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UNIVERSITE LUMIERE LYON II Institut d'Etudes Politiques de Lyon La construction médiatique de la crise « des subprimes » ou le rôle des médias dans l’émergence d’une crise Soutenu le 03 septembre 2008 Morgane Remy Directeur de mémoire : Jean-Michel Rampon

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UNIVERSITE LUMIERE LYON IIInstitut d'Etudes Politiques de Lyon

La construction médiatique de la crise« des subprimes »ou le rôle des médias dans l’émergence d’une crise

Soutenu le 03 septembre 2008Morgane Remy

Directeur de mémoire : Jean-Michel Rampon

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Table des matièresIntroduction . . 4

Problématique . . 4Hypothèse . . 5Choix du corpus et sa catégorisation . . 5Méthode d’analyse . . 6

I/ Explications de la crise des subprimes . . 81.1 Qu’est ce que la crise des ‘subprimes’? . . 81.2 Rétrospective . . 91.3 Lexique . . 9

1.4 La titrisation et la crise des « subprimes » comme crise financière 6 . . 10

1.5 D’une crise financière à une crise économique globale 10

. . 13II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. . . 15

2.1 Corpus . . 152.2. Revue linéaire . . 172.3 Evolution de la crise : analyse quantitative . . 262.4. Analyse par rapport aux déclarations publique de la BCE et de la Fed . . 30

III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision . . 333.1 Corpus . . 333.2 Analyse linéaire . . 343.3 Analyse comparée. . . 42

IV/ Mise en perspective des analyses . . 44

4.1 Analyse du discours inspiré de la méthode de S. Moirand 14

. . 444.2 Méthodologie inspirée de l’essai : Construire l’événement. Les médias et l’accident de

Three mile island 17 . . . 464.3 Etudes des discours d’experts relayés par la presse. . . 474.4 Comparaison avec les crises environnementales, la crise de la « vache folle » et cellede l’ « e-krach » en bourse . . 54

V/ La presse et l’événement subprime. . . 585.1 Historique de la relation de la presse à l’événement . . 58

5.2 Les subprimes ou un « Grand événement » 30

. . 595.3 Les logiques journalistiques et lectures événementielles des faits d’actualité . . 605.4 Typologie de l’événement des subprimes . . 625.5 L’événement subprime est une crise . . 635.6 Du sensationnalisme . . 645.7 Le temps de l’événement . . 655.8 La crise des subprimes, un objet politique de rapport de force . . 67

Conclusion . . 68Annexes . . 70Bibliographie . . 71

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

4 REMY Morgane_2008

Introduction

« Dans un cours d’économie financière à l’université Paris I, un enseignantdonnait comme seul conseil à ses étudiants tentés de « jouer » en bourse dene jamais croire les journaliste. Le mouvement des cours boursiers ne pouvaitaller, selon lui, que dans la direction contraire à celle prévue par les médias. Ledéfaut d’information réellement fiable expliquait l’impuissance médiatique dans ledomaine prédictif. La législation boursière interdit en effet tout scoop authentiquequ’elle qualifie de délit d’initié »1.

Pourtant, des institutions comme la Banque de France ont un service dédié entièrementà la presse. Lorsque, lors d’un stage en août dernier, j’y ai travaillé, j’ai vu l’importanceaccordée au médias. Les publications étaient étudiées quantitativement et qualitativementafin de fournir une analyse de l’actualité aux dirigeants. Ces derniers suivaient d’ores etdéjà l’actualité au quotidien grâce à une revue de presse mais aussi grâce à un relais enflux tendu des informations jugées comme primordiales. Un tel décalage entre les proposdu professeur d’économie et la réalité au sein de la banque des banques pose clairementla question de l’influence qu’ont les médias sur la sphère économique. Mon étude porterasur la crise dite des « subprimes » (que j’ai vu émerger en étant au service presse de laBdF) et sur le traitement médiatique de celle-ci. L’intérêt du sujet est de s’interroger sur deuxdomaines très différents qui sont liés de façon temporaire dans la création d’un événement.

Pour la crise des « subprimes », il est intéressant d’analyser le surgissement du momentdiscursif2 que l’on étudiera plus tard dans ce mémoire. Si le surgissement est parfois brutalet intense comme lors des attentats du 11 septembre, le moment discursif peut être plusdiscret. Ce moment discursif ne devient ‘événement’ que s’il donne lieu à une abondanteproduction médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins longterme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements.

Le lien entre la crise financière et les médias, c’est-à-dire entre les faits et les récits, estdonc la coproduction d’un événement. L’objet d’analyse résulte de cette interaction entre ledomaine économique et la presse. Même si la notion reste à définir, on peut simplifier endisant que l’« événement subprime » est l’objet d’analyse.

ProblématiqueL’événement « subprime » est souvent présenté comme étant purement un fait, une réalitééconomique. Pourtant, l’existence d’une crise ne saurait se faire sans médias. Ceux-ci en

1 Elsa Poudrardin, ‘La crise boursière d’avril 2000 dans les articles autour de la « nouvelle économie »’ in Michèle Gabay,

Communiquer dans un monde en crise : images, représentations et médias.2 Sophie Moirand explique que e moment discursif est constitué quand « un événement donne lieu à une abondante production

médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits à propos d’autresévénements ».

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Introduction

REMY Morgane_2008 5

font un récit, la rendent intelligible et, ainsi, lui donnent corps voire, parfois, l’amplifient parles réactions « en chaîne » qu’ils provoquent. À l’instar d’un documentaire, il y a un préjugéde non-fiction.

Pourtant, le récit médiatique est scénarisé avec des acteurs, une narration dramatiquedes faits et des scenarii prévisionnels sont développés. La médiation serait alors une sortede fiction basée sur des événements réels qui auraient eux-mêmes une rétroaction surl’économie. En effet, le domaine financier, par son côté irrationnel et émotionnel, est unlieu très réceptif à la fiction. Les places financières sont très sensibles à la confiancedes investisseurs qui sont bercés par tout un imaginaire. On peut donner alors le célèbreexemple de Nathan Rothschild qui a fondé sa fortune sur un mensonge :

Le 20 juin 1815, au lendemain de la bataille de Waterloo, Nathan Rothschild accomplitun « coup de bourse » remarquable. Informé de la défaite napoléonienne bien avant lesautorités, il se rend à la Bourse de Londres et pleure la perte de son fils, mort lors de ladéroute anglaise de Waterloo. Beaucoup croient alors que Napoléon est sorti victorieux ducombat et, gagnés par la panique, vendent leurs titres. Les actions chutent à une vitessefolle. Rothschild attend la dernière minute puis les rachète et assoit ainsi la fortune familiale.

Dans ce cas-là, la réalité a découlé d’une fiction.

HypothèseMon hypothèse contient donc deux volets :

Le premier volet de mon hypothèse est de prouver que la scénarisation d’un événementcadre la crise. Il ne s’agit plus du discours d’économie mais d’un discours bien plus largesur l’économie et autour de la finance. Ce nouveau discours est plus que la traduction parles médias des dires des économistes. Le discours est construit par une grande diversité decommunautés (économistes, politiques, associations de petits porteurs, les industriels, lesmédiateurs) selon un rapport de pouvoir. Selon la même logique que l’écriture de l’Histoire,le discours dominant est imposé comme une réalité alors que ce n’est que celui qui a pus’imposer au détriment des autres.

Le deuxième volet de l’hypothèse est que le discours dominant qui s’impose est d’autantplus important qu’il influe sur l’événement. Il le cadre. Il a, dans le cas d’espèce, un effetdéterminant sur les places financières où la confiance joue un rôle clef. Une spirale vicieuses’est créée sur la base rationnelle d’indicateurs économiques d’une part et sur la baseémotionnelle de croyances et mythes d’autre part.

Le but de ce mémoire est de faire une analyse de discours, de confronter les opinionsde membres des communautés économiques, politique et médiatique pour confirmer ouinfirmer cette hypothèse.

Choix du corpus et sa catégorisation

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

6 REMY Morgane_2008

Par un souci d’efficacité, je me concentrerai sur la presse écrite et la télévision même si jene peux complètement écarter les autres médias puisqu’il y a une interdépendance.

Pour que mon analyse soit valable, il ne faut pas partir d’un cas trop particulier. Toujoursdans le cadre de la presse écrite, le corpus sera le plus large possible pour être le plusreprésentatif à l’instar d’un panel de sondage. Pour cela je vais m’assurer d’une certaine

hétérogénéité 3 :- Hétérogénéité sémiotique : articles de différentes tailles, diversité des formes de

documents (taille, couleur, caractère), de l’alternance entre l’iconique et le verbal. Cetteapproche vise à cerner les conditions médiologiques : il est signalé à la une, il forme undossier, tout cela forme une hyperstructure.

- Hétérogénéité énonciative : diversité des scripteurs tels qu’ils sont montréset désignés par le texte (journalistes, envoyés spéciaux, correspondants, rédacteursoccasionnels), la diversité des lieux (parfois en tête d’article : Bruxelles, Paris, Londres,Hong Kong…). Mais il s’agit également du marquage de paroles ou de mots citésou empruntés lorsqu’ils sont par exemple guillemetés, ou par la présence de verbesintroducteurs de paroles rapportées, ou plus insidieusement par l’usage qui est fait de motsou de formulations qui ont été prononcés par d’autres mais qui ne fonctionnent commerappel mémoriel que pour les lecteurs capables de discerner, grâce à leurs connaissances,l’allusion à des dires antérieurs ou extérieurs.

Un classement professionnel serait possible selon les catégories : brèves, articles,interviews, enquêtes, reportages, éditoriaux, chronologies, glossaires, dessins de presse.Cependant, à ce stade, il semble plus judicieux de traiter ce corpus chronologiquement, cequi permettra d’évaluer la façon dont le discours médiatique évolue. En effet, l’étalementchronologique du traitement médiatique se fait sur plusieurs mois. Pour la crise des« subprimes », il est intéressant d’analyser le surgissement du moment discursif puis devoir l’évolution de l’événement.

Méthode d’analyseLa première étape consiste à mener une analyse chronologique des articles de presse.

Pour compléter cette analyse, il conviendra d’étudier d’autres formes médiatiquescomme les médias audiovisuels mais aussi la communication institutionnelle des banqueset de l’État. L’étude sera générale, ce qui suffit à fournir un cadre de comparaison à l’analysede départ.

