JOURNAL OFFICIEL - 4e.republique.jo-an.fr4e.republique.jo-an.fr/numero/1957_i83.pdf · * Anné 1957e —. N° 8 3 A N. . Le Numéro 1:5 francs. Mercredi 18 Septembre 195 * 7 JOURNAL

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  • * Anne 1957. N 83 A. N. Le Numro: 15 francs. Mercredi 18 Septembre 1957 *

    JOURNAL OFFICIEL DE LA RPUBLIQUE FRANAISE

    DBATS PARLEMENTAIRES

    A S S E M B L E E NATIONALE COMPTE RENDU IN EXTENSO DES SANCES

    QUESTIONS CRITES ET REPONSES DES MINISTRES A. CES QUESTIONS

    Abonnements l'Edition des DEBATS DE L'ASSEMBLEE NATIONALE :

    M T R O P O L E E T F R A N C E D ' O U T X I E - M E K : S O O fr. ; T R A N Q E l : 2.100 fr.

    (Compte chque postal: 9 0 6 3 . 1 3 , Paris.)

    PRIERE DE JOINDRE LA DERNIERE BANDE

    aux renouvellements et rclamations DIRECTION, RDACTION ET ADMINISTRATION

    QUAI VOLTAIRE, Ht 31, PARIS-7*

    POUR LES CHANGEMENTS D*ADRESSE

    AJOUTER 2 0 FRANCS

    3e L E G I S L A T U R E

    SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1956-1957 COMPTE RENDU IN EXTENSO 4re SEANCE

    Sance du Mardi 17 Septembre 1957.

    SOMMAIRE

    1. Ouverture de la session extraordinaire Op. 4089).

    2. Excuses et congs (p. 4090).

    3. Dcs d 'un dput (p. 4090).

    MM. le prsident; Bourgs-Maunoury, prsident du conseil.

    4. r - Demandes d'interpellation, (p. 4090).

    5. Institutions de l'Algrie. Politique conomique du Gouverne-ment (p. 4091).

    Organisation des dbats.

    Suspension et reprise de la sance.

    Organisation des dbats (suite).

    6. Politique conomique du Gouvernement. Discussion d'inter-pellations (p. 4092).

    M. le prsident. Politique agricole: s . Interpellateurs : MM. Chamant, July, Dorgres d'Halluin, Bruyneel. Renvoi de la suite du dbat.

    7. Dmission d'un membre de commissions (p. 4101).,

    8. Dcision du Conseil conomique (p. 4101).

    9. Retrait de propositions de rsolution (p. 4101).

    J0. Dpt de projets de loi (p. 4102).

    11. Dpt de propositions de loi (p. 4102).

    14. Dpt de propositions de rsolution (p. 4103).

    13. Dpt d 'un rapport (p. 4104).

    14. Dpt d 'un avis transmis par le Conseil conomique (p. 4tOi).

    15. Ordre du jour (p 4104).

    M (1 J

    PRESIDENCE DE M. ANDRE LE TROQUER

    La sance est ouverte quinze heures.

    1

    OUVERTURE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE

    M. le prsident. J 'ai reu de M. le prsident du conseil des ministres ia lettre suivante:

    Paris, le 11 septembre 195.7,. Monsieur le prsident,

    k J 'ai l 'honneur de vous prier, conformment aux dispositions de l'article 12 de la Constitution, de bien vouloir convoquer le Parlement en session extraordinaire le mardi 17 septembre 1957, 15 heures.

    L'ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra : 1 La discussion d 'un projet de loi relatif l'Algrie, qui sera

    dpos par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemble nationale, ds la runion de celle-ci;

    2 La discussion des demandes d'interpellation sur la poli-tique conomique du Gouvernement.

    Je transmets une copie de cette lettre M. le prsident du Conseil de la Rpublique.

    Je vous prie de bien vouloir agrer, monsieur le prsident, l 'expression de mes sentiments de haute considration.

    Sign : M. Couros-Mau.noury. En consquence, et en application de l'article 12 de la Consti-

    tution, ds rception de cette communicaiton, j 'ai convoqu le Parlement., et je dclare ouverte la session extraordinaire de l'Assemibie nationale pour 1957.

    1 5 4

  • 2

    EXCUSES ET CONGES

    M. le prsident. MM. Caillavet, Chaban-Delmas, Alfred Coste-Floret, Douala, Gautier-Chaumet, Jacquinot, Louvel, Paul Rey-naud, Rolland, Sanglier, Schaff, Jean-Moreau s 'excusent de ne pouvoir assister la sance et demandent des congs.

    Le bureau est d 'avis d'accorder ces congs. Conformment l 'article 42 du rglement, je soumets cet

    avis l 'Assemble. Il n 'y a pas d'opposition ?... Les congs sont accords.

    3

    DECES D'UN DEPUTE

    M. le prsident. Mes chers collgues (Mines et MM. les dputes se lvent), le Palais-Bourbon tait encore bien dsert lorsque nous avons eu, le 1er septembre, la pnible surprise d'appren-dre la mort de notre excellent collgue Raphal Babet.

    Il est dcd dans sa chre ville de Saint-Joseph o il tait revenu pour accueillir le ministre de l ' intrieur en visite dans nos dpartements d'outre-mer.

    N Saint-Piei're-de-la-Runion, le 24 juin 1S94, le dernier d 'une famille de cinq enfants, Raphal Babet est amen par ses parents, deux ans plus tard, Madagascar o une trentaine de familles runionnaises s ' installent et fondent, par leurs propres moyens, Babetville . Le climat de la rgion est rude, la culture difficile. Avec l 'obstination qu'ils t iennent de leur ascendance corse et bretonne, ses parents luttent dsespr-ment . Au bout de deux ans, ils sont ruins, puiss et meurent l 'un et l 'autre. Raphal Babet est orphelin cinq ans. Son tuteur le fait revenir la Runion avec ses frres et surs.

    Trs vite il abandonne l'cole, car il a le got du risque et se sent attir par l 'aventure. Il se fait engager sur un bateau, comme (bov, sans solde, et dbarque Marseille o la Compa-gnie gnrale transatlantique l 'embarque sur des cargos qui font le service de l 'Afrique du Nord. Aprs quelques voyages, il vient se fixer Madagascar, Foulpointe, au Nord de Tama-tave. En 1914, mobilis dans l ' infanterie coloniale, il fait partie du corps expditionnaire d'Orient et c'est au cours de la retraite de Serbie qu'il est gravement bless en dcembre 1916. Il est cit l 'ordre de l 'arme et fait chevalier de la Lgion d'hon-neur en 1935. Dmobilis, Raphal Babet s'installe Paris o il aura une activit commerciale dans les domaines les plus varis.

    Et c'est en 1945 .qu'il retourne la Runion et se lance dans les luttes politiques. Le 2 ju in 1946, il est lu dput la deuxime Assemble constituante et, le 10 novembre 1946, il entre l 'Assemble nationale. 11 sera toujours rlu et il appar-tiendra d' importantes commissions: celles des affaires cono-miques, de l 'agriculture, des territoires d'outre-mer.

    Il a t un reprsentant actif, utile, efficace'de son le natale et c'est le 6 juillet dernier qu' i l tait encore mont notre tri-bune pour voquer la situation nouvelle qui pourrait tre cre aux dpartements d'outre-mer par le march, commun.

    Mais l 'activit de Raphal Babet ne se limitait pas au Parle-ment. Elle bnficiait aussi la ville de Saint-Joseph dont ses compatriotes l 'avaient lu maire et, dans ces fonctions, il fu t bienfaisant : une mairie nouvelle est difie, un hpital moderne, une cole d'agriculture, un bloc scolaire pour un millier d 'enfants . Et actuellement sont en cours de construc-tion un march couvert et un htel des postes.

    Telle est, mes chers collgues, rsume grands traits, l 'u-vre de Raphal Batbet. Elle dmontre comment un homme d'ori-gine modeste peut parvenir de splendides ralisations quand il a de la tnacit, du courage, de l ' intelligence, de la volont.

    Qu'il me soit permis d 'exprimer, en votre nom, sa veuve, tous les siens, son parti, ses amis, nos condolances bien sincres. Nous garderons le souvenir d 'un collgue aimable, courtois, assidu et travailleur.

    M. Hflaurice Bourgs-Maunoury, prsident du conseil. Je demande la parole.

    M. le prsident. La parole est M. le prsident du conseil. M. le prsident du conseil. Le Gouvernement s'associe aux

    paroles mouvantes prononces par M. le prsident de l'Assem-ble nationale au sujet de notre cher collgue Raphal Babet.

    4

    DEMANDES D'INTERPELLATION

    M. le prsident. J 'ai reu, depuis la clture de la session, les demandes d'interpellation suivantes :

    De M. Edouard Daladier sur les graves dommages causs depuis 1950 par la Compagnie nationale du Rhne 350 exploi-

    tations paysannes familiales de la rgion de Donzre-Mondra-gon et sur les manuvres dilatoires employes par cette compagnie afin de se droiber ses obligations de reparer les prjudices causs;

    De M. Chanant sur les raisons pour lesquelles le Gouver-nement a fix le prix du bl un chiffre qui, bien loin d'tre rmunrateur pour les producteurs, va encore aggraver les difficults des exploitants et celles de l 'conomie du pays ;

    De M. July sur les mesures annonces par le Gouvernement sur le plan agricole et notamment quant ia fixation en baisse du prix du bl au moment o l 'agriculture franaise traverse une crise particulirement redoutable due une augmentation incessante de ses charges;

    De M. Dorgres d'Halluin sur les mesures prises pour raliser une dvaluation qui n'ose .dire son nom, imposent l 'agri-culture, et l 'agriculture seule, dj fortement dfavorise dans la rpartition du revenu, des sacrifices importants, cons-tatant que ces mesures seront non seulement inefficaces mais dangereuses, du l'ait qu'on n 'a pas os s 'at taquer aux vri-tables causes du dsordre de nos finances intrieures et ext-rieures, et notamment aux nationalisations, aux abus de l scurit sociale et la prolifration des administrations, et sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour apporter au plan Gaillard les corrections indispensables pour le rendre juste et ellicaee;

    De M. Couinaud sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour viter que le relvement du taux de l 'escompte de la Banque de France, passant de 3 5 p. 100, n 'entrane un ralentissement considrable de toutes constructions de loge-ments, et en particulier l 'arrt immdiat de l'accession la proprit btie, tant donn que le taux d'intrt des crdits ouverts par le Crdit foncier atteint, depuis les dernires dci-sions ministrielles, 7,40 p. 100;

    De M. Pesquet sur l 'ensemble de la politique agricole du Gouvernement ;

    De M. Paquet sur les consquences des rcentes dcisions gouvernementales qui tendent rduire la part du revenu agricole dans le revenu national et accrotre encore une injuste distorsion et sur les mesures que le Gouvernement compte prendre, d 'une part, en vue de placer l 'agriculture sur un pied de stricte galit dans tous les domaines: cono-mique, social, douanier et, d 'autre part , pour rduire les dpenses de l'Etat non pas seulement par des compressions de crdits mais aussi par des rformes touchant la gestion des entreprises de l 'Etat et ses innombrables services;

    De M. Andr Beauguitte sur la politique agricole du Gou-vernement ;

