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L’ENJEU DU MOIS Rubrique 46 ENJEUX LES ECHOS / JUIN 2015 Finance Le développement des technologies numériques et l’arrivée de concurrents venus du Web secouent un secteur qui a trop longtemps vécu sur ses acquis. De la banque de détail à la banque d’investissement, tous les acteurs cherchent à se réagencer. LE DIGITAL FAIT SAUTER LA BANQUE

Le Digital et la Banque

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l’enjeu du moisRubrique

46enjeuX les eCHos / juin 2015

Finance Le développement destechnologies numériques et l’arrivéede concurrents venus du Web secouentun secteur qui a trop longtemps vécusur ses acquis. De la banque de détailà la banque d’investissement, tous lesacteurs cherchent à se réagencer.

le digitalfait sauter labanque

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L’enjeu du mois

Après l’hôtellerie, la grande distribution, la musique, est-ce au tour de la banque de voirson modèle totalement remis en cause ? Elle bouge, en tout cas. L’industrie financièreest certes à part, protégée en un sens par les fortes contraintes réglementaires ettechniques qui s’imposent à elle. Mais le consommateur veut une autre banque,mobile, accessible, transparente. Les établissements revoient leur relation au client(p. 48). Ce qui ne signifie pas forcément la fin de l’agence, comme le montre notrereportage sur la côte Ouest des Etats-Unis (p. 52).

En banque d’investissement, les grands comptes, eux aussi, ont de nouvelles exi-gences. Ils réclament une offre qui prenne en compte tous leurs besoins, et à destarifs très compétitifs. Avec des règles prudentielles toujours plus strictes, la ren-tabilité va souffrir et les banquiers d’affaires devront faire preuve d’inventivité (p.54).Moyennant quoi la banque devrait éviter, au moins dans l’immédiat, l’« ubérisation »radicale mise en scène dans notre fiction, située en 2045 (p. 56). K. D. M.

FLORENCE BAUCHARD, ISABELLE LESNIAK, GUILLAUME MAUJEAN ET LUCIE ROBEQUAIN À PORTLANDILLUSTRATIONS: KAROLIS STRAUTNIEKAS

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L’ENJEU dU mOiSLa banque du futur

Faire un virement en deux clics, consulter son solderégulièrement : depuis qu’il a un téléphone portable,Kévin, 23 ans, salarié en alternance dans le privé,n’a plus besoin d’aller à son agence pour gérer soncompte bancaire. Quant à Pierre-Yves, 49 ans, pro-fesseur de lycée en région parisienne, il est ravid’avoir transféré son compte principal à la banqueen ligne ING Direct et recommandé à son fils de18 ans d’en faire autant. « Depuis 2012, mes fraisbancaires ont baissé, je peux retirer des espècesdans n’importe quel distributeur sans pénalité, etj’ai un conseiller en ligne quand j’en ai besoin. »

A l’heure d’Internet et du smartphone, le client, quelque soit son âge, n’est plus le même. Nomade, impa-tient, mieux informé, il est de plus en plus exigeantsur l’accessibilité et la qualité du conseil, même si sesvisites en agence se raréfient. En même temps, ilrechigne à payer pour un service de plus en plus imma-tériel, auquel s’intéressent en outre de près les géantsd’Internet et de la téléphonie. Après l’industrie dutourisme, les producteurs de biens culturels et la grandedistribution, la banque va-t-elle à son tour voir sonmodèle économique totalement remis en cause?

Préservées par des exigences réglementaires de pro-tection des déposants et une certaine inertie des clients,les banques françaises ont longtemps fait le gros dos.Mais plutôt que de subir un changement de paradigme,elles commencent à bouger. D’autant que leurs prin-cipaux moteurs de rentabilité toussent. La baisse destaux d’intérêt – à des niveaux inédits – les prive d’une

de leurs principales sources de bénéfices: la rémuné-ration du placement des dépôts a chuté. « Engagédepuis cinq ans, ce phénomène est appelé à durer»,souligne Jérôme Barrué, partenaire du cabinet RolandBerger. Quant aux commissions, elles sont contestéesà la fois par le régulateur et le consommateur. Résul-tat: les banques doivent absolument alléger leurs coûtset trouver d’autres sources de profit, sans perdre lecontact avec le client. Le départ à la retraite des effec-tifs recrutés lors du massif essor bancaire des années70-80 va certes simplifier la rationalisation de leursactivités. Une aubaine pour rattraper par la peau ducou un consommateur courtisé et déjà séduit par desacteurs alternatifs et… glamours. Aujourd’hui, lesGoogle, Apple, Facebook, Amazon (GAFA), les opé-rateurs de téléphonie et une armada de start-up s’at-taquent aux paiements électroniques. Demain, d’autresprérogatives bancaires pourraient être visées.

dANS L’ESPRiT «BOUTiQUE»La Banque postale, BNP Paribas, le Crédit agricole,LCL, la Société générale et consorts : depuis troisans, les majors de la banque de détail en France ontamorcé leur métamorphose. Les réseaux secontractent, les concepts d’agence évoluent, les mis-sions et le modèle de rémunération des conseillersaussi. Avec une obsession du service inspirée del’hôtellerie, des Apple Stores ou encore d’Amazon.A Paris, le Crédit agricole de la rue des Martyrs, dansle IXe arrondissement, fait partie des huit agences

Remue-ménage dans les agences: à l’heure d’Internet et du smartphone, les grandsréseaux ont compris qu’ils devaient revoir leur offre produit, personnaliserleurs conseils et même repenser leurs locaux. Le tout avec l’obsession du service.