Il sera intéressant d’étudier l’étalement chronologique du traitement d’un fait sur

plusieurs jours 4 . Mais auparavant, il faudra analyser le surgissement du moment discursif.Si ce surgissement est parfois brutal et intense comme les attentats du 11 septembre, lemoment discursif peut être plus discret. Ce moment discursif ne devient ‘événement’ ques’il donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques

3 Sophie Moirand, De la médiation à la médiatisation des faits scientifiques et techniques : où en est l’analyse du discours ? ,CEDISCOR-SYLED, université Paris III.

4 Coman Mihai, L’événement rituel : médias et cérémonies politiques, La Place de l’Université à Bucarest en décembre 1990in Réseaux n° 76 CNET - 1996.

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Introduction

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traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à proposd’autres événements.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

8 REMY Morgane_2008

I/ Explications de la crise des subprimes

À l’instar de Eliseo Veron 5 , je mettrai en appendice, une explication technique maisvulgarisée de la crise des subprimes.

1.1 Qu’est ce que la crise des ‘subprimes’?Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, soutenaitle météorologue Lorenz. En 2007, le défaut de paiement de ménages de Sacramento et deDetroit a obligé la Banque Centrale Européenne à injecter plusieurs centaines de milliardsd’euros sur le marché monétaire.

Les banques américaines ont accordé des crédits à des ménages présentant de tropfaibles garanties pour accéder à des emprunts normaux, dit « primes ». Ces concoursbancaires à risques ont été qualifiés de « subprimes ».

Au début, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes : les ménages les plusmodestes pouvaient avoir accès à la propriété, les courtiers empochaient des commissionsalléchantes et l’activité bancaire était soutenue. Les banques, elles, ne mettaient pas tousleurs œufs dans le même panier en titrisant leurs créances et en vendant ces valeursmobilières sur les marchés financiers. Ainsi, le risque est réparti sur plusieurs agentséconomiques. Les investisseurs achetaient ces titres offrant une très forte rémunération,même s’il faut souligner que la rémunération est proportionnelle au risque.

Cependant, de plus en plus de ménages ne purent plus rembourser. Ils furent alorsobligés de vendre leur maison, les prêts étant garantis par des hypothèques. Suite à unevague massive de vente, la valeur des biens immobiliers s’est effondrée. Les faillites desemprunteurs provoquèrent celles des prêteurs. Il y eut quelques faillites, mais le crédit« subprime » ne représentant que 14 % des crédits américains, il sembla que les dégâtsresteraient limités, notamment grâce à la politique de titrisation.

Mais de fait, la titrisation a été à l’origine de la crise : les acteurs du marché ne savaientplus où situer les risques, en encore moins les quantifier. Certains fonds ont été bloquéscar composés essentiellement de titres « subprime », dont la valeur ne pouvait plus êtreévaluée et donc qui ne pouvaient plus être échangés contre de la monnaie sonnante ettrébuchante. C’est ce qu’on appelle une crise de liquidités.

A partir de ces faits, quel a été le rôle des médias ? Quel est leur discours au sujet dela crise, comment la définissent-ils ? Parce que cette crise est en grande partie une crisede confiance, ce qu’en disent les médias a un impact sur celle-ci.

5 Eliseo Vieson , Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island, Éditions de Minuit, Paris, 1981.

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I/ Explications de la crise des subprimes

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1.2 RétrospectiveEn cas de panique financière, la référence à la crise de 1929 est toujours tentante maissouvent trompeuse. Dans le cas d’espèce, deux autres références historiques paraissentplus éclairantes. Il y a un siècle, la crise de l’année 1987, à son comble en octobre, a éclatédans un contexte en partie proche du nôtre, marqué par une forte croissance stimulée parune intégration économique et financière galopante (le pic de la « première mondialisation »)et d’importantes innovations financières motivées par la demande colossale de capitauxnécessaires à l’expansion américaine. Le manque de lisibilité des risques dans le systèmebancaire américain provoqua, après le tremblement de terre de San Francisco, une défiancegénéralisée et une panique contagieuse sur les marchés du crédit. Si J. P. Morgan, banquiercentral de facto, parvint à juguler la crise boursière, qui ne dura finalement que 15 mois, elleconduisit à la rédaction des statuts du Federal Reserve System (Fed), votés en décembre1913. La différence majeure avec la crise d’aujourd’hui est donc que le banquier centralaméricain est à présent de droit et non de fait, ce qui devrait en principe lui donner davantaged’autorité et de moyens d’actions pour juguler la crise.

Un autre précédent pertinent est la crise de 1987, elle aussi à son faîte en octobre.Alan Greenspan, comme Ben Bernanke aujourd’hui, venait d’être nommé président de laFed. La décision d’augmenter les taux, au printemps 1987, pour contrôler l’inflation serapproche de celle de l’été 2007 de ne pas les baisser. La baisse des taux directeursaméricains de 60 points de base le 1er novembre 1987 permit d’apaiser rapidement lapanique naissante. Cependant, la crise affrontée avec succès par Greenspan ne résultaitpas directement du contexte légué par son prédécesseur. Or, c’est bien le même Greenspandont la responsabilité est engagée, pour de très nombreux observateurs, dans la formationde la bulle immobilière après le bref épisode de récession de 2001.

1.3 LexiqueSubprimes

Le terme désigne des prêts immobiliers dits "à risque" car consentis à des ménages àla solvabilité fragile, à des taux d’intérêt très élevés et surtout variables.

Depuis plusieurs mois, les taux ont augmenté, ce qui a provoqué une baisse des prix del’immobilier, en raison d’une contraction de la demande, diminuant d’autant "l’effet richesse"des ménages propriétaires mais endettés.

Cette conjonction d’événements a rendu nombre de ménages incapables derembourser leurs emprunts, mettant en danger les établissements de crédit.

Fonds d’investissementsCes sociétés ont pour objet d’investir sur différents marchés, avec divers degrés de

risques financiers. Parmi eux, les "hedge funds" (fonds spéculatifs) sont spécialisés dansles investissements risqués, et certains ont choisi d’investir dans le juteux marché des"subprimes".

Les établissements qui ont consenti de tels prêts ont transformé les crédits en "titresfinanciers" (titrisation), de façon à pouvoir les vendre sur les marchés.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

10 REMY Morgane_2008

En raison du retournement du marché immobilier américain, les titres dérivés dessubprimes ne trouvent plus preneurs. Ceux qui ont acheté ces titres, les "hedge funds"notamment, font donc aussi les frais de la crise. La faillite ou le gel de plusieurs d’entre euxles a amenés à vendre des actions pour se renflouer et a affolé les marchés.

Marchés financiersIl existe plusieurs types de marchés financiers : actions, obligations (comme les Bons

du Trésor américains), monétaires (échanges de capitaux). Un marché baisse quand il y aplus de vendeurs que d’acheteurs, et peut même s’effondrer si les acheteurs font totalementdéfaut.

Banques centralesLes banques centrales comme la Réserve fédérale américaine (Fed) ou la Banque

centrale européenne (BCE) ont pour mission de sauvegarder la stabilité financière et degarder l’inflation sous contrôle, au moyen de la politique monétaire. La politique monétaires’appuie sur deux piliers : le coût de l’argent et le volume disponible.

Les taux d’intérêt directeurs, leviers essentiels, peuvent être baissés pour stimulerl’économie ou au contraire relevé (c’est le "resserrement monétaire") pour contenir l’inflation.Les taux d’intérêt consentis aux banques en découlent et sur ceux des emprunts accordésaux particuliers ou aux entreprises.

Les banques centrales peuvent aussi retirer ou injecter de l’argent sur les marchéspour rééquilibrer la quantité de « monnaie Banque Centrale » (dollar, euro,…) disponible ettenter d’éviter des krachs financiers, ce qu’elles ont fait plus ou moins massivement depuisl’été 2007.

1.4 La titrisation et la crise des « subprimes » commecrise financière

6

6 Frank Nathaniel (University of Oxford), Brenda Gonzalèz-Hermosillo and Heiko Hesse (IMF), Transmission of Liquidity

Shocks : Evidence from the 2007 Subprime Crisis,2008.

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I/ Explications de la crise des subprimes

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L’effondrement de la bulle immobilière américaine fut le déclencheur de cette crise. En2001, après la crise de la bulle Internet (les start-ups levaient des fonds énormes malgréune absence de fonds propres, grâce à des perspectives de plus-value très fortes), les tauxd’intérêt ont baissé. La liquidité bancaire est élevée, et les acteurs économiques pensentque les risques ont été considérablement réduits, le marché étant « assaini ».

Le fait que les ménages américains se trouvent, parce qu’ils ont été incités à emprunterpar des institutions peu regardantes sur la qualité du crédit, dans une situation d’insolvabilité,conduit les banques à lever les hypothèques pour se rembourser sur la valeur du bienimmobilier.

Cette augmentation massive des ventes va révéler la bulle immobilière et provoquerson explosion. Les prix ont augmenté sans rapport à la valeur réelle de ces actifs, ce qui apermis à des ménages de revendre leur logement avec une forte plus-value. Ces ménagesapparaissent comme étant solvables et obtiennent des crédits supplémentaires contribuantainsi à la flambée des prix. Ils prennent le risque, en fait, de voir la crise immobilière éclateret la valeur de leur bien s’effondrer alors que leur dette reste bien réelle. Mais il n’y a pas eu,aux États-Unis, de crise immobilière à l’échelle de la Nation tout entière depuis les années1930 et il semble donc impossible qu’il y en ait une nouvelle.

La crise des subprimes commence en 2003 : de nombreux ménages commencent à neplus pouvoir rembourser leurs emprunts. Au deuxième semestre de 2006, plus d’un millionde ménages sont en situation de défaut de paiement : la crise se généralise. Des organismes

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

12 REMY Morgane_2008

d’études économiques et financières ont prédit la dépression, mais dans l’euphorie dumoment leurs alertes ne sont pas prises en compte. Pour que la prise de conscience ait lieu(ce qui sera fait pour le public en août 2007) il faut que survienne ce qui a priori était réputéimpossible, à savoir un retournement du marché immobilier avec une baisse continue duprix des maisons.

