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LES ANNONCES DE LA SEINE SOCIÉTÉ La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves dans les colonies françaises d’Amérique entre 1828 et 1848 Ouvrir à l’esclave l’accès à la justice par Jean-Jacques Bosc .............. 2 Défendre la cause de l’esclave par Jacqueline Renia........................... 3 Le code noir par Gilbert Pago................................................................. 5 Un exemple de résistance à la justice coloniale par un magistrat : Xavier Tanc par Raymond Auteville ................................................... 11 Des juristes d’exception humanistes et combatifs par Jean-Claude Marin........................................................................ 15 Alexandre-Amboise Gatine : rendre à l’esclave sa pleine personnalité et sa liberté par Margaret Tanger .................................. 18 Hommage à Aimé Césaire par Jean-Pierre Bel et Jean-Marc Ayrault..... 22 AGENDA .......................................................................................... 9 ANNONCES LÉGALES....................................................... 24 DIRECT Paris Plages 2013 .......................................................................... 38 VIE DU DROIT Tumulte au Barreau par A. Coriolis.............................................. 39 PALMARÈS Prix de thèse du Sénat 2013 .................................................... 39 J OURNAL OFFICIEL D’ANNONCES LÉGALES - I NFORMATIONS GÉNÉRALES, J UDICIAIRES ET TECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : [email protected] FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE Jeu d i 18 juillet 2013 - Numéro 45 - 1,15 Euro - 94 e année Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35 A l’initiative commune d’avocats et de magistrats de Fort-de-France, un colloque a réuni les personnalités élues civiles et militaires ainsi que d’éminents représentants de la famille judiciaire au premier rang desquels Monsieur le Procureur général de la Cour de cassation Jean-Claude Marin, ce mercredi 29 mai 2013 en Martinique, autour d’un noble sujet : « Comment la participation des gens de justice dans l’amélioration de la condition des esclaves des colonies françaises au 19 ème siècle a abouti à la disparition du système esclavagiste en 1848 ? » L’objectif de ce colloque co-organisé par Margaret Tanger, Présidente de l’Ecole des Avocats de Martinique et la Cour d’appel de Fort-de-France, fut notamment de porter à la connaissance d’un public élargi le rôle de la Cour de cassation dans l’amélioration de la condition juridique et humaine des esclaves des antilles françaises durant les vingt années qui ont précédé l’abolition de l’esclavage. Ce n’est en effet qu’à partir de la promulgation de l’Ordonnance royale du 24 septembre 1828, rendant applicable aux colonies les codes métropolitains de procédure civile et de procédure pénale, que la Cour de cassation a pu sanctionner les décisions des Cours coloniales. Auparavant les cours et tribunaux antillais appliquaient les dispositions du « Code noir » qui protégeaient le « maître » régnant sur les habitations et étouffant les cris de douleurs et de révolte. Progressivement, les avocats parviendront à dénoncer les souffrances atroces dont furent victimes hommes, femmes et enfants. Le Procureur général Jean-Claude Marin mais aussi le Professeur Gilbert Pago, accueillis par Madame le Bâtonnier Jacqueline Renia, ont parfaitement expliqué comment l’action du Procureur général André Dupin et l’Avocat aux Conseils Alexandre Amboise Gatine ont « pesé de toute leur influence » pour « asseoir les arrêts humanistes et réformateurs » de la Cour de cassation qui auront une répercussion directe sur le sort des esclaves et contribueront à « la victoire de la cause abolitionniste par une pression constante exercée sur le législateur de 1848 ». Dans leurs remarquables interventions tant Margaret Tanger que Raymond Auteville, Président de l’Institut des Droits de l’Homme de Martinique, ont expliqué avec talent comment « les anonymes de l’histoire », faisant appel à « la force médiatrice de la loi », ont combattu pour la liberté et le respect des droits fondamentaux. Ce colloque fut particulièrement émouvant car il a démontré comment, grâce à leur courage, certains hommes ont su hisser la cause de la liberté au dessus des cloisonnements sociaux et faire ainsi triompher les convictions du cœur. Jean-René Tancrède La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves dans les colonies françaises d’Amérique entre 1828 et 1848 Raymond Auteville, Jean-Claude Marin, Margaret Tanger, Gilbert Pago, Jean-Jacques Bosc, Pascal Fau et Jacqueline Renia

Edition du jeudi 18 juillet 2013

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Page 1: Edition du jeudi 18 juillet 2013

LES ANNONCES DE LA SEINE

SOCIÉTÉLa contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves dans les colonies françaises d’Amérique entre 1828 et 1848Ouvrir à l’esclave l’accès à la justice par Jean-Jacques Bosc ..............2Défendre la cause de l’esclave par Jacqueline Renia...........................3Le code noir par Gilbert Pago.................................................................5Un exemple de résistance à la justice coloniale par un magistrat :Xavier Tanc par Raymond Auteville ...................................................11Des juristes d’exception humanistes et combatifs par Jean-Claude Marin........................................................................15Alexandre-Amboise Gatine : rendre à l’esclave sa pleine personnalité et sa liberté par Margaret Tanger ..................................18Hommage à Aimé Césaire par Jean-Pierre Bel et Jean-Marc Ayrault.....22AGENDA ..........................................................................................9ANNONCES LÉGALES.......................................................24DIRECTParis Plages 2013 ..........................................................................38

VIE DU DROITTumulte au Barreau par A. Coriolis..............................................39

PALMARÈSPrix de thèse du Sénat 2013 ....................................................39

JOURNAL OFFICIEL D’ANNONCES LÉGALES - INFORMATIONS GÉNÉRALES, JUDICIAIRES ET TECHNIQUESbi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

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FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE

Jeu di 18 juillet 2013 - Numéro 45 - 1,15 Euro - 94e année

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Al’initiative commune d’avocats et de magistrats de Fort-de-France, un colloque a réuni lespersonnalités élues civiles et militaires ainsi qued’éminents représentants de la famille judiciaire

au premier rang desquels Monsieur le Procureur général dela Cour de cassation Jean-Claude Marin, ce mercredi 29 mai 2013 en Martinique, autour d’un noble sujet :« Comment la participation des gens de justice dansl’amélioration de la condition des esclaves des colonies françaises au 19ème siècle a abouti à la disparition du systèmeesclavagiste en 1848 ? »L’objectif de ce colloque co-organisé par Margaret Tanger,Présidente de l’Ecole des Avocats de Martinique et la Courd’appel de Fort-de-France, fut notamment de porter à laconnaissance d’un public élargi le rôle de la Cour decassation dans l’amélioration de la condition juridique ethumaine des esclaves des antilles françaises durant les vingt années qui ont précédé l’abolition de l’esclavage.Ce n’est en effet qu’à partir de la promulgation de l’Ordonnanceroyale du 24 septembre 1828, rendant applicable aux colonies les codes métropolitains de procédure civile et deprocédure pénale, que la Cour de cassation a pu sanctionnerles décisions des Cours coloniales.Auparavant les cours et tribunaux antillais appliquaient lesdispositions du « Code noir » qui protégeaient le « maître»

régnant sur les habitations et étouffant les cris de douleurset de révolte. Progressivement, les avocats parviendront à dénoncer les souffrances atroces dont furent victimeshommes, femmes et enfants.Le Procureur général Jean-Claude Marin mais aussi leProfesseur Gilbert Pago, accueillis par Madame le BâtonnierJacqueline Renia, ont parfaitement expliqué commentl’action du Procureur général André Dupin et l’Avocat auxConseils Alexandre Amboise Gatine ont « pesé de touteleur influence » pour « asseoir les arrêts humanistes etréformateurs » de la Cour de cassation qui auront unerépercussion directe sur le sort des esclaves et contribuerontà « la victoire de la cause abolitionniste par une pressionconstante exercée sur le législateur de 1848 ».Dans leurs remarquables interventions tant MargaretTanger que Raymond Auteville, Président de l’Institut desDroits de l’Homme de Martinique, ont expliqué avectalent comment « les anonymes de l’histoire », faisant appelà « la force médiatrice de la loi », ont combattu pour laliberté et le respect des droits fondamentaux.Ce colloque fut particulièrement émouvant car il a démontrécomment, grâce à leur courage, certains hommes ont suhisser la cause de la liberté au dessus des cloisonnementssociaux et faire ainsi triompher les convictions du cœur.

Jean-René Tancrède

La contribution de la Cour de cassationà l’émancipation des esclaves

dans les colonies françaises d’Amérique entre 1828 et 1848

Raymond Auteville, Jean-Claude Marin, Margaret Tanger, Gilbert Pago, Jean-Jacques Bosc, Pascal Fau et Jacqueline Renia

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2 Les Annonces de la Seine - jeudi 18 juillet 2013 - numéro 45

SociétéLES ANNONCES DE LA SEINESiège social :

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARISR.C.S. PARIS B 339 349 888

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l 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUSTTéléphone : 01 34 87 33 15

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Directeur de la publication et de la rédaction :Jean-René TancrèdeComité de rédaction :

Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet BernardsFrançois-Henri Briard, Avocat au Conseil d’EtatAgnès Bricard, Présidente de la Fédération des Femmes AdministrateursAntoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon SorbonneMarie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droitAndré Damien, Membre de l’InstitutPhilippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon SorbonneBertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens,ancien Bâtonnier de BordeauxDominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisBrigitte Gizardin, Magistrat honoraireRégis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassationChloé Grenadou, Juriste d’entrepriseSerge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-AssasFrançoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassationMaurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - EntrepreneursJean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-AssasChristian Lefebvre, Président Honoraire de la Chambre des Notaires de ParisDominique Lencou, Président d’Honneur du Conseil National des Compagniesd’Experts de JusticeNoëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne MinistrePhilippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-AssasJean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptesGérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassationJacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPLYves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisRené Ricol, Ancien Président de l’IFACFrancis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de ParisCarol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International

Publicité :Légale et judiciaire : Didier ChotardCommerciale : Frédéric Bonaventura

Commission paritaire : n° 0713 I 83461I.S.S.N. : 0994-3587Tirage : 13 669 exemplairesPériodicité : bi-hebdomadaireImpression :M.I.P.3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS

Copyright 2013Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autoriséeexpressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale oupartielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnéepar les articles 425 et suivants du Code Pénal.

Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pourla période du 1er janvier au 31 décembre 2013, par arrêtés de Messieurs les Préfets :de Paris, du 27 décembre 2012 ; des Yvelines, du 31 décembre 2012 ; des Hauts-de-Seine, du 31 décembre 2012 ; de la Seine-Saint-Denis, du 27 décembre 2012 ; duVal-de-Marne, du 27 décembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescritespar le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerceet les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contratset des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine.N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales.

- Tarifs hors taxes des publicités à la ligneA) Légales :Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,48 €Yvelines : 5,23 € Hauts-de-Seine : 5,48 €Val-de-Marne : 5,48 €B) Avis divers : 9,75 €C) Avis financiers : 10,85 €D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 €Seine-Saint Denis : 3,82 € Yvelines : 5,23 €Val-de-Marne : 3,82 €- Vente au numéro : 1,15 €- Abonnement annuel : 15 € simple

35 € avec suppléments culturels95 € avec suppléments judiciaires et culturels

COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALESNORMES TYPOGRAPHIQUES

Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéasTitres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (oumajuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm.Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps6 points Didot, soit 2,256 mm.Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse(minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40mm. Lesblancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm.Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanccompris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif.L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Leblanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm.Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’unalinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiquesont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeurretiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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Ouvrir à l’esclavel’accès à la justicepar Jean-Jacques Bosc

Soyez remerciés pour votre présence àcet évènement exceptionnel queconstitue cette conférence sur lacontribution de la Cour de cassation à

l’émancipation des esclaves dans les coloniesfrançaises d’Amérique entre 1828 et 1848,laquelle s'inscrit dans les commémorations deI'abolition de l'esclavage qui ont lieu en Francehexagonale et aux Antilles.L'évènement est exceptionnel, en premier lieuen raison de la qualité des conférenciers quenous allons entendre: Monsieur le professeurGilbert Pago, directeur de I'InstitutUniversitaire de Formation des Maîtres(IUFM), Monsieur le Bâtonnier RaymondAuteville, Président de l'Institut des droits del'homme de la Martinique, Madame MargaretTanger, Présidente de l'Ecole des avocats. Jevoudrais tout particulièrement souligner,parmi les conférenciers, la présence du plushaut magistrat du Ministère public, MonsieurJean-Claude Marin, Procureur général près laCour de cassation, dont le déplacement enMartinique est à la fois une joie, une marqued'encouragement et une reconnaissance de lajustice en Martinique.L'évènement est exceptionnel, en deuxièmelieu, car il est une concrétisation solennelle del'esprit de concertation que je souhaite voirs'instaurer entre la Magistrature et le Barreau,et que j’appelais de mes vœux lors de monintervention au colloque de la Conférence desBâtonniers de France et d'Outre-Mer, à laquelle

Madame le Bâtonnier, vous avez bien voulume convier. Nous avons, dans cet objectif, acténotre volonté d'organiser des formationsprofessionnelles communes : magistrats, avocats,mais aussi avec les huissiers de Justice, les notaires,les experts comptables. Je vous remercie,Madame le Bâtonnier et Maître Tanger, d'avoirpermis que cette conférence ait lieu.

Je vais consacrer quelques mots au rôle duMinistère public dans cette affaire. Siplusieurs Procureurs se sont distingués, plusnombreux étaient ceux qui se contentaientde se conformer aux « us et coutumes » dela colonie. Or, le Code Noir privait lesesclaves de toute personnalité et capacitéjuridiques. L'esclave réduit à l'état demarchandise ou d'outil de production, étaitobjet de droit et non sujet de droit. Ceprincipe est posé par l'article 44 qui déclarait« ... les esclaves être meubles », et les rendaientsaisissables si le maître ne payait pas sescréanciers (article 46).Les esclaves ne pouvaient donc pas agir enjustice pour obtenir réparation de leurpréjudice, seul le maître pouvait agir en« réparation des outrages et excès qui aurontété commis contre leurs esclaves » (article 31).Il s'agissait plutôt d’une action en réparationdu dommage matériel subi par le maître. Demême ne pouvait-il détenir aucun patrimoine.L'article 28 du Code Noir disposait :« Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoirqui ne soit à leur maître, et tout ce qui leurvient par industrie ou par la libéralité d'autrespersonnes ou autrement à quelque titre que cesoit, être acquis en pleine propriété à leurmaître, sans que les enfants des esclaves, leurpère et mère, leurs parents et tous autres libresou esclaves puissent rien prétendre par

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succession, disposition entre vifs ou à cause demort. Lesquelles dispositions nous déclaronsnulles, ensemble toutes les promesses etobligations qu'ils auraient faites, comme étantfaites par gens incapables de disposer etcontracter de leur chef ».La seule disposition aménagée par le CodeNoir qui pouvait ouvrir à l'esclave l'accès à laJustice était l’article 26 ainsi rédigé « Les esclavesqui ne seront point nourris, vêtus et entretenuspar leurs maîtres selon que nous l’avons ordonnépar ces présentes pourront donner l’avis à notreProcureur géneral et mettre les mémoires entreses mains, sur lesquels et même d’office si les avislui en viennent d'ailleurs, les maîtres seront

poursuivis à sa requête et sans frais, ce que nousvoulons être observé pour les crimes ettraitements barbares et inhumains des maîtresenvers leurs esclaves ».Quelle a été la portée réelle de cette disposition ?Les historiens pourront nous répondre, maistout donne à penser qu’elle a été d'applicationtrès réduite. Sans un soutien actif du Ministèrepublic comment l'esclave illettré pouvait-il établirun mémoire ? A une époque où il n'existait pasde politique d'accès au droit, où la dénonciationdes maîtres exposait les esclaves à de lourdesreprésailles, la tâche relevait de l'impossible.Deplus, le Code Noir posait que le témoignaged’un esclave n'avait pas valeur de preuve en

Justice (article 30) et qu’il était nécessaire qu'unhomme libre confirme la dénonciation. A partirde 1828, date d'application du Code deprocédure civile dans les colonies d'Amérique,un mécanisme plus efficace que l’article 26 apu jouer, le pourvoi en cassation dans l'intérêtde la loi.Ce pourvoi est exercé par le Procureur généralprès la Cour de cassation, indépendammentdu statut personnel des parties, dans l'intérêtde la loi, c’est-à-dire quand il considère qu'unedécision de justice a violé la loi. Il demandealors à la Cour de cassation d'annuler cettedécision. Mais pour la suite il est plus que tempsde laisser la parole à nos conférenciers.

Défendre la cause de l’esclavepar Jacqueline Renia

C’est avec un immense plaisir que jevous accueille ici à la faveur de cecolloque réunissant historiens, avocatset magistrats, autour d’un noble

projet : valoriser la participation des gens dejustice dans l’amélioration de la condition desesclaves des colonies françaises au 19e siècle, etfinalement, à la disparition du systèmeesclavagiste en 1848.Je salue cette initiative commune entre les avocatset les magistrats de Fort-de-France, qui permetde nous associer plus étroitement à cette périodesolennelle de commémoration de l’abolition del’esclavage et des traites, ponctuée par lesCérémonies de la Journée nationale du 10 mai,et les Célébrations du 22 mai, à la Martinique. Je félicite les deux principaux organisateurs,Maître Margaret Tanger, Présidente de l’École des avocats de Fort-de-France, et Monsieur Jean-Jacques Bosc, Procureur général près la Courd’appel. Je relève sa disposition naturelle à favoriserun dialogue harmonieux entre nos professionsqui s’est concrétisé récemment par sa contribution

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au séminaire de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer que nous avons eu le privilège d’accueillir à la Martinique.Je dois dire notre fierté à tous de recevoirMonsieur Jean-Claude Marin, Procureur généralprès la Cour de cassation, que je remercie derehausser cette manifestation par sa présence. Ilfaut préciser que depuis la redécouverte de lajurisprudence rendue par la Cour de cassationsur les causes de l’esclavage au 19e siècle, plusieursmanifestations et colloques ont été organisés à Paris dans lesquelles vous avez toujours tenuà intervenir. Je ne suis donc pas surprise quevous ayez souhaité faire tout spécialement le déplacement pour partager la mémoire de cettehistoire avec tous les Martiniquaises et lesMartiniquais.Il convient de rendre hommage à MaîtreMargaret Tanger, pour la publication en 2007,de son ouvrage « Les juridictions colonialesdevant la Cour de cassation », qui a mis enlumière le rôle de la Cour de cassation ainsique de nombreux magistrats et avocats danscette lutte contre l’esclavage. Il convenait derendre justice à ces personnages restés troplongtemps dans l’ombre des élus politiquesabolitionnistes.Maître Margaret Tanger s’inscrit dans unetradition de notre Barreau, dont plusieursmembres ont mené et mènent encore desétudes sur cette période de l’histoire de laMartinique, et sur ses conséquences encoreactuelles sur nos sociétés antillaises. Je penseaux travaux de thèse du Bâtonnier Chauleau,

aux écrits de nos confrères Duhamel etMonotuka, sur le Code Noir et la décréolisation,et il en faudrait en citer bien d‘autres…La contribution du Bâtonnier Romain sur larévolte de « L’Esclave Romain » et le récit desaffaires judiciaires qui sont remontées jusqu’àla Cour de cassation replacent l’esclave aucentre de la bataille juridique menée, pour sa propre liberté dans une heureusecontradiction avec l’image galvaudée del’esclave attentiste devant sa délivrance à lavolonté d’un seul homme, fusse-t-il VictorSchoelcher !

Il me revient d’introduire en quelques motsles conférenciers et les thèmes dont ils vontnous entretenir pendant ces deux heures.L’Historien connu et apprécié à la Martinique,Monsieur Gilbert Pago, interviendra lepremier pour resituer le contexte historiqueet juridique particulièrement dur de l’époque.Entre 1828 et 1848, le « Code Noir » continuede réglementer la marchandisation del’esclave et à entretenir, au nom du « préjugé

de couleur », une ségrégation entre lespopulations des colonies. Sans êtretotalement hors du champ du droit, l’esclavene peut rien posséder qui ne soit à son maître,cela est aussi valable pour ses enfants, et il n’a accès aux tribunaux que pour y être jugé et sévèrement châtier, et ce, qu’il ait tortou raison. Le Bâtonnier Raymond Auteville nous ferapartager ses recherches sur ce Magistratmétropolitain, Xavier Tunc, malmené parl’oligarchie créole pour avoir manifesté uneécoute trop attentive aux plaintes des esclaves.Son cas n’est d’ailleurs pas isolé : AlexandreBelletete, Adolphe Juston, Juges de paix à laMartinique et à la Guadeloupe, Herme-Duquenne, Juge d’instruction, le MarquisMaurice d’imbert de Bourdillon, Procureurgénéral à Fort royal, furent la proied’implacables hostilités de la part des colonsqui les affublèrent du sobriquet de« Kalmanquious ». Ce sont ces Magistrats qui ébruiteront jusquedans les couloirs de la Cour de cassation, lesexactions qui se perpétuent dans leshabitations à l’encontre des femmes, deshommes et enfants esclaves, dans un climatd’impunité quasi générale et d’indifférence des autorités politiques, administratives etjudiciaires de la colonie. Monsieur Jean-Claude Marin nous indiqueracomment la Cour de cassation, etsingulièrement son Procureur général, AndréJean-Baptiste Dupin, entreprendra de luttercontre « cette funeste dérogation au droit de lanature » comme le disait l’illustre Procureur. Enfin, parce qu’il n’y a pas de bonne Justicesans bons avocats, Maître Margaret Tanger,nous parlera d’Alexandre Amboise Gatine, cetavocat aux Conseils du Roi et à la Cour decassation. Non seulement, il consacrera les18 premières années de sa carrière à la défensede la cause des esclaves, mais il apportera lui-même le décret d’abolition à la Guadeloupe,en qualité de Commissaire de la République,après avoir siégé à la Commission d’abolitionconstituée par Arago.

L'histoire du barreau dela Martinique, pourtant

très riche, est mal connue.Des pans de son passéont été ensevelis sous les cendres de la Pelée en 1902.

Des avocats regroupés au sein de l'association« Les Amis de la Justice et de l'Histoire » ont choisi d'écrire pour que demain les nouvelles

générations sesouviennent des grandes figures qui ont illustré la vie judiciaire locale.Mais à côté des figures,place a été faite auxprocès qui ont défrayé la chronique au cours du vingtième siècle.Ce livre illustréd'anecdotes insolites, de photos inédites est un témoignage de la vie de notre Palais.

Il passionnera les acteurs de la vie judiciaire,intéressera ceux qui ontvécu à la Martinique et servira de référence à ceux qui souhaitentmieux connaître cette terre de l'Outre-Mer.

Edition : La fondationClément, Association les Amis de la Justice et de l’Histoire, 301 pages.

