Spiritualité « Etre Libre » N° 14 (Janvier 1946)

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  • 7/29/2019 Spiritualit Etre Libre N 14 (Janvier 1946)

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    9nl" Anne 15 janvier 1946 N 14

    SPIRITUALIT(revue mensuelle de culture humaine,

    fonde en 1936, sous le iilre " Eire Libre ")

    Science, Religion, PhilosophieDirecteur- Fondateur : RA M L INSSEN

    Rdactrice en chef :Marguerite BANGERTER.

    Correspondance et manuscrits :

    71, rue de la Victoire, Bruxelles

    Paiements au C. C. P. 6204de l'Institut Suprieur

    de Sciences et Philosophies

    a. s. b. 1.

    A dministration pour la France

    et ses Colonies :

    Editions ADYAR

    4, Square Rapp, PARIS 7meChques pos taux Paris : 4207.47

    Tl. : Sgur 74.48

    SOMMAIRE

    Marg. Bangerier

    Ren Four

    Marcel Hennari

    Ram Linssen

    Serge Brisy

    J ean Herberl

    Pierre d'Angkor

    H. Corcos

    PRIX : 15 francs belges le numro - 120 francs l'abonnement annuel.Prix en France: 30 francs franais - Abonnement: 300 francs franais.

    ii

    V ux .................................................................

    Prsent et F utur............................. .................

    Contre la guerre ..............................................

    Les fondements spirituels de la crise franaise

    Les lites devant la troisime guerre mondiale

    Publications sur l'Inde ....................................

    L 'Intuition ..........................................................

    Le pacifisme et la Bhagavad- Gita (suite) ...

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    V U X

    L anne 1946 souvre sur une perspective si vaste de choses refairequil semble plus que jamais opportun de formuler des vux. Vuxgnraux de comprhension, dentente et de paix. Car les peuples commeles hommes souhaitent d'tre heureux.

    Mais souhaiter dtre heureux ne suffit pas ; il faut vouloir le devenir.Quand nous dsirons le bonheur de la mme faon distraite et un peurveuse que nous souhaitons un cadeau ou le prochain retour du printemps, nous commettons une double erreur ; d'abord celle dattendrepassivement un tat dont nous sommes les principaux artisans, ensuitecelle plus grave encore de le situer dans un avenir dont nous ruinons lespossibilits de ralisation dans la mesure o, pour y rver nous ngligeonsles prsents successifs dont cet avenir sera fait. Car nous pourrions nouspargner une foule de dboires, que nous nommons malchance ou adversit,si, au moment o nous en avons sem les causes, nous avions t plus attentifs ce que nous faisions et plus concentrs dans la volont de le faire laperfection.

    L habitude de nous crier voil bien ma chance au moment onous subissons les consquences malheureuses >dactes insuffisammentpenss ou mris, contraires au mouvement de la Vie est un hritagede lpoque obscurantiste o l'homme, non instruit encore du mcanismemerveilleux mais implacable dune foule de phnomnes naturels, meublaitson ignorance dentits adverses toujours prtes fondre sur lui en

    prodiguant des malfices. ''Or rien en dehors de nous na le pouvoir de suspendre ou de modi

    fier les effets de causes que nous avons poses.Le temps est venu de nous dbarrasser de lhabitude de rejeter sur ce

    qui nous entoure la responsabilit de lheur ou du malheur o nous sommes.Persister dans cette attitude c'est se maintenir par inattention dans lacondition dtres mineurs, assujettis. Car cest bien par inattention quenous laissons scouler notre existence sans mettre profit tout ce quela Vie nous apporte pour favoriser notre accomplissement.

    Nous souhaitons des temps meilleurs comme nous souhaitons unenouvelle voiture ou une maison plus confortable o il ny aurait plus qu

    entrer. Mais ni le monde ni l homme ne sont pareils des machinesqu'on fabrique de toutes pices avec de la matire inerte quon actionneaprs lavoir monte. L homme et lhumanit (qui nest que la projectionde lhomme sur le plan social) sont de la matire vivante cest-- diredont les tats successifs sengendrent l un lautre sans solution de continuit. Nous narriverons ipas un monde meilleur en le construisant avecdes ides ou en imposant des thories, mais en llaborant avec nos actesquotidiens par progression dapparence imperceptible, dans le secretet lanonimat, la manire dont les arbres poussent et dont les fruitsmrissent.

    C est en tant plus concentrs dans le prsent, plus attentifs lexp-

    rience quotidienne que nous finirons par y discerner ce qui est essentiel.C est dans la vie journalire et sans histoire que nous pouvons le mieuxtudier nos ractions et chercher la piste des forces qui nous habitent.

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    Car en nous saffrontent toutes les puissances de la nature mais au lieuden rester le jouet et dtre agis par elles comme disait Bergson, ilnous appartient den gagner la matrise. Non en abolissant en nous les

    dsirs, les apptits ni les instincts, car ils nous tiennent au corps et fontpartie de notre nature biologique mais en nous librant de l'asservissementde leurs impratifs.

    Le problme consiste desserrer le nud qui mentalement nous rivetroitement lexclusivisme de notre personne. Mais le noeud est ancienet si troitement emml quil apparat beaucoup inextricable et dfinitif.Il ne l'est en ralit que pour les indcis et les faibles qui n'ont pas laforce ni la continuit de vouloir. Mais celui qui cherche vritablement tablir son bonheur au del des temptes des opposs et de limperma-nence saura trouver parmi les lments de sa vie de tous les jours, lesmoyens, valables pour lui seul, de rendre plus lche ltreinte de son

    lien : autodiscipline sappliquer dans le secret, luttes et triompheshumbles et silencieux. Ainsi jour aprs jour se dveloppent les graineset le gland devient chne par des procds analogues.

    Depuis 1789 nous inscrivons la Libert sur nos tendards et nos frontons ; il nous appartient prsent de la graver en nous car le champ de lagrande rvolution qui rnovera le monde se situe aujourdhui lintrieurde chaque individu.

    Chacun se doit de livrer bataille pour soi tout seul et en lui- mme.Bataille pacifique sil en est, faite de fermet, de comprhension etdamour. Comprendre et aimer, tout est l, condition que laction suive.Car c'est l'action qui est le fruit.

    Marg. BA NGE RT ER

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    Prsent et Futurpar R. A. Four

    Pour un esprit capable d'une exacte apprciation du prsent, il nya pas de futur. En d'autres termes, une connaissance pntrante, une

    connaissance qui ralise une complte transparence du prsent, enveloppeimplicitement' une considration du futur. On peut dire encore que,psychologiquement, le futur n'est que le prsent profond; quil se laissesaisir non comme une chose venir mais comme une chose actuelle, ouplus exactement intemporelle, dans les profondeurs du prsent. Cela nesignifie pas que la connaissance exhaustive et objective d'un tat deconscience prsent puisse nous livrer le dtail des vnements venir,mais il nous rvle le sens intrieur, le rsultat spirituel, le rsultat envaleur de ces vnements, rsultat qui est indpendant des formes quilspeuvent prendre dans l'espace et dans le temps.

    Si, brl de dsir, je me dissimule moi- mme le vritable visagedun acte que jaccomplis, si la vision que je m'en donne est ainsi partialeet partielle, il me faudra attendre que le droulement des consquencesde mon acte dans l espace et dans le temps me contraigne reconnatre

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    la signification totale de cet acte ou plutt de l'impulsion qui me poussait laccomplir. Mais si j avais t capable de discerner demble la vraienature de cette impulsion, je naurais eu besoin ni daccomplir l acte ni

    dattendre ses dveloppements pour connatre l invitable bilan de matentative. J aurais saisi ds le dpart la valeur finale que dgageraitlavenir. C est en ce sens que jaurais connu lavenir dans le prsent.

    Ainsi connatre lavenir dans le prsent, cest connatre lavraie valeur du prsent, la saveur finale des fruits que le prsent pourraporter. La saveur mais non le contour, la coloration, etc..., toutes chosesqui ne se prcisent que dans lexprience mme.

    On pourrait dire en somme que l'exprience nous obligera recon-natre, dans le futur, ce que nous nous dissimulons noos- mme dansle prsent. Ce prsent est comme une graine dont nous ne saurions ou nevoudrions pas discerner la nature. Nous serions ds lors contraints de laplanter en terre et dattendre sa complte germination pour que l'aspectdes feuilles, des fleurs et finalement des fruits nous permette ou nousimpose une identification complte et indubitable de la graine primitive.Un observateur assez pntrant pour saisir demble la nature spcifiquede cette graine naurait rien apprendre ni attendre de lavenir qui seraoccup par les processus de germination, de croissance, de floraison etde fructification. Il serait au- del de l exprience et, par suite, dunecertaine manire, au- del du temps.

    Si la graine plante est le dsir, en pntrant ds labord sa signification, nous pourrions savoir que le fruit qu'elle portera sera finalementamer et nous pourrions nous pargner les frais, en dure et en douleur,de lexprience. Nous saisirions la consquence dans le principe, le rsultat

    dans la cause, l'avenir dans le prsent. Et cest ainsi que nous serionslibres de l'avenir. Mais cette libert mme comporterait, tout au moinsen apparence, un pril : la connaissance pralable et certaine que nousaurions des rsultats du dsir nous pousserait nous abstenir de touteexprience puisque, pour lhomme qui n'est pas un dlivr, toute exprience est exprience du dsir. Nous laisserions ainsi chapper toutechance de libration.

    Car, sil est vrai que les fruits du dsir sont invitablement dcevants, il nest pas moins vrai que, en certaines rares et prcieuses circonstances, de cette dception mme peut surgir un clair grandiose et librateur : le dsir atteint ce quil voulait vraiment, par consquent s'puise,

    frapp de dprissement spontan, en chouant dans son effort pouratteindre ce quil croyait vouloir.

    Sinterdire les expriences du dsir, ce serait donc aussi sempcherde jamais connatre cette prodigieuse, cette blouissante faillite qui nousouvre les portes de la suprme ralisation. C est pourquoi Krishnamurtidira que, bien que lon puisse discerner que l o existe le dsir l ignorance et la douleur surgissent invitablement, on ne doit pourtant paslaisser lesprit sentraner ne pas dsirer.

    On notera que, pntrer la vraie nature du dsir, ce nest pas imaginer davance les consquences successives extrieures et intrieures,exaltantes puis dcevantes, de l'acte auquel nous pousse le dsir. C est

    bien plutt discerner la valeur intrinsque du dsir; comprendre quil estdans la concentration du prsent, identique en essence ce quil seradans le dlayage des vnements, dans la dispersion du futur, quand la

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    srie de ses consquences se trouvera dploye dans le temps. Et que satraduction en vnements, son effritement en actes prcis ne changerarien sa nature ni notre condition.

    C est percevoir lillusion quil renferme, son caractre quivoque,la subtile impossibilit de sa ralisation plnire. C'est prendre consciencequil est dj dcevant dans sa donne immdiate, avant tout essai deralisation; qu'il est cette disproportion, ce malentendu dans lesquels onne veut pas vraiment ce que lon croit et parat vouloir.