LA BANQUE DE DÉTAILREMET LE CLIENT EN AVANT

DE LA CARTE BANCAIRE AU CROWDFUNDING, PRÈS D’UN DEMI-SIÈCLE D’INNOVATIONS1967Première cartede paiement enFrance, lancée parsix banques.

1968Premierdistributeurautomatique debillets à Paris. En2014, la France encompte 58640.

1971Première carte àpiste magnétique.

1973Lancement dupaiement par carteà l’étranger.

1974Roland Morenoinvente la carte àpuce. Ce systèmeapporte unesécurité renforcéepar rapport à lapiste magnétique.

En 2014, les82,2 millions decartes bancaires encirculation en Francereprésentent près de50% des paiements,contre 13% pour leschèques.

1980Premiers terminauxde paiementélectronique.

1984Création dugroupement des

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pilotes du programme Ambitions 2015de la banque verte. Depuis l’automne der-nier, les locaux ont fait peau neuve etfonctionnent en continu. Dans l’agencedevenue « boutique », des salons vitrésaux tons clairs ont remplacé les bureauxà l’ancienne. Les ordinateurs sont munisd’un bras articulé pour pouvoir partagerplus facilement leur contenu avec le client,ainsi associé à la « co-construction » deses projets ! A l’entrée, plus de guichet,mais une simple borne d’accueil où leclient s’annonce nominativement, avantde s’installer dans un petit salon confor-table équipé en wi-fi. Là, il peut feuilleterun journal, regarder la météo et autresinformations sur un grand écran plat, ouconsulter son compte sur une tablette gra-cieusement mise à disposition, en atten-dant son rendez-vous. Entre-temps, leconseiller chargé de l’accueil ce jour là – lafonction est devenue tournante dans unsouci de polyvalence – lui aura proposé un café. Bilande l’opération: «Un changement qualitatif appréciéautant par les clients que par les collaborateurs ou lescommerçants du quartier », selon la directrice del’agence, Marilyne Veronese. D’ailleurs, l’indice desatisfaction client dépasse la moyenne du réseau tra-ditionnel d’Ile-de-France. Et le nombre d’incivilitésa baissé. C’est aussi une véritable révolution pour les

collaborateurs de l’agence, qui doiventdévelopper leurs compétences pour êtredavantage conseiller que vendeur, dansune approche plus collaborative avec leclient et leurs collègues. « A l’instar dusecteur du luxe, nous avons suivi des for-mations comportementales, de l’accueiljusqu’à la clôture de l’entretien avec leclient pour tendre vers l’excellence rela-tionnelle», explique Marilyne Veronese.Et la rémunération n’est plus fixée en fonc-tion du nombre de produits vendus! AuxEtats-Unis, la banque Umpqua a poussétrès loin ces principes (lire p. 52).

Mais l’heure n’est plus au modèleunique. Sur les traces de la grande dis-tribution, les établissements bancairesmultiplient les formats d’agence et lesmodes d’interaction avec les clients, dumail jusqu’aux services proposés unique-ment en ligne. Indispensable pour main-tenir ou retrouver la proximité avec la

clientèle. Pour sa part, BNP Paribas a distingué troisformats : l’« express » – le plus basique – pour lesopérations simples (virement, retrait, etc.), unique-ment en zone urbaine ; le « conseil » pour la grossecavalerie avec si besoin des spécialistes métiers joi-gnables par visioconférence ; et, enfin, le « projet »pour s’entretenir, en direct, avec ces mêmes spécia-listes installés dans un espace plus important n n n

cartes bancaires.L’interbancaritépermet d’utilisersa carte dansn’importe queldistributeur.

1999Lancement duporte-monnaieélectronique Moneopour les petitsmontants. Cedernier n’a jamaistrouvé son marché.

Quinze ans après,les banquesl’abandonnent pourse tourner vers lepaiement sanscontact.

2000Le néerlandais INGlance la premièrebanque entièrementen ligne dansl’Hexagone.Depuis, les sitesse multiplient.

Cette année,ils représententune ouverturede compte sur troisen France.

2004Paypal, le systèmede paiementélectronique sanscommuniquer sescoordonnéesbancaires, ouvre unbureau en France.

Un café branché?Non, c’est uneagence du CréditAgricole Ile-de-France,avec borned’accueil tactileet salons auxteintes claires.

CHIFFRES CLÉS

5,5millions depersonnes ontconsulté un sitebancaire enfévrier 2015.

SOURCE : MÉDIAMÉTRIE

37 862agences en 2013,soit 581 par milliond’habitants.

SOURCE : BCE

371000salariés, dont 70%dans la banque dedétail.

SOURCE : FBF

YVES

FORESTIER/ALKAM

A/CRÉDITAGRICOLE

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en ville. Les procédures se digitalisent. SMS,mail, chat, application dédiée ou visioconférence: lescanaux d’échange avec le client se multiplient; le suivide ses opérations doit se faire sans rupture. D’ici à fin2019, l’ensemble du réseau BNP Paribas aura étéconverti. Montant de l’investissement: 210 millionsd’euros et 700 à 1000 recrutements supplémentairesde conseillers spécialisés. Objectif: «Dépasser le seuild’un client sur deux très satisfait, donc une augmen-tation de 20% par rapport à la situation actuelle »,prévoit Raphaèle Leroy, responsable des relationsconsommateurs de BNP Paribas en France.