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1900-2000 : figures et procès du Barreau de la Martinique

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Société

Le Code Noir : de 1685 à la loi Mackau de 1845.Comment a-t-il évolué ?Pourquoi s’est-il modifié ?par Gilbert Pago

L’exploitation et la mise en valeur par lespuissances européennes, des richessesdu Nouveau Monde après les grandesdécouvertes de la fin du XVème siècle

avaient soulevé dans une partie – rien qu’unepetite partie ! – de la conscience intellectuellede l’Occident chrétien quelques interrogations.On sait le retentissement de la célèbrecontroverse (dont l’esclavage) de Valladolid(vers 1547) entre Sépulveda et Bartolomé deLas Casas ou encore la causticité des « Essais »de Montaigne (1ère édition en 1580) sur larencontre entre l’Amérique et le Vieux Monde.

La France et son entrée dans la colonisation

Le roi très chrétien du Royaume de France,François Ier, dans la première moitié du XVIèmeremarquait sèchement en commentant le traitéde Tordésillas que le « testament d’Adam necomportait pas de clause excluant (son pays) dupartage ». A sa suite, ses successeurs, autres roisdits très chrétiens, se positionnèrent tous pourleur place dans la partition, mais ne s’engagèrentfinalement à grands frais que très tardivementdans la colonisation des « Isles d’Amérique et deCayenne ». Ce fait s’accomplit avec Louis XIIIau début du XVIIème siècle. Il est vrai que « septguerres de religion » ont ravagé le pays, sinon àl’annonce de la Réforme (les 95 thèses de Lutheren 1517) où à l’affaire des Placards de 1534, maisà partir du drame de Vassy (1562) du discoursd’Amboise (1563), aux différents massacrescollectifs dont la fameuse nuit de la SaintBarthélémy de 1572 jusqu’à l’Edit de Nantes en1598. Cette pause n’évita pas l’assassinatd’Henri IV par un fanatique catholique en 1610.Tout ce contexte n’a pas permis aux Françaisd’être parmi les premiers en lice dans l’entreprisede la traite négrière et les bénéfices à tirer del’exploitation coloniale. Ils ont été devancés parces européens de la façade Atlantique dansl’ordre : Espagnols, Portugais, Hollandais etAnglais.

Les 70 premières années de la colonisation francaise

Le 23 avril 1615, louis XIII, jeune souverain, seprononce pour une relance de la colonisation, àun moment où personne ne pense (au moins enFrance !) que l’on pourra utiliser les Arawaks etCaraïbes à l’agriculture voire à leur imposerl’esclavage. Il y a bien sûr le poids des controversesde Bartolomé de Las Casas et de Montaigne, maisaussi et surtout le fait bien marqué depuis lesderniers siècles du Moyen-âge de la disparitionde la servitude en terre de France.

En soixante-dix ans, de 1615 à la rédaction duCode Noir en 1685, une série d’événements ontestampillé la colonisation française secommençant dans les « Isles du Pérou », terresqui permettront de construire le domaine des« Isles d’Amérique et de Cayenne ». En 1620, parsuite d’un naufrage en Martinique, le capitaineFleury et ses compagnons furent recueillis par lesamérindiens qui les accueillirent, les soignèrentet cohabitèrent y compris familialement, plusieursmois. C’était encore la période des aiguades, desattaques contre les galions espagnols et de larecherche dans les petites Antilles, de lieux derefuge pour la piraterie anti-ibérique. A partir de1625, brusque renversement puisque s’inscrit ledébut d’une colonisation française permanentedans les « Isles du Pérou ». C’est l’installation dansl’île de Saint Christophe, l’actuelle Saint Kitts. En1635 vint l’extension de cette colonisation audépart de Saint Christophe vers la Guadeloupe,La Martinique et plus tard vers Sainte Lucie,Grenade, Tobago, l’île de la Tortue, l’ouest de SaintDomingue. En 1642, Louis XIII, à l’approche desa mort, pour aller dans le sens des viséeséconomiques et malgré ses réticences religieuses,autorise la traite négrière et l’esclavage par dessujets français. Le 1er août 1645, la Régencefrançaise proclame une ordonnance royaleportant création du Conseil Souverain que l’oninstalle en Martinique pour avoir autorité surtoutes les Isles d’Amérique. Ce Conseil Souverainaux mains des plus riches colons a finalement unetrès large autorité quant à toute la réglementationintérieure de ces territoires éloignés de lamétropole et surtout du roi. Leur rôle en matièrede justice et de l’esclavage est essentiel, ce qui,ajouté à leur richesse, augmente leur volonté d’uncertain autonomisme à l’égard du roi. Si au départle Conseil Souverain de Martinique s’étend àtoutes les îles et à Cayenne, les colonies quideviennent plus actives et plus puissantesobtiennent leurs propres Conseils se détachantde celui de La Martinique tels Saint Domingueen août 1685 (après la promulgation du

Code Noir) ou encore La Louisiane en 1724.Cette institution n’est pas le seul embarras àl’autorité royale. Il y a aussi, comme entrave, danstoutes les terres colonisées, la multiplication desconflits. Pour ne se limiter qu’à la seuleMartinique, nous pouvons citer la fréquence desescarmouches sanglantes entre Caraïbes etcolons français en 1655 et 1656. Nous pourrionsrelever le nombre impressionnant de révoltesd’esclaves (mentionnons particulièrement, ceuxde Séchoux en juillet 1655 ou de FrancisqueFabulé de 1665 à 1671). Nous pouvons évoquerles actes de marronnage et de coalitions entreEsclaves et Caraïbes (dont ceux du29novembre1656 ou du 29 août 1657). Tout cecis’accompagne dans les Isles d’Amérique et deCayenne, de répression sévère des maîtres et duConseil Souverain. Malgré la mise aux fers et leschasses aux nègres marrons, les condamnationsaux galères, le marronnage s’amplifia. La luttecontre les Caraïbes ne s’atténua qu’après lesmassacres de leurs populations, dont la sanglantetuerie du Fond Saint Jacques de 1659. Le13 octobre 1671, le Conseil Souverain de laMartinique renforce les dispositions répressivescontre les marrons vivant en bandes. Chasses àl’homme systématiques, fouet, mutilations paramputation du jarret et condamnations à mort !Le 20 juin 1672 : Le Conseil Souverain de laMartinique décide d’appliquer la peine de mortaux esclaves nouvellement arrivés et qui auraientmarronné plus de trois mois. En 1683, unrèglement du Conseil Souverain de la Martiniqueinterdit l’achat de noirs esclaves ayant séjournéchez les Caraïbes qu’ils aient été marrons oucaptifs. Les hommes du terrain, ceux du ConseilSouverain vont plus loin que la volonté royale trèschrétienne.Les Isles d’Amérique et Cayenne ont donc connudepuis 1625, soixante années de colonisation avecl’esclavage des noirs, d’abord achetés auxmarchands étrangers puis finalement fournis parla traite négrière française autorisée par le roi trèschrétien. L’empire colonial américain s’est élargi.

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Les colonies ont servi pour le tabac (le pétun), lecoton, l’indigo, le roucou, les épices (cannelle,gingembre, muscade, vanille), le cacao, les cuirs,les écailles de tortue(le caret) mais bientôt etsurtout le sucre et son eau de vie (le tafia). Cesproduits sous Louis XIV font fleurir le commerceextérieur de la France et Colbert avec sonmercantilisme et sa politique interventionnistevoit la puissance économique du pays se renforcer.L’importance des territoires, la population qui necesse d’y croitre, les écarts de conduite des colonsdevenant de plus en plus autonomistes, la forceaccrue de l’esclavage des noirs africains avec lesbrutalités pratiquées et imposées, la distance priseavec les anciennes réticences des règnesprécédents sur la question de la traite négrière etde l’esclavage des noirs, obligent le roi à intervenir.

Promulgation de l’Edit du16 mars 1685 dit “Code Noir”

En 1678, Colbert super intendant de la Marineet des Colonies, sollicite Charles de Courbon,Comte de Blénac, gouverneur général des Islesd’Amérique sur « la police des Noirs ». Blénac luirépond en l’informant. Le 5 septembre1678, il ya eu une révolte de nègres matée par « dix à douzetués à coup de fusil, neuf pendus ou roués, et treizeautres jugés ». Il lui fait la proposition d’envoyeraux « galères tous, les nègres indésirables (àcondition de les payer à leurs propriétaires »). A ladate du 14 novembre 1678, il indique qu’à la suitede cette révolte, il a procédé à une importantechasse aux nègres marrons. Blénac raconte : « (j’aimis fin aux patrouilles) des habitants contre lesnègres marrons, attendu que tous les chefs sonttués, noyés ou roués et quantité d’autres, et qu’il enreste peu dans les bois… ». Il propose : « je seraiassez d’avis qu’on se défit des nègres libres en lesenvoyant à Saint Domingue car ce sont eux quidébauchent les nègres des habitants et lescommercent avec les sauvages…Mais c’est uneviolence que de tirer ces gens de dessus leurs biens,qui leur ont été donnés par récompense pour desservices rendus à leurs maîtres, et « leurs libertés» et des donations sont autorisées par Justice. Lenombre des familles va à 40 qui avec le temps feront

des mulâtres. Mais dans le temps présent, ils sontfort incommodes,… ». Cette recommandation deBlénac n’est pas suivie dans la première rédactiondu Code Noir. Par contre sur un autre avis qu’ildonne en faisant preuve de plus d’humanité, il nesera pas non plus suivi. « A l’égard de la punitionde mort contre les nègres qui frappent un Blanc,cette manière mérite encore d’être examinée… ».Sur ce point la royauté se montre intraitable.En 1681, Colbert écrit à l’intendant Patoulet :« Sa Majesté estime nécessaire de régler par unedéclaration tout ce qui concerne les nègres dans lesisles, … pour la punition de leurs crimes …il fautque vous fassiez un mémoire, le plus exact et leplus étendu qu’il sera possible, qui comprenne tousles cas qui peuvent avoir rapport aux dits nègres…vous devez bien faire connaître l’usage observéjusqu’à présent dans les isles et votre avis sur ce quidevrait être observé à l’avenir… »Colbert et ses services entreprennent donc larédaction des textes et règlements du texte quisera le Code Noir. Il est quasiment prêt en 1683,à la mort de Colbert cette même année.Promulgué le 16 mars 1685, il s’intitule : Edit duroi, touchant la Police des Isles de l’AmériqueFrançaise. Dans son introduction on y lit : «suiteaux …mémoires qui nous ont été envoyés par nosOfficiers de nos Isles de l’Amérique…pour ymaintenir la discipline de l’Eglise Catholique,Apostolique et Romaine, et pour y régler ce quiconcerne l’état et la qualité des Esclaves dans nosdites Isles… »

Le Code Noir se durcit

DU POIDS DU CONSEIL SOUVERAIN OU SUPERIEURLe 6 août 1685, en Martinique, le Conseil Souveraindes « Isles d’Amérique et de Cayenne » enregistrele Code Noir promulgué le 6 mars en France sousle titre : Ordonnance concernant « la discipline del’église et de l’Etat et la condition des esclaves dansles îles d’Amérique ». Ce n’est que le 6 mai 1687 quele Conseil Souverain de Saint Domingue, installéen août 1685, l’enregistre avec deux ans de retard,et le rend applicable dans la colonie.

En1703, le Conseil Supérieur de la Martinique estdésormais le véritable titre du dit ConseilSouverain. Ce choix d’un vocable plus restrictif estvoulu par la royauté pour faire ressortir et respecterl’autorité centrale en période de Monarchieabsolue. En fait la population blanche des « isles »continuera à utiliser l’un ou l’autre terme selon lespériodes où elle affiche ou pas une revendicationd’une plus grande autonomie.

DURCISSEMENTS QUANT AUX AFFRANCHISSEMENTSLe 26 décembre 1703, Louis XIV s’oppose à ce que« des lettres de noblesse de certains français des îlessoient examinées puisqu’ils ont épousé desmulâtresses ».En 1707, la monarchie proclame la limitation duprivilège affranchissant de la terre de France. Le 24 octobre 1713, il est pris un règlement royalrestreignant les possibilités d’affranchissement enexigeant une autorisation administrative et un acteécrit passé devant un juge ou un notaire.En 1715, le Code Noir est modifié par ordonnanceroyale : le maître qui veut affranchir son esclavedoit obtenir l’autorisation du gouverneur ou del’intendant. En octobre 1716, par Edit, le roi supprime leprivilège affranchissant de la terre de France pourles esclaves amenés par leurs propriétaires. Lorsqueles maîtres n’auront pas accompli les formalités,Les esclaves deviennent libres.En 1720,une ordonnance royale porte modificationdu Code Noir : l’Interdiction est faite aux maîtresd’affranchir tout esclave âgé de moins de 25 ans.Le 15 décembre 1738, une nouvelle ordonnanceroyale apporte une modification du Code Noir.L’interdiction est faite aux colons de conduire desesclaves en France sans l’autorisation dugouverneur ou de l’intendant. Si les maîtresn’accomplissent pas les formalités pour leursesclaves arrivés en France, les dits esclaves serontconfisqués au profit du roi et renvoyés aux coloniespour les travaux royaux. En 1746, la royauté institue une taxed’affranchissement à son profit : 1000 livres pourun homme, 600 pour une femme. En 1766, la taxe d’affranchissement pour unefemme esclave âgée de moins de 40 ans est portée

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Tableau peint par Gladys Ranlin

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à 2000 livres. Il s’agissait de décourager les maîtresd’affranchir leurs maîtresses de couleur. A travers ces divers dispositifs, on se rend comptede la fermeture de plus en plus forte de la sociétécoloniale. La question ethnique devient uneobsession que l’on arrive à faire admettre aussi enFrance.

INTERDIT SUR LES MARIAGES INTER RACIAUXEn Mars 1724, lors d’une modification importantedu Code Noir au moment de la création de lacolonie de la Louisiane, l’article 6 déclare :« défendons à nos sujets blancs, de l’un ou l’autresexe, de contracter mariage avec les noirs…Défendons aussi à nos dits Sujets blancs, même auxnoirs affranchis ou nés libres, de vivre en concubinageavec des esclaves… Lorsque l’homme noir, affranchiou libre, qui n’était point marié durant sonconcubinage avec son esclave, épousera…la diteesclave qui sera affranchie et les enfants seront renduslibres et légitimes. »C’est la première réaction aussi vive contre lesmariages interraciaux. En outre, il est introduitformellement la différence entre le libre blanc et lelibre de couleur. Le 7 décembre 1733, les instructions du ministèrede la marine précisent : « Tout habitant qui semariera avec une négresse ou une mulâtresse, nepeut être officier, ni posséder aucun emploi dans lacolonie ».

Le 5 avril 1778, il est pris un arrêt du Conseil d’Etatinterdisant les mariages interraciaux en France.Ce sont des dispositifs ségrégatifs qui s’étendent.

LA MONTEE DES LIBRES DE COULEURLe 15 juin 1736, une ordonnance royale modifiele Code Noir : Il est fait interdiction aux maîtresde baptiser comme libres leurs enfants nés demères esclaves.C’est la manifestation d’une forte réaction contrela montée numérique des libres de couleur et unevolonté de renforcer la ségrégation. Elle se renforceen 1745, par la décision royale de limiter lesdéplacements de libres de couleur vers lamétropole avec possibilité d’aller jusqu’àl’interdiction. Le 29 décembre 1774, uneordonnance royale ira jusqu’à décider de lavérification des titres d’affranchissement des libresde couleur. Ceci est contraire aux articles 57 et 59du Code de 1685. C’est pourquoi cette ordonnancesera annulée par le Conseil d’Etat le 8 juin 1776. Le 9 août 1777,une « Déclaration royale » interditl’entrée en France des nègres, mulâtres et gens decouleur.

REAFFIRMATION DU NON ESCLAVAGE DES AMERINDIENS NI DE LEUR TRAITELe 2 mars 1739, par ordonnance, le roi de Francerappelle l’interdiction de l’esclavage et de la traitedes amérindiens.

Cette prise de position n’a rien à voir avec lesréticences de la monarchie depuis les prises depositions de Las Casas ou de Montaigne. Il s’agitde stratégie dans le combat contre les Anglais dansles « West Indies », et de l’alliance recherchée avecles territoires dits neutres des Caraïbes des îles dela Dominique et de Saint Vincent.

LES PUNITIONS INFLIGEES AUX ESCLAVESLe 12 août 1710, à la suite d’une présomptionde révolte d’esclaves (le fameux Gaoulet), à SaintPierre, le Conseil Souverain interdit de vendredes armes à feu aux mulâtres et aux esclaves.En février 1724, par ordonnance royale sontpunis de mort les nègres esclaves ou autres,convaincus de s’être servis de vénéfices (c'est-à-dire du crime d’empoisonnement par suite desortilège) ou de poisons… ainsi que ceux qui enauront eu connaissance et n’auront pasdénoncé… Le 1er février 1743, une ordonnance royale portemodification du Code Noir. Désormais la peinedes jarrets coupés est infligée, dès la premièretentative, aux esclaves marrons. Ce n’est plus à la deuxième fuite et lorsqu’elle aduré au mois un mois. Ceci s’explique par lenombre considérable de soupçons de révoltes,de tentatives de révoltes, de révoltes réelles etd’actes de marronnage. Les maîtres vivent sousla crainte fantasmatique et perpétuelle de

Extraits de l’Édit de 1685 dit “Code Noir”SUR LA RELIGION :Les articles 1, 3, 5 et 8 interdisent toutesles religions autres que la catholique(dont par conséquent - interdiction non formulée - celles animistes oumusulmanes des africains noirs),expulsion des juifs dans les trois mois,interdiction aux protestants (La ReligionPrétendue Réformée) de se mêler au libre exercice de la religion catholique des esclaves. Par contre le grouped’articles suivants précise :Article 2 : [Tous les esclaves seront baptiséset instruits dans la religion catholique,apostolique et romaine… le baptême doit se faire dans les huit jours de l’achat.]Article 6 : [Interdiction de faire travaillerles esclaves les dimanches et jours de fête catholiques.]Plusieurs articles insistent sur le mariagedes esclaves et sur leur enterrement en terre sainte (c'est-à-dire au cimetière lorsqu’ils sont baptisés).

SUR LA FAMILLE :Article 12 : [Les enfants d’un coupleesclave appartiennent au maître de la femme esclave.]Article 13 : [Les enfants suivent lacondition de la mère dans un couple où il y a un libre/un esclave.]Par contre insistons sur l’article 9 :[Interdiction du concubinage avec lesesclaves pour les hommes libresmariés… mais obligation pour les libresnon mariés d’épouser son esclaveconcubine dans les formes observées par l’Eglise. L’esclave sera affranchie etles enfants rendus libres et légitimes.]Cette double obligation du mariage avecson esclave pour le libre non marié et l’affranchissement automatique de la femme esclave concubine entraînant la liberté et la légitimité des enfants déjà nés sont des dispositions disons« libérales» qui seront supprimées dansles évolutions ultérieures du Code Noir.

Le père Labat arrivé en Martinique en1693 (soit 8 ans après la première éditiondu Code Noir) mais publiant son récit15 ans plus tard (Voyages aux Islesd’Amérique) se montre très réticent quantà la « turpitude des isles » et des relationsinterraciales, reflétant déjà l’opinion quicommençait à devenir majoritaire dansl’élite de la société coloniale.Article 47 : [ne pourront être saisis ouvendus séparément, le mari et la femme,et leurs enfants impubères…]Cet article sera le fondement de plusieurspoursuites judiciaires, après 1828 devantla Cour de cassation, contre des maîtreslorsque ces derniers n’auront pasabusivement assuré cette contrainte.

SUR LES PUNITIONS ET INTERDICTIONSFAITES AUX ESCLAVES :Article 15 : [aucune arme offensive, ni de gros bâtons… sauf pour ceux (des esclaves)envoyés à la chasse par leurs maîtres.]Article 16 : [interdiction de s’attrouper sousprétexte de noces… ni chez leurs maîtres…ni dans les grands chemins ou lieux écartés…sinon fouet, fleurs de lys ou …mort.]Article 19 : [interdiction d’exposer en vente, au marché, ni de porter dans les maisons particulières pour vendreaucune sorte de denrées, même desfruits, bois à brûler, légumes, herbes pour leur nourriture et des bestiaux…]Cet article sera de moins en moinsobservé car pour ne pas être astreint à fournir aux esclaves de quoi se nourrir,les maîtres se donnaient des moyens de se libérer de cette charge. En outre les esclaves aimaient bien plus cetraitement : plus de latitude et depossibilités d’élargir son pécule !Article 33 : [L’esclave qui aura frappé son maître, sa femme, ou ses enfantssera puni de mort.]Sur ce dispositif, la royauté reste ferme,malgré la proposition de Blénacd’assouplir cette mesure.

SUR LA NOURRITURE ETL’HABILLEMENT DES ESCLAVES :Article 22 : [seront tenus les maîtres de fournir, par chaque semaine, à leursesclaves âgés de 10 ans et au dessus pour leur nourriture deux pots et demi… de farine de manioc ou troiscassaves…avec deux livres de bœuf saléou 3 livres de poisson…et aux enfants…la moitié des vivres ci-dessus.]Article 23 : [interdiction de donner auxesclaves de l’eau de vie de canne…] L’enivrement des esclaves est cause de bagarres, de morts de main d’œuvre donc de pertes de moyen de travail. En outre l’esclave saoul peut être undanger pour le maître et l’encadrement. Article 24 : [interdiction…de se décharger de la nourriture…des esclavesen leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compteparticulier.]Une mesure qui sera de plus en plusdétournée par les maîtres. Cela revientmoins cher. Mais il n’y a pas toujours que la rapacité du propriétaire d’esclaves. En cas de pénurie par retard des bateaux et de l’approvisionnement, cargaisonsendommagées et avariées, cyclones,mauvais temps, difficulté d’avoir dunuméraire, le travail de l’esclave dans « son » jardin devient une solution.Article 25 : [fournir à chaque esclave par an, 2 habits de toile ou 4 aulnes de toile.]Article 26 : [les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus…pourront en donner avis au Procureur… les maîtres seront poursuivis sans frais…]Quelle peut être l’étendue d’une tellemesure ? Aux XVII et XVIII èmes siècles, il y a peu d’esclaves qui ont la faculté de s’adresser à un procureur. Savoir lire et écrire, avoir l’entregent auprès de libres ne sont pas à la portéed’un grand nombre. Enfin les maîtres sont surtout très protégés dans le milieu judiciaire.

SUR LE MARRONAGE :Article 38 : [l’esclave fugitif (pendant aumoins un mois)… aura les oreillescoupées,… sera marqué à la fleur delys…En cas de récidive (et de seconde fuitede plus d’un mois) il aura un jarret coupé et la fleur de lys sur l’autre épaule…La 3ème fois sera puni de mort.]Le marronnage est la manifestation que lesmaîtres craignent le plus, non seulement àcause de la perte de leur main d’œuvre et deleurs investissements mais aussi à cause desrassemblements de marrons et d’éventuellesrévoltes. Les futurs aménagements de cet article iront en se durcissant. Article 39 : [les affranchis ne doivent pasdonner refuge aux esclaves fugitifs… sinon amende de 300 livres de sucre.]

