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Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

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Page 1: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Vendredi 8 mars 2013 - 69e année - N˚21192 - 1,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice: Natalie Nougayrède

MPlusque jamais,la mission duMondeestessen-tielle. A une épo-

que où le citoyen croule sous unemasse d’informations qui lui par-viennentàunrythmeeffréné,pardemultiples canaux, dans un étourdis-sant maelström médiatique, cettemission, cette exigence conserventtout leur sens. Hubert Beuve-Méry,lefondateurdujournal, lesavaitdéfi-nies par ces mots: «Assurer au lec-teur des informations claires, vraieset, dans la mesure du possible, rapi-des, complètes.»

Ce credo fonde le contrat deconfianceavecnoslecteurs.Directri-ceduMonde, jem’attacheraiàconso-lider ce lien avec vous, pour mieuxrépondre aux questions d’aujour-d’hui et mieux préparer le journalaux enjeuxdedemain.

Le Monde vit, comme les autresgrandsjournaux,à l’heuredelarévo-lution numérique, qui transformeleshabitudes de lecture. Nous avonsd’innombrables atouts pour abor-derdeplain-piedcesnouveauxhori-zons.Ilssontprometteurs.Nousvou-lons les investir avec audace pourapporteraulecteuruneinformationdegrandevaleur, vérifiée,approfon-dieetvivante.LeMonde le feraenres-tant fidèle à lui-même: richesse édi-toriale et défense intransigeante denotre indépendance à l’égard detous les pouvoirs.

La qualité de l’information n’estpasunacquis,maisuneconquêtedetous les jours. L’indépendance n’estpas un concept abstrait, mais uneboussole. Nous devons sans cesseinterroger,fouillerlesrecoinsdel’ac-tualité, apporter une information àla fois originale et solide, qui éclairele citoyen.Notre travail dedécrypta-ge doit permettre d’aller voir derriè-re les façades et les discours officielset de déjouer les pièges de l’ère de lacommunication,cettehabileproduc-tricede récits clés enmain.

Plus que jamais, également,LeMonde doit être fidèle à son nom.Il offreun regardriche sur la planèteet ses bouleversements, la recompo-sition des puissances, les enjeuxd’uneEuropeassailliepar lesdoutes.Nous devons nous attacher à biencomprendreetfairecomprendrecet-te mondialisation, qui inquiète denombreux Français. A l’heure où denouveauxpopulismessurgissentenEurope, où des révolutions inéditesbousculent le monde, ce n’est passeulementunenécessité journalisti-que, c’est aussi un impératif de vigi-lancedémocratique.

Je défendrai cet héritage devaleurs qui anime notre journaldepuissacréation,etqu’aportéhautmon prédécesseur, Erik Izraelewicz,brillantpilote denotre aventure col-lectivequinousatristementquittés,en novembre dernier, dans la forcede l’âge. Je le ferai avec passion,entourée de toutes les équipes de larédaction.Plusquejamais,LeMondeseravotre journal,un journalàvotreécoute, toujourspluspertinent,plussoucieux de comprendre et de fairecomprendre les réalités contempo-raines. Et d’éclairer l’avenir. Avecdévouement,honnêteté et rigueur.

Souffranceautravail: jusqu’où ?Enmoinsd’unmoins,deuxchômeursetunsalariése sontimmoléspar le feuenFrance.Faut-il analysercesactesdedésespoirseulementcommedes«dramespersonnels»ouégalementcommelesymptômed’unedéstructurationsociale?LIREPAGES 18-19

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PROCÈS DE L’ÉCOLE ENBATEAU : LE MOMENT DE VÉRITÉSOCIÉTÉ – LIRE PAGE 10

Mobilisationd’InterpolcontrelespiratesdelapêchePLANÈTE – LIRE PAGE 7

LA ZOÉ DE RENAULT,ÉLECTRIQUE ABORDABLECULTURE & STYLES – LIRE PAGE 23

Un torrentde larmesàCaracasLesVénézuélienspleurentHugoCha-vez. La thèse d’uncomplot améri-cainpour lui inocu-ler le cancer refaitsurface.INTERNATIONAL – P. 6

Retraites: lePS se rend àl’évidenceNonseulement laréformedeM.Sarkozyétaitnécessaire,mais ilenfaudrabientôtuneautre, sembleadmettre l’exécutif.POLITIQUE – PAGE8

CarlosGhosnconvainc lessyndicatsBaisser les coûts,maisproduireenFrance,etdavanta-ge. FO,après laCGT,valide l’accordqueleuraproposéRenault.ÉCONOMIE – PAGE 12

ÉDITORIALNATALIE NOUGAYRÈDE

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a Ils racontent la vie decabinet au temps de l’hyper-présidence. Et ça se vend bien

a Elisabeth Roudinescoexplore trois ouvrages depsychanalystes humanistes

AUJOURD’HUIDROITS DES FEMMES, ENCORE UN EFFORTLes hommes veulent «combattre les stéréotypes». Chiche!

LEMONDE DES LIVRESLeursannéesSarko

Vallée d’Amettetaï, auMali,mardi 5mars. Des légionnairesemmènent un prisonnier djihadiste.SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR «LEMONDE»

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Avec les soldatsfrançais,à lapoursuited’Al-Qaida

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a Enquête Selonun sondageCapitalcom-LeMonde, les hommes sont favorablesà lamixitéau travail à tous les échelonshiérarchiques

a ReportageDeplus enplusde femmespren-nent des cours d’autodéfense. Elles s’initientnotamment au Krav Maga, qui signifie «combatrapproché» enhébreu

a Guerre des sexes La sociologueDominiqueMéda a lu La Fin des hommes, de l’AméricaineHannaRosin. Pas totalement convaincue

a PionnièresDansCes femmesqui ont réveilléla France, Jean-Louis Debré et Valérie Bochenekévoquentvingt-sixdestinées stimulantes

LIREPAGES 11, 16-17, 20 ET «LEMONDEDES LIVRES»

«LeMonde»,sesvaleurs,sonavenir

tAucœurde laguerre, dans lenordduMali, notre reporter Jean-PhilippeRémyraconte la chuted’une citadelled’AQMI.Unrécit et desphotosexceptionnelsLIRE PAGES 2, 3 ET 4

Algérie 150 DA,Allemagne 2,20 ¤,Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,40 ¤,Belgique 1,80 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,70 £,Grèce 2,20 ¤, Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,80 ¤,Malte 2,50 ¤,Maroc 12 DH,Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS,Suisse 3,20 CHF, TOMAvion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA,

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l’événement

Vallée d’Amettetaï (Adrar deTigharghâr, nord duMali)Envoyé spécial

C’estlegrandlégionnai-re avec un accent del’est qui est le premierà tenter le coup: arra-cher une brasséed’oignonsdanslepota-

ger d’Al-QaidaauMaghreb islami-que (AQMI) et mordre à bellesdents dans les tiges vertes, avantd’éclater de rire. Les tomates, tropvertes, seront pour plus tard. Per-sonnenesaitquoifairedesbettera-ves. Restent les oignons. Ce n’estpas que ce soit bon. Ce n’est pasque soit immense la tentation demanger des légumes plantés parles hommesmorts ou en fuite quiétaient bien décidés à tuer jus-qu’aux derniers les soldats fran-çais mettant les pieds dans cette

zone de la vallée de l’Amettetaï,leur citadelle des roches. Mais lessoldats ont une raison de seréjouir : ils sont en train de termi-nerlaconquêtedelavalléeoùétaitconcentré un dispositif majeurd’AQMIdans lenordduMali, dansla vaste zone de l’Adrar des Ifo-ghas. Les hommes sont rincés,leurs lèvres sont gercées, leurs nezpèlent, ils ne se sont pas lavésdepuisdesjours,maisl’airdelavic-toire leurdonnedes envies de fan-taisie, etmêmed’oignons.

Danslapremièrephasedel’opé-ration Serval, les soldats ont étésurlespistes,àavalerdelapoussiè-re.L’avancéedespremièressemai-nesapermisdeprendreGao,Tom-bouctou, Kidal et Tessalit. Puis laguerre a donné l’impression des’éloigner. Elle ne faisait que sedéplacer vers le nord, pour entrerdansunephasedifférente, celle dela confrontation directe avecAQMI. L’arméemalienne, à ce sta-de, est restée le long d’une lignequi suit à peu près le cours dufleuveNiger. Ici, dans le nord, c’estavec l’armée tchadienne que semènent les opérations et dans cerecoin de l’Adrar des Ifoghas, ilsviennent d’entrer dans un sanc-tuaire d’AQMI.

Pourunearméeconventionnel-le, lepaysagedecette région,vudeloin, est aussi séduisant qu’uncoupdebaïonnettedans le dos.Deprès, c’est pire encore. Entourépardes plaines qui dérivent vers ledésert, l’adrar de Tigharghâr, àl’ouest du massif des Ifoghas, res-semble au résultat d’une grandecolère géologique échouée sur le

sable, avec son relief tourmentéd’éboulis, de pitons, d’amas depierres volcaniques noires et cou-pantes, trufféesd’anfractuosités.

En bas, l’oued, couloir de passa-ge de la vallée de l’Amettetaï, tra-verse l’adrar d’est en ouest, bordéd’arbres qui permettent dedéjouer la plupart des moyens dedétection à distance. Un endroitparfait pour une guerre àmauvai-sessurprises.Aupieddeceparadisdel’embuscade, ilya lebienleplusprécieuxqui soit,pourquiveuts’yretrancher: l’eau.

Les responsables d’AQMI ontpassé des années à organiser cettegéographie parfaite en citadelle.Mais la citadelle vient de tomber.Dans cette zone, un groupe decombattants d’AQMI a été touchéla semaine précédente par desfrappes françaises qui ont permisde «détruire », conformément

aux vœux du président français,FrançoisHollande,ungroupediri-gé par Abou Zeid. Le corps de cedernier, l’homme qui détient lesotages français enlevés à Arlit, auNiger, est en cours d’identifica-tion.Mais lesdommagessubisparle groupe qu’il commandait sontnets. Alors qu’une grande partieduTigharghâraétéprise,desinter-ceptions de communicationsmontrentque les rebellesqui sontencore en mesure de communi-quer s’encouragent à « fuir à dosde chameau».

La guerre au Mali n’a pas prisfin,mais à Amettetaï, elle vient deconnaître un renversementmajeur. C’est la première fois queles forces françaises et leurs alliéstchadiens ont affronté, au sol, descombattants qui, depuis le débutde la phase terrestre, dans la fou-lée des frappes aériennes enta-mées le 11 janvier, ont vu à chaquefois les hommes d’AQMI fuir l’af-frontement direct. A Tombouc-tou, à Gao, ou à Kidal, AQMI et sesalliésdesgroupesrebelles islamis-tes avaient déjà quitté les lieuxdans la précipitation, surpris sansdoute par la vitesse de l’avancéefrançaise à travers l’espaceimmenseduMali.

Ici, à 1 700 kilomètres deBamako, ils n’ont pu éviter labataille. Il y a encore des hommesd’AQMI cachés dans ce décor bru-tal.Mercredi6mars,unpetitgrou-pe s’est rendu, encouragé par desmessages diffusés par haut-parleur.Leraisonnementétaitsim-ple. Ils étaient condamnés àmou-rir,defaimoudesoif.Les jourspré-cédents, les soldats français ontretrouvé des cadavres de blessés.L’un avait encore une perfusiondans le bras, signeque ses camara-des avaient tenté de le soigneravant de l’abandonner à son ago-

nie. «A chaque fois, on les enterre,oudisons, on les empierre», témoi-gneunofficier, levisageravinéparla sueur.

Dans certaines caches, les sol-dats françaisont trouvédes armeschargées. Leurs propriétairesavaientchoiside fuir enévitantderessembler à des combattants. Iln’estpaspossibledes’extrairefaci-lement du Tigharghâr à bord d‘unvéhicule. Le 3mars, dans une val-lée voisine, quatorze personnesontessayédequitterlazoneàbordde pick-up. Ces derniers ont étédétruitspardestirsd’hélicoptères.

Certains éléments d’AQMIattendent l’occasion du coup defeu de la fin contre les élémentsfrançais, légionnaires et parachu-tistes, qui continuentdepasser lesmassifs au crible « quasimentrocher par rocher», selon un capi-taine de la Légion. Alors, au bordde l’oued, ou dans les massifs, lessoldats avancent avec mille pré-cautions. Il est arrivé qu’un com-battant d’AQMI surgisse à quel-quesmètres et ouvre le feu.

Quelques jours plus tôt, prèsd’un autre piton, un petit groupede soldats a passé la nuit à dixmètres du cadavre d’un combat-tant d’AQMI. A l’aube, le cadavre abougé légèrement, et un autrecombattant, bien en vie, a surgiau-dessus de son camarade mort,après avoir passé la nuit sous soncorps, vidant ses chargeurs pres-que à bout portant en directiondes Français. Il a été tué sans avoirle temps d’occasionner de pertessérieusesà son ennemi.

Pour AQMI, le bilan de lamanœuvre pour prendre la valléeest lourd : deux morts français,vingt-cinq Tchadiens, et plusd’une centaine confirmée du côtédumouvement islamiste.

L’organisation d’AQMI autour

de la vallée se lit à présent commele résultat d’une surprise qui seserait retournée contre sesauteurs. Le long des berges del’oued, des positions ont étéenfouies dans le sol, sous lesarbres. Les pick-up avaient étéenterrés dans des voies de garageplongeant dans la terre, creuséesau bulldozer, et recouvertes degrandes bâches couleur sable, letout sous les arbres. Indiscerna-bles depuis le ciel. Autour, descaches souterraines font office debunker. Creusées à quelquesmètresde profondeur, elles devai-entpermettreauxcombattantsdese dissimuler au moindre bruit

d’avion ou de drone. Chacune deces caches pouvaient accueillirune demi-douzaine de personnes,parfois plus. Environ trois centscombattants devaient être basésdanslesenvirons.Prèsdelamoitiéont été tués. Les autres,même s’ilsontréussiàfuir,ontperdulaplate-forme logistique et militaired’Amettetaï.

Ce n’est pas encore la fin de laguerre.Ailleursdans lepays, il res-te des régionsdans lesquelles sontregroupés des combattants d’AQ-MI et de ses alliés. Un autreAmettetaï se dissimule-t-il quel-que part ? Le général Barrera, quicommande les troupes de Servalausol,ne lecroitpas:«Ici, c’était ledonjon. Voilà, on a cassé le don-jon. Il reste les basses-cours.» Le

général précise : «C’est une petitearmée qu’ont combattue les forcesfrançaises. » Il avait pris le plusgrand soin à équiper les troupesfrançaises entrant dans la vastezonede l’adrar des Ifoghasde touslesmoyens d’appui dont elles ontbesoin, de l’artillerie aux moyensaériens.

Le dispositif d’AQMI reposaitsur un grand nombre de combat-tants étrangers, et de quelquesauxiliaires locaux. Dispersés enpetites unités à travers la vallée,ilsdevaientenprotéger le cœur, lapetite capitale d’AQMI dans larégion, servant à la fois de plate-forme logistique, de camp d’en-traînement et de stock d’armes.

Il a fallu du temps aux forcesfrançaisespour réaliser le caractè-re crucial d’Amettetaï pourAQMI. L’existence du sanctuaireétait connue. Il était impossibled’en deviner l’importance pardes moyens d’observationaériens. C’est lors du premierassaut, vers le 18 février, que lestroupes françaises ont découvertla taille réelle de leur prise. Lespremiers éléments approchaientdu cœur de la vallée, lorsqu’issont tombés sur un « verrou» :«On était 47, et soudainon a vu selever 50 mecs devant nous, ça aengagé dur», témoigne un desmembres de cet assaut. Le lende-main, un soldat français est tué.Mais dans la foulée, les responsa-bles d’AQMI allument leurs télé-phonessatellitespourcommuni-quer, sans doute surpris parl’avancée française, alors que lesilence presque absolu régnaitsur les ondes des combattantsdepuis des semaines, ils se met-tent à échanger, «et le rens’(ren-seignement) a commencé à tom-ber » sur leurs intentions, seréjouit un officier français.

Unautresanctuairesedissimule-t-ilquelquepart?

LegénéralBarrera,quicommandelestroupesausol,nelecroitpas

Pourunearméeconventionnelle,le

paysagedecetterégionestaussiséduisantqu’uncoupde

baïonnettedansledos

«Voilà,onacasséledonjond’AQMI»Récitde laconquêted’unbastiondjihadistepar lessoldatsfrançaiset tchadiens,dans lenordduMali

Douentza

Tessalit

Tombouctou

Gao

Massifdes Ifoghas

Diabali

Ansongo

Ménaka

Anderamboukane

KidalMALI

Konna

200 km

ALGÉRIE

NIGER

BURKINA FASO

MAURITANIE

Niger

Zone ayant échappéau contrôle de Bamakoà partir demars 2012

Villes reconquisespar les troupesfranco-maliennes

Ville tenue par le MNLAet présence des arméesfrançaise et tchadienne

Adrar de TighargharAguelhok

Des légionnaires du groupement tactique interarmes 4, dans la vallée d’Amettetaï, mardi 5mars. SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR «LE MONDE»

2 0123Vendredi 8mars 2013

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l’événement

Décision est alors prise de lan-cer une opération pour prendre lavallée d’assaut. L’idée d’un para-chutage est étudiée. Finalement,un grand mouvement terrestreprogressant sur trois axes est rete-nu. Par l’ouest arrivent les troupestchadiennes, qui auront des com-bats durs et des pertes conséquen-tes, mais n’arrêtent pas, pourautant, leur avancée à travers lavallée.Par l’estattaquent les forcesfrançaisesdu3eGTIA(groupementtactique interarmes), composéd’une grande partie de «mar-souins» des régiments d’infante-rie demarine, et de leurs homolo-gues de l’artillerie de marine, ren-forcés par les hélicoptères de l’ar-

méede terre,notamment lesTigreet leurs canons meurtriers de30mm.

Pendant plusieurs jours, lescombats sont durs. «Il faisait 45 à55 degrés, pas à l’ombre, puisqu’iln’y a pas d’ombre», sourit le colo-nel Goujon, chef de corps duGTIA 3, avant d’ajouter : «On atousconsciencedevivreuneopéra-tion qui ne ressemble à aucuneautre.» Le groupement tactique,aucours desdernières semaines, aété sans cesse enmouvement. Unofficier subalterne apprécie : « Jesuis depuis dix ans en régimentblindé, c’est la première fois que jesuis sur unemissionde cette inten-sité. Depuis Dakar, on n’a presque

jamaisdormitroisnuitsdesuiteaumêmeendroit. »

Un capitaine saute sur unemine avec son véhicule léger blin-dé. Le chauffeur est blessé, le capi-taine Jean-David (*), du 1er RIMA(régiment d’infanterie de marine)estunpeuassourdi,maisvoittom-ber le verrou au sud de la vallée.Comme d’autres soldats français,il dit spontanément le respectqu’inspire l’ardeur au combat cescombattants. « Ils n’avaient paspeur (…). Ils ont attaqué un 10 RC(blindé léger avec un canon de105mm) à l’arme légère», témoi-gneunhomme. Propos de terrain,proposdeguerriersquand le com-bataétérude.Témoignagesur l’es-sence de la bataille sansmerci quis’est livrée àAmettetaï.

Des officiers supérieurs seréjouissentde la «clartédumessa-ge politique», adressé par le prési-dent de la République à l’arméefrançaise, base de cette opération« recherche et destruction »menée «de manière rustique».Deux soldats français seulementont été tués dans le massif. Cer-tains parlent de «miracle», comp-te tenu de l’intensité des engage-ments, et de la qualité de la défen-sed’AQMI.Aquelledistancelessol-dats français ont-ils combattu les«djihadistes», commeonlesappel-ledans les forces françaises?Quel-ques dizaines de mètres, parfoismoins.

Certaines positions de tirétaient installées avec trois lignesde défense successives. Unemitrailleuse lourde dans lesrochers, puis deux lignes derrièrepour l’appuyer.

Le coup décisif de l’attaque estvenu du troisième axe, celui dunord. Au cours des derniers jours,les légionnaires et parachutistesdu GTIA 4 (groupement tactiqueinterarmes),ontréalisélamanœu-vre la plus dure, la plus folle, laplus audacieuse, et la plus déter-minante de la guerre en courspour prendre à revers les posi-tions d’AQMI et de ses alliés.

D’abord, dans le plus grandsecret, il a fallu transporter les500 hommesnécessairesàl’opéra-tion, essentiellement des légion-naires du 2e REP et des parachutis-tes du 1erRCP. Puis traverser l’adrarpar les lignes de crête, lors d’unemarchedecinqàsixjours,selonlesunités. Le colonel Sébastien, du 1er

RCP, a été l’artisan de cette percéeavec des hommes chargés commedes mules (40 à 50kg sur le dos),

qui se sont lancés à l’assaut despitons et des caches naturellesdans lesquelles les combattantsd’AQMI ont installé des positionsdetirs,quelesfrappesaériennesnepeuvent anéantir en raisonde leurprofondeur.Leshommesontlancédes assauts à la grenade, pénétrédans des réseaux de galeries dansla roche, avec des systèmes dedéfense élaborés.«Dansunede cespositions,lesdjihadistesétaientder-

rière un coude de la galerie et ilsnous tiraient dessus par ricochetsur la paroi», témoigneun capitai-ne.Mais la citadelleest tombée.p

Jean-PhilippeRémyIl a été décidé au sein de l’armée

françaisedeprésenterses élémentspar leur prénom, pour éviter quedes familles puissent faire l’objetde rétorsions ou de menaces enFrance, sur la base de noms defamilles.

Sviatoslav RichterMartha ArgerichGlenn GouldMaurizio Pollini Samson François Alfred BrendelVladimir HorowitzClara Haskil Arthur RubinsteinArturo Benedetti Michelangeli Alfred Cortot Wilhelm

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Degauche à droite et de haut en bas : desmilitaires françaistrouvent une cache de djihadistes ; unhélicoptère atterritsur la base du groupement tactique interarmes (GTIA3) ; unmilitaire duGTIA 4, dans la vallée d’Amettetaï ; des soldatss’apprêtent à détruire des munitions trouvées dans descaches djihadistes, à Tessalit. SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR «LEMONDE»

30123Vendredi 8mars 2013

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l’événement

Vallée d’Amettetaï(Adrar de Tigharghâr, nord duMali)Envoyé spécial

Leur rôle dans la victoired’Amettetaï a été déterminant,mais les soldats tchadiens l’ontpayé au prix du sang en entrantpar le flanc ouest de cette valléecruciale,encoordinationavecl’ar-

méefrançaise,pourfairetombercesanctuai-red’Al-QaidaauMaghrebislamique(AQMI).Soixante-trois blessés, dont un nombreimportant à la tête ou dans le torse, preuveque les troupes d’AQMI, lors de leurs entraî-nements, ont eu le temps de perfectionnerl’aptitude au tir de leurs fantassins. Vingt-sixmorts, aussi. Cela n’a arrêté personne. Et

dans la tradition du rezzou (raid avec prisede butin), les soldats tchadiens emportentquelques prises de guerre, dont de précieuxpick-uppris à l’ennemi.

UncamionéquipédeBM21(lance-roquet-tesmultiples) a été abandonné sur le site dubivouac de la nuit précédente, simplementparce qu’un de ses pneus avant avait crevé.Plus loin, un camion-citerne a lui aussiéchoué quelque part sous les arbres, sansdouteenpanne.Lebulldozersaisipar lesfor-ces tchadiennes, en revanche, avancevaillammentenleurcompagnie.Lesvéhicu-les sont chargés de munitions jusqu’à lagueule, de groupes électrogènes, et mêmedenourrituresaisiedans lesstocksqu’AQMIavait constitués pour tenir un long siègedans l’Amettetaï. Au passage, les Tchadiensont réussi un tour de force : subtiliser à laLégionétrangère le seulpick-upquesespro-pres hommes, qui marchent dans le massifdepuis des jours (mais qui disposentd’autresmoyensde transports), étaientpar-

venus à récupérer. Le pick-up ne démarraitpas.Desmembresde la colonnetchadienne,croisant la route des soldats français, ontobligeamment proposé de les aider à répa-rer. «Ils ont dit qu’ils allaient l’utiliser pourdéposer une moto un peu plus loin, ils sontpartisavecetonnelesajamaisrevus»,racon-te, incrédule, unofficier de la Légion.

Ce butin ne ralentit pas la machine deguerre tchadienne, qui a déjà fait ses preu-ves. Les troupes envoyées combattre auxcôtés de l’armée française par le présidentIdriss Déby ont simplement dû changer unpeudetactique.Eviterdeconserversesvéhi-cules groupés et de monter systématique-ment vers des assauts frontaux, qui ont étési meurtriers. Car dans l’Adrar, les troupesont eu affaire à forte partie. Une attaquebien menée sur leur colonne qui avançaitbille en tête, a fait des ravages. Des kamika-zes se sont fait sauter à leur approche, assissurdes caisses demunitions, ou jaillissant àl’improviste, le doigt sur l’interrupteur delampe de chevet pour déclencher l’explo-siondumélangedeplasticetdebillesd’aciercontenudans leur ceinture.

D’autres armées africaines se déploientau Mali à une vitesse qui est fonction deleurs capacités. Leurs hommes ont rare-ment dépassé Bamako, ou Gao, comme lestroupesnigériennes. L’arméemalienneelle-même n’a pas encore dépassé la frontièredes zones proches du fleuveNiger, pour desraisons qui demeurent floues. Mais lecontingent tchadien, de son côté, est parti àla guerre dans le nord du Mali avec près de2 000hommes,etvientde jouerunrôle clefdans la prise de l’Amettetaï.

Sans ces combattants, il aurait étéimpossible de bloquer l’axe crucial de lavalléeentrantpar l’ouestdans lazoneproté-gée d’AQMI, laissant béant un espace qu’ilaurait été complexe de combler avec destroupes françaises. Les hommes du prési-dentDéby, qui amême dépêché son proprefilspourparticiperauxcombats, sontmain-tenantsortisdelavalléedel’Amettetaiet,depassageàAguelhoc,doiventcontinueràpar-ticiper aux opérations.

Refusantd’être intégréedans laMisma, laforce internationaleà composanteafricaine,quiest lagrandeabsentedelaguerreauMali,

de façonàgarder toute sa libertédemanœu-vre, le Tchad s’est engagé dans une luttecontre le « terrorisme». «Nous savons quenouspartons enguerre, nousavonspris cettedécision grave en sachant que dans ce genredeconflitsildoityavoircertainementdesper-tes», a déclaré Moussa Faki, le ministre desaffaires étrangères tchadien, dans un entre-tienà l’AFPàN’Djamena,enajoutant:«Noussommes dans une situation où il faut agirpourcontenirlepériloùilest.Sinon,ilyaleris-quequ’il se propage.»

La suite des opérations permettra demieuxcomprendre l’ensembledesobjectifspoursuivis par le Tchad. En 2008, N’Djame-na, la capitale, avait été attaquée par desrebelles soutenus par le Soudan, et arrivésjusqu’aux portes de la présidence, avantd’être repoussés avec l’aide de l’armée fran-çaise. C’est aussi cette dette qui se payeaujourd’hui. Pour le président tchadien,Idriss Déby, cet engagement est par ailleursune façon de prendre une stature nouvelledans la région. Au pouvoir depuis vingt-deux ans, celui-ci a réduit son opposition àl’état de figurants. Ce n’est pas cette opéra-tionauMaliqui risquedemettreuntermeàlaconcentrationdesespouvoirsauTchad.p

Jean-PhilippeRémy

Dugarageaupotager, l’incroyablebutinprisàAQMI

En2008,desrebellesavaientattaquéN’Djamena,lacapitaleduTchad,avantd’êtrerepoussésavecl’aidedelaFrance.C’estaussicettedettequisepayeaujourd’hui

L’appuicrucialdesTchadiensAvec26mortset63blessés, les soldatsdeN’Djamenaontpayéun lourdtributdans labatailled’Amettetaï. Leprésident IdrissDéby, soucieuxdesastature régionale, aenvoyésonpropre filsparticiperauxcombats

Vallée d’Amettetaï(Adrar de Tigharghar, nord duMali)Envoyé spécial

Dans la zone conquisepar les soldatsfrançais, certains secrets d’Al-QaidaauMaghreb islamique (AQMI) s’étalent àprésentaugrand jour.Dansune zonesurnommée«le garage», en raisondel’abondancedematériel qui s’y trouvait,desdizainesde tonnesd’armeset demunitionsont été abandonnées.Des sol-datsdugénie sont en trainde s’activer àtrier cequi, parmi les stocksdemuni-tionsetd’armesde tous calibres (jusqu’àuncanonde 122mm),pourraêtre distri-

buéà l’arméemalienne. Le reste estdétruit lorsde grosses explosions.

Cen’estpas le seulmatériel abandon-néparAQMI lorsde sa fuiteprécipitée.Desordinateurs, desdisquesdurs, desclefsUSB, desGPS sont restés surplace.La comptabilitéd’AQMIetdes informa-tions sur ses réseauxd’approvisionne-mentd’armesoudecombattants sonten traind’être étudiées.Des téléphonesavaient,dans leurspuces, desnumérosd’appelqui intéressentparticulièrementles services de renseignement.Certainssontdesnuméros français.D’autresmènentà des réseauxd’approvisionne-mentd’armesvers la Libyeou laTunisie.

Au«potager» cultivépar les djihadis-tes dans leur base et oùa été réunieunepartie des prises, des rangers sont ali-gnéspar pointures.Discrètement, dessoldats sont venus se servir, chaussésparAQMI (qui avait pillé ces chaussuresdans les stocks de l’arméemalienne)pour éviter d’être contraints àmarcherpiedsnusdans les rochers. Car le com-bat a laissé des traces sur l’équipementde ces hommesqui tentent de fumerdes sachets de thé faute d’approvision-nement. Les pantalonsde treillis se sonteffilochés et les semellesde leurs ran-gers endisent long sur les rochers tran-chants et la pierraille.p J.-P.Ry

Un soldat français devant une cache de djihadistes, mardi 5mars,dans la vallée d’Amettetaï.

SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS POUR «LE MONDE»

Des légionnairesdu groupement

tactique interarmes 4,le 5mars, à Tessalit.SYLVAIN CHERKAOUI/COSMOS

POUR «LE MONDE»

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international

François Hollande, AngelaMerkel et Donald Tusk, à Varsovie,mercredi 6mars. BERTRAND LANGLOIS/AFP

VarsovieEnvoyé spécial

S eule ou presque dans lessables du Mali, la Frances’emploie, sur la scène diplo-

matique européenne, à relancerune vieille lune : l’Europe de ladéfense. Mercredi 6mars, lorsd’une brève visite en Pologne, leprésident français, François Hol-lande,s’estprésentéenchefdefiled’un nouvel axe associant Paris,Berlin, Varsovie et Budapest, Pra-gue et Bratislava, quand NicolasSarkozymisait, lui, surunecoopé-rationmilitaire privilégiée avec leRoyaume-Uni.

Officiellement, Paris se dit plei-nementsatisfaitdusoutienappor-té par ses partenaires – soutien deprinciped’abord,puismiseenpla-ce d’unemission de formation del’armée malienne sous l’égide del’UE, à laquelle doivent participerquelque 550soldats européens.Mais l’entourage du chef de l’Etatconsidère que la crise maliennedoit servird’«accélérateurdeprisede conscience pour l’Union euro-péenned’avancer sur les domainesdedéfense».Autrementdit : l’Euro-pe aurait pu fairemieux.

C’estaussi cequ’aditM.Hollan-de mercredi à Varsovie, lors d’unsommet au format inédit, réunis-santlespaysdugroupedecoopéra-tion de Visegrad (Pologne, Hon-grie, République tchèque, Slova-quie) et ceux du Triangle de Wei-mar (Pologne, Allemagne et Fran-ce) :«Si lesbudgetsmilitairesdimi-nuent, lesmenaces, elles, augmen-tent. Il faut doncde la solidarité, dela mutualisation, une stratégie.»«Personne ne peut tout faire toutseul, nous voulons prendre ensem-blelaresponsabilitédenotresécuri-té européenne», lui a réponduAngelaMerkel.

Les six de Varsovie entendentavancer sur le dossier institution-nel,c’est-à-direlaconstitutiond’unétat-major permanent, sur lamiseen commun des moyens militai-res,mais surtout sur lamutualisa-tion des moyens de production etderecherchemilitaires.Parisyvoitun «enjeu d’indépendance techno-logique» d’autant plus importantque l’Europe ne consacre plus que1,6%desonPIBàsadéfense, contre5%pour lesEtats-Unis.

Lessixchefsd’Etatetdegouver-nement en sont toutefois large-ment restés aux déclarations debonnes intentions, chacun insis-tant sur la nécessité stratégique etéconomique d’une collaborationpluspoussée.

Seule annonce concrèteà l’issuede la rencontre, les quatre de Vise-grad ont décidé la création, d’ici à2016, d’une unité de combat com-mune. Varsovie assurera le «rôlecadre» de cette unité de 2000à3000soldats, dont 1000Polonais.

Pour voir de réelles avancées, ilfaudra sansdouteattendre le som-met des chefs d’Etat prévu endécembre,pour lequel lesdifféren-tes institutionsde l’Unionont reçule mandat de faire des proposi-tions,notammentsurlamutualisa-tiondesmoyensdeproduction.

Libre alors aux Etats membresdésireux de s’associer au mouve-mentde se lancer dansune coopé-rationrenforcée,unesolutionpré-vuepar le traité de Lisbonne.

Au-delàducasmalien,l’avancéeplusquepoussivede l’Europede ladéfensen’incitetoutefoispasàl’op-

timisme. La Grande-Bretagne, quin’a pas été invitée à Varsovie, s’op-pose toujours à la création d’unquartier général européen perma-nent. En 2012, la fusion entre EADSet lebritanniqueBAESystemss’estheurtéeà la craintede l’Allemagnedevoir des emploisdans le secteur

de l’armementquitter son territoi-re. Quant au projet, vieux de plusd’une décennie, de créer une forceeuropéenne de 60 000 hommes,il restedans les limbes.

Il n’en reste pas moins que levolontarisme affiché par les qua-tre Etats du groupedeVisegrad, eten premier lieu par la Pologne,marqueunbasculement.Cespays,qui ne juraient que par l’OTANpour assurer leur sécurité après lachute des régimes communistes,se disentdésormaisprêts à jouer –aussi – le jeu européen.

L’ébauchede réchauffement (le«reset») amorcée en 2008 entreles Etats-Unis et la Russie – encoreperçue dans l’est du continentcomme la principalemenace –; laguerre en Géorgie de 2008, mar-quée par une forte implicationeuropéenne;etsurtoutladécisionde l’administration Obama d’an-nuler le déploiement des élé-ments d’un bouclier anti-missilesen Pologne et République tchèquesontpasséespar là.

«On a compris à partir de 2009que lesEtats-Uniscomptaients’im-pliquer moins en Europe, expli-que-t-on côté polonais. C’est aussià lamême période que l’on a com-mencé à vouloir prendre toutenotreplace dans l’Union.»

Autrefacteurfavorableauxdes-seins du président français, le cli-mat est au beau fixe entre Paris etVarsovie,oùl’onvoitenM.Hollan-de un ami de l’Europe centrale,quand Jacques Chirac et NicolasSarkozy étaient perçus commeindifférents, voire arrogants.p

BenoîtVitkine

LaGrande-Bretagne,quin’apasétéinvitéeàVarsovie,s’opposetoujoursàlacréationd’unquartiergénéraleuropéenpermanent

M.Hollandeveutrelancerl’EuropedeladéfenseAVarsovie, leprésidentfrançaiss’estprésentéentêtedefiled’unaxeassociantParisauxpaysd’Europecentrale

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50123Vendredi 8mars 2013

Page 6: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

6 0123Vendredi 8mars 2013

La foule des partisans deHugo Chavez a recouvert son cercueil de fleurs puis d’objets personnels(casquettes, tee-shirts, foulards), mercredi 6mars, à Caracas. RODRIGO ABD/AP

OSP - CESSATIONS DE GARANTIE

COMMUNIQUE - 101840En application de l’article R.211-33du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLE DE

SOLIDARITE DU TOURISME(A.P.S.T.)

dont le siège est situé : 15, avenueCarnot - 75017 PARIS, annoncequ’elle cesse d’accorder sa garantieà :

CONTINENTS DU MONDEImmatriculation :

IM 069 12 0025SARL au capital de 7 500 €

Siège social :9 rue Garet – BP 114369203 LYON Cedex 1

L’association précise que la ces-sation de sa garantie prend effet 3jours suivant la publication de cetavis et qu’un délai de 3 mois estouvert aux clients pour produire lescréances.

international

Desrebellessyriensontenlevé21casquesbleusdanslazoneduGolanLecontingentdePhilippinsaétécapturédans lazonedémilitariséed’une frontièreoù les incidents semultiplient

CaracasEnvoyée spéciale

Ledécèsd’HugoChaveza éclipsélanouvelle.Mardi 5mars, endébutd’après-midi, le gouverne-mentvénézuélienannonçait l’ex-pulsiondedeuxmilitaires améri-cainsenposte à l’ambassadedeCaracas.Accusésde conspiration,l’attachéde l’arméede l’air,DavidDelmonaco, et sonassistant,DevlinKostal, ont étépriésde«quitter sousvingt-quatreheuresle territoire souverainet indépen-dantde la RépubliquebolivarienneduVenezuela». Lesdeuxhommesauraient contactédesmilitairesvénézuélienspour leurproposerdesprojetsdéstabilisateurs.

Le vice-présidentNicolasMaduroaprofité de l’occasionpour attaquer bille en têtel’«impérialismeaméricain». Il aaffirméque le cancer duprési-

dentChavez était le résultat d’une«attaque» et a évoqué la possibili-té que ses ennemis le lui aient ino-culé. «Nousnedoutons pas que lemoment viendra, dans l’histoire,oùnous pourrons formerune com-mission scientifiquepour savoircommentChavez a été attaqué», aaffirméM.Maduro, en comparantson cas à celui du présidentpales-tinienYasserArafat.

«C’est bizarre»HugoChavez lui-mêmeavait

évoqué la possibilitéd’une telleagressionen juillet2011. Lemalqui a eu raisonde lui enmoins dedeuxans venait de lui être dia-gnostiqué, alors queplusieurspré-sidentsou anciensprésidentslatino-américainsde gauche souf-fraient égalementde cancer : leBrésilienLuiz Inacio Lula da Silva,le ParaguayenFernandoLugo,l’Uruguayen JoséMujica et Cristi-

naKirchner. Ce dernier diagnosticsera rapidement infirmé. Et la thè-se du complot oubliée.

Mais le «complotisme» a sesadeptesdans la foule des parti-sans venus accompagner son cor-tège funèbre,mercredi.«C’estquandmêmebizarre, avouez, quetous les chefs d’Etat qui pronon-cent lemot de socialisme tombentmalades», s’étonne JoséAparicio,gardiend’immeuble.A qui lui faitremarquerqu’en 2012, le prési-dent colombiendedroite JuanManuel Santos a, lui aussi, été vic-timed’un cancer, José rétorque:«Santos est tombémaladeaprèsavoir décidéd’engager le dialoguedepaix avec la guérillamarxiste,ce qui neplaît pas auxgringos.»

AlbertoRuiz, «étudiant enmédecinegrâce à Chavez», tented’expliquer à ses voisins que lecancernepeut pas s’inoculer.«Chavez était unhommeet les

hommesparfois n’ont pas chan-ce», leur rappelle-t-il.

AWashington, le porte-paroledudépartementd’Etat, PatrickVentrell, a qualifié d’«absurdes»les accusationsdeM.Maduro.«Malgré les différences significati-ves entre nos deux gouverne-ments, nous continuonsde croirequ’il est importantde chercherune relation fonctionnelle et pro-ductiveavec leVenezuela, baséesurdes questions d’intérêtmutuel», a déclaréM.Ventrell.

Les deuxpays, qui entretien-nentdes relationshouleusesdepuis l’arrivée d’HugoChavez aupouvoir, ont rappelé leurs ambas-sadeurs en 2010.Mais le Venezue-la reste le troisième fournisseurdepétrole des Etats-Unis. EtWash-ingtonenvisaged’envoyerunedélégationaux funérailles pré-vuespour vendredi.p

M.Ds

JérusalemCorrespondant

L es 21 soldats philippins de laForcedesNationsunies char-gée de l’observation du

désengagement sur le Golan(Fnuod) qui ont été capturés,mer-credi 6mars, par des éléments dela rébellion syrienne, auraient putomber en de plus mauvaisesmains, à en croire des sourcesdiplomatiques israéliennes: leursravisseurs ont indiqué apparteniraux Brigades des martyrs de Yar-mouk, c’est-à-dire une «unitépalestinienne» affiliée à l’Arméesyrienne libre (ASL). «Nos expertsconnaissent cette unité, indiqueun diplomate israélien, ses mem-bres viennent du camppalestinien

de Yarmouk, situé près de Damas.Cela veut dire qu’ils ne sontpas liésau djihad global, ce qui aurait étébeaucoupplus inquiétant.»

Alors qu’àNewYork, le chef desopérations demaintien de la paixde l’ONU, le Français Hervé Lad-sous, a évoqué «un incident trèsgrave», tout en précisant que desnégociations sont en cours, àManille, le président philippin,BenignoAquino,s’estvoulurassu-rant jeudimatin, indiquant que lecommandant des forces onusien-nessur le terrain(legénéral indienSingh Singha) a bon espoir de voirles soldats relâchés rapidement.

Leur capture a eu lieu près duposte d’observation 58 situé sur laligne de cessez-le-feu instituéeaprès la guerre du Kippour (1973)

opposant Israël à l’Egypte et à laSyrie. Cet endroit, qui se trouveprès duvillage syrien d’Al-Jamlah,est à la fois très proched’Israël et àmoins de 10kilomètres de la fron-

tièrenorddelaJordanie.Lecontin-gent philippin, qui a été capturéparune trentainede rebelles, étaiten «mission ordinaire d’approvi-sionnement», a précisé l’ONU.

Cela signifie que, contraire-ment aux 1011 soldats (effectif au31 janvier) de la Fnuod – créée enmai 1974, elle est actuellementcomposée de contingents autri-chien,croate, indienetphilippin–,sesmembres n’étaient pas armés.Ilyaunesemainedeviolentscom-bats se sont déroulés près d’Al-Jamlahentrelesrebelleset l’arméeduprésidentBacharAl-Assad,obli-geant la Fnuod à évacuer le pos-te58. L’Observatoire syrien desdroitsde l’homme(OSDH)a rendupubliques deux vidéos montrantdeshommesarmésposantdevantdes véhiculesde l’ONU.

L'un d’eux a assuré que les cas-ques bleus ne seront pas libéréstantquelestroupesfidèlesaurégi-me de Damas ne se retireront pas

des abords d’Al-Jamlah. Si ellesn’obtempèrent pas, ajoute-t-il, lessoldats onusiens «seront traitéscommedesprisonniersdeguerre».Dans une seconde vidéo, lemêmehomme assure que « le régimesyrien, l’ONU et les pays européenssont tous des collaborateurs d’Is-raël». A Jérusalem, on insiste, desource diplomatique, sur«l’anarchiequi s’étend tout le longde la frontière», laquelle s’estnotamment manifestée, à plu-sieurs reprises,par la chuted’obusisolés en territoire israélien, com-mecelaaété lecas le2mars.A titred’avertissement,l’arméeisraélien-ne a ouvert le feu à deux reprises,en novembre2012, sur des posi-tions syriennes. p

LaurentZecchini

CaracasEnvoyée spéciale

I ls sont descendus dans la ruepar centaines demilliers, mer-credi 6mars, pour dire un der-

nier adieu à leur président adoré.Tous portaient la chemise rouge,couleur de la «révolution boliva-rienne». Aumilieu des sanglots etdes vivats de la foule, des dra-peaux vénézuéliens et des bou-quets de fleur, le cercueil de HugoChavez, décédé la veille des suitesd’uncancer, a quitté l’hôpitalmili-taire de Caracas aumatin.

Le cortège funèbre a traversé laville pour atteindre, huit kilomè-tresplus loin, l’Académiemilitairede Fort Tiuna. La dépouille doit yêtre veillée jusqu’à vendredi. Lagigantesquemarcheaduréplusdesept heures, intégralementretransmisepar toutes les chaînesde télévision, obligées d’interrom-pre leur programmation.

Comme les manifestants, lesprésentateurs officiels vantentinlassablementlesméritesdupré-sident disparu, son talent de com-municateur et de pédagogue, sonamour pour le peuple, lesméritesdesa«révolution»quiafaitde l’in-clusionsocialeunepriorité.Ilsévo-quent la «disparition physique deHugoChavez». Le défunt vit enco-re dans les cœurs. Et il n’est pasmortpolitiquement.

En début de soirée, le cercueil aété amené dans la chapelle arden-te installée pour l’occasion. Leshonneursmilitairesluiontétéren-dus, en présence de sa famille, desmembresdugouvernementetdesreprésentants des autres pouvoirsau grand complet. Le vice-prési-dent, Nicolas Maduro, portait le

blouson de sport bleu-jaune-rou-ge que Hugo Chavez a rendu célè-bre.ArrivésdanslamatinéeàCara-cas, la présidente argentine, Cristi-na Kirchner, l’Uruguayen JoséMujica et le Bolivien Evo Moralesétaient présents. L’oppositionvénézuélienne, elle, n’a pas étéconviée aux funérailles.

«Chavez au Panthéon, à côté deSimon», scande la foule tout aulong du cortège. L’idée d’enterrerlecharismatiqueprésidentaucôtéde sonmentorhistorique, le hérosdel’indépendancelatino-américai-ne SimonBolivar, fait son chemin.

Mais le gouvernement souhaitelaisser la familledéciderdu lieuoùsera enterréHugoChavez. Selon laConstitution, les Vénézuéliensillustres ne peuvent être enterrésau Panthéon que «vingt-cinq ansaprès leur décès».

«Moi, j’ai peur», dit Carmen,pharmacienne, en regardant pas-ser des «motorizados». Des petitsgroupes de motocyclistes sillon-nent lavilledéserteenpétaradant,drapeaux rouges au vent, portraitdeChavezsur letorse.Dèsl’annon-cede lamortduprésident, tous lescommerçants ont, comme Car-men, fermé boutique. La ville s’estimmobilisée. Hors du parcoursfunèbre, elle était encore à moitiédésertemercredi.«Qui va tenir ces

jeunes maintenant ? Ils n’ontjamais obéi qu’à Hugo Chavez»,s’interroge Carmen. A en croire savoisine, « tous les non-chavistesont peur, sans savoir de quoi». Latensionest diffuse.

M.Maduro a signé, mercredi,sonpremierdécretentantquepré-sidentparintérim.«Undeuilnatio-nalde sept jours estdéclaré,du5au11mars,pour le tristeetdouloureuxdécès, la perte irréparable du hérosde la patrie Hugo Rafael ChavezFrias», dit le texte publié dans leJournal officiel.

Rapporté par la presse, le fait arelancéledébatsurlasituationins-titutionnelle du pays. Les disposi-tions de la Constitution vénézué-lienne en matière de vacance dupouvoirsontévidemmentsuscep-tibles d’interprétation. Et donc dedésaccord. La situation est pour lemoins singulière : réélu haut lamain le 7octobre 2012, réopéré enurgence le 11décembre, le prési-dentChavezn’apas prêté sermentcommeprévu le 10janvier.

Selon la Constitution, en cas devacance définitive du pouvoir aucours des quatre premièresannées du mandat présidentiel,c’est le président de l’Assembléenationale qui doit assumer l’inté-rimet organiser denouvelles élec-tionsdansundélaide trente jours.Si la vacance intervient au coursdesdeuxdernièresannéesduman-dat, levice-présidentassumel’inté-rim jusqu’à la fin de celui-ci.

En janvier, la Cour suprêmeconsidérait queHugo Chavez, pré-sident en exercice, n’était pas tenude prêter serment à la date du10janvier. En invoquant la «conti-nuitéadministrative», la Courpro-longeaitdefait lemandatprésiden-

tiel précédent et permettait ainsi àM.Maduro, successeur désigné deChavez, de rester auxmanettes dupays. Avant son dernier départpour Cuba, le chef de l’Etat, quiconnaissait les risques d’une nou-velle opération, avait demandé àses compatriotes de voterMaduroen casdenouvelle élection.

Pour l’opposition, NicolasMaduro doit démissionner s’ilveut être candidat. Et c’est au cha-viste Diosdado Cabello, présidentde l’Assemblée nationale, querevient l’organisation des élec-tions.

Pour la majorité, rien n’empê-che le président en place – fut-ilpar intérim – de faire campagne.LaCoursuprêmenes’estpasenco-reprononcée. Il est permisdepen-ser qu’elle donnera raison au pou-voir.«Ledébatenflammenosjuris-tes, mais il pèsera peu sur le résul-tat, admetundirigeantdel’opposi-tion en privé. Nicolas Maduro estassuréde l’emporter.»p

MarieDelcas

ACaracas, lafouleclame:«ChavezauPanthéon»NicolasMaduroassure l’intérimà laplaceduprésidentduParlement

Lathèseducomplottrouvedenombreuxpartisans

DrapeauenberneetcravatenoirechezM.Mélenchon

Lechefdesopérationsdemaintiendelapaixdel’ONU, leFrançais

HervéLadsous,aévoqué«un

incidenttrèsgrave»

«Touslesnon-chavistes

ontpeur,sanssavoirdequoi»,

confieunehabitantedeCaracas

A upartidegauche (PG) aus-si, lemercredi6marsétaitun jourdedeuil. Conféren-

cedepresse, rassemblementaupiedde la statueparisiennedu«Libertador»SimonBolivar, Jean-LucMélenchonamultiplié leshommagesauprésidentvénézué-lienHugoChavez,décédé laveilled’uncancer.Unhommepolitiquequ’il admiraitetqu’il étaitallé sou-tenirà l’été 2012 lorsde ladernièrecampagneprésidentielle.

Dès l’annoncede lamort du«Comandante»,M.Mélenchonasalué samémoired’une formuledont il a le secret, postée sur soncompteTwitter: «Cequ’il est nemeurt jamais.»

AL’Usine, l’ancien siègedecampagnedeM.MélenchonauxLilas (Seine-Saint-Denis), où lecoprésidentduPGadonné saconférencedepresse, les dra-peauxvénézuéliensétaient enberne. Cravatenoire, visiblementtrès ému,M.Mélenchona célébrécelui qu’il considérait comme «lapointeavancéed’unprocessus lar-ge dans toute l’Amérique latinequi a ouvert unnouveau cyclepournotre siècle, celui de la victoi-re des révolutions citoyennes».

Pour lui,M.Chavez«n’apasseulement fait progresser la condi-tionhumainedesVénézuéliens, ila fait progresserd’unemanièreconsidérable ladémocratie». Et delistersansnuance lesavancéesréa-lisées, selon lui,par le«Venezuelabolivarien» : reculde lapauvreté«d’unemanière spectaculaire»,l’extrêmepauvreté«éradiquée»toutcommel’analphabétismeouencore laprogression«de70%»de la scolarisationdesenfants.«Unbilanquenousportons fière-ment», a ajoutéM.Mélenchon.

En revanche, le leaderduFrontdegauche a refuséde sedésolida-

riser deHugoChavezqui entrete-nait des relations avec l’IrandeMahmoudAhmadinejad, la LibyedeMouammarKadhafi ou laSyriedeBacharAl-Assad. «Le pré-sident FrançoisHollandeabienété enRussie, ce sont les relationsinternationales», a-t-il répondu,avantd’ajouter: «Je ne vais pastomberdans le piège de votre salepropagandequi est demettre enavant les sujets qui permettent deflétrir l’homme.»

«Infecte social-démocratie»Car les critiquesdontM.Cha-

vez a puêtre l’objet ces dernièresheuresnepassentpas.M.Mélen-chonne s’est doncpasprivépourdénoncer«l’infecte social-démo-cratie qui, depuis vingt-quatreheures, se répanden injurescontre les figures progressistesd’Amérique latine». «J’ai honte»,a-t-il glissé avant d’évoquer«lahaine intacte quenousavonscontre les puissants et les puissan-ces qui,mêmeà l’heure de lamort, sont incapablesdu respectqu’ilsmanifestentpour tantd’autres qui leméritentmoins» etd’appeler à «aumoins vingt-qua-tre heuresde trêve dans la haineanti-chaviste».

Jean-LucMélenchonapréciséque le PGparticiperaitdenou-veauà la campagneprésidentiel-le à venir auVenezuelapour sou-tenirNicolasMaduro, le dauphinde l’ancienprésident vénézué-lien.«Chavez vivant est dange-reux, Chavezmort est invincible»,a-t-il estiméavant d’en faire«une légendequi entre dans l’ima-ginaire collectif des peuples del’Amérique latineà l’instar duCheGuevaraqui n’a été célébré quequand tout lemondeétait biensûr qu’il étaitmort».p

RaphaëlleBesseDesmoulières

Page 7: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

planète

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S elivreràlapêcheillégalen’estplussansrisque,mêmeaular-gedes côtesafricainesou loin

dans l’océan Indien. Le 1ermars parexemple, c’est sous la surveillanced’hélicoptères sous mandat de laCommissionde l’océan Indienquedeux bateaux de pêche sri-lankaisont dû rejoindre l’île Maurice.Leursonzepêcheursontétémisenétat d’arrestation, leurs filets deplusieurs kilomètres de long – desmodèles ravageurs et interdits –placés sous scellés. Leurs calesregorgeaientdethons,d’espadons,de dauphins, de nageoires derequins. L’opération a pu êtremenéegrâceàunaccordinternatio-nal récemment signé aux Seychel-les entre cinqEtatsde la région.

La lutte contre les pilleurs desmers se renforce dans le mondeentier,commel’amontrélarencon-trede63pays au sièged’Interpol, àLyon, du 26 au 28février. L’occa-sionpourInterpoldelancerunvas-te programme de répression de lacriminalité dans le domaine de lapêche, baptisé Scale. Pour l’organi-sation internationale de police,déjà engagée contre d’autres typesd’atteintesà l’environnement (tra-ficd’espècesprotégées,debois, d’i-voire…), cette mobilisation contrelapêchepirate estunepremière.

