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Représentations Naives & Représentations Fonctionnelles des Elèves dans la Compréhension de Schémas Electriques & Electroniques René Amigues Erick Cazalet Annie Gonet Université de Provence, Aix-en-Provence, France L’enseignement de la Physique ou de la Technologie au Collège répose essentiellement sur une approche qualitative des situations. L‘objectif des problèmes et des expériences pro- posés aux élèves vise la compréhension des phénomènes mis en jeu et non pas la formalisa- tion mathématique. Autrement dit, ces situations visent l’apprentissage des ((significations physiques et techniques)): les élèves doivent parvenir à de ((bonnes descriptions)). Dans ces situations l’activité graphique est importante et la figuration graphique qui repré- sente de façon codée et symbolique des objets, des propriétés et leurs relations joue un rôle important dans l’appropriation de connaissances et de représentations fonctionnelles. Or des représentations «naives» (conceptions ontologiques, connaissances pragmatiques) interfèrent avec les situations construites présentées aux élèves en intervenant, ici, comme obs- tacle à l’apprentissage. 1. Les études sur les représentations «naives» des élèves à l’égard du courant et des cir- cuits électriques (cf. Tiberghien, 1983) montrent que les représentations des élèves qui évo- luent avec l’âge (de l’école primaire à l’université) sont susceptibles d’évoluer sous l’effet de l’enseignement: (a) une conception unipolaire de la pile consiste à penser qu’un seul fil, reliant une borne à la lampe, est suffisant pour faire briller cette dernière; (b) une conception bipo- laire de la pile consiste à penser que 2 courants distincts sortent par chaque borne de la pile et se rencontrent dans la lampe pour la faire briller (((courants antagonistes))); (c) une conception circulatoire consiste à penser que le courant sort par une borne, passe dans un fil, traverse la lampe en la faisant briller et revient affaiblit, par l’intermédiaire d’un autre fil, à la seconde borne. Cette conception circulatoire demeure prédominante dans les raison- nements mis en jeu par les élèves et les étudiants. 2. Le raisonnement spontane des élèves est guidé par ces conceptions liées à la circula- tion du courant. Ce raisonnement, qui repose sur la ((métaphore du fluide en mouvement)) (Joshua, 1984), est appelé ((séquentiel))(Closset, 1983) car il consiste à parcourir le schéma en traitant de façon indépendante et successive la suite des éléments dans le circuit. A cette conception se conjugue la description en langage naturel qui introduit la temporalité et la linéarité dans le raisonnement causal. Ce fonctionnement spontané, qui ne permet pas. de concevoir un circuit électrique comme un système, constitue, en fait, un obstacle cognitif. 3. Raisonnement spatial et iqfiérences fonctionnelles: Dans la lecture de schèmas il existe (a) une relation étroite entre la qualité de l’analyse spatiale, la mise en relation entre les infor- mations et les inférences fonctionnelles subséquentes (Larkin & Simon, 1981; Amigues,

Représentations Naives & Représentations Fonctionnelles des Elèves dans la Compréhension de Schémas Electriques & Electroniques

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Page 1: Représentations Naives & Représentations Fonctionnelles des Elèves dans la Compréhension de Schémas Electriques & Electroniques

Représentations Naives & Représentations Fonctionnelles des Elèves dans la Compréhension de Schémas Electriques & Electroniques

René Amigues Erick Cazalet Annie Gonet Université de Provence, Aix-en-Provence, France

L’enseignement de la Physique ou de la Technologie au Collège répose essentiellement sur une approche qualitative des situations. L‘objectif des problèmes et des expériences pro- posés aux élèves vise la compréhension des phénomènes mis en jeu et non pas la formalisa- tion mathématique. Autrement dit, ces situations visent l’apprentissage des ((significations physiques et techniques)): les élèves doivent parvenir à de ((bonnes descriptions)).

Dans ces situations l’activité graphique est importante et la figuration graphique qui repré- sente de façon codée et symbolique des objets, des propriétés et leurs relations joue un rôle important dans l’appropriation de connaissances et de représentations fonctionnelles.

Or des représentations «naives» (conceptions ontologiques, connaissances pragmatiques) interfèrent avec les situations construites présentées aux élèves en intervenant, ici, comme obs- tacle à l’apprentissage.

1. Les études sur les représentations «naives» des élèves à l’égard du courant et des cir- cuits électriques (cf. Tiberghien, 1983) montrent que les représentations des élèves qui évo- luent avec l’âge (de l’école primaire à l’université) sont susceptibles d’évoluer sous l’effet de l’enseignement: (a) une conception unipolaire de la pile consiste à penser qu’un seul fil, reliant une borne à la lampe, est suffisant pour faire briller cette dernière; (b) une conception bipo- laire de la pile consiste à penser que 2 courants distincts sortent par chaque borne de la pile et se rencontrent dans la lampe pour la faire briller (((courants antagonistes))); (c) une conception circulatoire consiste à penser que le courant sort par une borne, passe dans un fil, traverse la lampe en la faisant briller et revient affaiblit, par l’intermédiaire d’un autre fil, à la seconde borne. Cette conception circulatoire demeure prédominante dans les raison- nements mis en jeu par les élèves et les étudiants.