CONTRE LES MAÎTRES DEFAILLANTS :Article 42 : [faire enchaîner ou battre deverges ou de cordes… mais interdiction deleur donner la torture, ni de leur faire aucunemutilation de membre sous peine deconfiscation des esclaves.]Article 43 :[ poursuivre les maîtres ou lescommandeurs qui auront tué un esclave…]

SUR LES AFFRANCHISSEMENTS :Article 55 : [Les maîtres âgés de 20 anspourront affranchir leursesclaves…sans…rendre raison de leuraffranchissement.]Article 56 : [Les enfants esclaves faitslégataires universels par leurs maîtres…seront réputés affranchis.]Article 57 : […Les esclaves affranchis n’ontbesoin de nos lettres de naturalité pour jouirdes avantages de nos sujets naturels dansnotre royaume…]Article 59 : [Les mêmes droits, privilèges etimmunités dont jouissent les personneslibres…]Les dispositions sur les différents articlesquant aux affranchissements iront en sedurcissant. Les libéralités vont disparaîtretout au long du XVIII ème siècle.

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révoltes. La société esclavagiste devient de plusen plus violente. Les modifications du CodeNoir en portent la trace.

LA NOURRITURE DES ESCLAVES ET LA RECONNAISSANCE DU JARDIN NEGRE (JADEN NEG)En mars 1724, lors de la modification du CodeNoir avec la création de la colonie de la Louisiane,l’article 18 décide d’être plus souple avec lesmaîtres sur la question des quantités de vivres etd’habillement à fournir aux esclaves. Louis XVdemande au Conseil Supérieur de Louisianerécemment créé de donner son avis, bien entendules colons des autres colonies trouvent leurscomptes dans cette brèche.Le 3 décembre 1784, il est pris une ordonnanceroyale sur la gestion des plantations coloniales etla condition des esclaves que l’on voudraitaméliorer. On redéfinit le Jardin Nègre,(« jadin neg ») et on attribue le « samedi nègre ».En fait on s’inquiétait depuis déjà fort longtempsde la nourriture de ces esclaves arrivant plusnombreux et utilisés pour une production intensede sucre, en particulier à Saint Domingue (voircorrespondance du gouverneur du 17 mai 1772).Le 23 décembre 1785, l’ordonnance royale du 3décembre 1784 sur la gestion des plantationscoloniales et la condition des esclaves estremaniée. On modifie les articles 22, 24 et 25 du Codepromulgué en 1685 sur la question de lanourriture.

LA SERVITUDE DES NOIRSEn mai 1771, on lit dans les instructions duministre de la Marine : « Il importe au bon ordrede ne pas affaiblir l’état d’humiliation attaché àl’espèce noire dans quelque degré qu’elle setrouve. » Il s’agit donc de ne pas se laisser aller àune éventuelle éducation des noirs ni à revenirsur les fameuses « lois somptuaires » mises enœuvre par les Conseils Supérieurs. Ces mêmesConseils Supérieurs avaient établi une codificationdes nuances de couleur (la colonie française de

Saint Domingue était la plus « avancée » en cedomaine). Ce n’était même pas le Code Noir quidictait cette conduite. Il s’agissait de la volonté desConseils Supérieurs, participant à la granderichesse du commerce extérieur du Royaume quidictait cette conduite au pouvoir central.Le 26 avril 1776, la chambre de commerce deBordeaux prie instamment le roi de démentir larumeur selon laquelle « le gouvernementprojetterait de rendre la liberté aux nègres… »Nous avons eu de 1685 à 1789,un siècle d’apogéecoloniale sur le plan économique se conjuguantavec un durcissement de l’esclavage et unerégression du statut juridique des libres de couleur.Ce ne sont pas les écrits d’Epiphane de Moirans(fin du XVIIème) ou de l’Abbé Raynal (XVIIIème) oules récriminations du cercle des «Lumières » qui,très minoritaires, ont pu faire vaciller l’opinion.Encore que… !

La Révolution Francaise et ses ambiguites

Le 19 février 1788, on assiste à la création à Parisde la Société des Amis des Noirs.C’est le résultat du mouvement philosophique des« Lumières », des effets du « Bill of Rights » de laRévolution anglaise (la même association existantdéjà à Londres) et du souffle de la « Déclarationd’Indépendance américaine » de 1776 àPhiladelphie. Désormais le poids du mouvementabolitionniste, bientôt une nouvelle donne,prendra petitement mais progressivement de laforce au cours des quatre décennies suivantes.

LA MONARCHIECONSTITUTIONNELLELe 26 août 1789, suite à la Révolution parisienne et à l’établissement de la MonarchieConstitutionnelle, la « Déclaration des droits

de l’Homme et du Citoyen » ne peut qu’ébranlerle Code Noir, en dépit du fait que l’esclavage, lesdroits des femmes et ceux des prolétaires nesont pas abordés. La formule, « Les hommesnaissent et demeurent libres et égaux endroit… » ne peut qu’avoir une résonnanceconsidérable auprès des esclaves et libres decouleur dans les colonies, disponibles pour denouvelles résistances et révoltes.Le 15 mai 1791, l’Assemblée Nationale prendun décret, à l’instigation des Amis des noirs,accordant des droits politiques aux mulâtresnés de père et de mère libres. Ce décret seraannulé 4 mois plus tard, le 24 septembre 1791. Le 4 avril 1792, l’Assemblée Législative accordela pleine citoyenneté (comprendre la seulejouissance de droits politiques) aux libres decouleur. LA CONVENTIONLe 12 octobre 1792, juste au lendemain de la proclamation de la République en France, laConvention supprime la prime accordée à la traite des noirs. Le 4 février 1794 soit le 16 Pluviôse an II,la Convention abolit l’esclavage. C’est laconséquence de toutes les révoltes d’esclaves etde libres dans les colonies d’Amérique ainsi quedes événements de Saint Domingue oùl’esclavage avait été aboli dès août et septembre1793. En outre, il s’agit d’une tactique pour serallier les esclaves dans la lutte contre les anglais.

AUX COLONIES ET PAR EXEMPLE EN MARTINIQUELe 28 septembre 1789, à Fort Royal, les petitsblancs patriotes et les soldats de la garnisonn’admettent pas que les libres de couleur portentla cocarde tricolore et soient, afin de fêter lenouveau régime, invités par le gouverneur quidonne l’accolade à l’un d’eux. Ce fut toute unenuit de bagarres. Ce trouble se propage à SaintPierre.

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Ordonnance du Roi concernant la dicipline de l’église, et l’état et qualité desnègres esclaves aux Isles de l’Amérique de mars 1685

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Le 27 novembre 1791, on assiste à la tenue d’unrassemblement des mulâtres pour la défense deleurs droits refusés, le 24 septembre 1791 àl’Assemblée nationale. C’est le début d’une prisede distance à l’égard des planteurs qui s’opposentaux patriotes. En janvier 1792, les planteurs des « Petites Islesd’Amérique » au Congrès Général des Îles(Guadeloupe, Martinique, Sainte Lucie,Tobago) s’opposent aux droits politiques desmulâtres dans les Assemblées Coloniales. Le 4 Avril 1792, l’Assemblée Législative accordela pleine citoyenneté aux libres de couleur.Lorsque la nouvelle sera connue en Martinique,les planteurs feront mine d’accepter le décretpour avoir l’appui des libres face aux patriotes. Le 3 février 1793, Rochambeau, nouveaugouverneur, installe le régime républicain. FortRoyal devient République-ville. Des promessessont faites aux libres de couleur pour les rallier.L’Assemblée Coloniale est dissoute. On assisteà la création de clubs dits révolutionnaires etdes premières associations serviles, luttant pourl’entraide et la fin de l’esclavage.Le 4 février 1794 soit le 16 Pluviôse an II, laConvention abolit l’esclavage. En Martinique ladécision n’est pas appliquée car l’île est livréepar les planteurs à l’armée britannique.

OCCUPATION ANGLAISE DU 22MARS 1794 A AVRIL 1802Le 15 juillet 1794, les autorités anglaisesinterdisent tout affranchissement etmaintiennent l’application du Code Noir. Le 30 octobre 1795, les autorités anglaisesrenouvellent l’interdiction d’assembléesd’esclaves. Les associations serviles prennentune forme semi clandestine. En mars 1802, le Traité d’Amiens remet laMartinique à la France du Premier ConsulBonaparte.L’occupation anglaise de La Martinique et deSainte Lucie n’a pas permis la première abolitionde l’esclavage et sur ce point constitue unerégression par rapport aux mesures prises parl’Assemblée législative et la Convention.

SOUS LE CONSULAT ET SOUSL’EMPIRELe 20 mai 1802, loi du 10 Floréal an Xmaintenant l’esclavage dans les coloniesfrançaises (Martinique et Sainte Lucie) renduesà la France par l’Angleterre lors du traitéd’Amiens et rétablissement de l’esclavage enGuadeloupe et à Saint Domingue. Cette mêmeannée 1802, Bonaparte supprime les droitsciviques qui avaient été accordés aux libres decouleur par la loi du 4 avril 1792. Le 10 novembre 1802, Villaret Joyeuse fermetoutes les écoles en Martinique : « L’ignoranceest un bien nécessaire pour des hommesenchaînés par la violence ». Le 7 Novembre 1805, l’empereur Napoléon Ierpromulgue l’arrêté du 16 brumaire an XIV,prohibant les mariages entre individus blancset libres de couleur, interdisant aussi entre cesindividus les adoptions, les reconnaissancesd’enfants naturels, les tutelles datives etofficieuses. Le Consulat et l’Empire mettent en place unebrutale régression sur la question de l’esclavageet des libres de couleur. Le Code Noir estappliqué dans toute sa rigueur. Par contre troiséléments interviennent qui auront de futures

répercussions. Ce sont :a) Le 1er janvier 1804, la victoire des insurgés etex esclaves de Saint Domingue conduisent à laproclamation de l’indépendance d’Haïti « oùpour la première fois la négritude se mit debout. »Ce sera un encouragement dans toute laCaraïbe pour les révoltes d’esclaves.b) Le 25 mars 1807, l’Angleterre abolit la traitenégrière : la mesure sera imitée par le Portugalet les Etats-Unis. c) Le 2 novembre 1807, il y eut une révolteavortée d’esclaves à Basse Pointe. 18 sontcondamnés à être brûlés vifs. La résistanceservile ne s’arrêtera pas jusqu’en 1848.

NOUVELLE OCCUPATION ANGLAISE DU 24 FEVRIER 1809 AU 23 MAI 1815Le 17 septembre 1811, éclate une nouvellerévolte d’esclaves urbains à Saint Pierre essayantde soulever ceux de la campagne. La révolte estréprimée par les troupes du général britanniqueWale occupant la Martinique. Molière, le chefde l’insurrection préfère se tirer une balle dansla tête plutôt que de se rendre. C’est encore leCode Noir qui s’applique et qui prime.

Un entêtement devant les réalités

LA TRAITE NEGRIERE INTERDITELe 9 Juin 1815, le Congrès de Vienne imposel’abolition de la traite négrière. La France, paysvaincu, devra l’appliquer.Le 15 avril 1818, la traite négrière est interditeen France mais la mesure aura peu d’effets carles sanctions sont peu contraignantes. En tous cas, les propos sur un éventueltarissement de l’arrivée d’esclaves prennentforme.

LE TRAFIC CLANDESTIN : EXEMPLES PRIS EN MARTINIQUELe 8 Février 1822, le navire négrier l’ « Amélie »est intercepté. En pratiquant la traite illégale, ilavait à son bord 237 captifs de race ibo dont100 femmes. Par suite de décès et dedétournement de 10 d’entre eux, 212(116 hommes, 96 femmes) sont ramenés à FortRoyal à la Pointe Simon, le 12 mars. Le 15 Janvier 1826, les autorités pratiquent lasaisie de la cargaison du navire négrier le Céron,soit 267 captifs.Le 15 Mai 1826, c’est la saisie de la cargaison dunavire négrier la Flèche, soit 242 captifs noirs. Le 31 août 1827, on annonce la capture dunavire négrier « le Navarrois » sur la côte duPrêcheur pris dans une tempête. 127 noirsrescapés sont saisis. Le 8 avril 1830, le dramatique naufrage à l’AnseCafard (Cap 110) au Diamant d’un navirenégrier. 86 captifs noirs dont 60 femmes purentêtre sauvés. 174 esclaves périrent lors dunaufrage, tandis que 70 avaient succombépendant la traversée de l’Atlantique. On neretrouve que 46 cadavres dont 4 blancsmembres de l’équipage.Non seulement les navires capturés sont engrande partie, ceux qui ont eu à subir destempêtes et des naufrages, ce qui signifie quepar beau temps il y en avait d’autres. Mais tousles esclaves emmenés d’Afrique sont libérés celane peut qu’inciter les esclaves martiniquais à

Société Agenda

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2013-546

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souhaiter pour eux-mêmes l’abolition. La fin dela traite négrière, l’interdiction de la traite illégale,la libération des captifs, la fin de l’esclavage en Haïtifont que l’esclavage a de moins en moins defondements. LES SOCIETES PHILANTHROPIQUESEn 1821, c’est la création à Paris de la Société dela morale chrétienne, animée par le duc deBroglie, favorable à l’abolition de la traite. En1822, intervient la création à Paris du Comitépour l’abolition de la traite. Désormais l’opinion publique en Europecommence petit à petit à être saisie.

REVOLTES D’ESCLAVES ET REPRESSIONEn 1821,on signale une tentative de soulèvementd’esclaves au Lamentin pour lequel un esclaveest condamné à mort et exécuté. Le 1er septembre 1822, il est mis en fonction lajuridiction d’exception « Cour prévôtale pour larépression des crimes d’empoisonnement »créée le 12 août et jugeant sans appel. Elleprévoit que ceux des nègres qui serontcondamnés à mort auront la tête tranchée « avecla hache sur le billot ». Le 12 octobre 1822, la révolte d’esclaves à «CanariCassé » au Carbet. Elle sera suivie de l’exécutionde 21 des révoltés condamnés à la peine capitale.Auparavant 37 autres condamnés aux galèresfurent marqués au fer rouge et fouettés, chacunde 29 coups.Le 28 Février 1827, le ministère impose lasuppression de la cour prévôtale. L’ordre duministère datait du 10 novembre 1826. Le 2 Octobre 1829, le Conseil Colonial de laMartinique adopte un règlement « relatif àl’administration, la police, la subsistance etl’habillement des noirs du service colonial ». Cerèglement est plus répressif et beaucoup plusconservateur que ceux des autres colonies :Bourbon, Guadeloupe ou Guyane.

LA REPRESSION CONTRE LES LIBRES DE COULEURLe 5 Août 1818, les déplacements de libres decouleur vers la France sont soumis à l’autorisationdu gouverneur. Celle-ci remplace l’interdictioncomplète qui avait été instituée par l’Empire en1802. Le 12 Juin 1820, on enregistre de modestesmodifications (Commission Delamardelle) enfaveur des libres de couleur quant à l’arrêté du7 novembre 1805 (16 brumaire an XIV). En décembre 1823, une brochure clandestinecircule : « De la situation des gens de couleur libresaux Antilles françaises ». Elle conduira à laperquisition au domicile de Bissette et àl’arrestation de ce dernier pour détention de labrochure et le texte d’un projet d’adresse à lachambre. C’est le début de l’affaire Bissette, Fabienet Volny. Le 12 Janvier 1824, Bissette, Fabien, Volnycondamnés par la cour royale à être marqués aufer rouge et à être envoyés aux galères àperpétuité. Des centaines de libres de couleursont poursuivis.Le 14 décembre 1829,Une pétition de 334 libresde couleur est présentée aux deux chambres enFrance réclamant l’égalité pour les libres decouleur, le retour des déportés de 1824 à leursfamilles, la répression sévère de la traiteclandestine et des mesures d’ « adoucissement »du sort des esclaves.

Décrépitude du systèmeesclavagiste

MESURES EN FAVEUR DES LIBRES DE COULEURLe 26 septembre 1830, on connaît en Martiniquedepuis deux semaines, la nouvelle de laRévolution de 1830 en France. Suite à unemanifestation joyeuse et bruyante dans l’aprèsmidi de libres de couleur à Nouvelle Cité à SaintPierre, pour l’égalité avec les blancs, le chef de lamilice blanche multiplie dans la soirée lesprovocations contre eux.Le 28 septembre 1830, le Ministère de la Marineet des Colonies supprime l’agent français basé àl’île de Saint Thomas chargé de surveiller les alléeset venues surtout des libres de couleur entre lesAntilles françaises et la république d’Haïti. Le 28 octobre 1830, au théâtre de Saint Pierre,de jeunes colons s’en prennent à un magistrat(Tanc) et le frappent en l’accusant d’être favorableaux mulâtres contre les blancs.Le 31 octobre 1830, le nouveau gouverneurfraîchement débarqué publie une ordonnancefavorable aux libres de couleur : Fin des loissomptuaires, facilité de prendre des noms deblancs, levée d’interdiction professionnelle pourplusieurs métiers, possibilité de porter les titresde sieur et de dame, droit de se placer dans lesprocessions, à l’église et aux spectacles parmi lesblancs.Le 21 novembre 1830, les jeunes blancs de SaintPierre interdisent aux mulâtres de fréquenter lapromenade de la batterie d’Esnotz qui doit resterréservée aux blancs. Six jeunes libres de couleursont durement frappés.Le 24 février 1831, les hommes de couleurobtiennent par ordonnance royale, la jouissancedes droits civils.Le 24 avril 1833, une ordonnance royalereconnaît la pleine jouissance de la citoyennetéfrançaise aux libres de couleur. Le 5 août 1833, commence l’affaire de la GrandeAnse qui se continue du 21 au 31 décembre. Elleengendre la condamnation de Césaire etl’arrestation de Léonce, un ancien de 1824. C’est unsoulèvement surtout de libres de couleur et dequelques esclaves. Il y a trois tués chez les insurgés.On procède alors au désarmement des milices decouleur. Le 28 décembre 1834, une ordonnanceroyale commue les 15 condamnations à mort del’affaire de la Grande Anse en 20 ans de travauxforcés. Le 8 novembre 1836, une nouvellecommutation de peine aux condamnés de l’affairede la Grande Anse dont 16 grâces. 23 furentautorisés à rentrer en Martinique.En 1836, les libres de couleur en Martiniquedéposent une pétition pour l’abolition del’esclavage. Le 29 avril 1836,une ordonnance royale ordonnela création d’un état-civil pour les affranchis.FACILITES POUR LES AFFRANCHISSEMENTSLe 5 Mars 1831, une ordonnance royalesupprime la taxe payable par les maîtres pouraffranchissement, et elle permet la régularisationdes libres de savane.Le 12 juillet 1832,la procédure de l’affranchissementest simplifiée.Le 29 avril 1836, une ordonnance royale stipuleque tout esclave amené en France ou s’y trouvantdéjà est automatiquement libre.

Le 11 juin 1839, le mariage entre esclave et libreconduit à l’affranchissement de droit, selon uneordonnance. Sont affranchis de droit les esclavesadoptés par un libre, les esclaves désignés légatairesuniversels de leurs maîtres ou tuteurs de leursenfants, les esclaves dont les frères ou sœurs sontlibres, les enfants naturels des esclaves affranchis.

LA TRAITE FRANCAISEDEFINITIVEMENT ABOLIELe 1er juillet 1831, est publiée en Martinique, laloi du 4 mars, réprimant la traite avec des peineslourdes très dissuasives. Le 8 mars 1832, la monarchie de juillet décrèteque les nègres trouvés dans les navires négrierssont proclamés libres.

MECONTENTEMENT DES ESCLAVES ET MESURES EN LEUR FAVEURLe 8 Février 1831, éclate l’affaire Spoutourne :huit esclaves dont une libre de savane portentplainte auprès du juge de paix des mauvaistraitements dûment avérés sur cette habitation.Ce sont eux qui seront scandaleusementcondamnés à la déportation. Le gouverneurdevant un tel déni de justice tarde à faireappliquer le jugement. L’affaire dure trois ans, carà la veille de l’application de la peine, les huitesclaves s’enfuirent pour Sainte Lucie enmai 1834.Le 9 Février 1831, des esclaves à Saint Pierre serévoltent et incendient 11 habitations. Il y auramort de six esclaves dans les affrontements avecla milice. On en exécutera 26, le 19 mai suivant.Parmi eux des esclaves, des libres, des femmes.Ils allèrent au supplice en chantant : « Nousmourrons pour la liberté,…vive la république, lacouleur nous vengera ».Le 10 et 11 février 1831, l’état de siège estproclamé à Saint Pierre pour faire face à desincendies de champs de cannes par les esclavesà Sainte Anne, Basse Pointe, Grande Anse,Vauclin et Lamentin.Le 2 mars 1831, il est entrepris une battuegénérale contre les nègres marrons.Le 4 août 1833, la loi supprime la « marque » etla mutilation des nègres marrons. Elle exige aussil’obligation du recensement pour les esclaves.En 1843, une nouvelle révolte d’esclaves.

MOUVEMENTS ABOLITIONNISTES EN FRANCE, EN EUROPE ET AUTRES COLONIESEn1831, il est créé à Paris le Comité pour le rachatdes négresses dans les colonies françaises.En 1832 à Paris, Cyrille Bissette crée la sociétédes hommes de couleur. Le 28 août 1833, l’Angleterre vote la loid’abolition de l’esclavage avec une période decinq ans d’« apprentissage » de la liberté.Désormais les îles de la Dominique et de SainteLucie deviennent des lieux refuges pour lesesclaves qui parviennent à s’évader.En Juillet 1834, Bissette fonde la « Revue descolonies ». Elle Paraîtra jusqu’en juin 1842.En fin de l’année 1834, la Société françaisepour l’abolition de l’esclavage (SFAE) est crééeà Paris.Le 3 décembre 1837, le pape Grégoire XVI dans son Bref In suprema apostolatus fastigiocondamne l’esclavage et défend « qu’aucunecclésiastique ou laïque n’osât soutenir lecommerce des nègres sous quelque prétexteque ce soit ».

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Un exemple de résistanceà la justice coloniale, par un magistrat : Xavier Tanc (1829-1853)par Raymond Auteville

Al’occasion de la commémoration ducent cinquantenaire de la révolutionanti-esclavagiste, a été réédité l’excellentouvrage de Jacqueline Picard, publié aux

éditions Caret, les Kalmankious.Subjugué par cet ouvrage, j’avais évoqué la carrièrede Xavier Tanc, dans mon discours d’ouverture dela deuxième Conférence du Barreau de Fort-de-France, le 22 janvier 1999. C’est donc avec plaisir,que j’ai accepté, à la demande de Maître MargaretTanger, Présidente de l’Ecole des Avocats duBarreau de Fort-de-France (EDA Martinique) detraiter de la résistance de Xavier Tanc à la justicecoloniale.L’essentiel de la pensée de Tanc, se retrouve dansun libellé, paru en 1832.Durant cette période, l’esclavage aux coloniesd’Amérique et la traite négrière, étaient à leurapogée. Les maîtres soumettaient leurs esclaves àun régime particulièrement inhumain, que les motsne suffisent pas à décrire, le tout, avec la complicitéde la justice, et des autorités administratives.Profondément inspiré par les idéaux de laDéclaration des Droits de l’Homme et du Citoyende 1789, Xavier Tanc a parfaitement analysé lesystème colonial, pour le dénoncer (I), aux prix dusacrifice de sa carrière (II).

