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 Est-ce qu'il y a une privatisation de la légalité administrative ? « A chaque instant, pour les règles de fond, soit pour celles de proc édure , la jurisprude nce  fait des emprunts au droit commun, toutes les fois où la justice ou la nécessité l'exige dans le  silence du dr oit spéc ial », écri t le commissaire du gou ver nement Emi le Reverchon dans ses conclusions sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 février 1852  Niocel . Le phénomène d'application du droit commun par le juge administratif n'a rien de nouveau en soi et a longtemps été vu de manière assez pragmatique. Le juge administratif apprécie la légalité de l'acte soumis à son contrôle à partir d'un bloc de légalité composé de l'ensemble de normes applicables à l'administration. La légalité administrative est composé e, au sens stricte, de l'ensembl e de règles énonç ant les cond itions de légalité des actes administratifs, et dans un sens plus large, de l'ensemble de règles dont le non respect peut amener le  juge à la censure de l'acte en cause. Si l'autorité administrative est soumise au droit, elle est pourtant considérée comme soumise à un droit fait par elle et distinct de celui applicable aux particuliers. Or en même temps, alors même que l'administration est normalement soumise à un droit qui lui est  propre, l'application du droit privé par le juge administratif ne peut pas être exclue, la légalité elle- même étant unique et indivisible. Les références au droit privé faites par le juge administratif sont pourtant plutôt marginales, et cela au moins pour deux raisons. Premièrement, les règles de droit privé sont conçues pour s'appliquer aux personnes privées, agissant dans leurs intérêts privés : c'est un droit de l'égalité qui n'est pas conçu pour prendre en compte l'intérêt général. Deuxièmement, des pans entiers du droit  privé régissent des relations entre des catégories de personnes privées (des opérateurs économiques acti fs sur le mar ché , des consommat eurs et des pro fes sionne ls, etc. ) et exc lue nt semble -t-i l l'application du droit administratif : il n'est pas évident apriori comment ces législ ations peuvent être invoquées devant le juge administratif à l'encontre de l'administration. Les finalités du droit administratif et du droit privé ne sont pas nécessairement convergentes, et on ne voit pas très bien apriori comment certaines règles pourraient coexister au sein d'un même bloc de légalité : si le droit du marché (que ce soit le droit de consommation ou de concurrence) a pour objet l'encadrement des rapports entre des acteurs poursuivant des intérêts privés contradictoires ou mêmes antithétiques, le droit administratif a pour objectif la satisfaction de l'intérêt général et ne s'inscrit pas dans une logique d'opposition des acteurs poursuivant des intérêts antagonistes. Le revirement emblématique est intervenu en droit de la concurrence avec l'arrêt CE 3 nov. 1997 Sté Intermarbres, Sté Yonne Funéraire, Stés Million et Marais , rendu aux concl. Stahl. Dans

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Est-ce qu'il y a une privatisation de la légalité administrative ?

« A chaque instant, pour les règles de fond, soit pour celles de procédure, la jurisprudence

 fait des emprunts au droit commun, toutes les fois où la justice ou la nécessité l'exige dans le

  silence du droit spécial », écrit le commissaire du gouvernement Emile Reverchon dans ses

conclusions sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 février 1852 Niocel . Le phénomène d'application du

droit commun par le juge administratif n'a rien de nouveau en soi et a longtemps été vu de manière

assez pragmatique.

Le juge administratif apprécie la légalité de l'acte soumis à son contrôle à partir d'un bloc de

légalité composé de l'ensemble de normes applicables à l'administration. La légalité administrative

est composée, au sens stricte, de l'ensemble de règles énonçant les conditions de légalité des actes

administratifs, et dans un sens plus large, de l'ensemble de règles dont le non respect peut amener le

 juge à la censure de l'acte en cause. Si l'autorité administrative est soumise au droit, elle est pourtant

considérée comme soumise à un droit fait par elle et distinct de celui applicable aux particuliers. Or 

en même temps, alors même que l'administration est normalement soumise à un droit qui lui est

 propre, l'application du droit privé par le juge administratif ne peut pas être exclue, la légalité elle-

même étant unique et indivisible.

