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Sylvain QUATRAVAUX Sous la direction de Renaud PAYRE Date de soutenance : 04 septembre 2008 Séminaire : Ville et pouvoir urbain ; approches socio-historiques De la conception du "plus beau parc de France" à la réalisation du "plus grand ensemble d'habitation de France". Historique du parc de Parilly, à Lyon: une zone urbaine déchirée entre deux moments de politique publique (1934-1957) Jury : Renaud PAYRE et Gilles POLLET

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Sylvain QUATRAVAUXSous la direction de Renaud PAYRE

Date de soutenance : 04 septembre 2008Séminaire : Ville et pouvoir urbain ; approches socio-historiques

De la conception du "plus beau parc deFrance" à la réalisation du "plus grandensemble d'habitation de France".Historique du parc de Parilly, à Lyon: une zoneurbaine déchirée entre deux moments de politiquepublique (1934-1957)

Jury : Renaud PAYRE et Gilles POLLET

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Table des matièresRemerciements . . 4Introduction . . 5Première partie : un projet de l’entre-deux guerres . . 12

Chapitre 1 : Dans la continuite du declassement des fortifications . . 121.1 Le déclassement des fortifications : une réflexion hygiéniste. . . 121.2 Le Boulevard de Ceinture : un projet d’inspiration parisienne. . . 141.3 Le parc de Parilly : une double filiation hygiéniste. . . 17

Chapitre 2 : Un reservoir d’air pur . . 192.1 Des arbres pour purifier les hommes. . . 192.2 Une « réserve boisée » plutôt qu’un « parc d’agrément . . 202.3 Un lac, une patinoire, un jardin zoologique et des équipements sportifs . . 23

Chapitre 3 : Un projet planifie a chaque etape et a l’echelle de la ville . . 263.1 Le plan : outil d’organisation rationnelle de la ville . . 273.2 Parilly : un projet aux coûts maîtrisés . . 283.3 Parilly : un projet maîtrisé dans le temps . . 31

Conclusion de la première partie . . 36Seconde partie : Une réalisation des années 1950 . . 37

Chapitre 4 : La guerre et ses consequences pour le parc . . 374.1 L’interruption des travaux et les ravages de la guerre . . 374.2 La difficile reprise du chantier . . 40

Chapitre 5: Un nouveau contexte . . 455.1 De nouveaux objectifs . . 465.2 De nouveaux hommes . . 51

Chapitre 6 : Zone de sport et espaces verts . . 536.1 La réorientation du projet . . 536.2 Le cœur du parc : un vaste complexe sportif . . 57

Conclusion de la seconde partie . . 61Conclusion générale . . 62Sources . . 65

Archives Municipales de Lyon . . 65Archives Départementales du Rhône . . 65

4326 W 1 . . 65489 W 711 . . 66694 W 350 . . 66694 W 351 . . 66

Archives privées de Jean Brun . . 66Revues . . 67

Bibliographie . . 68Articles . . 68Ouvrages . . 68

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4 Quatravaux Sylvain - 2008

Remerciements

Un mémoire étant, selon moi, la cristallisation d’une rencontre entre le parcours personneld’un étudiant et l’expérience d’un professeur, je tiens à remercier Renaud Payre pour ces conseils,sa patience et son aide tout au long du processus d’élaboration de ce travail ;

Je voudrais ensuite remercier Agnès de Zolt et tout le personnel des Archives Départementalesdu Rhône pour leur disponibilité, leur gentillesse et leur professionnalisme, ainsi que GérardCorneloup, rédacteur en chef de la bibliothèque municipale de la Part-Dieu, dont la connaissanceencyclopédique de la grande et de la petite histoire de la ville de Lyon s’est avérée une aideprécieuse ;

Merci ensuite à Jean Brun, pour son temps précieux, ses conseils et son vaste fondarchivistique, sans lequel ce mémoire n’aurait jamais pu voir le jour ;

Merci également à Isabelle et Marcel, ainsi qu’à Marcel et Blanche, pour leur aide logistique ;

Enfin je tiens à remercier tout particulièrement Marina Casanova-Rossi pour son soutieninconditionnel.

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Introduction

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Introduction

« Dieu a fait la campagne, et l’homme a fait la ville. » William Cowper

Cette citation fait apparaitre une certitude : les villes sont la création de la main del’homme et révèlent donc un aspect de son histoire.

« Les villes portent les stigmates des passages du temps, occasionnellement lespromesses d’époques futures. » Marguerite Yourcenar

Ainsi lors d’une visite organisée au sein d’une ville chargée d’histoire, il n’est pas rareque les guides attirent l’attention des touristes sur les traces du passé, notamment cellesinscrites dans la pierre. L’accent est fréquemment porté sur l’évolution architecturale desdivers quartiers. L’agencement d’un bâtiment est en effet le reflet d’une multitude de choix :choix de matériaux en premier lieu (les architectes avaient-ils à leur disposition du bois oude l’acier ?), choix technologique ensuite (la transition entre l’art roman et l’art gothique estsouvent résumé à l’invention de la croisée d’ogive), choix de fonction également (s’agissait-il de bâtir un lieu de culte, un bâtiment public ou une maison particulière ?), etc. L’étudede tous ces choix permet de déceler l’évolution historique de l’ensemble d’une ville, ainsil’importance du quartier vieux Lyon traduit largement la place qu’occupait la cité au coursdu moyen-âge.

Pour comprendre la ville il est ainsi primordial de garder à l’esprit qu’au sein de l’espaceurbain tout n’est que construction, que tout est artificiel : il n’est rien qui n’aurait pu êtreautrement, et tout ce qui est a donc été pensé, réfléchi et déterminé.

Cependant lorsqu’il pénètre dans la tranquillité d’un beau parc urbain, lorsque soudainle chahut des voitures et la vue du béton font place au chant des oiseaux et au douxbalancement des feuilles sur leurs branches, le promeneur est souvent admiratif de lacapacité qu’ont eue les pouvoirs publics à ‘si bien conserver une zone de nature au cœurde la ville’. Il n’est rien de plus trompeur que cette sensation. En effet, les espaces vertsn’ont pas été conservés mais bien construits, et l’artificialité y est même paradoxalementplus forte que dans tout autre équipement urbain car justement la main de l’homme doit ypasser inaperçue ; il faut donc tout agencer pour « faire naturel ». Il existe même un guide

des espaces verts 1 , édité par le ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie, qui

définit les espaces verts en ces termes :

« Les espaces verts occupent une fonction esthétique : il s’agit d’équipementssociaux urbains qu’il convient de concevoir, réaliser, gérer, pour établir unevéritable politique communale des espaces verts. »

Ainsi, l’aménagement de l’espace urbain, dont l’aménagement des espaces vertsfait partie, n’est pas le fruit du hasard mais bien le résultat de choix délibérés, plus oumoins imposés par des contraintes extérieures, que nous regroupons sous l’appellation

1 Archives municipales de Lyon, 1559 WP 011, Espaces verts et qualité de vie – guide pratique à l’usage des élus locaux.

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« contexte » (contraintes budgétaires, réalité géographique de la ville, ainsi que la structurementale de ceux qui façonnent les politiques publiques, i.e. la façon dont ils perçoiventl’espace public urbain et les transformations qu’il convient d’y opérer).

Un équipement urbain est donc la traduction d’un cheminement, et la socio-histoire,au croisement de la discipline historique et de l’approche méthodologique de la sociologie,tente précisément de mettre en lumière le poids des contraintes pesant sur les agents àchaque étape de ce cheminement, afin de mieux saisir tous les enjeux qui ont conduit àmodeler une réalisation telle qu’elle apparait aujourd’hui.

L’objet de ce travail est d’utiliser l’approche socio-historique pour étudier la réalisationdu parc de Parilly, situé dans la banlieue sud-est de Lyon, dont le projet, porté par le préfetdu Rhône Emile Bollaert, est adopté par le conseil général du Rhône en octobre 1934.Ce projet prévoit l’aménagement d’une vaste réserve boisée, accompagnée de nombreuxéquipements (jardin zoologique, patinoire, lac artificiel, etc.) « en annexe du Boulevard de

Ceinture 2 ». Le susdit est un grand projet lyonnais, alors en cours de construction depuis

huit ans et qui a pour ambition de transformer l’ancien mur d’enceinte de la ville en unboulevard périphérique, doublé d’un canal. Le site choisi pour le parc est à cheval sur lescommunes de Bron et de Vénissieux, le long du futur boulevard, néanmoins la majorité desterres se trouve située au sein du lieu-dit « Parilly », qui donnera son nom au parc.

Pour l’aménagement de ce parc, le Conseil Général ouvre un grand concoursd’architecture pour désigner le futur maître d’œuvre. Cependant, lorsque le jury se réunitpour délibérer, aucun projet présenté n’est jugé à la hauteur des ambitions affichées parle département. Aucun premier prix n’est donc décerné, mais l’architecte arrivé deuxième,M. Bellemain se voit malgré tout attribué la réalisation des travaux. Une fois l’architectechoisi, un projet est élaboré : le parc de Parilly sera un vaste espace boisé de plus de 200hectares, au sein duquel les promeneurs pourront jouir d’un lac, d’une patinoire, d’un jardinzoologique, d’un aquarium, et de très nombreux autres équipements. Le plan dessiné en1937 est tellement grandiose, qu’on ne peut qu’être d’accord avec le directeur du parc,Pascal Goubier, lorsqu’il estime que « l’objectif était de réaliser le plus beau parc de France3 ».

Parallèlement au concours, le département se porte acquéreur des terrains, dans unpremier temps à l’amiable, puis par voie d’expropriation, le parc ayant été déclaré d’intérêtpublic.

Les travaux commencent donc dans une ambiance de grande ébullition, etl’enthousiasme est à son comble lorsqu’une première estimation donne le parc accessibleau public avant la fin de l’année 1939.

Mais l’Histoire avait d’autres projets. L’entrée de la France, cette année là, dans le

conflit de la 2nd guerre mondiale vient stopper net le chantier. Les combats n’épargnerontd’ailleurs pas la zone, et à la Libération, la déception des créateurs est de taille : le siteest dévasté, et le Conseil Général a bien d’autres préoccupation que la réhabilitation dece chantier désormais très couteux. La nomination d’une Commission de Surveillance destravaux semble marquer la reprise des aménagements en 1948, mais les travaux sont longset lorsqu’en 1957, le parc ouvre enfin ses portes pour l’inauguration officielle du stade, aucun

2 Archives départementales du Rhône, 4326w1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, 10/19343 Site officiel de la ville de Lyon

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Introduction

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des équipements grandioses prévus vingt ans auparavant ne sont au rendez-vous : ni lac,ni zoo, ni patinoire, ni théâtre de verdure, seul le complexe sportif a été réalisé.

Depuis cette inauguration, la direction du parc a également loué à la Société desCourses de Lyon l’emplacement anciennement dédié au lac pour la réalisation d’unhippodrome.

Le parc tel qu’il apparait au visiteur d’aujourd’hui est un vaste espace vert, doublé d’ungrand complexe sportif, relativement peu connu au sein de la ville (une enquête réalisée en

2002 a même montré que plus de 90% des usagers sont des résidents des environs 4 ) et

indéniablement moins réputé que le parc de la Tête d’Or qu’il entendait supplanter.

Les outils d’analyse de la socio-histoire sont donc particulièrement utiles dans le casdu parc de Parilly car il s’agit d’une réalisation originale et déroutante dont on ne peutcomprendre la complexité qu’en mettant en relief son ambiguïté fondamentale : penséet conçu dans l’entre-deux guerres, il n’est véritablement réalisé qu’à la libération, aucroisement donc de deux contextes de politique publique divergents sinon opposés. C’estleur contraste qui fait de Parilly un parc si difficile à cerner.

En effet, sous l’impulsion de la Section d’hygiène urbaine du Musée social (institution

de réflexion sur la « question sociale » créée en 1894), le début du XX ème siècle estmarqué en France par des interrogations autour des problèmes liés au développement età la croissance des villes, suite à la Révolution industrielle, puisque « c’est au tournant dusiècle que la question de la « croissance urbaine non maîtrisée » est construite comme

problème social, économique mais aussi politique » 5 .

Ces praticiens et théoriciens cherchent en effet à résoudre ce que l’on nomme au

XIX ème siècle la « question sociale » (surpopulation, hygiène, etc.) grâce à desoutils d’organisation rationnelle des villes. Il émerge de ces discussions un consensus, aumoment de la première guerre mondiale, autour de la nécessité pour les villes d’adopterune nouvelle approche de l’urbain : celle de la planification urbaine. Cela mène à l’adoptionpar l’Assemblée Nationale de la loi Cornudet (du nom de son rapporteur) en 1919.Cette loi oblige toutes les villes de plus de 10 000 habitants, ainsi que les stationsthermales, balnéaires et climatiques, à établir un « plan d’aménagement, d’embellissementet d’extension », visant « l’affectation prévisionnelle de l’ensemble des usages du sol et leur

cohérence à l’échelle de la ville entière 6 ».

Cette loi de 1919 est le résultat d’un processus qu’elle va contribuer à accélérer et àlégaliser : celui de la cristallisation et de la professionnalisation des savoirs et des savoirs-

4 Archives privées de Jean Brun, Alkhos, Enquête de satisfaction auprès des usagers du parc de Parilly, Juin-juillet 2002,document établi pour la direction du parc de Parilly

5 Renaud Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence. Paris, CNRS Editions, 2007.p. 12.

6 Jean-Pierre Gaudin, L’avenir en plan, technique et politique dans la prévision urbaine. 1900-1930. Seyssel, Editions du ChampVallon. 1985. p. 11

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faires urbains 7 , et c’est de ces urbanistes « professionnels » qu’Emile Bollaert se réclame

lorsqu’il présente son projet de parc périurbain 8 .

La période de l’entre-deux guerres, et le rôle qu’elle a jouée dans l’histoire del’urbanisme a été traitée à de nombreuses reprises.

Ces études ont souligné l’émergence dans les années 1920 d’une science del’urbanisme fondée sur une volonté de localiser l’intervention publique, de constituer le

municipal en réaction face au national (notamment avec Renaud Payre 9 ), et surl’existence d’un réseau d’acteurs qui interagissent, qu’ils soient hygiénistes ou urbanistes,fonctionnaires municipaux ou préfectoraux (on retrouve cette notion de réseau dans

l’ouvrage collectif rédigé sous la direction de Christian Topalov 10 , ainsi que dans les

travaux de Renaud Payre ou dans l’article de Viviane Claude et Pierre-Yves Saunier 11 ).

Ensuite, concernant les rapports entre les changements de la réalité économique etsociale et les modifications qu’ils entrainent dans la mentalité des politiques publiques, onpeut retenir l’approche de Patrick le Galès et de Gilles Pinson, pour qui les modificationsdu contexte socio-économique sonnent dans les années 1980 le glas de la planificationurbaine.

En effet, selon eux, le plan est devenu un outil obsolète et un carcan beaucoup trop

contraignant pour répondre aux nouvelles attentes urbaines de la fin du XXe siècle : faceà une compétition internationale accrue entre les « Eurocités », et face à un Etat centraliséincapable d’apporter une solution efficace aux aspirations locales, la planification menéepar un élu, qui prévoit de façon stricte et a priori la direction à suivre et les crédits allouéspour les vingt ans à venir n’est plus viable.

Leurs travaux se penchent d’avantage sur les nouvelles approches, qui selon euxbouleversent totalement le contexte de l’aménagement urbain : il s’agit de la notion de

gouvernance chez Le Galès, et de l’outil de projet chez Pinson 12 .

Dans les deux cas, il s’agit pour l’ancien planificateur de changer de rôle afin dechercher non plus à fixer des objectifs clairs et précis à long terme mais simplement de forgerun cadre institutionnel souple (que Le Galès désigne comme un « design institutionnel »)à l’intérieur duquel se formera un réseau de nouveaux acteurs amenés à jouer un rôle

7 Au sujet de la professionnalisation des savoirs urbains dans la période qui précède et qui suit la loi, voir l’article de VivianeClaude et Pierre-Yves Saunier intitulé « L’urbanisme au début du siècle, de la réforme urbaine à la compétence technique » in VingtièmeSiècle, numéro 64, 1999. p. 25-40.

8 ADR, 4326 w1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône.9 R. Payre, op. cit.10 Christian Topalov (sous la direction de) Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France

1880-1914, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1999.11 V. Claude et P.Y Saunier, op. cit.12 Patrick Le Galès, Le retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance.

Paris. Presses de Sciences Po, 2003 et Gilles Pinson « Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiqueset recomposition d’une capacité d’action collective dans les villes européennes » Revue française de Science politique, vol 56, 4, 2006

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dans l’aménagement urbain (non plus seulement les pouvoirs publics, mais égalemententreprises privées, associations locales, cabinets d’experts, etc.).

Cependant, il s’agit d’une période bien postérieure à celle dont traire ce mémoire, etl’on ne retiendra la notion d’inscription du projet dans un temps long (celui de son contextehistorique) et dans un temps court (celui à l’échelle duquel on va concevoir le projet) quepour l’appliquer à la période qui nous concerne ici.

Parmi les approches qui ont contribué à relire l’histoire de l’institutionnalisation de laplanification urbaine dans l’entre-deux guerres et à redonner à ce processus une place

prépondérante dans l’évolution de l’aménagement urbain au XX e siècle, on compte

Jean-Pierre Gaudin dont l’ouvrage, L’avenir en plan 13 , cherche à mettre en lumière

l’intérêt de la loi de 1919, première étape institutionnelle et tournant majeur dans l’histoirede l’organisation des villes : Gaudin montre que cette nouvelle conception de la ville etde son développement prend en compte à la fois les dimensions hygiénistes et socialesdes réformateurs du Musée social et de leur émules et la dimension rationnelle mise enavant par les nouveaux techniciens étatiques qui importent des considérations venues dela sphère économique.