Cela va avoir un effet sur les fonds de créances : ceux-ci ont été constitués en partantdu principe que les risques pris sur différents marchés n’étaient pas corrélés, or la baissedes prix de l’immobilier va avoir un impact sur tous les crédits. Il va y avoir un fort besoin

de liquidités sur les marchés financiers. 7

La première catégorie de créances douteuses, la plus risquée, met les fonds spéculatifsen difficulté, ce qui ne semble pas grave ; mais dans une situation de crise généralisée, lesfonds spéculatifs, comme les banques au dix-neuvième siècle, financent des crédits à longterme à l’aide de crédits à très court terme. Ils ont besoin de liquidités pour les rembourser.Pour ce faire, ils cèdent leurs créances aux banques. Or la valeur de ces actifs est en chute,et cela ne leur permettra pas d’atteindre le niveau de financement nécessaire pour faire faceà leurs engagements. L’assèchement de la liquidité bancaire s’est produit parce que, dansla plupart des cas, les banques ont conservé la propriété des crédits (le fonds commun decréances n’ayant en effet pas la personnalité morale). Dans le cas des SICAV monétaires,on peut obtenir des liquidités en échange du rachat de la SICAV ; dans le cas de ces crédits,les banques veulent du cash et vont devoir le fournir elle-même, ayant finalement dépenséau minimum 1 500 milliards pour faire face à ce problème de liquidités des fonds de pension.Elles vont alors se trouver en défaut de liquidités, c’est pourquoi les banques centrales(BCE, FED) ont injecté des liquidités en rachetant des crédits douteux, prenant ainsi à leur

compte le risque que les banques commerciales ne pouvaient plus assumer 8 .

Les fonds spéculatifs et les fonds de pension ont enregistré des pertes colossales. Lesbanques ont dû constituer des provisions, mais ne s’en tirent pas mal, car l’intervention des

banques centrales a évité la crise de liquidités bancaires. Ce que Michel Aglietta 9 appelleune « crise de la fonction de banque de marché » va affecter le processus de titrisation demanière durable. Les banques ont été obligées de fournir des liquidités à des acteurs quin’ont rien à voir avec les opérations bancaires ; peut-être vont-elles limiter, voire renoncerà la titrisation, entraînant un renchérissement du crédit et donc une croissance ralentie.

Les banques se sont dit qu’elles pourraient toujours faire des marges par la spéculation,car contrairement aux fonds spéculatifs, les banques peuvent compter sur les dépôts.En période normale, ce calcul est fondé puisque ces dérivés de crédit ont pour fonctionde diviser les risques et les banques sont donc moins exposées aux défaillances. Maiscontrairement à la logique de ce raisonnement, des anomalies vont se produire sur lesmarchés de produits dérivés. Quelle est donc la défaillance ?

Il y en a à trois niveaux :1/ les risques juridiques. Tous les pays tertiarisés ont encouragé le développement du

marché de ces produits dérivés. Mais l’incertitude porte sur la détermination de la propriétéjuridique de ces valeurs mobilières.

7 Natixis , Patrick Arthus , Global Immo, n°1, mars 20088 Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, Les errements de la confiance : la Fed et la BCE dans la crise, Observations et diagnostics

économiques n° 289, lettres de l’OFCE, Mercredi 19 septembre 2007.9 Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, 1997, Editions Odile Jacob, Paris.

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I/ Explications de la crise des subprimes

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2/ le risque lié au non-respect des normes prudentielles qui avaient été posées pourprotéger les banques. Ainsi, au lieu d’avoir diminué les risques, beaucoup de banques ontconcentré ces risques.

3/ le fait pour les banques de sortir de leur bilan des dérivés de crédit. Rien pourtantne les oblige à sortir des sous-jacents de la titrisation de leur bilan bancaire. Au fond, lesbanques centrales ont fourni des liquidités pour éviter le retour des créances dans le bilandes banques. Ce sont ces pertes considérables qui font que désormais les banques nepeuvent plus prêter à des taux très bas, et ceci en dépit du fait que les banques centralesont baissé leurs taux d’intérêt afin de faire augmenter la valeur des titres détenus par lesbanques.

1.5 D’une crise financière à une crise économiqueglobale

10

Crise immobilière (à partir du printemps 2007)Aux États-Unis, desmillions de ménages peu solvables ont souscrit au cours des

dernières années des prêts immobiliers à taux variable, dits subprimes , pour un montanttotal de 1 200 milliards de dollars.

L’effondrement des prix, accompagné d’une hausse des taux d’intérêt, étrangle cesménages, dont beaucoup, incapables de rembourser leurs emprunts, se retrouvent à la rue.

Les sociétés de crédit hypothécaire, qui leur ont attribué des prêts aveuglément, sontà leur tour en difficulté.

Crise bancaire (à partir de l’été 2007)La plupart desgrandes banques mondiales, qui ont investi dans des produits financiers

composés à divers titres de ces crédits subprimes , sont touchées à leur tour. C’est le casdes géants américains Citigroup ou Merrill Lynch, mais aussi d’établissements européenscomme UBS. Ils doivent faire appel à des fonds d’Etat asiatiques ou moyen-orientaux pourêtre renfloués.

Un climat de défiance s’installe entre les banques, incapables de déterminer leursniveaux d’exposition respectifs aux crédits subprime . Elles deviennent très réticentes à seprêter les unes aux autres.

L’assèchement des liquidités fait que certaines banques, soupçonnées d’êtreparticulièrement exposées aux subprimes , se retrouvent totalement asphyxiées. C’est lecas de la Britannique Northern Rock, qui ne doit son salut qu’à l’intervention de l’Etat.

Crise financière et boursière (à partir de l’automne 2007)La sphère financière dans son ensemble se trouve contaminée, à commencer parles

fonds d’investissement, et notamment les fameux hedge funds. Une grande part de leurs

10 Problèmes économiques No 2.945, 09 avril 2008, DOSSIER :Retour sur la crise financière de 2007, Subprimes :

topographie d'une crise.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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activités, qui repose sur un fort niveau d’endettement, se trouve en effet gelée faute deliquidités.

Les Bourses mondiales sont prises dans la tourmente, plombées par l’effondrementdes valeurs financières. Les marchés sont aussi affectés par les inquiétudes concernantl’économie mondiale, guettée par la stagflation (mélange de stagnation de l’économie etd’inflation).

Le spectre d’une faillite d’une grande institution financière plane. Celle de l’américainBear Stearns est évitée in extremis, en mars, par l’intervention de la Réserve fédérale.

Crise économique et alimentaire (à partir de l’hiver 2007-2008)Marasme boursier, dégonflement de la bulle immobilière : les investisseurs en quête

de meilleurs rendements se tournent versle marché des matières premières énergétiqueset alimentaires. Une envolée des prix en résulte, également nourrie par la forte demandedespays émergents. Elle se traduit par une stagnation du pouvoir d’achat dans les paysdéveloppés, et des émeutes de la faim dans les pays pauvres.

La crise bancaire suscite la crainte d’une restriction de l’offre de crédit. Un credit crunchqui risque d’entraîner une chute de l’investissement desentreprises et de la consommationdes ménages. Le ralentissement de l’économie mondiale est désormais acté.

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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II/ La construction de l’événement« crise des subprimes » par la presseécrite.

2.1 CorpusLe corpus qui correspond à la période de l’émergence de la crise dans les médias se basesur la période des mois de juillet et août 2007. Le but est de pouvoir étudier les modalitésde l’émergence de la crise. Dans un premier temps, je n’effectuerai qu’une revue linéairedes textes qui servira ensuite de base pour procéder à une analyse fondée sur des théoriesdu domaine des sciences sociales et des « media studies ».

J’ai décidé de prendre des articles dans un temps réduit du 17 juillet au 30 août. Cemoment est choisi en fonction de moment discursif, celui où l’événement subprime arrivesur la scène médiatique (le 9 août). Cela permet de voir l’émergence du moment didactique,la naissance de l’événement.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Date Journal Titre Rubrique/Type d’article

Page Intervenants/Journaliste

17/07 Le Monde Pour une politiqueéconomiquepertinente

Débat/Décryptage

P.19 Christian Saint-Etienne – professeurdes universités,membre duConseil d’analyseéconomique.

08/08 Le Parisien Les banquesfrançaises peumenacées

Economie/résultat enbourse

P.10 Journaliste : V.H.

10/08 Les Echos Les placesboursières affectéespar les valeursfinancières et leurexposition aux« subprimes »

Tauxchange – actions/Article defond

P.26 Journaliste :Stephane LePage

11/08 AFP Crise des« subprime » ; lapresse mondialeinquiète

Economieet finance/synthèse

J : Areille Verley

14/08 Les Echos « Subprimes » : « Ilsne mourraient pastous… »

Le point devue de…/Idées

P.10 J : Valérie Plagnol

16/08 Les Echos Crise des« subprimes » :Fabius critique laBCE

Dernièrepage/Rubrique EnFrance

P.11

16/08 AFP Miné par les« subprimes », leCAC 40 chute à sonplus abs niveau del’année

Economieet finance/Papierd’angle

J : IsabelleTOURNE

17/08 Aujourd’huien France

« Nous demandonsau gouvernement des’expliquer »

Le fait dujour/Proposrecueillis

P. 3 Intervenant :Julien Dray

17/08 AFP Subprimes : Lagardea reçu le directeurgénéral de BNPaprès le gel de troisfonds

Economie etfinance

17/08 Libération « Un manquede clairvoyance,un défaut detransparence et uneffet de contagion »

Événement/tribune

P.4 Intervenant :Laurent Fabius

17/08 Libération La moralisation desmarchés en question

Événement P.4 J : Laureen Ortiz

17/08 AFP La crise des« subprimes’:quelques repères ettermes techniques

Economieet finance/Repères

17/08 AFP Secouée par les« subprimes », labourse de Paris peutespérer un rebond

Economieet finances/bourse hebdo

18/08 Le Progrès « Il s’agit d’une crisede confiance »

Informationsgénérales/Interview

Intervenant :Ivan Mohème,directeur de lacommunicationinstitutionnellede FidelityInvestissements

22/08 Le Parisien L’Europe en trèspetite forme

Economie/Bourse

P.6 J : Marc Lomazzi

23/08 Le NouvelObservateur

La crise en 9 points Economie/Repère

P.38 -42 J : Claude Soula

28/08 Le Monde Patrick Artus : « Lemonde va perdre6 ou 7 dixièmes depoint de croissanceen 2008 »

Economie/Proposrecueilli

P.12 Intervenant :Patrick Artus

28/08 Le Monde Touchés par la crise,les hedge fundsdevraient ralentir leuractivité

Le Mondeéconomie/ Dossier

J : Claire Gatinois

30/08 Challenges L’été mouvementéde BNP Paribas

Événement/Analyse

P18 à 20

30/08 Le Mondeéconomie

La théorieéconomiquemalmenée par lacrise financière

Economie/Tribunes

P.6 I : Melvyn Krauss,chargé derecherche àl’université deStanford

30/08 Le NouvelObservateur

Vous avez ditsubprime ?