    De M. Philippe Vayron sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour interdire la fte de L'Humanit, journal de la trahison permanente qui ne cesse d'applaudir aux crimes des ennemis de la patr ie; la ralisation de cette manifestation, dj refuse par le conseil municipal de Paris et le conseil gnral de la Seine, tant une vritable provocation l 'gard de nos soldats qui luttent en Algrie pour la France, le droit et la civilisation;

    De M. Ilamani Diori sur les conditions dans lesquelles le chef du territoire du Niger a pris un arrt interdisant tout cortge dfil, rassemblement et manifestation sur la voie publique le 21 aot 1957 sur toute l ' tendue de la commune et du cercle de Niamey ;

    De M. Bruyneel sur la politique agricole et viticole du Gou-vernement ;

    De M. Camille Laurens sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement ne pas appliquer la loi Laborbe dans les dlais qui avaient t fixs par le Parlement;

    De M. Pelleray sur l ' ingalit des mesures prises dans les diffrents secteurs de l 'conomie nationale et leurs rpercus-sions sur le plan agricole ;

    De M. Charpentier sur la politique agricole du Gouvernement; De M. Christiaens sur les charges nouvelles et les diminu-

    tions de recettes imposes l 'agriculture par les dcisions gouvernementales ;

    De M. Gosset sur les consquences graves de la politique agricole du Gouvernement et sa rpercussion sur l 'avenir de l 'exploitation familiale ;

    De M. Waldeck Rochet su r : 1 l 'ensemble de la politique agricole du Gouvernement et, en particulier, sur les cons-quences dsastreuses que les mesures conomiques et finan-cires qu'il a prises dans la dernire priode ont pour la masse des petits et moyens exploitants et des ouvriers agricoles; 2 la ncessit de dfendre le niveau de vie des travailleurs de la terre en prvoyant notamment, dans l ' immdiat, l'exo-nration pour les petits producteurs de bl de toutes les charges destines la rsorption des excdents, celles-ci devant tre supportes uniquement par les gros producteurs; la juste application de la loi sur la dtermination du prix du la i t ; le rtablissement en faveur des petits et moyens exploitants de la ristourne sur le matriel agricole ainsi que des crdits

  • pour les adductions d'eau et autres travaux d'intrt rural qui ont t supprims au profit des dpenses de la guerre d'Algrie; la stricte limitation du prix des produits industriels ncessaires l 'agriculture; le relvement du salaire minimum interprofessionnel garanti des ouvriers agricoles;

    De M. Raymond Lefranc sur la non-revalorisation du salaire minimum interprofessionnel garanti aux ouvriers agricoles et sur la ncessit de .porter cclui-ci au mme taux que celui appliqu dans l 'industrie ;

    De M. Jean de Lipkowski sur les mesures que le Gouverne-ment compte prendre pour que le relvement du taux de l 'escompte de la Banque de France, qui vient d'tre port 5 p. 100 et a fait passer le taux d'intrt des crdits consentis par le Crdit foncier 7,40 p. 100, ne puisse tre appliqu aux personnes qui ont dj contract des prts en vue d'accder la proprit btie ;

    De M. Legendre sur les mesures que le Gouvernement compte prendre en faveur de l 'agriculture pour remdier aux cons-quences catastrophiques des rcentes dcisions relatives la lixation des prix agricoles dite garantis.

    De M. Luciani sur la politique agricole du Gouvernement et les mesures qu'il compte prendre d'urgence pour remdier aux consquences nfastes pour l 'agriculture franaise des dernires dcisions d'ordre conomique et financier;

    De M. Vassor sur l ' impardonnable erreur commise par le Gouvernement en baissant le prix du bl malgr les avertisse-ments et en refusant d'appliquer la loi Laborbe pour le prix du lait;

    De M. Pierre Garet sur les raisons qui ont amen le Gouver-nement : 1 commettre la grave faute, au moment o malheu-reusement la vie augmente de fixer un prix du bl en baisse qui, pratiquement, ne dpassera pas 2.850 francs le quintal et sera mme souvent trs infrieur; 2 refuser l'application de la loi Laborbe du 18 mai 1957 sur le prix du lait en dci-dant, ce qu'il n'avait pas le droit de faire, que ses effets en seraient retards au 1er octobre 1957;

    De M. Laborbe sur les motifs qui font que les impratifs contenus dans la loi tendant lixer un nouveau mode de calcul du prix du lait n 'ont pas t appliqus intgralement le 1er aot;

    De M. Reiile-Soult sur les incidences de ia politique agricole du Gouvernement, sur la production laitire notamment;

    De M. Hnault sur la politique du Gouvernement concernant le fonds routier et notamment : 1 s'il entend poursuivre la politique de spoliation des crdits destins au fonds routier dont les amputations successives vont atteindre 90 p. 100 des receltes lgales; 2 s'il considre comme des conomies le dtournement, la faveur des pouvoirs spciaux, de la fraction du produit des taxes sur les produits ptroliers affects au fonds routier, en vertu de la loi du 30 dcembre 1951 ; 3 quelles solutions il estime devoir prendre pour l 'anne 1958 faute de ressources dtournes de leur affectation primitive afin de ne pas aggraver l 'insuffisance notoire du rseau routier et son tat trop souvent archaque, notamment l 'gard des chemins vicinaux et ruraux reconnus, sans oublier enfin qu'une telle politique a t la cause de milliers cle morts et des centaines de milliers de blesss, sans parler des milliards dpenss ou perdus; 4 s'il pense redonner au tourisme tranger en France un rythme minemment ncessaire en ajournant la moderni-sation du rseau routier et son entretien, alors que les pays voisins du ntre font des efforts considrables pour attirer les touristes et notamment mettent tout en uvre pour amliorer leurs roules ;

    Le M. de Baudry d'Asson sur les consquences inopportunes et injustes des diffrentes mesures prises par le Gouvernement touchant l 'agriculture dont le revenu en perptuel amenui-sement et la productivit insuffisante conduisent les agricul-teurs la ruine et notre balance commerciale un dsqui-libre irrmdiable ;

    De M. Guy Petit sur les motifs qui ont conduit le Gouverne-ment rsilier la commande des Brguets Deux-Ponts, rsilia-tion qui entrane la fermeture partielle de l 'usine d'Anglet (Basses-Pyrnes) de la firme Brguet, le licenciement de quatre cent cinquante ouvriers et de cent cinquante ingnieurs et techniciens, ainsi que sur les dispositions qu'il compte prendre pour viter les cosnquences conomiques et sociales de cette dcision, ainsi que plus gnralement des abattements oprs dans les crdits d' investissement;

    De M. Michel su r : 1 la dcision du Gouvernement de fermer l'atelier de fabrication de Valence et d'autres tablissements militaires et les graves consquences qu'elle aurait pour les travailleurs de ces tablissements privs de leur gagne-pain et des avantages acquis l 'approche de l'hiver et dans un moment o les difficults d'existences ne cessent de s 'aggraver; 2 les rpercussions de cetle dcision pour toule la population des villes o se trouvent ces tablissement ; 3 la perte qu'entra-nerait pour ie patrimoine national la liquidation de ces indus-tries au bnfice de socits capitalistes;

    De M. Rolland sur l'imposition par voie de circulaire admi-nistrative la T. V. A. au taux major des artisans fiscaux qui sont exonrs, par la loi, de cette taxe;

    De M. Davoust sur la politique conomique et financire du Gouvernement sur le plan agricole ;

    De M. Gosset sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour assurer la scurit des voyageurs dans le cadre cle la politique cle la Socit nationale des chemins de fer franais des hautes moyennes et de l'horaire tout prix;

    De M. Ansart sur la politique conomique du Gouvernement et sur ces consquences dsastreuses pour la classe ouvrire;

    Do M. Lamps sur la situation conomique et la non salis-faction des revendications des travailleurs de la fonction publique ;

    De M. Liante su r : 1 la rsiliation du march concernant la fabrication de quinze appareils Brguet Deux-Ponts; 2 les rpercussions de celte dcision pour les travailleurs de l 'entre-prise Brguet et des entreprises sous-traitantes et sur les consquences qu'elle entrane pour l ' industrie aronautique franaise ;

    De M. Frdric-Dupont s'ur la politique conomique et sociale du Gouvernement;

    De M. Paul Cosle-Floret sur la politique viticole du Gouverne-ment ;

    De M. Soustelle sur les conditions dans lesquelles l 'assassin du Prsident Ali Chekkal, arrt en flagrant dlit immdiate-ment aprs son crime, a bnfici de dlais tels que six mois aprs ce meurtre l 'instruction n'est pas termine, ce qui donne le spectacle scandaleux de l ' impunit assure un crime par-ticuiircment odieux;

    De M. Mhaignerie sur la politique agricole, conomique et sociale du Gouvernement ;

    Do M. Pierre Cot sur les consquences politiques et cono-miques cle la suppression, par les dcrets du 10 aot 1957, de ia taxe de compensation l 'importation et du remboursement des charges sociales et fiscales aux exportateurs, suppression qui semble contraire aux dclarations faites et aux engage-ments pris au nom du Gouvernement lors du dbat sur la ratilicalion du trait cle Rome sur le March commun;

    De M. Pierre Cot sur les conditions dans lesquelles M. Mau-rice Audin, assistant la facult des sciences de l 'universit d'Alger, a t arrt le 11 juin dernier par des parachutistes, dtenu illgalement, et a .disparu depuis la fin du mois de ju in ;

    De M. Jean Lefranc sur la politique agricole du Gouvernement et notamment sur sa politique en matire belteravire ;

    De M. Georges Bonnet sur la politique agricole du Gouver-nement ;

    De M. Nisse sur les mesures que, faisant suite au vote par le Parlement du trait instituant 1a. Communaut conomique europenne (march commun), le Gouvernement a t amen prendre sur le plan conomique et notamment dans le domaine agricole ;

    De M. Jean Lain sur la politique agricole du Gouvernement. La date des dbats sera fixe ultrieurement, sauf en ce qui

    concerne les interpellations relatives la politique cono-mique, dont le Gouvernement accepte la discussion au cours de la prsente session extraordinaire.

    5

    INSTITUTIONS DE L'ALGERIE

    POLITIQUE ECONOMIQUE DU GOUVERNEMENT

    Organisation des dbats.

    M. le prsident. L'ordre du jour appellerait la discussion du projet de loi sur les institutions de l'Algrie, mais la commis-sion de l ' intrieur n 'ayant pas encore fait distribuer son rap-port, l'Assemble voudra sans doute aborder immdiatement la discussion des interpellations sur la poliliuue conomique du Gouvernement, tant entendu que cetle discussion sera inter-rompue ds que le rapport de la commission de l ' intrieur sera distribu. (Assentiment.)

    Il en est ainsi dcid. La discussion gnrale des interpellations devant tre orga-

    nise, conformment l'article 92 du rglement, j ' informe l'Assemble que la confrence d'organisation va se tenir imm-diatement dans mon cabinet.

    S'il n 'y a pas d'opposition, la confrence organisera gale-ment le dbat sur l'Algrie. (Assentiment.)

    Il en est ainsi dcid. 4 J'invite MM. les vicc-prcsidents de l'Assemfile, MM. les pr-

    sidents de groupes, MM. les prsidents et rapporteurs des com-missions intresses ainsi que MM. les orateurs inscrits se rendre immdiatement dans mon cabinet.

  • J'invite le Gouvernement se faire reprsenter cette ru-nion.