Cette nouvelle planification rationnelle du développement urbain touche également ledomaine des « espaces verts », ou pour mieux dire des « espaces libres », au travers de

la question du déclassement des anciennes fortifications autour de Paris 14 , qui vont être

transformées, toujours suivant l’impulsion des tenants du Musée social, en parcs boisés

« indispensables à l’hygiène publique, au même titre que l’air et la lumière » 15 .

Cependant, Gaudin s’attache plus dans son ouvrage à retracer l’historique de laconsécration du plan comme outil d’aménagement urbain, ce qui est une thématiqueantérieure à la période étudiée dans le cadre de ce mémoire, bien qu’Emile Bollaertrevendique explicitement l’inspiration de l’exemple parisien dans sa volonté d’établir un parc

périphérique 16 .

En revanche, les travaux de Renaud Payre, Viviane Claude et Pierre-Yves Saunier17 sur la question des réformateurs urbains du début du siècle et de l’entre-deux guerress’attachent plus précisément aux circonstances dans lesquelles une véritable conceptionde l’Urbanisme porteur d’un projet politique a pu voir le jour.

L’ouvrage de Renaud Payre s’attache à déceler et, en quelque sorte, à redécouvrirla « petite transformation urbaine » qui fait écho à la « grande transformation » dont LeGalès fait état en parlant du « retour des villes ». Pour Renaud Payre, l’entre-deux guerresest marqué par l’émergence d’un mouvement d’autonomisation du gouvernement municipalface à l’Etat centralisé. Dans les années 1920-1930, les édiles (c'est-à-dire ici l’ensemble

13 J.P Gaudin, op. cit.14 Pour une étude détaillée, cf. Marie Charvet, Les fortifications de Paris. De l’hygiénisme à l’urbanisme, 1880-1919, Rennes,

Presses Universitaires de Rennes, 2005.15 Eugène Henard, inspirateur du projet, cité par Marie Charvet.16 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône.17 V. Claude et P.Y Saunier, op. cit.

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des élites politiques municipales) se constituent en réseaux (telle l’association des maires deFrance, créée en 1918) qui sont de véritables laboratoires pour l’élaboration d’une « sciencemunicipale », c'est-à-dire une nouvelle façon d’administrer la ville, non plus depuis le centrenational, vu comme « moteur » de toute réforme, mais depuis la ville elle-même.

Dans cette nouvelle perspective se développent de nouveaux savoirs et de nouvellesfigures : celle de « l’édile compétent », qui n’est plus un échelon inférieur de l’administration,mais en quelque sorte un nouveau centre de plus en plus autonome (ou qui aspire à l’être)vis-à-vis de la hiérarchie stricte de l’Etat.

Il est cependant difficile de considérer la réalisation du parc de Parilly commeemblématique de cette approche, dans la mesure où le préfet et le maire, loin d’entrer enconcurrence symbolique, œuvrent ensemble dans la même direction. Ainsi, le projet du

parc est présenté comme le « complément naturel du boulevard de ceinture » 18 , qui

lui-même est « du à l’initiative de M. le Président Herriot, maire de Lyon » 19 , les deux

projets étant pris entièrement en charge par le conseil général du Rhône, car « en raisonde l’importance des dépenses à engager, aucune des communes intéressées n’aurait pu

poursuivre les travaux avec ses propres ressources » 20 . On est donc bien loin de l’exemple

rapporté par Renaud Payre de l’hôtel de ville de Villeurbanne achevé en 1934, réalisation« accomplie toute entière sans subventions de l’Etat » ce qui permet au maire « d’insistersur la responsabilité du gouvernement de ne plus entraver l’activité des communes » lors

de l’inauguration, en présence d’Emile Bollaert 21 .

En revanche, les travaux de Viviane Claude et de Pierre-Yves Saunier, ainsi que ceuxplacés sous la direction de Christian Topalov s’intéressent en premier lieu à la constitutiond’une science et d’une profession de l’urbain, non du point de vue des édiles, mais de celuique la loi de 1919 désigne sous le terme générique d’ « hommes de l’art » (déterminationfloue qui recouvre architectes, paysagistes, et autres futurs « Urbanistes »).

En effet, selon ces travaux collectifs, on assiste au début du siècle et dans l’entre-deuxguerres à un mouvement de lutte symbolique dans le champ de l’aménagement urbain pourla légitimation des diverses compétences liées à l’aménagement urbain et l’édification desdétenteurs de certaines de ces compétences en professionnels de référence, le tout marqué

par « la montée de la science comme paradigme de toute action » 22 .

Cette professionnalisation est le résultat de la loi Cornudet, premier jalon légal dans cechamp de savoir nouveau qu’est l’urbain, puisque « l’appel à compétences formulé par la

loi est en réalité un appel à constitution de compétences » 23 .

Or, on l’a dit, c’est de cette nouvelle élite d’experts urbains et de leurs considérationssur l’aménagement de la ville qu’Emile Bollaert tire son idée d’un parc en périphérie de Lyon,

18 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône.19 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône », p. 66.20 ibidem.21 Renaud Payre, op. cit., p. 264.22 V. Claude et P.Y Saunier, op. cit., p. 35.23 Ibid , p. 36.

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à la fois réservoir d’air, parc d’agrément et frontière entre deux territoires, servant ainsi à

redéfinir clairement les limites et l’identité de la ville 24 .

Mais si le projet de Parilly est défini dans ce contexte de professionnalisation urbainedes années 1920 et 1930, la guerre vient interrompre le chantier, et le parc n’est achevéque dans les années 1950, dans un tout nouveau contexte de politique publique : aprèsla guerre, l’accent est mis sur la construction de logements en grand nombre et de voiesde circulation d’importance. C’est le temps des ensembles HLM et des autoroutes péri-urbaines, et ces nouvelles priorités vont nuire au projet initial du parc de Parilly.

Ainsi, dans la mesure où le parc de Parilly est un équipement urbain étonnant, nouspouvons dés lors nous interroger sur la façon dont sa conceptualisation et sa réalisation,située au carrefour de deux paradigmes différents, traduit un cheminement de pensée etune certaine vision du monde de la part de ses divers créateurs.

Ce mémoire s’attachera donc à savoir de quelle façon ces deux moments de politiquepublique ont façonné ce parc pour en faire ce qu’il est aujourd’hui.

Afin de répondre à cette question, le travail présenté ici retracera l’historique du parc,depuis l’adoption de son projet (en octobre 1934) jusqu’à l’inauguration du stade en 1957,qui marque l’achèvement de la série de grands travaux ayant lieu après la guerre.

La location de 35 hectares à la Société des Courses de Lyon en 1965 ne sera pastraitée dans ce mémoire, car elle relève d’autres enjeux et arrive bien après l’achèvementdes travaux de construction du parc. Il s’agit donc en quelques sortes d’un « corps étranger »qui n’a pas sa place dans le processus de création du parc, et donc encore moins dans untravail qui s’efforce de dégager les problématiques de ce processus.

Ce mémoire se base sur une enquête archivistique réalisée sur des documents récoltésen trois lieux : les archives municipales de Lyon, les archives départementales du Rhône,et les archives privées de M. Jean Brun, chargé de projet au sein du parc. Les informationscontenues dans ces documents seront ensuite traitées suivant la méthodologie de la socio-histoire et agencées selon le plan suivant :

Dans un premier temps, ce mémoire visera à montrer en quoi le projet initial tel qu’ilest conçu est typique des problématiques de l’urbanisme de l’entre-deux guerres, puis dansune seconde partie il cherchera à savoir comment les nouvelles contraintes imposées parun changement de contexte socio-économique ont modifié le parc pour en faire ce qu’il estmaintenant.

24 ADR, 4326 W, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône.

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12 Quatravaux Sylvain - 2008

Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

Cette partie traite du contexte de politique publique tel qu’il apparait dans la périodedes années 1920-1930. Comme il a déjà été précisé en introduction, cette époque est celledes hygiénistes et des urbanistes. Ces derniers placent au centre du débat le règlementdes nouveaux problèmes issus de la révolution industrielle, ainsi que les solutions qu’ilspréconisent pour y remédier. Nous verront ici que le parc de Parilly, tel qu’il aurait du êtreconstruit si la guerre n’étaient venue interrompre les travaux, s’inscrit dans la droite lignede ces solutions hygiénistes, en totale cohérence avec le contexte idéologique dans lequelil est conçu.

L’influence hygiéniste se traduit au travers de trois aspect : le parc de Parilly est unprojet conçu dans la continuité du déclassement des fortifications de la ville, tel que cela futfait à Paris ; ce parc constitue une grande réserve non bâtie, sensée être primordiale pour lasalubrité publique ; enfin sa création s’effectue dans un processus de planification maîtrisée.

Chapitre 1 : Dans la continuite du declassement desfortifications

Comme Marie Charvet l’a montré dans son ouvrage 25 , la lutte symbolique des hygiénistes

pour se constituer en corporation dépositaire d’un savoir-faire urbain professionnel secristallise autour d’un enjeu : le déclassement des fortifications. Mais cet objet de débatsn’est pas uniquement parisien puisqu’une solution similaire à celle de la capitale a étéadoptée en 1928 pour l’enceinte militaire de la ville de Lyon : la construction d’un Boulevardde Ceinture. C’est en tant que complément naturel de ce boulevard que se positionne leparc de Parilly.

1.1 Le déclassement des fortifications : une réflexion hygiéniste.Le mouvement de déclassement du mur d’enceinte de la capitale, puis par la suite deplusieurs grandes villes françaises, est impulsé avec les cercles de réflexion sur la question

25 M. Charvet, op. cit.

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sociale. Ceux-ci commencent par saisir le fossé qui sépare Paris des autres capitales enmatière d’hygiène avant de préconiser la transformation des fortifications en espaces libres.

1.1.1 La comparaison internationale comme point de départ.

Au début du siècle, les élites parisiennes prennent conscience d’un certainretard français vis-à-vis de l’étranger en matière d’aménagement des villes. Pour leshommes de la section d’hygiène urbaine du Musée social, les villes du pays manquent

d’espace en comparaison de leurs voisines européennes ou américaines 26 .

Ce que l’on nomme à l’époque les « espaces libres », entendus comme libre deconstruction, sont statistiquement moins présent à Paris que dans les autres grandesvilles, tout particulièrement celles du Royaume-Uni.

Ainsi :

« Liverpool, Manchester, Sheffield, Birmingham, Edimbourg, Dublin, Cardiff,en un mot toutes les grandes villes et même de petites bourgades se sontpassionnément attachées à augmenter le nombre et l’étendue de leurs espaceslibres27. »

Or, au début du XX e siècle, la tuberculose fait des ravages et la lutte

contre ce fléau devient une cause nationale 28 , les statistiques de mortalité étant

moins élevées dans les villes possédant de grands espaces libres et où la densité depopulation est plus faible, les réformateurs urbains font de la création d’espace au

sein de la capitale un enjeu d’hygiène de premier ordre 29 .

1.1.2 Le déclassement des fortifications comme solution.

C’est donc au nom de l’hygiène que le Musée social s’empare de la question del’enceinte fortifiée qui entoure Paris : alors que sa suppression est discutée par les édilesdepuis les années 1880, les réformateurs urbains pressent pour que les terrains ainsi libéréssoient transformés en espaces libres.

Cette vision s’impose au lendemain de la première guerre mondiale, avec la loi du 30avril 1919 qui prévoit l’aménagement de la zone en une ceinture de parcs30. Cette étapese double de l’adoption de la loi Cornudet sur le plan d’aménagement, d’embellissementet d’extension légale, et l’année 1919 marque en quelque sorte officiellement le triomphedes problématiques hygiénistes : elles ont su s’imposer comme outil d’appréhension et detransformation du réel urbain.

26 Ibid. p. 5527 « Les plans d’aménagement et d’extension des villes », rapport de M. Georges Risler, Congrès de l’alliance d’hygiène

sociale, Roubaix, 1911, p.628 M. Charvet, op. cit., p. 5529 Ibid., p. 75-7630 Ibid., p. 7

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1.2 Le Boulevard de Ceinture : un projet d’inspiration parisienne.

Comme c’est régulièrement le cas, l’exemple de la capitale fait des émules dansles villes de province. Lyon se dote ainsi dans l’entre-deux guerres d’un grandboulevard périphérique que longent des espaces libres en lieu et place de son ancienmur d’enceinte. Le projet lyonnais est même en quelque sorte doublement fidèle auxidées défendues par les hommes du Musée social : tout d’abord en déclassant lesfortifications en espaces libre, ensuite en inscrivant ce déclassement dans un pland’extension et d’embellissement.

1.2.1 Un projet en accord avec les solutions des réformateurs sociauxLa ville de Lyon est dotée d’une enceinte fortifiée de 13 kilomètres de développementdans sa périphérie sud-est. A la suite des réflexions et des nouvelles approches de laguerre développées au début du XX e siècle, l’enceinte est déclassée maisaucune affectation particulière n’est donnée à cette bande de terrains militaires.

Un projet de boulevard périphérique bordé d’espaces libres est un sujet dedébats durant plusieurs années, cependant la revue Technica, revue à destinationdes ingénieurs urbanistes, consacre un numéro spécial aux « grands travaux dans

la région lyonnaise et la vallée du Rhône » 31 , en mars 1937 et nous apprend

que ce projet n’a pu être réalisé pendant les années 1920, faute de crédits.C’est la raison pour laquelle en 1928 c’est le Conseil Général, sur l’initiative

du maire de Lyon, Edouard Herriot, qui prend entièrement à sa charge la créationdu Boulevard dit de Ceinture et « les nombreux squares et jardins prévus ende nombreux points du Boulevard, et notamment à l’emplacement des anciensbastions », et dont la revue publie les photos du chantier (cf. document 1, p. 22), ainsiqu’un plan (cf. document 2, p. 24).

Document 1 : photos du chantier du Boulevard de Ceinture parues dans la revueTechnica

/!\ A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'EtudesPolitiques de lyon /!\

Les idées des hygiénistes se sont à l’époque tellement bien répandues dansles milieux des professionnels de l’urbain (auxquels la revue entend s’adresser)que l’article concernant les travaux du boulevard présente cette solution commeévidente :

« C’était, en effet, par suite du déclassement des fortifications, la meilleureaffectation à donner à la longue et étroite bande de terrains miliaires32. »

Ainsi, à l’orée des années 1930 les solutions préconisées par les hygiénistesdu début du siècle se sont largement enracinées dans les mentalités des pouvoirspublics.

31 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône »32 Ibid., p.66

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Mais leurs outils de transformation de la ville, en particulier la planificationurbaine, ont eux aussi connu un certain retentissement.

1.2.2 Un projet qui utilise les outils des réformateurs sociaux

Comme il a été précédemment expliqué, le débat autour des fortifications et dunouveau rôle à leur attribuer s’inscrit dans un contexte plus général de réflexionautour du thème de l’aménagement urbain. Afin de lutter contre les effets désastreuxde la concentration urbaine, due à l’exode rural de la Révolution Industrielle, leshygiénistes ne proposent pas seulement de dégager de grands espaces libres deconstructions au sein des villes, mais d’inclure ces transformations au cœur d’unprojet d’aménagement rationnel des villes. Il s’agit de penser la ville et de tenterd’organiser les différents chantiers à entreprendre afin que ceux-ci soient cohérents

entre eux, à l’échelle de la ville entière et sur le long terme 33 .

Ainsi, au Congrès de l’Alliance d’hygiène sociale qui se tient à Roubaix en 1911,une grande partie des débats est réservée à la question des espaces libres et del’aménagement rationnel des villes.

Georges Risler, membre éminent de la section d’hygiène urbaine du Muséesocial y déplore qu’il n’y ait « aucune prévision quant à l’extension de nos villes« tentaculaires » modernes. Quelles seront les grandes voies de circulation ? Où les

réserves d’air pur ? Parcs ? Terrains de jeux ? 34 »

33 J.P Gaudin, op. cit.34 Alliance d’hygiène sociale, Congrès de Roubaix, 1911, cité par M. Charvet

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Document 2 : plan de Lyon et emplacement du futur parc

note de legende 35

Pour mettre en place cette profonde et nécessaire transformation des mentalités,les réformateurs sociaux préconisent l’utilisation d’un outil nouveau : le plan. C’estce qui va mener à l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi Cornudet en 1919.

Or, cette obligation légale qui est désormais faite aux grandes villes de penserleur développement de façon cohérente et rationnelle est présentée comme une desqualités essentielles du projet de Boulevard de Ceinture.

Ainsi, la revue Technica précise :

« En ce qui concerne tout particulièrement la Ville de Lyon, un gros travaila été fait en vue de faciliter la circulation : c’est le plan d’extension et

35 La vie Lyonnaise, 24/08/1935

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d’embellissement. Il a été approuvé par le Conseil Municipal le 25 juillet 1935. […]C’est une véritable charte fixant le développement futur de la Ville36. »

Cette idée de grand boulevard périphérique bordé de jardins pour occuperl’espace des anciennes fortifications et qui, de plus, occupe « une place importante

dans le plan d’aménagement de la région lyonnaise » 37 est véritablement

représentatif des idées neuves apportées dans le domaine de l’aménagement urbainpar les réformateurs du Musée social. En cela, il s’inscrit parfaitement dans lecontexte de politique publique de l’entre-deux guerres.

