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pratique | hémostase OptionBio | Jeudi 21 février 2008 | n° 395 20 L e syndrome de Willebrand acquis est un syndrome hémorragique comportant des anomalies biologiques de la maladie de Willebrand. Il est rare et survient en général après 50 ans, chez un sujet n’ayant pas d’antécédents personnels ou familiaux de saignements. On le retrouve souvent dans un contexte clinique par- ticulier : syndrome lympho- ou myéloprolifératif, gammapathie monoclonale, cancer, maladie auto- immune, etc. Les symptômes de la maladie de Willebrand acquise ne sont pas spécifiques ; comme dans la forme constitutionnelle, ce sont des saigne- ments cutanéo-muqueux et/ou postopératoires, de sévérité variable. La distinction entre maladie de Willebrand constitutionnelle et syndrome de Willebrand acquis repose donc principalement sur l’âge (tardif) d’apparition des premiers symptômes et sur l’absence d’antécédents hémorragiques personnels ou familiaux. Diagnostic biologique Les tests utilisés en routine pour le diagnostic de la maladie de Willebrand ne permettent pas de distinguer une forme acquise d’une forme constitutionnelle : – le temps de saignement est normal ou allongé dans les deux cas ; – le temps de céphaline + activateur est allongé en fonction de la diminution du taux de facteur VIII plasmatique ; – le taux du facteur Willebrand antigène (vWF:Ag) et l’activité du cofacteur de la ristocétine (vWF:Rco) sont diminués. Quelques examens plus spécifiques peuvent être envisagés pour aider au diagnostic de la forme acquise. Ainsi un test fait sur le mélange plasma du malade et plasma témoin peut permettre de mettre en évidence un effet inhibiteur dirigé contre le vWF:Rco (absence de correction du test sur le mélange). Enfin, une analyse très spécialisée, le dosage du propeptide du facteur Willebrand, aide au diagnostic différentiel : son taux est diminué dans les formes constitutionnelles et normal, voire augmenté, dans les formes acquises. Physiopathologie La diminution du taux du facteur Willebrand résulte de trois mécanismes principaux : 1) l’apparition d’anticorps anti-vWF, 2) l’adsorption du facteur Willebrand sur les cel- lules tumorales ou 3) une dégradation protéolytique. La production d’auto-anticorps anti-facteur Willebrand est le plus souvent observée dans le contexte d’un syndrome lymphoprolifératif de type myélome multiple, ou d’un lupus érythéma- teux disséminé. Le complexe formé entre l’an- ticorps (Ac) et le facteur Willebrand est rapide- ment capté par le système réticulo-endothélial, entraînant la baisse du taux du facteur Willebrand plasmatique. Au cours de certaines néoplasies ou maladies lymphoprolifératives (myélome, leucémie à tricho- leucocytes), les cellules tumorales expriment à leur surface un complexe GpIb ou GpIIb-IIIa-like aberrant, provoquant l’adsorption généralement sélective des multimères de haut poids molécu- laire du vWF (deuxième mécanisme). Enfin, au cours de certains syndromes myélo- prolifératifs, ou en cas de traitement par certains médicaments comme la ciprofloxacine, des enzy- mes capables de cliver les sous-unités du facteur Willebrand seraient sécrétées. Les taux très bas du facteur Willebrand, géné- ralement observés au cours des syndromes de Willebrand acquis, pourraient s’expliquer par l’as- sociation de plusieurs de ces mécanismes. Traitement Il s’agit avant tout du traitement de la pathologie sous-jacente. En cas de syndrome hémorragique ou de chirurgie programmée, la desmopressine (Minirin ® ) peut être administrée, après avoir vérifié le statut “bon répondeur” du malade à l’injection. L’utilisation de concentrés du facteur Willebrand, associés ou non à du facteur VIII, peut être envi- sagée en cas d’hémorragie aiguë, mais ils sont moins efficaces que dans la maladie de Willebrand constitutionnelle du fait de la présence des inhi- biteurs qui diminuent la durée de vie du facteur de substitution. En cas de production d’auto-anti- corps anti-facteur Willebrand (dans le contexte d’un lupus érythémateux ou d’une gammapathie monoclonale), l’administration d’immunoglobuli- nes par voie intraveineuse est le traitement de choix : elle permet une correction du déficit pen- dant 2 à 3 semaines. Une plasmaphérèse, une corticothérapie ou un traitement immunosuppres- seur peuvent être indiqués. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] Syndrome de Willebrand, distinguer la forme acquise de l’innée La maladie de Willebrand peut être constitutionnelle ou acquise. Plusieurs tests sont utilisés en routine pour distinguer les deux formes, certains plus spécifiques pour la forme acquise, et débuter un traitement de la pathologie sous-jacente. Source Communication de M.M. Samama, lors du 10 e Rendez-vous scien- tifique du laboratoire LCL, Paris, mars 2007. © BSIP/Phototake/Margulies | Formation d’un caillot et maladie de von Willebrand.