    La sance est suspendue. (La sance, suspendue quinze heures quinze minutes est

    reprise dix-sept heures cinq minutes.) M. le prsident. La sance est reprise. La confrence d'organisation des dbats sur l'Algrie et sur

    la politique conomique du Gouvernement a fix comme suit le nombre et la dale des sances rserves ces dbats et a rparti ainsi le temps de parole:

    Discussion du projet de loi sur les institutions de l'Algrie. Le dbat aura lieu : Lundi 23, matin, aprs-midi et soir; Mardi 24, matin, aprs-midi et soir; Mercredi 25, aprs-midi et soir ; Jeudi 26, matin, aprs-midi et soir,

    le dbat tant poursuivi jusqu' son terme et le vote sur la question de confiance, s'il y a lieu, intervenant samedi 28, matin et aprs-midi.

    Les temps de parole sont rpartis-comme suit : Gouvernement: 3 heures; Commission de l 'intrieur: 3 heures; Dure des scrutins: 1 heure; Groupes: 27 heures rparties proportionnellement. Discussion des interpellations sur la politique conomique. Le dbat aura lieu: Cet aprs-midi 17 ; Mercredi 18, aprs-midi et soir; Jeudi 19, malin, aprs-midi et soir; Vendredi 20, matin, aprs-midi et soir; Samedi 21, aprs-midi; Etant entendu: a) Que le dbat sera poursuivi jusqu' son terme samedi

    aprs-midi, mais que le vote sur les ordres du jour ou sur la question de confiance si elle est pose n'interviendra que lundi 30 septembre aprs-midi, les explications de vote pouvant commencer ds lundi 30, matin ;

    b) Que priorit sera donne aux interpellateurs sur la politique agricole, savoir: MM. Chanant, July, Dorgres, Pes-quet, Paquet, Beauguitle, Bruyneel, Laurens, Pelleray, Char-pentier, Christiaens, Gosset, Waldeck Rochet, Raymond Lefranc, Legendre, Luciani, Vassor, Garet, Laborbe, Reille Soult, de Bau-dry d'Asson, Davoust, Paul Coste-Floret, Mehaignerie, Jean Lefranc, Georges Bonnet, Nisse et Jean Lain, ainsi qu'aux orateurs inscrits dsirant traiter la politique agricole.

    Seront entendus ensuite les interpellateurs sur la politique conomique, savoir: MM. Couinaud, de Lipkowski, Hnault, Guy Petit, Maurice Michel, Jacques Rolland, Ansart, Lamps, Liante, Frdric-Dupont, Pierre Cot, ainsi que les orateurs inscrits dsirant traiter la politique conomique.

    Les temps de parole sont rpartis comme sui t : Gouvernement: 3 heures; Groupes : 27 heures rparties proportionnellement.

    6

    POLITIQUE ECONOMIQUE DU GOUVERNEMENT

    Discussion d'interpellations.

    M. le prsident. L'ordre du jour appelle la discussion des interpellations sur la politique conomique du Gouvernement.

    Je demande l'Assemble de ibien vouloir enregistrer ce qui a t dcid par la confrence d'organisation des dbats. Etant donn l'exigut du temps dont nous disposons, chaque orateur aura le devoir de respecter le temps de parole qui lui aurait t imparti.

    La prsidence demande la comprhension de l'Assemble gi elle est oblige, contre son gr, de se montrer rigoureuse.

    Politique agricole.

    M. le prsident. La parole est M. Chamant, auteur de la premire interpellation sur la politique agricole.

    M. Jean Chamant. Mesdames, messieurs, un journal du soir crivait, il y a quelques jours, que le Gouvernement pouvait esprer que les revendications spcifiquement agricoles seraient noyes dans un dbat fleuve imprcis qui ne comporterait, en quelque sorte, ni conclusion, ni sanction.

    Messieurs les jninistres, si tel est votre sentiment, vous vous trompez lourdement.

    En tout cas, les dfenseurs de la paysannerie enregistrent dj comme une premire victoire le fait que le Gouvernement ait t oblig de convoquer le Parlement une date antrieure celle primitivement arrte par lui. Ils voient l la preuve que les pouvoirs publics ont enfin saisi l 'ampleur du drame

    dans lequel le monde rural se dbat et des difficults qui sont les siennes actuellement. Car il ne faut pas croire, mes chers collgues, que les manifestations qui se droulent presque chaque jour dans notre pays sont la marque d'une agitation superficielle. Elles sont, au contraire, l'expression profonde d'un mcontentement qui est voisin de la' rvolte.

    En effet, que constatent les agriculteurs et que constatons-nous avec eux la lumire des chiffres et des statistiques offi-cielles ?

    D'abord, une aggravation continue de la diffrence entre les conditions conomiques et sociales faites l'agriculture et celles d'autres activits de la nation.

    Cette diffrence se traduit en premier lieu dans la disparit des prix. Sans doute les chiffres que je vais citer sont-ils connus, mais il n'est pas mauvais, au dbut d'un tel dbat, de les rappeler.

    Par rapport 1938, les coefficients dmonstratifs qui rsul-tent des indices officiels publis par l'Institut national de la statistique en juin 1957 il y a donc peine trois mois indiquent que si les prix de gros des produits industriels sont l'indice 33,10, ceux des salaires horaires l'indice 30,25 et les recouvrements budgtaires de l'EtaJ l'indice 80, par contre, les prix du bl et des autres crales de la rcoite de cette anne, tels qu'ils ont t fixs, sont seulement l'in-dice 15 ou 16.

    Je crois que la simple juxtaposition de ces chiffres dispense . de tout commentaire.

    En second lieu, la distorsion constate, prouve, en matire de prix se retrouve dans une ingalit flagrante de la protec-tion douanire entre l'agriculture et l 'industrie, allant du simple au double.

    Cette ingalit conomique se retrouve ou se prolonge, hlas dans le domaine social.

    Les agriculteurs acceptent sans doute comme un risque inh-rent leur profession toutes les calamits naturelles; mais ils constatent de plus en plus qu'une diffrence de situation existe entre le monde paysan et le reste de la nation : un rythme du travail agricole*qui ne diminue pas, mme avec une organisation plus scientifique du travail et des rendements plus levs; une impossibilit de prendre de vrais congs; une for-mation professionnelle encore insuffisante et une protection sociale trs relative et dont le cot n'est pas en rapport avec l'tat actuel des finances agricoles.

    Cette discrimination a abouti, comme il est normal, une baisse permanente de la part du revenu agricole dans le revenu national. Alors que la paysannerie franaise reprsente trs exactement 27 p. 100 de l population active, l 'anne dernire sa part dans le revenu national n'tait que de 12,2 p. 100.

    Je crains que les rcentes dcisions du Gouvernement n 'aient encore, pour cette anne, diminu ce chiffre dj trs faible.

    Dans le mme temps, mes chers collgues, la rduction de certains crdits d'quipement concernant les programmes d'ad-duction d'eau et d'lectrification, l 'augmentation des cotisations d'assurances sociales sont venues aggraver une situation dj difficile.

    Comment, dans ces conditions, les agriculteurs ne seraient-ils pas fonds dnoncer avec quelque vhmence les injustices d'une politique conomique qui, devant des menaces de hausse, commence par rduire le seul revenu agricole aprs, d'ailleurs, que le Gouvernement ait lui-mme dcid par un arrt rcent d'augmenter les prix des produits et des ser-vices de l'Etat et de consentir la hausse des prix de certaines matires premires, l'acier par exemple ?

    Je crois vraiment, mesdames, messieurs, que cette situation ne peut plus se prolonger sans prsenter de graves dangers pour la sant nationale. Car les jeunes agriculteurs qui s'en-dettent. qui contractent des emprunts pour s'installer, sont dans l'impossibilit de faire face leurs engagements et sont souvent obligs de quitter la terre.

    Je lisais rcemment, dans une revue, une analyse extrme-ment serre de la situation du monde rural; je vous en livre la conclusion:

    Encore une gnration et le paysan n'existera, plus. Le choix est dj fait cette heure, sans appel. Ainsi peuvent se trouver modifis les rapports de l 'homme et du sol.

    En vrit, le confort intellectuel ou le manque d'imagina-tion ne nous permettent pas de mesurer la porte du phno-mne : Je paysan, ce 1ype d'homme semblable lui-mme depuis si longtemps, responsable de notre civilisation, tend disparatre.

    Prenons garde ! S'ils ont t les gardiens de la nature, les conservateurs du sol, nous pouvons, nous, devenir les enfants du dsert. Ainsi s'oprerait un lent transfert de civi-lisation, c'est--dire le passage de la biologie la mcanique .

    Je ne sais, mesdames, messieurs, s'il faut partager le pessi-misme de cette tude et de sa conclusion. Mais comment ne pas y souscrire lorsque nous savons qu'actuellement, en France, cinquante exploitations paysannes disparaissent toutes les qua-rante-huit heures 1

  • L'auteur de cetle tude remonte d'ailleurs aux sources du mal rural en France. Il crit que, si la France des annes il880 1900 n'avait pas t malthusienne en toutes choses, et d 'abord dans sa dmographie et dans son conomie, nous aurions maintenant soixante millions d'habitants et le mme nombre d'hommes la terre qu 'aujourd 'hui . Seulement, ceux-ci seraient heureux, pourraient rester leur place et proposer un avenir leurs enfants.

    Illas ! Nous n 'en sommes pas l. Monsieur le ministre des finances et des affaires conomiques,

    vous tenterez de justifier votre action par votre double souci, qui est aussi le ntre, d'une part de rduire le dficit budg-taire de la nation, d'autre part, de rtablir l'quilibre de la la balance des payements. Mais les agriculteurs se demandent si leur misre ou leur ruine doit tre une des conditions essen-tielles du redressement de notre pays.

    Au demeurant, et bien que ce ne soit pas tout fait dans mon propos, je soulignerai que s'il est bon de vouloir diminuer ou stabiliser un dficit,- celui de l 'anne prochaine, d'aprs yos propres estimations, n 'en sera pas moins accru de quelque ,400 milliards de francs par rapport au prcdent.

    Je sais qu'une situation comme celle devant laquelle se t rouve la paysannerie ne se redresse pas en un jour; mais il apparat tout de mme que des mesures urgentes doivent tre prises.

    Tout d'abord, il faut que le Gouvernement applique sans dlai les lois votes par le Parlement; car les retards dans la parution des dcrets d'application ont cot quelques milliards aux producteurs de lait, qui ont eu l'impression d'une mauvaise Volont trop vidente.

    Ensuite, il m'apparalt qu'il faudrait tenir un plus grand compte des propositions et de l'office national interprofession-nel des crales et du comit des prix, qui, pour une fois, se sont mis d'accord sur le prix des crales.

    Si, sur ces deux points, une dcision satisfaisante n'est pas adopte, je crois que tout ce contentieux irritant qui est l'origine de tant de mouvements de protestation subsistera et que le divorce, cette fois, sera total entre le Gouvernement et les organismes professionnels.

    Enfin, des mesures de porte plus gnrale et produisant des effets plus long terme doivent tre sans tarder arrtes.

    A cet gard, nous ne connaissons videmment que des inten-tions, celles que la presse de ces jours-ci a rvles. Mais vous entendez bien, messieurs les ministres, que c'est d'abord et avant tout sur des actes que nous allons tre appels vous juger .