Il ne s’agit pasde cibler quelquemarin améliorant son ordinaire àborddesapirogueoudesabarque,mais un trafic organisé qui coûte-rait23milliardsdedollars(17,7mil-liardsd’euros) par an à l’économiemondiale. La pêche frauduleuse,

conduite avec des autorisationsfausses ou délivrées contre despots-de-vin, voire sans aucunelicence,n’estpassansliensaveclesroutesmaritimes empruntéesparla drogue, la piraterie, la traited’êtres humains, le blanchimentd’argent, la fraudegénéralisée.

Par la voix de son secrétairegénéralduministèredespêchesetdesaffairesmaritimes,ArneBenja-minsen, la Norvège a témoigné àLyon de son expérience en lamatière. Pour affronter le problè-me,elleacrééen2005desgroupesd’action réunissant douane, auto-rités fiscales, administration despêches, garde-côtes, avec un cer-tainsuccès. Legouvernementnor-végien soutient l’initiative Scale,pour laquelle il a mobilisé unfondsde285000euros,de concertavec le Pew Charitable Trust, unepuissante ONG, très impliquéedans la défense de l’environne-ment maritime, qui a apporté193000euros auprojet.

Capture à l’explosifAvec ce programme, outre ses

conseils juridiques et ses bases dedonnées, Interpol veut inciter aupartage général d’informationsentre Etats, polices, administra-tions, quitte à échanger avec lesONG. Il faut dire que l’accapare-mentillicitede la ressourcehalieu-tiqueanonseulementdes impactsdestructeurs sur l’environnement,avecdegraves surpêchesde certai-nes espèces et des techniques radi-calesdecaptureà l’explosif,mais il

peut aussi déstabiliser despopula-tions côtières dépendant des pro-duitsde lamerpour leuralimenta-tion.

Lorsqu’il s’agit de coopérer, lesgouvernements africains ne sontpas en retard. Le programmeStopIllegal Fishing (SIF) de l’Unionafri-caine illustre, par exemple, cet

effort de transparence. Il recenseles affaires de thoniers senneursvenusseservirsanslimites,decha-lutiers géants appartenant à despropriétairesasiatiquesetquibat-tentun tout autre pavillon.

«Nos eaux territoriales abritentbeaucoupde thons, d’espadons, dehomards. Du coup, nos618 km de

littoralsont laplaquetournantedela pêche illicite, a déploré, à Lyon,le ministre des pêches de SierraLeone, Momodu Allieu Pat-Sowe.Sans elle, nos revenus tirés de lamer pourraient atteindre 59mil-lions de dollars par an, au lieu de6millionsaujourd’hui.Monminis-tère prépare une loi répressive. Il ya en effet un risque d’instabilitésociale et politique: nous avonsunproblème de pauvreté et nousavonsbesoindupoissonpournour-rir tout lemonde.»

Pays «non coopérants»La riposte s’organise sur les

côtes ouest-africaines. «Nousavons aidé le Liberia à arrêter despêcheurs illégaux et signé unaccord avec ce pays, le Ghana et laGuinée. Nous allons publier des lis-tes de bateaux à condamner»,énumère le ministre. La SierraLeone est en train d’acheter unevedette, mais il lui faudraitd’autres bateaux rapides, plai-de-t-il : cettezoneestaussienproie

auxattaquesarméesdepirates.Les Etats victimes de la pêche

sauvagemanquent souvent cruel-lement demoyens pour en venir àbout. La responsabilité des paysdéveloppésàquisontdestinéescescargaisons est d’autant plus gran-de. L’Union européenne a faitconnaître,ennovembre2012, la lis-te des pays qu’elle considère com-me «non coopérants» en matièrede pêche «durable»: Belize, Cam-bodge, Fidji, Guinée, Panama,SriLanka, TogoetVanuatu.

Mais l’UE n’est pas irréprocha-ble puisque le poisson capturéfrauduleusement dans les eauxafricaines pénètre aisément sonmarchépar lesCanaries,commeledénoncent plusieurs organisa-tions militantes de défense desocéans.«LesONGquinousalertentsur des activités suspectes sont nosmeilleures alliées», a lancé ValérieLainé, chargée du contrôle despêchesàlaCommissioneuropéen-ne. Le combat est lancé.p

Martinevalo

L a protection de l’ours polairene sera pas renforcée. Jeudi7mars, les représentants des

178 pays réunis à la 16eConférencedes parties (CoP16) de la Conven-tion sur le commerce internatio-naldesespècesde fauneetde floresauvages menacées d’extinction(Cites), qui se tient à Bangkok jus-qu’au14mars,ontrejetélaproposi-tion des Etats-Unis d’inscrirel’ours polaire dans l’annexeI de laConvention. Cette décision auraitinterdit le commerce internatio-nal de cette espèce menacée, quin’estaujourd’huiinscritequ’àl’an-nexeII, autorisant un commercecontrôlé des peaux, pattes et crocsde l’ours blanc.

L’inscription de l’ours polaire àl’annexeI, dans le but de découra-ger la chasse commerciale de cetanimal, promettait d’être une desplus rudes batailles diplomati-ques de cette réunion trisannuel-le. A l’issue de débats passionnés,la proposition, qui nécessitait unemajorité des deux tiers, a été reje-tée par 42 voix contre, 38 pour et46abstentions.LesEtatsmembresdel’Unioneuropéennesesontain-si abstenus,à l’exceptionduDane-mark, qui a voté contre.

Si tous lesexpertss’accordentàdire que la fonte de la banquiseest la plus grandemenace pesantsur l’ours polaire, l’exploitationde l’espèce ne fait pas l’unanimi-té. Sur les 20000à 25000 ourspolairesvivantencoreà l’état sau-vage, 65% sont au Canada, le seuldescinqpayshébergeantleplanti-grade à autoriser son commerceinternational.

SoutenueparlaRussie,lapropo-sitiondesEtats-Unis–plusenclinsà défendre l’ours polaire qu’à lut-tercontre le réchauffementclima-tique–adoncétéfermementcom-battuepar les délégués canadiens.Notammentpar les représentantsdes Inuits, qui affirment que cetteactivité est essentielle à leur sur-vie économique.

Dans ce contexte, la positiondesVingt-Sept, divisés sur la ques-tion, était très attendue. Est-cepour ne pas contrarier à nouveaule Canada, contraint depuis 2010par l’embargo européen sur lesproduits issusduphoque? L’Euro-pe est arrivée à Bangkok avec uneproposition de compromis : pasde transfert de l’ours blanc à l’an-nexeI, mais une surveillance ren-forcéedesquotasdechassedans lecadre de l’annexeII. «Ce n’est pasun compromis, c’est une capitula-tion», a jugé Nikita Ovsianikov, le

représentant russe, selon qui defaux documents canadiens per-mettent le braconnage d’environ200ourspolairesparanenRussie.Cettepropositionde compromisaelle aussi été rejetée jeudi.

Très présentes à la CoP16, lesassociations de protection de lanaturesontelles-mêmesendésac-cord. Le WWF estime que c’est auréchauffement qu’il faut s’atta-quer en premier lieu. L’Unioninternationale pour la conserva-tionde la nature considère que lescritères biologiques de l’inscrip-tion à l’annexeI (population infé-rieure à 5000 individus) ne sontpas atteints.

Pour le Fonds internationalpour la protection des animaux,en revanche, le commerce del’ours blanc, dont les quotas dechasse ont nettement augmentéen2012,doitêtre stoppéimmédia-tement. «L’ours polaire s’est faitrouler dans la farine à la Cites», aréagi l’ONG, jeudi.p

CatherineVincent

PourleFondsinternationalpour

laprotectiondesanimaux,«l’ourspolaires’estfaitrouler

danslafarine»

«Comme tout criminel, ceuximpliqués dans la pêche illégaleont toujours un temps d’avance,mais ils ne s’attendent pas à cequ’en face les Etats coopèrent»,annonceMarcusAsner.Cetancienprocureur fédéral améri-cain raconte avec jubilation l’en-quêtequi l’a conduit sur la pisted’importations clandestinesdehomards surpêchésenAfriqueduSud, à partir d’un entrepôtduMaine.«Il faut éplucher lesfiches de paie des marins pourconnaître les véritables quanti-tés remontées à bord, suivre les

flux financiers – cette fois, l’ar-gent passait par la Suisse, indi-que-t-il à ses homologues enquê-teurs.Qui falsifie les registres?Comment la cargaison est-elletransbordée? Discutez avec lesconcurrents sur le port!» L’affai-re des homards a abouti en 2003auprocès de cinq personnes,dont un important hommed’af-faires new-yorkais, condamnéesà des peines de 30mois à46mois de prison, à la saisie de4millions de dollars (3,7millionsd’euros) et à la restitution de54millions à l’Etat sud-africain.

InterpolbatlerappelcontrelapêchepiratePourl’organisation, lepillagedesmersestuntraficorganiséquimenacel’environnementet lasécuritéalimentaire

Pasdeprotectionrenforcéepourl’ourspolaireL’interdictionducommerce internationalduplantigradeaétérejetée, jeudi7mars, àBangkok

Sur la piste des homards sud-africains

70123Vendredi 8mars 2013

Page 8: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

france

Data :le nouveaufilon.

nouvelle formuleVendredi 8 mars avec Les Echos

Marisol Touraine et Jean-Marc Ayrault (à gauche), lors de l’installation de la commissionMoreau sur l’avenir des retraites, le 27février. THOMAS SAMSON/AFP

«Accordsdecompétitivité»:M.Hollandes’est-il inspirédeM.Sarkozy?Cettedispositionétait réclaméepar lepatronatdepuisdesannées

C ’était il y a moins de troisans : des manifestationsmonstres, un débat parle-

mentaire épique et une réformedes retraites adoptée dans la dou-leur, qui portait progressivementl’âge de départ à 62ans et l’âgeauquelonpouvait toucher sapen-sion pleine à 67ans. Une réforme«forte et réaliste parce qu’elle per-met de sauver le système de retrai-teetd’êtreà l’équilibreen2018sansqu’aucune recette ne soit suréva-luée»,assuraitalorsFrédéricLefeb-vre, porte-parolede l’UMP.

Trois ans plus tard, la majoritésocialiste,qui avait combattupiedàpied la réformeetmartelé lapro-messederevenirdessussiellepar-venait aupouvoir, doit se rendre àl’évidence: il faudra une nouvelleréforme rapidement, sous peined’uneffondrementdusystème.Legouvernement qui, en arrivant aupouvoir, a fait voter la possibilitéde partir à 60ans pour les carriè-res longues, doit désormais serésoudre à arbitrer entre haussede l’âge de départ, hausse des coti-sations et baisse des pensions.

Révélée par Les Echos, la feuillede route donnée par Jean-MarcAyrault à la commission Moreauchargée d’émettre des recomman-dations d’ici à juin aborde ainsiexplicitement trois leviers pourconsolider le système de retraite:les niveaux de pension, la haussedescotisations,maisaussil’allonge-ment de la durée d’activité – unsujet extrêmement sensible à gau-che. L’allongement de la durée decotisation est «évidemment sur latable» des négociations a ainsi

confirmé le ministre du travail,Michel Sapin, mercredi 6mars surFrance Inter.

Que s’est-il passé? Le systèmefrançais de retraites par réparti-tionreposesurunprinciped’équi-libre : les actifs payent par leurscotisationslespensionsdesretrai-tés, et accumulent des « trimes-tres»decotisation,qui leurouvri-ront le droit à la retraite lorsqu’ilsen auront l’âge. Mais les retraitéssont de plus en plus nombreux(15millions de bénéficiaires d’unrégime fin 2010, selon l’Insee),vivent longtemps et pourraientrattraper le nombre des actifsd’ici à 2050. De plus, la crise et le

chômage de masse limitent lesversements des actifs. D’où desdéficits qui s’accumulent et attei-gnent 3,7milliards pour les régi-mes complémentaires des cadreset non cadres (Arrco et Agirc).

La réforme de 2010 a surtoutjoué sur le paramètre de la duréede cotisation, passée à 42années,une économie chiffrée à 19mil-liards d’euros en 2018. Mais, bientrop optimiste, elle n’a pas, loinde là, ramené le régime à l’équili-bre. Legouvernementavait choiside baser sa réforme sur un scéna-rio qui prévoyait une croissancemoyenne de 1,7% jusqu’en 2013,de 1,9% ensuite jusqu’en 2020 et

de 1,6%au-delà.Quant au chôma-ge, il devait passer de 8,4% de lapopulation active à 4,5% à l’hori-zon 2050. Or, la croissance a éténulle en2012, et le chômageapas-sé la barre des 10%.

Sanssurprise, leConseild’orien-tation des retraites (COR) a sonnél’alarme dans son rapport dedécembre2012. L’organisme pré-voit un déficit des retraites de21,3milliards d’euros d’ici à 2017en l’absence de nouvelle réforme.Il proposedoncplusieurspistes, laprincipale étant de relever à nou-veau l’âge de départ effectif, enjouant soit sur l’âge légal, soit surla durée de cotisation.

Après deux années à dénoncerla réformedes retraitesmenéeparla droite, voilà le PS obligé de faireévoluer son discours. La ministredes affaires sociales, Marisol Tou-raine, l’a admis, « l’ensemble dessolutions sont sur la table ». Etmême la gauche du parti a com-mencé à changer de discours. Ledéputé PS des Landes, HenriEmmanuelli, juge ainsi désormais

nécessairede«seposer laquestionde la durée de cotisation. (…) Je voisdes gens qui auront passé plus detemps en retraite que dans la vieactive. C’est une situation qui nepeut pas perdurer». Social-démo-crate, Jean-Marie Le Guen plaidedans Le Figaro du4mars pour unrelèvement immédiat de l’âge de

départ à 62ans et du taux plein à67ans. M. Le Guen propose derepousser directement les deuxbornes,cequipermettraitd’écono-miser «plusieursmilliards».

Acôtédecettedisposition,pour-raits’ajouter ladésindexationpar-tielle de l’inflation des retraitescomplémentaires, qui pourrait

être actée jeudi 7mars, lors de ladernière séance de négociationentrepartenairessociaux.Lespen-sions pourraient être revaloriséesd’un point de moins que l’infla-tion pendant quelques années. Legouvernement pourrait égale-ment réfléchir à la hausse du tauxde contribution sociale générali-sée (CSG) que paient les retraités,pour l’instant moins élevée quecelle des actifs.Mais cette piste estaussi envisagée pour financer laréformede la dépendance.

Reste un sujet ultra-sensible,sur lequel le gouvernement avan-ce avec grande prudence. Jean-Marie Le Guen ou Najat Vallaud-Belkacem ont évoqué une pistedéjàpromiseen2010parlegouver-nement Fillon : un changementcompletdemodèle,pourallerversla «retraite par points». Le mon-tant de la retraite peut ainsi varierselonlasituationéconomiqueglo-bale du pays afin de maintenirl’équilibre financier. Une piste quireste théoriquepour l’instant. p

Samuel Laurent

Lamajoritéfaceaucasse-têtedesretraitesLespartenairessociauxdevaientterminerleursnégociationssur les régimescomplémentairesjeudi7mars

Décryptage

L ’attaquead’autantplusdefor-ce qu’elle vient d’un secrétai-re national du PS, Emmanuel

Maurel. Interrogé par le site Inter-netFtvi.frmardi5mars,cemembrede l’aile gauche du PS estime quel’accord sur l’emploi signé en jan-vier par les partenaires sociaux«reprend les fameux accords com-pétitivité-emploi de Sarkozy, queFrançois Hollande avait condam-nés». Une idée partagée par beau-coupàgaucheduPS,oùl’ons’agacede plus en plus d’un «virage libé-ral» deM.Hollande. Alors, l’accordsur l’emploia-t-il copié lesproposi-tionsdeNicolasSarkozy?

Queproposait Nicolas Sarkozy?Début 2012, M.Sarkozy voulait

permettre, si la majorité des sala-riés exprimaient leur accord, denégocier collectivement, au seind’une entreprise, le temps de tra-vail enfonctiondel’activitéécono-mique, en échange de garantiessur les emplois. Jusqu’ici, il fallaitunaccord individuel. Il demandaitdonc aux partenaires sociaux dediscuter les modalités de cetaccord,souspeinequ’uneloi le fas-se «dans les troismois».

Quedisait François Hollande?Pendantlacampagne, l’ailegau-

che n’évoquait rien moins que la«finducodedutravail».MaisFran-çois Hollande était bien moinsvéhément. Le candidat PS, quiavait justifié ce type d’accord dans

une tribune au Monde, quelquesmois plus tôt, s’était borné à criti-querlamenaceduvoted’uneloiencas d’absence d’accord. En jan-vier2012, il promettaitde«faire ensorte que les syndicats puissentnégocierdansdebonnesconditionsdesaccordssansavoiràremettreencause la durée légaledu travail».

Quand ces accords sont-ilsrevenus à l’ordre du jour?

Après avoir piétiné durant lacampagneprésidentielle, les négo-ciations ont été suspendues aprèsla victoire de M.Hollande. Et ellesn’ont repris qu’à la suite d’un coupde force du Medef. A la fin de la«conférence sociale» organiséepar l’Elysée en juillet2012, le pre-mier ministre, Jean-Marc Ayrault,avaitlancé:«Lanégociationcompé-titivité-emploi, mal engagée, n’estplus à l’ordre du jour.» Fureur duMedef,qui exigequecettenégocia-tion revienne au programme. Lesoirmême,letexteenvoyéauxpar-tenaires sociaux indique qu’il fau-dra négocier sur des « leviers plusefficaces demaintien de l’emploi etde l’activitédans les entreprisesren-contrantdesdifficultés».

Qu’ont négocié les syndicats?A l’automne, la «négociation

surlasécurisationdel’emploi»,ins-crite dans un cadre plus vaste oùd’autres points sont en question, aremplacéles«accordscompétitivi-té-emploi»,mais laquestiond’unemodulationdutempsde travail encasdedifficultééconomiquedivise

toujours.Lanégociations’étire jus-qu’au 11 janvier, où un accord estsigné entre le Medef, la CFDT, laCFTC et la CGE-CGT, alors que CGTetFOlerefusent.Ilprévoit«lapossi-bilité de conclure des accords d’en-treprise permettant de trouver unnouvel équilibre, pour une duréelimitéedansletemps,dansl’arbitra-ge global temps de travail-salaire-emploi, au bénéfice de l’emploi».Cesaccords,quidoiventêtresignéspar une majorité de syndicats, nedevrontpasdépassercertainesbor-neslégalesetnepourrontpasexcé-derdeuxans.

Quelles sont les différences?MM.Sarkozy et Fillon avaient

défini un principe général sansentrerdans lesdétails.Etceprinci-pe général – un accord collectifpour faire varier le temps de tra-vail en cas de besoin – est quasisimilaire. En ce sens, M.Maurel araison: le gouvernement Ayraulta laissé les partenaires sociauxvalider les «accords compétitivi-té-emploi»deM.Sarkozy,rebapti-sés « accords de maintien dansl’emploi».

Mais ce n’est qu’une partie del’accord national interprofession-nel qui comprendd’autres points-clés: la généralisationdesmutuel-les, lecompteindividueldeforma-tion, l’améliorationde la consulta-tion des représentants des sala-riés, les «droits rechargeables» àl’assurance-chômage, une taxa-tiondesCDDcourts… p

S.L.

L’allongementdeladuréedecotisationest«évidemment

surlatable»desnégociations,selonMichelSapin

8 0123Vendredi 8mars 2013

Page 9: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

politique

Télérama Album :un autre regardsur une exposition

En 2007, 4 500négatifs de la guerre d’Espagne réalisés parRobertCapa,Gerda Taro, sa compagne, et leur amiChimréapparaissent parmiracle alors qu’on en avait perdu la trace enjuin 1940. Ils sont aujourd’hui exposés auMuséed’art etd’histoire du Judaïsme, à Paris.

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M oins d’un an après la pré-sidentielle, l’armée «hol-landaise» repart en cam-

pagne. A l’heure où le feu couveautourdelabonnestratégieécono-miquepour faire face àunchôma-ge en crue et à une situation socia-le tendue, les partisans du chef del’EtatdanslamajoritéetauseinduPSontdécidédedonnerde lavoix.Ces «hollandais»historiquesveu-lent faire entendre leurs positionspour infléchir la ligne gouverne-mentale, avec à lamanœuvre l’an-cien bras droit de FrançoisHollan-de pendant onze ans Rue de Sol-férino, leministre de l’agriculture,StéphaneLe Foll, très actif.

M. Le Foll a lancé l’offensivedans une tribune antirigueurpubliéelundi4marsparLibérationdans laquelle il plaide pour unerelance par « l’investissement pro-ductif et industriel». «Investir, c’estrelancer le modèle social français.C’est le nouvel horizonde la gauchefrançaise», écrit-il en détournantl’expression forgée par le premierministre, Jean-MarcAyrault.

Parallèlement, il a chargé deuxjeunes députés – GwendalRouillard (Morbihan), un protégédu ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et Laurent Grand-guillaume (Côte-d’Or), un prochedumaire de Dijon et président dugroupe socialiste du Sénat, Fran-çoisRebsamen–desonnerletocsindans les rangsparlementaires.

Lesdeuxhommesontreçupourmission de «réactiver» l’associa-tion«Répondreàgauche»crééeen2009 par M.Le Foll pour soutenirFrançois Hollande, et d’entamer«un tour de France» entre avril etjuinpour«porter[leurs]idées»,pré-ciseM.Rouillard. «On a à la fois lesmains dans le cambouis du courtterme, mais on doit aussi préparerla seconde partie du mandat»,explique le député, selon lequel«fixer comme seul objectif la cour-be du chômage est un contresens,car l’objectif doit être notre politi-queindustrielledontdécouleral’em-ploietdonclacourbeduchômage».

Les deuxélus, égalementmem-bres du secrétariat national du PS,revendiquentl’appuid’un«collec-tif» de 140 députés, soit près de lamoitié du groupe socialiste. Unevéritable majorité dans la majori-té. «On est une force utile pourtous, on travaille avec tout lemon-de,maisonfaitensorted’organisernotre propre sensibilité», assumeM.Grandguillaume.

Concrètement,cesparlementai-res se retrouvent toutes les deuxsemaines à l’Assemblée en margedes débats législatifs ; les secrétai-

res nationaux du PS pro-Hollandepetit-déjeunent,eux, tous lesmer-credismatinauministèredel’agri-culture, avec Stéphane Le Foll ; etunefoisparmois,lesministreshol-landais «pur sucre» dînent chezJean-Yves Le Drian. Autour de latable,outreMM.LeDrianetLeFoll,se retrouvent Michel Sapin,Thierry Repentin, FrédéricCuvillier, Marie-Arlette Carlotti,Kader Arif, Najat Vallaud-Belka-cem, ainsi que le président duSénat, Jean-Pierre Bel, le patrondugroupe socialiste de l’Assemblée,Bruno Le Roux, et François Rebsa-men.

Déjà en juillet2012, le premiercercle «hollandais» avait tenté des’organiseraulendemaindelapré-sidentielle. S’estimant mal servisaprès l’avènement du hollandis-meaupouvoir – ils n’avaient obte-nu aucun poste ministériel réga-lien –, les proches de M. Le Follavaient voulu mettre la main surl’appareil du PS. Mais la contribu-tioncommuneaufuturcongrèsdeToulouse de Martine Aubry, alorspremière secrétaire, et du premierministre, M.Ayrault, avait douchéleursespoirs.Contraintsderentrerdans le rang majoritaire, ilsavaient fini par soutenir HarlemDésir, un «non-hollandais» com-

patible, contre l’aubryste Jean-ChristopheCambadélis,pours’ins-taller à la tête de Solférino.

Sauf que neuf mois plus tard,M.Désirpeinetoujoursàtrouversaplace dans le dispositif socialiste.Récemment, il a été désavoué parM.Hollandesurdeuxdossiersqu’ildéfendait. Le 25février, lors d’undîner à l’Elysée, auquel partici-paientMM.Ayrault, Le RouxetBel,ainsi que le président de l’Assem-blée, Claude Bartolone, et leminis-tre des relations avec le Parlement,Alain Vidalies, le chef de l’Etat aenterré son idée d’un référendumsur le non-cumul des mandats etrenoncéàétablirdes listesnationa-les pour les élections européennescommele souhaitaitM.Désir.

Unemise sous pression du pre-miersecrétaireduPSquidonnedesidées aux recalés de l’été 2012. «LeFoll relance son club, car il anticiped’éventuels mouvements au partiaprèslesmunicipalesde2014»,esti-meun cadre socialiste. Faux, rétor-que Laurent Grandguillaume,selon lequel les «hollandais» sont«à 100% en soutien de HarlemDésir ». Un soutien néanmoinssous conditions. «Notre parti doitêtre plus offensif», confie GwendalRouillardquiinviteM.Désirà«s’af-firmer». «Le droit de vote pour lesétrangers et le non-cumul sont desquestions importantes, mais si çadoitdevenir l’alphaet l’omégade lavie du PS, je dis non merci», pré-vient le député qui ne cache pasque les «hollandais» ont déjà entête « la préparation du prochaincongrèsduparti».

Mais à afficher trop tôt leursambitions, ces grognards pren-nent le risquede relancer laguerredes courants, notamment en res-soudant contre eux les «recons-tructeurs» auparavant réunisautour de MmeAubry mais épar-pillés depuis l’échec deM.Camba-délis.«PassûrqueHollandeles lais-se faire. Parfois un bon statu quovaut mieux qu’une mauvaise cri-se», conseille un poids lourd de lamajorité. p

BastienBonnefous

Social

Letauxdechômageenmétropolerepasseau-dessusde10%

Le tauxde chômage enFrancemétropolitainea atteint 10,2% auqua-trième trimestre 2012, soit 0,3point deplus qu’au trimestreprécédent,franchissant le seuil de 10%de la populationactive dans l’Hexagonepour la première fois depuis la findupremier semestrede l’année 1999,selondes chiffres publiés, jeudi 7mars, par l’Insee.Avec l’outre-mer, le chômagea atteint 10,6%.Désormais, 2,9millionsdepersonnes sont au chômageen France au sensduBureau internatio-nal du travail. Surun an, le chômage a augmentéde0,8point enmétro-pole. Pour les 15-24ans, le taux atteintunnouveau record, à 25,7%(+3,4points sur l’année 2012). p

Nouvelle tentative d’immolation àPôle emploiUnchômeur a tenté de s’immolerpar le feu,mercredi6mars en fin dematinée, dans l’agencePôle emploi de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine).L’homme,un cadrede 59ans, s’est aspergéd’essenceavantd’êtremaîtri-sé par les conseillers. Après avoir travaillé pendantunebrèvepériode, ilse serait vu expliquer, au cours de l’entretien, que ses droits au chôma-ge seraient raccourcis. Les agents ont appliqué la réglementation, quiprévoit que seules certainespériodes de travail sontprises en comptedans le calcul de la duréede l’indemnisation.

Patronat L’Union de lamétallurgie (UIMM) s’opposeraà une réformedes statuts duMedefLes choses se compliquentpour LaurenceParisot, qui souhaitepouvoirse représenter à la présidenceduMedef. Frédéric Saint-Geours, prési-dentde l’Uniondes industries etmétiers de lamétallurgie (UIMM), a réi-téré,mercredi6mars, sonoppositionàune réforme rétroactive des sta-tuts de l’organisationpatronale. Le patrondesmarquesde PSA, 63ans,n’a pas dévoilé ses intentions, renvoyant au 17avril la questionde ladéterminationpar l’UIMMduprofil idéal du candidat. Sixmembresducomitéd’éthique, réservés sur lamodificationdes statuts, ont parailleurs démissionné.

Alapince,àlacireouaulaser, ledroitexpliquéparunrapporteurpince-sans-rire

Les«hollandais»ontdéjàentêtelapréparation

ducongrèsduparti

9,0

10,5

10,0

9,5

8,5

8,0

7,5

7,02003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

TAUXDECHÔMAGEAUSENSDUBUREAU INTERNATIONALDUTRAVAILdonnées CVS* en moyenne trimestrielle, en %, France métropolitaine

SOURCE : INSEE*corrigées des variations saisonnières

L a séancepubliqueduconten-tieuxauConseil d’Etat peutamenerà explorerd’inatten-

dus recoins dudroit administra-tif. Affaireno 348089,mercredi6mars. Laquestionposée est desavoir si une épilationau laserpeut être pratiquéeparuneper-sonnequin’est pasmédecin. Laréponseaurades conséquencesnonnégligeables pour les offici-nes spécialiséesdans cette prati-que – enpleine expansion–, laplupart faisant appel à des non-médecins. Le docteurBury,méde-cin àViry-Châtillon (Essonne), aété interdit d’exercicependanttroismois avec sursis pour avoirautorisé ses assistants à prati-quer l’épilation. Il s’est pourvuauprèsduConseil d’Etat.

Le rapporteurpublic, RémiKel-ler, s’appuie sur l’article L.4161-1du codede la santépubliquequiinterdit à toutepersonnenontitulaired’undiplômedeméde-

cindepratiquerunacte réservéauxmédecins. L’arrêté du6jan-vier 1962dresseune liste d’actesnepouvant être pratiquésquepardesmédecins. Parmi ceux-ci,«toutmode d’épilation sauf lesépilationsà lapince ouà la cire».

PhotonsLe rapporteurpublic se livre

alors àuneénumérationdesdiffé-rentesméthodesd’épilation: à lapinceouà la cire, électrocoagula-tionou électrolyse, épilationaulaser, qui s’est développéedepuisles années 1990. «Sonprincipe estsimple, explique-t-il, réveillantsoudain l’attentionde sonaudi-toire. Le rayonde photonsde trèshautedensité émis par l’appareillaser est absorbépar lamélanineet son énergie est restituée sousformede chaleur qui vabrûler lazonede lapeau responsablede lacroissancedupoil. Cetteméthode,relativement rapide et peudou-

loureuse, permet enprincipeuneépilationdéfinitive.Dans de rarescas, elle provoquedes lésions cuta-nées.» Finde laparenthèse.

Cependant, invoquent lesrequérants, unarrêté du 30jan-vier 1974disposeque les lasers àusagemédical doivent êtreutili-sés «parunmédecinou sous saresponsabilité». Cela vaudrait, enl’occurrence,pour l’épilationaulaser.«L’argumentationneman-quepasdepertinence, note le rap-porteurpublic. L’épilationaulaser, poil par poil, est unexercicetechnique simple et répétitif. Enoutre, son coûtne sera pas lemêmeselonqu’il est pratiquéparunmédecin ouparunassistant.»Il la réfute cependant, l’arrêtéde1974ne concernantque les règlesd’homologation.Et appelle àjugerque seul unmédecinpeutpratiquer l’épilationau laser. L’af-faire a étémise endélibéré. p

PatrickRoger

Stéphane LeFoll, avecdeux conseillers, auministère de l’agriculture, en juillet2012. VINCENT CAPMAN POUR «LE MONDE»

LesfidèlesdeFrançoisHollandepassentàl’offensiveauseinduPartisocialisteSonancienbrasdroit, StéphaneLeFoll, organise les réseauxdesoutienparmi lesdéputés

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C ’estçalacourd’assises.Lebar-rage qui lâche après avoirtenu tant d’années face aux

questions des policiers et du juged’instruction. Les résistances quis’écroulent et la soudaine véritéd’unhommequisourddesprofon-deursetvousexploseà la figure. Lacourd’assisesdeParis,qui juge l’af-fairede l’Ecoleenbateau, avécuundecesmoments-là,mardi 5mars.

Le procès n’avait que quelquesheures. Face à la cour, LéonideKameneffrépondaitauxquestionssursapersonnalité.Chacunn’avaitd’yeuxetd’ouïequepour cethom-me de 76 ans, accusé de viols etd’agressions sexuelles sur desmineursdemoinsde15ans.Unper-sonnagefascinant,dérangeant,quidétaille sa biographie avec unecomplaisance parfois appuyée. Ilparle d’une autre époque, d’unautre siècledontMai68est le tour-nant. «C’était un moment où les

gens se sontmisàpenserplus large,à envisager les choses différem-ment»,ditLéonideKameneff.L’an-cien instituteura alors 30ans.

Doctorant en psychologie, pas-sionnéde littérature et d’archéolo-gie, fou de voile, fils d’un Russeblanc violoniste qui a fui son payset traversé à pied l’Europe centralejusqu’àlaFranceetd’unemèrepia-niste issue de la bourgeoisie bour-guignonne,iladéjàmenéquelquesexpériences pédagogiques en rup-ture avec le système. Cette fois, il aune idée beaucoupplusnovatrice:emmener naviguer des enfantspendant un an, voire deux, loin detoutecontraintefamilialeet scolai-re.L’Ecoleenbateauestlancée, l’ex-périencedureraplusde trenteans.

Les enfants qui lui sont confiésont entre 10 et 14 ans, ils partici-pentàtout,fontlescourses,lacuisi-ne, lavent leur linge,apprennent lamécanique et l’électricité en répa-rant le moteur et puisent dans labibliothèque bien fournie de quoinourrir leur imagination. «Monidée, c’était de ne pas être directif.Pourmoi, les enfants sont des êtresentiers quel que soit leur âge »,explique M.Kameneff. Il prônealors « la suppression des barriè-res » entre les majeurs et lesmineurs qui sont « trop infanti-lisés».

A bord, sous le soleil de laMédi-terranée,onvit libreetnu–«il fautse replacerdans le contexte,à l’épo-que, 80% des gens vivaient nus surlesbateaux»–,onsemassemutuel-lement sur le bois tiède du pont–« les barrières de la pudeur tom-bent»–, les garçons, largement

majoritaires parmi les «élèves»,bandent – c’est «naturel » – etéchangent des caresses. «C’étaitdans l’airdutemps,onpensaitqu’ilne fallait pasbrider la sexualité desenfantsentreeux», expliqueLéoni-de Kameneff. Rien de clandestin àcela,d’ailleurs.LePetitVoyageur, lemagazinede l’associationqui rendcompteauxparentsdes aventuresde l’Ecole en bateau, s’illustre dephotos d’enfants nus et dorés entrainde choquer les voiles, balayerlepontou somnolerau soleil.

Léonide Kameneff développeaussisaphilosophiedeviedansunlivre,L’Ecolesanstablier,quiestdis-tribué aux parents. Au chapitre«sexe», il écrit que l’enfant «a lesmêmes droits et les mêmes devoirsque les adultes» et, parmi ceux-ci,celui de «vivre sa sexualité commeil en a envie». Léonide Kameneffreconnaît qu’il lui est arrivé de semêler aux « jeux», de «partagerdes caresses». «Pourmoi, c’était del’affection, de la tendresse. Et refu-ser la tendresse d’un enfant, c’estaussi de la maltraitance», dit-il.«Mais il y ade la tendressequine sesexualisepas!observeleprésident.

–Vousavez raison.– Existe-t-il pour vous une diffé-

rence entre les jeux sexuels entreadolescents et ceux entre adultes etadolescents?», insiste Olivier Leu-

rent. LéonideKameneff rit. Un rireétrange, qui revient souvent, etdontnesaits’ilexprimelalégèreté,la gêne ou l’indifférence. «Disonsqu’on était peut-être tous desenfants… et que dans ce cadre-là,celanemeparaissaitpas répréhen-sible. Mais j’étais peut-être del’autre côté de la ligne, sans m’enrendre compte. » Il poursuit :«Notre société a bien évolué pour

cequiestdesfemmes,desminoritéssexuelles,maispaspourlesenfants,à l’égard desquels elle s’est aucontraire refermée.»

Pourtant, dès les années 1990,des clignotants s’allument. Oncommence à regarder avec suspi-cioncetteassociation,unepremiè-replainteestdéposéepourviolsen1994. Sur Le Petit Voyageur, on nepublie plus de photos d’enfantsnus. Une longue enquête s’ouvre,les témoignages se multiplient. Etaprès demultiples péripéties, Léo-nideKameneff est arrêté, en 2008,sur son bateau au Venezuela.

«Aujourd’hui, vous pensez quoi detout cela?» Il rit de nouveau. « Jen’en pense plus rien. Toutes cesplaintesm’ont beaucoupquestion-né. Je nemets pas endoute leur sin-cérité. Et jem’enveux.»

Le président Olivier Leurentouvreuneautre chemise et l’inter-roge sur ses relations avec l’un desautresaccusés,BernardP.,quiapar-ticipé pendant plus de vingt ans àl’aventurede l’Ecole en bateau. Luiaussi est poursuivi pour viols etagressions sexuelles sur mineurs.Léonide Kameneff l’avait rencon-tré dans un établissement scolairedu Var, en 1965. Bernard P.avaitalors 11 ans et sa mère l’avaitenvoyé en pension après un dou-loureux divorce avec un épouxatteint de troubles psychologi-ques.LéonideKameneffétaitdeve-nusonpèredesubstitution,il l’em-menaitnaviguer.

«S’est-il passé quelque choseavec lui quand il était enfant?»,demande soudain le président. Laquestion, lancinante, a traversétout le dossier d’instruction. Tou-jours, la même réponse farouche-ment négative a été opposée parles deux accusés. «Nous étions trèsproches»,ditM.Kameneff.Leprési-dent insiste. «Je considère que celarelèvedenotre intimité», élude-t-il.

Audébut,onn’avaitguèreprêté

attentionà l’hommequi l’écoutait,assis juste derrière lui. Puis on l’avubaisserlatête,arrondirsesépau-les, se plier en deux. On ne voyaitmême plus que cela, un hommesoudainprostré, recroquevillé.Oli-vier Leurent l’a vu, lui aussi.

«Peut-être pourrions-nous luidemander?»

Bernard P. lance un regard denaufragé à son avocat qui l’encou-rageà rejoindre la barre.

«Avez-vous eu des relationssexuellesavec LéonideKameneff?

Il tremble.–Onnevapastournerautourdu

pot. La réponse est oui.»Etc’estsoudaincommeunmas-

quequi se déchire.OubliésMai 68,la théorie, la pédagogie différente.Onestjusteunpeuplustôt. Ilssontdeux sur un bateau en Méditerra-née, ce gaminmêmepaspubère etunadultede dix-huit ans sonaîné.L’avocat de Léonide Kameneff,MeYann Choucq, est un pénalisteconfirmé.Ilsaitqu’ilyalàunebom-be qu’il faut à tout prix désamor-cer,pourlasuitedesdébatsetl’ima-gedesonclient faceà lacouretauxjurés. Il se lève et, d’une voix sévè-re, lui lance:

«La cour d’assises a cette spécifi-cité de créer desmoments de vérité.Nous y sommes. Avez-vous eu desrelations d’intimité physique avec

luiquand il avait 11 ans?–Nousétions trèsproches…– Il faut êtreplusprécis.– Compte tenu de la façon dont

on vivait à l’époque, il est possibleque…quelque choseapusepasser.

– Je vous demande d’être encoreplusprécis.

–Alorsdisonsqueoui, ilyaeudescaresses, des jeuxetpuis voilà.»

L’audiencedumardis’étaitache-vée sur ces mots-là. Mercredi6mars, Bernard P.est venu s’expli-quer à la barre, douloureux, hési-tant, avec lesoucidedire leschosesau plus juste. Il ne «veut pas acca-bler» Léonide Kameneff, ni « sedéfausser» de ses responsabilités

danslesfaitsquiluisontreprochés.Mais il dit que «peut-être, ça peutexpliquer» le comportement qu’ila eu à son tour, plus tard, avec desmineursde l’Ecoleenbateau.Pour-quoi l’avoir si longtemps tu, luidemandeleprésident.«Toutecettehistoire est un immense gâchis.J’avais besoin de protéger ceux quisont arrivés, après», souffle-t-il enévoquant ses propres enfants. Ilvoudrait défendre pourtant «toutcequ’il yavaitdebien»dans l’Ecoleenbateau.

«Admettez-vous qu’à l’époque,les enfants étaient vulnérables faceaux deux seuls adultes [LéonideKameneffet lui]quiétaientàbord?

BernardP.ne répondpas.– Votre fils, sur un bateau avec

deuxadultes, est-il vulnérable?Un long, très long silence lui

répond.Puis,d’unevoixincrédule:– Mon fils sur un bateau, seul

avecdeuxadultes?–Oui. Est-ceprobable?– Non, aujourd’hui ce n’est pas

probable. J’aurais aimé pourtantqu’il vive l’aventure de la naviga-tion. Mais certainement pas qu’ilait des relations sexuelles avec unadulte.

– Et si cela seproduisait?–Ce serait scandaleux.» p

PascaleRobert-Diard

société

ENTREL’OUVERTUREduprocèsdevant la courd’assises de Paris,mardi 5mars, et la premièreplain-te déposéepour viols et agres-sions sexuellespar l’unedes pen-sionnairesde l’Ecole enbateau,dix-neuf ans se sont écoulés.Undélai excessivement longqui avalu à l’Etat d’être condamné, enfévrier2012, par la 1rechambre civi-le du tribunal de grande instancedeParis pour «déni de justice», auversementde 15000à30000euros à onze anciens élè-ves, victimesprésuméesde violset d’agressions sexuellesentre1979 et 1995.

L’histoirede cedossier estrocambolesque.Lesdeuxpremiè-resplaintesquidénonçaient,en1994et 1999, lespratiquessexuellesàborddubateaueffec-tuéesauprétextede«mieuxappré-hender le corps», sont transmisesà

Fort-de-France,où levoilier étaitimmatriculé.Ellesdisparaissent.Unetroisièmeplainte, toujoursen1999,prendelle aussi le chemindeFort-de-Francepourêtre instruitemais le jugen’ouvrepas ledossierpendantprèsdequatreans.

Onze parties civilesCen’est qu’en 2002, avec le

dépôt d’unequatrièmeplainte,que l’affaire prendun tournant.MeEricMorain, l’avocatde l’unedesparties civiles – il en défenddix aujourd’hui – dépose alorsune requête en suspicion légitimecontre le juge et obtient de la Courde cassation le rapatriement àParis dudossier d’instructionen2008.A lamêmedate, LéonideKameneff, contre lequelunman-datd’arrêt international avait étélancé, est arrêté auVenezuela etincarcéré.

L’instructions’achève en 2011par le renvoide quatre accusés,dont le fondateur de l’Ecole enbateau, devant la courd’assisespourviols, tentatives deviols etagressions sexuelles. Ils font faceà onzeparties civiles, dontuneassociation, ungrandnombredeplaintes ayant été prescrites.

Au total, près de 400mineursentre 10 et 14ans, dont seulement40filles, ont fréquenté l’Ecole enbateau. Parmi eux, un certainnombred’enfants d’enseignantsquimettaient endoute le systèmescolaire traditionnel. La cour d’as-sises devait entendre, jeudi7mars, le témoignagedeplu-sieursparents avant de consacrerla suite des débats à l’auditiondesancienspensionnaires témoinsouparties civiles. Le procès doits’achevervendredi 22mars.p

P.R.-D.

UngrandnombredeplaintesprescritesOSP - CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678

DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE Insurance (Europe) Ltd, Etoile SaintHonoré – 21 rue Balzac 75406 Paris Cedex 08(RCS Paris 414 108 001), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, Plantation Placedont le siège social est situé 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que lagarantie financière dont bénéficiait depuis le01.01.2011 la société :

GALATE IMMO17 av. Henri Barbusse

92170 CLAMARTSIREN : 751 430 182

pour son activité de : TRANSACTION SURIMMEUBLESETFONDSDECOMMERCESANS MANIEMENT DE FONDS cessera deporter effet trois jours francs après publicationdu présent avis.Les créances éventuelles serapportant à ces opérations devront être pro-duites dans les trois mois de cette insertion àl’adresse de l’Etablissement garant sis EtoileSaint Honoré – 21 rue Balzac 75406 Cedex08. Il est précisé qu’il s’agit de créances éven-tuelles et que le présent avis ne préjuge en riendu paiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de lasociété GALATE IMMO.

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678

DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE Insurance (Europe) Ltd, Etoile SaintHonoré – 21 rue Balzac 75406 Paris Cedex 08(RCS Paris 414 108 001), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, Plantation Placedont le siège social est situé 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que lagarantie financière dont bénéficiait depuis le01.01.2011 la société :

DAUPHINE FINANCES740 Bld Christian Lafon

83700 SAINT RAPHAELSIREN : 523 344 117

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«C’étaitdansl’airdutemps,onpensaitqu’ilnefallaitpas

briderlasexualitédesenfantsentreeux»

LéonideKameneff

Lemagazinedel’Ecoleenbateaus’illustredephotosd’enfantsnusetdorésentraindechoquer lesvoiles

«Lacourd’assisesacettespécificité

decréerdesmomentsdevérité.

Nousysommes»MeYannChoucq

avocat de Léonide Kameneff

Procèsdel’Ecoleenbateau:l’utopiepervertieLefondateur,LéonideKameneff,aadmisavoireudesrelationssexuellesavecundesescoaccusés,alorsâgéde11ans

Léonide Kameneff, le fondateur de l’Ecole en bateau, à son arrivée à la cour d’assises desmineurs de Paris,mardi 5mars. BERTRAND GUAY / AFP

10 0123Vendredi 8mars 2013

Page 11: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

110123Vendredi 8mars 2013 société

w w w . s c i e n c e s - p o . f r / s p f

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for DevelopmentRessources humainesGestion et politiques

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Réunion d’informationjeudi 21 mars à 19h

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Selon la dernière enquête del’Observatoire national de ladélinquance et des réponsespénales, publiée en novem-bre2012, plus duquart des fem-messe sentent parfois en insécu-rité dans leur quartier ou leur vil-lage, contre 15%des hommes.Plus de 20%des femmes res-sentent également de l’insécuri-té à leur domicile, contre 10%des hommes. Elles sontmoins

victimes que les hommes de volsavec violence (0,4%des fem-mes contre 0,6%des hommes)ou de violences physiques(1,5%des hommes contre 1,1%des femmes). En revanche, lesfemmes sont davantage victi-mes de violences sexuelles(0,9%des femmes contre0,4%des hommes en2010-2011) et de viols (0,8%contre0,2%de2008 à 2012).

Reportage

E lles sont une trentaine defemmes en tenue de sport,les cheveux attachés, gants

de boxe au poing, en position decombat.L’entraînementse faitpargroupes de deux, sous la conduitede deuxmoniteurs taillés à la ser-pe. Que faire en cas d’agressionavecunearme?«Sionvousdeman-de quelque chose, votre téléphone,votre sac, donnez-le, commenceChristophe. Si l’agresseur veutautrechose, il faut réagir.Vousêtesunefemme,c’estunhomme, ilauncouteau, il est sûr de lui. Tantmieux. Il ne s’attendra pas à uneréaction.» D’unemain, il écarte lebras menaçant de son acolyte,avant d’envoyer un coup de piedentre ses jambes. Les gestes sontrépétésplusieurs foispar lesparti-cipantes.

Elles viennent dans cette sallede sport du 12earrondissement deParis tous les samedis après-midipour pratiquer le Krav Maga,«combat rapproché» en hébreu.Cetteméthoded’autodéfenseaétécréée par Imi Lichtenfeld, cham-pionde lutte juif hongrois, émigréen Palestine en 1940, pour formerrapidement les premiers soldatsisraéliens. Depuis, le Krav Magas’est internationaliséetaétéadop-téparlescivils.Lesfemmess’yinté-ressent de plus en plus. Sur les9000 licenciés français, 15% sontdes femmes. «C’est 2% à 3% deplus qu’il y a trois ans», relèveRichard Douieb, président de lafédération européenne de KravMaga.

C’est la partie la plus visibled’un engouement croissant pourl’autodéfense féminine.Toutes lesstructures contactées par Le Mon-de font état d’une hausse de lademande. Le signe d’une insécuri-té plus grande, ou l’indice d’unenouvelle attitude des femmes?Pour M.Douieb, « elles viennentparce qu’elles ne veulent plus êtrevictimes». Un mouvement sansdoute facilité par la dénonciationcroissantedes violences faites auxfemmeset duharcèlementde rue.

Même constat à l’Association

KravMagapolice (AKMP),quidon-ne le cours en ce samedi après-midi. Lesmoniteurs sont des poli-ciers ou douaniers qui souhai-taient à l’origine promouvoir lapratique du Krav Maga parmi lesforces de l’ordre. Ils sont bénévo-les. «Nous avons eu des demandesde femmes de collègues, expliquel’undesmembres,Michel.D’abordnous avons organisé des stagesponctuels,puisuncourshebdoma-daire. Chaque semaine, de nouvel-les personnes appellent.» L’AKMPmet d’ailleurs en garde contre les«charlatans» attirés par ce cré-neauporteur.

Quelques principes fondent ladiscipline. Mieux vaut éviter unesituation dangereuse (en chan-geant de trottoir, en criant, enfuyant…).Encasd’agressionphysi-que inévitable, tout lemondepeutsedéfendre.Ettoutlemondeainté-rêt à le faire, y compris les plus fai-bles physiquement. «Même si

vouspesez40kg, vouspouvezvoustirer d’une situation délicate enmettant un doigt dans l’œil devotreagresseur», expliqueMichel.« L’idée qu’il vaudrait mieuxqu’une femme ne se défende pasest aberrante, estime égalementChristophe. C’est se priver d’unechancede s’enfuir.»

Lesmoniteursdésignentlespar-tiesvulnérablesducorps(yeux,gor-ges, testicules, articulations), etapprennentàlesatteindreefficace-ment. Par exemple en frappantavec le plat de la main et non lepoing,pournepasrisquerdesecas-ser les poignets, en donnant uncoupdanslapoitrinedel’agresseurpour lui couper le souffle, etc. «Cesontdes gestes simples qui peuventressortir dans des situations destress intense», explique Christo-phe. L’objectif est de gagner dutemps pour fuir – tout en restantdanslecadredelalégitimedéfense.

«Toutes les filles devraient faireça pour se sentir à l’aise dans larue», dit l’une des pratiquantes,Marine, une étudiante de 18 ans.Elle prend le train vers la banlieuenord, et rentre parfois chez elle de

nuit.Elle s’estdéjà fait suivre,maisa pu semer l’homme. «C’est par-fois flippant, dit-elle. On n’a pasbeaucoup de muscles, on ne peutcompter que sur notre bonne étoi-le. » Grâce à l’autodéfense, elle adavantage confiance en elle. Lesmêmes raisons poussent Claudi-ne,59ans,àpratiquer.«Etantinfir-mière, je rentre tard, relate-t-elle. Jene suis pas toujours rassurée. Il y adesinterpellationsdugenre: “Alorscocotte, tu viens avec moi?”. Je neme suis jamais servie physique-ment de la technique, mais ellem’aideà gardermon sang-froid.»

La chronique des faits diversnourrit l’anxiété. «On entend par-ler d’histoires horribles, on seconstruit des scénarios,ditHélène,29ans.Monamiest très protecteuretçalerassuredesavoirquejepeuxme défendre.» Certaines, commeSophie, ont déjà été confrontées àla violence physique. «Je n’avaispas peur jusqu’à mon agression.J’ai grandi dans le 19eà Paris, jeconnais les codes, sourit la jeunefemme. S’il y a un groupe de mecssur un trottoir, mieux vaut ne paspasser aumilieu.»Mais il y a troisans, alors qu’elle rentrait duréveillon, un homme a essayé del’entraîner dans un local à poubel-lesenl’étranglant.«J’aieuunebon-neréaction, j’aigriffé, j’ai crié,et j’airéussi à m’enfuir. Mais j’ai eu trèspeur.» LeKravMaga est sa «théra-pie». En cas denouvelle agression,elle veut être «prête».p

GaëlleDupont

P ourGénérationprécaire, ilnes’agit rienmoinsquedemet-tre finà«uncarnage». Lecol-

lectifestimequelapratiquedessta-ges «est en train de cannibaliserl’apprentissage, les jobs saisonniersetl’insertionprofessionnelledesjeu-nes». En lançant, jeudi 7mars, leprocessus qui doit conduire à unnouvel encadrement des stages, laministre de l’enseignement supé-rieur, Geneviève Fioraso, n’utilisepas ce registre macabre. Souhai-tant développer les «bons stages»,c’est-à-dire avec un contenu péda-gogique, elle n’en affirme pasmoins vouloir « empêcher lesabus».

Danslalignéeducomitéintermi-nistériel de la jeunesse, qui s’esttenule21février,MmeFiorasoet sonhomologue au travail, MichelSapin, engageront à la fin dumoisune concertation. Objectif: discu-ter avec les partenaires sociaux etles collectivités locales d’une nou-velle réforme des stages à mettreenœuvreavant la finde l’année.

Beaucoupaétéfaitdepuis2006.Les stages doivent être liés à la for-mation; ils ne peuvent excéder sixmois et doivent être rémunérésaprèsdeuxmois.«Deschosespositi-vesontétéfaites, reconnaît-ondansl’entouragedeMmeFioraso,mais ilya beaucoup d’insuffisances. Certai-nes règles ont été inscrites dans laloi,maisvidéesdeleurcontenudanslesdécretsd’application…quandilyaeudécretd’application.»

«Follemachine»Génération précaire estime

qu’«ilyaeubeaucoupd’entourlou-pesdepuis2006», encitantretards,contradictions et «trompe-l’œil»…«En attendant, dénonce JulienBayou, porte-parole deGénérationprécaire,onalimentelafollemachi-ne à stages.»Puisqu’aucune statis-tique officielle n’existe, l’associa-tionextrapoledesenquêtesancien-nespouraffirmerquel’onestpasséde«800000stagesparanen2005àplusd’un1,5millionaujourd’hui».

Le collectif tientà jour son«bestofdespiresoffresdestages,malheu-reusement très banales et répan-dues». Telcegrandgrouped’agroa-limentaire qui «recrute un stagiai-repourtravaillersur lerecrutementdes stagiaires »… Quant à cette«agence de relooking», elle cher-che huit stagiaires qui «adorent lamode»pouruneduréecumuléede22mois de stage entre septem-bre2012 et juillet2013. Etre «trilin-

gue», pouvoir justifier de «deux àcinqansd’expérience»,avoirl’habi-tude de l’«encadrement», rêver dedevenir«directeurrégionalstagiai-re»… Telles sont les pépites collec-téesparGénérationprécaire.