Aucune banque traditionnelle n’est encore, toute-fois, passée au 100% numérique. « Si la banque auquotidien est entièrement digitalisée, observe OliverGavalda, directeur du pôle caisses régionales Créditagricole SA, 80% des opérations complexes se passenttoujours en agence.» Mais toutes les banques de réseautestent différentes formules à travers des filialesdédiées: du site 100% mobile de BNP Paribas (HelloBank) à des concepts multisupport comme BforBankdu Crédit agricole ou Boursorama de la Sociétégénérale. Leur clientèle type: un CSP+ urbain, tren-tenaire, multibancarisé. «Cela reste un marché de

niche et à faible valeur ajoutée», estime Axel Reinaud,du Boston Consulting Group. Même s’il est toujoursen croissance. «Aujourd’hui, une ouverture de comptesur trois s’effectue auprès d’une banque en ligne »,souligne Marie Cheval, PDG de Boursorama, quiconstate une très nette accélération depuis l’automne2013. Les pure players comme le néerlandais ING,présent en France depuis quinze ans, sont rares. Leurpalette de produits reste relativement simple, mêmesi elle s’enrichit progressivement. Mais leur rapportqualité/prix pour des services de base est imbattableet leur vaut une très bonne cote auprès des consom-mateurs. «Boursorama a un taux de recommandationde ses clients de 92%», ajoute Marie Cheval (voir aussila rubrique Money, p.96).

UN COMPTE CHEZ LE BURALISTE, C’EST NICKELDepuis deux ans, la banque à distance attire de nou-veaux acteurs. En 2014, l’assureur Axa a lancé Soonavec trois start-up. Un concept low cost sur mobileplutôt destiné aux jeunes, doté d’une innovation venuedes Etats-Unis, qui permet de connaître son soldeen temps réel. Pas de campagne marketing classique,mais un teasing via un partenariat avec Facebook.

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2009Création du Bitcoin,par un mystérieuxSatoshi Nakamoto– sans douteun pseudo.Un an après, il estpossible d’échangercette crypto-

monnaie contrede l’argent.

2011Le groupe CarteBleue agrée lepremier terminalpour les paiementssans contact.

2012Le Crédit agricole,le CIC, BNP Paribaset Crédit du Nordlancent la carte depaiement sanscontact.

2013BNP Paribas lancela première banqueà distance 100%mobile.

2015BNP Paribas, legroupe BPCE, la

Banque postale etla Société généraletestent le paiementsur mobile avecAndroid.La plate-forme decrowdfundingKickstarter arrivesur le marché

français.Débat surla portabilitédu numéro decompte bancaire,pour faciliterle changementd’établissement.

KAROLISSTRAUTNIEKAS

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L’ENJEU dU mOiSLa banque du futur

La Financière des paiements électroniques, cofondéepar l’ancien directeur de la communication de laSociété générale, Hugues Le Bret, propose depuisquelques mois le compte Nickel, qui se bloque unefois vide. Ainsi, plus d’agios pour découvert. Parti-cularité : il se souscrit auprès des buralistes. «Destinéinitialement à une clientèle plutôt populaire, lecompte Nickel a également séduit des catégories plusaisées qui l’utilisent comme deuxième ou troisièmebanque pour acheter sur Internet ou voyager à l’étran-ger, explique Hugues Le Bret. Dès septembre, nousnous adresserons également aux 12-18 ans, chez les-quels il y a une forte demande de comptes bloqués.»Le concept suscite beaucoup d’intérêt chez les acteurstraditionnels. Le Crédit agricole et la Banque postaleenvisagent de lancer leur propre version. Et HuguesLe Bret a déjà reçu une dizaine de demandes pouradapter son produit dans d’autres pays européens.Ces incursions restent toutefois limitées.

En revanche, une concurrence autrement plussérieuse se précise sur les paiements électroniques.Systèmes de paiement, monnaies virtuelles, vire-ments, paiements sans contact à partir d’un télé-phone ou d’une montre… Les initiatives fourmillent,que ce soit au sein des GAFA, des opérateurs télécomsou dans l’industrie en pleine explosion des «fintechs»(start-up spécialisées dans les services financiers).Les banques suivent ces évolutions de près, y comprisvia des incubateurs comme ceux du Crédit agricoleou de BNP Paribas, voire des prises de participation.Boursorama a racheté en début d’année la jeunepousse Fiduceo, spécialisée dans l’agrégationde comptes bancaires et de données de facturation.« Un signe assez fort du rapprochement de ces deuxmondes », estime SylvainFagnent, du cabinet de conseilOcto. Et ce n’est qu’un début.

Les paiements ne sont pas desservices à forte valeur ajoutée,mais une activité à fort volume.L’intérêt pour les nouveauxentrants ? Les données qui ysont liées, les fameuses «data»…Certaines banques sont prêtesà s’associer avec ces challengers, d’autant qu’ellesn’ont ni leur agilité ni leur maîtrise de l’exploitationdes données personnelles. Leur crainte : « être can-tonnées à un rôle technique », note Bruno de Saint-Florent, du cabinet Oliver Wyman. Sans profiter dela manne des dites données. Pierre Janin, le directeurgénéral d’Axa Banque, reste serein : « Les GAFA nesont pas vraiment une menace, leur enjeu étant essen-tiellement une captation des données en tant quetelles. En revanche, leur capacité à interagir avec lesclients doit nous inspirer ! »

Au-delà des paiements, d’autres fonctions histo-riques des banques sont également attaquées. Commele prêt entre particuliers ou le crowdfunding, quicourt-circuitent les prêteurs traditionnels. Aprèsl’américain Prêt d’Union, Kickstarter vient d’arriveren France. Et demain, d’autres prestations pourraientêtre proposées : notation des conseillers, coffre-fortélectronique (pour l’archivage sécurisé de documentspersonnels) ou d’autres outils de simplification, d’op-timisation et de personnalisation de gestion del’épargne. A des coûts très compétitifs !