I - Xavier Tanc, a bien analysé le système colonial

« …Se proclamer peuple libre, et faire en mêmetemps, une si odieuse exception à ce principe, à l’égardd’une caste si nombreuse. C’est mentir à son droitpublic… ».Cette réflexion comporte toute l’analyse de Tanc,

du système colonial. Mensonge à soi-même et auxidéaux proclamés, promulgation de lois hypocrites(A), et tolérance d’un système judiciaire qui finirapar se gangréner (B).

A - HYPOCRISIE DU SYSTEME LEGALTanc dénonce sans ménagement, autantl’hypocrisie du Code Noir, que celle de l’abolitionnon appliquée de la traite négrière.

L’hypocrisie du Code NoirOn s’accorde généralement pour dater le début dela traite des noirs, vers les années 1450, à l’initiativedes Portugais qui furent suivis pas les Espagnols,les Anglais, les Hollandais, et les Français.Dès 1502, les Espagnols transportaient denombreux esclaves africains, dans les colonies

d’Amérique, pour remplacer la populationAmérindienne, qu’ils ont décimée à leur arrivée.Plus de cent mille africains par an, arrivaient dansles colonies d’Amérique.La première version du Code Noir, est l’œuvre deJean-Baptiste Colbert, promulguée en mars1685,par Louis XIV.La seconde version, a été promulguée parLouisXV, en mars 1724. Mais, le Code Noir a étémodifié à plusieurs reprises.La promulgation du Code Noir, à elle seule, résumetoute l’hypocrisie de la situation coloniale.L’esclavage est interdit sur le sol français, depuis lemoyen âge, mais il est autorisé aux colonies.Mieux, le Code Noir crée un statut de l’esclavage :- l’esclave doit être baptisé par le maître (Article 2du Code Noir) ;

En 1841, Victor Schoelcher entreprend unvoyage dans la Caraïbe dont la Martinique enoctobre 1840 et de février à mars 1841.En 1842, Le gouvernement interdit une sessionen France de la Convention mondialeantiesclavagiste.Le 19 février 1844, la « Pétition des ouvriers deParis » déposée par Isambert aux deux Chambres(Chambre des pairs et chambre des députés)demande l’abolition de l’esclavage. Cet acte ouvreune série de pétitions en France. En 1846 à Paris,est installé le Bureau de correspondance pourl’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

LA FIN DE L’ESCLAVAGE, LA FIN DU STATUT DE LIBRE DE COULEUR ET DU CODE NOIRLe 5 janvier 1840, l’instruction religieuse etprimaire des esclaves des deux sexes est fixéepar ordonnance. Elle ne fut pratiquement pasappliquée. Cette même ordonnance instituaitle patronage des esclaves. Le Conseil Colonial

s’opposa à la visite des habitations par les juges. Le 18 juillet 1845, Mackau fait voter sa loi quisera mise en œuvre par les ordonnances deNeuilly du 18 mai 1846 (instruction religieuseet élémentaire) du 4 juin 1846 (le régimedisciplinaire) du 5 juin 1846 (nourriture ethabillement). Il limite la toute puissance desmaîtres sur leurs esclaves en matière denourriture, d’horaires de travail, de punitions,d’instruction, d’affranchissement etc. Les deuxmesures les plus spectaculaires : interdictiondu fouet (ou ramené dans certains cas à15 coups et en présence d’un policier) etremplacement des cachots sur les habitationspar la prison en mairie dite, en termes demépris, « mackauline ». En fait le 4 août 1847le fouet est définitivement supprimé.le14 décembre 1846, au nom de la loi Mackau,les esclaves de l’habitation Leyritz de BassePointe cessent le travail pour refuser le travailde nuit .Plusieurs habitations bougent.Le 25 février 1848, la Révolution gagne Paris.

Arago ministre des colonies annonce quel’esclavage va être aboli. L’Information estconnue au Sénégal le 28 février et enMartinique le 25 mars.Le 4 mars 1848, Schoelcher fait adopter ledécret annonçant l’abolition imminente del’esclavage et met en place la commissionpréparant l’abolition, d’où la fin du Code Noir.L’Information est connue en Martinique le10 avril 1848 et entraîne l’incompréhension desesclaves et libres de couleur quant auxjugements après cette date, requérant laMackauline et autres sévices et mêmes descondamnations pour marronnage.

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- l’esclave ne doit pas travailler le dimanche ni lesjours de fête chrétienne ;Il ne peut être vendu ni acheter pareillement, ledimanche ou les jours de fêtes chrétiennes ;- l’esclave peut se marier avec l’accord du maître, maisle maître ne peut le forcer à se marier (article 10) ;- les maîtres sont tenus de nourrir les esclaves : (2pots ½ de farine de manioc, 2 livres de bœuf salé,ou 3 livres de poisson (article 22), et de les habiller(article 25 du Code Noir).Mais :- les esclaves ne peuvent rien posséder qui ne soit àleur maître, et ne peuvent rien transmettre parhéritage (article 28) ;- les esclaves sont déclarés meubles (article 44 duCode Noir) ;- les maîtres pourront enchaîner et battre de vergeset cordes, les esclaves, « lorsqu’ils croiront qu’ils l’ontmérité ».- toute rébellion de l’esclave doit être punie sévèrement,même de mort (article 34 du Code Noir).- l’esclave fugitif aura les oreilles coupées, et seramarqué au fer rouge à l’épaule ; en cas de récidive,il aura l’épaule coupé ; la troisième fois, il sera punide mort (article 38 du Code Noir).Le Code Noir légalise la violation des droitsfondamentaux de l’esclave, et Tanc ne le supportepas : « … battu, mutilé, laissé pour mort sous lescoups du maître, l’esclave souffrira et rendra sondernier soupir, comme l’insecte que l’on écrase sousles pieds. Un étranger le frappera-t-il à lui briser unmembre, à faire jaillir son sang, à le mettre longtempshors d’état d’agir, le maître seul pourra porter plainte.L’esclave n’a même pas ce droit… Un esclave auxyeux des colons, n’est pas un homme ».Et à ceux qui opinent que le Code Noir adoucit lasituation des esclaves, Tanc a une réponseimplacable : Si on adoucit par la loi, la barbarie aulieu de l’abolir, on renforce celle-ci, puisqu’on lui donneun fondement légal.C’est pourquoi Xavier Tanc dénonce avec vigueurle Code Noir « … ces lignes suent le sang … Français,parlez maintenant de la douceur de vos mœurs, devotre civilisation élégante et polie, de votreenthousiasme pour la liberté. Quel contrastechoquant ! Quoi ! Si libéraux en France, et si tyransur le sol américain ! ».

Poursuivant son jugement sur le Code Noir, Tancécrit « …Rapprochez de cette sévérité épouvantabledont le législateur s’est armé contre les noirs, l’absencecomplète de dispositions pénales contre les crimesdes blancs envers les esclaves, et vous verrez que c’estl’impunité consacrée en faveur du despotisme le plushonteux et le plus révoltant… ».Tanc dénonce avec la même lucidité, et le mêmecourage, l’hypocrisie de l’abolition de la traitenégrière.

L’hypocrisie de l’abolition de la traite non appliquée Pendant toute la période où ont sévi l’esclavage etla traite négrière, autant les individus que les Etats, ont oscillé entre valeurs fondamentaleset bassesse de l’appât du gain.En 1571, le Parlement de Bordeaux interdit l’esclaveen France ! « Jamais une terre française ne connaîtracet odieux trafic ».Mais, en 1642, le roi Louis XIII, autorisa la traitenégrière, par des compagnies commerciales (1642– 1664).Et, de 1664 à 1716, le monopole de la traite négrièrefut réservé à des compagnies royales.Par le décret du 04 février 1794, la Convention

abolit l’esclavage. Mais, le Premier consulBonaparte, le rétablit le 17 mai 1802.Finalement, l’empereur Napoléon Bonaparte abolitla traite, et non l’esclavage, par décret du 29 mars1815.Mais, la traite continuait de plus belle, les côtes de l’Afrique étaient dépeuplées de « boisd’ébène », pour alimenter en esclave, les coloniesd’Amérique.On estime à 7750 navires négriers qui pratiquaientla traite illégale, en toute impunité, entre 1808 et1867 ;Une opinion publique minoritaire, mais éclairéeet active, dénonce l’esclavage. En 1787, se créa àLondres, la Société des Amis des Noirs.La même année, se créa en France également, unesociété des Amis des Noirs, avec des membrescélèbres : Condorcet, l’Abbé Gregroire, Lafayette,Mirabeau, etc…Mais, aux colonies, le système colonial déploietoute la mesure de l’horreur dont il recèle.Sans traite, il n’y a pas d’esclavage, c’est pourquoiTanc dénonce l’esclavage et la traite, avec des motsclairs et précis :« … Du jour où a commencé leur esclavage, il fautque ces pauvres Africains se dépouillent de leurqualité d’hommes, pour être assimilés à nos animauxdomestiques, ou à de simples machines… ».

Et, la vérité des faits donne raison à Tanc.Alors qu’en France, l’autorité judiciaire est garantede la liberté et des droits fondamentaux, selon laDéclaration des Droits de l’Homme et du Citoyende 1789, aux colonies, la justice est le complice del’atteinte aux Droits Fondamentaux de l’esclave.

B - UN SYSTEME JUDICIAIREGANGRENESous le régime de Charles X, les horreurs commisesaux colonies, sont révélées en France, malgré lacensure royale.

A cette époque, il y avait une grande circulation del’information (journaux, revues, brochures, et lesrécits faits dans les salons prisés…).Officiellement, la traite négrière est abolie, maiscomme l’esclavage ne l’est pas, la traite continue,pour remplacer les esclaves, dont l’espérance de vieétait relativement courte, compte tenu du sort quileur était réservé.Se créent alors, en France, des mouvements depensée contre la traite et l’esclavage.On peut citer la fameuse Société de MoraleChrétienne, créée en 1821, qui lutte contre la traiteillégale, avec en son sein, des personnalités quicomptent : Benjamin Constant, Député, et le Ducde Broglie.Tout cela laisse bien indifférents aux colonies, lesmaîtres, aidés et soutenus, tant par l’administration,que par la justice coloniale.En Martinique, le Gouverneur Donzelot, fait régnerla terreur chez les esclaves, en rétablissant les Coursprévôtales, sortes de Tribunaux forains, composésde Magistrats coloniaux aux Ordres, qui jugent àhuis clos, sans avocat, et condamnent, au fouet, àla mutilation ou à mort, les esclaves soupçonnéssans aucune preuve, d’empoisonnement des maîtreset du bétail, ou simplement de sortilèges.Les ordonnances Royales de septembre 1828, ontproclamé une réforme judiciaire aux colonies, dontl’objectif était d’accorder aux Magistrats,indépendance et compétence.En effet, les Magistrats coloniaux recevaient parfois,contre leurs services, prébendes, biens immobiliers,femmes, et même esclaves.Si bien que, l’Ordonnance Royale de 1828, prescrivitvainement, il faut le constater, aux Procureursgénéraux, et aux Avocats généraux, l’interdictionde posséder des biens immobiliers aux colonies, etd’épouser une créole.La réforme de 1828 instaure :- l’audience publique ;- l’audition de la partie civile et de l’accusé ;

Article 1La République française reconnaît que latraite négrière transatlantique ainsi quela traite dans l'océan Indien d'une part,et l'esclavage d'autre part, perpétrés àpartir du xve siècle, aux Amériques etaux Caraïbes, dans l'océan Indien et enEurope contre les populations africaines,amérindiennes, malgaches et indiennesconstituent un crime contre l'humanité.

Article 2Les programmes scolaires et lesprogrammes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettreen articulation les archives écritesdisponibles en Europe avec les sourcesorales et les connaissancesarchéologiques accumulées en Afrique,dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragéeet favorisée.

Article 3Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsique de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contrel'humanité sera introduite auprès duConseil de l'Europe, des organisationsinternationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête viseraégalement la recherche d'une date

commune au plan international pourcommémorer l'abolition de la traitenégrière et de l'esclavage, sans préjudicedes dates commémoratives propres àchacun des départements d'outre-mer.

Article 4Le dernier alinéa de l'article unique de la loi no 83-550 du 30 juin 1983relative à la commémoration del'abolition de l'esclavage est remplacépar trois alinéas ainsi rédigés :« Un décret fixe la date de lacommémoration pour chacune descollectivités territoriales visées ci-dessus ;« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle del'abolition de l'esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large ;« Il est instauré un comité depersonnalités qualifiées, parmilesquelles des représentantsd'associations défendant la mémoiredes esclaves, chargé de proposer, surl'ensemble du territoire national, deslieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. La composition,les compétences et les missions de ce comité sont définies par un décret en Conseil d'Etat pris dans un délai de six mois après la publication de la loi no 2001-434 du 21 mai 2001tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. »

Article 5A l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de », sontinsérés les mots : « défendre la mémoiredes esclaves et l'honneur de leursdescendants, ».

Article 48-1 de la loi de 1881 :Toute association régulièrementdéclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale,ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (alinéa 8), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3), de la présente loi, ainsi que les délits de provocation prévus par le 1° de l'article 24, lorsque la provocation concerne des crimes ou délits commis avec la circonstance aggravante prévue par l'article 132-76 du code pénal.

Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement,l'association ne sera recevable dans sonaction que si elle justifie avoir reçul'accord de ces personnes.

Extraits de la Loi Taubira du 21 mai 2001

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Les Annonces de la Seine - jeudi 18 juillet 2013 - numéro 45 13

Société

- le droit pour les gens libres de choisir un avocat ;- le droit pour les esclaves d’avoir un avocat commisd’office ;- le droit de communication entre inculpé et avocat.Ni le Code Noir, ni l’Ordonnance royale de 1828,n’étaient respectés par les Magistrats coloniaux.C’est ce que Tanc dénonce sans ambages :« …Si cette funeste partialité des lois est encoreaugmentée par celle des Magistrats chargés de lesfaire observer, si ces Magistrats favorisent l’oppresseuraux dépens des opprimés, que le sort de ces derniersdoit être à plaindre !Car, il faut le dire, les meilleures intentions desMagistrats venus d’Europe, sont toujours paralyséespar l’influence de créoles qui occupent les places lesplus élevées de la magistrature. Or, avec leurs préjugésde caste, leurs intérêts, et leurs intérêts de famille,comment espérer que des créoles cherchent à adoucirpour des noirs, la rigoureuse pénalité des lois ?… ».Et pourtant, Tanc va résister à la justice coloniale,au prix de sa carrière.

II - Xavier Tanc va résister à la justice coloniale au prix du sacrifice de sa carrière

Ce qui caractérise Tanc, c’est sa capacitéd’indignation, et son courage à ne pas accepterl’inacceptable.Pour lui, il n’y a pas l’ombre d’un doute, l’esclavageconstitue un crime contre l’humanité, et il n’entendpas y être complice (A), même si sa résistance doitlui coûter le sacrifice de sa carrière (B).

A - LA PARFAITE CONSCIENCE QUE L’ESCLAVAGE CONSTITUE UN CRIME CONTRE L’HUMANITEA l’époque de Tanc, le crime contre l’humanité,tel que né au procès de Nuremberg, d’août 1945,n’était pas totalement conceptualisé, mais laperception de la faute lourde contre l’humanité,constituée par l’esclavage, était claire, pour toutepersonne sincèrement imbue des idéaux de laDéclaration des Droits de l’Homme et duCitoyen de 1789.

Les idées saugrenues traversent parfois le temps avec persévérance. Ainsi, en est-il de celle qui consiste à affirmer les bienfaits de la colonisation pour les peuples colonisés.En 1832 déjà, Tanc avait une réponse imparable àceux qui exprimaient cette opinion :« …Je les croirai sur parole, malgré ce que j’ai vu, si,à l’exemple de plusieurs personnages de l’histoire, ilsveulent partager le bonheur de cette position(esclave)… Qu’ils partagent pendant quelques tempsle sort de ceux qu’ils disent si heureux… Je les engagedonc à éprouver la mansuétude des commandeurs,la volupté des coups de fouet, la saveur d’une morueinfecte, la nudité, les ondées, la misère, les capricesde l’insolence, les fureurs de la brutalité, et puis, s’ilsont des femmes ou des filles, l’inexprimable charmede satisfaire à volonté les fantaisies de leurs tyrans…».

Et pourtant, on se souvient qu’il a fallu que leConseil constitutionnel censure le deuxième alinéade l’article 4 de la loi du 23 février 2005, qui affirmaitles bienfaits de la colonisation pour les peuplescolonisés (décision du 31 janvier 2006).Ce qui a permis au décret du 15 février 2006,d’abroger cette disposition.

Tanc était, comme beaucoup à son époque,parfaitement conscient que l’esclavage constituaitun crime contre l’humanité :« Cette tyrannie d’une caste sur une autre, étaitopposée à nos idées d’égalité devant la loi,et à notre charte des droits de l’Homme… ».Et, il ne souhaitait pas en conscience, être coupablede ce crime, ne serait-ce que par passivité.« …Je jurai de ne point borner ma compassion à deslarmes stériles, mais de venir élever une voixcourageuse contre une tyrannie, si peu en rapportavec les lois d’un peuple libre, et qui se dit protecteurdes opprimés.Témoin oculaire, je viens déposer au grand procèsde l’humanité contre l’esclavage. Quelle cause ! quelsintérêts ! quel Tribunal !... ».Il faut le dire avec force, pour être d’un courageexceptionnel, cette position n’était pas d’uneexceptionnelle intelligence.Tout être humain censé, sans effort intellectueldémesuré, peut raisonnablement, aujourd’hui,comme hier, savoir, que l’esclavage constitue uncrime contre l’humanité :

En effet, Montesquieu enseignait déjà, que le droitpositif, a pour mission de traduire en lois, des droitsnaturels antérieurs et supérieurs.Rousseau de son côté, exigeait le respect des loisfondamentales de la nature humaine, en ces termes« … Retrouvez le droit naturel, c’est déterminer cequi est juste et raisonnable pour l’homme considérédans son essence même… ».

Par la Déclaration des Droits de l’Homme et duCitoyen de 1789, l’Assemblée Nationale déclaresolennellement des droits naturels, inaliénables etsacrés de l’Homme qui s’imposent tant au pouvoirlégislatif qu’au pouvoir exécutif :

Article 1 : Les hommes naissent et demeurentlibres et égaux en droits.Article 12 :La force publique doit garantir les droitsde l’homme.La Déclaration des Droits de l’Homme et duCitoyen de 1789, proclame des droits naturels etimprescriptibles de l’Homme. Cette déclarationest normative, et constitue un fondement positifaux droits naturels de l’Homme.Tanc n’invente donc rien, lorsqu’il affirme en 1832« … l’histoire des souffrances des esclaves est touteentière dans les lois qui ont établi cette fatale autorité,source de tant de douleurs et de si monstrueuxoutrages à l’humanité… »D’ailleurs, le décret d’abolition du 27 avril 1848affirmait clairement que l’esclavage est un «attentatcontre la dignité humaine… ».Que la criminalité de l’esclavage soit évidente,n’empêche pas les multiples résistances. Ceciexplique que des progrès significatifs en cettematière, soient suivis de régressions déplorables.La Commission des Droits de l’Homme du ConseilEconomique et Social des Nations-Unies, a affirmé,dans le texte d’une résolution, en date du 14 avril1998, que la traite transatlantique et l’esclavage,constituent un crime contre l’humanité.La loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 reconnaît quela traite et l’esclavage constituent un crime contrel’humanité. Mais, la Chambre criminelle de la Courde cassation, dans un arrêt en date du 5 février2013, sur un moyen relevé d’office, a affirmé quela loi du 21 mai 2001, n’a pas de portée normative.A mon humble avis, cette affirmation est pour lemoins contestable :

Chambre criminelle, Cour de cassation, arrêt du 5 février 2013POURVOI NUMÉRO 11-85909

Statuant sur le pourvoi formé par :M. Marie-Joseph X...,contre l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, endate du 30 juin 2011, qui, pour apologie decrime contre l'humanité, l'a condamné à 20 000 euros d'amende, a ordonné lapublication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats enl'audience publique du 22 janvier 2013 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori,Monfort, Buisson, Mme Vannier conseillersde la chambre, Mme Divialle, MM. Maziau,Talabardon conseillers référendaires ;Avocat général : M. Cordier ;Greffier de chambre : Mme Randouin ;Sur le rapport de Mme le conseillerGuirimand, les observations de la sociétécivile professionnelle Gatineau et

FATTACCINI, avocat en la Cour, et lesconclusions de M. l'avocat général Cordier ;Vu le mémoire produit ;Sur le moyen relevé d'office, pris de la violation de la loi du 21 mai 2001 ;Vu la loi du 21 mai 2001 ;

Attendu que si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et del'esclavage en tant que crime contrel'humanité, une telle disposition législative,ayant pour seul objet de reconnaître uneinfraction de cette nature, ne saurait êtrerevêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des élémentsconstitutifs du délit d'apologie ;Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a été renvoyé devant le tribunalcorrectionnel des chefs d'apologie de crimecontre l'humanité et de provocation à ladiscrimination, à la haine ou à la violenceraciale, sur le fondement des dispositionsdes articles 1er de la loi du 21 mai 2001 et 24, alinéas 5 et 8, de la loi du

29 juillet 1881, à raison des propos suivants,diffusés le 6 février 2009 au cours d'uneémission de télévision de la chaîne Canal Plus Antilles et sur le site internet Megavideo.com : " Les historiens exagèrent un petit peu lesproblèmes. Ils parlent des mauvais côtés del'esclavage, mais il y a les bons côtés aussi. C'est là où je ne suis pas d'accord avec eux. Il y a des colons qui étaient très humainsavec leurs esclaves, qui les ont affranchis,qui leur donnaient la possibilité d'avoir un métier", et " Quand je vois des famillesmétissées, enfin blancs et noirs, les enfantssortent de couleurs différentes, il n'y a pasd'harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y en a d'autresqui sortent avec des cheveux crépus, dans la même famille avec des couleurs de peau différentes, moi je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race" ;que le tribunal correctionnel a retenu àl'encontre de M. X... le seul délit d'apologiede crime contre l'humanité à raison des

premiers propos poursuivis, le relaxant pour le surplus ;Attendu que, sur les recours du prévenu, du ministère public et de l'association SOS Racisme, partie civile, la cour d'appel,statuant par motifs propres et adoptés, a confirmé le jugement entrepris sur laculpabilité ;Mais attendu qu'en décidant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susviséet le principe ci-dessus rappelé ;D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieusans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieud'examiner les moyens de cassation proposés :CASSE et ANNULE, en ses dispositionsrelatives au délit d'apologie de crime contrel'humanité, l'arrêt susvisé de la cour d'appelde Fort-de France, en date du 30 juin 2011,toutes autres dispositions étantexpressément maintenues ;

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- l’article 5 de la loi du 21 mai 2001, renvoie à l’article48-1 de la loi du 29 juillet 1881. Et cet article modifiépar la loi Taubira, donne qualité et intérêt auxassociations défendant la mémoire des esclaves, etl’honneur de leurs descendants, pour exercer lesdroits reconnus à la partie civile, en ce qui concerneles infractions des articles 24, 32, et 33 de la loi de1881, relatif à la provocation et à la haine raciale,tout autant qu’à la diffamation et l’injure raciale.- le même article 5 affirme que la présente loi seraexécutée comme loi de l’Etat.D’autres n’hésitent pas à soutenir qu’il ne saurait yavoir de crime, puisque toute l’humanité y aparticipé, et qu’il ne saurait y avoir ni coupable, niréparation. Comme si le crime commis par l’unabsout celui commis par l’autre. Et, comme sichacun n’était pas responsable de sa propre iniquité.L’affirmation de Monsieur Franck Terrier, avocatgénéral à Versailles, dans son discours du 7 janvier1998, prononcé à l’audience solennelle de rentrée,peut éclairer la réflexion.« … Il n’y a pas de génocide sans armes, il n’y a pasd’armes sans hommes pour les porter, armée régulièreou milice organisée. Il n’y a pas d’armes sans Etatpour le vouloir ou le permettre… ».Monsieur Terrier rejoint alors Xavier Tanc qui avaitécrit, sans son libellé au député de l’Allier :« …Rappelons seulement quelques-unes desdispositions atroces et sanguinaires, qui sontconsignées dans le Code Noir. Nous y verrons quec’est sous la sauvegarde des lois, qu’on a tourmentéet massacré, pendant plus de trois siècles, une classed’hommes digne d’un meilleur sort… ».Une telle lucidité de Tanc, et surtout, un tel courage,une telle intransigeance, avec sa conscience, nepouvait que compromettre sa carrière de magistrat.