1.3 Le parc de Parilly : une double filiation hygiéniste.

Le parc de Parilly est une réalisation caractéristique des hygiénistes et donc de sonépoque pour deux raisons : elle s’inscrit dans la continuité du Boulevard de Ceinture,représentatif de ce contexte, et elle sert de frontière tangible pour définir la ville, une idéeelle aussi dans l’air du temps.

1.3.1 Un parc dans la continuité du Boulevard de Ceinture

Lorsqu’Emile Bollaert présente son projet de parc boisé péri-urbain au Conseil Généralen 1934, il insiste particulièrement sur le fait que cette idée s’inscrit dans le prolongement duBoulevard de Ceinture (encore en construction), puisque la lettre qu’il adresse au ConseilGénéral s’intitule : « Projet de création d’un parc boisé, à Parilly, en annexe au Boulevardde Ceinture ». Ainsi, il débute en ces termes :

« En visitant les chantiers de chômeurs ouverts pour la construction duBoulevard de Ceinture, et en examinant le projet de ce Boulevard, j’ai été amenéà penser que l’œuvre du Conseil Général pouvait être utilement complétée par unParc de grande étendue38. »

En plaçant son projet dans la continuité du chantier déjà ouvert par le Conseil, le préfetdu Rhône cherche bien entendu à présenter les choses sous un jour favorable afin devaincre les éventuelles réticences. Mais cette filiation n’est pas anodine. Emile Bollaert n’estpas étranger aux problématiques urbanistiques de son époque, et il est sensible aux idéesdes réformateurs sociaux, il cite même un article de l’urbaniste Léandre Vaillat à l’appui deson projet.

De ce fait, on ne peut nier que le préfet du Rhône agisse en connaissance de causeen plaçant son projet dans la continuité du Boulevard de Ceinture : il revendique ainsi lafiliation de son parc avec les idées des réformateurs urbains.

36 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône », p.2237 Ibid. p.66

38 ADR, 4326 W, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p.1

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1.3.2 Un parc comme frontière de la ville

Comme il a été dit précédemment, le Boulevard de Ceinture est un chantier d’inspirationclairement hygiéniste, et Bollaert revendique indirectement cette filiation en plaçant sonpropre projet dans la complémentarité du Boulevard. Mais, toujours dans sa lettre auConseil Général, il montre qu’il s’est aussi inspiré directement des débats suscités parle déclassement des fortifications parisiennes, et des idées qu’y ont défendues lesréformateurs urbains.

En effet, Marie Charvet montre dans son ouvrage que la destruction de l’enceinte autourde Paris, et son remplacement par des espaces libres obéit aussi à des considérations quantaux limites de la ville : Paris s’est développée au-delà des fortifications, et la suppression de

cette barrière est nécessaire à l’établissement d’une réflexion sur les marges de la ville 39 .

Une fois encore, Bollaert se place en héritier de ces débats en écrivant :

« J’ajoute, comme le fait si justement remarquer M. Léandre Vaillat, dans unremarquable article publié par l’Illustration que, placées à la périphérie, lesréserves boisées facilitent la délimitation des communes40. »

Puis, un peu plus loin :

« Et l’éminent urbaniste d’ajouter : « La méconnaissance de la loi fondamentalede la limitation des villes entraîne une véritable dilapidation des deniers publics,en même temps qu’elle provoque un désordre des esprits et des cœurs, puisquel’idée de la Cité, telle que l’a définie FUSTEL de COULANGES, se dissout enraison directe de l’éparpillement des foyers, des « feux », dont la concentrationfaisait la physionomie. Il y a intérêt, pour l’économie, pour le développementde la sociabilité, pour l’amélioration de l’esprit public, pour la commodité destransactions, pour l’efficacité des œuvres sociales, à ramasser la commune et àlui donner conscience d’elle-même41. » »

Ainsi, le parc de Parilly s’inscrit dès son balbutiement dans le contexte de réflexionautour de la nouvelle fonction à attribuer aux fortifications, dans la mesure où il représente

« le complément naturel du Boulevard de Ceinture » 42 , lui-même un projet inspiréindéniablement par celui de la capitale, et où il revendique des problématiques déjàavancées par les tenants du déclassement à Paris.

En ce sens, il est représentatif du contexte de politique publique dans lequel il a étéconçu.

Mais l’influence des idées hygiénistes dans le projet de Parilly ne se traduit pasuniquement par le fait qu’il s’agisse d’un projet de requalification de l’enceinte fortifiée : lavision du monde des réformateurs urbains est clairement revendiquée par les créateurs duparc.

39 M. Charvet, op. cit., p. 60-66 et p. 99-10040 ADR, 4326 W, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p.641 Ibid. p. 7

42 Ibid. p. 6

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Chapitre 2 : Un reservoir d’air pur

Le parc de Parilly tel qu’il était prévu s’inscrivait dans le cadre d’un débat contemporainsur le rôle nouveau qui pouvait être attribué à l’espace libéré par la destruction desfortifications. Mais le projet dans son ensemble est également le fruit des idées apportéespar les hygiénistes et les réformateurs urbains du début du siècle. Le bouillonnementintellectuel de cette époque se concentre autour de la notion d’espaces libres comme unesolution aux problèmes d’hygiènes ; ainsi le parc de Parilly se présente de ce point de vuecomme une nécessité pour la santé publique, en raison de l’oxygène qu’il procurera ainsique des installations sportives dont il disposera.

2.1 Des arbres pour purifier les hommes.

Les préoccupations des réformateurs urbains pour les espaces libres partentdu constat que les grandes villes étrangères possèdent plus de parcs et moins demalades ; l’idée développée à partir de là est relativement simple : construire plusde zones boisées pour purifier l’air et plus de complexes sportifs pour purifier leshommes.

2.1.1 De l’air contre les maladies

Pendant l’entre-deux guerres, les grandes villes françaises sont touchées de plein fouetpar les conséquences néfastes de la Révolution Industrielle et parmi elles la prolifération

des maladies, dont la tuberculose n’est que la plus inquiétante 43 .

Les hommes du Musée social, dont « l’objectif est d’aider au développement de toutes

les œuvres susceptibles d’améliorer la situation matérielle et morale des travailleurs 44 »,

sont en toute logique aux avant-postes de la réflexion. Or, dans la conception hygiéniste,l’air et la lumière représentent les meilleurs moyens de lutter contre la maladie.

Ainsi le docteur Landouzy, spécialiste français de la phtisie, déclare :

43 M. Charvet, op. cit., p. 8044 Ibid.

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« [Si] la contagion est une cause vraie de la tuberculose, les causesoccasionnelles si nombreuses ne se trouvent jamais autant réunies, autantgénératrices de contagion, que dans les milieux entassés, que dans les milieuxsurpeuplés. C’est là où la contagion est surtout préparée, entretenue, dans lesquartiers, dans les maisons sans air, sans lumière et où le soleil ne pénètrejamais45. »

Ces idées sont reprises par les réformateurs, comme Stéphane Leduc pour qui « les

plantes et les arbres sont les grands purificateurs de l’air 46 . »

A partir de ces idées hygiénistes, les réformateurs urbains vont peser de tout leur poidspour orienter la politique de la ville vers la création d’espaces libres. Ainsi Ambroise Rendu,membre de la section d’hygiène déclare devant les édiles parisiens :

« L’objectif, c’est l’établissement de grands espaces plantés qui purifient l’air etconstituent le meilleur préservatif connu contre les ravages de la tuberculose47. »

Cependant cette préoccupation pour les arbres, purificateurs de l’oxygène, se double d’unepréoccupation pour le corps.

2.1.2 Sport et hygiène

La réflexion sur les maladies qui se répandent au sein de l’espace urbain s’accompagne

d’une lutte contre un autre fléau : l’alcoolisme. Depuis la fin du XIX ème siècle, médecins

et intellectuels se penchent sur cette question 48 , et là encore les réformateurs urbains ont

recours aux espaces libres pour répondre aux préoccupations de l’époque.Or, il s’agit cette fois-ci de diversifier le rôle que ces espaces doivent jouer au sein de

l’urbain : les grandes réserves boisées doivent s’accompagner d’équipements sportifs afin

d’améliorer la santé publique 49 .

2.2 Une « réserve boisée » plutôt qu’un « parc d’agrémentnote de titre 50 »

L’argument qui consiste à faire du parc de Parilly un projet typique du contexte politiquede l’entre-deux guerres est doublement fondé : d’une part les arguments que Bollaertprésente pour défendre son projet dénotent sa vision hygiéniste de l’urbain, d’autre partil invoque des avantages économiques dont les tenants des espaces libres s’étaient déjà

45 Cité par M. Charvet, op. cit., p. 8146 Ibid., p.61

47 Ibid., p.8248 Ibid., p.6149 Ibid., p.62

50 ADR, 4326 W, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p.4

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fait l’écho et il revendique directement l’influence des chantiers parisiens, conduits par lesréformateurs.

2.2.1 « Les espaces libres : une nécessité 51 »

Si les édiles responsables de l’aménagement urbain ne font pas face aux mêmesproblèmes dans le Paris du début du siècle que dans le Lyon des années 1930, les solutionsdes seconds ressemblent fort aux idées des premiers.

Pour autant, les concepts produits par les réformateurs ont depuis lors fait leur chemindans les mentalités des responsables de politiques publiques. Ainsi, lorsque le préfet duRhône présente ses arguments, il ne s’agit plus d’un objet de débat mais bien d’une réalitépolitique incontournable.

C’est la raison pour laquelle en 1934 « tant au point de vue de la santé publique que

de celui de l’urbanisme, il paraît indispensable d’accroître les espaces libres 52 . »

Mais la vision du monde défendue par les réformateurs s’est imposée en mêmetemps que les solutions qu’ils préconisent pour la ville. Ainsi Bollaert insiste clairementsur la fonction première du parc qu’il entend créer dans la banlieue lyonnaise et rappelleaux membres du Conseil Général « l’importance de premier ordre de la végétation pour

l’assainissement de l’atmosphère 53 ».

Cette phrase laissait déjà peu de doutes quand à l’influence des idées développéespar le Musée social, mais le paragraphe suivant revendique encore plus clairement cettefiliation :

« L’existence, dans les agglomérations urbaines, de jardins, de parcs, d’arbres lelong des principales rues, ne constitue pas seulement un ornement et un élémentde gaîté ; elle est indispensable pour la salubrité de la cité et l’hygiène publique.Les espaces libres ne constituent pas un luxe [...], ils répondent à une véritablenécessité, et d’autant plus pressante que la population de la Ville est plus denseet que les constructions sont plus serrées54. »

De plus, la compétence en matière d’aménagement urbain des tenants de ce nouveaucourant scientifique qu’est l’urbanisme est désormais tellement reconnue qu’elle est érigéeau rang d’argument. Dès lors, Bollaert s’efface devant cette compétence en déclarant « je

n’ai rien à ajouter aux opinions des hygiénistes et urbanistes 55 ».

51 Ibid., p.652 Ibid., p.153 Ibid., p.6

54 Ibid55 Ibid.

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De même, l’ingénieur en chef du service vicinal, chargé de faire un rapport surl’emplacement du futur parc précise : « les questions d’hygiène et d’urbanisme sont trop à

l’ordre du jour pour qu’il soit nécessaire d’insister sur l’intérêt de ce parc 56 ».

En sus, l’influence du Musée social et de ses tenants ne se fait pas sentir qu’au traversde la vision de l’urbain prônée par le préfet du Rhône.

Avantages économiques et inspiration parisienne

Les partisans de la transformation de l’enceinte parisienne en espace libre ont eu àaffronter les critiques des réalistes financiers qui trouvaient le projet trop cher pour la ville57 ; mais Charles Beauquier, député du Doubs qui dépose en 1909 un projet de loi qui vaconduire à l’adoption de la loi Cornudet dix ans plus tard, leur répond que « les finances

municipales ont à gagner avec l’adoption d’un tel projet 58 ». En effet :

« La création de parcs et de boulevards devrait être considérée par les villescomme un excellent placement ; elle augmente la valeur imposable, encouragela construction de maisons agréables, attire les touristes et s’oppose à lasurpopulation des centres urbains59. »

Ainsi les arguments des réformateurs ne sont pas tous d’ordre purement hygiéniste, etil en va de même pour le projet du parc de Parilly.

Bollaert a lui aussi recours à un argumentaire économique lorsqu’il précise :

« Nous y trouverons l’occasion d’ouvrir de nouveaux chantiers pour leschômeurs de la région60 .»

Enfin, l’influence du modèle de la capitale est directement revendiquée par le préfetdu Rhône. En effet, le parc de Parilly rompt clairement avec la logique des parcs urbainstels qu’ils étaient conçus jusqu’alors : une grande zone de plaine agrémentée de quelquesarbres, pour les promenades familiales des habitants des quartiers bourgeois, tel que leparc de la Tête d’Or.

56 ADR, 4326w1, rapport d’expertise de l’ingénieur en chef du service vicinal sur le projet de parc boisé au lieu dit « Parilly »,1934.

57 M. Charvet, op. cit., p. 25958 Archives Municipales de Grenoble, 3D 18, C. Beauquier, exposé des motifs d’une proposition de loi ayant pour objet d’imposer

aux villes de dresser un plan d’extension, annexe 2265, documents parlementaires, 190959 Ibid.60 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaertau conseil général du Rhône, p. 5

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Le projet de Parilly, au contraire, ne consiste « pas à faire une simple réplique de ce

jardin 61 », autrement dit « il s’agit bien plus de créer une réserve boisée […] que d’établir

un nouveau parc d’agrément 62 ».

Le contexte politique a changé : on ne fait plus œuvre d’agrément, on fait de l’urbanismerationnel, inspiré en cela du modèle parisien. Ainsi la partie boisée du parc sera « analogue

comme destination et comme situation au bois de Vincennes, à Paris 63 . »

Le projet qu’Emile Bollaert présente au Conseil Général du Rhône en 1934 est ainsi unparc urbain, un espace libre, tel qu’il est conçu par les réformateurs urbains et les hygiénistesde l’entre-deux guerres, et il est présenté comme tel.

En dernier lieu, il convient de préciser que le projet de création d’un parc au lieu dit« Parilly » se place dans la continuité des idées hygiénistes par les autres équipementsdont il devait disposer.

2.3 Un lac, une patinoire, un jardin zoologique et des équipementssportifs

Comme il a été évoqué précédemment, les hygiénistes voient dans les grands espacesboisés des moyens de purifier l’air et donc de protéger des maladies, mais ils accordentégalement une place importante au développement physique et intellectuel. En ce sens, leprojet du parc avant l’interruption du chantier par la guerre est encore une fois en accordavec les vues des hygiénistes.

2.3.1 Un parc pour l’éducation physique

Le projet présenté par Bollaert en 1934 est adopté par le Conseil Général, et suivant lesinstructions du préfet, un grand concours d’architectes-paysagistes est ouvert. Les résultatsen sont publiés le 24 Février 1936. Le procès-verbal de la séance du Conseil Général estsurprenant à plus d’un titre : parmi les noms des candidats, on retrouve l’architecte lyonnaisTony Garnier, dont le projet n’est pas retenu.

De plus, les critères stricts du concours (ce qui montre que le projet est très clairementfixé dans l’esprit des responsables politiques) ne conduisent à la désignation d’aucunpremier prix.

Au sein du jury, on compte notamment quatre représentants du corps architectural,un professeur de la Faculté de Médecine, par ailleurs directeur de l’Institut Régionald’Education Physique, un critique d‘art et le représentant du directeur du Muséum d’HistoireNaturelle de Paris. L’éclectisme de cette liste semble parler de lui-même : les ambitions duConseil Général sont de faire une œuvre grandiose et multifonctionnelle.

61 Ibid.,p.362 Ibid., p.463 Ibid., p.3

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24 Quatravaux Sylvain - 2008

C’est la hauteur de ces ambitions qui explique le verdict étonnant du jury : aucun premierprix n’est décerné car « aucun projet dans son expression n’apparai[t] répondre entièrement

à tous les désirs exprimés dans le programme 64 ». Si les détails ne sont pas encore

réglés, l’idée générale du parc est donc déjà bien précise dans l’esprit du jury.

Cependant, l’architecte auteur du projet qui se voit attribuer le second prix, M.

Bellemain, se voit également confier la direction des travaux d’aménagement 65 . A partir

de cette sélection préliminaire, un projet définitif voit le jour, dont le plan (daté de 1937) estreproduit ici (cf. document 3, p. 37).

Comme il apparait clairement sur ce document, en plus du grand réservoir d’air pur queconstitue la zone boisée, le parc dispose de nombreux autres aménagements : une zoneréservée aux équipements sportifs, une « zone des ébats et de l’éducation physique » et unlac de patinage, dont il est question ici ; une zone éducative, un centre d’instruction par lavue et un jardin zoologique que l’on abordera dans la section suivante ; enfin un lac artificiel,des jardins à la française et une entrée d’honneur, dont nous traiterons en dernier lieu.

Les équipements sportifs occupent une grande place dans l’aménagement du parc.Ceux-ci ne sont évidemment pas anodins : il s’agit de créer des espaces publics pour faciliterl’accès des populations aux installations et aux pratiques sportives, car il est « vivement àdésirer que les jeux en plein air pour les enfants et les adultes entrent dans [les] mœurs66 . »

Ce nouveau rôle joué par les équipements urbains est la traduction concrète dunouveau rôle qu’assument les initiateurs des politiques publiques suite à l’introduction del’urbanisme au cœur de la réflexion sur la cité : les pouvoirs publics se doivent de sculpterles hommes autant que la ville.