L’arrivée de nouvelles générations de clients néesà l’ère du numérique devraitaccélérer le chamboulement dusecteur. Techniques, culturellesou réglementaires, les barrièresà l’entrée restent néanmoinsfortes. « Les banques classiquessont les seules à fournir des ser-vices globaux », observe JulienMaldonato, directeur conseilchez Deloitte. En dépit du défi-

cit d’image lié aux excès du début des années 2000,les établissements bancaires bénéficient encore d’uncapital de confiance essentiel quand on parled’argent. Et les exigences de la réglementationrestent suffisamment sévères pour ralentir l’émer-gence de challengers. Il suffit de voir les réticencesdes organismes de supervision bancaire, voire desEtats, à laisser prospérer le fameux Bitcoin, la plusmédiatique des devises virtuelles. Au nom de laprotection du consommateur et de la lutte contrele blanchiment d’argent. Florence Bauchard

CE QUE ÇA VA CHANGER

Les banquiers vont devoir s’adapterTrouver d’autres sources de profit : la rémunérationdes dépôts et les commissions sont en berne.Alimenter le marché du crédit, malgré des ratios(solvabilité et fonds propres) plus exigeants.Revoir le management et la prise en charge du client.Former massivement le personnel pour monter en compétences.Investir dans les technologies numériques.Exploiter les données clients (Big Data).Résister à la concurrence d’outsiders sur les paiements.

Les clients vont en profiterDes tarifs plus transparents.Des services moins chers.Un conseil personnalisé plus pointu et réactif.Un accès simplifié sur de multiples canaux.Des modalités de paiement et de financementplus variées et plus souples.

La concurrence est la plusactive dans les paiements

électroniques, à faiblevaleur ajoutée mais

générateurs de Big Data.

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Le réseau bancaire Umpqua, originaire de l’Oregon, mise à fond sur le facteur humain.Il essaime des agences d’un nouveau type, qui organisent des soirées ciné pour les enfantsou des séances de coaching pour les PME. Les clients adorent, les employés aussi.

A PORTLAND, ON CROITENCORE AUX AGENCES

La cycliste a posé son vélo près des ordinateurs.Avachie dans un canapé, elle passe des coups de filen avalant un thé et quelques cookies. A côté d’ellesomnolent deux jeunes, café à la main. Comme eux,les habitants de Portland sont nombreux à venir tuerle temps chez Umpqua. La banque – car c’est enune– n’y trouve rien à redire. Pure produit de Port-land –l’une des villes les plus innovantes, voire alter-natives, d’Amérique –, elle aspire à être tout ce queles banques traditionnelles ne sont pas : un lieu derencontre où il fait bon flâner et qui participe à lavie du quartier. Par leurdesign, les agences ne sontpas très différentes desmagasins Apple. Lumi-neuses et branchées, ellesproposent des tablettes etdes ordinateurs en libre-service, ainsi que les jour-naux du jour. « Nous neparlons pas d’agence ban-caire, mais de magasin,corrige d’ailleurs Eve Cal-lahan, vice-présidente chezUmpqua. L’idée est que lesgens vivent une expériencedifférente et qu’ils aientenvie de revenir. Pourquoiles banques s’interdiraient-elles d’être sympas ? »La musique invite à ladétente. Au fond de l’agence se trouve une biblio-thèque, où l’on vient se réfugier les jours de pluie.Les visiteurs peuvent même embarquer les livresqu’ils n’ont pas finis. Des chocolats sont offerts auxguichets pour conclure chaque échange. « C’est toutbête, mais c’est l’une des choses les plus appréciéeschez nous », observe Eve Callahan.

Les artisans du coin sont invités à exposer leurs pro-duits en vitrine. Ils sont vendus par les agents d’Ump-qua sans la moindre commission. Les PME peuventégalement réserver une salle gratuitement pour leursréunions, quand bien même elles ne sont pas clientes

de l’établissement. « Le pari, bien sûr, c’est qu’ellespenseront à nous quand elles voudront grandir et sefinancer», remarque la vice-présidente. Des événe-ments sont aussi organisés en soirée. Les directeursd’agence disposent d’une petite cagnotte pour faire ceque bon leur semble. «Tout dépend du quartier oùils se trouvent. Dans un quartier familial, nous feronsle choix de soirées cinéma pour les enfants. Dansd’autres, ce sera plutôt des cours de yoga ou des séancesde coaching pour les PME», précise Eve Callahan. Labanque ne dépense en revanche pratiquement aucun

centime dans le marketingtraditionnel : elle n’envoiepas de courrier pour vendreses crédits autos et immo-biliers, comme le font lesautres banques. «Tout ça,c’est du marketing passif.Notre but, c’est de provo-quer des expériences »,explique-t-elle.