Les références au droit privé faites par le juge administratif sont pourtant plutôt marginales,

et cela au moins pour deux raisons. Premièrement, les règles de droit privé sont conçues pour 

s'appliquer aux personnes privées, agissant dans leurs intérêts privés : c'est un droit de l'égalité qui

n'est pas conçu pour prendre en compte l'intérêt général. Deuxièmement, des pans entiers du droit

 privé régissent des relations entre des catégories de personnes privées (des opérateurs économiques

actifs sur le marché, des consommateurs et des professionnels, etc.) et excluent semble-t-il

l'application du droit administratif : il n'est pas évident apriori comment ces législations peuvent

être invoquées devant le juge administratif à l'encontre de l'administration. Les finalités du droit

administratif et du droit privé ne sont pas nécessairement convergentes, et on ne voit pas très bien

apriori comment certaines règles pourraient coexister au sein d'un même bloc de légalité : si le droit

du marché (que ce soit le droit de consommation ou de concurrence) a pour objet l'encadrement des

rapports entre des acteurs poursuivant des intérêts privés contradictoires ou mêmes antithétiques, le

droit administratif a pour objectif la satisfaction de l'intérêt général et ne s'inscrit pas dans une

logique d'opposition des acteurs poursuivant des intérêts antagonistes.

Le revirement emblématique est intervenu en droit de la concurrence avec l'arrêt CE 3 nov.

1997 Sté Intermarbres, Sté Yonne Funéraire, Stés Million et Marais, rendu aux concl. Stahl. Dans

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cet arrêt, le Conseil d'Etat a jugé que les clauses d'un contrat par lequel une commune concède à une

entreprise un service de pompes funèbres ne pouvaient « légalement avoir pour effet de placer 

l'entreprise dans une situation où elle contreviendrait à l'ordonnance du 1er déc. 1986 »

(aujourd'hui aux art. L40-1 et s. du Code de commerce). Le droit de la consommation, un deuxième

 pilier du droit de marché, a été érige en source de légalité administrative par l'arrêt du Conseil d'Etat

du 11 juillet 2001 Société des eaux du Nord .

Le droit du marché (droit de la concurrence et de la consommation) est désormais invocable

  par des particuliers à l'encontre des actes administratifs. Le juge administratif a contrôlé la

conformité aux règles de l'ordonnance 1986 de la délivrance d'un titre d'occupation privatif du

domaine public (CE Sté EDA), des actes réglementaires d'organisation d'un SP (CE 17 déc 1997

Ordre des avocats à la cour de Paris), des mesures de police administrative (CE 22 nov 2000 Sté 

  L&P Publicité ), des décisions fixant le montant de redevances du fait de l'utilisation desinfrastructures essentielles (CE 24 juillet 2006 Sté Cegedim).

Le juge administratif applique donc un certain nombre de règles issues du droit privé, c'est-

à-dire des règles adressées aux particuliers et régissant des comportements des particuliers et non

 pas des personnes publiques. Nous ne nous intéresserons ici aux cas ou le droit administratif 

emprunte des mécanismes de droit privé, comme les baux emphytéotiques administratifs, car s'il y a

une antériorité historique des BE du droit privé aux BEA ou BEH, il ne s'agit là que de mécanismes

d'origine ou plutôt d'inspiration privatiste, ne se rattachant à aucune règle du droit privé.

Il existe naturellement des situations ou le juge administratif est amené à donner son

interprétation à une règle du droit privé, il joue le rôle d'un «  gardien administratif de légalité », de

toute la légalité (comme aurait dit Jean Rivero). Mais dans la jurisprudence Million et Marais, le

 juge administratif exerce un contrôle de légalité à l'égard de son propre bloc de légalité dont font

dorénavant partie les règles du droit de la concurrence : le juge administratif est donc dans cette

hypothèse « gardien de la légalité administrative ». Nous assistons donc à une transformation du

contenu même de la légalité administrative. L'application des règles issues du droit privé traduit-elle

un effacement des particularités de droit administratif, une soumission de la puissance publique au

droit commun ?

Pour prendre l'exacte mesure du changement intervenu, il faut d'abord étudier la question de

la véritable étendue de cette intégration des règles du droit privé dans le bloc de légalité

administrative (I). Il faudra se demander si cette intégration ne porte pas atteinte à la cohérence du

 bloc de légalité administrative (II).

I. L'intégration des règles de droit privé dans le bloc de légalité administrative

 Nous nous intéresserons d'abord aux fondements de l'intégration des règles du droit privé

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au bloc de légalité administrative (A). Il faut encore distinguer entre des différentes techniques

d'application des règles des droit privé par le juge administratif (B).

A/ Les motifs de l'intégration

Le recours aux règles de droit privé traduit-il un échec du droit des services publics ? Le

droit de la consommation arrive-t-il a mieux protéger l'usager du service public, alors qu'il était

longtemps considéré que l'usager du service public était dans une situation privilégiée par rapport

au consommateur des produits et services d'une entreprise privée ? L'intégration des règles de droit

 privé dans le bloc de légalité administrative a été dictée par une nécessité de combler une lacune

dans la répartition de compétences entre les deux ordres juridictionnels. L'application des règles de

droit privé permet au juge de rétablir une cohérence du système juridique tout en protégeant son

domaine de compétence (1). Cette application peut par ailleurs avoir des raisons très différentes (2).