Cette éducation ne s’avère d’ailleurs pas que physique, elle est aussi intellectuelle.

64 ADR, 4326 w 1, résultats du concours pour l’aménagement du parc boisé de Parilly, procès-verbal de la séance plénièretenue par le Jury, 24/02/1936

65 Ibid.66 Cité par M. Charvet, op. cit., p. 61

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Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

Quatravaux Sylvain - 2008 25

Document 3 : plan du projet définitif du parc de Parilly, 1937

note de legends67

2.3.2 Un parc pour l’éducation intellectuelle

Deux autres aspects du parc visent à l’éducation des visiteurs : le jardin zoologiqued’une part, la « zone d’éducation par la vue » de l’autre.

Ce second équipement est la reprise d’un élément du projet de Tony Garnier : une

grande terrasse aménagée, d’où l’on peut avoir un panorama exceptionnel sur la ville 68 .

Cet aménagement est de plus doublé d’une pépinière qui occuperait une fonction analogue

67 ADR, 4326 w 2, plan du projet définitif du parc de Parilly, 193768 ADR, 4326 w 1, résultats du concours pour l’aménagement du parc boisé de Parilly, procès-verbal de la séance plénière

tenue par le Jury, 24/02/1936

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De la conception du "plus beau parc de France" à la réalisation du "plus grand ensembled'habitation de France".

26 Quatravaux Sylvain - 2008

aux serres du Parc de la Tête d’Or : instruire les visiteurs sur les connaissances horticoleslyonnaises.

Enfin le jardin zoologique, projet grandiose et très couteux, s’inspire du zoo de

Vincennes et aurait lui aussi un rôle non négligeable d’éducation des utilisateurs du parc 69 .

2.3.3 Un parc pour l’éducation esthétique

Il est un dernier aspect du parc projeté auquel il convient de faire allusion. Le plande 1937 prévoit en effet toute une série d’équipements qui feraient de ce parc une œuvregrandiose.

Au cœur de la zone boisée, là où le futur Canal de Ceinture doit traverser le parc, unlac artificiel sera creusé. Plusieurs espaces seront également réservés pour l’aménagementde jardins à la française. Enfin la construction d’un lac de patinage et un magnifique projetd’entrée d’honneur, agrémentée d’un plan d’eau avec une cascade, viennent s’ajouter à laliste déjà longue des travaux prévus.

Le projet de création d’un parc boisé à Parilly est donc l’archétype de l’espace librevoulu par les réformateurs urbains, et en cela il est parfaitement en accord avec le contextepolitique de son époque, comme l’illustre le fait que le département du Rhône se soit vuattribué un grand prix d’urbanisme de l’exposition internationale de Paris, en 1937, pour ce

projet 70 .

De plus, non seulement il s’agit d’un projet de requalification de l’espace anciennementréservé aux fortifications, non seulement il poursuit les mêmes objectifs que les parcs crééspar les réformateurs dans la capitale, mais il utilise les même outils d’organisation rationnellede la ville : il s’inscrit donc dans un mouvement de rénovation totale de la façon de penseret d’organiser la ville.

Chapitre 3 : Un projet planifie a chaque etape et al’echelle de la ville

69 Archives privée de Jean Brun, description du projet définitif, 193770 Journal Officiel, 22 juillet 1938

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Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

Quatravaux Sylvain - 2008 27

L‘irruption dans le débat des considérations hygiénistes n’est pas le fruit du hasard, maisplutôt un indicateur du changement majeur qui se produit au tournant du siècle dans la façonde penser les politiques publiques : l’édile est désormais sommé d’organiser rationnellementsa cité, d’en penser le développement et d’avoir une approche compétente et rationnelle duphénomène urbain. Pour cela, l’outil du plan s’impose peu à peu, et la loi de 1919 ne vient

que parachever un processus déjà entamé depuis le début du XXèmesiècle.Là encore, le Parc de Parilly est parfaitement le reflet des problématiques de son temps :

le projet se fonde en effet sur une maîtrise des coûts et s’inscrit dans une planification surle long terme, pour laquelle on a recours aux « experts ».

3.1 Le plan : outil d’organisation rationnelle de la ville

Les problématiques d’hygiènes dont il a été question jusqu’ici dans ce mémoires’inscrivent dans un contexte global de transformation des savoirs et des pratiques liéesà l’urbain. Il convient désormais de donner une cohérence à l’ensemble des chantiers quitransforment la ville, et de penser celle-ci sur le long terme ; pour cela, les réformateursprônent l’utilisation d’un nouvel outil d’aménagement urbain : le plan.

3.1.1 Un nouveau paradigme pour un nouveau siècle

En effet, la vision scientifique du monde et l’idéologie du progrès dont les idées se sont

répandues aux cours du XIX ème siècle gagnent peu à peu tous les aspects de la réalité

à l’orée du XX ème , dans un mouvement qui est marqué par « la montée de la science

comme paradigme de toute action » 71 .

Les questions d’hygiènes que le débat sur les fortifications a mises en lumières’inscrivent dans une réformation en profondeur des structures mentales qui permettentd’appréhender la ville.

Celle-ci n’est plus désormais un simple rassemblement humain, auquel les pouvoirspublics se doivent de procurer les services minimums (éclairage public, ramassage des

ordures, etc.). Tout le début du XX ème siècle est une lutte pour imposer symboliquementune nouvelle conception, un Urbanisme porteur d’un véritable projet politique : celui demodeler la ville pour modeler l’homme, en s’appuyant sur le savoir éclairé. Pour MarieCharvet, la loi du 30 avril 1919 qui prévoit l’aménagement de la zone de fortifications en uneceinture de parcs, et l’ensemble des débats qui y mène, est le dépassement des simplespréoccupations d’hygiène et la mise en œuvre de la théorie de l’aménagement rationnel des

villes, c'est-à-dire le passage « de l’hygiénisme stricto sensu à l’urbanisme » 72

71 V. Claude et P.Y Saunier, « L’urbanisme au début du siècle… », op. cit. p. 35.72 M. Charvet, op. cit., p.13

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28 Quatravaux Sylvain - 2008

Ainsi, la « science municipale » dont traite Renaud Payre 73 est une des manifestations

de l’apparition du regard scientifique au cœur de la ville, et la figure de « l’édile compétent »son meilleur représentant.

Le changement de contexte, voire de paradigme, de politique publique qui s’opère autournant du siècle et dont il est question ici est donc liée à l’apparition et à l’établissementen discipline d’une approche scientifique et rationnelle de la ville : l’Urbanisme, autrement

dit « une alliance entre l’art et la science 74 ».

Avec ce nouveau courant d’idées, cette nouvelle science même, les édiles se doivent

de s’entourer de ces « spécialistes de la ville 75 » afin de penser rationnellementl’aménagement de la cité.

Pour mener à bien ce nouveau rôle que doivent endosser les édiles, un outil derationalisation fait son apparition au travers du plan.

3.1.2 Un nouvel outil pour un nouveau paradigme

Les réflexions sur l’amélioration de l’hygiène au sein de la ville, par la créationd’espaces, et celles, d’ordre plus général, sur l’aménagement rationnel sont indissociablesdu processus qui conduit à l’adoption de la loi Cornudet, c'est-à-dire à la consécration duplan comme outil incontournable de la politique publique urbaine. Cette loi de 1919, c’est lareconnaissance par l’Etat qu’un nouveau paradigme est en place : il ne faut plus concevoirchaque chantier à entreprendre comme un projet en vase clos, fermé sur lui-même, il faut

au contraire « viser la cohérence à l’échelle de la ville entière 76 . »

La ville et ses transformations futures ne doivent pas seulement remplir un objectif decohérence, il faut également penser l’ensemble pour l’inscrire sur le long terme : le pland’embellissement et d’extension prévoit les chantiers à ouvrir et la façon de les financerpour les décennies à venir.

Avec cette loi, on entre résolument dans l’aire de la prévision et de la maîtrise desprojets à long terme.

3.2 Parilly : un projet aux coûts maîtrisés

L’étude des détails du projet du parc de Parilly est une fois encore révélatrice ducontexte dans lequel il s’inscrit, et des pratiques que cela induit. Ainsi, le préfet du Rhôneest un fonctionnaire compétent, au fait des mécanismes économiques, ce qui lui permetd’anticiper et de planifier les coûts du projet.

73 Renaud Payre, Une science communale ?, op. cit.74 V. Claude et P.Y Saunier, « L’urbanisme au début du siècle… », op. cit. p.2775 Ibid., p. 2576 Jean-Pierre Gaudin, L’avenir en plan..., op. cit., p. 11

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Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

Quatravaux Sylvain - 2008 29

3.2.1 Une bonne connaissance des mécanismes économiques

La planification, c'est-à-dire le fait de devoir penser ensemble toutes les transformationsde la ville à venir, nécessite de maîtriser le déroulement de chaque projet, afin de conserverun contrôle sur les coûts.

Dans la lettre qu’il adresse au Conseil Général en 1934, Bollaert montre qu’il possèdecette maîtrise, et a donc les qualités d’un bon planificateur.

En effet, les terrains de l’emplacement choisi pour le futur parc, bien que peu bâtis,appartiennent à des particuliers ou à des entreprises, à qui il s’agit de les racheter. Or,comme dans toute opération de ce genre, une fois la volonté du département connue deshabitants, le prix des terrains risque d’être sujet à une spéculation à la hausse, provoquantune inflation non maîtrisable des coûts du projet.

Cependant, le préfet du Rhône précise :

« Les pourparlers pour les acquisitions de terrains seraient commencés dès votreacceptation du projet et poursuivis, d’une façon aussi discrète que possible, àl’aide d’intermédiaires, de manière à obtenir des prix susceptibles de servir debases pour les acquisitions ultérieures et les expropriations qui seront finalementnécessaires77. »

Cette citation révèle une connaissance fine du processus d’acquisition des terrains.En effet, dans un premier temps le département va se porter acquéreur des terrains sus-mentionnés à l’amiable. Cependant un certain nombre de particuliers risque de refuser devendre, soit par désir de rester au même endroit, soit par envie de faire monter les prix.

Le département devra alors saisir les terrains et procéder à des expulsions pour caused’utilité publique, et dans cette situation, les propriétaires chassés se verront indemnisés.

Or le calcul de ces indemnités se fera sur la base du prix au mètre carré pratiqué lorsdes achats les plus récents dans le même quartier… ce qui ne manquera pas d’être lesacquisitions réalisées à l’amiable par le département.

Ainsi, l’intérêt de celui-ci est d’agir « d’une façon aussi discrète que possible » et « àl’aide d’intermédiaires » afin de pouvoir se porter acquéreur des premiers terrains au prixle plus bas possible, sans que la population ne soit au fait des intentions du département.Une fois cette première étape accomplie avec succès, la vague des expropriations pourracommencer, et le calcul des indemnités se fera bien sur la base des prix du marché, sansspéculation à la hausse.

Comme prévu par le préfet, une fois le projet accepté par le conseil général, à l’issude la séance du 25 octobre 1934, puis par la commission départementale le 25 novembre1935, les négociations en vue de l’acquisition des terrains commencent et se poursuivent

au moins jusqu’en novembre 1936 78 .

Cependant, certains propriétaires refusent de conclure un accord à l’amiable (il s’agit laplupart du temps soit de propriétaires ayant un terrain bâti, soit d’entreprises privées, telle

77 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p. 578 ADR, 694w351, contrat de vente d’une parcelle de terrain au département.

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30 Quatravaux Sylvain - 2008

que la « Société anonyme des automobiles Berliet », soit enfin d’établissements publics, tel

que les « Hospices Civils de Lyon » 79 ).

Dans ce cas, le préfet déclare d’utilité publique le projet d’acquisition des parcellesappartenant à ces propriétaires, puis une commission arbitrale d’évaluation est nommée

afin de fixer les indemnités à régler par le département 80 .

Ce processus d’expropriation commence au moins en décembre 1934 81 et se

continue au moins jusqu’en janvier 1938 82 , il est cependant à noter que l’étape de la

déclaration d’intérêt public par le conseil général au cas par cas n’est plus nécessaire àpartir de décembre 1937, puisqu’un décret du président de la République déclare d’intérêt

public l’ensemble des travaux à entreprendre pour la création du parc 83 .

La compétence d’Emile Bollaert et sa capacité à anticiper le déroulement du processusd’acquisition des terrains ont ainsi permis une bonne maîtrise et une limitation des coûtsdu projet, facteur primordial pour pouvoir insérer le chantier au sein d’un projet de grandeampleur pour l’ensemble de la ville. Cependant, certaines variations des coûts sontincontrôlables par les planificateurs eux-mêmes, et il s’agit alors d’adapter le projet auxfluctuations de la conjoncture économique.

3.2.2 Un regard réaliste sur la ville

Au cours de l’année 1938, l’ombre de la guerre commence à planer sur le pays,amenant son cortège d’effets secondaires négatifs. Parmi ceux-ci, on dénombre uneinflation qui touche particulièrement le prix des matériaux et les salaires des ouvriers.

Afin de conserver une maîtrise des coûts réels et de ne pas se lancer dans un chantier‘pharaonique’ qui ne pourra être achevé, fautes de moyens, le planificateurs se doit de faireune estimation réaliste des dépenses à envisager, sans se voiler la face sur les possibilitésfinancières dont il dispose.

79 ADR, 694w350, arrêtés préfectoraux des 23 janvier 1936 et 19 mai 1937 déclarant d’utilité publique le projet d’acquisitiondes parcelles appartenant respectivement aux Hospices Civils de Lyon et à la S.A des automobiles Berliet.

80 ADR, 694w350, arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique le projet d’acquisition de parcelles appartenant à la S.A desAutomobiles Berliet, 19/05/1937

81 ADR, 694w350, arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique le projet d’acquisition de parcelles appartenant à des particuliers,29/12/1934

82 ADR, 694w351, acte d’expropriation, 17/01/1938.83 ADR, 694w351, acte d’expropriation fondé sur la déclaration d’intérêt public des travaux à entreprendre pour la création du

parc de Parilly (décret du président de la République du 22 décembre 1937) et sur le décret-loi du 8 août 1935 sur l’expropriationpour cause d’intérêt public.

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Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

Quatravaux Sylvain - 2008 31

De plus, une inflation démesurée et non anticipée du coût d’un projet menace nonseulement la réalisation de celui-ci, mais également celle de tous les autres chantierscompris dans le plan d’extension et d’embellissement.

Pour cette raison, le Conseil Général procède à une réévaluation des dépenses

prévues : le budget initial de 25 millions de francs, préconisé par Bollaert 84 est presque

doublé et passe à 49 millions en 1938, aidé en cela par une subvention du ministèrede l’intérieur au titre de lutte contre le chômage et un nouveau crédit inscrit au budget

additionnel de l’exercice courant 85 .

En sus, on envisage dans un premier temps de faire payer l’entrée du jardin zoologique,afin de trouver une nouvelle source de financement. Finalement, le projet de zoo est

totalement abandonné, faute de moyens financiers 86 .

Ainsi, la compétence d’Emile Bollaert et le réalisme financier permettent d’ancrer leprojet dans une dynamique de bon augure, correspondant aux nouvelles contraintes de laplanification urbaine.

Cependant l’outil du plan ne vise pas seulement la maitrise d’un projet unique, mais fixepour les 20 ans à venir une cohérence d’ensemble à l’échelle de la ville entière. Il convientdonc d’échelonner le projet dans le temps et de l’insérer dans un plan général qui concernetoute la cité.

3.3 Parilly : un projet maîtrisé dans le temps

La réalisation d’un projet tel qu’un parc urbain de la dimension et de la prétention decelui de Parilly nécessite plus qu’une simple compétence économique : le projet doit êtreinséré de façon cohérente dans le plan d’extension et d’embellissement de la ville, et lescontraintes extérieures imposées par le rythme des plantations ainsi que l’alimentation eneau doivent être maitrisées.

3.3.1 Une anticipation des transformations à venir

Dans la nouvelle approche de la ville défendue par les urbanistes, aucune politiquepublique ne peut être entreprise sans porter un regard général sur la cité, et sans concevoirl’ensemble des transformations à y apporter au sein d’un projet cohérent qui tend à un butdéfini.

Dans sa lettre au Conseil Général, le préfet du Rhône montre parfaitement qu’il est unhomme de l’entre-deux guerres, acquis à ces pratiques. Outre le fait qu’il voit la constructiond’espaces libres comme une nécessité, comme cela a été vu précédemment, il conçoit leurcréation dans une vision harmonieuse de la cité, qui tient compte des modifications à venir.

Ainsi, il écrit :

84 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p. 485 Archives privées de Jean Brun, commission de surveillance des travaux du parc de Parilly, 193886 Idem, 1935 et 1938.

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32 Quatravaux Sylvain - 2008

« Sur la colline de la Croix-Rousse, de même que sur celle de St-Just, laconstruction n’est pas très dense, et beaucoup de propriétés privées avecjardins ou clos ont été heureusement conservées jusqu’ici. Pour ces quartiers,la nécessité de nouveaux espaces libres se fait, sans conteste, moins sentir quepour la région à l’Est du Rhône. C’est pourquoi il m’a paru que, si un nouveauParc devait être créé, il convenait de le situer dans la banlieue Est de Lyon, quiest, comme dans la plupart des grandes Villes, le côté où le développement a leplus tendance à s’opérer87. »

Le choix du site ne relève donc pas d’un hasard, mais bien d’une volonté de planifier etde contrôler l’extension de la ville, tout à fait en accord avec les préoccupations urbanistesde cette époque.