Quellessontlespistesdugouver-nement? L’une d’elles est de défi-nir un taux maximum de stagiai-res par rapport à l’effectif salarié.Combien? «Rien n’est décidé, affir-me MmeFioraso. Mais quand celadépasse 10% des salariés, ça paraîtbeaucoup. Nous pourrions définirun chiffre indicatif et prévoir uneévaluation. Il pourrait également yavoirdesdérogations.»Autre idée:faciliter, en cas d’abus, la requalifi-cation du stage en contrat de tra-vail. Les prud’hommes peuvent lefaire, mais intégrer la jurispru-denceaucodedutravail faciliteraitleschoses.Parailleurs,legouverne-ment demandera aux collectivitéslocales de payer, dorénavant, leursstagiaires. Enfin, des droits pour-raient être accordés à ceux-ci,même s’ils ne dépendent pas ducodedu travail. Repos, congés, pro-tection sociale, aujourd’hui don-nés aux alternants, seraient éten-dusauxstagiaires.

LeMedef,quirappelleavoirdéjà«beaucoup réfléchi avec les pou-voirspublics sur lamanièred’éviterles abus», s’inquiète: avec ces nou-veaux droits, «cela deviendrait uncontrat de travail et non plus uneconvention de stage. Le stage estunepériodede formationenmilieuprofessionneletdoitlerester»,souli-gne l’organisation patronale.Même scepticisme à propos dutaux maximum de stagiaires parentreprise: «Nous ne voyons pascomment on pourrait le mettre enœuvre, confie-t-on demême sour-ce. Laréglementationestunechose.La pratique et le dialogue entre lesresponsables de formation et lesentreprisesensontuneautre,essen-tiellepour réguler lapratique.»

Afrontrenversé,Générationpré-cairenecachepasnonplussapréoc-cupation.Certes,l’initiativegouver-nementale est saluée : «C’est unsoulagement », reconnaîtM.Bayou. Mais l’idée de fixer untaux «indicatif» de stagiaires nel’enchanteguère.«Celaressembleàunearnaque,dit-il.Sionfaitcela,onenterre lamesure.»

Entre les craintes des uns et lesinquiétudes des autres, le cheminde la réforme risque d’être étroitpourMmeFioraso. p

Benoît Floc’h

«Jenem’ensuisjamaisservi,maiscela

m’aideàgardermonsang-froid»

Claudine59 ans, infirmière

Un sentiment d’insécurité plus fort chez les femmes

Letee-shirtdupetit Jihadnefaitpasrireleprocureur

Pouréviterlesabus,legouvernementveutencadrerlesstagesenentrepriseRepos, congés, rémunération…denouveauxdroitsdevraientêtreaccordésauxstagiaires

Succèsdel’autodéfensechezlesfemmes,qui«neveulentplusêtredesvictimes»DansunesalledesportàParis,deplusenplusde femmesviennent s’initierauKravMaga,«combat rapproché»enhébreu,pourapprendreàsedéfendreetàs’enfuirencasd’agression

B ouchraet ZeyadBagour, lamère et l’oncledupetitJihad, 3 ans, ont comparu,

mercredi6mars, devant le tribu-nal d’Avignonpour «apologiedecrime» surplainte déposéepar leparquet. L’enfantavait fait sa ren-tréedes classesvêtud’un tee-shirt sur lequel était inscrit «Jesuisune bombe» et audos «Jihadné le 11septembre».

Le 5septembre 2012, la directri-ce de l’écolematernelle LesRamières de Sorgues (Vaucluse),remarque avec stupeur les ins-criptions sur le tee-shirt, alorsqu’elle rhabillait les enfantsdans les toilettes. A la sortie, elleadmoneste lamère en lui expli-quant que ces deuxmessagessont choquants. L’enfant le por-tait depuis lematin,mais person-ne ne l’avait remarqué. Lamères’excuse et promet que le tee-shirt restera à lamaison. La direc-

trice prévient l’inspection acadé-mique et lemaire. L’affaire reste-ra confidentielle jusqu’au 25sep-tembre, date à laquelle le chargéde communicationdumaireUMPde Sorgues organise uneconférencede presse.

«Jus nauséabond»A l’audience, lamèrede Jihad

expliqued’unepetitevoixqu’ellen’a jamais eu l’intentionde cho-querquique ce soit etqu’ellen’ajamaispenséquecelapouvaitnui-re à sonenfant. Il a 3 ans, il ne saitni lireni écrire, c’est sononcleZeyadqui lui aoffert le vêtement.Elle l’amisà sonenfant le jourdela rentrée, pour faireplaisir à sonfrère, dit-elle. Lorsqu’il a acheté letee-shirt, la phrase«Je suisunebombe»était déjà impriméesurlapoitrine. L’expressionsignifiebeaugossedans le langagecou-rant:«Tout lemondesait ça»,

explique l’oncle. Et depréciserqu’il a fait rajouteraudos lepré-nomde l’enfant et sadatedenais-sance.«Onn’avait aucunemau-vaise intention», justifie-t-il.

PourMeClaudeAvril, avocatdelaville deSorgues, qui s’estportéepartie civile,«l’idiotie est souventlemeilleurdes alibis, ensuiteonplaide lamauvaiseblagueetons’abritederrière l’innocenced’unenfantalors que cetacte est prémé-dité».Pour leprocureur,«onnepeutpas rirede tout, ces propossontancrésdans l’expressiondécomplexéedu terrorisme».Selon lui, s’il y avaitune relaxe,tout serait permis. Il réclameuneamendede3000eurospour le frè-re et de 1000eurospour lamère.

Endemandant la relaxe,MeGae-leGuenoun, l’avocatedeBouchraBagour, s’interroge, elle, sur lepré-judice subipar lamairie, estimantque laprovocationn’existeque

dans l’espritdumairedeSorgues,ThierryLagneau.«Si lamèreavaitvoulu instrumentaliser son fils,elle l’auraitpromenédans toute laville.»PourMeSolimanMakouh,avocatdeZeyadBagour:«Si le pré-nomde l’enfantposeproblème,c’est aupouvoirpublicde l’interdi-re»et de rappelerque Jihadveutdire«effort sur soi et contrôledesespulsions». Selon lui, cedossier«baignedansun jusnauséa-bond».«Taper surunepopulationparcequec’est “bankable”pour2014est inadmissible», dit-il, rap-pelantquecette communeUMPestdans la lignedemiredeMarionMaréchal-LePenpour lesprochainesmunicipales.«C’estuneaffairequi auraitdû resterdans les 10m2dubureaude ladirectricede l’école», a-t-il conclu.Délibéré le 10avril.p

MoniqueGlasberg(Avignon, correspondance)

Page 12: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

économie

BerlinCorrespondance

L a facture de la sortie dunucléaire pourrait se révélerplus lourde que prévu pour

les entreprises allemandes. UnjugedutribunalrégionaldeDüssel-dorf a remis en cause, mercredi6mars, la légalité des aides accor-dées par l’Allemagne à ses indus-triestrèsconsommatricesd’électri-cité. Suspectées d’être non confor-mes au droit européen, elles pour-raient être invalidées par le juge,quiexigerait leurremboursement.

A Bruxelles aussi, le dispositifest regardé avec scepticisme: suiteàuneplainte, laCommissioneuro-péennevientd’ouvriruneenquêtepourdistorsionde concurrence.

La réglementation en causeremonte à 2011. Adoptée dans lecadre des lois instituant la sortiedunucléaireenAllemagne,elledis-penselesindustriestrès«énergivo-res»de la taxesur les réseaux,nor-malement incluse dans le prix del’électricité. Le surcoût est reportésur la facture des autres consom-mateurs. Objectif : compenser laperte de compétitivité induite parlahaussedes coûtsde l’énergie.

Or, l’enveloppe attribuée à cesexonérations n’a cessé d’enfler

depuis deux ans. De 440millionsd’euros en 2012, lemontant a pres-que doublé au titre de 2013, à805millions.Selonl’agencefédéra-le des réseaux, 202 entreprises ontdéposé une demande d’éligibilitéaudispositif cette année.

Le payeur, lui, grince des dents.En l’occurrence, lesménages et lespetitesentreprises.Alorsquel’Alle-magneexportede l’électricitéà sesvoisins, leprixde l’énergiepour lesparticuliersyestpresquedeuxfoisplusélevéqu’enFrance.

En cause : les multiples taxesliéesauxaidesauxénergiesrenou-velables ou à l’industrie, qui alour-

dissent la facture.ADüsseldorfet àBruxelles, les requérants sont desassociations allemandes deconsommateurs, des entreprisesproductrices d’énergie et desexploitants régionaux de réseauxd’électricité.Tousaccusent lesexo-nérationsdetaxed’êtredessubven-tionsdéguiséesà l’industrie.

Dansune réaction,publiéemer-credi, le ministère de l’économies’est défendu: le dispositif n’estlégalement pas une subvention etles dispenses de taxe se justifie-raient par la contribution desindustries concernées à la stabilitédu réseau, a-t-il indiqué.

Reste que ces deux procéduressontunnouveaucoupdesemonceporté au « tournant énergétiqueallemand», déjà mal embarqué.Finfévrier,leministredel’environ-nement, Peter Altmaier, chargé dudossier, a annoncé une explosiondes coûts.

Mille milliards d’euros pour-raient être nécessaires pour fairepasser l’Allemagnedans l’ère post-nucléaire. La façon de financer cet-tegigantesqueenveloppesanspor-ter atteinte à la compétitivité desentreprises ni étouffer le consom-mateur tourne au casse-tête pourlegouvernement. p

CécileBoutelet

C arlos Ghosn, le PDG deRenault, est en passe degagner son pari. L’accord

qu’il avait soumis, à l’automne2012, aux syndicats, à savoir uneréductiondes coûtsdeproductionet, donc, une amélioration de lacompétitivité, en échange d’enga-gements de production en France,va être entériné.

Après la CFE-CGC, premièreorganisation syndicale du groupe(29,67% des voix aux électionsinternes), c’est FO (15,62%), qui afait connaître, mercredi 6mars, savolontéde signer cet accord.A euxdeux, ces syndicats représententplus que les 30% de voix quiétaientnécessairesà l’adoptiondutexte. La CFDT (19,13%) a pour sapart déjà laissé entendre qu’ellesigneraitlorsducomitéd’entrepri-se, prévu le 12mars. Seule la CGT(25,16%) est résolument contre.

Le gouvernement a fait connaî-tre sa satisfaction. Le ministre dutravail, Michel Sapin, estime quec’estun«bonaccord»,«quivaper-mettre de sauvegarder desemplois».

ArnaudMontebourg, chargéduredressementproductif, jugepoursa part que, « s’il est égalementsigné par la CFDT, l’accord seraultra-majoritaire.» Selon lui, «cetexte contient des concessionsmutuelles et marque le retour deRenault enFrance.»

Des engagements de produc-tion en France Pour convaincreles organisations syndicales, ladirection du constructeur s’estengagéeàconfierunechargedetra-vailminimaleàsescinqusinesd’as-semblage françaises,quin’ontpro-duitque530000voituresen2012.

Cela passe notamment par desrelocalisations de production enFrance. Ainsi, le site de Flins (Yveli-nes) devrait obtenir la productiond’un volant supplémentaire deClioIV,aujourd’huiproduitesàBur-sa, en Turquie. L’usine de Cléondoit bénéficier de nouvelles pro-ductions rapatriées de Caccia, auPortugal.

Parailleurs,M.Ghosns’estenga-gé à faire fabriquer en France80000 véhicules de ses partenai-

resNissanouDaimler.Cesderniersattendent néanmoins la conclu-sion de l’accord pour faire desannonces.

D’ici à 2016, Renault souhaiteproduire 710000 véhicules enFrance. «Mais il s’agit d’un chiffreplancher si le marché européen nerepartpas», préciseGérardLeclerc,ledirecteurdesopérationsenFran-cede l’ex-régie.

En cas de reprise du secteur, laproductionenFrancepourrait êtreplus importante. D’ici à 2020,Renaultenvisagedeproduiresurlesol national 820000 véhicules,contre 1,3millionen2003.

Plus symboliquement,M.Ghosn, s’est engagé à repousserà 2016 le versement de 30% de lapartvariabledesonsalairede2013,

tandis que la direction générale dugroupe s’engage à ne pas être aug-mentéecette année.

LesconcessionssyndicalesFaceà ces engagements de la direction,les syndicats ont accepté une bais-sedeseffectifsde 15%,pourattein-dre 37000 personnes en 2016.Seuls 760 des 8260 salariés quit-tant l’entreprise,notammentpourleur retraite, seront remplacés.

Afin d’absorber ces suppres-sions de postes, Renault comptemutualiser au sein de deux pôlesrégionaux un grand nombre desservicesdits «supports» (compta-bilité, communication, ressourceshumaines,etc.)desessitesdefabri-cationoude logistique.

En revanche, les syndicats ont

refusé d’entériner unemesure demobilité obligatoiredes agents deproductionentre lessitesdugrou-pe. Ces mobilités se feront tou-jours sur la base du volontariat.

Ilsontenrevancheacceptél’ali-gnement du temps de travail detous les sites à 1603heurespar an,

soit 35heures par semaine, contreenviron 34heures actuellementsurcertainssites.Uneréformedescomptesépargne-tempsestégale-ment engagée.

Enfin, les salaires seront gelésen 2013, mais renégociés en2014et 2015. En contrepartie, le groupe

améliore l’intéressement et l’ac-tionnariat salarial. Un observatoi-re de l’accord doit égalementgarantir sa bonne application,une demande forte des syndicats.

Ces mesures doivent permet-treune économieen annéepleinede plus de 500millions d’euros,soit un coût de 300 euros demoins par voiture fabriquée enFrance.

Cela ne supprimera toutefoispas l’écart des coûts de produc-tion avec les usines installées enRoumanie ou en Turquie, maiscela aidera Renault à conserverdes productions françaises. «Cetaccord montre que le dialoguesocial sert le “made in France”»,relèveM.Montebourg. p

Philippe Jacqué

Renault: l’accordquipréservelessitesfrançaisAprès laCGC,FOaccepteunebaissedeseffectifsetungeldessalairescontredesvolumesdeproductionaccrus

Salaires en hausse de 3%dans lamétallurgie

DesmesuresdesoutienàlacompétitivitédesindustrielsallemandsremisesencauseLesaidesauxtrèsgrosconsommateursd’énergie sont jugées illégales

LaFranceresteencoreattractivepourlesentreprisesétrangèresEn2012,693décisionsd’investissementontétéprises, contre698en2011

AprèsCFE-CGC, laCFTC,FOet leSyndicat indépendantde l’auto-mobile, laCFDTdevait, jeudi7,donnersonaccordauxmesuresd’accompagnementduplanderestructurationdePSAPeugeotCitroën,quiprévoit la fermeturedel’usined’Aulnay-sous-Bois (Sei-ne-Saint-Denis)et ledépartde8000personnesdugroupe.Seu-

le laCGT,quiexigeune renégocia-tion, refuseceplan.Uncomitécentrald’entreprise,pour lancerofficiellement la restructuration,estconvoqué le 18mars.L’usined’Aulnayrestenéanmoinsblo-quéedepuisdeuxmoisparunegrèvemenéepar laCGT,SUD(nonreprésentatifauniveaudugroupe)et laCFDT locale.

Ladirection de Renault s’est engagée à produire 710000véhicules dans ses sites français d’ici à 2016, contre 530000 en 2012. Ici, lors d’une grève à Flins, le 5février. DIDIER MAILLAC/REA

Les sidérurgistes du nord-ouestde l’Allemagne percevront unehausse de salaire de 3%cetteannée, supérieure à l’inflation.La décision est survenue,mer-credi 6mars, après dix heures denégociations entre le patronatet le syndicat IGMetall.Elle concerne 75000 salariéschez ThyssenKrupp, Salzgitteret ArcelorMittal. Cet accorddevrait donner le coup d’envoi àune série de hausses, encoura-gées par Berlin.

j CAC 40 3789 PTS +0,4 % |j DOW JONES 12 296PTS +0,3% |J EURO-DOLLAR 1,3017 |J PÉTROLE 110,9 $ LE BARIL |k TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 2,12% | 07/03 - 9H30

N uldoutequ’ArnaudMonte-bourg va faire le tour desplateaux de télévision

pour vanter ces chiffres. Selon leministreduredressementproduc-tif, les investissements d’entrepri-ses étrangères en France n’ont pasreculéen2012.«Nousavonsmêmeenregistré l’un des trois meilleursrésultats de ces quinze dernièresannées», assure-t-il auMonde, ens’appuyant sur les statistiques del’Agence française pour les inves-tissements internationaux (AFII),dont le rapportannuelest attendupour la findumois demars.

Selon les calculs de cet organis-me, 693 «décisions d’investisse-ment» ont été prises en 2012 pardes entreprises étrangères, contre698 en 2011, soit une baisse de0,7%. Mieux, « l’année 2012 auraété la meilleure depuis cinq anspour les investissements en prove-nance des Etats-Unis, d’Italie, desPays-Bas ou de la Russie» et « l’in-vestissement en provenance desBRIC [Brésil, Russie, Inde, Chine]est en hausse», assure l’agence.

Contrairement aux idéesreçues, ce sont les Américains quirestent les plus séduits, avec156projets décidés en 2012 (149unan plus tôt), devant l’Allemagne(113 projets contre 120 en2011).

Au total, ces futurs investisse-ments devraient permettre decréer25908emplois.Unchiffreenretrait par rapport à 2011, où27958promesses d’embaucheavaient été enregistrées,mais qui,«dansuncontexteéconomiquedif-ficile, confirme l’attractivité de laFrance», conclut l’AFII. Les mon-tants que représenteront ces pro-jetsne sont pas communiqués.

«Paradis des syndicalistes»Ceschiffres,espère-t-onàBercy,

devraient clore la polémique lan-cée par Maurice Taylor, le PDG dufabricant américain de pneusTitan, qui a indiqué, le 8 février,dansune lettre adressée àM.Mon-tebourg, que « la France va perdresonactivité industrielle».

Un temps intéressé par la repri-sed’unepartiedel’usineGoodyeard’Amiens (Somme), M.Taylor arenoncé,mettant encause le«syn-dicat fou», termeutilisépourdési-gnerlaCGT,et«lessalariésfrançais[qui] touchent des salaires élevésmais ne travaillent que trois heu-res»par jour.

«Ces chiffres sont la démonstra-tion que nous restons attractifs etqu’il nous faut arrêter l’autodéni-grement», estimeM.Montebourg,pour qui «le patriotisme économi-

quen’est pas le refus des investisse-ments étrangers».

«Mêmesielleestexcessive,[la let-tre de Titan] illustre malheureuse-ment bien l’image dégradée denotre pays», déplore néanmoinsOlivier Dassault dans une lettreouverteàFrançoisHollande,adres-sée en tant que président deGéné-ration entreprise-entrepreneursassociés, une association de80députés de l’opposition.

«Aux yeux des investisseursétrangers, la France est devenue leparadis des syndicalistes et l’enferdes entrepreneurs», écrit le députéUMP de l’Oise dans cette missive,renduepublique le 4mars.M.Das-sault dénonce aussi «un climatanti-entrepreneurialinédit,entrete-nuauplushautniveaude l’Etat.»

«S’il n’y a pas de chute du nom-bre de projets d’investissement, il yanéanmoinsunrisqueque laFran-ce passe en deuxième division enEuropeetperde le contactavec l’Al-lemagne et la Grande-Bretagne»,confirmeMarc Lhermitte, associéchez Ernst &Young et auteur cha-queannéed’uneétudesur l’attrac-tivité de la France. Selon lui, 2013pourraitêtremarquéepardenom-breux«désinvestissements».

DominiqueGalloisetCédric Pietralunga

APSA, la CFDT valide l’accompagnement du plan social

12 0123Vendredi 8mars 2013

Page 13: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

économie

C arrefour se remet en mar-che», annonçait GeorgesPlassat, son PDG, au Monde

aulendemaindesapremièreappa-rition devant les analystes finan-ciers, enaoût2012.

Septmoisplus tard, les résultatsdu numéro deux mondial de lagrande distribution confirment lepronostic. Jeudi 7mars, le groupe afait état d’un bénéfice net plus quetriplé en 2012, à 1,23milliard d’eu-ros.Uneperformanceobtenuegrâ-ce aux plus-values de cessions. Lebénéficeopérationnelcourantbais-se, lui, de 2,6%, à 2,14milliards,mais reste supérieur aux prévi-sions. Sur les activités poursuivies,le groupe a dégagé unbénéfice netde 113millions d’euros, contre uneperte de 1,8milliard (sur le mêmepérimètre) en 2011. Les ventes semaintiennentgrâceauxpaysémer-gentsetaffichentunepetitehaussede+0,9%à76,8milliardsd’euros.

S’il n’est pas encore tiré d’affai-res, Carrefour vamieux. Convales-cente après trois années de direc-tion erratique par le très contestéLarsOloffson, l’enseignerécolte lesfruitsduretourauxsourcesimpul-sé par l’ancien patron de Casino etdeVivarte (LaHalle,André,Kookaï,Minelli), arrivé aux manettes le18juin 2012.

Le redressement de la part demarché du groupe en France (46%de son chiffre d’affaires) semblebien engagé. Grâce à une stratégiede «prix bas toute l’année» sur500produits, lesventesdes rayonsalimentaires des hypermarchésont recommencé à progresser auquatrième trimestre 2012, dans lesillaged’uneimage-prix–lapercep-tionquelesconsommateursontdela cherté d’une enseigne – en amé-lioration.

Mais, amorcé dès l’été 2011, lemouvement a précédé l’arrivée deM.Plassat. Surtout, il demande àêtre amplifié. «Carrefour a baissésesprixsurquelquesproduitsemblé-matiques, mais n’a pas travaillé le“fond de rayon” [les produits nonmajeurs ou non mis en avant pardes campagnes de promotions].Conséquence: le panier réel n’estpas aussi bon marché qu’il yparaît», selon un bon connaisseurdugroupe.

Si Carrefour veut atteindre sonobjectif, il lui faut creuser de nou-veau l’écart avec Leclerc, qui s’estconsidérablement amoindri en2012. Il ne revendique plus que

20,6%de parts demarché en Fran-ce, deux points au-dessus du grou-pe coopératif, alors que quatrepoints les séparaienten2011.

«L’enjeupourCarrefourest de sedifférencier en matière d’offre parrapport à Leclerc. Mais aussi deréduire ses coûts, et notamment lescoûts d’achats, notoirement élevéspar rapport à la moyenne du sec-teur», complètece spécialiste.

En attendant, M.Plassat a suredonner des marges de manœu-vre financièresaugroupe.Hommede terrain,mais aussi habile négo-ciateur, il a dégagéquelque 2,8mil-liards d’euros en vendant les filia-les de Carrefour en Colombie,Malaisieet Indonésie.

Autant de moyens qu’il peutréinvestir dans son parc hexa-gonal, pourmoderniser les hyperset supermarchés, dynamiser lesrayons non alimentaires (textile)oucontinueràouvrirdesmagasins«drive», nouveau terrain de chas-

sede lagrandedistribution.Des évolutions nécessaires,

mais pas suffisantes. «Baisser lesprix,c’estleplusfacile.Resteàredon-ner durablement aux clients l’enviede revenir chez Carrefour», souli-gne notre spécialiste du secteur.Passer, en somme, d’une stratégiedéfensive à une approche plusoffensive:nouvellesmarques,nou-veaupositionnement…

D’où, par-delà l’image-prix, legrandchantierdeM.Plassat:remet-trelesdirecteursdemagasinaucen-tre du dispositif. Objectif : rajeuniruneenseignequinquagénaire,sclé-roséepar des annéesd’administra-tion trop centralisée. Il a déjà enta-mélasuppressionde500postesausiègeetdonnéauxmagasinslahau-te main sur les choix des assorti-mentsou lespromotions.

Mais, dans un groupe où «il fal-lait appeler le siège pour changeruneampoule»,rappelleunobserva-teur, l’apprentissage de l’autono-mie prend du temps. Animationcommercialedesgaleriesmarchan-des, améliorationde l’accueil, de laqualité restent à concrétiser.

«Après les quelque 10000 sup-pressionsdepostesau fil de l’eaudela décennie 2000-2010, le groupe arecommencéà embaucher fin 2012,en priorité au niveau des caisses»,apprécie Bruno Moutry, déléguésyndicalCFDT, qui se dit, toutefois,

«particulièrement vigilant» surl’aspect social de la réorganisationmenéeparM.Plassat. «Laprésenceau Salonde l’agriculture, en février,de Gabriel Binetti, inventeur de lanotion de filière chez Carrefour,témoignede cette volontéde retourauxsources»,remarqueYvesSoula-bail, auteur de Carrefour, un com-batpourlaliberté (2010,éd.LeLouphurlant). «Remettre la fonctionachat au cordeau peut aller vite,réorganiser les magasins est pluslong», estime-t-il.

D’autant qu’en interne la fortepersonnalité de M.Plassat n’aidepas.«Ilest imbuvable,n’hésitepasàinjurier les gens», peste un prochedusiège.«Ilasuinstaureruneéner-gie quineplaît pasà tout lemonde.Mais il a réveillé legroupe», répondunautre.EnBourse,ceréveilestévi-dent:àunpeuplusde20euros,l’ac-tion Carrefour a bondi de plus de45% depuis l’arrivée du nouveaupatron, et prenait encore plus de5%, dans la matinée de jeudi.Même si on reste loin des presque50eurosatteints il y a sixans.

Mais, après les errements desannées précédentes, ce rebondn’estcertainementpaspourdéplai-re auxactionnairesde référencedel’enseigne,BernardArnaultetColo-ny Capital, notoirement discretsdepuisunan.p

AudreyTonnelier

LegrandchantierdeM.Plassatestderemettrelesdirecteurs

demagasinaucentredudispositif

Georges Plassat, PDG de Carrefour depuis juin 2012. VINCENT ISORE/IP3

S urprise à l’assembléegénéra-le du ClubMéditerranée. A laveille de la Journée interna-

tionale des femmes, les actionnai-res, réunis jeudi 7mars à Paris, ontété invités à approuver l’entrée auconseil d’administration de LamaAl-Sulaiman. Une femme de46ans – elle sera la quatrièmeadministratriceduClub.Mais sur-tout une Saoudienne, l’une destrès rares à s’occuper d’affairesdans ce royaume ultraconserva-teur dans lequel les femmes nepeuvent toujours pas conduire enville et ont besoin de l’accord d’unhomme (père, mari…) pour tra-vailler, ouvrir un comptebancaireouencore aller à l’étranger.

LamaAl-Sulaimanseral’unedestoutes premières Saoudiennes àsiéger dans un groupe occidental.Elle était déjà la première à avoirété élue, en 2009, vice-présidentede la chambrede commerced’Ara-bie saoudite.

L’entrée au Club Med de cettepionnière, spécialiste de biochi-mie, n’a rien d’un hasard. Forméedans un lycée français en Arabie,puisenGrande-Bretagne,elleparlefrançaisetanglaiscouramment.Le

Medefl’avaitinvitéeàsonuniversi-téd’été enaoût2012.

Surtout, le conglomérat Rolaco,que contrôle sa famille et dont elleest administratrice, est depuisvingtansunpartenaire-cléduClubau Moyen-Orient. C’est aussi l’unde ses actionnaires importants,avec 5,6%du capital. Il disposeà cetitre de deux représentants auconseil, dont Saud Al-Sulaiman,qui a choisi de passer cemois-ci leflambeau à sa sœur, Lama. L’arri-vée de cette femme, qui porte l’a-baya, levoileislamiquenoirobliga-toire en Arabie, tout en montrantson visage, intervient alors que leClub a pour priorité d’accentuersondéploiement international.

«Quand je suisarrivéà la têtedugroupe, en 2003, l’enjeu était demonter en gamme pour avoir unpositionnement viable, explique lePDG, Henri Giscard d’Estaing.J’avais pensé que c’était jouable encinqans, il ena falludix.»

Ce travail est quasimentachevé,estime-t-il: lestroisquartsdesvilla-ges seront classés 4 et 5 tridents en2015. «Reste une deuxième étape,qui consiste à accélérer l’internatio-nalisation, pour aller chercher la

croissance làoùelle se trouve.»Avec 40% de clients français et

24% issus du reste de l’Europe, lespécialiste des vacances tout com-pris demeure très sensible à laconjoncturequinecessedesedété-riorer sur le Vieux Continent. Denovembre2012 à fin janvier, sonchiffre d’affaires s’est limité à344millions d’euros, soit 2,5% demoinsqu’unan auparavant à tauxde change constant. C’est mieuxque le marché, mais insuffisantpour que le groupe puisse dégagerenfin des bénéfices consistants etverserundividende.

Eclatement du capitalCes dernières années, le groupe

s’est implantéenChine,où lemar-chédu tourismeest enpleinessor.«Après les voyages, les Chinoisdécouvrent les vacances, en seposant à un endroit donné, estimeM. Giscard d’Estaing. Notreformule, avec des activités pour lesenfants et une restauration à lafois chinoise et occidentale,correspond parfaitement à cetteclientèle qui a besoin d’encadre-ment et de sécurité.» Le groupepenseatteindrela taillecritiqueen

Chine en 2015 et y prépare la créa-tiond’unedeuxièmemarque.

L’aventurechinoiseaétémenéeen alliance avec un partenairelocal, Fosun, devenu le premieractionnaire du Club avec 10% desactions et 17% des droits de vote. Ilne pouvait pas aller au-delà jus-qu’à l’assemblée de ce jeudi. A pré-sent, il est libre et «souhaitemon-ter progressivement», indique lePDG – sans dépasser les 30% quil’obligeraientà lanceruneOPA.

D’autant que M.Giscard d’Es-taing semble décidé à maintenirun certain éclatement du capital,reflet de la diversité des partenai-res du groupe. De même queFosun ou la Caisse des dépôts duMaroc ont acquis des actions, ungroupebrésilienpourrait, à terme,entrer au tour de table.

Avec la Russie, le Brésil est undes deux pays où le Club veut serenforcer en priorité. «Nous pour-rions apporter les actifs immobi-liers que nous y avons à un parte-naire local, qui pourrait entrer aucapital, indique le PDG. C’est leschéma envisagé, mais aucunedémarchen’est en cours.» p

Denis Cosnard

UneSaoudienneentreauconseilduClubMéditerranéeLamaAl-Sulaimansuccèdeàsonfrère, Saud.Elle représenteRolaco,quidétient5,6%dugroupe

P ersonne n’échappe à la vigi-lancedesautoritéseuropéen-nes. Joaquin Almunia, com-

missaire européen à la concurren-ce, se veut très clair : l’amende de561millions d’euros, infligéemer-credi 6mars à Microsoft, le géantdes logiciels, pour abus de posi-tion dominante et non-respect deses engagements, est un avertisse-ment. Il s’agit de « dissuaderd’autres entreprises de suivre cemauvaisexemple», a-t-ilexpliqué.

Derrière ce message, c’est Goo-gle, l’autre grandeentreprise amé-ricaine,enpleinprocessusdenégo-ciations avec la Commissioneuro-péenne, qui est visée. A l’instar deMicrosoft, lemoteur de rechercheest soupçonné de profiter de saposition dominante en rediri-geant le trafic Internet qui passeparsonintermédiaireverssespro-pres services.

En condamnant Microsoft, laCommission souhaite s’assurerque Google tiendra ses engage-ments. Car « la firme de Red-mond»,elle,ne l’apasfait.Unepre-mière qui a poussé les autorités àlui infliger lapeinemaximale.

C’est pourtant Microsoft qui,pour éviter une sanction, avaitconclu un accord à l’amiable avecles autorités européennes. Elleavait promis de montrer à sesclients un écran d’accueil leur pro-posant le choix entre plusieursnavigateurs Internet et de ne pluslier son système d’exploitation àsonpropre logiciel.

Cet écran, selon M.Almunia,n’est pas apparu pendant quator-ze mois, entre mai 2011 etjuillet2012, privant de choix plusde quinze millions d’utilisateurs.

Et par là même, privant d’audien-ce tous les petits navigateurs.

Côté Commission, on reconnaîtavoir été «naïf» dans la supervi-sion des engagements pris parMicrosoft: c’est la compagnie elle-même qui était tenue de rendrecompte de ce qu’elle faisait et nonun superviseur nommé par lesautorités. «Il va nous falloir êtreextrêmement précautionneux»dans le contrôle de nouveauxaccords, a indiquéM.Almunia.

«Cette condamnation montreque laCommission surveille, qu’ellene lâche rien et qu’elle suit de prèstous les dossiers», commenteChar-lotteTasso-dePanafieu, avocate aucabinetLexcase.

Le groupe ne ferait pas appel«Nous assumons l’entière res-

ponsabilité pour l’erreur techniquequi a causé le problème et nousnousexcusonsauprèsdelaCommis-sion», a pour sa part réponduMicrosoft. Le groupe continue surla même ligne de défense qu’enjuillet2012, date à laquelle il avaitété dénoncé par un concurrent. Iln’envisageraitpasde faireappeldeladécision.

Quant à l’impact sur l’image deMicrosoft, il ne devrait pas êtreénorme: «Combien de personnesentendrontparlerde cette condam-nation ?, interroge RichardEdwards, du cabinet Ovum. Pasbeaucoup et ça leur sera égal. Enrevanche, les investisseursvontreje-ter la faute sur Steve Ballmer pourqui le début de l’année n’aura déjàpas été glorieuxavec le relatif échecdeWindows8.»p

SarahBelouezzaneetPhilippeRicard (à Bruxelles)

EnsanctionnantMicrosoft,BruxellesadresseunavertissementàGoogleLemoteurderechercheestaussi soupçonnédeprofiterdesapositiondominante

U nan. Il aurafalluprèsd’uneannée pour que Total puis-se commencer à tourner la

page de l’accident survenu sur saplate-formegazièred’ElginenmerduNord.Mercredi 6mars, le régu-lateur de la sûreté britannique(HSE) a donné son feu vert à unredémarrage de ces installationsqui avaient été arrêtées, à la suited’une fuite de gaz survenue le25mars 2012. «Il appartient désor-mais à Total de décider quandreprendre ses opérations», a indi-qué le HSE, qui précise égalementquel’enquêtesurlescirconstancesde l’incident poursuit son cours.

Desoncôté, lacompagniepétro-lière française indique qu’elle necommuniquera, précisément etofficiellement sur le sujet, qu’unefois la productionprête à repartir.

D’oresetdéjà,destestsdesécuri-tésontmenéssur laplate-formeetdes équipes de Total sont mobili-sées, depuis desmois, pour prépa-rerce retourà lanormaleainsiquela reprise de la production.

Maisc’estl’hypothèsed’unredé-marrage progressif d’Elgin qui estretenuepar legroupe.Dansunpre-mier temps, la production devraitrepartir sur quatre puits avantd’être, ensuite, amplifiée.

Même s’il n’avait causé aucunevictime ni provoqué de dégâtsenvironnementauxmajeurs–hor-mis l’émission accrue de gaz àeffet de serre –, l’accident d’Elgin aétéun coupdurpour Total.

Laplate-formeavaitdûêtreéva-cuéeetunpuits avait laissééchap-per jusqu’à 200000mètres cubesdegazpar jour, avantd’être l’objetd’unpremiercolmatageparl’inter-médiaire d’injections de boue, en

mai. Le colmatagedéfinitif, réaliséavecdesbouchonsdeciment,n’in-tervenantqu’enoctobre2012.

L’arrêt de l’exploitation d’Elginet du gisement voisin de Franklinestl’unedesexplicationsàlabaissede la production d’hydrocarburesenregistréeparTotalen2012(–2%).Avant l’accident, Total produisaitsur Elgin-Franklin 130000barilséquivalents pétrole (bep) par jour,une production qu’il partageaitavec l’italienENI, lebritanniqueBGet l’allemand E.ON. Sur cette pro-duction, lapart deTotal semontaità60000beppar jour.

Chute enBoursePourcequiestdel’impactfinan-

cierdecetaccident, legroupeavaitinitialement indiqué qu’il perdait2,5millions de dollars par jour(1,9million d’euros). Cette sommerecouvre à la fois le manque àgagnerliéà l’arrêtdelaproduction(1,5million de dollars par jour) etles coûts de reprise de contrôle dupuits(1milliondedollarsparjour).

Au printemps 2012, le PDG deTotal, Christophe de Margerie,avait estimé que l’addition pour-rait se chiffrerentre230et 310mil-lions d’euros. Une fourchette surlaquelle le groupe ne s’est plusexprimédepuis.

En Bourse, l’accident avait valuà l’action du groupe de sévère-mentdévisser (– 6%), avec, à la clé,une capitalisation fondant de6milliards d’euros. L’annonce dufeuvertduHSEaàpeineréveillé letitre: +0,19% en clôturemercredi5mars, à 39,07euros, encore bienendeçàdes 41eurosaffichés avantla fuite.p

AnneEveno

Totalpeutreprendrel’extractiondegazsurElginLesBritanniquesautorisent leredémarragede laplate-forme,arrêtéeaprèsunefuite, enmars2012

CarrefourcommencelareconquêtedesespartsdemarchéperduesenFranceLenouveauPDG,GeorgesPlassat, reprend lesembauchesetdécentralise lagestionde l’enseigne

130123Vendredi 8mars 2013

Page 14: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Carrefour

I l semblerait que le paquebotCarrefourait commencé àvirer. Le commandant Plassat,

qui a pris la barre il y aunpeuplusde sixmois, a fait bouger laprouedunavire pour éviter desrécifs qui se rapprochaientdange-reusement. La trajectoire est bon-ne,mais vu la taille dubateau, ilest encore trop tôt pour dire si lamanœuvreva réussir.

Pour sonpremier semestre à latête deCarrefour, l’objectif deGeorgesPlassat consistait surtoutà enclencherunenouvelledyna-miqueau seindudeuxièmegrou-

pede distributionmondial. Facileet pas facile à la fois. Facile, parcequ’il n’était quandmêmepas évi-dentde faire pire que la précéden-te direction. Pas facile, parce qu’ila fallu remonter lemoral des trou-pes passablementdémotivées etparce que la conjoncture, elle,s’est considérablementdégradée.

Voilàpour l’environnement,mais après tout, seul le résultatcompteet notamment le résultatopérationnel courant: avant Plas-sat, aupremier semestre, – 7,6%par rapport à 2011. Au second,+0,3%. Pasmal. Et la bonnenou-velle cette année: lesmagasins enFrance contribuent à l’améliora-

tiond’ensemble, alors qu’en 2011,ils plombaient la rentabilité. Pourmémoire, le résultat opérationnelcourant enFrance avait plongédeprèsd’un tiers, pour le dernierexercicedeLarsOlofsson, le prédé-cesseurdeM.Plassat. Cette année,il progressede 3,5%.

LenouveauPDGadonc fait lejob: les frais généraux, qui fri-saient la caricature chezCarre-four, baissent enfin. Les prix dansles rayons aussi et, commeparenchantement, les clients com-mencent à revenir.

Pasde quoi s’emballerDans l’arrière-boutique, ça bou-

ge aussi : la chaîne logistique,mieuxmaîtrisée, a permis de fai-re baisser les stocks.De quoiredonnerunpeud’air à une tréso-rerie, qui commençait à enman-quer sérieusement. Enfin, la dette,réduitedeplus de 37%, revient àdesproportionsplus enphaseavec la capacité dugroupe à géné-rer desprofits. Enmême temps, il

n’y a pas de quoi s’emballer. Lamargeopérationnelle couranteest dedeuxpoints inférieure à cel-le de Casino.

En fait, c’est à l’étrangerqueCar-refourdéçoit le plus. La dynami-que auBrésil reste inférieure à cel-le de son rival français. La rentabi-lité enChine continue à reculer,contrairementà celle d’Auchan.Quant à l’EuropeduSud, entrel’explosiondu chômageet l’austé-rité budgétaire, pas besoinde fai-reundessin pour savoir que lesaffairesde Carrefourne sont pasprèsde s’y arranger.

En arrivant,M.Plassat avait pré-venu: la distributionest une affai-re de détails, d’ajustementsauplusprès du client, de retourauxbases dumétier. Le PDGn’avaitpaspromis le grand soir,maiss’était fixé trois ans pour redres-ser la boutique. Les deuxansquilui restentne serontpas de trop.p

Retrouvez Pertes &profits sur le Net :lauer.blog.lemonde.fr

Commerceextérieur

5,862milliardsC’est l’ampleurdudéficit commercial de la France en janvier, selon leschiffres desdouanespubliés jeudi 7mars.Un chiffre enhaussepar rap-port à décembre2012 (5,418milliards), enpartie en raisond’un recul desexportationsdematérielsde transport.

Médias

Communiquéduconseildesurveillancedu«Monde»Le conseil de surveillance, réunimercredi6mars, a approuvé à l’unani-mité la nominationdeNatalieNougayrèdeauposte de directriceduMonde,membredudirectoire. A cette occasion, le conseil de surveillan-ce a souhaité rendreunhommageappuyéau travail accompli parErikIzraelewicz et ses équipes au cours de ces deuxdernières années. Ila égalementvoulu remercier chaleureusementAlain Frachon, qui aassurépendant troismois, avec talent et expérience, la directionduMondepar intérim. Le conseil a enfin reconduit à l’unanimité LouisDreyfus à la présidencedudirectoireduMondepourunnouveauman-datde sixans. Dans unenvironnementéconomiqueet industriel deplus enplus complexe, le conseil de surveillance a demandéà LouisDreyfus etNatalieNougayrède, associés dans le nouveaudirectoire, depoursuivre la transformationdugroupeenplaçant la révolutionnumé-rique au cœur de leursmandats. p

Pertes&profits | chroniquepar Stéphane Lauer

Commercededétails

Finances

Etats-Unis:premierpasversunrèglementdelacrisebudgétaireLa Chambre des représentants américaine, àmajorité républicaine, avoté,mercredi 6mars, le financement de l’Etat fédéral jusqu’à fin sep-tembre, premier pas vers un éventuel règlement de la crise budgétairequi voit s’affronter, depuis des semaines, démocrates et républicains.A ce jour, l’Etat fédéral n’a le droit de fonctionner que jusqu’au27mars, selon une loi de financement, votée en septembre2012. Sansun accord duCongrès avant cette date pour prolonger ce finance-ment, les services publics non essentiels seraient dans l’obligation defermer, avec des centaines demilliers de fonctionnairesmis encongés sans solde. La semaine prochaine, le Sénat, contrôlé par lesdémocrates, devrait voter sur son propre texte. Les deux versionsdevront ensuite être «réconciliées», avant que le président BarackOba-mane puisse promulguer la loi. – (AFP.)p

RBS: la Banqued’Angleterre prône une scissionLe gouverneur de la Banque d’Angleterre,MervynKing, a appelémer-credi 6mars le gouvernement à considérer une scission de RoyalBank of Scotland (RBS) en deux entités, une «bonne» et une «mauvai-se» détenant les actifs problématiques. Il suggère de faire revenirrapidement dans le giron du privé cette banque nationalisée pen-dant la crise. – (AFP.)

La région deValence sanctionnée parStandard&Poor’sL’agencedenotation Standard&Poor’s (S&P) a dégradé,mercredi6mars, la note de la CommunautéautonomedeValence enEspagne, deBBàBB–, après l’annonced’undéficit à 3,45%de sonproduit intérieurbrut (PIB) en 2012.Un chiffre «significativement» au-delà de la limitefixéepar le gouvernementespagnol (1,5%duPIB), écrit S&P.

C hez lui, le coup de gueule atout d’unemarque de fabri-que familiale : Nick Hayek,

PDGdeSwatchGroup,n’apasfaillià la tradition, mercredi 6mars,dans la nouvelle usine de cadransà Grenchen. Après la votation surle contrôle des salaires des diri-geants suisses, M.Hayek a fustigéceux qui ne se préoccupent que«de distribuer des salaires et desprimes », sans se demander«d’abord comment gagner de l’ar-gent, comment produire et créerdes emplois». Il a épinglé «ceuxqui veulent spéculer sans acheter»autant que les «tractations nébu-leuses» en Bourse ou la nouvelleidole que constitue la création devaleurpour l’actionnaire.

Farouchedéfenseurdela«suissi-tude», lePDGa tenuàéditer le rap-port annuel du groupe en diffé-rents dialectes suisses-allemands,aumoment où le Parlement débatde la définition du «made in Suis-se». «Ce n’est pas 60%de la valeurajoutée de tousnos produits qui estfaite en Suisse [le seuil qui devraitêtre exigé une fois la fois votée],mais bien 100%, même pour nosmontresd’entréedegamme»,s’est-il félicité, faisantallusionà lapetiteSwatch en plastique multicolorequi fêteracette annéeses 30ans.

Swatch Group a déjà publié sesrésultats en très forte croissancepour 2012 avec un chiffre d’affai-res en hausse de 14%, à 8,1mil-liards de francs suisses (6,7mil-liards d’euros), et un bénéfice netde 1,6milliard de francs suisses(+26% par rapport à 2011). Le PDGdunumérounmondial de l’horlo-gerie a maintenu «une prévisionde croissance du secteur entre 5%et 10% en 2013». Il a prévenu qu’ilnefallaitpluss’attendreàdescrois-

sancesfaramineuses(20à30%)enChine, comme par le passé, parceque les Chinoisvoyagentdavanta-ge et achètent à l’étranger.

Sur tous les segmentsM.Hayeknourritdefortesambi-

tions pour sa dernière acquisition– le joaillier Harry Winston – etferatoutpourqu’il rejoigne leclubfermédesmarques de haute joail-lerie «dont le chiffre d’affairesannuel dépasse le milliard defrancs suisses».

Pour autant, le PDG du groupeprésent dans tous les segments demarchés (Omega, Bréguet, Longi-nes,mais aussi Swatchet Flik Flak)restepersuadéqu’il«existe encorebeaucoupd’opportunitésdansl’en-

tréedegammeet lemilieudegam-me» pour assurer sa croissancesur les cinqprochaines années.

Le groupe compte poursuivreson niveau élevé d’investisse-ments, de l’ordre de 500millionsde francs suisses chaque année.Hormis l’usine entièrement auto-matisée de Grenchen, qui produi-ra 75 cadrans par minute sur unsite de 3000m2 sans une once depoussière, une kyrielle d’autressites de production sera bientôtinaugurée, entre autres, ceux deBoncourt, dans le Jura (fourniturede mouvements), ou de Villeret(assemblage). Si ces usines sont deplusenplusautomatisées,legrou-pe poursuit ses embauches plusqualifiées et créera un millier

d’emplois cette année en Suisse.Accusé d’étouffer la croissance

desesconcurrents–commeLVMHou Richemont – en profitant de sasituationdemonopolesurlalivrai-son de certains composants,Swatch serait proche d’un accordavec la commission suisse de laconcurrence (Comco). Un arrange-mentpourrait être conclu finmarsou début avril. Swatch avait étéautorisée à réduire ses livraisons àses concurrents depuis le début del’enquête en juin2011, boulever-sant le paysage horloger et forçantses concurrents à acheter des four-nisseurspoursécuriserleursappro-visionnements. p

NicoleVulser(àGrenchen, Suisse)

économie

TimeWarner se sépare de son pôlemagazinesLe groupeaméricaindemédias TimeWarner a annoncé,mercredi6mars, vouloir se séparer de sa filiale d’éditiondemagazinesTime Inc.,pour en faire une «entreprise indépendante» et cotée enBourse, afin depouvoir se concentrer sur la télévisionet le cinéma. – (Reuters.)

TourismeThomasCook va supprimer 2500emploisLe voyagiste britanniqueThomasCooka annoncé,mercredi6mars, lasuppressiond’environ2500emplois auRoyaume-Uni, ainsi que la fer-meturede certaines agences. Endifficulté, le groupequi emploie autotal 15500personnes indiquevouloir ainsi réduire ses coûts. – (AFP.)

AviationDes vols d’essai pour le 787 bientôt autorisésL’autoritéde l’aviation civile américainedevrait approuverdans les pro-chains jours des vols d’essai duBoeing 787 dont les cinquante appareilssont cloués au sol depuis sept semainesen raisond’unproblèmedebat-teries, selondes sources prochesdudossier. – (Reuters.)

MARS 2013Chez votre marchand de journaux – 28 pages – 4,90 €

Dix ans après,que devient l’Irak ?

Enquête et reportagede Jean-Pierre Séréni et Peter Harling

BILAN D’UNE INTERVENTION OCCIDENTALEScandaledelaviandedecheval: lesecteuraccuselecoupFraisnor, fabricantde lasagnes fraîches, estenredressement judiciaire.GelAlpsest fragilisé

Le groupepoursuit ses embauches plus qualifiées et créera unmillier d’emplois en 2013 en Suisse. FOURMY/ANDIA

Entrèsbonnesanté,Swatchinvestitdansl’automatisationdesesusinesAvecunbénéficeenhaussede26%, legroupepourrait serenforcerdans l’entréedegamme

L escandaledelaviandedeche-val substituée à la viandebovine touche de plein fouet

l’activité des entreprises agroali-mentaires les plus directementconcernées.

Un fabricant de lasagnes fraî-ches,Fraisnor,quiemploie110per-sonnes à Fréchy (Pas-de-Calais) aété placé, mercredi 6mars, enredressement judiciaire assortid’une période d’observation dedeux mois par tribunal de com-merced’Arras.

Durant la première semaineduscandale, les ventes de plats cuisi-nés à base de viande ont régresséde près de 45%. La production deFraisnor a, quant à elle, plongé de70% sur cette période. Les salariés

ont été soumis à des mesures dechômage technique. Inquiets, ilsont manifesté mi-février dans lesruesd’Arrasà l’appeldessyndicatspour inciter les consommateurs àacheter leurs produits et deman-der l’aidedugouvernement.

Des financements coupésFraisnor fabrique des lasagnes

vendues sous marque distribu-teur par les grandes enseignes.L’entreprise a, dans un premiertemps,expliquéquedes testsADNmenés sur des lasagnes au porcs’étaient révélésnégatifs.

Mais un de ses clients alle-mands Aldi, a dit, lui, avoir trouvédes traces de viande de chevaldans des lasagnes au bœuf élabo-

réespar Fraisnoreta suspendusescommandes.

Fraisnorn’estpas laseuleentre-prise à accuser le coup des réper-cussions du scandale de la viandede cheval. Fin février, la sociétéSpanghero, filiale de la coopérati-veLurBerri, avaitobtenudutribu-nal de Carcassonne, d’être placéeen procédure de sauvegarde. L’en-treprise qui emploie 300 person-nes à Castelnaudary dans l’Aude,est suspectée d’avoir frauduleuse-mentétiquetéedelaviandedeche-val provenant de Roumanie.

Si elle a arrêté cette activité denégoce contestée, Sphangheropoursuit ses activités de transfor-mationdeviandeetde fabricationde plats cuisinés. Une production

quitournaità20%desescapacitésjuste après le scandale.

Une autre société traverse unepasse difficile, Gel Alps quiemploie 70 personnes. L’entrepri-se de Manosque qui a constaté laprésence, dans ses frigos, de painsdeviandecontenantduchevalrou-main, avait alerté ses clients et leservice des fraudes. Depuis, sonorganisme de crédit lui a coupél’accès aux financements et cer-tains de ses clients rechignent àpayer leurs factures.

De la viande de cheval avait étédécouvertedanslesraviolisPanza-ni fabriqués par William Saurinavec de la viande achetée à GelAlps.p

LaurenceGirard

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Page 15: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

décryptages ENQUÊTE

Dacca (Bangladesh)Envoyé spécial

En plein cœur de Dacca, unetour en béton de 60mètres dehauteursurplombeunvasteetplat bidonville. On entre dansce bâtiment austère de 20 éta-gespardesportiquesdesécuri-

té, commedanslesiègeden’importequel-le multinationale, sauf qu’ici l’ascenseurmène aux étages «éducation», « luttecontre le changement climatique» ouencore «programmes à destination desultrapauvres».

LeBRACest laplusgrandeONGdumon-de,avecprèsde120000employésrépartisdans dix pays, en Afrique et en Asie. Elleserait aussi lameilleure, d’aprèsun classe-ment publié en janvierpar le magazinesuisse Global Journal, qui a retenu pourson étude les critères de l’« impact», del’« innovation» et de la «durabilité». Laréussite du BRAC, la voici : entre1990 et2010,l’espérancedevieaprogresséauBan-gladesh de dix ans et le taux demortalitéinfantiley adiminuédemoitié. Le tauxdescolarisation des filles a, lui, doubléentre2000et2005,passantà90%.Depuissacréation,en1972, souslenomdeBangla-

desh Rural Advancement Committee, cet-te organisation gigantesque, qui forme1,1milliond’enfantsparandansses38000écoles et emploie 100000 auxiliaires desantédans lesvillages, a révolutionnél’ap-prochedudéveloppement.

Son fondateur, Fazle Hasan Abed,habillé d’un élégant costume sombre àfines rayures, travaille au dernier étagedelatour,dansunbureauencombrédelivreset de trophées. Son aventure dans le déve-loppement commence par la lecture dePédagogiedes opprimés (1970), écrit par leBrésilien Paulo Freire. «J’ai compris que lechangement devait venir des habitantseux-mêmes et qu’il fallait pour cela lesémanciper, leur donner confiance en eux-mêmes. Bref, qu’ils puissent devenir eux-mêmeslesacteursduchangement»,racon-te Fazle Hasan Abed, en s’appuyant sur sacanneenbois verni.

La lutte contre la pauvreté doit doncd’abord s’attaquer aux inégalités et auxrigidités sociales qui empêchent le pro-grès. Au début des années 1970, FazleHasan Abed, aujourd’hui âgé de 76 ans,quitte son travail d’expert-comptablechez Shell, vend son petit appartement àLondres et commence à donner des coursdu soir dans des villages puis à construiredes écoles, sans pour autant devenir unrévolutionnaire. Car il faut aussi de l’ar-gent et créer des emplois pour luttercontre lapauvreté.

L’organisation qu’il a bâtie regroupe,entre autres entreprises, une banque, desélevages de poulets, une laiterie, deschamps de thé et une société de servicesinformatiques. Le tout génère près de 3%du PNB du Bangladesh, mais les profitsimportent peu. Les entreprises sont làpour donner aux millions de fermiers etd’entrepreneurs un accès aumarché. Unelaiterie a été construite pour offrir undébouché aux éleveurs de vaches, et unlaboratoire vétérinaire d’inséminationsartificielles les aide à augmenter leur pro-ductionde lait. Lesprofitsne serventpasàrémunérerdes actionnaires,mais à finan-cer les programmes de développement.C’est ainsi que les nuggets de poulet, lesyaourts qui sortent des usines BRAC ser-ventà formerdeshauts fonctionnairesouà construire des écoles. Quatre-vingtspour cent des programmes de développe-ment sont financés en interne. «Un gagededéveloppementetdestabilité», se félici-te FazleHasanAbed.

