dre une formation en logistique et a même envie d’aller à l’université. C’est ma victoire », témoigne Adil.

« La réussite est exceptionnelle »

« En un an, les deux travailleurs so-ciaux ont reçu environ 16 person-nes. C’est un énorme investisse-ment en temps », reconnaît DirkSauerborn. Alors que, selonBurkhard Freier, il y a environ 1 900 salafistes en Rhénanie-du-Nord, dont 300 potentiellement violents, ces chiffres peuvent pa-raître minimes. Mais, pour lui,l’essentiel n’est pas là. « Les sala-fistes sont de plus en plus nom-breux. Il faut donc que nous sur-veillions ceux qui en font partie, mais aussi qu’on essaie de dissua-der ceux qui s’apprêtent à les re-joindre. Le problème est que ni les parents, ni les enseignants, ni lesimams ne les connaissent, ils ne sa-

vent pas comment réagir. Depuis un an, la réussite est exception-nelle. On est débordés. Les parents, les enseignants commencent à comprendre ce qu’est le salafisme,et des jeunes se laissent aider. Une de nos difficultés est de trouver sur place les bonnes personnes sur qui faire reposer le projet », juge Burkhard Freier.

Le Cercle des musulmans deDüsseldorf, qui regroupe 25 mos-quées de la ville, travaille avec lesresponsables du programme, et sile Ditib (association représentant l’islam d’origine turque en Alle-magne) regrette qu’il n’y ait pas une réponse plus globale à l’inser-tion des jeunes musulmans, il necritique pas Wegweiser en tant que tel.

Dans ce pays fédéral, chaqueEtat-région peut développer sespropres programmes. Berlin lance par exemple en ce moment un dispositif d’aide à la réinser-tion des jeunes rentrant de Syrie. Mais Wegweiser fait des émules,et plusieurs Länder envisagent de s’en inspirer. p

frédéric lemaître

La Corée du Sud intensifie la lutte contre la corruptionUne nouvelle loi prévoit des sanctions sévères contre fonctionnaires, enseignants, journalistes

tokyo - correspondance

L a bonne chère, les jolis ca-deaux, les dimanches tousfrais payés à jouer au golf

dans un cadre verdoyant, c’estbientôt fini. En septembre 2016 entrera en vigueur la nouvelle loi anticorruption sud-coréenne, un texte particulièrement strict. Si-gné le 26 mars par la présidentePark Geun-hye, il prévoit jusqu’à trois ans de prison et 30 millions de wons (25 000 euros) d’amende pour les coupables de corruption.La sanction est prévue pour des cadeaux de plus d’un million dewons (827 euros). Dans le cas d’une« invitation » à un repas, la limite est fixée à 30 000 wons (25 euros).

Pour la Corée du Sud, classée 43e

sur 177 en termes de perceptionde la corruption par l’organisa-tion Transparency International,l’objectif est de réduire une prati-que trop répandue parmi les ju-ges, militaires, enseignants et hauts fonctionnaires. Le 24 mars, l’ancien chef des opérations nava-les Hwang Ki-chul a été inculpé pour avoir usé de son influence afin de favoriser la compagnie américaine Wesmar, pour la four-niture d’un sonar destiné au Ton-

gyeong, le premier bâtiment de sauvetage de 3 500 tonnes conçu en Corée du Sud.

« Regagner la confiance »

En janvier, Chung Ok-geun, lui aussi ancien dirigeant de la ma-rine, a été arrêté pour avoir, par l’intermédiaire d’une société diri-gée par son fils, perçu plusieurs centaines de millions de wons dans le cadre de contrats d’achatde patrouilleurs rapides et de blocs-moteurs pour frégates, auprès de l’industriel STX Engine. Dans ce contexte, le nouveau chefd’état-major de la marine, Jung Ho-sub, a promis, lors de sa pres-tation de serment le 3 mars, de « construire une marine non cor-rompue » et de « regagner la con-fiance de la population ».

La justice n’est pas épargnée : unjuge est en procès pour avoir reçu plusieurs centaines de milliers de dollars, un procureur pour avoirreçu une Mercedes en cadeau.Tout comme les milieux d’affai-res : Lee Kun-hee, alias « Chair-man » Lee, le patron de Samsung, a été condamné en 2008 à trois ans de prison avec sursis pour despots-de-vin versés à des juges ou àdes politiciens. Il a été gracié par le

président Lee Myung-bak (2008-2013), dont l’administration et lafamille ont aussi été la cible d’ac-cusations de corruption. Le nau-frage du ferry Sewol, en avril 2014, avait mis en évidence des prati-ques similaires pour réduire lescontrôles de sécurité.

Le nouveau texte, appelé « loiKim Young-ran », du nom de l’ancienne présidente de la com-mission de lutte contre la corrup-tion, à l’origine du projet,concerne les fonctionnaires, mais également les enseignantsdu privé, ou encore les journalis-tes. Les conjoints des fonction-naires peuvent également êtrepoursuivis s’ils ne dénoncent pasles manquements de leur époux.

Le texte a suscité des critiques

dans un pays où la culture du « ca-deau » est largement répandue. Les mères offrent secrètement unchonji (« marque de gratitude », dont le sens évolue vers « pot-de-vin ») aux professeurs. Le ddeo-kgap (« marque de salutation ») répond en général une faveur. Cette pratique profite aux grands magasins, où 30 % à 40 % des ven-tes de cadeaux sont générées par les entreprises.

Le nouveau projet de loi sup-prime la nécessité de fournir une preuve du lien entre un cadeau et un service fourni. Cette exigence bloquait de nombreuses procédu-res. Sa rédactrice, Kim Young-ran, juge toutefois le texte incomplet, « car il omet les conflits d’inté-rêts ». Mme Kim déplore égale-ment que les élus, les députés no-tamment, ne soient pas concer-nés par la loi : « Cela pourrait lesamener à jouer les intermédiai-res. » « Nous avons hâté le vote,s’est défendu Kim Moo-sung, pré-sident du parti majoritaire Sae-nuri, car il a une forte portée sym-bolique et la pression de l’opinion est forte. » La présidente Park Geun-hye a également poussé pour une adoption rapide. p

philippe mesmer

Prière en marge d’une manifestation de salafistes à Wuppertal, près de Düsseldorf, le 14 mars. FRANK AUGSTEIN/AP

« Une grande

partie de notre

travail consiste

à intervenir dans

les écoles

et les centres

de jeunes »

ADILtravailleur social à Wegweiser

LIBYELe premier ministre de Tripoli rejette sa destitutionLe chef du gouvernement re-belle de Tripoli, Omar Al-Hassi, a rejeté son limogeage, mercredi 1er avril. La veille, le Congrès général national, non reconnu par la communauté internationale, avait voté sa destitution face au « manque de résultats ». – (AFP.)

ÉGYPTELes Etats-Unis autorisent la livraison de F16Barack Obama a informé, mardi 31 mars, son homolo-gue égyptien Abdel Fattah Al-Sissi qu’il levait le gel sur la li-vraison d’avions F16 et de missiles Harpoon, imposé à après la sanglante répression contre les partisans de Moha-med Morsi, destitué par l’ar-mée le 3 juillet 2013. – (AFP.)

Les conjoints des

fonctionnaires

peuvent aussi

être poursuivis

s’ils ne

dénoncent pas

leur époux

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Page 12: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

12 | planète JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Les Etats-Unis et la Russie s’engagent pour le climat33 pays sur 195 ont livré leurs objectifs de réduction des émissions de CO2 pour limiter le réchauffement à 2 °C

PARIS CLIMAT 2015

Effet de surprise côtérusse, art du suspensedans le camp améri-cain. Mardi 31 mars,

ces deux acteurs clés du dérègle-ment climatique ont monopolisé la scène en officialisant, quelques heures avant l’expiration de ladate butoir, leurs engagementspour limiter à 2 °C le réchauffe-ment de la planète d’ici à la fin du siècle. Ajoutée aux « contribu-tions nationales » de l’Union européenne (à vingt-huit Etats membres), de la Suisse, de la Nor-vège et du Mexique, cette double annonce porte à 33 le nombre depays ayant répondu au secrétariatde la Convention-cadre des Na-tions unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’instancede négociations multilatérales.

Le processus contributif, enclen-ché en 2013 à Varsovie et précisé en 2014 à Lima, devrait clarifier lespositions des 195 Etats membres avant la 21e conférence mondiale sur le climat (COP21), organisée du30 novembre au 11 décembre à Pa-ris. C’est dire si le 31 mars consti-tuait une étape importante pourobtenir un premier cliché des ob-jectifs climat post-2020 des pays« prêts à le faire » selon le vocable onusien. Les retardataires ont jus-qu’à début octobre pour dévoiler leurs ambitions. « Ce décalage du calendrier est problématique, es-time Célia Gautier, responsable des politiques européennes pourle Réseau action climat. Plus les pays prennent du retard, moins ils seront incités à comparer leurs en-gagements avec d’autres et à les re-hausser. On risque de se retrouverdans un jeu où tout le monde se re-garde en chiens de faïence. »

La Russie, cinquième plus grosémetteur mondial de CO2, n’a fina-lement pas joué ce jeu-là. Elle pro-jette de réduire ses émissions de 25 % à 30 % d’ici à 2030 par rapportà 1990. « En Russie comme en France, la crise climatique n’est pas toujours visible, expliquait le 17 mars à Moscou Nicolas Hulot, envoyé spécial pour la protection de la planète, au terme d’une visitede 48 heures avec l’ambassadrice chargée des négociations climati-

ques, Laurence Tubiana. Mais la Russie subit, elle aussi, les premiè-res manifestations avec les feux de tourbière, les incendies de forêt ou l’apparition de gigantesques cratè-res en Sibérie. » La délégation fran-çaise s’est-elle montrée persua-sive au point de convaincre les Russes de formaliser leur contri-bution ? Dans cette affaire, c’estsurtout la voix d’Alexandre Bre-dintski, le conseiller de Vladimir Poutine sur les questions écologi-ques, qui a pesé. Sans doute aussi l’envie de concurrencer les Etats-Unis, qui laissaient entendre de-puis plusieurs jours qu’ils respec-teraient la date du 31 mars.

Contrairement aux engage-ments de Moscou, les objectifs de Washington n’ont surpris per-sonne. Ils respectent les termes del’accord sino-américain de no-

vembre 2014, qui prévoyait une ré-duction de 26 % à 28 % de ses émis-sions en 2025 par rapport à 2005.

Bataille des chiffres

La contribution du Mexique est cohérente elle aussi. Depuis la conférence de Cancun en 2010, Mexico développe une politique volontariste, avec un plan d’ac-tion jusqu’à 2020 et désormais une feuille de route post-2020, ar-ticulée autour d’une baisse de 22 % de ses émissions et un pic en 2026. L’Union européenne, co-piée par la Norvège, reprend les objectifs de son paquet climaténergie 2014 : baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, effort pour porter la part des énergies renouvelables à 27 % et pour réaliser 27 % d’économies

d’énergie. La Suisse espère réduirede 50 % ses émissions d’ici à 2030.

Additionnés, les 33 pays repré-sentent près d’un tiers des émis-sions globales. « S’il y a des progrèsdans les propositions des gouver-nements pour la période post-2020, on est loin d’objectifs compa-tibles avec la limite du réchauffe-

ment à 2 °C », alerte Bill Hare, dansun communiqué du centre de re-cherche allemand Climate Analy-tics. Selon les calculs d’un autregroupe d’experts, Climate Action Tracker, les politiques actuellesdépassent largement ce seuil et pourraient se traduire par une hausse de 3,9 °C du thermomètre

mondial d’ici à la fin du siècle, par rapport à l’ère pré-industrielle.

La bataille des chiffres porteaussi sur les années de référence présentées par les pays contribu-teurs. Le choix des Etats-Unis dedémarrer la courbe en 2005 n’est pas anodin : c’est l’année de son dernier pic d’émissions. L’admi-nistration américaine peut affi-cher ainsi de forts objectifs à la baisse. Ramené à des bases de ré-férence identiques (1990-2025), l’engagement des Etats-Unis en-traînerait une réduction de seule-ment 14 % de ses gaz à effet deserre, contre 30 % pour l’Europedes Vingt-Huit.

« Ne nous focalisons pas sur unedate ou sur un chiffre, insiste-t-on dans l’entourage de la COP21. De gros émetteurs comme la Chine,l’Inde ou le Brésil ont enclenché desprocessus de consultation sérieux. Les pays africains veulent aussi faire des propositions. » « Nousaurons beaucoup de contributionsnationales en juin », au moment du G7 ou de la reprise des négocia-tions de la CCNUCC, promet Lau-rence Tubiana. En revanche, de gros pollueurs comme l’Australie, le Japon ou le Canada pourraientjouer encore longtemps les der-niers de la classe. Tokyo condi-tionne sa politique climat à la re-lance de son appareil nucléaire. Età Ottawa, « le premier ministre se désintéresse totalement du chan-gement climatique », constate Louise Comeau, de Climate Ac-tion Network Canada. Puisque l’Etat ne fait rien, ce sont les ONG canadiennes qui vont soumettre la contribution du pays à Stephen Harper, mercredi 1er avril. p

simon roger avec

isabelle mandraud (à moscou)

Le champ d’action limité de Barack ObamaLe président américain fait face à l’opposition du Congrès pour légiférer en faveur du climat

washington - correspondant

L e 19 mars, le président amé-ricain, Barack Obama, s’estrendu au département de

l’énergie pour y signer ostensible-ment un décret présidentiel fixant aux institutions fédérales de nouveaux objectifs de réduc-tion d’émissions de gaz à effet de serre. M. Obama, qui avait aupara-vant visité le dispositif de pan-neaux solaires installé sur le toitdu bâtiment, souhaite que l’en-semble des agences gouverne-mentales américaines réduise de 40 % leurs émissions (sur la basede l’année 2008) au cours des dix prochaines années, et que 30 % del’électricité qu’elles consomment soit tirée d’énergies renouvela-bles d’ici à 2025.

Brian Deese, le conseiller du pré-sident sur ces questions, a résumé d’une image cet objectif : « Cela re-vient à retirer de la circulation 5,5 millions de véhicules, soit un nombre supérieur à ceux qui sont actuellement enregistrés dans monEtat, le Massachusetts. » Le gou-vernement américain est le plus gros consommateur d’énergie des Etats-Unis, à commencer par le ministère de la défense. Il se doit de donner l’exemple pour parve-

nir à l’objectif ambitieux avancé par le président lors d’un déplace-ment en Chine, en novembre.

Pour convaincre son homolo-gue chinois, Xi Jinping, de s’enga-ger lui aussi contre le réchauffe-ment climatique, M. Obama a pro-mis de réduire les émissions amé-ricaines de 26 % à 28 % d’ici à 2025,sur la base de celles de 2005. C’est cette fourchette qui a été commu-niquée au titre de la contribution américaine, le 31 mars, quelques heures avant l’expiration de la date butoir fixée par l’ONU en vuede la conférence sur le climat, or-ganisée à Paris en décembre.

« Guerre contre le charbon »

La signature du décret du 19 mars témoigne à la fois du volontarismedu président démocrate et des li-mites de ses pouvoirs et de ceux deson bras armé, l’Environmental Protection Agency (EPA). Car si la prise de conscience des enjeux du réchauffement climatique s’étend désormais aux sympathisants ré-publicains, comme l’a montré un sondage publié le 31 janvier par le New York Times, les élus du Con-grès, désormais contrôlé entière-ment par le Grand Old Party, res-tent pour l’instant hostiles à ce quela loi sanctuarise ces objectifs de

réduction d’émissions de gaz à ef-fet de serre. Personne ne sait non plus ce qu’il adviendrait de la poli-tique suivie par M. Obama en cas d’alternance à l’issue de l’élection présidentielle de 2016.

Sans attendre cette échéance, labataille se concentre sur la réduc-tion des émissions liées aux cen-trales thermiques. L’EPA, qui doit finaliser son plan de lutte d’ici à l’été, se heurte sans surprise au lobby du charbon que relaie le chef de la majorité républicainedu Sénat des Etats-Unis, Mitch McConnell, élu du Kentucky. Lejour même de la signature du dé-cret présidentiel, le sénateur pas-sait à l’offensive en adressant une lettre à l’Association nationale desgouverneurs dans laquelle il con-testait d’un point de vue légal le

plan d’action de l’EPA. Plus tôtdans le mois, M. McConnell avait déjà invité les Etats à ignorer lanouvelle régulation qui constitue,selon lui, un nouvel épisode de la « guerre contre le charbon » me-née par M. Obama.

Des efforts que Rhys Gerholdt,chargé à Washington du dossier climat pour le World Resource Ins-titute, un think tank indépendant dédié aux questions environne-mentales, juge un peu vains. « Les Etats ont compris qu’ils ont tout à gagner à s’engager dans la voie de l’efficacité énergétique. Ils préfére-ront concocter leurs propres plansde réduction de gaz à effet de serre plutôt que de dépendre de l’EPA », qui a le pouvoir d’en imposer si lesEtats s’y refusent. M. Gerholdt se montre tout aussi « raisonnable-ment confiant » pour les objectifs communiqués mardi par les Etats-Unis. « Les lois déjà en place fournissent un cadre solide, un pre-mier pas a été franchi, et c’est tou-jours le plus difficile », assure-t-il. Le 19 mars, de grandes entreprisesaméricaines, GE, Northrop Grum-man et IBM, se sont également en-gagées à réduire leurs émissions, de l’ordre de 35 % pour le géant de l’informatique. p

gilles paris

Barack Obama

a promis

de réduire

les émissions

américaines

de 26 % à 28 %

d’ici à 2025

Barack Obama, devant les panneaux solaires sur le toit du département de l’énergie, à Washington, le 19 mars. JACQUELYN MARTIN/AP

« Plus les pays

prennent du

retard, moins

ils seront incités

à comparer leurs

engagements »

CÉLIA GAUTIER

Réseau action climat

ÉNERGIEBonus pour l’achat d’une voiture électriqueA partir du 1er avril, un bonus allant jusqu’à 10 000 euros sera attribué pour l’achat d’un véhicule électrique et de 6 500 euros pour un hybride rechargeable, à condition de mettre au rebut un véhicule diesel antérieur à 2001.

INTEMPÉRIESUn supertyphon frappe le PacifiqueLe typhon Maysak, avec des vents soufflant à 260 km/h, a frappé les îles de Micronésie, dans le Pacifique central, entrele 30 mars et le 1er avril. Le bi-lan provisoire est de cinq morts. Le cyclone fait route vers les Philippines. – (AFP.)

29 %des émissions mondiales de gaz à effet de serre

C’est ce que pèsent les 33 pays ayant remis leur « contribution natio-nale » avant la date butoir du 31 mars. Dans le détail, les Etats-Unis sont les plus gros pollueurs (avec 13,2 % des rejets mondiaux de gaz à effet de serre), devant l’Union européenne (9,5 %), la Russie (5,1 %), le Mexique (1,26 %), la Norvège (0,13 %) et la Suisse (0,11 %), selon les chiffres de 2010 de la Commission européenne.

MARC VOINCHET ET LA

RÉDACTION

DU LUNDI AU VENDRED

I / 6H30-9H

Retrouvezla chroniqu

e de Jean Birnbaum

chaque jeudi à 8h55

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Page 13: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 france | 13

les élections départementales des 22 et 29 mars marquent un recul sans précédent du cumul d’un mandat parle­mentaire avec un mandat électif local.Avant le scrutin, 197 députés ou séna­teurs siégeaient également dans un con­seil général ; 44 d’entre eux en étaientprésident. A l’issue du second tour, ils nesont plus que 89 à détenir un mandat deconseiller départemental. Une baisse inédite de 55 %.

La loi de février 2014 prévoit une entréeeffective de la limitation du cumul des mandats à partir du prochain renouvel-lement des assemblées parlementaires,en 2017, et ne concerne que les mandats exécutifs locaux. Les parlementaires ont donc anticipé son application et se sont imposés à eux-mêmes une règle plus contraignante que la loi ne l’imposait.

Au moment du dépôt des candidatu-res, le recul était déjà prononcé. Alorsque l’Assemblée nationale comptait 101 députés exerçant un mandat de con-seiller général (hors Paris), seulement 67 – dont 46 sortants – se déclaraient candi-dats. Le phénomène était encore plusmarqué au Sénat, où 94 sénateursétaient conseillers généraux (hors Paris) et où à peine la moitié – 46 dont 43 sor-tants – étaient candidats.

Renouvellement profond

Sur les 67 députés candidats à un man-dat départemental, 51 ont été élus. A no-ter que, parmi les battus, figure un prési-dent sortant : Jean-Louis Destans (PS), dans l’Eure. Du côté des sénateurs, sur les 46 candidats, 38 seront donc présentsdans une assemblée départementale.

Trois présidents sortants ont enregistréun échec : Rachel Mazuir (PS), dans l’Ain, Christian Namy (UDI), dans la Meuse, et Yves Rome (PS), dans l’Oise.

S’y ajoutent deux membres du gouver-nement qui pourront éventuellementretrouver leur siège lorsque leurs fonc-tions prendront fin : Ségolène Neuville,élu députée dans les Pyrénées-Orienta-les, secrétaire d’Etat chargée des person-nes handicapées, et André Vallini, élu sé-nateur dans l’Isère, secrétaire d’Etat chargé de la réforme territoriale.

Ce mouvement participe du renouvel-lement profond des assemblées départe-mentales et, plus généralement, de l’évo-lution en cours sur l’exercice des man-dats électifs. Certes, il est probable que laperspective d’une débâcle annoncée à cescrutin départemental aura dissuadé

bon nombre d’élus de la majorité de bri-guer un nouveau mandat local.

Un cinquième de battus

Encore convient-il d’observer que, surles 113 députés ou sénateurs candidats,seuls 24, soit un peu plus d’un cin-quième, ont été battus. La notoriété que procure un mandat parlementaire cons-titue toujours un sérieux avantageauprès des électeurs.

Il n’empêche que cette baisse effectivedu cumul des mandats, combinée au profond renouvellement des candidatu-res et, donc, des élus – deux tiers de nou-veaux conseillers dans les assemblées départementales et la parité –, témoignede l’émergence d’une nouvelle généra-tion politique. p

p. rr

De moins en moins de parlementaires cumulent les mandats électoraux

Reports de voix : des consignes malmenéesAu second tour des départementales, la droite a boudé le « ni-ni » et le Front de gauche a renâclé à voter PS

Porosité des électorats del’UMP et du FN et ac-crocs, à gauche, à la règledu désistement en fa-

veur du candidat le mieux placé quand il s’agissait d’un binômesocialiste, telles sont les principa-les leçons à retenir du second tourdes élections départementales.

Sur les 294 duels l’opposant auFN, la gauche en a remporté 274 C’est le premier enseignement dusecond tour de ces élections : les électeurs de droite ne suivent pas majoritairement la consigne du président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui préconise le « ni-ni » (ni Parti socialiste ni Front natio-nal) lors des duels gauche-FN, cequi revient à s’abstenir ou à voter blanc. Si une grande partie s’abs-tient, une autre se reporte sur lagauche et encore davantage sur le FN lors des seconds tours oppo-sant un binôme d’extrême droiteà un autre de gauche : 22 % desélecteurs de droite votent FN etseulement 18 % pour la gauche quand leur parti est éliminé du se-cond tour, selon un sondage IFOP réalisé le 29 mars auprès de 2 447 personnes.

Dans le Vaucluse, le FN l’a ainsiemporté au second tour face auPS dans le canton de Monteux, en passant de 44 % à 55 % entre lesdeux tours, notamment grâce à un apport d’une partie des voixrecueillies par l’UMP au premier tour. Même constat dans le Var :dans le canton de La Seyne-sur-Mer-1, le binôme FN l’a emportéface au PS, en passant de 41 % à 53 % entre les deux tours. Le parti de Marine Le Pen gagne égale-ment face au PS dans le canton deGaréoult, en progressant de 10 points en une semaine. Dans le Gard, le FN a aussi gagné dans lecanton de Vauvert face au PS, enfaisant un bond de 8 points entre les deux tours. Idem dans l’Aisne,où le FN a vaincu le PS en passant de 38 % à 55 %.

Sans aboutir à une victoire duFN, les électeurs de l’UMP ont per-mis aux candidats du parti d’ex-trême droite, en duel face à la gau-

che dans le canton de Marennes (Charente-Maritime), d’enregis-trer une progression de près de 11 points entre le premier et le se-cond tour, en passant de 31 % à 42 %. La moitié de l’électorat UMP semble également s’être reportée sur le FN au second tour dans le canton d’Avignon-2, où les candi-dats d’extrême droite, opposés à des écologistes, sont passés de 31 %à 41 %. Idem dans le canton de Per-nes-les-Fontaines (Vaucluse), où le FN, opposé au PS, gagne près de 10 points entre le 22 et le 29 mars, pas-sant de 37 % à 47 %.

Cette porosité observée entrel’UMP et le FN illustre, selon le po-litologue Gaël Brustier, « un phé-nomène de fusion relative entre lesélectorats de l’UMP et du FN ». « Les phénomènes de report d’une partie de l’électorat UMP en faveurdu FN, dans le cas des duels gauche- extrême droite, semblent s’être re-produits de manière comparable àce que l’on avait observé lors de lalégislative partielle du Doubs », ob-serve-t-il. Lors du scrutin des 1er et 8 février, la moitié des électeurs UMP du premier tour avaient voté pour le FN au second tour, se-lon une étude du chercheur JoëlGombin. Pour passer d’un score autour de 30 % au premier tour àun score s’approchant des 50 %

face au PS, « le FN doit plutôtcompter sur sa force d’attraction envers des électeurs de droite quesur un réservoir d’électeurs FN déjàlargement mobilisé au premiertour », soulignait-il.

Dans les duels avec la gauche, ladroite a pu compter sur un bon report des voix FN 65 % des élec-teurs du parti de Marine Le Pen dupremier tour ont ainsi voté pourla droite quand elle était opposée à la gauche au second, selon un sondage OpinionWay pour L’Opi-nion réalisé le 29 mars auprès de7 379 personnes. Exemple : dans lecanton de Clelles (Isère), la droite gagne 21 points entre les deuxtours, passant de 48 % à 69 %, grâce au renfort d’une grande partie des voix du FN du premier

tour, alors que la gauche ne gagnequ’un point. Idem en Indre-et-Loire, dans le canton de Saint-Cyr-sur-Loire, où la droite passe de45 % à 61,5 %, en aspirant les voix du FN du premier tour, quand lagauche reste à 33 % au second.

La droite a remporté 535 duelsface à l’extrême droite L’électo-rat du parti de Nicolas Sarkozy aapporté massivement ses suffra-ges aux candidats de son camp. L’UMP a aussi profité d’un bon re-port de voix de la gauche. Globale-ment, entre 50 % et 60 % de l’élec-torat de gauche s’est reporté sur les binômes de la droite opposés àdes candidats du FN. Dans les Al-pes-Maritimes, le FN n’a par exemple quasiment pas progresséentre les deux tours dans les can-tons de Nice-1, passant de 30 % à 33 %, alors que la droite a bondi de20 points (47 % à 67 %) grâce à un apport d’une large partie des élec-teurs s’étant portés sur la gauche au premier tour.

Idem au Cannet, où le FN ne ga-gne qu’un point entre les deux tours en passant de 33 % à 34 %, quand la droite bondit de 49 % à 66 %. Même constat à Savigny-sur-Orge, dans l’Essonne, où la droite progresse de près de 27 points en-tre les deux tours face à un binôme

FN qui enregistre seulement 5 points de progression.

Phénomène encore plus surpre-nant, parfois, quand les candidats de gauche arrivés en troisième position au premier tour se sontmaintenus au second tour sans aucune chance de l’emporter, leurs électeurs ont apporté uneaide décisive aux candidats de droite pour faire la différence faceau FN. Ainsi, au Cateau-Cambrésis(Nord), alors que le FN était arrivé en tête au premier tour avec 38,31 % des voix, devant le binômede droite (34,85 %) et celui du PS (26,83 %), l’ordre s’est inversé ausecond tour : le binôme de droite l’a emporté avec 48,75 % des voix, soit 14 points de progression, de-vant le FN, qui obtient 40,15 %,tandis que le PS ne recueille que

Dépouillementdans un bureau

de votede Carpentras

(Vaucluse),le 22 mars

ARNOLD JEROCKI/

NEWS PICTURES

POUR « LE MONDE »

Globalement,

le report des

électeurs de

gauche s’effectue

aux trois quarts,

car il est massif

en cas de duel

face au FN

11,09 %, en recul de plus de15 points.

A gauche, la règle du désiste-ment fonctionne encore mais connaît des accrocs Globalement,le report des électeurs de gauche s’effectue aux trois quarts. La règle ne fonctionne cependant pas de manière symétrique selon que ce sont des candidats du PS ou des candidats du Front de gauche (FG) qui sont qualifiés pour le second tour. Dans le second cas, le report des électeurs de gauche se fait sanshésitation et massivement.

A plus forte raison quand le bi-nôme FG est opposé à un binôme FN. Ainsi, le Front de gauche rem-porte 30 des 31 duels qui l’oppo-saient au FN. Comme à Aniche,dans le Nord, où les candidats du FG l’emportent face au FN au se-cond tour en enregistrant uneprogression de 11 points par rap-port au total des voix de gauchedu premier tour. A Aulnoye-Ay-meries (Nord), la progression estencore plus spectaculaire : plus15 points.

L’électorat de gauche traîne unpeu plus des pieds quand ce sont des candidats du PS qui sont au se-cond tour. En duel face au FN, le re-port est massif. En revanche, dans des duels face à la droite ou en triangulaire, il y a eu quelques en-torses. Ainsi, dans le canton de Lille-5, le binôme PS, en triangu-laire, n’obtient que 37,65 % quand le total des voix de gauche au pre-mier tour atteignait 42,09 %. Il l’emporte malgré tout, ce qui n’est pas le cas à Toulouse-11, où les can-didats du PS sont battus de jus-tesse par ceux de la droite faute d’un report suffisant à gauche, alors qu’au premier tour le total des voix de gauche excédait de 14 points celui des voix de droite.

Ces réticences à gauche ont clai-rement pénalisé des candidats du PS dans certains cantons, comme dans l’agglomération de Pau ou à Besançon, entraînant leur chute.

Même à gauche, le vote sanctionpar rapport à l’exécutif était bienprésent dans ce scrutin départe-mental. p

alexandre lemarié

et patrick roger

22 % des

électeurs de

droite ont voté

FN et 18 % pour

la gauche quand

leur parti

était éliminé

du second tour

VERBATIM

“C’est un succès de l’UMP etdonc de son président, de

l’ensemble de l’équipe de l’UMP qui a mouillé la chemise – et moi aussi, j’ai fait beaucoup de réu-nions sur le terrain –, de nos candidats, et puis surtout c’est un succès de la stratégie d’union que je n’ai cessé de préconiseret qui s’est faite à peu prèspartout. »

Alain Juppé, maire UMP de Bor-deaux et candidat à la primaire à droite en vue de la présidentielle, au sujet des électionsdépartementales,mercredi 1er avril, sur Europe 1.

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14 | france JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Au PS, les courants restent sans voix après la défaiteFace aux députés socialistes, Manuel Valls a joué en mode mineur tout en rappelant qu’il était le patron

Au cinquième rang,Jean-Marc Ayrault estdissipé. Un petit mot àrédiger, un SMS à

écrire : le député de Loire-Atlanti-que fait tout sauf écouter celui quilui a succédé à Matignon, il y a exactement un an. Pourtant, du-rant cette séance de questions augouvernement du mardi 31 mars, Manuel Valls n’a pas économisé sa salive, prenant lui-même le mi-cro pour répondre à toutes lesquestions sur la situation politi-que post-départementales. Au lendemain de la défaite électorale des municipales, il y a un an, il s’était imposé comme l’hommeprovidentiel, seul à même de diri-ger l’orchestre socialiste ; cettefois, de l’aveu de tous, aucune so-lution n’apparaît évidente et, pour retrouver l’harmonie, la gau-che s’apprête à écrire une parti-tion bien plus hasardeuse.

Première nouveauté : devantl’Hémicycle comme auprès du groupe socialiste le matin même, Manuel Valls a joué en mode mi-neur. Personne, à droite comme à gauche, n’est parvenu à fairemonter le rouge au front du pre-mier ministre, qui n’a eu de cesse de rappeler que « le pays a plus que jamais besoin d’apaisement,d’unité » et de « rassemblement ».

« Il faut être à l’écoute non seule-ment de la majorité mais aussi desFrançais » a-t-il dit à la représenta-tion nationale, après avoir assuré, lors de la réunion de groupe PS qu’il était « à l’écoute » des dépu-tés et « lucide sur l’état de la so-ciété ». Peu applaudi durant laséance de questions, le chef du gouvernement n’a pas cherché à galvaniser ses troupes, rappelantsimplement que « la place des écologistes est dans la majorité » et qu’il faudra « sans doute aller plus loin » sur la question des in-vestissements.

Sur l’estrade de la salle Victor-Hugo, devant des élus socialistes encore amers et désemparés par la débâcle électorale des départe-mentales, il était déjà resté calme, totalement silencieux pendant la première heure et demie de la

réunion. Il a écouté les uns témoi-gner de la désertion de leurs élec-teurs, laissé longuement parler le premier secrétaire, Jean-Christo-phe Cambadélis, puis le président de l’Assemblée, Claude Bartolone. Reconnaissant quelques erreurs et une certaine part de responsa-bilité, notamment avec la sup-pression de la « demi-part des veu-ves », Manuel Valls a tenu à rappe-ler, calmement mais fermement, que le patron, c’était lui : dans ledomaine économique, « aucune décision n’est prise, et c’est moi qui fais les annonces », a-t-il souligné. Quant à une deuxième loi Ma-cron, qui semblait pourtant bien engagée, « on verra ».

Frondeurs en sourdine

A la différence de l’année précé-dente, l’enjeu est désormais pourles dirigeants de ne pas laisser le chœur de la gauche s’emballer en vue du congrès socialiste de juin. Pas question cette fois de rema-nier dans l’urgence ni de trouver des boucs émissaires au sein du groupe en la personne des fron-deurs. « Si on ne maîtrise pas notrecongrès, si on ne sait pas parler aux écolos et communistes, nousn’y arriverons pas », a prévenu Claude Bartolone devant ses pairs, clamant que « le temps durebond [était] venu ».

Face à lui, un grand nombred’élus réunis dans une ambiance« calme mais plombée », selon plusieurs participants, et des« frondeurs » ostensiblement ensourdine. En leur nom, seul le dé-puté de l’Essonne, Michel Pouzol,battu dans son canton de Bréti-

flexions » : plus de soutien à l’in-vestissement, la révision durythme de la baisse des dotations aux collectivités, une meilleure évaluation du crédit d’impôt pourla compétitivité et l’emploi, l’ac-centuation de la lutte contre les inégalités par le biais de mesures fiscales et le rassemblement de la gauche tout entière, au-delà duPS.

Autant de points que l’anciennepremière secrétaire a évoqué avecFrançois Hollande lors d’un dé-jeuner à l’Elysée, mardi 24 mars, avec Jean-Marc Ayrault et sur les-quels le chef de l’Etat semblait« ouvert ». Devant le groupe, mardi 31, Manuel Valls a, à sontour, « coché toutes les cases » et« a évoqué tout ce qui peut être un point d’accord », reconnaît un

aubryste qui attend encore de voir. Le texte de la motion majori-taire, menée par Jean-Christophe Cambadélis, est notamment très attendu et « ne doit pas être de l’eau tiède », prévient-il. Hors du cercle de Martine Aubry, des élus pronostiquent déjà qu’elle ne serangera de toute façon pas dans lamajorité, car « trop humiliée » par le couple exécutif.

Frondeurs, aubrystes, hollan-dais, dirigeants… tous redoutentfinalement autant qu’ils l’atten-dent le point d’orgue que sera lecongrès de Poitiers. « La paren-thèse enchantée ouverte en 2004 est en train de se refermer », averti Malek Boutih, qui ne connaît que trop bien les arcanes de son parti :« Le Parti socialiste voit revenir les débats qu’il n’a pas réglés après le21 avril 2002. » Et avec eux, lacrainte de ne pas survivre au pre-mier tour de la présidentielle de 2017. p

hélène bekmezian

Les députés PS lors des questions au gouvernement, mardi 31 mars, à l’Assemblée nationale. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Loi Macron : les sénateurs veulent aller plus loinDes amendements significatifs ont été adoptés en commission sur le volet droit du travail

L e texte du projet de loi sur lacroissance et l’activitéadopté par la commission

spéciale du Sénat qui sera exa-miné en séance à partir du 7 avril diffère sensiblement de celui adopté – sans vote – à l’Assemblée nationale. Tant sur la forme quesur le fond. Sur la forme, d’abord, le texte transmis par l’Assemblée comportait 295 articles, il n’encompte plus que 254. La commis-sion a examiné 976 amende-ments, elle en a adopté 347, dont289 proposés par les rapporteurs.

Est-ce à dire que le Sénat s’ap-prête à revoir de fond en comble un projet de loi qualifié, mardi 31 mars, lors d’une conférence de presse conjointe de l’UMP et de l’UDI, par le président de la com-mission spéciale, Vincent Capo-Canellas (UDI), de « protéiforme, maladroit, un peu balourd » ? Pas systématiquement. Pas moins de124 articles ont ainsi été adoptés sans modification. Bon nombre de mesures inscrites dans le pro-jet de loi emblématique d’Emma-nuel Macron recueillent un franc enthousiasme de la part des séna-teurs, comme celles concernant la

libéralisation des transports par autocar, le soutien au logementintermédiaire, le développement de l’épargne salariale et de l’ac-tionnariat salarié, la création de zones touristiques internationa-les pour l’ouverture des commer-ces…

« De vraies réformes »

Même si, sur certains de ces points, le Sénat souhaite aller plusloin. Ainsi, concernant le travaildu dimanche, alors que le projetde loi, sous sa forme actuelle, pré-voit que, en l’absence d’accord collectif, l’ouverture du com-merce le dimanche ou en soirée ne peut être autorisée, les séna-teurs voudraient la rendre possi-ble sur simple décision de l’em-ployeur approuvée par référen-dum des salariés. Pour les com-merces de moins de onze salariés,ils souhaiteraient en rester au ré-gime actuel alors que le texte pré-voit l’obligation d’un accord col-lectif et de contreparties.