Crédits P. 52-54 J : Dominique deNoronha

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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2.2. Revue linéaire�Le Monde, 17/07 Pour une politique économique pertinente

L’article ne traite pas de la question des prêts à risques. Le spécialiste, Christian Saint-Etienne analyse l’économie française et pour lui la crise économique est une crise de l’offre,c’est-à-dire une insuffisance de biens et services adaptés à la demande sous le doubleeffet d’une capacité d’innovation limitée et d’un effort d’investissement productif réduit. Noussommes le 13 juillet 2007 et l’ombre de la crise financière américaine due à la crise descrédits hypothécaires à risques n’apparaît pas dans la tribune.

�Le Parisien, 08/08, Les banques françaises peu menacéesLe terme « crise des subprimes » (notons que le terme est entre parenthèses) apparaît

pour la première fois dans ce texte qui ne fait que relayer les cours de la bourse et l’opinionde Chuicuong Dang, analyste chez Richelieu Finance. Ici, le journaliste se fait relais.Selon l’expert et les cours de bourse les banques françaises ne sont pas « menacées ».D’ores et déjà les « subprimes » représentent une menace. Selon Chuicuong Dang : « Lesinvestisseurs ont été rassurés par les clarifications apportées par ces établissements. » Cetarticle a été écrit le 8 août.

� Les Echos, 11/08, Les places boursières affectées par les valeurs financières et leurexposition aux « subprimes »

Alors que les banques françaises communiquaient sur le fait qu’elles n’avaient pasde titres comprenant le financement des crédits hypothécaires à risque, la BNP Paribas adiffusé le 9 août un communiqué faisant état de la suspension temporaire du calcul de lavaleur de trois de ses fonds. Cela a provoqué la baisse des principaux indices boursiers. Lejournaliste commente : « Cette fois-ci le foyer d’infection était en France ». Le vocabulaireest ici médical. Si le mot « crise » n’est pas utilisé, le fait de faire une métaphore se référantà la maladie introduit l’idée de crise au sens traditionnel du terme. C’est l’usage médicaldu mot qui s’impose : au cours d’une maladie, la crise désigne la courte période où desréactions violentes (comme une forte fièvre) mènent soit au sursaut décisif du malade, soità la victoire de la maladie.

Le journaliste commente ensuite le communiqué de la BNP qu’il qualifie de« laconique » : « Le communiqué �…� a fait l’effet d’une bombe ». En effet, « il y a unesemaine, la banque française s’était montrée plutôt confiante sur son exposition à ce marchédu crédit immobilier à risque aux États-Unis. Hier, elle a apporté un démenti timide. Il n’enfallait pas plus pour que, d’entrée de jeu, son cours accuse le coup : - 2,21 %. Puis plongede 6,28 %. » L’expression « il n’en fallait pas plus » souligne la volatilité des cours en boursedans une période pendant laquelle on ne saurait dire si la crise des crédits hypothécairesva devenir une crise financière généralisée et globale.

Il semblerait que les marchés soient « schizophrènes. Un jour, ils saluent lesbons résultats des entreprises et le lendemain, ils paniquent à propos des informationsconcernant les expositions aux crédits « subprimes ». Ce climat de perte de confianceest exprimé par un champ lexical relevant de la psychologie filé tout au long de l’article :« extrêmement nerveux » « schizophrénie », « paniquent », « pour calmer les esprits »,

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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« suspicion ». Le terme de « crise de confiance » n’est pas employé, cependant tout lelexique de psychose qui l’entoure l’est.

Lors de l’arrivée d’une crise, en termes médicaux, tout le corps est en danger. Ici, lesystème financier est atteint par ce « cataclysme sur les marchés boursiers ». Comme lecorps se protège par une forte fièvre, les banques centrales sont intervenues en injectantdes liquidités. « Elles ont mis de l’huile dans les rouages ». Cette phrase introduit l’idée quele système entier était grippé et que le salut ne pouvait venir que de l’action des banquescentrales.

Enfin, tout le vocabulaire de crise est là mais le mot n’est jamais prononcé. Il y a deuxsortes de stade dans la crise décrite ici : le choc qualifié de « cataclysme » et la « périoded’incertitude » où l’incompréhension règne, due à l’obsolescence de grilles de lecture. Restela période du sursaut décisif qui n’est pas encore abordée ici.

� AFP, 11/08, Crise des « subprime » : la presse mondiale inquièteL’article de l’AFP est une synthèse du traitement médiatique de la crise des subprimes

sur la scène internationale :

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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JournalCitation CommentairesFinancialTimes

« Pour l’instant le verdict surl’issue de la crise est encoreincertain »

L’idée du sursaut décisif de la crise (médicale oufinancière) est ici exprimée. On ne sait pas si lecorps malade va s’en sortir ou non.

TheTimes

« Réaction surprenante desmarchés » - « marchéseffrayés »

Les marchés, ici, sont humanisés. Ils deviennentun corps homogène et non l’amalgame artificield’investisseurs et d’entrepreneurs du mondeentier. De plus, ces marchés sont dotés desentiments et de pouvoir de décision. Il y alorscréation d’un mythe, d’une chimère composéede plusieurs corps réels, ceux des investisseurs.Ceux-ci n’ont pas été rassurés par l’interventiondes banques centrales. Ils craignent que lesinstitutions ne leur cachent des informations. Déjàla question de transparence est posée. L’opacitéest montrée du doigt.

TheGuardian

« On a certainement besoind’un peu de calme, maisil n’est pas sûr que lesgesticulations des banquescentrales le permettentréellement »

Il y a une critique de l’action des banquescentrales qui ont introduit beaucoup de liquiditéssur les marchés. Elles réagissent à une crise d’untype nouveau. On ne sait si l’action est la bonne etles médias s’interrogent, voire prennent position,vis-à-vis de cette initiative.

« Juste une tempêteéphémère �…� ou le début

La question est propre à la thématique de crise.En effet, il s’agit de savoir si le corps malade

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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TheDailyTelegraph

d’un ralentissement sérieuxde l’économie après laprospérité torride de cescinq dernières années »

va être convalescent ou non. Un des grandsenjeux qui se dégage de ce corpus de texte estde déterminer si la crise est conjoncturelle oustructurelle.

LeFigaro

« La crise financières’étend » - « les banquescentrales sur le front » - Lequotidien rappelle que laBCE a placé 155 milliardsen deux jours, soit « unrecord historique »

Le vocabulaire militaire est utilisé ici avec le termede « front ». Il y aurait donc un ennemi qui n’estpourtant pas matérialisé. Ensuite, on peut noter lerôle de la BCE qui à situation inédite, propose uneréponse inédite. Le terme de « record historique »souligne le manque de compréhension quiapparaît lors de l’émergence d’une crise dû àl’absence de repère.

LibérationTitre : « Machine folle » -« des montagnes de dettesqui fragilisent tout l’édifice »

Ici, la métaphore médicale laisse la place à unemétaphore « mécanique ». La machine ne répondplus. Ce serait alors une sorte de monstre dontl’homme à accouché et perdrait le contrôle àl’instar des androïdes décris dans le roman descience-fiction « E-Robot » de Isaac Asimov.L’idée d’une machine qui s’émancipe et qu’on nepeut plus contrôler véhicule les mêmes peurs quecelle filées dans le roman : la machine prend lepas sur son créateur et le met en danger.

LeParisien

Titre : La tempête Métaphore de la catastrophe naturelle. Il y a uneidée d’absence de contrôle comme pour Libérationmais la responsabilité des hommes n’est plusimpliquée.

LaRepubblica

« Le vendredi noir desbourses » - « contagionglobale »

Sans redire ce qui a été dit auparavant sur lapsychose et les termes médicaux, les motsemployés révèlent ici quelque chose de nouveau.L’appel à la mémoire : le vendredi noir rappelle àtoute personne ayant une connaissance minimalede l’histoire économique le terme de « jeudinoir » qui a qualifié le basculement des boursesmondiales en 1929 qui fut la première criseéconomique mondiale ayant un tel impact dansla presse puis dans les mémoires. Mémoiresvis-à-vis des crises économiques : l’idée decrise économique appelle des représentationscollectives dramatiques : queues de chômeurs,soupes populaires, paniques boursières…

DieWelt

Edito intitulé « Méfiancemondiale » - « le reversde la médaille de lamondialisation »

Le système est ici intégralement remis en causeavec une dénonciation de la mondialisation.L’expression « revers de la médaille » sous-entend que c’est le prix à payer pour la croissance.Le mieux reste peut être d’attendre que « latempête », évoquée par Le Parisien, passe pourensuite réparer les dégâts.

SüddeutscheZeitung

« Il ne semblerait cesderniers mois n’y avoirqu’une tendance boursière :à la hausse �…� Maintenant, la fête estfinie, et probablement pourlongtemps » - « la crise esten partie irrationnelle »

Il est temps de se mettre à la diète : « la fêteest finie ». La deuxième chose à souligner estl’utilisation du terme « irrationnelle » dans le sensémotionnel. La panique boursière tient à uneasymétrie d’informations qui débouche sur unepanique qui, elle, est irrationnelle.

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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� Les Echos, 14/08, « Subprimes » : « Ils ne mourraient pas tous… »Le titre cite un vers de La Fontaine, un de ses plus acerbes : « lls ne mouraient pas tous,

mais tous étaient frappés » par la peste, un mal envoyé par Dieu pour punir les hommes deleurs crimes. Les « subprimes » ainsi associés à ce vers suggère un rapprochement entrela crise économique et une sorte de peste moderne. Le fait de ne pas citer le vers dansson entier semble un message d’espoir. A moins que cela ne soit dû à une manœuvre dusecrétariat d’édition pour que le titre tienne dans la limite spatiale de la page et du nombrede colonnes attribuées à l’article ?

Dans le titre du point de vue de Valérie Plagnol, le terme de subprimes est pratiquementdevenu un nom commun, alors que seuls quelques spécialistes le connaissaient quelquesjours avant. Il constitue déjà un mot-événement et évoque tout un imaginaire. Le termede crise des subprimes est plus utilisé que crise des crédits hypothécaires a haut risques.Cela fait penser à la ‘vache folle’pour l’ESB, à la manière d’un synonyme et même unhyperonyme. ‘Subprime’, désigne tout autant l’événement que la maladie ou un type decrédit. C’est une sorte de mot-évenement. Parfois les deux expressions perdent leursguillemets.