Rien, ou presque, n’échappe au BRAC:lutte contre la malnutrition, éducation,

justice, adaptation aux changements cli-matiques, microcrédit, santé… ses servi-ces se superposent quasiment à ceux del’Etat. Si le BRAC ne rend pas la justice, iloffre en revanche les services d’avocatsaux plus démunis pour qu’ils se rendentaux tribunaux.

Ainsi,parexemple,àtroisheuresderou-te de Dacca, dans le district de Kapasia.Assis dans une petite salle d’attente, unhomme a encore les taches du sang de safille, laissées sur son sarong lorsqu’il l’atransportéeà l’hôpitalaprèsqu’elleeutétévioléeparunvoisin.«Jen’auraisprobable-ment jamais eu le courage d’aller au tribu-nal sans l’aidedu centre. Chaque fois que jeme rends au tribunal, c’est une journée detravail et de l’argent de perdu, et puis sur-tout le conseil du village me menaçait dereprésailles si je portais plainte. » A sescôtés, une adolescente, qui dissimule son

visage derrière son sari, est venue accom-pagnée de sa mère pour demander desconseils:«Monmarimebatetréclameunedot supplémentaire.Dans le village, il n’y apersonne pourme défendre et en tant quefemme c’est difficile d’aller au tribunal.Alors le centre tenteunemédiation.»

Dans cette même région, beaucoupd’habitants sont partis travailler à l’étran-ger. Mais l’émigration est une entrepriserisquée. Des intermédiaires vendent defaux visas, de faux passeports ou promet-tent des emplois contre de l’argent. LeBRAC a donc formé des habitants pouraider les villageois à se prémunir contreces fraudes. Dans la cour d’un village, unhomme au corps musculeux, un pagnenoué autour des hanches, anime une réu-nion, assis en tailleur sur une natte.«Depuisquenoussommesunis,lesintermé-diaires n’osent pas nous arnaquer», seréjouit FazlulHaqueSikder.

Les visas distribués aux candidats àl’émigrationsontdésormaisautomatique-mentenvoyésaubureauduBRAC,quivéri-fie leur authenticité auprès des ambassa-des.«Ils sontànotre service, ils nousaidentà nous organiser. Eux, au moins, ne sontpas comme les fonctionnaires qui ne vien-nent qu’une fois par an et qui, après nousavoir serré les mains, vont se les laver»,grommelleunparticipant.

Ces propos font sursauter une des res-ponsablesduBRAC, qui l’interrompt, d’unairgêné:«Nousnecritiquonsjamaislegou-vernement. Nous sommes là pour l’aider.»Pourl’ONG,gérerlarelationaveclegouver-nement est un exercice délicat. FazleHasan Abed a construit son organisationcommeon fonde une nation, au risque defaire ombrage aux partis politiques.MuhammadYunus,l’undesinventeursdela microfinance, l’a appris à ses dépens,puisqu’il a été démis de ses fonctions à latêtedelaGrameenBanken2011par legou-vernement, après qu’on lui eut prêté desintentionsde se lancer enpolitique.

FazleHasanAbedsaitqu’il y aune lignejauneà ne pas franchir,mais n’entendpas

pour autant se taire. Lorsque le gouverne-ment planche sur la construction de réac-teursnucléairesdansunpaysaussi densé-mentpeuplé que le Bangladesh, il s’empa-re discrètement de la question : «On abeaucoupdegensderrièrenouset,bienévi-demment, si des décisions nous semblentinappropriées, nous le faisons savoir augouvernement. » Plutôt que de faireconcurrence aux fonctionnaires, le BRACpréfère d’ailleurs les former. L’organisa-tion possède une université, qui lesaccueille pour de courts séminaires.«Nous les formons pour qu’ils ne devien-nentpas des bureaucratesmais des profes-sionnelsdudéveloppement», justifielepro-fesseur Ainun Nishat, le vice-recteur del’universitéBRAC.

Le géant du développement lance sesprogrammescommeune entreprise cher-cherait à gagner des parts de marché, enpartantdesattentesetdesbesoinsdescom-munautés. Chaque projet pilote est testé,perfectionné,élagué.Lesprogrammessor-tentensuiteduBRACcommed’uneusine:à grande échelle. Avecprès de 130millionsdebénéficiairesdans lemonde, l’organisa-tiona fait sien le slogan«big isnecessary».

Laluttecontrelapauvretépassesurtoutpar l’innovation. «Il faut faire tomber lesbarrièresentrelesdifférentsdomainesd’ac-tivité»,expliqueMariaMay,quiarejointlelaboratoired’innovationsocialeduBRACàsa sortie d’Harvard. Après qu’un employéd’uncentred’aidejuridiqueeutfaitremar-querque les litiges fonciersconduisaientàde nombreux meurtres, des centaines de

géomètresfurentforméspourmesurerlesterres. L’innovation consiste aussi à faireremonter les idées des bénéficiaires. C’est,par exemple, une villageoise qui a trouvélemeilleurmoyen de conserver la tempé-raturedesœufspendant leurtransport,enles enveloppant dans des feuilles de bana-nier.Les idéesd’unbénéficiaire,démunietsans éducation, valent autant, sinonmieux, que celles d’un expert en dévelop-pement,descendude son4×4 luxueux.

L e BRAC, né dans un pays pauvre etfondé par un ancien expert-compta-ble,esttrèssoucieuxdelamaîtrisede

ses coûts. Dans ses écoles, les calendriersont été conçus demanière qu’ils ne soientpas remplacés chaque année. Les salairesde ses employés ne représentent qu’uneinfime fraction de ce que touchent lesexpatriésd’autresONGoccidentales et sesvéhiculesnesontpasaussi rutilants.«Plusonréduitlescoûts,plusonpeutfairedecho-ses», dit simplement Asif Saleh, le direc-teurde la stratégie.

LesuccèsduBRACsonne-t-il leglasd’unmodèlededéveloppementpenséetmisenœuvreparlesONGoccidentales?Uneorga-nisation originaire du «Sud» est-ellemieux àmême de contribuer au dévelop-pement du Sud? «La distinction entre le“Sud” et le “Nord” est artificielle, nuanceMariaMay.Ce qui compte avant tout, c’estd’engagerundialogueaveclespopulationslocalespour trouveravecellesdes solutionslocales,enfaisantfidespréjugés.»Al’étran-ger, les employés du BRAC sont rarementbangladais.Mais lesoriginesde l’organisa-tion sont parfois unatout. «Dans le suddel’Afghanistan, en pleine zone de talibans,nous envoyons des filles à l’école. Les habi-tants nous font confiance car nous avonsmisenplacedescomitésdeparentsd’élèvesauxquelsnousprésentonslescursusd’ensei-gnementet parcequenousne sommespasoccidentaux», reconnaîtAsif Saleh.p

f Sur Lemonde.frVoir le portfolio

«J’aicomprisquelechangementdevait

venirdeshabitantseux-mêmesetqu’ilfallaitpourcelalesémanciper»

FazleHasanAbedfondateur du BRAC

Lamultinationaledudéveloppement

FazleHasanAbed, fondateur duBRAC,dans son bureau àDacca.

JANNATULMAWA POUR «LE MONDE»

Julien Bouissou

NéauBangladesh,leBRACestdevenulaplusgrandeONGdumonde, avec130millionsdebénéficiaires.Cettegigantesqueorganisation lancesesprogrammescommeuneentreprisequichercheàgagnerdespartsdemarché

150123Vendredi 8mars 2013

Page 16: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Les quotas, unmal nécessaireQue pensez-vous de l’obligation de compter 40 % de femmesdans les conseils d’administration des entreprises de plus de 500 salariés ?

C’est sans doute utile,mais c’est dommagede devoir fixer des quotas

C’est indispensable pour faire progresserl’égalité hommes-femmesdans les entreprises

C’est inutile, car cela ne va pasavoir d’impact sur les inégalitéshommes-femmes aux autresniveaux de l’entreprise

Ce n’est pas la bonne démarche,c’est aux entreprises de se fixerleurs propres objectifs

Aucune de ces propositions

Des sanctions financières pour les récalcitrantsSelon vous, les mesures suivantes sont-elles efficacespour réduire les inégalités hommes-femmes au travail ?

Oui, tout à fait Oui, plutôt Non, pas vraiment Non, pas du tout Ne sait pas

49 %

80 %

9 %

8 %3%

31 %

Renforcement des mesures pour conciliervie privée et vie professionnelle

Prise en compte de la mixité dans larémunération dumanagement

Promotion de la mixitédans le système éducatif

Sensibilisation des hommesaux enjeux de la mixité

Mise en place de budgets spécifiques pourréduire les inégalités salariales entre

hommes et femmes

Mise en place demesures contraignantespar les entreprises (ex. : part de femmes

obligatoire dans les candidatures au recrutementou à la mobilité professionnelle)

Signature d’accords avec les syndicats

Coaching des femmespour les accompagner dans leur carrière

35 % 42 % 15 % 4 % 4 %

40% 37 % 14 % 5 % 4 %

36 % 41 % 15 % 4 % 4%

33 % 38 % 19 % 6% 4%

31 % 38 % 19 % 8 % 4%

30 % 39 % 21 % 6 % 4%

28 % 37 % 23 % 7 % 5 %

22 % 35 % 29 % 9% 5 %

46 %

86 %40%

8%

4%

2 %

20 %

33 %

32 %

5 %

10 %

53 %

Les hommes s’affichent en faveur de lamixité...Selon vous, les hommes ont-ils un rôleà jouer en faveur d’un plus grandéquilibre hommes-femmes au travail ?

Oui, tout à fait

Oui, plutôt

Non, pas vraiment

Non, pas du tout

Ne sait pas

Oui, tout à fait

Oui, plutôt

Non, pas vraiment

Non, pas du tout

Ne sait pas

D’unemanière générale, les politiquesen faveur de l’équilibre hommes-femmesau travail ont-elles un impact positifsur les hommes ?

décryptages L’ŒIL DUMONDE

Mixitéautravail:uncapfranchi?

Noussommesen2013et ilyatoujours une Journée desfemmes. Ce vendredi8mars comportera son lottraditionnel de promesseset de bonnes intentions. Si

l’on peut déplorer qu’une Journée soitencore nécessaire pour s’inquiéter de lapersistance d’inégalités, il serait néan-moins abusif de dire que rien ne bouge.2013 pourrait même être une année char-nière, qui verrait la mixité se développerdanslesentreprisesàtouslesniveauxdelahiérarchie, direction opérationnelle etconseild’administrationcompris.

Lesrésultatsdupremiersondageréaliséparl’ObservatoiredelamixitéCapitalcom-LeMondeentre le 12et le 19févrierpeuventle laisser penser. «Ce sujet n’est plus consi-dérécommeuneaffairedefemmes,uncom-bat féministe. Il est désormais perçu com-me un enjeu de société», analyse CarolinedeLaMarnierre,présidentedeCapitalcom.

Or seuleunemobilisationdes hommespourrait faire bouger les lignes. Puisquecesont eux qui tiennent actuellement lesrênes dupouvoir, que ce soit à la directionopérationnelle des entreprises ou dansleursconseilsd’administrationetenparti-culierdans les comitésdenomination,quisélectionnent les candidatsauxplushautsposteshiérarchiques.

D’après ce sondage, il semble qu’aussibien les hommes que les femmes ontdésormais pris conscience de l’intérêtd’uneplusgrandemixité.80%desperson-nesinterrogéesestimentque lesquotasdefemmes dans les conseils d’administra-tion sontunebonnechose,mêmesi beau-coup nuancent leur propos en précisantque c’est unmalnécessaire.

Enoutre,unefortemajorité(86%)consi-dèrequeleshommesontunrôleà jouerenfaveur de l’égalité professionnelle. Et 60%des hommes jugent que les politiquesmenées pour en favoriser l’émergenceaurontunimpactpositifpoureux-mêmes.Alorsqueseulement46%desfemmespen-sentqu’ils enbénéficieronteffectivement.

La partie n’est cependant pas gagnée.On peut en effet se demander si les hom-mes ne tiennent pas là un discours d’affi-chage, pour se montrer vertueux et dansl’air du temps,mais sans faire le nécessai-re pour se donner les moyens d’arriveraux fins qu’ils revendiquent. A la ques-tion: «Quel rôle les hommes pourraient-ils jouer en faveur de l’équilibrehommes/femmesautravail?»,desmesu-respratiqueset concrètes, telle la flexibili-té en termes d’horaires et d’organisation,sont peu préconisées. Les hommes sedéclarent en revanche tout disposés à«combattre les stéréotypes». Ils sontprêts à se battre sur le plan des idées ;moins sur le terrain.

Inquiétanteaussi,cettepositiondesjeu-nesde18à34ansquisontplusde10%àpré-férer que les femmes puissent congelerleurs ovocytes pour remettre leur grosses-se à plus tard, plutôt que d’interdire toutelimite d’âge dans l’avancement d’une car-rière.Orces limitespénalisent les femmes,quidoiventinterrompreleurparcourspro-fessionnel lorsde leurs congésdematerni-té, alors qu’elles ont entre 30 et 40ans,annéesconsidéréescommecruciales.

La situationactuelle, qui voit la présen-ce des femmes s’accroître rapidementdans les conseils d’administration – là oùla loi l’impose –mais stagner dans les ins-tances de direction opérationnelle, peutaussi laisserdubitatif.

MmedeLaMarnierreseveutnéanmoinsoptimiste:«Nousavonspasséuncap. Ilyaunan,cetteprisedeconsciencedesavanta-gesdelamixitén’auraitpasétéaussiparta-gée. Cela ne veut pas dire que le problèmeest réglé. Mais ce sujet qui était tabou nel’est plus.»

Marie-Claude Peyrache, cofondatricedu programme BoardWomen Partners,confirme elle aussi qu’«une dynamiques’installe». Son programme vise à mettreen relation des femmes candidates à despostes d’administratrices et des diri-geants-administrateurs de grands grou-pes européens pour que ces derniers leurouvrent les portes. Et ça marche : «Lesétats d’esprit ont beaucoup évolué. L’écartentre la féminisation des conseils d’admi-nistration et celle, bienmoindre, des comi-tés exécutifs, va poser problème. Ça ne vapastenir.DesPDGs’ypréparent.Lesautres,ceuxquinefontrien,vontêtreconfrontésàde grandesdifficultés.»

Abonentendeur…p

AnnieKahn

Administratrices Les entreprises duCAC40comptent, enmoyenne, 23,4%de femmesdans leur conseil d’adminis-tration, selonCapitalcom.Mais 18%despetites sociétés françaises cotées n’ontencore aucune femmeà leur conseil,selon un rapport du cabinetGouvernan-ce et structures (G&S).

Dirigeantes opérationnelles Les fem-mesne représentent que 7,9%desmem-bres des comités exécutifs des entrepri-ses duCAC40, selonCapitalcom. Pluslargement, seules 3%des entreprisescotées sur Euronext Paris ont une femmepourPDG, ou directrice générale, selon

G&S. Leur nombre n’a augmenté que de1%enunan.

Ceque dit la loiCelle, dite«Copé-Zim-mermann»du27janvier 2011, relativeà lareprésentationéquilibréedes femmesetdeshommesauseindesconseilsd’admi-nistrationetdesurveillancedessociétésfrançaises imposeunquotade20%defemmesdanscesconseils desociétéscotées,de taillemoyenneougrande,avant le 1er janvier2014; et de40%en2017.Undécretpublié le 19décembre2012sur l’égalitéprofessionnelle entre leshommeset les femmes imposeauxentre-prisesde réaliserun rapport sur cesujet.

Leshommessedéclarenttoutdisposésà«combattre

lesstéréotypes»

L’égalitéhommes-femmesenentreprise?SelonunsondageCapitalcom-«LeMonde»,lesmessieurssedisentpour... enthéorie

La loi demeure lemeilleur levier pour favoriser l’égalité

16 0123Vendredi 8mars 2013

Page 17: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

décryptages L’ŒIL DUMONDE

Source : Capitalcom – Le Monde ; infographie Le Monde

Lamixité adoucit les mœurs en entrepriseSelon vous, quels sont les bénéfices pour une entreprise à s’engageren faveur de l’égalité hommes-femmes ?

Améliorer le climat social

Développer unmanagementplus humain

Améliorer sa réputation etson image

Renforcer l’efficacité etla performance

Mieux comprendreles besoins de ses clients

Stimuler l’innovation

Promouvoir des pratiquesplus éthiques

Attirer de nouveaux salariés

Il n’y a aucun bénéfice

Ne sait pas

Congeler ses ovocytes pour faire carrière ? Pourquoi pas

Plus de 10 % des jeunes adultesl’envisageraient

En raison de contraintes de gestion de carrière,les femmes doivent souvent choisir entre être promues ouavoir un enfant. Pour éviter ce dilemme, préféreriez-vous ?

Résultats par tranche d’âge

Qu’aucune limite d’âge ne soit autoriséequand il s’agit d’accorder une promotion ouun quelconque avantage lié à la carrière

Que les femmes puissent congelerleurs ovocytes pour remettre leur grossesseà plus tard et ainsi concilier désird’enfant et désir de carrière

Ne sait pas

21 %

15 %

12 %11 %

11 %

10 %

9%

9%

1% 1%

15 %

10 %

6 %5 %

0%

78 %

16 %

6 %

29%

27%

22 %

20 %1 % 1 %25 %

22 %

17 %

17 %

15 %2 % 2 %

Quel rôle les hommes pourraient-ils joueren faveur de l’équilibre hommes-femmesau travail ?

Combattre les stéréotypes

... mais sans s’en donner lesmoyens

Accroître la flexibilité dans l’entreprise :horaires, organisation du travail, etc

Aucune de ces propositions

Favoriser l’équilibre hommes-femmes au sein des équipes

Etre attentif à l’équilibre hommes-femmes au quotidien

18 - 24 ans 25-34 ans 35 -49 ans 50 - 64 ans 65 ans et plus

Ne sait pas

S’ouvrir à d’autres points de vue

Développer de nouvelles pratiquesmanagériales

Mieux concilier vie privée etvie professionnelle

Améliorer l’ambiance de travail

Favoriser l’émulation et la créativité

A l’inverse, c’est un risquede discrimination pour les hommes

Aucune de ces propositions

Quels pourraient-être, selon vous,les bénéfices au quotidien pourles hommes d’une démarche demixité ?

VirginieCalmelsAnciennePDGd’EndemolMonde, administratrice d’Iliadet d’EuroDisney

QuandVirginieCalmels intègresonpremier conseil d’administra-tion, celuid’Iliad,maisonmèredeFree, en2009, la loi sur lesquotasn’existaitpas.Mais cette jeunefemme,alors âgéede39ans, étaitPDGd’EndemolFrance,doncbon-ne connaisseusedu secteurdel’audiovisuelet de ses réseaux.Elleavait connuMaximeLombardini,directeurgénéral et administra-teurd’Iliad, dans ses fonctionspré-cédentes, lorsqu’il était directeurgénéraldeTF1Production– clientd’Endemol.

Cedernier lui proposeunposteau conseiloùdeux femmessié-geaientdéjà:Marie-ChristineLevet, directricegénéraledugrou-peTest, etOrlaNoonan, secrétairegénéraledugroupeAB.

Troisansplus tard, le 8janvier,VirginieCalmels ajouteunenou-velle fonctionà sonCV: elle estnomméeprésidenteduconseil desurveillanced’EuroDisney, enremplacementd’Antoine Jean-

court-Galignani, 75 ans, préci-se-t-elle,paspeu fière.«C’est plusfacilededireauxenfantsque l’ontravaillepourMickey!», ajou-te-t-elle. Sa sociabilitéet sonaptitu-deà saisir les occasions favorablesladistinguentpourune carrièreéclair.

Diplôméede l’Ecole supérieurede commercedeToulouse, d’undiplômed’expert-comptableet decommissaireauxcomptes, et del’Insead, écoledemanagement

internationale,elle vientdedémis-sionnerde laprésidenced’Ende-molMonde. Pouruneaventureentrepreneuriale, encoresecrète.

Cen’est pas l’argentqui lamoti-ve, dit-elle.Mais l’enviedemon-trer cedontelle est capable.«Onestdansunmondemacho.C’estbiende surprendrecesmessieurs!»Longtempshostile auxquotas,elledit avoir assoupli saposi-tion.p

A.K.

Agnès LemarchandPrésidente exécutive deSteet-leyDolomite Limited, adminis-tratrice d’Areva, CGGVeritas,Saint-Gobain (à partir de juin),Mersen (qu’elle quittera enmai)

«J’ai eude la chance», répèteAgnèsLemarchand, 58 ans, pourexpliquerses succèsprofession-nels.De la chance? Peut-être.

Mais, surtout, de fortes compéten-ces industrielles etmanagériales,uneardeur au travail, unegrandedétermination,et du courage.

Sonpremierpostelui sert derampede lancement: ingénieurechezRhône-PoulencSanté (Sanofiaujourd’hui), elle améliorede 35%laproductivitéduprocessusdeproductiondevitamineB12. Cette

diplôméede l’Ecolenationalesupérieurede chimiedeParis, duMassachusetts InstituteofTechno-logy (Etats-Unis) etde l’Insead, éco-ledemanagement internationale,estpropulséedirectricegénéraled’une filiale dugroupe cinqansaprès sonarrivée.

Farouchementproactive,quandelle estimesamissionaccomplie, ellen’hésitepas àdémissionnersi aucunposte inté-ressantne lui est proposé. Frappeauxportes, quitte à«fairedespieds et desmains, se battre, pourconvaincre».

Elle réussit sans fairepartied’aucuncercle.«Mes réseaux sontles personnesque j’estimeprofes-sionnellement,avec qui jem’en-tendsbien.»Elle insiste. «Ma réus-siteprofessionnelleest aussi liée àcetteauxiliairedepuériculturequis’est occupéedemesdeuxenfantspendantquatorzeans.»

AgnèsLemarchandsait appré-cier le talentdes autres. p

A.K.

PascaleAugerEx-vice-présidente deCapge-mini Consulting, administratri-ce deManutan International

«Il fautarrêterd’exigerdes fem-mesqu’elles remplissentdes critè-resque l’onn’exigepasdeshom-mespourêtreadministrateur.Com-med’avoir vécuauxEtats-Unis, etd’être indiennedepréférence.Onpeut trèsbienavoiruneexpérience

internationalesansavoirété enpos-teà l’étranger», s’insurgePascaleAuger.«Mafille, âgéede 10ans,m’a fait énormémentprogresserenmanagement.Carunenfant fonc-tionneplusà l’influencequ’à l’auto-rité»,plaide-t-elle.

Cette centraliennede50ans,docteurenorganisationet infor-matiqueindustrielle, ex-vice-prési-dentedeCapgeminiConsulting,

est administratricedeManutanInternational,uneentreprisedetaille intermédiairecotée surEuro-next, spécialiséedans laventeenlignede fournituresetd’équipe-mentspourentreprises.

«Entrerdansunconseil d’admi-nistrationpermetde contourner leplafonddeverre», défend-elle, àl’encontrede lapenséedominan-te,qui prône l’inverse.A savoirqu’une femmedoitavoiruneexpé-riencededirigeantepourêtreadministratrice. «Mais il y ena trèspeudans cecas! Car les comitésexé-cutifs et les comitésdenomina-tions sontcomposésd’hommes.Peude chancequeçabouge!»

Elledoit sonentréeauconseildeManutanauprésidentde cetteentreprise, Jean-PierreGuichard. Ilvoulait intégrerdesadministra-teurs indépendants.PascaleAugerprésidedésormais le comitéd’audit, grouped’administrateursplusparticulièrementchargéd’examiner les états financiers.Preuveque lagreffeabienpris.p

A.K.

«Dansunmondemacho,c’estbiendesurprendrecesmessieurs!»

MARC BERTRAND/REA

DR

DR

«Fairedespiedsetdesmains,sebattre,pourconvaincre»

«Entrerdansunconseilpermetdecontournerleplafonddeverre»

170123Vendredi 8mars 2013

Page 18: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Onpourra dire que les suicides par le feude chômeurs en fin de droits sont desdrames personnels ou, au contraire,qu’ilssontlesigned’unecrisesocialedutravail portée par la mondialisation,comme on l’entend aussi. On pourra

encore dire qu’on ne les comprend pas bien et qu’un«Observatoire» de plus serait utile pourpréserver lesplus vulnérables d’entre nous par une action éclairée.Un «volet humain» compléterait ainsi les politiqueséconomiquesencours.

Mais soyons concret: ces immolations cherchent àrendrevisiblecetterévolteenpublic.Cesontdessuici-desdeprotestation.LaChineest leseulpaysaumondeoù les femmes se suicident plus que les hommes: lesuicide demeure une des armes de protestation dontelles disposent pour lutter contre lemépris tradition-nel attachéà leur sexe.

Les suicides de chômeurs nous en disent plus surl’état de nos institutions que sur le malheur des chô-meurs. Les sociologues Christian Baudelot et RogerEstabletontproposéd’allerau-delàdeDurkheimetdeFreudpourexpliquer les suicidesdont l’intentionvin-dicativeestavérée.Quand lesdestinatairessontexpli-citement désignés par le choix des lieux, l’institutionoùprendce feu est clairementvisée.

Le 13février, ce fut Pôle emploi. Son personnel, enmissionimpossible,estsansdoute l’amortisseurprin-cipal de la crise de l’emploi.Mais après la fusion ratéede l’ANPE et de l’Assedic et au-delà de l’augmentationréelle des effectifs en 2012, si les agents amortissent lechoc, c’est malgré l’organisation officielle du travail.Ils répètent, à tort ou à raison, que dans la course aux

chiffres, ils passentplusde tempsàprouverqu’ils tra-vaillent qu’à aider les usagers. Cette tyrannie du chif-fre est symbolisée par les radiations automatiques.Ellesontbondideprèsde25%endécembre2012.Beau-coupd’agentssoutiennentqueleurmétiers’estabîméet que la diminution des spécialistes, dans le maquisd’une réglementationproliférante, dégrade la perfor-mance: par des traitements demasse qui impliquentde segmenter les publics selon des standards rappe-lantlaproductionindustrielle.Pourtanticic’estlarela-tionde servicequidéfinit la qualitédu travail.

Dans son dernier rapport, le médiateur de Pôleemploi, Jean-LouisWalter, tire la sonnette d’alarme. Ilpréconise demettre fin aux radiations automatiquespour un rendez-vous manqué. Il note aussi la bien-veillancedes agents.Mais il voit que lamansuétude àl’égarddesusagersn’est pluspartagéepar tous.

En fait, les postures de métier plient sous la pres-sion du réel, et le professionnalisme risque de se fen-dre.De leurcôté, lesassociationsdechômeursveulentdonner leur avis sans avoir l’accueil qu’il faudrait.Quant à la direction de Pôle emploi, elle expérimentedans son coin une organisation du travail pour fairegagner du temps aux conseillers. Elle repère en petitcomité les «irritants», qui provoqueraient les grince-mentsdans les agences. Les énergies sontdissipées.

Onnepeut faire face auxdramesdu chômage–au-delà des choix politiques et économiques qui seulspeuventpermettrede le faire reculer– sanspermettreà ceux qui sont en première ligne à Pôle emploi derefaireuntravailsoigné.Pouryparvenir,c’estl’institu-tion qu’il faut soigner en levant un déni: la directiondePôleemploi, lessyndicatsdupersonnel, lesassocia-tions de chômeurs et le gouvernement lui-mêmen’ontpaslesmêmescritèrespourévaluerlaqualitédutravail dans les agences.

Leschômeurss’yrendentaveclabouleauventre.Ilsy retrouvent toutes ces contradictions réunies aumême endroit. La responsabilité de ceux qui dirigentleservicepublicdel’emploicommedeceuxquifontlaconvention d’assurance-chômage – le patronat avecune partie des syndicats – est d’instruire ces conflitssans tricher avec le réel.

Même dans l’urgence, il faut refaire l’institutionensemble. En acceptant deparler desdifférends sur laqualité du travail pour trouver les compromis aux-quelsnuln’a encore complètementsongé.p

pPôleemploi,uneinstitutionàrepenser

Beaucoupd’agentssoutiennentqueleurmétiers’estabîméetqueladiminutiondesspécialistesdégradelaperformance

pDétressedessalariésautravail et chômagesont liésLuttonscontrecefléausocial

décryptagesDÉBATS

Lamondialisationdelafinanceetdel’économie s’est construite sur lemodèle libéral et s’est ainsi soumi-se à l’idéologie individuelle etconcurrentielle. Ces pratiques ontamené chaque instance économi-

que à défendre ses propres intérêts de façonisolée, la finance contre les Etats et les entre-prises, ceux-ci contre les salariés, et pour cesderniers le chacun pour soi ! Ce que l’onappelle«crise», c’est l’impassedecettepyra-mide «concurrentialiste», dont le sommetfinanciers’est emballépour finirpar s’effon-drer, entraînant les autres acteurs dans sachute.

Lafinanceinternationale,malgrésesfailli-tes, veut restermaître du jeu, et par un effetdomino,c’estlapopulationquipayelafactu-re. Tous les salariés sont concernés par ladégradation de leurs conditions de travail,par la chute de leurs revenus, par le chôma-ge,quipeuventconstituerunegraveatteinteà leur santé dont on ne prend pas assez lamesure.

La crise n’a fait qu’accentuer les dérivesmanagérialesdéveloppéesdepuislesannées1980 qui ont exposé les salariés (cadres,employés, ouvriers) à ce que l’on nommeaujourd’huiles«risquespsychosociaux». Ilsdoivent s’adapter en permanence à de nou-velles exigences, entraînant le stress au tra-vailetdeseffetsd’usureprofessionnelle. Iso-lés face à des objectifs individuels imposéspar lahiérarchie, sansque le sensde leur tra-vail ne leur soit toujours explicité, ils sontconfrontés à l’obligation de concilier lescontraires: faire vite et bien.

Les produits ayant une action sur le cer-veau (dits «psychoactifs» : alcool, drogues,médicaments psychotropes, etc.) permet-tent souvent de supporter cette contradic-tionpendantuntemps,maisenmasquantlaréalité. Il fautrepérerleglissementquis’opè-re à travers l’usagede ces substances: c’est laperformance qui est recherchée, la capacitédefaire face, ladrogueestdevenueladope!…Cet usage addictif aggrave le risque suicidai-reenfacilitant lepassageà l’acte.Lecontexterelationnel devient plus dur ; l’égoïsmegagne. Cette implication personnelle tou-jours plus intense provoque ou facilite desrelations perverties au cœur du collectif detravail, avec sa forme la plusmenaçante, cel-le duharcèlement.

Certainesméthodesnouvelles,enparticu-lier le privilège accordé aux gestions parobjectifs, à l’évaluation individualisée desperformances, confrontent chaque salarié àses limites personnelles et relationnelles: ilne faitplus sontravail, il està sontravail.Cespratiques déstructurent les valeurs de réfé-renceautravailbienfait,à lacompétencepro-fessionnelle.

Trop longtemps la souffrance psychiqueau travail a été considérée comme résultantexclusivementde la personnalité du salarié,de son histoire, de son état psychique; et lesdirigeants ont cherché àmédicaliser cemal-êtrepourenextirpertoutedimensioncollec-

tiveettoutlienavecl’organisationdel’entre-prise: ilsparlenttoujoursde«personnesfra-giles» et bien trop rarement de «personnesfragilisées»!

Commentnepasrappelerquelemomentdu licenciement constitue unvéritable chocpsychologique,parfoisaggravéparcertainespratiques patronales, qui font comprendreaux salariés qu’ils ne sont qu’une variabled’ajustement dans le budget de l’entreprise,etqu’onpeutlesjetersansaucuneconsidéra-tion pour leur personne? Mais qui aujour-d’huisepréoccupedecetraumatismepsychi-que,alorsquel’ondéploielescellulespsycho-logiquesaumoindre événementprésentantunedimensionémotionnelleparticulière,etdoncsurmédiatisée?

Après le licenciement économique ou lesplanssociaux,c’est le chômagequi s’installe.Letravailestunorganisateurdevieetderen-contres.Lechômageprovoquel’isolementetla désocialisationdu travailleur, qui se trou-ve dépourvu des liens interpersonnelsnoués au travail. Sans repère social, en diffi-cultédanssasphèrefamiliale, lechômeurvaêtre exposéau repli, et à la dérivedépressiveetmortifère; le risque suicidaire s’aggrave.

Le chômage, la précarité, la pauvreté, lesurendettement fragilisent l’ensemble de lasociété qui présente, selon un sondagerécent réalisé par Ipsos pour Le Monde, «ungoûtdedésespéranceprononcée» ; les jeunesdont le chômageconstitue lepremier travailsont fragilisés par cette difficulté à s’insérerdans la vie économique, et à trouver ainsileurplace, facteurd’identitépersonnelle.

Malgré cela, le lien entre chômage etmal-être n’a toujours pas suscité une mobilisa-tion des responsables de la santé publique;depuis le début de la crise financière fin2008,laDirectiongénéraledelasantén’apré-conisé aucunemesure spécifique! Le salariévictime d’un plan social ou d’un licencie-mentéconomiqueperd tous ses liensavec leservicemédical de l’entreprise qu’il est obli-gé de quitter, et aucune instance sanitairen’est chargéede s’occuperde sonavenirper-sonnel et médical ; c’est au moment mêmede sa carrière où il a souvent besoin d’êtresoutenuet accompagné,que lamédecinedutravail l’abandonne!

Il fautmettreenplaceunemédecinepourles chômeurs, comme il en existe une pourles travailleurs, chargée, au moins pendantles deux années suivant la rupture ducontrat de travail, de suivre le devenir de cessalariéssansemploi,etdeconseillerlesinter-ventions(médicales,psychologiques…)éven-tuellementnécessaires.

Il faut parler du mal-être des femmes etdes hommes, de leur souffrance, voiremêmede leur suicide, ce qui n’est pas aggra-ver le sentiment de désespérance, mais aucontraireaffirmerlerefusde leur fatalitéparunchoix solidaire.

C’est unmessagede vie!p

Le 13février,DjamalChaar, chômeurenfindedroits,s’est immolépar le feudevant lePôleemploideNantes.Le4mars, àPau,unsalariédeFranceTélécomamis finàses joursdans lesmêmesconditions.Le6mars,unenouvelle tentatived’immolationaeu lieudans l’agencePôleemploideBois-Colombes.Faut-il analysercesactesdedésespoircommeun«dramepersonnel», telque leprésidentHollandeaqualifié le suicidedeDja-malChaar?Nes’agit-ilpasaussid’unedéstructurationsocialequi frappe lesmilieux lesplusprécaires?Dansunesociétéencrise, où l’Etatest enmutation, sedon-ner lamort revient-ilà faireactedeprotestationpubli-quecontre lesdérivesdumanagementau travail?

YvesClotTitulaire de la chaire de psychologie du travaildu Conservatoire national des arts etmétiers

Ilfautmettreenplaceunemédecine

pourleschômeurs,commeilenexiste

unepourlestravailleurs

MichelDeboutProfesseur demédecine, présidentde l’association Bien-être et société

Lasouffranceautravailàsonparoxysme?

18 0123Vendredi 8mars 2013

Page 19: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

NicolasRenahyDirecteur de recherche à l’INRA

de Dijon (Centre d’économie et sociologieappliquées à l’agricultureet aux espaces ruraux)

décryptagesDÉBATS

Depuis plus de deux décen-nies, les professionnels desanté mentale décriventdes manières de souffrircaractérisées par des senti-ments d’insuffisance à

l’égard des attentes sociales et dans les-quelles l’estime de soi tend à s’effondrer.

Cette souffrance leur apparaît nouvel-le en ce qu’elle estmoins caractérisée pardes problématiques du conflit que pardes problématiques de la perte dans les-quelles lapeurdeneplusy arriver, le sen-timent de ne pas être à la hauteur desattentes, de ne plus pouvoir se mobiliserpour assurer dominent le tableau.

La capacité à agir et à se projeter dansl’avenir est au cœur des difficultés dusujet. Tous s’accordent sur ce point. Par-fois, on le constate trop régulièrementdepuis quelques années, cette incapacitéengendre un désespoir tel qu’il conduitauxpiresextrémités– jusqu’àuneimmo-lation, acte qu’on croyait le privilège desociétés ne faisant pas encore partie de lamodernité individualiste démocratique.

Lanouveautéestquelasouffrancepsy-chique est devenueune souffrance socia-le, une souffrance dont l’étiologie réside

dans la société et dont la substance est ladifficulté d’agir. La notion émerge et sediffuse au croisement de deux grandestransformations : les normes et lesvaleurs de l’autonomie sont devenuesnotre condition ; parallèlement, etnouées à l’autonomie, les questions desantémentale sont passées au centre despréoccupations.

Au cours des quatre ou cinq dernièresdécennies, les normes et les valeurs dechoix, de propriété de soi et d’initiativeindividuelle,mais aussi d’indépendance,decompétitionetdecoopérationontpro-gressivement imprégné l’ensemble de lavie sociale. Elles ont conduit à une accen-tuation de la responsabilité de chacun àl’égard de ses actions.

Dans l’entreprise, par exemple, l’orga-nisation taylorienne/fordienne du tra-vailconsisteàcoordonnerl’actionendivi-sant le travail et en soumettant les sala-riés à une discipline mécanique sous lahoulette de l’ingénieur. L’équation per-sonnelle est faible.

L’organisationdutravail flexible,com-me le rappelle déjà en 1995 un rapport deprospective du Commissariat général duPlan, «Le travail dans vingt ans», passepar « la capacité à mobiliser ses connais-sancespourrésoudredesproblèmes, le rai-sonnement, la capacité à communiqueren groupe, la créativité (…) à tous lesniveaux alors qu’autrefois les compéten-cesétaient l’apanagede l’encadrement.Lemaître mot est celui d’anticipation, qu’il

s’agissederéagirà l’imprévudanssontra-vail de tous les jours ou depouvoir affron-ter des changements techniques ou orga-nisationnels».

Le problème n’est alors plus la coordi-nation de l’action, mais la coopérationdes individus. On passe du travailleurqualifié, pour lequel la discipline visait àla mécanisation de l’obéissance, au tra-vailleur compétent, qui doit adopter unelignedeconduite.L’équationpersonnelleestforte.Ladisciplinechangedesignifica-tion: elle est subordonnéeà la visée d’ob-tenir de l’initiative individuelle et doncdes capacités à s’auto-motiver.

L’autonomie est un système de rela-tions sociales orienté vers le développe-ment intensif de l’initiative personnelle.Elle impliqueunemobilisationdesdispo-sitions individuellesetmetdoncenrelieftoutcequi relèvede lapersonnalitéouducaractère des salariés.

De là, la centralité de la santé mentaleet, à travers elle, du souci pour les émo-tions, le contrôle émotionnel et pulsion-

nel. La psychiatrie est la disciplinemédi-cale qui s’occupe des pathologies invali-dant la liberté et la vie de relationsde l’in-dividu.Lasantémentaleenestuneexten-siondontl’objetest faitdesmultiplespro-blèmes relationnels (familiaux, de tra-vail,d’école,decouple,etc.).Saparticulari-téestqu’elletraitede lasocialitéde l’hom-me d’aujourd’hui en attribuant des cau-ses ou des raisons à des problèmes, trèsgénéralement liés à des relations sociales– la souffranceautravail, laphobie scolai-re, l’hyperactivité de l’enfant, le stresspost-traumatique, etc.

Lasantémentaleestconnectéeàl’auto-nomie de la façon suivante: aux change-mentsdanslamanièred’agirqu’est l’auto-nomie correspondent des changementsdans la manière de subir qui renvoient àlasouffrancesociale.L’adjectifsocialdési-gne une extensiond’usage du concept desouffrance psychique: d’une raison de sesoigner à une raison d’agir sur des rela-tions sociales perturbées.

Aujourd’hui, l’expression de problè-mes, conflits ou dilemmes dans les ter-mes de la souffrance individuelle est unedéclarationqui aunevaleurpouragir surun problème commun: le suicide d’unsalarié est ainsi, à tort ou à raison, lemar-queur tragique du mauvais fonctionne-mentdesrelationsdutravailde l’entrepri-se à laquelle il appartenait.

La santémentale est un jeu de langagepermettant de donner forme à desconflits de relations sociales. Il fait quoi

ce jeu de langage? Il met en relationmal-heur personnel et relations sociales per-turbées (injustes, perverses ou traumati-santes). Il permetainsi l’expressionsocia-lement réglée de la plainte, car la plainteestunactedeparole,cequiveutdirequ’el-le est adressée à des interlocuteurs quidoivent la comprendre et l’utiliser pouragir.Encesens,ce langageunit lemalindi-viduel à unmal commun.

Les pathologies de la vie de relationssont devenues des pathologies sociales,c’est-à-dire demalheurs personnels dontla signification réelle réside dans lesdésordres du groupe – ceux de l’entrepri-se, de la politique, voire du monde engénéral. Leur valeur de critique sociale etpolitique est le fruit d’un contexte parlequel l’injustice, l’échec, la déviance, lemécontentement ou la frustration ten-dent à être évalués par leur impact sur lasubjectivitéindividuelleetsur lacapacitéàmener une vie autonome.

Tout cela trouvedans la santémentaleun espace de représentations collectivesà travers lequel s’exprime l’attitude denos sociétés à l’égard de l’adversité et del’infortune produites par des relationssociales.

Autrement dit, la santé mentale est laforme individualiste de traitement de ceque les Grecs appelaient les passions – lepathos désignant ce qui vous affecte etvous emprisonne, le subi, la souffrance.En elle s’intriquent nos régimes d’actionet de passion. p

Réagissant au suicide de Djamal Chaar le13février devant une agence Pôle emploide Nantes, le président socialiste Fran-çoisHollandeadèslelendemainrenvoyél’acte à un «drame personnel». La perted’emploi, l’expérience du chômage et de

l’instabilité constituent effectivement une profonderemiseencauseindividuelle,quelsquesoientlasitua-tion professionnelle antérieure et le milieu considé-ré. Le travail constitue toujours dans notre société laprincipale source de reconnaissance, le perdre faitcourir le risque de l’inexistence sociale. Est-ce pren-dre toute la mesure du sens donné à l’immolationpubliquedeDjamalChaarquede rapportersonsuici-de à une fragilité intimeoupsychologique?

Le suicide est un phénomène que les sociologueséclairentà leurmesurede longuedate.Dès 1897, Emi-le Durkheim démontrait que sa récurrence statisti-que «varie en raison inverse du degré d’intégrationdes groupes sociaux dont fait partie l’individu». Denombreuses recherches confirment régulièrementcesconstats : le tauxdesuicidedansunesociétéestauplusbas en situationde croissance économiqueet dedéveloppement des infrastructures de protectionsociale (commeentre1945 et 1975); ce sont les exploi-tantsagricoles (etparmi euxceuxà la têtedes exploi-tations les plus fragilisées), les ouvriers et lesemployés qui, alternativement selon les périodes,sont les catégoriessocioprofessionnelles lesplus tou-chéespar le phénomène.

Au-delàdesdramesindividuelsquiémergentrégu-lièrementdansl’espacepublic,nousnepouvonsigno-rer que le suicide est un fait social. Car face à la criseéconomique, mêlée à la remise en question de l’Etatsocial, c’est bien la question de l’intégration socialedesmembres lesplus fragilisésdesclassespopulairesqui est posée.

Djamal Chaar, qui avait apparemment été décora-teur de théâtre il y a quelques années, vivait commede nombreux travailleurs subalternes contempo-rains une situation professionnelle instable, faite depériodesdetravauxdemanutentionenintérimentre-coupéesd’inscriptions régulières à Pôle emploi.

Du fait des nombreuses restrictions et de la com-plexification croissantedes critèresd’attributiondesdroits en matière d’allocation-chômage, sa dernièrerequête auprès de Pôle emploi a été – d’après lestémoignagesdes conseillersparusdans la presse – decomprendre les raisons pour lesquelles il ne pouvaitbénéficier de nouveau d’une allocation, et devait quiplus est rembourserun indude600euros.

Un courriel envoyé à Presse Océan la veille de sonsuicide indique qu’il avait compris : « J’ai travaillé720heures et la loi, c’est 610heures. Et Pôle emploi arefusé mon dossier.» Au vu de son acte dramatique,

nuldoutequ’ilenéprouvaunprofondsentimentd’in-justice, devenupour lui irréversible.

Car la questionde l’égalité, des droits et devoirs dechacun–enunmotdelajusticesociale–estuneques-tionqui taraude ceuxqui ne disposent que de faiblescapitauxéconomiquesetculturels.Enmilieupopulai-re, tout écart à la norme va souvent de pair avec unepossible mise à l’écart du groupe d’amis, de parentsoude voisinage.

Un signe d’embourgeoisement trop démonstratifpeutêtre sanctionnéd’uneaccusationde«fierté», uncomportement qui dénote une prolétarisation va depair avec une stigmatisation («fainéant», «kassos»).Ce sens de la justice sociale de la morale populaireprend sa source dans des conditions de vie difficiles,maispartagées. Et il ne s’appliquepas seulementauxamis où collègues, mais est aussi une exigence quis’adresse auxdominants.

Lors de nos enquêtes, un ouvrier du bâtiment auchômage nous déclarait ainsi s’être pour la premièrefois réellement intéressé aux scrutins électoraux en2012 du fait de la fragilisation de sa situation profes-sionnelle: «Si Sarko repasse, dès la première offre queturefuses tuseras radié (ça, çam’amarqué…scinder lepeuple entre l’ouvrier et le chômeur, ça m’a révulsé!),c’estpasnormal.T’asencoredesdroits, ledroitdechoi-sir ton travail, les offres qu’on te donne.»

Ainsi que le demandait Djamal Chaar, cet ouvrierréclamedurespect. Il veut«faire valoir sesdroits sansdemander l’aumône», pour reprendre la formule delasociologueYasmineSiblot.Commenombredesala-riés subalternes, il alterne entre fatalisme et révolteface à l’évolutiondes conditionsd’attributionde l’as-surance-chômage.

Même si elles sont de moins en moins représen-téesdans l’espacepublic, les classespopulairesconti-nuent de structurer fortement la société françaisecontemporaine: d’après l’Insee, plus d’un actif surdeux est aujourd’hui ouvrier ou employé. Renvoyerla détériorationde leur condition à des «dramesper-sonnels» ne peut suffire à masquer le déficit crois-sant d’intégration sociale de leurs fractions les plusprécaires. Ce déficit ne tient pas que de l’état critiquede la conjoncture économique actuelle, il est aussipourpartie liéauxmutationsde l’Etatetauxtypesdepolitiquespubliquesmenéesdepuisplusieursdécen-nies.p

pStigmatisationdessalariésLemanagementestcoupable

EnFrance, la perted’emploi com-me le mal-être au travail peu-ventconduireàunmêmedéses-poir. Si les immolations par lefeu choquent particulièrement,les suicides de chômeurs et de

salariésfontdésormaispartiedenotrequo-tidien. A cedésespoir prend sapart undis-coursselon lequel les Françaisauraientunrapport malsain au travail. Peu enclins àtravailler, ceux-ci auraient tendance à selaisser assister et, lorsqu’ils travaillent, ilsseraient surtout occupés à défendre leursacquis. Ce discours s’est imposé en 1984autourd’uneémissiond’Antenne2 intitu-lée «Vive la crise» avec Yves Montand etreprise dans unnuméro spécial de Libéra-tion. Il s’est renforcé avec lamise en placedes35heures.Onaainsipuentendrelepré-sidentSarkozyexhorterlesFrançaisàréha-biliter la«valeurtravail».

Ce climat de discrédit jeté sur les sala-riés français est déconnecté de la réalité :on sait que de nombreuses catégories nebénéficient pas des 35heures, et surtoutque la productivité horaire en France estunedesplusélevéesaumonde.Mais il faitrégner une suspicion généralisée. Ceuxquisontauchômagefont-ilstoutcequiestpossible pour retrouver du travail ? Ceuxqui sont au travail font-ils ce qu’il fautpour être compétents et performants? Lalettre envoyée récemment par MauriceTaylor, le PDG américain de Titan, auministre du redressement productif,Arnaud Montebourg, dans laquelle il semoque des salariés français (« Ils ont uneheurepourleurspausesetleurdéjeuner,dis-cutent pendant trois heures et travaillenttrois heures»), aurait-elle été imaginablehorsd’un tel contexte?

On aurait tort de sous-estimer l’effetdélétèredecettesituationsurceuxquiper-dent pied dans le marché du travail oudanslesentreprises.Loindesedéculpabili-ser d’un chômage devenumassif, de pres-sions souventdémesuréesau travail, ils sesentent stigmatisés. Ils ne trouvent aucu-ne compréhension et encore moins decompassion chez leurs concitoyens. Ilssont désespérément seuls dans l’épreuvequ’ils traversent, seuls et honteux.

Maisnombrede recherchesmettent enévidenceque cette suspicion, cette défian-ce (qui aggravent ainsi le désespoir desexclus de l’emploi et des naufragés du tra-vail) sont le socle du modèle managérial

français, celui qui le rend néfaste tant dupoint de vue des conditions de vie au tra-vailquedel’efficacitéglobaledesentrepri-ses. Les travailleurssontainsidoublementvictimestandisquelemanagementquilesprécarise objectivement et subjective-ment est dédouané.

En effet, le management français,convaincu que les salariés dont il a «héri-té»nesontpas les«bons»etgalvaniséparce discours de discrédit ambiant, s’est lan-cé dans une bataille identitaire sans pitiépour les faire plier et les contraindre d’ad-hérer à son idéologie et sa rationalité. Surla base d’une politique systématique d’in-dividualisation, la modernisation mana-gériale s’affirmeainsiparunepolitiquedeprécarisation des salariés, une précarisa-tion objective comme subjective. Auxcôtés d’offensives idéologiques et éthi-ques destinées à modeler les esprits, àséduire,àpersuader, lemanagementcher-cheàinstaurerlesconditionsobligeanthicet nunc les salariés à devenir les alliésinconditionnels de leur entreprise, lesrelais dociles de ses choix et objectifs dansle cadre d’un capitalisme de plus en plusfinancier.

Sur le fil du rasoirPour remporter cette victoire, lemana-

gement mise sur l’emploi précaire (CDD,intérim, travail à temps partiel et saison-nier) commemodalité disciplinaire, pourles jeunes surtoutquiveulent trouver leurplace sur lemarché du travail. Et il s’éver-tue àprécariser, subjectivement cette fois,les salariésbénéficiantd’unemploi stable,pour asseoir sur eux aussi une emprisesans faille. A cette fin, il est parti en guerrecontre les ressources dont disposent cessalariés stables, c’est-à-dire leur métier etleur expérience qui leur permettent demaîtriser leur fonction, d’alléger les diffi-cultésetdesedoterd’unpointdevueargu-mentésurleurtravailopposableauxdirec-tives, aux critères et méthodologies de lahiérarchie.

Lesmultiples restructurations, change-ments qui balaient les entreprises françai-ses de façon frénétique ont ainsi souventpour objectif de fragiliser des salariés quiont sans cesse tout à réapprendre pourconserver leur poste, et qui se sentent enpermanence sur le fil du rasoir face à desobjectifs démesurés et des évaluationsindifférentesau travail réel.

Loin demiser sur l’intelligence collecti-vepourinnoveretgagnerdespartsdemar-ché, le management français a opté pouruneattaqueenrèglede laprofessionnalitéetdel’engagementdesessalariés,compro-mettant leur santéphysiqueetpsychique,tout autantquenotre avenir.p

¶Nicolas Renahy est l’auteur

des «Gars du coin,enquête sur une jeunesse rurale»,

La Découverte, 2010

Onpassedutravailleurqualifié,quiobéit

ousuitlesinstructions,autravailleurcompétent,

quidoitadopterunelignedeconduite

AlainEhrenbergSociologue, directeur de recherche

au CNRS et à l’EHESS

DanièleLinhartSociologue du travail. Directricede recherche émérite au CNRS

Laquestiondel’égalité,desdroitsetdevoirsdechacun–enunmotdelajusticesociale–taraudeceuxquinedisposentquedefaibles

capitauxéconomiquesetculturels

pLespathologiespsychiquesdel’individunaissentdetensionssociales

pLesuiciderelèveaussidufaitsocialDéficitd’intégrationdesclassespopulaires

190123Vendredi 8mars 2013

Page 20: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

F rançoisHollandeest-il abon-néaucompteTwitter«SunTzudit»qui, quotidienne-

ment, livredeuxcitations tiréesdeL’Artde laguerre, le recueilmillé-nairedustratègechinois? Le 11 jan-vier, quelquesheuresavant l’an-noncepar leprésidentdudébutdel’opération«Serval» auMali, lapremièremaximedu jourprofes-saitque,«à laguerre, tout estaffai-rede rapidité.Onprofitede cequel’autren’estpasprêt, on surgit àl’improviste».

La coïncidenceest frappante,maisondoute toutdemêmequeSunTzu, quin’eut jamaisà connaî-treTombouctou,Gaoet l’AdrarduTigharghâr,ni l’usagedeshélicop-tèresTigre,ni ledjihadismedéterri-torialisé,puisseêtred’unequelcon-queutilitédansunconflitpourlequel les risquesd’enlisementont

été soulignésaussitôtprise ladéci-siondes’y engager, au sol, contrai-rementaudispositifqui avait étéretenupour la Libyeen2011.Apei-neuneguerreest-elle engagéequ’oncherchepourtantunefeuillede route,unprécédentauquel se raccrocher.Commepourmieuxendeviner l’issue,maisavec le soucique laguerred’avantne ressemble jamais à lasuivante.

Apremièrevue, les troupes fran-çaisesontd’autantmoinsbesoind’unappareillage théoriquepouraffronter lesgroupes radicauxrepliésdans lenordduMaliqu’el-lesviennentdequitterenAfgha-nistanun théâtrequiprésenteplusd’unesimilitudeavec levasteterritoiredans lequelelles évo-luent:un relief accidentépropiceàla retraiteet à ladissimulation,qui

réduit l’asymétrieentreunegué-rilla etunearméemoderne,desennemis indépendantsde toutestructureétatiqueet susceptiblesdes’affranchirdes contraintesfrontalières.