Les infléchissements apportésen commission par les sénateurs, qui seront probablement approu-vés en séance, sont loin d’être mi-

neurs. La droite sénatoriale se trouve même confortée par le ré-sultat des élections départemen-tales. « Le gouvernement ne peutpas se contenter de dire : “Il n’y a rien à voir”, défend le président dugroupe UMP, Bruno Retailleau. Le sursis qui nous est accordé par Bruxelles doit être mis à profit pour engager de vraies réformes,pas des semblants de réforme. »

Les sénateurs ont donc décidéd’intégrer dans ce texte des dispo-sitions additionnelles portant, notamment, sur les seuils so-ciaux, l’extension des accords demaintien dans l’emploi, la créa-tion d’un contrat de mission ou lasimplification du compte pénibi-lité. Autant de sujets sensibles qui

sont au cœur des discussions en-tre les partenaires sociaux, qui hé-rissent une partie de la gauche etqui devraient faire l’objet d’un prochain projet de loi porté par le ministre du travail, François Reb-samen.

Mais les sénateurs ne sont pasdisposés à patienter. « Le Sénat pousse à agir. Nous voulons faire sauter les verrous dès maintenant. Nous proposons au gouvernementd’intégrer ces dispositions dans cetexte puisqu’il n’aura plus d’autres occasions d’engager sa responsa-bilité pendant cette législature.Quitte à utiliser le 49-3, autant le faire pour quelque chose qui ait dusens, explique M. Retailleau. Soit le gouvernement fait un pas vers leSénat, soit il reste sur son quant-à-soi, en considérant que l’aile gau-che de l’Assemblée est plus impor-tante que le Sénat. »

Une démarche qui a peu dechances d’être entendue par le gouvernement. La stratégie de la « main tendue exigeante » défen-due par la droite sénatoriale s’ap-parente plus, en réalité, à une vo-lonté de confrontation. p

patrick roger

« Nous voulons

faire sauter

les verrous

dès maintenant »

BRUNO RETAILLEAUprésident du groupe UMP

au Sénat

gny-sur-Orge, a pris la parole. « Le PS doit redonner envie aux électeurs de gauche de venir vo-ter », a-t-il plaidé sous les applau-dissements, résumant l’esprit gé-néral du groupe. Mais tous sa-vent que la prochaine mesure sejouera au congrès, et les fron-deurs ont déjà déporté leur com-bat hors du groupe pour com-mencer à se compter, dans l’opti-que de déposer leur propre mo-tion, réunissant proches deBenoît Hamon (Un monde d’avance) et aile gauche du parti (Maintenant la gauche).

Quant aux aubrystes, ils n’ontpas encore tout à fait fini de com-poser leur petite musique. Réuni mardi soir à l’Assemblée, Martine Aubry et ses troupes ont décidé… de ne pas décider. « Nous atten-dons des inflexions et des engage-ments permettant de faire un ac-cord sur le fond », expliquait un proche de la maire de Lille à l’issuede la réunion. Parmi ces « in-

« Il faut être

à l’écoute non

seulement

de la majorité,

mais aussi

des Français »

MANUEL VALLSpremier ministre

73 %des députés réélus dans leur canton

Si, dans son ensemble, la gauche a encaissé une lourde défaite aux élections départementales, les seuls députés socialistes s’en sortent, eux, relativement bien. Paradoxalement, ils semblent avoir moins pâti de la coloration nationale du scrutin : sur les trente-quatre qui étaient candidats dans leur circonscription, vingt-cinq ont été élus, ou réélus, soit presque les trois quarts. Sur les quatre présidents de conseil géné-raux candidats à leur succession, seul Jean-Louis Destans, dans l’Eure, n’a pas été réélu.

Page 15: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 france | 15

« Loi renseignement » :la prison, nid d’espions ?Un amendement prévoit d’intégrer l’administration pénitentiaire dans la communauté du renseignement

Tout à coup, ChristianeTaubira a paru inquiète.La ministre de la justicese tenait coite, mardi

31 mars, à la commission des lois de l’Assemblée nationale, pourprésenter le projet de « loi rensei-gnement » piloté par Matignon etlonguement détaillé par BernardCazeneuve, le ministre de l’inté-rieur, et Jean-Yves Le Drian, le mi-nistre de la défense, lorsqu’il lui a fallu batailler contre une séried’amendements qui risquent de bouleverser son ministère. Il est en effet envisagé d’intégrer l’ad-ministration pénitentiaire dans « la communauté du renseigne-ment » et de faire des surveillants de petits espions.

C’est une idée de Guillaume Lar-rivé, à laquelle il tient fort. Le dé-puté UMP de l’Yonne, ancien bras droit de Brice Hortefeux à l’inté-rieur comme au ministère de l’immigration et de l’identité na-tionale, propose d’ajouter aux six services de renseignements ce qu’il reste des Renseignements

généraux, plus la direction géné-rale de la police nationale et le renseignement de la Préfecturede police de Paris. Il veut même« envisager la création d’un vérita-ble service de renseignement péni-tentiaire (SRP) qui reste à cons-truire, au sein du ministère de la justice ».

Ce n’est pas anodin : la « loi ren-seignement » va légaliser et dé-multiplier les moyens des servi-ces spéciaux, sous le contrôle d’une commission administra-tive dont l’efficacité est contestée. Le député souhaite « a minima »que l’administration pénitenti-aire soit « autorisée à recourir àcertaines des techniques spéciales, au service de certaines finalités ». En clair, lorsqu’un surveillantaura accompagné un détenu en promenade, il ira poser un micro dans sa cellule ou surveillera en caméra cachée les parloirs avec sa famille.

On ne sait pas encore ce que serala position de la majorité, et sur-tout de Jean-Jacques Urvoas, leprésident PS de la commission et rapporteur du projet. Vu les possi-bilités qu’offre la nouvelle loi pour surveiller les simples ci-toyens, il n’y a pas de raison queles détenus le soient moins. L’ini-tiative aurait cependant trois ru-des conséquences. Dans la vie quotidienne, d’abord. Une étrange relation se noue entre les gardiens et les détenus, de détes-tation, de méfiance, de rivalité, mais aussi souvent de confiance : tous vivent en prison, et sontamenés à se supporter des an-

nées. Les conversations télépho-niques sont écoutées, les cour-riers ouverts, mais les détenus le savent et les règles du jeu théori-quement claires. Comment avoirconfiance dans le personnel s’il doit vous espionner ?

Deuxième réserve, la prisonvise à « préparer la réinsertion de la personne détenue », indique laloi pénitentiaire de 2009, votéesous la droite. Il est improbable que les méthodes des services préparent une réinsertion déjà difficile. Troisième conséquence,enfin, et Guillaume Larrivé l’a bien saisi, « la création d’un vérita-ble service de renseignement péni-tentiaire implique que le garde des sceaux soit l’une des autorités compétentes pour demander l’autorisation de mise en œuvredes techniques de renseigne-ment ».

« Intérêts économiques »

Christiane Taubira a rappelé que la justice est, selon la Constitu-tion, « la gardienne de la liberté in-dividuelle » et qu’elle ne voyait passon ministère « se retrouver pres-cripteur d’interceptions de sécu-rité ». Surtout qu’il ne s’agit passeulement de terrorisme, mais d’un champ aussi large que la sé-curité nationale, la préservation « des intérêts essentiels de la politi-que étrangère » ou « des intérêtséconomiques et scientifiques ». « Ce n’est pas le métier des person-nels, a indiqué Christiane Taubira.Ils sont chargés d’assurer la sécu-rité des établissements, de prévenirles évasions et les infractions. Les intérêts économiques de la France ne relèvent pas de l’administrationpénitentiaire. Ce serait faire du mi-nistère de la justice un demi-minis-tère de l’intérieur. Et nous n’avonspas besoin d’un ministère et demide l’intérieur. »

D’autant que la « loi renseigne-ment », dans son volet carcéral, vadéjà loin. Un petit noyau de déte-nus, sur plus de 66 000 person-nes incarcérées, est surveillé de

près : 291 détenus particulière-ment signalés (DPS) et 314 pour terrorisme, dont 179 au titre de l’islamisme radical. La moitié desdétenus ont un téléphone porta-ble : 27 524 ont été saisis en 2014,deux fois plus qu’en 2010. Pas tou-jours pour s’évader : les télépho-nes publics (surveillés) ne sontpas accessibles après 17 heures, et les détenus ont mille difficultés à joindre leur épouse ou leurs en-fants.

L’administration a déjà réagi :282 portiques de détection ont étéinstallés depuis deux ans, avec 393 magnétomètres (des capteursde champ magnétiques), et 628

dispositifs de brouillage télépho-nique. Ce n’est pas la panacée, aucun des sept types de brouilleurs ne couvre tout le champ des portables. Un logiciel de fouille des disques durs, sur-nommé Scalpel, existe depuis 2014, mais il faut près d’une se-maine pour expertiser un seul or-dinateur.

La nouvelle loi autorise doncdéjà d’autres moyens. Un « dispo-sitif technique de proximité » qui signale un téléphone dans un rayon de 250 m – chacun coûte 375 000 euros, douze sont prévus.Il sera aussi possible de glisser un logiciel espion dans les 2 500 or-

dinateurs en détention qui signa-lera les connexions. Il existe déjàun petit bureau du renseigne-ment à l’administration péniten-tiaire, l’EMS-3 (état-major de sécu-rité) qui produit 6 000 signale-ments tous les ans.

Il sera renforcé de 154 emplois,dont 22 informaticiens, des ana-lystes-veilleurs et des officiers de renseignement. Si l’administra-tion pénitentiaire évite d’entrer dans le cercle très fermé des servi-ces secrets, cela n’empêchera pasces mêmes services de faire leur travail en détention. Comme àl’extérieur. p

franck johannès

« Ce serait faire

du ministère de

la justice un

demi-ministère

de l’intérieur »

CHRISTIANE TAUBIRAministre de la justice

Au centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, en 2014. PHILIPPE BRAULT POUR « LE MONDE »

LE CONTEXTE

PROJET DE LOILa commission des lois de l’As-semblée nationale a commencé à discuter des amendements au projet de loi renseignement mercredi 1er avril, et l’examen du texte devrait débuter en séance le 13 avril. Le projet, exa-miné en urgence avec un seul passage par Chambre, devrait être sensiblement modifié par le Parlement. Jean-Jacques Ur-voas, le rapporteur (PS, Finis-tère), entend notamment ré-duire le nombre de membres de la nouvelle Commission natio-nale de contrôle des techniques de renseignement de neuf à cinq, en excluant les quatre par-lementaires.

Deux bébés sont morts après avoirété vaccinés contre la gastro-entériteLes autorités sanitaires ne devraient plus recommander cette vaccination

C ette information va sansdoute jeter un peu plus lediscrédit sur les vaccins.

Deux bébés sont décédés suite à la vaccination contre des infections àrotavirus (gastro-entérite). L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) l’a annoncé mardi 31 mars, confirmant les informa-tions du Canard Enchaîné.

Prescrits à partir de l’âge de 6 se-maines et jusqu’à 6 mois, ces deuxvaccins, Rotarix (GlaxoSmi-thKline/GSK) et RotaTeq (Sanofi Pasteur MSD), sont autorisés en Europe depuis février et juin 2006 et commercialisés en France de-puis mai 2006 et janvier 2007. Mais selon le bilan remis fin 2014 àl’agence du médicament, ces deux vaccins entraînent un nombre « préoccupant » d’effets indésira-bles graves : 508 notifications d’ef-fets indésirables, dont 201 « gra-ves », ont été recueillies, souligne l’ANSM. Un million de doses ont à ce jour été vendues. Environ 10 % des bébés sont vaccinés en France.

L’instance de l’ANSM chargée derécolter les données de pharmaco-vigilance, « s’interroge sur le bien-fondé de recommander la générali-

sation de cette vaccination en France ». Saisi par la direction gé-nérale de la santé le 10 mars, le co-mité technique des vaccinations, qui dépend du Haut conseil de la santé publique (HCSP) va réexami-ner l’intérêt de cette vaccination le 8 avril. Il pourrait ne plus être re-commandé. « Ce vaccin n’est pas inscrit au calendrier obligatoire », arappelé Marisol Touraine, la mi-nistre de la santé,mercredi 1er avril, sur Radio classique/LCI.

Mise en garde

Cette vaccination avait pourtant été recommandée en novem-bre 2013 par le HCSP, après deux avis négatifs. A la question de sa-voir s’il regrette cette décision, le professeur Daniel Floret, présidentdu comité technique des vaccina-tions, répond : « A posteriori, oui. Mais nous n’avions à ce moment-làaucune remontée de cas graves suite à la vaccination. » A l’époque, il était précisé que les praticiens et les parents devaient être informés des risques d’invagination intesti-nale aiguë (occlusion de l’intestin).« Nous venons d’envoyer une lettre à 160 000 professionnels de santé pour les mettre en garde sur les

symptômes évocateurs », indique Dominique Martin, directeur gé-néral de l’ANSM. Cette pathologie se caractérise par des crises dou-loureuses abdominales, avec pâ-leur, vomissements, selles avec saignements… Le premier décès, survenu en 2012, n’aurait été si-gnalé qu’en 2014.

« Conseillée, déconseillée, re-con-seillée, cette potion va finalement être mise au rencart », écrit Le Ca-nard enchaîné, qui évoque les liensd’intérêt entre les membres du co-mité technique de vaccination et les laboratoires pharmaceutiques. De quoi accentuer la défiance des Français. « Près d’un quart des mé-decins émet des doutes à l’égard desrisques et de l’utilité de certains vac-cins », selon une enquête de la di-rection de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques publiée mardi 31 mars.

La haute autorité de santé doitrendre prochainement sa décisionsur le remboursement de ces deuxvaccins. On peut imaginer qu’elle sera négative. Libre, le prix est de 120 euros pour les deux doses de GSK et entre 160 à 230 euros pour les trois doses de Sanofi. p

pascale santi

Le Comité d’éthique ne préconise pasd’ouvrir le don du sang aux gaysL’avis du CCNE est un revers pour Marisol Touraine, qui souhaite faire évoluer la législation, comme le demandent les associations

P lus de deux ans après avoirété saisi par la ministre dela santé, Marisol Touraine,

sur l’éventuelle ouverture du don du sang aux homosexuels, le Co-mité consultatif national d’éthi-que (CCNE) préconise… d’atten-dre. L’instance, dont l’avis est con-sultatif, recommande d’effectuerdes recherches et de maintenirl’interdiction. « En raison d’unmanque de connaissances, lever lacontre-indication pourrait entraî-ner une augmentation du risquede transmission du VIH pour le re-ceveur », explique Jean-Claude Ameisen, président du comité quia rendu son avis à la quasi-unani-mité, mardi 31 mars.

Un résultat « un peu maigre »pour le directeur général de l’as-sociation de soutien aux jeunes homosexuels et transsexuels LeRefuge, Frédéric Gal. Les associa-tions de défense des droits des ho-mosexuels réclament de longue date la levée de l’interdit, qu’ils considèrent comme une discri-mination. « Je suis triste et en co-lère, tonne Sylvie Delanoy, prési-dente de l’association Contact, quirassemble des parents de jeunes

homosexuels. C’est comme si onpensait que tous les gays ont une sexualité débridée. »

Pour Mme Touraine, les conclu-sions du CCNE, bien que consulta-tives, sont un revers. Elle avait fait un pas, mardi 17 mars, vers une modification du questionnaire préalable au don du sang, qui ex-clut aujourd’hui les personnes ho-mosexuelles de sexe masculin en raison de la plus forte prévalence du VIH dans cette population.

« Confiance »

Dès juin 2012, Mme Touraine avait voulu revenir sur le critère de l’in-clination sexuelle, avant de faire marche arrière — comme ses pré-décesseurs — en réclamant « une garantie absolue que cela n’appor-tera pas davantage de risques »pour les receveurs. Sur ce point ca-pital, le CCNE botte en touche. « Nous ne pouvons pas dire s’il y aura plus ou moins d’infections si la contre-indication devenait tem-poraire », déclare son président.

« Il faut s’interroger sur la con-fiance que l’on peut accorder aux déclarations lors des questionnai-res, affirme également M. Amei-

sen. Est-ce plus fiable de demanderà une personne si elle est homo-sexuelle ou si elle a eu récemment des comportements à risque ? Rienne remplace le dialogue avec un praticien qui permettrait d’éviter que des personnes à risque ne don-nent leur sang. »

Selon l’Institut de veille sani-taire, le nombre de personnes contaminées par le VIH est 65 foisplus élevé parmi les hommes ho-mosexuels que dans le reste de la population. Le nombre de nouvel-les infections enregistrées chaqueannée y est 200 fois plus élevé. Et les contrôles ne sont pas infailli-bles car le virus reste indétectable pendant douze jours. « Regardezce qui se fait ailleurs où l’interdic-tion n’est que temporaire. Le délai de douze jours est suffisammentcourt aujourd’hui pour que l’onpuisse trouver des solutions inter-médiaires », affirme M. Gal. Le CCNE recommande des études sur l’évolution du risque de trans-mission dans les autres pays afin d’arriver, à terme, à une contre-in-dication temporaire et non défi-nitive. p

yohan blavignat

Page 16: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

16 | france JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Classementdes lycées :les cinq famillesLe ministère de l’éducation publie ses « indicateurs de résultats »

suite de la première page

Les établissements mis en valeur selon ces critères sont pour la plu-part inconnus, et force est deconstater que toutes les familles ne se ruent pas vers eux. Nombre d’entre elles sont à la recherched’autres catégories d’établisse­ments. Le Monde les a classés en cinq « familles », qui traduisent les attentes variées des parents.

Le lycée à forte plus-value

Ils sont une cinquantaine de ly­cées généraux, cette année, à pou-voir prétendre à la palme du mé­rite. Alfred­Nobel à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en est l’archétype. Il emmène 86 % de ses élèves jusqu’au bac et, parmi les candidats, 85 % réussissent l’examen. C’est moins que la moyenne nationale, qui a dépassé,en 2014, 90 %, mais c’est 15 points de plus qu’attendu, au vu du ni­veau et du profil de ses élèves.

Cette « dynamique gagnante »,Catherine Manciaux, la provi-seure, l’explique d’abord par « l’en-gagement » de tous les person-nels. « Ils s’investissent bien au-delà de leur travail, souligne-t-elle.Les professeurs sont des super-pé-dagogues, qui partent d’où en sontles élèves, et non pas d’où ils de-vraient être, sans transiger sur lesexigences. »

Ses moyens supplémentaires –du fait notamment de son classe­ment en zone sensible – permet­tent à ce lycée de mettre l’accent sur l’accompagnement des élè-

ves : heures de cours en plus, de-voirs sur table le samedi matin, séances de révision à partir dejuin, assistants pédagogiques dis­ponibles tous les soirs, projets à lapelle… Sans parler des dispositifsqui préparent aux filières sélecti­ves du supérieur et qui contri­buent à réécrire des destins sco­laires qui semblaient tout tracés.

Le lycée d’élite

Louis­le­Grand, Hoche, Lakanal… Ils sont, pour toutes les familles, un symbole d’excellence. Le lycée Henri­IV, à Paris, en fait partie. Il est l’un de ceux pour qui faire pas-ser le bac est presque une forma-lité : 99 % de ses élèves l’ontd’ailleurs avec mention. A Hen-ri-IV, on vise un « bon bac » et on se prépare à aller loin : classes pré­paratoires aux grandes écoles pour les trois quarts des élèves,médecine et droit pour les autres.

Une réussite qui repose en par­tie sur une sélection rigoureuse à l’entrée. « Sur 2 000 dossiers, onrecrute les 270 meilleurs, rapporte Patrice Corre, le proviseur, en fai-

sant en sorte que 15 % à 17 % vien-nent de ZEP. » Les élèves sont por-tés par « l’envie d’apprendre, souli­gne­t­il. Ils ont plutôt tendance à réclamer du travail, et ceux quisont un peu à la traîne, à s’accro-cher ». Contrairement à d’autres établissements réputés, Henri­IV garde quasiment tous ses élèves, de la seconde à la terminale.

Le lycée qui insère

Si, pour beaucoup de familles, la voie professionnelle rime encore avec voie de relégation, de nom­breux lycées professionnels fontmentir ces préjugés. C’est le cas del’établissement Edgar­Faure, àMorteau (Doubs), qui bénéficied’un double attrait : celui de sa spécialité, l’horlogerie et la bijou­

terie, et celui de sa proximité avec la Suisse, où vont travailler neuf bacheliers sur dix.

Ici, « on n’apprend pas aux élèvesà préparer des dossiers pour Pôleemploi ; on leur donne des cours pour qu’ils sachent gérer des salai-res confortables ! », témoigne leproviseur, Gabriel Radzikowski. Le lycée compte plus de 1 000maîtres de stage, de l’artisan auxplus grandes enseignes – Cartier,Rolex, Breitling… 83 % de ses élè-ves accèdent au bac (alors que le taux attendu était de 64 %) ; 85 % le réussissent et, à l’issue de la for-mation, 90 % trouvent un emploi,avec des salaires plus qu’honora-bles pour débuter. « Un jeune di-plômé d’un CAP gagne plus de3 000 euros par mois », rapporte M. Radzikowski.

Pas étonnant que le lycée soittrès demandé ; il fait venir à lui des élèves de tout le Grand Est, de l’Alsace à la Savoie. Et qu’une sélec-tion à l’entrée s’opère. Il reçoit trois à quatre demandes pour uneplace dans la filière horlogerie, deux pour une place en bijouterie.

Le lycée privé à 100 % de réussite

Parmi les établissements affi-chant 100 % de réussite, le privé, réputé sélectif, est bien repré-

senté. Les familles viennent y chercher un encadrement poussé et de bons résultats. Parfois, aussi,une forme d’entre-soi. Ces atten-tes, Franck Boraveli, à la tête du ly-cée Jeanne-d’Arc-Saint-Aspais, à Fontainebleau (Seine-et-Marne),ne les ignore pas. Le site Internetde cet établissement catholique met en avant, au chapitre des « réussites », des statistiques :100 % de réussite au bac S, avec69 % de mentions ; idem dans la voie économique ; un peu moinsen littéraire.

Exigeant, « JASA » – comme di-sent les anciens – l’est. « Notre re-gard est fixé au minimum à bac +3 », témoigne le proviseur. Maiss’il reconnaît que des « critères économiques » pèsent sur son re-crutement – avec 1 900 eurosl’année (hors cantine) –, il récusetoute forme d’« élitisme sco-laire », en mettant en avant comme critère premier l’adhé-sion au « projet éducatif d’essencechrétienne ». Malgré un taux deréussite attractif, « JASA » laissepartir bon nombre d’élèves encours de route. Un quart optepour la voie technologique, que M. Boraveli dit « regretter » de nepouvoir proposer.

Le lycée accompagnant

Combien sont-ils, les établisse-ments à préférer miser sur desperformances « raisonnables » plutôt que sur l’élitisme ? Proba-blement une bonne majorité. Sus-citer l’ambition, lutter contre l’autocensure : c’est le pari qu’a voulu relever l’« espace scolaire »Condorcet de Saint-Quentin (Aisne). Espace plutôt que cité sco-laire : le proviseur, Giovanni So-rano, tient à l’expression, pourfaire oublier le passé de ce gros éta-blissement, plutôt fréquenté par des élèves de milieux défavorisés, et que les familles contournaient il y a encore trois ou quatre ans.

En misant sur l’ouverture versl’international (sections euro-péennes, échanges…) et les forma-tions sportives, une « dynamique vertueuse » a été retrouvée, expli-que-t-il, sans céder à la « pression scolaire ». « La mixité, retrouvée, produit un effet de contagion : elle permet à plus d’élèves d’être en si-tuation de réussite. » Une réussite « très raisonnable », conclut-il. p

mattea battaglia

et aurélie collas

A Henri-IV, faire

passer le bac

est presque

une formalité.

99 % des élèves

l’ont d’ailleurs

avec mention

A Marseille, les rythmes scolaires provoquent un nouveau conflitParents et enseignants appellent à manifester et à faire grève après l’annulation par la municipalité d’un vote sur les activités périscolaires

marseille - correspondant

L e maire (UMP) de MarseilleJean-Claude Gaudin est unenouvelle fois à la peine avec

la réforme des rythmes scolaires.Après une rentrée de septembre marquée par un vif mouvement de grogne des parents d’élèves et des enseignants dénonçant sonimpréparation dans la mise enplace des temps d’activités péris-colaires pour les 74 000 écoliers marseillais, la municipalité af-fronte une reprise de la fronde.Des appels à des manifestationsont été lancés pour les 2 et 13 avril devant l’hôtel de ville et un préa-

vis de grève est déposé par plu-sieurs syndicats d’enseignants du 13 au 24 avril.

La colère de la communautééducative marseillaise découlecette fois-ci de l’annulation duvote des conseils des 444 écolesde la ville, organisé à la mi-mars, sur le projet d’aménagement desrythmes scolaires à la rentrée 2015. Au lieu du vendredi après-midi, jusqu’à présent créneau unique réservé aux activités pé-riscolaires dans toutes les écoles,la municipalité propose de les po-sitionner le mardi après-midipour la moitié des seize arrondis-sements et le jeudi après-midi

pour l’autre moitié.La municipalité a jugé « inex-

ploitables » les résultats de cette consultation. Une bonne cen-taine de conseils d’école n’y a toutbonnement pas répondu et un grand nombre de votes ont été considérés comme « invalides » en ce qu’ils « répondaient à côté »,se prononçant contre la réforme elle-même ou contre le paiement par les familles des activités péris-colaires (2 euros par semaine et par enfant) décidé par le conseilmunicipal en février… Selon Da-nielle Casanova, adjointe aumaire déléguée aux écoles, 147 établissements auraient ap-

prouvé le projet municipal, 170 auraient voté contre mais « avec des comptes-rendus mal remplis, des votants non habilités… »

« Déni de démocratie »

L’organisation à la hâte d’un nou-veau scrutin a reçu l’approbation du recteur d’académie, Bernard Beignier. Mais les syndicats d’en-seignants et d’animateurs et les parents d’élèves dénoncent « unemascarade », un « déni de démo-cratie ». Mme Casanova avertit que « l’avis des écoles qui ne répon-draient pas serait réputé favorable au projet éducatif territorial ».

Séverine Gil, représentante du

mouvement de parents d’élèvesMPE 13, ne décolère pas : « C’est ladémocratie à la sauce mar-seillaise ! Les enseignants sont très remontés et ne veulent pas te-nir ces nouveaux conseils d’école.Les parents non plus. » Le projet municipal prévoit qu’en cas de refus, il serait proposé au recteurde les positionner chaque joursur la pause de midi, pour une re-prise des enseignements à14 h 15. Le SNUipp y voit « un pas-sage en force. La ville fait la propo-sition la plus inepte qui soit pour faire valider les mardis et jeudis après-midi », selon SébastienFournier, représentant du syndi-

cat enseignant.La municipalité doit aller vite

pour valider une proposition à soumettre au recteur lors du con-seil municipal du 13 avril. Les ap-pels d’offres pour les marchésd’animation (23 millions d’eurospar an) ont été lancés. Depuis la rentrée de septembre, dans cer-taines écoles, un mouvement de grève affecte quasiment chaquevendredi le service de la cantine.« Tout le monde se crispe », dé-plore Mme Casanova qui dit com-prendre la colère des parents mais« voudrai[t] que la communautééducative soit plus sereine ». p

luc leroux

LE CONTEXTE

CRITÈRESLe ministère de l’éducation s’ap-puie sur trois critères pour éva-luer les lycées : taux de réussite au bac, taux d’accès et propor-tion de bacheliers parmi les sor-tants. Pour chacun d’entre eux,il calcule une valeur ajoutée,soit la différence entre la valeur réelle de ces indicateurs et la va-leur attendue selon l’origine so-ciale, l’âge, le sexe, le niveau sco-laire. Pour plus d’informations : www.education.gouv.fr/indica-teurs-resultats-lycees

« Des indicateurs pas simples à lire ni à interpréter »ENTRETIEN

L a sociologue spécialiste del’éducation Agnès Van Zan-ten est directrice de recher-

che au CNRS et auteure des Mar-chés scolaires (PUF, 2013)

Quelle est la raison d’être des indicateurs publiés par l’éducation nationale ?

Ces indicateurs ont été pensésdans l’optique de limiter la logiqueconsumériste – celle qui conduit des familles à être attirées par unétablissement en fonction des no-tes, des mentions au baccalauréat.Ils sont aussi censés être un cor-rectif aux palmarès se fondant sur

les résultats bruts. Ils peuvent ser-vir à comparer les établissements publics et privés, en mettant en lu-mière ce qui relève des logiques desélection, d’« écrémage ». Mais ils fonctionnent surtout comme un moyen donné à l’Etat de mieuxobserver le fonctionnement in-terne des établissements.

Un instrument de pilotage, en somme ?

Tant qu’on n’aura pas tranché ledébat sur l’évaluation des établis-sements, on en restera au milieudu gué : ces calculs permettent aux lycées d’analyser leurs prati-ques au regard de celles de leurs voisins. On révèle sur la place pu-

blique les écarts entre établisse-ments, en espérant qu’ils souhai-teront s’autoréguler. Quant aux familles, on leur livre des infor-mations pas simples à lire ni à in-terpréter.

Sait-on comment les familles accueillent ces statistiques ?

En Grande-Bretagne, où l’on dis-pose d’études sur l’impact des pal-marès, on voit bien que ce sont lesparents favorisés qui utilisent da-vantage ces « statistiques froi-des ». Ils les combinent avec cequ’on peut appeler un « discours chaud » sur l’établissement,fondé sur des témoignages. Unegrande partie des familles plus

populaires disent, elles, ne pascomprendre ces données.

Est-ce à dire que ces indicateurs exacerbent les inégalités ?

Ce que l’on voit, c’est que les fa-milles dites « averties » sont sen-sibles à la façon dont les résultats d’un établissement sont cons-truits : est-ce qu’il a des classes de niveau ? Est-ce qu’il pratique une sélection ? Les familles plus popu-laires, très souvent, font con-fiance au discours de l’Etat garan-tissant l’homogénéité de l’« offre publique ». Elles respectent da-vantage les critères d’affectation,de proximité. p

propos recueillis par m.ba.

Page 17: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 france | 17

Le salafisme gagne du terrain chez les musulmansLes services de renseignement surveillent cette mouvance rigoriste, qui peut être un sas vers le djihadisme

Le très rigoriste mouve-ment salafiste gagne duterrain chez les musul-mans de France. Sa pro-

gression n’est pas récente mais elle s’accélère, à en croire les servi-ces de renseignement. Selon des sources policières, il y aurait dé-sormais 90 lieux de culte d’obé-dience salafiste dans l’Hexagone sur 2 500 recensés : le double d’il y a cinq ans.

Cette recomposition du paysagecultuel est suivie de près alors quede nombreux candidats au djihadsont passés par le salafisme avant de se radicaliser. Comme Moha-med Merah, en mars 2012, avantqu’il ne tue sept personnes dans les rues de Toulouse. « Le sala-fisme ne conduit pas de façon sys-tématique à la violence physique, mais il faut reconnaître que le néo-salafisme d’aujourd’hui peut être un sas », résume Haoues Seni-guer, maître de conférences à Sciences Po Lyon.

Dans leur grande majorité, lessalafistes de France sont des« quiétistes » qui dénoncent le djihad armé. Leur approche des textes est toutefois extrêmement littérale et vivre selon les princi-pes de la loi islamique (charia)reste pour eux un idéal. La face la plus visible de cette pratique est dans les codes vestimentaires. Leshommes ne se rasent pas la barbe,rentrent leur pantalon dans leurs chaussettes pour ne pas qu’il « dé-passe des chevilles », tandis que les femmes sont voilées et ca-chent toutes leurs formes sous d’amples abayas ou jilbabs.

C’est dans les grands centres ur-bains que les salafistes ont le plus progressé : en région parisienne, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. En Ile-de-France, les « vieux bastions » de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) ou Stains (Seine-Saint-De-

nis) « font des émules », comme ledécrit l’ancien policier et respon-sable du bureau des cultes du mi-nistère de l’intérieur Bernard Go-dard dans La Question musul-mane en France (Fayard, 352 p., 20,90 €). Des mosquées impor-tantes à Argenteuil, Pontoise (Val-d’Oise), Corbeil-Essonnes et Longjumeau (Essonne) « com-mencent à être gagnées », selonlui.

Les prédicateurs tirent souventleur popularité des quartiers pau-périsés, en mettant en avant lesdiscriminations liées à l’origine ethnique, au port du voile ou aux contrôles au faciès. Alors que beaucoup d’imams sont âgés, pas toujours très présents et passés maîtres dans l’art du compromis avec les municipalités, les salafis-tes sont plus structurés, plus jeu-nes, plus offensifs. Ils ne crai-gnent pas de dénoncer le dialogueinterreligieux. Savent jouer desdissensions internes dans les as-sociations claudicantes de mos-quées. Ce fut le cas, récemment, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), où un groupe de salafistes s’est im-posé en critiquant la gestion fi-nancière peu rigoureuse des an-ciens.

Pressions sur les fidèles

Les salafistes étendent générale-ment leur influence en mettant lamain sur des salles de prière exis-tantes après des coups de force. Comme à Marseille, berceau his-torique du salafisme en France,où on compte désormais plus d’une dizaine de lieux de culte de cette mouvance. Ces derniers mois, des fidèles de la mosquée dela Bastide Saint-Jean se sont ren-dus dans une salle de prière voi-sine en criant « Mécréants ! ». Même chose à Martigues et à Aubagne (Bouches-du-Rhône), où l’imam a été interrompu en pleine prière du vendredi. Parfois,

les pressions se font sur les fidèlesà la sortie du prêche, en critiquantla tenue des femmes.

Certains lieux de culte visés pardes salafistes ont demandé le sou-tien du conseil régional du culte musulman (CRCM), censé alerter sur les mouvements de radicalisa-tion. A Vénissieux (Rhône), son appui, combiné à celui des autori-tés locales, a permis d’éviter la mainmise salafiste. Mais ce n’est pas toujours le cas. A La Rochelle, dans le quartier sensible de Mi-reuil, personne n’a rien pu faire.

Le même phénomène s’est pro-duit, selon Bernard Godard, dans le Vaucluse (quatre lieux de cultesont désormais salafistes et un esten voie de déstabilisation), dans leVar (trois lieux de culte salafisteset deux déstabilisés), et en Isère (cinq lieux de culte et trois désta-bilisés).

Le salafisme s’est étendu aussidans des villes moyennes commeJoué-lès-Tours (Indre-et-Loire) ou Brest (Finistère). C’est dans l’ag-glomération bretonne que se trouve d’ailleurs l’un des imamssalafistes francophones les plus populaires de la Toile : RachidAbou Houdeyfa. Les salafistes ontégalement aujourd’hui quelquesécoles élémentaires privées : àRoubaix (Nord), à Marseille ou à Argenteuil. Des établissementsqui peuvent entretenir « d’excel-lents rapports avec les services mu-nicipaux », témoigne M. Godarddans son ouvrage.

Le salafisme prend tellementd’ampleur qu’on assiste à la multi-

plication de petites communau-tés en zones rurales, même si le phénomène est encore marginal.Les familles salafistes viennent à la campagne avec l’idée de s’exilerdans des régions où elles s’esti-ment plus libres de vivre selon lespréceptes rigoristes de l’islam. Adéfaut d’avoir pu partir à l’étran-ger dans des pays où les musul-mans sont majoritaires, elles vi-vent là de façon recluse, presque « sectaire », estiment les servicesde renseignement.

Séjour au ski

En 2009, c’est à Châteauneuf-sur-Cher dans le Cher (1 500 habi-tants) qu’une vingtaine de salafis-tes ont débarqué sous la houlette d’un imam – Mohamed Zakaria Chifa – qui a théorisé l’installationdes musulmans rigoristes dans les campagnes. En 2013, les 5 000 habitants de Marjevols en Lozère ont, eux, assisté à l’arrivée de qua-tre familles montpelliéraines tra-ditionalistes où toutes les fem-

Dans leur grande

majorité,

les salafistes

de France sont

des « quiétistes »

qui dénoncent

le djihad armé

Un succès bâti sur le déclin de l’UOIF

Les spécialistes de l’islam expliquent l’essor du salafisme par l’ef-fondrement des Frères musulmans, représentés par l’Union des or-ganisations islamiques de France (UOIF). Une question qui sera certainement débattue lors des rencontres annuelles de l’UOIF au Bourget (Seine-Saint-Denis), du 3 au 6 avril. « Dans les années 1990, on se réislamisait sous l’influence des Frères qui avaient pris en charge la socialisation religieuse, explique Samir Amghar, auteur du Salafisme d’aujourd’hui (Michalon, 2011). Aujourd’hui, on le fait avec le salafisme. » Ce dernier est « apolitique » mais est aussi un moyen de « s’imposer identitairement et politiquement », estime Haoues Seniguer, de Sciences Po Lyon. Deux événements auraient été déterminants, selon lui : la loi empêchant le port du voile à l’école en 2004 et celle interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public en 2010. L’UOIF ne se serait pas assez battu contre ces textes. Une opinion sur laquelle surfent les salafistes.

mes portaient le jilbab. Idem en 2014 à Saint-Uze, dans la Drôme (2 000 habitants), où unefamille de convertis originaire de l’Ain s’est installée avec ses six en-fants, dont des adolescentes por-tant le niqab.

Qui dit salafisme ne dit toute-fois pas forcément total ascé-tisme. L’une des communautés les plus anciennes de l’Hexagonese trouve à Artigat (500 habi-tants), dans l’Ariège, près de Tou-louse. Une communauté qu’a cô-toyée Mohamed Merah. Elle ras-semble une vingtaine de person-nes fichées de longue date. Or lesservices de renseignement ont suivi avec attention le séjour au ski, en janvier, du leader de la communauté, Olivier Corel, aux Monts d’Olmes, dans les Pyré-nées. Son épouse s’y est fait parti-culièrement remarquer en insis-tant lourdement pour ne pas avoir un homme comme moni-teur. p

elise vincent

JUSTICEM. Sarkozy interrogé sur l’affaire des pénalitésL’ancien président de la Répu-blique Nicolas Sarkozy était interrogé, mercredi 1er avril au matin, au parquet national fi-nancier, par les juges chargés de l’enquête sur les pénalités qui lui ont été infligées après l’invalidation de ses comptes de campagne lors de la prési-dentielle de 2012.