    Votre souci majeur, dans ce domaine, parat tre d'orienter les diffrentes productions agricoles. L'intention est louable, certes, mais dites-vous bien que rien n 'aura t fait sur ce point sans une organisation des marchs par la profession elle-mme, en accord avec les pouvoirs publics, organisation englobant, bien entendu, le contrle des importations et des .exportations.

    ce sujet aussi, ne croyez-vous pas que les producteurs ont quelques raisons faire valoir pour rclamer un vritable plan betteravier, alors qu'il est, hlas! ncessaire d'importer prs de 200.000 tonnes de sucre, ce qui est une drision ?

    Ainsi, au moment o la France se prpare entrer dans le march commun, qui doit tre, comme on l'a dit maintes fois cette tribune lors des dbats de ratification, la grande chance de l'agriculture, je vous demande, au nom de mes amis ind-pendants et paysans, de rompre avee une politique qui condamne la stagnation une fraction importante de la popu-lation franaise.

    Encore une fois, les agriculteurs ne rclament pas de statut privilgi. Ils demandent seulement l'galit de traitement avee les autres catgories de citoyens et une remise en ordre de l'conomie qui favorise une expansion parallle de toutes les activits nationales et non pas d'un secteur au dtriment d 'un autre.

    Si les sacrifices exigs sont gaux pour tous, soyez convaincus que les agriculteurs n'hsiteront pas en prendre leur part comme ils l'ont dj fait dans le pass. Mais rien, encore une fois, dans les circonstances actuelles, ne saurait justifier un nouveau retard pour apporter des solutions aux problmes agricoles, solutions dont finalement dpend la vitalit de l'co-nomie franaise.

    Monsieur le ministre des finances, je crois que si vous ne changiez pas et trs vite votre politique dans ce domaine vous pourriez craindre que l'Assemble ne se voie oblige de chan-ger trs vite aussi de Gouvernement. (Applaudissements droite.)

    M. le prsident. La parole est M. July. M. Pierre July. Mesdames, messieurs, au cours de l 'anne

    dernire, ait mois de mars trs exactement, se droulait devant cette Assemble ce qu'il est convenu d'appeler un vaste dbat agricole.

    Au cours de ce dbat, de nombreux orateurs attiraient .l'at-tention du Gouvernement sur la crise qui svissait en agricul-ture et nous tions un certain nomibre demander au Gouver-nement de prendre au srieux un malaise qui allait s 'aggravant et qui menaait de dgnrer en dsastre si des mesures effi-caces n'taient 'pas mises en uvre rapidement pour assurer aux exploitants agricoles un niveau de vie dcent.

    il semble que, pour le gouvernement de l'poque, il ne s'agis-sait que d'une manifestation de mauvaise humeur conscutive la gele qui avait dtruit les emblavures sur l 'ensemble du territoire et qui avait galement compromis d'autres secteurs de l'activit agricole.

    Un nouveau dbat s'ouvre aujourd'hui dans des conditions spectaculaires puisque le Gouvernement s'est vu contraint, la suite de nombreuses demandes de parlementaires, de convoquer l'Assemble en session extraordinaire.

    Ce dbat est motiv par la fixation arbitraire et injustifie du prix du bl mais le Gouvernement commettrait une grave erreur s'il pensait que le problme du bl constitue le seul sujet de mcontentement du monde de la terre.

    Nous sommes en ralit, mesdames, messieurs, en prsence du drame de la paysannerie franaise. Je l'ai dit et je croyais, aprs beaucoup d'autres orateurs, l'avoir dmontr l 'an pass puisqu'un ordre du jour particulirement explicite avait reu l'accord du Gouvernement et runi sur ses termes la quasi-una-nimit des membres de notre Assemble, 535 voix contre 1.

    Dois-je relire cet ordre du jour ? Il invitait le Gouvernement, notamment dans l 'tablissement

    de sa politiqre gnrale et sociale; A viter toutes importations excessives de produits agricoles

    de nature entraner un dsquilibre des prix sur le march; A doter le fonds de garantie mutuel agricole des crdits

    ncessaires en vue d'assurer efficacement l'organisation des marchs et d'obtenir des dbouchs permanents;

    A apporter un soutien efficace au march du porc et des produits laitiers ;

    A poursuivre l'assainissement sanitaire du cheptel; A tablir un plan quinquennal de production betterave-

    sucre-alcool ; A fixer le prix des crales > coutez bien, messieurs

    un .taux rmunrateur en tenant compte des pertes subies par les geles ;

    A coordonner les productions et les besoins alimentaires de la mtropole et des territoires d'outre-mer;

    A prendre les mesures ncessaires l'assainissement total du march viticole et mettre en place une socit d'interven-tion en vue de garantir aux producteurs un prix social ;

    A augmenter les crdits destins l 'enseignement, la vulgarisation et la recherche en vue de diffuser, notamment auprs des jeunes ruraux, les techniques modernes ;

    A assurer l'galit en matire de lgislation sociale entre les travailleurs agricoles et indpendants qui participent la vie rgionale agricole et les autres catgories de travailleurs;

    A sauvegarder par tous les moyens l'exploitation familiale. C'tait, mesdames, messieurs, donner satisfaction la quasi-

    totalit des demandes du monde agricole. Que reste-t-il de ces promesses et de ces engagements solen-

    nels ? Eh bien! nous devons constater que, sur tous les points, il

    faut-aujourd 'hui dresser un procs-verbal de carence. Ne vous tonnez donc pas, messieurs, si aujourd'hui, dans nos campa-gnes, dans toutes nos campagnes, la colre gronde. Estimons-nous heureux que les agriculteurs, dont le dvouement au pays n'est pas dmontrer, aient choisi la voie normale du recours au Parlement, comme il sied dans un rgime rpubli-cain plult que de recourir des manifestations de violence qui leur rpugnent. Mais cette sagesse nous dicte notre devoir.

    Il est de bon ton dfe dire dans certains milieux que la vie est facile la terre, qu'on n 'y paie pas d'impts. C'est peine si l 'on n'voque plus les fameuses lessiveuses dbordantes de billets de banque.

    Et cependant, quelle est la vrit ? Elle a t rappele par l 'orateur qui m'a prcd cette tribune. Les chiffres sont lo-quents : 27 p. 100 des travailleurs actifs de la nation; 12 p. 100 du revenu national.

    Voil deux chiffres dont la comparaison est vocatrice. Je ne pense pas qu'il soit ais de les rapprocher rapidement, mais- je ne pense pas non plus que rduire la recette globale de cette catgorie de la population soit une mesure efficace si l 'on vise . rtablir l 'quilibre entre ces deux donnes numriques.

    Vous n'ignorez certes pas qu'une importante partie de la recette brute de l'agriculture s'inscrit en frais de production, en achat de produits industriels et que ce poste, quelle que soit l ' importance des rcoltes, n 'est pas en diminution. Chaque rduction des prix agricoles que vous dcrtez, chaque ajourne-ment dans les ajustements,-, dans les rcuprations se traduisent par une diminution des recettes nettes des exploitations,

    En voulez-vous des preuves?

  • Depuis cinq ans, les pris consentis par les caisses de crdit agricole se sont accrus dans des proportions considrables, v-nement que ne peut pas seule expliquer la monte des prix industriels.

    L'augmentation des prts en France a t de l'ordre de 65 milliards de l'rancs en 1950 570 milliards en 195G. N'est-ce pas l la preuve irrfutable de l 'endeliement des milieux ruraux ?

    Cet endettement se traduit encore par la rduction en oour-centage des emprunts court terme au profit des prts long terme qui sont le plus souvent sollicits. Ainsi, en 1950, sur les 175 milliards de prts consentis, 120 milliards, soit approxima-tivement les deux tiers taient constitus par des prts court terme. En 1956, au contraire, le pourcentage des prts court terme dpassait peine le tiers de l'ensemble du crdit: 200 milliards de francs sur un chiffre global d'emprunts de 570 milliards.

    Cet endettement du monde agricole, signe irrfutable de sa dtresse, tient plusieurs raisons.

    La premire, la principale, et on ne le rptera jamais assez, c'est le Ibas prix des produits agricoles; l'volution de ces der-niers n'a pas suivi celle des produits industriels.

    L encore, les cliilfres sont difiants. Alors que l'indice des prix industriels est 32, par rfrence

    aux prix de 1939 celui des prix alimentaires de gros n'est que de 22. Et cependant, les agriculteurs ne sont-ils pas de gros consommateurs de produits industriels ?

    Vous avez, messieurs, sacrifi le monde paysan au mythe des 213 articles, comme si les agriculteurs constituaient une classe infrieure dans la nation.

    Cet endettement du monde agricole s'est aggrav au fur et mesure qu'augmentaient les prix industriels et, par cons-quent, les prix du matriel et de l'outillage.

    Or, l'accroissement de l'quipement mcanique est devenu une ncessit inluctable, non seulement pour maintenir et augmenter la production, pour procder aux reconversions qui, dans certaines rgions, s'imposent d'urgence, mais pour sup-pler une main-d'uvre qui se restreint chaque jour.

    Ainsi, tout concourt l 'endettement du monde agricole et son appauvrissement.

    En voulez-vous une dernire preuve ? La moyenne des dpts en banque oscille autour de

    170.000 francs par famille d'agriculteurs. Ce chiffre est trs lgrement infrieur celui de 1950, alors que le franc a perdu depuis lors une notable partie de sa valeur.

    Dans un dpartement comme celui que j 'ai l 'honneur de reprsenter ici, dpartement, dit-on, bni des dieux en tout cas dpartement agricole type la situation que je viens de dcrire sur le plan national se reflte parfaitement.

    La caisse rgionale de crdit agricole de Chartres avait, en 1952, consenti des prts d'un montant total de 8 milliards de francs, dont 2.500 millions de francs de prts court terme. En 1956, le chiffre global des prts a atteint 13 milliards et, au 31 aot 1957, le chiffre des prts bat largement les records antrieurs avec la somme de 15 milliards de francs.

    J'ajoute que les prts consentis aux millieux ruraux par la caisse rgionale en Eure-et-Loir reprsentent peu prs 50 60 p. 100 de l'ensemble des prts accords dans ce dparte-ment, les cultivateurs faisant galement appel d'autres ta-blissements de crdit.

    Ainsi, l 'endettement des cultivateurs de mon seul dparte-ment correspond-il la valeur approximative de la rcolte de bl d'une anne, ce qui revient dire qu'en cette fin d't le produit de la rcolte venir est d'ores et dj engag pour la grande majorit des agriculteurs de celte rgion cralire.

    Etonnez-vous, mesdames, messieurs, que la colre gronde, mme dans des rgions que, cependant, la qualit des sols et la comptence des techniciens agricoles entoure d'une rputa-t ion de prosprit.

    Voulez-vous un autre exemple : je vous citerai le pays bas-charentais qui a fait l 'objet d'une tude trs srieuse qui n 'a sans doute pas chapp l'attention de M. le ministre des finances et des affaires conomiques.

    Ce travail, qui porte sur neuf communes couvrant une super-ficie de 10.450 hectares rvle qu'entre 1942 et 1946 cette zone comprenait 806 exploitations dont 312 de moins de 2 hectares, 163 de 2 5 hectares, 208 de 5 10 hectares. 129 de 10 20 hectares, 79 de 20 40 hectares, 10 de 40 50 hectares et 5 de plus de 50 hectares.