Le plus fascinant resteencore ce téléphone « vin-tage » planté au milieu dechaque agence. Il permetd’accéder directement auPDG, Ray Davis. Difficiled’y croire avant d’essayer.Mais c’est bien lui quirépond lorsque l’on soulèvele combiné. Il reçoit envi-

ron cinq appels par semaine. « La plupart du temps,ce sont des enfants ou des journalistes qui veulentvérifier que c’est bien moi au bout du fil, sourit-il.Mais j’ai aussi des gens en colère contre leur banquierqui exigent de moi des solutions immédiates. »

Cette proximité serait difficilement concevable dansune grande banque nationale. Umpqua compte àpeine un demi-million de clients. Elle possède350 antennes et n’affiche guère plus de 22 milliardsd’actifs. Mais son modèle est suffisamment révolu-tionnaire pour attirer l’attention de la presse nationale,et avec elle celle des géants de Wall Street. Ray Davis,

AARONLEITZ

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qui a repris la banque en 1994 avec une quarantained’employés, en a embauché cent fois plus depuis.Plutôt que de singer les géants de l’industrie bancaire,il a cherché à copier ce qui se faisait de mieux dansla distribution et l’hôtellerie. Alors que l’on ne jureplus que par la banque en ligne, lui reste convaincuque le futur exige, aussi, un retour de l’humain.

Une intuition qu’il n’est pas le seul à avoir, puisqu’auRoyaume-Uni, Vernon Hill tente d’imposer le mêmemodèle avec Metro Bank. «Ray Davis a passé plusieursmois à décortiquer les modèles de Gap, de la chaînehôtelière de luxe Four Seasons et du Ritz Carlton. Il avoulu gommer tous les aspects qui énervent tant lesclients des banques», raconte Eve Callahan. Rien dep l u s a ga ç a n t , p a rexemple, que de venirnégocier un prêt et d’ap-prendre que l’expert dusujet est parti déjeunerpour une heure. Umpquaa donc imposé le conceptd’employé «universel»:les agents doivent êtrepolyvalents et répondreà toutes les demandesqui leur sont soumises.Rien ne les prédisposaità ça: «Nous ne recrutonspas particulièrement desfinanciers. Nous préfé-rons débaucher des ven-deurs chez Apple et Star-bucks, qui ont une vraieculture du service »,déclare Eve Callahan.Une fois leur contratsigné, ils reçoivent uneformation au Ritz Carltonpour par faire leursqualités d’accueil. Ilspassent ensuite plusieurssemaines dans une université propre à Umpqua, pourse familiariser avec les métiers de la banque. Le luxea un prix: comme Apple, Umpqua assume des tarifssupérieurs à la concurrence. «Nous ne cherchons pasà être les moins chers du marché», reconnaît Eve Cal-lahan. Les clients perçoivent des taux de rémunérationun peu moins élevés que dans les autres banques etacquittent des commissions un peu supérieures.

Pour certains analystes, le pari est perdu d’avance :les Américains rendent de moins en moins visite àleurs conseillers. Ils essaient de faire le plus d’opé-rations possible sur leur téléphone ou leur ordinateur.Les transactions effectuées en agence baissent d’en-viron 10% par an aux Etats-Unis. Le modèle d’Ump-

qua est pourtant florissant, en tous cas pour l’instant :au cours de la dernière décennie, il a vu ses revenusaugmenter de 13% par an en moyenne. Les créditsont augmenté de 8% l’an dernier, tout comme lesdépôts bancaires. Présent dans cinq Etats (Oregon,Washington, Californie, Nevada et Idaho), il est entrain de s’étendre vers l’Utah et l’Arizona, pour viserà terme New York, puis Londres. La preuve qu’il y aau moins une niche à occuper.

Les employés semblent aussi heureux que leursclients : chaque année, Umpqua figure parmi lesmeilleures entreprises des Etats-Unis en qualité devie au travail (classement Fortune). Les journées nedébutent pas comme dans les autres entreprises :

dans toutes les agences ont lieudes «moments de motivation»,qui permettent de souder les

équipes. Les batailles de chamallows sont courantes,tout comme les jeux de chaises musicales. Pour inté-grer les salariés à la vie de quartier, la banque lesencourage à consacrer chaque année 40 heures deleur temps de travail à une cause personnelle (projethumanitaire, association scolaire, etc.). Plus de 80%des salariés y recourent. La notoriété d’Umpquas’étend bien au-delà des cercles financiers: «Je feraistout pour qu’ils me recrutent ! » s’exclame ScottThompson, un quadragénaire de Portland, qui a long-temps travaillé pour Amazon et Intel. Rares sont lesbanques, américaines ou européennes, qui par-viennent à susciter un tel engouement aujourd’hui…

Lucie Robequain, envoyée spéciaLe à poRtLand

Nous recrutons desvendeurs de chez

Starbucks ou Apple pourleur culture du service. »

eve callahan, vice-présidente d’Umpqua

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La crise financière de 2008 a provoqué un séisme dans l’univers feutré desbanques de financement et d’investissement car les Etats et les autorités derégulation ont décidé de leur serrer la vis. Voici comment elles se réorganisent.

UN RÉGIME SÉVÈRE POUR LABANQUE D’INVESTISSEMENT

C’est ce qu’on appelle une cure d’amaigrissement dras-tique! Après la crise financière de 2008, déclenchéepar la faillite de Lehman Brothers, plus rien ne seracomme avant dans la banque d’investissement. AuxEtats-Unis comme en Europe, les Etats ont peu appré-cié d’être pris en otage par des établissements financiers«trop gros pour faire faillite». Les contribuables ontpeu goûté de devoir renflouer un secteur qu’ils jugentsévèrement, révèlent les études d’opinion.