1) Défense de sa compétence par le juge administratif 

L'intégration des règles issues du droit privé dans le bloc de légalité administrative exprime

la volonté du juge administratif de garder le contrôle sur le droit des services publics . L'exemple le

 plus connu est lié aux arrêts emblématiques du Tribunal des conflits du 6 juin 1989 Ville de Pamiers

et du Conseil d'Etat, Million et Marais relatifs au contrôle de légalité des actes administratifs

susceptibles de porter atteinte aux règles de concurrence. Dans le système établi par la

  jurisprudence du Tribunal des conflits Ville de Pamiers, lorsque l'administration a une activité

économique, les règles de concurrence issues de l'ordonnance du 1986 sont applicables, et c'est le

Conseil de le concurrence qui est compétent sous contrôle de la Cour d'Appel de Paris. Or lorsque

l'administration n'exerce pas d'activité économique, le moyen tiré de la violation des règles de

concurrence est inopérant et ne doit pas être examiné, ces actes échappent donc en toute hypothèse

à la compétence de la Cour d'appel et au droit de la concurrence. Du point de vue pragmatique, il

n'était pas impossible d'imaginer que face à l'hésitation du juge administratif, le juge judiciaire

 pourrait se saisir du contrôle de la légalité des actes administratifs. Après l'arrêt Ville de Pamiers et

surtout CE 23 juillet 1993 Cie générale des eaux, une partie de la doctrine avait d'ailleurs proposé

d'écarter la compétence du CE et de revenir à la CA de Paris et au Conseil de la Concurrence. Le

 juge administratif contrôle la conformité des actes réglementaires au droit de la consommation face

au risque de voir le juge judiciaire se saisir de ce contrôle.

Confronté au risque de se voir dépossédé d'une part significative de son contrôle sur des

 pans entiers du droit des services publics du fait de la subordination croissante de politiques publics

au droit commun, le Conseil d'Etat a accepté d'exercer un contrôle nouveau afin de ne pas se voir 

 privé du contrôle de la légalité des actes administratifs. Cette idée est exprimée par le commissaire

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du gouvernement Jacques-Henri Stahl, concl. sous l'arrêt Million et Marais: « nous souhaitons que

vous puissiez continuer à jouer votre rôle dans l'élaboration du droit des SP ».

Le juge administratif a réussi a regagner son domaine de compétence : il est désormais seul

compétent pour apprécier la légalité au regard du droit de la concurrence des décisions par 

lesquelles les personnes publiques assurent une mission de SP au moyen de PPP ainsi que les

 pratiques indissociables de ces décisions. La compétence des autorités de concurrence s'étend aux

 pratiques détachables de l'appréciation de la légalité des actes administratifs (TC 18 octobre 1999

 Aéroports de Paris).

L'application du droit privé aux actes administratifs par le juge administratif a par ailleurs

 permis de dépasser une incohérence du système juridique. Le phénomène d'application du droit

 privé par le juge administratif résulte d'une prise de conscience du fait qu'un acte administratif peut

 porter atteinte à la concurrence ou mettre une personne en situation de porter atteinte à un loi pénale. Le juge administratif a donc comblé des lacunes dans la compétence aussi bien que dans le

fond lorsqu'il a été confronté aux situations ou aucun juge n'était compétent, mais en même temps

au fond il y avait une réalité sociale perçue comme devant être transférée au juge.

La lacune était d'autant plus évidente que le moyen tiré de la violation des règles

communautaires de concurrence avait déjà été examiné par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 8

novembre 1996,   Fédération française des sociétés d'assurances à l'occasion du  contrôle de la

légalité d'un acte administratif, en espèce d'un décret assurance-vieillesse. Il était étonnant que le

 juge refuse d'exercer au regard des règles nationales le même type de contrôle qu'il pratiquait déjà

au regard des règles communautaires.

Le juge judiciaire étant incompétent pour se prononcer sur la légalité des actes

administratifs, l'absence de contrôle par le juge administratif aboutirait à interdire tout contrôle de la

légalité de ces actes à l'égard du droit du marché. Dans l'arrêt Million et Marais, le Conseil d'Etat,

en dissociant le droit de la concurrence de la compétence juridictionnelle des tribunaux judiciaires,

a comblé cette lacune dans le contrôle de la légalité en ouvrant la voie au contrôle des actes

administratifs au regard des règles de concurrence. Cette solution a considérablement étendu le

champ d'application de l'ordonnance du 1986. Le droit public de la concurrence ne vise pas

seulement les activités d'entreprise des pers publiques, il vise jusqu'aux leurs fonctions normatives,

les activités des personnes publiques ne pouvant plus compromettre le fonctionnement concurrentiel

des marchés.