Le retrait français anticipéd’Afghanistanaaussi souligné leslimitesde la théorie faceà laprati-que, cinqansaprès la spectaculaireréhabilitationd’unexpertmilitai-re françaisde la contre-insurrec-tion,DavidGalula, par legénéral-penseuraméricainDavidPetraeus.Cedernier, dansdesaccèsde fièvrepresquemystiques,allait jusqu’àen faireunégaldeCarlvonClausewitz.

Mais les tactiquesprônantunusagecirconstanciéde la force,tiréesdes réflexionsd’unofficierrestémarginalauseinde l’institu-tionmilitaire,n’ontpas empêchéque les troupesaméricaines soientcontraintesàune retraited’Irak.Uneretraite certesordonnée,maislepaysn’apas retrouvédepuisunequelconquestabilité.Quantaudépartd’Afghanistanprévuen2014parBarackObama, il risqued’être suivid’une remiseenques-tiondes institutions laborieuse-mentet coûteusement installéesdansunpays restédésarticulé.

La situationauMali, parhomo-thétie, serait doncpromise irrémé-diablementàun fiascosi ellen’ap-

pelaitpasuneautrecomparaison,établieàParisparuncadrede l’Ins-titutde recherchestratégiquedel’Ecolemilitaire,MichelGoya, colo-neldans les troupesdemarine.Pourcedernier, c’estducôtédesmassifs tchadiensetde la luttecontre les combattantsduFrontdelibérationnationaleduTchad,dans lesannéespompidoliennespuisgiscardiennes,que l’onpeuttrouver lesplusgrandes similitu-desavec lesopérationsmenéespar l’arméefrançaise…auxcôtésdecombattants tchadiensdirigésaujourd’huipar ceuxque lesFran-çais combattaient il y aquaranteans, ce qui laisseàpenser.

Similitudedu terrain toutd’abord,partagéentreunvaste«paysutile» etdes reliefsenclavésaunord.Moded’engagementensuite,de lapartd’unenationquipart seule –etnonpasen coalition,commeenAfghanistanet enLibye–, quelsque soient les élémentsdelangagedestinésàentretenir l’illu-siond’unecoordinationavec latroupedupayshôte. Forcesenga-gées, enfin,prochesdecelles requi-sesenAfghanistan.

«C’est le seul exemplede contre-insurrectionréussi, estimeMichelGoya.Dans lepaysutile, on s’estattaquéauxcausesdusoulève-ment,on s’est immergéet, dans leNord,onapratiqué la traqueet la

destruction jusqu’àcequ’onaitjugéqu’onavait remportépratique-mentunevictoire tactique.C’esttrès importantd’être capabledejugerqu’àunmoment le combatdevientvainetque sapoursuitegénèremêmedeseffets contre-pro-ductifs. Faceàuneorganisationnonétatique, il nepeut jamais, pardéfinition,yavoirdevictoiredéfini-tive.»

D’autantque les combattantsqu’affrontent les soldats françaiset tchadiensseraientd’uneautretrempe–auxdiresde l’expertnourrides confidencesdesoffi-ciers françaisprésents sur le ter-rain–que les«intermittentsafghans,moinsbien équipéset sur-

toutmoinsdéterminés»que lesdji-hadistes retranchésdans lesmon-tagnesduMali, quin’hésitentpasà recourirà l’attentat-suicide,«lemissilede croisièredupauvre».

Cen’estdoncpasuneguerremaisdeux, avec leurs logiquesetleurs impératifs spécifiques,quiseraientparallèlementen courssur le solmalien:unassautbref etviolentdans les confins septentrio-nauxetuneconquête lenteetopi-niâtredesâmesetdes cœursdansles zonespeuplées, contrôléespen-dantmoinsd’unanparunecoali-tionrebelle auxcontours fluc-tuants, la seconden’étantpas lamoinscompliquée.

Lesanalogieshistoriquesquibrouilleraient lesespritsplusqu’el-lesne les éclaireraient, l’expertmilitaireGérardChaliand, cetesprit curieuxdesconflits asymé-triques, s’enméfied’ailleurscom-mede lapeste.«Tout ceque l’onpeutdirepour l’instantauMali,c’est constaterque les risquesd’enli-sement sontnulsdans leNord,unezonesous-peupléeoù il n’yapasdebase socialedans laquelle se fon-dre,unepopulationàgagner.Danscette zone, l’objectif restede fairesaigner l’adversaire, surtout si onarriveàéliminerdes cadres, com-meonenaurapeut-être la confir-mation,pourque sa réorganisa-tionse compteenannées.»

Unobjectif assezéloignéde l’es-thétismedeSunTzu, pourquil’unedes formessuprêmesde laguerreconsistaità obtenir lerenoncementde l’adversairesansavoir àengager le combat. Jeudimatin7mars, ladernièremaximetweetéedustratègechinois rappe-laitque«qui sait commanderaussibienàunpetitnombrequ’àungrandnombred’hommesseravic-torieux». Certes. Toutcompte fait,FrançoisHollanden’estpeut-êtrepasobligédes’abonnerà«SunTzudit».Oualors seulementpoursedélasser. p

[email protected]

Cen’estpasuneguerremaisdeuxquiseraientencours:unassautbrefetviolentdansles

confinsseptentrionauxetuneconquête lenteetopiniâtredesâmesdansleszonespeuplées

International | chroniqueGilles Paris

SunTzun’apasfait leMali

P endantsesloisirs,leprésidentdu Conseil constitutionnel,ancienmagistrat, a déjà écrit

unedemi-douzainederomanspoli-ciers et plusieurs essais historiquesou politiques. Avec sa compagne àlaville,ValérieBochenek,metteuseen scène et proche disciple dumime Marceau, Jean-Louis Debrés’attaque aujourd’hui à une stimu-lante galerie de portraits de fem-mes, pionnièresen leurdomaine.

Le plus réjouissant dans cetteentreprise tient au ridicule deshommes qui tentèrent de leur fer-mer la voie du pouvoir ou de l’em-ploi. Que de trésors rhétoriquesdéployés pour les confiner chezelles! L’histoire d’Elisa Lemonnier,pionnière de l’enseignement pro-fessionnelféminin,cellesdeMade-leineBrès,quiouvrit lavoiedudoc-torat enmédecine aux femmes, deJeanneChauvin, première avocate,oudeMargueriteDurand,créatricede La Fronde, seul journal entière-ment fait par des femmes, regor-gentdepathétiquestentativesmas-culines pour étouffer leur ambi-tion. Le plus souvent, celle-ci n’estpas personnelle mais collective etdestinée à sortir le «deuxièmesexe»de sanuit sociale.

PrenezJulie-VictoireDaubié,quiobtint à 37 ans, le 17août1861, sonbaccalauréat, après moult tentati-ves pour s’inscrire: bien qu’elle aitréussitouteslesépreuves, leminis-tredel’instructionpublique,Gusta-ve Rouland, lui refuse un diplômeofficiel,auprofitd’unesimpleattes-tation «pour ne pas ridiculiser le

ministère». Il faudra l’interventiondu saint-simonien Arlès-Dufourauprès de l’impératrice Eugénie etseptmois d’attentepour obtenir leparapheofficiel.

On peine aujourd’hui à imagi-ner la force des réticences qui ani-maient la franc-maçonnerie avantquecettesociétén’yadmettelapre-mière femme, Maria Deraismes,une conférencière et féministedéterminée.Lesauteurs rappellentunarticlede LaRépubliquemaçon-niquedu23octobre1881quientendfixer la répartition des rôles : «Al’hommel’actionextérieure,àlui lesluttes de la vie et de la tribune. (…)Alafemmel’actionlente,douceetper-sévérantedufoyer. (…)Lafemmeres-te cequ’elleest : lamère, lanourrice,l’éducatrice de nos fils.» Et puis, les« frères» avancent un argumentimparable: comment les femmesseraient-elles capables de garder lesecret sur leur appartenance à uneloge?!

Que dire encore de l’argumentdu sénateur Gourju, qui, lors d’undébat dans l’hémicycle, assène :«Admettre les femmes à exercer laprofession d’avocat, les admettre àceministèreessentiellementmascu-lindeladéfensejudiciaire,c’estvou-loir les changer en hommes ! »Soyons juste, les auteurs rendentaussihommageà tous leshommesqui ont embrassé la cause del’émancipationféminineetpermisqu’elleadvienne.

Evoquervingt-sixdestinéespeucommunesn’autorisaitguèred’ap-profondissement.Mais les auteursréussissentàfairesurgird’unpassépas si lointain – pour l’essentiel leXIXesiècle – une série de portraitsvivants et instructifs. Une bonnelecture au XXIesiècle, pour ne pasoublier.p

BéatriceGurrey

décryptagesANALYSES

Lelivredujour

Rectificatifs&précisions

Ces femmes qui ont réveilléla Francede Jean-Louis DebréetValérie BochenekFayard, 372 p., 21,90¤

UN MOIS DANS LE MONDE

Le Monde mensuel vous offre un retour complet sur les sujets

essentiels du mois écoulé avec une sélection d’articles parus

dans le quotidien, ses suppléments et dans M le Magazine.

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LE MONDE MENSUEL N° DE MARS À RETROUVER EN KIOSQUE

Vingt-sixpionnières

GrandParis Contrairementàcequenousavonsécrit dans l’ap-pelde«une»duMondedatédu7mars consacréauxnouvelleslignesdemétroduGrandParisExpress, l’achèvementdes travauxn’estpas retardédedixans,maisdecinqans. Par ailleurs, selon les

élémentsdontnousdisposonsactuellement, la Seine-Saint-Denisdevraitêtreenpartiedesservieen2023.Enfin,uneerreurde tracé surnotrecarteenpage11 laissait sug-gérerque la lignequenousnom-mions 15bétaitunevariante, cequin’estpas le cas.

20 0123Vendredi 8mars 2013

Page 21: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

culture&styles

Arts

Londres

L ’expositionlaplusremarqua-ble et la plus profondémentdéconcertante que l’on puis-

se voir ces temps-ci se tient auBri-tish Museum à Londres. Ice AgeArt traite de la représentationhumaineet animale aupaléolithi-que supérieur, dans la périodecomprise entre -40000ans et-10000ans et un espace quis’étend de l’océan Atlantique aulac Baïkal, en passant par les val-lées de la Dordogne, du Danube etduDon.

Une part majeure de ces repré-sentations ne peut être évoquéequepar la photographieet le film:lesparoisdesgrottes,peinturesougravuresdel’âgedelagrotteChau-vetàceluideLascaux.Aussil’expo-sition se consacre-t-elle aux sculp-tures et gravures sur ivoire, os oupierreet–raretésabsolues–mode-lages de terre cuits au feu. Si lesœuvres àmotifs animaliers abon-dent dans l’art préhistorique, lesfigurations humaines ont long-temps été considérées commeexceptionnelles. Aujourd’huiencore, bien que leur nombre sesoit accru grâce aux fouilles deMoravie et de Sibérie, elles for-ment, proportionnellement, unepart restreinte de l’ensemble desobjets retrouvés.

D’ordinaire, les musées quiconservent ces reliques ne les prê-tent guère, pas plus l’Ermitage àSaint-Pétersbourg que le Muséedes Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye. Or, à Londres,non seulement près de 250piècessont rassemblées,mais il neman-que que peu des plus illustres: laVénusdeWillendorf,celledeLaus-sel ou la tête de jeune femme à lacoiffure quadrillée de Brassem-pouy. La géométrique Vénus deLespugue, lamatrone de terre cui-te de Dolni Vestonice, la sidérantestatue en calcaire d’une femmeenceinte trouvée à Kostienki sontaussi venues. Et, pour le bestiaire,le mammouth aux pattes jointesde Montastruc et, du même abri,lesdeuxfabuleuxrennes couchés,le cheval sautant de la grotte desEspélugues, le bison d’ivoire enronde-bosse de Zaraysk, la tête deliondeVogelherd,d’autresencore.

Ces œuvres, qui ont été décou-vertes à partir du dernier tiers duXIXesiècle, sont pour la plupart depetites dimensions, sinon de l’or-dredelaminiature.Ellessontréap-parues souvent à l’état de frag-ments éparpillés qui ont étéremontés jusqu’à reconstituer,parfois entièrement, statuettes,baguettes ou propulseurs ornés.Leur pouvoir de fascination estimmense. Alors que l’expositionattire, comme il sedoit, des foules,

les salles sont silencieuses. On ymurmure à peine. On attend sontourpourdévisagerunmoment latête de femme qui a été, il y a30000ans, à Dolni Vestonice,dégagéedansunedéfensedemam-mouth.

Elle est petite – 4,8cmdehaut –,le visage étiré, le nez long et droit,les contours des yeux et les lèvresnettement incisés, la chevelurearrangée en un volume ovale.L’œil gauche et la lèvre supérieureprésentent des déformations quiont été interprétées par certainscomme les traces d’une blessure.Ces signes ont été mis en rapportavec la découverte, dans une tom-be dumême site, des restes d’unefemmedontlecrâneindiquequ’el-leaurait étégravementblesséeà laface,mais aurait survécu. Dès lors,l’hypothèsed’unportrait a été for-mulée.C’estallerviteetétablirunecorrélation entre des élémentsdont on ne peut démontrer qu’ilsfurent contemporains: la blessureet la sculpture.

C’est aussi supposer que cettedernière relèverait du plus strictréalisme et que, si ses lèvres sontdissymétriques, celles du «modè-le» l’étaient. On ne peut l’exclure.Onnepeutexclured’autresmodesde compréhension, notammentceux qui s’attacheraient aux

contraintesmaté-riellesdel’exé-cution –creuserl’ivoireavec deslames desilex quis’usentetcas-sent – et ceuxqui feraientobserver lagrande variétédes styles mis enœuvre. Sur cesite, le supposé«portrait» fémininaétéretrouvéencom-pagnie de pendentifsqui schématisent par lagéométrieseinsetphallusetqui, dans les termesactuels,tiendraientd’uneabstractionsym-boliste ; et encore d’un masqueplat incisé de trois traits pour lesyeux et la bouche. Cela pour lesœuvres d’ivoire, car, parmi cellesdeterrecuite, ladameauxhan-ches larges, au nombrilsaillantet aux seins lourds ettombants a, en place de tête,une sphère fendue d’une lignecourbeetcreuséedequatrecupu-les. Des fragments d’autres figu-res ont été aussi exhumés, suggé-rant vulves, pénis, ventres ouseins. On prend peu de risques enen déduisant que ces modelagesont àvoir avec la sexualité.

Onn’enprendpasplusenobser-vant que les habitants de cetendroit étaient susceptibles decréer dans des genres plastiquesdifférents les uns des autres, com-

plémentairesplutôtquecontradic-toires. Ils savaient être proches dela réalité anatomique, mais aussil’exalterparlescourbesoularédui-re àune formeà la fois très épuréeet sanséquivoque.Lamêmediver-sité est flagrante end’autres lieux.A Kostienki, le calcaire se prête àun travail en ronde-bosse d’unnaturalisme exemplaire ; mais ilconvientaussibienàdesreprésen-tations du corps plus schémati-ques, que l’ivoire permet égale-ment, tout comme les incisionsdelignes parallèles ou les ponctua-tions de trous disposés en cerclesconcentriquessurdes plaques.

Sans doute certains de cesobjets étaient-ilspris dansdes sys-tèmes sociaux ou religieux. Peut-être participaient-ils à des rites.Maisdécrirecequ’étaientcessystè-mes et ces rites enprojetant sur cepassé plurimillénaire ce que l’eth-nographie a pu étudier depuisdeux siècles chez les Yacoutes ouenOcéanie, c’est seprécipiterdansuncomparatismehasardeux.Aus-

si, devant ces sculptures offertes àtous les songesetparéesdupresti-ge de leur extrême ancienneté, lemieux semble parfois de mettreen suspens ces questions, de toutefaçon insolubles, et de les considé-rer d’une autre manière: commelescréationsd’hommesoudefem-

mes–onn’ensaitriennonplus– qui s’appliquaient à déga-ger de la matière des for-mes intelligibles, affron-taient des difficultés, fai-

saient des projets, s’y atta-quaient, échouaient, recommen-çaient, essayaient d’autres solu-tions, y prenaient du plaisir et endonnaientàd’autres.Lemot«artis-te» leur convient assez bien.p

PhilippeDagen

Ice Age art. Arrival of themodernmind, British Museum, Great RussellStreet, Londres. Tous les jours de 10heu-res à 17h30, vendredi jusqu’à 20h30.Entrée : 10£ (11,57¤). Jusqu’au 26mai.

Propulseur sculpté en formedemammouth (cornederenne). THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM

Degauche à droite :Vénus deGrimaldi (stéatite) ;portrait de femmedeDolni Vestonice (ivoire) ;Vénus de Lespugue (ivoire demammouth) ;fragment gravé d’un renne (os).RMN/JEAN-GILLES BERIZZI ; DR ; THE BRITISH MUSEUM; MNHN– MH/DANIEL PONSARD

vendredi à 11h45

avec

au micro d’Agnès Soubiran sur France Info

franceinfo.fr

Plantudévoilesondessindu jour

Alorsquel’expositionattire,commeilsedoit,desfoules,lessallessont

silencieuses.Onymurmureàpeine

Desfragmentsontétéexhumés,suggérant

vulves,pénis,ventresouseins

Eclatsdegrâceàl’âgedeglaceALondres,uneexpositionrassembleprèsde250sculpturesetgravuresdatantdupaléolithique.De l’art,déjà?

AvecdesjeunesduMirail,Rezaveutfairementir lesclichés

C ommepromisen septem-bre2012, Rezaest revenuàToulouse. Lephotographe

d’origine iranienne,qui avaitexposé la fameusephotode sonamiMassoud, le combattantafghanmort en2001, et d’autresclichés sur les bergesde laGaron-ne, anime juqu’au9marsunate-lierphoto avecune cinquantained’adolescentsdesquartiersHLMduMirail. L’opérationestunéton-nantmélangedemarketingetd’humanitaire.Un fabricant japo-nais aoffert 50appareilsphotonumériques, aussitôtdistribuésaux jeunesquimitraillaientdèslepremier jour lorsde la conféren-cedepresseorganiséeenprésen-cedesparents etdes entreprisespartenaires.«Depuis qu’ils ontleurappareil, ils ne veulentplus lelâcher», se réjouitReza. ClémentPoitrenaud, rugbymanduStadetoulousain,était égalementde la

partie –photographeamateur, ilest leparrainduprojet.

Les jeunesduquartiermontre-ront leursmeilleurs clichésenseptembre lors duMoisde lapho-to, annonce lemairede laville,PierreCohen (PS). Elles serontexposéesdans lanouvellemédia-thèqueduMirail,mais aussi dansle centre-ville. Cinqphotogra-phes, sélectionnésparRezaparmiquinze candidats, suivront lesadolescentschaque semaine. Lephotographeaménagédeuxautres rendez-vousdanssonagen-dapourvenir constater les pro-grèsde sesprotégés.«Je suis làpourallumer le feu»,dit-il.

Architectede formation, Rezaest aussi làpour «déminer» leprojetde constructiond’unemai-sonde l’image, annoncéepour fin2014par lamunicipalitédans lequartierduMirail. Lesplansdecet imposantbâtimentde 15mil-

lionsd’eurosontétéprésentésenmars2012. Il doit symboliser lanouvelle imagede cesgrandsensemblesd’habitat social,aujourd’hui stigmatisés. Livrésauxdémolisseursqui ont abattudesbarres entièresd’immeubles,tournant lapagede l’urbanismededalle conçupar l’architecteGeorgesCandilisdans les années1960, lesquartiersqui composentcequi allait être la villenouvelleduMirail sont encoreen chantierundemi-siècleplus tard.

Fausse prophétieCesquartiers avaient le triste

privilègede figurer chaqueannéeenbonneplaceaupalmarèsdesvoituresbrûlées, établi par leministèrede l’intérieur.«Lamai-sonde l’image risquedebrûlerquelquesmoisaprès son inaugura-tion»,prophétisaitunenseignantde l’universitéduMirail, elle aus-

si enpleine reconstruction.C’estpour fairementir cepronosticqueReza s’est engagéàToulouse.Lephotographeexpliquequ’il estdéjà intervenudansdes condi-tionssocialesplusdégradéesenco-redansunebanlieuedeNaples.«J’ai donnédesappareils photoàdesenfants dansunquartier où35%deshommesétaientenpri-son. Ils ont fait un travail formida-ble», racontait-il lors de laprésen-tationde l’opération toulousaine.

Rezametaussi régulièrementenavant son travail pédagogiqueengagéàKabouldepuisdix ans. Ily aouvertuneécole qui a forméunecentainede journalistesavecAina, l’ONGqu’il a fondée.ATou-louse, le photographe,qui seveutaussi«humaniste»,ademandéaux jeunesde travailler sur le thè-me«ma terre,ma famille».p

StéphaneThépot(Toulouse, correspondant)

210123Vendredi 8mars 2013

Page 22: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

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400 EXERCICES POUR AMÉLIORER VOTRE GRAMMAIRE

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Rock

A sa mort, le 18 septembre1970, à l’âgede 27ans, le gui-tariste et chanteur améri-

cain Jimi Hendrix avait laissé à lapostérité trois albums enregistrésen studio et un en concert. Depuis1995, après desannéesdeprocédu-res, la famille d’Hendrix gère etcontrôle l’héritagemusical du gui-taristeauseinde lastructureExpe-rienceHendrix,L.L.C., remettantdel’ordre – parfois discutable – dansune masse de disques posthumesofficielset depublicationspirates.

Un quatrième album studio,d’après les notes d’Hendrix, auraainsiétérecrééen1997,FirstRaysofthe New Rising Sun. South SaturnDelta et Valleys of Neptune ontnotamment suivi, sous étiquette«nouvelle musique d’Hendrix».Jouant, comme aujourd’hui avecPeople, Hell and Angels, sur lesmots,puisqu’ils’agitsurtoutdever-sions différentes de compositionsdéjà publiées, avec parfois des iné-dits qui relèvent plus de la répéti-tionqued’unmorceau totalementabouti. Le pitch de People, Hell andAngels étant de présenter l’albumcomme un document sur des pis-tes explorées par Hendrix endehors de son trio historique avecle bassiste Noel Redding et le bat-teur Mitch Mitchell, actif d’octo-bre1966à juin1969.

On trouvera donc ici undeuxiè-me guitariste, là des vents, ailleursdes percussions, autour générale-

mentd’unebaseconstituéedubas-siste Billy Cox et du batteurBuddyMiles.Laplupartdesdouzethèmessont bien connus (Earth Blues, Iza-bella,HearMyTrainAComin’,Blee-dingHeart, Villanova Junction Blu-es…) dans d’autres versions, soitentréesdanslalégendelorsd’inter-prétations en concert, soit commeébauches de titres déjà sortis desarchives.

Dynamique et funkyPour autant, plusieurs plaisan-

tes surprises sont à noter. EarthBlues, dynamique et funky avecdes chœurs, la présence à la bassede Stephen Stills (de Crosby, Stills,Nash &Young) sur Somewhere, laversion originale de Crash Lan-ding, qui, parmi d’autres, s’étaitretrouvé dénaturé dans une édi-tion posthume de thèmes d’Hen-drix en 1975, ou Inside Out, avec lepassagedusondelaguitared’Hen-drix dans un amplificateur Leslie(destinéauxorguesetdonnantuneffet soufflant). Et, plus intéres-santdanscettethématiqued’expé-rimentation, la confrontationd’Hendrix avec des vents, que celasoit sur Let Me Move You, mêmeavec son allure de jam entrecopains,ousurMojoMan,oùlegui-taristeentraîneunesectiondecui-vres dans son sillage. p

SylvainSiclier

People, Hell and Angels, de JimiHendrix. 1CD Experience Hendrix-Legacy/Sony Music.

culture&styles

Théâtre

J acques et Marie s’aiment d’unamour tendre et passionnel. Ilsse sont rencontrés jeunes,

pleins de vitalité, et ils ont vieilliensemble. Ils sont arrivés à ce sta-dede la vieoù la fragilitéde la psy-ché et du corps humains est évi-dente. Lendemains de fête, de JulieBerès, met en scène le voyage deJacques entre ses souvenirs frag-mentés,imaginairesouréels.Acet-tedimensiononirique,où levieuxJacquescroisesonsoiplus jeuneetéchangeaveclajeuneMarie,s’enla-ce la narration de son présent. Sespointsde repèreybasculent, seuleresteMarie,qui l’accompagnetou-jours et le stimule constammentpourqu’il ne se perdepas.

Lendemainsde fête s’emparedecet âge vermeil où tout gestedevientdeplus enplus difficile. Etde la difficulté qu’il y a pour ceuxqui accompagnent sur ces che-mins obscurs. Sur scène, les sons,lalumière, le jeudesacteurscircas-siens, tous les éléments contri-buentàplonger le spectateurdansune atmosphère ambiguë et dés-tructurée. Comme Jacques, on estemporté par le sentiment que laréalité se transforme, devientfuyante, s’entremêle au rêve et àl’imaginaire. Mais, au-delà de cetravailsurlamémoireetsurl’iden-tité,Lendemainsdefêtemetenscè-ne du désir sensuel qui habite lesvieux– sujet tabou?

Dès les premiers instants, cesont les corps qui sont mis en

avant. Cette envie passionnelle del’autre qui imprègne la pièce. Lesprotagonistes montrent, nus, leseffets du temps.Une fragilité phy-sique en contraste avec leur désirpuissant l’unde l’autre, quin’apaschangédepuis leur jeunesse.

«Se déshabiller, ça n’a pas étésimple pour eux, explique JulieBerès, un corps est toujours quel-que chose de très intime. Ils m’ont

demandé si on était obligé d’arri-ver jusque-là, mais, comme ils ontcompris ce que je cherchais, ils ontétémagnifiques.»Pourelle, l’alchi-mie et l’interaction avec les inter-prètes sont fondamentales lorsd’une création : « Sans eux, onaurait eu une tout autre pièce. »Elle travaille par allers-retoursentre une expérimentation sensi-ble sur le plateau et un moment

d’écriture du scénario. Adeptedepuis toujours d’un travail docu-mentaire fouillé, Julie Berès a pui-sé dans les textes du philosopheVladimir Jankélévitch pour ajou-ter une autre dimension à cemélange narratif de présent, dedésir et de rêve. Le voyagementaldeJacquesse faitaufildesmotsduphilosophe et de lamusique baro-quedontlevieuxmélomaneatou-jours été passionné.

Lapluralitédesensetdedimen-sions, laconstructiond’untissudestimulations sensorielles multi-ples donnent lieu à un spectaclecomplexe.Lesliensentrelesévéne-ments, ni entièrement rationnelsni entièrement chronologiques, lerecours aux ellipses offrent aupublic un éventail d’interpréta-tions possibles. «Selon l’âge desspectateurs, remarque Julie Berès,on perçoit différemment ce qui sepassesurscène.Peut-êtreparcequele thème de la vieillesse touche àdes expériences très personnelles.»

Lendemains de fête s’inscritdans un parcours commencé en2006.A l’époque, afin de travaillersur la maladie d’Alzheimer, JulieBerès avait passé unmois et demidans unemaison de retraite. Fortedecetteexpérienceetd’unrapportdifférent aux personnes âgées,développé pendant son enfanceenAfrique,elle a continuéàexplo-rer cette thématique. «Cette pièce,dans un certain sens, répond à laprécédente,Notrebesoindeconso-lation. On y parlait d’une humani-té en mutation, d’une société quiveut dépasser ses limites. Où lascience, comme une sorte de nou-veau Graal, nous promettrait unejeunesse éternelle – comme sic’était un objectif en soi. Mais celaentraîneunedévalorisationdange-reusede lavieillesse,carc’estquandmêmel’expérienceaccumuléeavecl’âge qui nous permet d’évoluer, denous transformer.» p

LuisaNannipieri

Lendemains de fête. Conception etmise en scène : Julie Berès. Textes : JulieBerès, Elsa Dourdet, Nicolas Richard,David Wahl. Avec Christian Bouillette,Evelyne Didi, Julie Pilod, Vasil Tasevskiet Matthieu Gary. La Rose des vents,boulevard Van-Gogh, Villeneuve-d’Ascq(Nord). Tél. 03-20-61-96-96. Du 12 au15mars. Durée : 1h20. De 5 ¤ à 20¤.En tournée en France jusqu’au 30mai.

Danse

C ’estparti!L’anniversaireoffi-cieldelacréationduSacreduprintemps d’Igor Stravinsky

dans la chorégraphie de VaslavNijinski aura lieu le 29mai avecuneavalanchedeversionsduspec-tacle-phénomène du XXe siècle.Mais l’offensive a déjà commencéavec deux lectures épatantes del’œuvreoriginale.

LeSucreduprintemps,chorégra-phié par Marion Muzac et RachelGarcia, sur la partitionde Stravins-ky, projette sur scène 28 jeunes,âgés de 9 à 21ans. En shorts gris oujupes plissées bleues, cette ribam-belle de collégiens cavale sec pen-dantque lesmassespercussivesdeStravinsky matraquent sans relâ-che.Et labanderésiste,s’arrachelescheveuxet hurle commedansunecour d’école lors d’une récréationorageuse!

Marion Muzac et Rachel Garciaontréussiàcapterl’énergierugueu-se des danses hip-hop, électro ouafricainesdecesadospour les insé-rerdansunevisionélargiedelacho-régraphie de Nijinski. Les saccadesélectriquessegreffentsur lesmou-vements tout en coudes et genouxdu danseur russe. Certains de sesmotifs typiques comme les cercleset les sauts sont réinterprétés parles danseurs sans perdre de vueleurpersonnalité et leurmaladres-se. Tout fait corps sans que riensemble contraint dans ce kaléidos-copedegestesécharpés.

MarionMuzac et Rachel Garciaont sélectionné 28jeunes sur 200lorsd’uneauditionenmai2012,auCentrenational de la danse, à Pan-tin (Seine-Saint-Denis). Lancé enjanvier2010auCentrededévelop-pementchorégraphique,àToulou-se,LeSucreduprintempsaaussivule jour avec des adolescents alle-mands, à Düsseldorf, avant de seposer en Seine-Saint-Denis.

Sur un mode plus archéologi-que, la version de la chorégrapheDominique Brun, Sacre#197 (197pourmarquerson inscriptionpar-mi les 220relectures du Sacre duprintemps qui ont été conçuesdepuis 1913 !), joue entre décons-tructionet rêverie.

En complicitéavec six interprè-tes, Dominique Brun a travaillé àpartir des partitions annotées parStravinsky, des dessins réalisés àl’époque par Valentine Gross-Hugo. Elle a aussi nourri sa visionde deux autres ballets : L’Après-midi d’un faune chorégraphié en1912parNijinskietPetrouchkamisen scèneparMichel Fokine en 1911et dansé parNijinski.

Glissements fantomatiquesSurunemusique contemporai-

ne de Juan Pablo Carreno, ces cou-ches d’images et de gestes surgis-sent comme des réminiscencesdans les corps des danseurs. Cour-bés, les genoux en dedans, ilsraclent le sol, opposant au dyna-misme pulsant du Sacre originel,les glissements fantomatiquesd’une humanité primitive hébé-tée.

La pièce de Dominique Brun,série d’éblouissements avecretours réguliers à l’obscurité,pourraitracontercequis’estpasséavant et après le pic de violencequ’est le rituel demort païen ima-giné par Stravinsky. Un brusqueéclair de chaleur dans la nuit dumonde.p

RositaBoisseau

Le Sucre du printemps, de MarionMuzac et Rachel Garcia. Théâtre deChaillot, place du Trocadéro, Paris 16e.Le 7mars, à 20h30.Tél. : 01-53-65-30-00. De 8 à 20 euros.Sacre#197, de Dominique Brun. Centrenational de la danse, Pantin (Seine-Saint-Denis). Du 20 au 22mars. Théâtre d’Ar-les, le 26mars. CNDC, Angers, le 3avril.

CentprintempsetdéjàdeuxSacresDeuxspectacles fêtent, avecunpeud’avance,lecentenaireduballetdeStravinskyetNijinski

Pourtravaillersurlamaladied’Alzheimer,JulieBerèsapasséunmoisetdemidansunemaison

deretraite

«Lendemains de fête»,mis en scène par Julie Berès. PHILIPPE DELACROIX/ARTCOMART

Unjour,commeeux, jeseraivieux,sensueletsansmémoireAvec«Lendemainsde fête», JulieBerèspoursuiten finessesontravail sur lavieillesse

LescartonsdeJimiHendrixouvertsàtouslesventsAumenudunouvelalbumposthumedurockeur:cuivres, jamsentrecopainsetversionsinédites

22 0123Vendredi 8mars 2013

Page 23: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

MoteursDesformesarrondiesetuneautonomieappréciable: lapremièrevoitureélectriquedelamarqueaulosangetente leparidesefaireuneplacesurunmarchéquidévisse

AvecZoé,Renaultvoudraittomberpile

L aRenaultZoélaisseraunetra-cedansl’histoiredel’automo-bile.Maisonnesaitpasenco-

re laquelle. Première voiture élec-trique«grandpublic», conçuedèsl’origine en tant que telle et desti-née à la production de masse, lapetite Renault lance un pari àhauts risques. Son succès ou sonéchec commercial permettra desavoir si l’époque est prête à tour-ner la page du moteur à essencetout-puissant. Et pour en avoir lecœur net, Renault et son partenai-re Nissan ont investi 4milliardsd’euros dans les véhicules «zéroémission»…

Une chose, en tout cas, ne faitpasdedoute: Zoéest une jolie voi-ture. Rondes sans être molles, seslignes évitent toute surcharge.Conscients qu’il ne fallait pasdérouter la clientèle, ses concep-teurs ont eu la bonne idée de nepas chercher à en faire un objetd’avant-garde sans pour autant labanaliser. Hormis une assise unpeu haute (à cause du volumeoccupé par les batteries, installéessous les sièges) qui engendre unepositiondeconduiteassezparticu-lière, cettevoitureseconduitcom-men’importequelle autre.

Parfaitement silencieuse, ellene laisse entendre sur autorouteque des bruissements aérodyna-miques. En ville, il est possible delui faire artificiellement émettreun léger sifflement (trois tonalitésau choix) afin de signaler sa pré-sence auprès des piétons distraits.Au volant, son embonpoint(1,4 tonne), qui s’explique par laprésence de près de 300kg de bat-terieslithium-ion,neprêteguèreàconséquence.Zoé est vive, exemp-tedesensationsd’inertieaufreina-ge, et son moteur qui développe65kW, soit l’équivalent de 88 ch,délivredesaccélérationsvigoureu-ses et immédiates.Magie de la féeélectricité!

L’autonomie, chapitre où onattendait Renault au tournant, n’arien de ridicule. Lors de nos essais,en conduisant sans faire preuved’un zèle particulier sur un par-cours essentiellement urbain, lerayon d’action atteignait facile-ment 120kilomètres. Quant autarif de base, il a été fixé à13 700euros (aides publiquesdéduites), comparable à celuid’uneCliodiesel. Il fautyajouter lalocation de la batterie (79eurospar mois au minimummais avecune garantie à vie) et l’installation

d’une «wall box », un boîtiermural (un peu moins de1000euros) permettant de réali-ser la recharge à domicile.

Ses caractéristiquesnepeuvent

faire de Zoé la voiture principaledu foyer. Sa vocation périurbaine(etpasseulementurbaine)ladesti-ne à ceuxqui effectuent régulière-ment des trajets inférieurs à100kilomètres – ce qui fait quandmêmedumonde.

Ces futurs clients habiteront depréférencedansunlogementindi-viduelplutôt quedansun immeu-ble. Faire installer une alimenta-tionélectriquedansunparkingcol-lectif n’a, en effet, riende simple.

Enfin, le modèle économiquede Zoé, produite dans l’usineRenault de Flins (Yvelines), appa-raît, lui aussi, particulier. Il exigeun investissement initial élevémais offre ensuite un très faible

coût d’usage puisqu’un «plein»d’électricité ne dépasse pas2euros.Aucontraired’unevoitureclassique qui impose unemise defonds moindre mais de lourdsfrais de fonctionnement.

Même s’il ne faut pas suréva-luer les différences, Zoé n’est pasun choix de voiture comme unautre.Au-delàducalculderentabi-lité et des contraintes pratiques,opterpouruneélectrique,c’estlais-ser vibrer une corde sensible envi-ronnementale.«Unchoixidéologi-que», assuremêmeunporte-paro-le de la marque. Mais un «choixidéologique» peut-il faire vendreplusieurs centaines de milliers devoitures,seuilnécessaireàlarenta-bilité du projet? Rien n’est moinssûr.Surtoutenpériodedecroissan-ce nulle, alors que lemarché auto-mobile dévisse. Car Zoé n’entamepas sa carrière sous les meilleurs

auspices. Alors que les ventes demodèles électriques progressentmais restent infinitésimales(5660ventes, soit0,3%dumarchéen 2012), cette innovation foncehardimentdans le brouillard.

Renault, qui refuse obstiné-ment d’avancer le moindre objec-tif commercial, affirmenepaspré-voir un élargissement de sa gam-mede véhicules électriques.

L’issue de ce pari dépendra dunombrede bornes de recharge quiseront installées, d’un éventueldurcissementdesnormesdecircu-lationenvillemais aussi de la pro-fondeur des convictions desconsommateurs (ou des entrepri-ses) « responsables» et de leurcapacité à changer leurs habitu-des.

Pour Renault, l’entrée en scènedeZoéoffretoutdemêmeunavan-tage. Redonner un peu de lustrecréatif et susciter un semblantd’empathie autour d’une marquedont l’image, sur fond d’échecscommerciaux et de négociationsdifficilesd’unaccorddecompétiti-vité pour l’entreprise, ne cesse dese dégrader.p

Jean-MichelNormand

culture&styles

Art

SepttableauxrendusàdesfamillesspoliéesLadate a finalement été fixée: les septtableaux soustraits à des familles juivespendant la guerre et actuellement conser-vésdansdesmusées français (LeMondedu14février) seront restitués le 19mars. A cet-te occasion, TomSelldorff, 82 ans, petit-fils

de l’industriel autrichienRichardNeumann, reverrapour la premièrefois les sixœuvresde Longhi (sonPortrait de BartolomeoFerracina, enphoto), Ricci, Diziani, Fontebasso,Gandolfi et Palkoqui étaient accro-chées sur lesmurs de l’appartementde songrand-père àVienne.RichardNeumannavait puemporter les tableaux lors de sa fuite àParis, en 1939,mais il avait dû les abandonnerenquittant la France en1942. Retrouvées enAllemagneaprès-guerre, renvoyées à Paris, lesœuvres avaient été placées endépôt au Louvre et dansplusieursmuséesdeprovince enattendant l’identificationdes propriétaires. Leseptième tableau, signéduHollandais Pieter vanAsch, avait été rendupar erreur à la France. Sonpropriétaire était unbanquier tchèque, JosefWiener, assassinéau campdeTheresienstadt. Sonplus prochedescen-dant viendrade Londres récupérer sonbien. pNathanielHerzberg(PHOTO: G.BLOT)

Zoé, avec une autonomied’environ 120kilomètres, estplutôt destinée à une clientèleurbaine et périurbaine. DR

Disparitions

DidierComès,auteurdelaBD«Silence»,s’éteintàl’âgede71ans

L’auteurdebandedessi-née belgeDidierComès, de sonvrainomDieterHerman,estmortmercredi6mars à l’âge de 71 ans.Il s’était rendu célèbre àla findes années 1970dans lemagazine (A Sui-vre) avec Silence,romangraphique ennoir et blanc racontantl’existenced’unperson-nagemutiquequiobtint le prix dumeilleur albumauFes-tival d’Angoulême1981. Après avoir fré-quentédes auteursdeBDde ses Ardennesnatales commeRenéHausman,PaulDeliègeouRaymondMacherot,

DidierComès s’était lancédans la bandedessinée en 1969pour le comp-tede Soir Jeunesse, avantde travailler pour Pilotepuis Spirou. Dessina-teur industriel à ses débuts, percussionnistede jazz à ses heures, ami etdiscipledeHugoPratt, il réalisa unnombre relativement limité d’al-bums, parmi lesquels La Belette, Eva, L’Arbre-CœuretDixde der, desrécitsmêlant onirisme, fantastiqueet noir et blanc.p Frédéric Potet(PHOTO CASTERMAN)

Décèsd’Alvin Lee, leader de TenYearsAfterLe guitariste dugroupede rockbritanniqueTenYears After, Alvin Lee,estmortmercredi6mars à 68 ans, de complications lors d’un actechirurgical de routine, a annoncé sa famille. Pendant ses quelque cin-quante ansde carrière, Alvin Lee, né àNottingham, a collaborénotam-ment avec le BeatlesGeorgeHarrisonet RonWood, des Rolling Stones.Il s’était illustréparun solo deguitaremémorable lors du festival deWoodstock, en 1969. Parmi les «tubes»de TenYearsAfter, citonsHearMeCalling, I’d Love to Change theWorld et Love Like aMan. – (AFP.)

300000C’est le nombre de visiteurs reçus en troismois par le Louvre Lens. L’ex-cellente fréquentationdu petit frère de l’établissementparisien s’estmaintenuedepuis son inauguration, le 4décembre 2012. L’objectifannuel des 700000entrées devrait être largement dépassé. Onpeutvoir, jusqu’au lundi 11mars, la remarquable exposition consacrée à laRenaissance et lemonumental Arc de triomphedeDürer, jamaismon-tré. p

CinémaSamMendes ne réalisera pas le prochain«JamesBond»LeBritanniqueSamMendes, réalisateurde Skyfall (2012), a déclaré,mer-credi6mars, dans lemagazine spécialisé Empire, qu’il ne réaliserapas leprochain film de James Bond. Il entend se consacrer à d’autres projets,cela malgré l’immense succès mondial de Skyfall mettant en scènel’agent007.Pourautant, lecinéastenes’interditpasdereplongerdans lasaga, ultérieurement. – (AP.)

L’issuedeceparidépendradunombredebornesderecharge

installéesetdesconvictions

desconsommateurs

Télévision

«HerculecontreHermès»floutéJusqu’au bout, PatrickGuerrand-Hermès, l’un des héritiers de lamai-son de luxe, aura tenté d’enterrer le filmdeMohamedUlaf,HerculecontreHermès. Ce documentaire, produit par Epiphène Films, racontele conflit qui oppose une famille de paysansmarocains à PatrickGuerrand-Hermès, lequel souhaite récupérer leurs terres pourconstruire un projet immobilier (LeMonde du 5 juillet 2011). Il sera dif-fusé sur Arte, jeudi 7mars, à 23h 40.Mais, à l’issue d’une – ultime? –bataille juridique, le tribunal de grande instance de Paris a estimé,mardi 5mars, que le film «porte atteinte à la vie privée» deM.Guerrand-Hermès, du fait «d’éléments permettant de localiser sarésidence aux environs de Tanger». La 17echambre civile a fait «inter-dictionde diffuser publiquement ces informations». En revanche, leTGI n’a pas fait droit aux autres demandes, visant à couper des passa-ges du film. Alex Szalat, responsable d’unité chezArte, a confirméque« le film sera bien diffusé jeudi, en intégralité. Mais, en accord avec leréalisateur, on a dû flouter quelques images pour appliquer le juge-ment». pClarisse Fabre

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Page 24: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

LepremiersacdeGiambattistaValliLecréateuritalienvientd’annon-cer le lancement de son premiersac baptisé Valli Bag. Fidèle auxcodes de la maison, il proposeune ligne épurée et luxueuse,dont la géométrie est soulignéepar un fermoir bouton. Il s’ha-bille d’alligator, lézard, satin,veau, velours jacquard ou vison,à combinerpourunmodèleper-sonnalisé. p(PHOTO DR)

P arce que ceux que l’on retient sontsouventpharaoniques,onconsidè-re les décors de défilés comme des

démonstrations de puissance de la partdes marques. A l’heure où les réseauxsociaux font de l’image instantanée unphénomène imparable, ils procèdentd’unestratégieplusvaste :outilsdecom-munication, ils sont autant d’indicesdesintentions et de la philosophie d’unemaison.

Chez Louis Vuitton, on n’a jamaisreculé devant les concepts à la CecilB.DeMille deMarc Jacobs. Après l’entréeen gare d’un train (automne-hiver2012-2013), une installation de DanielBuren équipée d’un double escalator(printemps-été 2013), la collection hiverétait présentée dans un décor de couloird’hôtel.D’emblée, le proposestplus inti-me. Voir les portes s’ouvrir sur des fillesen tenues de «boudoir», inspirées de larobe de chambre et du déshabillé, appa-raît comme une évidence. Longue robedesatinoumousseline façonchemisedenuit semée de petits bouquets et bordéededentellesdélicates,manteaupeignoir

àmotifsdégradés, tailleursetpar-dessusde tweed granités de cristaux, ourlés etdoublés de plumes ou de dentelles… Lescontrastes masculins-féminins confè-rentunecertainepoésieau luxede la col-lection.

Dans le ballet des ouvertures de por-tesde«chambres», onentrevoitdespro-jections de films en noir et blanc : deshommes et des femmes au saut du lit.Les sacs qui font la fortune et la célébritéde la maison sont là aussi : le Speedy (leformat bowling) passe au bras des filles,habilléde fourrure,dereptile,decrocodi-le ciré. Mais ils se fondent dans les sil-houettes et c’est l’atmosphère que l’onretient. La scénographie souligne le liendu luxe à l’intime et place Louis Vuittondansunchampcréatifquidépasse lapro-duction d’accessoires à succès. Dès lors,l’arrivée sur le podium du créateur enpyjama viendrait presque rompre lecharme…

Changement de décor chez Miu Miu:dans le bâtiment du Conseil économi-que et social signé Auguste Perret, laseconde ligne de Miuccia Prada est pré-sentée dans un espace volontairementrétréci, presque confiné, comme en sus-pension. Entre deux « tranches » demétal noirci, le défilé rappelle les obses-sionsarchitecturalesde la créatrice, com-plice régulière de l’architecte Rem Kool-haas, concepteurde ses boutiques et ins-tallations les plus impressionnantes.

Longues jupes et manteaux étroite-mentceinturésdessinentune lignestric-te animée par des motifs de pois et derayures, des compositions de couleurssur les souliers et des effets de volumesexagérés.Danscette bulle industrielle etradicale, les faux classiques étranges delamarquemontrent une certaine formedematurité :MiuMiun’est plus lapetitesœur de Prada mais sa cousine arty etexcentrique.

Parfois, la scénographie se révèle tropbavarde. Les colonnes en métal perforédu défilé Vionnet sont sans doute uneallusion – lourde – aux robes drapées àl’antique qui ont fait le succès de lamai-son dans les années 1920 et 1930. Elleappartient désormais à unemilliardairekazakhe, Goga Ashkenazi, qui supervisele studio. Le besoin de créer du lien aveclepassé estnaturel,mais les effets «sonset lumières» multicolores, qui précè-dent le défilé, déroutent.

Les robes à drapés abstraits, les blou-sessobreset lespantalons larges structu-réspardesceinturesàmédaillonsgraphi-ques ne manquent pas d’intérêt, mêmes’ils sont assez éloignés des codes Vion-net.

ChezMoncler Gamme rouge (la lignecouture de lamarque italienne, spéciali-sée dans les vestes matelassées plus oumoins sportives), Giambattista Vallisigneune belle collection. Ses sculpturesdenylontechnique, soie,maillecachemi-re, cristauxet plumesont beaucoupd’al-lure. Tant pis pour la mise en scèneimprobable: deschiensde traîneaupani-qués et lâchés dans un décor de faux ice-berg, quelques descentes en rappel duplafond et des mannequins déguisés enours blanc font basculer la présentationdans le burlesque. Heureusement, lesclientsne retiendrontque l’essentiel : lesvêtements. p

CarineBizet

UneexpositionsurmesureL’exposition«Parishautecoutu-re » (jusqu’au 6 juillet) vientd’ouvrir ses portes à l’Hôtel deVille de Paris. Plus de 100piècesprésentées sont empruntées auMusée Galliera. «C’est l’équiva-lent du département Egypte auLouvre», s’enthousiasme Oli-vier Saillard, directeur duMusée Galliera et commissairegénéral de l’exposition avecAnne Zazzo, conservateur enchef du Patrimoine au MuséeGalliera.p

Plate-formecloutéePour sa collection pré-automne2013, le jeune créateur londo-nienNicholas Kirkwood a ima-giné 68paires de souliers. Parmieux, des escarpins féminins etracés, vernis et cloutés, qui sedéclinent d’une forme classiqueà une versionmoins haute et autalon plus large, en passant parun modèle à plate-forme. Despièces disponibles en bleu, rosenacré et noir.p (PHOTO DR)

DessouschicCarineGilson,diplôméedel’Aca-démied’Anvers,considèreledés-habillé commeune robe du soir.Chacune de ses pièces est uni-que.Perfectionniste,elles’estins-piréepour sa dernière collectiondu film Metropolis. Variationssur le gris, quelques pièces vertabsintheetrougecoquelicotévo-quent le jardin du film de FritzLang. p

LASEMAINEdes créateurs demodedeParis, qui s’est achevéemercredi 7mars,pouvait se suivre sur Twitter, notam-mentpar le biais de clichés des coulisses,souventpris par lesmannequinsou leséquipes chargéesde leurmise enbeauté.Les photosde «backstage» desdéfilésGaultier, Saint Laurent etMcQueenmisesen ligne par la top-modèle américaineKarlieKloss (@karliekloss) ou la Britanni-queCaraDelevingne (@Caradelevingne)ont ainsi été partagées des centainesdefois sur le site demicroblogging.

Lesgrandesmaisons se sont égalementpliées à l’exercicedes 140caractères. Trèsactif à l’occasionde sonshow–plusde40

tweets enmoinsdedeuxheures –, Dior(@Dior) a optépouruneexplicationentempsréel de sa collection. Lamaisons’estmêmeprêtée àun jeudont raffolentles adeptesdu réseausocial: celuides célé-brités aperçues lorsde laprésentation.

«Rockeuse fuck you»Certainsont portéun regardplus caus-

tique, commeLoïc Prigent(@LoicPrigent). Le documentaristea livréaux internautesunautre visagede lagrand-messede lamode en compilantune sélectiondephrases entenduesdanslepublic desdéfilés. De l’analyse stylisti-que – «Donc la femmede banquierde

droite gavée de bonus chezDior c’estOK,mais la rockeuse fuck youd’YSL c’est insup-portable?»ou «Le truc c’est de savoir si ledéfiléH&MvapomperCéline ou SaintLaurent. T’imagines si le défiléH&Mtepompepas? Lahonte» – à desmomentsd’intimité – «Mais si jemange, je prendsdes vitaminesC lematin» – enpassantpar les conseils entre collègues – «T’aspasun synonymede “rayure”? C’est le pre-mier jour et déjà jeme répète grave». Onen retiendra cette conclusion, certes ano-nyme,mais d’une extrêmesagesse: «Onest en surchauffe, tout ce qu’ondit devientintweetable.»p

Aude Lasjaunias

LaFashionWeeksurTwitter:«Onestensurchauffe»

culture&styles

MiuMiu.MARTIN BURAU/AFP

Louis Vuitton.JACQUES BRINON/AP

Outilsdecommunication,lesdécorsdesdéfiléssontautantd’indices

desintentionsetdelaphilosophie

d’unemaison

BoudoirchezVuitton,métalchezMiuMiuLaFashionWeekfrançaise,quis’estachevéemercredi6mars,n’aurapas lésinésur lesdécors,dont l’importancefait loi. Sculpture,architecture,cinéma:undéfiléderéférences

prêt-à-porter | paris automne-hiver 2013-2014

24 0123Vendredi 8mars 2013

Page 25: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

sport

Football

E treignantsesadjointsen lies-se, CarloAncelotti amanifes-tésonsoulagementalorsque

l’arbitre venait de clore la rencon-tre. A l’instar de leur entraîneurd’ordinaire si impassible, lesjoueurs du Paris-Saint-Germainont célébré, mercredi 6mars, leurqualification pour les quarts definale de la Ligue des championsen communiant quelques minu-tes avec le public du Parc des Prin-ces. Parés d’étendards bleu et rou-ge, les supporteurs ont longue-ment rendu hommage à leur for-mation qui n’avait plus atteint cestade de la compétition depuis1995. A l’époque propriété deCanal+, le club de la capitaletutoyait alors le firmament sur lascène continentale.

Auteurs d’un match nul (1-1)contre les Espagnols du ValenceCF, les hommesde Carlo Ancelottiontsu fructifierunprécieuxavan-tage obtenu lors du 8e de finalealler. Confirmant ses visées euro-péennes, le PSG s’était brillam-ment imposé (2-1), le 12 février,dans l’antre de Mestalla. Sur sapelouse, l’équipe parisienne a faitpreuvedeminimalismepourvali-der sa qualification. En ouvrant lescore à la 55eminute de la partie,

les «Blanquinegros» ont eu lemérite de revigorer des locaux aujeu jusqu’alors truffé de scories.Constamment encouragé par sestifosi, le PSG est parvenu rapide-ment à égaliser par l’intermédiai-re du véloce Argentin EzequielLavezzi, nouvelle coqueluche du

Parc des Princes en l’absence d’unZlatan Ibrahimovic suspendupourdeuxmatchs européens.

Enconférencedepressed’après-match, Carlo Ancelotti a confiéavoir ressenti de « l’inquiétude» àl’aune du scénario du match. Letechnicien transalpin a surtout

savouréleretourduclubdelacapi-taleparmiletop8européen.«Jenesais pas si on peut aller en finale,a-t-il répondu à des journalistestropcocardiers.Depuis ledébut,ondit qu’on ne sait pas ce qu’on peutfaire mais jusque-là, on a très bienfait. Maintenant, il faut attendre le

tirage et voir.» Alors que les Pari-siens connaîtront leurs prochainsadversaires le 15mars, ce succèslégitime les ambitions du proprié-taire du club, Qatari Sports Invest-ments (QSI), sur l’échiquier euro-péen. En prenant les rênes du PSGen mai 2011, les dignitaires de

Doha s’étaient engagés à rempor-ter laLiguedeschampionsà l’hori-zon2015.«Onveutallervite», assu-raitenfévrier Jean-ClaudeBlanc, ledirecteurgénéral du club.