    Depuis lors, de nombreuses petites exploitations ont disparu et beaucoup d'autres sont encore appeles disparatre si un redressement n'intervient pas trs rapidement.

    Comment pourrait-il d'ailleurs en tre autrement lorsqu'on sait que le revenu agricole par unit de travailleur de la famille et par anne je dis bien par anne est de ,150.000 francs pour les exploitations de moins de 10 hectares; de 221.000 392.000 francs, selon la qualit du sol, pour les .exploitations de 10 20 hectares et, enfin, de 312.000

    437.000 francs pour les exploitations de 20 40 hectares, gale-ment selon leur qualit.

    Je crains, monsieur le ministre des finances, qu'avec de tels revenus vos concitoyens ne mangent pas tous les jours du poulet et de la' confiture d'abricot. (Sourires.)

    Les chiffres que je viens de citer ne concernent cependant pas des rgions particulirement dfavorises, mais constituent la moyenne des revenus agricoles pour l 'ensemble de la France.

    Que penser, dans ces conditions, mesdames, messieurs, d'une' politique agricole qui aboutit faire ainsi varier la part du revenu agricole en raison inverse de l'enrichissement global du pays? Le revenu national a plus que doubl au cours des sept dernires annes; le revenu agricole, dans le mme temps, s'est effondr.

    Contre cette course l'abme, dont nous atteignons aujour-d'hui le point critique, dois-je vous rappeler que d'autres gouvernements avaient eu la clairvoyance d'agir par des mesu-res salutaires? La stabilisation du franc, l'organisation des marchs, le plan quadriennal illustrent la continuit des vues de trois chefs de gouvernement, les prsidents Pinay, Laniel et Edgar Faure.

    Je n'ignore rien des difficults actuelles, mais croyez-vous que les gouvernements de la prcdente lgislature n 'en ont pas rencontr ?

    Croyez-vous en tout cas, monsieur le ministre des finances, qu'il tait juste et opportun d'annuler, par les mesures que vous avez prises et que le monde rural considre comme des brimades, les tentatives de redressement et d'adaptation de la situation agricole ?

    En dernire heure et sous la pression du mcontentement gnral, vous semblez vouloir rectifier quelque peu la position.' 11 n 'en reste pas moins que les dcisions prises le 15 aot expriment dans les faits le discrdit qui frappe les agri-culteurs. Ds ce moment, la politique suivie pour le bl e t qui consistait en fixer le prix un taux plus bas que, celui des annes prcdentes se traduisait par une diminution de recettes de l'ordre de 9 milliards et se rpercutait nces-sairement sur le revenu du producteur agricole dont vous saviez cependant qu'il tait trs infrieur celui des autres catgories de producteurs.

    Ainsi, parmi les mesures d'ordre conomique que, pour dfense de la monnaie, votre gouvernement vient d'dicter, cer-taines s'adressent l'ensemble des citoyens; elles visent ralen-tir l'amlioration du niveau de vie, l'taler sur un plus long dlai; line austrit voile se profile l'horizon des consom-mateurs. Cependant, depuis ces dernires annes, marges, salaires, services n'ont cess d'augmenter. D'autres, par contre, s'adressent aux producteurs agricoles. Le bl vaut 500 francs de moins qu'en 1951. Le prix rel du lait effleure le niveau, qu'il avait atteint en 1952 et il a fallu que l'on soit en priode de pnurie de viande pour que cette denre retrouve les prix qui taient pratiqus avant la crise de 1953.

    Seul le secteur agricole se trouve dans cette situation et l'on peut dire que le rgime d'austrit auquel vous soumettez la nation, au nom de la dfense de la monnaie, tait dj le lot, jeu de l'volution conomique, de la population agricole.

    Chaque fois que l'conomie nationale pose un problme de prix, il semble que vous avez en face de vous un secteur compressible merci, le monde paysan, et un secteur incom-pressible !

    C'est en fonction de cette ingalit choquante, et de plus en plus intolrable, que les intresss se dressent. L'injustice les heurte et, pour la seconde fois en quelques annes, l'agi-tation paysanne s'tend dans tout le pays.

    Vous pensiez peut-tre, monsieur le ministre, fonder votre attitude sur le mcanisme des accroissements de production dont le jeu compenserait les prix unitaires modrs. En d'autres termes, vous reconnaissez qu'il y a, dans les modalits de fixa-tion du prix du bl, une amorce d'chelle mobile des prix en fonction du rendement.

    Mais nous n'avons pas vuf l 'an dernier, que le prix du bl ait mont par suite des geles ? Cette chelle mobile sens unique nous parait fonctionner l'inverse des autres et c'est ce qui nous inquite et nous heurte.

    Certes, les producteurs de bl de la Beauce, pas plus que ceux du reste de la France ne souhaitent selon la parole de Pguy que le grain sous la meule soit jamais replac dans le cur de l'pi . Mais ils savent que le drame du bl rsume le drame sculaire de toute l'agriculture.

    La baisse du pouvoir d'achat du quintal de bl apporte de ce fait une loquente et facile dmonstration. *

    Avec un quintal de bl, en 1939, le cultivateur achetait 313 kilogrammes de fuel lger; en 1952, avec le mme quintal de bl, il ne pouvait plus en acheter que 238 kilogrammes et, en 1957, 178 kilogrammes.

    Avec un quintal de bl, en 1939, le cultivateur achetait 1846 kilogrammes de charbon j en 1952, avec le mme quintal

  • de bl, il ne pouvait plus en acheter que 486 kilogrammes et, en 1957, 343 kilogrammes.

    Avec un quintal de bl en 1939, le .cultivateur achetait 170 kilogrammes d'acier; en 1952, avec le mme quintal de bl, il ne pouvait plus en acheter que 101 kilogrammes et, en 1957, 71 kilogrammes.

    Avec un quintal de bl, en 1939, le cultivateur achetait 696 kilogrammes de ciment; en 1952, avec le mme quintal de bl, il ne pouvait plus en acheter que 621 et, en 1957, 322 kilo-grammes.

    Avec un quintal de bl, en 1939, le cultivateur achetait 1430 kilogrammes de pltre; en 1952, il ne pouvait en acheter que 824 kilogrammes et, en 1957, 478 kilogrammes.

    Ainsi, de 1939 1957, le pouvoir d'achat du bl a connu une baisse considrable. Son taux d'augmentation n'est que de 120 par rapport 1913, alors que celui des produits industriels est de 350 par rapport la mme poque et celui du budget de la France de 900 1000.

    Ces constatations simples, brutales et de notorit publique auraient d, semble-t-il, suffire guider le gouvernement au moment o il demandait de nouveaux sacrifices au pays. Je me refuse croire qu'il ait dlibrment jou sur la passi-vit des ruraux et sur des prjugs antipaysns en vogue dans certains milieux mal informs.

    Je pense, en particulier, la confusion frquente qui est faite entre les prix alimentaires et les prix agricoles. Je pense la relation que l 'on tablit entre le prix du pain et le prix du bl.

    C'est l, vous le savez, le type du faux problme. Il y a un sicle, le pain de froment tait l 'lment fondamental du minimum vital, alors qu 'aujourd 'hui il n 'entre plus que pour 4 p. 100 dans le budget familial. Le prix du pain n 'en conserve pas moins des incidences psychologiques artificiellement entre-tenues.

    Quelle est la situation exacte du march du bl ? En juillet, les prvisions de campagne s'tablissaient, selon

    les chiffres officiels, 111 millions de quintaux. Aujourd'hui, elles sont de 107 millions de quintaux, c'est--dire moins que le maximum envisag par les techniciens du plan dans la pers-pective du march commun.

    En fait, la France produira cetle anne 85 millions de quin-taux de bl marchand. Cette rduction tient ce que certains dpartements, du fait de l 'humidit persistante, spcialement dans l'Est et dans la rgion parisienne, ont 40 p. 100 de bl germ inutilisable pour la consommation humaine.

    Que devient ainsi la rcolte ? Une part rpond aux besoins intrieurs, le reste devant affronter la comptition internatio-nale. Or, chacun sait que tous les Etats surproducteurs de bl pratiquent des prix de dumping.

    En France, pour rsorber les excdents, on a institu une politique de dfense du march fonde sur le quantum et l 'application d'une taxe de rsorption. Cette politique, qui pnalise les meilleurs producteurs, est discutable dans son principe puisqu'elle dcourage l'esprit d'entreprise, lequel ne va pas sans de coteux investissements. Les organisations agri-coles qui s'y taient rallies avaient reu des p~ome&ses qui, l encore, n 'ont pas t tenues, notamment quant la suppres-sion de la taxe de rsorption.

    En tout cas, et en contrepartie des lourds sacrifices ainsi imposs, sorait-il pour le moins ncessaire de rendre publics les textes d'application relatifs au quantum chaque anne avant les ensemencements et de ne pas abaisser celui-ci au-dessous .de 85 p. 100.

    Il conviendrait galement d'exonrer du prlvement uniforme et de la taxe de rsorption les producteurs qui s'engageraient, par dclaration pralable aux ensemencements, rduire leurs livraisons d'un pourcentage fix par rfrence la moyenne des annes prcdentes.

    Ces modalits d'action contre les risques de surproduction, dfaut de simplicit, doivent rester assez souples pour assurer progressivement l'lasticit entre une offre irrgulire et une demande rigide.

    Que l 'on cesse, en tout cas, de nous parler des sacrifices consentis par le trsor public pour l 'exportation des excdents de bl. Vous a-t-on jamais fait remarquer, monsieur ie ministre des finances, que les importations de choc de produits alimen-taires ce sont des devises qui sortent ? Qu'une calamit agri-cole qui frappe le bl, la viande, le lait, la betterave, c'est aussi des devises qui sortent, et que les exportations d'exc-dents agricoles, mme au prix mondial, ce sont galement des devises... mais des devises qui rentrent ?

    Les excdents ou les dficits de la production agricole n'auraient-ils pas, cet gard, la mme importance que pour les produits industriels ?

    Cette politique est d 'autant plus nfaste et injuste que les caractristiques des prix agricoles ne sont pas comparables celles des prix des produits industriels et que, notamment, les

    caractristiques du prix du bl sont la complexit, l 'incer-titude et l'instabilit.

    La complexit ? Je ne referai pas la dmonstration dj faite du calcul du prix du bl selon qu'il s'agit du bl sous quantum ou du bl hors quantum, du bl astreint la taxe de rsorption ou du bl qui y chappe. Le prix officiel de 3.350 francs est un trompe-'il, et vous savez, messieurs, que le monde paysan, habitu aux choses simples, dteste plus que quiconque les procds de ce genre.

    En fin de compte, mesdames, messieurs, le prix du bl il faut bien le dire est un prix, politique. Alors, en replaant le problme dans le cadre de l'conomie globale de la nation, j 'ai le droit de m'tonner que le Gouvernement ait accord une hausse de 4 p. 100 sur le prix de l'acier, tout en imposant presque simultanment la baisse du prix de vente de la crale numro un.

    Aujourd'hui, le Gouvernement se rendant compte sans doute de l 'erreur qu'il a commise et des consquences qu'elle a enlraines, dclare nous proposer un plan.