Le Congrès à Washington, le Parlement européenet les Vingt-Huit à Bruxelles, le G20, tous ont consi-dérablement durci les règles du jeu. Certaines dis-positions ne font qu’entrer en vigueur ; mais ellesvont modifier le métier en profondeur. Selon ladernière étude annuelle du cabinet Oliver Wymanet de Morgan Stanley, publiée le 19 mars, lesbanques d’investissement ont réduit la taille de leurbilan de 20% depuis 2010 dans le monde, en sedébarrassant de leurs activités les moins rentableset de leurs produits risqués, pour se conformer auxnouvelles réglementations.

Et la diète n’est pas terminée : selon ce rapport, illeur faut encore diminuer leurs capacités de 5 à 8%.Les banques de financement et d’investissement(BFI) continuent certes de peser lourd dans cetteindustrie. Selon le Boston Consulting Group, prèsde la moitié des revenus des banques, au niveauinternational, provient encore des activités de finan-cement des entreprises. La question, c’est de savoirquels services justifieront ces revenus à l’avenir.

TOUJOURS PLUS dE CONTRAiNTESRÉGLEmENTAiRESLa crise a entraîné une inflation des réglementa-tions. Le G20 et son Conseil de stabilité financièreont, en 2010, publié les accords de Bâle III, tirantla leçon du manque de liquidité et des faillites sur-venues après 2007. Désormais, les grandes banquesinternationales sont contraintes d’augmenter laquantité et la qualité de leurs fonds propres et demieux gérer leur risque de liquidité. Via des coussins KA

ROLISSTRAUNIEKAS

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de sécurité. Un LCR (Liquidity Coverage Ratio)d’un mois pour faire face aux problèmes de courtterme, et un NSFR (Net Stable Funding Ratio)pour ceux de moyen terme (un an). « Les activitésde BFI sont celles qui ont été le plus impactées parle tsunami réglementaire, reconnaît LaurentMignon, directeur général de Natixis, dont labanque d’investissement représente 40% de l’acti-vité. Il va falloir vivre avec. »

Car le mouvement est loin d’être terminé ! « Dèsla fin de l’année, les banques de la zone euro vontdevoir financer au prorata de leur bilan le méca-nisme de résolution unique destiné à soutenir éven-tuellement les établissements en difficulté, indiqueJean Beunardeau, patron de la filiale françaised’HSBC, où la BFI génère 60% du résultat etemploie 1 400 personnes. Cela nous désavantagecar les concurrents américains n’auront pas cettecontrainte. » La Commission européenne a aussiouvert une consultation publique sur le fonction-nement des marchés de titrisation, cette opérationqui consiste à transférer des actifs financiers àd’autres investisseurs en les transformant en obli-gations, par exemple. Cela pourrait déboucher surl’élaboration d’un cadre européen pour des opéra-tions « simples, transparentes et standardisées ».

AdiEU AUX RENTABiLiTÉSÀ dEUX CHiFFRESL’ensemble des réglementationsa déjà coûté plusieurs points derentabilité aux BFI. Sept ansaprès la crise, les deux tiers ontune rentabilité inférieure aucoût du capital, selon une étuderécente menée par le BostonConsulting Group auprès de250 établissements (« GlobalCorporate Banking 2015 »).Malgré les vastes plans deréduction des coûts menésdepuis 2008, en Europe occi-dentale en particulier, la plu-part souffrent de profits néga-tifs ou en baisse. « On ne peutplus promettre aux action-naires un Return on Equity(rentabilité des capitauxpropres) de 20 ou 30% commedans les années fastes. Dans lemonde, le ROE est tombé à 7%en 2014, selon notre étude. EnEurope, il tourne plutôt autourde 10%, et pourrait atteindre

4% à 8% d’ici trois ans », prédit Gwenhaël Le Bou-lay, associé au Boston Consulting Group.

En plus des contraintes réglementaires, l’explosiondes coûts des litiges pèse sur la rentabilité. Entre2013 et 2014, les frais liés aux procédures légalessont passés de 9 à 19% des dépenses des BFI, selonle BCG ! Il n’y a qu’à se souvenir des amendesmonstres infligées à JP Morgan par les régulateursaméricains. « Dans d’autres secteurs, un tel envi-ronnement provoquerait inévitablement des fusions,poursuit Gwenhaël Le Boulay. Mais pas dans labanque, où les régulateurs refusent de laisser seconstituer des géants, dont la faillite entraîneraitdes risques systémiques encore plus importantsqu’aujourd’hui. »

dES BiLANS NETTOYÉSÀ LA PAiLLE dE FERLa crise a accéléré la « désintermédiation ». Pourlimiter la consommation de fonds propres, lesbanques ne conservent plus à leur bilan les créditsqu’elles octroient. Dans cette logique « asset light »,Natixis a imposé «une gestion stricte de ses ressourcesrares: bilan, fonds propres et liquidité», précise sonpatron Laurent Mignon. «Le travail des BFI consistede plus en plus à aider les entreprises à aller sur lesmarchés de capitaux et de moins en moins à leurprêter à long terme sur leur bilan », considère Jean

Beunardeau. «Au lieu de porterles actifs jusqu’à échéance et definancer l’économie réelle à par-tir des dépôts collectés, les BFIsouscrivent les opérations et lesstructurent pour qu’ellespuissent être titrisées et venduesà des investisseurs : assureurs,hedge funds, fonds souverains»,détaille Damien Leurent, asso-cié chez Deloitte.