Le juge administratif n'empiète pas sur la compétence du juge judiciaire : il comble une

lacune en exerçant un contrôle propre et original. Le contrôle des actes administratifs par le juge

administratif est un contrôle apriori et in abstracto de la légalité de l'acte à la date à laquelle il a été

 pris, il complète le contrôle aposteriori in concreto du juge judiciaire qui porte sur des agissements

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ou des pratiques. Dans ce sens, les deux contrôles sont complémentaires, l'intervention du juge

administratif dans ce domaine étant donc bénéfique.

2) Une grande diversité des motifs

La motivation exposée plus haut correspond à la situation telle qu'elle se présente en droit

de la concurrence. Il serait pourtant faux de dire que cette explication vaut pour l'ensemble des

règles de droit privé appliquées par le juge administratif. Il existe en réalité une grande diversité des

motifs qui ne se réduisent pas à un schéma uniforme. Il s'agit parfois d'une pure situation d'espèce,

comme en droit pénal : la solution de l'arrêt  Lambda est semble-t-il plus motivée par l'absence d'un

autre fondement pour censurer l'acte créant une situation à l'évidence inacceptable ; malgré toute

l'importance symbolique de l'arrêt, il s'agit plus d'une solution liée au cas d'espèce et n'ayant en

vérité pas connu de suites.En droit des services publics, l'application du droit de la consommation permet dans

certaines hypothèses d'améliorer la situation des usagers en créant un minimum de garanties

communes applicables indistinctement aux usagers de services public et aux consommateurs des

 produits ou des services des entreprises privées. Le service public existe dans un environnement de

marché : il existe donc au fond l'idée qu'il ne saurait être exempt des lois régissant ce marché.

L'usager qui paye une somme équivalente au service se trouve dans la situation d'un

consommateur ; il doit donc bénéficier des mêmes garanties que celui-ci. Le juge administratif 

s'estime donc obligé d'appliquer une règle issue du droit de la consommation, le droit classique des

services publics ne permettant pas de procéder au contrôle des clauses d'un contrat d'adhésion

imposé par le service public lorsque celles-ci peuvent s'avérer déséquilibrées.

L'application du droit de travail aux agents publics permet d'accorder une protection

satisfaisante aux agents non titulaires se trouvant dans une situation précaire.

B/ Les modèles d'intégration du droit privé dans le bloc de légalité administrative

L'application du droit privé par le juge administratif ne suit pas toujours un schéma logique

uniforme. Il faut distinguer au moins deux cas : soit la règle est transposée directement à l'action, y

compris normative, de l'administration (1), soit la règle est appliquée par interprétation extensive,

 par analyse des effets des actes administratifs déférés au contrôle du juge (2).

1) L'application directe des règles issues du droit privé à l'administration

Dans cette hypothèse, la personne publique est assimilée à une personne soumise au droit

 privé, à un professionnel soumis au droit de la consommation ou à un opérateur économique soumis

au droit de la concurrence. Dans cette hypothèse, la personne publique porte elle-même atteinte à

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une règle de droit privé.

Ainsi, la législation relative aux clauses abusives s'applique aux contrats conclus entre SPIC

et leurs usagers (CE 11 juillet 2001 Sté des eaux du Nord ). Le Conseil d'Etat juge qu'un acte

administratif imposant des modalités d'occupation de domaine public par laquelle l'autorité abuse

de position dominante viole l'ordonnance du 1986 (CE 26 mars 1999 Sté Hertz, Sté EDA). Est

annulé un arrêté établissant des tarifs de vente de fichiers INSEE amenant INSEE aux abus

automatiques de position dominante (CE 29 juillet 2002 Sté Cegedim). Cette dernière affaire

démontre d'ailleurs que l'application d'une règle empruntée au droit privé permet au juge

administratif de procéder à un contrôle beaucoup plus poussé des comportements de

l'administration, le droit de la concurrence dans les activités économiques des personnes publiques

s'avérant être plus efficace que les règles traditionnelles du droit administratif. En effet, dans

l'affaire des répertoires SIRENE commercialisés par INSEE, les prix de commercialisation ont étécontesté devant le juge administratif sur le fondement des principes de proportionnalité entre la

redevance payée et le service rendu. Le CE a exercé un contrôle d'erreur manifeste d'appréciation et

constaté que le montant n'était pas manifestement disproportionné par rapport au service rendu (CE

Ass.10 juillet 1996 Société Direct Mail Production). Quelques années plus tard, dans l'arrêt

Cegedim de 2002, le juge administratif a procédé à un contrôle beaucoup plus poussé des tarifs

imposés par l'INSEE, cette fois-ci sur le fondement des règles de concurrence.