De plus, le Boulevard de Ceinture figure dans un vaste programme d’améliorationde la circulation inscrit dans le plan d’extension et d’embellissement validé par le ConseilMunicipal en 1935, dans lequel le projet de parc de Parilly figure lui aussi. Le numéro spécialde mars 1937 de la revue Technica précise d’ailleurs :

« [Dans le plan d’extension et d’embellissement], la création de grands espaceslibres n’a pas été oubliée ; M. le Préfet Bollaert a fait admettre par le Département,l’établissement d’un grand parc boisé à Parilly, (qui deviendra peut-être un zoo)et d’autres parcs à Montessy. De son côté la Ville de Lyon a décidé la créationd’un parc public à Saint-Just […]88 »

La planification est indéniablement un outil né des nouvelles considérations sur la villedurant l’entre-deux guerres, et le naturel avec lequel son utilisation est présentée montreà quel point il a su s’imposer en l’espace d’une quinzaine d’année, ancrant davantage leprogramme de création d’espaces libres, et donc le projet du parc de Parilly, dans leurépoque.

Cependant, la rationalisation du rapport à l’urbain ne se traduit pas que par l’introductiondu plan comme outil de politique publique, elle induit également l’appel à des compétencesscientifiques extérieures.

3.3.2 Un recours aux experts

Dans la mesure où la ville doit être pensée, imaginée, conçue rationnellement, lesresponsables des politiques publiques doivent montrer une certaine compétence dansl’appréhension scientifique du réel. Cependant, on ne peut demander aux édiles de devenirdes scientifiques purs, capables de mobiliser des connaissances dans tous les domaines.

Et c’est justement là le double processus symbolique qui s’accomplit durant l’entre-deux guerres : en même temps que les urbanistes imposent un nouveau rapport, rationnelet scientifique, à la ville, ils érigent leur savoir et leur savoir-faire en compétence qui ne peutêtre remise en doute. La figure de « l’édile compétent » se double de la figure de l’expert.

87 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p. 1-288 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône », p 22-23

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Première partie : un projet de l’entre-deux guerres

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C’est la raison pour laquelle Bollaert utilise les opinions des urbanistes comme desarguments, et c’est aussi pour cela qu’il a recourt à des expertises afin de maîtriser l’ancragedu projet dans le temps.

Deux rapports d’expertise sont en effet annexés au projet : en premier lieu c elui de

M. Sornay, Conservateur des Eaux et Forêts à Lyon 89 , qui effectue une visite complète

du terrain choisi, examine le type de sol, les différentes sortes de végétation envisagées,la configuration du site et son ensoleillement. Les photos de cette visite sont reproduites ci-après (cf. document 4 et 5, p. 50 et 51). A l’issue de l’expertise, le Conservateur estime quel’emplacement choisi pour le futur parc est susceptible d’accueillir la plantation d’arbres degrande envergure, nécessaires à la réalisation de la zone boisée.

Document 4 : photo de l’expertise

note de légede90

89 ADR, 694w351, expertise deM. Sornay, Conservateur des Eaux et Forêts à Lyon, concernant le projet de création d’un parcboisé au lieu dit « Parilly ».

90 Archives privées de Jean Brun, photo prise lors de l’expertise de MM. Sornay et Roman et jointe à la lettre d’Emile Bollaert,1934

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34 Quatravaux Sylvain - 2008

Le second rapport d’expertise est celui de M. Roman, professeur de géologie à la

Faculté des Sciences de Lyon 91 . Sa compétence porte sur l’alimentation en eau du parc,

en effet, outre le futur canal de ceinture qui permettrait de réaliser un grand lac au centrede la zone boisée, les nombreuses plantations prévues doivent recevoir des ressources eneau suffisantes pour assurer leur pérennité.

Le professeur effectue des relevés de la nappe phréatique et estime quel’approvisionnement en eau nécessaire à l’alimentation du parc peut être réalisé parpompage, à une profondeur d’environ un mètre, ce qui ne présente pas de difficultéstechniques majeures, en tenant compte bien sûr de la présence prévue du Canal de Ceintureet du lac artificiel qu’il dessert.

Document 5 : photo de l’expertise

91 ADR, 694w351, expertise de M. Roman, professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Lyon, concernant le projetde création d’un parc boisé au lieu dit « Parilly », 1934

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Quatravaux Sylvain - 2008 35

note de légende92

Le projet du parc de Parilly est donc maitrisé sur le plan temporel : il s’insèredans un programme de grande ampleur à l’échelle de la ville, le plan d’extension etd’embellissement, et les difficultés techniques de sa création sont confiées au regard desexperts.

92 Archives privées de Jean Brun, photo prise lors de l’expertise de MM. Sornay et Roman et jointe à la lettre d’Emile Bollaert,1934

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36 Quatravaux Sylvain - 2008

Conclusion de la première partie

Le parc tel qu’il est projeté avant que la guerre ne vienne mettre un frein aux travaux estune réalisation typique du contexte de politique publique de l’entre-deux guerres. En effet, ilse présente en premier lieu comme la continuité d’un projet de reclassement des anciennesfortifications : la transformation de l’enceinte militaire en un boulevard périphérique émailléde squares et jardins, longé par un canal, les deux voies de circulation ainsi créées venanttraverser un vaste parc péri-urbain.

De plus, il s’inscrit parfaitement dans les problématiques hygiénistes, en plein actualitéà l’époque : la création d’espaces libres, de grandes zones boisées permettant de purifierl’air, et donc de protéger la cité des maladies, complétées par de nombreux équipementssportifs et culturels permettant l’éducation physique et intellectuelle des habitants.

Enfin, de par son processus de création même, le parc est une réalisation qui obéit auxinjonctions des urbanistes : elle est pensée, conçue et maitrisée tant au niveau des coûtsque du temps, grâce aux concours des experts, et elle s’inscrit harmonieusement dans unvaste programme à l’échelle de la ville.

Cette réalisation, si elle avait vu le jour telle qu’elle apparait sur le plan de 1937, auraitété la traduction concrète du nouveau paradigme cognitif dans lequel la politique publiqueest entrée au tournant du siècle : la ville est alors conçue comme le lieu où se forme lecitoyen, et en tant que telle son développement se doit d’être planifié à long terme afin detenir compte des exigences d’hygiène (tant physique que morale) que la vision scientifiquedu monde entraine.

Mais l’irruption de la guerre fait brusquement basculer la France dans une nouvellepériode historique.

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Seconde partie : Une réalisation des années 1950

Quatravaux Sylvain - 2008 37

Seconde partie : Une réalisation desannées 1950

Si le projet de création d’une réserve boisée au lieu-dit « Parilly », en annexe duBoulevard de Ceinture, traversé par le canal du même nom était un rêve issu indéniablementde l’esprit des urbanistes et des hygiénistes de l’entre-deux guerres, dont Emile Bollaert sevoulait le représentant, en revanche le parc tel que les visiteurs peuvent l’admirer aujourd’huiest réalisé uniquement après la libération. Et c’est d’ailleurs cette rupture entre le momentde sa conception et le moment de sa réalisation qui explique la difficulté d’appréhender ceparc : si un équipement urbain représente et traduit le contexte de politique publique dansle cadre duquel il a été construit, celui-ci en représente deux ! Et il incarne l’ensemble descontradictions et des incohérences que cela implique.

Ainsi, la guerre et la mobilisation qu’elle entraine mettent un coup d’arrêt brutal auchantier, et lorsque le département reprend les travaux en 1945, tout est à faire. Cependant,l’heure n’est plus aux mêmes priorités : il s’agit désormais d’utiliser l’argent public pourrebâtir les infrastructures, pour créer des logements et des routes en grand nombre. LeConseil Général a bien d’autres urgences à régler et il créé une commission à laquelle ildélègue le soin de gérer l’avancement des travaux. Ses membres vont tenter tant bien quemal de terminer le projet, mais le contexte a beaucoup trop évolué et le visage du parc telqu’il apparait au public lors du l’inauguration du stade en 1957 n’a rien de commun avec leprojet porté par Bollaert et Bellemain.

Chapitre 4 : La guerre et ses consequences pour leparc

Les travaux d’aménagement du parc se poursuivent jusqu’à la dernière limite, mais lamobilisation générale met fin à l’espoir de voir le parc ouvrir ses portes au public avant lafin de l’année 1939. A la libération, le département, qui doit par ailleurs répondre à d’autresurgences, constate avec effroi que tous les efforts consentis avant la guerre ont été réduitsà néant. Le chantier reprend alors, mais dans des conditions matérielles beaucoup plusdifficiles.

4.1 L’interruption des travaux et les ravages de la guerreLa menace de la guerre plane déjà sur le chantier depuis 1938, obligeant le Conseil Généralà revoir à la hausse ses prévisions de dépenses, et le contraignant à abandonner le projetde jardin zoologique. Cependant, les projections restent optimistes, et le département pense

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38 Quatravaux Sylvain - 2008

même pouvoir mettre une partie des installations à la disposition du public au cours l’année1939. Cet espoir est tué dans l’œuf lorsque la guerre éclate.

4.1.1 Le chantier, jusqu’au bout

Afin de connaitre l’état d’avancement des travaux du parc, le Conseil Généralcommande une étude en 1938. Les conclusions du rapport de MM. Delaigue et Sornay,inspecteurs généraux des Eaux et Forêts et de l’architecte Bellemain n’ont pas de quoi

inquiéter le département 93 .

En effet, à cette date, la pépinière située dans la partie nord-ouest du parc est déjàachevée et son ouverture au public est prévue « dès le printemps 1939 ».

De plus, l’expertise prévoit que les travaux de creusement du lac artificiel serontachevés au cours de l’année 1939, son alimentation dépendant alors « de l’état

d’avancement des travaux du Canal de Ceinture 94 ».

Douze hectares d’installations sportives, le jardin alpestre, le boulevard de corniche etles plantations du plateau de Bron devraient également être terminés dans le courant de lamême année. Il en résulte qu’une partie des équipements du parc devraient être mise à la

disposition du public « avant la fin de l’année 1939 95 ».

Illustration parfaite de l’ébullition qui règne autour du chantier et de l’investissement despouvoirs publics juste avant le conflit : Laurent Bonnevay lance cette formule à propos des

travaux du parc : « tout pour le projet social, rien pour le gaspillage 96 . »

Afin de s’assurer que le parc présentera un visage accueillant aux premiers visiteurs,les efforts sont concentrés sur la plantation d’arbres, pour assurer un ombrage suffisant.Le préfet du Rhône prend même un arrêté pour faire garder ces premières plantations par

des vigiles 97 .

Cependant, la loi du 11 juillet 1938, sur l’organisation générale de la nation par tempsde guerre, et le décret-loi du 12 novembre de la même année, relatif à la dépense passiveet la révision des programmes de travaux publics viennent bousculer le chantier : les crédits

sont diminués et le chantier est finalement forcé de s’arrêter, inachevé, en mars 1939 98 .

4.1.2 Le conflit et l’occupation

Durant la première partie du conflit, le chantier est simplement laissé à l’abandon, maisen 1942 le Commissariat au chômage y voit un moyen de redonner du travail aux ouvriers de

93 Archives privées de Jean Brun, rapport d’expertise sur l’avancement des travaux du parc de Parilly, mars 193894 Ibid.95 Ibid.96 Archives privées de Jean Brun, transcription du discours de Laurent Bonnevay, 193997 Archives privées de Jean Brun, arrêté préfectoral sur le gardiennage du chantier du parc de Parilly, 12/06/193898 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965

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Quatravaux Sylvain - 2008 39

la région. Les travaux reprennent donc, mais devant le faible rendement du site et son coût

financier, ils sont à nouveau interrompus en 1943 et ne reprendront qu’à la libération 99 .

Malgré tout, le site continue d’évoluer au cours du conflit car un bâtiment bien particulierretrouve son importance stratégique pendant les combats : la batterie de Parilly.

Construite en 1878 à 210 m au dessus du niveau de la mer, sur la colline qui occupedésormais le centre du parc, elle a été conçue afin de protéger le mur d’enceinte et de

compéter le système de défenses militaires de la zone 100 (cf. document 6, p.57).

Cet ouvrage militaire, que la portée des nouvelles armes a rendu obsolète, a été

déclassé le 1 er septembre 1923, bien que les canons soient restés en place jusqu’à laseconde guerre mondiale. Ils ont d’ailleurs été utilisés par le bataillon de militaires françaisstationné à la batterie pendant le conflit, et à bon escient puisque des témoins ont rapporté

que ce bataillon s’était illustré en détruisant un avion allemand en 1940 101 .

Enfin le bataillon cantonné dans la batterie détruira ses propres canons avantl’occupation. L’armée allemande utilisera l’ouvrage pour effectuer des replis stratégiques encas de bombardement à partir de 1943, et les abords de la batterie seront même mitraillés

par les anglais au moment de la libération 102 .

99 Ibid.100 Archives privées de Jean Brun, « un regard historique sur la batterie de Parilly »101 Ibid.102 Ibid.

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40 Quatravaux Sylvain - 2008

Document 6 : plan de la batterie de Parilly etdistance des principaux ouvrages militaires de la région

note de légende103

Ainsi, le conflit en lui-même n’a pas épargné le site du futur parc, et les détails desdifférents faits d’armes laissent peu de doutes quant à l’état du chantier en 1945 : les travauxentrepris avant la guerre sont réduits à néant et les plantations réalisées sont saccagées.Le chantier qui débute en 1945 repart de zéro.

4.2 La difficile reprise du chantier

Non seulement tous les efforts consentis avant le début de la guerre ont été réduits ànéant, et l’ensemble des travaux doit être repris, mais les architectes font en plus bientôtface à une nouvelle difficulté : le canal de ceinture n’est jamais réalisé, et avec lui c’est leprojet de lac artificiel, et donc la cohérence de tout l’ensemble, qui est remis en question.

4.2.1 Les travaux à entreprendre

Dans les toutes premières années qui suivent la fin de la guerre, le parc de Parillyest évidemment loin d’être la préoccupation principale de l’Etat, ainsi les questions liées

103 Archives privées de Jean Brun

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Quatravaux Sylvain - 2008 41

au chantier du parc n’apparaissent plus dans les comptes-rendus du Conseil Général duRhône entre 1945 et 1948, date à laquelle une « Commission de surveillance des travaux

du parc boisé de Parilly » est créée pour régler la question 104 .

Les travaux ont bien repris dès 1945, mais plutôt dans un souci d’ouvrir des chantiersaux chômeurs de la région et la somme investie est minime : 43 803 francs pour l’ensemble

de l’année 105 . En effet « seuls quelques terrassements de faible importance sont exécutés

en 1945 106 ».

Le chantier est à nouveau arrêté, sans que l’on en connaisse véritablement la raison,et les travaux reprennent fin 1946. Cette année n’est évidemment guère plus productiveque la précédente et l’on n’effectue que le « début des opérations de préparation des sols

pour les plantations 107 ».

Il faut donc attendre 1947 pour que les premières opérations d’importance aient lieu :une première plantation d’arbres, et la « fondation de la route ceinturant la zone des

sports 108 ».

Enfin le 14 mai 1948, le Conseil Général désigne, en son sein, une « Commission deSurveillance chargée de déterminer l’ordre des travaux, d’en fixer le programme dans la

limite des crédits votés et d’en surveiller l’exécution 109 ».

A partir de cette date, les fonds nécessaires à la continuation des travaux sont accordéspar un crédit spécial inscrit au chapitre 901 de la Section d’Investissement du BudgetDépartemental, crédit qui s’élève à 11 millions de francs pour l’année 1948 et pratiquement

le triple pour l’année suivante 110 .

Cela semble signer la véritable reprise du projet, cependant les espoirs de l’architecteBellemain de voir son œuvre un jour réalisée sont vite balayés par les autres difficultés duchantier.

4.2.2 Le sort du canal de ceinture

S’il est une réalisation dont la conception initiale du parc dépend, c’est bien celle duCanal de Ceinture. Celui-ci fait en effet partie intégrante du décor projeté, et ce depuisles balbutiements du projet. Ainsi Emile Bollaert utilise sa future construction comme un

104 ADR, 694w, comptes rendus du Conseil Général du Rhône, 1945-1948105 ADR, 4326w1, Parc de Parilly ; travaux et dépenses depuis 1945, 06/07/1960106 Ibid.107 Ibid.108 Ibid.109 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965110 ADR, 4326w1, Parc de Parilly ; travaux et dépenses depuis 1945, 06/07/1960

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42 Quatravaux Sylvain - 2008

argument supplémentaire du bien fondé de sa requête auprès du Conseil Général enécrivant :

« Le Canal de Ceinture projeté doit traverser ces terrains dans la partie en plaineet un cours d’eau, même artificiel, offre toujours de l’agrément111. »

Mais le Canal occupe une fonction bien plus importante que celle de simple agrémentau sein du parc : il s’agit du principal apport extérieur en eau dont Parilly bénéficiera.

La question de sa construction est tellement primordiale pour le parc que l’expertised’hydrologie du site, réalisée en 1934 par M. Roman, ne tient même pas compte de sonéventuelle absence. Le préfet du Rhône précise d’ailleurs bien :

« Je me suis préoccupé de savoir si les terrains choisis pourraient, dans desconditions satisfaisantes, recevoir l’affectation qu’on leur destine, notamment ence qui concerne les plantations et la possibilité d’avoir de l’eau, en attendant laconstruction du canal de ceinture112 . »

Par ailleurs, il suffit de contempler son tracé prévu pour s’apercevoir qu’il corresponden quelque sorte à la colonne vertébrale du parc (cf. document 7 p. 61, le tracé du Canala été surligné en bleu pour plus de lisibilité).