Ce modèle, courant aux Etats-Unis depuis la fin des années70, gagne l ’Europe où lesbanques restent toutefois lesprincipales pourvoyeuses defonds des entreprises. Si cemouvement a l’avantage detransférer les risques vers lesmarchés, les BFI voient leursrevenus de l’activité de finance-ment baisser, comme le souligneune analyse des Echos Etudes(ex-Eurostaf ) de mai 2013 :« Dans un prêt traditionnel, labanque a des revenus n n n

Notre travailconsiste de plus

en plus à aider lesentreprises à aller surles marchés de capitaux.»

Jean Beunardeau, HSBC France

JEAN-CHRISTOPHEMARMARA

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L’ENJEU dU mOiSLa banque du futur

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En descendant le perron del’Elysée, ce 8 juin 2045, Jean-Frédéric Oudafé sent unénorme poids s’abattre sur sesépaules. Il vient d’acter la dis-parition de SBP, la dernièrebanque privée de France,adossée sous la contrainte despouvoirs publics à La Banquepostale. Comment un établis-sement qui pesait encore5000 milliards d’euros d’actifset 300000 employés en 2015en est-il arrivé là ? Dix fois,cent fois, le patron refait lefilm dans sa tête.

Il se souvient que le premieracte du déclin de l’industriebancaire a été signé icimême, à l’Elysée. Apeine élue à la prési-dence de la Répu-blique, Marine Le Pena mis en œuvre ses pro-messes de campagne :la France est sortie del’euro, la taxe Tobin aété triplée, les banquesfrançaises ont été scin-dées en deux. En quelquesmois, la place de Paris s’estvidée. La haute finance amigré vers Londres, New Yorkou Singapour. Seule la banquedes particuliers et des PME atenu, un temps, le choc.

Inquiets des risques d’unenouvelle faillite bancaire, lesrégulateurs ont ensuite durcile ton. Aux termes de laréforme Bâle V, les banquesdevaient détenir pas moins de25 euros de fonds propres pouraccorder 100 euros de crédit…La moitié des établissementsont échoué aux stress tests dela Banque centrale euro-péenne. Une BCE qui ne leur

a pas facilité la tâche, en abais-sant ses taux jusqu’à –2%. Lesconditions financières n’étaientpas commodes. Les conditionscommerciales… pires.

Car Apple Pay et Orange Moneyse sont imposés comme desgéants de la finance. Les cartesbancaires ont progressivementdisparu. On a d’abord payéavec les smartphones, sup-plantés quelques années plustard par des puces directementimplantées sous la peau. En2035, la France ne comptaitdéjà plus que 10 000 agencesbancaires, quatre fois moins

qu’à leur pic. Peu àpeu, les banques ontété cantonnées à lagestion de l’épargne.Puis les « robots ban-quiers » leur ontdonné le coup degrâce. En agrégeantl’ensemble des don-nées personnelles,les algorithmes conce-

vaient en quelques secondesles plans d’épargne et lesportefeuilles d’investissementdes clients. Les conseillerstraditionnels ne pouvaientplus lutter.

Jean-Frédéric Oudafé doit serendre à l’évidence: la banqueest devenue en quelques décen-nies la sidérurgie du xxie siècle.Il aimerait revenir trente ansen arrière. Mais même si c’étaitpossible, pourrait-il anticipertous ces bouleversements ?Saurait-il les contrer? Il montedans sa Google Car, sansréponse à ses questions. Lesnouveaux facteurs ont du painsur la planche!

2045 : la banque, c’est fini

récurrents qui viennent de la marge netted’intérêt alors que, dans les opérations de placement,la rémunération est assurée par des commissionsponctuelles.» Selon les analystes d’Oddo Securities,la désintermédiation a déjà entraîné entre 12 et 18%de baisse des profits. « Les banques n’ont d’autrechoix que de gérer plus activement leurs encours »,estime Marc Van Caeneghem, associé chez Deloitte.

PLACE AUX OPÉRATiONS dE PLUSEN PLUS STANdARdiSÉES«Avant la crise, la banque d’investissement fabriquaitdu cousu main : les opérations étaient souvent struc-turées et complexes, explique Marc Van Caeneghem.Aujourd’hui, les opérations ont tendance à se stan-dardiser tant dans leurs caractéristiques que dansleur processus de traitement, via les chambres decompensation (plates-formes organisées, plus trans-parentes que le gré à gré, NDLR). Les procéduressont de plus en plus industrielles. » Pour maintenirune certaine rentabilité en limitant leurs coûts destructure, les établissements s’efforcent de construirede véritables usines, capables de gérer un gros volumed’opérations standardisées portant sur des produitsnettement moins exotiques qu’auparavant – certainsdérivés de crédits très complexes et potentiellementdangereux ont disparu.