Dans un autre domaine, en droit de fonction publique, le juge administratif impose à

l'administration le respect de règles du Code du travail qui s'appliquent aux employeurs de droit

 privé, dont l'interdiction de licencier un agent public en grossesse (CE Ass. 18 juin 1973  Dame

 Peynet ), l'applicabilité du SMIC aux agents publics (CE 23 avr 1982 Ville de Toulouse),

l'interdiction d'infliger des amendes aux agents publics (CE Ass. 1er juillet 1988 Billard et Volle).

Ce premier type d'application du droit privé par le juge administratif consiste donc en un

emprunt de la norme et en sa transposition directe et immédiate à l'administration. Cette

transposition des règles de droit privé résulte parfois d'une interprétation extensive de la règle :

ainsi, l'art. 213 CCiv qui dispose que « les époux assurent ensemble la direction morale et 

matérielle de la famille » ne pose aucune obligation ni en droit de fonction publique, ni en droit de

travail. Or le CE dans l'arrêt du 28 juillet 1993 Mme Dupuy a déduit de l'art 213 que les avantages

accordés aux fonctionnaires de sexe masculin affectés dans un territoire d'outre-mer au titre de leur 

épouse et de leurs enfants doivent être également accordés aux fonctionnaires de sexe féminin au

titre de leur mari et de leurs enfants.

2) L'interprétation par analyse des effets produits par l'acte

Dans de nombreux cas, le juge administratif étend la justiciabilité de certaines règles issues

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du droit privé en analysant les effets produits par les actes administratifs déférés à son contrôle.

Dans cette hypothèse, la personne publique ne viole pas aucune norme, mais elle met les personnes

 privées en situation de porter atteinte à une règle du droit privé. Le juge « découvre » ainsi dans une

règle privatiste une autre, applicable à l'administration.

Si l'ordonnance du 1986 s'adresse clairement aux opérateurs privés exerçant des activités de

 production, distribution et de services, le juge administratif applique l'ordonnance à l'administration

 par interprétation extensive en estimant que l'acte déféré à son contrôle influence des activités en

question (CE Million et Marais).

Cette situation n'est pas isolée : alors que l'article L432-13 du Code pénal (relatif au délit de

 prise illégale d'intérêts) ne pose aucune obligation à la charge de l'administration, le Conseil d'Etat y

« découvre » une interdiction adressée à l'administration de nommer un fonctionnaire dans un poste

ou il méconnaitrait cette règle (CE 6 décembre 1996 Sté Lambda).Ce modèle d'application du droit privé est donc fondé sur une interprétation créative. Pour 

le juge administratif, lorsqu'une règle de droit prohibe un certain comportement, elle importe

implicitement l'interdiction à l'administration d'édicter un acte qui permettrait à une personne

d'adopter le comportement interdit. La seconde règle est dérivée de la première et consubstantielle

à celle-ci. Ce raisonnement n'est qu'une conséquence logique de l'unité du système juridique

national : un acte administratif ne peut poser une personne privée en situation de porter atteinte à

une norme sanctionnée par la loi.

Dans se modèle, il ne s'agit pas à proprement parler d'une privatisation du fond du droit,

comme dans le cas d'application directe des règles du droit privé à l'administration, mais plutôt

d'une privatisation des sources de référence. Le juge administratif se réfère au droit privé, mais les

règles de référence ne sont pas transposables à l'identique, elles sont donc plutôt redécouvertes. Le

 juge administratif en exerçant son contrôle déduit par hypothèse les effets de l'acte au jour de son

édiction. L'originalité de l'office du juge administratif consiste en ce qu'il n'analyse pas les effets

d'un acte administratif sur le marché, son analyse ne s'attache pas aux conséquences et est effectuée

 presque « in abstracto ».

Cette démarche analytique adoptée par le juge administratif emporte comme conséquence

l'obligation pour l'administration de prendre en compte les règles de concurrence en édictant une

réglementation quand cela est susceptible d'avoir une incidence sur une activité économique.

L'administration porte atteinte aux règles de concurrence issues des art. L420-1 et L420-2 du Code

de commerce en donnant un agrément administratif à une entente entre professionnels (CE Sect. 30

avril 2003 Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d'eau et

d'assainissement). Cette technique du juge s'applique aux décisions individuelles, mais aussi aux

mesures de police (CE 22 novembre 2000 Sarl LEP Publicité). Le Ministre de l'intérieur dans

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l'exercice de ses pouvoirs de police des jeux doit veiller à ne pas porter atteinte au jeu de la

concurrence sur le marché (CE Sect. 10 mars 2006 Cne de Houlgate et sté d'exploitation du casino

d'Houlgate). 