Enfin, une fois le projet de lac artificiel adopté, son importance devient définitivementprimordiale pour la cohérence d’ensemble du projet.

Cependant, la réalisation de cette voie de circulation parallèle au Boulevard de Ceintureest dans un premier temps repoussée, car la priorité est donnée à ce dernier, jugé plusimportant pour la circulation au sein de l’agglomération. Le premier tronçon du Boulevard

est d’ailleurs « très avancé » dès le mois de mars 1937 113 .

La guerre vient, là encore, interrompre le déroulement du processus tel qu’il est projeté.Mais l’idée d’un canal n’est pas encore abandonnée à la Libération. En effet, les comptes-rendus de la Commission de Surveillance des travaux ou des séances du Conseil Général

font mention du « futur canal de Ceinture » au moins jusqu’en 1954 114 . Le projet ne sera

malgré tout jamais réalisé, détruisant du même coup les espoirs de voir construire un lacartificiel au centre du parc, dont le creusement avait pourtant été débuté avant même le

conflit 115 .

Avec la disparition du lac, c’est l’équilibre de l’ensemble du projet qui est menacé. Ilsuffit de regarder le plan du parc dressé par Bellemain en 1937 (cf. document 3, p.37) pours’en convaincre : une immense zone aquatique en plein centre du jardin doit désormais êtreremplacée par un nouvel équipement.

111 ADR, 4326 W 1, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, p.3112 Ibid., p.4

113 Ibid., p. 70114 ADR, 4326w 1, Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil Général du Rhône, 04/10/1954115 ADR, 4326w1, Parc de Parilly ; travaux et dépenses depuis 1945, 06/07/1960

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Mais le lac ne constituait pas uniquement un attrait pour les visiteurs, il représentait lecœur même du parc : un grand réservoir liquide. D’ailleurs l’expertise hydrologique ne seprononce favorablement sur la capacité du site à recevoir les plantations qu’on lui destine

qu’en ne tenant compte de la présence du lac 116 .

Document 7: détail du plan de Lyon sur lequelapparaissent les tracés du Boulevard et du Canal de Ceinture

note de légende117

C’est pourquoi la première vague de plantation est un échec. En effet, la séance de lacommission de surveillance des travaux du 8 juillet 1950 fait état de la constatation suivante :

« M. Cherrey, Conservateur des Eaux et Forêts, expose la situation desplantations faites en 1949 […] Ce chef de service indique qu’il semble que l’ondoive compter sur un déchet assez sérieux bien que, après la mise en terre, cesplans aient paru pouvoir donner de bons résultats. De même, un échec presquetotal semble devoir être enregistré pour les jeunes résineux, qui ont été plantésen décembre 1949 et qui, pour la plupart, ont séché au printemps118. »

116 ADR, 694w351, expertise de M. Roman, professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Lyon, concernant le projetde création d’un parc boisé au lieu dit « Parilly ».

117 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône », p. 66.118 ADR, 4326 w 1, compte-rendu de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 08/07/1950

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Puis il est précisé un peu plus loin :

« M. Cherrey indique que devant cette situation, il serait favorable pour proposerde planter provisoirement en acacias et pour un temps déterminé, le zones duterrains du Parc les plus pauvres et les plus exposées à la sécheresse. »

Ce nouveau problème qui vient s’accumuler aux destructions de la guerre et àl’interruption du chantier entraine à son tour de fâcheuses conséquences.

En premier lieu, les plants achetés sont inutilisables, ce qui nécessite de nouvellesdépenses. On est bien loin de la devise « tout pour le projet social, rien pour le gaspillage »de 1939 !

Le contexte financier est d’ailleurs très morose pour le parc, et la commission desurveillance doit régulièrement revoir ses prévisions de dépense à la baisse, comme en1949 par exemple :

« Sur le crédit de 44.064.795, il convient de déduire un crédit 5.000.000 gagé surfond d’emprunts, non encore réalisés. En définitive c’est un crédit de 44.064.795 –5.000.000 = 39.064.795 francs sur lequel il faut compter119. »

Ce crédit qui sera finalement dégagé dans les mois qui suivront sera d’ailleurs utilisédans sa totalité pour compenser la perte de ces plants, selon la répartition suivante :

« 2 millions seront affectés au Service de l’Architecture pour l’exécution de sestravaux d’adduction d’eau. 3 millions seront réservés pour le Service des Eaux etForêts afin de permettre la réalisation de nouvelles plantations d’automne120. »

Enfin, dernière illustration de la réduction budgétaire qui frappe le parc, la commissionaborde en novembre 1951 la question de la réalisation d’un « aquarium spectaculaire »prévu au programme des travaux de 1939. Il est alors décidé de lancer cet aménagement

au cours de l’année suivante « s’il se révèle des disponibilités budgétaires suffisantes 121 ».

Le fait que la question ne soit ensuite plus jamais abordée, et que l’aquarium ne figurepas sur la liste des travaux accomplis par la suite montre assez l’état des finances du parc122 .

La seconde conséquence qui découle directement de l’échec de la première vaguede plantation est le retard toujours plus important que prend le chantier sur les projectionsavancées avant la guerre.

119 Archives privées de Jean Brun, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé

de Parilly, 02/08/1949120 Archives privées de Jean Brun, compte rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé

de Parilly, 22/11/1949121 ADR, 4326w1, compte rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 26/11/1951

122 ADR, 4326w1, Parc de Parilly ; travaux et dépenses depuis 1945, 06/07/1960

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Quatravaux Sylvain - 2008 45

Ainsi, le contraste est frappant entre l’annonce faite par le magazine « La VieLyonnaise » en juillet 1935 :

« Ne croyez pas, d’ailleurs, que le Parc de Parilly ne soit qu’un projet à réalisationplus ou moins lointaine. Déjà plus de cent hectares sont la propriété dudépartement et l’on compte que dans moins d’un an, l’aménagement de cenouveau parc pourra être entrepris et conduit sur une grande échelle123. »

Et la constatation dressée par la Commission de surveillance en novembre 1954 :

« Le Département a acquis en 1934, pour l’annexer au Parc de Parilly enformation, l’ancienne pépinière Jacquier de 93.000 m² complantée d’arbresde haute futaie, résineux et feuillus. Cette masse boisée est la seule partiesusceptible, dans ce parc de 200 hectares, d’offrir dès à présent une zoneentièrement ombragée124. »

Autrement dit, près de vingt ans après le lancement du projet, les seuls arbres arrivésà maturité sont ceux qui étaient déjà plantés avant le début des travaux.

Après le projet grandiose de l’entre-deux guerres et l’ébullition du chantier jusqu’audébut de l’année 1939, la désillusion de l’après conflit est cruelle : les combats ont laisséle site dans un état déplorable ; le Conseil Général a d’autres priorités que la création d’ungrand parc urbain, et le budget alloué s’en ressent.

De plus, l’abandon du projet de Canal de Ceinture a un effet boule de neige désastreux :sans Canal, le lac ne peut être réalisé ; sans lac, l’eau manque pour les plantations prévues ;sans plantations, le chantier prend du retard et perd de l’argent.

Mais les modifications les plus importantes qui seront apportées au projet neproviennent ni des destructions de la guerre, ni du manque de fonds, mais bien duchangement de contexte que la guerre a opéré brutalement : le temps des urbanistes etdes hygiénistes des années 1930 est révolu, les priorités de politique publique ont étébouleversées par le conflit.

Chapitre 5: Un nouveau contexte

123 La Vie Lyonnaise, 27/07/1935, p.5124 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly,

23/11/1954

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La guerre, et les destructions qu’elle a engendrées, ont porté un premier coup au projetde grand espace libre dont rêvaient les hommes issus des problématiques hygiénistes eturbanistes : Bellemain et Bollaert. Cependant, le contexte de politique publique dont il aété question en première partie, celui dans lequel le planificateur avait pour mission derationnaliser le développement de la cité, en même temps qu’il devait veiller à la créationde nombreuses œuvres à vocation hygiéniste (tels que les espaces libres, purificateurs del’air) s’est achevé au moment où le conflit a éclaté.

A la Libération, l’urgence ne permet pas de traiter convenablement les problèmesdu parc, et à l’orée des années 1950, lorsque le chantier reprend véritablement, ce sontde nouvelles problématiques qui s’imposent aux pouvoirs publics : la nécessité se faitdésormais sentir de bâtir de vastes ensembles de logements, et l’heure n’est plus à lacréation d’un grand parc urbain.

De plus, les vingt ans qui se sont écoulés depuis le lancement du projet ont égalementdes effets sur les équipes dirigeantes des travaux publics : Bollaert a été remplacé à sonposte de préfet, et Bellemain disparait en 1952, ne laissant plus que des hommes issus ducontexte de l’après guerre pour achever un projet d’un autre temps.

5.1 De nouveaux objectifs

Au début des années 1950, la vision de la ville a été totalement bouleversée. Si la notiond’Urbanisme, introduite en France au début du siècle, s’est définitivement imposée dans lepaysage architectural au point de bénéficier de son propre ministère, le nom complet decelui-ci suffit à résumer les nouvelles problématiques : ministère de la Reconstruction etde l’Urbanisme. Les outils comme les buts poursuivis ont évolués en même temps que lecontexte historique.

5.1.1 « Schéma d’aménagement » plutôt que « plan d’extension etd’embellissement »

De la même façon que l’apparition de l’outil du plan était la traduction concrètedu développement d’un nouveau contexte de politique publique, la transformation desméthodes des pouvoirs publics après la seconde guerre mondiale trahi la modification dela vision de la ville opérée suite au conflit.

Bien que l’Histoire ne se répète jamais, elle semble souvent suivre les mêmesschémas : de nouveaux problèmes induisent de nouvelles problématiques, qui induisent denouveaux outils, qui mènent à l’adoption de nouvelles lois, qui obligent une modification despratiques, qui entrainent de nouvelles créations.

Ainsi, tout comme la Révolution Industrielle et l’apparition de nombreuses maladies ausein des villes a fini par mener à l’adoption de l’outil du plan et à la création de nombreuxespaces libres, la guerre et les destructions qui l’ont accompagnée imposent de nouveaux

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objectifs aux pouvoirs publics : il s’agit désormais de « construire en masse, rapidement et

à moindre coût 125 ».

Comme l’explique parfaitement le numéro d’avril 2008 de la revue AMC, le processusest extrêmement logique : pour répondre à cet impératif, l’Etat va se tourner vers denouvelles méthodes de construction, notamment la préfabrication en béton.

Et là encore, c’est une loi qui marque le début d’une nouvelle façon de faire lapolitique publique : en mai 1951, la loi dite du « Secteur Industrialisé » instaure un « plannational de construction de 10 000 logements par an pendant 5 ans ». Cette loi va modifierprofondément le processus de production. Jusqu’alors, l’architecte était le seul responsablede l’élaboration du projet et de sa réalisation. A partir de mai 1951, il est obligé de collaboreravec un bureau d’études techniques (BET) « dès les premières esquisses ». De plus :

« Les entreprises, organisées en groupement placé sous l’égide del’ « entreprise-pilote » qui joue le rôle de mandataire commun auprès du maîtred’ouvrage, peuvent dès lors être consultées sur présentation d’un avant-projetdétaillé et établir en retour un dossier d’exécution très complet. »

Enfin, les besoins de reconstruction étant nationaux, l’Etat lance une consultation àl’échelle de tout le pays afin de mettre en commun les savoirs et les pratiques développés

à chaque opération 126 .

Les pratiques se modifiant, l’appellation officielle des outils de la politique publiquechange, afin de marquer concrètement que ceux-ci ne recouvrent plus exactement lamême réalité. C’est la raison pour laquelle le « plan d’extension et d’embellissement de laVille de Lyon» de 1935 devient en 1951 le « schéma d’aménagement de l’agglomération

lyonnaise 127 ». Et, toujours suivant le même processus que pendant l’entre-deux guerres,

c’est la comparaison internationale, en particulier avec le voisin anglais, et la prise deconscience d’un retard français en la matière qui est le moteur de la transformation. Leschéma d’aménagement s’inspire en effet « des travaux des planificateurs britanniques pour

le Grand Londres 128 », c'est-à-dire la réalisation de grands ensembles urbains appelés

« unités de voisinage » 129 .

Suite aux bouleversements dus au conflit, c’est donc un tout nouveau contexte depolitique publique qui s’ouvre avec les années 1950, et les nouveaux outils développés parles pouvoirs publics ne sont que le reflet des nouvelles exigences, et du nouveau regardporté sur la ville.

5.1.2 Des « Park Way » plutôt que des « espaces libres »

125 AMC, n° 178, avril 2008126 Ibid.127 Bulletin de la société académique d’architecture de Lyon, n° 5, mai 2003128 AMC, n° 178, avril 2008129 Bulletin de la société académique d’architecture de Lyon, n° 5, mai 2003

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48 Quatravaux Sylvain - 2008

Si les premières recherches françaises en matière de construction de grandsensembles d’habitation s’inspirent, comme pendant l’entre-deux guerres, des innovationsétrangères et particulièrement britanniques, c’est Lyon qui, cette fois-ci, sera le premier sitechoisi pour expérimenter ces nouvelles méthodes, et qui servira par la suite de modèlenational.

En effet, dès 1945, le Schéma d’Aménagement de l’Agglomération Lyonnaise prévoitla réalisation de quatre « Unités de Voisinages » dans la banlieue lyonnaise. L’objectif estclairement défini : il s’agit d’urbaniser fortement des zones situées à la périphérie de la ville,et donc encore peu bâties, afin de loger rapidement une population très importante.

Le projet prend le nom de « Portes de Lyon » : chaque carrefour formé par le croisementdu Boulevard de Ceinture et d’une grande artère pénétrant dans la ville en accueillera une130 .

A partir de cette optique préliminaire, c’est tout naturellement que le choix du premiersite sensé recevoir ce nouvel équipement se soit porté sur les terrains placés aux alentoursdu parc de Parilly, car toutes les qualités requises s’y trouvent réunies : il s’agit d’une vastezone, à l’immédiate périphérie de l’agglomération, située au croisement du Boulevard deCeinture et de l’Avenue Jean Mermoz, et dont les terrains appartenaient déjà, de surcroît,au département.

130 Ibid.

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Quatravaux Sylvain - 2008 49

Document 8: vue aérienne de l’unité de voisinage de Bron-Parilly

note de légende 131

De plus, il convient de noter que l’attribution de la construction des 2600 logements dela première unité de voisinage du Rhône, appelée « Bron-Parilly », à l’Office départementaldes HLM du Rhône n’est pas un hasard. En effet, le président du Conseil Général, LaurentBonnevay, est à l’époque également président de l’office HLM. C’est donc bien le ConseilGénéral qui décide de favoriser la construction de l’ensemble d’habitations, au détriment

du parc de Parilly 132 .

131 Ibid.132 Ibid.

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Document 9: plan de masse de l’unité de voisinage de Bron-Parilly, au 1/2000e

note de légende 133

Et le choix opéré traduit bien les nouvelles priorités induites par le contexte, puisqu’en1952 toute la partie nord du parc, c'est-à-dire plus de 15 hectares, est dédiée à la réalisation

du projet Bron-Parilly 134 . Sur le plan du projet initial (cf. document 3, p.37) cela correspond

à la « zone d’éducation par la vue » et toutes les plantations prévues autour de l’entréed’honneur. Après le projet de lac, c’est une autre partie importante du parc qui se trouveprofondément modifiée.

De plus, l’optique même selon laquelle l’unité de voisinage de Bron-Parilly est réaliséeva totalement à l’encontre de la vision de l’urbain défendue par les créateurs du parc. Eneffet, le projet de « portes de Lyon » a la volonté de transformer la zone en un « park way »,

133 Ibid.134 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965

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c'est-à-dire un réseau d’habitations et de voies de circulation intégrées à des espaces verts,et faire de ces « noyaux résidentiels à forte densité de population » placés le long duBoulevard de Ceinture, renommé dans le cadre du projet « ceinture verte », de nouveaux

centres péri-urbains, attractifs et dynamiques pour les zones environnantes 135 (cf.document 8 p.70 et document 9 p.71). Au moment de sa construction, l’unité de voisinagede Bron-Parilly est même « le plus important ensemble d’habitation jamais conçu en France136 ».

Or, dans la conception hygiéniste et urbaniste du début du siècle, le but de laplanification rationnelle sur le long terme est justement de réserver des zones non encore

bâties, et de les constituer en espaces libres afin de « dédensifier le tissu urbain 137 »

et lutter contre la propagation des maladies (qui pullulent dans les milieux où la populationest très concentrée).

L’imposition de ces nouvelles problématiques urbaines : créer des centrespériphériques, très fortement peuplés, en lieu et place des vastes réservoirs d’air pur quereprésentent les espaces libres, n’est pas le fruit du hasard, mais bien la traduction du faitqu’il ne s’agit plus des mêmes hommes qui dirigent la politique publique : les mentalités ontchangé d’autant plus vite que la guerre a effectué un renouvellement des élites politiques.

5.2 De nouveaux hommes

Le projet du parc de Parilly est la traduction des enjeux d’un contexte particulier,ce qui signifie que les politiques publiques de cette époque étaient menées par deshommes imprégnés de certaines problématiques, en l’occurrence celles de l’hygiénismeet de l’aménagement rationnel des villes. La modification des objectifs départementaux enmatière d’urbanisme est également le reflet d’un renouvellement de ses élites, et de la visiondu monde qu’elles partagent.