Depuis leur entréedans le tour-noi, lesParisiensontréaliséunpar-cours exemplaire en enregistrantnotamment cinq victoires consé-cutives. Au-delà de ces donnéesflatteuses, la formation de CarloAncelotti a envoyéun signal fort àsesconcurrentseuropéenstoutenassumantcenouveaustatutd’am-bassadeurcompétitifde l’Hexago-ne. «Le PSG a confirmé les attentesplacéesenlui,notaitavantles8esdefinale Philippe Diallo, le directeurgénéraldel’Uniondesclubsprofes-sionnelsde football (UCPF).Le clubdoit être une locomotive. J’espèreque les Parisiens porteront loin noscouleurs. Le regard posé sur la L1 etsa cote en seraient changés.»

Appartenant au cartel des cinqclubs les plus riches d’Europe avecun budget annuel de 300millionsd’euros, lePSGdoit toutefoisconci-lier ses ambitions continentalesavec ses visées nationales. Défaitssuccessivement par Sochaux (3-2)etReims(1-0), lesParisiensontdon-né, ces dernières semaines, l’im-pressiondechoisir leursmatchsenLigue1.Commesilafaiblesseprésu-méed’adversairesmalclasséssuffi-sait à atténuer la motivation desjoueursdeCarloAncelotti.

Quitte à choquer les observa-teurs, Leonardo avait clairementrelevé ladualité deParisiensenga-gés sur tous les tableaux etcontraints de hiérarchiser leursobjectifs. «On doit dire la vérité,avait déclaré le directeur sportifdu PSGaprès le revers à Reims.Ona peut-être une équipe faite pourl’Europe,baséesurletalent, laquali-té de passes, pas pour ce genre dematchs.»Aposteriori, la qualifica-tion obtenue face au ValenceCF aévitéaumatoisBrésilienunretourde boomerang et un lynchagemédiatique.

Revenu parmi les grands ducontinent, ce PSG à la manne iné-puisable peut-il désormais espé-rer décrocher la première Liguedeschampionsdesonhistoire?«Ilsemble prématuré d’envisager queles Parisiens remportent la compé-titiondèscetteannée», considéraitPhilippe Diallo. «Le plus difficilecommence», avait estimé CarloAncelotti avant le match retourcontre Valence. A son actif, l’ex-coach du MilanAC et de Chelseaaffiche pourtant des statistiquesélogieuses en Ligue des cham-pions. Double vainqueur del’épreuve, le technicien italien atoujours hissé ses équipes dans ledernier carré du tournoi. Ce quifait de luiun rassurant talisman.p

RémiDupré

Ski freestyle

L e ski français se porte bien.Dans la fouléedesMondiauxdeskialpin (quatremédailles

dont deux d’or) et de ski nordique(quatre médailles dont trois d’or),l’équipe de France de ski acrobati-que a entamé ses championnatsdu monde avec deux podiums,dans les épreuves de half-pipe. Etsi le prodige Kevin Rolland, cham-pion du monde 2009, ou le reve-nant Guilbaut Colas, dans l’épreu-ve des bosses, ont déçu, ce ne futquepourlaisserles jeunespoussesprofiter de la lumière.

Mardi 5mars, Anaïs Caradeux,22ans, et ThomasKrief, 19 ans, ontdécroché respectivement l’argentet le bronze sur la neige de Voss(Norvège). «Même s’ils ne sont pasréguliers sur les podiums de Coupedumonde,cenesontpasdessurpri-ses pour nous, indique Fabien Ber-

trand, directeur du développe-ment du ski acrobatique à la Fédé-ration française de ski (FFS). Tousles deux comptaient déjà desmédailles aux X-Games de Tignesl’anpassé.»

PourFabienBertrand,pasques-tionpourautantdeparlerdepassa-ge de témoins entre deux généra-tions : «C’est un sport jeune quepratiquent beaucoup de gaminstrès performants. Et puis c’étaitunefinaletrèsdense,KevinRollands’en sort bien avec cette septièmeplace acquise dans la deuxièmemanche, après sa grosse chute surla tête dans la première.»Quant àGuilbaut Colas, si sa 39eplace estévidemment «une grosse décep-tion», le championdumonde2011n’avait plus skié depuis deux anspour cause de blessures et man-quait cruellementde repères.

Dimanche, une autre pointurede l’équipe de France est attendue

au tournant : Ophélie David,36ans, a l’occasion de reconquérirun titremondial en skicross aprèscelui acquis en 2007. Septuplevainqueur de la Coupe dumonde

et quadruple lauréate desX-Games, elle figure parmi lesmeilleures. «Nous avons au totalsept engagés dans les deux épreu-ves de skicross. Avec ce monde-là,

on peut raisonnablement espérerunemédaille, voire mieux», avan-ce FabienBertrand.

LestroisFrançaisengagésenslo-pestyleviserontsurtoutuneplaced’honneur,tandisquelesspécialis-tesdesbosses, battusdans l’épreu-ve classique, auront égalementl’occasion de prendre leur revan-che lors des courses en duel, ven-dredi 8mars, pour permettre àleurs responsables techniques deremplirl’objectiffixéparlaFédéra-tion, à savoir troismédaillesmini-mum.

«Mentalité différente»Ces championnats du monde

ne sont qu’une étape parmid’autres. Ils souffrent notammentde la concurrence des WinterX-Games,grand-messeduskiacro-batique dans sa version show àl’américaine, qui se déroulerontdu20au22marsàTignes.«Dans le

milieu, lesX-Gamessont lesommetde la saison. Mais les Mondiauxsont aussi importants à nos yeux,pour avoir la reconnaissance duministère, des médias et de ceuxquinesontpasdusérail», expliquele responsable fédéral. « Les X-Games,cen’estpas lamêmeappro-che, c’est une mentalité différented’un championnat du monde, onne tentera pas les mêmes “runs”.Mais gagner des médailles enchampionnat du monde, ça faitplaisir et ça fait parler de nous»,souritAnaïs Caradeux.

La famille du ski acrobatique seretrouve unie pour pointer le ren-dez-vous majeur qui s’annonce:les Jeuxolympiquesd’hiver 2014àSotchi, et qui sontdéjàdans toutesles têtes. Médaille d’argent autourducou,AnaïsCaradeuxenalacerti-tude: «Il s’agira de la compétitionlaplus importantedenotre vie.» p

EtienneNappey

«Ilsembleprématuréd’envisagerqueles

Parisiensremportentlacompétitiondès

cetteannée»PhilippeDiallo

directeur général de l’UCPF

LePSGrejointletop8européenAuteurd’unnul (1-1) contreValence, leclubs’estqualifiépour lesquartsde finalede laLiguedeschampions

LaJuventusdeTurinfaitoublier lesdifférentesaffairesdematchstruqués

UnanavantlesJeuxdeSotchi, lesBleusvirevoltentauxMondiauxdeskiacrobatiqueEnNorvège,AnaïsCaradeuxetThomasKriefontdécrochérespectivement l’argentet lebronzedans l’épreuvedehalf-pipe

En égalisant à la 66e minute, l’attaquant Ezequiel Lavezzi a permis au PSG de se qualifier,mercredi 6mars, au Parc des Princes. FRANCK FIFE/AFP

DURANTUNEdécennie, la«VieilleDame» s’était fait oubliersur la scène continentale.Dansl’ombredepuis 2003et sa défaiteen finale de la Liguedes cham-pions contre son rival historiqueduMilanAC, la Juventusde Turina réintégré,mercredi 6mars, lecénacle très prisé deshuitmeilleu-res équipes européennes.Dansleur antre, les Bianconeri se sonthissés enquarts de finale de laprestigieuseépreuveenbattant leCelticGlasgow (2-0). VictorieuxenEcosse lors dumatchaller (3-0),les joueurs piémontais étaient,dans cette configuration, assurésà 99%devalider leur qualifica-tion. Cette statistiquen’avait tou-tefois guère rassuré le prudententraîneurde la Juve, AntonioConte.«Nous connaissonsnos for-

ces, nous savons ce quenous pou-vons faire et d’oùnous venons»,avait déclaré le technicien turi-nois avant la rencontre.

Le coachdes «Zebre»ne faisaitque rappeler l’histoire récentedeson club et la sienne.A 43ans, l’an-cien capitaine etmilieude la Juve(1992-2004)a amorcé le grandretour européend’une équipequin’avait plus participé àunquartde finale de Ligue des championsdepuis 2006. Cette année-là, la«Vecchia Signora» est privée deses deuxderniers titres en SerieAet rétrogradéepour son implica-tiondans l’affaire du«Calciopo-li», scandalepolitico-financierdont le premier responsable futl’ex-directeurgénéral de la Juve,LucianoMoggi, suspendude tou-te fonction sportivepour corrup-

tiond’arbitres. Enmai2011, l’arri-vée d’AntonioConte aux com-mandesde l’équipe semble avoirimpulsé la rédemptiondeBianco-neri erratiques jusqu’alors. A l’is-suede sa première saison sur lebanc turinois, le quadragénairepermet àune Juve invaincuededécrocher, auprintemps2012, son28etitre en Serie A.Grâce à ce Scu-detto tant attendupar ses suppor-teurs, la Juve se qualifie pour laLiguedes championsaprès deuxansd’absence.

«Je suis spécial»AntonioConten’aguère le

tempsdesavourer les louangesdes tifosipiémontais.Coupableden’avoirpas signalédeuxincidentsrelatifsàdesmatchs truquésalorsqu’il entraînait Sienne, enSérieB,

durant la saison2010-2011, le tech-nicienest suspendupourdixmois, enaoût2012, dans le cadreduscandaledu«Calcioscommes-se».«Il est l’entraîneurd’aujour-d’hui etdedemain,assurealorsBeppeMarotta, ledirecteurgéné-ralde la Juve.Nous savonsqu’il estparfaitement innocent.»

Soutenupar ses dirigeants etsonvestiaire, AntonioConte voit,enoctobre2012, sa peine raccour-cie à quatremois de suspensionpar le Tribunalnational arbitraldu sport italien (TNAS). Depuis lestribunes, il assiste audébut de sai-son idéal réalisé par sa formation.Intraitable leader de Serie A, laJuve se sublime lors des phases depoulesde Ligue des champions,en éliminantnotammentChel-sea, le tenant du titre.

De retour de suspension,Anto-nioConte retrouve avec émotionle banc turinois le 8décembre2012. «Sans entraîneur, une équi-pe se retrouve commeune Formu-le1 qui commenceunGrandPrixavec des pneus dégonflés, confiealors l’entraîneurbianconero.Maismes joueurs sont spéciaux, laJuve est spéciale et je suis spécial.»S’appuyantnotamment sur lespassesmillimétréesd’AndreaPir-lo, le «miraculé» coachest en licepourglaner un secondScudettoconsécutif. Elu en févriermeilleurentraîneur italiende l’année 2012,il rêve aussi d’offrir à son clubuntroisièmesacre enLiguedes cham-pions.Dix-sept ans après avoirsoulevé le trophée en tant quejoueur.p

R.D.

Anaïs Caradeux,médaillée d’argent en half-pipe. STIAN LYSBERG SOLUM/AP

250123Vendredi 8mars 2013

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0123 est édité par la Société éditrice du «Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevardAuguste-Blanqui, 75707Paris Cedex 13Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone : deFrance 32-89 (0,34¤TTC/min) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 Tarif 1 an :Francemétropolitaine : 399¤Courrier des lecteurs:par télécopie : 01-57-28-21-74; Par courrier électronique: [email protected]édiateur:[email protected]: site d’information:www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/Immobilier: http ://immo.lemonde.frDocumentation:http ://archives.lemonde.frCollection: LeMonde surCD-ROM :CEDROM-SNI01-44-82-66-40LeMondesurmicrofilms : 03-88-04-28-60

L ’expérience fait toujoursaus-si froiddans ledos.Autantqu’ànotrepremièrevisite, il

y adix-huitmois, demémoire.Encorepluseffrayantepeut-être,pouravoirgoûtédepuisduvirusetdumalware, avoir failli perdretoutessesdonnées, s’être fait inter-ceptersesmotsdepasse.Et encore,tout celan’est rien comparéà l’af-fairequinous retient ici.Dansunepièce sombreau fondd’uncouloirmal éclairé,unhommeauxche-veuxgraset audébardeurmaculétranspireà grossesgouttes toutentapant fiévreusementsur le cla-vierd’unordinateur. Le regardestféroce, le rictusmenaçant.Atmo-sphèreglauque.Ambiance filmd’horreuravec toutes lesoptions.Noussommessur le sitewww.take-thislollipop.com.

Lepireest àvenir. Sur l’écrandel’aspirantFreddy,unepageFace-book. Il faut sepincer: c’estnotrepageFacebook.Pasunersatz, pasunecopiepresqueconforme.Non:lanôtre, lavraie, celleque l’onvient justedemettreà jour, aveclesdernièresphotosdenosenfantsqui semblent intéressertoutparticulièrement l’apprentitueurensérie. Frissonsgarantis.D’autantque lediscipled’Hanni-bal Lectern’aévidemmentaucunmalà trouvernotreadresse, àimprimerunplan,notrephoto,avantdemonterdanssavieillevoi-tureaccomplir sansdoute sa tâchemacabre.Diffuséeen2011, signéeduréalisateuraméricain JasonZada, la séquenceutilisaitunesim-pleapplicationFacebook.Objectif :alerterdes risquespotentielsquel’oncourt à laisser tropdedonnéespersonnellessur leWebet lesréseaux.

Ledangerappelle-t-il ledanger?Toujoursest-il que,parassociationd’idées,onapenséau filmdeZadaaprèsavoir reçudansnotreboîte lederniercommuniquéde l’AFA, l’As-sociationdes fournisseursd’accèsetdeservices Internet. Sujetde cecourrier: lebilan2012des signale-mentsde contenus illicites sur leNet (http://goo.gl/LM4K8).Untoutautregenrede risquesetpérilsqueceux imaginéspar le réa-lisateuraméricain. Sans forcémentjouerà se fairepeur, l’occasiond’unepiqûrede rappel toujoursutile: l’AFAmetàdispositiondesinternautesuneadressepouraver-tirde l’existenced’uncontenu illé-gal,www.pointdecontact.net.

Bilan2012:687sites illicites sup-primésdans lemondegrâce auPointde contact. Les contenuspédopornographiqueset les conte-nuschoquantsaccessiblesauxmineurs représentant«les deuxcatégories les plus identifiéesparles internautes». EnFrance, rappel-le encore l’AFA,«83%des contenusillicites signaléspar le serviceauxhébergeurs françaisontété suppri-més.Unchiffrequi grimpeà 100%dans le casdes contenuspédopor-nographiques».Mieux,«la totalitédes contenus signalésauxautoritésrusses, tchèquesetduKazakhstanaété retirée». On respire, lehérosdeZadaest cerné.p

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Scandinavie Très froid et arrivée de la neige en Finlande

En Europe12h TU

Une perturbation traversera le paysd'ouest et en est, arrosant surtout lesrégions du nord et de l'est, parfoisassez copieusement. Des éclairciesreviendront de la façade atlantiqueau golfe du Lionmalgré quelquesondées résiduelles. Le soleil brillerasurtout des Pyrénées auLanguedoc-Roussillon. La douceurfera de la résistance.

Saint Jean de DieuCoeff. demarée 58/66

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Pluie et douceur

Aujourd’hui

C’est tout Net !| chroniqueparOlivier Zilbertin

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Philippe Dupuis

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1. Recherché par la poule quipicore. 2.Ouvertures sur le pont.3. Les gros génèrent de bonnesaffaires. Recherché. 4.Grandeseaux. Récupère les cadavres encave. 5. Page d’histoire. Parer aumauvais temps enmer. 6.Un peude stress. Porteur àménager. Sebat pour la paix. 7. Victimes dutemps. 8. L’anglaise n’est pas plate.Encadrent le point. 9. Bonne pourle service. Couleur de robe. 10.Quis’y frotte s’y pique. Clameur aucirque. 11. Très proche. Dans latransparence du papier.12. Travaille lemanche enmain.

I. Leur nom sent le gaz, mais ellessont excellentes à table. II. Permetde sortir plus tôt. Met en beauté.III.Ne s’embarrasse pas descrupules. Pour de bonsmatelasfabriqués à l’ancienne. IV. Chargéede l’inspiration. Accord chezPoutine. Parfois pris à témoin.V. Finit à la fin. Saisi à l’anglaise.VI. Assure la vérité. Un droit peurespecté. Conjonction.VII. Embarcation légère. Au boutde la jetée. Bouscule les gensd’actions.VIII. Choisi parmid’autres. Sœur de la Lune. Rivièrede l’Aude.IX. Très léger. Perds de ton éclat.X. Peut jouir sans entrave.

météo& jeux écrans

Jeudi7marsTF1

20.50 Section de recherches.Série. Noces de sang. La Mort en héritage(saison 7, 1 et 3, inédit) ; Sauveteurs (S5, 5/14).23.45 TheWhole Truth.Série. Juge et partie. Au-delà des aveuxU(S1, 3 et 4/13, inédit, 95min). Avec Rob Morrow.

FRANCE2

20.45 Envoyé spécial. Magazine.Au sommaire : Y a-t-il du poison dans l’air ? ;Bac pro : pour quoi faire ? ; Les branches esseu-lées : trafic de femmes vietnamiennes en Chine.22.15 Complément d’enquête.Peur sur la viande. Magazine.23.15Grand Public. Magazine (94min).

FRANCE3

20.45 L’Aile ou la CuissepFilm Claude Zidi. Avec Louis de Funès, Coluche,Julien Guiomar (France, 1976, audiovision).22.35Météo, Soir 3.23.10 Twist Again à MoscouFilm Jean-Marie Poiré. Avec Philippe Noiret,Bernard Blier, Christian Clavier (France, 1986).0.50 Libre court. Magazine (70min).

CANAL+

20.55Dexter.Série. Alchimie. Le cœur a ses raisons...(S7, 7 et 8/12, inédit). Avec Michael C. HallV.22.50Hit &Miss. Série (saison 1, 3/6)V.23.35 The Office.Série (saison 8, 7 à 9/24, 65min).

France5

20.35 La Grande Librairie. Magazine.21.40 Civilisations disparues.[5/6] Les Premiers Pharaons. Documentaire.22.28 LeBureaudesaffaires sexistes.Série Affaire n˚ 1 120 : l’emploi des seniors.22.35 C dans l’air. Magazine.23.40Dr CAC.Combien gagnent les patrons des entreprises ?23.45 Entrée libre. Magazine (20min).

ARTE

20.50 The Hour.Série (saison 1, 1 et 2/6). Avec Romola Garai.22.50 Fukushima,chronique d’un désastre. Documentaire.23.40 Hercule contre Hermès.Documentaire. Mohamed Ulad (80min).

M6

20.50 60 secondes chrono.Jeu présenté par Alex Goude (290min).

Sudokun˚13-057 Solutiondun˚13-056Vendredi8marsTF1

20.50 Le Grand Concours.Le Grand Concours des animateurs. Jeu. Invités :Denis Brogniart, Estelle Denis, Marc-Emmanuel,Catherine Laborde, Christophe Beaugrand...23.20 Vendredi, tout est permisavec Arthur. Invités : Laury Thilleman,Alain Bernard, Titoff, Malik Bentalha... (115min).

FRANCE2

20.45Nicolas Le Floch.L’Homme au ventre de plomb. Téléfilm. Edwin Baily.Avec Jérôme Robart. [1- 2/2] (Fr., 2008, audio.).22.30Ce soir (ou jamais !) (110min).

FRANCE3

20.45 Thalassa.Partir ! Magazine. Au sommaire : Partir !Grand format : Nous irons à Venise.23.30Météo, Soir 3.0.05Signé Mireille Dumas.Des dynasties pas comme les autres (120min).

CANAL+

20.55RadiostarsFilm Romain Lévy. Avec Clovis Cornillac, ManuPayet, Douglas Attal (Fr., 2012, audiovision)U.22.35 La vérité si je mens! 3p

Film Thomas Gilou. Avec Richard Anconina,Vincent Elbaz, José Garcia (Fr., 2012, 119min).

France5

20.40Onn’est pas quedes cobayes!Au sommaire : Peut-on lancer du feu commeles super-héros ?Peut-onmarcher sur des œufs ?21.30 Empreintes.Antoinette Fouque : qu’est-ce qu’une femme?22.30C dans l’air. Magazine.23.40 Entrée libre.Spécial Journée de la femme. Magazine (20min).

ARTE

20.50 LeDéclin de l’empiremasculin.Téléfilm. Angelo Cianci. Avec Grégori Derangère,Géraldine Pailhas, Arièle Semenoff (Fr., 2012).22.25 Sous un autre jour.Téléfilm. Alain Tasma. Avec Marthe Keller, KurtSobotka, Annemarie Düringer (France, 2009).0.10 Court-circuit.Magazine (55min).

M6

20.50NCIS.Série. Disparue (S10, ép. 8, inédit)U ; La Bagueau doigt. Force de dissuasion (S6, 14 et 15/25)U ;Vengeance d’outre-tombe (saison 2, 13/23)U.0.05Sons of Anarchy.Série. Jeu de guerre (saison4, 11/14, 50min)W.

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Lesjeux

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Imprimerie du « Monde »12, rue Maurice-Gunsbourg,

94852 Ivry cedex

Toulouse(Occitane Imprimerie)

Montpellier (« Midi Libre »)

80, bd Auguste-Blanqui,75707 PARIS CEDEX 13Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

26 0123Vendredi 8mars 2013

Page 27: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

270123Vendredi 8mars 2013 carnet

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Marcel et Gisèle Alalof,son mari et sa fille,

Danielle Alalof,Jacqueline Chneiderman,Josette Bonomo,

ses nièces,Odette Alalof,

sa belle-sœur,Les familles About, Arouete, Chaoul,

Naumcevski,ont la tristesse de faire part du décès de

Victorine Victoire ALALOF,née ADATO,

le mardi 5 mars 2013,dans sa quatre-vingt-treizième année.

Les obsèques ont eu lieu le 6 mars,dans l’intimité.

Bertrand Garnier,son conjoint,

Sylvette Bouvet,sa maman,

Catherine Radjef,sa sœur,

Mathieu, Amandine et Alice,ses enfants,

Sa famille,Ses amis,

ont la tristesse de faire part du décès dePascale BOUVET,

survenu le mardi 5 mars 2013.Dons à l ’associat ion Etincelle,

27 bis, avenue Victor-Cresson, 92130Issy-les-Moulineaux.

La présidenteEt les membres de l’association

Ultime Liberté,manifeste leur immense peine à l’annoncedu décès de leur président d’honneur,

Henri CAILLAVET.Il a œuvré pour la reconnaissance

des libertés individuelles et été parmiles premiers membres de l’ADMD,a en assuré la présidence avant dedémissionner.

Il a rejoint Ultime Liberté dès sacréation.

Nous le remerc ions pour sonengagement.

Uultime liberté,2, rue de l’Église,52000 Neuilly-sur-Suize.

(Le Monde du 1er mars).

Michèle et Vincent Courtillot,Georges et Brigitte Consolo,

ses enfants,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès deHélène CONSOLO,

née BILTZ,veuve de Jean CONSOLO,

à Paris, le 28 février 2013,dans sa quatre-vingt-treizième année.

Ses obsèques ont été célébrées dans laplus stricte intimité familiale.

Bois-Colombes. Asnières-sur-Seine.

Didier Elhai,son fils,

Muriel et Hélène,ses petites-filles,

Claudette Elhai,sa belle-fille

Et toute la famille,

ont l’immense tristesse et la douleurde faire part du décès de

Simonne ELHAI,née LAVERDET,

survenu le 5 mars 2013,à l’âge de quatre-vingt-onze ans.

Les obsèques auront lieu dans l’intimitéfamiliale.

Huguette Gaymard,son épouse,

Michèle et François,ses enfants,

Paule Primet,Simon, Laura, Nina et Sarah,

ses petits-enfants,Thérèse et Gérard Blériot,

sa sœur et son beau-frère,Myriel Pellisier

et ses enfants,Bernard Jampsin, Daniel Gaymard,

ses cousinsEt leurs familles,

ont la grande tristesse d’annoncer le décèsde

Pierre GAYMARD,survenu dans sa quatre-vingt-troisièmeannée,à son domicile, 14, passage Bullourde,Paris 11e.

Un service rel igieux aura l ieule vendredi 8 mars 2013, à 14 h 30,en l’église Notre-Dame-d’Espérance,47, rue de la Roquette, Paris 11e.

Olivier GÉRADON de VÉRA,1er mars 2013.

« Quand je serai grand »était ton credo.

Merci de nous avoir fait grandir,toi, penseur impertinent pour l’éternité.

De la part deDanielle Rapoport,Anne-Sophie Tourtoulou,Rémi Gérin,Dominique De Gramont.

Mme Rosamund Oudart,sa fille,

Laurène,sa petite-fille

Et toute la famille françaiseet anglaise,

ont la douleur de faire part du décès de

Mme Claude JEANPERT,née Fiona GANTHERET,

survenu à Paris, le 6 mars 2013.

La cé rémonie re l ig i euse se racélébrée le lundi 11 mars, à 10 h 30,en l’église Notre-Dame-de-Compassion,2, boulevard d’Aurelle-de-Paladines,Paris 17e.

Ni fleurs ni couronnes, mais des donspeuvent être faits au couvent Sainte-Claire,9, rue de Bethléem, 71600 Paray-le-Monial.

4, boulevard André-Maurois,75116 Paris.

Hélène Joly,Anne Joly,Françoise Joly

et Robert Adam,leurs enfants,

Léo Adam,leur petit-fils,

vous informe que les cendres de

Lilly JOLY,née ICHENHAUSER,

Nuremberg 1922 - Paris 2008,

et de

Robert JOLY,Saint-Denis 1928 - Paris 2012,

ont été dispersées dans l’intimité le 4 mars2013, au jardin du souvenir du cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e.

Catherine Larbaud,Dominique et Dominique Massare,Françoise et Alain Girot,

ses enfants,Martin, Frédérique,Frédéric,Véronique,Clémence, Arnaud, Claire,Jonathan, Audrey,

ses petits-enfants,Clémentine, Mathis, Natan,Gabriel, Emma,

ses arrière-petits-enfants,Et toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Renée LARBAUD,« Zizou »,

survenu le 23 février 2013.

Les obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale, le 1er mars 2013.

6, rue de la Saussaye,91300 Massy.

Odile Maître,son épouse,

François et Hélène,Élisabeth et Patrice,Sophie (†),Claire et Philippe,

ses enfants,

Marie et Micka,Adam,Margot,Ulysse,Lou,

ses petits-enfants,

Zoé et Éva,ses arrière-petites-filles,

ont la tristesse de faire part de la mort de

Jacques MAîTRE,sociologue,

directeur de recherches au CNRS,dit « Charles » dans la Résistance,

survenue le 6 mars 2013.

L’inhumation aura lieu dans l’intimitéfamiliale auprès de sa fille,

Sophie.

Un hommage l u i s e r a r enduprochainement à Paris.

Maître,11, boulevard du Temple,75003 Paris.

AndréeNEDJATI ROLLAS,

née FABRE,ancien conservateure

aux musées d’archéologied’Istanbul et de Laon,

nous a quittés, le 1er mars 2013,à l’aube de sa centième année,

Entourée deSuzanne Nedjati Allman,

sa fille,Elsa Allman,

sa petite-fille.

En sa mémoire, et en celle de son mari,

Enver NEDJATI,ancien journaliste

à RTF,

ce poème de Nazim Hikmet,

« Le chat s’en ira le premier,Dans l’eau se perdra son image, (...)

Et puis s’en ira le platane (...) »

[email protected]

Alexandre Koller,son époux,Rémi et Odile Koller,ses enfants,Adeline, Vincent et Benoît,ses petits-enfants,

Noé,son arrière-petit-fils,font part du décès de

Jeannine PANTEL,épouse KOLLER,

le 1er mars 2013, à Andilly.Après incinération, ses cendres seront

placées dans le caveau où reposent sesparents, au cimetière de Massillargues-Attuech, Gard.« On a toujours raison de se révolter. »

Jean-Paul Sartre.6, rue du Petit Gril,95230 Soisy-sous-Montmorency.

Mme Paul Séguin,son épouse,

Le professeuret Mme Jacques Séguin,

M. et Mme Richard Séguin,ses enfants,

Eva, Jean-Baptiste, Gabrielle, Léaet Geneviève,ses petits-enfantsont la douleur de faire part du décès de

M. Paul SÉGUIN,officier de la Légion d’honneur,

officier dans l’ordre national du Mérite,chevalier

dans l’ordre des Palmes académiques,grande médaille de vermeil

de la ville de Paris,commandeur

de l’ordre de l’Empire britannique,ancien de la Royal Air Force,

survenu le 26 février 2013,dans sa quatre-vingt-huitième année.

L’inhumation a eu lieu dans l’intimitéau cimetière de Gentilly.

Un culte d’action de grâces aura lieuen l’église réformée du Saint-Esprit,5, rue Roquépine, Paris 8e, le jeudi 4 avril,à 18 heures.

« Tu m’as soutenuà cause de mon intégrité

Et tu m’as placé pour toujoursen ta présence. »Psaume XLI, 13.

Cet avis tient lieu de faire-part.

M. Guy Lapomme,son époux,

Claire et Eric Bidault-Lapomme,Pierre et Caroline Lapomme,Bénédicte et Laurent Gauci-Lapomme,Vincent et Marie-Céline Lapomme,Séverine et Hervé Garat-Lapomme,

ses enfants,Laurent, Alice, Thomas, Anna, Lucie,

Zoé, Auguste, Antoine, Paul, Gabriel,Raphaël, Pauline, Marion, Lucas, Hugo,Emile, Louise, Félix, Joséphine et Max,ses petits-enfants,

Liliane et Michel Alvergnatet leurs enfants,

Béatrice Rossignol,ses sœurs et beau-frère,ont la tristesse de faire part du décès de

Mme EdwigeTALIBON-LAPOMME,

survenu le 26 février 2013,à l’âge de soixante-dix-sept ans,àMontpellier.

Ses obsèques ont eu lieu le 1er mars,àCastelnau-le-Lez dans l’intimité familiale.

Avec ses articles dans Combat ,Le Monde et ses actions pédagogiquesà l’école des parents et au centrede formation pédagogique, elle a été unemilitante ardente pour faire admettre lesenfants comme des personnes et lalittérature enfantine comme de la littératureà part entière.

M. Guy Lapomme,51, rue de Plaisance,92250 La Garenne-Colombes.131, chemin des Papillons,34170 Castelnau-le Lez.

L’Association Germaine Tillion

est profondément peinée par le décès,survenu le lundi 4 mars 2013, d’un de sesmembres,

Denise VERNAY,née JACOB,

«Miarka » dans la Résistance.

Résistante, arrêtée avec deux postesémetteurs en juin 1944, déportéeà Ravensbrück puis àMauthausen.

Elle avait des responsabilités dansde nombreuses associations et elle futl’assistante de Germaine Tillion.

Remerciements

Isabelle et Thierry Bogaert,Florence Compagnon,François et Murielle Compagnon,Et leur famille,

très touchés des nombreuses marquesde sympathie reçues lors de la disparition de

Jean etCarolineCOMPAGNON,

tiennent à exprimer à tous leur profondereconnnaissance et toute leur amitié.

Anniversaires de décès

Les 3 et 11 mars 1990,

Hélène BLOCHEet

Anne-MarieBLOCHE-JALOUNEIX,

nous quittaient.

Nos existences se poursuivent dans lafidélité à ce que furent les engagementsde leurs vies.

Il y a un an, le 8 mars 2012,disparaissait

Alain DECHEZELLES.Ayons une pensée ou une prière pour

lui en ce jour anniversaire.

Ses fidèles amis qui l’ont aimé et à quiil manque beaucoup aujourd’hui.

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Communications diverses

L’Association des amis de l’œuvrede Claude Vigée

célèbre le centenaire d’Albert Camus,avec A. Spiquel,

ainsi que J. Lacoste (sur Romain Rolland)J. Migrenne, M. Couquiaud

et P. Sacks-Galey.

Après-midi poétique,samedi 16 mars 2013, à 15 heures.

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Page 28: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Mortpours’êtremalgaréLettred’AfriqueduSudSébastienHervieu

C e taxi collectif bloquait-il la circula-tionaprès s’êtrearrêté sur la chaus-sée le tempsde fairemonterdes

clients?C’est en tout cas l’habitudedeschauffeursde«combi»enAfriqueduSudquiaimentdisposerde la route commeilsl’entendent.Mais cemardi26février, dansle townshipdeDaveyton,prèsdeBenoni,à l’estde Johannesburg,MidoMaciaesttombésur (beaucoup)plus fort que lui.

Dans la rue, le tonmonte avecdes poli-ciers. LeMozambicainâgéde 27ans se ris-quemêmeàpousser plusieurs fois dubrasunagent face à lui. En revanche, surla vidéod’un téléphoneportable priseparunmembrede la foule spectatrice,pointde trace d’une arme sortie par lechauffeur. Cette justificationseramiseenavant après couppar les enquêteursdepolice pour expliquer la scènequi suit.

L’hommefinit par être interpellé.Maisil résiste. Impossiblepour cinqpoliciersdeparvenir à le faire rentrer dans leurfourgonnetteblindée.Qu’importe. Ceshommes, qui se savent pourtant filmés,décidentde lemenotter à l’arrière duvéhiculequi peut alors démarrer. Surunautre film, on voit ainsiMidoMacia êtretraîné sur aumoins deuxcentsmètres,les fesses et les jambes râpant le bitume.

«Les imagesde l’incident sont terrifian-tes, choquantes et inacceptables.Aucunêtrehumainnedevrait être traitéde la sor-te», reconnaîtra leprésident sud-africain,JacobZuma.Maisquedire alorsde cequise jouaà l’abri des regards?Deuxheuresaprèssonarrestation, le conducteurestretrouvémortdans sacellule. La fauteà

untraumatismecrânienetunehémorra-gie interne, selon l’autopsie. Lespolicierssontaccusésd’avoir administréune leçondeconduiteauchauffeur.

Quese serait-ilpassé si cette arrestationn’avaitpasété filmée?Aumieux,MidoMaciaaurait étéunestatistique. Selon lapolicedespolices sud-africaine(IPID),720personnessontmortesaucoursd’opé-rationsdepoliceouendétentiondansuncommissariatpendant l’exerciceannuel àcheval sur2011 et 2012.

Aupire, sonsortn’auraitmêmepasétécomptabilisé, laplupartdes casd’abusdelapolicen’étantpasdénoncéspar lavicti-meousa famille,parméconnaissancede

leursdroitset par craintede représailles.SanscompterqueMidoMacian’étaitpassud-africain.Laxénophobieestpatenteauseindes forcesde l’ordre. Lamajoritédespoliciers jugent les étrangers responsablesde laplupartdes crimes, selonuneétudepubliéeen2008par leCentrede l’étudedelaviolenceet de la réconciliation (CSVR).

Cette fois-ci, c’estdifférent.Quanddespoliciers sontarrivés,mercredi 7mars, à lacérémonieenhommageàMidoMacia, ils

ontétéhuéset forcésdequitter les lieux.Unerebuffadecommemaigreconsolationpourdesprochesencolèreenquêtedeboucsémissaires.

Mais sur lebancdesaccusés, il faudraitplutôtd’abordappelerdes fantômesdupassé.Cesdirigeantsde l’apartheidquiavaient transformélapolice, auxvisagesblancsmaisaussinoirs, enbrasarméde larépression.Dans les rangs, labrutalitéétaitdevenue lanorme, la tortureune rou-tine.Après la chutede l’apartheid,onaaccolé le terme«service»à l’appellationdes forcesdepolice (SAPS)pourmarquerla rupture. Jusqu’audébutdes années2000, lemota étésuivi d’effets. Lesdécèsdusà l’actionde lapoliceontatteint leurniveau leurplusbas en2002/2003.

Mais l’opinionpubliquesemet à récla-merdescomptesalorsque les tauxdecri-minalitéatteignentdes sommets. Lapoli-ce recrutealorsà tout-va.60000agentsenhuitans, soitunehaussed’untiers.«Des candidatsqui auraientdûêtre refou-lés étaientquandmêmeadmis, et dans lemêmetemps, la formationestpasséededeuxàune seuleannée», se souvientGarethNewham,de l’Institutdes étudesdesécurité (ISS) dePretoria.

Apartirde 2005, les troupessont aussiencouragéespar leurs supérieurs«à tirerpour tuer».Mal formés, lespoliciersmulti-plient lesbavures, aujourd’hui«générali-sées», selon le chercheur. Leshuit agentsmisen causeàDaveytonont étémisàpied, arrêtéset inculpéspourmeurtre.Mais le tauxdecondamnationdes forcesde l’ordreest faible.

Depuisdesannées, les spécialistes récla-mentdes responsablescompétentsethon-nêtesà la têtede lapolice. Ilsontétépeuentendus. JackieSelebi fut condamnéàdixansdeprisonen2010pourcorruption,etBhekiCele, lui aussi ex-chefde lapolice,futpousséà ladémissionen juin2012àcaused’affairesdouteuses.Nomméepourle remplacer,RiahPhiyeganeprésentaitsursonCVaucuneexpériencedans lapoli-ce.Unchoixsurprenantde lapartduchefde l’Etat, apparemmentplus soucieuxdeplacerà cepostesensibleuneprocheà laloyauté indéfectible. p

[email protected]

C en’était pas, hier soirmercredi6mars, undocumentaire consacréàMohamedMerahpar France 3

maisune soirée entière dévolueau tueurtoulousain, presqueunan après l’effroya-ble série d’assassinats commispar lejeune islamiste radical qui, du 11 au19mars 2012, tua froidement troismilitai-res dans la ruepuis trois enfants etunadulte devantune école juive.

Plus curieusement, il semblait en faits’agir de la duplicationd’unmêmemodu-le, bien connude ce type d’enquêtes télé-visées: le documentaire reportage et sondébat enplateau, avec témoinset protago-nistes. Car, en effet, la chaînepubliqueprésentait d’abord, à 20h45, «AffaireMerah: itinéraired’un tueur» (2012), lefilmde Jean-CharlesDoria, précédéd’uneodeur légèrement soufrée, suivi d’undébat endirect,menépar Samuel Etien-ne; puis, à 22h30, dans le cadre de«Piè-ces à Conviction», un seconddocumentai-re, qui racontait lamême«odyssée crimi-nelle», avecd’autres témoins, et précé-dait unnouveaudébat, enregistré àl’avance,dirigépar Patricia Loison, en pré-sencedeManuelValls,ministrede l’inté-rieur. (Ce dernier était par ailleurs, cemêmemercredi, à la table de «C à vous »,l’émission conviviale d’AlessandraSubletsur France 5 à l’heuredudîner.)

Le documentairede Jean-CharlesDoria, présent sur le plateaudeSamuelEtienne, a bien failli être déprogramméen raisond’uneplainte en référédéposéepar les prochesdes victimesquin’ontguère apprécié quedes séquences filméesde reconstitutiondesmeurtresdeMerahsoient incarnéespar des acteurs et que lasœuret lamèredu criminel, aux témoi-gnagespassés très controversés, apparais-

sent devant la caméra. L’unedes séquen-ces demeurtres a été retranchée in extre-mis avant la diffusion,mais le reste dudocumentaireest demeuré tel que l’avaitconçu son auteur.

Ce «principenarratif» est courantdans lesproductionsdumêmetype (argu-mentdéfenduparDoria), notamment cel-les venuesdes Etats-Unis.Mais on auraittort d’accuser lemodèle américain tant ilest devenuomniprésent en France, et passeulementdans les enquêtesprésentéespar les chaînesprivées et sensationnalis-tes : l’exemple en a été donnépar «Faitesentrer l’accusé», qu’a longtempsprésen-tée ChristopheHondelatte sur France 2avantd’en laisser, depuis 2011, les com-mandes à FrédériqueLantieri.

Onpeut être dérangépar le portraitpresqueattendri (mais assez fouillé) dutueur, qu’on voit pour la première foissurdes films et photos amateurs, et eneffet par l’artifice des images coûtequecoûte reconstituéesoudécrites avec réa-lismepar des témoins, commesi des cro-quis ouunenarrationne suffisaientpas.Mais il est aussi possiblede regretterl’écœurantedramaturgiede l’accompa-gnementmusical et la constructiondurécit en constants flash-back et flash-forwardsqui nuisent à la clarté duproposdont, il est vrai – etDoria lemontre biensinon–, beaucoupd’aspectsdemeurentenquêtede vérité.p

Onpeutêtredérangéparleportraitpresque

attendri (maisassezfouillé)dutueurMerahMalformés, lespoliciers

multiplientlesbavures,aujourd’hui«généralisées»,

selonGarethNewham,del’InstitutdesétudesdesécuritédePretoria

0123

C’estàvoir… | chroniqueécranspar RenaudMachart

Agneaucarnivore

pTirage duMondedaté jeudi 7mars 2013 : 316 065 exemplaires. 2

28 0123Vendredi 8mars 2013

Page 29: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Surlacrêtedesmots

p r i è r e d ’ i n s é r e rMarkBehrRetourauveldnatal«LesRoisduParadis»reflète la violenceet lesdivisionsd’unpaysenmutation, l’AfriqueduSud.Détonant

Jean Birnbaum

Catherine Simon

Il est fort, Mark Behr. Si l’on n’yprenait garde, on pourrait nevoir,danscettehistoired’unfilsqui revient au pays pour en-terrer sa mère, que le énièmeroman, teintédenostalgie, d’un

auteur parmi d’autres, traitant d’unsujetmille fois rebattu. Sauf que l’his-toire se passe au fin fond du veld, lacampagne d’Afrique du Sud. Et que lefils en question,Michiel, jeuneAfrika-ner de bonne famille, chassé de l’ar-mée sud-africaine après avoir été sur-prisen traindebatifoler avecun«offi-cier de couleur», a refait sa vie auxEtats-Unis, avec un gay de San Fran-cisco. Un cocktail explosif, qui donneà ce livre, à la charpente subtile et austyle fluide et sobre, une puissancedétonante.

Censée, depuis les années 1990et letriomphedeNelsonMandela, incarnerla «nation arc-en-ciel», l’Afrique duSudrestemarquéeauferrougeparsonhistoire– celledesguerresdeconquêteetde l’apartheid.Laconfrontationavecces pages sombres du passé, long-temps censurées, refoulées et encorelargement méconnues, est devenueuneobsessiondesromancierssud-afri-cains, commele rappelle l’ouvragecol-lectifAfriqueduSud.Unetraverséelitté-raire (Institut français-Philippe Rey-INA,2011).MarkBehr,néen1963enAfri-que du Sud, où il a passé sa jeunesse,n’échappepas à la règle. Dans sonpre-mier roman, L’Odeur des pommes(JC Lattès, 2010), on suivait la descenteen enfer d’un enfant, le petit MarnusErasmus, vivant sous l’emprise de sonofficier de père et peu à peu séduit parl’idéologie viriliste des tenants d’uneAfriqueduSudblancheet«pure».L’en-ferdeMarnussesituaitdanslesannées1970, dans la ville du Cap, et s’achevaitenpleineguerred’Angola.

Avec Les Rois du Paradis,nous voicien rase campagne, aumilieu des colli-nes de l’Etat libre d’Orange, berceauhistoriquedesBoers.S’ilyaunemajus-cule à Paradis, c’est parce que la fermedesparents,DawidetBeth Steyn, a étébaptisée ainsi. Quatre chênes cente-naires se dressent à l’entrée. En pous-sant, ils ont défoncé la vieille grille defer forgé. «Un Anglais, un dénomméHorwood,avait eu ledomainepour sixpence. Quand la ferme fut rendue auxAfrikaners, le premier Oubaas Steyns’empressa d’effacer la graphie an-glaise», explique le narrateur. Exit«The Paradise», vive «Le Paradis» !Quelle que soit la manière d’écrire, lebonheur n’est souvent qu’un vœu.«On raconte dans la famille (…) que lesquatre chênes avaient été plantés pen-dant la guerre des Boers par le dernierpropriétaireafrikaner,àlamémoiredesafemme,desesdeuxfillesetdesonfilsnouveau-né, morts dans les camps deconcentration d’Aliwal », ajouteMichiel, commeenpassant.

Déjà, dans L’Odeur des pommes,Mark Behr excellait à tresser son récitde différents courants de mémoire.

DansLesRoisduParadis, cequimetenbranle ceballetdes souvenirs, obscurset bouleversants, c’est la mère, figurerayonnante, ouverte aux autres.Contrairement à son époux, désor-mais veuf mais toujours acariâtre etd’un conservatisme extrême, BethSteyn, morte d’une crise cardiaque,était membre du Comité féminin del’EgliseanglicaneetsympathisanteduCongrès national africain (ANC). C’estelle, au fond, quipermet, aprèsde lon-gues années d’absence, le retour dufils, « le petit dernier par qui était arri-

véel’infamie»,commelenarrateurlui-mêmese décrit.

A l’occasion de l’enterrement,Michiel renoue avec les siens. Cesretrouvailles réveillent des douleursintimes, des rancœurs familiales qui,tel un miroir déformant, reflètent lesdivisions d’un pays en pleine muta-tion. Les déboires de Michiel ne sontrien, comparés au drame de son frèreaîné, Piet, homosexuel non assumé,dont lamort hante à jamais la familleSteyn et ses silences. Les hommes ontrarement lebeau rôledans ce romanàmultiples tiroirs. Ce sont les femmes,telle Lerato, fille de domestique deve-nue, à la force du poignet, cadre supé-rieure dans une société internatio-nale, ou Karien, le premier amour deMichiel, qui incarnent cette Afriquedu Sud enmarche. Les Rois du Paradiss’achèveen2001,le11septembrepréci-sément, comme pour chasser au loin,au cœur de l’Occident, le souffle de latragédie.

Délicat, généreux, foisonnant, ledeuxième roman de Mark Behr faitécho, à sa manière, à l’œuvre inache-vée de l’écrivain Kabelo Sello Duiker,

natifde Soweto, suicidéen2005, qui avait abordé, luiaussi, la question de l’ho-mosexualité, notammentdans TheQuiet Violence ofDreams(«Latranquillevio-lence des rêves», KwelaBooks, 2001, non traduit).Michiel, le héros de MarkBehr, quitte la scèneautre-

ment: ce «bourgeois émigré»,devenuun «bobo américain», n’est pas reve-nuenAfriqueduSudenacteur,«maisen spectateur, en figurant ». Il enrepart, grandi et blessé à la fois – sanshappy end ni arc-en-ciel. A l’image dunouveausiècle.p

8aLe feuilletonEric Chevillarda appris à lireJean-Marc Lovay

10aRencontreTanguy Viel,sous l’abride la fiction

2 3aGrandetraverséeLa psychanalyseest unhumanismeTrois livresreplacentl’empathie etl’échange aucentre de la cure.Entretienavec JacquesAndré

5aLittératurefrançaiseKatrina Kalda,CatherineGuillebaud

6aHistoired’un livreLe Cycle d’Oz,de L. FrankBaum

L es EditionsduSandre, jeunemaisonhardiedontle catalogueaccueille aussi bienNicolas Chamfort etDominiqueNoguezquePierreKropotkine etGustav

Landauer, publient aujourd’hui un livre d’unebeauté étran-ge,Crise demots (220p., 16 ¤). L’auteur,Daniel Blanchard,79ans, a structuré son existence autour dedeux termesvulnérables, sans cesse exposés à la perversiondes impos-teurs: révolution, poésie. Aumilieudes années 1950, ilmili-te au seindugroupe SocialismeouBarbarie, fondépar Cor-neliusCastoriadis et Claude Lefort, avantde s’en éloigner.Certes, juge-t-il, ses camarades visent une cause juste:maintenir vivante l’espérance socialistemalgré le stali-nisme, l’arracher à l’horreur totalitaire.Mais leur paroletourne àvide, elle est abstraite, instrumentale, coupéede la languevivante. Blanchard sombre alors dans l’ennuiet la dépression.

En est-il jamais sorti? Apparemmentnon, et c’est juste-ment là que réside la troublantepuissancede ce texte. Poursurmonterunmalaise politique et langagier, pour retrouverdesmots dont il puisse répondre, Blanchard s’en remet aupoème. C’est-à-dire à lapossibilité d’une révolte différente,d’une insurrectionqui changerait lemonde en laissant leschoses ouvertes. La poésie ne tournepas le dos au réel, ellese jette à sa rencontre pour le relancer autrement. Dumoinselle essaie. Car dans la sociétémarchande qui est lanôtre,martèle cet ancienprochedeGuyDebord, touteparole serévèle factice. Lapreuve: révolution et poésie, cesmots sontdevenus inaudibles. Une seule solution, dès lors : l’exil inté-rieur, entre «métaphore délirante» et «paranoïa critique».

MéditantMallarméet Leopardi, Daniel Blanchard trouveabri dansun souvenir d’enfance. Au sommetd’unemon-tagne, sonpère lui racontait les combatsmenés la veillecontre les nazis. Depuis la fermeoù toute la famille s’étaitréfugiée, le résistant faisait résonner lesmots «camarades»,«révolution», « liberté». Ilmontrait ainsi le chemin, trans-mettait l’espoir d’uneprésence authentique ethaute queson fils devait nommerplus tardd’une superbe formule:«La vie sur les crêtes.» p

4aLittératureétrangèreGerbrandBakker, GiorgioFontana

7aEssaisEst-ce vraiment«la fin deshommes»,comme le préditHanna Rosin?

9aEnquêteSarkozy faittoujours vendredu papier

Ce n’est pas en acteur,«mais en spectateur,en figurant», que lehéros du livre est revenuenAfrique du Sud Il y a 2 sexes

Féminologie I, 1995, 2004, Gallimard

GravidanzaFéminologie II, 2007, des femmes

Qui êtes-vous ? Antoinette FouqueEntretiens avec Christophe Bourseiller, 2009, Bourin Éditeur

©So

phie

Bas

soul

s

De lagestation

commeparadigmede l’éthique

et originedu don

Un film de Julie Bertuccelli - Collection EmpreintesAntoinette Fouque - Qu’est-ce qu’une femme?SUR FRANCE 5 vendredi 8 mars à 21 h 30à l’occasion de la Journée internationale des femmes

et dimanche 10 mars à 7 h 45Coproduction France 5 / Cinétévé, 2008

DVD France Télévisions Distribution, 2010

Les Rois duParadis(Kings of theWater),deMarkBehr,traduit de l’anglais (AfriqueduSud) parDominiqueDefert,JC Lattès, 324p., 20,90¤.

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Cahier du «Monde »N˚ 21192 datéVendredi 8mars 2013 - Nepeut être vendu séparément

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Extraits

ElisabethRoudinesco

Alors que la psychanalyse estdeplus enplus attaquéeparles tenants d’un scientismesans âme, nombreux sontles praticiens qui conti-nuent, avec intelligence et

ténacité, à faire perdurer la cliniquefreudienne, autant dans des institutionspubliquesquedans leurs cabinetsprivés.

Trois ouvrages témoignent de cetteréalité. Leurs auteurs – Catherine Vanier,SergeTisseron,RadmilaZygouris–ontencommun d’avoir été analysés chacun, etsanslesavoir,partroiscélèbrespsychana-lystes français – Maud Mannoni (1923-1998), Didier Anzieu (1923-1999), SergeLeclaire (1924-1994) –, tous trois anciensélèvesde JacquesLacan.Dans leurs livres,sidifférentssoient-ils, ilsaccordentà leurpropre expérience de la cure une placecentrale, comme si chacun d’entre euxvoulait témoignerà la foisd’unepratiqueet d’un héritage transmis par leursmaîtres.

Dans la droite ligne de l’enseignementdeMaudMannoni,CatherineVanier s’oc-cupe depuis vingt ans de grands préma-turés dans le service de néonatologie del’hôpital public Delafontaine, situé àSaint-Denis (Seine-Saint-Denis). A partirde cette expérience de terrain, elle relate,

dansNaîtreprématuré,deshistoiresbou-leversantes de bébés, nés en général à25 semaines, et dont nul ne sait, à l’ins-tant de leur venue aumonde, s’ils serontun jour des enfants comme les autres. Lascience médicale a tellement progresséque désormais ces minuscules nourris-sons peuvent être sauvés, sans lésionsorganiques ultérieures, grâce à des cou-veuses perfectionnées qui, pendant plu-sieurs semaines, se substituent à la rela-tion parentale. Et, s’il s’avère que leursfonctions vitales sont atteintes, les équi-pesmédicales transfèrent lesprématurésdont ils ont la charge dans une unité desoins palliatifs afin qu’ils puissent ymourir sans souffrance.

Travaillant en étroite collaborationavec ces soignants, Catherine Vanier nese demande jamais s’il est juste ou injus-te de laisser vivre oumourir ces enfants.Dansun tel service, nul ne songeàpropo-ser à des parents en détresse tantôt unacharnement thérapeutique inutile outantôt une interruption de vie immé-diate. Ici, chaque histoire est singulière.

Ainsi cellede Jade,néeà29semainesetdont la mère, schizophrène, ignoraitqu’elle avait accouché. Ayant survécu,Jade est placée chez une nourrice et samère internée. Convaincus des bienfaitsde l’instinct maternel, les soignants duservice psychiatrique décident un jourque celle-ci doit donner le biberon à sonbébé. Mais le lendemain, plutôt que d’af-fronter de nouveau une «épreuve» dontelle ne saisit pas la signification, elle sejette de la plus haute fenêtre de l’hôpital.Terrible traumatisme pour l’équipe denéonatologie.

Ou encore l’histoire plus joyeuse deces deux jumeaux dont les parents afri-cains affirment que seul un rituel, et nonpas une couveuse, leur permettra de sur-vivre. Après une difficile négociation, lepère est autorisé à se peindre le visage

puis à danser et à chanter autour de lamachine, sans pouvoir toucher les nour-rissons qui lui seront rendus en pleinesanté ultérieurement.