Enquête Bygmalion : trois gardes à vueTrois responsables de la cam-pagne de Nicolas Sarkozy en 2012, dont son directeur Guillaume Lambert, et son trésorier Philippe Briand, ont été placés en garde à vue, le 1er avril, dans le cadre de l’en-quête Bygmalion. Ils sont in-terrogés dans les locaux de l’Office anticorruption de la police judiciaire, à Nanterre (Hauts-de-Seine). – (AFP.)

Attentats de Paris : trois nouvelles interpellationsTrois hommes, âgés de 22, 25 et 29 ans, ont été interpellés,

mardi 31 mars, dans l’enquête sur les attentats de Paris dé-but janvier. Originaires de Fleury-Mérogis (Essonne), ils connaissent deux des sept personnes de l’entourage d’Amédy Coulibaly, le tueur deMontrouge et de l’Hyper Ca-cher. Ils ont été mis en exa-men pour association de mal-faiteurs en relation avec une entreprise terroriste. – (AFP.)

Pédophilie : un professeur suspenduLe rectorat de Rennes a an-noncé, mardi 31 mars, la sus-pension immédiate d’un pro-fesseur d’éducation physique et sportive d’un collège d’Ille-et-Vilaine, mis en examen pour agression sexuelle sur mineur, dans un contexte fa-milial. Il avait été condamné en 2006 pour détention de l’image d’un mineur présen-tant un caractère pornogra-phique. Le rectorat a pris sa décision après que le procu-reur de la République de Ren-nes a porté à sa connaissance cette condamnation et la pro-cédure en cours. – (AFP.)

10h30-11h15En séjour temporaire oupermanent, bien vivreen maison de retraite,c’est possible !

11h25- 12h10Le diabète pour vosbeaux yeux. Commentéviter les complicationsoculaires du diabète

12h20-13h05Services à Domicile :des solutions simples etfinançables, pour mieuxvieillir à domicile et ac-compagner les aidants

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15h05-15h50Résidences ServicesSeniors : quels services,quel mode de vie, quelcontrat ?

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10h30-11h15Vivre sa retraite etinvestir en Espagne :mode d’emploi

11h25- 12h10Services à Domicile :des solutions simpleset finançables, pourmieux vieillir à domi-cile et accompagnerles aidants

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Jeudi 9 Vendredi 10 Samedi 11 Dimanche 12

CONFÉRENCES EN SALLE JOHN FITZGERALD KENNEDY

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12h20-13h05Bien manger...pour le plaisir et la santé !

13h15-14h00Domotique, tablettes,robots de compagnie :les technologies quivont nous faciliter la vie

14h10-14h55Les enjeux du vieillisse-ment : Financement dela perte d’autonomie etmaintien à domicile

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16h00-16h45« Qui s’occupe de moi ? »Zoom sur le métier del’auxiliaire de Vie.

16h55-17h40Les SCPI :vous connaissez ?

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12h20-13h05Maladie d’Alzheimer :un guide en lignepour les aidants

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Jeudi 3 Vendredi 4 Samedi 5 Dimanche 6

CONFÉRENCES EN SALLE MARTIN LUTHER KING

PARIS - PORTE DE VERSAILLES - HALL 2 .2

Quoi de neuf pour les seniors ?

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4 JOURS POUR VOUS INFORMER ET VOUS FAIRE PLAISIR !

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Bien vivre chez moi

Mes droits, ma retraite,mon patrimoine

60 CONFÉRENCESET 25 ANIMATIONS

Page 18: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

18 | campus JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Les étudiants, futurs chefsd’entreprise ? La lecturedu baromètre publié mi­mars par HEC le laisse

penser. Un diplômé sur quatre de la promotion 2013 a créé son en-treprise un an après la sortie, con-tre 17 % en 2011 et seulement 9 % en 2004. Cette augmentation tou-che tous les programmes : les jeu-nes diplômés de l’école et de ses masters sont 19 % à avoir créé leurentreprise contre 2 % en 2004. Et les moins jeunes, titulairesde l’executive MBA, réservé aux cadres supérieurs : ils sont 44 %de la promotion 2013 à se lancer un an après.

Cette enquête doit cependantêtre relativisée. Elle a consisté enl’envoi d’un questionnaire à 8 500 anciens, auquel 30 % ont ré-pondu. Sans offrir une imagescientifiquement exacte, elle té-moigne toutefois d’une tendance qui n’est pas limitée à HEC. Mais que cette dernière promeut de fa-çon volontariste pour en faire unélément d’attraction : sensibilisa-tion, développement d’incuba-teurs, master d’entrepreneuriat associant quarante-cinq diplô-més d’HEC et autant d’élèves d’autres grandes écoles commePolytechnique, mobilisation du puissant réseau d’anciens de l’école… Un quart des répondants au questionnaire s’est dit prêt à in-vestir dans une entreprise créée par un HEC. La plate-forme HECAlumni Venture va en profiter pour les contacter dans un futur très proche.

Catalyseur

« Nous donnons aux jeunes, quiviennent du monde très théori-que des études, le cadre et l’encou-ragement pour se lancer. Ils peu-vent voir la réussite de leurs pré-décesseurs et se dire : c’est main-tenant ! », se félicite MargauxPelen, directrice du centre d’en-trepreneuriat d’HEC. « Nous vou-lons aussi être un catalyseur »,poursuit-elle. En attirant à la foisles diplômés d’autres établisse-ments et les cadres en voie de re-conversion.

La crise de l’emploi, évidem-ment, joue aussi son rôle incita-teur. Mais elle s’ajoute aux révolu-tions technologiques en cours et àun « environnement porteur en fa-veur de la création d’entreprise », explique Emmanuelle Malot, di-

rectrice du centre d’expertise de l’Edhec, le NewGen Talent Centre, lancé en janvier 2013. La création, l’an dernier, du statut de l’étu-diant entrepreneur, la valorisa-tion des start-up dans l’opinion publique et la création de nom-breux incubateurs y participent.

Les communautés d’universitéset d’établissements (Comue) de l’enseignement supérieur jouentaussi leur rôle, en mutualisantleurs moyens. Paris Sciences et Lettres (PSL) − qui regroupe no-tamment l’Ecole normale supé-rieure-Ulm (ENS), Paris-Dauphine ou Chimie ParisTech − a lancé enseptembre 2014 son Pôle étudiantpour l’innovation, le transfert,

l’entrepreneuriat (Pépite), ouvert à tous les étudiants de PSL.

Autre projet porté par ce regrou-pement : la création de son Insti-tut de technologie et d’innova-tion (ITI), démarré en septembre

avec une première promotion ex-périmentale d’une vingtaine d’élèves, afin de « préparer des jeu-nes chercheurs à des problémati-ques d’innovation et de création d’entreprise », déclare Marc Mé-zard, directeur de l’ENS-Ulm. Une année de formation spécifique, comprenant notamment un stage dans une start-up, est pro-posée entre le master 2 et le docto-rat. Le but n’est pas d’éloigner les élèves de la recherche fondamen-tale : « Le pari est que ces jeunes gens, s’ils rencontrent dans leurs projets de recherche des situations,des découvertes qui se prêtent à la création d’entreprise, soient prépa-rés et puissent se lancer beaucoup

plus facilement dans l’aventure », explique M. Mézard.

Souvent, ce n’est pas pendantleurs études que les étudiants pas-sent à l’acte. A l’Edhec, 3 % des élè-ves − soit une vingtaine − quittentl’école en ayant déposé les statuts de leur entreprise. « C’est trois foisplus qu’il y a dix ans, et je suis déjà très satisfaite, se félicite Emma-nuelle Malot. Mais il y en a aussi deux fois plus, soit une quaran-taine par promotion, qui entre-prennent dans les deux années sui-vantes. Ils viennent présenter leurs projets aux rencontres que nousorganisons avec des business an-gels [investisseur privé]. Beau-coup essaient d’abord de travailler pour se donner un peu de temps, rembourser leur prêt étudiant et regarder le secteur… »

L’incubateur

Après un IUT d’informatique àGrenoble, et un master en mana-gement, option entrepreneuriat,à l’ESC Clermont-Ferrand, Clé-ment Chamard, 26 ans, n’a pasattendu. Cofondateur du siteLookTrend, une « place de mar-ché de la mode et en même tempsun réseau social des nouvellestendances », qui a ouvert le3 mars au grand public, il a ren-contré ses deux jeunes associés,un infographiste et un déve-loppeur, pendant ses études etpar le site de réseau social pro-fessionnel Viadeo.

Séduit par leur projet, il le lanceen postulant pour une place àl’incubateur de l’ESC Clermont-Ferrand et au concours New DealDigital de l’agence des territoiresd’Auvergne et du syndicat pro-fessionnel Syntec. L’incubateur est devenu leur siège social et ilsont fait partie des lauréats duconcours. Clément et ses compa-gnons ont aussi rejoint cette « si-licon prairie » et bénéficié cha-cun pendant six mois, d’un sa-laire égal au smic, d’avril à sep-tembre 2014. « J’ai pu passer monstage de fin d’études à créer l’en-treprise, se réjouit le jeunehomme. Et l’appui de ces disposi-tifs a été déterminant », souli-gne-t-il. Les entrepreneurs aussi ont besoin d’aide. p

adrien de tricornot

A l’Edhec, 3 % des

élèves − soit unevingtaine −

quittent l’écoleen ayant déposé

les statuts de leurentreprise

Les étudiants séduits par la création d’entreprise Selon le baromètre HEC, 25 % de la promotion 2013 se sont lancés un an après l’obtention de leur diplôme

Comment quatre jeunes diplômés ont tenté l’aventure de la joaillerie en ligne

T out commence par une ro-mance. Pauline et Charifs’aiment ; ils veulent se

marier. Mais, au moment de choi-sir la bague de fiançailles, ils dé-chantent. Le monde de la joaillerie leur apparaît « intimidant et froid ». « C’était un peu clinquant, se souvient Pauline Laigneau. On m’imposait mes choix, des bijoux très classiques, or blanc et diamant,et surtout, c’était extrêmement cher. »

C’est ainsi que leur vient, en 2011,l’idée de Gemmyo : une maison dejoaillerie sur Internet épousant les habitudes de consommation du temps. Le site permet de choisir le modèle, le métal, la pierre, et d’ac-quérir un bijou personnalisé à un prix compétitif par rapport aux joailliers de quartier.

A la tête de l’entreprise, quatrejeunes, diplômés des meilleurs établissements : Pauline Laigneau (Normale sup, HEC), Charif Debs (Centrale, MBA de la Harvard Busi-ness School) et son frère cadet Ma-lek (polytechnicien-Ecole des ponts), rejoints par Fanny Bou-cher, formée au Gemological Insti-tute of America. Avec de pareils di-plômes, le chemin est tout tracé. Trop.

« Après mon diplôme, deux viess’offraient à moi, explique Malek Debs. Tout d’abord, une carrière à laSociété générale qui venait de m’embaucher, un chemin tran-quille, formaté. Je savais que je ga-gnerais bien ma vie, mais je risquaisde m’endormir. Or, je ne voulais pasd’une vie pépère, mais l’aventure. D’où la deuxième option, l’entrepre-neuriat. J’ai besoin que ça bouge beaucoup. »

Ce sera donc l’aventure. Lancerune nouvelle maison dans « un secteur qui n’a pas été dépoussiéré depuis si longtemps », constate Pauline Laigneau, est une gageure. Surtout quand on ne sait ni où acheter les pierres, ni à qui confier la fabrication des bijoux, ni com-ment pénétrer « dans ce milieu trèssecret, et souvent dynastique ».

Les quatre compères apprennentsur le tas, en tâtonnant et en frap-pant à toutes les portes. « Ça nous a pris un an pour vraiment lancer l’entreprise, confie Pauline Lai-gneau. Le plus compliqué a été de trouver l’atelier, de caler la fabrica-tion. Puis il a fallu trouver les clients.Bref, c’est difficile de passer de l’idée à la réalisation. »

Mais « HEC m’a aidée », assurela jeune femme. Non seulement

parce que le réseau des anciens apermis d’ouvrir certaines portes,mais aussi par la formation re-çue. « La spécialisation en entre-preneuriat que j’ai suivie en der-nière année est assez unique, dit-elle. La pédagogie est fondée surle projet. L’idée de son promoteur,Robert Papin, est basée sur le prin-cipe “jetez-les à l’eau, ils appren-dront à nager”. Je connaissais cette formation de réputation, etc’est d’ailleurs pour cela que je voulais absolument faire HEC. »

Impression 3DDepuis, les quatre fondateurs de Gemmyo ont appris à nager. En 2014, trois ans après sa fonda-tion, Gemmyo a réalisé 3 millionsd’euros de chiffre d’affaires. L’en-treprise emploie dix-sept per-sonnes, aujourd’hui à l’étroit dans un grand appartement haussmannien du 10e arrondisse-ment de Paris dont on est prié dene pas révéler l’adresse « pour desraisons de sécurité ». A part la fa-brication des bijoux, tout est faitsur place, dans ces pièces moulu-rées dont les murs arborent lesgravures les plus folles comman-dées pour des bagues : de l’excen-trique « Etes-vous chauve ? » à

l’audacieuse « Je veux vieillir à tescôtés » en passant par la poétique« Là où les eaux se mêlent ».

Gemmyo, c’est donc cela : unemaison qui revient aux sourcesde la fabrication artisanale queles joailliers de quartiers ont sou-vent abandonnée ; mais aussiune jeune pousse à fort potentiel,qui mise sur une technologie high tech.

Grâce à une innovation techni-que imaginée par Malek Debs,Gemmyo met au point un pro-cédé de fabrication fondé sur l’impression 3D en résine quipermet d’échapper au moulagetraditionnel et donc d’accélérer la fabrication des bijoux, dans undélai de dix jours aujourd’hui.

Le chemin parcouru n’est ce-pendant rien comparé à celui quiattend les quatre aventuriers.Gemmyo dépense encore plusd’argent qu’elle n’en gagne, et tout reste donc à prouver. « Un ingénieur, c’est assez carré, et la probabilité de réussir est faible. Laconclusion rationnelle est donc : “je n’y vais pas”. Mais c’est le par-cours qui fait le bonheur de l’en-trepreneur, pas la finalité », re-marque Malek Debs. p

benoît floc’h

A Dauphine, un « bac à sable » pour les futurs entrepreneurs

L’université Paris-Dau-phine a lancé, début 2015, un nouveau dispo-sitif « pour aider les étu-diants à se lancer dans l’aventure entrepreneu-riale ». Le programme de pré-incubation D-Start − comparé par ses con-cepteurs à un « bac à sa-ble » pour les candidats à l’entrepreneuriat − doit renforcer l’incubateur de l’université (D-Incubator), créé en 2012, et qui ac-compagne une dizaine de start-up. Le programme D-Start offre des actions de sensibilisation, l’accès à un local de travail en commun, à des services d’accompagnement et à un réseau d’experts.

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0123JEUDI 2 AVRIL 2015 enquête | 19

Les 282 jours

de Napoléon

Restaurée, la plus célèbre des statues de l’Empereur retrouve, jeudi 2 avril, l’hôtel des Invalides, après un exil de neuf mois. Mais elle garde une partie de ses secrets

marie-béatrice baudet

Ils rêvaient de « bouger Napo » depuisdes années. Thierry Proenca et FranckValente, manutentionnaires expertsen déménagement d’œuvres d’art,ont fini par être exaucés, le24 juin 2014. Ils ont élingué, gruté et

transporté le souverain impérial ou plutôt l’une de ses statues. Pas n’importe laquelle, laplus célèbre de toutes, celle qui figure enbonne place dans les manuels d’histoire et trône au centre de la galerie supérieure de lacour d’honneur de l’hôtel des Invalides, à Pa-ris, depuis 1911. Napoléon y est représenté en colonel des chasseurs à cheval de la garde, avec bicorne, redingote et, naturellement, main glissée dans le gilet. C’est l’image du Pe-tit Caporal, proche de ses soldats, que le sculpteur Charles Emile Marie Seurre (1798-1858) a symbolisée.

Il reprendra sa place, jeudi 2 avril, remis àneuf pendant ses 282 jours d’exil. Les deux hommes de MP Transports & Manutention, une PME basée en Seine-et-Marne, vont redé-poser aux Invalides, sans cérémonie particu-lière, ce bronze de 4 mètres de haut qui pèse près de 5 tonnes. L’Empereur voyagera cou-ché et bâché pour passer sous les tunnels desquais de Seine et rejoindre son piédestal, viale pont… d’Austerlitz.

Ternie, abîmée, la statue exposée à la pous-sière et aux pigeons n’avait jamais été restau-rée depuis cent quatre ans. Hasard du calen-drier ? En cette année 2015 où les Anglais s’apprêtent à célébrer avec gourmandise lebicentenaire de la défaite française à Water-loo, le Musée de l’armée a jugé bon de redon-ner du lustre à la représentation de celui que le duc de Wellington se plaisait à appeler « Buo-na-par-té ».

« UN VRAI MYTHE »

Chez MP Transports, on est fier de participerà l’aventure. L’entreprise, dont les ouvriers manipulent en général du matériel de BTP, a développé avec succès le transfert d’objets ar-tistiques et historiques. « Nous avons déjà dé-placé Le Pouce de César pour la Fondation Cartier et Le Triomphe de Silène, l’une desplus grandes statues du jardin du Luxem-bourg, à Paris, explique Nathalie Barbé, res-ponsable du service manutention. Le Musée de l’armée est l’un de nos fidèles clients. Nos équipes y ont déplacé des chars et des centai-nes de pièces de canon. » C’est donc vers la PME que l’institution se tourne pour démé-nager l’Empereur. « Nous allions enfin nousattaquer au symbole des Invalides. Vous ima-ginez notre stress, il n’était pas question de serater, se rappelle Thierry Proenca. L’annéedernière, lors de la dépose, nous avons eu un petit cours d’histoire par les gens des Invali-des. Cette statue, c’est un vrai mythe. »

L’œuvre, mondialement connue, attise laconvoitise des collectionneurs les plus fous.Dès son déménagement, Napoléon a donc été reclus dans un hangar à l’abri des regards indiscrets et laissé aux soins de Diana Da Silva, une restauratrice de 29 ans dont ce fut« le premier rendez-vous avec une œuvre mo-numentale ». Gommage à la poudre de noyaud’abricot dispersée à faible pression, dépous-siérage, puis pose de plusieurs couches de cire microcristalline afin de conserver la pa-tine du bronze et le protéger contre la corro-sion : en tout, près de cent heures de travail seront nécessaires à la cure de jouvence duchef militaire, pour un budget de 5 310 euros.

Les visiteurs des Invalides doivent lever lesyeux pour admirer la statue et sa silhouette lé-gendaire. Examinée de près dans le hangar de MP Transports, elle livre un peu de ses secrets.Sur sa base, on découvre des graffitis, une di-zaine de signatures, « peut-être celles d’anciens

grognards », avance Sylvie Le Ray-Burimi, 45 ans, conservatrice en chef du patrimoine au Musée de l’armée. Les détails de la sculp-ture sont saisissants, qu’il s’agisse de la surpi-qûre de la redingote ou des plis d’usure des bottes volontairement dessinées crottées.

Charles Marie Emile Seurre, Prix de Romeen 1824, est très attaché à l’Empire. Et l’Empirele lui rend bien. De retour de Sainte-Hélène, où il est resté aux côtés de Napoléon jusqu’àla fin, le général Bertrand, grand maréchal duPalais, aurait prêté au sculpteur l’épée d’Aus-terlitz ainsi que les vêtements du chef des ar-mées (bottes, redingote, chapeau) pour qu’il s’en inspire. « L’artiste a désiré montrer unsouverain humanisé, celui dont le peuple aimait le regard plein de détermination. Nous sommes dans le réalisme du champ de ba-taille », commente la conservatrice. Un choixdont Balzac se félicitera lui-même dans sonTraité de la vie élégante, fin 1833. « Napoléon n’est poétique et vrai que sans le charlata-nisme impérial. Dépouillé des oripeaux de laroyauté, il devient immense. L’homme puis-sant est toujours simple et calme », écrit l’auteur de La Comédie humaine.

Le 1er juin 1833, la statue est fondue à l’atelierdu Roule, rue Marbeuf, à Paris, en présenced’Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe pendant la monarchie de Juillet et futur prési-dent de la IIIe République. Le bronze provient de seize canons russes et autrichiens, prise deguerre de la campagne de 1805, jusqu’alors entreposés à l’arsenal de Metz. La statue serainaugurée en haut de la colonne Vendôme quelques semaines plus tard, le 28 juillet. « Louis-Philippe veut réconcilier la France et réinscrire petit à petit l’Empire dans l’histoiredu pays. L’œuvre de Seurre a véritablement fo-calisé l’attention du politique, devenant un ob-jet du débat public », précise Sylvie Le Ray-Bu-rimi. Quand le voile tomba, Louis-Philippe aurait même crié : « Vive l’Empereur ! »

Ce rêve d’une France apaisée va faire longfeu. L’emblème de Napoléon va en payer le prix. Si les révolutionnaires de 1848 le laissenten paix, c’est curieusement Napoléon III, au

cours du Second Empire, qui précipite son destin. Celui que Victor Hugo surnommait le « Césarion » décide de remplacer le Napoléon soldat de la colonne Vendôme par un Napo-léon impérial, drapé à l’antique, comme son oncle aimait se voir représenté. En 1863, le bronze de Seurre est envoyé au rond-point de Courbevoie – l’actuel rond-point de la Dé-fense – dans la perspective de l’Arc de triom-phe et des Champs-Elysées. C’est à cette pé-riode vraisemblablement que des anciens de la Grande Armée viendront y graver leur nom.

« FIGURE TUTÉLAIRE DES COMBATTANTS »« Ce qui s’est passé ensuite, lorsque les Prus-siens sont entrés dans Paris en 1870, reste un mystère », dit Sylvie Le Ray-Burimi. Le Napo-léon de Seurre passionne et fait l’objet de nombreuses publications. Les historiens évo-quent trois scénarios, après que, dans Paris assiégée, la rumeur eut couru qu’un officierprussien voulait s’emparer de la statue et la traîner, corde au cou, jusqu’à Berlin. Premièrehypothèse : le gouvernement de la Défensenationale, désireux de cacher le monument aux Invalides, le fait embarquer sur la Seine, mais la barge de transport, mal équilibrée, sombre. Le bronze se casse au niveau du cou. Deuxième possibilité : Etienne Arago, maire de Paris en 1870, souhaitant lui aussi sauverle Petit Caporal, l’immerge volontairementdans la Seine, près du pont de Neuilly, afin dele mettre à l’abri. Enfin, dernière solution : des antibonapartistes profitent de la confu-sion pour couler la statue et s’en débarrasser définitivement.

Bibliothécaire de la Fondation Napoléon,Chantal Prévot, coauteure avec Irène Delage,de l’Atlas de Paris au temps de Napoléon (Pari-gramme, 2014), penche plutôt pour l’acte debravoure d’Arago : « Mais comment le savoirprécisément ? Lors de la Commune de Paris,en 1871, énormément de documents ont brûlé. » « Je pense que ceux de la Brigade des sapeurs-pompiers sont restés intacts », espère la conservatrice du Musée de l’armée.

Après quatre mois passés au fond de l’eau, la

statue aurait été repêchée par Hector-Martin Lefuel, architecte en chef du Nouveau Louvre,et placée dans le dépôt des marbres de l’Etat, qui dépendait de la direction des Beaux-Arts. Quarante ans plus tard, le 11 mars 1911, le gé-néral de division Niox, directeur du Musée del’armée, fait hisser le bronze dans la galeriedes Invalides, à la place du moulage en plâtre de Seurre érigé là pour incarner l’Empereurmalgré tout. L’œuvre occupe l’une des places les plus prestigieuses : face à l’entrée de la cour d’honneur et au-dessus du portail de l’église des soldats. « Les cercueils des militai-res à qui la République rend aujourd’hui hom-mage passent sous les yeux de l’Empereur,sorte de figure tutélaire des combattants », rappelle Sylvie Le Ray-Burimi.

« Ce retour en 1911, comme celui de 2015, sontd’excellentes nouvelles, juge Thierry Lentz, di-recteur de la Fondation Napoléon. Même sicertains pensent que l’Empereur prend trop deplace à l’hôtel des Invalides, créé par Louis XIV,l’endroit est vraiment un lieu napoléonien. Le souverain s’y est beaucoup intéressé. Il allait visiter les pensionnaires et y a décidé de la fon-dation d’un centre d’accueil pour aveugles. » Une querelle de puristes, diront quelques-uns. Car il est une phrase répétée depuis bienlongtemps par les employés de l’un des mo-numents les plus visités de Paris : « Louis XIVnous loge, Napoléon nous nourrit. »

Dans les coulisses, José Ferreira, responsablede l’atelier métal du Musée de l’armée, tra-vaille déjà à lever le mystère du Petit Caporal. Le restaurateur est allé ausculter la statue dans le hangar de Pontault-Combault où elle était entreposée, « mais, même à la suite du nettoyage, il ne m’a pas été possible, après exa-men des assemblages au niveau du cou, de con-clure si la tête avait été sectionnée ou pas ».

Jeudi 2 avril, l’expert profitera du grutage dela statue pour réaliser des prélèvements – « pas d’inquiétude, ce ne sont que des micro-grammes » – qui passeront au crible d’un ap-pareil, le Fluorescence X : « Nous allons en-voyer des radiations sur les matières prélevées.Les atomes vont réagir et, selon les types de vi-bration enregistrés, nous connaîtrons précisé-ment leur nature. » Les éléments recueillis se-ront envoyés au laboratoire du Centre de re-cherche et de restauration des musées de France pour analyse finale. Le temps de la machine administrative étant ce qu’il est, les résultats pourraient n’être connus que d’iciplusieurs semaines. Dans le meilleur des cas, avant l’anniversaire de Waterloo, le 18 juin ? Mais, au fait, qui représentera la France lors de la commémoration de la bataille où, pré-cise Thierry Lentz, « tous les chefs d’Etat de l’Union européenne ont été invités » ? La ques-tion de savoir si François Hollande y sera n’est, semble-t-il, toujours pas tranchée. p

Détail de la statue de Napoléon, réalisée par Charles Emile Marie Seurre en 1833, après sa restauration.PATRICK TOURNEBOEUF

POUR « LE MONDE »

« LE NETTOYAGE TERMINÉ,

IL NE M’A PAS ÉTÉ POSSIBLE, APRÈS

EXAMEN DES ASSEMBLAGES AU NIVEAU DU COU,

DE CONCLURE SI LA TÊTE AVAIT ÉTÉ SECTIONNÉE

OU PAS »JOSÉ FERREIRA

responsable de l’atelier métal du Musée

de l’armée

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20 | débats JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Pour la refondation de « Charlie Hebdo »Rebâtir le journal dans l’esprit de ses fondateurs tout en échappant au poison des millions qui sont tombés dans ses poches, tel est le défi qui se présente à l’équipe de l’hebdomadaire satirique

par le collectif du journal

« charlie hebdo »

C harlie Hebdo n’est plus cette publica-tion suivie par quelques milliers delecteurs fidèles, ce journal dont les

nostalgiques reconnaissaient en avouant neplus le lire : « Oui, j’ai lu Charlie quand j’étaisjeune… » Devenu symbole mondial, CharlieHebdo est désormais doté d’une identité ins-crite dans la chair de son équipe dont les sur-vivants ont tous choisi, après les attentats, dereprendre le flambeau hebdomadaire.

Chacun d’entre nous, au journal, mais aussichaque lecteur se retrouve un peu proprié-taire de l’esprit Charlie, un esprit de toléranceet de résistance que notre journal incarnemalgré lui depuis le 7 janvier 2015. L’incroya-ble solidarité de tous, votre soutien massif nous rendent dépositaires, nous membres deCharlie, d’une charge symbolique exception-nelle. Oui, nous sommes désormais un biencommun.

Charlie doit continuer, c’est pour nous une évi-dence, fidèle aux valeurs qui constituent son ADN, dans l’esprit de ses fondateurs et de ceuxqui ont disparu : une place majeure accordée audessin et à la caricature, une indépendance to-tale vis-à-vis des pouvoirs politiques et finan-ciers, se traduisant par un actionnariat réservé aux salariés du journal, à l’exclusion de tout in-vestisseur extérieur et de toute ressource publi-citaire, défendant un modèle économique alter-natif et dénonçant toutes les intolérances et les intégrismes divers et variés. Nous vivons tous ledeuil de nos amis et sommes chaque jour au côté des familles, dont nous tentons d’apaiser ladouleur. Nous sommes encore sous le choc de latuerie, mais avons fait le choix de nous recons-truire en rebâtissant Charlie, et de faire ainsi no-tre part du devoir de mémoire que nous avons vis-à-vis de nos camarades assassinés.

RESTER LIBRE

Pour vous, les millions de soutiens, les millionsde lecteurs, nous devons continuer à nous bat-tre. Rester fidèle à nos valeurs. Vous assurer de la plus grande transparence. Alors commentêtre à la hauteur de cette charge qui pèse surnos épaules, nous qui avons failli mourir pour ce journal, nous dessinateurs, maquettistes, administratifs, webmaster, chroniqueurs, jour-nalistes ? Comment échapper au poison des millions qui, par des chiffres de vente hors nor-mes, mais aussi par les dons et les abonne-ments, sont tombés dans les poches de Char-lie ? Comment continuer à fabriquer ce journallibre d’esprit que nous aimons tant, un journal

satirique et fier des idées qu’il essaie de por-ter ? En remettant à plat l’architecture de Char-lie. En recourant à une forme de société coopé-rative, dont nous discutions en interne depuis des années, et qui se situe dans la droite lignede l’économie sociale et solidaire que Charlieprône depuis toujours ; le journal doit aban-donner le statut d’entreprise commerciale. En accordant à chacun d’entre nous le droit de prendre part, collectivement, aux décisions quiengagent le journal, sans en retirer de gains personnels : les parts sociales dévolues ne don-neront aucun droit à dividendes, mais nous of-friront la possibilité d’être impliqué dans la re-construction de ce qui est pour nous aujour-d’hui bien plus qu’un employeur. En bloquant, comme nos camarades du Canard enchaîné,sous votre regard et par la volonté de tous les membres de Charlie, ces incroyables réserves financières qui doivent ne servir qu’à garantirla pérennité du titre à dix, vingt ou trente ans,en en affectant les fruits à la consolidation du titre, à l’apuration de ses dettes, à son dévelop-pement et à sa nécessaire modernisation.

Nous n’avons aucune ambition personnelle,hormis celle de faire un journal toujours meilleur et de faire perdurer Charlie Hebdo. La cause que nous défendons n’est en rien finan-cière, c’est une cause juste et morale. Or, nous as-sistons aujourd’hui à des prises de décision im-portantes pour le journal, souvent le fait d’avo-cats, dont les tenants et les aboutissants restent opaques. Nous entendons qu’une nouvelle for-mule se prépare, dont nous sommes exclus.

Nous ignorons tout de la fondation qui est en

train d’être créée et souhaitons qu’elle soit l’émanation d’un projet mûrement réfléchi parl’ensemble du journal. Nous refusons que le journal, devenu une proie tentante, fasse l’objet de manipulations politiques et/ou financières, nous refusons qu’une poignée d’individus en prenne le contrôle, total ou partiel, dans le mé-pris absolu de ceux qui le fabriquent et de ceux qui le soutiennent. Surtout, nous refusons que ceux qui ont dit et écrit « Je suis Charlie » se ré-veillent demain matin avec la gueule de bois desillusions souillées, et constatent que leur con-fiance et leur attente ont été trahies.

La réorganisation du journal et l’œuvre detransparence sont un moyen de porter au mieux et tous ensemble le Charlie d’après le 7 janvier, un Charlie qui devrait donner envie de rire du pire plutôt que de s’y résigner, qui nerévérera aucun pouvoir, qui sera un journal fia-ble et enquêté, engagé et attentif aux nouvellesluttes politiques citoyennes, tout en accordant plus de place aux phénomènes culturels, litté-raires et poétiques de notre siècle. C’est la seulefaçon de retrouver l’énergie, les idées, la légè-reté, la capacité de créer et de nous projeterdans l’avenir. p

¶Le collectif du journal « Charlie Hebdo » : Zineb El-Rhazoui, Simon Fieschi, Antonio Fischetti, Pascal Gros, Philippe Lançon, Laurent Léger, Luz, Mathieu Madénian, Catherine Meurisse, Patrick Pelloux, Martine Rousseaux, Jean-Baptiste Thoret, Sigolène Vinson, Jean-Luc Walet, Willem

¶Olivier Labouret est psychiatre. Il est notamment l’auteur du « Nouvel Ordre psychiatrique » (Erès, 2012)

Quand la science psychiatrique prépare la surveillance de tous

par olivier labouret

R apidement après l’accident de l’avion de la Ger-manwings qui a eu lieu le 24 mars, la recherche descauses s’est rapidement orientée, après l’analyse de la

boîte noire, vers la mise en cause du copilote. L’enregistre-ment des huit minutes de la descente aux enfers de l’Airbus at-teste que le jeune Andreas Lubitz, de sang-froid, a précipité l’appareil contre la montagne. Depuis lors, l’enquête com-mentée par tous les médias se focalise sur le passé et la per-sonnalité de cet accusé posthume. Et voici la psychiatrie quirentre une nouvelle fois en scène, sommée d’expliquer, faute d’avoir pu empêcher.

On apprend que, s’il a passé avec succès les tests psychologi-ques pour être apte à piloter, le meurtrier suicidaire a traverséune dépression il y a quelques années, et qu’il était depuis lorssoumis à un suivi médical particulier et régulier. On précise que, faisant l’objet d’un arrêt-maladie signé vraisemblable-ment par un médecin psychiatre, il l’a caché à son employeur pour pouvoir embarquer pour son dernier voyage. On s’auto-rise à ajouter qu’Andreas Lubitz était « obsédé » par cette val-lée des Alpes. Une ancienne compagne est convoquée, confir-mant qu’il avait « un problème » – il était tourmenté par des cauchemars la nuit durant lesquels il se voyait tomber –, et, confiant un commentaire lourd de sens : « S’il a fait ça, c’est parce qu’il a compris qu’à cause de ses problèmes de santé, son rêve d’un emploi à la Lufthansa, comme capitaine et comme pi-lote de long-courrier, était pratiquement impossible. »

Pour enfoncer le clou, les journalistes passent la parole auxexperts psychiatres qui, en dépit de leurs dénégations, se li-vrent à toutes sortes de raccourcis interprétatifs sur les moti-vations psychopathologiques de cet acte de folie homicide. A l’instar de Richard Durn, le tueur du conseil municipal de Nanterre en 2002, d’Anders Breivik le Norvégien en 2011, voiredes auteurs des attentats de Paris de janvier, le monde entierprend connaissance avec stupeur de l’existence d’un individulambda désireux de passer à la postérité en entraînant dans lamort le plus de monde possible.

Nul doute que cette tragédie va déboucher sur un renforce-ment de la surveillance psychologique et médicale des fu-turs pilotes… Aidées par les méthodes de marquage biotech-nologique et informatique, les neurosciences ont aujourd’hui la prétention de faire des miracles : le dépistage de tout symptôme potentiellement dépressif ou déviant, letraçage du parcours biographique, scolaire et médical ne soulèvent plus vraiment d’objections éthiques, techniquesou scientifiques, même s’ils pêchent par excès de faux posi-tifs… Qu’on n’attende pas de la science qu’elle commente l’âpreté compétitive sans merci du parcours professionnel etdes conditions de travail des pilotes de ligne, sommés de « s’écraser » (au sens figuré du terme !), pour justifier leur sa-laire encore mirobolant.

UN PSY DANS CHAQUE COCKPIT

Au contraire, une fois encore, tout est ramené à la seule er-reur humaine : l’individu seul est coupable, et la technolo-gie et l’économie sont sauves. Une fois encore, la psycholo-gie et la psychiatrie sont chargées de détecter puis d’empê-cher de nuire tout individu défaillant. L’homme du XXIe siè-cle doit décidément être infaillible, au service d’unetechnologie et d’une mondialisation des communications que nul ne doit remettre en cause – même si elle est particu-lièrement coûteuse en termes de dépense économique,énergétique et psychologique. Marche ou crève… Vole ouécrase-toi !

Mais enfin, en dehors de la compagne sibylline d’AndreasLubitz, qui donc se rend compte qu’en renforçant toujours plus le contrôle médico-psychologique sur les individus,anonymes mais toujours plus responsables – pilotes de li-gne en l’occurrence, mais aussi bien instituteurs potentiel-lement pédophiles demain –, on va surtout renforcer la dis-simulation de leurs problèmes par les intéressés, favorisant de nouveaux passages à l’acte, de nouvelles explosions de violence imprévisible ? Décidera-t-on enfin de placer un psydans chaque cockpit, dans chaque foyer, dans chaque cer-veau, pour que la société persiste à nier toute violence enson sein, visant à se donner bonne conscience ?

N’en déplaise aux experts psychiatres et aéronautiques, lecrash de l’Airbus A320 n’est pas le symptôme isolé de la folied’un seul, qu’il suffirait de dépister, de soigner et de mettre àl’écart : il s’inscrit dans une anthropologie de la violence,tragique et probablement irrémédiable, une violence psy-chosociale extrême bien propre au XXIe siècle. p

Accuser la folie d’un seul est un utile paravent pour faire oublier la violence des relations professionnelles. La réponse qui sera apportée à cette tragédie consistera à renforcer le contrôle psychologique sans s’interroger sur les causes du malaise

Depuis le crash de l’avion de la Germanwings, l’enquête se concentre sur la santé mentale du copilote, soupçonné d’avoir volontairement provoqué la chute de l’appareil. Sa psychologie est-elle seule en cause ?

Pouvait-on arrêter Andreas Lubitz ?