Certaines désignations finissent par fonctionner comme des dénominations partagées,ce qui explique la suppression des guillemets. L’expression devient alors le rappel mémorielde la crise et de tous les événements l’environnant. C’est un mot-évenement décrit parSophie Moirand dans Le discours de la presse quotidienne. Elle donne l’exemple du11 septembre comme archétype du mot-événement.

L’intérêt de l’article relève des mêmes champs lexicaux que ceux traités auparavant. Leplus intéressant et le plus notable dans ce texte est sa structure : il y a une introduction quidéfinit la crise en elle-même. Elle est définie comme « américaine » exclusivement. Ensuiteil y un retour en arrière pour trouver les causes de la crise comme lorsque l’on enquête surles causes d’un incendie. On détermine d’où vient la crise : « de la formidable croissancede la titrisation des actifs financiers et plus particulièrement des créances assises sur desprêts immobiliers ». Puis, la recherche de causalité cède la place à une analyse prospectivedes conséquences. Valérie Plagnol se pose la question : « l’intervention de la BCE est-ellecompatible avec la poursuite du resserrement monétaire annoncé ? ». Il y a donc dans cetarticle une dynamique passé-futur autour du présent de l’incertitude de la crise.

L’analyse pose également la question de l’irrationalité des marchés : « La contagion àlaquelle nous assistons n’est pas seulement du ressort de l’irrationnel. �…� L’absence demarché et de capacité à indiquer une valeur liquidative à tout moment incite à se débarrasserau plus vite des actifs en question. Quand il n’y a plus que des vendeurs, la crise est là !La défiance s’installe, les pertes sont progressivement révélées et la panique gagne quandles opérations au jour le jour entre les banques risquent de ne plus être couvertes ». Ainsi,si la panique reste du domaine de l’irrationnel et relève à la fois des peurs des individuset d’un syndrome de Panurge, ce qui a provoqué cette panique s’explique de façon tout àfait rationnelle.

�Les Echos, 16/08, Crise des « subprimes » : Fabius critique la BCEL’article reprend les propos de L. Fabius et les met en scène avec des morceaux choisis.� Aujourd’hui en France, 17/08, « Nous demandons au gouvernement de s’expliquer »La crise financière est abordée ici de façon partisane. Julien Dray et le parti socialiste

interpellent le gouvernement via une interview réalisée par Le Parisien – Aujourd’hui enFrance.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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� AFP, 17/08, Subprimes : Lagarde a reçu le directeur général de la BNP après le gelde trois fonds.

A nouveau, le terme « subprime » perd ses guillemets et ce dès le titre. Un pas de plusest fait vers la construction du mot-événement. Le communiqué de l’AFP reflète celui deChristine Lagarde, ministre de l’Économie. Le papier est purement descriptif et ne fait quedonner un cadre aux citations.

�Libération, 17/08, « Un manque de clairvoyance, un défaut de transparence et uneffet de contagion »

Laurent Fabius, ancien ministre des finances, analyse la crise des subprimes.Il accuse les spécialistes qui sont, pour lui, les responsables de la crise : « il y a eu un

défaut de prévoyance considérable de la part des prêteurs américains, puis des banqueset ensuite des autorité(s) de régulation(s) et des agences de notations. » Pour lui « il finitforcément par y avoir un retournement » et « la crise était prévisible ».

Pour lui l’action des banques centrales était nécessaire « pour éviter la thrombose ».

L’utilisation de ce terme médical a un double intérêt qui est de relever d’une pathologiesoulignant le parallèle qu’il peut y avoir entre un corps vivant et le système économique.Cela permet également de souligner la fonction d’une injection de liquidité. Mais, à l’instard’un traitement médical, il fait peur par son ampleur,« révélant aussi que la crise était plusgrave que prévue ».

Fabius s’inquiète ouvertement des conséquences qu’il peut y avoir sur la France. C’estégalement l’occasion de critiquer la politique du gouvernement en matière d’économie. Iljoue son rôle d’opposant et d’ex-ministre des Finances. Il critique « les décisions ponctuellesdu gouvernement qui vont avoir des effets sur la consommation, telles la hausse del’électricité et aussi l’augmentation des prix de l’alimentation. » Le journaliste pose alors laquestion prévisible et nécessaire : « Aux manettes, que feriez-vous ? »

�Libération, 17/08, La moralisation des marchés en question« L’ambiance devient kafkaïenne sur les marchés », nous dit-on. Qu’est-ce qu’une

ambiance kafkaïenne sur des marchés financiers ? Il semblerait que « tout le monde estdésigné coupable de la chute des cours, mais en réalité, on ne sait pas qui et de quoi ».

La mise en récit est également intéressante. Le récit est rythmé par des phrasesnominatives parfois réduites à leur plus courte expression : « Désert. », « Et puisbadaboum » et « Code conduite. » Le deuxième paragraphe oppose Angela Merkelà Nicolas Sarkozy. Celle qui « avait prêché dans le désert » en disant que « Nousnous exposons à des risques incalculables » et celui qui demande tardivement de latransparence, « sa dernière trouvaille » et « une idée loin d’être neuve ».

Quoi qu’il en soit, cette transparence est nécessaire pour calmer les « ardeurs de ceshors-la-loi de la finance ». On retrouve ici, l’idée de la créature qui s’émancipe de soncréateur. En effet, la titrisation des crédits hypothécaires à risques a créé une certaineopacité du fait que les crédits ont été répartis dans des actions et obligations en bourse quin’avaient rien à voir avec le produit financier d’origine.

Pour la première fois, la crise financière devient un élément sur lequel il fonde sacritique du gouvernement en disant « Il y aurait 8 000 hedge funds dans le monde quigéreraient 1 500 milliards de dollars. À cette échelle, la transparence et la moralisation

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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évoquée par Nicolas Sarkozy, qui concocte un projet de loi à ce sujet, pourraient n’êtrequ’un pansement. »

� AFP, 17/08, La crise des crédits « subprimes » : quelques repères et termestechniques

L’agence de presse fait ici de la véritable news to use pour les journalistes. Ceux-cisont alors dotés d’un lexique qui leur permet d’aborder la crise avec une série de définitionsétablies qui leur facilite le travail. Il s’agit d’une étape importante. En effet, proposer desdéfinitions du vocabulaire de la crise des subprimes va homogénéiser le discours. Il est trèsprobable que les médias reprennent ces repères à leur compte pour en faire un encadréou un éclairage de l’article principal. Cela joue un rôle important dans l’homogénéisationdu discours de la presse déjà favorisée par ailleurs par un comportement de mimétismeexacerbé par la concurrence entre les médias.

�Le Parisien, 22/08, L’Europe en très petite formeL’article traite de la situation des Bourses. Il s’agit ici de news to use pour les élites

économiques. L’article n’est pas facile à lire mais les cotations en bourses et les informationschiffrées peuvent être directement utilisées. Ainsi, si l’article n’est pas facile à lire, lesdonnées sont faciles à utiliser immédiatement.

La deuxième partie de l’article, après l’intertitre « De lourdes pertes pour les banquesallemandes », se veut plus analytique et pose la question du développement de la crise. Lacrise des subprime va-t-elle traverser l’Atlantique ? La réponse apportée par le journalisteest plutôt pessimiste : « Après IKB et Sachsen LB [deux banques allemandes reconnuespour leur stabilité sur la scène internationale], d’autres banques pourraient dévoiler dans lesjours à venir les lourdes pertes essuyées à l’occasion de la crise des « subprimes ». Bref,le sujet n’a pas fini d’agiter les marchés financiers. »

�Le Progrès, 18/08, « Il s’agit de crise de confiance »La parole est donnée ici à Ivan Monème, directeur de la communication institutionnelle

de Fidelity Investissements. Pour cet expert, « nous sommes plus dans une crise deconfiance que dans une vraie crise économique […]. À présent, il faut savoir si la virtualitéva rejoindre la réalité ». De mon point de vue, différencier la crise de confiance de la criseéconomique a un effet pervers. Cela revient à écarter la possibilité que la crise de confiancene soit qu’une des étapes de la crise économique : c’est le manque de confiance qui atransformé la crise des crédits hypothécaire en une crise économique. En effet, le manquede confiance provoque à la fois une crise de liquidité puisque les banques ne veulent plusse prêter entre elles et une crise d’investissement puisque l’avenir devient incertain. Enfin,le propos est quelque peu déplacé sous l’angle social : comment parler de « virtualité » alorsque des milliers d’Américains ont tout perdu et se retrouvent sans logement ?

La deuxième partie de l’interview concerne les conseils à donner aux épargnants. Lesrecommandations sont tellement génériques qu’elles ne sauraient être d’une quelconqueutilité pour quelqu’un qui a un tant soit peu l’habitude d’investir en bourse. Le dernier conseil,notamment, relève d’un sens commun que l’on ne pourrait contester : « il faut acheter desentreprises qui ont des comptes extrêmement solides, et qui ont des cours attractifs ».

�Le Nouvel Observateur, 23/08, La crise en neufs pointsL’article fait partie d’un dossier de cinq pages au cœur de l’hebdomadaire Le Nouvel

Observateur. Il établit une chronologie simplifiée de la crise permettant ainsi au commundes mortels de comprendre cette crise complexe.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Les deux dernières parties de la chronologie sont particulièrement intéressantes carelles sortent du champ purement financier et économique. En effet : « Le 16 août, leshommes et les femmes politiques se réveillent. Le mot « krach » est prononcé par ChristineLagarde, ministre de l’Économie, qui assure qu’il n’y a pas de risque de krach. » L’ironiedu sort est que la formulation négative a été oubliée et seul le mot krach est resté dansles esprits.

La dernière partie est purement prospective et est intitulée Les scénarios du futur. Lejournaliste parle de « fièvre estivale ». Le terme « estival » renvoie à une notion d’éphémèrequi est renforcé par les phrases : « l’optimisme naturel reprendra le dessus ».