    C est le saisir comme un obscurcissement, une contradiction fondamentale, un foyer de mirages et, sous une apparence trompeuse, la ngation mme de cette libert profonde dont l'exigence est en nous. C estle voir comme un esclavage, comme une chane initialement prometteusemais finalement meurtrissante.

    Quand cette vision devient absolument claire,, simpose nous avecune force irrsistible, le dsir se dissout de lui- mme. Il s'arrte comme

    sarrte le voyageur qui dcouvre soudainement quil s'est gar. Ils'arrte sans violence, sans effort. C est la libration. Mais une si hautelucidit s'alimente dans la douleur.

    Nous avons parl plus haut du pril que comporterait le fait dtrelibr de lavenir. Ce pril nest pas rel, car ltre capable de sonderpleinement le prsent, den saisir lessence absolue, est dj libr ouse trouve dans l'instant mme qui .prcde la libration. Il nen est plus rechercher dans l'exprience l'occasion dun gain substantiel, dunbnfice. Il ne peut donc y avoir chez lui ce rejet systmatique de lexprience qui est encore le produit dun dsir. On retrouve d'ailleursdans un tel rejet le cercle vicieux du dsir. Un refus de l exprience, qui

    se fonde invitablement sur un dsir, nest possible que dans une connaissance imparfaite de la nature du dsir : le cercle vicieux nest pas pntr.

    Les lites devant la troisimeguerre mondiale

    Aprs les horreurs sans fin de la dernire guerre et les difficultspresquinsurmontables qu'affrontent les pionniers de la Reconstruction,devant le monde en ruines et surtout, devant les ravages incalculablesde la bombe atomique dont les effets, encore mal connus, placent l humanit face la mort, en quelque plan du globe quelle occupe parlerde troisime guerre mondiale, cest crer une ide- force de destructionnouvelle, jointe une anxit collective croissante, ou une accoutumance la fatalit inluctable dune troisime guerre. Et cette ide- force, augmente de cette anxit et de cete accoutumance une fatalit inluctableentranera les gouvernements et les nations vers une course aux arme

    ments toujours plus satanique et toujours plus criminelle.Ne nous y trompons pas. Si nous retombons dans les erreurs passes,

    si nous levons la jeunesse en vue de la guerre si nous utilisons les dcouvertes pour des buts de protection purement nationale et goste, nous

    vouons dlibrment lhumanit un sort effroyable et serons les artisansde sa chute.

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    Actuellement, la terre est affreusement blesse. Ses richesses naturelles diminues, ses rgnes affaiblis, ses uvres dart mutiles, elle sedresse, sanglante et comme frappe mort. Il nous appartient cependantencore de la sauver non uniquement par des systmes, des mthodes

    ou des iplans, par des traits, des conventions ou des chartes, maispar une orientation individuelle plus comprhensive et plus exacte desvaleurs avec lesquelles nous jouons, sans en discerner suffisamment lesactions et les ractions proches ou lointaines.

    Pourquoi toujours souligner, par la voie de la presse, le ct nfastede la dcouverte qui a permis la construction de la bombe atomique ?Pourquoi alimenter plaisir l'angoisse collective, en posant laccent surles dangers qui menacent lhumanit, au lieu de le poser sur les possibilits croissantes dune reconstruction heureuse ? De qui faisons- nous lejeu en perptuant lesprit de guerre, lchance invitable dune guerrenouvelle, la ncessit des mfiances nationales qui vont saccentuant ?

    Du capitalisme dirig par un gosme insatiable, des munitionnaires et desmarchands de canon ! Ne serait- il pas plus sage et plus constructif desouligner le Bien qui dcoule de cette dcouverte ? daccoutumer le public une ide- force de progrs ? Car, au fait, par elle, il est possible l'humanit dentrer vritablement dans l Age d'Or que la crainte dunengin meurtrier fait oublier ; dadapter les connaissances acquises unrajustement quitable du bien- tre et du confort pour tous ce quequelques favoriss semblent craindre.

    Chaque dcouverte scientifique a deux aspects : un aspect humanitaire, bnfique et un aspect lucifrien. La rapidit actuelle des avions qui, pendant la guerre, servait intensifier les bombardements meten rapport le monde entier, et les communications entre les peuples senvoient amliores en temps de paix. Ceci nest quun exemple. Mais noublions pas que la bombe qui a dtruit des villes entires apporte, enmme temps, la solution au problme de plus en plus angoissant de lachaleur et de la lumire. Le charbon, chacun le sait, spuise dans lesmines. Et une nergie quon peut appeler divine remplace ce quicommence faire dfaut. N'y a- t-il pas un enseignement tirer de cetquilibre entre les forces de la vie dont lharmonie dpend de lemploiquon en fait ? Ne faut- il pas veiller un emploi judicieux de ces forceset insister sans cesse sur leur ct constructeur, le seul qui porte en luila rgnrescence du monde ?

    Le monde ne ralise pas, dit un Hindou (1 ), qu'une nation est une

    entit spirituelle et que lindividu est un tre spirituel . C est sur le planspirituel que doivent s'appuyer les principes essentiels de la Reconstruction. Parler de guerre, c'est dchaner la guerre. Affoler les esprits, envenimer les plaies, y appuyer sans cesse le doigt, c'est dterminer, au curmme des tres, une inscurit strile qui nuit aux possibilits dun redressement aussi ncessaire qu'urgent.

    Nous marchons rapidement vers un Grand Jour de Jugement o lechoix, dj, nous est laiss. Jamais lhumanit ne sest vue dvolue, dansune aussi large mesure, la responsabilit dun libre arbitre presqu'effa-rant. Les derniers progrs de la science donnent l'homme et par lui.

    (1) Rahit Mehte.

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    aux gouvernements et aux nations une puissance quil peut diriger son gr vers la prosprit et la paix ou vers la misre et la destruction.

    L'homme saura- t- il, avant le dsastre final, unifier son intelligenceet son cur, contrler ses sentiments drgls, quilibrer le jeu de sonintelligence calculatrice ?

    L individu choisira- t- il en lui- mme et pour chacun, la voie de linternationalisme et du partage et comprendra- t- il enfin que l'interdpendancedes individus est un fait impossible ignorer plus longtemps ?

    Jour de Jugement pour la Terre.Jour de Jugement pour les individus.

    Choix implacable et qui ne peut tarder, car il tient aux sourcesmmes de lexistence des hommes.

    Autrefois, les cataclysmes prodigieux de lAtlantide ont engloutides continents, en ont fait surgir de nouveaux, anantissant par l les

    secrets de certaines dcouvertes prmatures.Dans le domaine mental, nous traversons une poque aussi dangereuse et qui peut entraner des cataclysmes aussi prodigieux.

    L quilibre du monde, l interdpendance des univers ne permettrontpas lhomme. ce pou rveur dun pitre mondicule ( 1) de dterminer des ruptures dqui'ibre anormales. La Terre se dfendra. Carlhomme ne se joue pas impunment des lois universelles et cosmiques.Sil peut en dicter d'humaines, les enfreindre ou les adapter ses besoinsimmdiats, il est impuissant devant celles qui prsident lharmonie dugrand ensemble, dont la plante nest quun invisible atome. Se dressercontre elles, leur rsister, cest se faire broyer par leurs ractions impartiales. Une nouvelle Atlantide, plus meurtrire que la premire, unnouveau Dluge dferleront sur les civilisations pourries et arracheront,des faibles mains de Promthe, le feu drob aux dieux.

    Si beaucoup, aujourd'hui, envisagent un Grand Jour de Jugement ,cest parce que, des discussions actuelles, des prliminaires de la paix,sortiront les dcisions qui orienteront inexorablement les peuples versun ple de leur Histoire : Paix ou Guerre, Reconstruction ou Destruction.

    Le temps nest plus aux discours, aux promesses, aux mots ronflantsque dmentent les intentions relles. Il ne sagit plus de foyers dincendie,limits certaines contres, voire mme certains continents. La civilisation du monde entier est en jeu et, par elle, le sort de chaque individu.Nous le ralisons tous intelligemment, mais, dchirs entre cette ralisa

    tion tangible et nos apptits gostes de confort individuel, nous refusonsde tourner la page, cest-- dire de jeter individuellement le lest ncessairequi mettra de lordre dans le chaos, de lquilibre dans les contradictionsinfinies de la vie contemporaine.

    L individu rclame une libert factice et s'enchane un esclavagecollectif, parce que son bien- tre particulier quil sait cependant fragileet la merci de la moindre conflagration lui est plus cher que la prosprit de lensemble. Il refuse les sacrifices immdiats quon exige dechacun, sans se rendre compte que, par ce refus, il soffre en holocauste,avec toute sa descendance, aux horreurs dune misre invitable. Il cherche

    (1) Jules Laforgue.

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    limiter sa vie aux effets de causes toutes proches. Mais les effets, deplus en plus, s'avrent rapides dans leurs ractions et djouent les plansde ceux qui les ont gostement difis. L immense creuset de la Viedonne chacun une rponse prcise et dtermine des conditions nouvelles

    qui rendent plus faciles les solutions venir, ou dressent dinsurmontablesobstacles laccomplissement dune rorganisation saine de la socit.Comprendre que, dans la priode prsente, l individu est au premier

    plan et dcide des vnements futurs qui le concernent directement vie ou mort de sa civilisation , souligner l'importance de l individu, deson attitude, de son choix qui, toujours et chaque moment de son existence, se reprsente sous une forme ou sous une autre, c'est placerlhomme devant ses propres responsabilits et lui faire raliser que cestde lui et par lui que surgiront le progrs ou la rgression de l'humanit.

    La Terre attend. Elle fait partie dun systme plantaire dont elleest un atome errant. Elle subit donc les influences inter- plantaires quiprsident lvolution du systme complet. Elle nest pas plus isole

    dans l espace que nous ne le sommes, dans son corps, o nous reprsentons nous- mmes des atomes ou des fragments. Mais, vivants surelle, faits delle, nous subissons, avec elle, les influences cosmiques efsommes soumis aux dcrets inexorables de leurs lois. Comme des microbesnocifs, nous sommes en partie cause de la grave maladie de la plante.Mais sommes- nous capables de la faire mourir ? Elle se dfendra contrenous, comme un corps se dfend contre linfection qui le dvore. Et,dans ce domaine comme en tant d'autres, nous sommes affronts par unchoix gigantesque qui nous incite, soit nous tourner vers une comprhension de plus en plus prcise des forces gurissantes de l'volution etd'en tre les agents actifs, soit de nous laisser emporter par le courant

    dvastateur de la maladie et de la mort, dont nous serons les premiresvictimes.Rflchir ce choix, en prendre conscience, uvrer lveil des

    masses, faire comprendre en quoi rside notre libert individuelle etcollective, duquer la jeunesse toute la jeunesse en vue de buts d'en-traide et de solidarit, est la tche urgente et dlicate du pionnier de laPaix. Elle nest pas insurmontable. Mais elle exige une prise de conscienceinflexible des faiblesses et des forces qui se partagent le cur humain.