Non, la dépression n’est pas une folie meurtrière

par céline curiol

N ombre d’éminents médiasont annoncé, peu après lecrash de l’Airbus A320 de la

Germanwings, en avoir trouvé l’expli-cation. Le copilote aurait subi une grave dépression… Le copilote aurait été soigné pour dépression… Le copi-lote a caché sa dépression à la compa-gnie aérienne… Autant de titres qui clamaient victorieusement que lemystère de la catastrophe aérienne, responsable de la mort de 150 person-nes, venait d’être percé… par un mot. Un mot faisant effet instantanément,un mot vaste et dangereux qui s’ajus-tait si parfaitement aux pires appré-hensions et semblait tout expliquer, surtout les actes anormaux et meur-triers du copilote. Dépression, la clé dumystère était là !

RACCOURCI RÉVOLTANTJ’étais estomaquée, non par le fait que le copilote décédé ait été dépressif, mais parce que tant de journalistes étaient tombés dans le même piège en croyant trouver, dans la dépression, la cause du comportement d’Andreas Lu-bitz. Impatients de livrer les motifs de ce qui n’était alors qu’un accident, les médias se sont faits les relais d’une opi-nion négative très répandue. Une fois encore, on a pointé d’un doigt réproba-teur la dépression, stigmatisant au pas-sage ceux qu’elle frappe ; on a brandi lespectre de la « maladie mentale » pour

justifier un comportement inaccepta-ble. L’ex-dépressive que je suis trouve révoltant ce raccourci.

Aux heures les plus sombres de madépression, il m’est arrivé, comme beaucoup d’autres, de me débattre avecdes pensées suicidaires, de leur céder même en une occasion. Mais jamais, au grand jamais, ne m’est-il venu à l’es-prit d’entraîner d’autres gens dans mon drame, de faire d’eux les victimes collatérales de cette pulsion destruc-trice qui ne visait que moi-même. La dépression est un terme vaste dont la vulgarisation a conduit à ce qu’il soit appliqué pêle-mêle à des états aux anamnèses très différentes. Si la dé-pression constitue une composante – et une seule – de certaines maladies mentales graves, elle est aussi, dans nombre de cas, une réaction pathologi-que circonstancielle.

A l’heure où les amalgames exacer-bent l’indignation si bénéfique au commerce médiatique, il me semble impératif de rappeler que la dépressionn’est pas une folie meurtrière. Elle n’a jamais transformé quiconque en assas-sin. Et le déprimé est bien le seul qui ris-que, en cherchant à mettre un terme à une souffrance débilitante, de perdre lavie. En provoquant le crash d’un avion, qui ne pouvait qu’entraîner la mort d’une partie voire de tous ses passa-gers, Andreas Lubitz a d’abord commis un crime avant de commettre un sui-cide. De cet acte primordial, la dépres-sion ne saurait être la cause, comme elle le serait pour un « simple » suicide.

Alors que 350 millions de personnessont touchées par la dépression dans lemonde, il est plus que temps de cesser la diabolisation de cette maladie. p

Une seule lecture s’est imposée dans les médias : la maladie aurait poussé Andreas Lubitz à passer à l’acte, renforçantle stigmate à l’encontre de cette pathologie

¶Céline Curiol est écrivaine,auteure d’« Un quinze août à Paris,histoire d’une dépression »,(Actes Sud, 2014)

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0123JEUDI 2 AVRIL 2015 éclairages | 21

LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE

LES DERNIERS MOUVEMENTS

OBSERVÉS AUTOUR DE KIDAL,

LE BASTION DES INSURGÉS,

LAISSENT CRAINDRE

UNE REPRISE DES HOSTILITÉS

Au Mali, une paix incertaine dans un Nord fragmenté

LETTRE DE RIO | nicolas b ourcier

A Rio, les dérapages incontrôlés d’un juge

Flavio Roberto de Souza avait plutôt laparole facile. Cinquante-deux ans,l’embonpoint bienveillant, ce hautmagistrat de Rio de Janeiro se donnait

même des airs de justicier des temps moder-nes; affable, travailleur, fan de séries télévi-sées américaines et un rien spirituel depuis saconversion au bouddhisme tibétain.

Lorsqu’il fut chargé d’instruire l’affaire EikeBatista, du nom du magnat brésilien pour-suivi pour des délits boursiers, le juge fit rapi-dement comprendre à ses proches qu’il s’agissait là, très probablement, du procès de sa vie. Au tabloïd Extra, il annonça d’un traitvouloir éplucher l’âme de l’ancien milliar-daire « morceau par morceau ». Il fit encoresourire lorsqu’il répéta à plusieurs reprisesdevant les micros des journalistes que l’an-cienne plus grosse fortune d’Amérique du Sud était « mégalomaniaque ». Eike Batista n’avait-il pas rêvé de devenir un jourl’homme le plus riche du monde ? N’avait-il pas eu la prétention d’incarner ce Brésil mo-derne et conquérant avant de sombrer avecfracas, incapable de maintenir à flot son im-mense empire industriel ?

A plusieurs reprises, les avocats de l’icônedéchue ont essayé de dessaisir le juge du dos-sier, mettant en cause son impartialité. Deux

d’entre eux ont même évoqué la possibilitéd’ouvrir une action judiciaire contre lui lors-que le parquet avait requis, fin 2014, la saisie des biens de l’ancien magnat. Efforts inutiles. Flavio Roberto de Souza se chargera lui-même de sa propre chute. Par mégalomanie, diront ses détracteurs, par « excès de zèle » ré-pondra plus sobrement l’impudent.

Le 24 février, le juge fut pris en photo à sonarrivée au tribunal de justice de Rio au volant de la Porsche Cayenne Turbo blanche d’Eike Batista, saisie deux semaines auparavant à sa propre demande. L’image est dévastatrice. Unmagistrat assis dans un véhicule valant 860 000 reais (environ 247 000 euros) confis-qué dans le cadre d’un procès déjà spectacu-laire de par l’improbable pedigree de l’accuséfait l’effet d’une bombe dans ce Brésil secouédepuis des mois par une série retentissante descandales de corruption.

Grandeurs et misères de la justice brési-lienne. Les policiers se rendent le lendemainchez Flavio Roberto de Souza et découvrentnon seulement le Range Rover de l’ex-mil-liardaire, mais également son piano à queue, installé dans le salon d’un des voisinsde palier du juge.

De justicier, Flavio Roberto de Souza passepour un profiteur aux yeux de l’opinion pu-

blique. Le magistrat se défend et affirme qu’ilavait demandé l’autorisation aux services dela voirie et des transports pour que les voitu-res de l’accusé puissent être utilisées par la justice fédérale. Il ajoute qu’il avait pris cesvéhicules dans son garage « pour ne pas leslaisser sur le parking du tribunal, en proie à lapluie, au soleil et à la poussière ». Excès dezèle donc.

« CONFRONTATION PERSONNELLE »

Deux jours plus tard, le juge Souza est dessaiside l’affaire. Une enquête est ouverte. De gro-tesque, l’affaire tourne au sordide lorsque lesautorités découvrent que, sur les 116 000 reaissaisis chez Eike Batista, 27 000 reais ont dis-paru du coffre du tribunal. Une somme à la-quelle s’ajoutent 600 000 reais, également volatilisés, saisis lors de la capture d’un trafi-quant espagnol. Selon le ministère public, le magistrat a admis avoir récupéré plusieurscentaines de milliers de reais. Le parquet a exigé sa mise en détention préventive. Unedemande rejetée par la justice.

Depuis, Flavio Roberto de Souza évite lapresse. Il n’a rompu le silence qu’une unique fois, au cours d’un long entretien accordé auquotidien pauliste Estado de Sao Paulo. Uneconfession préventive dans laquelle il affirme

n’avoir « pas peur » d’aller en prison : « Si celaarrive, je suis tranquille. J’ai déjà mis beaucoup de gens en taule. Si mon carma est ainsi, j’ac-cepterai tranquillement. » Et d’ajouter sur le ton de la confidence : « Je crois m’être trop im-pliqué dans ce procès, il a fini par se transfor-mer en une confrontation personnelle. »

Son passeport a été confisqué. Le 26 mars,le tribunal fédéral de Rio a annoncé qu’il ouvrait cinq procédures administratives con-tre Flavio Roberto de Souza. Chacune d’elles aura un juge fédéral différent. Le ministère public n’a pas exclu de renvoyer l’affaire de-vant une cour d’assises. L’avocat du magis-trat a plaidé pour une retraite anticipée de son client pour invalidité due à des « problè-mes psychiatriques ».

Eike Batista n’a encore fait aucune déclara-tion au sujet du juge déchu. Dans un entre-tien fleuve paru récemment dans le quoti-dien économique Valor, l’ancien « surdoué »de la finance a simplement admis avoir« commis des erreurs » lorsqu’il était à la têtede son empire. Tout en ajoutant qu’un jour il« reviendr[ait] ». Ses avocats, eux, ont de-mandé la restitution des biens saisis. LaPorsche comprise. p

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LE MAGISTRAT FLAVIO ROBERTO

DE SOUZA EST ARRIVÉ AU

TRIBUNAL AU VOLANT DE LA

PORSCHE SAISIE À SA PROPRE

DEMANDE À UN

MAGNAT DE LA

FINANCE

Le tournant global de la géographie

La thématique des frontières ne sort ja-mais de l’actualité. Hier commeaujourd’hui, cette vieille institution,qui oscille entre guerre et paix, conti-

nue d’alimenter les rêves des puissances et l’imaginaire de l’humanité. Mais, de nos jours,« ces cicatrices de l’histoire », comme les ap-pelait au XIXe siècle le géographe allemand Friedrich Ratzel, soulèvent de nouvelles inter-rogations, voire de nouvelles ambivalences.C’est tout l’objet du petit livre d’Anne-Laure Amilhat Szary, professeure de géographie àl’université Grenoble-Alpes.

Sur fond de crises de souveraineté enUkraine, au Levant, et en Occident avec les ré-gionalismes écossais et catalan, l’auteur partd’un constat : plus la mondialisation rétrécitles distances et gomme les frontières des Etats, plus l’individuation du monde change lerapport entre les populations et les frontières et remodèle les identités. Partant de cette réa-lité, l’universitaire propose une géographie critique des frontières. Ce qui est pour le moins original pour cette représentante d’unediscipline jugée conservatrice. En effet, Anne-Laure Amilhat Szary veut briser l’image rétro-

grade que l’on prête à cette géographie deve-nue le boulet de sa grande sœur l’histoire, comme si elle était incapable de grandir ou de s’intégrer aux autres sciences sociales pour as-surer son avenir. Son livre a l’ambition d’en-clencher le renouvellement de cette matièretraditionnelle en faisant appel à d’autres sciences humaines, comme l’anthropologie,la sociologie et la psychologie.

LA FRONTIÈRE INDIVIDUALISÉE

Par cette approche pluridisciplinaire, le travailde l’auteur débouche sur une tentative de géo-graphie globale qui dépasse nécessairement lecap de l’Etat-nation, dont l’agonie est en cours,au profit d’une nouvelle interaction entre les individus et ces marques de domination. ChezAnne-Laure Amilhat Szary, cela s’appelle « lafrontière individualisée », selon laquelle cha-que individu se trouve en situation de vivre la(les) frontière(s) différemment. C’est un véri-table « réquisitoire » contre les souverainetés étatiques que propose cette spécialiste de la mondialisation. La frontière ne relève plus du monopole des Etats, car les agents économi-ques et les individus apportent leur pierre à

l’édifice, mêmes si ces derniers sont inégauxdevant ces lignes de démarcation. Les frontiè-res, facteurs d’intégration ou de désintégra-tion, deviennent ainsi une source d’iniquité sociale entre ceux qui ont les moyens de les traverser librement et ceux qui les perçoivent comme des portes de prison, faute de ressour-ces.

En suivant un itinéraire différent de la socio-logie des relations internationales, la géogra-phe arrive à une même conclusion : l’indivi-duation de la frontière résulte des progrès de la mondialisation mais sécrète aussi de nou-velles catégories spatiales et identitaires, sour-ces d’exclusion. Se contenter de l’entre-soi au détriment du bon voisinage avec celui situédans d’autres aires culturelles ne peut pas ser-vir notre bien commun, sinon les frontièresoù le chaos règne risquent de devenir les cime-tières de notre humanité. p

gaïdz minassian

Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ?Anne-Laure Amilhat Szary,Presses universitaires de France, 160 p., 14 euros.

ANALYSEcyril bensimon

bamako - envoyé spécial

Dix-huit mois sont trop courts pourétablir un bilan. Mais déjà pointele désenchantement. Elu avec unetrès large majorité, Ibrahim Bou-

bacar Keïta (IBK), qui avait promis de rendre aux Maliens leur fierté bafouée par une crisesans précédent, est encore loin d’avoir rétabli l’autorité de l’Etat dans le nord du pays, chan-tier pourtant prioritaire de sa présidence.

L’accord de paix proposé il y a un mois parl’Algérie, prévoyant notamment une décen-tralisation plus poussée, n’a obtenu que le pa-raphe de Bamako et de milices alliées. La Coor-dination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui réunit des groupes armés rebelles issus principalement de communautés touareg et arabes du nord du Mali, n’est pas sortie du processus de paix mais refuse de signer un do-cument qui enterre ses projets d’autonomie.

A force de tractations, les médiateurs interna-tionaux arracheront peut-être la décision qu’ils attendent mais des observateurs redou-tent déjà d’interminables querelles d’interpré-tations lors de la mise en application de l’ac-cord. « Le problème est qu’il n’y a aucune con-fiance entre les parties », confie un diplomate.

Dans ce contexte, les derniers mouvementsobservés autour de Kidal, le bastion des insur-gés, laissent craindre une reprise des hostilités.

« Chacun renforce ses positions », constate un notable de la région. Le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) − une milice soutenue par l’armée malienne, dont l’un des principaux responsables reçoit dans des lo-caux officiels − a, selon cette source, installé cinq nouveaux barrages au sud de Kidal et re-monté des éléments plus au nord. Fahad Ag Al-mahmoud, le secrétaire général du Gatia, nie toute intention belliqueuse et se dit « débordé par le nombre d’hommes » venus gonfler les rangs de son mouvement. Censé représenter les intérêts des Imghad, la communauté toua-reg la plus nombreuse, le Gatia a pour ambi-tion de renverser l’autorité des Ifoghas, la chef-ferie traditionnelle qui forme le noyau dur du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA),l’une des principales composantes de la CMA.

JEUX D’ALLIANCE

Le conflit au nord du Mali se nourrit des rivali-tés et des jeux d’alliances entre communautés.Il est alimenté par les revenus tirés du trafic de drogue et de la contrebande de cigarettes. Sus-pecté comme d’autres groupes armés de con-nivence avec des bandes mafieuses, Fahad AgAlmahmoud rétorque que « ce sont des Arabes du Tilemsi qui [les] ont le plus aidés à s’organi-ser » et que « dans cette communauté de com-merçants, on fait le commerce de tout ce quirapporte ». Il n’en demeure pas moins que la crise a des fondements politiques et que le dé-sir d’indépendance, ou a minima d’autono-mie, imprègne les esprits à Kidal. Bilal Ag Che-

rif, le secrétaire général du Mouvement natio-nal de libération de l’Azawad (MNLA) a, d’après plusieurs sources, été tenté de valider l’accord proposé par Alger mais a finalement reculé, sûr d’être désavoué par sa base et la majorité des cadres de son mouvement.

Le Maroc l’a-t-il encouragé à résister ? « LesAlgériens [qui ont plutôt misé sur le HCUA] le pensent et ça ne m’étonnerait pas », glisse unhabitué des médiations. « Tous les voisins [Ma-roc, Algérie, Mauritanie, Niger] entretiennent des relations avec les différents groupes en vue de préserver leur profondeur stratégique », ajoute un observateur avisé.

Sous la pression des médiateurs étrangersqui agitent la menace de sanction contre ceuxqui font « obstacle à la paix », le HCUA, éma-nation du groupe djihadiste Ansar Eddine, et dont plusieurs cadres ont leur entrée à Alger,serait le plus enclin à signer. Mais ses chefs craignent, eux aussi, de se voir rejetés par unefrange de la population acquise à l’idéal indé-pendantiste du MNLA. L’accord proposé re-présente un danger pour l’autorité des nota-bles touareg traditionnelle des Ifoghas. L’élec-tion d’une assemblée régionale au suffrage universel direct dans leur fief pourrait leur faire perdre une partie de leur emprise.

Et il y a la question de l’influence sur les ex-subordonnés d’Iyad Ag Ghali, la personnalité leplus emblématique des dernières rébellions touareg, ralliée, depuis, à Al-Qaida au Maghreb islamique. « Ils font des pieds et des mains pour le réintroduire dans le processus », indique un

diplomate. Ses faits et gestes font l’objet de spé-culations. « Il lève la zakât [l’aumône] autourde Kidal », dit une source. « Il se fondrait dans des convois de chameaux », glisse une source française, qui estime que l’« on sera plus tran-quille lorsqu’il aura été neutralisé ».

Le fait est qu’après avoir subi de lourdes per-tes début 2013, les djihadistes ont changé leur mode d’action – attentats, attaques à la ro-quette, assassinats ciblés – face aux forces fran-çaises de l’opération Barkhane (lancée en août 2014) et aux soldats de l’ONU. Disséminés en groupes, ils mènent des opérations de har-cèlement dans la zone d’où les Français les avaient chassés : l’Adrar des Ifoghas, près de Gao, au nord de Tombouctou, dans la forêt du Ouagadou, près de Ménaka, dans les environs de Mopti… Ils ont démontré leur capacité à me-ner un attentat en plein cœur de la capitale.

Quel rôle joue Iyad Ag Ghali dans cette perpé-tuation de la violence ? Difficile à dire, maisdans la capitale, personne ne ferme la porte à son retour dans le jeu politique. En novem-bre 2013, deux de ses proches ont été élus dépu-tés sous les couleurs du parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali. « Les autorités sont prêtes à pactiser avec les islamistes, ce qui les dérange, ce sont les rebelles, ceux qui pous-sent à la sécession », indique un observateur originaire de la région de Kidal, avant de con-clure : « Le Mali a perdu le Nord, quels que soient les colmatages. » p

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Page 22: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

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« JE PENSEQUE STÉPHANE

RESSEMBLEAUX PERSONNAGES

DE KIAROSTAMI : COMME LE HÉROS DU “PASSAGER”,

IL EST MONOMANIAQUE »

CHARLES TESSON

critique de cinéma

Repoussée au 19 septembre, l’ouverture du complexe de six salles continue de diviser la ville. Le non-lieu obtenu par son initiateur, Stéphane Goudet, dans l’affaire des caisses noires, n’a rien réglé...

ENQUÊTE

Dans le petit soleil d’hiver, Sté­phane Goudet goûte auxplaisirs de la victoire. A44 ans, l’œil malin, une ti-gnasse fournie et une barbebrune fixées sur sa solide

charpente, il sourit. Il peut. Parce qu’on aura beau dire, il a réussi son coup. Le « directeur artistique » du Méliès à Montreuil (Seine-Saint-Denis) est aujourd’hui le plus célèbre exploitant de salles de cinéma en France, cu-mulant la figure du cinéphile qui tient tête aux grands réseaux, MK2 et UGC ; et celle de l’intellectuel résistant aux hydres politicien-nes – en l’occurrence Dominique Voynet, l’ex-maire de Montreuil.

Stéphane Goudet a une voix joyeuse et lesmots abrupts. Derrière la satisfaction affichéed’avoir enfin obtenu un non-lieu, le 23 février,face aux accusations de caisse noire et de dé-tournements de fonds publics, une colèrel’habite que ses yeux trahissent. Il en con-vient : « La colère est un moteur. Tu ne peux pas vivre tout ça sans être en colère. »

Soit Montreuil, 100 000 habitants,3 000 employés municipaux, une droite inexistante et une gauche qui, élection après élection, s’y déchire. Dans le XXe siècle finis-sant, Jean-Pierre Brard, maire apparenté com-muniste, désespère de ramener les entrepri-ses dans cette banlieue en bordure de faillite, qui voit déferler artistes et classes moyennes. Au milieu de tout ça, un cinéma de trois sallesà la sortie du métro Croix-de-Chavaux, dans un petit centre commercial vieillot, quand, un peu plus loin, vers la mairie, les urbanistesse penchent avec ardeur sur la reconstruction

d’un « cœur de ville ». Les commerces aimentles multiplexes. Là-bas, le maire en prévoit un.Privé. Las, ni le groupe CGR, ni MK2, ni UGC – qui possède dans la ville voisine de Rosny-sous-Bois le quatrième cinéma de France avecprès de 2 millions de spectateurs – ne sont partants. Stéphane Goudet voit l’opportu-nité : il suggère au maire d’y transférer le ci-néma municipal pour en faire ni plus nimoins le « plus grand cinéma public d’art et d’essai de France ». Et c’est là que tout com-mence. L’affaire Méliès.

Grosse artillerie

En 2004, l’idée de ce cinéma municipals’avère payante électoralement pour lemaire parti en croisade contre les grands ré-seaux. Marin Karmitz en tête, ceux-ci ont en effet vu une menace dans la création du multiplexe – « ce n’est qu’un six salles, on parle de multiplexe à partir de huit », reprendStéphane Goudet à chaque fois qu’on em-ploie ce vocable à tor.

Mais, en 2008, les Verts, menés par l’an-cienne ministre de l’environnement Domini-que Voynet, prennent la mairie. Changement de cap : le chantier est onéreux pour une villedéficitaire ; on n’a que faire d’un conflit avec Karmitz, et on aimerait bien rappeler à l’ordrece remuant Stéphane Goudet qui semble rou-ler pour l’ancien maire, dont il vante le non-interventionnisme, juste après les élections, dans le bulletin du cinéma. « Je savais qu’ils étaient contre le projet d’extension, dit-il aujourd’hui. C’était le projet que nous portionset je me retrouvais devant une majorité qui n’en voulait pas. Il fallait que j’affiche les rè-gles. »

Mais il est aussi face à une équipe munici-pale nerveuse, qui sait sa propre fragilité. La

suite est une longue plongée politico-judi-ciaire qui va agiter la planète cinéma pendanttrois ans et laisser à Montreuil des plaies pro-fondes. Cela commence par une « alerte » de la médecine du travail pour un directeur ad-ministratif et financier en souffrance, cela se poursuit de la part de la mairie par la dénon-ciation de dysfonctionnements comptables et l’accusation de « caisse noire », avec en-quête du CNC, du Trésor public et de la police judiciaire, et, in fine, la mise à pied de Sté-phane Goudet et de deux responsables du ci-néma confirmée par le tribunal administra-tif… Face à la grosse artillerie, Stéphane Gou-det et l’équipe du Méliès agitent les réseaux sociaux et les réseaux tout court. Grève, ma-nifestations d’usagers, pétitions de réalisa-teurs, d’exploitants de salles… Montreuil aime les postures révolutionnaires. C’est Mé-liès qu’on assassine ! On ne sort plus des sal-les que par la force des baïonnettes.

Goudet est un rhéteur de première bourre.Il ne « lâche rien », comme on dit si bien de nos jours. Les textes qu’il ne manque pas de vous fournir à chaque rencontre chargent l’adversaire. Il y est saint Goudet, et l’ange du mal s’appelle Voynet. Le camp adverse n’est

A Montreuil,un cinéma d’art et de procès

A Montreuil, devant le futur cinéma Le Méliès, Stéphane Goudet, son directeur artistique (deuxième en partant de la gauche), encadré par Gérard Woehl, directeur administratif, Alexie Lorca, adjointe à la culture, et Bernard Ropa, architecte.JEAN-FRANÇOIS JOLY POUR « LE MONDE »

pas en reste. Toute prise à son jeu politique dans une ville qui a fonctionné depuis la guerre dans un appareil communiste clienté-liste, la maire s’est enfermée dans un argu-mentaire paranoïaque. Le journaliste perdu dans cette clochemerlesque tragédie se fait l’effet d’un juge des divorces. Tout le monde y raconte une identique souffrance et voit chez l’autre un bourreau. D’un côté, on dénonce le « culte de la personnalité » et la « tartufferie » de Dominique Voynet ; de l’autre, on stigma-tise la « diva du Méliès » et on vilipende le « gourou » Goudet.

Abraham Cohen a suivi le conflit de bout enbout, caméra à l’épaule, du côté des révoltés.Aujourd’hui, avec l’aide de la réalisatrice Do-minique Cabrera et d’une levée de fonds par financement participatif, il essaie d’en faire un film : Lumière sur le Méliès. De Goudet, il dit illico : « C’est un mec chouette. Extrême-ment charismatique », et confie : « Au point que j’ai même décidé à un moment d’éviter de le filmer parce qu’il prenait toute l’image. J’avais l’impression de faire un film sur lui. »

« Il a des couilles », bredouille Bernard Gre-nouillet, le secrétaire de la section FSU des employés municipaux, s’excusant de ce mot un peu fort en machisme, mais il n’en trouve pas d’autres, pour raconter cet homme capa-ble de débarquer dans les meetings pour alpa-guer les édiles écolos, comme de s’inviter im-promptu dans son bureau à la Bourse du tra-vail. Contrairement à la CGT majoritaire, la FSU soutient en effet Voynet. Goudet est ainsi. « Accrocheur », disent ses amis. « Mé-galo », rétorquent ses ennemis. Impliqué en tout cas, comme en témoignent ses collèguesprofesseurs à Paris-I, qui disent ne l’avoir pasbeaucoup vu depuis le début du conflit du Méliès.

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Charles Tesson, le directeur de la Semainede la critique (section parallèle du Festival de Cannes), qui l’a eu autrefois comme élève, ra-conte un jeune homme « très déterminé », à qui il avait donné un 17 pour une critique de Buñuel – « Je donne très rarement une tellenote… » Tous deux partagent alors, confie-t-il,une admiration pour Abbas Kiarostami. « Or, on n’aime pas les cinéastes par hasard, analyseCharles Tesson. Je pense que Stéphane ressem-ble aux personnages du réalisateur iranien. Comme le héros du Passager, qui veut aller voirson match de foot à n’importe quel prix, il est monomaniaque, avec une idée fixe qu’il pour-suit… » Il sourit : « Après on a envie de dire aussi : il n’y a pas que ça dans la vie. »

Il faut dire que, de sa vie, l’ancien critique decinéma de Positif ne livre pratiquement rien. Il habite en grande banlieue, à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), il a une femme, qui enseigne la gestion en lycée professionnel, et deux en-fants. C’est tout. C’est suffisant.

Sauf que derrière ce portrait modeste d’unM. Cinéma qui serait un M. Tout-le-Monde, il y a en vérité un agitateur qui ne sommeille pas tant que ça. Sur le petit cahier vert qui lui servait à l’adolescence de journal, un jourqu’il réfléchissait à son avenir, il a écrit, parmiles métiers qu’il pourrait faire plus tard : « La politique, pour être ministre de l’éducation na-tionale. » Il en rit. Lui qui, enfant, se rêvaitchanteur (« mais j’ai choisi de jouer de la clari-nette. C’est idiot comme choix, un instrument qui empêche de chanter »), n’a jamais masqué son admiration pour ce père, professeur et conseiller municipal « dans l’opposition », « qui s’est toujours battu pour faire vivre des projets pour le bien de tous ».

La vie de Stéphane Goudet est pétrie danscette glaise : c’est pendant l’occupation d’un bâtiment de la cité universitaire d’Antony(Hauts-de-Seine), condamné à la destruction, qu’il rencontre sa femme. En 2008, il fait par-tie du groupe des 13 – avec Jacques Audiard, Pascale Ferran ou Claude Miller… –, dénon-çant un système de financement qui sacrifie, disent-ils, les « films du milieu », compren-dre : à budget moyen. « L’action politique m’a toujours fasciné », dit-il. A Montreuil, il l’a me-née jusqu’au bout…. Et puis, il y a un an, Do-minique Voynet, en décidant de ne pas se re-présenter aux municipales, a finalement jeté l’éponge. Stéphane Goudet et les deux autres responsables écartés ont été réintégrés dans leurs fonctions par la nouvelle municipalité.

La litanie des procédures

Fin de l’histoire ? Les luttes créent des blessu-res profondes et des revanches tenaces. Le non-lieu prononcé par le tribunal de Bobigny,vendredi 27 février, n’y changera rien. Deuxans après, ceux qui voulaient croire que l’équipe du Méliès détournait les fonds pu-blics et entretenait une caisse noire pour payer la coke des réalisateurs continueront dele penser. Les autres verront dans le non-lieu la preuve criante que tout cela n’était qu’une manœuvre pour se débarrasser de leur pu-gnace directeur.

Encore aujourd’hui, la litanie des procédu-res continue d’alimenter la machine à souf-frir. Goudet contre Voynet d’abord, à travers des plaintes contre Le Monde et Télérama. Lesdeux journaux rapportaient des propos jugésdiffamatoires de l’ancien maire, le procès a été fixé à septembre. Plaintes également con-tre un agité de la blogosphère locale qui, sous le faux nom de Stéphane Dégout, usurpe de façon parodique et peu charitable la parole ducinéphile. Un autre combat est engagé auprèsdu Trésor public pour faire annuler la déci-sion concernant l’ex-comptable réintégrée mais toujours interdite de comptes. Enfin, unrecours a été déposé devant le conseil de l’or-dre des médecins pour annuler la première alerte du médecin du travail pour harcèle-ment moral…

« La meilleure défense, c’est l’attaque. C’est lesens de ces plaintes à tout va. On noie le pois-son dans la presse et dans la multiplication desprocédures », remarque avec une pointe d’ad-miration dans la voix l’avocate ChristelleMazza, spécialiste en droit du travail dans les collectivités publiques, qui défend le camp opposé : Emmanuel Rigault, à l’origine de la première alerte pour souffrance au travail, et Nathalie Hocquard, débauchée par Domini-que Voynet au cinéma de Champigny (Val-de-

Marne) pour diriger le Méliès, et mise sur la touche après le retour de Stéphane Goudet. L’avocate vient de déposer plainte au pénal pour harcèlement moral au nom de cette der-nière (laquelle vient de retrouver un poste de directrice des affaires culturelles dans la ville voisine de Vincennes).

Une guerre sans fin. Qui en a fait oublier levrai enjeu : ces six salles de cinéma dontl’ouverture, prévue au départ fin 2010, est re-poussée depuis, de trimestre en trimestre. Il ya un mois, on l’annonçait pour juin, mais dé-sormais l’inauguration est programmée pourle 19 septembre. Un budget de constructionde 8 millions d’euros au départ, qui a aujourd’hui doublé – « ce n’est pas “le plus grand cinéma d’art et d’essai de France”, c’est leplus cher cinéma d’art et d’essai de France », ironise Emmanuel Cuffini, qui fut l’adjoint aux finances de Dominique Voynet.

Fidéliser un public jeune

Même ses ennemis le reconnaissent : là en-core, Stéphane Goudet n’a rien lâché. Sur le confort des salles (« il nous a fait un caca ner-veux sur l’insonorisation, s’agace Emmanuel Cuffini. Trois études lancées disaient pourtant que ça allait, il n’a jamais voulu en démor-dre… »). Sur la salle de montage, perçue comme « un caprice », mais qui, espère le di-recteur artistique, en faisant travailler les as-sociations de cinéma de la ville, fidélisera un nouveau public jeune. Sur les prix enfin : « Maintenir le tarif à 6 euros est un engage-ment de la municipalité », martèle Alexie Lorca, la nouvelle adjointe à la culture. Avant d’ajouter, moins véhémente : « C’est vrai que c’est une gageure totale. On ne savait pas, à l’époque, qu’il y aurait un tel désengagement de l’Etat, et un établissement culturel n’est pas un grand pourvoyeur de revenus… » Puis, sen-tant la nécessité d’un enthousiasme militant,elle évacue la question avec brio : « Il faut le concevoir comme un service public. »

Socialiste dissidente, l’adjointe à la culture,ex-journaliste qui tenta autrefois un disquerock dont ses ennemis se gobergent en l’écoutant sur Bide et Musique, a accompa-gné Goudet à notre premier rendez-vous. Ilsont beau miser sur lui, les nouveaux maîtresde Montreuil préfèrent le border. « “Son” ci-néma : le simple fait de dire ça et vous tou-chez directement à la personnalité de Goudet.Il en a fait son objet, alors que c’est un biencommun, dénonce l’écologiste Patrick Peti-tjean, ancien maire adjoint. Goudet a de grosses difficultés à fonctionner avec sa hié-rarchie. Cette idée qu’il ait des comptes à ren-dre semble lui poser problème. Et il peut s’avé-rer totalement de mauvaise foi. »

« C’est une personnalité qui a des ambi-tions », tente, diplomate, Gérard Cosme, le maire du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-De-nis) et président de l’agglomération, à la-quelle les personnels du cinéma devaient êtretransférés dès le printemps 2014. Prudent, il a préféré attendre que le soufflé retombe et ne pas se retrouver avec un trublion capable de vous faire sauter un maire.

La viabilité du nouvel établissement, avecses six salles de 80 à 320 places, ses 1 120 fau-teuils et ses sept salariés supplémentaires, reste en effet un pari. Comment passer des 180 000 entrées annuelles (au plus fort de la programmation tant saluée de Stéphane Goudet) aux 280 000 spectateurs nécessai-res, selon ses promoteurs, à son équilibre ?

Marin Karmitz ne s’y est pas trompé. L’ex-mao, qui, à la tête des cinémas 14-Juillet, fut autrefois le fer de lance des indépendantscontre les gros réseaux, a compris, très enamont, ce qui était en train de se jouer au Méliès : s’il veut gagner ces 100 000 specta-teurs supplémentaires, Stéphane Goudet vadevoir ouvrir la programmation et laisser àl’affiche des films semblables à ceux qu’onrencontre dans les MK2. Ce dernier ne l’affir-me-t-il pas déjà : « Bienvenue chez les ch’tis est pour moi un film honorable » ?

Du côté de MK2, pour l’instant, c’est silenceradio. La victoire médiatique de Goudet pousse à l’attentisme, même si le patriarche asoigneusement rappelé, en janvier sur Me-diapart, qu’il avait signé « un accord tout à faitconvenable avec Dominique Voynet : des pla-ces aux mêmes conditions que les nôtres ». Pour calmer le jeu, l’ancienne maire s’est, eneffet, engagée à ne pas pratiquer de « dum-ping par une politique de subvention ».

De deux choses l’une : soit le cinéma fait un« flop », et Karmitz regardera avec plaisirl’équipe se dépatouiller, soit c’est un succès et cela risque fort, quoi qu’en dise Goudet, d’écorner les recettes des MK2 Nation et Gam-betta tout proches. On voit mal alors com-ment Karmitz ne réagirait pas à cette « distor-sion de concurrence » qu’il a toujours dénon-cée. Goudet n’est pas inquiet, il est pragmati-que : « Le projet initial prenait en compte une augmentation tout à fait modérée des tarifs. Sicela s’avère nécessaire, la solution n’est pas ab-surde, considérant le confort et l’intérêt des nouvelles salles. Je sais que nous pouvons faire du Méliès un des dix meilleurs cinémas de France. » Rien de moins. « Revoyons-nous dans quatre ans. Je serai encore là. » p

laurent carpentier

« CE N’EST PAS LE PLUS GRAND CINÉMA D’ART

ET D’ESSAI DE FRANCE, MAIS C’EST

LE PLUS CHER »EMMANUELLE CUFFINI

ex-adjointe aux finances de

Dominique Voynet

La douce douleur de Sufjan StevensLe troubadour se met à nu dans un bouleversant nouvel album,où il évoque le fantôme de sa mère, morte d’un cancer

MUSIQUE

T out en chant murmuré etdépouillement acoustique,Carrie & Lowell, le nouvel

album de Sufjan Stevens, s’affiche à l’opposé de The Age of Adz (2010),précédent opus dont les tour-billons protéiformes superpo-saient la psyché torturée du chan-teur et les visions schizophrènes d’un peintre, « Prophet » Royal Ro-bertson (1936-1997), obsédé par l’apocalypse.

Avec le calme dévasté qui suitune tempête, avec la douceur fré-missante d’un garçon délavé par lechagrin, le troubadour de Detroit, exilé à Brooklyn, se met à nu dans un disque de deuil, baptisé des pré-noms de sa mère, morte d’un can-cer en 2012, et de son beau-père.

Cette facette folk de Sufjan Ste-vens nous est familière. Son don des ballades, inspirées par le folk-lore américain, sa voix d’angelot mélancolique ont pu imprégner des disques entiers – le mystique Seven Swans (2004) – ou s’enchâs-ser dans des œuvres luxuriantes tels Michigan (2003) ou son chef-d’œuvre, Come on Feel the Illi-noise (Illinois, 2005), qui fit de lui une icône de la pop orchestrale.

On sait aussi, depuis le sublimeJohn Wayne Gacy Jr (tiré d’Illinois), consacré au serial killer du même nom, que ce goût pour l’harmonie et la délicatesse chorale n’est pas synonyme de mièvrerie. L’inti-misme de Carrie & Lowell puise

ainsi dans une douleur qui, au-delà de la perte d’une mère, ré-veille les multiples blessures d’uneenfance chaotique.

Par touches impressionnistes ouavec une précision analytique, l’écriture de ce poète tout juste quadragénaire, que Carrie aban-donna à son père alors qu’il n’avaitqu’un an, tente d’appréhender la perte de son innocence, les racinesde son instabilité.

Besoin de réconciliation

Parfois égrenée en picking, avec le classicisme pastoral de Simon & Garfunkel, la guitare peut ciselerla netteté d’un souvenir doux-amer (Eugene), un besoin déses-péré de réconciliation (« I forgive you mother, I can hear you/And I long to be near you », « je te par-donne mère, je peux t’entendre/et j’ai envie d’être près de toi », dans Death With Dignity).

Le plus souvent, sa façon dechanter à l’oreille et d’effleurer sa six-cordes ou son piano en accords

aériens évoque le vide d’une ab-sence, des images trop vite évapo-rées et les fantômes qui peuplent ses chansons. Ceux d’un disparu (« How do I live with your ghost ? », « comment vivre avec ton fan-tôme ? ») ou de son corps épuisé par la tristesse (« There’s only a sha-dow of me/In a manner of spea-king, I’m dead », « il n’y a qu’une ombre de moi-même/d’une cer-taine façon, je suis déjà mort »).

