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ÉDITORIAL Vers une prise en charge personnalisée et multidisciplinaire des MICI Towards a personalized and multi- disciplinary management of IBD Pr Laurent Peyrin-Biroulet Service d'hépato-gastro- entérologie, CHU de Nancy. L a prise en charge des patients atteints d'une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) requiert désormais une équipe multidisciplinaire. Le gastroentérologue ne peut plus décider seul des grandes étapes de cette prise en charge. La survenue d’un déficit nutritionnel tel qu’une carence martiale nécessite l’emploi d’algorithmes décisionnels précis et un dépistage systématique, car cette complication est fréquente au cours des MICI et la récidive est la règle. Une collaboration avec nos collègues nutritionnistes est indispensable puisqu'une carence martiale est rarement isolée et souvent associée à une carence en folates, vitamine B12 et/ou divers micronutriments. Longtemps, la survenue d’une destruction de la paroi intestinale au cours de la maladie de Crohn − qui concernera un patient sur deux après 10 ans d’évolution −, a été considérée comme l'indication formelle d’une prise en charge chirurgicale. Les choses ont évolué avec l’arrivée des biothérapies et notamment des anti-TNF. Une sténose et une fistule peuvent être traitées médicalement, mais seulement après en avoir discuté avec nos collègues chirurgiens. Par exemple, les sténoses anciennes, très symptomatiques, avec dilatation d’amont majeure doivent être traitées chirurgicalement. Fait nouveau, les abcès intra-abdominaux également peuvent être traités par une combinaison antibiotiques-drainage radiologique-anti-TNF même si une discussion au cas par cas reste indispensable. En cas de non-réponse aux antibiotiques et au drainage radiologique, il faut le plus souvent recourir à la chirurgie. C’est ainsi que le consensus de l’European Crohn's and Colitis Organisation (ECCO) des chirurgiens a évolué en proposant une approche non chirurgicale dans certains cas et non plus une résection intestinale systématique des lésions à chaud ou à froid en cas d’abcès intra-abdominal. Le védolizumab ouvre de nouvelles opportunités thérapeutiques au cours des MICI. Comme les anti-TNF, le védolizumab est plus efficace chez les patients naïfs de toute biothérapie. Malheureusement pour nos patients, les hautes autorités françaises ont décidé de ne rembourser le védolizumab qu’en cas d’échec des anti-TNF. Cela répond uniquement à une logique économique à court terme dont le simple but est de diminuer le nombre de patients traités par védolizumab en France. La réduction du recours à la chirurgie et du nombre d’hospitalisations ainsi que la prévention du handicap fonctionnel auraient dû également être prises en compte à long terme, mais, en l’absence d’essai comparant directement les anti-TNF au védolizumab et dans un contexte économique très difficile en France, il a été décidé de limiter 132 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015

Vers une prise en charge personnalisée et ... · au cours de la maladie de Crohn − qui concernera un patient sur ... intra-abdominaux également peuvent être traités par une

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ÉDITORIAL

“Vers une prise en charge personnalisée et multidisciplinaire des MICITowards a personalized and multi­disciplinary management of IBD

Pr Laurent Peyrin-Biroulet

Service d'hépato-gastro-entérologie, CHU de Nancy.

La prise en charge des patients atteints d'une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) requiert désormais une équipe multidisciplinaire. Le gastroentérologue ne peut plus décider

seul des grandes étapes de cette prise en charge. La survenue d’un déficit nutritionnel tel qu’une carence martiale nécessite l’emploi d’algorithmes décisionnels précis et un dépistage systématique, car cette complication est fréquente au cours des MICI et la récidive est la règle. Une collaboration avec nos collègues nutritionnistes est indispensable puisqu'une carence martiale est rarement isolée et souvent associée à une carence en folates, vitamine B12 et/ou divers micronutriments.