B - UNE CARRIERE SACRIFIEE AU NOM DE SA CONSCIENCEXavier Tanc a rencontré tous les obstaclespossibles, à l’exercice, avec dignité et indépendance,de ses fonctions de magistrat, garant de la libertéindividuelle.Né le 17 septembre 1800 dans les Hautes Alpes,Tanc était un homme de conviction.A 27 ans, il est inscrit au Barreau de Paris, où iln’exerce qu’une année, puis rejoint la magistrature.

Il est nommé juge de paix à Capesterre enGuadeloupe, pendant trois années.En 1832, il est nommé substitut du procureur àArgentière en Ardèche.C’est de là, qu’il publie le libellé intitulé : « De l’esclavage aux colonies françaises, etspécialement à la Guadeloupe ».Ce libellé est adressé à Victor de Tracy, Député del’Allier, auteur d’une proposition aux chambres,en faveur des gens de couleur.Plusieurs pages du libellé sont publiées dans la« Revue des Colonies », dirigée par Bissette, et dans« le Cahier de Lecture ».En 1834, Tanc est destitué pour : « opinions tropavancées, et pour l’opposition qu’il fit au candidatministériel ».Il est réintégré dans la magistrature, et il est nomméle 2 avril 1848, Procureur de la République à Saint-Pierre en Martinique.En raison de son caractère trempé, il rencontraquelques difficultés dans l’exercice de ses fonctionsà Saint-Pierre.Il est nommé Conseiller à la Cour d’Appel de Fort-de-France. Mais, ses rapports sont mauvaisavec le Procureur Général Meynier, pourtantSchoelchériste.Tanc est nommé Conseiller à la Cour de Cayenne,

où il resta jusqu’en 1853, date à laquelle il futrévoqué une deuxième fois.Evoquer les convictions et le courage de XavierTanc, c’est exprimer que le combat pour la libertéet le respect des Droits Fondamentaux de lapersonne humaine, doit être mené, hier commeaujourd’hui, par tous.Ce combat est de tous temps et de tous lieux.Aujourd’hui encore, des décisions de justicepeuvent faire aussi mal aux descendants d’esclaves,qu’une mutilation ou un marquage au fer rouge.Aujourd’hui encore, il faut se battre contre lecrachat jeté aux visages des descendants d’esclaves,comme, par exemple, par le Député UMP du Var,Jean-Sébastien Vialatte, qui a écrit sur twitter, àpropos des émeutes du 13mai 2013 à Paris :« Les casseurs sont sûrement des descendantsd’esclaves, ils ont des excuses, Taubira va leur donnerune compensation… ».Pour terminer, je ne peux que rejoindre, Bernardinde Saint Pierre (Voyage en Ile de France) :« Je ne sais si le sucre et le café sont nécessaires aubonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deuxvégétaux ont fait le malheur de deux parties du monde.On a dépeuplé l’Amérique, afin d’avoir une terrepour les planter, on a dépeuplé l’Afrique, afin d’avoirune nation pour les cultiver ».

Décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2006Vu la Constitution, notamment sesarticles 34 et 37 ;Vu l'ordonnance n° 58-1067 du7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseilconstitutionnel, notamment ses articles 24, 25 et 26 ;Vu la loi n° 2005-158 du 23 février2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationaleen faveur des Français rapatriés ;Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes dudeuxième alinéa de l'article 4 de la loidu 23 février 2005 susvisée : " Lesprogrammes scolaires reconnaissenten particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,

notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et auxsacrifices des combattants del'armée française issus de cesterritoires la place éminente àlaquelle ils ont droit " ;

2. Considérant que le contenu des programmes scolaires ne relève ni des " principes fondamentaux...de l'enseignement ", que l'article 34 de la Constitution réserveau domaine de la loi, ni d'aucunautre principe ou règle que laConstitution place dans ce domaine ;que, dès lors, le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 23 février2005 susvisée a le caractèreréglementaire,

DÉCIDE :Article premier. - Le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 susvisée a le caractère réglementaire.Article 2. - La présente décision sera notifiée au Premier ministre et publiée au Journal officiel de la République française.Délibéré par le Conseilconstitutionnel dans sa séance du 31 janvier 2006, où siégeaient : M. Pierre Mazeaud, Président, MM. Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de Guillenchmidt,MM. Pierre Joxe et Jean-LouisPezant, Mme Dominique Schnapper et M. Pierre Steinmetz.

Entre économie, éthique et politique, une étude

des débats parlementairesbritanniques et français(1788 1848) dans uneperspective comparée.

Suite aux émancipations du Nouveau Monde (1777-1888), le droit des planteurs à uneindemnisation estgénéralement reconnutandis que leurs esclavesdoivent se contenter de la liberté pour solde de tout compte. Ce phénomène récurrent

dans les Amériques apparaîtaujourd'hui comme insolite -voire comme choquant - etsoulève un certain nombred'interrogations. Pourquoi indemnise-t-on lesmaîtres et non les esclaves ? Comment une telle mesurese justifie-t-elle à l'époque ?

L'ambition de cetterecherche est d'apporter des réponses à cesquestions délaissées par lesspécialistes jusqu'à présent.Le phénomène del'indemnité dans sa globalitéet dans son hétérogénéité

sera étudié, par le biaisoriginal d'une perspectivecomparée et par la sélectiondes débats parlementairesbritanniques et françaiscomme sources inédites detravail. Il sera ainsi démontréque la problématique de l'indemnité - mesured'économie morale -constitue une chevilleouvrière d'uneémancipation.

Prix spécial du jury de thèse du Sénat 2012.Edition Dalloz - 64,00 € - 393 pages

D.R

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Indemniser les planteurs pour abolir l'esclavage ?

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Les Annonces de la Seine - jeudi 18 juillet 2013 - numéro 45

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Des juristes d’exceptionhumanistes et combatifs par Jean-Claude Marin

usqu’ici, nous n’avons décrété la liberté qu’enégoïstes et pour nous seuls. Aujourd’hui, nousproclamons à la face de l’univers - et lesgénérations futures trouverons leur gloire dans

ce décret -, nous proclamons la liberté universelle !»C’est Danton qui s’exprime ainsi à la Convention,le 4 février 1794 de « …cette voix de Stentor, (qui)retentissait au milieu de l'Assemblée, comme lecanon d'alarme qui appelle les soldats sur la brèche»disait Levasseur auteur de la propositiond’abolition de l’esclavage. Ainsi est abrogéel’ordonnance royale de mars 1685 autrementappelée « Code Noir », après 109ans d’applicationnotamment dans ce qu’il était convenu d’appeleralors les colonies françaises des Amériques.La Martinique ne connaîtra pas ce court tempsd’abrogation du support juridique de l’esclavage.En effet, devenue colonie britannique, les lois dela République lui sont alors étrangères.Nous le savons, Napoléon reviendra sur cetteabrogation : le 28 mai 1802, l’esclavage est rétabliet les textes en vigueur antérieurement au 4 février1794 retrouvent application.Il faudra encore attendre 1848 et le travail desconsciences engagées dans la lutte contrel’esclavage comme le duc de Broglie, Alexis deTocqueville ou Victor Schœlcher pour, qu’aprèsles lois Mackau de 1845 qui, tout en adoucissantle régime des esclaves, ne tranchait pas l’essentiel,c'est-à-dire leur liberté, pour qu’enfin, dis-je,l’esclavage soit aboli.En effet, après la nomination de VictorSchoelcher en qualité de sous-secrétaire d’Etatet de président de la commission d’abolition de l’esclavage, les décrets du 27 avril 1848 pris par le Gouvernement provisoire de laIIème République abolissent l’esclavage et punissentles contrevenants de la perte de citoyenneté, laConstitution du 4 novembre 1848, consacrantle principe de l’abolition dans son article 6 quidisposait : « L’esclavage ne peut exister sur aucuneterre française ».Ainsi, il était mis fin à une monstruosité, que la loide 2001, dite loi Taubira, érigera, de manièremémorielle, en crime contre l’humanité,monstruosité qui avait ravalé des femmes et deshommes au rang de meubles, légalement propriétéde leur maître, pouvant même devenir immeublespar destination lorsqu’il étaient rattachés à unepropriété foncière, taillables et corvéables à merci,susceptibles de prêt, de don, de louage ou de vente.Mais ces meuble se voyaient, dans une sorte deparadoxe existentiel, reconnaître une âmechristianisée leur ouvrant les portes du baptême,du mariage chrétien et des obsèques religieusesalors que leur était déniée toute personnalitéjuridique leur fermant les portes de l’accès au juge,à la justice et à la dignité humaine.Tout cela a été, à l’excellence, démontré par deshistoriens et des chercheurs dont il faut ici saluerles travaux qui ont permis de raviver les mémoireset de montrer à quel point la condition des esclavesfut ignominieuse et indigne, condition souventméconnue en dehors des terres soumises ceravalement inhumain.Mais ce qui va nous mobiliser aujourd’hui c’est unépisode souvent méconnu de l’histoire de

l’esclavage en France et de son abolition : il s’agitde la période allant de 1828 à l’abolition del’esclavage en 1848.Avant 1828, le régime procédural civil et pénalprévalant outre-mer, et notamment dans lescolonies françaises d’Amérique, était dérogatoireau droit commun et les décisions rendues par lescours coloniales échappaient au contrôle de laCour de cassation.Or, non seulement des textes postérieurs à 1802ont durci le statut de l’esclave mais encore, les courscoloniales ont eu, de l’interprétation de ces textes,une lecture partiale très défavorable aux quelquesmaigres droits reconnus aux esclaves.Le 24 septembre 1828 intervenait une ordonnanceroyale rendant applicables aux colonies le Codecivil en son entier mais aussi, et surtout, les Codesde procédure civile et de procédure pénale et doncl’organisation judiciaire de droit commun.Effet insigne des ordonnances de 1828, ellesrendaient applicable le contrôle de l’applicationdu droit dans les colonies par notre Cour decassation.Cette avancée va être l’occasion pour notre Courd’engager le combat du droit contre l’esclavagismeet ce combat préparera les décrets de 1848 surl’abolition de l’esclavage.Ce combat va être engagé par tous ceux qui, enqualité d’acteurs de la procédure de cassation,magistrats du siège tels les premiers présidentsHenrion de Pansey et Portalis, du parquet général,tel et j’y reviendrai, que le procureur général Dupindit Dupin l’Aîné, dont le rôle va être décisif, telsenfin nos avocats aux conseils, et on pensenécessairement alors à Isambert et Gâtines.L’humanisme partagé et l’intelligence du Procureurgénéral Dupin, des magistrats de la Cour decassation et des avocats aux conseils les conduirontà des actions concertées au service de valeurssociales et morales, fruit d’un héritage communet point de rencontre de la défense des droits.L’institution judiciaire a ainsi remplit une missiondont elle avait été trop longtemps écartée, grâce

à l’action commune de ceux qui œuvrent avec etpour elle.Si ce travail prétorien est moins connu que lediscours des tribuns abolitionnistes, il n’en a pasmoins constitué un apport essentiel aux valeurshumanistes, supports de la cause abolitionniste.

Le rôle actif du procureurgénéral Dupin Aîné

Un homme va jouer un rôle majeur dans laconstruction d’une jurisprudence de la Cour decassation tendant, notamment en cassant desdécisions rendues par les cours coloniales, àimposer le respect des grands principes contenusdans la Déclaration des droits de l’homme et ducitoyens de 1789 et à une lecture, conforme auxvaleurs d’humanité, du droit applicable dans lescolonies notamment dans les colonies françaisesd’Amérique.

De manière liminaire, je voudrais dire quel’implication du Procureur général Dupin dans lecombat abolitionniste est le reflet, avec certes soncourage et sa détermination propre, du rôle quedoit jouer, que joue encore le Ministère publicfrançais, et notamment le parquet général de laCour de cassation, dont la vocation particulièreest, pour ce dernier, en toute indépendance, leservice de la loi dans une acception digne d’unEtat de Droit et d’une démocratie moderne.L’action du Procureur général Dupin s’enracinedans la grande ordonnance de Philippe le Bel du23 mars 1303 justifiant que l’accusateur aitégalement en charge la recherche de la vérité etla bonne application de la loi.A ce titre, Dupin l’Aîné, en qualité de commissairede la loi, se qualifiait lui-même d’« indépendantdes indépendants(1) » affirmant que, je cite, « la liberté est sous la loi ».Dans son éloge funèbre, son successeur, le

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procureur général Delangle dira de lui :« Ce qui recommandera surtout la mémoire deMonsieur Dupin à la sympathie et au respect desjurisconsultes, c’est la constance avec laquelle il apoursuivi dans l’exercice des fonctions de ProcureurGénéral, la consécration des principes de 1789 ; c’estle souvenir de la fermeté avec laquelle, dans lesquestions d’esclavage et de patronage, il a défendul’humanité. »Mais qui est le procureur général Dupin ?Né à Varzy, dans la Nièvre, en 1783 et mort à Parisen 1865, André Marie Jean Jacques Dupin - ditDupin l'Aîné - est éduqué par sa mère avant d'êtreenvoyé à l'Ecole de Droit de Paris. Maître-clercchez un avoué parisien, il devient docteur en droiten 1806. Il échoue au concours pour une chaire de droit àla Faculté de Paris (1810) et commence à publierdes opuscules de jurisprudence. Entré au barreau,il est proposé par le Procureur Général Merlinpour le poste d'avocat général près la Cour decassation, mais sans succès. Il siège à la Chambre des représentants enmai1815, pendant les Cent Jours. Ni vrai partisanni farouche opposant, il refuse toutefois de voterl'érection d'une statue de Napoléon sur les bordsdu Golfe Juan ornée de l'inscription «Au sauveurde la patrie ». Le 22 juin, il propose à ses collèguesd'accepter l'abdication de l'Empereur « au nom dupeuple français » et s'exprime avec véhémencecontre les tentatives de Napoléon II de s'emparerdu pouvoir. Aux débuts de la seconde Restauration, Dupindoit s'éloigner de la vie parlementaire de1815 à 1827, trop jeune pour être éligible.Il se consacre alors à sa carrière juridique et publieplusieurs ouvrages, dont le mémoire au titrecélèbre « Libre défense des accusés ».Il assume la défense, avec un talent efficace etredouté, de clients prestigieux comme lesMaréchaux Ney, Brune, Gilly, Alix, Rovigo,comme les hommes politiques que sont Isambert,de Pradt, Bavoux, Mérilhou et sa verve animeplusieurs procès politiques et de presse. Dupin devient en 1817 l'un des conseils du ducd'Orléans, auquel il restera fidèle jusqu'à sa mort.En1827, il est élu député de La Charité sur Loire(Nièvre) et siège à la Chambre, dont il devientvice-président en mars 1830. Réélu député le 23 juin 1830, il exercera sesmandats sans discontinuer jusqu'au terme durègne de Louis-Philippe dont il est un proche.Le 30 juillet 1830, au lendemain des TroisGlorieuses, il convainc son ami et client leduc d'Orléans d'accepter la lieutenance générale

du Royaume et lui dicte la célèbre proclamation :« La Charte sera désormais une vérité ». Sous la Monarchie de Juillet, Dupin devientMinistre d'Etat sans portefeuille et siège au Conseildes Ministres de Louis-Philippe. Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 entraîne ladissolution de la Chambre. Lors de la dernièreséance, le Président Dupin invitera ses collèguesà quitter les lieux, et déclarera, en leur montrantles gendarmes : « Nous avons le droit, c'est évident,mais ces messieurs ont la force ; partons. »(2)Dupin acceptera toutefois d'entrer au Sénat le27 novembre 1857 et y restera jusqu'à sa mort. Il est nommé Procureur général près la Cour decassation le 17 août 1830 et malgré le coup d'Etatdu 2 décembre 1851, il conservera son poste deProcureur général, duquel il démissionne le22 janvier 1852, refusant de s'associer aux décretsde confiscation des biens de la famille d'Orléans,«C'est, dit-il, le premier vol de l'Aigle »(3). Le 25 février 1848, le Procureur Dupin décide queles décisions de la Cour seront désormais rendues« au nom du peuple français ». Il sera à nouveau renommé Procureur général le27 novembre 1857 et exercera ses fonctions jusqu'àsa mort en 1865. Il aura donc exercé pendant trente ans lesfonctions de Procureur général près la Cour decassation, en même temps d’ailleurs qu’ilpoursuivait une carrière politique notammentcomme parlementaire et ministre, ce qui, àl’époque était concevable voire courant.Mais c’est à la première partie de sa carrière deProcureur général de la Cour de cassation qu’ilnous faut maintenant aborder, celle au cours delaquelle éclate au grand jour son humanisme àtravers ses profondes convictions anti-esclavagistes, réaffirmées avec force et éclat dansses réquisitions devant la Cour. Rendant hommage aux positions avant-gardistesde la Cour en la matière, inspirées de droit naturelet pétries d'humanité, Jean Carbonnier insiste surle rôle moteur de Dupin l’Ainé, véritable impulsionanti-esclavagiste : « L'œuvre fut collective. Un nom, toutefois, sedétache : celui de Dupin l'Aîné. (…) Ses conclusionsanti-esclavagistes sont d'une voix chaude et d'uncœur généreux. (…) Exégèse, philosophie, sciencesdes textes romains, tout lui est bon pour conclurein favorem libertatis »(4).Ce qui caractérise sans doute le rôle particulier deDupin l’Aîné c’est qu’il va mener son combat dansle respect de la loi, de sa lettre ou de son esprit.Dépourvu de capacité civile, « non-sujet de droit»(5),l'esclave ne pouvait pas ester en justice. Il ne pouvait

donc ni contester une décision prise en sa défaveur,ni réclamer sa liberté. Dès lors, comme diraGâtines, le seul outil procédural permettant à laCour de cassation de contrôler les décisions descours coloniales, majoritairement dévouées auxintérêts des colons(6), était le pourvoi formé dansl'intérêt de la loi relevant du pouvoir propre du procureur général de la Cour de Cassation.Ce fut l'arme procédurale privilégiée du Procureurgénéral André Dupin. Le rappel de quelques affaires marquantes, parmitant d’autres, permettra d’apporter un témoignageconcret de la stratégie judiciaire de Dupin l’Aîné enfaveur de la cause abolitionniste Ainsi l'affaire dite du colon Prus va illustrer, dans lechamp de la preuve testimoniale en matièrecriminelle, entre autres, l’utilisation du droit auservice de la cause abolitionniste.Pour faire avouer à l'esclave Linval la cachette de sescompagnons de marronage(7), son maître, le colonPrus, va lui infliger des tortures si insupportablesque l’homme succombe des suites de ces sévices. La Chambre d'accusation de la Cour Royale deCayenne considère qu'il n'y pas lieu à poursuivreet déclare irrecevables, comme n’émanant pas desujets de droit, les dépositions concordantes dedix esclaves attestant de la violence extrême etrépétée dessévices. Formant, de sa propre initiative, un pourvoi dansl'intérêt de la loi contre cette décision, Dupin vas'attacher à démontrer que l'irrecevabilité de lapreuve testimoniale d'un esclave est contraire àl'ordre public. Cette affaire lui donne une de sespremières occasions de prononcer un réquisitoireanti-esclavagiste en ses termes :« Puisqu'en dérogation au droit sacré de la nature,les lois civiles ont admis l'esclavage, évitons d'aggravercette position déjà si malheureuse; et si l'homme apu devenir la propriété de son semblable, que cettepropriété du moins ne soit pas celle qu'on a définiejus utendi et abutendi » et qualifiant les sévices ducolon Prus de « crimes », Dupin poursuit sonréquisitoire en posant le principe qu'il y a lieu de« s'interposer entre le bourreau et la victime pourrevendiquer les droits imprescriptibles del'humanité »(8).La chambre criminelle cassera et annulera l'arrêt dela Cour de Cayenne par un arrêt du 27 janvier1831.La recevabilité de la preuve testimoniale de l'esclavesera, par la suite, admise en matière civile délictuellepar un arrêt du 9mars 1848. Une autre procédure, connue sous le nom d’affaireLouisy, lui fournira l’opportunité de s’élever contrel’applicabilité des sanctions pénales aux « nègrespatronés ».L'esclave Louisy avait commis une infraction aprèsavoir été affranchi par son maître, mais avant queson affranchissement ne soit enregistré parl'administration coloniale. La question se posait des sanctions pénalesapplicables : étaient-elles celles réprimant les délitscommis par les esclaves envers les hommes libres(plus sévères) ou bien celles réprimant les délitscommis par les hommes libres (plus légères)? Dupin va requérir la cassation de l’arrêt decondamnation qui applique à Louisy le droit pénalle plus rigoureux en ces termes :« Qu'est ce que l'esclavage? Une institution contrenature, qui place un homme dans la propriété d'unautre, qui le fait descendre de l'état d'homme à celuide chose, qui le rend meuble ou immeuble. Il n'y alà qu'une question de propriété; mais si lepropriétaire y renonce, s'il rentre dans le droitnaturel, s'il rend l'homme à sa condition originaire,Ph

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même indirectement en le nommant son légataire,en épousant son esclave, le lien contraire à la natureest brisé; par la seule volonté du maître, par la seuleforce de la manumission, l'esclave est devenu libre.»