    L intelligence a march plus vite que le cur. Et le cur, nourride sentiments indcis et craintifs, narrive pas rattraper l'intelligencequi ne voit plus quelle- mme. Cette intelligence se fourvoie et mnelhumanit un cataclysme qui dpassera en force tout ce que le

    monde a connu jusquici.Assisterons- nous cette course labme sans nous dresser comme

    les messagers et les porte- flambeaux de la Civilisation ? Une fois de plusla propagande de guerre triomphera- t- elle de la propagande de paix ?

    Serge BR1SY.

    La science qui purifie lame et lintelligence est l'unique sagesse.Tout le reste est ignorance. T ant que l'gosme rside en nous, il nepeut y avoir pour lme, ni vraie connaissance, ni libration.

    Ramakrishna.

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    Les fondements spirituels

    de la crise franaise0(Impressions de voyage)

    Rien nest plus pnible que de simprgner du climat dun peupleprcdemment prospre dont les vnements actuels mettent en relief lessymptmes dune vritable agonie. Agonie ou phase de transition critiqueprludant la naissance dune re nouvelle ?

    En fait une atmosphre lourde de dcouragement et parfois dirritation plane en France dans tous les domaines. Le manque dorganisationsemble atteindre un sommet. La bonne volont est rare, le laisser aller

    souvent effarant.Et cependant, un nombre grandissant de citoyens s'en rendent bien

    compte...

    Ceci constitue peut- tre le seul fait autorisant une lueur despoir.Comment peut- on nanmoins concevoir que dans une nation qui se classeparmi les plus civilises du monde, des faits comme ceux qui suiventaient pu se drouler en pleine moiti de ce XXe sicle : Jean- Louis Vigiernous rvle notamment dans L Epoque du 24 dcembre 1945 certaines atrocits commises lors de la libration de septembre 1944, etd'autres tout rcemment encore... A- t- on pris , nous demande- t- il, des sanctions contre ceux, qui en septembre 1944, martyrisrent linten-

    dant de police Maillade. Certes, celui- ci eut des relations avec les Allemands, et ce n'est pas ici quon slvera contre la sentence de mort prononce par la Cour martiale de lAilier. Mais fallait- il l obliger creuser sa fosse avec les ongles ? l'exhiber nu devant la foule, lem- paler sur un manche balai, puis lachever sur une civire ? Il tait juste sans aucun doute de chtier un collaborateur notoire. 11 ne fallait pas en faire un martyr...

    Nous savons que certains sindigneront de voir notre revue s'attarder relater de tels crimes. On croirait rver en entendant en 1945 le rcitde telles preuves de sadisme, dautant plus que nous pargnons noslecteurs des rcits plus abominables encore. Nous pensons que l'homme

    spirituel, que ltre dlite ne doit pas pratiquer une politique spirituellede lautruche. La spiritualit nous commande de voir les choses en face.Elle s'attache nous faire, dcouvrir les causes profondes d'vnementsaussi cruels afin den viter tout prix le triste retour. De tels faitsconstituent des symptmes d'autant plus graves qu'ils se sont droulsdans de nombreux pays. Ceci nous prouve que le problme des atrocitsn'est pas un problme national mais qu'il est purement et simplementhumain.

    Indpendamment de ces faits, la moralit baisse rapidement. Quils'agisse de celle des murs ou de celle des affaires. Une rforme delindividu s'avre urgente et ncessaire. Mais il est dautres crises plusprofondes encore parce quelles tirent leur origine de facteurs trs complexes, souvent omis parce que trop transcendantaux.

    C est ces facteurs, que la France en particulier et les nations les

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    plus avances de lEurope en gnral, doivent de traverser lpoque peut-tre la plus critique de leur histoire.

    La France et l'Europe sont la veille de plusieurs faillites.

    Faillite conomique dabord, et dans ce domaine les vnementsforceront peut- tre les hommes, bon gr mal gr, adopter lesstructures conomiques nouvelles qui simposent. L 'conomie changistea vcu. Les dsastres auxquels elle aboutit deviennent vidents. La leondes vnements imminents dmontrera l'inexorable ncessit dadopter lesprincipes de l'conomie distributive.

    Faillite politique et sociale ensuite. Les unes sont souvent les consquences des autres. Pourquoi ? Parce que lextrme division des partisimprgns chacun de l'arrogance que leur dicte la sauvegarde de leursintrts gostes aboutit la dmagogie pure et simple. Chacun se rclamedu titre de librateur de la France, mais poursuit en ralit la dfensede ses intrts au dtriment de ceux de la Nation.

    Ces considrations n'impliquent pas le fait que les structures dmocratiques soient nuisibles. Mais ceci constitue une fois de plus la preuve vidente, que les structures les plus parfaites mises entre lesmains d'individus inchangs, aboutissent au mme chaos que celui desanciennes imperfections quon prtendait corriger. Ici aussi, le Franaisen particulier, et tous les politiciens du monde en gnral sont esclavesd'ides toutes [aites les empchant de parer aux ncessits de l immdiat.Chaque parti procde des manuvres insidieuses, obscures, revendiquedes droits qui assureront sa priorit. Et dans le chaos des ides qui sentrechoquent, dans la mle des luttes partisanes, la France oublie seperd. Lentement peut- tre, mais srement en tous cas.

    Quest- ce ce qui peut sauver la France ? Ce qui peut sauver laFrance, est identique ce qui peut sauver un homme dont lesprit esttellement meubl dides quil prit par asphyxie, tant incapable des'adapter aux ralits vivantes du Prsent. Un tel homme devra sedpouiller de ses thories, ou du moins les coordonner, faire appel l'veil de l'intuition.

    L'intuition est cette facult qui coordonne les rsultats de l'intellectanalytique. L'intelligence divise, l'intuition synthtise. L o lintellectne discerne que multiplicit distincte entre parties apparemment opposes,l intuition saisit immdiatement le Tout reliant entre elles ces parties. Lo lintelligence naperoit qu'lments sopposant radicalement les uns

    aux autres, l'intuition discerne des notions de complmentarit.L intuition donne lhomme sage la facult de s'adapter de faon

    idale aux circonstances toujours nouvelles et souvent imprvisibles dela vie. Cette adaptation, cette croissance harmonieuse seffectue de faontotalement inconsciente dans une plante. C'est pourquoi le psychologueindou Krishnamurti nous parle des fleurs comme symboles vivants duneperfection inconsciente. L'homme ordinaire par contre est dans un tatdimperfection consciente. L humain accompli serait celui dont la maturitmentale permet dapprhender de faon consciente lessence profondedes choses tendant lui confrer les caractres d'une perfection consciente.

    Mais entre la phase d'imperfection consciente caractrise par legrand dploiement des forces purement intellectuelles, et la phase deperfection consciente dont le dveloppement de l'intuition constitue le

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    prlude, lindividu traverse les priodes les plus critiques et souvent apparemment les plus ngatives de son existence.

    La France subit en tant que nation, cette crise que les individus

    d'lite qui la composent traversent. L histoire de lvolution n'est pas unternel recommencement. Loin de l ! Ce qui fit toute la gloire de laFrance et la rendit immortelle au cours des sicles passs se retourne prsent contre elle. Il s'agit d'une dformation spcifiquement cartsienne dont le scientisme dans ses formes extrmistes est un aspect.

    La mentalit asphyxie par les mots d'ordre, par tes thories poli-tiques ne peut s'adapter aux exigences du Prsent. Elle est frappe delthargie. Et c'est pourquoi l avenir deviendra terrible et suffisammentcriant pour tre entendu. L intellect suit ses ides. Assez de thories !L intellect s'vade hors des faits. L intuition vers laquelle sengage lvolution psychologique de lhomme discerne laction juste. Elle nous per

    met de nous adapter avec quilibre et sagesse aux exigences dune situation imprvue.

    Une psychologie particulire, un climat spirituel spcifique prsident chaque poque de lhistoire. Les individus et les nations qui rpondent ce climat connaissent la prosprit. Mais cette brillante intelligence,ce sens de prcision et de clart qui couvrirent de gloire les Franais dupass, finiront par se tourner prsent et dans l avenir en incohrence sils ne sont pas dpasss. Pourquoi ? Parce que la pense n'estquune tape sur la route du devenir perptuel de lvolution. Nos plusgrands psychologues commencent reconnatre le bien fond dune telleassertion. Nous pourrions l'illustrer en disant avec Shri Aurobindo que

    la raison ft une aide, mais quelle est actuellement lentrave .L histoire de lvolution est celle dune ascension continuelle. Chaque

    chelon atteint, chaque niveau de conscience ralis prpare en ralitun chelon suivant o pourront spanouir des niveaux de consciencesuprieurs aux prcdents. Chaque degr ralis na dutilit et de sensque pour autant quil prpare un degr suivant, qui en assimilera lessentiel, en le portant vers une hauteur nouvelle. C est ainsi que la pense aprpar le rgne naissant de lintuition.

    La France en tant que nation passe donc, disions- nous, par cettecrise de transition entre deux niveaux volutifs, que connaissent tousles hommes mentalement mrs. L actuelle crise de la nation franaise

    ne provient donc pas dun manque dvolution, mais prcisment du faitque sa maturit passe la met en demeure dadopter un nouveau modede penser, une nouvelle attitude dme, une technique daction radicalement diffrente. La France n'a- t- el!e, en effet, pas t le thtre dudchanement le plus prodigieux de lactivit spcifiquement mentale delhomme. Le Franais moyen est peut- tre le plus individualiste deshommes qui soit. Puisse la crise de transition quil traverse lui conservercette, indpendance ! Puisse son intuition sveiller afin de laffranchirdes passions politiques habilement orchestres par de savants meneursdhommes.

    Du point de vue spirituel, nous pensons que les souffrances du peuple

    fran.ais et les invitables catastrophes conomiques et sociales qui vontlassaillir ont pour mission de l arracher aux rveries passionnes desides pour sadapter aux exigences dramatiques du Prsent. C est la nces

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    sit de cette adaptation au Prsent qui pourra faire comprendre etdcouvrir aux hommes de bonne volont les sources spirituelles alimentant le nouveau cycle o sengage lhumanit entire. La France, la plus

    avance des nations, subit, la premire, une crise par laquelle devrontpasser tous les autres peuples.Quelles conclusions pratiques tirer de telles considrations ?