    M. le secrtaire d'Etat l 'agriculture, dont je me plais reconnatre la courtoisie, ne s'tonnera pas de mon scepti-cisme. Il y a un mois, le Gouvernement a us de la taxation du prix d bl comme d'un assommoir contre le monde agri-cole. Ce mme gouvernement voudrait maintenant assurer ce dernier de tous ses soins. Dans un souci d'union, je souhaiterais qu'il soit entendu, surtout si, comme je l'espre, il est dispos rparer l 'injustice qu'il a commise, en fixant un prix normal pour le bl. Mais si, par hasard, l'apologue des animaux malades de la peste a pu inspirer vos actes, soyez convaincus, messieurs, que les agriculteurs ne seront pas le baudet de la fable !

    Je voudrais aborder maintenant un autre problme. C'est un fait bien connu et qui n'est pas parmi les moins

    paradoxaux - - que la France runit toutes les conditions pour devenir un grand pays d'levage. De l'avis des techniciens, elle serait capable d'exporter chez ses voisins 600.000 tonnes de viande par an.

    Au moment o, monsieur le ministre des finances, vous vous ingniez faire rentrer des devises qui ont disparu au cours des derniers dix-huit mois, le Gouvernement devrait donc se rappeler que l'exportation de la viande doit constituer une source de devises d'autant plus prcieuse qu'elle n 'est pas conditionne par l 'achat de matires premires l 'tranger.

    C'est un fait non moins connu que la consommation de la viande s'accrot chez nous chaque anne, au point que la viande tend peu peu remplacer le pain comme symbole de l 'alimentation.

    Or, quelle est la situation dans ce domaine ? Elle est, l aussi, des plus proccupantes puisque la consom-

    mation ne suit plus la produclion, les abattages tant, vous le savez, trop importants par rapport l'tat de notre cheptel. De l'avis encore des techniciens, si la situation ne se redressait pas, nous serions brve chance obligs d'acheter chaque anne 400.000 tonnes de viande l 'tranger.

    De 1955 1956, les importations de viande ont dcupl et, dans le mme temps, les exportations sont passes de 100.000 32.000 tonnes.

    Que s'est-il donc pass, alors que les mesures prises en sep-tembre 1953 par les dcrets Laniel et qui craient la caisse interprofessionnelle de la viande et celles prises en septem-bre 1955 par le gouvernement Edgar Faure et qui craient la socit lnterlait , devaient permettre un assainissement du march, non seulement en vue de satisfaire aux besoins de la consommation intrieure, mais aussi de permettre l'exporta-tion ?

    Il s'est produit une chose bien simple et dont les consquen-ces catastrophiques sont sous nos yeux : les prix, l aussi, ont t sacrifis.

    Or, la premire condition pour encourager l'levage est de fixer un prix rmunrateur pour le lait. Nous en avons lon-guement discut dans cette enceinte lors des dbats qui ont abouti, non sans difficult, au vote de la loi Laborbe.

    Est-il besoin de rappeler que, peu peu, les grosses exploi-tations, celles qui notamment taient obliges de faire appel une main-d'uvre salarie, ont vu se vider leurs tables, les prix du lait n 'tant pas susceptibles de couvrir le cot de production ?

    Un exploitant de l'Eure toute la presse l 'a dit juste titre clbre pour les qualits techniques de son levage au point d'tre choisi pour prsider la commission des productions animales du troisime plan, fut amen liquider purement et simplement son cheptel de 90 ttes.

    En fixant au-dessous du prix de revient le prix du lait vous avez peut-tre fait une politique alimentaire courte vue, mais certainement pas une politique agricole.

    Dans le prix de revient du lait, le montant du salaire employ entre pour environ 50 p. 100. Or, depuis 1949, le prix de la main-

  • d'uvre agricole a augment de 120 p. 100, tandis que le prix du lait n 'a t major que de 12 p. 100.

    Ne nous tonnons pas si les tables sont aujourd 'hui dser-tes. Dans un dpartement comme l'Eure-et-Loir, qui est le plus gros ravitailleur en lait de la rgion parisienne, qui comptait 130.000 140.000 btes cornes, le ramassage du lait a diminu de 25 p. 100 dans certains cantons. Ainsi, la production du lait tend devenir le lait de petites et de moyennes exploitations, celles o la main-d 'uvre familiale n 'est pas calcule, et pour cause ! On estime cela a t chiffr que la rmunrat ion du travail dpens la semaine et le dimanche l 'table ne dpasse pas 65 francs de l 'heure. C'est, selon une expression malheureusement vocalrice, le bas salaire du travail domicile .

    Comment s 'tonner alors que les jeunes gens ne veuillent plus travailler dans de telles conditions et se pressent la porte des villes o l 'on ne peut pas les loger ?

    Le vote de la loi Laborbe, cependant bien timide dans ses dispositions, avait apport un espoir cette catgorie de pro-ducteurs agricoles particulirement dsavantage.

    Or le Gouvernement s 'est refus l 'appliquer. C'est ainsi que le prix la production, rsultant du calcul, fix par la loi au 1er aot, n ' a pas t publi, non pius que les dcrets d'application...

    M. Flix Gaillard, ministre des finances, des affaires cono-miques et du plan. C'est inexact.

    IH. Pierre July. Ils n 'ont pas encore t publis ? M . le ministre des f inances, des affaires conomiques et du

    plan. Si, mais ce que vous dites est inexact. M. Pierre July. Monsieur le ministre, on inflige ainsi cette

    catgorie de producteurs une nouvelle perte de plus de douze milliards de francs.

    La presse d 'hier soir annonait qu' la veille de ce dbat le Gouvernement serait dcid mettre enfin en vigueur la loi Laborbe.

    N'et-il pas t prfrable de le faire plus tt, alors que les services du ministre de l 'agriculture n ' ignorent pas qu 'une revalorisation substantielle du prix du lait la production est seule capable de sauver notre cheptel ?

    Pourquoi aussi n 'avoir pas donn la socit Interlait les moyens de jouer son rle, lequel lui a t dvolu par la loi ?

    M. le ministre des f inances, des affaires conomiques et du plan. Ils lui ont t donns.

    M. Pierre July. Vous avez prfr recourir des importations qui ont encore augment le dcouragement des producteurs et aggrav la situation du march.

    Je ne m'tendrai pas, car le temps m'es t mesur, sur le problme de la viande. Si vous voulez viter l 'abattage des veaux, faites qu ' i l soit plus intressant pour l 'leveur de les lever que de les vendre l 'abattoir. Vos conseils aux mna-gres, apprcis des chansonniers, n ' y changeront rien.

    Je voudrais que vous sachiez, monsieur le secrtaire d'Eiat l 'agriculture, qu 'en dpit de la situation qui leur est faite, nos leveurs n ' en continuent pas moins faire leur devoir.

    Vous savez quels ravages les maladies du btail ont fait autrefois et font encore dans nos tables.

    Je connais un leveur dans le Perche qui dut abattre derni-rement dix-huit btes cornes atteintes de fivre aphteuse. Cette maladie devient de plus en plus mortelle. Pour y parer efficacement, on estime qu'il faudrait pratiquer la vaccination pendant cinq annes conscutives. Or, chaque piqre cote cinq cents francs. Les services intresss de mon dpartement nt tudi des contrats avec des laboratoires pour la prpa-rat ion et la fourniture de vaccins. Il serait juste que le fonds d 'assainissement de la viande prenne sa part de la dpense.

    De mme, pour la tuberculose bovine, les efforts entrepris ces annes dernires par les producteurs d'Eure-et-Loir, et qui se sont traduits par l 'abattage de dix mille btes, permettent d 'esprer l 'limination dfinitive de cette maladie d'ici trois ans.

    Mesdames, messieurs, n 'oublions pas qu 'un buf ne s 'lve pas en six mois et qu 'un cheptel se dcime plus vite qu' i l n e se reconstitue. Il s'agit donc d 'une uvre de longue haleine. Nos trop rares devises ne doivent pas servir acheter de la viande. Il nous faut donc accrotre notre capacit de produc-ition et, pour cela, rendre confiance l 'levage franais

    On n ' y parviendra que par une politique des prix qui tiendra compte du fait qu'il est de plus en plus difficile impossible mme dans certaines rgions de trouver des ouvriers qui acceptent de travailler sept jours sur sept sujtion invi-table de la traite et qui sont rmunrs un taux infrieur celui des ouvriers de la ville.

    Paralllement la scurit ainsi assure aux leveurs, un vasle effort de vulgarisation et d 'enseignement technique, par-fois mme de reconversion, doit tre entrepris et poursuivi, car l 'levage n 'a pas suivi les mmes progrs que dans cer-taines autres branches de l 'activit agricole.

    Telle est, monsieur le secrtaire d'Etat l 'agriculture, la tche qui s ' impose. Je suis persuad qu'elle n'est pas impos-sible, mais, dans ce domaine peut-tre plus que dans tout autre , u n ' y a plus une minute perdre.

    Je ne veux pas, mes chers collgues, abuser de cette t r ibune et aborder d 'autres aspects du problme agricole, d 'autant plus que de nombreux orateurs doivent intervenir au cours de ce dbat.

    Je voudrais, cependant, faire encore deux observations et proposer, si vous le permettez, des suggestions.

    Dans son excellent rapport sur le march commun, notre collgue M. Savary citait ce passage du rapport de la commis-sion conomique pour l 'Europe en 1954: En dehors des rgions de montagnes comme les Alpes et le Massif central, dans le restant du vaste territoire form par le centre, l'Ouest et le Nord de la France, la rgion mditerranenne mise part , toutes les conditions favorables l ' implanta-v tion d 'une agriculture prospre semblent runies : climat pro- pice, assez grandes exploitations, densit pas trop forte de la population. Or, le niveau technique y est trs peu lev quand on le mesure d 'aprs le nombre des tracteurs, la consommation d'engrais ou le rendement en lait par vache, et les mthodes y sont si extensives que la production par hectare est trs infrieure celle de l'Italie et du Royaume- Uni et infrieure de plus de moiti celle de l 'Allemagne occidentale et du Danemark.

    A cette constatation d'ordre gnral, j 'a jouterai que si nous avons parmi les exploitations franaises des fermes remarqua-blement gres et quipes qui sont comparables aux meil leures sur le plan international, nous disposons galement d'exploi-tations sous-dcveloppes.

    Vis--vis de ces rgions dsavantages ou de ces exploitants trop faibles ou insuffisamment informs qui ont, hlas ! manqu le train du progrs, les pouvoirs publics ont des devoirs.

    Vos services, monsieur le secrtaire d'Eiat l 'agriculture je l 'ai dj dit l 'an dernier doivent guider nos producteurs vers de ncessaires modernisations, vers d ' indispensables reconversions en fonction de l 'volution de la demande et des modes d'alimentation. Vous devez tenir compte de phnomnes considrables tels que la rgression de la consommation du pain et du vin par exemple et orienter les exploitants des surfaces libres de ce fait vers d 'autres productions. Il faut donc que les cultivateurs placs devant les reconversions nces-saires trouvent, en temps utile, les quipements indispensables et les facilits de trsorerie correspondantes.

    L'ide dominante doit tre, ce point de vue, le conseil technique aux producteurs appuys par le crdit.