2. Le raisonnement spontane des élèves est guidé par ces conceptions liées à la circula- tion du courant. Ce raisonnement, qui repose sur la ((métaphore du fluide en mouvement)) (Joshua, 1984), est appelé ((séquentiel)) (Closset, 1983) car il consiste à parcourir le schéma en traitant de façon indépendante et successive la suite des éléments dans le circuit. A cette conception se conjugue la description en langage naturel qui introduit la temporalité et la linéarité dans le raisonnement causal. Ce fonctionnement spontané, qui ne permet pas. de concevoir un circuit électrique comme un système, constitue, en fait, un obstacle cognitif.

3. Raisonnement spatial et iqfiérences fonctionnelles: Dans la lecture de schèmas il existe (a) une relation étroite entre la qualité de l’analyse spatiale, la mise en relation entre les infor- mations et les inférences fonctionnelles subséquentes (Larkin & Simon, 1981; Amigues,

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1985, 1987); (b) un ordre d’acquisition des connaissances: les élèves (6*” & 4‘”’) doivent s’approprier les connaissances relatives au code graphique, ensuite aux relations spatiales pour pouvoir accéder aux connaissances techniques représentées par le schéma (Cazalet, 1985); (c) une relation entre l’amélioration de la figuration graphique et l’amélioration dans la con- ception du fonctionnement d’un circuit électrique (Cazalet, ibid.)

4. Les principes d’induction didactique retenus s’inspirent directement des recherches menées en Psychologie cognitive et en Didactique de la Physique sur les conceptions des élè- ves, le raisonnement séquentiel et la lecture de schémas. Dans le but d’améliorer la compré- hension de circuits électroniques chez des élèves de classe de geme, en technologie (Gonet, 1986)’ il fallait trouver des situations qui sollicitent de leur part un effort représentatif et une activité d’organisation et de réorganisation des significations. A cet égard, un travail sur les représentations et la figuration graphique était susceptible de compléter l’activité de fabri- cation. Le moyen d’action retenu était de déstabiliser la procédure séquentielle en «forçant» les élèves à recourir à des moyens graphiques. Ils pouvaient ainsi questionner autrement l’objet, procéder à différentes lectures d’un même objet ... La manipulation de ces objets graphiques devait permettre simultanément la déstabilisation de la procédure initiale et l’appropriation d’outils graphiques pour élaborer leurs cadres interprétatifs.

5 . Les résultats de l’expérience concernent deux classes de 6‘”’‘ (une expérimentale et l’autre contrôle) du même établissement scolaire dont le temps et le contenu d’enseigne- ment étaient controlés. Les élèves étaient confrontés a la compréhension et à la fabrication d’un composant électronique. On note, dans la classe expérimentale, outre la qualité des tra- cés qui témoigne d’une bonne représentation des relations entre les connexions, une disposi- tion des éléments indépendante des «traits de surface)). En effet, dans cette classe, les dessins d’implantation produits à partir d’un schéma de principe sont gérés par des règles qui ne s’appuient pas sur une conception circulatoire mais résultent de la maîtrise par ces élèves de relations fonctionnelles entre les élèments. Ces progrès perdurent 3 mois après enseigne- ment dans la classe expérimentale alors que les effets immédiats de l’enseignement s’atté- nuent dans la classe contrôle.

6. Conclusion

Dans l’étude de la compréhension de situations techniques on a tenté de prendre en compte de façon effective les ((Représentations naives)) des élèves et, en destabilisant les procédures familières qui leur sont associées, on a pu induire chez eux un changement de conception qui perdure après enseignement. On est conscient d’avoir travaillé sur des conceptions initia- les relativement bien repérées et susceptibles d’évoluer. Cependant, qu’en est-il pour des con- ceptions qui, de l’ordre de l’obstacle épistémologique, sont extrêment résistantes au changement? Par ailleurs, dans l’étude de la compréhension l’aspect qualitatif du raisonne- ment est mis en avant. Or dans l’enseignement (surtout au Lycée) il semble que cette phase de compréhension soit réduite, au bénéfice du raisonnement quantitatif, calculatoire. Dans ces conditions, comment l’Enseignement peut-il engendrer des progrès dans la formalisation, la conceptualisation du réèl si les élèves n’ont pas une compréhension physique suffisante des situations auxquelles ils sont confrontés?

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84 R. AMIGUES, E. CAZALET & A. GONET

Références

Amigues, R. (1985). Représentation graphique et représentation des connaissances. Rchnologies, Idéologies, Pratiques,

Amigues, R. (1987). Peer interaction in solving physics problems: Sociocognitive confrontation and metacognitive aspects.

Cazalet, E. (1985). Figuration graphique et appropriation d’un objet technique. Technologie, Idéologies, Pratiques,

Closset, J. L. (1983). Le raisonnement séquentiel en électrocinétique. Thèse présentée pour le Doctorat de 3hc cycle,

Gonet, A. (1986). Ifluence d’un dispositif pédagogique sur les acquisitions des élèves en technologie. C.O.E.D. Uni-

Joshua, S. (1984). Student’s interpreîation of simple circuit diagrams. European Journal of Science Educaiion, (6). 127-175

Larkin, J. H. & Simon, H. A. (1981). Spatial reosoning in solving physicsproblems. Work paper, SPAT. MSS, October

Tiberghien, A. (1983). Revue critique sur les recherches visant à élucider le sens des notions de circuit klectnques pour

5, (3). 59-75

Journal of Experimental Child Psychology, (à paraître)

5, (3), 77-95

Université de Paris VII.

versité de Provence

2, Carnegie-Mellon University.

les élèves de 8 à 20 ans. Recherche en didactique de la physique. Editions du CNRS, 91-107.