    T ant que le peuple franais dsignera des hommes s'ternisant enquerelles politiques, il n'y aura que dsordre. Le pays est au seuil d'unabme. Les vnements exigeront momentanment l abdication pure etsimple des politiciens. Qu'on le veuille ou non, ldification d un gouvernement a politique s'impose : un gouvernement qui ne sera plus quunesimple raction un tat de faits antrieur, un gouvernement d'hommesintqres et rsolus. Dans la mesure o les individus de quelque nationquils soient ne seront que des imitateurs, des suiveurs dides, desesclaves serviles de mots dordre politiques, ces individus desservirontles intrts du pays quils prtendent ou quon leur prtend faire servir.Ayant ls le pays, ils seront leur tour lss par le pays.

    Ne saperoit- on pas en dernire analyse quun peuple o les hommesse laissent mener par des politiciens, par d'interminables polmiques, esten fait un peuple qui couve le fascisme ?

    Ce qui a permis lclosion de tous les fascismes, quils soient noirsou rouges, nest-ce pas prcisment ce manque de responsabilit, dintelligence des individus. Le peuple franais, dans le premier lan de sonveil, a connu cette virilit mentale qui soppose aux menes collectives.Mais actuellement, la phase de transition critique qu'il aborde peut lerendre vulnrable aux dtestables procds des fascismes !

    Seul, le dveloppement de lintuition peut affranchir dfinitivementlhomme de l enrgimentement de la pense. Et ceci entrane la suspension momentane de l'activit mentale, des joutes intellectuelles, de l'encombrement des thories. C est ainsi que la brutalit de la leon desfaits, pourra par son acuit mme, arracher les individus comme lesnations leurs rveries, leurs discours et contribuer faire jaillir lasve spirituelle dun courant nouveau. La mission profonde des vnements passs, des horreurs du fascisme triomphant et des vnementsfuturs est de nous enseigner la faillite des mouvements de masse, lastrilit des menes politiques. Il faut que les individus apprennent sedissocier de thories acceptes aveuglment. Chacun devra sincliner

    devant les exigences de la leon des faits. Qu'est- ce que cela signifie ?Cela signifie quil faut vivre dans le Prsent, surtout lorsque la faillitedun monde dmontre avec loquence lampleur des erreurs du pass.

    S'incliner (devant la leon des faits c'est abandonner le poison dc~vieilles structures lorsque ses effets deviennent mortels. C est faire face,sans ides toutes faites aux difficults quont prcisment amen lemploimcanique des ides toutes faites. C est sadapter sans le secours fallacieux des thories et des doctrines du pass aux circonstances catastrophiques quont engendr ces thories et ces doctrines.

    Cette adaptation n'est donc pas aise. Le passage de lactivit intellectuelle aux niveaux intuitifs est actuellement considr comme plausible

    par les lites de bien des peuples. Et par une curieuse concidence cest un Franais, Henri Bergson, que revient le mrite d'avoir t le vritablepionnier du rgne de l'intuition. Non que lessentiel de cette ide ft une

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    nouveaut absolue en soi. Les philosophes de lInde et de la Grce antiquenous en ont assez parl.

    L'abdication des excs de lactivit mentale est donc l ordre du

    jour. Mais le monde semble sentter singulirement. Les grandes assisesinternationales multiplient leurs confrences auxquelles prsident des individus rests identiques. Et lon stonne de la confusion grandissante.

    Ce que les individus comme les nations ne veulent pas comprendre,le Destin se charge souvent durement de leur faire admettre, quils ledsirent ou non. Mais la signification nen est perue que trop tard.

    Un exemple prcis pourrait concrtiser ce qui prcde. Lorsquelintellect rgne en roi, lorsqu'il prside lui seul aux activits dun individu, l volution de celui- ci se poursuivra au travers dalternatives dopposs successifs, de ractions contrariant sans quilibre des positionspasses. Sans le secours de l'intuition, il ne peut trouver le juste milieu,

    la solution droite pargnant les conflits inhrents aux extrmes.Les politiciens actuels, victimes du niveau essentiellement intellectuel,ne prennent que des mesures dopposition, des sanctions extrmes. Aucunne pense sincliner sans ide prconue devant les exigences du Prsent.

    Et cela, lintuition seule peut le donner. Le communisme tenu enchec par les oppresseurs nazis prend actuellement une revanche. Ce quiest dailleurs normal et comprhensible. Mais pourquoi contribue- t- il ladoption de lois extrmes dont les applications unilatrales entranerontla faillite de lconomie franaise ? Nous ne contesterons pas le faitrvoltant et dplorable que tout un monde sest trouv esclave duneminorit de capitalistes et souvent dexploiteurs sans scrupules et queceux- ci ont fort souvent ralis des bnfices exceptionnels chappantpar tous moyens aux taxations fiscales. Mais pourquoi adopter prsentune mesure constituant une opposition extrme ? La raction une erreurreste une erreur, si elle aboutit l extrme oppos. On nous dit que lescitoyens franais ayant des revenus infrieurs 40.000 francs sont totalement exonrs. Ce minimum est augment de 20.000 francs par personne charge. On conoit aisment les millions de contribuables qui sur 44 millions de citoyens parviendront frauder le fisc. Chacun comprendra galement la somme considrable qui nira plus dcongestionner un budgetdont la situation est vritablement catastrophique.

    Si nous rsumons la situation engendre par ce dtail entre mille,nous voyons quau cours du pass les petits revenus taient lss, les

    gros bnfices avantags. Actuellement, les petits revenus sont lobjetd'avantages exceptionnels, les gros bnfices sont pratiquement inexistantset supportent intgralement pour les petits le poids de la taxation. Loinde notre ide de nous faire les avocats dun capialisme que nous proscrivons ! Mais il existe actuellement des millions de citoyens n'alimentantplus les ressources fiscales de la nation. Si chacun de ces dix ou vingtmillions de franais nconomisait que dix sous par jour, lEtat pourraitrcuprer 1/4 de milliard par an. Certains diront que cest fort peu. Raisonde plus alors pour tre plus srieux !

    L Angleterre infiniment plus riche que la France ne sest jamaispay le luxe de telles libralits l'gard de ses citoyens. Elle a cependant

    bien vot gauche !Ne se rend- on pas compte d'autre part de 1immoralit dune mesure

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    aussi unilatrale ? N y a- t- il pas l matire encourager singulirementla rgression du sens de la responsabilit sociale de lindividu ? Une tellemesure naggravera- t- elle pas non plus une mentalit dangereuse parlaquelle le petit exploit de jadis se transformerait finalement en lexploi

    teur du gros .T out ceci nous fournit un exemple frappant d'une ide actuelle appli

    que en opposition une ide passe, radicalement oppose, entranantune incapacit totale de rpondre aux exigences dune ncessit prsente.

    La leon des faits na pas t coute.

    Seule, lunion de toutes les lites dans un effort commun pourradonner la France et au monde lorientation du renouvellement prodigieux l'aube duquel nous assistons. Encore faut- il dire que cet ultime sursautseffectuera au seuil d'un abme et que le temps est prcieux !

    Puisse la naissance dun courant spirituel absolument nouveau vivant,dynamique et plein de ferveur, donner la France et au monde, laLumire, la Paix et l'Equilibre dont ils ont un immense besoin. Puissentun nombre grandissant d'hommes profonds, sincres et dsintresss lecomprendre et senrler parmi les pionniers de la nouvelle rsurrectiond'un peuple qui sera vritablement digne des plus purs idaux de Libert,dEgalit et de Fraternit.

    Ram LINSSEN.

    Publications sur l'Inde pendant la guerrepar V1SHVABANDHU

    Il a toujours t difficile de se tenir au courant des publications surlInde, car les plus intressantes sont souvent dites par les auteurseux- mmes, chez eux, et il nexiste dans le pays aucune organisationsrieuse de librairie permettant dobtenir ces ouvrages.

    Pour les lecteurs des pays occups par les troupes allemandes, cettedifficult devint naturellement une impossibilit. Aussi nest- il sans doutepas superflu dessayer de sortir de lombre et de sauver de loubli, avantquils ne soient puiss, les principaux livres et brochures qui ont parupendant la guerre sur la spiritualit hindoue en particulier et sur lIndeen gnral.

    Les notes bibliographiques rtrospectives dont nous commen.onsaujourdhui la publication et qui seront continues dans les numros suivants de Spiritualit sont prsentes dans un ordre trs provisoire,car la liste est susceptible dtre complte au fur et mesure de larrivede la prcieuse documentation. Nous y ferons entrer galement certainsouvrages parus en Angleterre et aux Etats- Unis, et qui sont encoreinconnus dans les pays de langue franaise.

    Les trois texts les plus importants de cette priode sont l Evangilede Shri Rmakrishna (en traduction anglaise), la Vie Divine de Shr-

    Aurobindo, publie pour la premire fois en librairie (en anglais) et lesrsultats du Recensement de 1941.

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    L Evangile de Rmakrishna (1), source authentique essentielle detoute documentation sur le grand sage (1836- 1886) a t rdig en bengalipar M., disciple lac, du vivant mme du matre. Une traduction anglaiseen avait t entreprise il y a longtemps dj, par lshram de Madras,

    mais elle navait pas t plus loin que le deuxime volume et d'autre partelle se prsentait sans le fini et sans l'appareil critique auxquels pouvaitprtendre une uvre de cette envergure. C'est un des shrams dAmriquede lordre de Rmakrishna qui sest charg de nous fournir l'dition dfinitive tant attendue. En un seul volume massif de plus de mille pagesgrand format, nous trouvons le texte complet des dialogues et rcitsgroups par M . Ils y sont prsents avec une consciencieuse exactitude,dans un style qui en rend toute la force et la verdeur, alors que lditionantrieure, aussi bien que les nombreuses collections dextraits en anglaisles avaient masculs de crainte de choquer le lecteur dOccident.

    Nous y voyons paratre sans fard le petit paysan, fruste, passionn de

    Dieu jusqu donner tous les signes de la folie, et qui trouve pour fairepartager son exprience ses disciples des formules l emporte- pice etdes images nergiques. T ous les amis de l'Inde ont une grande dette dereconnaissance envers Swmi Nikhilnanda et Swmi Yatiswarnandapour luvre remarquable qu'ils ont accomplie.

    Disons tout de suite d'ailleurs que, pour la plupart des Occidentauxnon spcialiss, ce texte, o abondent de fastidieuses rptitions, o lesmaximes de la plus haute sagesse sont souvent noyes dans des historiettespuriles ou incomprhensibles, est trs difficilement lisible. Les paroles, proprement parler, du sage qui sont contenues dans ce volume, ont tdj publies en franais sous le titre L Enseignement de Rmakrishna (2). Les lments intressants de la partie narrative, joints des rcitstirs d'autres sources, paratront prochainement sous le titre Anecdotestires de la vie de Ramakrishna ( 3 ).

    Presque simultanment ont paru deux autres volumes, l'un surl'pouse de Rmakrishna, Shr Srad Dev, et l'autre sur celui qu'ilappelait son fils spirituel, Swmi Brahmnanda.