Malgré l'avancée que constitue cette jurisprudence, il faut néanmoins reconnaître que les

annulations sont logiquement rares sur le terrain de règles de concurrence. Les actes administratifs

n'encourent l'annulation que lorsqu'ils organisent une entente ou un abus automatique de position

dominante.

II. Réappropriation des règles d'origine privatiste par le juge administratif 

L'intégration des règles issues du droit privé dans le bloc de légalité administrative ne peut

  pas être automatique et s'accommode nécessairement des caractère spécifiques du droitadministratif. Tout le sens de l'office du juge administratif est dans le caractère dérogatoire au droit

commun de la justice administrative : le juge administratif, par la nature même de son office, prend

en compte un élément ignoré par le juge judiciaire, notamment l'intérêt général. L'interprétation

qu'il donne aux règles issues du droit privé n'est donc pas tout à fait la même que celle du juge

  judiciaire (A). Le processus d'intégration des règles du droit privé dans le bloc de légalité

administrative reste maîtrisé par le juge administratif et, en fin de compte, assez limité (B).

A/ L'interprétation de la règle d'origine privatiste par le juge administratif 

Les règles empruntées par le juge administratif au droit privé sont tirées des systèmes ayant

des fondements idéologiques spécifiques, parfois étrangers au droit administratif. En acceptant à

appliquer une règle de droit privé, le juge administratif reprend-il aussi les fondements idéologiques

de cette règle ? Ainsi, le droit de la consommation vise à rétablir l'égalité entre les parties au contrat

de consommation ; cette exigence d'égalité peut-elle être appliquée à une relation d'un SPIC avec

des usagers ? Dans l'arrêt du 13 mars 2002, Union fédérale des consommateurs, le CE fait prévaloir 

le principe d'égalité des usagers devant le service public sur le principe de prohibition de vente liée

du droit consommation. Les règles issues du droit privé sont donc appliquées avec prise en compte

des considérations d'intérêt général. Une conciliation s'opère sur le plan de principes (1), mais aussi

sur le plan de notions (2).

1) Conciliation des principes : la règle du droit privé confrontée à l'intérêt général

Le droit administratif ne s'oppose plus radicalement au droit du marché, les deux ne sont

 pas forcément antagonistes, et ils peuvent souvent être convergents (un marché concurrentiel

 bénéficie aux consommateurs). En cas de divergence, comment s'articule le droit privé appliqué par 

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le juge administratif avec l'intérêt général dont le juge administratif est le gardien ?

Le fait de devoir respecter les règles de concurrence ne permet pas à l'administration de

négliger ses autres besoins. L'application des règles du droit de la consommation en contentieux de

la légalité prend en compte « les caractéristiques particulières du service public » (CE Société des

eaux du Nord ). L'office du juge administratif est de « concilier et combiner des exigences du Code

de consommation avec celles du service public qui peuvent justifier pour les usagers certaines

contraintes ; autrement dit, le caractère abusif d'une clause doit s'apprécier compte tenu des

exigences de service public » (concl. Bergeal sous l'arrêt Société des Eaux du Nord ). La démarché

du juge administratif est pragmatique et finaliste : il reprend les règles du droit privé en visant un

objectif déterminé, celui d'amélioration de la situation du consommateur. Si le juge administratif 

reconnait que les services publics existent sur un marché et doivent respecter les règles de

fonctionnement des marchés, ce respect des règles privatistes n'a pas pour objectif la préservationdu marché en tant que tel, mais plutôt la sauvegarde des intérêts des usagers, et donc, in fine, de

l'intérêt général. C'est donc l'intérêt général lui-même qui change de substance et inclut désormais

la protection des usagers ou encore la protection de la structure concurrentielle du marché.

En droit du domaine public, l'autorité administrative affectataire des dépendances de

domaine public doit gérer celles-ci tant dans l'intérêt du domaine et de son affectation que dans

l'intérêt général et lorsque, conformément à l'affectation de ces dépendances, celles-ci sont le siège

d'activités de production, de distribution ou de services, de prendre en considération les diverses

règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ou l'ordonnance du 1er 

décembre 1986, dans le cadre desquelles s'exercent ces activités. L'autorité administrative prend des

décisions sous le contrôle du juge administratif compte tenu de l'ensemble de ces principes et de ces

règles, qu'elle applique en les combinant, c'est ce qui résulte de l'arrêt CE Sté EDA du 26 mars 1999.

C'est en cela que consiste une différence de taille dans l'application du droit du marché par 

le juge administratif et par le juge judiciaire : pour le juge administratif, la violation d'une règle

issue du droit de la concurrence ou de la consommation n'entraine pas automatiquement l'annulation

de l'acte violant la règle. En analysant ce phénomène, Guylain CLAMOUR dans sa thèse « Intérêt

général et concurrence » parle de l'absorption de règles rattachées traditionnellement au droit privé

dans l'élaboration du droit administratif.