    Dans une tude sur le dveloppement des rgions agricoles retardataires , M. ie professeur lten Dumont crivait rcem-ment : Les banques traditionnelles de nos campagnes avaient pour premier souci d 'y rechercher des capitaux, d 'en drainer l 'pargne vers des fonds d'Etat franais ou trangers ou vers des placements industriels et commerciaux. Ainsi, le bas de laine franais du XIX" sicle a servi quiper le monde entier, financer les guerres et leur prparation, difier une certaine industrie bien plus qu ' moderniser nos campagnes.

    Or, au jourd 'hui la situation s'est renverse. Plac devant les reconversions ncessaires, l ' indispensable quipement, le monde agricole doit faire appel au crdit. Il doit faire appel au crdit, non pas pour pallier l ' insuffisance des prix qui lui sont imposs par les pouvoirs publics, mais pour s 'quiper. 11 doit donc pouvoir emprunter , non pas la petite semaine, mais des conditions particulirement favorables quant au taux de l ' intrt et aux dlais de remboursement .

    Or, les capitaux disponibles sur le march se portent plus volontiers vers l ' industrie que vers l 'agriculture. Ainsi voyez-vous des sommes considrables affluer vers les grandes entre-prises industrielles, la Rgie Renault, Electricit de France ou d 'autres entreprises, qui proposent des intrts et des avantages substantiels. Ces avantages, l 'agriculture ne peut pas les pro-mettre, car la rotation des capitaux n 'est pas la mme dans le secteur agricole que dans le secteur industriel. Si le nombre des automobiles construites dans un temps donn, par exemple, peut s'accrotre grce aux progrs de la technique, il n ' en est pas de mme, tout au moins dans la mme proportion, des rcoltes de bl ou des productions laitires. De mme, les engins mcaniques ne peuvent pas faire plus de rcoltes que la nature n ' en produit.

    Ne croyez-vous donc pas, mesdames, messieurs, qu'il serait juste et opportun de lancer un vaste emprunt de moderni-sation de notre agriculture, dont une partie de la charge serait supporte par l 'Etat, de faon, d 'une part, attirer les capitaux dans u n secteur jusqu' ici dlaiss par les prteurs, et, d 'autre part , permettre ainsi nos agriculteurs de raliser les investissements dont ils ont besoin ?

    Ma deuxime observation, mes chers collgues je l ' avais aussi formule l ' an pass c'est qu' i l est vain de se proc-

  • cuper des produits si, en mme temps, on ne se penche pas sur le sort des producteurs. . L'agriculture nationale n'est pas seulement du bl, des plantes

    sarcles, du vin, de la viande et du lait. C'est aussi des hommes, ds familles, des cellules sociales autant qu'cono-miques. C'est propos de ces hommes, de leurs familles et de leur destin qu'il y a aussi une uvre accomplir.

    Vous devez au plus tt entreprendre un travail gigantesque d'information, d'ducation, voire de rducation, des exploi-tants franais qui, trop longtemps isols dans leurs villages, se trouvent brusquement dsempars par les remous de l'vo-lution conomique contemporaine qui parviennent jusqu'aux campagnes les plus recules.

    Croyez-moi, monsieur le ministre des finances, il n'est que temps" d'en finir, une fois pour toutes, avec ces brimades, avec ces injustices qui visent, lorsqu'il s'agit de produits de notre sol, interdire toute rcupration des frais de production sur la vente. C'est l une situation inadmissible.

    Allez-vous vers deux groupes de citoyens, les uns garantis contre toutes les inscurits, couverts contre tous les risques, les autres abandonns aux risques qui sont inhrents leur mode de vie et de production Voulez-vous dans ce cas, il faut le leur dire clairement que, abandonnant leurs travaux agricoles, ils se pressent en foule aux portes des cits et des usines et que, peu peu, la France perde ce qui fait l 'un des lments essentiels de sa stabilit, de sa longvit: une production agricole importante ?

    Non, bien sr, vous ne ie voulez pas. Il faut donc, non seu-lement le proclamer, mais encore faire en sorte que cela ne se dclenche pas contre votre volont.

    Il vous faut donc une politique agricole qui, dans l'action plus que dans l'loquence, rassure ces populations et les mette en mesure d'voluer, comme les autres citoyens actifs, vers un mode de vie dcent.

    Il vous faut aussi une politique agricole qui permette la France de participer utilement au march commun.

    Pour ce dernier, l'agriculture a demand et obtenu un dlai de plusieurs annes, dlai d'ajustement et de modernisation qui fut jug ncessaire afin que, sous tous les aspects, qu'il s'agisse 'des prix ou de la qualit, nos producteurs agricoles soient mme de soutenir la comparaison avec des agriculteurs voisins qui ont volu plus vite, notamment en ce qui concerne 'l'organisation des marchs et l 'quipement tant intellectuel que technique.

    Croyez-vous vraiment que, dans le dlai qui nous reste, la politique que vous suivez ne nous conduise pas tout droit iunc catastrophe, alors que les agriculteurs voyaient dans le mar-ch commun un espoir, malgr les risques qu'il comporte ? ' Ne pensez-vous pas que, sous tant de motifs brandis devant nous, tous plus valables les uns que les autres, votre respon-sabilit serait grande si votre attention et la ntre ne s'atta-chaient pas, autant qu'il est ncessaire, l'laboration et la mise en uvre d'une politique agricole de longue dure et de grande envergure ?

    Le monde agricole, mesdames, messieurs, a les yeux tourns vers nous. Je vousj demande de ne pas le dcevoir et d'obtenir du Gouvernement les satisfactions lgitimes qu'il rclame. (Applaudissements droite et sur quelques bancs au centre.)

    M. le prsident. La parole est M. Dorgres d'Halluin. (Applau-dissements l'extrme droite.)

    M. Henri Dorgres d'Halluin, Mesdames, messieurs, il est bien vident que le Gouvernement a voulu minimiser le dbat en convoquant l'Assemble prmaturment et en joignant dans ;le mme ordre du jour la question de l'Algrie, inscrite en (premier, et les interpellations sur la politique agricole. Ainsi, Ile dbat sera scind en petits morceaux et nous arriverons une conclusion qui ne plaira certainement pas aux cultivateurs.

    On a voulu placer ce dbat sur le plan technique, or le pro-blme. agricole n'est pas purement technique. Il s'inscrit dans .un programme de politique conomique gnrale.

    Je ne suis pas le seul exprimer cette opinion. Je ne vous [infligerai qu'une seule citation, celle d 'un extrait d'ne dli-bration prise le 27 aot dernier par le comit permanent de l 'assemble des prsidents des chambres d'agriculture qui 'dclare : ! Le comit permanent gnral estime que les causes de la situation agricole sont principalement les suivantes : I Premirement, accroissement continu des dpenses de l 'Etat, hors de proportion avec l'augmentation du revenu natio-n a l ; ; Deuximement, accroissement continu des salaires, hors de proportion avec l'augmentation de la production nationale; j Troisimement, accroissement continu de l'expansion indus-trielle, hors de proportion avec les activits conomiques non Industrielles et spcialement avec la production agricole . ; En plaant le problme agricole sur le plan technique seule-Jment on commet donc une erreur.

    Laissant de ct tout le contentieux et les questions du bl, de l'essence dtaxe et des 15 p. 100, que des orateurs plus qualifis que moi traiteront trs certainement, j'examinerai surtout le problme qui paat essentiel l 'heure actuelle aux yeux des associations agricoles, celui de l'indexation des prix.

    Ce problme est pos dj depuis un certain nombre d'an-nes. Devant le dsquilibre des prix agricoles et des prix industriels, l'agriculture a pens que si les prix agricoles sui-vaient la mme courbe que les prix industriels, l'quilibre qui en rsulterait lui permettrait de se tirer d'affaire.

    L'ide est extrmement sduisante et, pour ma part, ds le dbut de cette lgislature, au mois de fvrier 1956, j'ai dpos une proposition de loi demandant l'indexation des prix agri-coles sur les prix industriels.

    Mais cette indexation comment doit-elle se faire ? Dans quelles conditions et sur quelles bases ?

    On peut videmment choisir divers indices, par exemple ceux qui sont arrts par le Gouvernement ou pour la loi Laborbe. Pour ma part, je considre que le seul produit industriel sus-ceptible de fournir une base valable l'indexation des prix agricoles devrait tre le charbun. Pourquoi le charbon ? Parce qu'il est le produit industriel type, qu'on l'utilise partout que c'est la source d'nergie mme. Si l'indexation des prix agri-coles sur le prix du charbon tait ralise, il en rsulterait un quilibr certain entre les prix agricoles et les prix industrisls.

    Mais une indexation ne suffit pis. Il ne suffit pas de dclarer que le lait ou le bl ou la viande vaudra tant. Encore faut-il trouver des acheteurs. On prpare actuellement au ministre des finances la presse nous l'a appris des dcrets crant des socits d'intervention, soit nour acheter, soit pour vendre entre les prix-plafond et les prix-planchers. L'ide est extr-mement sduisante et intressante.

    Indexation des prix et intervention de socits interprofes-sionnelles sont l 'heure actuelle ncessaires et indispensables.

    Non avons, en effet, colmater une brche et viter la dsertion continue des campagnes car, dans dix ans, un ch-mage effroyable va s'abattre sur noire pavs. En effet, dans dix ans la guerre d'Algrie sera finie (Mouvements divers l'extrme qauche), la dure du service militaire sera rduite et les progrs de l'automation auront libr une nombreuse main-d'uvre. Nous verrons alors arriver l'ge du travail les jeunes gens ns en 1956 et 1917. Mais, de plus, vous aurez cette masse dp paysans que vous tes en train d 'arracher 'de nos campa-gnes et qui, sans la politique anti-pavsanne qui est actuelle-ment pratique, continueraient vivre tranquillement dans leurs fermes, dans leurs exploitations agricoles, sans rien demander l'Etat.

    Si donc une politique d'indexation et d'intervention sur les marches pour quilibrer les prix et empcher les baisses et les hausses excessives me parat pour le moment absolument indispensable, je n'en considre pas moins qu'une vritable politique agricole devrait essayer, avant tout, de rapprocher le puis possible les prix la production des prix la consomma-tion.

    Le cultivateur qui se tire d'affaires, celui qui quilibre son budget, est celui qui est plac le plus prs du consommateur et vend ses produits aux prix de dtail. Mais en gnral nos

    _cultivateurs, dissmins dans les campagnes, vendent tout aux prix de gros et achtent tout aux prix de dtail. Ce sont des producteurs de matires premires et des acheteurs de produits manufacturs. Entre le moment o ils vendent leurs produits et celui o ils les rachtent transforms, toutes les char3s sociales et fiscales du pays se sont incorpores.

    S'il y a actuellement dsquilibre entre les prix agricoles et les prix industriels, c'est prcisment parce que l'industrie incorpore dans ses prix les charges sociales et fiscales, alors que 1 agriculture ne peut pas le faire.

    Lorsque l'on compare les coefficients d'augmentation des prix agricoles, des prix industriels et des charges sociales et fiscales, on aperoit au bas de l'chelle les prix agricoles, au milieu les prix industriels et dans le haut les charges et impts excessifs.

    En outre, une vritable politique agricole devrait tendre reformer profondment l'Etat et le ramener des concep-tions infiniment plus normales.

    L'Etat est devenu tentaculaire; il s'occupe de tout, et il est devenu extrmement coteux. Par rapport 1914 alors que le prix du bl est au coefficient 122 ou 123, les dpenses de l'Etat sont au coefficient 1000. Il faut absolument ramener des proportions normales ces dpenses.