�Le Monde, 28/08, Patrick Arthus : « le monde va perdre 6 ou 7 dixième de point decroissance en 2008 »

L’article est une interview de Patrick Arthus, directeur de la recherche et des étudesde Natixis. À l’instar d’Ivan Monème interviewé par le Progrès, Patrick Arthus fait unedifférence entre la composante réelle de la crise et celle irrationnelle. Il parle égalementde la « vraie crise » : « celle des crédits hypothécaires à risques ». Il ne précise pasclairement qu’elle est la composante irrationnelle de la crise, mais on devine qu’il s’agitde la crise de confiance, celle qui a transformé la crise financière circonscrite aux États-Unis en une crise économique plus globale. Patrick Arthus dit que la « crise du subprime adégénéré en une crise des marchés ». Le terme dégénéré, ici, est intéressant. Cela rejointl’idée de construction qui échappe à notre contrôle. Pour lui la conséquence peut déjà seprévoir : « Le monde va perdre 6 ou 7 dixième de croissance en 2008 du fait de la situationaméricaine, mais seuls en souffriront ceux qui ont par ailleurs des problèmes intérieurscomme l’Hexagone. »

�Le Monde, 28/08, Touchés par la crise, les hedge funds devraient ralentir leur activitéL’article est rédigé selon un plan rétrospectif – prospectif. Le premier paragraphe décrit

la situation actuelle. Elle semble clairement exprimée par la journaliste Claire Gatinois maison ressent la confusion par l’apposition de termes essentiellement contradictoires comme« tempête » et « apaisement », « redoublé de vigilance » et « méfiantes » c’est pascontradictoire ! et, enfin, « victime » et « audace ». Ces termes apparemment contradictoiressuggèrent la confusion qui existe dans toute crise.

Le deuxième paragraphe définit les causes. Le vocabulaire évoque alors une prise derisque démesurée. On parle alors de « dopage », de « montage périlleux jusqu’à dix fois lamise nécessaire ». Les journalistes concluent : « Il y a des abus ». Il s’agit d’une véritablemise au pilori des hedges funds.

Le troisième et le dernier paragraphes sont prospectifs. Le troisième paragraphe estcirconscrit à la sphère économique. On y parle de « menace », « d’effet boule de neige »,de « scénario catastrophe ». Face à cela on s’interroge sur l’efficacité de « l’interventionsalutaire », « du sauvetage des banques ». Quant au dernier paragraphe, la prospectiverelève du plan politique : « Angela Merkel pourra reprendre son cheval de bataille pourimposer aux fonds spéculatifs le code de bonne conduite qu’elle n’avait pas su faire adopterpar les États-Unis et le Royaume-Uni lors du dernier G8 ». Pour appuyer ce propos, lesjournalistes citent Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique (CAE),qui prédit : « La crise devrait persuader les Anglo-Saxons de se mettre autour de la table ».

� Challenges, 30/08, L’été mouvementé de BNP Paribas.

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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L’article prend le parti de faire une histoire de la mésaventure de BNP Paribas presqueà l’image de ces récits au coin du feu. Comme le présente le journaliste : « Petite histoired’un gros coup de tabac ».

L’introduction fait penser à un conte de fée : « Dans son vaste bureau de la rue d’Antinà Paris… » La situation est recadrée avec le rappel de la suspension des fonds le 9 août.Le ton est plutôt sarcastique : « Alain Papiasse, directeur du groupe, est revenu bronzé etdétendu de ses vacances au Seychelles » alors même que la crise s’annonçait. Pire, il aconfirmé « l’exposition directe très réduite de la banque à la crise de l’immobilier américain »une semaine avant la fermeture de trois fonds de la banque. Le 27 juillet, le communiquéde la banque dit : « La liquidité des fonds est assurée pour les porteurs ». Comme lecommente le journaliste, « a priori tout baigne ». Mais, le 9 août, trois des fonds sont fermés.Le journaliste, en soulignant cette différence entre la communication et les faits dans unintervalle très court en terme bancaire amène en filigrane la question : Que s’est-il passéentre-temps ? Le décor est planté. Le récit commence.

Nous sommes alors au cœur de l’action : « la tension monte d’un cran ». Alain Papiassecommente : « Il fallait très vite mettre le gilet pare-balles et le casque lourd ». En effet,« la situation se dégrade à toute allure ». Et même « Black-out ». Les phrases courtes,souvent nominales donnent un rythme vif au récit. La tension est palpable. Le journalistetermine ce paragraphe par une exclamation : « Du jamais vu depuis le 11 septembre2001 ! ». L’ambiance de crise est créée, le journaliste nous fait vivre la crise de l’intérieur :« La situation se dégrade à toute allure ». Dans les salles de marché spécialisées, lestraders stupéfaits regardent leurs écrans noirs. Plus aucun signe d’activité. Plus de prix nide volumes. Black-out. Tous tentent de joindre leurs courtiers. Les téléphones sonnent dansle vide. Du jamais vu depuis le 11 septembre. » On va même jusqu’à savoir que lors de laréunion de la cellule de crise, c’est : « Régime sandwich et pizza pour tout le monde ».

Cet article beaucoup moins scientifique que la plupart des articles précédents joue surla corde de l’émotion. Le vocabulaire est plus romanesque que journalistique : « les rumeursles plus folles courent », « c’est l’étincelle qui allume le brasier », « dans l’œil du cyclone »,« éteindre l’incendie ». Encore une fois, le vocabulaire de la catastrophe naturelle est demise.

Le dernier paragraphe introduit par l’interligne « Explications sur les ondes » traite del’utilisation des médias, ici de la radio, pour le jeu de rapport de force sous-jacent à cettecrise. Sur RTL, la ministre de l’économie et des finances Christine Lagarde et Alain Papiassefont le point sur la crise pendant quarante-cinq minutes. Il semble que ce dernier ait gagnéla bataille des mots puisque la « même ministre se déclare rassurée par les propos dubanquier » quelques heures plus tard sur Europe 1. Le journaliste précise : « Pendant queles uns combattent l’incendie médiatique, d’autres travaillent sans relâche à la réouverturedes fonds. » Il y a donc deux fronts dans cette gestion de crise : le front économique etcelui de la communication.

� Le Monde économie, 30/08, La théorie économique malmenée par la crise financière.L’article traite de la politique économique menée par Jean-Claude Trichet au nom de la

Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de cette situation de crise. La questioncentrale tourne autour des taux d’intérêt fixés par la BCE. La situation peut rappeler selonle journaliste le discours dit « de la Croix d’or » du grand orateur William Jennings Bryan.

Outre l’ironie de la comparaison entre l’effet de l’étalon-or sur les populations et lacouronne d’épine sur le front du christ, l’idée qui ressort du discours dit de la Croix d’or est

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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que « la population ne doit pas payer pour les erreurs des décideurs politiques fascinés partelle ou telle théorie économique dépassée ! »

Une véritable critique du système est alors entreprise. La première critique porte surl’aveuglement idéologique des « agents économiques ». « Les décideurs politiques etles gourous en la matière ont porté toute leur attention sur le « risque subjectif » : les« profiteurs » doivent payer pour leurs erreurs, afin qu’ils ne recommencent pas. »

� Le Nouvel Observateur, 30/08, Vous avez dit subprimes ?Le titre est : « le rêve fracassé de Zelma Johnson ». L’imaginaire du rêve et celui

de la crise sont intimement liés : on peut presque penser à « death of a salesman ». Lerêve américain est alors confronté à la réalité des crises. À la place d’un commis voyageurvieillissant nous avons une femme de 49 ans ruinée. Pour le reste, on transpose l’histoirede nos jours et le tour est joué.

Les propos rapportés font preuve de naïveté : « une amie » – « je pensais y arriver ».On la présente alors comme une victime à l’innocence d’un enfant. Une vraie « proie ». Lejournaliste justifie cette innocence par un rêve individuel trouvant un écho dans les valeursnationales prônant un accès pour tous à la propriété.

Un expert financier explique que la maison prenant de la valeur, les Américainscontractaient de nouveaux emprunts. L’expert rectifie : ils confondaient la « dette avec lecapital » et donc la dépensaient en bien de consommation. Il y a une opposition entrespécialiste et américain moyen, comme si le fait qu’on les qualifie de « subprime » influesur la façon dont on les perçoit.

L’histoire se construit autour de Zelma qui personnifie tous les Américains dans lamême situation. Cela constitue un recadrage de la crise, qui est également sociale. Lejournaliste utilise l’adjectif « infortunée », puis « encore dans le rouge », et « proie ». Letout s’accompagne d’une photo représentant la femme assise, comme résignée et dansl’ombre comme n’ayant pas le droit de s’exprimer. Il y a une véritable dramatisation du récit.

2.3 Evolution de la crise : analyse quantitativePour analyser sous l’angle quantitatif le traitement médiatique de la crise des subprime parl’Agence France Presse, le logiciel Factiva-Dow Jones permet de dénombrer, par mois, lesarticles contenant le mot « subprime ».

Il est important de noter que Factivia, malgré un catalogue impressionnant, n’est pasexhaustif. Aussi, les chiffres obtenus ne sont intéressants à analyser que les uns par rapportaux autres.

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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Date DateÉtapes de la crise en fonction despériodes étudiées

Nombre dedépêches AFP

Nombre d’articlespubliés en français

Juin Juin : La banque d’investissementaméricaine Bear Stearns, qui annoncela faillite de deux fonds spéculatifs, estla première grande banque à subir lesdommages des "subprimes".

3 190

JuilletJuillet : La banque allemande IKB estmise en difficulté.

16 577

Août 10 août : Les Bourses plongent. Lesgrandes banques centrales injectentde nouveau des liquidités dans lesystème bancaire.

237 2 472

Septembre14 septembre : La Banqued’Angleterre accorde un prêtd’urgence à Northern Rock, cinquièmebanque de Grande-Bretagne, pour luiéviter la faillite. Des clients paniquésse précipitent pour retirer leurépargne.

85 1 691

Octobre1er octobre : UBS, première banquesuisse, annonce une dépréciationd’actifs de 4 milliards de francssuisses (2,4 milliards d’euros),principalement sur le marché des"subprimes". La banque américaineCitigroup annonce être aussi touchéepar cette crise et prévoit une chute deson bénéfice.

40 1 112

Novembre 76 1 723DécembreDécembre : L’économie américaine

souffre des effets de la crise del’immobilier et du crédit. Les craintesde récession augmentent.

52 1 310

Janvier22 janvier 2008 : La Fed baisse sontaux directeur de trois quarts de pointà 3,50 %, une mesure d’une ampleurexceptionnelle.

133 1 563

Février17 février : La banque Northern Rock,en situation critique, est nationaliséepar le gouvernement britannique.