Enregistrés avec la sobriété demoyens domestiques (même sur un iPhone), parfois dans l’intimiténocturne d’une chambre de mo-tel, ces morceaux vibrent d’un écho spectral, d’un rapport à l’au-delà qui ébranle aussi une foi reli-gieuse, qu’on connut plus rayon-nante chez ce chrétien épiscopa-lien.

L’unité conceptuelle du disque,la nudité de son instrumentation et de son invariable tempo pour-raient lasser. Mais, à quelques très rares exceptions près (la chanson-titre), Sufjan Stevens parvient à nourrir ses chansons de mélodies aussi bouleversantes (All Me Wants All of You, Drawn to the Blood, No Shade in the Shadow of the Cross) que ses textes. Son al-bum le plus personnel devenant du même coup un des sommets de sa discographie. p

stéphane davet

Carrie & Lowell de Sufjan Stevens. 1 CD Asthmatic Kitty/Differ-Ant

L’écriture de ce

poète tout justequadragénaire,

tente

d’appréhender

la perte

de son innocence

Page 24: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

24 | culture JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

De la difficulté de bâtir dans l’ombre du Roi-SoleilA Versailles, les projets signés Portzamparc, Wilmotte ou Berès composent avec des règles urbaines strictes

ARCHITECTURE

Le terrain est sensible, etl’audace architecturalecorsetée. A Versailles,grand œuvre d’André Le

Nôtre (1613-1700), jardinier et ur-baniste originel de la ville voulue par Louis XIV, toute interventioncontemporaine dans le centre his-torique relève de l’impensable. C’est ici qu’en 1779, sous l’autorité du directeur général des bâti-ments du roi, le comte d’Angi-viller, est né l’ancêtre du permis de construire. Tout un symbole.

Lundi 23 mars, la ville a cepen-dant annoncé qu’elle confiait à l’agence Elisabeth et Christian de Portzamparc (AECP) le soin de réaliser, de part et d’autre de la gare des Chantiers, un ensemble de 45 000 m2 comprenant des lo-gements privés et sociaux, pourétudiants, des bureaux, une rési-dence pour seniors ainsi qu’une crèche. Bien qu’aucune vue d’ar-tiste n’ait encore été montrée à ce jour – l’annonce a été faite de fa-çon prématurée pour surtout ras-surer l’investisseur, Nexity –, tout laisse à penser que ce pro-gramme, à bonne distance du château, donnera lieu à des for-mes singulières.

En règle générale, à Versailles, lamodernité a droit de cité, à condi-tion qu’elle ne se fixe pas. Le châ-teau présente ainsi depuis 2008 des sculptures monumentales,dont certaines s’affirment dans lepaysage urbain. Il en a été ainsides grandes parenthèses d’acier rouillé de 22 m de haut et de140 tonnes, posées en 2011 par l’artiste Bernar Venet, pour « auréoler Versailles », sur la place d’armes du château à l’arrière de la statue équestre du Roi-Soleil.

Ces arcs de triomphe d’un genrenouveau ont pu exister parce que leur présence était éphémère,bien que la direction du château, au grand dam d’une partie de la population, ait un temps envisagéleur installation définitive. A l’in-verse, la sculpture en béton de l’architecte plasticienne Inessa

Hansch, un banc installé à de-meure dans le jardin des étangsGobert aménagé par Michel Des-vignes près de la gare des Chan-tiers, est rapidement devenue une pomme de discorde, et pas seulement en raison de son coût jugé excessif (120 000 euros).

« Nous sommes dans le plusgrand secteur sauvegardé XVIIIe siècle de France. Les pres-sions de l’architecte des Bâtiments de France (chargé de veiller au res-pect du patrimoine) sont très for-tes, indique François de Mazières, le maire de Versailles. Il ne faut pas se louper. C’est un risque énorme. » Dignes de figurer au

tuent la façade de l’Ecole desbeaux-arts réalisée par l’archi-tecte Platane Berès. Ici, ce ne sont pas le maillet et le ciseau qui ont façonné la pierre, mais une ma-chine numérique dont la finessed’usinage est perceptible au tou-cher. Une première en Europe pour un bâtiment moderne. La grande salle consacrée à la sculp-ture qui s’ouvre sur un jardin ap-paraît à travers les interstices. Uneprésence intense, sans excès ; mo-derne, « ma non troppo ».

A l’entrée de la cour des Senteursqui ouvre sur le jardin du mêmenom, dans un périmètre plus sen-sible, proche du château, trône

avec élégance le pavillon réalisé par Philippe Pumain pour le par-fumeur Guerlain. L’architecte,auteur notamment de la réhabili-tation du cinéma Louxor dans le10e arrondissement à Paris, a logé l’enseigne de luxe dans une struc-ture en verre et en acier noir mat. L’édifice, à la présence forte, a su s’intégrer à son environnement grâce à de prudentes proportions.

L’exercice le plus convaincant, etpour l’heure le plus affirmé, est sans conteste celui qui s’opère à lalisière de la rotonde, l’ancien ma-nège pour les chevaux des gardes de la caserne de Croÿ. Ouverte, côté cour, sur une paisible pla-

cette, l’annexe de la Maison dequartier Saint-Louis, réalisée par Clément Vergely et Alep Architec-tes, brille par sa simplicité for-melle. Côté rue, cas de figure uni-que à Versailles pour une créationcontemporaine, elle offre sa sil-houette rythmée et rectiligne à la perspective de l’avenue de Sceaux, l’un des axes majeurs de la ville.

« L’absence d’audace à Versaillesest un sujet sur lequel je me suis longuement interrogé moi-même, reconnaît François de Mazières, à la Cité de l’architecture et du patri-moine [qu’il a dirigée de 2004 à 2012], puis en travaux pratiques à Versailles. » S’il entend privilégier les principes d’une « acupuncture urbaine », dont témoignent les édifices évoqués, l’élu a été con-fronté au risque de la chirurgie lourde. « Une maladresse, et le corps entier est en péril », dit-il àpropos de l’opération Richaud, du nom de l’ancien hôpital royal, classé monument historique en 1980. Celui-ci, désormais flan-qué de deux ensembles de loge-ments contemporains bon teint, aété reconverti par les soins deJean-Michel Wilmotte sous lecontrôle de l’ABF.

« C’est de l’architecture de com-promis, mais il y a un rythme, c’est propre », déclarait au Monde l’ar-chitecte en 2014. Tous les deuxans, dans sa fondation d’entre-prise à Venise, celui-ci décerne un prix à de jeunes architectes et étu-diants des écoles d’architecture de l’Union européenne. Le thème du concours : la greffe contempo-raine au service de la préservationdu patrimoine. p

jean-jacques larrochelle

La façade de l’Ecole des beaux-arts de Versailles réalisée par l’architecte Platane Berès. PLATANE BERÈS

La Rumeur , « auteurs vivants » au Rond-Point Accompagnant la sortie de leur nouveau CD, « Inédits 3 », le groupe de rap français donnait, le 30 mars, un spectacle sur la scène du théâtre parisien

MUSIQUE

I l ne pouvait en être autre-ment. Donner une scène dethéâtre à un groupe de rap

comme La Rumeur, c’est prendrele risque de voir le noble établis-sement se transformer à la fois en tribune politique et en boîtede nuit. Le 30 mars, Jean-MichelRibes, patron du Théâtre duRond-Point, ne cachait pas sa fierté de présenter à ses abonnésces « auteurs vivants », accompa-gnés, ce soir-là, de leur public,tout aussi agité.

La salle, comble, a écouté,d’abord assise, les trente premiè-res minutes de cette présenta-tion des 20 ans de carrière du groupe mais n’a pu faire autre-ment que de se lever comme un seul homme quand Hamé et Le Bavar, deux des trois rappeurs,ont entonné leur nouveau mor-ceau Sous peu il fera jour. Ecrit lelendemain de l’attentat contreCharlie Hebdo, le brûlot est ex-trait des Inédits 3, sorti en mars.Le Bavar, 41 ans y répète commeune rengaine : « Je ne maîtrise queles thèmes qui ne disent jamais :“je t’aime”. »

Leurs thèmes de prédilectionn’ont, en effet, jamais changé de-puis leur premier EP, publié en 1997, Le Poison d’avril : les rela-tions entre la France et l’Afrique,

l’immigration, la relégation des quartiers populaires, l’histoire de l’esclavage...

Leur spectacle au Théâtre duRond-Point débute par la déclara-tion d’un homme politique qu’ils ont combattu pendant dix ans, lors d’une longue procédure judi-ciaire qu’ils ont gagnée en coursde cassation. Nicolas Sarkozy, mi-nistre de l’intérieur, avait, en 2002, porté plainte contre eux « pour diffamation envers la Policenationale » à la suite d’un articlerédigé par Hamé dans le fanzine qui accompagnait alors leur pre-mier album « L’Ombre sur la me-sure ». Le rappeur, originaire de Perpignan et fils d’un ouvrier agricole algérien, y énumérait « les centaines de nos frères abat-tus par les forces de l’ordre ».

Calme et fureur

Alors, pour bien commencer ce tour de chant construit comme une pièce de théâtre, dont le jeude lumières éclaire les textes, lesdeux DJ, Soul G et Kool M, jouenttour à tour une sortie célèbre deNicolas Sarkozy sur la dalle d’Ar-genteuil le 25 octobre 2005. S’adressant à une locataire d’HLMà sa fenêtre, le ministre de l’inté-rieur déjà en campagne lui de-mande : « Vous en avez assez, hein ? Vous en avez assez de cette bande de racailles ? On va vous en

débarrasser. » Deux jours plustard, après la mort par électrocu-tion de deux adolescents, Zyed et Bouna, poursuivis par la police et réfugiés dans un transformateur EDF, les banlieues françaises s’em-brasaient pendant trois longues semaines. Plusieurs raps de La Ru-meur rappellent l’atmosphère surscène: Du Sommeil, du soleil, de l’oseille ou Qui ça étonne encore ?

Par deux fois pendant le specta-cle, deux DJ jouent les disques dejazz et de bandes originales de films qu’ils ont samplés : des ré-pliques de Jean Gabin dans LaHorse aux films de John Carpen-ter. C’est une des particularitésde La Rumeur, rappeurs quadra-génaires qui habitentaujourd’hui le 18e arrondisse-ment parisien : ils n’ont jamais

cédé aux tendances du rap amé-ricain mais se sont toujours ins-pirés de leur environnement, de la culture populaire française, des pavés parisiens comme desrues de leurs banlieues.

Sur scène, ils sont assis sur undes fameux bancs de la place desAbbesses que l’on retrouvait déjà sur leurs pochettes d’album. Ils al-ternent le calme de l’implacable a cappella du Bavar, Guadeloupéen,fier descendant « de coupeur decannes » dans le texte sur l’escla-vage 365 cicatrices, à la fureur d’Ekoué, enfant d’immigré togo-lais, né à Paris qui se sent « blessé dans son ego » à chaque fois qu’il tend sa carte d’identité française.

C’est d’ailleurs lui qui conclut leconcert en s’emportant contre le« communautarisme exacerbé » de l’actuelle société française : « Jen’en peux plus de ce climat où ilfaut parler en fonction de sa con-fession religieuse, où le Front na-tional est en train de monter tou-tes les communautés les unes con-tre les autres, où même dans le rap,on parle en fonction de son ori-gine. Nous, nous n’avons pas connu le hip-hop comme ça. Il est pluriethnique, extracommunau-taire… » Comme leur public. p

stéphanie binet

1 CD Inédits 3 (L’Autre Distribution)

Ils se sont

toujours inspirés

de la culture

populaire

française,

des pavés

parisiens

comme des rues

de leurs banlieues

rang de cas d’école, quelques raresinitiatives architecturales vien-nent pourtant démontrer qu’il n’y a pas de fatalité. Et que la blonde pierre de Saint-Leu, élé-ment de prédilection dans la cité, peut s’accommoder d’un voisi-nage d’une autre nature.

Acupuncture urbaine

Quelques exemples de construc-tions pérennes, non loin du grandédifice royal, prouvent que l’exer-cice d’insertion n’est toutefois pasimpossible. Dans l’étroite et dis-crète rue Saint-Simon, de largesbandes minérales retiennent l’at-tention du piéton. Elles ponc-

Toute

intervention

contemporaine

dans le centre

historique relève

de l’impensable

L’HISTOIRE DU JOURA l’Hôtel-Dieu, les internes ne peindront plus la statue en bleu

T our à tour grimée en Edward aux mains d’argent ou en ro-bot du Magicien d’Oz, peinte en rose bonbon ou bleu Sch-troumpf : depuis 1984, deux fois par an, la statue du baron

Dupuytren (1777-1835) qui orne la cour de l’Hôtel-Dieu, à Paris, inspire des fantaisies aux étudiants en médecine célébrant la fin de leur internat. Cette tradition potache devrait s’arrêter net : le tribunal de grande instance de Paris a condamné, le 13 mars, l’As-sistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour violation du droit moral, rapporte Le Journal des arts.

Ce n’est pas l’atteinte à la figure de l’ancien chirurgien en chefde l’hôpital qui pose problème, mais le respect de l’œuvre de MaxBarneaud. L’AP-HP, dépositaire de la statue propriété de la Ville deParis, doit verser 6 000 euros en réparation de l’atteinte au droit moral de l’artiste, plus 3 000 euros de frais de procédure. Il lui estreproché de ne pas avoir pris les « mesures nécessaires pour éviterqu’il soit porté atteinte à l’œuvre », alors qu’elle « savait qu’en vertu

d’une tradition, des dégradations [y]étaient apportées par les internes ».

Des mises en garde avaient été faites àdestination de l’institution et de l’associa-tion des internes. Sur le site de l’associa-tion des salles de garde, un message avaitété diffusé en 2012, « à la demande du filsdu sculpteur », rappelant les articles 322-1et 322-2 du code pénal portant sur les« destructions, dégradations ou détériora-tions » d’un bien « destiné à l’utilité ou à la

décoration publique et appart[enant] à une personne publique ou chargée d’une mission de service public ». Une note précisait : « Il en résulte que les internes qui prendraient l’initiative de repeindre ou décorer la statue (...) seraient susceptibles de sanctions pénales, outre que les ayants-droit de l’artiste seraient en droit d’engager toute action aux fins de faire respecter leur droit moral. »

La statue a été remise en état à chaque fois, l’AP-HP l’a bâchée etproposé son déplacement. Selon le tribunal, l’atteinte au droit moral est défini dès lors qu’une œuvre est « régulièrement modi-fiée, même si cette modification n’est pas irréversible », dixit le sitedu Journal des Arts. L’ayant-droit avait saisi la justice en 2013. p

emmanuelle jardonnet

L’AP-HP DOIT VERSER 6 000 EUROS EN RÉPARATION DE L’ATTEINTE AU DROIT MORAL DE L’ARTISTE

Page 25: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 télévisions | 25

HORIZONTALEMENT

I. Une reprise qui assure de nouveaux

services. II. Récupère le meilleur du

maïs. En rouge sur les bornes. III. Les

chiens peuvent toujours s’y asseoir.

Mit in brutalement. IV. Jamais d’un

autre temps. Entaille en surface. Pour

les amateur de marche. V. Dans les

nouilles. Massif en Algérie. Oté dans

le désordre. VI. Fait danser les

Hongrois. Policier chez les plus

jeunes. VII. Poussent à faire du mal.

Du persan pour les Iraniens.

VIII. Vous entraîne dans les profon-

deurs. IX. Sur la portée. Toujours de la

fête avec sa lûte. X. Redonnent un

peu d’espace.

VERTICALEMENT

1. Les dernières corrections viennent

de lui. 2. Devrait partir très prochai-

nement. 3. Relève les plus lourds.

Relève les plus plats. 4. Démonstratif.

Fera du bien après coup. 5. Petit ba-

vard discret. Un peu trop brutaux.

6. Personnel. Mises à niveau. 7. Bien

préparées en tête. Ebranlés. 8. En-

trons en action. Bien accueilli. 9. Dé-

coupage administratif de la Grèce an-

tique. Ancien royaume africain.

10. Toujours en butte. 11. Ne lâche-

ront rien. Bouts de pain. 12. Fait court

dans le journal.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 077

HORIZONTALEMENT I. Efeuilleuse. II. Néant. Ourlet. III. Guru. Nicot. IV. Oi.

CSA. Ding. V. Ulula. Urémie. VI. Ellébore. VII. Mémère. Fesse. VIII. Et.

Seigle. En. IX. Net. Elie. Rut. X. Transsexuels.

VERTICALEMENT 1. Engouement. 2. Feuilleter. 3. Far. Ulm. Ta. 4. Enu-

cléés. 5. Ut. Sabrées. 6. Na. Œils. 7. Loi. Ur. GIE. 8. Luc. Relex. 9. Erode.

Ee. 10. Ultimes. Ré. 11. Se. Ni. Seul. 12. Etagements.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 078

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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SUDOKUN° 15-078

Pourquoi nous avonsbesoin d’histoireConstruire son arbreD’où vient votre nom

GénéalogieLanouvelle

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HORS-SÉRIE

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desFrançaisCHEZ VOTRE

MARCHAND DE JOURNAUX

J E U D I 2 AV R I L

TF1

20.55 Falco

Série créée par Clothilde Jamin.Avec Jean-François Stévenin, Anne Canovas, Sagamore Stévenin (saison 3, ép. 1-2/10 ; S2, ép. 1/6).23.45 Les Experts

Série policière créée par AnthonyE. Zuiker. Avec Laurence Fishburne, Marg Helgenberger, George Eads (EU, s aison10, ép. 21, 20/23 ; S9, ép. 22/24).

France 2

20.55 Envoyé spécial

Magazine présentépar Guilaine Chenu et Françoise Joly.22.25 Complément d’enquête

Magazine présenté par Nicolas Poincaré. Portrait d’Alain Juppé.

France 3

20.50 Shoah

Documentaire de Claude Lanzmann (Fr., 1985, 540 min).

Canal+

21.00 House of Cards

Série dramatique créée par Beau Willimon. Avec Kevin Spacey (EU, saison 3, ép. 8-9/13).22.35 Nurse Jackie

Série créée par Linda Wallem, Eva Dunsky et Liz Brixius Avec Edie Falco, Anna Deavere.(EU, saison 6, ép. 7-8/12).

France 5

20.40 La Grande Librairie

Magazine animé par François Busnel. Invité : Jean d’Ormesson.21.40 Duels

« Cochran-Auriol, aile contre aile ».Documentaire de Fabrice Hourlier (Fr., 2014, 55 min).

Arte

20.50 The Wrong Mans

Série créée par James Cordenet Mathew Baynton. Avec James Corden et Mathew Baynton (GB, saison 1, ép. 1 à 6/6).23.50 Le Dahlia noir

Thriller de Brian De Palma. Avec Josh Hartnett, Scarlett Johansson(EU-All., 2005, 115 min).

M6

20.55 Scorpion

Série créée par Nick Santora.Avec Elyes Gabel, Katharine McPhee(EU, Saison 1, ép. 11-12/12 ; 6-7/22).0.30 Tout sur Jamel

Spectacle enregistré au Zénithde Paris, le 20 décembre 2012.

La fureur de vivre au féminin plurielLaurent Cantet s’empare des années 1950 et filme la révolte d’une bande de jeunes filles

CINÉ + EMOTIONJEUDI 2 – 22 H 15

FILM

Al’opposé de la matièresemi-documentaireque Laurent Cantet asouvent travaillée, on

saute ici à pieds joints dans la fic-tion. Rien n’indique qu’un groupede filles aux idéaux révolution­naires ait sévi dans les années1950 aux Etats­Unis, comme l’aimaginé Joyce Carol Oates dans Confessions d’un gang de filles (Stock) dont Foxfire est adapté.

Affranchi de la réalité, LaurentCantet lui témoigne pourtanttoujours le même respect. Ce qu’ilveut montrer doit obéir aux loisde la vie en société, et la dynami­que du groupe des filles est dé­peinte avec une exactitude ma­thématique, pour mieux amener les paroxysmes, la tragédie.

Au centre de ce groupe, ontrouve Legs (Raven Adamson), or­pheline de mère, abandonnée parson père, animée par une colèreinextinguible. Elle attire des parti-cules de désordre : Maddy (Katie Coseni), une intellectuelle frus­trée, Rita (Madeleine Bisson), vic­

time des désirs que suscite sabeauté, Goldie (Claire Mazerolle), une authentique brute. Legs se forge toute seule une idéologie ré­volutionnaire, empruntant quel­ques bribes de discours à un prê-tre défroqué, passé à l’alcoolisme avec un détour par le léninisme, etfonde une société secrète, bapti-sée Foxfire.

Vengeance contre les hommesLe groupe commence par se ven­ger des hommes qui les oppri­ment, les menacent et les violen­tent. Ses premiers exploits (graf­fitis, corrections musclées) sontfilmés avec une jubilation qu’on ne connaissait pas à l’auteur. La bête machiste n’est pas sans res-sources et prend bientôt le dessussur les révolutionnaires. Legs seretrouve en maison de correc­tion.

Foxfire a été tourné dans l’Onta­rio, où l’on trouve encore des pay-sages urbains de l’après-guerre, aujourd’hui disparus des Etats-Unis. Laurent Cantet a fouillé pour faire émerger ce que l’on ne voit quasiment jamais de ces an­nées lorsque le cinéma américains’en empare : la pauvreté, l’inéga­

lité, la violence institutionnelle.Bien sûr, les voitures sont gros-

ses et les autoradios crachent la musique de l’époque, rock’n’roll générique, ballades sirupeuses.Mais ces lieux communs ne sont là que parce qu’on ne peut faireautrement. D’ailleurs, sur la ban-de-son, on entend mieux le très contemporain et très mélancoli-que groupe canadien Timber Timbre que les classiques d’alors.

Violence révolutionnaire

La deuxième partie du film, après la libération de Legs, opposel’euphorie de la violence révolu-tionnaire à la difficulté de l’utopie

réalisée. La bande de filles, qui ne fait que croître, connaît les affres de toutes les organisations : fac-tions, rivalités entre orthodoxes et novateurs, culte de la personna-lité, surenchère dans l’action – jus-qu’au drame. A la place des intel-lectuels exaltés que l’on trouved’habitude dans ces situations, Joyce Carol Oates et Laurent Can-tet ont placé des adolescentes qui ne sont pas seulement mues par lasoif d’absolu ou l’envie de pouvoir,mais aussi par le désir. C’est dans cette double nature des personna-ges que réside la force de Foxfire.

Cantet a choisi ses actrices parmides jeunes filles inexpérimentées

avec le même bonheur que pour Entre les murs. Raven Adamson et ses camarades se meuvent dans cet univers flottant entre histoireet utopie avec une aisance à cou-per le souffle. Ce sont elles qui fontoublier les artifices du scénario et font passer les démonstrations politiques un peu systématiques. Elles, finalement, qui raniment la flamme de la révolte. p

thomas sotinel

Foxfire. Confessions d’un gang de filles, de Laurent Cantet. Avec Raven Adamson, Katie Coseni, Madeleine Bisson, Claire Mazerolle (Fr./Can., 2013 150 min).

« Foxfire. Confessions d’un gang de filles ». LES FILMS DU CHERCHE MIDI

Deux losers en état de grâceUne comédie-thriller dans laquelle deux braves garçons deviennent les hommes les plus recherchés d’Angleterre

ARTEJEUDI 2 AVRIL – 20 H 50

SÉRIE

R ien ne peut laisser prévoirce qui va advenir. Un pay-sage de campagne plat

comme un jour sans fin. Une route droite et dégagée, une voi-ture qui passe, puis, soudain, le bruit fracassant de l’accident ;glissade, tonneaux, le véhicule fi-nit sa course, cabossée comme unCésar, sans que l’on ait rien com-pris. Pas plus d’ailleurs que Sam, qui marchait sur le bord de la route, et qui, la surprise passée, va

finir par s’approcher de la car-casse, ramasser un téléphone por-table visiblement éjecté sous le choc, et appeler les secours.

Tout est posé, ou presque. L’im-prévu qui surgit de l’ordinaire, l’ir-rationnel qui s’impose comme unfait auquel il n’est pas besoin de prêter attention, un enchaîne-ment d’une rapidité extrême… Dès les premières minutes, « TheWrong Mans » crée un décalage qui n’est que le haut de l’iceberg.En dessous se cachent une his-toire et des personnages qui vont partir en vrille, une intrigue quiaccumule péripéties et rebondis-

sements, avec chantage, menaces de mort, espionnage et trafic dedrogue, une dramaturgie intensemâtinée de pépites télévisuelles et scénaristiques hilarantes.

Action et humour

Cette série porte la patte des auteurs et comédiens anglais qui l’ont imaginée et qui en assurentles rôles principaux, James Cor-den et Mathew Baynton. Une patte qu’ils doivent, en partie, à la culture de leur pays, où le cinéma sait comme nul autre mêler réa-lisme et comédie, action et hu-mour, sans que l’un soit jamais

négligé au profit de l’autre. Si leduo fonctionne à merveille sur l’écriture, il en est de même àl’écran, où chacun campe son per-sonnage avec un naturel qui émeut autant qu’il amuse. Ces deux-là, il faut bien le reconnaître,sont de braves garçons, débor-dants d’énergie et de bonne vo-lonté, mais aussi d’une naïvetéqui relève de la pathologie.

Grand gringalet qui peine à seremettre de sa rupture sentimen-tale avec une collègue devenue sa supérieure, Sam (Mathew Bayn-ton) se désintéresse de son job de conseiller urbaniste quand vient

s’incruster dans sa vie Phil, le bon gros et sympathique préposé aucourrier qui vit chez sa mère. Dès lors, quand ce téléphone trouvépar Sam les entraîne dans uneaventure aussi rocambolesque que palpitante, ce duo de losers valivrer le meilleur comme le pired’eux-mêmes. Un pur bonheur. p

véronique cauhapé

The Wrong Mans (saison 1), série créée par James Corden et Mathew Baynton. Avec James Corden et Mathew Baynton, Sarah Solemani, Emilia Fox (Royaume-Uni, 2013, 6 × 29 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

Page 26: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

26 | styles JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

AUTOMOBILE

Sortez vos mouchoirs. Lanouvelle génération del’Espace rompt sans étatd’âme avec l’esprit post-

baba-cool. Le grand modèle fami-lial apparu en 1984 et qui a fait unebonne partie de la renommée de Renault abandonne ses rondeurs fonctionnelles pour des formes biseautées et oblongues, renonce à son comportement routier pro-che d’une camionnette pour un « toucher de route » plus affûté, sacrifie à la technomania et expie son sens du partage communau-taire en installant le conducteurdans une sorte de cockpit. Au seinde Renault, la dénomination decette cinquième génération a sus-cité un débat animé.

Fallait-il la baptiser XSpace plu-tôt que Espace afin de mieux si-gnifier la rupture avec le concept de monospace – désormais stric-tement banni du vocabulaire de lafirme – et sa conversion au « cros-sover » ?

Laurens van den Acker, qui di-rige depuis cinq ans le design Re-nault, aurait préféré un change-ment de nom. « Il y avait autant d’arguments favorables que défa-vorables », estime-t-il. « L’impor-tant, ajoute le styliste néerlandais,c’est qu’aujourd’hui le nouvel Es-pace se compare non pas à son prédécesseur mais aux SUV », tels que l’Audi Q5, le Volvo X60 ou leRange Rover Evoque.

En rompant avec une idée del’automobile qui ne fait plus troprecette, le nouveau vaisseau ami-ral de la marque au losange « veutépouser les nouvelles valeurs d’unesociété qui a changé », assure Lau-rens van den Acker. « La famille n’est plus autant une valeur com-munautaire mais le rassemble-ment d’individus distincts et sa rai-son d’être est avant tout de proté-ger. D’où le succès de voitures hau-tes, où chacun dispose de sonpropre territoire », fait-il valoir.

Large écran multifonction

Cette cinquième génération mul-tiplie donc les signes d’allégeance à ces « faux 4 x 4 » qui se vendent comme des petits pains. La calan-dre, quasi absente sur les précé-dentes générations, est plon-geante et surdimensionnée, la garde au sol plus élevée de 4 cm etle profil très étiré se resserre de manière particulière au niveau dela partie arrière afin d’améliorer l’aérodynamique. L’originalité de cette poupe est accentuée par lachute de la ligne de toit et le des-sin étiré de la vitre de custode. L’Espace, qui mesure désormais 4,86 m en longueur et ose se chausser de roues de 20 pouces, a largement remanié son habitacle

dont la présentation réalise unsaut en qualité. Adieu compteur central ; à la place, s’installe un large écran multifonction verti-cal. L’instrumentation de bord a été ramenée sous les yeux du con-ducteur désormais séparé de son voisin par une imposante consolealors que les précédents modèles se faisaient une fierté d’ériger la li-bre circulation au rang de prin-cipe fondateur. Bonne nouvellepour les passagers de la deuxièmerangée : ils n’ont plus à se tenir as-sis, les jambes presque à l’hori-zontale. Mauvaise nouvelle pour ceux de la troisième rangée : l’es-pace réservé aux deux petites pla-ces disponibles en version sept-places s’est encore réduit.

Toujours aussi lumineux

Parce qu’il fallait rajeunir un mo-dèle inchangé depuis plus de douze ans, Renault – qui a long-temps considéré que transformer l’Espace en SUV serait une formede renoncement – a mis les bou-chées doubles au chapitre équipe-ments. La voiture, désormais fa-briquée à Douai (Nord), dispose d’une boîte de vitesses automati-que à double embrayage, d’un sys-tème de freinage d’urgence auto-matique, d’une alerte de survi-tesse (grâce à une caméra qui lit les panneaux de signalisation).

En option, elle peut disposer dustationnement automatique, du contrôle de traction pour démar-rer sur terrain glissant, d’un amor-tissement piloté (trop ramolli à

notre goût lorsqu’il se trouve enposition « neutre ») et de roues ar-rière directrices. La nouvelle géné-ration, qui s’est allégée de 250 kg,ne dodeline plus dans les virages et, sans faire aussi bien qu’une berline, apparaît à son affaire sur les routes sinueuses. Les motori-sations (1,6 litre essence pour 200 ch, 1,6 litre diesel pour 130 ou 160 ch) affichent d’honnêtes pres-tations sans que l’on puisse consi-dérer qu’il s’agit d’un atout de pre-mier ordre par rapport à la con-currence, malgré la présence d’une boîte automatique à sept rapports dans la gamme.

L’Espace nouveau (à partir de34 200 euros) capte quelques legs du monospace d’autrefois. La mo-dularité reste l’un de ses points forts (le dossier des sièges arrièrese replie en appuyant sur un sim-ple bouton) et, grâce à un pare-brise de grande taille, l’habitacle baigne dans une luminosité in-connue des SUV existants. Une partition à part dans une catégo-rie de voitures où il va devenir de plus en plus compliqué de faire entendre sa différence. p

jean-michel normand

La voiture redevient-elle un produit de luxe ?Un prix de plus en plus élevé, pour des acheteurs de moins en moins nombreux… La fracture automobile semble en train de se creuser

L es Français qui achètent unevoiture neuve sont prêts à ymettre le prix. Selon le baro-

mètre annuel de L’Argus, la sommemoyenne qu’ils y ont consacrée, en 2014, a atteint 24 012 euros, con-tre 23 407 euros en 2013.

Dans un contexte économiquedifficile, ce bond a de quoi sur-prendre et ce chiffre mérite d’êtremanipulé avec précaution. Au cours des cinq années passées, le budget moyen consacré à l’achat d’une voiture neuve a connu une progression de 4 859 euros, mais, dans le même temps, le marché français a fortement reculé, pas-sant de 2,3 millions à 1,7 million d’immatriculations. Autrement dit, il se vend des voitures de plus en plus chères à des acheteurs de

moins en moins nombreux.Selon L’Argus, la tendance con-

cerne toutes les catégories de vé-hicules. Il faut sans doute y voir la traduction d’un phénomène connu des professionnels de l’automobile sous le terme bar-bare de « downsizing » : désor-mais, pour un même budget, leconsommateur tend à privilégier un modèle plus compact. Une réa-lité que traduit notamment l’ex-plosion des ventes de SUV dontles versions les plus petites sont, par exemple, facturées entre3 000 et 4 700 euros de plus que la berline sur la base de laquelle ilsont été développés.

La fracture automobile ne cessedonc de se creuser entre ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter du

neuf – voire, peut-être aussi, ne le souhaitent pas – et ceux qui en ont la possibilité et choisissent des versions toujours plus sophis-tiquées. On peut dès lors se de-mander si la voiture, objet dont la démocratisation s’est opérée tout au long du XXe siècle, n’est pas en train de faire marche arrière et re-devenir un produit de luxe.

D’autres données viennent don-

ner corps à cette interrogation. D’année en année, la part des ven-tes de voitures neuves achetées par des particuliers ne cesse de re-culer (elle se situe désormais justeau-dessus de la barre des 50 %), le reste étant réalisé par des entre-prises (loueurs de courte et lon-gue durée, véhicules de société).

Boom du marché de l’occasion

Autre fait révélateur : l’âge mé-dian de ceux qui font l’acquisitiond’un modèle sortant d’usine con-tinue de grimper ; il dépasse dé-sormais 53 ans. Enfin, la con-trainte économique croissante qui pèse sur la plupart des Fran-çais se traduit aussi à travers le boom du marché de l’occasion(5,4 millions de transactions

en 2014, soit la meilleure année depuis 2007 selon le site AutoScout24). Désormais, il sevend trois fois plus de modèles d’occasion que de voitures neu-ves. Malgré le succès des marques à bas coût, qui n’est visiblement pas en mesure d’atténuer nota-blement cette fracture automo-bile, miroir des inégalités sociales.

La focalisation des ventes sur lesmodèles les plus chics (les mar-ques premium ne se sont jamaisaussi bien portées) et les SUV n’estpas sans conséquences. On ob-serve d’ores et déjà que les seg-ments les plus « populaires » (ce-lui des petites voitures, notam-ment), et donc les moins renta-bles, sont relativement délaissés par les constructeurs. Les évolu-

tions du catalogue y sont plus len-tes et les innovations plus rares.

Cette contradiction entre le re-nouvellement continu du parc automobile des acheteurs aisés et, au contraire, le vieillissement des voitures dévolues au reste de la population risque aussi de po-ser le problème de l’acceptabilitésociale de dispositifs comme la circulation alternée en cas de pics de pollution. En d’autres termes, faut-il se résigner à ce que les voi-tures répondant aux dernières normes environnementales soient réservées aux riches ? p

j.-m. n.

Retrouvez notre actualité automobile sur lemonde.fr/m-voiture/

Le modèle se

rapproche de ces

faux 4 x 4 qui se

vendent comme

des petits pains

Renault Espace, ne l’appelez plus monospaceLe vaisseau amiral de la marque au losange prend un coup de jeune et adopte les codes du SUV

Une imposante console sépare désormais le conducteur de son voisin. STEFFEN JAHN/RENAULT

Le segment des

petites voitures,

moins rentables,

est délaissé par

les constructeurs

Page 27: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 disparitions & carnet | 27

Cédric RagotDesigner

Comme son vase Fast, auxcontours déformés parla vitesse, le designer Cé­dric Ragot aura vécu

dans l’urgence. Talent de la fulgu­rance, il est mort brutalement, lundi 23 mars, à Paris, alors que son travail était salué comme l’un des plus innovants de sa généra-tion. La galerie MiniMasterpiece a présenté, à l’occasion de la foire d’art contemporain, Art Paris, ce qui sera sa dernière création : une bague d’argent Liquide, en forme de goutte.

Dans quelques jours, le fameuxvase Fast et la lampe Flight 815 – ac­quis par le Centre national des artsplastiques en 2007 – seront visi­bles du grand public, car sélection­nés par Lidewij EdelKoort pour son exposition « Oracles du de­sign », à la Gaîté Lyrique, du 3 avril au 16 août, à Paris.

Né le 1er juin 1973 à Dieppe (Seine-Maritime), Cédric Ragot a étudié à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle, dont il est sorti diplômé en 1999, avant de faire ses armes auprès du designerChristian Ghion. « Il fallait que je leralentisse dans ses ardeurs, que je lui apprenne une forme de pa-tience : il voulait tout apprendre dumétier, goulûment », se souvient ce dernier. Frappé par la capacité de production de son poulain, il luiconfie de nombreux projets, pen­dant deux ans. « Jusqu’au jour où l’élève a dépassé le maître, préciseChristian Ghion, tant ce garçon avait de dons pour la création et le design. »

« Productivité incroyable »

En 2002, Cédric Ragot crée son propre studio, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Les succès s’enchaî-nent. Le dessin d’un objet un peu hybride, un tabouret sur deux pe-tits pieds, La Chose, séduit en 2003la galerie Ymer & Malta de Valérie Maltaverne. « Ma galerie a dé-marré avec Cédric Ragot, souligne cette ancienne productrice de ci­néma. Chacun de ses objets me par-lait, racontant une histoire, commeun mini-film. Lui-même était un personnage attachant, talentueux et obstiné, en vrai Breton. » Sous son impulsion, Cédric Ragot se confronte à de nouvelles matières comme le marbre et réalise des ob­jets aux frontières avec l’art con­temporain.

Avide de tout, Cédric Ragot s’im­plique à fond dans un grand nom-bre de domaines. Une petite table basse Cute Cut, aux rondeurs sen-suelles, lui ouvre les portes de Ro-che Bobois, en 2005. La collabora-tion ne cessera plus. « C’était mon designer fétiche, déclare Nicolas Roche, le directeur des collections,

c’est avec lui que j’ai apporté une nouvelle créativité à la marque, unpositionnement vraiment nova-teur : je me sens orphelin. » Beau-coup de meubles ont vu le jour, tant Cédric Ragot était d’une « pro-ductivité incroyable, apportant des projets aboutis, des dessins léchés et séduisants ».

Sa capacité à s’affranchir des rè­gles pour trouver des solutions es­thétiques innovantes, et « son sa-voir-faire technique d’excellence pour un designer de son âge », in­siste Nicolas Roche, feront le suc­cès de leur tandem.