    M. Gaillard a pari de politique d'austrit. M. le prsident du conseil, cette tribune, a dclar que la France devait subir des sacrifices pour sauver le franc. Cette politique d'aus-trit aurait t accepte facilement par le pays si, d'abord, les gouvernants et les lus avaient donn l'exemple des sacrifices.

    Mais cet exemple, on ne l'a pas donn. On a constitu un ministre de quarante-six personnes. Douze ministres, cela aurait t suffisant, (Applaudissements l'extrme droite.)

  • Si le prsident du conseil tait venu nous d i re : une Assem-ble de six cents membres, c'est trop pour notre pays ; trois cents membres suffisent (Applaudissements sur les mmes bancs); s'il avait dclar: il faut renvoyer la moiti des sna-teurs , supprimer le Conseil conomique et attribuer ses fonc-tions au Snat supprimer l 'Assemble de l'Union franaise {Nouveaux applaudissements sur les mmes bancs); si l 'on avait ramen au chiffre de 1935 le nombre des fonctionnaires; si l 'Etat avait liquid toutes ses nationalisations pendant qu'il en est temps encore, car demain il sera oblig de vendre des usines rentables l 'Amrique et l 'Allemagne; si, en un mot, cette politique d'austrit, le Gouvernement lui-mme en avait donn l 'exemple, le pays aurait pu l'accepter facilement, et la paysannerie la premire. Elle refuse au jourd 'hu i d'tre de nouveau sacrifie !

    On veut indexer les prix agricoles sur les hases actuelles. On veut stabiliser la misre paysanne : c'est l une profonde injustice.

    La presse nous annonce car nous n 'avons pas encore de nouvelles trs officielles que, pour un certain nombre de produits, M. Gaillard avait fix des prix d'objectif. C'est ainsi que pour le bl, le prix d'objectif serait l 'an prochain de 2.800 francs le quintal, avec une prime de 400 francs par quintal pour le cultivateur produisant moins de 200 quintaux, soit 3 200 francs le quintal de bl. Avant la guerre de 1914, le prix du bl tait de 26 francs le quintal, soit un coefficient d aug-mentat ion de 123.

    En ce qui concerne la betterave, on nous annonce le prix d'objectif de 5.500 francs, et on a l 'air de faire un cadeau. Mais on oublie de dire qu'avec la dvaluation je sais que c'est u n mot qu 'on ne doit pas prononcer, mais il s'agit pourtant bien d 'une dvaluation qui n'ose pas dire son nom et qui est actuel-lement effective le prix de la betterave en France va t r encore infrieur au prix de la betterave dans tous les pays ds la petite Europe.

    On arrive ainsi des rsultats stupfiants. La tonne de betteraves, qui valait 27 francs en 1900, a valu

    4.370 francs au cours de la campagne 1955-1956. En 1900, le quintal de sucre valait 30 f r . 90; il a valu 7.180

    f rancs au cours de la campagne 1955-1956. Le coefficient d 'augmentation du prix de la betterave est donc

    de 162 alors que celui du sucre est de 280. Et, l encore, on ne saurait parler d' intermdiaires, car il s'agit du prix la pro-duction pour la betterave et du prix usine pour le sucre. N'est pas en cause l ' intermdiaire, l 'picier, que vous attaquez cons-tamment et qui est en Talit le collecteur de vos impts. (Applaudissements l'extrme droite.)

    On va donc indexer les prix. Ces prix sont notablement trop bas. L'indexation devrait se faire par rfrence ceux de 1914. Pourquoi ? Parce que ces derniers s 'taient frotts et

    l i m s les uns contre les autres. La France avait connu u n sicle de stabilit montaire. Le franc avait rsist l ' invasion de 1815, la dfaite de 1870-1871. Nous avons acquitt l ' in-demnit de guerre, mais le billet de banque avait conserv sa valeur : on pouvait alors se prsenter au guichet d 'une banque et recevoir cinq louis contre un billet de cent francs. Quelle banque nous donnerait au jourd 'hu i cinq louis contre cent f rancs Gaillard ?

    Ces prix de 1914 qui s 'taient frotts les uns contre les autres pendant une longue priode de stabilit montaire sont donc des prix valables. En agriculture, les progFs techniques n 'on t pas t, mon avis, trs suprieurs ceux enregistrs dans l ' industrie. Si l 'on compare certaines industries franaises et certains de nos secteurs agricoles, on s'aperoit que, relative-ment aux pays trangers, notre agriculture a ralis de plus grands progr's techniques que certaines de nos industries sin-gulirement retardataires.

    En raison de cette longue priode de stabilit montaire qui a prcd 1914, j 'estime que c'est sur les prix de cette anne qu' i l conviendrait avant tout d ' indexer nos prix. C'est l le point essentiel, capital, si vous voulez rendre au jourd 'hui l 'agriculture la possibilit de vivre. Celle-ci se trouve dans une condition pouvantable.

    On a parl de l 'endet tement auprs du crdit agricole dans u n dpartement rput comme trs riche, celui de l 'Eure-et-Loir. Le dernier bilan au 31 juillet 1957 de la caisse centrale du crdit agricole rvle que les prts consentis aux agriculteurs at teignent 611 milliards, uniquement pour le crdit agricole. Ajoutez-v les prts des caisses rurales, les traites chez les mar-chands e machines agricoles, les factures chez les ngociants en engrais, les notes chez les artisans, les impts et les coti-sations sociales en retard. Ajoutez encore l 'argent emprunt chez les notaires et vous verrez que l 'endettement agricole est considrable, catastrophique, dans une profession qui, avant la guerre de 1914, ne connaissait pas le crdit et avait toujours l 'argent d'avance lorsqu'il s 'agissait d 'acheter une machine ou de faire btir une maison.

    Si vous ne prenez pas, en faveur de la paysannerie et t rs rapidement des mesures trs efficaces, le mouvement d'agi-tation qui est en train de se manifester dans le pays conti-nuera .

    Comptez que, pour ma part , je ne ferai rien pour l 'arrter j vous pouvez en tre certains. -

    C'est par l 'agitation que la classe ouvrire a obtenu, dans ce pays, des avantages. C'est par l 'agitation que la paysanne-rie a obtenu que le Gouvernement convoque le Parlement. Sans doute, le mme gouvernement est-il en train d 'essayer de trouver- des solutions qui calmeront la colre paysanne en roulant la paysannerie. On esprait, tant donn le nombre d'orateurs, noyer le poisson dans une mer de salive. (Rires.)

    Mais croyez-moi, monsieur le ministre des finances, vous n'V arriverez pas. La paysannerie a commenc s 'agiter; elle cont)"-i nuera. Elle sait qu 'au jourd 'hu i elle est roule . Elle sait e t tous nos paysans comprennent que les manuvres gouverna* mentales sont diriges contre elle. Elle continuera donc s'agi-ter. Vous dsirez, dites-vous, calmer cette agitation ? Il existe un moyen fort simple. Les deux orateurs qui m'ont prcd ont dit cett.e t r ibune que le revenu paysan tait vraiment trs infrieur au travail fourni par la paysannerie, compte tenu de son importance numrique.

    Les paysans ont des familles nombreuses. Us supportent des charges sociales extrmement lourdes. Dans le domaine des allocations familiales agricoles ils sont victimes de profondes injustices, fis lvent des enfants qui, arrivs l 'ge d 'homme, s 'en vont travailler dans les villes, dans les administrations d'Etat.

    Si vous vouliez faire un geste effectif en leur faveur, leur accorder une satisfaction matrielle immdiate, vous prpare-riez un projet de loi supprimant les cotisations d'allocations familiales agricoles. Ainsi, monsieur le ministre, vous auriez rtabli un peu de justice sociale dans notre pays et augment la part de l 'agriculture dans le revenu national.

    Mais je sais que vous ne le ferez pas, que les proccupations agricoles sont le moindre souci de ce Gouvernement. Tout sera mis en uvre pour briser cette agitation: promesses, faux-sem-blants, textes qui ne seront pas appliqus. Et on tchera de trouver dans votre cnacle de la rue de Rivoli quelque combi-naison qui calmera l 'ire des cultivateurs.

    Nous savons que ce corps des inspecteurs des finances, don t vous tes un des plus minents reprsentants, est foncirement hostile la paysannerie. La politique qu' i l a pratique est une politique dsordonne.

    Monsieur le ministre des finances, votre ministre a tout accapar. Votre corps de l 'inspection des finances a rassembl tous les services rue de Rivoli: les finances, les affaires cono-miques et le plan. Malgr cela les choses marchent trs mal dans notre pays.

    En Allemagne, c l 'conomie est prospre, le docteur Schaefler est charg des finances et le docteur Erhardt des affaires cono-miques. En France, tout est rassembl, mais rappelez-vous la grenouille de la fable. Votre ministre s'enfle dmesurment : il va clater et ce sera pour le bien de notre pays. (Applaudis-sementt l'extrme droite. Interruptions gauche.)

    Il n 'est pas de politique plus dsordonne que celle pratique depuis quelque temps. On a fait arracher des vignes et aujour-d'hui, nous n 'avons plus de vin. Bien sr, ce n 'est pas vous, mais les gens qui vous prcd, la petite chapelle qui "vous entoure et dont vous tes le grand prieur, le petit monas-tre que vous administre?.

    Crovez-moi, monsieur le ministre, la paysannerie se rend parfai tement compte que c'est un lieu o tout va de travers et je souhaite, pour ma part , que les paysans viennent y met t re bon ordre avec des fourches, car l rsident vritablement les pires de leurs ennemis.

    Je vous l 'ai dit, mes amis voteront un ordre du jour pr-voyant l ' indexation des prix des produits agricoles et la cration de socits d ' intervention pour maintenir les prix.

    Nous voterons en faveur de telles dispositions parce qu 'el les sont absolument ncessaires et qu'elles doivent tre immdia-tement appliques, tout en ne les considrant pas comme la vritable solution du problme.

    Si vous ne voulez pas accepter ces mesures et tout le contenu du contentieux agricole, mes amis du groupe paysan voteront contre vous. En le faisant, ils obtiendront l 'adhsion totale de la paysannerie unanime. (Applaudissements l'extrme droite et sur quelques bancs droite.)

    M. le prsident. M. Pesquet et M. Paquet, qui sont inscrits aprs M. Dorgres tant absents, la. parole est a, M. Beauguitte.

    M. Andr Beauguitte. Pour ne pas allonger le dbat, je renon-ce la parole. (Applaudissements droite et l'extrme droite.)

    I. Jean-Louis Tixier-Vignancour. Alors, on pourrait voter ce soir.

    M. le prsident. Je tiens vous informer, monsieur Tixier-Vignancour, qu 'un certain nombre d' interpellateurs sont encore; inscrits.

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    M. Jean-Louis Tixier-Vignancour. Si tous les interpellateurs aisaient comme M. Beauguitte, que dirait le Gouvernement

    M. Adrien Scheider. Mais si tous faisaient comme M. Paquet, ;que diraient les cultivateurs ?

    M. Jean Laborbe. Monsieur le prsident, je suis inscrit pour intervenir bientt, et ds maintenant je vous informe que je iarenonce la parole, estimant que les paysans attendent autre ichose que des discours. (Applaudissements droite et l'ex-trme droite.)

    M. le prsident. Vous me mettez dans u