Par deux arrêts en date des 18 juin 1831 et 9mars1833, la Cour de renvoi ayant refusé de s’incliner,la chambre criminelle juge que les « nègrespatronés » sont assimilés aux hommes libres. Lesesclaves affranchis par leur maître, mais n'ayantpas encore obtenu la patente d'affranchissementpar le gouverneur de la colonie, doivent se voirappliquer les peines encourues par les hommeslibres et non celles encourues par les esclaves.

La Cour de cassation étendra cette solution à lamatière civile par un arrêt en date du 21mai1835. L'affaire Virginie lui permettra d’aborder, au nomdu droit, les conséquences familiales del'affranchissement.En vertu de l’article 47 du Code Noir, je cite :« Ne pourront être saisis et vendus séparément, lemari et la femme, et leurs enfants impubères, s'ilssont sous la puissance d'un même maître (...)(9)»Virginie, affranchie par testament, réclamel'affranchissement de ses deux enfants demeurésesclaves, sur le fondement de l'article 47. Elle seheurte alors au refus des héritiers de son ancienmaître, lesquels obtiennent gain de cause devantle Tribunal puis la Cour de Guadeloupe, en destermes que l’on ne peut que rappeler pour montrerce qu’était alors l’application de la loi outre-mer : ….« considérant que l'affranchissement donné par un maître à son esclave fortifie les liensd'attachement qui existaient déjà et porte l'esclaveaffranchie à rester près de ses enfants pour les rendreplus utiles à son ancien maître, et les principes defidélité et de dévouement qui lui ont mérité la liberté ;que cette liberté, loin de produire une séparation,opère un plus grand rapprochement ». Cette solution vidait, évidemment,l'affranchissement de sa substance, dans la mesure

où l'état d'esclavage des enfants contraignait lamère affranchie à demeurer auprès de son ancienmaître ou ses héritiers. A l'initiative du pourvoi, le procureur réfutecette interprétation fallacieuse qui fait del'affranchissement une prolongation de l'étatd'esclavage. S'appuyant sur l'article 47 du Code Noir, Dupinélabore un droit de la famille à l'usage des esclaves. Selon lui, l'interdiction de la vente séparée, poséepar l'article 47, repose sur le souci de protéger lacellule familiale de l'esclave(10). Dès lors, le refusd'affranchir les enfants à la suite del'affranchissement de la mère contredit l'article47et le procureur général Dupin s’exprime à cetinstant dans ces termes :« La pensée vraiment humaine [de cet article47] estque la famille ne doit pas être séparée. Le mari nedoit pas être séparé de la femme, l'enfant ne doit pasêtre arraché au sein de la mère. (…) La faveur quis'attache à la liberté de l'homme doit faire interpréterdans le sens le plus large les lois qui, directement ouindirectement, ont pour objet d'étendre cette liberté».La plaidoirie d'Alexandre Amboise Gâtine ira dansle même sens(11).La cassation est ainsi obtenue par les deux arrêtsVirginie, puisque la Cour de renvoi, la Courd’appel de Bordeaux , s’était rebellé en refusant des’incliner, arrêts qui donnent un exemple del'évolution de la notion d'affranchissement, quidevient peu à peu un « droit » à la liberté entenducomme le « droit » de suivre ses enfantsimpubères ou ses parents libérés antérieurementpar le maître. Ainsi par ces arrêts rendus le 1ermars 1841 et, enchambres réunies le 22 novembre 1844, estaffirmé solennellement que l'article 47 doits'entendre comme une « loi d'humanité conformeaux principes du droit naturel, qui ne veut pas queles enfants soient privés des soins de leurs parentstant que la faiblesse de leur âge les leur rendnécessaires »(12).

Cette cassation emporte l'approbation unanimedes contemporains, et sera considérée comme un« évangile judiciaire en matière d'esclavage et deliberté »(13), marquant un point de non retour. L'affaire Furcy permettra au Procureur généralDupin de faire évoluer la jurisprudence sur lechamp d'application de la maxime « Nul n'estesclave en France ».D'origine indienne, Madeleine a suivi et servi sapatronne à Lorient, avant d'être emmenée à l'IleBourbon et réduite à un esclavage de fait. L'un de ses enfants, Furcy, est confié à unpropriétaire d'esclaves. Furcy décide enoctobre 1817 d'obtenir de la justice sa liberté, eninvoquant la Déclaration de 1789. Il se battra judiciairement pendant trente ans, etcette lutte juridique sera largement couverte parla presse parisienne.Malgré l'esclavage de fait auquel sa mère, née libre,a été réduite, l'esclave Furcy n'est-il pas libre lui-même? A l'appui de sa liberté, peut-il invoquerl'affranchissement ultérieur de sa mère résultantde son entrée sur le sol métropolitain?Au cours de cette longue procédure, lesconvictions anti-esclavagistes du procureurgénéral Dupin vont irriguer avec éclat sesréquisitions , je cite encore :« A une époque où tous les efforts de la législationet de la philanthropie se réunissent pour préparerl'anéantissement de l'esclavage, à plus forte raisonla jurisprudence doit-elle protéger les hommeslibres et les affranchir contre la cupidité de ceuxqui s'efforceraient de les retenir ou de les ramenerindûment dans les liens de la servitude ». Plaidant pour l'admission de la requête de Furcy,Dupin fonde son argumentation juridique sur lamaxime « nul n'est esclave en France» argumentant :« (…) nul n'est esclave en France : voilà la maximefondamentale, maxime formée par une espèced'acclamation unanime, respectée par les temps,affermie par l'autorité; maxime peut être la plusglorieuse à la nation et au prince » et concluantavec force « il est évident que Furcy est libre.»(14)La Cour a rendu trois arrêts dans cette affaire, endate des 12 août 1835, 6 mai 1840, et 23décembre1843. Par ce dernier arrêt, prononcé à l'audiencepar le président Portalis, « la Cour dit que Furcyest né en état de liberté. »L'affaire Coralie permet à la Cour de cassation dese prononcer sur l’articulation entre droit des bienset « regroupement familial ».Coralie avait obtenu sa liberté par voie de rachaten 1823 et reçu son titre de liberté en 1826. Entre-temps, demeurée esclave auprès du sieurValencourt, elle avait mis au monde quatreenfants.Elle a été vendue avec deux de ses enfants à sonancienne maîtresse, la dame Blanchet, le sieurValencourt ayant conservé les deux autresenfants. L'esclave Coralie a ensuite été vendue, seule, ausieur Noyer. Au décès de la maîtresse Blanchet,les deux enfants ont été revendus. De son côté,le sieur Valencourt avait lui aussi revendu un desautres deux enfants. Reconnue libre, Coralie réclamait la restitutionde ses enfants, devenus majeurs. Les juges de Basse Terre puis la Cour d’appel deGuadeloupe la déboutèrent en constatant labonne foi des tiers acquéreurs, sur le fondementde l'article 2279 du Code civil, qui dispose qu’enmatière de meuble, la possession vaut titre, faisantainsi primer le droit commun des biens sur l'article47 du Code Noir.

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Portrait du Procureur général André Marie Jean Jacques Dupindit “Dupin l’Ainé”

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Alexandre Amboise Gatine :rendre à l’esclave sa pleine personnalité et sa libertépar Margaret Tanger

Le 8 mai 1848, la frégate à vapeur le Chaptalappareille pour les colonies françaises desIles du Vent avec à son bord lesCommissaires généraux de la République

porteurs des Décrets d’émancipation des 4 marset 27 avril 1848, à la rédaction desquels s’étaitattelée, depuis le 3 mars 1848, la Commissiond’abolition réunie par le Gouvernementprovisoire de la IIe République. MonsieurPerrinon, Martiniquais, Chef de bataillon del’artillerie de Marine, se rend à la Martinique.Alexandre Amboise Gatine, français de laMétropole, avocat aux Conseils et à la Cour decassation, est envoyé à la Guadeloupe et dans sesdépendances, où il arrive le 6 juin 1848.

Durant les longues semaines de traversée, lesesclaves se sont déjà émancipés. En effet, depuisl’adoption du Décret du 4 mars posant que« Nulle terre française ne peut plus porterd’esclave », la nouvelle s’est répandue dans leshabitations. Dans un climat insurrectionnelexacerbé par le sentiment d’une attenteinsupportable, les Gouverneurs de ces deux iles

furent bien contraints de proclamer l’abolition,avant l’arrivée des émissaires du Gouvernement.Sans doute, Gatine eut-il préféré avoir été présentà l’instant même où « la liberté explosait dans cescolonies », par une volonté symbolique de partage

avec ces hommes, ces femmes et enfants, auxcôtés desquels il avait mené durant 17 ans uncombat judiciaire âpre et déterminant contre lesystème esclavagiste, son Code Noir, et ses affidésdes colonies. Mais, au moment de fouler le sol

La Cour, dans son arrêt du 6 janvier 1847, sur lepourvoi formé par le Procureur général Dupin,écarte l'application de l'article 2279 au bénéficed'une interprétation humaniste et extensive del'article 47 du Code Noir. Par un arrêt solennel, la Cour de cassation énonceque l'article 47 « est général, absolu dans sa nature,et doit trouver application toutes les fois [que par]un acte quelconque de vente, saisie, donation,affranchissement ou rachat, de jeunes enfants setrouvent séparés de leur mère, ou celle-ci privée deses enfants ». Les juges ajoutent que l'esclave quis'est racheté « n'est assurément enchaîné par aucunlien de reconnaissance pour cet étrange bienfait quiconsiste à vendre à un homme sa liberté naturelle,le bien imprescriptible qu'on lui a ravi ».D’autres arrêts, rendus majoritairement surpourvoi dans l’intérêt de la loi formé, d’initiative,par le procureur général Dupin, mériteraient sansdoute de plus amples développements tels :− L’arrêt rendu par la Chambre criminelle le8 février 1839 dans l’affaire Sieur Huc. L'esclave dusieur Huc peut-il être confisqué parl'administration douanière au même titre que lesmarchandises de contrebande qu'il détient ? LaCour fait échec à une lecture emprunte d’unerigueur absurde du droit des biens et énonce quel'on ne peut saisir que des choses, or l'esclave n'enétant pas une, il n'est donc pas confiscable. − Ou celui rendu par exemple par la Chambre desrequêtes le 25 mai 1841 dans l’affaire Barrat c/Lemaître et MP : lorsque la plantation esthypothéquée, les esclaves - en tant qu'immeublespar destination - font partie de la garantie du créancierhypothécaire. Le propriétaire peut-il les affranchir,et ainsi préjudicier aux droits du créancier? La Cour

écarte le droit commun pour privilégier uneapproche libérale et privilégier l'affranchissement desesclaves aux droits du créancier.Ces exemples sont le témoignage terrible de l’étatde servitude dans lequel ont vécu, il y a moins dedeux siècles, des femmes et des hommes sur desterres françaises.Ils forcent aussi l’admiration pour ces juristesengagés dans une cause où leur seule arme étaitle droit, le droit conçu comme l’expression deprincipes transcendants une vision de la loi réduiteau service d’intérêts dominants.Faut-il le souligner, ces magistrats, et parmi eux,le procureur général Dupin, ces avocats auxconseils ne vont pouvoir s’appuyer sur nul principefondamental, nul droit de l’homme consacré aurang de norme supranationale au soutien de leurposition.Leur unique conscience sera le ressort de leurdémonstration. Cette action, menée dans l’intimitéd’un prétoire, en révélant l’ignominie tout autantque l’absurdité juridique du Code Noir, avéritablement sapé la constitution civile del’esclavage en le déracinant de ses fondementshonteux. Plutôt que d’affronter la loi, volonté de l'expressiongénérale, la Cour de cassation, guidée par sonprocureur général et ses avocats aux conseils,s’attaquera aux incohérences juridique etéconomique du Code Noir. Grâce à la persévérance de ces hommes, la Courde cassation balisera le chemin de la cause politiquesoutenue par Schoelcher, Tocqueville ou le Ducde Broglie et qui, sans cet engagement des acteursde notre Cour judiciaire suprême n’aurait peut êtrepas connue alors son heureux dénouement.

Notes1. Formule de Dupin cité par Delangle, Procureur général près laCour de cassation, lors de l’audience de rentrée du3 novembre 1866, « Monsieur le Procureur général Dupin »,ouvrage précité. 2. Victor Hugo ne sera pas tendre avec Dupin, qu'il qualifiera de « honte incomparable » - cité dans le Dictionnaire. 3. Cité dans le Dictionnaire.4. J. Carbonnier, L'esclavage sous le régime du Code civil, inFlexible Droit, LGDJ 1995, p.207.5. Gatine (1805-1864) – Un avocat aux Conseils, précité. 6. La majorité des magistrats coloniaux étaient eux-mêmespropriétaires d'esclaves.

7. Le marronage était « la fuite hors de l'habitation avec l'intentionde ne pas y rentrer » G. Debien, Le marronage aux antillesfrançaises au XVIIIe siècle, Vol. 6, n°3, Institut des étudescaribéennes, 1966.8. Tous les extraits des réquisitoires de Dupin sont issus de Réquisitoires, Plaidoyers et discours de rentrée, A. Dupin, ou de l'article de P. Ghaleh Marzban et J.L Nadal paru aux Mélanges Costa.9. « … déclarons nulles les saisies et ventes qui en seront faites;ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires:sous peine contre ceux qui feraient les aliénations d'être privésde celui ou de ceux qu'ils auront gardés, qui seront adjugés auxacquéreurs sans qu'ils soient tenus de faire aucun supplémentde prix. »10.Même si les esclaves ne formaient point de véritable « famille ».Ils pouvaient se marier religieusement et faire baptiser leursenfants, mais leur vie commune ne produisait aucun effet civil. 11.Et fit son petit effet parmi les magistrats des chambres réunies:« l'austérité des magistrats de la cour suprême s'émut elle mêmede cette péroraison », cité par Alexandre Amboise Gatine, avocataux conseils du roi et à la Cour de cassation, extrait de la Revuedes contemporains, Paris 1845.12. Ces arrêts donnent aussi un bel exemple de la démarche dela Cour : respecter la lettre du texte dans une inspiration naturaliste.13. J. Richard, Le statut juridique de l'esclave aux Antilles sousl'empire du code civil (1804-1848), in Du Code Noir au code civil,J.F. Niort, L'Harmattan, 2007.14. Journal du Palais, année 1840, dir. Ledru Rollin, ImprimerieDe Guiraudet et C. Jouaust, Paris

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de la Guadeloupe, l’avocat défenseur fidèle etacharné des esclaves ne peut que se réjouir et, àl’adresse de la foule importante qui l’accueille, ilaura ces mots justes : « Je croyais descendre surune terre d’esclavage et je mets les pieds sur uneterre de liberté. De tous les faits accomplis, il n’enest pas de plus acceptable assurément que cetteanticipation de la délivrance de nos frères noirs.Homme et abolitionniste je m’en réjouis ».Avocat abolitionniste, l’engagement et les valeurspersonnelles de Gatine, ses plaidoiries, sesmémoires et pétitions, furent déterminants dansla décision de la France d’abolir l’esclavage en mars1848. C’est cela que je me propose de vousdémontrer, à l’occasion de ce colloque. Pour cefaire, je vais dans un premier temps, vous brosserl’itinéraire d’un avocat de la cause des noirs (I).Non seulement il a lutté pour l’abolition del’esclavage, mais les combats judiciaires menésont eu un impact immédiat sur la conditionjuridique et humaine des esclaves, qui s’est trouvéeaméliorée. Pour illustrer ce propos, je citerai deuxexemples en seconde partie d’exposé (II).

I - Alexandre Amboise Gatine : itinéraire d’un avocat de la cause des noirs

Qu’il s’agisse d’évoquer ses origines sociales etfamiliales, où encore ses débuts dans la professiond’avocat, Gatine aura reçu l’amour du droit enhéritage qu’il mettra au service des plushumbles (A). Il sera guidé par le destin quiorchestrera les rencontres déterminantes (B) etnécessaires au triomphe de la causeantiesclavagiste à laquelle il consacrera unegrande partie de son existence.

A - L’AMOUR DU DROIT EN HÉRITAGE Né à Paris le 30 mars 1805, Alexandre AmboiseGatine se destinait initialement à une carrière deMagistrat, puisqu’après avoir obtenu son diplômed’avocat à la Cour de Paris en 1827, il devientjuge-auditeur au Tribunal de Provins en 1830. Ila d’ailleurs de qui tenir, puisque son grand-pèrematernel est magistrat et son oncle, Maitre desrequêtes au Conseil d’État. Sa mère, AlexandrineLeriche de Cheveigne est en effet la fille duMarquis de Cheveigne, ancien conseiller auParlement de Paris. Mais pour avoir convolé enjustes noces avec le roturier Amboise MagloireGatine, sa mère sera déshéritée. Un autreévénement viendra le détourner définitivementde la Magistrature, c’est l’instauration de laMonarchie de juillet, et la décision de Louis-Philippe de supprimer les Juges-auditeurs issuspour la plupart des grandes familles proches del’ancienne dynastie. C’est dans ces circonstancesque Gatine se déterminera finalement pour unecarrière d’avocat. Est-ce la discrimination dont a été la victime sonpère roturier qui le poussera à regarder endirection des colonies…? ! Toujours est-il queGatine se distingue en publiant en mars 1831,un article intitulé « De l’inconstitutionnalité del'ordonnance concernant les colonies, rendue le26 février 1831 » (Paris, mars 1831), dans lequelil reproche au Gouvernement d’avoir violer laCharte constitutionnelle de 1830, en légiférantpar voie d’ordonnance sur des questionsconcernant les colonies, alors que ce texte réserve

ces matières au domaine de la loi. Ils sont peunombreux les avocats qui, à cette époque,s’intéressent aux colonies, et cette publication lefera remarquer de l’illustre avocat aux Conseilset Député, François-André Isambert. Maître Isambert a été quelques annéesauparavant le défenseur des mulâtres Bissette,Fabien et Volny, condamnés aux galères àperpétuité et à la marque en 1824 par la Courroyale de Martinique, pour avoir « colporté unlibellé séditieux et avoir formé un dépôt de diversécrits calomniant les tribunaux coloniaux et lesblancs créoles » (voir Stella Pame, Cyrille Bisette :un martyr de la liberté, Ed. Désormeaux). Enréalité, le seul crime qu’ils ont commis est d’avoirosé réclamer l’égalité des droits politiques avecles autres citoyens libres. L’avocat des libres decouleur avait réussi à obtenir de la Cour decassation l’annulation de l’arrêt, et après unnouveau procès devant la Cour royale de laGuadeloupe, les mis en cause s’en sortiront avecun peine de 10 ans de bannissement des colonies,que Bissette exécutera en Métropole.Gatine prêtera son serment d’avocat aux Conseilsdu Roi et à la Cour de cassation le 4 juin 1831, etintégrera le cabinet Isambert, dont il deviendrale digne successeur. C’est dans ce contexte qu’ilépousera la cause des noirs esclaves et mèneradurant de longues années, une lutte acharnéepour l’égalité des droits et la liberté des esclaves. Assez paradoxalement pourtant, son premierclient est un magistrat blanc, Herme-Duquenne,qui a été suspendu et renvoyé de la Martinique.Ce juge d’instruction avait commis le crime dediner « avec des gens de couleur », et le Procureurgénéral de la colonie déclarait ne pouvoir tolérer« une conduite qui blesse, d’une manière aussiforte, des principes aussi sacrés ». Gatine rétorqueque « ce qui blesse la loi et la morale, c’est laconduite des autorités supérieures de laMartinique … c’est l’arbitraire sans pudeur, et danssa plus hideuse nudité ». Gatine lui prêteraassistance pour son recours, mais ils neparviendront à contraindre la hiérarchie à revenirsur sa décision.Il poursuivra la lutte sur le terrain politique avecBissette, et présentera avec lui devant la Chambredes Députés, en 1831, une pétition dénonçantl’interdiction faite aux esclaves de se pourvoir encassation. À l’origine de cette mobilisation, ledrame vécu par Élysée, une jeune esclave de15 ans, condamnée par la Cour royale deMartinique « à être pendue et étranglée, jusqu’àce que mort s’ensuive, et son corps jeté à la voirie,pour avoir formé le projet de s’évader et d’avoirainsi voulu ravir à son maître le prix de sa valeur ». Mais les parlementaires ne sont guères réceptifsà une époque où la cause abolitionniste a cédébeaucoup de terrain face aux poids des intérêtséconomiques du Royaume. Il faut revigorer lemouvement, et Gatine sait pouvoir compter surson confrère et ami, le Député Isambert qui fondeen 1834, avec des libéraux illustres commeTocqueville, Charles de Rémusat, Lamartine, deBroglie, Passy ; et des républicains prononcéscomme Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, VictorSchœlcher..., la Société Française pour l'Abolitionde l'Esclavage (SFAE).