Syndrome de Willebrand, distinguer la forme acquise de l’innée

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pratique | hémostase

OptionBio | Jeudi 21 février 2008 | n° 39520

Le syndrome de Willebrand acquis est un syndrome hémorragique comportant des anomalies biologiques de la maladie de

Willebrand. Il est rare et survient en général après 50 ans, chez un sujet n’ayant pas d’antécédents personnels ou familiaux de saignements. On le retrouve souvent dans un contexte clinique par-ticulier : syndrome lympho- ou myéloprolifératif, gammapathie monoclonale, cancer, maladie auto-immune, etc.Les symptômes de la maladie de Willebrand acquise ne sont pas spécifiques ; comme dans la forme constitutionnelle, ce sont des saigne-ments cutanéo-muqueux et/ou postopératoires, de sévérité variable. La distinction entre maladie de Willebrand constitutionnelle et syndrome de Willebrand acquis repose donc principalement sur l’âge (tardif) d’apparition des premiers symptômes et sur l’absence d’antécédents hémorragiques personnels ou familiaux.

Diagnostic biologiqueLes tests utilisés en routine pour le diagnostic

de la maladie de Willebrand ne permettent pas de distinguer une forme acquise d’une forme constitutionnelle :– le temps de saignement est normal ou allongé dans les deux cas ;– le temps de céphaline + activateur est allongé en fonction de la diminution du taux de facteur VIII plasmatique ;– le taux du facteur Willebrand antigène (vWF:Ag) et l’activité du cofacteur de la ristocétine (vWF:Rco) sont diminués.

Quelques examens plus spécifiques peuvent être envisagés pour aider au diagnostic de la forme acquise. Ainsi un test fait sur le mélange plasma du malade et plasma témoin peut permettre de mettre en évidence un effet inhibiteur dirigé contre le vWF:Rco (absence de correction du test sur le mélange). Enfin, une analyse très spécialisée, le dosage du propeptide du facteur Willebrand, aide

au diagnostic différentiel : son taux est diminué dans les formes constitutionnelles et normal, voire augmenté, dans les formes acquises.

PhysiopathologieLa diminution du taux du facteur Willebrand résulte de trois mécanismes principaux : 1) l’apparition d’anticorps anti-vWF, 2) l’adsorption du facteur Willebrand sur les cel-lules tumorales ou 3) une dégradation protéolytique.La production d’auto-anticorps anti-facteur Willebrand est le plus souvent observée dans le contexte d’un syndrome lymphoprolifératif de type myélome multiple, ou d’un lupus érythéma-teux disséminé. Le complexe formé entre l’an-ticorps (Ac) et le facteur Willebrand est rapide-ment capté par le système réticulo-endothélial, entraînant la baisse du taux du facteur Willebrand plasmatique.Au cours de certaines néoplasies ou maladies lymphoprolifératives (myélome, leucémie à tricho-leucocytes), les cellules tumorales expriment à leur surface un complexe GpIb ou GpIIb-IIIa-like aberrant, provoquant l’adsorption généralement sélective des multimères de haut poids molécu-laire du vWF (deuxième mécanisme).Enfin, au cours de certains syndromes myélo-prolifératifs, ou en cas de traitement par certains médicaments comme la ciprofloxacine, des enzy-mes capables de cliver les sous-unités du facteur Willebrand seraient sécrétées.Les taux très bas du facteur Willebrand, géné-ralement observés au cours des syndromes de Willebrand acquis, pourraient s’expliquer par l’as-sociation de plusieurs de ces mécanismes.

TraitementIl s’agit avant tout du traitement de la pathologie sous-jacente. En cas de syndrome hémorragique ou de chirurgie programmée, la desmopressine (Minirin®) peut être administrée, après avoir vérifié

le statut “bon répondeur” du malade à l’injection. L’utilisation de concentrés du facteur Willebrand, associés ou non à du facteur VIII, peut être envi-sagée en cas d’hémorragie aiguë, mais ils sont moins efficaces que dans la maladie de Willebrand constitutionnelle du fait de la présence des inhi-biteurs qui diminuent la durée de vie du facteur de substitution. En cas de production d’auto-anti-corps anti-facteur Willebrand (dans le contexte d’un lupus érythémateux ou d’une gammapathie monoclonale), l’administration d’immunoglobuli-nes par voie intraveineuse est le traitement de choix : elle permet une correction du déficit pen-dant 2 à 3 semaines. Une plasmaphérèse, une corticothérapie ou un traitement immunosuppres-seur peuvent être indiqués. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Syndrome de Willebrand, distinguer la forme acquise de l’innée

La maladie de Willebrand peut être constitutionnelle ou acquise. Plusieurs tests sont utilisés en routine pour distinguer les deux formes, certains plus spécifiques pour la forme acquise, et débuter un traitement de la pathologie sous-jacente.

SourceCommunication de M.M. Samama, lors du 10e Rendez-vous scien-tifique du laboratoire LCL, Paris, mars 2007.

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