Quand un bébé qui a survécu quitte leservice, il reçoit un livre où «sont colléesdes photos, de sa naissance à sa sortie. Onyracontesonhistoire, sonévolutionmédi-cale mais aussi ses habitudes et sesgoûts ». Cet objet, en forme de don,l’accompagnera toute sa vie s’il le sou-haite…Aufil despages, ondécouvre la viequotidienne d’une communauté médi-

cale qui, demanière spontanée, s’adresseà ces prématurés entre la vie et la mortcomme à de grandes personnes : «On apréparé les bébés avant de partir, s’excla-me un médecin, lors d’un transfert descouveuses vers une nouvelle unité, j’es-père qu’ils ne vont pas être trop impres-sionnés par lamajesté du lieu.»

Dans une autre perspective tout aussihumaniste,SergeTisseronachoisiderela-ter sa deuxième tranche d’analyse avecDidier Anzieu. Et il intitule Fragmentsd’une psychanalyse empathique cette

expérience de soi qui se déroule entre1986 et 1995 : « Ce livre parle d’unpsychanalyste souriant, empathique etchaleureux.»

L’ouvrage mêle deux narrations dis-tinctes. L’une, composée en italique, per-met à l’auteur de transcrire le déroule-ment de sa cure ; l’autre, en caractèresromains, sert à commenter non seule-ment le contenu de celle-ci mais ce qu’ilpeut en tirer pour sa propre pratique.Aussi bien dresse-t-il unmagnifiquepor-trait de Didier Anzieu, clinicien hors du

Grande traversée

Chacun de ces auteurs veuttémoigner à la fois d’unepratique et d’un héritagetransmis par leursmaîtres

«Les psychanalystes qui reçoivent des patients encure-type sont quelquepeu “frileux”à l’idéed’allers’aventurer dansun service de réanimationnéo-natal, loin dudivan et du fauteuil. (…)Bien sûr, ilne s’agit pas, dans ces services, de psychanalyseclassique.Onne fait pas d’analyse en service deréanimation, et notre place, qui ne repose le plussouvent que sur le transfert de l’équipe, n’est pasfacile à tenir et ne cesse denous interroger.Maisonne peut que déplorerde telles résistancesde lapart des psychanalystes quandon sait la richessequ’apporte ce typed’expérience. Ceux qui ontaccepté de s’y risquer témoignent tous combienleur pratique s’en est trouvéemodifiée, y comprisdans le cadre de la cure-type.»

Naître prématuré, page334

«Ce jour-là, j’étais triste, très triste. J’avais achetéune veste juste avantma séance, une veste noir etblanc, pourne pasdire “blanche et noire” commele jour oùGérarddeNerval se suicida… (…)Ce jour-là, il ne dit rien et je n’euspas à cœurde lui poserdes questions.Mais, à la fin de la séance, sur le pasde la porte, aumomentdeme serrer lamain, ilmedit avec ungrand sourire : “Vousavez bien fait devous acheter ce costume, il vous va très bien.”Nousn’étionsplus vraiment dans l’espace de laséance,mais nous n’étionspas nonplus endehors. Nous étions dans un “entre-deux”, dansune sorte de sas, autant dire un espace tout indi-quépour parler de cette autre formed’interfacequ’est le vêtement.»

Fragmentsd’une psychanalyse empathique, page78

«Charlie avait 13 ans quand je l’ai vue pour la pre-mière fois. (…) elle s’était surnomméeelle-mêmeainsi. Sonnom lui venait par ailleurs d’un choixqu’avait fait samère: c’était le nomd’une enfantmorte en campde concentration et dont l’histoirel’avait beaucoupémue. CharlieMachinavait unedrôle d’allure quand elle est arrivée. Crispée etdéchaînéeà la fois, plutôt laide, elle paraissait18ans: “Ah c’est chez vous qu’on envoie les pluscinglés duCentre,mapôvdame? Je suis cinglée,vous savez? Vous savez, je suismêmedangereuse,mamèrea peur demoi, cette fragile créature,elle aune de ces trouilles ! L’autre jour on s’est bat-tu, je l’ai griffée,mordue, elle a appelé PoliceSecours.”» (mars1974)

L’Ordinaire, symptôme, pages53-54

Trois livres, signésdepraticienschevronnés, rappellentàpointnommécequelacliniquefreudiennecomprendd’humanité,d’empathieetd’échange

Lepsychanalyste,cethumaniste

2 0123Vendredi 8mars 2013

Page 31: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Fragmentsd’unepsychanalyseempathiquedeSergeTisseron,AlbinMichel, 206p., 17 ¤.Convaincude lanécessité de rénoverdefonden comble la cliniquepsychanalyti-que, SergeTisseron, psychiatre et psycha-nalyste, évoque sapropre formation surle divandeDidierAnzieu.Ainsimet-il enlumière le rôle fondamental que jouel’empathiedans le processusde la cureoù chacundevient soi en référence àunautre. En racontant avec bonheur et légè-reté lesmoments forts de sa cure, et enévoquant celle de sonanalyste avecJacquesLacan, il se proposede trans-mettre à ses analysants l’héritagequ’il areçude sonmaître.

L’Ordinaire,symptômedeRadmilaZygouris,D’Octobre, 220p., 20¤.Dans cet ouvrage, sonpremier livrepublié en français, RadmilaZygouris, cli-niciennede grande renommée, a choiside réunir les textes qu’elle avait écritsentre1973 et 1981 pour L’Ordinairedupsy-chanalyste, revue très singulièred’unecertainegauche libertaire où s’étaientretrouvés, au risquede l’anonymat, despsychanalystes lacaniens animésparundésir communde lier leurpratiqueàunenouvelle politiquedeprise encharge sociale des patients de toutes ori-gines: pratiqueà la fois rigoureusedansl’écoute ethumaniste dans l’approchedes souffrances les plus extrêmes.

Propos recueillis parJean Birnbaum

Psychanalyste, professeur àl’université Paris-VII-Di-derot, JacquesAndrédirigela collection « Petite bi-

bliothèque de psychanalyse » auxPresses universitaires de France.Auteur de plusieurs essais sensi-bles et élégants, dont L’Imprévuenséance (Gallimard, 2004), il signeaujourd’hui un « Que sais-je ? »surLa Sexualitémasculine.

Dans votre livre, les seules paro-les que vous citez sont celles devos patients et celles des écri-vains, Baudelaire, Sade, Aragon,Houellebecqou Philip Roth. Enrevanche, vousmobilisez peude références théoriques. Est-ceà dire que les praticiens de lapsychanalyse peuvent désor-mais se passer de concepts?

Plus d’un siècle après la fonda-tion de la psychanalyse, la théorieest pour l’essentiel constituée et,même si la théorisation est sansfin, même si le monde où nousvivons appelle des perspectivesdifférentes, on dispose des basesde l’édifice, on n’a plus besoin deconstruire de grands systèmes.Aujourd’hui la surprise vient tou-jours d’ailleurs: de la pratique, del’expérience des patients. Là, l’im-prévu est garanti ! Que l’art, et enparticulier la littérature, puisseéclairer ces surprises, voilà uneidée qui remonte à Freud lui-même. Il était convaincu que lesgrands artistes saisissaient quel-

que chose de la vie humaine danscequ’elle a deplusviolent, de plussauvage. Il faut donc sans cessenouer ces trois éléments: la prati-que, la puissance métaphoriquede l’art et l’héritage théorique.

Donc, dans la pratique, lathéorie vient en dernier?

Elle est toujours présente, biensûr, mais en pointillés. Ce qui estpremier, en séance, c’est la paroledupatient.L’artpeutaussiinterve-nir très vite, par associationsd’idées, du côté de l’analyste com-me du patient d’ailleurs. Ensuiteseulement vient le temps de lathéorie, mais nécessairementaprès laséance.Sinon,elledoitres-ter de l’ordre de l’inconscientcognitif.Quandlaréflexionthéori-quevientà l’espritenséance,sur lemode «ça je sais, ça je connais»,c’est presque toujours le signed’une résistance du côté de l’ana-lyste, cela signifie plutôt que sesoreillesse ferment.Quandleprati-cienconvoquesonsavoir, iln’écou-teplus lepatient.C’esttout lepara-doxe de la psychanalyse : sa mé-thodeappelleuneécouteflottantealors que sa théorie est un savoirarrêté.

Dans votre «Que sais-je?»sur la sexualitémasculine, c’estl’inconscient lui-mêmequisemble arrêté, immobile. Vousaffirmez que,malgré les évolu-tions de la société et notam-ment les bouleversementsdesrelations entre hommes etfemmes, l’inconscient, lui, n’apas bougé. «L’inconscient faitde la résistance, il est politique-ment incorrect», écrivez-vousdans cet essai où vous semblezlancer un avertissement dutype:mesdames,mesdemoi-selles,méfiez-vousdes donsJuans féministes…

Oui, il y a là deux temporalitésdistinctes.Cellede l’histoireetde lasociété, qui peut connaître desmutations accélérées. Et celle del’inconscient, qui est différente,plus autonome. Dans son essai surLa Domination masculine (Seuil,1998), Pierre Bourdieu lui-mêmene pouvait que constater que cettedomination traverse les siècles defaçon assez stable. Prenons deuxgrandes figures du fantasme del’homme devant la femme: celui

qui fait de la femmeuneputain, etcelui de l’angoisse devant la déme-sure de la sexualité féminine. Cesdeux figures n’ont pas bougé, cesfantasmes n’ont pas pris une ride,même si la vie sexuelle a connubeaucoupde transformations, et sila frontière entre ce qui est raffinéet ce qui ne l’est pas s’est déplacée.Simplement, l’offre sexuelle consi-dérable, les multiples possibilitésqui existent aujourd’hui permet-tent aux femmes et aux hommesde jouer et de rejouer quelquechose de la sexualité sous toutesses figures, sansempêcherni leres-pect ni l’amour, sans contraindreà seulement faire avec l’une,l’amante, ce que l’on se refuse avecl’autre, l’épouse. Le fond, cepen-dant, reste inchangé: on peut êtreun homme aussi démocratique etparitaire que possible, et ne pou-voir parvenir à la satisfactionsexuellequesi la femmesesoumetenpositionde levrette.

Vous qui avez à la fois une acti-vité d’éditeur et de formateur,comment voyez-vous la façondont la jeune génération de psy-chanalystes réinvente la rela-tion entre héritage théorique etexpérience clinique, et donc sonrapport au livre?

Il est devenu très difficiled’écrire lapsychanalyse, qui adéjàété beaucoup écrite. Il y a du restesurcharge de l’édition, profusionde livres qui souvent tombent desmains. On ne peut pas continuersur le mode du pensum et de laplomberie théoriques, ni mêmedu récit de cas. Il faut retrouver denouvelles formes, unemanière decommuniquer quelque chose dela psychanalyse par d’autresmoyens. Cette tâche revient auxjeunes. En tant qu’éditeur, je tra-vaille avec des 30-40ans. Je tra-vaille aussi à la formation desjeunes analystes. Ce sont souventdes personnes qui ont sacrifié auxparcours intellectuels classiques,littéraire ou scientifique, avant dese tourner vers la psychanalyse. Al’heure contemporaine de la«contrainte de résultats» et dubonheur en 20 leçons, ils ont leméritedenepas lâchersur l’essen-tiel : la psychanalyse est la seuleforme de psychothérapie qui nefuitpasdevantlenégatifde l’expé-riencehumaine,quifaitqueleplai-sir côtoie l’angoisse et la détresse.Le jeune psychanalyste est plusque jamais un être intempestif, àla fois en prise immédiate sur sonépoque et confronté aux énigmesde toujours. On attend de lui qu’ilnousparle autrement.p

NINI LA CAILLE

La Sexualitémasculine,de JacquesAndré,PUF, «Quesais-je?»,128p., 9¤.

commun qui, loin de se taire en ponc-tuant les séances d’un air compassé et àcoups d’interprétations inaudibles, s’im-plique en permanence dans le processusde la cure, proposantunverred’eauà sonpatient quand il tousse ou une servietteéponge pour qu’il se sèche les cheveuxaprès avoir été surpris par une averse.

Etonné par cette liberté de ton, Tisse-ron remarque pourtant que son analysten’évoque jamais la question des dramesfamiliaux. Et pour cause! A cette époque,Anzieu venait de rendre public son pro-

pre parcours psychanalytique et il devi-nait que son patient l’interrogeait pourlui faire dire ce qu’il savait déjà. En 1953,alors qu’il était en cure avec Lacan,Anzieuavait découvert que samère avaitété le fameux «Cas Aimée», objet de lathèse demédecine de celui-ci, publiée en1932. Et il nepardonnaitpasà Lacande luiavoirmenti à ce sujet. Le récit deTisserontémoigne donc autant d’une pratiqueque d’une inscription de celle-ci dans lecours d’une histoire qui se déploie surtrois générations.

Au contraire des deux autres auteurs,Radmila Zygouris, psychanalyste fran-çaise née à Belgrade en 1934, adoptée parunoncle grec, analysée par Serge Leclaireet réputée aujourd’hui pour son im-mense talent de clinicienne, n’avaitjamais jusqu’à ce jour publié de livre enFrance (peut-être parce qu’elle a déposétous ses écrits, en accès libre, sur un siteInternet à son nom). Il n’empêche que letémoignage qu’elle apporte dans L’Ordi-naire, symptômeestpassionnant.Accom-pagné d’un long entretien avec Pierre

Babin, l’ouvrage réunit les articlespubliés par l’auteur dans la revue L’Ordi-naire du psychanalyste qu’elle avait fon-dée avec Francis Hofstein et qui fut,entre1973et1981, l’undesplusbeauxfleu-rons de l’Ecole freudiennede Paris.

Femme libre, toujours en quête d’unpassage des frontières, Radmila Zygourisraconte comment elle découvrit l’œuvrede Freud à Buenos Aires avant de s’enga-ger dans l’aventure d’un lacanisme liber-taire. D’où sa volonté de transmettre uneexpériencecliniqueouverteauxtransfor-

mations subjectives induites par lemou-vementde l’histoire: «Les gens sont telle-ment seuls aujourd’hui qu’ils vont voir unpsy soit comme un coach, soit commel’ami qu’on n’a pas (…). C’est un signe destemps. Certaines personnes viennent mevoir parce qu’elles ont perdu leurmari ouont unemaladie grave (…). Il leurmanquede l’humain. Evidemment, en cours deroute,onpeut fairedesdécouvertesetpar-fois surgit la possibilité d’un chemine-ment analytique.»

Onne sauraitmieux dire.p

Naîtreprématuré.Lebébé, sonmédecin et sonpsychanalyste,deCatherineVanier,Bayard, «La Causedes bébés»,354p. 19,90¤.Psychanalystedans le service denéo-natologied’unhôpital public, CatherineVanier travailledepuis vingt ans àl’écoutedes équipes qui font vivre pen-dantplusieurs semainesdes nourris-sons en couveuses. Elle écoute lesparents angoissés par la violencedecettenaissance, elle parle auxminus-cules créatures et elle tisse des lienssubjectifs entre les différentsprotago-nistes de cettebouleversante expériencequimarquera chacund’euxd’une traceindélébile.

Mieuxvautêtreenbonnesanté

JacquesAndré:«Lasurprisevienttoujoursdel’expériencedespatients»Lepsychanalyste,quipublie«LaSexualitémasculine»,expliquepourquoi laparolede l’analyséestplus importantequel’héritagethéorique

Grande traversée

Coauteurdu Livrenoir de la psychanalyse (LesArènes, 2005),l’excellenthistorienMikkel Borch-Jacobsena choisi, dansLa Fabriquedes folies,de rassembler des conférences et desarticles qu’il a publiés entre1993 et 2010.Dans la premièrepartie, consacrée à Freud et ses héritiers, ilexpliqueque le premier est ungangster et les secondsdes camé-léonsqui ne cessentdepromouvoirune escroquerie.Mais cettedétestation, qui dure depuis vingt-cinqans, le conduit à oublier–et c’est dommage–que la véritable éthiquede l’historienconsiste àne jamais adopterunevisionmanichéistede l’objetétudié.A cet égard, onnepeut que s’amuserde lamanièredontil s’acharne encore, selonune version complotistede l’histo-riographie freudienne, à exhumerdes légendesdéjà décons-truites dansdenombreuxtravauxqu’il cite et qu’il connaîtparfaitement (d’Henri Ellenberger àAlbrechtHirschmüller).Mais le plus étonnant, c’est quedans la deuxièmepartie de son

livre, Borch-Jacobsen ridiculise avecun formidable talent toutesles psychothérapies tout en flanquantunevolée debois vertaux tenants de la psychiatrie biologiquemondialisée, accuséed’inventerdesmaladies, voire des épidémies (dépression, étatbipolaire, TOC, etc.), pourmieux faire vendre àprix d’or desmolécules inutiles fabriquéespar les laboratoirespharmaceu-tiques. La démonstration, très rigoureuse, est àmourir de rire.Elle tourne endérision évaluationset statistiques.Aprèsune telle charge, l’auteurpréconise, commeseul remèdevalable ànos souffrancespsychiques, de nepoint en avoir. Et ilappelle les patients psychotiques, névrosésou anxieuxà semuer en agents d’unepolitiquede soi et dubonheur. Vasteprogrammedenihilisme thérapeutique, connudepuis la nuitdes temps!p E.RoaLaFabriquedes folies.De lapsychanalyse aupsychopharmarketing,deMikkel Borch-Jacobsen, Editions Sciences humaines, 357p., 16¤.

30123Vendredi 8mars 2013

Page 32: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Le coma, la betterave, la vieC’est à désespérer et àmourir de rire –c’est en tout cas parti-culièrement réussi. Après plusieurs romans remarqués par lacritique et sélectionnés pour leManBooker Prize, le jeuneauteur britannique JonMcGregor fait une entrée fracassantedans le genre de la nouvelle. De quoi s’agit-il? De tout et derien –c’est-à-dire de la vie. De désirs inassouvis, de questionssans réponses –que serais-je devenu si?–, de lâcheté, demé-prise, de doute et de suspicion, de jalousie et de rancœur.Del’impossibilité au fond de comprendre et de connaître l’autrequand il est déjà si dur de raisonner sur soi-même. Ce tirail-lement entre la raison raisonnante et l’impulsionpremière estainsi à l’œuvre dans «Des années de cela,maintenant»: unefemmedécide d’abandonner sonmari placé sous respirateurartificiel afin de vivre enfin pleinement sa vie («Elle se deman-dait si on lui pardonnerait de partir, si on comprendrait. Elle endoutait.Mais le doute ne semblait plus une raison suffisantepour ne pas agir»). Impossible de ne pasmentionner aussi la

nouvelle, littéralementhilarante, «Fils de fer», danslaquelle une jeune femme–et alorsmêmeque sonpare-brise est percutépar une énormebetterave àsucre (sic)– se pose des questions existentielles.C’est que, dit-elle, «un événement commecelui-ci,ça vous faisait réfléchir à des choses, à vospriorités». CQFD.p Emilie GrangerayaCe qui est arrivé àM.Davison (This Isn’t the Sortof Thing That Happens to Someone Like You),de JonMcGregor, traduit de l’anglais par Christine Laferrière,Christian Bourgois, 304p., 17¤.

Les dessousdes «love hotels»Jimmachi est uneville japonaise sansborddemerni ambition.Elle fut longtemps sous autorité américaine. Ses notables sedécouvrirent alorsunpenchant pour le trafic et le sadisme.Puis vint le tempsdes fils. L’ennui succédaà l’occupation.Oncontinuaàmêler propensionsperverses et croyances ancestra-les, le tout créant le tourbillon glauqueauquel donne corps ceroman-monstre. L’épicentre enest un cercle de vidéastes ama-teurs, nourrisde télé-réalité et de sexualité frustrée. Ils truffentla ville de caméras cachées, avec uneprédilectionpour les ves-tiaires féminins, les toilettes et les chambresdes love hotels.

Unvoyeurismequi permet àAbeKazushige,l’auteurde Projectionprivée (Actes Sud, 2000), de selivrer à uneobservation cruelle de quelqueshabi-tants de la cité, tous tenuspar un jeupervers d’inte-ractions. Cenouveau romanest-il l’allégoried’uneépoque?D’unpays traumatisépar la guerre? Le lec-teur en tout cas ne le lâchepas, curieux,malgréquel-quesdégoûts, de découvrir la pulsionplus violentequi achèvera le drame.p Christophe FourvelaSin semillas (Shinsemia), deAbeKazushige, traduit dujaponais par Jacques Levy, Philippe Picquier, 838p., 28,50¤.

UnPéruviendésenchantéSituéau sommetdes collines de Las Casuarinas, unmurd’en-ceinte sépare, dans les années 1990, les pauvres et les richesdeLima, capitaledu Pérou. Les uns s’entassentdansde crasseuxbidonvilles, les autresne s’aventurentpashors des zones sécuri-sées. Le sentimentde relégation, Jeremias, fils d’une femmedeménage, l’éprouvedepuis l’enfance. Tous les jours, cet étudiantque l’espoir a abandonné sillonne la ville en bus ouen «combi»collectif. Derrière la vitre, il observe le spectacle des rues, lesmendiants, les pickpockets, les sniffeurs de colle. En chemin, ilse souvientde sonenfance, de son adolescence: les violencesfaites aux filles, l’explosiond’unemaisonprovoquéepar le Sen-tier lumineux, la ruinedes petits épargnants, le chagrinde samère abandonnéepar sonpère, l’arrogancedespuissants…Rédigé sous formede fragments, commeautant d’éclats arra-chés au réel, le romandeMarinMuchaest unemanièredebaladedansunpaysnaufragé, unomnibusqui trace, à petitevitesse, sa route jusqu’à la tragédie.pMacha SéryaTes yeux dansune ville grise (Tus ojos en una ciudad gris),deMartinMucha, traduit de l’espagnol (Pérou) par Antonia GarciaCastro, Asphalte, 192p., 16¤.

Sans oublier

FlorenceNoiville

Elle parle aux oies et auxoiseaux. Elle parle avec EmilyDickinson, sapoétesse favorite.Elle se parle surtout à elle-même, l’héroïne de GerbrandBakker. Et le roman commence

ainsi, comme un long et lent monologue.Un filet de voix à peine audible. Quelquesparolesgelées.Uneconversationhivernaleavec lanatureendormieduPaysdeGalles.

Faire du silence avec desmots. Voilà letour de force de Gerbrand Bakker. Né en1962, cet auteur néerlandais nous avaitdéjàdonnéunaperçudesaproseétrange-ment calme et envoûtante – comme enapesanteur. C’était en 2009, à la sortie deson premier livre pour adultes, Là-hauttout est calme (Gallimard, 2009). Avec cebeau roman de l’amour impossible,Bakker nous faisait entrer dans un tempssuspendu, celui de la mélancolie sourde,de la résignation muette d’un fils enverssonpère. Jusqu’à ce qu’une lettre soudainvienne réveiller de vieilles blessures quel’on croyait guéries (« Le Monde deslivres» du4septembre 2009).

Devant une telle maturité stylistique,on s’était demandéqui se cachait derrièrecette plume. Et l’on avait découvert l’iti-néraire étonnant deGerbrandBakker: unhomme qui, après des études de lettres àAmsterdam,exerceaujourd’hui,auxPays-Bas, lemétierde professeurdepatin àgla-ce l’hiver, celui de jardinier au printemps.Et celui d’écrivain le reste du temps!Danssesinterviews,Bakkerapparaîtcommeunêtre limpide et simple – à l’image de saprose –, n’hésitant pas à dire que le jardi-nage et l’écriture, «c’est la même chose».Expliquant aussi qu’il ne mûrit jamais sibien ses phrases qu’en ratissant desfeuilles sur des graviers. Parce que les tra-ces et le bruit du râteau sur la terre sontcomme les lignes et lamusique desmotssur la page.

Et voici que Gerbrand Bakker nousrevient aujourd’hui, auréolé du prixImpac,l’unedesplusprestigieusesrécom-penses décernées à une œuvre de fictiontraduite en anglais. Voici surtout qu’ilnous offre un deuxième roman qui n’arien à envier au premier. Beauté fausse-ment tranquille, nature présente et apai-sante, humour sobre: Le Détour est l’his-toire d’Agnès, une Néerlandaise venues’installer seule auPays deGalles.

Mais pourquoi seule? Et pourquoi dujour au lendemain? Qui donc est cetteAgnès? Quel âge peut-elle avoir, la cin-quantaine? On sait peu de chose de cettefemme. Simplement qu’elle se fait appe-lerEmily.Qu’elleaquittésonpayspour seréfugier là, dans cette ferme en ruine.Qu’elle a laisséderrière elle unposted’en-seignante à l’université, une thèse surEmily Dickinson, un mari aussi. On saitque la bâtisse ne lui appartient pas, maisqu’elle, la femme, se dépense sans comp-terpourlaremettred’aplomb.Pourleplai-sirdutravailmanuel?Pouréchapperàsesidéesfixes?Pluscertainement,commeonle devinera peu à peu, pour fuir un épi-sodedouloureuxde«savied’avant». Uneliaison «honteuse», dont on ne dira pasplus, de peurde déflorer le livre.

Quoi qu’il en soit, Emily a tout quitté.Elle est partie de chez elle avec lesœuvrescomplètes de sa chère Dickinson et sesdeux cartes de crédit. Elle a retiré «unegrosse sommed’argent dans quatre distri-buteurs automatiques», oublié son télé-phone portable sur le ferry et roulé sanss’arrêtervers lePaysdeGalles. Là, elle s’estprécipitée dans une agence immobilièreoù elle a trouvé cette ferme galloise enpierregrisequipouvaitse louerautrimes-tre. Elle a immédiatement acquitté leloyer jusqu’au 1er janvier de l’année sui-vante. Et c’est là, hors de tous les radars

sociaux, qu’on la voit s’installer, dans lespremièrespagesduroman,encompagnied’un troupeau d’oies criardes, de blai-reauxplusoumoinshostiles,etd’unesoli-tudeà couperau couteau.«Elle était abso-lument seule, lit-on encore page185. Ellesemblaitmêmenepas être là.»

Peut-on jamais disparaître vraiment?Se fondredans lepaysage?Peut-onnepasêtre lamêmepersonne toute sa vie? Réin-venter son existence à 50 ans? Ces ques-tions taraudaient déjà Gerbrand Bakkerdans son premier roman. Ici, les hommesfont peu à peu irruption dans l’universaustère d’Emily. Et notamment le jeuneBradwenqui,pasplusqu’elle,neveutpar-

ler du passé. Pendant ce temps, là, auxPays-Bas, lemarid’Emilyengageundétec-tiveprivépour la retrouver…

On lit d’une traite ce romand’une fem-me en fuite. Ces instants du milieu de lavie où le passé remonte comme l’humi-dité sur lesmurs. Ce queGerbrandBakkerexcelleàsaisir, cesontlesémotionsimpal-pables d’un être qui se veut lui-mêmeinsaisissable. Et tout ce qui gravite autourdu thème de la disparition, réelle ou figu-rée – les oies qui une à une s’échappentmystérieusement, les divers prédateursqui rôdent, la maladie d’Emily qui pro-gresse sourdement, l’ombre de la veuveEvans qui a précédé Emily dans ces lieuxet qui y est morte… Mais dans le mêmetemps, et commeen contrepoint, affleuredecespagesuneénormeénergievitale,tel-lurique, sensuellemême… Celle de Brad-wen, le « jeune agneau» au souffle sichaud, celle de la rivière, de lamer au loin,du lichen et des ajoncs. Celle même despierres sèchesqui émettent leur rayonne-ment bienfaisant.

En cela Le Détour est aussi un grandroman d’humilité. Où la seule supérioritédeshumainssurlesautresvivantsestpeut-être qu’ils lisent Emily Dickinson. Pour lereste, ils se fondent dans le grand tout.Comme les oies. Ils apparaissent puis dis-paraissent. Et c’est très bien commeça.p

«Lemariétaitassisdans la sallede séjour troppe-titepour lenouveaupostede télévision. (…) “Noussommespresqueendécembre,adit lamère.

–Oui, a fait lemari.– Ça commenceàm’inquiéter. (…)– L’argent, a dit le beau-père.–Quoi?–Vousne recevezpas de relevés de votre ban-

que?Dessus, on voit pourtantbien oùet quanddes prélèvementsont été effectués auxdistribu-teurs? Il lui faut de l’argent, non?

–Des relevés, j’en reçois, a dit lemari. Pas elle.Elle fait tout par Internet. Je n’ai pas accès à ceservice.Nous n’avonspas de compte joint.

– Amonavis, t’as pleinde choses à cacher, apoursuivi la belle-mère.Après tout, il s’est avérédu jour au lendemainque tu étais aussi unpyromane.”

Lemari a pousséun soupir.“C’est ta faute si vousn’avez pasd’enfant,

c’est sûr!– Sûr?–Oui.– Elle ne vous a pas parlé des tests?”»

LeDétour, pages61-62

en partenariat avec

Marc Voinchet et la Rédaction6h30-9h du lundi au vendredi

Retrouvez la chronique de Jean Birnbaum

chaque jeudi à 8h50

franceculture.fr

LES MATINS

Philippe-Jean Catinchi

L’édifice judiciaire est fra-gile.Ausenspropre:c’estcequi frappe Roberto Doni.Substitut du procureur

général àMilan, il approche d’uneretraite qu’il entrevoit sansheurts. Cuirassé par les certitudesde son métier comme de sonmilieu. La musique de Mahler etdeSchumann, lapeinturedeGeor-gesdeLaTour, autantd’œuvresentension qu’il voit immobiles, pro-videntiellement statiques alorsque la flamme les habite. Et voilàque la vision récurrente des clousquiviennent renforcer lesplaquesde marbre du palais de justice lesortde la cotonneuse léthargieoù,fort de son absence de tout com-promis, il se croyaità l’abri. Le jouroù sa vie bascule, il en vient à pen-ser que la ruine annoncée du bâti-ment est symptomatique: «LePalaisconnaissaitunteldestinpar-ce qu’il refusait l’espace environ-

nant. Il le combattait, incapable des’insérerdanscettepartiede lavillecommedans tout autre quartier.»

Que sait-il de ces quartiers dés-hérités qu’il évoque en rhéteur?Venue plaider la cause d’unMaghrébin accusé de meurtre,qu’elle tient pour innocent, ElenaVicenzi, jeune journaliste free-lance, va les lui faire découvrir.Puisqu’il doit statuer en appel surle sort du jeune homme, elle ledécentre, lui sert de guide dansunMilan inconnu et du même coupmet à nu la fragilité dumagistrat.«Tousleshommesdotésderespon-sabilités doivent cacher leur pointfaible – un coin de leur cœur où onpourrait les atteindre et les rame-ner à leur banalité.»

Une fille, Elisa, partie aux Etats-Unis et qui lui manque, uneépouse, Claudia, qui ne reconnaîtplus Roberto quand celui-ci en-quête en secret sur une affairedont elle ne mesure pas l’enjeu,Elena enfin, pasionaria qui révèlela sclérose d’une carrière sans étatd’âme.Mais voici que tout vacille.Plus de havre durable : le voilàprojeté «vers les banlieues et lesespaces morcelés des zones indus-

trielles, (…), parmi ces gens là-bas,etpartoutoùiln’yaurait jamaisderépit, précipité une fois de plus aubeaumilieude la vie, de toute cetteconfusion, de toute cette douleur,de l’incertitudedulendemain,de labrutalité des événements, du désirincontrôléde vengeance».

Dérive improbableA nouvelle géographie, nou-

velle éthique pour Doni. Sur lepointdequittercepérimètrelong-temps ignoré, «en regardant lalumière envahir le quartier, ilréussit à percevoir une nuance debeauté et de vérité – et peu impor-tait qu’elle fût douloureuse ouviciée : il n’y a que là qu’il pouvaitencore se figurer la vérité, commeunepulsationà travers le corps desivrognesetdesfous,parmilescada-vres de bouteilles et les matelasbrûlés».

Toutdevientdériveet itinéraireimprobable. Même le verbe s’yperd, délesté des repères com-muns si rassurants. Venu consul-ter son maître Cattaneo, «dans lenéantde laprovince»milanaise, lesubstitut mesure le vertige àl’heure de résumer l’affaire qui le

taraude. «Rapporter cette histoire,c’était comme parcourir une foisde plus une route déserte et déso-lée, une de ces routes qu’il avaitvuesenremontantvers lenord: l’as-phalte défoncé, les champs de cha-quecôté, les ronds-pointsquiappa-raissent brusquement, et pas lamoindre indicationsur ladirectionà prendre; juste la certitude qu’iln’y avait pas moyen d’en sortir,qu’on était seul avec la route.»

Premier roman traduit deGiorgio Fontana, un écrivain de31 ans dont les textes disent legoûtdesmargesetdespériphériesoùlaviechangeplusvite,Pourquejustice soit rendue traite l’espacecomme la métaphore d’un par-cours intérieurdont le lecteurper-çoit l’enjeu vital. Et on espère laprompte traduction de Babele 56,ce reportage que l’auteur a consa-cré en 2008 à l’itinéraire d’un busde banlieue. Au cœur de la muta-tion contemporaine.p

UneNéerlandaisequittesonpayspourlacampagnegalloise.Luirestentlasolitudeetlapoésie.SuperbedeuxièmeromandeGerbrandBakker

EmilyDickinsonpourtoutviatique

Lesbanlieuesdel’âmedusubstitutBoniUneplongéevertigineusedans lapériphériemilanaiseparunjeuneItalienprometteur

Littérature Critiques

Peut-on jamais disparaîtrevraiment ? Peut-onne pas être lamêmepersonne toute sa vie ?

Extrait

LeDétour (DeOmweg),deGerbrandBakker,traduit dunéerlandaisparBertrandAbraham,Gallimard,«Dumondeentier», 272p., 19,90¤.

Que justice soit rendue(Per legge superiore),deGiorgio Fontana,traduit de l’italienpar FrançoisBouchard, Seuil, 288p., 21 ¤.

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Page 33: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

EffacementLe silence et l’absenceont servi deprétexte à tant d’auteursparesseuxqu’onpourrait s’inquiéter, enouvrant lenouveau romande l’écri-vain et traducteur Jacques Tournier,devant ces courts chapitres calmes,presque immobiles, ces bribesd’unehistoirede solitude, de vieillesse, delent effacementd’unhomme; le viden’est pasmoinsvide d’être choisi.Mais l’air qui circule dansun livren’enbalayepas toujours la densité, nila grâce. LeMarchéd’Aligrepossèdeainsi cetteplénitude rare desœuvresqui, avec unart discret, capturent lavie.Unevie finissante, donc, celled’unnarrateurdont on saurapeudechose, sinonque son amitiépour lajeuneMarie est le dernier lien quil’unisse encore à l’humanité, hors lessouvenirs. Ce qu’ils partagent est, làencore, peude chose. L’amourde lamusique. Le goût de la conversation.Le simpleplaisir, chez l’un et l’autre,de cette affectionpaisible, que l’ab-sencedepassionparaît rendreimmuable. Alors queMarie s’éloigne,requisepar ses amours, par sonmétier, elle lui offre le journal intimed’une jeune femmede 1900, occa-sionde jouer à distanceun jeuoùl’imagination, les rêvespallient l’ab-

sence et le silence– qu’entre-temps Jac-ques Tournier, avec unimpressionnant sensdesmouvements invi-sibles, a su rendrehabi-tés et bruissants. p

FlorentGeorgescoaLeMarché d’Aligre,de Jacques Tournier,Grasset, 80p., 11 ¤.

Pèlerinde laMarneDe sa confluence avec la Seine jus-qu’à la source dans leplateaude Lan-gres, Jean-PaulKauffmanna suivi,pas-à-pas et sac audos, la géographiesinueuse, l’histoire tourmentée, leprésentmélancoliquede laMarne,cette rivièremal aiméequimériteraitle titre de fleuve, dit-il. Il honoraitainsi unepromesse faite, il y a trenteans, à l’écrivainvoyageur JacquesLacarrièrequi l’exhortait à «inventerd’autres chemins». De cette randon-née inactuelle, de cettemarche aulong cours, 525 kilomètresparcourusen sept semaines, l’écrivain a tiréunrécit vagabondqui tient à la fois del’inventairepersonnel d’unpaysqui«possède la grâce», du journal debordd’un voyageur et de la chroni-que sociale. Il y consigneodeurs ethumeurs, décrit les paysages et les

monuments, rapporteses rencontresdehasard et ses souve-nirs de lecture.Il y confie sa «dépen-dance» aupassé etson amourduretrait.pMacha SéryaRemonter laMarne,de Jean-Paul Kauffmann,Fayard, 264p., 19,50¤.

«J’avais grandi, je voulais interrogerHilda sur lesecret d’OncleOskar, sur la petite pièce cachée, lestableauxet lemurpeint de briques rouges.Mais ilétait impossible de parler d’autre chose que de la vieà l’étranger. PourHilda, nousappartenions àunemêmecommunauté initiée auxmerveilles del’Occident.Afin de nepas la décevoir, j’oubliai letempsde la conversation les immeubles en par-paingsde la banlieue, le collège construit en pré-fabriqué (…), le brouillard stagnant sur le canal, (…)le désœuvrement et la lassitude élevés au rangdevaleursmorales (…). Pour ne pasdécevoir tanteHilda, je confirmais que la ville oùnoushabitionsétait unemétropoleprospère où la vie n’étaitqu’une suite d’événementsheureux.»

Arithmétiquedesdieux, page117

Sans oublier

Florence Bouchy

Le fantôme de Marguerite Durasplane sur l’Exercice d’abandon deCatherineGuillebaud.Le rythmeetla langueur du Mékong en imprè-

gnentchaquepage,maiscen’estpastantàL’Amant (Minuit, 1984) que l’on pense,qu’au Ravissement de Lol V. Stein (Galli-mard, 1964). Les personnages de Cathe-rine Guillebaud rejouent à leur façon lascène inaugurale du bal dans le roman deDuras, au cours de laquelle surgit commeune impérieuse évidence le désir deMichael Richardson pour Anne-MarieStretter,quine lui laissed’autrechoixque

d’abandonner, immédiatement et sansexplication, Lol, avec qui il était fiancé.

Chez Catherine Guillebaud, un matin,au moment de l’appel rituel des passa-gers, sur le navire d’une croisière fluviale,un homme et une femme sont signalésmanquants.Ilsnevoyageaientpasensem-ble, et ne semblaient pas même s’êtreadressé la parole durant les premiersjours. Ils ontpourtant fui et laisséderrièreeux leurs conjoints respectifs, «abandon-nés, oubliés, contraints de mettre en com-mun leurs interrogations, leurs souvenirset leur humiliation». Catherine Guille-baudévoqueavecunesensibilitésansaffé-terie le désarroi desdeuxépouxdélaissés,qui mènent l’enquête sur les sources decette décision sans retour. «Il m’aimait,assure la femme, lorsque nous avons déci-dé de faire ce voyage (…). Il m’aimait lors-que nous avons pris possession de cette

cabine. Mais tout cet amour, cette certi-tude n’ont plus rien pesé face à la dévasta-tionde leurdésir.Onnepeut riencontre ça,rien. (…) Ils n’ont rien pu faire, si ce n’est selaisser emporter par ce mouvement irré-pressible qui les jetait l’un vers l’autre.»

Champ libreIl ne leur reste qu’à continuer absurde-

ment levoyage, commesine rienchangerà leur programmepouvait annuler la réa-litédeleursituation,oucommesi,enrefu-santdepartirà larecherchedesfugitifs, ilslesabandonnaienteuxaussi, pour formerun couple de circonstances acculé «à uneintimité (…)qu’ilsn’auraientpasenvisagéequelques heures auparavant». C’est del’étrangeté de cette situation que le récittire son originalité. Il explore toute lagamme des sentiments qui peuvent ani-mer un homme et une femme réunis par

une même blessure, cherchant alternati-vementà lanier et à l’accepter.

Et ce n’est pas la moindre réussite deCatherine Guillebaud que de pousser lalogique romanesque jusqu’à son terme,en assumant l’hypothèse d’un désir nais-sant à son tour entre ces deux compa-gnonsd’infortune.D’envisager le fait que,peut-être, « les fugitifs leur avaient laissénon pas du vide, mais le champ libre». Ilfaut une plume délicate et consciented’elle-mêmepouréviterde seheurterauxclichésquepourraitsusciterunesituationqui chez beaucoupparaîtrait convenue. Ilfaut se tenir, comme elle le fait, au plusprès de ses personnages, être attentifaussibienauxminusculesinflexionsdelapensée et des émotions qu’aux lignes deforcesqui les traversent.

Le style de Catherine Guillebaud est àl’image du bel oxymore que constitue le

titre de son roman. Elle s’abandonne à lapuissanceduromanesque, toutenmaîtri-santpleinementlesnuancesd’uneexpres-sion dont la sensibilité exclut le pathos.Elle se laisse aller à jouer avec légèretédesressorts dumarivaudage, tout en réussis-santà rendre sensible l’idée selon laquelle«certains amours, lorsqu’ils sont immen-ses, terriblesdans leur totalité, vousdurcis-sent et vous donnent une force dont vousnepensiez pas être capable».

Elle fait ainsi de l’abandon une chancepour ses personnages, et le moteur d’uneécriture du désir dont la beauté et la jus-tesse suffiraient à justifier l’apparition,dans l’esprit du lecteur, du fantôme deMargueriteDuras.p

Nils C.Ahl

Une centaine depages, presquesans s’en rendrecompte. Puis, com-me un doute. Carjusque-là,bercépar

lerythmedelalangue,aiguillonnéparunesuitede scènesbien trous-sées, on avait suivi Katrina Kaldasansrésister.Danslaforêtdesanec-dotes et des intrigues secondaires,sansvraimentcomprendreoùsonroman se dirigeait. Comme unpetit rongeur de papier à la suitedelagracilejoueusedeflûte:Arith-métiquedes dieuxest un livre sub-til, charmeuretdiscret– commelaflûte, dont il a la musique fragile,les teintes claires, le souffle conte-nu.Untextesanscuivresnipercus-sions. Pour ce roman, son second,Katrina Kalda, née en 1980, prendle risquede faire juste cequ’il faut,et pas un mot de plus. Au lecteurde lui prêterune attentionqu’il neregretterapas.

Au premier plan, la jeune KadriRaud assume la mélodie princi-pale. Elle s’est installée en Franceavec sa mère à la fin des années1980, avant la chute de l’URSS et laseconde indépendance de l’Esto-nie,oùelleestnée. Elleneredécou-vre lepaysqu’aufuretàmesuredeses visites. Vingt-cinq ans plustard, elle joueavecses souvenirs etceux de sa grand-mère Eda, quivient demettre fin à ses jours. Elleremonteà la source sansavoir l’airde trop y toucher, au début desannées1940, lorsqueAllemandsetSoviétiques envahissent tour àtour le pays. Pour la jeune femmequi n’arrive pas à se fixer, obstiné-

ment célibataire, c’est aussi unemanière de remettre en perspecti-ve son histoire personnelle, sonidentité qui hésite entre deuxpays, et sa féminité. S’immergeantpeu à peu dans une mémoire col-lective qu’elle ne soupçonne pas,elle en reprend subrepticementdes traits etdes couleurs. Elle se lesréapproprieet demandeà savoir.

Au risque de se répéter et decreuserlemêmesillonbalte,Arith-métique des dieux s’inscrit dans lacontinuité du premier livre deKatrina Kalda,Un roman estonien(Gallimard, 2010). Bien qu’ils’agissed’enjeuxlittérairesenpar-tie différents, Arithmétique desdieux est également un romanestonien, qui évoque par ailleursles mêmes années charnières quele trop fameux Purge, de SofieOksanen (Stock, 2010). Le mêmethéâtre de guerre et de déporta-tion : périlleux. Mais reconnais-sons que le texte de Kalda n’a rienà voir avec celui d’Oksanen, ni lesmêmes ambitions ni les mêmesqualités. Et que, sans mégoter, ondira qu’il n’en a pas de moindres,etque,à titrepersonnel,on lespré-fère.Purgeneprenaitpas le risquede la discrétion, et avait d’autresfinesses. Page à page, on se sur-prend à franchement admirercette Arithmétique des dieux. Laporte est étroite, la lumière est

tamisée, la voix est ténue : c’estdire sans doute la nécessité et letalentde ce romanentêtant.

Ni suspenseni pathosEn livre élégant, Arithmétique

des dieux attend donc longtempsavantdesedévoilervraimentetdetomber lemasqued’une construc-tionàplusieursétages,périodesetfocalisations. Certes, la jeuneKadri Raud est bel et bien la narra-tricedeceroman,mais lesanecdo-tes des différents amis et mem-bres de la famille, le jeu d’échosdes mémoires, les citations devieilleslettresélaborentunearchi-tecture complexe. Le rapportentre les différents éléments del’intriguen’est que suggéré, réduitàdesrésonances.Leplanetlemou-vement, comme impressionnis-tes, ne se devinent que dans ladeuxièmemoitiéduroman.Lelec-teur funambule se rend alorscompte qu’il a déjà bien avancésur le câble simince.Miraculeuse-ment.Sans les effetsni lesapprêts.Ni le suspense ni les manœuvresd’un scénario plus évident… Sansfilet. Katrina Kalda n’a pas besoin,pour imposer son récit, de pathosfacile et de rebondissementsconvenus.

Même quand il émeut, et celaarrive souvent, ce roman le faitavec délicatesse. Modestement. Il

laisse le lecteur glisser doucementdans une scène avant de le reteniretdel’étreindre–suivantencela lemouvement de ces souvenirs quel’on rejoint sans heurt et qui nevousserrentqu’ensuite.Le livredeKatrinaKaldaest lelivredecessou-venirs. De leur façon de s’imposerànousendouce, avec leurs véritésexhumées et dans la continuitéd’une histoire collective qui vousentraîne malgré vous. Car ce quicaractérise et afflige Kadri, c’estqu’elle est seule et déracinée – etqu’elle reprend le fil, aussi –, de lamême manière: sans s’en rendrecompte.

C’est ainsi que cette Arithméti-que des dieux est une théorie desnombres : un récit du déchiffre-ment des signes dissimulés danslamémoire de Kadri commedanscelle de ses proches. Au fil desretrouvailles, de l’enchaînementdes paysages estoniens et du pas-sage des générations, le roman deKatrina Kalda mime un surgisse-ment du sens. Un surgissementprodigieux et inattendu, frappantles personnages presque auhasard, comme les dieux de la tra-gédie, et répondant au ressac d’unsiècle sans égards pour les hom-mes. Un siècle qui exile, sépare etréunitdansunmystèrearithméti-que qu’une nouvelle générationfinit par résoudre.p

LesamantsimprévusAutourd’unecroisièresur leMékong,CatherineGuillebaudinvente,dans lesillagedeDuras,uneécrituredudésir sensibleetbelle

Critiques Littérature

Extrait

Arithmétiquedesdieux,deKatrinaKalda,Gallimard,224p., 16,90¤.

Exercice d’abandon,deCatherineGuillebaud,Seuil, 164p., 17¤.

Laromancièred’originebalteKatrinaKaldasonde,avecl’entêtant«Arithmétiquedesdieux», lamémoiredesannéesd’occupationsallemandepuissoviétique

Déchiffrer l’Estonie

A la frontière estonienne,peu avant la guerre.

ROGER-VIOLLET

50123Vendredi 8mars 2013

Page 34: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

Laroutedupaysd’OzestouverteDébutdepublicationdes14tomesducycledel’AméricainL.FrankBaum,dontseul le«Magiciend’Oz»étaittraduit.L’explorationpeutcommencer

Macha Séry

DuMagicien d’Oz nesubsistait qu’unsouvenir lacunaire.La faute au film deVictor Fleming(1939) qui avait

éclipsé l’œuvre originale deL. Frank Baum. «Over the Rain-bow», commeychantait JudyGar-land, «par-delà l’arc-en-ciel» sedéployait, chamarré et effrayant,unpaysd’Ozdonton ignoraitqua-siment tout.LeMagiciend’Ozétaitl’arbre cachant la forêt : un cycleriche de 14tomes. La route pavéede briques jaunes suivie, dans lepremier,parDorothy,offraitmillebifurcations, entraînait vers millenouveaux territoires : Foxville, laforêt Bleue, le désert des Sables…Les singes n’étaient plus les seulescréatures ailées de la contrée ima-ginaire où s’était aventurée lajeunehéroïne, cette contrée où lesrêves deviennent réalité, où lesobjetsprennent vie.

Les deuxième et troisièmetomesavaientbienfranchil’Atlan-tique dans les années 1920.Mais ils’agissait de versions tronquées,défigurant les romans du conteuraméricain : ajout d’une leçon demorale, traduction approxima-tive (Dorothy y était rebaptiséeLily, leKansasdevenait l’Arkansas,Ozs’orthographiaitOzh,etc.).Riendepuis. «C’est comme si, de JulesVerne, nous ne connaissions queL’Ile mystérieuse», résume l’écri-vain Claro, qui a découvert cetteterraincognita lorsqu’ils’estdocu-menté pour son roman CosmoZ(ActesSud,2010),dontlesprotago-nistes sont des orphelins échap-pés dupaysd’Oz. Il a donc suggéréà Arnaud Hofmarcher, éditeur auChercheMidi,d’entreprendrel’édi-tion intégrale de cette saga – et dela faire illustrer, pour respecter latradition. Cela en sept volumes, àraison de deux par an, d’ici à 2016.Ils offriront enfin le spectaclepanoramique du pays d’Oz, lesreliefsdesagéographie,sesimpro-bables royaumes, ses habitantsaux coutumesétranges.

«Unnouveau genre»Chez L.Frank Baum (1856-1919),

point de mièvrerie ni de péda-gogie déguisée. Mais un universfantasque, peuplé d’animaux par-lants et de créatures hétéroclites.Cet admirateur des frères Grimmet d’Andersen ne s’était pastrompé lorsqu’il prétendait créer«un nouveau genre», en ruptureavec le folklore. «L’école, désor-mais, se charge d’enseigner lamorale, écrit-il en avril 1900, lors-que paraît Le Magicien d’Oz. Aussi

les enfants d’aujourd’hui lisent-ilsdes contesmerveilleux dans le seulbut de se divertir et se passent aisé-ment de tout événement déplai-sant.»Claro nuance ce propos: «Ila inventé quelques personnagescauchemardesques. Son imagerieest parfois effrayante.»

Quelle fantaisie! L’imaginationdu prolixe L.Frank Baum tient delacorned’abondance.Sacosmogo-niesedéploieparcerclesconcentri-ques,proposantdesvariationssurdes personnages qui tantôt occu-pent le premier rôle de l’histoire,tantôt sont relégués au secondplan. Pour Anne-Sylvie Homassel,cotraductrice de cette édition ducycle d’Oz et spécialiste de lalittérature fantastique, «L. FrankBaum illustre, par ses inventions,tout le spectre dumerveilleux et del’anticipation». En témoigne, parexemple,lerobotTik-Tokquiappa-raîtradans le troisième tome: unemachine pensante équipée d’untélégraphe sans fil.

Atypique, son auteur l’étaittout autant. Fils d’un magnat dupétrole, L. Frank Baum fut tour àtour éleveur de volaille – son pre-mier livre était un traité sur lapoule deHambourg–, acteur, fon-dateurd’unclubdebase-ball,ache-teur de vaisselle pour un grandmagasin, directeur de théâtre, édi-

teur de journaux, producteur àHollywood… Lorsqu’il tenait unequincaillerie, il avait bricolé poursavitrineunpersonnagedebric etde broc ; des tuyaux de poêle enguisedebras,unecasserolepourlevisage et un entonnoir pour cha-peau: le Bûcheron de fer-blanc duMagiciend’Oz!

Ce n’est qu’à 41ans qu’il rédigeson premier livre pour enfants, LaMère l’Oie en prose. Et, trois ansplus tard, consigne l’histoire deDorothy emportée loin du Kansaspar un ouragan. Le succès est telqu’il l’adapte,sanstarder,encomé-die musicale. Jouée sans disconti-

nuer à Broadway jusqu’en 1911,celle-ciachèvedeleconsacrercom-me l’auteur jeunesse le plus ludans le pays. Mieux, le premierAméricain dans cette catégorie.Bref, une fierté nationale. ToutcommeLewis Carroll, «sa verve, sadrôlerie, l’élégance de son écriturepeuvent plaire à tous les publics»,selon Anne-Sylvie Homassel. Sonstyle assure, en tout cas, à sonœuvreunemodernitéque le siècleécoulé n’a en rien ternie. Pas plusque le fer-blancduBûcheron.

En 1904, L. Frank Baum se dé-cide à reprendre son récit. Entre-temps, il a publié d’autres livrespourenfants. Il s’en expliquedansla préface au Merveilleux Paysd’Oz : «J’ai promis à une petite fille– laquelle avait fait un très longvoyage pour me présenter sa re-quête ; elle aussi s’appelait Doro-thy – que, si mille petites fillesm’écrivaient mille lettres pour medemander lasuitedesaventuresdel’EpouvantailetduBûcherondefer-blanc, je l’écrirais volontiers.» Leslettres lui étant parvenues, il tintsapromesse,au-delàdetouteespé-rance. Glinda, l’ultime opus ducycle, paru à titre posthume en1920,s’achèvepar lemotagain,«ànouveau».

Hasarddu calendrier, LeMondefantastique d’Oz, de Sam Raimi,sort en salles le 13mars. Cette fois-ci, espérons que le cinéman’éclip-sera pas sa source d’inspiration.Puisse-t-il, aucontraire, faireenfinla pleine lumière sur ce rêveur quia su s’affranchir, et nous avec lui,des lois de la gravité.p

D’autresguerresnapoléoniennes

Le Cycle d’Oz. Volume 1,(TheWonderfulWizardofOz;TheMarvelous LandofOz)de L.FrankBaum,traduit de l’anglais (Etats-Unis)parBlandine Longre et Anne-SylvieHomassel, illustrépar StéphaneLevallois, ChercheMidi, 404p., 18¤.