    Le premier, dont Swmi T yagishnanda, de Madras, a pris la responsabilit, est pour le moins regrettable. Il prsente la Sainte Mre et sonmari sous un aspect de mauvaise image dEpinal, et donne deux un tableauaussi faux que risible. Peut- tre sa lecture veille- t- elle chez ladorateurhindou des sentiments de vnration, mais il faut esprer que les Occidentaux disposeront bientt d'une uvre un peu plus srieuse.

    Le second, prpar par Swmi Prabhavnanda (4) contient un choixde dialogues (2) et une excellente tude de 95 pages, sensiblement pluscomplte que celle quavait publie Swmi Pavitrnanda pendant la

    (1) T he Gospel of Sr i Ramakrishna, translated into english with an introductionby Swami Nikhilananda (foreword by Aidons Hux ley) New- York, Ramakrishna- Vive-kananda Center, 1942. 1063 p. Glossaire, index, illustrations.

    (2) Collection Les grands matres spirituels dans l Inde contemporaine , Paris

    et Neuchatel.(3) T he Eternal companion, Hol lywood, V edanta Society of Southern California,

    1944. 224 p.(4) Dont la plupar t ont dj t publis en franais dans Swmi Brahmnanda,

    Discipline monastique, Collection Les grands matres spirituels dan lXnd* contera-poraine .

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    guerre dans le Prabuddha Bharata. On y trouve des passages mouvantset en particulier, tmoignage infiniment rare, des rcits de visions donnspar le Swmi pendant le temps mme que durait la vision ou immdiatement aprs. Grand adorateur des dieux hindous sous leur forme la plusconcrte, le Swmi nous les dcrit, de mme que Jsus, et sur le mmeplan, dune faon extraordinairement vivante, sans que cela trouble sacontemplation du Brahman absolu ou de lAtman. Cette biographie, surun mode spcifiquement hindou, fait une moins grande /place aux faitshistoriques quaux impondrables, mais elle comble de faon satisfaisanteune grave lacune. Esprons que d'autres biographes surgiront et nousdonneront sur tous les autres gants de spiritualit qui entouraientRmahrishna des tudes susceptibles de satisfaire la fois la soif deprcision des Occidentaux et les aspirations plus profondes et plus subtilesrpandues chez les Hindous.

    Une autre petite brochure mrite d'tre mentionne, cest celle o

    Swmi J agadiswarnanda (1) groupe des tudes concices et substantiellessur Viveknanda et sur Rm Mohun Roy. 11y situe leur rle dans lIndeactuelle la lumire des autres grands courants politiques et philosophiques contemporains.

    Avant de quitter la Mission Rmakrishna, signalons quaux diverspriodiques de langue anglaise publis par ses moines dans lInde et enAmrique, il vient de sen ajouter un nouveau : The Voice of India ,qui parat trimestriellement San Francisco (2) en gros volumes rono-graphis fort substantiels sous linspiration de Swmi Ashoknanda. Sacollection, qui sans doute sera bientt rarissime, formera une remarquablesource de documentation ; relevons en particulier certaines tudes sur dessages de lantiqiut plus ou moins mythologique, comme Nrad, prsents la fois avec tout le respect qui leur est d et un esprit de parfaite clairvoyance.

    Jean HERBERT .

    Contre la GuerreLa leon de morale peut branler une

    me. Seul l Amour peut la modifier .

    (Edmond MENZEL).

    CAUSES

    Tout dabord, rappelons que les guerres daujourdhui sont en voiede devenir, tout comme leurs surs les Croisades, beaucoup plus des conflits de doctrines que dtats.

    Nous sommes intoxiqus didaux.

    Un chacun y va de ses petites thories. Tout irait bien si des sagesdiscutaient ces projets sans passion partisane, cherchant tirer de chacun llment damlioration attendu. Ce serait du parfait humanisme.

    (1) Swami Vivekananda and Modern India. Calcutta, Ramakrishma Vedanta

    Math, 1941, 65 p.(2) 2963 Webster Street.

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    Tout irait encore mieux si ces sages obtenaient le minimum decrance. Mais, hlas! il est toujours un profiteur ou un fou (tel Hitler)dont le synchronisme des ides concorde avec les dficiences du momentAussi peut- il arriver que ce profiteur ou ce fou conduise le peuple. Etcest ce moment- l que tout est craindre... les problmes qui eussentt mieux rsolus par des gens comptents ne le sont que fort imparfaitement aprs limmolation de millions de cobayes; alors quelques- unscommencent voir clair, mais leurs repentances daujourd'hui sajoutentgnralement quelques erreurs de demain.

    Bref! la guerre est stupide.*

    Cependant le mal ne serait pas ce point redoutable si. derrireles fantoches dictatoriaux, on ne trouvait les figures dun Krupp oud'un Gcering.

    Amis du mal comme du bien, ils peuvent se donner eux- mmeslapparence dhonntes industriels. Mais leui gosme se place si hautquils ne participent gure aux misres des masses,avec lesquellesseules quelques petites largesses tablissent parfois le contact.

    Sils n'taient que de petits agitateurs, le mal ne serait que bnin;mais tout alentour, gravite un monde riv leurs intrts : beaucoupde politiques et en tout cas toute guerre dpendent deux.Ainsi que dit Huxley, les problmes d'importation et dexportation,

    les problmes de prestige, crent fatalement un accroissement de centralisation chez chaque concurrent. Ds lors, le bellicisme est craindre :lEtat trop fort est une menace, lEtat trop riche est un appt.

    La guerre est un march.

    Cependant, tout irait, si le peuple ne suivait pas les meneurs, Hitleret consort.

    Il est courant quun chacun se croie plus ou moins intellectuel : ondiscute beaucoup, mais au moyen de solides arguments trouvs par lesmatres quon aime, plus souvent.cesf le groupe qui pense, et nonl homn(e.

    Les conducteurs connaissent la navet des foules; ils savent exploiter leurs passions, transcender leur romanesque.

    Aussi, les plus grands ennemis de ceux- l sont : d'une part lespiritualisme, dautre part le libre- examen; ennemis dont ils nexagrent,dailleurs, pas limportance... puisque le cinma, la radio, le journal sontdes ptures normalement bien plus attrayantes (La F in et les Moyens,chapitre ; Education).

    La guerre est ignoble.

    * *

    Mais encore, beaucoup diront que cest un mal ncessaire.

    Ncessaire en ce sens : que, lorsque le fauteur de guerre nobtientplus satisfaction par les moyens pacifiques, force lui est de recourir

    au poing.On vous dira que cet tat de choses est naturel. La guerre nest

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    elle point l'expression de la concurrence vitale ? Et cette concurrencene sexerce- t- elle point dans tous les domaines du rgne animal? Qutes-vous, mes frres, sinon un troupeau de boeufs (boves sueti) parmi lesquels

    il faut trier?Cette explication est une concession au facile.Mais encore, notre mentalit dmocratique ne saccorde gure

    avec la prcellence de la slection naturelle.

    Constater le fait nest en soi ni bien ni mal. Mais sy conformersoppose tout respect des droits de lhomme.

    Pourquoi un tel, gnralement innocent, doit- iltre la victime de lavie, plutt que tel autre qui a su tirer son plan?

    Si ce fait est fatal, alors... ne parlons plus de libert,.Si certains lrigent en principe, quoi bon la justice?

    Bref! la guerre est un pis- aller. On l'a dit, ce nest un mal ncessaire que

    parce que les hommes le veulent. Mieux vaudrait, en tout endroit, uneconomie qui tienne vraiment compte des intrts de chacun, et nond'abstractions.

    Plus de caf la mer. mais le minimum de bien- tre pour les peuples!

    REMEDE

    Quand on y regarde bien, le remde parat avant tout d'ordre moral,personnel.

    Ce quil faudrait, cest un sens profond de la vie.De ce ct, lEurope pourrait encore revendiquer le christianisme.

    Cependant, s'il y a eu - beaucoup de chrtiens, trs peu dentre eux

    ont appliqu le fond de leur doctrine. Ce n'tait pour beaucoup quunereligion (au sens pjoratif); et, dans les religions, on en arrive facilement aux principes mmes de la guerre : par exemple, larchipopeAvuakoum fut brl, parce quil trouvait satanique de se signer avectrois doigts au lieu de cinq.

    Sinspirant de la tolrance boudhique, Huxley a trouv le remde dansla synthse des diffrentes expriences religieuses; il en tire une quintessence.

    Dj le grand Aoka avait dit : Quiconque dprcie la foi duprochain, abaisse la sienne, en croyant llever .

    Le seul reproche qu'on puisse adresser cette mystique, cest quelle

    s'adresse uniquement quelques lus qui ont souvent bien du mal sy tenir.Conformment sa thorie des tempraments, Huxley ne prtend

    dailleurs pas rejeter toute espce de dvotion ou de rituel particuliers mais ce ne sont pour lui que des palliatifs.

    Toujours est- il que, si une connaissance assez profonde et bienveillantedes hommes accompagne notre clectisme, l est sans doute la solutionde nos maux.

    La synthse mystique est, en effet, une sagesse transcende, et lemoindre pas vers elle est un pas vers la Paix.

    ***

    Deux moyens nous appartiennent pour raliser cet idal : la connaissance personnelle, puis la libration de soi- mme.

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    Le seul ennemi, c'est le karma qui enchane, c'est- - dire : le pchoriginel des chrtiens (li lgosme et lignorance de la soi- con-science).

    Mais comment arriver raliser dans nos coeurs cet panouissementde Dieu?

    Dj le bouddhisme reconnaissait l'excellence de trois khandas :perception, discernement, conscience. Tous trois ncessitent un travailpersonnel sans rpit. Tout dabord, en tant quhomme, les khandas nousapprennent notre faiblesse Cette faiblesse, chez le riche, est lorgueil,cette faiblesse, chez le pauvre, est lenvie.

    Comment vaincre lorgueil?

    Ne jugeons pas, ou ne jugeons qu' regret... les actes et pas leshommes. Quand nous voyons la misre ou le pch, rappelons- nous

    combien nous- mmes nous sommes prs de ces malheurs. En effet, d'unepart la nuance entre le bien et le mal est imperceptible, donc l'aveuglement est facile; dautre part, en considration des facteurs : ducation,milieu, force de caractre, hrdit, notre vertu doit nous apparatreautant une grce que le produit de nos luttes.

    En rsum : la vision de notre propre faiblesse est le meilleur motifdindulgence.

    Quant lenvie?

    N'envions pas le riche; la richesse en biens nest pas le bonheur;

    et si le riche est mauvais, son chtiment viendra de lui- mme; n'assimilons pas sa cause la ntre.

    N envions mme pas l'intelligence ou la vertu : Dieu a donn parl des moyens d'aveuglement; mais chez tous, une richesse est au fonddes curs; le Bonheur s'y cache comme un diamant dans sa gangue.L'envieux, cest celui qui ne sait voir, ou plutt qui ne voit que dunil.

    * *

    Orgueil, envie, ces pchs sont les maux qu'engendre le mprisde Dieu dans le monde.