Cette idée n'est pas inconnue du droit communautaire : la jurisprudence de la CJCE du 19

mai 1993 Corbeau accepte des dérogations au droit de la concurrence dans les hypothèses oú une

finalité d'intérêt général est en cause.

L'arbitrage entre le respect du droit de marché et le droit du service public pose plusieurs

questions : des fois, le juge va assez loin dans la défense de la concurrence contre les intérêts

sociaux (CE Sect 30 avril 2003 Synd. Des exploitants indépendants des réseaux d'eau et 

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d'assainissement ), des fois, à l'inverse, il permet au gestionnaire du service public d'accorder un

soutien à l'entreprise de SP utilisatrice de domaine public au détriment de ses concurrents (CE 30

  juin 2004 Département de la Vendée). L'application de la règle rattachée au droit privé n'est pas

immédiate : elle s'opère par degrés, par conciliation de plusieurs éléments à prendre en

considération et en organisant une soumission des services publics au droit du marché par degrés.

L'incorporation des règles d'origine privatiste dans le bloc de légalité administrative impose

au juge de privilégier les éléments de nature matérielle plus qu'organique : la qualité d'acte

administratif ou d'opérateur public ne justifie plus des dérogations aux règles de droit commun. Le

service public n'est plus, ou pas complètement, une activité d'intérêt général soustraite aux lois du

marché. Le seul fondement qui peut désormais justifier une dérogation au droit commun est

  justement celui d'intérêt général. Il est d'ailleurs possible d'y voir une influence du droit

communautaire, qui fait systématiquement prévaloir le critère matériel, en limitant la prise encompte du critère organique.

2) L'appropriation des notions privatistes par le droit administratif 

Des notions privatistes sont désormais couramment utilisées par le juge administratif à titre

de contrôle de conformité des actes administratifs au droit de la concurrence ou de la

consommation. Or le juge administratif n'est en pas obligé de donner aux notions empruntées au

droit privé exactement la même portée que le juge judiciaire. Il en est ainsi des notions

d'infrastructure essentielle ou de ressources essentielles, de marché pertinent, d'abus de position

dominante. Elles sont réappropriées par le juge administratif et non pas transposées à l'identique car 

elles doivent s'accommoder de l'intérêt général.

Ainsi, dans l'arrêt Sté des eaux du Nord , le Conseil d'Etat donne une interprétation originale

à l'article L132-1 al.5 du Code de la consommation : pour le juge administratif, le caractère abusif 

d'une clause s'apprécie en se référant non seulement « à toutes les autres clauses du contrat », mais

aussi, lorsque le contrat a pour objet l'exécution d'un service public, aux « caractéristiques

 particulières de ce service ».

Le juge administratif donne une interprétation autonome de la notion d'abus de position

dominante :  compte tenu de la nature du contrôle exercé par le juge administratif, l'abus dont il

s'agit est nécessairement un abus « automatique ». En effet, le juge administratif ne saurait tenir 

compte de la mise en œuvre concrète de l'acte, celle-ci relevant de la compétence du juge judiciaire,

c'est une conséquence directe de la nature même de l'office du juge administratif d'excès de pouvoir.

Est ainsi maintenu un décret qui crée une position dominante mais ne place pas le concessionnaire

en situation d'abus automatique de position dominante (CE 17 déc 1997 Ordre des avocats à la

Cour de Paris).

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Le juge administratif élabore donc ses propres notions à partir des notions privatistes. Cette

situation est dangereuse : c'est ce risque de divergences qui peuvent apparaître dans l'application et

l'interprétation du droit qu'a voulu éviter le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 janvier 

1987 en unifiant le contentieux de la concurrence sous l'autorité de la Cour de Cassation. Pour 

donner une interprétation à un niveau minimum commune aux notions empruntées au droit de la

concurrence, le juge administratif peut, en vertu de l'art 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

lorsqu'il doit apprécier la légalité d'un acte administratif en prenant en compte le droit de la

concurrence , consulter le Conseil de la concurrence en lui demandant des éléments d'appréciation.

Le juge administratif fait usage de cette possibilité et saisit le Conseil de la concurrence pour avis

sans y être obligé (c'est l'exemple des arrêts Sté EDA ou Cegedim ; dans les deux cas, le Conseil

d'Etat a suivi l'avis du Conseil de la concurrence). La question posée est le plus souvent celle de

savoir si l'acte administratif attaqué a pour effet de poser l'entreprise en situation d'abus automatiquede position dominante.

Le juge administratif garde donc son pouvoir d'interprétation de la règle alors même que

celle-ci est d'origine privatiste.