5.2.1 Un préfet porteur d’un projet

Sans faire de Parilly le projet d’un seul homme, il convient de souligner l’importance durôle joué par Emile Bollaert au sein du processus de création. En premier lieu, c’est lui quisoumet l’idée au Conseil Général, et la revue Technica ne s’y trompe pas en précisant :

« M. le Préfet Bollaert a fait admettre par le département l’établissement d’ungrand parc boisé à Parilly138. »

135 AMC, n° 178, avril 2008136 Ibid.137 M. Charvet, op. cit., p.62

138 Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travaux dans la région du Rhône », p. 23

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52 Quatravaux Sylvain - 2008

C’est lui encore qui préside le jury du concours pour l’aménagement du parc, celui-làmême qui décide de ne pas attribuer de premier prix, « aucun projet dans son expressionn’apparaissant répondre entièrement à tous les désirs exprimés dans le programme et ne

pouvant, dans ces conditions, être susceptible d’une exécution intégrale immédiate 139 »,

preuve que l’idée du parc est déjà assez précisément formée dans l’esprit de ces hommes.

Ainsi, si le projet n’est pas entièrement réductible au seul Bollaert, il n’en est pas moinsindéniable que celui-ci l’a porté depuis son balbutiement jusqu’au moment du conflit, et queles problématiques hygiénistes qui transparaissent sont le reflet de la vision de la ville etdes inspirations urbanistes du préfet.

Or, Bollaert est remplacé sous Vichy, car il refuse de prêter serment au maréchal Pétain.A la Libération, son engagement dans la Résistance lui vaut une promotion : il est nommécommissaire de la République à Strasbourg. Il reviendra dans la région en 1949, mais entant que directeur du conseil d’administration de la Compagnie nationale du Rhône.

Sans son principal instigateur pour le défendre, il est donc moins étonnant que le projetinitial soit modifié au point que l’objectif affiché apparaisse comme l’exact inverse de l’idéede départ.

Conscient que les enjeux d’aménagement de la ville développés durant les années1930, auxquels le parc de Parilly devait apporter une réponse, ont été bouleversés par leconflit et remplacés par ceux de la reconstruction, Bollaert tente malgré tout de réorienterla politique du Conseil Général en faveur du parc.

Ainsi, il dépose un rapport sur la création du parc de la Courneuve, à Paris, dans l’espoirque les aménagements du parc boisé et de l’unité de voisinage puissent être réalisés en

concertation 140 . Cependant, si la commission prend bonne note de la réception du rapport,

il n’y est plus jamais fait allusion par la suite, et les deux organes départementaux que sontcette commission et l’organisme des HLM fonctionnent totalement indépendamment l’un del’autre.

5.2.2 Gagès plutôt que Bellemain

Si Bollaert ne siège plus à la préfecture depuis la guerre, l’architecte chargé du projet,Paul Bellemain, est reconfirmé dans ses fonctions de direction de la construction du parc

par le Conseil Général, le 14 mai 1948 141 . Il est même désigné comme « architecte en chef

du département » à partir de 1949, preuve de son influence 142 . Cependant, sa disparition

le 31 août 1953 prive le parc d’un autre homme important issu du contexte de politiquepublique de l’entre-deux guerres.

Après la mort de Bellemain, le nouvel architecte qui se voit confier la réalisation la plusimportante de France au moment de la reconstruction est René Gagès. Il se retrouve ainsià la tête du chantier de l’unité de voisinage Bron-Parilly.

139 ADR, 4326 w 1, Résultats du concours pour l’aménagement du Parc boisé de Parilly, 24/02/1936140 ADR, 489 w 711, compte rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 11/03/1957141 ADR, 4326w1, compte rendu de séance du Conseil Général, 14/05/1948142 ADR, 4326 w 1, note sur le parc boisé de Parilly, 03/11/1949

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Gagès est d’une autre génération, il n’a en effet que treize ans lorsque Bollaertsoumet son projet au Conseil Général. Il est donc issu d’un autre contexte et est d’ailleursparfaitement conscient que la réalisation d’un ensemble de logements, le plus grand deFrance à l’époque, dans la périphérie lyonnaise est la traduction des nouveaux enjeux del’époque. Il écrit même :

« L’opération de Bron-Parilly fut l’expérience la plus manifeste, tant par sonenvergure territoriale que par la transformation culturelle qu’elle suscita. Ilse trouve que dans le contexte lyonnais, l’introduction du langage Moderne-International restait un acte culturel essentiel et tout entier instaurateur143. »

Plus qu’une réduction de budget ou une détérioration du site suite aux violents combats,c’est bien d’une réorientation totale de la politique départementale en matière d’urbanismedont le projet initial de parc boisé est victime : l’heure n’est plus à la création de vastesréserves d’air pour lutter contre les maladies et la surpopulation. Désormais, il faut aucontraire bâtir un vaste ensemble d’habitations, en périphérie, afin de relancer la dynamiqueurbaine depuis sa banlieue. C’est le temps des HLM, plus celui des espaces libres.

Il n’est cependant pas question d’abandonner le projet, puisque les expulsions réaliséesont été déclarées d’utilité publique en 1937, la loi oblige le Conseil Général à réaliser leparc. Face à ce nouveau contexte, la commission chargée des travaux du parc n’a plus qu’às’adapter : aménager ce vaste espace et les équipements déjà réalisés du mieux possible.

Chapitre 6 : Zone de sport et espaces vertsLa ligne directrice du parc fixée par le préfet Bollaert était claire : « une réserve boisée,

susceptible de recevoir divers aménagements 144 », afin de répondre à la double injonction

hygiéniste : purifier l’air, fortifier les hommes. Suite à l’interruption du chantier par la guerre,aux destructions dues au conflit, à l’abandon du projet de Canal de Ceinture et donc delac, à la diminution du budget, à l’amputation d’une grande partie du site pour construire unensemble HLM, au remplacement du préfet, à la disparition de Bellemain, et surtout à laredéfinition de l’ensemble de la politique urbaine du département, il ne reste plus beaucoupde caractéristiques du projet initial. La commission de surveillance des travaux décide alorsde redéfinir le projet : il s’agit d’élaborer un vaste « espace vert » et de concentrer les effortsd’architecture sur la création d’un grand complexe sportif.

6.1 La réorientation du projet

Suite à la mort de Paul Bellemain, en août 1953, la commission de surveillance seréunit pour statuer sur son éventuelle succession. A la lecture des comptes-rendus dedébats, on s’aperçoit que la mort de l’architecte représente plutôt un soulagement pour lacommission : elle n’est désormais plus tenue légalement de suivre à la lettre le programme

143 Bulletin de la société académique d’architecture de Lyon, n° 5, mai 2003144 ADR, 4326 W, lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône

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de travaux élaborés avant la guerre et peut donc modifier le parc pour l’ajuster à tous lesbouleversements dont il été question précédemment.

6.1.1 La délicate question de la succession

Afin de pouvoir continuer l’exécution des travaux d’aménagement du parc, le ConseilGénéral doit nommer un nouvel architecte pour diriger le chantier. C’est la question qui estabordée lors de la séance du 11 décembre 1953.

Or René Bellemain, neveu de Paul Bellemain et architecte lui aussi, sollicite la

succession de son oncle par un courrier adressé au Conseil Général le 3 décembre 145 .

Face à cette situation, les obligations du Conseil Général sont nulles. En effet, ladirection des travaux a été confiée à Paul Bellemain par l’assemblée le 15 mai 1936 intuitupersonae , c'est-à-dire qu’ « il n’y a pas eu constitution d’un droit transmissible à ses héritiers146 ». Bien que les associés de l’architecte décédé apportent leur soutien à la candidaturede René Bellemain, le Conseil Général saisi toute la portée des obligations dont le déchargela disparition de Paul Bellemain : il a désormais toute latitude pour modifier le projet initial etle rendre plus conforme aux nouvelles exigences du contexte et aux nouvelles dispositionsbudgétaires du département vis-à-vis du parc. C’est la raison pour laquelle il est précisé :

« Le terrain étant ainsi déblayé, nous aurions pu statuer, si les vastes projetsde construction de Bron-Parilly ne laissaient prévoir des modificationssubstantielles au plan initial du Parc147. »

Le Conseil Général décide donc de confier le règlement de la question à la commissionde surveillance des travaux. Celle-ci se réunit le 26 janvier 1954 pour statuer sur lasuccession de l’architecte.

Le problème se révèle alors double : il y a, d’une part, la nécessité de nommerun nouveau technicien pour achever les travaux de construction d’un équipement de« vestiaires-douches », dernier aménagement à effectuer pour terminer le chantierconcernant la zone des sports.

D’autre part, il convient de nommer un architecte qui se verra confier la direction del’ensemble des travaux du parc, dans le but de terminer le projet débuté en 1934.

Devant l’urgence qu’il y a à achever la zone des sports (le projet de parc étant votédepuis presque vingt ans, et aucun des équipements prévus n’étant encore disponibles aupublic), la commission désigne alors M. Agniel comme directeur des travaux de constructiondes vestiaires-douches. Celui-ci avait en effet été chargé du dossier par Bellemain, avantsa mort.

145 Archives privées de Jean Brun, compte rendu de séance du Conseil Général, 11/12/1953146 Ibid.

147 Ibid.

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Cependant la commission souhaite conserver les mains libres en ce qui concerne leprojet d’ensemble et elle précise :

« La commission de Surveillance […] déclare expressément que cette décisionne lie en aucune manière la Commission pour la désignation ultérieure dusuccesseur de M. Bellemain en qualité de directeur de l’ensemble du projet decréation et de la conduite des travaux d’architecture du Parc de Parilly148. »

La commission reporte donc à plus tard la désignation d’un nouvel architecte.Cependant, les débats et les conclusions qui suivront ne laissent aucun doute sur lesintentions des membres de la commission vis-à-vis du projet initial du parc.

Ainsi, en juin 1954, sous le titre révélateur de « nomination éventuelle d’un architectedu parc » la question est à nouveau abordée en ces termes :

« Lors de sa dernière réunion du 26 janvier 1954, la Commission […] avaitconstaté que le Département, libre de tout engagement, pouvait « repenser »le problème du Parc avec des techniciens de son choix. Par suite dudéveloppement de zones d’habitations avoisinant le Parc, il apparait opportun parexemple de modifier la conception initiale d’une Entrée d’honneur unique149. »

Finalement, une fois les travaux de construction des vestiaires douches achevés,aucun architecte n’est nommé en tant que chef du projet d’ensemble, et chaque fois qu’unbesoin ponctuel se fait sentir « les travaux d’architecture sont effectués directement par la

Direction des Services Techniques du Département 150 ». Autrement dit, la commission

choisi de préserver la liberté d’action qui lui a été octroyée par la disparition de l’architecteBellemain : sans responsable extérieur de la cohérence d’ensemble du projet, et du respectdes projections initiales, elle peut désormais modifier à sa guise la direction choisie vingtans auparavant, par des hommes issus d’un autre contexte.

6.1.2 Des espaces verts et des parkings

Comme il a déjà été évoqué précédemment, la plupart des équipements initialementprévus a été successivement abandonnée, et au moment de la disparition de PaulBellemain, seules deux réalisations en cours sont conformes au plan de 1937 (cf. document3, p.37). Il s’agit de la zone des sports et de l’Entrée d’honneur. La première est pratiquementachevée et son ouverture au public ne dépend plus que de la construction des vestiaires-douches, et les travaux de terrassement de la seconde ont déjà débutés.

Cependant, l’attribution de 15 hectares de la partie nord du parc à l’office HLMvient bouleverser ces aménagements, ainsi que l’augmentation de la circulation lelong de l’avenue Mermoz (qui longe le parc, et notamment l’emplacement prévu de

148 ADR, 4326w1, Commission de Surveillance du Parc boisé de Parilly, 26/01/1954149 Archives privées de Jean Brun, compte-rendu de séance de la Commission de surveillance des travaux du Parc boisé

de Parilly, 25/06/1954150 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965

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l’Entrée d’honneur) conduisent à la remise en question du projet initial. Celui-ci prévoitl’aménagement de l’entrée en un vaste espace pourvu d’un petit plan d’eau et d’unecascade, d’une grotte et d’une allée à piétons, ainsi que d’un escalier d’accès qui enjambe

l’avenue Mermoz 151 .

Le projet est petit à petit réduit à un strict minimum : dans un premier temps, en juin 1953(juste avant la mort de Bellemain), les travaux de construction de l’escalier d’accès sontarrêtés, et l’entreprise qui les effectuaient dédommagée à cause de l’abandon du chantier152 . Bellemain proposait alors de remplacer cet aménagement par la construction d’un mur,protégeant le parc de l’avenue, et la construction d’un théâtre de verdure, initialement prévuà un autre endroit du parc. Mais cette proposition est rejetée, car elle signifie la créationd’une clairière à l’emplacement de l’ancienne pépinière qui « est actuellement, de tout le

Parc, le seul endroit ombragé où est admis le public 153 ». En d’autres termes, le retard

du chantier est tel que les zones achetées en l’état au moment de la création du projet sontles seules qui soient utilisables, et qu’il n’est pas question d’y apporter de modifications.

Au cours de la dernière séance à laquelle Bellemain ait assisté, le 7 juillet 1953, lesdébats portaient sur l’aménagement ou non d’un rond point au croisement de l’avenueMermoz et du boulevard de Ceinture, les travaux ayant pour but de ralentir la circulation auxabords de l’entrée d’honneur, et donc de permettre son aménagement dans la continuité dela ligne directrice du plan initial.

Cependant, la commission rejette la proposition de rond point au motif suivant :

« Les projets qui sont soumis à la Commission de Surveillance s’écartent defaçon notable du projet initial approuvé par le Conseil Général en 1936 ; cestransformations non seulement intéressent la conception architecturale du Parc,aux abords de l’entrée d’honneur, mais tendent aussi à des aménagementsimportants des voies de circulation qui n’avaient pas été prévus à l’origine,notamment en ce qui concerne le carrefour avenue Jean Mermoz - Entréed’honneur du Parc154. »

La commission semble ici soucieuse du respect du plan initialement prévu, etcommande même qu’une « étude d’ensemble » soit réalisée, afin que les modifications àapporter puisse s’intégrer au sein d’un projet qui conserverait une cohérence.

Cependant, une fois Bellemain décédé, lorsque la question est à nouveau abordée parla Commission, il n’est plus question de cohérence d’ensemble (puisque aucun architectechargé de la garantir n’est même nommé), et le respect du projet initial n’est plus à l’ordredu jour.

151 Archives privées de Jean Brun, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé deParilly, 02/06/1953

152 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 29/06/1953153 Ibid.

154 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly,

07/07/1953

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En effet, lors de la séance du 26 janvier 1954, la première de la Commission deSurveillance depuis la mort de l’architecte, la proposition d’aménagement est la suivante :

« On dispose donc, à l’heure actuelle […] d’une vaste esplanade, que l’on pourraitplanter en partie pour créer un « espace vert » et aménager le reste en « parking »pour les voitures des visiteurs155. »

Cette proposition sera acceptée, et le parking sera achevé au cours l’année 1956 156 .

Bien que l’aménagement d’un parking représente sans aucun doute un projet « qui s’écartede façon notable du projet initial », la création de l’espace vert peut sembler au contraireêtre une tentative de conservation de l’idée première.

Malgré tout, le glissement sémantique d’ « espace libre » à « espace vert » n’est pasanodin. En effet, le premier est caractérisé par l’absence de constructions. Son but, commeil a été précédemment expliqué, est de préserver une zone pour en faire à la fois un réservoird’air pur, ainsi qu’un lieu d’éducation pour les populations qui le fréquentent. L’espace libres’inscrit dans une conception hygiéniste et militante de l’urbain.

En revanche, l’espace vert, comme nous le rappelle le guide du ministère du cadre devie, occupe une fonction « d’équilibre psychologique de l’homme », qui sert à rappeler le

cycle biologique et à apaiser l’esprit grâce à la couleur verte 157 . L’espace libre cherche à

transformer l’homme, l’espace vert cherche à le calmer.

Ainsi, après tous les contrecoups qu’à subit le projet depuis le conflit, la disparition deson architecte signe la réorientation définitive du parc. L’étude de l’ensemble des travauxréalisés au sein du parc entre la fin de la guerre et 1959 révèle l’existence d’uniquementdeux postes budgétaires, en supplément des travaux de voirie : un vaste programme deplantations pour réaliser l’espace vert que le parc est appelé à devenir, et de grands effortsd’aménagement de la zone des sports, qui sera au final le seul équipement à figurer à lafois sur le plan de 1937 et au sein du parc actuel.

6.2 Le cœur du parc : un vaste complexe sportif

Malgré le changement de priorité effectué par le département suite auxbouleversements dus au conflit, un des équipements prévus dans le plan initial du parc rested’actualité : la réalisation d’un complexe sportif péri-urbain, à destination de la populationlocale et notamment des futurs habitants de l’unité de voisinage de Bron-Parilly. Lesefforts consentis en vue de l’aménagement de cette zone sont extrêment importants encomparaison de l’investissement dans le reste du parc, et un fait marquant résume bien cetétat d’esprit : la seule inauguration qui aura lieu au sein du parc sera celle du stade.

6.2.1 Le seul équipement jamais réalisé

155 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance du parc boisé de Parilly, 26/01/1954156 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965157 AML, 1559 WP 011, Espaces verts et qualité de vie – guide pratique à l’usage des élus locaux.