    L orgueilleux simagine que le Bien est son bien; les fausses vertus

    de lorgueil ne revendiquent pour pre que l'homme. L envie ne connatpoint la prcarit des biens qui la tentent : l envie mprise les richessesspirituelles que Dieu a mis la disposition de tous.

    Tous deux veulent nous enrichir, tous deux nous appauvrissent* * *

    Justement en tant que crateurs, les khandas du bouddhisme nousapprennent le respect du Dieu qui est en tout, qui est Tout. Respectde ce Dieu chez autrui.

    Si nous possdons la Vrit, le Bien. l Amour, que ces qualits ne sefigent point. Que non seulement ils ne deviennent pas un sujet dorgueil

    ou linstrument dune tyrannie! Mais encore, professons la plus grandetolrance. Ayons moins gard aux formes quau dsir du Bien. Si ce

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    dsir nous parat mal plac, plaignons les hommes, tchons de dgagerle vrai sens... avec douceur.

    Respect de Dieu en nous.

    Mfions- nous principalement des idoles que nous proposent lesfous. Tout spcialement, mfions- nous de cette agitation strile danslaquelle nous entrane la Vie... L'oisivet est la mre de tous les vices,a- t-on dit; cest peut- tre vrai mais la suractivit lest aussi. Parsa faute le respect de Dieu en nous se caricature en prceptes morts.Et si notre foi n'est plus quun fagot d'observances, disons- nous quelesprit de lucre et lesprit de plaisir nen feront qu'un feu de paille.

    Humilit, discernement, amour, respect, tels sont, semble- t- il, lesremdes.

    Surtout, ne soyons pas pareils aux avares. N ayons point cette avarice de lintendant qui jouit des biens du matre, mais ne veut pas donner

    ses frres.Aimons autrui.

    Mais surtout, mditons cet aphorisme; Si un homme amarrait sabarque aux joncs du rivage, ne craindrait- on pas quil la perde?

    Aussi, sachons attacher notre me. Si nous aimons autrui, aimons- leen Dieu.

    Cet enseignement nest ni bouddhique, ni chrtien, ni huxleyen mais humain.

    Cela seul compte.

    Hlas! deux sortes de gens le recevront. Les premiers auront dj

    dans leurs cur la soif secrte de cette perfection. Seulement, plusieurs,si leur raison approuve depuis longtemps sincrement ces points se laisseront nanmoins encore aveugler par les promiscuits de la Vie.

    Quant aux seconds, nen parlons pas : ils vivent dans le sicle. Baalet Mammon sont leurs dieux. Et ces morts nont point doreilles pournous.

    Que pouvons- nous faire, sinon les plaindre?

    Ce sont quelques uns d'entre eux qui nous rservent les malheursfuturs. Ces malheurs seront aussi les leurs. N ayons point de haine poureux : les vrais malheureux, ce sont eux.

    Marcel HE NN A RT .

    Ne laissez jamais le dcouragement entrer en vous, il est le plusgrand ennemi du progrs spirituel. Ce qu'un homme pense, il le devient.Ne dites donc jamais : Je suis un pauvre ver de terre et je rampedans la poussire , cest le meilleur moyen de vous avilir.

    Ramakrishna.

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    L'intuilon, instrument

    de noire progrs spirituel et moralpar Pierre dANGK OR

    La sagesse et la science poursuivent le mme but, dit- on souvent.Elle recherchent la Vrit. Oui mais ce n'est pas la mme Vrit! Entrela sagesse et la science, il y a d'abord une diffrence de niveau dans laconnaissance : il y a ensuite une diffrence dinstrument utilis pour atteindre cette connaisance.

    Je dis dabord une diffrence de niveau. La sagesse peroit la vritd'une attitude telle quelle permet de lembrasser dun seu! regard dans

    son aspect total, unitaire, en mettant chaque chose sa juste place,tandis que ce sont des vrits multiples et diffrentes que dcouvre lascience. Mais la Vrit est une dit- on. Oui, mais prcisment, la sciencene dcouvre pas cette Vrit une ; elle dcouvre des vrits multiples, sanslien apparent entre elles.

    Essayons d'illustrer ceci par un exemple.

    Si nous faisons l'ascension d'une montagne, nous voyons la terre,les pierres, les rochers, les arbres, etc; nous distinguons par l'observationtous ces objets que nous rencontrons le long du chemin et dont l'ensemble fait la montagne : mais prcisment nous ne pouvons gurevoir la montagne dans son ensemble. Nous ne voyons celle-ci que quand

    nous sommes parvenus au sommet. Alors nous dominons l'ensemble deschoses particulires que nous avons rencontres au cours de notre ascension; nous voyons cette unit de la montagne forme de tant de chosesdiffrentes. Cet exemple nous donne une image de la diffrence qu'il y aentre la Vrit une et les vrits particulires qui la composent. La Vritune, dans sa totalit complexe, est lobjet de la sagesse : les vritsparticulires les pierres, les rochers, les arbres, etc lobjet de lascience.

    Mais il ny a pas seulement ici une diffrence de perspective rsultant dune diffrence de niveau dans l'observation la diffrenceentre celui qui regarde du sommet et celui qui gravit le versant il y a aussi, dans les deux cas, la diffrence dans l'instrument employ

    par l observateur. L instrument de la science est lintelligence analytique ;linstrument employ par le sage, lintuition synthtique.

    La science, disons- nous, par lobservation, l'analyse, l'exprimentation, dcouvre les phnomnes, les classe en des domaines spars, eninduit les lois gnrales qui les rgissent. Mais la science demeure impuissante aller plus loin, impuissante relier mtaphysiquement les uns auxautres les ordres de phnomnes multiples et divers, c'est- - dire dcouvrir le lien profond qui fait de toutes ces catgories qu'elle distingue,de toutes ces lois qu'elle dcouvre, un tout solidaire, une unit. La sciencesy essaye pourtant - car l'homme a soif dunit et c'est ce quonnomme un peu audacieusement la science synthtique. Mais elle ny arri

    vera jamais par sa mthode de division, danalyse, de classement. T oujoursquelque fait nouveau, quelque nouvelle dcouverte, viendra renverser

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    cette synthse laborieusement difie par elle. Seul, thoriquement, unesprit universel, qui connatrait toutes choses et toutes les lois de lanature, y pourrait russir. C est dire que nous, pauvres humains, nous

    sommes loin de compte!Mais alors, faut- il donc dsesprer darriver jamais cette synthse

    rve, cette vision unitaire de l'esprit, que notre condition humainesemble nous interdire?

    Non, car en l'homme existe en germe, et grandit, une autre facult,lintuition, dont philosophes et savants eux- mmes se plaisent aujourdhui reconnatre les mystrieux et merveilleux pouvoirs. Qu'est- cedonc que l'intuition?

    Depuis Platon jusqu' Bergson, les philosophes ont tent de dfinircette puissance spirituelle de pntration, de perception directe de lavrit qu'est lintuition, alors que par la mhode de l'intellect, nous dis

    tinguons entre le sujet connaisseur et lobjet connatre, le sujet abordanten quelque sorte l'objet du dehors, de l extrieur ; par lintuition au contraire sujet et objet se compntrent, fusionnent, ne forment plus quunsidentifiant, sharmonisant lun avec l'autre, en vibrant au mme rythme.

    Parlant de l'intuition, on ne peut ds lors dire d'elle que cest unefacult objective, comme lintelligence scientifique par exemple, laquelles'applique, lobjet connatre. On ne pourrait la qualifier davantagede facult purement subjective, comme l'imagination, qui cre son objet,en dpassant ces deux catgories cres par l'intellect.

    Dans lacte dintuition, le sujet pntre la nature spirituelle de lachose connatre en sunifiant elle dans un mme synchronisme vibra

    toire. L intuition cre: donc en nous un sentiment profond du vrai etdu rel peru au plus profond de nous- mmes comme une harmonie.

    On comprend mieux ds lors ce qui diffrencie la connaissanceintitive de la connaissance ordinaire. Celle- ci se fait par les sens et parlintelligence. Par les sens dabord, nous obtenons une perception directedes objets, c'est- - dire que par la vue, louie, le toucher, lodorat nouspercevons directement leurs qualits physiques. Par lintelligence ensuite, nous percevons indirectement ou mdiatement ces mmes objetscest-- dire que notre esprit en cre d'abord une ou plusieurs imagessur les donnes fournies par nos sens; puis tire de ces images concrtesune ide abstraite. C est ainsi qu'aprs avoir peru par les sens une,

    deux, trois, tables dtermines, de formes ou de dimensions semblablesou diffrentes et en avoir retenu les images, lesprit se cre en lui- mmele concept abstrait de table. Mais ces images concrtes et cette notionabstraite ne sont quune connaissance indirece des objets primitivementperus par nos sens.

    Dans l acte dintuition au contraire, nous avons en quelque sortela perception immdiate de la nature spirituelle des objets considrs.L intuition se rapproche donc de la sensation en ce quelle est commeelle perception directe : elle en diffre en ce qu'elle est perception spirituelle et non purement physique. Elle se rapproche de lintelligence, en cequelle est comme elle perception spirituelle : elle sen distingue, parcequelle est perception directe et non indirecte directe parce qu'elle

    s'unifie avec lobjet au lieu de sopposer lui comme le fait l intelligence.L intuition ne doit pas non plus, disons- nous, tre confondue avec

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    limagination, ainsi qu'on ne le fait que trop souvent. Intuition et imagination sont en effet des pouvoirs tout diffrents de l'esprit. Un exempleremarquable de cette confusion se rencontre dans un livre que beaucoupde mes lecteurs connaissent sans doute, livre que je ne voudrais pasavoir lair de dnigrer parce que, par ailleurs, je laime et je ladmirebeaucoup : Les Grands Initis, dEdouard Schur. Ce sont manifestementdes rcits imaginatifs et non des vies relles que dcrit l auteurSchur confond, met sur le mme plan, intuition, vision psychique ouspirituelle, et imagination. Sa propre imagination cre ces vies dinitisselon ses conceptions sotriques et il croit percevoir intuitivement desbiographies relles, historiques.

    Je trouve la mme confusion encore dans un article rcent intitul :La Science et limagination de H. J . Proumen (1). L'auteur nous montrecomment Henri POINCA RE , l'minent mathmaticien, dcouvrit brusquement durant son sommeil les fonctions frichsiennes aprs avoir

    longuement et inutilement recherch la solution du problme et lavoirabandonne, lauteur de larticle commente le fait comme suit : Lesmatriaux de son inconscient staient groups, slectionns, tris, sansqu'il y prit garde : son imagination avait travaill son insu .Eh bien,non, ce nest pas l'imagination, mais une activit superconsciente delesprit, trs diffrente de limagination. Quelle est donc cette diffrence?

    L imagination est un pouvoir subjectif d'invention ou de cration,tandis que lintuition est un pouvoir de discernement ou de vision spirituelle. Dans l'imagination, on ne discerne pas la ralit qui est : on encre une de toutes pices. L intuition peroit ce qui est, limagination cresubjectivement (c.- - d. dans l'esprit) une ralit qui ntait pas avant.On saisit toute la diffrence.