B/ Une extension de légalité administrative maîtrisée par le juge administratif 

Le droit administratif se développe de manière autonome et l'extension de la légalité

administrative reste maîtrisée par le juge administratif. Le juge administratif a ainsi fait usage de la

technique des principes généraux du droit pour développer une jurisprudence autonome, quoique

influencée par le droit privé (1). L'autonomie du droit administratif n'est donc pas atteinte du fait de

l'extension de la légalité administrative (2).

1) L'apparition d'une jurisprudence autonome inspirée par le droit privé : la

technique des « principes généraux du droit »

Avec une certaine maturation de sa jurisprudence (qui surtout visible en droit de la

concurrence ou la jurisprudence est plus riche), le juge administratif s'écarte progressivement des

sources privatistes pour se référer aux principes dégagés par la jurisprudence administrative. Cela

est naturel : des lors que les articles du Code de commerce ne visent pas directement

l'administration, il est plus facile d'appliquer à l'administration les principes dont s'inspirent ces

articles que les articles en eux-mêmes.

CE renvoie ainsi au « principe de la liberté de concurrence qui découle de l'ordonnance du

1er décembre 1986 » (CE 1er avril 1998, Union hospitalière privée ; CE avis 8 nov 2000 Sté Jean-

 Louis Bernard Consultants) ou au « principe de libre concurrence » (CE 28 mars 2001 Fédération

nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance, CE 16 janvier 2002, Syndicat national 

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d'esthétique), ou encore aux « règles de concurrence » (CE 30 juin 2004  Département de la

Vendée). Le juge administratif se réfère de plus en plus rarement à la règle de droit privé, préférant

fonder sa décision sur le PGD qui inspire la règle et la dépasse. Cette technique permet au juge

administratif de préserver l'autonomie de ses interprétations sans porter l'atteinte à l'unité du droit.

La technique des « principes généraux du droit » favorise le caractère jurisprudentiel du droit

administratif : le fait de se référer à un PGD plutôt qu'à un texte écrit ouvre une plus large marge de

manœuvre au juge qui n'est donc plus lié par un texte.

2) L'absence d'atteinte à l'autonomie du droit administratif 

L'appréhension du droit privé par le juge administratif est assez pragmatique. Certaines

règles d'origine privatiste sont appliquées par le juge administratif, mais le droit de consommation

ou de la concurrence ne s'applique pas dans son ensemble à l'action de l'administration.L'intégration d'une règle dans le bloc de légalité administrative n'a rien d'automatique, et cela pour 

une raison assez simple : certaines règles privatistes sont incompatibles avec le droit public,

certaines poursuivent des finalités opposées à celles poursuivies parle juge administratif. Nous ne

citerons ici qu'un seul exemple, l'obligation d'information de l'art L111-1 Code de la consommation.

Cette obligation poursuit l'objectif de permettre au consommateur d'être suffisamment informé des

caractéristiques du produit ou de service en cause pour pouvoir négocier les conditions de son

obtention et échapper aux contrats d'adhésion. Or le principe d'égalité de traitement des usagers des

services publics s'oppose à ce que les prestations de service public soient individualisées pour 

chaque usager. Le juge administratif n'applique donc que les règles compatibles avec la finalité du

droit administratif. Aucune règle empruntée au droit privé par le juge administratif n'est pas

appliquée de plein droit : juge administratif n'emprunte au droit privé que là ou le droit privé réussit

à mieux protéger l'intérêt général que le droit spécial. Le droit privé est en ce sens une source

d'inspiration plutôt qu'une règle d'application directe et immédiate. Lorsque le juge administratif 

 prend en compte un texte de droit privé, il décide librement d'appliquer ce texte à l'administration,

mais le texte ne s'impose pas en tout état de cause à l'administration, et le fondement de la force

obligatoire du texte ne se trouve que dans une décision juridictionnelle.

Une autre remarque doit être faite : le phénomène, pour être significatif juridiquement, n'a

 pas en réalité une grande importance quantitative. Le nombre d'arrêts reprenant la solution Million

et Marais est en fin de compte assez faible, sauf peut-être en droit de la concurrence. L'application

des règles de droit pénal ou encore du droit de la consommation n'a pas en revanche de grande

ampleur quantitative.

Si l'on entend sous l'autonomie de droit administratif la possibilité au juge administratif de

se déterminer soi-même, on peut conclure que l'autonomie du droit administratif n'est pas remise en

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question par des emprunts au droit privé. Il n'y a donc pas de privatisation de légalité administrative

autant qu'il n'y a pas d'applicabilité de plein droit du droit privé à l'action de l'administration. Mais il

y a certainement une certaine convergence du fond du droit, dictée par les mutations actuelles de

l'idéal social de l'équité et de justice.