Le jeune designer reconnaissaitlui­même pouvoir allier imagi-naire créatif et réalité industrielle,avec un don presque d’ubiquité. « Je tire un réel plaisir lorsque j’ap-proche de la création mentale, c’est-à-dire que j’invente quelque chose, je commence à le formater, le maté-rialiser dans ma tête, mais c’est en-core un objet imaginaire », confiaitCédric Ragot. « Puis, ce que j’aime àla fin, c’est ce sentiment de ne pas avoir trop trahi mon rêve de dé-part… » Allure d’éternel adoles-cent, les cheveux ébouriffés (« coif-fés sur l’oreiller », avouait-il) et cas-que de moto sous le bras, il enchaî-nait les rendez-vous.

A partir de 2013, Cédric Ragots’était lancé dans le dessin de bi­joux pour la jeune galerie pari­sienne MiniMasterpiece en coédi­tion avec Bernard Chauveau Edi­teur. En 2014, il remportait un BestDesign FiFi Award pour le flacon de parfum Invictus de Paco Ra­banne, qu’il avait créé en forme de trophée sportif. Cette récompense s’ajoute à bien d’autres : un Good Design Award en 2007 pour le vaseFast avec Rosenthal ; un WallpaperDesign Award en 2008 pour les guéridons Majordome avec Roche Bobois, un Reddot Design Award en 2009 pour un câble USB plat, lesLacie Flat Cables, et un Reddot De­sign Award en 2012 pour le 3Mix 5000 Mixer, robot emblématique de la marque Krups.

Les obsèques de Cédric Ragot,marié et père d’une petite fille de7 ans, ont eu lieu vendredi 27 mars,au cimetière du Père­Lachaise, dans l’intimité. p

véronique lorelle

1ER JUIN 1973 Naissance à Dieppe (Seine-Maritime)2005 Début de collaboration avec Roche Bobois2014 Best Design FiFi Award pour le flacon de parfum Invictus de Paco Rabanne23 MARS 2015 Mort à Paris

En 2011. TRISTAN EVERHARD

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Georges BAGUET,ancien reporter pigiste,

nous a quittés le 29 mars 2015,dans sa quatre-vingt-quatorzième année.

Les obsèques au ron t l i eu aucrématorium de Lyon, 228, avenueBerthelot, le 7 avril, à 14 heures.

De la part de

Marie-Gabrielle Guérard,sa compagne

Robert Baguet,son frère

Et tous ses neveux et nièces.

Ni leurs ni couronnes.

Éventuellement dons au CCFDou à l’ACPPA.

Marie-Gabrielle Guérard,36, rue Raulin,69007 [email protected]

Marie-José Barcet Matheron,Mélanie et Tarik Tifour,Nicolas Barcet,Marie-Christine Boiteux,Gabrielle, Lola, Stella, Lucas et Léo,Les familles Ackoun, Bensaïd,

Matheron, Cherki et Sakoun,

vous informent du passage sur l’autre rivede

Louis BARCET,

le 28 mars 2015.

La crémation aura lieu le jeudi 2 avril,à 15 h 30, en la coupole du cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e.

L’inhumation aura lieu le lendemainà 15 heures, au cimetière du Montparnasse,Paris 14e.

Ni fleurs ni couronnes. Si vousle souhaitez, apportez au Père-Lachaiseun petit mot ou une photo qui pourrontaccompagner Louis.

Gémissons, Gémissons, Espérons !

Les familles Cadier, Heu et Méjean

ont la tristesse d’annoncer le décèsde leur très chère

Idelette CADIER,

survenu le 18 mars 2015,dans sa quatre-vingt-huitième année.

Elle repose dans son village d’Osse-en-Aspe (Pyrénées-Atlantiques).

[email protected]

Laurence,sa ille,

César, Rose et Lucie,ses petits-enfants,

George,son gendre

Et ses amis,ont la profonde douleur de faire partde la mort de

Maine DURIEU,survenue le 30 mars 2015.

La cérémonie religieuse aura lieuen l’église Saint-Roch, 296, rue Saint-Honoré, Paris 1er, le vendredi 3 avril,à 10 h 30.

Cet avis tient lieu de faire-part.5, rue d’Argout,75002 Paris.

M. et Mme Guillaume des Forêtset leurs enfantsont la douleur de faire part de la disparitionde

Mme Louis-René des FORÊTS,née Janine CARRÉ,

survenue à Paris, le 29 mars 2015.Les obsèques auront lieu dans l’intimité

familiale, au cimetière de Neuilly(Eure).

Tous ceux qui l’ont connue, aiméeet admirée apprendront avec tristesse que

Alice GARTNER,née LEENHARDT

nous a quittés le 27 mars 2015,à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

De la part deThierry et Marie-Noëlle Gartner,Renaud et Dominique (†) Gartner,Corine et Vincent Bouton,Sylvie et Bruno Brau,Agnès et Daniel Nicoloso,

ses enfants et leurs époux,Cécile et Jérôme, Marion et Thomas,

Lucie et Florian,Tiphaine et Johan, Yann et Mélanie,

Isabelle, Sandrine,Anaïs, Eloïse, Basile,Noémie,

ses petits-enfants,Léonie, Clémence, Nathan, Manon,

Dalva, Meije,ses arrière-petits-enfants.

Elle a rejoint son époux,Jean-Eugène GARTNER,

décédé le 4 mars 2014.L’ensevelissement a eu lieu dans

l’intimité familiale.« Je quitte ceux que j’aime

pour rejoindreceux que j’ai tant aimés. »

Famille Gartner,Fonfrège,34980 Saint-Clément-de-Riviè[email protected]

Fontenay-lès-Briis.Les quatre associés fondateurs

d’Ither-Consultont la tristesse de faire part du décès de

M. Guy GAUTHERIN,président fondateur d’Ither-Consult,

survenu le 26 mars 2015, à Paris.

Paris.La Conférence des directeurs des écoles

françaises d’ingénieurs (CDEFI)a la tristesse d’annoncer le décès de

M. Guy GAUTHERIN,ancien président de la CDEFI,

ancien directeur généralde l’ENSAM,

ingénieur diplômé des Arts et Métierset docteur d’Etat en électronique,

oficier de l’ordre national du Mérite,chevalier de la Légion d’honneur,

survenu le jeudi 26 mars 2015, à Paris,à l’âge de soixante-dix-sept ans.

La cérémonie des obsèques de M. GuyGautherin aura lieu ce mercredi 1er avril,à 14 h 30, en l’église de Fontenay-lès Briis(Essonne).

Mme Philippe Guyot,née Hélène Triniac,son épouse,

Matthieu et Justine Guyot,Emmanuel et Delphine Guyot,

ses enfants,Pierre et Louise,

ses petits-enfants,ont la tristesse de faire part du décès de

Philippe GUYOT,ancien conseiller

du commerce extérieur de la France,

survenu le 30 mars 2015,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

La cérémonie religieuse aura lieule jeudi 2 avril, à 10 h 30, en l’égliseSaint-Germain-des-Prés, Paris 6e, suiviede l’inhumation au cimetière d’Auteuil,Paris 16e.

Sa famillenous prie d’annoncer le décès, le jeudi26 mars, à l’âge de quatre-vingt-un ans,de

Raymond LOUBIGNAC.Les obsèques auront lieu le jeudi 2 avril

à 11 h 30, au crématorium du cimetièredu Pére-Lachaise, Paris 20e.

1, rue Léon Fontaine,95210 Saint-Gratien.

Ses nombreux amisont la très grande tristesse de faire partde la mort de

Georges ORSET,IDHEC 1960,cameraman,

ami incomparable,survenue le 27 mars 2015.

Les obsèques auront lieu ce mercredi1er avril, à 16 heures, au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,métro Gambetta.

Robin et Eric Pellaton,ses enfants,

Danièle Champyet Catherine Brewster,ses sœurs,

Sa familleEt ses proches,

ont la douleur de faire part du décès deMme Lucile POMMERAIS,retraitée de l’Education nationale,

survenu le 18 mars 2015, à Montpellier,à l’âge de soixante-quatorze ans.

Conformément à sa volonté, son corpsa été remis à la science.

Un dern ie r hommage lu i seraultérieurement rendu, au cimetièreprotestant de Montpellier.

Robin et Eric Pellaton,114, rue du Comte des Permissions,01220 Divonne-les-Bains.

Cécile de Recondo,son épouse,

Léonor de Recondo et Cyril Auvity,sa ille et son gendre,

Hector,son petit-ils,ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Félix de RECONDO,peintre et sculpteur,

survenu le 25 mars 2015.Les obsèques seront célébrées

le vendredi 3 avril , à 16 heures,au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Françoise Roche,son épouse,

Ses enfants,Ses petits-enfantsEt toute sa famille

ont la tristesse de faire part du décès deJean-Max ROCHE,

survenu le 22 mars 20157, allée des Bleuets,91390 Morsang-sur-Orge,[email protected]

Marcel Salomon,son époux,

Eric Salomon,son ils,

Joëlle Salomon Cavin et Lionel Cavin,sa ille et son gendre,

Jacqueline Dam,sa sœur,

Hélène, Yann, Cyril et Simon,ses petits-enfants

Et toute la famille,ont la tristesse d’annoncer le décès de

Huguette SALOMON,née BLOCH,

juriste,survenu le 28 mars 2015,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Les obsèques auront lieu ce mercredi1er avril, à 14 h 45, au cimetière parisiende Bagneux (Hauts-de-Seine), 45, avenueMarx Dormoy.

Ni leurs ni couronnes.104, rue du Théâtre,75015 Paris.

Son époux,Ses enfants,Sa petite-ille,Ses frères et sœurs,

ont la tristesse de faire part du décès de

Michelle VALETTE,née PAILLE.

Les obsèques ont été célébréesle mercredi 1er avril, à 9 h 30, en l’égliseNotre-Dame du Point-du-Jour, Lyon 5e.

Anniversaire de décès

CatherineGENTHON PAILLIART

nous quittait le 2 avril 2010.

Elle est présente dans le cœuret les pensées de sa famille, chaque jour.

Merci à celles et à ceux qui l’ontconnue, aimée et soignée.

Souvenir

Cérémonie de décès.

Les cendres de

Lucie « Toustoune »DREYFUS-MORIZET,

(1922 - 2014),

seront inhumées selon sa volonté,dans la tombe de son père,

André MORIZET,

au cimetière de Passy, 1, rue duCommandant-Schoesing, Paris 16 e,le jeudi 9 avril 2015, à 14 heures.

Rendez-vous à l’entrée du cimetière.

Une collation est prévue après lacérémonie.

Daniel Dreyfus,Place du Calvaire,30630 Montclus.

Cours

Cours publicsd’histoire de l’architecture

• Vivre ensembledans les (grands) paysages patrimoniaux

Présever la diversité,partager l’universel,

jeudi 2 avril 2015, 18 h 30 - 20 h 30,

Isabelle Longuet,directrice de la mission Val-de-Loire,

Xavier Bailly, historien de l’art,administrateur

de l’abbaye du Mont-Saint-Michel.

• Agir solidairementpour le développementPréserver la diversité,partager l’universel

jeudi 9 avril 2015, 18 h 30 - 20 h 30,

Yves Dauge,maire adjoint de Chinon (1989-2005),sénateur d’Indre-et-Loire (2001-2011),

conseiller spécial UNESCOpour la culture, président de l’Associationdes biens français du patrimoine mondial,

Michel Brodovitch,architecte, Inspecteur général

de l’administration de l’Environnementet du Développement Durable,enseignant à l’École de Chaillot.

Tarif 8 € le cours - TR 6 €.Information et programme citechaillot.fr

Cité de l’architecture et du patrimoine,Auditorium,

7, avenue Albert de Mun, Paris 16e

(métro Iéna ou Trocadéro).

Page 28: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

28 |0123 JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

C’est la rengaine lanci-nante des fron-deurs : à quoi sert-ild’avoir un gouver-

nement de gauche s’il doit menerune politique de droite. Nous leurdonnons un conseil : votez à droite, et vous aurez une politi-que de gauche. Ce n’est pas nous qui le disons, mais l’ex-chancelier allemand, le social-démocrateGerhard Schröder, qui se lance dans un éloge paradoxal de sonlointain prédécesseur, Otto von Bismarck.

Dans son bureau, M. Schröderaffiche un superbe portrait du chancelier de fer, né il y a pile deux cents ans, le 1er avril 1815, en Prusse. Bismarck, c’est l’Allemand le plus détesté des Français. C’estlui qui piégea Napoléon III à Sedan en septembre 1870. Il nous infligea l’humiliant traité de Ver-sailles, la perte de l’Alsace et de la Moselle et le traumatisme de la Commune.

Mais oublions nos œillères co-cardières, Bismarck fut un homme de progrès. Pour mieux combattre les sociaux-démocra-tes, qu’il détestait et traitait de rats, il fit adopter leur pro-gramme : assurance-retraite, as-surance-maladie, assurance-inva-lidité, assurance-accident. Pour la classe ouvrière.

Dans un entretien au Spiegel du28 mars, le chancelier Schröder y va de ses louanges : « Bismarck était un bouffeur de social-démo-crate, mais il a agi de manière so-ciale-démocrate. Il fut un très grand de l’histoire allemande. »

Bismarck, homme de gauchemalgré lui ? Son combat contreles sociaux-démocrates les ren-força in fine. Son combat contre les catholiques inféodés à Rome – le Kulturkampf — renforça le particatholique. Et il introduisit, en 1867, le suffrage universel pourles hommes, « le droit de vote leplus moderne d’Europe ». Schröder omet de rappeler qu’il s’agissait de contrer les voix libé-rales de la bourgeoisie des villes avec le vote conservateur des campagnes, et il en conclut :« Cette performance avait quelquechose de social-démocrate. »

Guerre des familles

Autosatisfaction en miroir duchancelier : ce dernier tomba en 2005, lâché par ses « fron-deurs », Verts et sociaux-démo-crates, alors qu’il cherchait à sau-ver le modèle social allemand enle modernisant. Il y a du Bismarcken Schröder. Il y a du Schröder en Valls, espérons-le.

Poursuivons dans l’art de trans-former le présent à la lecture dupassé. Si Schröder aime Bismarck,c’est aussi parce qu’il mena unepolitique de rapprochement avecle tsar de Russie. Il organisa la ren-contre des trois empereurs en 1873 : le Kaiser allemand, le tsar russe et l’empereur d’Autri-che-Hongrie. Pour éviter des guerres de famille et isoler encoreun peu plus la France. Cette politi-que allait assurer la stabilité enEurope, avant les retournementsd’alliance de la fin du siècle et la catastrophe de 1914.

Le tsar d’aujourd’hui, c’est Pou-tine, et Schröder défend de son mieux son compère russe, qui lui

dénicha un job au conseil de sur-veillance de Gazprom. De vraisamis : Schröder a célébré enavril 2014, à Saint-Pétersbourg, ses 70 ans avec Vladimir. Et Vladi-mir est victime de provocationshumiliantes. Un : la tentatived’élargir l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie en 2009. Deux : le bou-clier antimissiles. « Même les Américains n’ont pas cru leur pro-pre discours, à savoir que ce bou-clier était dirigé contre les Ira-niens », accuse Schröder.

Sacré Schröder ! Il n’est pas leseul à vanter Bismarck. Au centre droit, Peter Altmaier, secrétaire d’Etat à la chancellerie d’Angela Merkel, est un grand incondition-nel. « Bismarck me fascine », a confié ce Sarrois catholique, quipossède des dizaines de livres sur le père de l’Allemagne, ainsi qu’untableau suspendu à côté du por-trait du père de la RFA, Konrad Adenauer. Peter Altmaier pré-voyait d’écrire un livre sur Bis-marck, mais il y a pour l’instant renoncé, de peur de froisser les Français.

Le fer et le sang

Comment expliquer cette fasci-nation ? Certes, les Allemands re-connaissent les fautes de Bis-marck : l’annexion de l’Alsace-Moselle, la persécution des Polo-nais et l’expansion coloniale et maritime qui allaient conduire à 1914. Mais ils ont très envied’oublier l’ultraconservateur qui proclamait : « Ce n’est pas par desdiscours et des décisions à la majo-rité que se décideront les grandes questions de notre temps, mais par le fer et le sang. » Ils préfèrent l’homme de l’équilibre, qui re-nonça à toute conquête territo-riale une fois la France matée. Ils veulent se rappeler l’émergence de l’Allemagne et de son génie scientifique et industriel.

Cette nostalgie se reflète dans uncommentaire de Josef Joffe, édi-teur de l’hebdomadaire Die Zeit. Il déplore un bicentenaire trop dis-cret. Quelle timidité en comparai-son des honneurs rendus à Abra-ham Lincoln. L’ancien président américain est « responsable d’une cruelle guerre civile qui a coûté quinze fois plus de morts que la guerre de 1870-1871 contre la France », écrit Joffe, avant de préci-ser : « côté allemand ».

Fondamentalement, les Alle-mands veulent croire que leur na-tionalisme aurait pu s’arrêter avec Bismarck et qu’il n’était pas voué à dégénérer avec Adolf Hitler. On a donc trouvé un coupable. C’est l’empereur Guillaume II, qui chassa Bismarck du pouvoir en 1890 et dénonça l’alliance avec la Russie.

Surtout, éternel miroir du passé,les Allemands veulent se rassurer sur leur domination actuelle de l’Europe, croire que leur hégémo-nie de fait est bienveillante. Comme l’est leur relecture de l’hé-ritage de Bismarck.

Cette chronique est dédiée à Ar-naud Montebourg, qui avait dé-clenché un tollé, fin 2011, en dé-nonçant « la politique à la Bis-marck » menée par Angela Merkel.Peut-être n’avait-il pas tort. Mais il s’agissait d’un compliment. p

[email protected]

P endant quatre jours de suspenseélectoral, le Nigeria s’est fait unepeur mortelle. Puis, dans un retour-

nement dont le pays le plus peuplé d’Afri-que a le secret, une élection présidentielle qui menaçait de se terminer en bain de sang s’est conclue pacifiquement. Rien deplus simple, en apparence : un président sortant a été vaincu dans les urnes.

Goodluck Jonathan, au pouvoir depuis2010, a concédé sa défaite et félicité son ri-val, Muhammadu Buhari. Il a engagé ses partisans à utiliser la voie légale pour faire valoir leurs droits, là où cela se justifie, et déclaré : « J’ai promis à ce pays des élections libres et justes. J’ai tenu parole. (…) Aucune ambition personnelle ne vaut le sang d’unNigérian. » Jamais encore un chef d’Etat élu

n’avait consenti à l’alternance dans toutel’histoire du pays.

Nul ne sait trop bien ce que réserve uneprésidence Buhari dans un Nigeria où la viepolitique a rarement été exempte de vio-lences. Mais ce qui primait, ce mardi 31 mars, jour de proclamation des résultats,c’est la série de démonstrations établie par la défaite « héroïque » du sortant, et l’es-poir qu’elle reflète un vrai tournant.

D’abord, Goodluck Jonathan y a lui-même contribué en renforçant la Commis-sion nationale électorale indépendante (INEC), qui a garanti que le processus élec-toral irait jusqu’au bout.

Le président a perdu, mais le Nigeria a ga-gné. La portée des résultats dépasse le fait qu’ils évitent un bain de sang. Cette alter-nance signale aussi la soif qu’ont les Nigé-rians de voir leurs élus enfin rendre descomptes.

Ce qui a été sanctionné, c’est la gabegie, lechômage, les inégalités, les universités en ruine, l’incapacité à lutter contre la secteBoko Haram. Et l’argent fou d’une élite cor-rompue vivant hors sol et ne se déplaçant qu’en jet privé.

Des sommes astronomiques avaient étédistribuées pour tenter d’acheter la vic-toire. Mais on n’achète plus si facilementles électeurs nigérians. On ne les conduit plus en masse vers les urnes par la simplepeur des violences ou la force de leurs ap-

partenances religieuses et ethniques. Ils ont voté avec une patience admirable. Cetteénergie, ce désir de peser dans les choix de la nation donnent aux démocraties fati-guées d’elles-mêmes, ailleurs dans le monde, une leçon d’espérance. Il est im-portant qu’elle vienne d’Afrique et qu’ellene doive rien à personne. Aucune puis-sance étrangère n’a dicté au Nigeria la re-cette de son espoir.

Le pays, en 2014, a arraché à l’Afrique duSud la première place dans le classement des économies africaines. Désormais, si M. Buhari y contribue, il pourrait faire lacourse à un autre niveau : celui du modèle démocratique. On objectera qu’avec 174 millions d’habitants il demeure une économie de rente, en timide voie de diver-sification. Mais ce serait négliger la vitesse de ses transformations, dont certaines sontattribuables à M. Jonathan.

Vus du Nigeria, en cette belle journée derésultats, comme ils paraissaient malhon-nêtes, bornés, égoïstes, ces chefs d’Etat du continent qui s’accrochent au pouvoir etfuient la justice électorale.

Les pays aux élections truquées, aux plé-biscites délirants, aux familles régnantes, aux présidents qui « répondent à l’appel du peuple » pour ne jamais quitter le pouvoir viennent de se faire administrer une leçon par le géant d’Afrique. Pourvu qu’elle soit durable. p

L’ALLEMAND LE PLUS DÉTESTÉ DES

FRANÇAIS ÉTAIT UN HOMME DE

PROGRÈS, SELON M. SCHRÖDER

LA BONNE LEÇON D’UN GÉANT D’AFRIQUE

EUROPE | CHRONIQUE

par arnaud leparmentier

Bismarck, le retour en grâce

LES ALLEMANDS VEULENT SE

RASSURER SUR LEUR DOMINATION

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TÉLÉCOMSCOUP D’ENVOI POUR L’ATTRIBUTION DES « FRÉQUENCES EN OR »→ LIRE PAGE 6

PERTES & PROFITS | DIRECT ÉNERGIE

La ténacité dans le big bang

C’est un pic, c’est un cap, c’est uneétape… Dans la vie des jeunes en-treprises, le franchissement decertains sommets marque de bel-

les conquêtes que les suivantes sont censées rendre dérisoires. Direct Energie, fondée en 2003, va verser cette année le premier divi-dende de son histoire. Oh ! pas grand-chose, 15 centimes d’euro par titre, soit 1,3 % du prix del’action. Mais il y aura un avant et un après.

Le petit concurrent des ex-monopoles fran-çais de l’électricité et du gaz parvient enfin às’extraire de cette sorte de soupe primordiale dont le big bang a tiré son énergie. Certes, EDF etGDF Suez écrasent encore le marché en laissant des miettes aux impétueux intrus. Ils conser-vent quasiment 90 % du marché de l’électricité et du gaz.

Direct Energie ne peut être qu’un nain face àces géants, mais il finit par sortir la tête de l’eau et trouver un courant porteur. Ses ventes, qui ont atteint 810 millions d’euros en 2014, affi-chent une belle croissance de 8,1 % en un an. Mais cela ne représente que 1,1 % du chiffre d’af-faires d’EDF ou de celui de GDF Suez. Qu’im-porte, la dynamique est là.

La société dirigée par Xavier Caitucoli comptedésormais 1,3 million de sites clients, soit 189 000 de plus par rapport à 2013. Surtout, après des années de pertes, l’affaire parvient pour la seconde année consécutive à dégager unbénéfice. Le résultat opérationnel courant passemême de 5,8 millions à 24 millions d’euros en un an.

La machine est désormais lancée. Toute aug-mentation du chiffre d’affaires devrait se tra-duire, au moins pendant une poignée d’années,par une amélioration des marges, et donc une croissance plus forte du bénéfice. Car ses faiblescoûts de structure (le groupe compte environ 800 salariés) lui permettent de poursuivre la conquête de clients sans changer d’échelle.

Ténacité

Les deux principaux actionnaires de Direct Energie, Jacques Veyrat (ancien président du groupe Louis Dreyfus et de Neuf Télécom) et Stéphane Courbit (Banijay Entertainment,BetClic, etc.), ont eu la volonté et la capacité de tenir dans la durée. Il en fallait de la ténacité, car les débuts ont été difficiles pour tout lemonde. Le rachat en 2012 du concurrent Poweo, fondé par Charles Beigbeder, aura été une étape importante pour sortir du marasmeoriginel.

M. Caitucoli, l’un des cofondateurs, fixe denouveaux sommets à conquérir pour 2015. Il annonce vouloir réaliser une croissance de 15 %de son chiffre d’affaires et de 25 % de son résul-tat opérationnel courant. Il sera aidé par l’Auto-rité de la concurrence, qui a sommé, àl’automne 2014, GDF Suez d’ouvrir son fichier clients au gaz (11 millions de personnes) afin que les fournisseurs alternatifs, et au premierchef Direct Energie, puissent lutter à armes égales. Mais la bataille est loin d’être termi-née. p

jean-baptiste jacquin

J CAC 40 | 5 017 PTS – 0,32 %

J DOW JONES | 17 776 PTS – 1,11 %

J EURO-DOLLAR | 1,0750

J PÉTROLE | 54,91 $ LE BARIL

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,48 %

VALEURS AU 01/04 9 H 30

Bercy veut marier Dailymotionà un européen

O range pensait avoir réglél’affaire Dailymotion.L’opérateur devait, en ef-

fet, entrer en négociations exclu-sives avec PCCW, la holding de Ri-chard Li, le fils du célèbre milliar-daire chinois de Hongkong Li Ka-shing, l’un des hommes les plus riches d’Asie, pour la cession de 49 % du capital de la plate-forme. Mais, pour Emmanuel Macron, c’est aller trop vite en besogne.

Selon nos informations, le mi-nistre de l’économie, de l’indus-trie et du numérique a bloqué l’entrée en négociations exclusi-ves de l’ex-monopole d’Etat avecle groupe hongkongais. « Nous avons demandé à Orange de pren-dre en compte les éléments de lasouveraineté numérique euro-péenne », confirme M. Macron.Comprendre : Dailymotion est une « pépite » hexagonale, et il serait préférable que l’opérateur privilégie des partenaires euro-péens, voire français, pour assu-rer son développement.

Du côté d’Orange, dont l’Etatpossède 24,9 %, on précise qu’il n’y a aujourd’hui aucun proces-sus de négociations exclusives lancé avec qui que ce soit, contrai-rement à ce qui avait été évoquéau lendemain du conseil d’admi-nistration de l’opérateur qui a eu lieu le 11 mars.

sarah belouezzane

et cédric pietralunga

→ L IRE L A SUITE PAGE 8

MILLIONS

C'EST LE NOMBRE DE VISITEURS

UNIQUES SUR LA PLATEFORME

DE STREAMING DAILYMOTION.

128

La reprise sans l’emploi

Au Salonde la franchise, à Paris,

en mars 2007.CH. MORIN/IP3 PRESS/MAXPPP

▶ MoryGlobal, AIM, Galeries Lafayette, Vivarte…Les annoncesde suppressionsde postesse multiplient▶ Les économis-tes soulignent le décalage en-tre le frémisse-ment de l’acti-vité et ses effetssur l’emploi▶ Le chômage pénalise la re-prise en Europe→ L IRE PAGES 4-5

O n ne voit pas quelle issue peutavoir cette crise. » Fataliste, ceconstat d’un délégué syndical de

Radio France résume l’étrange atmos-phère qui règne désormais dans l’entre-prise publique, confrontée, mercredi 1er avril, à son quatorzième jour de grève. « C’est la première fois que je vois ça, té-moigne Valeria Emanuele, déléguée na-tionale (SNJ) de Radio France. Ce conflit agrège une somme de revendications qui,

au final, témoignent surtout d’une énorme inquiétude. Et plus les jours passent, plus les gens sont inquiets. »

Les négociations sociales sont dans l’im-passe. La direction a proposé, lundi 30 mars, un protocole d’accord, qui ré-pond à certaines revendications des syn-dicats mobilisés (abandon du change-ment d’affectation de certains métiers, engagement à la concertation, limitation des mutualisations de programmes dans

le réseau France Bleu…), mais que ceux-ci jugent insuffisant. « On est allé au bout », lâche un membre de la direction, sou-cieux de ne pas renoncer à toute volonté réformatrice, moins d’un an après le dé-but du mandat de Mathieu Gallet.

Une ligne qui exaspère les délégués syn-dicaux. Ceux-ci dénoncent une « mise en question globale du modèle de radio de service publique » et attendent des enga-gements forts de la direction ou du gou-

vernement pour préserver les emplois et maintenir les chaînes actuelles et les qua-tre formations musicales. Certains espè-rent aussi que le gouvernement finira par accorder à l’entreprise une rallonge finan-cière, pour soulager une trésorerie épui-sée par les dépenses du chantier de réha-bilitation de la Maison de la radio.

alexis delcambre

et alexandre piquard

→ LIRE L A SUITE PAGE 8

Radio France : Mathieu Gallet a remis son projet stratégiqueLa grève qui paralyse les antennes du groupe public est entrée, mercredi 1er avril, dans son quatorzième jour

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Page 30: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

2 | plein cadre JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

« LES CONTRATS DITS “DE PERFORMANCE”

CONTRIBUENT À LA MAÎTRISE DES

BUDGETS ET SONT

UNE ALTERNATIVE

AU RATIONNEMENT

DE L’ACCÈS

AUX TRAITEMENTS

ONÉREUX »FRANCIS MEGERLIN

professeur à l’université

Paris-Descartes

Des médicaments « satisfaitou remboursé » ? L’idéepeut paraître farfelue, maiselle fait son chemin, alorsque le prix des nouvellesmolécules s’envole. Le labo-

ratoire suisse Roche, leader dans le domaine du cancer, présente jeudi 2 avril un pro-gramme de suivi de patients qui va dans ce sens. Son compatriote Novartis, numéro unmondial du secteur pharmaceutique, assure qu’à l’avenir, les laboratoires seront payés au résultat et non plus au comprimé. Et ce prin-cipe s’applique déjà depuis 2014 au Sovaldi, dont le prix – environ 41 000 euros par pa-tient – menaçait les comptes de la Sécurité so-ciale. Son fabricant Gilead devra rembourser une bonne partie de cette somme en cas d’échec de son traitement contre l’hépatite C.

Ces contrats dits « de performance » sontun outil précieux pour le Comité économiquedes produits de santé (CEPS), l’instance qui, enFrance, négocie le prix des médicaments avec les labos. « Ils contribuent à la maîtrise des budgets et sont une alternative au rationne-ment de l’accès aux traitements onéreux », souligne Francis Megerlin, professeur d’éco-nomie de la santé à l’université Paris-Descar-tes. Cette approche suppose une évaluation « en vie réelle » de l’efficacité des médica-ments, qui peut-être différente de celle obser-vée lors des essais cliniques.

REGISTRE DE SUIVI EN TEMPS

Celgene est l’un des premiers à s’être lancé dans l’aventure. Cette biotech américaine commercialise l’Imnovid, un traitement con-tre des cancers rares du sang. Le CEPS lui a ac-cordé un prix élevé : 8 900 euros par cycle (lespatients en enchaînent cinq à six). En contre-partie, en août 2014, le laboratoire s’est engagéà rembourser l’Assurance-maladie en casd’échec du traitement.

Pour l’apprécier, les deux parties se sont en-tendues sur des critères. Et sur le terrain, le la-boratoire a mis en place un registre qui per-met de suivre en temps réel le patient. Au dé-but et à l’arrêt du traitement, ainsi qu’à cha-que consultation, le médecin doit renseigner une fiche. Les données sont anonymisées, puis transmises à un prestataire de Celgene qui se charge de leur analyse statistique. Près de 1 000 patients, sur les 2 000 potentielle-ment concernés, sont déjà inscrits dans ce re-

gistre. A la fin de l’année, le nombre de « non-répondeurs » déterminera le montant du chèque à signer par Celgene.

« Le caractère exhaustif de ce registre est uni-que », se félicite Franck Auvray, qui dirige la fi-liale française de Celgene. « Le fait de travaillersur des données en vie réelle facilite le dialogueavec les autorités, et cela nous permet aussi de conforter les données recueillies lors des essais cliniques. » La biotech envisage d’étendre ce dispositif à d’autres molécules de son porte-feuille, comme le Revlimid, un anticancéreux vendu entre 155 et 190 euros la gélule selon le dosage. De son côté, Roche s’est engagé à sui-vre en vie réelle l’ensemble des femmes trai-tées avec son Herceptin. Cet anticancéreux in-diqué dans certains cancers du sein a coûté en 2012 près de 270 millions à l’Assurance-ma-ladie. Le laboratoire espère, dans un premier temps, recueillir les données sur l’utilisation actuelle (en phase pilote) de l’Herceptin (indi-cation, dosage, durée) et, dans un second temps, sur son efficacité. A terme, il espère trouver une formule pour lier le prix de l’Her-ceptin à ces résultats.

« Le principe du prix au milligramme ne fonc-tionne plus », estime Corinne Le Goff, prési-dente de la filiale française de Roche. « Nos médicaments ont un impact différent selon les cancers et les patients auxquels ils sont pres-crits. Le prix doit refléter ces différences de per-formances », précise-t-elle, en citant l’exem-ple de son Avastin, l’anticancéreux le plus vendu en France. Efficace dans le cancer colo-rectal, il l’est un peu moins dans le cancer du poumon et présente un intérêt mineur dans le cancer du sein. Pourtant, son prix est le même, un peu moins de 1 000 euros la dose !

Ces outils sophistiqués aident aussi les mé-

tes : l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Elle s’échelonne de I (progrès majeur) à V (absence de progrès thérapeutique) et con-ditionne en partie le prix du médicament. En 2013, 90 % des médicaments examinés parla HAS ont obtenu un V et seulement 5 % une ASMR de I, II ou I.

Les laboratoires qui contestent leur notepeuvent s’appuyer sur des études en vie réellepour renégocier avec les autorités. L’un des premiers contrats de ce type a été signé par le CEPS en 2005 avec Johnson & Johnson. La HAS avait accordé un IV à son Risperdal, un traitement contre la schizophrénie. « Nous lui avons accordé le bénéfice du doute et l’avons mis au défi d’obtenir une ASMR III dans un dé-lai de trois ans, faute de quoi le prix du Risper-dal serait baissé et la différence remboursée à l’Assurance-maladie », indique Dominique Giorgi. Johnson & Johnson n’a pas réussi à convaincre la HAS de réviser son jugement malgré des études complémentaires et a dû rétrocéder environ un tiers de son chiffre d’af-faires à l’Assurance-maladie.

Tous ces mécanismes reviennent, in fine, àabaisser le coût moyen du médicament. Alorspourquoi ne pas tout simplement négocier avec le CEPS une remise sur le prix initial ? « Le principe du “satisfait ou remboursé” est moins arbitraire : nous sommes payés pour la valeur que nous apportons, estime M. Joubert.Nous espérons aussi que les médecins seront sensibles à cette démarche lorsqu’ils auront le choix entre plusieurs médicaments. » Autre avantage : en continuant à afficher un prix « catalogue » élevé en France, les laboratoires sont en meilleure position pour négocier avecles autorités dans les pays voisins.

« Tous les laboratoires ne sont pas favorablesau “satisfait ou remboursé” », reconnaît M. Giorgi, citant l’exemple d’une biotech s’ap-prêtant à lancer un médicament destiné à traiter une maladie respiratoire rare. « En échange du prix élevé qu’elle demandait, nous souhaitions qu’elle s’engage sur le maintien d’une certaine capacité respiratoire chez les pa-tients traités, raconte-t-il. Elle a refusé en avan-çant que ce critère était trop aléatoire. Noussommes donc revenus à une négociation plusclassique. »

Pour réduire la facture de l’Assurance-mala-die, le CEPS négocie depuis longtemps des ris-tournes, principalement liées au volume de prescription. Le comité peut aussi décider de plafonner le chiffre d’affaires d’un laboratoire et le contraindre à rembourser tout ce qu’il a gagné au-delà d’un certain seuil. Ces disposi-tifs ont été appliqués dès 2014 au Sovaldi et aux autres traitements de l’hépatite C en com-plément de l’application du principe « satis-fait ou remboursé ». Résultat : la facture pour l’Etat est passée de 1,2 milliard à 650 millions d’euros. Il ne reste plus que quelques jours au laboratoire Gilead pour remettre son chèque à l’Assurance-maladie. p

chloé hecketsweiler

decins. « Nous sommes très désireux d’avoir des bases de données fiables, exhaustives et prospectives afin d’affiner la prise en charge des patientes », souligne le docteur Luis Teixeira, qui exerce au Centre des maladies dusein de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, où 1 000 femmes sont traitées chaque année. Depuis quelques années, les praticiens utilisent des logiciels pour mieux suivre les malades, mais il n’existe pas encore de registre national re-censant tous les patients comme cela existe, par exemple, en Italie.

« CRITÈRE SIMPLE »Pour les médicaments plus courants, d’autres options, moins complexes et moins coûteu-ses, existent. Le belge UCB, qui a accepté de prendre en charge le coût de son Cimzia pour les personnes atteintes de polyarthrite rhu-matoïde dont l’état ne s’améliorerait pas au bout de trois mois, se fie aux bases de don-nées de l’Assurance-maladie, qui recensent lesinterruptions de traitement. « Nous avons choisi ce critère simple, car un suivi en vie réelleaurait été trop contraignant pour les médecins,voire dissuasif, alors qu’il existe d’autres op-tions thérapeutiques », explique Jean-Michel Joubert, directeur des affaires gouvernemen-tales chez UCB.

En 2013 et 2014, le laboratoire a ainsi rem-boursé à l’Assurance-maladies les sommes dé-boursées pour le traitement des patients qui n’ont, in fine, pas répondu au Cimzia. Ce mon-tant est confidentiel, « mais il est non négli-geable », selon M. Joubert. En contrepartie, UCB a pu négocier pour son médicament un prix à peine moins élevé que celui obtenu par ses concurrents – 9 900 euros par an – alors qu’il ne s’est pas montré plus efficace et qu’il est arrivé plus tard sur le marché.

La France n’est pas la seule à s’être convertieà ce principe. En Allemagne, Novartis a concluun accord similaire avec les autorités pour sonAclasta, un traitement contre l’ostéoporose : en cas de fracture chez un patient, le labora-toire rembourse le médicament. Et au Royau-me-Uni, Johnson & Johnson a accepté un dealcomparable pour son anticancéreux Velcade.