    Essayons dappliquer ceci lart du peintre. Le grand artiste intuitifqui fait un tableau, discerne dans le sujet quil reproduit des beautsrelles que le vulgaire ne voit pas. Percevant ces ralits suprieureset les reproduisant, il cre un chef- duvre. L'artiste imaginatif lui,ne peroit pas ncessairement telle ou telle beaut relle dans le sujet,mais il en cre de toutes pices en son esprit et les reproduit en sontableau. L uvre du premier artiste rvle donc des ralits qui sontdans la nature et il les interprte daprs sa vision. L uvre du second,qui peut tre belle elle aussi, reproduit surtout les fantaisies, les crationstoutes personnelles de son auteur. Elle rvle moins le sujet mme qui esttrait dans le tableau que le pouvoir de cration imaginative dploy par

    l'auteur en son uvre.Appliquons maintenant cette mme diffrence entre intuititon etimagination dans le domaine de la science, car ce serait une erreur decroire que lintuition n'est valable que dans le domaine artistique oumystique. La facult sappliquera valablement partout. Dans le domainescientifique nous distinguerons donc galement entre intuition et imagination, bien que les deux facults y rendent, toutes deux, de prcieuxservices.

    L'imagination permet au savant de faire d'ingnieuses et audacieuseshypothses que lexprimentation doit ensuite contrler, dont elle doitvrifier si elle sont bien ou mal fondes.

    (1 ) Revue Spir itualit, 15 Janvier 1945.

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    Dans l intuition au contraire, ce contrle, cette vrification, ne sontmme pas ncessaires. L intuition permet au savant de voir soudainclairement, lumineusement, la vrit. C'est ce quaffirment de nombreux

    tmoignages et notamment celui du clbre physicien A. A M P ERErelatant lillumination soudaine qui lui fit trouver la formule fondamentalede l'lectro- dynamique, ou bien encore l'exprience cite de Poincar,apportant avec elle un tel degr de certitude que la vrification ultrieure,faite par acquit de conscience, en devenait inutile et superflue.

    L'intuition est. disons- nous, une facult qui peut sappliquer tout,aussi bien au domaine positif de la vie quotidienne que pour les plusgrandes envoles de l'esprit, dans les domaines artistiques, scientifiqueet mystique. L intuition est perception directe, immdiate, des tres etdes choses : elle nous rvle en tant que vision suprme, leur unitcache. Voil pour sa nature.

    Voyons maintenant quel mcanisme prside l'closion de cette

    mystrieuse facult.L'intuition ne peut natre qu'en unifiant en nous aprs les avoir

    purifies ces deux facults du moi qui trop souvent sopposent oudemeurent trangres l'une lautre : je veux dire la raison et le sentiment, l intelligence et le coeur. PASCAL se plaisait souligner l'opposition entre les deux, dans sa phrase clbre : Le cur a ses raisonsque la raison ne connat pas . Mais ce nest jamais en les opposantque lintuition vritable pourra surgir en nous. Le philosophe GU Y A Uinsistait donc justement sur la ncessit d'annuler ce divorce entre lecur et la raison quand il crivait que la pense humaine doit treaime pour tre comprise . Et ce nest pas seulement la pense humaine

    mais tout le rel qui ne peut tre vraiment compris sans cette intimecollaboration du cur et de lesprit : car s'il faut aimer pour comprendre,il faut tout aussi bien comprendre pour aimer. Aussi BERGSON dfinissait- il justement lintuition comme une sorte de sympathie intellectuelle par laquelle en se transporte lintrieur des objets... Sympathieintellectuelle, cest bien, on le voit, lunion de deux puissances!

    Nous disons donc que pour que lintuition puisse natre, il nous fautdvelopper conjointement lintelligence ou la raison, d'une part, le curou la sensibilit, de lautre. Il nous faut au pralable les purifier deleurs souillures les prjugs pour l'intelligence, les mauvais sentimentspour le cur puis les porter un degr de tension extrme, et tenterde les harmoniser, cest- - dire de les unifier dans la poursuite de la vritrecherch. Enfin, aprs avoir ralis tout cet effort et cette tension, ilfaut savoir au contraire sarrter, suspendre toute cette activit consciente,lui imposer le silence. 11 sopre alors chcse trange une sorte dematuration obscure, silencieuse : l'activit consciente suspendue sepoursuit notre insu dans notre inconscient. Ce travail secret peut seprolonger quelque temps, puis brusquement la lumire de l'intuitionsurgit. Le vieux PL A T ON nous dcrivait dj ce processus il y a2500 ans, dans sa septime lettre : Il faut une longue intimit aveclobjet de la connaissance, nous dit- il, et un effort assidu pour en pntrerle fond. Alors il semble quune tincelle jaillisse et allume dans lmeune lumire qui, ds lors, sentretient d'elle - mme.

    Les modernes nont fait que confirmer par leur exprience propreles dires du vieux philosophe grec. Gthe a crit :. Tout ce que nous

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    appelons inventer, dcouvrir, au sens le plus lev, est la ralisationreprsentative d'un sentiment original de la vrit qui, aprs strelonguement dvelopp en silence, se manifeste inopinment avec larapidit de lclair, en donnant naissance un. ide fconde . SHO-

    P EN H A U E R est plus explicite encore : Nos penses les meilleures,dit- il. se prsentent subitement notre esprit comme une inspiration etsont videmment les rsultats dune longue mditation dont on na pasconscience . Et, chose curieuse, il assimile cette transformation inconsciente de nos penses au fond de nous- mmes celle de nos alimentsdans notre corps.

    Parmi les savants modernes, Henri P OIN CA RE que j ai cit,reconnaissait galement que les apparences dillumination subite n'taient que les signes manifestes dun long travail inconscient antrieur . Dans la relation de son cas particulier, il dit pourtant : ... l ideme vint, sans que rien dans mes penses antrieures part m'y avoir

    prpar . (1)Ecoutons le tmoignage dun autre mathmaticien, Paul PAIN-

    L EV E : Depuis des annes, dit- il, je macharnais sur le problme desquations diffrentielles. Parvenu un certain point je m'arrtai, nepouvant aller plus loin. Henri Poincar qui suivait mes recherches,mavait dit : Vous tes arriv devant un obstacle infranchissable . Eten effet j avais renonc le franchir. Or un jour, partant pour Gneset montant dans le train de Marseille, une soudaine lueur mclaira.J avais rsolu le problme! La chance? Mais non. Mon subconscient avaittravaill pour moi tout simplement . (2)

    Le plus souvent lillumination est donc brusque et soudaine aprs

    de longues et infructueuses recherches : parfois au contraire, elle est pluslente et progressive, comme chez lillustre astronome K EPLER. Danssa conclusion de l'expos des trois lois, il crit : Depuis trois mois,j ai vu le premier rayon de lumire; depuis trois mois j ai vu le jour;enfin depuis peu de temps, j ai vu le soleil de la plus admirable contemplation . Le ton du savant, son exaltation, nous montrent que savision sapparente la vision mystique. Les visions mystiques sont toujours fulgurantes, elles ont une date prcise, bouleversent la vie, branlentltre tout entier : cest, aprs la contemplation de Kpler, la visionde Descartes, la nuit de Pascal, bien dautres encore. On dirait quelindividu, dans ses efforts ardents pour hausser sa conscience unniveau plus exalt, y accde brusquement, aprs un temps de silence,par lveil subit dune vision nouvelle,dun pouvoir nouveau de connaissance, quelque chose comme une fentre qui souvrirait en son me surcette rgion sublime des vrits ternelles et des lois transcendantesde notre monde.

    Et cest exactement ce que nous suggre aussi un autre savantillustre, le prince Louis DE BROGL IE , lorsqu'il crivait ces lignesconcernant les grandes dcouvertes : Tout sest pass, dit- il, commesi en inventant des conceptions nouvelles, il (le savant) navait fait

    (1) Citations extraites du livre : Espces et varits dintelligence par Franois

    Mentr (Bossard, Paris).(2) D aprs Herv- Mil l ( Paris- Soir ).

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    que dchirer un voile comme si ces conceptions enfin atteintes, existaientdj, ternelles et immuables, dans quelque monde platonicien desIdes- pures .

    Ceci nous ferait ainsi mieux comprendre pourquoi la suspensionmomentane de notre activit consciente est ncessaire la gense delintuition. Nos facults conscientes ce que nous nommons la raisonet le cur sont les facults du moi, elles appartiennent notre moi :l'intuition au contraire nappartient pas au moi. Elle ne nat quen celuiqui est parvenu transcender son moi, son ego. 11 faut donc imposersilence l'ego, et ses puissances pour hausser notre conscience audel, cest-- dire en ce qui est encore pour nous l inconscient. Alorsseulement peut seffectuer le travail superconscient de lesprit qui nousapporte sa lumire. N'avons- nous pas prouv nous- mme combien defois au rveil, aprs une longue nuit, des solutions embrouilles noussont apparues toutes claircies ? Mystre de linconscient !

    Je dis donc que l unification parfaite du cur et de lintelligence nepeut se faire que sur un plan suprieur notre moi conscient. Voilpourquoi K RISHNAMURT 1, le penseur de l'Inde, parlant de ces choses,non pas thoriquement, comme nos philosophes, mais comme quelquunqui sait parce quil se tient lui- mme ce niveau suprieur, nous ditavec cette simplicit qui le caractrise : Penser et sentir sont pourmoi la mme chose parce que j'ai perdu la distinction de ce que vousappelez la pense et le sentiment .

    Mais pour en arriver ce niveau, lhomme, je le rpte, doit strecentr sur un plan suprieur lgo, cest-- dire sur un plan sur lequelil a dpersonnalis ses sentiments et universalis ses penses, ou, si

    on le prfre, sur un plan o il a cess d'tre go- centrique pour devenircosmo- centrique. Son ple dattraction s'tant ainsi dplac hors dumoi, l individu dpasse sa propre perception psychique et mentale, cessantalors dopposer son moi lunivers pour sunifier au contraire aveccelui- ci et atteindre ainsi la connaisance universelle qui rsulte decette unification mme.

    Voici donc aussi pourquoi, dans lascse chrtienne, le mme enseignement nous est donn au sujet de lintuition mystique. Seulement lemot Dieu remplace ici le mot univers. L abb BREM ON D, lminentauteur de l'Histoire du sentiment religieux en France, parlant de l'extasedes saints, nous dit quelle ne se passe pas plus dans la zone sensible

    que dans la zone rationnelle (1). Bremond cite aussi sur le mme sujetle philosophe catholique Maurice B L ONDEL , il importe de se dgagerdes sens et de lentendement, dentrer, par rapport eux, dans une sortede nuit obscure qui est la vraie voie de lillumination vritable et toutle contraire de l'illuminisme (2),

    L illuminisme, tel est en effet lpouvantail de tous les vrais mystiques.