75 1 372

Mars 11 mars : Les banques centralesconjuguent de nouveau leurs effortspour soulager le marché du crédit.La Fed se dit prête à fournir si besoinjusqu’à 200 milliards de dollars àun groupe restreint de grandesbanques. 16 mars : Le géant bancaireaméricain JP Morgan Chase annoncele rachat de la banque en difficultésBear Stearns, pour seulement236 millions de dollars, une opérationsoutenue financièrement par un prêtde la Fed. Le prix, très modique, seraquintuplé une semaine plus tard.

71 1 086

Avril 74 963Mai 87 801Juin 48 645Juillet 80 649

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Les évolutions quantitatives des dépêches AFP et des articles de presse sont fortementcorrélées. Cela montre l’influence des agences sur la presse. Le recours aux agences depresse permet aux journaux et autres publications de fournir, notamment, des informationssur des pays dans lesquels ils n’ont pas de correspondant, ou sur des activités sur lesquellesils n’ont pas les moyens d’enquêter eux-mêmes. En l’occurrence, c’est plutôt la réactivitédes agences de presse qui permet aux journalistes de suivre l’évolution rapide des coursde la bourse et de réagir après des décisions de politique monétaire qui sont dévoilées lorsde conférence de presse relatées quasi instantanément par l’Agence France Presse.

Il peut également être intéressant de comparer le nombre d’articles à l’évolution descours de la bourse (ici, le CAC 40). L’objectif est de voir s’il y a une corrélation.

Explications, au vu de du CAC 40, de l’évolution du nombre d’articles paru dans lapresse écrite quotidienne et hebdomadaire.

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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Période Évolution nombre d’articleset typologie de Eliseo Veron(entre guillemets)

Éléments explicatifs.

Août Forte augmentationd’articles. On passe de 577articles à 2 472, soit près dequatre fois plus. « Premièremontée de l’événement »

Le 9 août 2007, le CAC 40 perd 2,17 %pour finir à 5 624,78 points. Celacorrespond au fait majeur évoquer dansle tableau précédent avec le 10 août, unechute vertigineuse de la bourse. C’estle catalyseur pour les médias. À partirde cet instant les subprimes deviennentévénement.

Septembre- Octobre

Le nombre d’articles est entrès fort recul.

Le nombre d’articles est en recul toutd’abord parce que la bourse semble repartirau même niveau qu’avant le « clash ».On voit même une légère amélioration.On peut aussi imaginer que le choc étantpassé, l’effervescence journalistiques’est calmée. Peut-être aussi que cetteeffervescence a été régulée par actiondes banques centrales. Par exemple, la réserve fédérale des États-Unis a décidéle mardi 18 septembre la baisse d’un demipoint de ses taux directeurs, ramenés de5,25 % à 4,75 %

Le nombre d’articlesréaugmentent en novembre

Le traitement quantitatif des médias varieen fonction des cours de la bourse. Le

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Novembre-Décembre -Janvier

puis baisse en décembre etréaugmente en janvier demanière peu conséquentecependant. « Sommetinformatif »

nombre d’article baisse en décembrealors même qu’une action de poidsa été menée par la Banque CentraleEuropéenne. Après une action concertéedes principales banques centralesconcernées, le 18 décembre 2007 la BCEs’est engagée à prêter en quantité illimitéeet en garantissant l’anonymat au taux de4,21 % pour deux semaines pour réduireles difficultés à emprunter sur le marchéinterbancaire.

Février – Mars – Avril – MaiJuin

Le nombre d’article diminueprogressivement. Ledésintérêt de la part de lapresse se fait sentir. « Lecreux de la vague »

La situation semble se réguler. Les banquescentrales semblent commencer à avoirla crise sous contrôle. Cependant, si lesarticles diminuent, on peut aussi parlerd’un effet d’agenda. Dans le domaineéconomique, la crise alimentaire et celle,plus générale, des matières premièreoccupe la Une. En effet, ces crisesconcernent plus de monde et, dans le casde la crise alimentaire, impressionne parson ampleur.

2.4. Analyse par rapport aux déclarations publique dela BCE et de la Fed

Déclarations et communiqués rendus publics par la Fed et la BCE (repris dans lettre de

l’OFCE n° 289 11 ), entre le 31 juillet et le 18 septembre 2007, mis en relation avec le

nombre d’articles publiés en français. Mon but est de voir, sans préjugé, si les communiquésprovoquent une réaction des journalistes ou si les banques centrales réagissent en fonctionde l’impact médiatique et réél de la crise.

11 Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, Les errements de la confiance : la Fed et la BCE dans la crise, lettre de l’OFCE, Observationset diagnostics économiques n° 289 Mercredi 19 septembre 2007

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II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite.

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Fed BCE Date – nombred’articles

7 août 2007 « Même si le risquede ralentissement de la croissancea quelque peu augmenté, lapréoccupation première du Comitédemeure que le risque d’inflation nese modère pas comme prévu. »

2 août 2007 « Le risqued’augmentation de l’inflationà un horizon moyen et longest confirmé par la vigueur dutaux de croissance de la massemonétaire : une grande vigilancepermettra que ce risque ne sematérialise pas. »

31/07 – 048 01/08 – 051 02/08 – 082 03/08 – 080 04/08 – 019 05/08 – 007 06/08 – 109 07/08 – 095

17 août 2007 « Les conditionssur les marchés financiers se sontdégradées, et un resserrement ducrédit doublé d’une plus grandeincertitude peuvent ralentir laprogression de la croissance. Dansces conditions… le Comité jugeque les risques de baisse de lacroissance se sont significativementaccrus. Le Comité surveillel’évolution de la situation et se tientprêt à agir autant que de besoinpour contrecarrer les effets néfastesque les turbulences sur les marchésfinanciers pourraient avoir surl’économie dans son ensemble ».

14 août 2007 « Nous traversonsune période de nervosité desmarchés… Dans une certainemesure, nous assistons à unenormalisation de l’évaluationdesrisques. Les conditionssur les marchés de créditreviennent à présent à lanormale.L’Eurosystème continuera desurveiller la situation jusqu’à ceque les marchés financiers dela zone euro reviennent à leurétat normal defonctionnement.J’appelle chacun à faire preuvede sang-froid. Cette attitude s’estrévélée efficace ces derniersjours. Elle permettra de faciliter unretour en douceur à l’évaluationnormale des risques sur lesmarchés du crédit ».

08/08 – 059 09/08 – 103 10/08 – 167 11/08 – 061 12/08 – 015 13/08 – 150 14/08 – 091 15/08 – 055 16/08 – 145 17/08 – 136 18/08 – 035 19/08 – 014 20/08 – 109

22 août 2007 « La position duConseil des gouverneurs de laBCE au sujet de sa politiquemonétaire a été rendue publiquepar son Président le 2 aoûtdernier ».

21/02 – 083 22/02 – 063 23/03 – 081 24/08 – 124

31 août 2007 « Les turbulencesfinancières que nous avonsobservées trouvent leur origineimmédiate dans les problèmesrencontrés par les marcheshypothécaires subprime, maisleurs effets ont été ressentisplus largement sur le marchéhypothécaire et, au-delà, sur lesmarchés financiers, entraînantdes conséquences potentiellespour toute l’économie. La Réservefédérale se tient prête à prendredes mesures supplémentaires,autant que nécessaire, afin defournir de la liquidité et d’assurerle fonctionnement normal desmarchés. Le Comité continue desurveiller la situation et agira autantque de besoin pour limiter les effetsnéfastes sur l’économie résultantdes perturbations financières ».

27 août 2007 « Ce que j’aidit le 2 août, je l’ai dit avantles turbulences du marché…J’ai dit très clairement, au nomdu Conseil des Gouverneurs,que ce qui constituait notreévaluation de la position depolitique monétaire se situaitaprès la réunion du 2 août. C’estla dernière évaluation en datede politique monétaire faite parle Conseil des Gouverneurs…et il n’y a pas de changement…La prochaine évaluation doitêtre faite le 6 septembre. Nousdevrons alors évaluer tous leséléments… de l’économie.Nous évaluerons les risques…et prendrons les mesuresappropriées à ce moment-là.Nous avons fait ce que nousavons dit que nous ferions le2 août : accorder une grandeattention à l’évolution du marché.Nous avons pris des mesurespour que la liquidité du marchéassure son fonctionnementnormal ».

25/08 – 029 26/08 – 007 27/08 – 085 28/08 – 100 29/08 – 094 30/08 – 127 31/08 – 117 01/09 – 057 02/09 – 006 03/09 – 066 04/09 – 057

18 septembre 2007 « L’actiond’aujourd’hui vise à conjurer leseffets néfastes potentiels quepourraient avoir sur l’économie dansson ensemble les perturbationssur les marchés financiers… leComité estime que des risquesd’inflation demeurent et continueraà surveiller l’inflation attentivement.Les évènements sur les marchésfinanciers depuis la dernièreréunion du Comité ont accrul’incertitude qui pèse sur lesperspectives économiques. LeComité continuera d’évaluerles effets de ces évènementset des autres développementssur les prévisions économiqueset agira autant que de besoinpour favoriser la stabilité des prixet une croissance économiquesoutenable ».

6 septembre 2007 « D’abord,la décision d’aujourd’hui a étéprise à l’unanimité. Ensuite, jetiens à dire que vous avez notéque je n’ai pas prononcé lesmots ‘grande vigilance’, et je neveux pas commenter ce constatplus avant. Il vous appartient,observateurs et marché, devous faire votre propre opinionsur l’ensemble de que je viensde dire au nom du Conseil desGouverneurs ».

05/09 – 080 06/09 – 106 07/09 – 083 08/09 – 029 09/09 – 011 10/09 – 068 11/09 – 073 12/09 – 072 13/09 – 085 14/09 – 104 15/09 – 040 16/09 – 012 17/09 – 108 18/09 – 099 19/09 – 082 20/09 – 091 21/09 – 071

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Les communiqués des banques centrales correspondent au pic du nombre d’articles.La première chose à observer est que ces communiqués semblent être une réaction àun traitement massif de l’événement subprime. Ainsi le 12 août, il n’y a que 15 articlespubliés en français et le lendemain, le nombre explose littéralement à 150 articles. Le 14, laBanque Centrale Européenne communique à propos de la « nervosité des marchés ». Lephénomène s’observe également pour la Federal Reserve. Le 15 août, il n’y a que 55 articlescontre 145 le lendemain. La réaction de la Fed ne se fait pas attendre, la banque centraleaméricaine communique dès le lendemain et affirme que « le comité surveille d’évolutionde la situation et se tient prêt à agir ». La même situation s’observe avec les déclarationsdu 6 septembre pour le BdF et le 18 pour la BCE.