Quand il est trop compliqué d’obtenir un ré-sultat patient par patient, la performance peut être évaluée grâce aux « notes » attri-buées par la Haute Autorité de santé (HAS) et, en particulier, celle qui reflète l’apport du mé-dicament par rapport aux thérapies existan-

Site de production du Herceptin, le médicament contre le cancer du sein du suisse Roche, à Bâle. S. ELLERINGMANN/STERN-LAIF-REA

Les labos se mettent au « satisfait ou remboursé »

Le suisse Roche présente, jeudi, un programme de suivi des patientes atteintes d’un cancer du sein et soignées avec son Herceptin. A terme, il souhaite lier le prix du médicament à son efficacité

Page 31: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 économie & entreprise | 3

Les défis qui attendent Olivier Brandicourtà la tête de Sanofi Le nouveau patron du laboratoire français devra réussir le lancement de « gros médicaments »

Jour J pour le nouveau patronde Sanofi. Nommé mi-fé-vrier, le Français OlivierBrandicourt prend, jeudi2 avril, possession de son bu-

reau au siège du groupe pharma-ceutique français, rue La Boétie.Son arrivée aux commandes met fin à un intérim de plus de cinq mois : depuis le débarquement surprise de son prédécesseur, Chris Viehbacher, le poste étaitoccupé par Serge Weinberg, le président du conseil d’adminis-tration.

Après une longue carrière chezl’américain Pfizer et un inter-mède chez l’allemand Bayer,M. Brandicourt passe un cap en devenant directeur général de Sa-nofi, numéro trois mondial dusecteur et première capitalisation

boursière française (122 milliards d’euros) devant Total.

Contrairement à M. Viehbacheren 2008, il hérite d’un groupe enordre de marche. Historiquementancré dans la chimie, Sanofi est devenu grâce à l’acquisition del’américain Genzyme en 2011 un des géants des biotechnologies.Ses médicaments – fabriqués dans des « cellules-usines » – réa-lisent déjà presque 10 % des ven-tes de la division pharmacie du la-boratoire (27,7 milliards d’euros en 2014).

Pour pallier la faiblesse de son« pipeline » (portefeuille de médi-caments en développement) etamortir le choc lié à la « falaise des brevets » (la chute du chiffre d’affaires liée à l’arrivée de copies bon marché des molécules tom-bées dans le domaine public), Sa-nofi s’est par ailleurs allié avec plusieurs « biotechs » aux médi-caments très prometteurs. Grâceà ces partenariats, il pourrait lan-cer jusqu’à 18 médicaments d’ici 2020, une cadence ambitieuse dans un secteur où il s’écoule sou-vent une décennie entre les pre-miers essais et la commercialisa-tion.

« Redorer son blason »Fin février, le groupe a déjà ob-tenu le feu vert de l’agence améri-caine du médicament (FDA) pour lancer son Toujeo. Cette insuline, lancée lundi 30 mars aux Etats-Unis, doit « limiter la casse » pour le groupe alors que son insuline star, le Lantus, vient de perdre sonbrevet. Avec 6,4 milliards d’eurosde chiffre d’affaires en 2014, elle représente près du quart des ven-tes du groupe. Au mois d’octobre, M. Viehbacher avait affolé les marchés en révélant des prévi-sions décevantes pour cette acti-vité. Au creux de la vague, l’actionavait plongé à 71 euros, avant de

rebondir à plus de 90 euros suiteaux annonces rassurantes deM. Weinberg.

Mais cette confiance reste fra-gile. « Il n’y pas de groupe où tout va toujours bien, mais les investis-seurs n’aiment pas se faire sur-prendre », indique Philippe La-none, analyste chez Natixis, en rappelant qu’en 2013 déjà, M. Vie-hbacher avait pris tout le monde de court en révélant les difficultésde la filiale brésilienne. « Sanofidoit désormais redorer son bla-son », estime l’analyste. PourM. Brandicourt, le principal défisera donc de tenir ses promesses, et de réussir les grands lance-ments dont celui du vaccin contrela dengue et celui du Praluent, un anticholestérol de nouvelle géné-ration.

Le nouveau patron devra aussiclarifier la stratégie du groupe, présent dans un nombre record d’aires thérapeutiques (diabète, cancer, vaccins, maladies rares, gé-nériques, automédication, médi-caments vétérinaires…). « Cette dispersion peut être risquée face à des concurrents de plus en plus spé-cialisés », souligne Patrick Bieche-ler de la société de conseil Roland Berger. Sur le terrain de l’oncolo-gie, par exemple, Sanofi est à la peine face à des groupes très spé-cialisés comme Roche ou Celgene. Depuis la chute du brevet de son anticancéreux phare, le Taxotere (2 milliards d’euros en 2010), la di-vision patine avec moins d’1,5 mil-liard d’euros de ventes.

Conscients de cet écueil, le bri-tannique GSK et le suisse Novartis ont choisi d’échanger certains de leurs actifs et de créer une joint-venture dans le domaine de la santé grand public. « Cela permet de diviser par deux les investisse-ments et d’optimiser les ventes. Un bon calcul », commente M. Bie-cheler. De quoi inspirer Sanofi ?

Autre chantier pour M. Brandi-court : adapter son business mo-del aux nouveaux enjeux du sec-teur. Sanofi, comme d’autres la-boratoires, cherche à aller au-delà du médicament en développant une gamme de services pour le patient et le médecin. Le labora-toire a déjà lancé des applications et des objets connectés pour aiderles personnes diabétiques àmieux gérer leur maladie. Il s’est aussi doté il y a un an d’un Chief

Patient Officer, l’Américaine AnneBeal, chargée de faire des patients des « partenaires » et de prouver aux autorités la véritable « va-leur » apportée par Sanofi. Unpoint clé face à des payeurs de plus en plus regardants sur le prixdes médicaments.

Dernier dossier à traiter par lenouveau patron : la recherche. « De nombreux lancements sontprévus au cours des trois prochai-nes années, mais le pipeline amontdoit encore être renforcé », juge M. Lanone. « Des relais doivent en particulier être trouvés pour assu-rer la croissance à long terme des ventes de la division diabète », pré-cise l’analyste. Sur ce terrain, Sa-nofi est concurrencé par l’améri-cain Lilly, et surtout le danois Novo Nordisk, numéro un mon-dial des antidiabétiques.

Pour combler ses lacunes, legroupe pharmaceutique français ne juge « pas indispensables » des acquisitions, selon les mots de Serge Weinberg. Il pourrait plus simplement conclure de nou-veaux accords avec des biotechs, une stratégie devenue monnaie courante dans le secteur. Un quartdes molécules de son pipeline provient déjà de l’extérieur. Le modèle ? Son alliance avec Rege-neron. Cette biotech américaineest à l’origine du Praluent, maisaussi du sarilumab (polyarthriterhumatoïde) et du dupilumab (asthme et dermatite atopique), des molécules très prometteuses. En 2014, Sanofi a financé à hau-teur d’un milliard de dollars sesrecherches, soit près de 20 % deson budget annuel de R&D. p

chloé hecketsweiler

Transdev « va desservir une quarantaine de villes par autocar »Jean-Marc Janaillac, PDG du groupe de transports, annonce des résultats en hausse

ENTRETIEN

L e groupe de transportTransdev, qui publie ses ré-sultats mercredi 1er avril, se

désendette à marche forcée et veut repartir à la conquête. Jean-Marc Janaillac, son PDG, évoque leredressement de l’entreprise ainsique la loi Macron.

Deux ans après votre arrivée à la tête de Transdev, où en est le groupe ?

Transdev est sur une très bonnedynamique. Nous avons atteint nos objectifs financiers avec un and’avance. Tout en stabilisant le chiffre d’affaires du groupe à 6,6 milliards d’euros, notre niveaude 2012, notre résultat opération-nel a doublé en deux ans, à 107 millions d’euros.

Notre dette a par ailleurs été di-visée par deux, en deux ans, à 859 millions d’euros, grâce à l’aug-mentation de capital de nos deux actionnaires, la Caisse des dépôtset consignations et Veolia, mais aussi à l’amélioration de nos per-formances opérationnelles et de la remise en ordre de nos actifs. Nous en avons fini avec les ces-sions et nous avons décidé de con-

server nos activités en Suède et enAllemagne.

La perte du contrat de trains de banlieue de Boston au bénéfice de Keolis (groupe SNCF) vous a-t-elle porté préjudice ?

Nous avons compensé en partiecette perte par de nouveaux gainspour un montant de 900 millionsde dollars (835 millions d’euros) aux Etats-Unis. L’Amérique du Nord, 16 % de notre activité mon-diale, est une zone importante où nous avons étrenné de nouveaux outils de gestion, qui ont permisd’y améliorer nos marges. Noussommes en train de déployer ces outils en Europe, où l’on réalise 75 % de notre activité. Ce qui mefait dire que nos résultats finan-ciers devraient encore s’amélioreren 2015 et 2016.

Repartez-vous à l’offensive ?Dans le transport urbain et dans

le ferroviaire, nous allons répon-dre à de nombreux appels d’offres afin d’assurer la croissance du groupe. La grande offensive sera dans le transport à la demande (VTC, navettes d’aéroports…), où nous allons lancer des offres inédi-tes à l’été.

Ne regrettez-vous pas d’avoir forcé le processus de redresse-ment judiciaire de la SNCM ?

Pas du tout. La SNCM est structu-rellement déficitaire et ne pouvaitplus financer son exploitation. Les offres de reprise prévoient toutes une réduction importante des effectifs et du périmètre de l’entreprise. De plus, si l’on n’avait rien fait, la Commission euro-péenne aurait accentué la pres-sion sur le groupe pour récupérer les aides publiques indues, soit quelque 600 millions d’euros, in-térêts compris, forçant sa liquida-tion. Cela aurait également mis enpéril Transdev, alors que ses sala-riés ont beaucoup travaillé pour son redressement financier. Aujourd’hui, la SNCM peut encore être reprise. C’est positif.

La loi Macron doit libéraliser les transports longue distance par autocar. Etes-vous prêt ?

Au 1er juillet, nous serons prêts àoffrir la desserte d’une quaran-taine de villes en utilisant les cars actuels de nos filiales. Al’automne, de nouveaux cars se-ront livrés. Notre ambition est de conserver notre place de leader enfaisant dans un premier temps

aussi bien que notre filiale Euroli-nes, qui transporte déjà, sur les seuls trajets français, 100 000 per-sonnes par an.

Cette loi est-elle suffisante à vos yeux ?

Si je prends ma casquette de chefd’entreprise de transport, je re-grette l’absence d’une ouverture de la concurrence sur les lignes fer-roviaires, que ce soient les lignes intercités ou les réseaux régio-naux. Nous y étions prêts. En tant que chef d’entreprise, toutes les mesures qui peuvent simplifier la vie des entreprises sont bonnes à prendre.

Emmanuel Macron aurait-il dû aller plus loin ?

La France est face à un choix :continuer à réformer ou régresser.

En matière de fiscalité, je pense que l’on pourrait simplifier et ren-dre plus cohérentes les taxes. C’estun maquis. En témoigne la feuille de paie extrêmement touffue. Dans les autres pays où nous opé-rons, nous ne faisons pas face à la même complexité… En matière sociale, je suis également favora-ble à une simplification de la gou-vernance. Le système français aime les réunions très formelles dans une multiplicité d’instances. Sans le sacraliser, le système alle-mand reste plus efficace grâce à des instances plus resserrées. Et puis, pourquoi ne pas organiser les négociations salariales annuel-les sur des cycles de trois ans, au lieu de le faire tous les ans, au ris-que de crisper l’entreprise à l’ap-proche de chaque négociation…

Faut-il remettre en cause les 35 heures ?

Je ne suis pas certain que cela soitprioritaire. Les grands groupes, comme le nôtre, se sont organisés.Dans le transport public, nous avons d’autres marges de manœuvre sur lesquelles tra-vailler pour augmenter la produc-tivité : réduire le taux d’absen-téisme de nos agents. Dans les ré-

seaux, ce taux dépasse 7 %. C’est 15 jours de travail perdus par an.

Le plafonnement des salaires, à hauteur de 450 000 euros par an, des dirigeants de groupe public vous pose-t-il pro-blème ?

Dans tous les pays, les dirigeantsde groupes publics sont moinsbien payés que leurs homologues de groupes privés. En France, ceplafond a été imposé en période d’austérité, alors que de nom-breux sacrifices étaient deman-dés à nos concitoyens. Et je lecomprends. Dans le transport, je pense que ce niveau de salairen’est pas un problème. Dans d’autres secteurs, cela peut en re-vanche en être un pour attirer cer-tains talents.

Votre nom est d’ailleurs régu-lièrement cité pour Air France, la SNCF, désormais la RATP…

Je suis certes flatté, mais je n’aiaucune intention de quitter Transdev et je n’ai d’ailleurs pasdonné suite à une offre à l’étran-ger, même si elle m’aurait permis de tripler mon salaire. p

philippe jacqué

et cédric pietralunga

« Je regrette l’absence d’uneouverture de la

concurrence surles lignes

ferroviaires »

CELINE CLANET/SANOFI

Le groupe pourrait lancer

jusqu’à18 médicaments

d’ici 2020

LES CHIFFRES

33,7 MILLIARDS D’EUROSC’est le chiffre d’affaires réalisé en 2014 par Sanofi, dont 27,7 milliards avec les médica-ments, 3,9 milliards avec les vac-cins et 2 milliards avec les pro-duits vétérinaires.

6,3 MILLIARDS D’EUROSC’est le montant des ventes du Lantus en 2014. Cette insuline est la première marque mon-diale dans le diabète.

4,8 MILLIARDS D’EUROSC’est la somme dépensée par le groupe en R&D en 2014.

Page 32: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

4 | économie & entreprise JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Une reprise trop fragile pour sauver l’emploiSi l’économie continue de détruire des postes, M. Macron « veut recréer des forces productrices »

Les bulletins de vote n’ontpas encore refroidi que laliste noire recommence às’allonger. Quarante-huit

heures après le second tour desélections départementales, le tri-bunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a prononcé, mardi 31 mars, la mise en liquida-tion du transporteur MoryGlobal (ex-Mory Ducros). A la clé, la sup-pression de 2 150 emplois, alors que 2 800 avaient déjà été rayés de la carte lors de la précédentetentative de relance, en 2014.

A Coutances (Manche), le tribu-nal de commerce a approuvé, mardi, les projets de reprise desdeux sites des Abattoirs indus-triels de la Manche (AIM). Mais le projet laisse 314 salariés (sur 590)sur le carreau. Ce même jour, les Galeries Lafayette ont confirmé lafermeture, d’ici à fin 2015, des ma-gasins de Béziers et de Thiais (Val-de-Marne), qui comptent près de 200 salariés et une centaine de dé-monstrateurs (salariés des mar-ques). Celui de Lille est en sursis…

Et le bilan risque de s’alourdirencore. Chez Vivarte (La Halle, An-dré…), les salariés redoutent 1 800

à 1 900 licenciements. « Le pre-mier trimestre 2015 a marqué une dégradation progressive : alors que le solde net d’emplois [créa-tions – suppressions de postes]était positif en janvier et février, ilest retombé dans le rouge en mars,avec 1 264 emplois supprimés »,explique David Cousquer, fonda-teur du cabinet d’analyse Tren-deo.

C’est tout l’ambiguïté de ce dé-but d’année. La consommationdes ménages s’améliore, les en-quêtes d’opinion laissent entre-voir une amélioration du moral des chefs d’entreprise. Mais des pans entiers de l’économie res-tent sinistrés, à l’image du bâti-

l’économie et l’amélioration des conditions d’emploi », répond Eric Heyer, économiste à l’Observa-toire français des conjonctures économiques. « Le traitement so-cial du chômage [augmentations du nombre de contrats d’avenir] et la montée en puissance du CICE et du pacte de responsabilité peu-vent toutefois aider à une repriseplus rapide », ajoute-t-il.

Le calendrier reste cependantincertain. « On est actuellementdans une zone grise, un entre-deuxde la reprise. Le recul du prix du pé-

trole et de l’euro et les réformes mi-ses en place par le gouvernement devraient permettre aux entrepri-ses de reconstituer leurs marges et donc d’investir. Mais sous quel dé-lai ? Difficile à dire. D’autant que denombreux secteurs souffrent de surcapacités », confirme JulienMarcilly, économiste en chef à la Coface. Or, sans investissements,pas de croissance, et donc pas d’embauches…

« Volontarisme lucide »

Un coup d’œil sur les entreprisesconcernées confirme ce relatif pessimisme. « Au premier trimes-tre 2015, les suppressions d’em-plois ont concerné des secteurstrès liés au niveau général de l’ac-tivité [transport, entreposage…] ou à la consommation [GaleriesLafayette, Coop-Alsace] », dé-taille M. Cousquer. Nombre depertes d’emplois se font dans lesservices, contrairement à la si-tuation de 2009 où l’industrie était essentiellement frappée.« Très probablement un effet de lastagnation du pouvoir d’achat et de l’attentisme des consomma-teurs », selon M. Cousquer.

A partir de 1,5 % de croissance, lechômage peut se stabiliser etcommencer à régresser, avan-cent habituellement les écono-mistes. Un seuil convoité commele Graal par le gouvernement, alors que la hausse du PIB estpour l’heure attendue autour de1 % en France.

Cela suffira-t-il ? A Bercy entout cas, les temps ont changé. Fini, le zèle dont faisait preuveArnaud Montebourg, le sé-

millant ministre du redresse-ment productif prompt à se ren-dre au chevet des salariés mena-cés. « Je ne fais pas croire aux sala-riés des choses qui ne sont passoutenables », indiquait, mardi,Emmanuel Macron, le ministrede l’économie, en marge du con-seil des ministres franco-alle-mand à Berlin. « Il faut un volon-tarisme lucide. On ne va pas socia-liser toute l’économie française.Mon objectif est de recréer des for-ces productives », martèle-t-il.Fort des avancées de sa loi en cours d’adoption, le ministre re-vendique une approche« schumpétérienne » de l’écono-mie : « Il faut protéger les salariésmais pas les emplois. »

Dont acte. Sur MoryGlobal, « lesecteur est surcapacitaire, on lesait depuis deux ans », assène-t-on à Bercy. « Pour les salariés deMory, il y a la possibilité de recon-vertir les chauffeurs de poidslourds en conducteurs de car dontl’activité va se développer grâce àla loi Macron qui va déréglemen-ter l’activité », veut-on croire.

Reste qu’« il est difficile d’évo-quer une reprise durable tant que les créations d’emploi continuent de baisser », estime M. Cousquer.Au premier trimestre 2015, il y aeu 18 % de suppressions de postesde moins qu’à la même période de 2014, selon Trendeo. Maisaussi moins de créations (– 15 %). « La consolidation de l’éco-nomie reste très fragile », conclut M. Cousquer. p

cédric pietralunga

audrey tonnelier

et nicole vulser,

Enseigne La Halle du groupe Vivarte, sur les Grands Boulevards à Paris. XAVIER POPY/RÉA

ment. Et l’économie hexagonalecontinue de détruire des emplois. En février, 13 000 personnes sont venues grossir le nombre de de-mandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) en France(DOM compris), à rebours de l’em-bellie de janvier (– 20 100 person-nes). En métropole, on se rappro-che des 3,5 millions de chômeurs, triste record franchi en décem-bre 2014.

Paradoxe ? « On constate géné-ralement un décalage de deux àtrois trimestres entre le rebond de

« Je ne fais pas

croire

aux salariés

des choses qui

ne sont pas

soutenables »

EMMANUEL MACRONministre de l’économie

La liquidation de MoryGlobal est aussi un « échec » pour l’EtatAucune offre de reprise n’a permis de sauver les 2 150 salariés du transporteur qui cessera son activité le 30 avril

C e sera sans doute le plusgros plan social de l’année.Les 2 150 salariés de Mo-

ryGlobal (ex-Mory Ducros) iront pointer au chômage en mai.Mardi 31 mars, le tribunal de com-merce de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a prononcé la liquidationdu transporteur « avec poursuite d’activité jusqu’au 30 avril ». L’ad-ministrateur judiciaire doit main-tenant « mener à bien les consulta-tions avec les organisations syndi-cales » et « procéder aux licencie-ments des salariés » de l’entreprise.

Aucune offre de reprise n’ayantabouti – le principal projet, es-quissé par le normand Transport Malherbe, qui concernait 141 per-sonnes, a été retiré en fin de se-maine dernière – la liquidation a

été prononcée immédiatement. Ce qui n’était pas une grande sur-prise pour les spécialistes de la dis-tribution. Le secteur de la messa-gerie est de longue date en surca-pacité et financièrement fragile. En 2012, la Sernam était passée au bord du gouffre, finalement re-prise partiellement par Geodis.

Une perte de 43 millions d’euros

Début 2014, après la faillite de Mory Ducros, ancien numéro deux de la messagerie en France, c’est l’intervention de l’Etat quiavait contribué à la création de MoryGlobal. Le fonds Arcole In-dustries, actionnaire de Mory Du-cros, acceptait de relancer l’activitéau prix du départ de 2 800 person-nes, sur les 5 000 que comptait à l’époque l’entreprise, et de la fer-

meture de trente-cinq agences sur quatre-vingt-cinq. Arcole, aidé par un prêt de 17,5 millions d’euros de l’Etat, a officiellement investi 35 millions d’euros pour soutenirle groupe qui, malgré ces investis-sements, a subi une perte de 43 millions d’euros en 2014 pour un chiffre d’affaires revenu à moins de 250 millions d’euros. Et ce, alors que le marché se stabili-sait enfin après une longue des-cente aux enfers. Tous les concur-rents de MoryGlobal (Geodis, Schenker, Kuehne+Nagel, Dachser,Gefco et Heppner) ont d’ailleurs vu leurs résultats s’améliorer.

Plus frêle et vulnérable, Mo-ryGlobal a subi la concurrence. « La reprise était tellement aléa-toire que MoryGlobal n’a conservé que les clients les moins fiables,

ceux qui paient le moins, qui tirent les prix vers le bas », souligne unconnaisseur du dossier.

Pour l’Etat, « c’est un échec, il fautappeler un chat un chat », con-vient-on à Bercy. Entre la perte des 17,5 millions de prêts effectuéspar le Fonds de développement économique et social et la dettesociale qui ne sera vraisemblable-ment jamais remboursée, l’Etataura perdu plusieurs dizaines demillions d’euros dans la bataille. Les actifs de MoryGlobal, évalués à entre 50 et 60 millions d’euros, devraient couvrir les coûts du plan social, évalué lui entre 30 à50 millions d’euros. « L’arrêt de MoryGlobal est une catastrophe sociale, car elle implique la suppres-sion de 2 150 postes. Mais ce n’est pas une catastrophe industrielle, se

console-t-on à Bercy. L’activité de l’entreprise ne sera pas délocalisée, mais répartie entre les entreprises du secteur. » L’Etat espère égale-ment que les autres acteurs dutransport routier feront travailler le millier de salariés employés parles sous-traitants de MoryGlobal.

Pour les salariés de l’entreprise,c’est la tristesse qui transpire après un troisième plan social encinq ans. « C’est une histoire qui se termine. Mory avait près de 200 ans, disait, ému, Jean-Claude Hac-quard, de la CGT, après le verdict. C’est un coup de massue pour tous les salariés. On ne sait pas com-ment on va être accompagnés. » Arcole Industries et ses syndicatsse renvoient la responsabilité de la dégradation de la situation. Pour les organisations syndicales,

le fonds de retournement fran-çais a failli, ne respectant pas ses engagements financiers. Arcolereproche à l’inverse à la CFDT de n’avoir pas respecté sa parole après le refus de signer en 2014 le précédent accord d’entreprise permettant de mettre en œuvre leplan social. Faute de cette signa-ture, MoryGlobal a dû réintégrer àl’été 2014 quelque 200 salariésprotégés. Pour Arcole, cela a eu un« impact financier colossal ». « Ceux qui présentent Arcole Indus-tries comme le responsable, voire le coupable idéal, détournent les re-gards des réelles difficultés aux-quelles MoryGlobal a dû faire face », indique l’actionnaire dansun communiqué daté de mardi. p

cédric pietralunga

et philippe jacqué

chez vivarte, les mauvaises nouvellesont été reportées après le second tour desélections départementales. Le comité de groupe, initialement prévu le 17 mars, se tiendra finalement le 8 avril, au lendemaindu comité central d’entreprise (CCE). Desentités concernées par les restructurations et les suppressions d’emplois.

Alors que rien ne filtre du côté de la direc-tion de ce groupe propriétaire de seize mar-ques de prêt-à-porter ou de chaussures – LaHalle aux vêtements, André, Naf Naf, Koo-kaï, Caroll, Minelli ou Chevignon –, les sala-riés et les syndicats redoutent des coupes claires dans les effectifs. De source internebien informée, cinquante magasins Andréet 280 de La Halle aux vêtements pour-raient être fermés.

Selon deux sources, l’hypothèse de 1 800voire 1 900 licenciements est sérieusement avancée. Le groupe compte 22 000 salariés (dont 4 000 à la Halle aux vêtements) et 4 500 points de vente. Le coordinateur CFDTde Vivarte, Jean-Louis Alfred, est le seul à avoir publiquement expliqué dans La Nou-

velle République : « On évoque 900 emplois menacés, mais on parle d’équivalents temps plein. Or les emplois concernés sont des temps partiels. Ainsi ce sont quelque 1 800 personnes qui sont réellement concernées. ». Il affirme que les sites de stockage vont être « directement et logiquement impactés ». Unplan de sauvegarde de l’emploi (PSE) devraitêtre annoncé le 8 avril, mais il est probable que d’autres enseignes du groupe en fas-sent partie, comme Naf Naf, Kookaï ou Ca-roll.

Endettement massif

Les syndicats CFE-CGC, CFDT, CFTC, FO et SUD ont adressé, mi-mars, une lettre auxactionnaires, demandant qu’ils prennentleurs responsabilités « dans le traitement social des éventuelles restructurations ». Ilsdénoncent « l’attitude de la direction » en lui reprochant d’être incapable « d’aucun dialogue social, aucune anticipation, aucuneinformation sur la situation et les projets en cours ». Plombé par une dette colossale de 2,8 milliards d’euros à laquelle s’étaient

ajoutés 850 millions d’euros de prêt de la part des actionnaires lors de son rachat en 2007, juste avant la crise financière, Vi-varte a dû supporter pendant des années un endettement massif sans lien avec son activité. Les difficultés se sont accrues avec l’atonie du marché de l’habillement enFrance, la concurrence féroce des ensei-gnes comme H&M, Zara ou Primark.En 2013 déjà, 190 magasins avaient été fer-més. La stratégie de montée en gamme desproduits n’a pas non plus fonctionné. MarcLelandais, l’ancien PDG, a réussi à convain-cre les créanciers d’abandonner 2 milliardsde dettes, moyennant quoi l’entreprise estpassée sous le contrôle de ses fonds créan-ciers en octobre 2014. Il a été remplacé parRichard Simonin.

Selon l’agence Reuters, les ventes de Vi-varte ont chuté de 10,3 % au cours de l’exer-cice 2013-2014, tandis que le résultat opéra-tionnel a été divisé par deux, à 170 millions d’euros. La Halle aux vêtements est devenuedéficitaire. p

nicole vulser

Vivarte pourrait supprimer jusqu’à 1 900 emplois

Page 33: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 économie & entreprise | 5

La distribution invitée à « corriger ses alliances »L’Autorité de la concurrence estime que les regroupements de centrales d’achat fausseraient la concurrence

Très attendu, l’avis del’Autorité de la concur-rence sur l’impact con-currentiel des regroupe-

ments des centrales d’achat dans la grande distribution (Auchan-Système U, Intermarché-Casino,Carrefour-Cora) a été publié mer-credi 1er avril. Dressant une carto-graphie détaillée des risques en-courus sur le marché des biens de consommation, tant en amont qu’en aval, dans un contexte de forte pression sur les prix, le « gendarme » de la concurrence considère que ces alliances pour-raient contribuer à réduire la qua-lité, l’investissement, l’innova-tion, voire évincer certains four-nisseurs.

« Il est important que la grandedistribution corrige ses alliances pour prendre en compte les risquesconcurrentiels », prévient Bruno Lasserre, le président de l’Autorité.« Faute de quoi, poursuit-il, l’Auto-rité de la concurrence pourrait s’autosaisir pour mener une procé-dure contentieuse pour entente. »

Pas d’autorisations à demander

Pas moins de six groupes de la grande distribution ont annoncé, au cours du second semestre 2014, leur association dans le do-maine des achats auprès des four-nisseurs : Auchan et Système U, le 10 septembre, Intermarché et Ca-sino le 7 novembre, Carrefour et Cora le 22 décembre.

Le ministre de l’économie, del’industrie et du numérique, Em-manuel Macron, et la commis-sion des affaires économiques duSénat avaient saisi, le 29 octobre2014, l’Autorité de la concurrencepour avis, car « aucune des partiesn’avait à demander d’autorisationex-ante (avant l’action donc) »,explique Bruno Lasserre, prési-dent de l’Autorité de la concur-rence.

Dans un cas, il s’agit en effetd’un mandat que Système U donne à Auchan pour acheterpour son propre compte, tandisque, dans les deux autres allian-ces, les structures juridiques

créées ne sont pas des entreprisesde plein exercice et ne font queservir des sociétés mères.

« A la suite de ces accords, le mar-ché est réparti principalement en-tre quatre grands acheteurs (ITM-groupe Casino, Carrefour-Cora,Auchan-Système U et E. Leclerc), qui représentent ensemble plus de 90 % du marché », relève l’Autoritéde la concurrence.

Elle souligne ainsi qu’il existedes risques de réduction de la qualité, de l’investissement, del’innovation, voire d’éviction decertains fournisseurs, en particu-lier concernant les catégories de

quides, la parfumerie et l’hy-giène.

Autre crainte de l’Autorité de laconcurrence, celle d’une diminu-tion des leviers de concurrence entre les magasins des enseignes partageant la même centrale d’achat. « Si, par exemple, les ma-gasins d’une enseigne savent que ceux de l’autre enseigne vont faireune promotion à telle date, cela af-faiblit considérablement l’un des ressorts de la concurrence », souli-gne M. Lasserre.

L’Autorité de la concurrence faitplusieurs recommandations àl’issue de cet examen minutieux.

L’une d’elles, qui a déjà été inté-grée dans la loi Macron, concerne l’obligation d’être informée au préalable par les enseignes pour tout nouvel accord de rapproche-ment.

Une autre, qui s’adresse auxpouvoirs publics, concerne l’amé-lioration du dispositif permettantd’appréhender les abus de dépen-dance économique dans le cadre des relations entre distributeurs et fournisseurs. « Le problème estque beaucoup de sociétés n’osentpas dénoncer ces abus par peur desreprésailles », constate Bruno Las-serre.

L’Autorité appelle également« les opérateurs à porter une atten-tion particulière à la manière dont ils choisissent les fournisseurs con-cernés par le périmètre des ac-cords ».

L’Autorité de la concurrence de-vrait à nouveau prochainement se pencher sur le sujet des rappro-chements dans la grande distri-bution. Auchan et Système U ont déposé une prénotification auprès de la Commission euro-péenne, préalable aux discus-sions en vue d’une coopération plus vaste. p

cécile prudhomme

Entrepôt de stockage de marchandises de Système U pour l’ouest de la France. MARTA NASCIMENTO/REA

produits pour lesquelles lagrande distribution représente leprincipal débouché, comme ladroguerie, l’épicerie sèche, les li-

LES CHIFFRES

25,1 %Carrefour + Cora

C’est la part de marché cumulée du leader français de la grande distribution (21,7 à lui seul) allié avec Cora.

25,4 %Intermarché + Casino

C’est la part de marché des deux groupes, dont 14,1 % pour Inter-marché. Ils ont annoncé l’al-liance de leurs centrales d’achat.

21,8 %Système U + Auchan

Part cumulée des deux distribu-teurs qui ont annoncé la fusion de leurs centrales d’achat.

20,1 %Leclerc

Part de marché de Leclerc, seul grand distributeur à ne pas avoir conclu d’alliance.

300 MILLIONSTel est le montant, en dollars, que le consortium d’assureurs de Ger-manwings, conduit par l’allemand Allianz, a provisionné après le crash de l’Airbus A320 qui a fait 150 morts, le 24 mars, dans les Alpes (soit 279 millions d’euros). Cette somme servira à couvrir les probables de-mandes de dommages et intérêts des familles des victimes ainsi que la perte de l’avion accidenté, a déclaré mardi 31 mars une porte-parole de Lufthansa, maison mère de Germanwings. selon le quotidien alle-mand Handelsblatt, les dommages et intérêts versés dans le cadre d’un crash aérien se montent généralement à 1 million de dollars par passa-ger mais la présence d’Américains parmi les victimes pourrait conduire à une indemnisation plus importante. – (AFP.)

AUTOMOBILELe marché français rebondit de 9,3 % en marsAvec 196 572 immatricula-tions en mars, le marché fran-çais des voitures particulières neuves est en hausse de 9,3 % par rapport à mars 2014, se-lon les données du Comité des constructeurs français d’automobiles, publiées mer-credi 1er avril. Renault (8,1 %), PSA (7,9 %) et les construc-teurs étrangers (11,1 %) profi-tent tous de la croissance. Au premier trimestre, les imma-triculations ont progressé de 6,9 % par rapport à la même période 2014.

AÉRONAUTIQUE

GDF Suez entre au capital de l’opérateur de drones RedbirdGDF Suez a annoncé, mer-credi 1er avril, avoir pris une participation « minoritaire, mais très significative » par le

biais de son fonds GDF Suez New Ventures dans l’opéra-teur de drones Redbird. Le montant de l’investissement est de 2 millions d’euros. Créée en 2013, cette société est spécialisée dans l’analyse des données techniques col-lectées par les drones.

DISTRIBUTIONLa justice valide la marque Vente-privee.comLa cour d’appel de Paris a va-lidé, mardi 31 mars, la marque Vente-privee.com, déposée par le site Internet leader dans l’e-commerce, tout en autori-sant ses concurrents à pou-voir utiliser l’expression « vente privée » dans son usage courant. La justice avait été saisie en 2012 par Showroomprive.com qui avait demandé l’annulation de la marque Vente-privee.com, pour pouvoir utiliser libre-ment cette expression. – (AFP.)

Le chômage pénalise la reprise en EuropeLe nombre de demandeurs d’emploi reflue trop lentement pour conforter la croissance

C’ est l’un des plus grandsdéfis que devra releverla zone euro ces pro-

chaines années. Selon les chiffres publiés mardi 31 mars par Euros-tat, le taux de demandeurs d’em-ploi dans l’union monétaire s’estétabli à 11,3 % en février, contre 11,4 % en janvier. Il s’agit de son plus faible niveau depuis mai 2012. En mai 2013, il culminaità 12,1 %. « La bonne nouvelle, c’estque le chômage reflue enfin, com-mente Diego Iscaro, économiste Europe chez IHS Global Insight. Lamauvaise, c’est qu’il reflue beau-coup trop lentement. »

Dans le détail, la situation esttrès contrastée d’un Etat à l’autre. Alors que l’Allemagne est désor-mais proche du plein-emploi(4,8 %), tout comme l’Autriche(5,3 %), la Grèce enregistre tou-jours le taux de chômage le plus élevé (26 % en décembre), suiviede près par l’Espagne (23,2 %). La baisse la plus forte a été enregis-trée en Estonie, où le taux de de-mandeurs d’emploi est passé de8,4 % à 6,2 % entre février 2014 etfévrier 2015. A l’inverse, le chô-mage continue de grimper en Fin-lande (de 8,4 % à 9,1 % sur un an) età Chypre (de 15,6 % à 16,3 %).

En moyenne, la reprise de l’em-ploi européen est donc bien plus poussive qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, où le taux de chô-mage est respectivement tombé à5,5 % et à 5,7 %. Or le maintien d’un

taux de chômage élevé handicapela croissance. « Tant que le nombrede demandeurs d’emploi reste élevé, il n’y a pas de franche haussede salaires et donc, pas de véritableredémarrage de la consomma-tion », résume Jessica Hinds, chez Capital Economics. Selon ses cal-culs, les salaires ne commence-ront en moyenne à augmenter dans la zone euro que lorsque le chômage sera repassé sous la barre des 9 %. Ce qui n’arrivera pasavant… début 2019 au mieux, se-lon les prévisions du Fonds mo-nétaire international.

Un coup de pouce

Par chance, la consommation européenne est aujourd’hui sou-tenue par les pressions déflation-nistes. D’après Eurostat, l’infla-tion en zone euro a reculé de 0,1 %en mars, après – 0,3 % en février.Toute la question est de savoircombien de temps ce coup de pouce durera. Et s’il permettra que la croissance puisse se passer des mesures de relance massive de la Banque centrale euro-péenne. D’autant que le bol d’airactuellement offert par la désin-flation ne résout en rien le pro-blème du chômage de longue du-rée. « C’est l’une des plus graves sé-quelles laissées par la crise, et ilfaudra des années encore avantqu’elle ne s’estompe », explique Maxime Sbaihi, économiste à Bloomberg. En France, 43 % des

chômeurs sont ainsi sans emploidepuis plus d’un an, selon Pôleemploi. Un niveau record. En 2009, ils n’étaient que 30 %. Et la durée d’inactivité complète necesse d’augmenter : elle est aujourd’hui de 538 jours en moyenne en France, contre 391 jours il y a six ans… Et les chif-fres sont tout aussi inquiétants enEspagne (50 %), en Italie (57 %), en Irlande (60 %) et en Grèce (73 %).

L’ennui, c’est qu’une partie deces chômeurs longue durée ne re-trouveront jamais d’emploi. En conséquence, le taux de chômage structurel, celui qui ne diminuepas même une fois la croissance revenue, ne cesse d’augmenter depuis le début de la crise. D’aprèsl’Organisation de coopération et de développement économiques(OCDE), il se rapproche aujourd’hui de la barre des 9 % dans la zone euro.

Les Etats membres s’attaquent-ils au problème ? Pas vraiment. Certes, nombre d’entre eux ont entrepris des réformes visant àflexibiliser leur marché du travail.