    ( suivre.)

    (1) A . Loizy : Georges T yrrel et Henr i Bremond p. 172 (Nour ry ).

    (2) H . Bremond : Autour de l Humanisme p. 256 (Grasset).

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    Le Pacifisme et la Bhagavad-Gitapar HENRY CORCOS

    (suite)

    Un dernier fait d'apparence surprenant, et qui fut salvateur : laRussie, une fois attaque par son ennemi naturel, lui ayant momentanment tendu une main trompeuse (afin de pouvoir soccuper ailleurs),se rvler non seulement une nation de grande puissance industrielle etmilitaire (ce que nauraient mme pu imaginer et encore moins raliserles Tsars), et montrant par l que les ouvriers (dont se gaussait tellement la presse bourgeoise des pays capitalistes), taient mieux capablesqueux de s'organiser efficacement pour rsister une Allemagne imprialiste et militariste, prpare de longue date pour ses actes de ban

    ditisme international, (2)Mais, plus encore, le sacrifice des ouvriers rouges a dcel un

    insurpassable sentiment patriotique, donnant dans la pratique mme, unnouveau dmenti la doctrine du Manifeste Communiste, que les ouvriersnont pas de Patrie, et donc rien dfendre.

    Ils ont brillamment dfendu la fois leur pays et leur rgime et,contre- coup inattendu, que lon serait tent de dire immrit par lesnations bourgeoises (s'opposant nagure eux), ils ont puissammentcontribu sauver celles- ci de la mortelle treinte allemande, en abrgeant la guerre de plusieurs annes, par leur splendide rsistance, et enpermettant aux allis de forger rapidement les armes de la victoire.

    Nous avons vu la thorie socialo- communiste et les chefs de cesgroupements, dans leur pacifisme verbal. Il nous reste nous informerde ce quont fait les militants et la masse des adhrents de ces deuxpartis. Quelle fut leur raction, lors de la dclaration de guerre de1939 ? Ils sont partis au front, comme tout un chacun, et ont dmontrainsi queux non plus ne prenaient pas au srieux le programme socialo-communiste.

    Tout ce pacifisme politique se rduit donc des paroles creuses,sans aucune valeur ou consquence.

    Il est bon cependant de rflchir longuement tous ces lmentscontradictoires et d'en tirer la leon : non pas pour critiquer, mais poursavoir ultrieurement quelle voie plus sincre et raisonnable suivre.

    Ne pas dduire non plus, de ce que je mets en cause les partisde gauche:, que je m'oppose eux et suis orient droite. J ai t obligd'analyser leur action, parce que ces deux partis seuls se dclaraientouvertement (et nous avons vu avec quel peu deffet), contre la guerreet sa prparation ; je ne pouvais viter de les mettre sur la sellette entudiant le pacifisme ; mais cela nimplique nullement que je sois engnral contre le socialisme.

    J ai le sentiment que tous les peuples volueront fatalement versle socialisme, qui est un tatisme largi, mais rompant avec les dformations monstrueuses faisant de la socit un organisme abstrait, auquell'individu doit aveuglment et totalement se sacrifier, alors que le but

    (2 ) Arme, dailleurs, laide des matires premires fournies bnvolement parl Angleterre et la France, ce qui est le comble de l inconncience.

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    normal de la vie en socit est au contraire que l'individu en tire serviceafin que, par ce moyen, l'homme lve son niveau d'existence. J approuvedonc cette orientation, mais avec quelques petites rserves.

    Je dsirerais quil soit ajout dabord ce point de vue exclusivementmatrialiste une impulsion nettement spiritualiste ; l un ne peut aller sansl'autre. C est trop peu d'avoir comme but de la civilisation humaine sonconfort matriel ; le mot de civilisation serait hors de propos ;lavancement moral doit aller de pair, pour le moins. Pour cela, il estbesoin dune politique sociale trs tudie et dlicate ; elle demande dessavants et des pdagogues avertis. Les primaires, que lon trouve entrop grand nombre dans les partis politiques, ne peuvent rien pour lasolution de ce problme.

    De plus, je suis contre tout programme complet et longue chance,quel qu'il soit. L'humanit n'avance que pas pas ; cherchons donc dessolutions au fur- et-- mesure qu'elles se prsentent et s'avrent ralisables.

    Par ex. : la nationalisation de lindustrie lourde, des banques, des assurances, des services publics (eau. gaz, lectricit), le dveloppement descoopratives, lexploitation et la fusion en commun des fermes, une pluslibrale rpartition des produits manufacturs, la retraite des vieux, lescolonies de vacances ouvrires dans tous les climats, selon les besoinsvaris, les jardins familiaux, les piscines dans chaque village, de mmeque les bibliothques, et lorganisation intelligente des loisirs, un meilleururbanisme, la totale lectrification et lirrigation des campagnes, etc...Chaque problme sparment.

    Cela prsente trois avantages : le premier est de ne pas souscrire un programme demandant cent ans et plus pour se raliser et dont,

    non seulement nous ne verrons jamais la fin, mais qui devra tre constamment remani, selon lvolution de la socit qui le commande, caril doit sadapter elle ; le deuxime, cest que nous viterons ainsi lembrigadement de braves gens, souvent dangereusement nafs, derrire unebannire; politique, les livrant ainsi lindiscrtion de meneurs, troptents dabuser de ce pouvoir ; enfin, la troisime est que les partispolitiques entranent dans leur sillage la haine politique ; cest la divisiondu pays en clans rivaux, cest ce qui a contribu mettre la France genoux, en la livrant une surenchre intresse.

    Pourquoi sopposer les uns aux autres, lorsqu'il sagit ddicter uneloi sur les assurances sociales, ou pour faire un quipement rural, permettant l'ducation physique dans chaque village ? On peut juger que

    le moment est opportun ou non, on peut discuter la somme y investir,on peut en varier les modalits dexcution, mais il ny a l aucun motifvalable de haine entre les citoyens dun mme pays.

    Pour quelle raison ces mmes mesures, lorsquelles sont runies enun programme politique, amnent- elles du mpris, des dissentimentset des bagarres entre les divers tenants de chaque programme ? Il nya cela quune explication : les dirigeants ont cr ces groupementspolitiques artificiels, afin de sen servir pour satisfaire leurs ambitionspersonnelles ; en vue de rendre ces groupes puissants, ils exploitent lespassions humaines, toujours prtes se dchaner. ( 1)

    ( I ) I l serait injuste de faire peser la responsabilit de ces dissentiments sur les

    seuls partis de gauche ; l gosme bourgeois et capitaliste sait fort bien attiser et aubesoin provoquer le feu, en combattant ces partis.

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    L'heure est venue de mettre fin ces pratiques, qui nous ont faitun mal immense et profond. On peut tre sagement socialiste, cest--dire dsirer procder par tapes et sans lien ncessaire avec un parti.En outre, il ne faut pas relguer l arrire plan le spiritualisme ; lesdeux buts non seulement ne sont pas incompatibles, mais sont COM PLEMENTAIRES .

    * * *

    D'autres partis politiques, en France et en Europe, condamnaientla guerre avant celle de 1914 et plus encore avant celle de 1939 et,le nombre des ligues pacifistes, d'inspiration politique ou laque, taitvraiment considrable. La plupart de ces groupements manquait de sincrit et ne se servait de ce mobile que pour avoir une apparenteraison dexister, une justification. On semble utile, ainsi, peu de frais.

    Quant aux groupements qui taient de bonne foi, ils rvlaient unedconcertante navet, par leur dsir de se borner des paroles mesures,bien intentionnes.

    Une lutte effective contr.e la guerre (dans ltat social actuel)demandait des militants de la paix, des COMBA T T A NT S, qui luttentpar tous les moyens (sauf les armes) contre la prparation de la guerreen temps de paix et qui dnoncent sans mnagements, toutes les compromissions, tous les prjugs, tous les aveuglements (au besoin qui nereculent nullement devant laction directe). Or, aucun parti politiqueou ligue: pacifiste ntait dispos courir ce risque.

    Une question reste ouverte ; elle est dactualit depuis 50 ans ;elle vaut pour la prparation des deux guerres (1914 et 1939) : a- t-on

    jamais lu des mots d'ordre de la C.G.T ., du Parti Socialiste Franaisou du Parti Communiste Franais prescrivant la grve aux ouvriers travaillant dans les mines de fer et de bauxite, qui extrayaient et chargeaient le minerai destination de lAllemagne ? Ces groupements peuvent ils invoquer la mconnaissance des faits et des buts poursuivis parl'industrie lourde ?

    Passons maintenant au ct religieux de la question :

    Le christianisme condamne la guerre, verbalement et par crit ; ilprche la paix. Mais, li par son dsir de fidlit aux Gouvernements

    tablis, quels qu'ils soient, il est parfaitement conformiste dans la pratique et accepte, les yeux ferms, de bnir les combattants, comme desouhaiter la victoire chacun des deux adversaires, en quoi il bnitle mal dans un des cas,, lorsque ce nest pas dans les deux, quandchacun des deux adversaires a tort, ce qui est frquent.

    Les glises, qu'elles soient protestantes ou catholiques, ont fait unefaillite dfinitive et dcevante, dans la lutte contre la guerre, parcequ'elles ne sont pas exclusivement spiritualistes.

    On ne comprend pas pourquoi une religion se dclare fidle auxGouvernements tablis, dans les pays o elle exerce son ministre. LesEglises sont diriges depuis des sicles par de savants thologiens, qui

    n'ont pas lexcuse de lignorance ou de l'irrflexion invoquer. Le rlefondamental de la religion est d'tre fidle Dieu, ce qui rejette la

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    fidlit aux Gouvernements, qui sont des hommes (par suite essentiellement faillibles) et ayant par surcroit une tche singulirementdlicate.

    On comprend que les Eglises prient pour les Gouvernements etsurtout quelles intercdent auprs de Dieu pour quil les claire et lesdirige dans leurs devoirs particulirement ardus, mais la religion ne peutdpasser ce rle, sans trahir sa mission.

    Le conformisme chrtien est donc parallle linaction contre laprparation de la guerre par les socialo- communistes, mais il est infiniment plus grave, car la religion est le guide naturel des peuples et ilne sagit pas l de groupements artificiels, mais ncessaires, pour limmense majorit des hommes au stade peu avanc dvolution, o noussommes encore.

    Quelques objecteurs de conscience (1) s'lvent courageusement

    contre le meurtre en commun ordonn, en acceptant daller en prisonplutt que d'y consentir, allguant comme raison leurs convictions religieuses. Leur- attitude est logique ; mais un problme qui intresse unenation (et le rcent conflit nous a rvl quil stend la Terre entire)nest pas tranch par des expdients individuels.

    En outre, il y a lieu de remarquer que lorsque la guerre seratermine, lobjecteur de conscience aura, soit le remords davoir contribu faire triompher le mal, par son abstention, si