Mais les BFI doivent parallèlement pouvoir pro-poser quelques spécialités sophistiquées, à fortevaleur ajoutée, tarifées en conséquence. « Les deuxlogiques doivent coexister, juge Jean Beunardeau.Sur les marchés des changes, les opérations courantespeuvent passer par des plates-formes automatisées,mais quand un client a besoin de financer son déve-loppement dans des devises particulières, il fautpouvoir lui fournir du conseil sur mesure. » Commele résume Pierre Reboul, du cabinet Roland Berger,il s’agit de « concilier l’esprit du supermarché et decelui de la boutique. C’est peut-être l’esprit du rachatpar la Société générale, en avril, des activités de“futures” de l’acteur américain du courtage Jefferies(énergie, métaux, produits agricoles), très prisé parune catégorie de clientèle institutionnelle parfoisréticente à s’adresser aux gros historiques, commeMorgan Stanley ou Deutsche Bank. »

dES ÉTABLiSSEmENTS RECENTRÉSSUR LEURS SPÉCiALiTÉS«Aujourd’hui, on ne peut plus être la banque de toutle monde, sur tous les produits et dans toutes lesrégions », expose Gwenhaël Le Boulay, du BostonConsulting Group. La plupart des BFI ont choisi dese séparer d’activités n’ayant pas une masse critique,

La fiction de Guillaume maujean

Rédacteur en chef duservice finances etmarchés des Echos.

DR

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L’ENJEU dU mOiSLa banque du futur

sur lesquelles elles étaient moinslégitimes. Crédit agricole CIB atransféré la gestion de ses dérivésactions aux équipes de BNP Pari-bas – une première! Natixis a misfin à certaines activités corporateen Allemagne et en Grande-Bretagne pour se recentrer sur laFrance, l’Italie et l’Espagne, etabandonné certaines activitésd’arbitrage ou de shipping (finan-cement du transport maritime).Beaucoup se sont désengagés dunégoce dans l’énergie.

A contrario, les BFI valorisentplus que jamais leurs pointsforts: les dérivés pour BNP Pari-bas, la dette pour le Crédit agri-cole, le financement de projets,d’avions et des matières pre-mières chez Natixis. «En périodede ressources rares, chaque BFIdoit se demander comment lesoptimiser et bien définir son mixde produits, résume LaurentMignon. La BFI de demain seradominée par les soucis de clartéstratégique, d’efficacité et de simplicité.»

L’iNTERNATiONAL, PROCHAiNESOURCE dE REVENUSJean Beunardeau en est convaincu: la banque d’in-vestissement doit être encore plus internationale car,« lorsque l’environnement est tendu et le clientsophistiqué, le “bon” investisseur se trouve souventà l’autre bout du monde». Le patron d’HSBC Franceillustre sa réflexion par deux exemples récents :«Quand le Mexique a émis une dette en euros à centans, on n’a pas fait appel à des investisseurs mexicainsni même américains ou latino-américains, mais àdes investisseurs en euros localisés en Europe, auMoyen-Orient, en Asie. De même, quand Altice/Numericable a émis une obligation à haut rendementpour financer l’achat de SFR, il n’a pas eu d’autrechoix que de solliciter des Américains : ils étaient lesseuls à accepter le risque inhérent à un opérationclassée “subinvestment grade”, pour un montantaussi colossal que 12 milliards d’euros. »

Natixis aussi a renforcé son internationalisation :son plan stratégique prévoit qu’elle tirera plus de lamoitié des revenus de l’étranger à l’horizon 2017.Dans cette logique, la banque a récemment pris partau financement du rachat du Club Med par son clientchinois Fosun et figuré parmi les quatre banques

(deux chinoises et deux occiden-tales) derrière la méga-acqui-sition du numéro 1 mondial duporc, l’américain Smithfield, parle chinois Shuanghui.

Cette tendance se heurte néan-moins aux différences de régle-mentations nationales. «Quandvous êtes patron d’une BFI etque vous voulez accompagnervos clients partout dans lemonde, les écarts d’exigence etde périmètre entre les zonesgéographiques sont un casse-tête, explique Marc Van Cae-neghem, de Deloitte. Alors qu’ils’agit en théorie d’un métiermondial avec une même logiquetransfrontières, l’activité est enréalité de plus en plus découpéeselon les contraintes territo-riales particulières. »

LE GRANd RETOURdE LA RELATiON CLiENTIn fine, dans un contexte aussi

tendu, la seule manière pour les banques d’aug-menter leurs revenus est de facturer davantage desservices collant parfaitement à la demande desclients. « Les BFI doivent encore gagner en intimitéavec eux, pour mieux anticiper leurs besoins et leurrendre des services à forte valeur ajoutée », préconisePierre Reboul, de Roland Berger. Plus réputée pourson expertise technique que pour la qualité de sesrelations clientèle, la Société générale vient de créerune équipe chargée de soigner un réseau de plu-sieurs centaines de grands clients, notammentétrangers, qui ne bénéficiaient pas d’un suivi per-sonnalisé et pouvaient se voir proposer des produitsde façon disparate.

« Fini le temps où les traders des marchés de capi-taux faisaient seulement du deal, à très forte marge,sans analyser le contexte du client et les liens entrecette opération de marché et les autres lignesd’activité, confirme Gwenhaël Le Boulay. Il leurfaut apprécier les besoins des clients dans leurglobalité. » Comme le conclut Laurent Mignon,« la vraie révolution de la BFI, c’est qu’elle doitse mettre au service de ses clients et ne faire quecela ». Ce n’était pas toujours le cas avant la crise :« Lorsqu’elle faisait du “prop trading” (desopérations pour compte propre hautement spécu-latives, NDLR), ce n’était pas dans l’intérêt de saclientèle… » ISABELLE LESNIAK

La vraie révolutionde la banque

d’investissement, c’estqu’elle doit se mettre auseul service de ses clients. »

Laurent Mignon, Natixis

CHRISTIANHARTMANN/REUTERS

bit.ly/Enjeux-BanqueA quoi ressem­blera la banqued’investissementde demain?Réponses desintéressés sur lesite des Echos.