En Italie, le premier ministre Mat-teo Renzi, avec le « Job act », a ins-tauré un contrat de travail uni-que. En France, le Crédit impôtcompétitivité emploi (CICE) con-tribuera également à la création de postes. « Malheureusement, cesréformes ne stimuleront l’emploiqu’après un certain temps », pré-vient Clemente De Lucia, écono-miste chez BNP Paribas. Surtout,aucun gouvernement n’a vrai-ment prévu de renforcer les me-sures spécifiquement réservées aux chômeurs longue durée, comme les formations ou stagesrequalifiants.

Et pourtant, s’il ne se résorbe pasrapidement, ce phénomène ro-gnera sensiblement la croissance future dans les pays les plus con-cernés. Lorsqu’ils se découragent, les chômeurs de longue durée fi-nissent en effet par quitter défini-tivement le marché du travail. La baisse de la population active, c’est-à-dire du nombre de person-nes contribuant à la richesse natio-nale, produit alors des dégâts irré-médiables. « A terme, le risque est que l’écart entre l’Allemagne et le reste de la zone euro se creuse en-core, au détriment la cohésion de l’union monétaire », prévient M. Is-caro. Avant de rappeler que la di-vergence des trajectoires écono-miques entre les pays membres est l’un des maux à l’origine de la crise de 2008. p

marie charrel

Le « gendarme

de la

concurrence »

souligne des

risques d’éviction

de certains

fournisseurs

En France, 43 %

des chômeurs

sont sans emploi

depuis

plus d’un an

Page 34: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

6 | économie & entreprise JEUDI 2 AVRIL 2015

0123

Télécoms : des « fréquences en or » très convoitées Le gouvernement espère tirer 2,1 milliards d’euros de la vente aux enchères des fréquences de la bande 700 MHz

Le grand jeu de l’attribu-tion de nouvelles fré-quences aux opérateursde mobile en France, dans

la bande 700 MHz, jusqu’alors uti-lisée pour la diffusion de la télévi-sion numérique terrestre, a com-mencé. Mardi 31 mars, l’Arcep, legendarme des télécommunica-tions, qui a conduit une consulta-tion publique auprès des acteurs du secteur, a publié une note de synthèse posant les termes du dé-bat.

Ce document servira de basepour définir les modalités d’attri-bution de ce spectre de fréquen-ces qui doit permettre d’augmen-ter le débit des réseaux mobiles.Ce n’est, cependant, que dans unmois que celles-ci seront définiti-vement fixées conjointement par le gouvernement et l’Arcep. Le dé-pôt des offres par les opérateurs, selon le procédé des enchères, se fera en deuxième partie d’année et l’attribution des fréquences in-terviendra en décembre 2015.

A quoi correspondent les fré-quences 700 MHz ? Pour cons-truire un réseau, les opérateurs detéléphonie mobile ont besoin de fréquences radio qui forment un spectre sur lequel sont émises les communications. Celui-ci faitpartie du domaine public, c’estdonc l’Etat qui en attribue des par-ties ou lots, au terme d’enchèresauxquelles les opérateurs sont ap-pelés à participer. La vente des fré-quences de la bande 700 MHz in-tervient quatre ans après celle desfréquences 800 MHz.

Les fréquences 700 MHz, sur-nommées « fréquences en or »,présentent le double avantage de permettre au réseau mobile demieux pénétrer dans les immeu-bles – ces ondes traversent le bé-ton – et d’être très utiles dans les zones peu denses, car elles assu-rent une bonne couverture grâce à un nombre limité d’antennes.Occupées actuellement par les chaînes de la télévision numéri-que terrestre (TNT), ces fréquen-

ces ne seront libérées que pro-gressivement, entre le 1er décem-bre 2015 et le 1er juillet 2019.

L’Etat en quête de recettes Le gou-vernement espère 2,1 milliards d’euros de cette vente aux enchè-res, une somme déjà inscrite dansle budget 2015 au titre de la loi de programmation militaire. S’ilsobtiennent, par exemple, chacun un lot équivalent, les quatre opé-rateurs en lice (Orange, SFR-Nu-mericable, Bouygues Télécom et Free Mobile) devront débourser quelque 500 millions d’euros enfin d’année. Une dépense impor-tante pour des acteurs secoués par la guerre des prix entamée de-puis 2012.

Des opérateurs à l’affût Confron-tés à une explosion des flux de données sur Internet, les opéra-teurs ont besoin de plus de spec-tre. Comme l’indique le gen-darme des télécoms, « l’attribu-tion de la bande 700 MHz revêt

une importance stratégique pour le déploiement de réseaux mobiles à très haut débit étendus et perfor-mants à court et moyen terme, ainsi que pour accompagner, à plus long terme, les futures inno-vations ». La bande des 700 MHz permettra le déploiement de la té-léphonie mobile 4G, déjà entamé par les opérateurs, et celle, plustard, de la 5G.

Pour les opérateurs, cet appeld’offres est le dernier avant bien longtemps. Ils doivent donc s’as-

surer de récupérer des lots. C’estsurtout vrai pour Free. Le groupe fondé par Xavier Niel (par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde) ne dispose à ce jour que de très peu de basses fréquences, et uniquement dans la bande900 MHz. Ce qui crée, selon l’Ar-cep, un déséquilibre avec ses con-currents.

La question des modalités d’at-tribution Crucial, ce point n’a pas été tranché par l’Arcep. Deux scé-narios sont en concurrence. Le premier est un processus normal d’enchères où plusieurs candidatsdéposent chacun une offre sur leslots proposés et où les plus éle-vées l’emportent. Le second con-sisterait à réserver un lot particu-lier à Free. Selon l’Arcep, un opéra-teur ne peut être compétitif que s’il dispose d’un lot de fréquences basses. Le groupe rappelle pour sapart qu’à son arrivée sur le mar-ché, Bouygues Telecom s’était vuaccorder des avantages pour rat-

traper son manque de fréquences.Toutefois, pour Orange, Nume-

ricable-SFR et Bouygues Telecom, garantir ainsi des fréquences pré-férentielles au quatrième entrant constituerait une distorsion deconcurrence. Selon eux, Free a déjà eu la possibilité d’obtenir desbasses fréquences en 2011 lors desenchères pour la bande des 800 MHz. Mais, rappellent-ils, la somme proposée par l’opérateur avait, à l’époque, été jugée insuffi-sante.

Ses concurrents pointent aussile fait que Free est l’opérateur leplus rentable d’Europe et qu’il n’apas besoin d’aide pour se doter en fréquences. « On ne peut plusconsidérer que ce sont de nou-veaux entrants à aider », estimel’un deux. « Le gouvernement nepeut pas à la fois vouloir en tirer suffisamment d’argent et attri-buer par défaut un lot à un opéra-teur, c’est contradictoire », insiste-t-il. p

sarah belouezzane

Pour construire

un réseau,

les opérateurs

ont besoin de

fréquences radio

sur lesquelles

sont émises les

communications

Nouveau sursis judiciaire pour UberLa cour d’appel repousse l’application de la loi Thévenoud qui interdit le service UberPop

L a stratégie du rouleau com-presseur mise en œuvrepar la société américaine

Uber pour s’imposer sur le mar-ché du transport de particuliers en voiture porte ses fruits. Lancéedans une guérilla juridique, en France comme ailleurs, pour con-tester des lois qu’elle considèrecomme obsolètes ou inadaptées, elle gagne des sursis qui lui per-mettent de développer librement son activité commerciale.

Mardi 31 mars, la cour d’appel deParis a jugé préférable de s’assurerde la constitutionnalité de la loi Thévenoud avant de se risquer àl’appliquer. Elle a ainsi décidé de transmettre à la Cour de cassationdeux nouvelles questions priori-taires de constitutionnalité (QPC) soulevées par Uber. Cette loi du 1er octobre, concoctée dans le butd’apaiser les chauffeurs de taxi, declarifier le statut des voitures detransport avec chauffeurs (VTC) etd’interdire les systèmes, tel Uber-Pop, qui permettent à des particu-liers de s’improviser chauffeursde taxi, n’est donc toujours pasapplicable par la justice dans sonintégralité.

Une loi « ambiguë »

Quant au fond du dossier, à savoirla demande de suspension d’UberPop déposée par trois so-ciétés de VTC – LeCab et deux filia-les de Transdev – et des associa-tions de taxis, la cour d’appel at-tendra le 23 juin ou le 29 septem-bre pour l’examiner. En effet, laCour de cassation a trois mois pour décider si elle transmet ces deux QPC au Conseil constitu-tionnel, qui a alors trois mois pour se prononcer.

Hugues Calvet, l’avocat d’Uber, aconvaincu les juges d’appel que la rédaction de l’article de loi censéréprimer pénalement UberPop est ambiguë. Il définit comme dé-lit la « mise en relation » de clientsavec ces chauffeurs non profes-sionnels qui se livrent à des activi-tés de transport « à titre onéreux ».Un terme jugé imprécis qui, selonla cour d’appel, risque de mettredans un même panier des servi-ces de covoiturage comme Blabla-car.

Pour Me Calvet, « ce n’est pas larédaction de la loi Thévenoud qui est en cause, c’est l’ensemble du dispositif du transport en “pair à

pair” qui est en question ». L’objec-tif d’Uber est de faire sauter les verrous qui tentent de distinguer le covoiturage, où le chauffeur est indemnisé pour ses coûts mais non rémunéré, des autres servi-ces rémunérés proposés par desparticuliers (UberPop), des pro-fessionnels (VTC) ou des chauf-feurs de taxi. Alors que les offresde toute nature se multiplient (même la SNCF se met à proposer des services voisins dans certai-nes gares), les frontières parais-sent de plus en plus ténues.

« Le Conseil constitutionnel vanous donner une lecture claire de laloi Thévenoud », préfère croire Maxime de Guillenchmidt, avocatde Transdev, convaincu que l’in-terdiction d’UberPop sera pronon-cée à l’issue de ce processus. La se-conde QPC retenue par la cour d’appel porte sur l’article qui im-pose le « retour au garage » des VTC entre deux courses. Le Con-seil constitutionnel avait déjà été saisi, à l’issue de la première ins-tance devant le tribunal de com-merce, de deux autres QPC qu’il commencera à examiner le 7 avril.

En attendant que ce débat juridi-que soit purgé, Uber continue de développer ses services. Il affirmecompter « 500 000 utilisateurs ré-guliers d’UberPop », un service lancé il y a tout juste un an à Paris.Ce qui n’empêche pas la préfec-ture de police de Paris de multi-plier les interpellations de seschauffeurs. Une enquête prélimi-naire a été ouverte par le parquetde Paris pour « organisation illé-gale » d’un « système de mise en re-lation de clients » et pour « conser-vation illégale de données à carac-tère personnel ». Cette enquête, confiée à la police judiciaire, a donné lieu à une perquisition du siège d’Uber le 16 mars. p

jean-baptiste jacquin

La société

américaine

affirme compter

« 500 000

utilisateurs

réguliers

d’UberPop »

en France

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Page 35: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

0123JEUDI 2 AVRIL 2015 idées | 7

VU D’AILLEURS | CHRONIQUE

par simon johnson

La Maison Blanche contre Wall Street

C es dernières six années, l’ad-ministration du président Ba-rack Obama a, la plupart du

temps, penché du côté des grandes banques. Pourtant, Obama semble avoir amorcé un virage important en annonçant le 23 février un nouveau projet de loi visant à interdire les con-flits d’intérêts dans le domaine du conseil financier.

Dès le début de son premier man-dat, Obama avait adopté la même po-litique que celle de George W. Bush. Les grandes sociétés financières ont profité de l’octroi d’un soutien massif de l’Etat au début de 2009. Citigroup, en particulier, a tiré avantage de cette intervention, qui a permis à cette banque de conserver sa façon d’opé-rer et son équipe de direction.

La loi Dodd-Frank sur la réforme fi-nancière de 2010 aurait pu restrein-dre l’influence des grandes banques et limiter les dommages qu’elles peu-vent provoquer. Mais, en décem-bre 2014, l’administration a aban-donné un volet important de cette loi – une décision dont Citigroup a pro-fité directement – en autorisant les banques à prendre plus de risques

(du même type que ceux qui ont presque détruit le système financier entre 2007 et 2008…). Et les lobbyis-tes du monde de la finance et les ré-publicains de la Chambre des repré-sentants aiguisent leurs couteaux pour enlever encore davantage de contraintes imposées aux grandes banques.

Pourtant, dans une volte-face sou-daine et méritoire, l’administration Obama a mis sur la table la question des conflits d’intérêts dans le do-maine du conseil aux particuliers en matière de retraite.

En effet, les épargnants doivent prendre des décisions complexes qui portent grandement à conséquence. Quels seront les taux d’intérêt ? Quelle est votre espérance de vie, ou celle de votre conjoint ? Jusqu’à quand devrez-vous subvenir aux be-soins de votre progéniture ? Mais la question la plus importante est peut-être celle de la confiance que vous ac-cordez à votre conseiller financier.

Or, la rémunération de certains d’entre eux ne dépend pas des béné-fices de leur clientèle, mais des pro-duits financiers qu’ils parviennent à

lui vendre. Comme le dit Dennis Kel-leher, responsable de l’association Better Markets, qui milite en faveur de la réforme, « les conseillers peuvent recommander des placements qui leur donnent des commissions très avan-tageuses, même si leurs clients doivent assumer des frais élevés, des rende-ments inférieurs et des produits d’in-vestissement beaucoup trop risqués ». On retrouve aujourd’hui ces critiques dans un rapport récent publié par le Conseil des conseillers économiques du président (CCE) : « Ces modes de rémunération créent des conflits d’in-térêts majeurs : le meilleur conseil qu’un épargnant puisse recevoir n’est probablement pas celui qui maximise les bénéfices du conseiller. »

CONFLITS D’INTÉRÊTS

Le Conseil estime même que les pla-cements susceptibles d’être influen-cés par la rémunération du conseiller ont un rendement inférieur d’un point de pourcentage à la moyenne. Dans l’environnement actuel, où les taux d’intérêt sont très bas, il s’agit là d’un énorme manque à gagner pour les épargnants.

Le rapport du Conseil comporte desdonnées et des réflexions très utiles sur la question des conflits d’intérêts dans la finance. Il serait souhaitable que ces éléments pèsent plus que l’avis du Trésor (ministère des finan-ces américain) sur les débats concer-nant le secteur financier. Ce devrait être aussi le cas des déclarations répé-tées de la sénatrice Elizabeth Warren, étoile montante du Parti démocrate, sur les questions de réforme finan-cière. Elle a d’ailleurs apporté son soutien au projet de loi du président.

Bien sûr, les lobbyistes se bousculentau portillon pour s’opposer au projet. Ils feront certainement valoir que les petits épargnants sont bien traités avec les pratiques actuelles, ce que le rapport du CCE contredit. Mais la Mai-son Blanche parviendra à ses fins si elle manifeste une volonté suffisante.

D’autres questions plus générales etplus intéressantes pourraient alors être posées : où sont les hauts fonc-tionnaires de l’Etat dans l’industrie fi-nancière ? Quels sont les acteurs fi-nanciers arrivés en tête de leur secteur parce qu’ils ont réellement agi dans l’intérêt de leurs clients ?

Quiconque donne des conseils fi-nanciers à des personnes qui épar-gnent pour leur retraite devrait agir uniquement dans l’intérêt supérieur du client. Beaucoup de conseillers, si-non la plupart, le font déjà. Mais il y aencore trop de personnes flouées. C’est pourquoi la loi doit être modi-fiée pour éliminer le plus possible d’éventuels conflits d’intérêts, en exi-geant que tous les conseillers en pla-nification financière agissent tou-jours dans l’intérêt supérieur du client. Une telle exigence serait un bon départ, mais il reste beaucoup à faire. Tous les petits investisseurs, et pas uniquement ceux qui épargnent pour leur retraite, méritent la même protection juridique. p

Traduit de l’anglaispar Pierre Castegnier© Project Syndicate, 2015. www.project-syndicate.org

Overdose publicitaire

Le refus croissantde la publicité imposée montre que le consommateur souhaite d’abord s’informerpar lui-même

par matthias berahya-lazarus

L’interdiction des bâches pu-blicitaires à Paris sur les mo-numents et immeublesclassés, votée le jeudi

19 mars par l’Assemblée nationale, s’inscrit dans la droite ligne d’une sé-rie d’interdictions ou de restrictionsdes espaces publicitaires urbains, dé-cidée notamment à Grenoble, et en discussion dans d’autres municipali-tés majeures comme Bordeaux.

Que les messages soient adressésdans la rue, dans les transports publics,dans les boîtes aux lettres ou imposéssur les différents écrans utilisés, la pu-blicité est de plus en plus perçue comme une pollution visuelle, ce que l’adoption de l’amendement dans le ca-dre d’une loi sur la biodiversité semble confirmer. Mais, paradoxalement, les Français sont sensibles aux produits innovants ou aux offres promotion-nelles portées par ces supports.

Les Français refusent-ils en bloc la pu-blicité, ou dénoncent-ils simplement lefait qu’elle leur soit imposée ? Bien qu’émanant des pouvoirs publics, cettemise en cause des publicités est la ma-nifestation d’un sentiment plus pro-fond d’oppression ressenti par les con-sommateurs dans l’espace public ou dans leur vie privée. Ils ne souhaitent plus subir mais agir, choisir et partager.Le modèle publicitaire classique qui estmis en cause peut être défini par leterme de « push » (« imposé ») : c’est celui retrouvé sur la majorité des sites Internet, à la radio, à la télévision ou dans nos boîtes aux lettres.

Pour se défendre, les consommateursréagissent de manière parfois mili-tante. Dans le monde offline, comme latélévision, si la publicité agace le télés-pectateur, il zappe ou utilise le « re-play » ; s’il ne veut pas de prospectus dans sa boîte aux lettres, il y colle un autocollant « Stop pub » (27 % des Fran-çais, selon l’Agence de l’environnement

et de la maîtrise de l’énergie). Dans le monde digital, selon une récente étuded’OpinionWay pour Mozoo, près de huit Français sur dix réagissent négati-vement à ce modèle, déclarant que la publicité sur Internet « les dérange ». Ainsi, pour contrer la publicité numéri-que, près de 24 % d’entre eux (+ 34 % enun an, selon le magazine Stratégies !) installent des logiciels supprimant les publicités de leurs écrans. Sur ce point, la réponse du marché semble consisterà imaginer des solutions techniques pour forcer ces blocages et imposer malgré tout la publicité à des gens qui ysont manifestement réfractaires…

N’y a-t-il pas une voie plus raisonna-ble ? Il existe d’autres moyens moins agressifs, plus écologiques et plus per-tinents de communiquer auprès du consommateur en quête d’informa-tion. Par opposition au modèle push, qui cherche à créer un besoin, le mo-dèle pull consiste à y répondre.

PLUS AUTONOME

A ce titre, il est flagrant de remarquer que, parmi les vingt formes de publici-tés online et offline évaluées par un ba-romètre IFOP de la publicité, les con-sommateurs français se disent avant tout « intéressés » par celles qui leur permettent d’aller chercher eux-mê-mes l’information : les catalogues en li-gne, le référencement dans les moteursde recherche, les applications sur mo-bile… Autant d’outils qui permettent à l’annonceur de se positionner judi-cieusement sur le parcours d’achat de l’internaute ou du mobinaute, sans pour autant dégrader son expérience de recherche. Avec l’avènement du mo-bile, ces points de passage du consom-mateur se font plus nombreux et plus divers que la traditionnelle recherche sur Google : les applications « vertica-les » (LaFourchette pour les restau-rants, Allociné pour le cinéma, Houzz pour la décoration, etc.) captent de nombreuses recherches spécialisées qui sont autant d’occasions d’annoncerde manière non intrusive.

Les Français ne sont pas allergiquesaux informations publicitaires, dont ilsont au contraire quotidiennement be-soin. Ils font simplement savoir que leur manière de s’informer est aujourd’hui plus autonome, et que l’avènement des nouveaux médias rend moins nécessaire et moins sup-portable la publicité imposée. Les an-nonceurs doivent rapidement s’adap-ter à cette nouvelle grammaire du « marketing entrant », tout en veillantà exploiter avec discernement les nou-veaux espaces personnels que consti-tuent les smartphones ou tablettes, au risque d’obtenir des résultats contre-productifs pour leur marque. p

par frédéric caymaris-moulin

La société française traversedepuis le début de ce sièclede nombreux bouleverse-ments qui aboutissent indi-

rectement à la remise en questiond’une des notions fondatrices de lasociété de consommation : la pro-priété.

D’une part, la crise économiquemet à mal depuis 2008 la trésorerie des ménages. A tel point que le « dogme de la possession » devient même un fardeau pour 58 % desFrançais, qui se déclarent prêts à fairedes sacrifices pour assouvir leur désirde consommation : rogner sur les loi-sirs, revendre d’autres biens, tra-vailler le week-end, voire renoncer àses vacances, selon un sondage d’Opi-nionWay publié début 2015.

D’autre part, les citoyens ont prisconscience des dangers auxquels la planète est exposée du fait du déve-loppement de ce modèle d’hyper-consommation mondialisée, qui peut mettre en cause leur mode de vie : pollution directe et indirecte,changement climatique, problémati-ques de recyclage, maladies, gas-pillage, épuisement ou raréfaction des ressources (pétrole, eau, etc.).

La conjonction de ces deux facteursnous pousse aujourd’hui à remettreen question certaines habitudes deconsommation. Un grand nombred’entre nous sont aujourd’hui ti-raillés entre l’envie de consommer(et de se faire plaisir) et la prise deconscience de l’impact de nos com-

portements sur le collectif.Soyons francs, dans la pratique, une

grande majorité reste toujours ani-mée par la volonté d’assouvir enpriorité ses besoins personnels, et sipossible à moindre prix. Néanmoins,depuis quelques années, le modèlede consommation traditionnel fondésur l’achat et la possession est pro-gressivement remis en question.Chaque dernier samedi de novembreest désormais célébrée la Journée sans achat, qui symbolise la luttecontre le gaspillage. Cette évolutionest confirmée par une enquête del’IFOP qui date de juin 2014 : « Plus d’un Français sur deux en ruptureavec les modes de consommation tra-ditionnels. »

Forts de cette prise de conscience,qui englobe d’autres problématiquescomme l’obsolescence rapide des biens, le coût des pannes, le désir derenouvellement responsable…, lesconsommateurs adoptent de nou-veaux comportements. Echange deservices, location entre particuliers, troc… Autant de formes alternativesde consommation, qui trouvent deplus en plus de résonance chez lesconsommateurs. Aux succès d’Auto-lib’ ou de Vélib’ sont venus s’ajouterceux de BlaBlaCar et d’Airbnb.

L’avènement de ces nouvelles fa-çons de consommer a été rendu pos-sible par la multiplication des échan-ges d’informations sur Internet, et notamment grâce à l’essor du com-merce en ligne entre particuliers (Le-boncoin. fr et Ebay. fr, par exemple). Bien évidemment, les systèmes detroc et d’échange ne datent pasd’hier, mais le Web a multiplié leurampleur.

« FONCTION ET USAGE »

L’essayiste américain Jeremy Rifkin explique que le développement del’économie en réseau a fait évoluer notre rapport à la consommation : lapropriété est remplacée par l’usage,et les marchés par des réseaux. Al’heure du partage, consommer ne rime donc plus avec posséder. Petit àpetit, l’usage se substitue à la posses-sion, et les modèles reposant sur la location ou l’abonnement devien-nent des alternatives crédibles. Cequi explique le succès de Deezer et deNetflix, après que les opérateurs télé-coms et Internet ont bien défriché leterrain.

Comme le dit Gilles Berhault, prési-dent du Comité 21 (Comité françaispour l’environnement et le dévelop-pement durable) : « Il n’est plus viableaujourd’hui de fonder notre économiesur une logique de la possession (…),mais il faut désormais migrer vers uneéconomie de la fonction et del’usage. » L’heure n’est donc plus à l’hyperconsommation, ni à la posses-sion. L’économie telle que nous laconnaissons aujourd’hui n’est plusenvisageable.

En février 2009, une enquête d’Ip-sos Marketing pour Marketing Maga-zine invitait déjà les Français à répon-dre à la question : « Que signifie au juste “consommer mieux” ? » Leur ré-ponse tenait en trois points : « ache-ter des produits respectueux de l’en-vironnement » (51 %) ; « acheter desarticles bons pour la santé » (46 %) ; « n’acheter que des produits utiles »(40 %).

TROIS RESPONSABILITÉS

La notion de « consommer mieux »semble donc englober trois respon-sabilités : sociale, économique et en-vironnementale. Elle signifieraitdonc tendre vers cette nouvelle éco-nomie, celle de la fonctionnalité et del’usage. D’après une étude de l’Obser-vatoire des sociétés et de la consom-mation (ObSoCo), 83 % des Françaisconsidèrent que « l’important est depouvoir utiliser un produit plus que dele posséder ». L’usage prend donc progressivement le dessus sur la pro-priété.

Le marché de l’usage, notammentcelui de la location ou de l’échange debiens et services, est amené à d’autant plus se développer que la notion de service devient un puis-sant vecteur de différentiation.

Depuis la sélection de produits éco-nomes en énergie et technologique-ment performants, la mise en serviceà domicile pour un usage optimal et une garantie permanente jusqu’au recyclage des produits en fin de con-trat, les consommateurs exigent de nouvelles solutions qui leur permet-tent de réconcilier la notion de bien-être individuel et avec celle de bien-être collectif. p

¶Frédéric

Caymaris-Moulin

est directeur général de Lokéo, société spé-cialisée dans la location de longue durée d’équi-pements de la maison

Consommer sans posséder

La crise, mais aussi la conscience des limitesde notre modèle de développementmettent en avant l’économie du partage

LES CONSOMMATEURS

ADOPTENT DE NOUVEAUX

COMPORTEMENTS : ÉCHANGE DE SERVICES, LOCATION

ENTRE PARTICULIERS, TROCS… AUTANT D’ALTERNATIVES,

QUI TROUVENTDE PLUS EN PLUS D’ÉCHO

¶Simon Johnson est professeur à la Sloan School of Management du Massachusetts Institute of Technology

¶Matthias

Berahya-Lazarus est président de la société Bonial, groupe Axel Springer

Page 36: Monde 2 en 1 Du Jeudi 02 Avril 2015

8 | MÉDIAS&PIXELS JEUDI 2 AVRIL 2015

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Pour Emmanuel Macron, Dailymotion doit rester européenBercy veut qu’Orange cherche un autre acheteur que le chinois PCCW

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Le groupe serait ouvert à tous, no-tamment aux investisseurs euro-péens, promet-on dans l’entou-rage d’Orange.

Parmi les potentiels partenairesissus du Vieux Continent, se mê-lent les noms des allemands Axel Springer et Bertelsmann, mais également des français Vivendi, propriétaire de Canal+, et Allociné. Selon un proche des négociations, c’est Fimalac, la maison mère de cedernier, qui semble le candidat le plus probable. Le groupe de Marc Ladreit de Lacharrière a déjà mani-festé à plusieurs reprises son inté-rêt pour Dailymotion. Les fuites dans la presse d’une possible en-trée en négociations de l’ex-mono-pole d’état avec le groupe de Li Ka-shing auraient réveillé l’appétit de l’homme d’affaires pour le site de streaming. Ce dernier n’aurait pas

encore présenté de projet bien dé-fini. Interrogé, le groupe ne sou-haite pas commenter.

Le ralentissement des négocia-tions avec l’homme d’affaires asia-tique a, pour Orange, un goût de déjà vu. Stéphane Richard, patron de l’opérateur, avait en effet dû re-noncer, au printemps 2013, à la ces-sion de la plateforme de streamingau géant américain Yahoo! pour 300 millions de dollars (279 mil-lions d’euros). A l’époque, Arnaud Montebourg, le tonitruant minis-tre du redressement productif, avait tapé du poing sur la table, empêchant la transaction, au mo-tif que Dailymotion devait demeu-rer sous pavillon hexagonal.

Mode opératoire feutré

Cette fois, le mode opératoire estplus feutré, à l’image de M. Ma-cron. Mais le résultat est le même.L’actuel ministre va même plus loin que M. Montebourg : ce der-nier était prêt à voir un partenaireinternational arriver dans le capi-tal de Dailmymotion pour peu qu’il ne s’agisse pas d’une « dévo-ration ». En clair, qu’il ne prennepas plus de 50 % du capital. M. Macron a toutefois clairement indiqué qu’il n’y aurait, de sa part,pas de veto contre le choix du con-seil d’administration d’Orange.

De source proche de l’exécutif,on indique qu’un partenaire chi-nois pour un site de l’importance

et de la taille de Dailymotion est difficilement compatible avec les ambitions française et euro-péenne en matière de numérique.« L’Europe a besoin d’une stratégienumérique ambitieuse dans les prochaines années, fondée sur un marché européen plus intégré », ont ainsi indiqué M. Macron etSigmar Gabriel, son homologue allemand, lors d’un conseil des ministres franco-allemand orga-nisé mardi 31 mars à Berlin.

Dans une déclaration conjointe,les deux ministres ont préconisé l’établissement d’un « cadre régle-mentaire approprié pour des plate-formes structurantes au ni-veau européen », première étape pour la création d’un « marché uni-que du numérique ». Ils veulent mettre l’accent sur des technolo-gies comme le Big data ou encore le « cloud computing », l’informa-tique dans les nuages, qui permet de stocker les données à distance dans des supers ordinateurs.

Pas étonnant, dans ce contexte,que l’attention du gouvernement se porte sur Dailymotion. Le sitede streaming compte 128 millionsde visiteurs uniques par mois contre un milliard pour Youtube,la filiale de Google. Le destin de la plateforme tricolore risque de dé-chaîner les passions pendant en-core quelque temps. p

sarah belouezzane

et cédric pietralunga

A Radio France, une crise politique et existentielleMercredi matin, le PDG, Mathieu Gallet, a remis son « projet stratégique » au gouvernement

suite de la première page

Mais la coexistence de revendica-tions précises et d’une attente pluslarge d’engagements sur les « va-leurs » de la radio publique rend le dialogue délicat.

Les prises de parole de la minis-tre de la communication, Fleur Pel-lerin, à la fois attachée au service public et exigeante sur les écono-mies, n’ont pas rassuré. « C’est le service minimum, on manque d’un discours politique », selon Jean-Paul Quennesson, délégué syndi-cal (SUD). Au ministère, on répète que Mme Pellerin s’exprimera de façon plus concrète dès qu’elle aura reçu le « projet stratégique » demandé à M. Gallet. Celui-ci l’a envoyé au ministère, mercredi.

Dans ce contexte, la publication,mercredi, d’un rapport de la Cour des comptes sur la gestion de Ra-dio France entre 2006 et 2013, peutavoir un double effet. La direction espère que ce constat sévère sur la nécessaire transformation de l’en-treprise permettra de déboucher sur un accord. Mais le rapport est aussi un brûlot, qui propose par exemple une fusion des rédac-tions de France Culture, France Info et France Inter. De quoi jeter dans la mobilisation les journalis-tes, jusqu’ici minoritaires dans le mouvement. Le syndicat national des journalistes (SNJ) a d’ailleurs appelé à la grève pour vendredi.

La crise est complexe car, au-delàdu front social, elle a aussi pris la forme d’une bataille médiatique etpolitique. Dans cet affrontement, deux histoires se font concur-rence. La première met en scène un dirigeant très jeune et ambi-tieux au goût prononcé pour les rénovations dispendieuses et les consultants extérieurs. Elle se dé-ploie dans Le Canard enchaîné, qui a publié, mercredi, une troisième salve de révélations sur les dépen-ses de M. Gallet, datant cette fois deson mandat de président de l’Insti-tut national de l’audiovisuel (2010-2014). L’autre histoire est celle de ladérive financière d’un grand groupe audiovisuel public, qu’a analysée la Cour des comptes dansson rapport portant sur la période 2006-2013, sous les mandats de Jean-Paul Cluzel et Jean-Luc Hees.

L’issue de la première histoiredéterminera, en partie, les termes

parallèle des discussions difficiles avec l’Etat sur les économies à me-ner dans l’entreprise.

Cette dérive est décrite dans lerapport de la Cour des comptes, qui dépeint « une situation finan-cière critique » : « La gestion de Ra-dio France souffre de défaillances qui ne sont pas acceptables pour une entreprise de cette taille et doi-vent donc être corrigées », lit-on. Le texte pointe le rôle insuffisant du conseil d’administration, des pro-cédures qui« tendent à reconduire les dépenses antérieures », une « politique des achats chaotique ».

Entre 2010 et 2013, le chiffre d’af-faires (+ 4,5 %) a progressé moins vite que les charges d’exploitation (+ 7,7 %). Entre 2006 et 2013, la masse salariale a crû de 18,8 %. La cour des comptes estime aussi quele chantier de réhabilitation de la Maison de la radio a été « mal maî-trisé » et « une occasion manquée de se réinventer », en raison notam-ment des « défaillances de la pro-grammation initiale ». « Radio France ne s’est pas dotée, pour con-duire ce projet, d’une équipe, d’une organisation et de procédures adaptées », constate la cour, qui dé-nonce « un doublement du coût » de 262 millions d’euros courants (2004) à 575 millions.

L’importance du chantier est unpoint que Mathieu Gallet a sou-vent mis en avant, allant jusqu’à évoquer un « moratoire » sur les nouvelles tranches de travaux. Mais aussi pour souligner en

creux que la situation actuelle de Radio France trouve sa source dans la décennie antérieure.

Dans l’entreprise, les affaires im-pliquant Mathieu Gallet ont d’abord suscité l’indignation, maisla lassitude semble prendre le des-sus désormais. « Les gens sont plu-tôt énervés par ces révélations, qui affaiblissent Gallet, ce qui est mau-vais pour Radio France », explique une source syndicale.

Sarkozy entre en jeu

Un axe que l’UMP est désormais déterminé à exploiter. Dans cette crise, le vrai responsable n’est pas Mathieu Gallet – ancien conseiller ministériel sous Nicolas Sarkozy –, mais le gouvernement, selon son porte-parole Sébastien Huyghe. « Au lieu de fixer un cap et de mener les réformes progressivement, l’Etatcrée une crise et utilise Mathieu Gal-let comme bouc émissaire » , a dé-claré le député, après une réunion dans laquelle le président du parti, M. Sarkozy, a appelé ses troupes à dénoncer la politique audiovi-suelle de François Hollande, à Ra-dio France et à France Télévisions, qui attend la nomination de son nouveau président par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

« Mathieu Gallet a reconnu des er-reurs et il faudra voir ses réponses au nouvel article du Canard en-chaîné. Mais le fond du problème est ailleurs : que fait-on de cette crise financière à Radio France ? », abonde Franck Riester, député (UMP) spécialisé dans l’audiovi-suel. L’élu a accusé le gouverne-ment d’avoir ponctionné des res-sources destinées à l’audiovisuel pour honorer d’autres dépenses du budget de l’Etat. Et appelé le gouvernement à enfin jouer son rôle de « tutelle responsable et di-gne de ce nom. » p

alexis delcambre

et alexandre piquard

de la sortie de crise, et l’avenir deMathieu Gallet. L’Inspection géné-rale des finances (IGF) ausculte ac-tuellement les dépenses de la di-rection de Radio France et devrait rendre son rapport en fin de se-maine prochaine. Le Canard en-chaîné a ouvert un nouveau front, mercredi, en affirmant que M. Gal-let avait dépensé 125 000 euros pour rénover les deux bureaux que l’INA alloue à son président, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne) et Paris. Moquette remplacée, meu-bles design luxueux : l’article rap-pelle le scoop sorti deux semaines plus tôt au sujet de la rénovation du bureau présidentiel à Radio France. Une décision que le PDG avait qualifiée d’« erreur » dans un entretien au Monde.

Consultants extérieurs

Une autre affirmation du Canard concerne les sommes allouées par Mathieu Gallet à des consultants extérieurs. Plus d’un million d’euros auraient été consacrés, au cours de son mandat à l’INA, à des missions confiées à l’agence Euro RSCG, l’institut OpinionWay (dont Denis Pingaud, resté conseiller de M. Gallet à Radio France, était alorsvice-président), Balises (cabinet créée ensuite par M. Pingaud), le cabinet d’études Roland Berger, Bernard Spitz Conseil, la société decoaching Chrysalis et le cabinet Publicis consultants.

L’hebdomadaire affirme queprès de 800 000 euros de contrats ont été commandés sans mise en concurrence. M. Gallet conteste formellement « ces informations mensongères » : « Ces contrats ont fait l’objet de procédures de mise enconcurrence, conformément à la lé-gislation applicable et aux règles in-ternes de l’institut », a-t-il écrit dansun communiqué. Avant de de-mander « expressément » à l'INA « de bien vouloir apporter le démenti le plus ferme à ces allégations ».

C’est là que commence la se-conde histoire. Mathieu Gallet s’estime victime d’une « campa-gne de déstabilisation particulière-ment violente ». Selon lui, celle-ci est destinée à détourner l’atten-tion d’une autre trame plus im-portante : le dérapage financier de Radio France, sur lequel il a tiré la sonnette d’alarme publiquement à l’automne, alors qu’il menait en

Les affaires

impliquant

Mathieu Gallet

suscitent

désormais

la lassitude

LE CONTEXTE

La Cour des comptes a rendu public, mercredi 1er avril, un rapport sur Radio France, dans lequel elle formule 18 propositions pour rétablir la situation financière :

fusionner les deux orchestres symphoniques de Radio France ;et les rédactions de France Inter, France Info et France Culture ;

étudier toutes les options possi-bles pour la fin du chantier de la Maison de la radio ;

statuer sur l’avenir du Mouv’, radio dévolue aux jeunes et aux cultures urbaines ;

prendre en compte une défini-tion des métiers qui comporte les compétences et les qualifica-tions liées à l’évolution des technologies numériques ;

réviser le cahier des charges de Radio France, qui ne correspond plus aux pratiques de l’entre-prise, en faisant notamment évoluer les relations que Radio France entretient avec les autres entreprises de l’audiovisuel public.

Les prises

de parole

de Fleur Pellerin,

à la fois attachée

au service public

et exigeante sur

les économies,

n’ont pas rassuré

« L’Europe

a besoin

d’une stratégie

numérique

ambitieuse »

EMMANUEL MACRON

ET SIGMAR GABRIEL

ministres de l’économie français et allemand

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