C’est d’actualité

Làoùl’onnes’étonnederien

CHEZLESANTHROPOLOGUES, tout lemondene seprendpas pourNapoleonChagnon. La publication, il y a quelquessemaines, desMémoiresde cedernier, célè-bre représentant américainde la disci-pline, a donnéunenouvelleoccasiondes’en rendre compte. IntitulésNobles Sava-ges.My LifeAmongTwoDangerous Tribes,theYanomamöand theAnthropologists(«Bons sauvages.Ma vie parmideuxdan-gereuses tribus, les Yanomamiet lesanthropologues», Simon&Schuster), ilsont soulevédenombreusesprotestationset porté la controverse jusqu’au cœurdesinstitutions: leurparution coïncide avec ladémissionde laNationalAcademyofSciences (Etats-Unis), vendredi 22février,de l’éminent anthropologueMarshallSahlins. Soutenupar denombreuxcollè-guesdepart et d’autrede l’Atlantique,Sahlins a présenté l’électiondeNapoleonChagnonà l’Académie en 2012 commel’unedes deuxmotivationsde sa décision,l’autre étant l’instrumentalisationmili-taire des sciences sociales.

AuxEtats-Unis,NapoleonChagnon,aujourd’hui âgéde 74ans, est pourtantunsavant connu.De son séjour chez lesIndiensyanomami, qui viventdans la forêtamazonienneaux confins duBrésil et duVenezuela, il a tiré en 1968un livredevenuunbest-seller.On compterait à ce jour 1mil-liond’exemplairesdeThe Fierce People(«Lepeuple féroce») vendusdans lemon-de. Chagnonyprésentait les Yanomamicommeunpeuplebrutal et agressif, vivant«dansun état de guerre permanent»,uneviolence inhérente à l’état de naturedontils seraient les derniers représentants.

Séduit par la sociobiologied’EdwardO.Wilson, Chagnonest convaincuquela violence fut unmoteurpuissantde l’évo-lution: dansunarticle de la revue Science,en 1988, il assureque les guerriers yano-mami se battentnonpour desbiensmaté-riels,mais pour les femmes, afind’assurerla plus grandediffusionpossible à leursgènes. Autant de thèses qui furent ardem-ment combattuesau seinmêmede ladiscipline.

IdéologieobscurantisteDe toutes les controversesque son

travail a suscitées, Chagnon fait le récitdans sonnouvel ouvrage.Mais il nes’agit pas de celui, paisible et détaché, d’unsavant retiré des querelles académiques.Tout au contraire. Certes, dans ces quelque500pages, il s’offre le plaisir de relaterles véritables aventuresd’un anthropolo-gue enpleine jungle, rencontres impromp-tues avecdes bêtes sauvagesou face à faceavecde féroces guerriers indiens «robus-tes, nus, en sueur, hideux». Mais ilmain-tient surtout toutes ses positions contre laseconde«dangereuse tribu», celle desanthropologues. Il dénonce les critiquesdont il a fait l’objet commeétant le produitd’une idéologie obscurantiste, qu’il appe-lait autrefois lemarxismeet qu’il nommeaujourd’huiunhumanisme«à l’espritconfus». C’est la sciencequ’onattaqueà travers lui, prétend-il.

Ce typedepropos ainsi que la campa-gnedepromotiondu livre, qui a valu deflatteursportraits à Chagnondans lapresse américaine, ont suffi à rallumeruneguerre qui dure depuisdes décennies. Dix-sept anthropologues, qui ont séjournéchez les Yanomamientre1960et 2000,ont signé le 26février un texte pour direleurdésaccordavec la thèse de leurpréten-dueviolenceou archaïsme. PhilippeDes-cola, professeur auCollègede France,s’étonnedu succès d’un chercheurdont lestravaux sur l’Amazoniene sont plus citésdepuis longtemps. Enfin, BruceAlbert,grand spécialistedes Yanomami, auteuravecDavi Kopenawade LaChute du ciel.Paroles d’un chamanyanomami (Plon,«Terre humaine», 2010), commente:«Toutes ces inepties sur la « guerre pour lesfemmes» ne seraient que de lamauvaiseanthropologie et n’auraient aucune impor-tance si la surenchère gourmandede stéréo-types qu’elles déclenchentne stigmati-saientpas les Yanomami sous le jour d'uneintolérable caricature raciste qui aggraveleur vulnérabilité souvent tragique faceaux chercheurs d’or et auxgrands éleveursqui envahissent leurs terres et détruisentleur forêt »Chez les Indiensyanomami, onse contentede rappeler qu’enmatière deguerre et de violence lesAméricainsontpeude leçons à donner.p Julie Clarini

Dans LeMagiciend’Oz, l’orphelineDorothyest empor-tée parun cyclonechez lesMunchkin.Escortéed’un lionprétendumentfroussard, de l’Epou-vantail qui penseêtre dépourvude

cervelle et d’unbonhommeenmétaldéplorant sonmanquede cœur, ellegagne lamagnifiqueCité d’émeraude…

Dorothy cède la place, dans LeMer-veilleuxPays d’Oz, àunautre orphelin.Flanquéd’unhomme-citrouille et duCheval de bois qu’il a animés et douésdeparole, Tip, garçonnet intrépide, s’en-fuit de chez la sorcièreWombi. Las ! LaCitéd’émeraudeoù trônait l’Epouvan-tail, a été assiégée parune arméede

fillettes, lesquelles, après avoir pris lepouvoir, ontmis les hommes au travail(ménage, cuisine, éducationdesenfants). Le trio s’évadeà bordd’undivanvolant à tête de cerf. Ils rejoi-gnent le Bûcheronde fer-blanc, empe-reurdesWinkies, croisent la routedeWoogle, un insecte géant, fort savant etunpeu cuistre; ils s’emploientàdéjouerdes sortilèges jetés par une sor-cière, cherchent à détourner la fureurd’unenuéede choucas…

Aupays d’Oz, un roi peut laisser sacouronneàunepetite fille ; un garçon,changerde sexe; ungarde royal, possé-derun fusil nonchargépour éviter lesaccidentsde tir, et un étranger, appren-dre que la peine encouruepour avoircoupé le rameaud’unpalmier est « lamort, infligéeà sept reprises et suivied’un emprisonnementà vie». Aupays

d’Oz, onne s’étonnede rien, sauf du faitque l’eaumouille.

Ce deuxième romandu cycle d’Oz,aussi allègre et inventif que lepremier,possèded’indéniables accents féminis-tes. A cela s’ajoute le talent demarion-nettistede L.FrankBaum.Avec troisfois rien –un tréteaude bois, un légu-meévidé, un peud’étoffe–, il donne lavie. Plus que cela : la vivacité de répartieet la vitalité des voyageurs au longcours.pM.S.

«Le corpsde bois, encore revêtude sonmagnifique costume, étaittoujours installé sur le dos du Che-val,mais la citrouille avait dispa-ru, laissant nu l’épieueffilé qui ser-vait de couaubonhomme.Quantà l’Epouvantail, la paille qui luirembourrait le corps s’était, avecles secousses du voyage, amasséedans la partie inférieure de soncorps qui semblaitmaintenantfort replète, cependantque son

corpsn’était plus qu’une enve-loppe vide. L’Epouvantail portaitencore sa lourde couronne –elleavait été cousueà sa tête pour qu’ilne la perde pas;mais cette pauvretête était si trempée, si amollie, quesous le poids de l’or et des joyaux levisagepeint s’était creusédemillerides, ce qui le faisait ressembler àunPékinois.»

LeMerveilleuxPaysd’Oz, page268

Une image du «Magiciend’Oz», de Victor Fleming(1939), avec Judy Garland.RUE DES ARCHIVES/RDA

Histoired’un livre

Extrait

6 0123Vendredi 8mars 2013

Page 35: Supplément Le Monde des livres 2013.03.08

PhilomaallegroLaphilosophie, c’est sérieux?Mais «sérieux»,au fait, ça veut dire quoi? Et si la légèreté était lamarqued’un esprit supérieur?Unevictoireplutôt qu’une fuite?Onne s’étonnerapas queRoger-PolDroit place ce nouvel essai sous lesignedeDiderot, esprit sans systèmemaisnonsans finesse, tout enmobilité et enallégresse.Maphilo persoprivilégie la formecourte et ladivagationd’idée en idée. Pour cela il choisit

l’alphabet, offrant au lecteurun trajetdeA à Z, d’«Accélérateurd’idées» (unélogedeGillesDeleuze – clind’œil àun autre abécédaire?) à «Zarathous-tra» et auxnombreuses traductionsde la célèbrephrasede sonprologue:«Voici ! Je suis dégoûté dema sagesse».Le croirait-on?paMaphilo perso deAà Z,de Roger-Pol Droit,Seuil, 478p., 23 ¤.

Pistes d’avenirPas la peinede foncer, au bout il y a lemur. Lemur écologique.Qu’on le veuille ounon, la limitephysiquedes ressources impliqueune transfor-mationdenosmodesde vie, enparticulier ducôté despays occidentaux.Car si partout sur laplanète les conditionsmatérielles tendent àconverger, elles nepourront atteindreuniversel-lement le train quenous leur connaissons sanscompromettregravement l’équilibre écologique.Il faudra donc auxOccidentauxaccepter la réduc-

tionde leur consommationmaté-rielle. A partir de ces constats,HervéKempfdresseun ensembledepistes àsuivre afin quenotremonde s’adapteet accomplisse, avant qu’il ne soit troptard,« lamutationde l’humanité versunnouveaumonde –le passage dunéolithiqueaubiolithique».paFin de l’Occident,naissance dumonde, d’Hervé Kempf,Seuil, 156p., 15¤.

La thèse de la journalisteaméricaine HannaRosin est claire : nousnous trouvons aumoment exact où deuxmouvements, déclen-

chés depuis plusieurs décenniesdans les sociétés occidentales etplusrécemmentdanslespaysasia-tiques, sont en train de convergerpour faire advenir… le temps desfemmes. D’un côté, aux Etats-Unis, en Europe, en Asie, les fillesréussissentmieuxà l’écoleque lesgarçons,raflent laplusgrandepar-tie des diplômes et constituent lesgros bataillons des universités. Del’autre, l’évolution de l’économiemondialeaaboutiàlaquasi-dispa-rition des bastions dans lesquelsles hommes travaillaient, le bâti-ment, l’automobile, l’industried’une manière générale. Sembleaujourd’hui émerger, sur les rui-nes dumonde ancien, un paysageradicalement différent: les postesqui se développent, principa-lement dans les services, sont oc-cupés par les femmes. Les hom-mes sont au chômage, les femmesfont bouillir la marmite. Voicivenue la fin dumale breadwinnermodel (le «modèle de l’hommequi gagne le pain»).

La thèse ne serait pas complètesans un troisième élément, déter-minant: si les femmesont réussi àoccuper ainsi les places délaisséespar les hommes, c’est parcequ’elles seraient infiniment plus«flexibles». Le livre souligne eneffet le refus, voire la répugnancedes hommes à s’adapter à cettedouble révolution silencieuse qui

les pousse au ban de la société etorganise leur«disparition»: révo-lution économique qui rend laforcephysique inutile; révolutionféminine qui voit les femmes sesaisir de toutes les opportunitéspour mettre à profit leur inextin-guible volonté d’émancipation.

Lesuccèsdu livreoutre-Atlanti-que (60000 exemplaires vendus)s’explique sans nul doute par cecaractèrefortementaffirméetpro-phétique de la thèse. Mais il vientcertainement aussi de la mise enévidence, en Europe, aux Etats-Unis et enAsie, de tendances simi-laires: augmentation très forte duniveau d’éducation des filles,volonté affichée de leur partd’exercer unmétier, recul de l’âgede la mise en couple et de la pre-mière maternité, progressiondans la population active, percéedes femmes dans de nombreuxmétiers qui leur étaient aupara-vant fermés, augmentation dunombre de femmes gagnant plusque leurs conjoints.

Mais, comme le souligne Han-na Rosin, cette mutation radicaledes trajectoires féminines ne s’estpas accompagnée d’un investisse-ment identiquedeshommesdansla prise en charge des tâchesdomestiques et familiales. Toutesles enquêtes en témoignent: par-tout, les femmes ont ajouté leurrôle de travailleuse rémunérée àcelui de responsable des tâchesdomestiques et familiales, pen-

dant que les hommes semblaientopposerune résistance farouche àaugmenter le temps consacré aufoyer ou à occuper des emploisencoreconsidéréscommetypique-ment féminins. La configurationqui prend la place du défuntmalebreadwinnermodeln’est donc pas(encore) celle que la philosopheNancyFraserappelaitde sesvœux–leshommeset les femmesparta-geant également travail rému-néré, tâchesdesoins et autres acti-vités– ni ce que j’avais intitulé,dans Le Temps des femmes (Flam-marion, 2001), la déspécialisationdes rôles. Au contraire, dans lemonde décrit par Rosin, les fem-messontbongrémalgrédansunelogiquedecumul,auprixdel’épui-

sement, de la solitudeet d’un divorce fla-grant entre les rôlesréels qu’elles assu-mentdésormaiset lesrôles traditionnelsque la société attendqu’elles continuent àendosser.

Prendre au sérieux cette résis-tance à un profond remaniementdes rôles permet d’interpréterautrement les données que nousprésente l’auteur. Certes, la situa-tionaprofondémentchangé.Maisles femmes continuent malgrétout à être majoritaires parmi lesbas salaires, à gagner moins queles hommes et à être très peu pré-sentesdanslespostesderesponsa-bilité et de direction. Non seule-ment les hommes n’ont pas «dis-paru», mais tout se passe commesi le phénomène à partir duquelHanna Rosin a construit sadémonstration – l’impact diffé-rencié de la crise sur les hommeset les femmes– n’avait été queconjoncturel. Ainsi, en octo-bre2012, pour la première foisdepuis le début de la crise, quatreans plus tôt, les taux de chômageféminins et masculins sont en

effet redevenus égaux aux Etats-Unis. La reprise semble se faire enfaveurdes hommes…

Verreàmoitiéplein,verreàmoi-tié vide?AvantmêmequeTheEndof Men fasse un tabac aux Etats-Unis, la conseillère d’Hillary Clin-ton de 2009 à 2011, Anne-MarieSlaughter, racontait, dans un longarticle du mensuel The Atlantic(juillet-août 2012), que les femmesne peuvent pas tout avoir etqu’elle même avait renoncé à sonposte pour rejoindre l’universitéet pouvoir enfin… s’occuper de sesenfants. Soulignons le point com-mun à ces deux discours qui sem-blent délivrer des messages pro-fondément différents: aucune deces deux femmesne remet radica-lementencause lamanièredont lemondedutravail est actuellementorganisé et sonemprisedeplus enplus forte sur l’ensemble de la viedes hommes et des femmes. Au-cune des deux ne propose unensembledemesuressusceptiblesd’améliorerdeconcertl’égalitépro-fessionnelle et l’articulation entretemps professionnel, temps fami-lial et temps personnel : congésparentaux réservés aux hommes,quotasassurantlaparitéhommes-femmes à tous les niveaux, déve-loppementdemodesd’accueil desjeunesenfants,réductiondelanor-me du temps de travail à tempscomplet, application de la législa-tion sur l’égalité salariale… seulefaçonde faireadvenir le tempsdesfemmes qu’Hanna Rosin appellede ses vœux.

Sans un tel investissement del’ensemble de la société, les résis-tances à l’œuvre pourraient bienpersister,voire, commelemettenten évidence les révolutions encours dans un certain nombre depays dont l’auteur ne dit mot,constituer l’un des éléments dubacklash,du retour de bâton, dontles femmes sont aujourd’hui lespremièresvictimes.p

Auteurs du «Monde»

«Dans les cultures plus traditionnellesoumachistes, le conceptde femmealpha est encoreplus difficile à accepter. En Espagne,les couples binationauxconstituent désormais 20%desmaria-ges. Les Espagnoles qui font carrière préfèrent épouser unhom-memoderne, un Belge ouun Suisse ; leurs compatriotes, eux,vont chercherune épouse équatorienneou colombienne. (…)

Dans la culture occidentale, lemachoest en crise. Les sériestélé et les comédies romantiques témoignentde cette réorgani-sationde la société: on y voit proliférer lesmaris au chômage,les pères au foyer et autres bons à rien.»

TheEndofMen, pages49-50

Critiques Essais

The EndofMen. Voici venule tempsdes femmes,d’HannaRosin,traduit de l’anglais (Etats-Unis) parM.Dennely, Autrement, 188p., 19¤.

Les hommes sontau chômage,les femmes fontbouillir lamarmite

Extrait

«Lafindeshommes»?Derrièrecetteprovocation, l’AméricaineHannaRosinannonceunmomentpivotdelaguerredessexes.Unpeurapide

Lacitédesfemmes,enfin?

DENIS DARZACQ/AGENCE VU

Dominique Médasociologue

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Vieilleslunesàlapuissanceneuve aJusqu’au24mars:LeprintempsdespoètesCette 15e édition, baptisée «Les voixdupoème», proposedesévénementsdans toute la France: lectures, promenades,atelierspourpetits et grands, récitals, expositionsdans lesbibliothèques, concerts, happeningsdans les rues…www. printempsdespoetes.com

a14-15mars:Musiqueet littératureauXXesiècleCe colloque international s’attacheà décrire le processusdemondialisationet la circulationdesœuvres et des répertoiresaujourd’hui.Université de la Sorbonne (5e arrondissement)etMaisonde la recherche (6e). Entrée libre.www.chcsc.uvsq.fr

aDu15au17mars: Salondulivre jeunessedeLamotte-Beuvron (Loir-et-Cher)Cette 14e édition est placée sous le signedes voyages, avecdes rencontres, lectures et ateliers destinés aux enfants. Parmiles auteurs et illustrateurs invités figurentCatherineCuenca,FabianGrégoire, Lepithec, ChristineBeigel. A la salle des fêtes,de 10heures à 18heures. Entrée gratuite.Tél. : 02-54-88-11-76.

aLe 16mars:CinémaetautobiographieàParisTable ronde organiséepar l’Associationpour l’autobiographie(APA), avec ElisabethCépède, JacquesGerstenkorn, PaulineHorovitz, Jean-Louis Le Tacon, ChloéMazlo etMarianaOtero.A 14h30, Ecolenormale supérieure (5e arrondissement).Entrée libre.www.sitapa.org

UNERADIEUSE«sociétédessavoirs»nousétait annoncée.Encoreuneffort, et nousallionstous, enfin, devenir savants!D’ailleurs, chacundisposaitdéjà,dans sapoche, d’un libreaccès àtoutes les connaissancesdumonde. L’âgedu smartphoneetdela tablette allait devenir celui de laraisonetdes sciences triomphan-tes. Car cesoutils fantastiques,désormaisà laportéede tous,devaiententraînerdesprogrèsinouïsdans ladiffusiondesvéri-tésobjectives commedesdébatsdémocratiques…Voilàunechan-sonque l’ona beaucoupentendue,et quecertains fredonnentencore.La réalité estmoins simple.

Par la grâce d’Internet, les piresfables concurrencent les faits lesmieuxavérés.Des croyances déli-rantes entrent presquepartout encompétition,demanière suppo-sée légitime, avec les connaissan-ces lesmieuxétablies. Au lieu dela sociétédes savoirs règnent à

présent la valse des croyances etle bal des crédules. L’excellent tra-vail deGéraldBronner éclaireavecnettetépar quels biais debienvieilles lunes acquièrentaujourd’huiunepuissanceneuve– et du coup inquiétante.

EffetsperversEvidemment, lesmécanismes

de la crédulité ont l’âge de l’esprithumain, et personnen’y échappetout à fait. Cen’est pas d’aujour-d’hui quenouspréférons ce quiconfirmenos convictions et quenousavons tendance à écarter cequi les ébranlerait.Depuis tou-jours, nousmultiplions erreursde raisonnement et fautes de logi-que. La circulationde fables extra-vagantes et de pseudo-révélationsn’a riennonplus d’un fait récent.Toutefois, ce qui a changé, récem-ment, à cause de l’interconnexionplanétaire,mais aussi desmodesde sélectiondesmoteurs derecherche, ce sont l’ampleurde la

diffusiondes fantasmagories,leur vitesse depropagation, l’illu-sion croissantede leur véracité.

Le sociologue, auteurde L’Em-pire des croyances (PUF, 2003),grand spécialistedes théories ducomplot,met cette fois l’accentsur les pièges que la démocratienumériqueet ses effets perverssont en train de tendre à la démo-cratie tout court. Certes, les princi-pes duWebparaissent vertueuse-ment égalitaires. Chacunpeutdire: « J’ai le droit de savoir, ledroit de dire, le droit de décider».Pourtant, cette concurrencegéné-raliséedes donnéesne sert ni laconnaissanceni la vérité. Aucontraire, elle brouille tous lesrepères: les savoirs établis devien-nent suspects, les légendes sont àégalité avec les sciences.

Cette grande foire auxcréduli-tés concerne, par exemple, lesattentatsdu 11-Septembre, lesOGM, les suicides enentreprise,les antennes-relaismais aussi la

politiquemondiale et lamarchede l’Histoire. Risible et attristant,ce grandn’importequoi, confon-dant liberté depenser et licenced’aveugler, est égalementdange-reux, car il renforce les populis-meset leurs forces obscures. Cen’est évidemmentpas la premièrefois que les principesmêmesdesdémocraties se retournent contreelles et lesmettent enpéril. En-core faut-il se rendre compte quecette vieillehistoire se répète àprésent, et à grande échelle, dansunmondenumériqueoù souventonne repèrepas sanocivité.GéraldBronner tire donc la son-netted’alarme. Il vade soi que letrainneva pas s’arrêter.Mais il estsouhaitableque lemaximumdepassagers soient avertis: tout nevapas pour lemieuxdans lemeilleurWebpossible.p

Figures libres

FrançoisMorelcomédien

Lesconsciencestranquilles

Agenda

A titre particulier

d’Eric Chevillard

Lalangueanimale

DANSUNHOMMEEFFACÉ, le livre d’AlexandrePostel qui vientde recevoir le prixGoncourtdupremier roman, tout com-menceparAxelNorth. Le contraire, précisément, d’unhommeeffacé. Gloirede la nation, figurehistoriquede la politique, per-sonnalité admirable, le prototypemêmedugrandhomme. Saphoto est dans les livres d’histoire, dans lamémoire collective.

Bien sûr, il n’y a pas de grandhommepour sonvalet dechambre. Encoremoinspour sonpetit-fils, en l’occurrenceDamien, qui se souvientde lamainbaladeusede son grand-père.Mais il «ne dira pas unmot des caresses étranges que luiprodiguaitparfois AxelNorth, à l’heuredu coucher, lorsqu’il luiarrivait de passer lanuit chez ses grands-parents». Il passera éga-lement sous silence la lettre écrite par Adèle, la grand-mère,confirmant la justessedes soupçonsqui, un temps, pesèrentsurAxel, grand résistantmais en réalité félondénonciateurquiaurait livré à lamiliceun de ses compagnons,mort torturé. Ilsera légèrement soupçonné, à peine suspecté. Les accusationsseront vite balayées. Les accusateurs seronthonnis. Le pire cri-mede lèse-majesté consiste à tuer les idéaux, à déchirer les icô-nes. L’illustre grand-père résiste bien au lavagemédiatique.

DamienNorth est tout le contrairede son illustre aïeul. Veuf,solitaire, triste, il est professeurdephilosophiedansuneuniver-sité cossue et réputée. Il n’apas d’amis, justedes relationsde tra-vail. NotammentHugoGrimm, aupatronymesi littéraire,maisprèsde qui il éprouve «une culpabilité aussi vagueque tenace».Certains à voixbasse doivent se demander si la belle situationde ceNorth, simorne, si peu charismatique, ne serait pas unpetit peu liée à sa prestigieuse filiation.Damienva vivreuncalvaire, un cauchemar. Toutes les apparences seront contrelui, accusé, nonpas de «pédophilie»mais de «pédopornogra-phie». Souligner la nuance, c’est déjà se condamner soi-même.

Unconstat implacableIl est beaucoupquestiond’imagesdans ce roman. Sur son

guéridonen acajou,Damiena finalement choisi la photod’AxelNorth, celle que tout lemonde connaît, celle qui rassure,celle qui tranquillise les consciences. S’il a également exposé laphotode saproprenièce, «debout sur lamargelle, les cheveuxmouillés rabattus vers l’arrière, une fillette enmaillot de bain»,c’est surtout à causedes bras ballants de part et d’autreducorps. «Une enfantplus coquette aurait posé les poings sur leshanches, ou déployé les bras ainsi qu’unegymnaste juchée sursapoutre.» La gaucherie de sonmaintien émeut l’oncleDamien, qui reconnaît dans la pose de la petite fille sonpropremalaise, son semblabledésarroi, samême timidité.

Unhommeeffacé est composédedeuxparties. «Les joursféroces» suivent «Les jours atroces». La peinturede la sociétécontemporainen’est pas spécialement flatteuse. La journaliste,donneusede leçonsdemorale, colporte la rumeur, et tourneavec le vent. L’expert-psychiatrene se soucie quede sauver sapeau. Les internautes formentunpeuple ignare, dysorthogra-phique, déversant sans complexe le fleuve épais et ininter-rompude sa vulgarité et de sa bêtise.

Le livre est sévère. Il offre un constat implacable. Il accompa-gne le parcours d’unhommequi, après la prison, la honte, ladéchéance, connaîtra la réhabilitationpuis choisira, par lassi-tude, par commodité, le cynismeet l’oubli.

AlexandrePostel décritmagistralementune sociétédanslaquelle la réalité ne fait pas le poids face aux images. Leserreurs judiciairesportent enelles le fantasmed’unmondequivoudrait s’imaginer logique, cohérent, rationnel.

Vous ai-je dit qu’Unhommeeffacé était unbeau livre?p

Le feuilleton

La Cervelleomnibus,de Jean-Marc Lovay,Zoé, 100p., 15 ¤.

Roger-Pol Droit

Illisibilité. Le mot lui-même sembleavoir mélangé ses syllabes. Ondirait lepetitnuagequefaitunfildepêcheembrouillé; lesquatrepointssur ses « i », au lieu de jouer leurrôle, figurant plutôt les plombs qui

entraînent la ligne au fond. Inutile de lirelemot, il suffit de le regarder. Ce n’est pasnon plus une injure très facile à pronon-cer,surtoutsouslecoupdel’exaspération,mais si l’on tient à blesser un écrivain, ilfaut s’y risquer, car il n’en existe pas depire. Et pourtant, reconnaissons qu’unlivre peut être illisible pour deux raisonsantagoniques. Ou bien il est en effet trèsabscons, amphigourique (osons ces motsqui le sont un peu), si expérimental queseul son auteur enpossède la clé, quand ilnel’apaslui-mêmeégarée.Oubien,enfaitde regard sagace, ne jaillit de nos orbitesquelavapeurdenotreespritembrumé.Laconfusion vient alors du lecteur, de sesmauvaisesdispositions.

La difficulté consiste à faire la part deschoses lorsquenous nous trouvons face àun texte qui s’offre au premier abordcomme une parfaite énigme. Peut-êtrepourtant y a-t-il là une langue nouvelle àapprendre qui seule saura nous faire par-tager des expériences de conscience iné-dites–orquedemandons-nousàlalittéra-ture? Tant de livres sont si limpides, aucontraire, que l’on en touche tout de suitele fond avec le nez! Risquons-nous plutôtdansl’obscurité,à tâtonsd’abord,puisnosyeux bientôt la percent, et c’est encore làque fusent les éclairs et les frissons et quelesmots aussi se détachentavec le plus deforce.

Aprèsavoirconnulesuccèsavecsespre-miers romans (LesRégions céréalières,Gal-limard, 1976), l’écrivain suisse Jean-MarcLovay a développé une langue poétiqueéminemment singulière qui lui vautaujourd’hui de fervents lecteurs – lefameuxpetitcerclejalouxdelaconfidence–etune solide réputationd’illisibilitéqu’ilserait temps de mettre à l’épreuve.Allons-y, puisque les éditions Zoé trèsopportunémentnousproposentunenou-velle édition revue et augmentée du seulrecueil de poèmes de l’auteur, La Cervelleomnibus, initialementparuen 1979.

Alors? Alorsnousn’y entronspas com-me dans du beurre, mais la librairie vendassez de petits pains pour ceux qui veu-lent se faire des tartines, non? C’est unepoésie furieuse, saturée, tout habitée en-corepar la jeunessede sonauteurque tra-hissent à la fois et presquecontradictoire-mentuneoriginalitéradicaleetuneérudi-tion palpitante qui convoque plus qu’ellen’évoque Rimbaud ou Lautréamont: «Jeregardemon cochon et lui passe une bellerobe de chambre. On va se marier. Les in-vités arrivent, décidés à en finir avec lamisère humaine.» Comment ne pas pen-ser ici à Maldoror : « Je rêvais que j’étais

entrédans le corpsd’unpourceau (…)Objetde tousmes vœux, je n’appartenais plus àl’humanité.»

La poésie de Jean-Marc Lovay n’est pasdépourvued’emphase: «Villes immenses,prenez-moi!/ Détruisez enmoi la forêt, lesrochers, la fleur./ (…) Façonnez-moi demétal, que je rouille avec lesmécaniques./Et les écureuils sauvages des abîmes de lacité,qu’ilscreusentdanslecielunetranspa-rente tombe visible du fond de ma pay-sanne fosse.» Poésie d’images fidèlementrapportées, comme si le poète se dédou-

blait, surprispar lui-mêmedans sa transe,tiré par sa propre main ferme et sûred’unefièvrefécondeenvisions,hallucina-tions, illuminationsqu’il serait dommagede laisser perdre. Et si certaines des phra-ses qui les rassemblent ressemblent à descadavres exquis tout à fait aléatoires – «Jen’échangeraipasun coq contreundrapdesoie, malgré l’épaisseur de l’âme» –,d’autres sont aussi foudroyantes que dessecrets enfin révélés : «Toutes ces peursparce qu’on est nés dans les ruines et quelesmots de la construction furent rageuse-ment enseignés!»

Jean-Marc Lovay ne se laisse pas pourautant instrumentaliser par l’inspiration.Il ne se pose pas en oracle : «Je ne taperaipassurunseauencriantqu’uncataclysmea tout désorganisé en moi.» Et ailleurs :«Invité au symposium des adeptes de laSpontanéité, je ne mangeai que du rancelard jaune, et ils fêtèrent le brut cadavred’animal.» Il y a aussi une singerie de lapoésiequigrimacedanscestextes,uneiro-nie qui se brûle à son propre acide, et tou-jours l’effroi d’être dupe de la langue deshommes comme de leurs autres triom-phes désastreux. L’animal est alors à cha-que fois la tentation, un refuge possiblepour la vie délivrée de l’homme, unechance aussi pour celui-ci d’en finir et derecommencer: «Insectes, je vous le dis :/ Jedonnema têteà vos frères/Qu’ils la sucentsans oublier la moindre pensée/ de gran-deur, et les yeux avec la même couleursecrète/ et l’oreille avec la voix jamaisentendue, / je donne la tête et tout.»

La beauté est sans merci, elle n’a riend’une évidence, souvent il faut aller lachercher loin de soi – on peut emprunterpour cela la cervelle omnibus de Jean-Marc Lovay, si dumoins l’onne craint pasles routes qui longent les abîmes :«Enfants, je donnerais mes os pour quevous voyiez le paysage que je vois, et sen-tiez la belle douleur que je sens./ Je merongeà imiter n’importe quel animal.»p

Chroniques

LaDémocratie des crédules,deGéraldBronner,PUF, 346p., 19 ¤.

Une érudition palpitantequi convoqueplus qu’elle n’évoqueRimbaudou Lautréamont

JEAN-FRANÇOIS MARTIN

Unhommeeffacé,d’AlexandrePostel,Gallimard, 256p., 17,90¤.

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Lespetitesplumes

duprésidentRécitsetsouvenirsduprécédentquinquennatcouvrentlestablesdeslibrairies.Et ilssevendentbien.Nouveleffet,sansdoute,delafortepersonnalitédeNicolasSarkozy

Vanessa Schneider

Nicolas Sarkozy, sesamours, ses manies, sescolères, ses petites atten-tions et ses froides indiffé-rences, son goût pour leslunettesde soleil voyantes

et sa gourmandise pour les chouquetteset lechocolat,sesrelationsaveclesgrandsde cemonde: jamaisprésidentn’aura étéautant raconté, scruté, disséqué. Figureappréciée des pamphlétaires, personna-gederoman,sujetsurabondammenttrai-tépar les journalistesde toutpoil, le voilàà présent conté de l’intérieur, par ceuxqui, au grand jour comme dans l’ombre,ont vécu ces années au cœur du pouvoir.La littérature de quinquennat a ses nou-veaux auteurs, dans la lignée desmémo-rialistes du XVIIe et du XVIIIe siècle, avecou sans le talent, simples membres decabinet ou anciens ministres qui inon-dent, depuis la fin du précédent mandat,les étals des librairies de leurs récits et deleurssouvenirs.

L’ancien président souhaitait que sesconseillers et sesministres puissent s’ex-primer librementsur la scènepublique. Ila été servi. A peine avait-il quitté le pou-voir que pas moins de trois membres deson gouvernement, Roselyne Bachelot,François Baroin et Bruno Le Maire, tra-vaillaient déjà à la publication de livressur leur expérience gouvernementale.Même profusion du côté des conseillers,d’ordinaire soumis au fameux et tacitedroit de réserve. Les trois plumes de l’an-cien président, Henri Guaino, CamillePascalet laplusdiscrète,maisnéanmoinsbrillante,Marie de Gandt, ont couché surle papier leurs souvenirs de leurs annéesà l’Elysée.

Dernière parution en date, Sous la plu-me. Petite exploration du pouvoir politi-que (Robert Laffont, 288p., 19¤), deMariedeGandt, est un récit drôle et féroce de laviedecabinet.L’auteur,normalienne,pro-fesseurdelittératurecomparéeàl’univer-sité de Bordeaux, y croque la cour quientourealorsceluiqu’ilsappellenttous le«PR»pour«présidentde laRépublique».Quandsesancienscollègues,CamillePas-cal (Scènes de la vie quotidienne à l’Elysée,Plon, 2012) et Henri Guaino (La Nuit et leJour, Plon, 2012), s’astreignent à l’éloge età la réhabilitation, cette jeune femme degauche,quis’estretrouvéeparunesucces-sion de hasards à écrire les discours d’unprésident de droite, décortique sansconcession le fonctionnement du pou-voir sous l’èreSarkozy.Sonobjectif : s’ins-criredans la «littérature d’explorationdumonde du travail», en vogue ces derniè-res années : « Je voulais décrire le mondepolitiquecommelemondedutravail avecsesprisesdedécisions, sesmodesd’organi-sation.»Dès son arrivée au palais, la plu-meaprisdesnotes«pour essayerde com-prendre ce (qu’elle était) en train de faire,pour ne pas devenir dingue. La dernièreannée, (elle s’est) dit : “Il faut donner dusens” à tout ça».

«Donner du sens», la formule revientsouvent dans la bouche de ces nouveauxchroniqueurs. Pour Bruno LeMaire, dontJours de pouvoirs (Gallimard, «Le Mondedes livres» du 1er février) vient conclure latrilogiequ’il avait entaméeavec LeMinis-treetDeshommesd’Etat (Grasset, 2004et2008), écrire ce qu’il observe est unmoyen de répondre à la question : «Aquoi sert la politique, que peut-on encorefaire?»

«Quand on parcourt trois fois la planè-te pour cinq lignes de communiqué dansunG20,onseposenécessairementlaques-tion de l’intérêt de la vie publique», pour-suit l’ancienministre de l’agriculture. Decette interrogation sur le pouvoir, il a tirétroislivres,foisonnantdescènesetd’anec-dotesoù il campe, dansunstyle impecca-ble, un Sarkozy criant de vérité.

Siellenerevendiquepas lamêmeviséelittéraire, Roselyne Bachelot en est néan-moins à son sixième livre. « J’ai toujourseu legoûtdeprendreunpeudereculaprèsce que je fais», explique la femme politi-quequiavaitdéjàécritaprès labatailledupacs et sur son expérience à la tête duministère de l’environnement. Dans Afeuetàsang (Flammarion,2012),sonjour-nal de bord de la dernière année avant laprésidentielle, celle qui a depuis quitté«irrévocablement la vie politique» lâcheplusque jamais sescoupsens’enprenantsans ménagement à la ligne droitièredéfendue par Nicolas Sarkozy. FrançoisBaroin, ancien ministre des finances, a,lui, dans Journal de crise (JC Lattès, 2012),voulu «laisser un témoignage, une exper-tise,unematièrebrute»sur lacriseécono-miqueet financièrehistoriquequ’il aeuàgérerpendantdeuxans.«Avec lamultipli-cation des tweets, des sites, des blogs, plusrien n’a d’importance. Je ne crois qu’àl’écrit pour laisser une trace.» L’historienCamille Pascal s’est, pour sa part, rappeléce qui le ravissait en lisant l’histoire d’untemps révolu: «Ce sont les anecdotes, lespetiteshistoiresqui figentdans l’espritdesgenslagrandehistoire.»Commesescollè-guesdeplume, ilacouchésurlepapier,defaçon chronologique, une série de scènespuiséesdans ses souvenirs.

Raconter, c’est aussi, bien souvent,opposerunrécit,unevéritéauxcommen-tateurs et aux détracteurs, aux journalis-tes toujourssuspectspar lespolitiquesdepartialité. «Je voulais éviter de voir notreaction devenir l’otage exclusif de ceux quil’ont critiquée», assure François Baroin.«Il yaunevolontéde contrecarrer laparo-le journalistique qui est souvent erronée,parfois injuste, note Marie de Gandt,retrouver une maîtrise du récit aumoment où l’emprise médiatique est trèsforte.» Mais, à force de vouloir rééquili-brer la balance, certains n’hésitent pas àglisser dans l’apologie. Chacun à leurfaçon, François Baroin, Camille Pascal ouHenri Guaino dressent une véritable sta-tue à l’ancien chef de l’Etat. « Je voulaisvaloriser l’action remarquable de NicolasSarkozysur leplaneuropéenetfinancier»,admet François Baroin. Peu échappent àla flagornerie et à la tentation d’édifierleur propre mythe à l’aune de celui dontils parlent. En évoquant leur grand hom-me, Camille Pascal et Henri Guaino dres-sent, parfois peu subtilement, le portraitdu formidable conseiller qu’ils sont sup-posésavoir été. Et lorsqueBrunoLeMaireet François Baroin décrivent leur actionministérielle, c’est bien évidemmentpourglorifier leurspropres faitsetgestes.Convaincus,l’uncommel’autre,parl’ada-

gepopulaireselonlequel«onn’est jamaismieuxserviqueparsoi-même».«Leshom-mes politiques ont leurs agendas, dé-crypte Marie de Gandt, ils se présententforcémentenmajesté.Seconstruireunper-sonnage fait partie de leur campagnepourfaireavancerleurcarrièreet l’édifica-tionde leur légendepersonnelle.»

Parler de Nicolas Sarkozy, c’est doncaussiparlerdesoi.Sanscraindre,biensou-vent,d’avancerdanslaconfessionintime.La plupart de ces récits mêlent descrip-tions du fonctionnement du pouvoir etanecdotes personnelles. Bruno Le Maireraconte ses séances de jogging, ses week-ends avec son épouse, Pauline, enceintede leur quatrième fils, Camille Pascal sestrajets dans le RER qui le ramènent à Ver-sailles, Marie de Gandt sa vie de jeunemaman qui tire son lait dans les toilettesde l’Elyséeentredeuxréunions.Unemise

en scène de soi-même qu’ils assumentcomplètement.«Jedevaisdired’où jepar-lais, explique la jeune auteur, la politiqueest entrée dans tous les domaines de mavie, elle engage chaque fibre de nous-mêmes, du rapport à notre enfance auxdrames de nos existences.» «Ce qui pas-sionne les gens, c’est de savoir ce qu’est lavied’unministre, comment il arriveàs’oc-cuperdesafemme,desesenfants», assureBruno LeMaire. Camille Pascal reconnaîtla «dimension thérapeutique» de sonrécit, commepourmieuxdigérer l’échec.

Danscesouvrages,pasdegrandesrévé-lations,aucunsecretd’Etat.Toussecensu-rent. «J’ai voulu éviter tout ce qui pouvaitapparaître comme des règlements decomptes», résumeBrunoLeMaire.Mêmela flingueuse Roselyne Bachelot re-connaît n’avoir «pas tout dit». Malgrécela, leurs livres sont de grands succès delibrairie. «Je suis bankable», sourit l’an-cienne ministre qui a écoulé plus de40000 exemplaires d’A feu et à sang,selon le cabinet GfK. Camille Pascal, in-connu du grand public, la talonne avecson panégyrique de l’ancien président.Bruno Le Maire, avec déjà 21000 ventes,espère atteindre les 50000. Son précé-dent ouvrage, Des hommes d’Etat, avaitséduit plus de 43000 acheteurs. Le Jour-naldecrisedeFrançoisBaroins’est venduà plus de 18000 exemplaires, juste der-rière La Nuit et le Jour, d’Henri Guaino(20000 ventes).

Unengouementqui s’expliquenotam-ment par la curiosité de plus en plus vivedes Français pour les récits «de l’inté-rieur». «Le pouvoir est quelque chose demystérieux, il est important d’en réduirel’opacité en le racontant», analyse Mariede Gandt. Bruno Le Maire note que, lors-que Jacques Attali publia son Verbatimdes années Mitterrand (Fayard, 1995), ilsuscita l’indignation: «Aujourd’hui, c’estdevenu banal de raconter les dessous dupouvoir, cela ne crée plus de controverses.L’exigence de transparence l’emporte surcelle du secret.»

Mais, si ces livres se vendent bien, celatient surtout au personnage de NicolasSarkozyqui,détestéouadoré, fascine. Jac-quesChiracn’avaitpassuscitétellelittéra-ture. Marie de Gandt parle de «nœudromanesque» : «Sa personnalité est unematière à fantasmes en tous sens.» «S’il ya une floraison de témoignages sur cettepériode,c’estparcequ’elle étaithistorique,veut croire Camille Pascal. J’ai le senti-ment d’avoir vécu quelque chose de horsnormeaux côtés d’unpersonnagehorsducommun.»Nicolas Sarkozy n’avait rien àcraindrequandsonancienconseiller lui aannoncé qu’il allait se lancer dans l’écri-ture de ses mémoires. «Vas-y, ça me faitplaisir !», lui a-t-il lancé.p

Peu échappent à laflagornerie et à latentation d’édifierleur propremytheà l’aune de celuidont ils parlent

Enquête

SÉBASTIEN EROME/SIGNATURES

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Florence Bouchy

Il pensait ne plus écrire de romans.Après le succès de Paris-Brest(Minuit, 2009), Tanguy Viel n’enéprouvait plus le désir, ni la néces-sité. L’inspiration semblait s’êtreenvolée, pour laisser place à

d’autres formesd’écriture.«Je croyais queça ne marchait plus, raconte-t-il, que jen’avais plus envie. Je cherchais des chosesdu côté de la divagation, de la promenade,presquede l’essai – au sens que lui a donnéMontaigne, pas du tout théorique –, uneformeunpeu reptilienne. C’était une sorted’hygiène quotidienne entre la pensée etl’écriture, très réflexive, assez diariste. Jepensais que j’habitais maintenant cetespace-làd’écriture.»

C’est pourtant bien un roman, leréjouissant La Disparition de Jim Sullivan,qui,ensuscitantl’envied’ensavoirunpeuplussur l’impulsionqui l’apoussé,malgrétout, à l’écrire,nousdonne l’occasionde lerencontrer.

Dans lepetitbureauunpeuaustèredeséditions de Minuit où on le retrouve, aumilieu de piles de manuscrits probable-ment refusés, l’atmosphère est chaleu-reuse. Tanguy Viel est souriant, affable,plutôt loquace. Il a suffisammentde reculsur lui-même pour glisser quelques bla-gues lorsqu’il évoque sa vie d’homme re-tiré à la campagne, dont le pic d’activitéest atteint avec«lapetitebaladede 15heu-res enborddeLoire», et quinevientplus àParis qu’«en touriste».

On s’étonne même un peu, du coup,quenecessedesemanifester,à intervallesréguliers,uneinquiétudevisiblementsin-cère sur ce que ses propos pourraientavoir de «sentencieux» lorsqu’il parle deson rapport à la littérature. Ils ne l’ont enfait jamais été durant cette rencontre,mais il a presque fallu lui promettre quece ne serait pas l’impression donnée parl’article qu’onen tirerait.

Incité par François Bon, rencontré en1995 au Centre dramatique régional deTours, où il travaille alors, à soumettre unmanuscrit aux Editions de Minuit, Tan-guy Viel reçoit de Jérôme Lindon desencouragements grâce auxquels il mè-nera à bien l’écriture de son premierroman,LeBlackNote (Minuit, 1998),varia-tion sur l’amitié inspirée des relationsentretenuespar JohnColtraneet lesmem-bresde sonquartette.

Puis il écrit Cinéma (1999), où le narra-teur fait le récit de sa passion pour LeLimier, de Mankiewicz. Le succès publicvientréellementavecL’AbsoluePerfectionducrime (2001),reprisevirtuoseetsubtile-mentmélancoliquedescodesdupolar.Deson année de résidence à la Villa Médicis,Tanguy Viel rapporte Insoupçonnable(2006), avant de jouer pour la premièrefois avec les attentes du roman familial etautobiographiquedans Paris-Brest.

La Disparition de Jim Sullivan se pré-sente quant à lui comme un jeu avec lemodèle du roman américain, référencedans laquelle Tanguy Viel a trouvé assezde ressources pour sortir de la panneromanesqueoù il était tombé.

« J’étais dans une librairie, en 2011, sesouvient-il,et je voyais cette tabledesnou-veautés du moment, toujours les mêmes,sansdouteunJimHarrison,unPhilipRoth,peut-être un Nicole Krauss. J’hésitais entreagacement, constat, admirationpour tousces gens qui écrivent tout le temps, alorsque moi, justement… Au début, c’est uneblague que je me suis faite à moi-même,sur lemodedu “Oh, tiens, je n’ai qu’à écrireun romanaméricain, ce sera plus simple!”Sauf que je suis sorti de la librairie et quel’idéea continuéà faire son chemin.»

Il n’ignore pas ce que sa vision duroman américain, qu’il avoue réduite àquelques noms célèbres et aux images depêcheà la truite, dematchsdebase-ball etde scènesde la vie de campus, a departiel.Il saitbienque l’enviesuscitéechez luiparce qu’il appelle « l’impunité de la fiction

américainecontemporaine,voiresoninno-cence, cette capacité à produire du récitsans inquiétude», n’est tout au plus vala-blequepourlesromansausuccès interna-tional, lesquels masquent selon lui touteuneveinedu romanaméricainplus expé-rimentale. Mais il a trouvé, dit-il, danscette idéequi sedéconstruirait sansdoutefacilement, sa pulsion d’écriture et l’éner-gie particulière qui anime le narrateur dece roman.

Soit un narrateur français qui se pré-tendauteur d’un romanaméricain et s’in-génieànousleraconter,toutennousexpli-quant comment et pourquoi il a choisitelle ou telle scène, tel ou tel nompour seslieux et ses personnages, au regard de cequ’il penseêtre le romanaméricain.

Lorsqu’on demande à Tanguy Viel si,avecuntelprojet, il n’apaseupeurdever-ser dans les clichés, et si son narrateurcroit vraiment à la série de lieux com-muns qui lui sert de critères, il vousrépond très gentiment mais avec convic-tion. «Le projet a très vite été de faire tenirle roman par la voix du narrateur, pourque les clichés soient vus commeclichés. Le

narrateurcroitàcequ’ildit,mais ilaà l’évi-dence une vision très partielle, ce n’est pasdu tout un regard de spécialiste. C’est plu-tôt un cabochard qui se met une idée entête et qui ne regarde pas les choses demanière très raisonnable. Le narrateur estun personnage, avec sa mauvaise foi, sesgoûts assez communs, finalement. C’estaussiçaqui luidonnesonénergie,puisqu’ilfaut en permanence qu’il s’auto-convain-quequ’il est au cœur dudébat, et qu’il écrit

bienun romanaméricain.»Si l’on s’étonne de cette façon

qu’ont ses romans de sembler tou-jours suscitéspar ledésird’endécou-dre avec des fictions plus qu’avec leréel immédiat, il inscrit ce choixesthétiquedansuneperspectiveplusexistentielle.On sent que,malgré lesdoutes qui, à l’évidence, accompa-gnent en permanence son travail

d’écrivain, il sait exactement quelle placel’écritureoccupedans sa vie.

«Je n’ai pas de rapport brut à la réalité,confie-t-il. Je n’ai qu’un rapport formalisépardesrécitsdéjàlà,parlesfilms,parexem-ple.C’estdéjàvraidemonexistenceentantqu’existence, mais c’est encore plus vraiquand je memets à écrire. C’est comme simon cerveau était déjà configuré par desimages de fiction. La plupart du temps,mon enjeu, c’est d’arriver à me créer unespace au milieu de ce monde de récits.C’est monmode d’être, monmode de tra-vail. Cela peut paraître un peu défensif,maisc’est surtout làque jepuisemonéner-gie.C’estquandjetrouveunescène,unringen fait, sur lequel jouer, rejouer le combat,que le livre devient possible.»

C’estaussipourcelaquela syntaxeet legrain de la voix se font souvent enfantinset ludiques dans ce roman. Il peut ainsi«inventer les adultes», ces êtres étranges,parfois incompréhensibles, avec lesquelsil faut sans cesse essayer de frayer. En l’oc-currence, les adultes, cette fois-ci, ce sontles romansaméricains.Une réalité loindela sienne, plus sérieuse et plus lourde.Moins fragile surtout.

«Je ne suis pas trop doué avec la vie. Demoinsenmoins», résume-t-il.Balayant lesscrupulesqu’onéprouveà lepousserdanscettedirectionpeut-être troppersonnelle,il ajoute rapidement: «C’est quandmêmepour ça que j’ai choisi l’écriture. J’ai sentiassez jeune que “la vie en vrai”, ça deman-dait une force que je n’avais pas le senti-mentdeposséder.Etdefait,pourmoi, l’écri-ture a toujours eu à voir avec l’idée d’un

abri, peut-êtremême d’un refuge, là où onpeut construire un monde où, comme ditFreud, “il ne peut rien vousarriver”.»

A l’entendre décrire ainsi les bienfaitsde la littérature, et se montrer à ce pointconscientdubesoinintimequ’ilenéprou-ve, on se rappelle avec un certain étonne-ment qu’il a pu songer à renoncer à la fic-tion.Faites-nousplaisir,a-t-onenviedeluidire, fuyez la vie, restez dans votre abri ! Silesromansquevouspourrezencoreécriresontà ceprix, on accepteravolontiersquevous le payiez.p

TanguyVielL’écrivainavouen’aborderlemondequ’àtraverslefiltredelafiction.Etpourtantilasongéàabandonnercettedernière–avantd’avoirl’idéede«LaDisparitiondeJimSullivan»,sonnouveauroman

L’ermiteduborddeLoire

«C’est dans ce décor-làqu’on rencontraitDwayneKoster pour la premièrefois, nonpas vraiment surles rives des grands lacsmais dans les faubourgs deDetroit, au volant d’unevieilleDodgeCoronet 1969,sans qu’on sache tout desuite ce qu’il y faisait, danssa voiture, ayant l’air deremonter les rues commeunepatrouille de flics quine sait pas trop ce qu’ellecherche, jusqu’à ce que,assez vite cependant, on levoie s’arrêter dans une deslongues rues qui s’étendentd’est en ouest sur une di-zaine demiles, où déjà laville s’étiole et ploie sous lesgrandsarbres qui abritentlesmaisons. C’est la pre-mière scènedemon livre,un typearrêtédansunevoi-ture blanche,moteur cou-pédans le froidde l’hiver,où se dessinent doucementles attributs de sa vie.»

LaDisparitionde

JimSullivan, page16

Rencontre

LaDisparitionde Jim Sullivan,deTanguyViel,Minuit, 160p., 14 ¤.Signalons, dumêmeauteur,la parution enpochedeParis-Brest,Minuit, «Double», 192p., 7¤.

Extrait

«Pourmoi, l’écriturea toujours eu à voiravec l’idée d’un abri,peut-êtremêmed’un refuge»

Unefantaisieaméricaine

Parcours

JIMSULLIVANest un chanteur américain connu,notamment, pour le titreUFO,mais surtout restédans la légendeen raisonde samystérieusedispari-tion, sur laquelle toutes les rumeursont couru, ycompris celle d’unenlèvementpar des extraterres-tres. Il donne sonnomaunouveau romandeTan-guyViel, LaDisparitionde Jim Sullivan, alors qu’iln’en est ni le personnageprincipal ni l’élémentnarratif décisif.Mais sa légende est enquelque sortele point de fuite de ce «romanaméricain», sonvanishingpoint,dirait-onoutre-Atlantique.

Lenarrateur français de cet enthousiasmantromandeTanguyViel décide, avec la plus grandeénergie, à la fois enfantine et comique, d’écrire unromanaméricain qui obéira à tous les codes dugenre. Il invente les aventuresdeDwayneKoster,marié à Susan, avec laquelle il vit àDetroit. Profes-

seur de littératureà l’université, Koster devientl’amantde l’unede ses étudiantes,MillyHartway.Pasde côté qui fera bien évidemmentexploser soncouple et le conduira, depéripétie enpéripétie, à fré-quenter aussi bien le FBI que l’hôpital psychiatri-que, sur fondd’alcoolismeet d’écoutedemorceauxde JimSullivan.

Onpourrait penser que leprocédé consistant àlaisser commenterparunnarrateurunpeuhysté-rique le romanqui s’écrit sous nos yeuxhypertro-phie le jeu avec les codesnarratifs et les genres fic-tionnels, souventmoteurdu romanchez TanguyViel. C’est pourtant l’impressiond’une grandeliberté et d’une fantaisie asseznouvelle qui se dé-gagede la lecture, laquelle laisse penser que l’écri-ture s’est faitedans le plaisir d’un jeuqui inven-terait ses propres lois. p F. By

1973TanguyViel naît à Brest.

1995 Il rencontre FrançoisBonàTours.

2001L’Absolue Perfectiondu crime(Minuit), premier succès.

2003-2004 Il est pensionnaireà laVillaMédicis, à Rome.

2006 Il s’installe à la campagneetpublie Insoupçonnable (Minuit).

2009Paris-Brest (Minuit). PHILIPPE QUAISSE/PASCO POUR «LE MONDE»

10 0123Vendredi 8mars 2013