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58 Quatravaux Sylvain - 2008

Le plan du futur parc dessiné en 1937 (cf. document 3, p.37) fait apparaitre, outre lelac, la patinoire et l’entrée d’honneur, sept grands équipements. Au final, seule la zone dessports sera réalisée. On pourrait y voir la volonté du Conseil Général et de la Commission deSurveillance de respecter du mieux possible, en fonction des nouveaux enjeux de la zoneet des nouvelles contraintes budgétaires, la volonté des premiers créateurs du parc.

Cependant, l’état des travaux réalisés entre 1945 et 1959 montre qu’il n’en est rien. Eneffet, les travaux d’aménagement de la zone ne débutent qu’en 1952, à un moment doncoù les terrains nécessaires à la construction de l’ensemble Bron-Parilly ont déjà été cédés à

l’office HLM 158 , et où les nouvelles priorités de politique publique sont clairement définies.

Ce vaste complexe, plutôt que le reliquat d’un contexte de politique publique déjà dépasséest au contraire la traduction la plus concrète de la transformation des enjeux du site. Leprojet de Bron-Parilly prévoyant l’aménagement de toute la zone en un « park way », lecomplexe sportif qui est créé s’inscrit bien plus dans la continuité de ce projet, que danscelle des problématiques hygiénistes chères à Bollaert et à Bellemain.

Ainsi, non seulement les installations sportives sont le seul équipement prévuinitialement à être jamais réalisé, mais leur aménagement dépasse même les dispositionsprévues par le plan de 1937. Celui-ci fait état d’un stade, de deux terrains de rugby, deuxterrains de football et quatre terrains de basket-ball.

En réalité, le parc compte aujourd’hui, outre le stade, sept terrains de football à onze,quatre terrains de football à sept, un terrain de rugby, huit de basket, trois de handball, un

de volley et un de hockey, ainsi qu’une piste de cross-country 159 .

La redéfinition du projet de parc de Parilly de « vaste réserve boisée » dotéede nombreux équipements à un vaste complexe sportif entouré d’espaces verts estparfaitement illustré par la comparaison entre le plan de 1937 (cf. document 3, p.37 ) avecle plan du parc tel qu’il apparait aujourd’hui (cf. document 10, p. 85).

Cette nouvelle utilisation du site de Parilly est toute entière résumée par l’inaugurationofficielle.

6.2.2 Une inauguration de stade au lieu d’une inauguration de parc

Devant l’avancement rapide des travaux de la zone des sports, le stade étant déclaré

« pratiquement terminé » en septembre 1952 160 , la commission émet l’idée que lesinstallations sportives pourraient être utilisées par les scolaires ou les associations de larégion, moyennant le versement d’une redevance au parc.

Une première convention est donc signée le 31 janvier 1953 entre le Département duRhône et l’Inspection académique pour réguler l’utilisation par cette dernière du complexesportif de Parilly, puis une nouvelle convention sera signée le 14 juin 1955, pour tenir compte

de la présence des vestiaires-douches, achevés peu avant 161 .

158 ADR, 4326w1, note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965159 Archives privées de Jean Brun, plaquette de présentation du Parc de Parilly160 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 25/09/1952161 ADR, 489w711, certificat d’utilisation des installations sportives du parc boisé de Parilly, 10/12/1955

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Seconde partie : Une réalisation des années 1950

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Il convient de rappeler qu’au moment où la zone des sports est suffisamment avancéepour être louée au public, la seule zone boisée du parc est celle qui a été achetée en l’état

avant la guerre, et qu’aucun autre équipement n’est construit 162 .

Document 10 : plan actuel du parc

note de titre 163

L’utilisation des terrains de sport se poursuit néanmoins parallèlement aux travauxsupplémentaires d’aménagement de la zone des sports, et en 1957, une nouvelle questionest portée à l’attention de la commission de surveillance en ces termes :

162 ADR, 4326w1, compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boisé de Parilly, 29/06/1953163 Archives privées de Jean Brun

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« M. Bouvatier rappelle que le grand stade est terminé, que les pistes et pelousessont utilisables et que tous le matériel annexe est acquis. Avant de mettre leStade à la disposition des Sociétés pour des manifestations sportives, il estimequ’il serait souhaitable qu’une inauguration officielle de celui-ci ait lieu en1957164. »

Le besoin d’une inauguration se fait sentir afin de « permettre à la population lyonnaise

de connaître les belles réalisations du Parc de Parilly 165 ». Cette très belle métonymie

(l’emploi de « Parc de Parilly » pour désigner simplement une partie de celui-ci, le complexesportif) est extrêment révélatrice de la réorientation du projet : le parc se résume désormaisà ses installations sportives.

Et effectivement, l’inauguration du stade le 2 juin 1957 sera la seule inaugurationofficielle dont bénéficiera le parc.

164 Archives privées de Jean Brun, compte-rendu de séance de la commission de surveillance ds travaux du parc boisé

de Parilly, 14/01/1957165 Ibid.

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Conclusion de la seconde partie

Quatravaux Sylvain - 2008 61

Conclusion de la seconde partie

La guerre et ses bouleversements ont ainsi joué un rôle primordial dans l’histoire duparc de Parilly : non seulement la mobilisation a interrompu le chantier, mais des combatsse sont également déroulés au sein du site.

De plus, après le conflit les caisses sont vides et les problèmes sont nombreux, le parcest donc laissé un peu plus longtemps à l’abandon, ou presque.

Mais si la guerre représente un tournant pour le parc, c’est moins pour toutes les raisonsque l’on vient d’énumérer que parce qu’elle fait brusquement basculer la politique publiquedans un nouveau contexte. Subitement, les préoccupations hygiénistes de constructiond’espaces libres pour purifier l’air et celles des urbanistes d’aménagement rationnel desvilles ne sont plus à l’ordre du jour. Certes, l’hygiène compte, et le développement des citésest toujours pensé à long terme, mais l’urgence réside dans la reconstruction.

Les pratiques et les savoir-faire ne viennent plus des milieux scientifiques, mais del’industrie du bâtiment.

La même zone urbaine qui, vingt ans auparavant, représentait pour le préfet et leConseil Général un site parfaitement adapté à la création d’une vaste réserve boisée,entourée de très nombreux équipements, est pour les pouvoirs publics des années 1950l’endroit idéal pour bâtir le plus grand ensemble d’habitations de France.

Les enjeux ont changé, les hommes aussi, et après Bollaert, le projet initial perd, avecla mort de Bellemain, son dernier défenseur.

Faute de moyens, gênés par la redéfinition des priorités de la zone, mais obligés malgrétout de réaliser les travaux du parc sous peine de voir les expulsions rendues caduques,les hommes de la commission de surveillance décident de transformer l’endroit pour le fairedevenir ce qu’il est aujourd’hui : un vaste espace vert, au sein duquel a été construit ungrand complexe sportif.

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Conclusion générale

A l’issue de cette enquête, l’équipement urbain qu’est le parc de Parilly semble plusfacile à appréhender, à comprendre. Grand parc urbain, plus vaste même que le Parc de laTête d’Or (178 hectares, contre 104), il reste relativement méconnu des lyonnais. Il disposed’un très grand nombre d’équipements sportifs, ainsi que d’un hippodrome, mais la majoritéde sa surface est un grand espace vert, alors que seule une minorité de promeneurs le

fréquente (28% des usagers 166 ).

Si son aspect peut apparaître relativement incohérent aujourd’hui, cela est du au longet douloureux cheminement qui a mené à sa création, et que nous venons de retracer.

Il convient donc de faire l’effort de replacer cette œuvre dans un contexte évolutif.Presque un quart de siècle sépare l’adoption du projet par le Conseil Général du Rhône etl’inauguration officielle du stade. Vingt-cinq années aux enjeux incroyablement pesants quiplus est : une guerre mondiale et une redéfinition totale des priorités nationales en termesde politique publique.

Et c’est bien ce changement de contexte que traduit le visage actuel du parc. Autrementdit, on ne peut vraiment saisir tous les enjeux de cette réalisation qu’en gardant bien àl’esprit la rupture, en termes de temps mais aussi et surtout en terme de vision de l’urbain,qui existe entre les hommes qui ont élaboré le projet et ceux qui l’ont réalisé.

Les premiers avaient pour objectif la création d’une œuvre s’insérant dans le contexted’ébullition et de renouveau des pratiques de politiques publiques issu des débatshygiénistes.

Le projet initial s’inscrit dans la continuité du grand mouvement de la prise du pouvoir dela science au sein de la ville, au moment où l’Urbain est en train de conquérir sa majuscule.

Le premier nom que porte le projet est à ce sujet révélateur : parc boisé en annexe duBoulevard de Ceinture. Réalisation typique des années 1920-1930, ce dernier est inspirédu modèle parisien, qui représente en quelque sorte le laboratoire qui a permis aux idéeshygiénistes et aux nouvelles conceptions urbanistes d’acquérir leur envergure nationale.

En présentant le parc comme le complément du futur boulevard périphérique, c’estl’ensemble de ces nouvelles idées dont Bollaert revendique la succession.

L’objectif même du parc traduit directement les préoccupations de l’époque : la luttecontre les maladies et la surpopulation par la création de vastes espaces libres, plantésd’arbres pour purifier l’air et agrémentés de nombreux équipements pour l’éducationphysique et intellectuelle des populations.

Enfin, le processus de création lui-même est révélateur de l’emprise des nouvellespratiques de politiques élaborées durant l’entre-deux guerres : le projet s’insère dans le

166 Archives privées de Jean Brun, Alkhos, Enquête de satisfaction auprès des usagers du parc de Parilly, Juin-juillet 2002,document établi pour la direction du parc de Parilly

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plan d’extension et d’embellissement de la ville en 1935. Son déroulement est, de plus,prévu dans ses moindres détails, grâce à la maitrise du processus économique, et grâceau recours aux experts.

Si la guerre n’était pas venue contrarier les prévisions, le public aurait pu sans doutese promener dès 1940 dans la réalisation la plus majestueuse issue du contexte hygiénisteet des pratiques des urbanistes.

Cependant, l’éclatement du conflit en 1939 vint mettre une fin brutale au chantier et aucontexte de politique publique qui l’avait lancé.

Outre les ravages des combats sur le site de Parilly, et la réduction budgétaire despremières années d’après guerre, de nombreuses autres embuches se sont dressées surle chemin que Bollaert et Bellemain avaient tracé : leur disparition du paysage (l’un à causede sa carrière, l’autre à cause de sa mort) laisse le projet sans véritable représentant desidéaux des années 1930.

L’abandon du projet de Canal de Ceinture prive ensuite le parc de son lac et de l’eaunécessaire aux grandioses ambitions initiales.

Mais c’est surtout le brusque changement de priorités de la politique publique quiexplique la redéfinition de l’ensemble du projet. Les destructions de la guerre entrainentd’autres problèmes pour l’aménagement urbain que le souci hygiéniste de lutter contre lasurpopulation et la maladie.

L’objectif s’inverse même : la même zone urbaine, un grand espace peu bâti à lapériphérie immédiate de la ville, change totalement d’enjeu.

Les représentations des pouvoirs publics ont basculé : là où l’on voyait auparavantl’occasion de réserver un vaste espace libre, on rêve après la guerre de créer un nouveaucentre péri-urbain à la densité de population très forte.

Cependant, les travaux d’aménagement du parc ont été déclarés d’utilité publique, etil n’est plus question d’abandonner totalement le projet, comme cela a pu être fait pour leCanal de Ceinture devenu trop coûteux.

Le département ne peut donc que réserver une partie du parc à la construction du plusgrand ensemble d’habitations de France à l’époque, l’unité de voisinage de Bron-Parilly, ettenter d’adapter le reste du site aux nouvelles contraintes et aux nouvelles pratiques issuesdes années 1950.

Le parc sera donc un vaste espace vert qui abritera un complexe sportif. D’ailleursles documents expliquant le fonctionnement actuel du parc montrent que les péripétiesqui ont jalonné son processus de création ont laissé des traces profondes encore visiblesaujourd’hui : les problèmes de sécheresse et d’alimentation en eau des végétaux ne sont

toujours pas réglés 167 . Témoignage de la fonction principale que les hommes des années

1950 ont donné au parc, la majorité des usagers sont des sportifs 168 . Enfin, le parc est

aujourd’hui fréquenté presque exclusivement par les riverains, preuve que le renom n’estpas à la hauteur du projet initial.

167 Archives privées de Jean Brun, plan simple de gestion du parc de Parilly168 Archives privées de Jean Brun, Alkhos, Enquête de satisfaction auprès des usagers du parc de Parilly, Juin-juillet 2002,

document établi pour la direction du parc de Parilly

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De la conception du "plus beau parc de France" à la réalisation du "plus grand ensembled'habitation de France".

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Au vu des ambitions affichées par le Département concernant le site de Parilly, c’est-à-dire dans un premier temps celle de réaliser un parc grandiose correspondant au contextehygiéniste de l’entre-deux guerres, et dans un second temps de créer un vaste ensembled’habitations péri-urbains en réponse aux problématiques de la reconstruction d’aprèsguerre, on ne peut conclure qu’en disant que l’irruption brutale du conflit a du même coupprivé les hommes des années 1930 du temps nécessaire à la réalisation de leur fantastiquesambitions et imposé aux hommes des années 1950 la création d’un projet d’un autre temps.

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Sources

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Sources

Archives Municipales de Lyon

1559 WP 011 : Espaces verts et qualité de vie – guide pratique à l’usage des éluslocaux.

Archives Départementales du Rhône

4326 W 1

lettre d’E. Bollaert au conseil général du Rhône, 10/1934

rapport d’expertise de l’ingénieur en chef du service vicinal sur le projet de parc boiséau lieu dit « Parilly », 10/1934.

résultats du concours pour l’aménagement du parc boisé de Parilly, procès-verbal de laséance plénière tenue par le Jury, 24/02/1936

compte rendu de séance du Conseil Général, 14/05/1948

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 08/07/1950

compte rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 26/11/1951

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 25/09/1952

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 29/06/1953

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 07/07/1953

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 26/01/1954

extrait du procès-verbal de la séance du Conseil Général du Rhône, 04/10/1954

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 23/11/1954

Parc de Parilly ; travaux et dépenses depuis 1945, 06/07/1960

note sur le parc boisé de Parilly, 23/07/1965

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De la conception du "plus beau parc de France" à la réalisation du "plus grand ensembled'habitation de France".

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489 W 711

certificat d’utilisation des installations sportives du Parc Boisé de Parilly, 10/12/1955

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly, 11/03/1957

694 W 350

arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique le projet d’acquisition de parcellesappartenant à des particuliers, 29/12/1934

arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique le projet d’acquisition des parcellesappartenant aux Hospices Civils de Lyon, 23/01/1936

arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique le projet d’acquisition de parcellesappartenant à la S.A des Automobiles Berliet, 19/05/1937

694 W 351

expertise de M. Sornay, Conservateur des Eaux et Forêts à Lyon, concernant le projetde création d’un parc boisé au lieu dit « Parilly », 10/1934

contrat de vente d’une parcelle de terrain au département, 11/1936

acte d’expropriation fondé sur la déclaration d’intérêt public des travaux à entreprendrepour la création du parc de Parilly (décret du président de la République du 22décembre 1937) et sur le décret-loi du 8 août 1935 sur l’expropriation pour caused’intérêt public

acte d’expropriation, 17/01/1938

Archives privées de Jean Brun

compte-rendu de séance de la commission de surveillance des travaux du parc boiséde Parilly

02/08/1949

22/11/1949

02/06/1953

25/06/1954

14/01/1957

arrêté préfectoral sur le gardiennage du chantier du parc de Parilly, 12/06/1938

description du projet définitif, 1937

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Sources

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rapport d’expertise sur l’avancement des travaux du parc de Parilly, mars 1938

transcription du discours de Laurent Bonnevay, 1939

compte rendu de séance du Conseil Général, 11/12/1953

« un regard historique sur la batterie de Parilly »

Alkhos, Enquête de satisfaction auprès des usagers du parc de Parilly, Juin-juillet 2002,document établi pour la direction du parc de Parilly

plaquette de présentation du Parc de Parilly

plan simple de gestion du parc de Parilly

Revues

La Vie Lyonnaise, 27/07/1935

La Vie Lyonnaise, 24/08/1935

Technica, la revue des ingénieurs, numéro spécial, mars 1937, « Les grands travauxdans la région du Rhône »

Bulletin de la société académique d’architecture de Lyon, n° 5, mai 2003

AMC, n° 178, avril 2008

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De la conception du "plus beau parc de France" à la réalisation du "plus grand ensembled'habitation de France".

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Bibliographie

Articles

Viviane Claude et Pierre-Yves Saunier, « L’urbanisme au début du siècle, de la réformeurbaine à la compétence technique » in Vingtième Siècle, numéro 64, 1999.

Gilles Pinson « Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espacespolitiques et recomposition d’une capacité d’action collective dans les villeseuropéennes » Revue française de Science politique, vol 56, 4, 2006.

Ouvrages

Marie Charvet, Les fortifications de Paris, de l’hygiénisme à l’urbanisme, 1880-1919.Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005.

Jean-Pierre Gaudin, L’avenir en plan, technique et politique dans la prévision urbaine.1900-1930. Seyssel, Editions du Champ Vallon. 1985.

Patrick Le Galès, Le retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation,gouvernement et gouvernance. Paris. Presses de Sciences Po, 2003.

Renaud Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalitéprovidence. Paris, CNRS Editions, 2007.

Christian Topalov (sous la direction de) Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuseréformatrice et ses réseaux en France 1880-1914, Paris, Ecole des Hautes Etudes enSciences Sociales, 1999.