B - DES RENCONTRES DÉTERMINANTESDu côté judiciaire, les choses se mettent en placeassurément. Maître François-René Isambert estdevenu en 1832, Conseiller à la Cour de cassation,et peut sensibiliser à la cause des esclaves

l’ensemble de ses collègues. Il y retrouve d’ailleursle Procureur général près ladite Cour, André MarieJean Dupin, installé dans ses fonctions depuis aout1830. En à peine quelques mois, deux affairesscandaleuses étaient venues conforter l’hostilité queDupin nourrissait déjà à l’encontre du régimelégislatif spécial appliqué dans les colonies. Ainsi dans l’arrêt Colon Pruss rendu le27 janvier 1831, Dupin avait dû former lui-mêmeun pourvoi dans l’intérêt de la loi pour obtenir lacassation d’une décision de non-lieu rendue par laChambre d’accusation de Cayenne au bénéfice dePruss, qui avait pourtant torturé à mort un de sesesclaves marrons. Dans l’arrêt Leblond rendu le15mars1831, le Procureurgénéral Dupin prenaitdes réquisitions soutenant la demande devalidation de l’acte de reconnaissance paternelled’un enfant naturel issu de la relation d’un colonblanc et d’une femme esclave, et son admissionà la succession de son père, et ce, en contradictionavec le règlement colonial de la Guyane (voirMargaret Tanger, Les juridictions colonialesdevant la Cour de cassation 1828-1848, aux Ed.Economica). Gatine sait qu’il dispose désormais de l’écouteattentive du Parquet général et des conseillers dela Cour de cassation. À partir de 1833, lespourvois en cassation qu’il porte pour le comptedes nègres patronnés, des affranchis et desfamilles esclaves, donneront à la Cour suprêmel’occasion de développer une jurisprudencefavorable à la cause des esclaves.Pour ce qui a trait à la seule question desaffranchissements d’esclaves, Gatine va plaiderentre 1841 et 1848, 36 affaires. Soutenus par leuravocat, les esclaves Virginie, Coralie, Leonarde,Henriette, Elia Plata, Coralie, Agnès, PlacideBenoit, Marie Sainte Platon et les autres, dont laliberté était contestée par les maîtres, auront laforce de s’opposer au système esclavagiste, malgréles risques, et entraineront avec eux dans laliberté immédiate 122membres de leur famille.Ces nouveaux libres lui adresseront denombreuses lettres de reconnaissance, dontVictor Schoelcher dira qu’elles sont « une justerécompense du service qu’il a rendu à la cause del’abolition et de l’humanité, par le zèle infatigableet désintéressé avec lequel il a soutenuMademoiselle Virginie (…) ». Enfin, le destin de Gatine sera marqué par uneultime rencontre, qui est celle qu’il fait avecFrançois Arago. Alors Ministre des colonies,Arago le recrute au sein de la commissioninstituée par décret du Gouvernement provisoirede la IIe République, du 4 mars 1848, pourpréparer l’acte d’émancipation immédiate danstoutes les colonies. Il y rencontrera despersonnalités déjà connues comme Schœlcher,Maestro, Perrinon, Gaumont, Wallon et Percin.Il est alors le seul juriste de la commission.

C’est ainsi qu’il est nommé Commissaire généralde la République à la Guadeloupe et dans sesdépendances, fonctions qu’il occupera dans cesîles de mai à octobre 1848. Il y multiplie lesmesures pour l’égalité civile et la justice sociale,qui lui valent une grande popularité. On lui doitla création des jurys cantonaux — juridictionparitaire comprenant nouveaux libres et anciensmaîtres —, qu’il installera dans les colonies pourrégler les conflits de travail qui ne manquèrentpas de se multiplier. Gatine cherche à maintenir un climatd’apaisement dans la colonie, essayant de

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concilier les intérêts en présence. Mais sonapproche est loin d’être partagée par lespropriétaires terriens qui critiquent son refusd’adopter des mesures coercitives pour contraindreles nouveaux libres à reprendre le travail. Descomplots sont fomentés pour le discréditerpubliquement et le pousser au départ. La presse lecritique ouvertement, et écrit que Gatine « passeson temps à jouer au billard avec des nègres et desmulâtres ».Mais c’est sur l’autel des enjeux politiques qu’il serafinalement sacrifié. Voyant sa popularité auprèsdes nouveaux libres, Victor Schœlcher le tientdésormais pour un rival sérieux à ses prétentionslégislatives. Il écrit à Charles Boitel, Directeur del’intérieur : « Partez sans retard et surveillez le citoyenGatine pour les élections afin qu’il n’y prenne pas maplace, car je veux être nommé aux colonies » (voirOruno Lara, Suffrage universel et colonisation,1848-1852, L’Harmattan, 2007, p. 129). LeCommissaire général Gatine sera finalementrappelé en France le 14 octobre 1848, aprèsseulement 4 mois passés à la Guadeloupe. Ilreprend son métier d’avocat aux Conseils en 1849,cesse d’exercer en janvier 1863 et décède à Paris le21 août 1864.

II - Deux exemples d’actionsconcrètes d’Alexandre AmboiseGatine pour l’égalité des droits

des esclaves et leur liberté

Les affaires plaidées par Gatine devant la Cour decassation en matière d’affranchissement sont bienconnues, alors que celles concernant la capacitéde l’esclave d’ester en justice et l’aide juridictionnelleont été oubliées. Pourtant, pour bénéficier desarrêts libérateurs de la Cour de cassation, encorefallait-il que le droit de se pourvoir en cassation soitreconnu à l’esclave (A). Une fois ce droit acquis, ilrestait à le rendre effectif en permettant à cesnouveaux justiciables démunis financièrementd’accéder à l’aide judiciaire (B).

A - L’ACCÈS DES ESCLAVES AUPOURVOI EN CASSATIONGatine sait combien il est essentiel pour mettre finà l’impunité des crimes commis, que les décisionsrendues par les Cours coloniales soient soumisesau contrôle de la Cour de cassation. Or beaucoupde jugements condamnant des esclaves à despeines injustes ou acquittant des maitrestortionnaires deviennent définitifs faute pour lesvictimes de se pourvoir en cassation. Ainsi sur72 plaintes en sévices déposées à la Martiniqueentre aout1845 et décembre 1846, plus de la moitién’a pas été instruite par le Ministère public.Quatre maîtres ont été renvoyés devant la Courd’assises pour acquittement, les autres s’en sontsortis avec des peines correctionnelles amoindries(Victor Schœlcher., Histoire de l’esclavage les deuxdernières années, Pagnerre 1847). L’unique possibilité pour l’esclave condamnéd’obtenir la révision de la décision, était entre lesmains des Procureurs généraux de Courscoloniales, si ces derniers décidaient d’user dupourvoi dans l’intérêt de la loi. Mais ces pourvoisétaient très rares. Il faut dire que ces Magistratssont choisis, le plus souvent au sein de l’oligarchiecréole par le Ministre de la Marine et des colonies(ce qui est déjà une singularité par rapport aux

Magistrats de Métropole placés sous l’autorité duGarde des Sceaux). On estime qu’à la Martinique,entre 1675 à 1822, les 11 Procureurs générauxnommés possédaient des habituations sucrièresavec de nombreux esclaves. Cinq d’entre euxétaient nés aux colonies, alors que les six autres yavaient contracté le mariage » (Émile Hayot, LesOfficiers du Conseil souverain de la Martinique,Limoges, 1965).Gatine doit reprendre son bâton de pèlerin.En1831, lors de la pétition qu’il avait conduite avecBissette, il s’était insurgé contre le fait que « lepourvoi des esclaves (n’était) pas reçu dans les greffesde l’ordre exprès des procureurs généraux », et ce,en violation de l’ordonnance du 24 septembre 1828sur l’organisation de l’ordre judiciaire etl’administration de la Justice en octobre 1828 dansles iles de la Martinique et de la Guadeloupe(Bissette, Gatine, Pétition à la Chambre desDéputés, relative au droit dénié aux esclaves de sepourvoir en cassation, 11 août 1831). Ce textepermettait enfin l’application du Code d’instructioncriminelle dans les procès, lequel Code nerestreignait pas le droit des esclaves à former unpourvoi en cassation.

Si la Chambre des députés ne l’avait pas entenduà l’époque, il en sera tout autrement de la Cour decassation devant laquelle Gatine réitère sonengagement et plaide que : « Le recours en cassationest un droit naturel : c’est le droit de la défense lui-même ». Pour Gatine, les défenses posées par lesProcureurs généraux doivent être enfin levées, car« c’est (dit-il) un cri d’humanité ; c’est l’exécution dela loi ! Il importe – poursuit-il – d’alléger le joug qu’onne veut pas briser, - (et conclut que l’on) ne peut leurrefuser encore les droits de l’homme…». La Cour decassation ne restera pas indifférente à ce discours,et va saisir l’occasion d’une affaire Antoine, jugéeen1838, pour contrôler les sentences prononcéesà l’encontre des esclaves qui n’ont pas pu formerde pourvoi. Dans ce dossier, Antoine, noir déclaré libre et ayantpar conséquent retrouvé sa pleine capacité, est leseul qui soit juridiquement en mesure de formerun pourvoi en cassation contre un arrêt de la Courd’assises l’ayant condamné à une peine excessivepour un simple vol commis avec la complicité deplusieurs esclaves. La Chambre criminelle vadéclarer que ces esclaves pouvaient former unpourvoi, dès lors qu’une ordonnance du 4 juillet1827 relative au mode de procéder en matièrecriminelle dans les colonies, permettait à l’esclave

condamné par une Cour d’assises pour des faits decomplicité de délit ou de crime avec un libre, devoir son affaire soumise à l’examen de la Cour decassation en cas de pourvoi formé par le co-auteurou le complice de condition libre. Il restait encoreà trouver les bons arguments pour accueillir cepourvoi admis hors délai, la Cour retiendra à cetégard que les esclaves n’avaient pas « formellementrenoncé au bénéfice de ce pourvoi ». Ainsi la capacitéjuridique de l’esclave était-elle ainsi implicitementaffirmée. En effet, dire que les esclaves n’avaientpas renoncé au bénéfice du pourvoi revenait enfait à les déclarer capables d’exercer une prérogativejuridique, à savoir celle de renoncer à un droit, dontils auraient déjà été titulaires, or lorsque la Courstatue en 1827 la loi ne reconnaît toujours pas quel’esclave est une personne.

B - LE BÉNÉFICE DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE Il ne suffisait pas de se voir reconnaître le droit d’agiren justice, encore fallait-il disposer des moyensfinanciers pour le faire. Tenus dans la plus grandemisère et le plus total dénuement, rares étaient lesaffranchis à pouvoir exposer l’ensemble des fraisde justice nécessaires. C’est une contrainteconsidérable sur laquelle les réfractaires à touteévolution de la condition des noirs aux coloniess’appuyaient pour bloquer les pourvois contre lesdécisions refusant les affranchissements. C’estd’ailleurs dans ce contexte que Gatine va saisir laCour de cassation de ces difficultés, l’invitant àassouplir les conditions d’accès à « l’aidejuridictionnelle » de l’époque. Pour en bénéficier, les justiciables dépourvus derevenus devaient obtenir préalablement uncertificat d’indigence. Un tel document était délivrépar le maire du canton issu le plus souvent de lacaste des Créoles. Comme on peut s’en douter, lestenants de la cause esclavagiste devaient faire durefus de délivrer ledit certificat, un moyen d’écartertout contrôle de la Cour de cassation sur lajurisprudence des cours royales coloniales. Lecomble du cynisme était atteint lorsque le mairequi devait établir le certificat était aussi lepropriétaire de l’esclave. Dans l’ouvrage Histoirede l’esclavage les deux dernières années, VictorSchœlcher relate l’exemple suivant : « MonsieurGosset, Maire de Saint-Pierre, partie dans uneaffaire Melchior, où une jeune fille placée sous latutelle de ce dernier réclame la liberté de sa mèreet de quatre de ses frères et sœurs, en vertu del’article 47 du Code Noir. Monsieur Melchior fait

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sommation à Monsieur Gosset par huissier, endate du 24 octobre 1846, d’avoir à délivrer uncertificat d’indigence ; à quoi Monsieur Gossetrépond que « les esclaves ne sont jamais indigentsayant un maître ». Tous les moyens dilatoires,intimidations et voies de fait étaient mis en œuvrepour empêcher l’esclave de se retrouver avec soncertificat d’indigence entre les mains, et les maîtressavaient pouvoir compter sur l’indifférence desinstances judiciaires, administratives et politiquesjusqu’au Ministère de la Marine et des colonies.Cette situation émut considérablement la Cour decassation, saisie de ce problème dénoncépubliquement par Maître Alexandre Gatine.L‘avocat plaida pour la reconnaissance de l’étatgénéral d’indigence dans laquelle se trouvait toutepersonne réduite à l’esclavage. Ainsi s’exclame-t-il :« L’esclave n’est-il pas en état d’indigence, constatéepar sa condition même ! Et en conséquence, dansles causes de liberté, en Cour de cassation, n’est-onpas dispensé, non seulement de consigner l’amendede 165 francs, mais même de produire un certificatd’indigence? ». Il devait inviter la Cour de cassationà procéder par analogie, en alignant la situation desesclaves « ce condamné de la loi civile », sur celledes condamnés des Cours d’assises, lesquels étaientdispensés de l’obligation de consigner ou deproduire un certificat d’indigence. Selon l’avocat,« Les positions sont pareilles, en ce sens que dansl’une et l’autre, il s’agit d’un droit de l’homme dont ladéfense ne peut échouer devant les fins de non-recevoir, devant des obstacles de procédure ou defiscalité civiles ».Mais l’analogie s’arrête à ce premierconstat puisque Maître Gatine relève qu’« à la causede l’esclave s’attache une immense faveur qui nesaurait être accordée à la cause du condamné. Cedernier, c’est un criminel ; l’autre est la victime de tousles crimes résumés dans le mot esclavage ». Il termineen ajoutant : « Concluons donc que l’esclavage estun état d’indigence légale, ou si ces mots outragentla loi, un état d’indigence constatée indépendammentde tout certificat…».Dans l’arrêt Marie Noël daté du 9 août 1846, la

Cour de cassation suivra la démonstration deGatine. Dans cette affaire, le jeune Anténor,affranchi de son état, réclame la libération de samère Marie Noël. Sa demande est accueilliefavorablement par le Tribunal de premièreinstance, mais il succombe devant la Cour royalede la Martinique sur l’appel interjeté par lepropriétaire de la mère. Malgré de nombreusessollicitations, le Maire du canton de Saint-Pierrerefuse de délivrer un certificat d’indigence au SieurNelson, tuteur du garçon. De ce fait, il ne peutjoindre à son pourvoi qu’une attestation signée deplusieurs habitants dans laquelle ces dernierscertifient qu’à leur connaissance Marie Noël setrouve dans l’indigence la plus extrême. Lessignatures de ces témoins étaient légalisées par lemaire lui-même, assorties de la mention suivante :« Le Maire, ne connaissant pas dans quelle positionsociale se trouve la personne ci-dessus dénommée,ne peut attester son état d’indigence». Se posait dèslors la question de la recevabilité de ce documenten lieu et place du certificat d’indigence exigé parla loi. Traditionnellement, la Cour de cassationavait sur cette question une jurisprudence plutôtstricte, puisque le Code de procédure civilepréconisait purement et simplement le rejet dupourvoi. Dans son réquisitoire devant la Cour,l’Avocat général Chegaray dénonceral’instrumentalisation de ce dispositif pour « fermerl’accès de la Cour de cassation à des malheureux quiréclament leur liberté », et invitera la Chambre desrequêtes à accueillir malgré tout le pourvoi au titrede l’aide juridictionnelle.

ConclusionAu moment de conclure ce propos, il me revientà la mémoire un extrait du discours prononcé parAimé Cesaire le 22 mai 1971, date célébrant larévolte des esclaves pour l’abolition de l’esclavageen Martinique. Rejetant l’idée d’un Schoelchérismeofficiel qui ravirait aux esclaves leur contributionà leur propre liberté pour ne l’attribuer qu’à un seul« philanthrope – libérateur des noirs », Cesaire

déclarait : « Et c’est pourquoi, malgré le Décret du 4mars 1848, malgré le décret du 27 avril 1848, il fallaitquand même qu’il y eût un 22 mai 1848 ».C’est direque la mémoire ne saurait être sélective. L’abolition de 1848 est aussi le résultat de 20annéesd’une longue bataille livrée par les milieuxjudiciaires, magistrats et avocats de la Cour decassation, mais aussi par ceux qui ont eu le courage,depuis leur position inconfortable auprès desjuridictions coloniales, de soutenir et d’alimenterla lutte juridique contre le système esclavagistejusqu’à son renversement. À travers de sajurisprudence civile et pénale sur l’esclavage, cesont bien les principes et droits fondamentaux dela personne humaine que la Cour de cassationmettait en œuvre en faveur de ceux qui en avaientété trop longtemps privés : dignité, libertéindividuelle, droit de propriété, droit de mener unevie familiale normale, mais aussi les garantiesgénérales comme le droit au juge, à la défense, à lasécurité juridique, le droit à l’égalité et le respect duprincipe de légalité des délits et des peines.Ces travaux auront aussi mis en exergue la capacitédes esclaves — souvent présentés à tort commesoumis et passifs devant le sort qui leur était fait —à appréhender les contradictions et les faiblessesde la législation pour mieux la combattre. Lesesclaves Antoine, Louisy, Virginie, Leonarde,Coralie, Elia Plata, Montout qui ont contribué àbâtir la jurisprudence humaniste de la Cour decassation, méritent d’être aussi retenus pour avoirsu hisser la cause de la liberté au dessus ducloisonnement d’une société, pour s’allier le soutiende tous les hommes de bonne volontéindépendamment de leurs origines familiales etsociales, ne retenant finalement que les convictionsdu cœur. Que ces anonymes de l’histoire, qui ontsu prolonger leur révolte en faisant appel à la forcemédiatrice de la Loi, restent présents dans nosmémoires. Avec les armes de la raison, ils nousinvitent à adopter un regard moins figé sur le passépour agir sur le présent avec plus d’efficacité, etconstruire ensemble l’avenir avec lucidité.

La Cour de cassation, cour suprême de l'ordre

judiciaire, a porté dès sacréation une part de laconscience française, alorsque subsistait encore lesystème inique de l'esclavage,cohabitant avec le Code civil. Il n'est pas exagéré d'affirmerqu'elle ne s'est pas contentéede dire le droit, mais participa, à sa manière, àl’action émancipatrice desnoirs des colonies françaisesd'Amérique : Martinique,Guadeloupe et Guyane. C'est cette part peu connue de l’action de la cour suprême que le présent livre cherche à retracer enmontrant que derrière lesarrêts, il y avait des êtres

vivants, des valeurs humaines qu'il s'agissait de faire émerger. Le lecteurnon juriste, mais néanmoinssensible et intéressé par cette période qui constitueune partie de l'histoirecommune française, trouveradans cet ouvrage le récitédifiant des drames danslesquels furent plongés deshommes, des femmes et desenfants, victimes des préjugésmais aussi d'enjeux financierset de pouvoir. Il y verra aussi à l'œuvre des magistratsintègres et des avocatshonnêtes qui, devant desactes ignominieux tolérésvoire encouragés par l'autoritécoloniale, se dressent pourexiger la justice pour tous.

Margaret Tanger est Docteur en droit, Avocat à la Courd'appel de Fort-de-France,Diplômée de la HarvardUniversity Law School.Présidente de l'Association de Recherches Comparées Droits internes et Internationaux, sespublications, parmi lesquellesl'ouvrage intitulé « La failliteen droit fédéral des Etats-Unis », ont fourni au législateur désireux demoderniser le droit françaisd'inestimables pistes deréflexion. Ce second ouvrageest une contribution toutaussi utile et novatrice.

Edition : Economica139 pages- 20 €

Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation

D.R

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par Margaret Tanger

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Aujourd'hui à cette heure-ci, je voudraisvous parler d’Aimé Césaire. Il y a cinqans, la France attristée perdait AiméCésaire, le « meilleur des fils de la

Martinique ». Au prix d’une juste révolte et d’unengagement de toute une vie pour son « paysnatal », Aimé Césaire n’a eu de cesse de rappelerce qu’il faut de courage pour faire respecter ladignité d’un homme et celle de tout un peuple.

C’est avec le sentiment de l’honneur qui m’est fait,et conscient du respect dû à une si hauteconscience intellectuelle, politique et morale, queje veux aujourd’hui lui rendre hommage, au nomdu gouvernement de la République et au nom dela nation toute entière. Je tiens à saluer la présenceà nos côtés de ceux, sa famille bien sûr mais aussibeaucoup d’autres, qui l’ont bien connu et parfoisaccompagné des décennies durant ; mais aussi laprésence de ceux qui ont agi sans relâche pourfaire connaître sa pensée et poursuivre, commenous venons de le voir à travers cette inauguration,son action. Qu’ils en soient chaleureusementremerciés. Et puis, si je peux faire d’emblée uneconfidence : je me sens en cet instant pleind’humilité devant l’homme que fut Aimé Césaire.

Dans l’avion, il y a quelques heures maintenant,j’ai relu avec une vraie jubilation, mais aussi avecune authentique admiration quelques-uns de sesdiscours et de ses grands poèmes. Cela m’apersuadé que la parole politique a besoin depoésie, peut-être plus encore dans une nationcomme la France, laquelle est littéraire partradition depuis des siècles. Et j’entendsnaturellement par ce mot de « poésie » biend’autres choses que des songes creux. C’est lamanière la plus haute, il me semble, de traduireen images ce que nous sommes tous en train devivre. En tout cas, une certaine poésie peut avoircette capacité prodigieuse de transmettre, par lavoix d’un seul homme, la sensibilité collective d’unpeuple ou d’une génération.

Vous, chers compatriotes Martiniquais, voussavez cela d’instinct, parce que vous avez lu, parceque vous avez entendu parler Césaire. Vous l’avezpeut-être même croisé dans la rue, quand ilsurveillait avec scrupule les travaux de sa ville ;quand il a fait construire le premier hôpital ouquand il a fait remplacer les bidonvilles par descentaines de logements décents. Vous savez avecjustesse combien la poésie appartient au quotidiendes gens. Lui Césaire, à Dakar, quand il s’est

exprimé sur l’art dans la vie du peuple, considéraitla poésie comme le seul remède contre, et je lecite, « l’apparition d’un univers inhumain, sur latrajectoire duquel se trouvent le mépris, la guerre,l’exploitation de l’homme par l’homme ». « Parl’art », disait-il, « le monde réifié redevient le mondehumain, le monde des réalités vivantes, le mondede la communication et de la participation ».

Sa parole, son ton d’invective si particulier, étaitcapable, en vous touchant au fond du coeur, defaire comprendre la souffrance des opprimés. Etpour nous, les Français de l’Hexagone, sa poésieétait presque seule à pouvoir révéler, et donc àpouvoir dénoncer la situation d’injustice que vousviviez ici. Le choc que nous avons ressenti quandnous avons écouté Césaire à Paris, tenait àl’exactitude des mots qu’il employait. Dans unlong poème tel que le Cahier d’un retour au paysnatal, ou dans Les Armes miraculeuses, il est toutà fait impossible d’interchanger les mots : chacunest à sa place, chaque mot est le porte-drapeaud’une identité.

Ainsi le mot « Nègre » ne peut être remplacépar le mot « Noir » ! Césaire a choisi de dire«Nègre » comme un emblème, parce que dansl’Europe d’avant-guerre, il voulait retourner enéloge un mot qui était de mépris : « Nègre, oui !Faire de l’insulte un cri d’identité issu de la chairmême de l’histoire. »C’étaient ses paroles ! Maisbien sûr, selon la façon dont on utilise les mots,ils peuvent se charger tantôt de tendresse, tantôtd’une cruauté ou d’une violence de fer. En tantque responsable politique, j’ai beaucoup apprisen m’imprégnant des mots de Césaire. Je saiscombien il faut oser parfois des mots durs, desmots de sang et de larmes, dès qu’il s’agitd’affranchir une condition inadmissibled’esclave.