Longtemps, la survenue d’une destruction de la paroi intestinale au cours de la maladie de Crohn − qui concernera un patient sur deux après 10 ans d’évolution −, a été considérée comme l'indication formelle d’une prise en charge chirurgicale. Les choses ont évolué avec l’arrivée des biothérapies et notamment des anti-TNF. Une sténose et une fistule peuvent être traitées médicalement, mais seulement après en avoir discuté avec nos collègues chirurgiens. Par exemple, les sténoses anciennes, très symptomatiques, avec dilatation d’amont majeure doivent être traitées chirurgicalement. Fait nouveau, les abcès intra-abdominaux également peuvent être traités par une combinaison antibiotiques-drainage radiologique-anti-TNF même si une discussion au cas par cas reste indispensable. En cas de non-réponse aux antibiotiques et au drainage radiologique, il faut le plus souvent recourir à la chirurgie. C’est ainsi que le consensus de l’European Crohn's and Colitis Organisation (ECCO) des chirurgiens a évolué en proposant une approche non chirurgicale dans certains cas et non plus une résection intestinale systématique des lésions à chaud ou à froid en cas d’abcès intra-abdominal.

Le védolizumab ouvre de nouvelles opportunités thérapeutiques au cours des MICI. Comme les anti-TNF, le védolizumab est plus efficace chez les patients naïfs de toute biothérapie. Malheureusement pour nos patients, les hautes autorités françaises ont décidé de ne rembourser le védolizumab qu’en cas d’échec des anti-TNF. Cela répond uniquement à une logique économique à court terme dont le simple but est de diminuer le nombre de patients traités par védolizumab en France. La réduction du recours à la chirurgie et du nombre d’hospitalisations ainsi que la prévention du handicap fonctionnel auraient dû également être prises en compte à long terme, mais, en l’absence d’essai comparant directement les anti-TNF au védolizumab et dans un contexte économique très difficile en France, il a été décidé de limiter

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notre arsenal thérapeutique aux anti-TNF en première ligne pour les biothérapies dans les MICI. Cette décision est d’autant plus critiquable que plusieurs pays européens ont décidé de rembourser le védolizumab chez les patients naïfs d'anti-TNF et que le libellé de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) stipule clairement que le védolizumab est indiqué chez les patients n’ayant jamais été exposés aux biothérapies en échec des immunosuppresseurs.

Même si la chirurgie reste encore très utile en 2015 dans les MICI, mais dans des indications qui doivent être mûrement réfléchies en comité de concertation pluridisciplinaire, la récidive postopératoire endoscopique peut concerner jusqu'à 80 % des patients opérés pour une maladie de Crohn. Ces patients doivent être vus systématiquement par leur gastroentérologue quatre semaines après la chirurgie afin de discuter de la stratégie postopératoire la mieux adaptée à leur cas en fonction notamment des facteurs de risque de récidive, même si ces critères n’ont jamais été formellement validés. Là encore, cela souligne la nécessité d’une bonne collaboration entre chirurgiens et gastroentérologues.

Enfin, il faut souligner la place grandissante prise par le suivi non invasif des patients avec une MICI grâce à différents outils dont les marqueurs fécaux (calprotectine, lactoferrine, etc.) et l’IRM. En 2010, dans une étude publiée dans Gut, notre équipe avait lancé une technique révolutionnaire dans les MICI qu’est l’IRM de diffusion qui ne nécessite ni lavements, ni jeûne, ni préparation orale pour explorer le côlon et qui permet d’éviter le recours à une coloscopie dans de nombreux cas. Actuellement, nous faisons en moyenne 20 IRM utilisant cette technique par semaine au CHU de Nancy pour des patients atteints d'une MICI. Cette technique a tendance à se généraliser, ce qui est une bonne chose pour nos patients.

Récemment, la prise en charge personnalisée et multidisciplinaire des patients ayant une MICI au CHU de Nancy a été récompensée et mise à l’honneur puisque notre service a été choisi comme centre pilote dans le monde pour le programme “Inflammatory Bowel Disease Centres of Excellence” (ICE)1. Des gastroentérologues du monde entier viennent tous les six mois au CHU de Nancy pour s’immerger dans notre centre et voir comment fonctionne au quotidien une équipe pluridisciplinaire. Nous sommes sûrs que ce programme permettra à de nombreux autres centres en France et à l’étranger de mettre également en place une prise en charge personnalisée pour des maladies complexes, chroniques, qui restent incurables.

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1 Le programme ICE est soutenu par les laboratoires AbbVie.

L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

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