Il faut savoir parler fort quand on veut prendrele parti des hommes dominés. Dans l’exercicede l’État, je sais combien ce que nous disons

compte à égalité de ce que nous faisons. Notreparole engage un acte, sans quoi elle se vide desubstance. Cette leçon de morale politique, jela tiens de Victor Hugo comme je la tiens deCésaire. Cette exigence qu’on peut dire«martiniquaise » est celle du meilleur de notreclasse politique aujourd’hui, de gauche commede droite. Chaque fois que Césaire a saisi laparole publiquement, ce fut pour de grandescauses et pour prendre de justes positions. Ils’est opposé au Régime de Vichy et à sonreprésentant aux Antilles. Il a dénoncé àl’Assemblée nationale la colonisation et la traitedes Noirs d’Afrique. Il fut rapporteur de la loidu 16 mars 1946 qui fit de la Martinique, de laGuadeloupe, de la Guyane, et de la Réunion desdépartements français, parce qu’il pensait àraison que la France était en mesure derespecter des cultures différentes, des identitésmultiples.

Il a souvent évoqué l’humble désarroi deshabitants de son île natale, leur misère, lemanque d’infrastructures des villesmartiniquaises. Il tenait à s’exprimer dansl’hémicycle avec une rigueur de langage, uneinvention verbale puisant aux sources de sonidentité, de ses identités. Cela nous imposait.Ses biographes racontent qu’en mars 1941, leCapitaine Paul-Lemerle, un vapeur de la SociétéGénérale des Transports maritimes, parti de Marseille et ayant pour destination les États-Unis d’Amérique, fut arraisonné à Fort-de-France. Et dans ses cales, surveillées par des gardesmobiles casqués, s’entassaient environ trois centsmigrants dont beaucoup de Républicainsespagnols et des intellectuels européens quifuyaient la barbarie nazie. Alors qu’ils étaientprécisément fidèles aux valeurs éternelles de laFrance, ils furent conduits dans un campd’internement à l’extrémité de Pointe-Rouge, enlieu et place de l’ancienne léproserie du Lazaret.Parmi eux : Wilfredo Lam, Victor Serge, AnnaSeghers, Claude Lévi-Strauss, Jacqueline Lamba,et le pape du surréalisme, André Breton.On les libéra après quelques jours et c’est à cemoment-là que Breton, « au hasard de l’achatd’un ruban pour sa fille », découvre dans unemercerie une revue intitulée Tropiques, que nousavons revue dans le bureau d’Aimé Césaire.« J’abordai ce recueil avec une extrême prévention,rapportera-t-il. Je n’en crus pas mes yeux, mais cequi était dit là, c’était ce qu’il fallait dire, non

Hommage à Aimé CésaireA l’occasion du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, je souhaite rendre hommage au poète, à l’homme politiqueengagé et au maire de Fort-de-France pendant plus de 50 ans. Cette figure de la République, écrivain de la négritude, pourfendeur de l’esclavage et des ravages du colonialisme a montré le chemin de la mémoire qui réconcilie. Le courage, l’action et l’œuvre de celui pour qui « la justice écoute aux portes de la beauté » lui valent aujourd’hui unereconnaissance universelle et éclairent les consciences de ceux qui luttent pour la justice, la culture, la fraternité et la dignité. Le Sénat avait accueilli en mai dernier dans son jardin une exposition sur l’histoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, qui était dédiée au poète. Jean-Marc Ayrault, lors de son voyage à Fort-de-France le 26 juin 2013, a rendu un vibrant hommagre à Aimé Césaire,son discours est publié ci-dessous. Jean-Pierre Bel

“Chaque élu de la Républiquedevrait avoir le même sens desresponsabilités qui fut le sien.Bâtir était essentiel à Césaire.Bâtir un poème, bâtir la Martinique ;bâtir Fort-de-France.”Jean-Marc Ayrault

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Société

seulement du mieux mais du plus haut qu’on pûtle dire ! Ainsi la voix de la Liberté n’était en rienbrisée, elle se redressait ici comme l’épi même dela lumière. Aimé Césaire, c’était le nom de celuiqui parlait ». J’aime énormément cettereconnaissance par Breton d’un inconnu,surréaliste sans le savoir encore. J’aime surtoutque dans ces temps difficiles, « où l’on croit »,comme Breton lui-même,« assister à l’abdicationgénérale de l’esprit », le premier souffle « apte àredonner toute confiance » ait été « l’apport d’unNoir qui est non seulement un Noir mais toutl’homme », ainsi s’exprime Breton. La France, quej’aime, celle qui était défendue depuis Londrespar le général de Gaulle dans les maquis par deshommes et des femmes courageux, la France desDroits de l’Homme était aussi là ce jour-là,défendue par un Martiniquais qui avait retrouvédans son pays natal le « Nègre fondamental ».

Ce jour-là, le visage de la France était celui d’unNègre inconsolé. Ce jour-là, Aimé Césairemontrait également, par-dessus le poète, sacarrure d’homme de réflexion et d’hommepolitique. Au lendemain de la guerre, il fut élumaire de Fort-de-France. Il obtint du même coupun mandat de député qu’il conservera sansinterruption jusqu’en 1993. Pensez-y, chers amis,un des plus longs mandats parlementaires duvingtième siècle ! À cause du blocus imposé parVichy, à cause de l’effondrement de l’industriesucrière, la Martinique dont il devenait l’élu étaitun territoire en détresse. Or pendant plus d’undemi-siècle, Césaire entreprit le redressementde cette île. Il développa, je l’ai dit, un réseaud’infrastructures qui au vrai n’existait pas. Ilencouragea les initiatives urbaines et culturelles :le Festival de Fort-de-France, le Parc Floral, leSermac. Bâtisseur infatigable, il n’est pas une rue,n’est-ce pas, pas un quartier de cette ville qui nelui doive quelque chose. En politique, Césaireresta un homme libre. Il n’eut jamais tout à faitce qu’on appelle l’esprit de parti. C’était unhomme de gauche, oui ; un anticolonialistevéhément, cela va de soi, mais, sa sympathieenvers le communisme ne l’a pas empêché derépondre avec force à Maurice Thorez quand lespositions staliniennes du Parti communiste luiparurent inacceptables. Il sut batailler avec son

ami haïtien René Depestre sur l’idée d’une poésienationale d’assimilation parce qu’il refusait denier la spécificité de sa culture créole, et desacrifier la poésie à une quelconque idéologie.

Chaque élu de la République devrait avoir lemême sens des responsabilités qui fut le sien.Bâtir était essentiel à Césaire. Bâtir un poème,bâtir la Martinique ; bâtir Fort-de-France.Quelques jours avant sa mort, sa fidèle secrétaireJoëlle Jules-Rosette, que j’ai eu l’honneur derencontrer il y a quelques instants, rapporte qu’ils’est rendu sur les chantiers, même s’il fallaitmettre encore les pieds dans la boue. C’est peut-être ça le véritable engagement, l’art de vivre d’unpoète. Comme on l’a parfois noté, Césaire a surester pareil à la flamme d’un de ses poèmes :« seule et splendide dans son jugement, intègre ».

Oui, il faut je crois aussi un bon professeur. Il avaitété le premier normalien noir de la Martiniqueet quand il enseignait le français et le latin au lycéeSchoelcher, il savait conjuguer savoir et drôlerie.Son zézaiement et son superbe complet vertperroquet le firent surnommer par ses élèves leLézard vert. On le décrit d’ailleurs commenerveux, à la fois tendre et colérique. Ah ! Quandon est jeune, mes chers amis, on aime ce qui estvif. Quand on est jeune, on ne peut résister cheznos professeurs à l’enthousiasme ! Et de fait,Césaire a marqué plusieurs générations d’élèves.Sa saine influence est notable en particulier chezle sociologue Frantz Fanon ou dans l’œuvre dupoète-essayiste Édouard Glissant.

Permettez-moi qu’enfin je sois, pour moncompte, très sensible au rôle qu’a joué l’école dela République dans les premières années de sa

vie. Dans sa formation d’humaniste, l’École de laRépublique lui a légué quelques valeursuniverselles comme la tolérance, ou disons plutôtqu’elle a renforcé chez lui une tolérance native.Je suis d’ailleurs heureux que longtemps avantque la France lui rende un hommage officiel auPanthéon, on ait fait le choix ici, en Martinique,de lui remettre une bourse d’études. Je suis fierqu’il ait reçu ensuite au lycée Louis-le-Grand, àParis, un enseignement dur peut-être, mais sansnul doute utile pour qui veut développer unepensée libre. L’École de la République, je ne faisque répéter-là les mots d’un professeur de khâgneen 1934, n’avaient jamais eu d’autre mission quede développer chez tous ses élèves l’espritd’observation. Jamais d’autre mission qued’encourager un art de mettre les idées en ordre,une habitude de les exprimer clairement, carl’École de notre République cherche à faire naîtrechez ceux qu’elle éduque une probitéintellectuelle. Elle cherche à nourrir cette capaciténon pas d’avaler sans broncher une leçondogmatique, mais aussitôt entendue, de la jugerpar soi-même.J’aurais aimé mieux connaître Césaire. J’ai siégésur les mêmes bancs que lui et dans le mêmegroupe parlementaire entre 1986 et 1993, lorsquenous étions tous les deux députés. Parfois ilécrivait ses poèmes dans la grande bibliothèquede l’Assemblée nationale. Je regrette de ne pasm’être alors assis à ses côtés pour lui dire : « Aimé,mon cher Aimé, votre vie donne l’un de ses sens àmon engagement politique ». J’aurais dû luirapporter qu’il était l’inspirateur secret de cetteimportante loi que Madame Taubira a réussi àfaire voter en 2001 : la reconnaissance par laFrance de la traite et de l’esclavage comme crimecontre l’humanité. J’aurais voulu lui dire qu’ilm’avait donné l’impulsion pour réaliser à Nantes,d’où partirent au dix-huitième siècle tant desinistres bateaux négriers, un Mémorial del’abolition de l’esclavage. J’aurais aimé lui faire partde mon affection.

Cet écrivain martiniquais Aimé Césaire rejointdans mon esprit son ami Léon-Gontran Damas.Il rejoint son aîné sénégalais Léopold SédarSenghor. Ce dernier avait fait de Césaire son bizutdans les couloirs du lycée Louis-le-Grand ; ilss’aimaient comme des frères. Tous les deux, ilsfurent ce que la France pouvait espérer de mieuxaprès la Seconde Guerre mondiale.À bon droit,ils furent notre mauvaise conscience jusquerécemment. Je me rappelle que le 23 février 2005fut voté au Palais Bourbon, une nuit, un articlede loi sur la reconnaissance dans les programmesscolaires du rôle positif de la présence françaisedans la colonisation. Aimé Césaire est alors sortide son silence pour s’en indigner, etheureusement, parce qu’il avait parfaitementraison. Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas,Léopold Sédar Senghor furent les écrivains desconfins de notre monde. Par leurs discours, leurspoèmes et leur théâtre tragique, ils nous rendirentsensibles à un pan méprisé de la conditionhumaine. Et c’est le premier d’entre eux, AiméCésaire, qui nous a fait prendre conscience, ànous Français blancs et métissés de l’Hexagone,que la Nation s’accorde avec la négritude. Je diraimême plus : il nous a fait prendre conscience quepar l’histoire, par la richesse des migrations, parle partage d’une même langue, nous avons eu lachance de devenir à la fois Français et Nègres,indissociablement. 2013-551

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“c’est le premier d’entre eux, Aimé Césaire, qui nous a fait prendre conscience, à nous Français blancs et métissés de l’Hexagone, que laNation s’accorde avec lanégritude. ”Jean-Marc Ayrault

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Paris Plages 2013

Pour sa douzième édition, Paris-Plages 2013 ouvrira ses portesle 20 juillet prochain de8 heures à minuit jusqu’au

21 août 2013, la Ville de Paris a vouludonner cette année une dimensionplus « balnéaire » que les annéesprécédentes en donnant une place plusimportante au « sable ». Sur la voie Georges Pompidou, uneplage de sable a été créée sur un

kilomètre de longueur grâce à l’apportde cinq mille tonnes de sable, les bassinsde baignade, les terrains de pétanque,la base nautique et de nombreusesactivités sportives et culturelles sont àla disposition du public et plusparticulièrement de celles et ceux quin’ont pas l’occasion de partir envacances. 2013-552

Source : communiqué de la Ville de Paris du 17 juillet 2013.

12ème édition, 20 juillet/21 août

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Vie du Droit

Après l’armistice “Barreau de Paris-Conseil National des Barreaux (CNB)1”, la discorde est de retour. Quelle en est lacause ? La Bâtonnière de Paris et le Président du CNB, dans l’espoir de trouver un accord sur la gouvernance, avaientdécidé de consulter des anciens Présidents du CNB, des Bâtonniers du Barreau de Paris afin de recueillir leurs opinions. Il va de soi que dans leur esprit, le projet qui aurait pu les unir, pour être approuvé devait être soumis au Conseil de l’Ordre de Paris, par la Bâtonnière de Paris, à l’assemblée du CNB par son Président, à eux de lesapprouver, modifier ou rejeter. Il n’en fut rien. Pourquoi ? Le communiqué du Bâtonnier de Paris et du Président du CNB a suscité la réaction des membresélus du bureau du CNB qui ont, à leur tour, rédigé un communiqué le 11 juillet dernier. En en prenant connaissance dansla nuit du 11 au 12 juillet, le Président du CNB, le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel a donné sa démission parune lettre envoyée à tous les avocats de France. La question : y-a-t-il eu un précédent de la démission d’un Président du CNB au cours de son mandat ? Non, son histoire est trop récente, mais y-a-t-il eu un précédent par analogie ? Celui d’un Bâtonnier en exercice, désavoué par son Conseil, donnant sa démission?A cette question, André Damien, l’incontournable historien de la profession, nous a répondu par la négative à sa connaissance.En revanche, des dauphins désignés, non pas été confirmés, ou d’autres n’ont pas pu prendre leur fonction en raison de leur décès,comme par exemple : René Gain, Jean Mirat, ou encore un Bâtonnier éligible à vie comme c’était encore le cas autrefois auBarreau de Paris : Maurice Ribet n’a pas été réélu. Des élections devraient avoir lieu en septembre. En principe l’élu le serait pourla durée restant à courir du mandat du démissionnaire, mais qui sera-t-il ? Parisien ou provincial ? Là encore, il n’y a pas de précédent mais des usages. S’agissant d’achever le mandat d’un parisien, il devrait être parisien. C’est également l’opinion d’André Damien. Les jours qui viennent le diront, les candidats ne manquent pas ? (2) A. Coriolis

Communiqué de pressecommun du Président duCNB et du Bâtonnier de Parisen date du 10 juillet 2013Le Président du Conseil national des barreaux et leBâtonnier de Paris ont trouvé un accord sur ladésignation des membres de la commission quisera chargée de définir la méthode de conduite duprojet de la réforme de la gouvernance de laprofession et d'auditionner les différents acteurs dela profession et des personnalités de la société civile.

Cette commission est constituée des personnalitéssuivantes :Messieurs les Bâtonniers Michel Bénichou etThierry Wickers, anciens Présidents du Conseilnational des barreaux Messieurs les Bâtonniers Jean-René Farthouat etPaul-Albert Iweins, anciens Présidents du Conseilnational des barreaux Monsieur le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, Président du Conseil national desbarreaux Monsieur le Bâtonnier Jean-Luc Forget, Présidentde la Conférence des Bâtonniers Monsieur le Bâtonnier Marc Bollet, vice-Présidentde la Conférence des Bâtonniers Madame le Bâtonnier Christiane Féral-Schuhl,Bâtonnier du Barreau de Paris Monsieur le Bâtonnier désigné du Barreau de ParisPierre-Olivier Sur

Elle se réunira pour la première fois le vendredi12 juillet au Conseil national des barreaux.Cet accord met fin à la suspension de la participationdu Barreau de Paris aux travaux du Conseil nationaldes barreaux.Christian Charrière-Bournazel et Christiane Féral-Schuhl se réjouissent d'avoir trouvé les termes d'unaccord qui garantit l'unité de la profession alorsmême que les avocats sont attaqués de toutes parts.Les barreaux, avec et dans le Conseil national des

barreaux, sont les meilleurs remparts face aux misesen cause incessantes dont les avocats font l'objetdepuis quelques mois.

Christian Charrière-Bournazel Christiane Féral-Schuhl

Lettre des membres élus dubureau du CNB à destinationdes membres du CNB en date du 11 juillet 2013Objet : Communiqué du 10 juillet 2013 deMonsieur Charrière Bournazel, Président duConseil National des Barreaux et de MadameFéral-Schuhl Bâtonière de Paris, nommant unecommission chargée de « définir la méthode deconduite du projet de la réforme de la gouvernance»

Mesdames et Messieurs les membres du ConseilNational des Barreaux,Chers confrères,Elue démocratiquement, l'Assemblée générale duConseil National des Barreaux est la seuleAssemblée souveraine de la représentationnationale des avocats.Confirmation en est apportée par la reprise desactivités de ceux de ses membres qui, pendantquelques semaines., avaient pu envisager desuspendre leur participation au sein du Conseil.Cette Assemblée générale a indiqué à plusieursreprisres sa résolution de conserver la maîtrise dela réforme de la gouvernance, A cet égard, mandata été donné au Bureau de « dégager un certainnombres de propositions » pour ladite réforme(PV d'AG des 14 et 15 mai 2012). Lors del’Assemblée générale du 6 Juillet 2013, il a été actéque ce mandat perdurait.Redevables à l'égard de leurs mandats, les membresdu ConseiI élus au Bureau ont le devoir de mettreenoeuvre les décisions de l'Assemblée générale.Ils ont été particulièrement surpris que la signaturedu Conseil national des Barreaux soit engagée sur

un communiqué qui tend, s'agissant de lagouvernance de notre profession, à dessaisir leConseil national des barreaux au profit d'unecommission de travail qui ne peut tirer aucunelégitimité de sa désignation.Sauf à ce que l'Assemblée générale par un votemajoritaire ne dessaisisse le Bureau de ce mandat,les signataires du présent courrier confirment leurvolonté de poursuivre leurs travaux aux fins desoumettre au vote de l'Assemblée généraledejanvier 2014 au plus lard un rapporl finalisé surla gouvernance.Les avocats de France ne peuvent pas envisagerque l'unité de leur profession se construise au prixde la mise en cause de leur seul organe nationalreprésentatif.Nous vous prions d'agréer, chers confrères,l'expression de nos sentiments confraternellementdévoués.

Paule Aboudaram, Pascale Modelski, Patricia Savin, Catherine Gion, Pierre Lafont ,

Eric Azoulay, Jean-Louis Cocusse, Stéphane Lallement

Lettre de démission duPrésident du CNB, Christian Charrière-Bournazelen date du 12 juillet 2013Mesdames et Messieurs les membres du ConseilNational des Barreaux,Chères consœurs,Chers confrères,Dans la nuit du 11 au 12 juillet, j’ai pris connaissancecomme chacun de vous, de la lettre qui vous étaitdestinée, signée par les huit membres élus du bureau.Il n’a jamais été question de déposséderl’Assemblée générale du Conseil National desBarreaux de ses prérogatives. Rien dans mes propos, ni dans mes écrits, ne peutdonner à penser que je l’aurais envisagé.L’Ordre de Paris souhaitait qu’une réflexion fût

Tumulte au Barreau

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Palmarès

Le Jury du Prix de thèse, réuni le 6 juin 2013, sous la présidence de Monsieur Jean-Pierre Bel, Président du Sénat, a décerné les récompenses suivantes :

Prix de thèse du SénatAnne-Charlène Bezzina, pour sa thèse intitulée :Les questions et les moyens soulevés d’office par leConseil Constitutionnel – (Université de Paris 1 –Panthéon – Sorbonne) ;Prix spécial du JuryMarc Patard, pour sa thèse intitulée : La démocratieentre expertise et influence : le cas des think tanksfrançais (1979-2012)– (Institut d’Etudes Politiquesde Paris ; Ecole doctorale de Sciences Po) ;

Mentions spéciales – La simplification du droit : essai d’une théoriegénérale, de Stéphanie Gasnier (Université deLimoges – Faculté de Droit et des SciencesEconomiques) ;– Génération politique. Engagement, politisationet mobilisation dans les organisations de jeunessedes partis politiques en RFA et en France(1966 - 1974), de Mathieu Dubois (UniversitéParis-Sorbonne – Ecole doctorale II Centred’histoire de l’Europe centrale – Universitéd’Augsburg, Allemagne) ;– Photographier la Grande Guerre : les soldats dela mémoire, 1915-1919, de Hélène Guillot

(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Ecoledoctorale Histoire – Centre de recherche enhistoire du XIXe siècle) ; – Le Parlement et les Relations Internationales, deDidier Jamot (Université d’Aix-Marseille – Facultéde Droit et de Science Politique) ; – L’idée de loi au XVIIIe siècle dans la pensée des juristes français (1715 1789), de Marie-LaureDuclos-Grécourt (Université de Poitiers – Facultéde Droit et des Sciences Sociales).Nous félicitons les lauréats qui ont reçu leurprix dans les salons Boffrand du Sénat le9 juillet 2013.

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Prix de thèse du Sénat 2013 Paris,9 juillet 2013

conduite par une commission d’avocats qui auraitété composée aussi de personnalités extérieures àla profession. Je m’y suis opposé.En revanche, il ne m’a pas paru scandaleux deproposer au Bâtonnier de Paris de nous faire aiderdans ce cheminement difficile par les quatre anciensPrésidents du Conseil National des Barreaux, tousanciens Bâtonniers et ayant, au surplus, milité dansdes organisations ou des syndicats professionnels.Cette proposition était connue du bureau après quej’eus pris la responsabilité de la formuler en monseul nom au Bâtonnier de Paris, sachant que cegroupe n’aurait aucun pouvoir décisionnel maisnous aiderait à construire une méthode de travail

pour permettre à l’Assemblée générale de sedéterminer le moment venu. La seule conditionque j’avais émise était le retour des membres ducollège ordinal parisien au sein de notre institution.Je l’ai obtenu.C’est ce que traduit le communiqué conjoint du10 juillet du bâtonnier de Paris et de moi-même.Je prends acte de la position du bureau du CNB eten tire les conséquences.Je vous informe de ce que je n’entends plus exercermes fonctions de Président du Conseil Nationaldes Barreaux.Afin d’élire mon successeur, je convoque uneAssemblée générale fixée au 6 septembre qui sera

présidée par la Vice-présidente élue, Madame leBâtonnier Pascale Modelski, à qui conformémentaux articles 7.1 et 8.2 du règlement intérieur, jedélègue dans l’intervalle, mes fonctions et mespouvoirs jusqu’à l’élection d’un nouveauPrésident.Je vous prie de croire, Mesdames et Messieursles membres du Conseil National des Barreaux,Chères consœurs, Chers confrères, à l’assurancede mes sentiments toujours confraternellementdévoués. 2013-553 Christian Charrière-Bournazel

-1 Assemblée Générale de la Conférence des Bâtonniers du 21 juin 2013 - Les Annonces de la Seine du 11 juillet 2013 page 10.

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Marc Patard, Jean-Pierre Bel et Anne-Charlène Bezzina