Si la presse joue un rôle de catalyseur sur les déclarations des banques centrales, lesdéclarations de ces dernières sont aussi largement commentées. Ainsi, la déclaration deJean-Claude Trichet revenant sur ces propos rassurant du 2 août a eu un impact sur lapublication d’articles. Ayant travaillé le mois d’août dernier au service presse de la Banquede France, j’ai pu constater la multiplication de coups de téléphone de la part des journalistesaprès une déclaration de Jean-Claude Trichet sur la crise des subprimes. Ce détail peutparaître trivial, mais il constitue bel et bien une preuve que les communiqués influent sur lapublication d’articles sur les subprimes.

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III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision

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III/ Analyse du traitement médiatique parla télévision

Étant donné que de moins en moins de gens lisent des quotidiens ou d’autres sourcesd’information, la télévision détient « une sorte de monopole de fait sur la formation descerveaux d’une partie très importante de la population. »12 Ce monopole dans l’informationest un problème réel, car la télévision tend ainsi à imposer ses systèmes de classement, depensée, sa façon d’ordonner le réel et de classer à une frange importante de la population.Ce poids du champ télévisuel s’exerce dans plusieurs domaines et plusieurs champs.

En imposant des « lunettes », des manières de percevoir, il va indirectement forcer lesautres champs à s’exprimer ou à devoir adopter les catégories de pensée propres au champmédiatique. Des études tendent à démontrer que les évaluations et les opinions du publicreflètent beaucoup plus les conceptions et les représentations que se font les médias quela réalité elle-même 13.

3.1 CorpusCNN, Business, financial, personal finance news – CNN Money, July 23, 2007. Howsubprime mess started. Richard Bitner, author of « Confessions of a subprime lender », talksabout rising foreclosures.

http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2008/07/23/am.intv.bitner.subprime.loans.cnn?iref=videosearch

CNN, Real Estate News - Prices, Mortgages, and Calculators from CNNMoney ,August 10, 2007.U.S. subprime mortgage crisis. Surprime loans in the U.S. are proving anAchilles heel for otherwise strong global markets. CNN’s Maggie Lake reports.

http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2007/08/10/lake.subprime.explainer.cnn?iref=videosearch

LCI, 10 août 2007 - 18 h 14 Bourse : Crise des marchés financiers : les explications deThomas Blard. Le spécialiste de la bourse sur LCI explique pourquoi le subprime, un crédità risques qui existe aux États-Unis, a des répercussions sur les marchés du monde entier.

http://tf1.lci.fr/infos/economie/0,,3520414,00-crise-marches-financiers-explications-thomas-blard-.html

France 2, Complément d’enquête, Lundi 5 novembre 2007- 23h15, Scandales, faillites,délits d’initiés… la crise de confiance. Le malheur est dans le prêt . Un reportage deEdouard Perrin. Ils habitent la Californie, et ont acheté leur maison à crédit, sur 30 ans, àtaux variable. Mais à la première baisse de l’immobilier, les voilà ruinés ! C’est le scandale

12 Bourdieu, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996.13 Bourdieu, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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des "subprimes", ces créances pourries qui ont contaminé tout le système financier, auxÉtats-Unis et en Europe. Pourquoi les banquiers ont-ils favorisé ces prêts à haut risque ?Sommes-nous les prochaines victimes de cette crise sans frontière ?

http://info.france2.fr/complement-denquete/emissions/35811826-fr.phpCNN.com International , December 23, 2007, Surprime woes. CNN’s Ines Ferre takes

a look at the U.S. subprime crisis.http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2007/12/23/

ferre.subprime.2007.cnn?iref=videosearchFrance 5, C’est dans l’air, panique à la bourse, mardi 22 janvier 2008 Panique à

la bourse : qui ? , Panique sur les places boursières depuis les chutes vertigineuses delundi. Après les États-Unis, l’Asie et l’Europe redoutent d’être contaminées par la crise dessubprimes . A l’origine : la crainte de voir l’économie américaine tomber en récession etcontaminer l’Europe. Le plan de relance de l’économie américaine présenté par George W.Bush n’ayant pas convaincu.

http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php?date=2007-12&id_article=145&page=resume

TF1, le 20 h du18 février 2008, Grande-Bretagne : la banque ''Northern Rock''temporairement nationalisée. C’est une première en Grande-Bretagne depuis plus detrente ans. La banque avait été victime de ses placements malheureux dans les produits''subprime''.

http://tf1.lci.fr/infos/jt/0,,3716808,00-grande-bretagne-banque-northern-rock-temporairement-nationalisee-.html

TF1, le 20 h du 27 mai 2008, Le Royaume-Uni rattrapé par la crise immobilière.La criseaméricaine des ''subprime'' atteint à son tour le Royaume-Uni. Le pays fait face à une criseimmobilière sans précédent depuis 20 ans.

ht tp://tf1.lci.fr/infos/jt/0,,3860879,00-royaume-uni-rattrape-par-crise-immobiliere-.html

3.2 Analyse linéaire�CNN, Business, financial, personal finance news - CNNMoney , July 23, 2007. Howsubprime mess started .

L’intervenant est présenté : on apprend que Richard Bitner est l’auteur de Confessionsof a Subprime Lender, un livre qu’il a écrit après la décision d’arrêter le métier de coursier.

Il présente la crise comme différente des précédentes. Contrairement à la crise Enronou la crise World.com (aussi appelée crise internet) où il y avait quelques personnes quijouaient avec le feu, là c’est tout le système qui est en cause. « It is a breakdown of theentire system.”

Le problème est que l’argent est devenu peu cher : « Money became so cheap”. Ilparle du coût de l’argent. Le coût de l’argent correspond au taux auquel l’argent est prêté.Ce taux est la rémunération du service, fixé en fonction de la hauteur du risque, de l’agentprêteur. C’est un coût pour l’emprunteur. Or, avec des taux bas aux États-Unis depuis des

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III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision

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années, les banques ont dû trouver des secteurs plus risqués et plus rémunérateurs pourêtre rentable et financer le crédit. Le discours de l’expert est concis mais peut rebuterquelqu’un qui n’a eu aucune formation en économie d’autant plus qu’il utilise beaucoup plusde raccourcis que dans ce résumé. Il dit juste : « Money was so cheap that lenders has totake more risks to make some benefits”.

La journaliste en studio interroge l’expert qui est dans son bureau. L’écran sertd’intermédiaire. Sur cet écran, en plus de l’image prédominante de l’expert, on distingue desimages de maison vendues et saisies diffusées en boucle. La mise en scène est quelquepeu dramatique. Elle demande alors « How could it go right in the first place ?”. Commentce système a pu fonctionner dès le départ alors qu’il consistait à prêter à des personnes quin’étaient pas capables de rembourser ?

La réponse du spécialiste est intéressante. Tout d’abord, sur le fond, dans le domainepurement économique, il explique que le problème n’est pas nouveau. La finance a toujourscréé des outils qui encourageaient des ménages, même peu solvables, à emprunter. Il enest ainsi des cartes de crédit par exemple. La différence, dans cette situation, est que c’estallé beaucoup trop loin. Il a ensuite fait la différence entre les prêts à la consommation etles prêts utilisés pour investir, notamment dans le cas des “self-employed”, des professionslibérales. En effet, ces derniers vont tirer un revenu des sommes prêtées, ce qui permettrade rembourser. Le problème dans les crédits “subprimes” est que cette distinction n’a pasété faite entre ces deux types de clients.

Sur cette analyse, la journaliste apporte des chiffres sur le nombre de maisons saisies(home foreclosure) qui apparaissent sur un fond rouge :

Année Nombre de maisons saisies Augmentation en pourcentage2005 846 982 2006 1 259 118 42 %2007 2 203 295 75 %

La conclusion du spécialiste est qu’il faut une aide extérieure (sous-entendue dugouvernement) pour éviter de courir à la catastrophe.

�CNN , Real Estate News – Prices, Morgages, and Calculators from CNN MoneyAugust 10, 2007.

« Going. Going once. Going twice. Gone. Sold ?” La formule rituelle des ventesaux enchères introduit le reportage. Il rythme les images martelées de panneaumaison à vendre (for sale) ou vendu (sold). Cela fait directement référence auxmaisons saisies pour cause de défaut de paiement, et, qui sont ensuite venduesaux enchères. Cela concerne plus d’un demi-million de maisons, nous informe lereportage. Le coup de marteau de la vente résonne. L’image se fige. Le destin estscellé.

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Après cette introduction dramatique, les explications sont données. Au départles taux d’intérêt étaient bas. Quand le marché s’est calmé, les taux indexés surle prix des maisons ont augmenté. « Those rates jumped”. L’image de maisonservant de background tourne au rouge sang.

Le plan suivant se centre sur un spécialiste dans son cadre de travail, les salles de marchés.Il souligne la soudaineté de la fermeture des fonds et la peur que cela a provoqué sur lesmarchés. La journaliste conclut « Bank became reluctant to loan anyone even each other.Clearly action was needed.” L’image qui accompagne ce commentaire est la planche à billeten train de produire du cash. Sur ces images, la voix-off du journaliste commente de façoninquiétante : « The worst may not be over”.

Pendant des années, ce fut le temps du cheap money avec des taux d’intérêt peuélevés. Les banques centrales augmentaient leur taux directeur pour éponger (to mop up)l’excès de crédit. Le cheap cash a continué à se déverser sur les marchés.

Les derniers mois, il y a eu un resserrement des conditions de crédit. Les entreprisesne peuvent alors plus collecter de fonds. La peur d’une crise de crédit apparaît. L’image defond est encore une fois la fabrication en usine des billets de banques.

La journaliste interroge en voix off : « What is the worse scenario ?” Le pire à craindreselon l’expert est de ne plus avoir de liquidités. Celui-ci fait une distinction entre la criseimmobilière et la crise financière de liquidité. Pour lui, la crise immobilière n’a été que lecatalyseur, le déclencheur (trigger). Les crédits dits subprimes ont été victimes de leursuccès. Ce succès était dû au fait que le crédit hypothécaire à risque “gave to the famillies ashot of the american dream”. Ils avaient pour la première fois la possibilité d’être propriétairealors qu’ils n’en avaient pas réellement les moyens.

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III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision

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La conclusion du reportage est que cela va prendre des années pour savoir combiend’argent a été perdu dans cette crise. Tout le monde va suivre les conséquences de la crise :investisseurs, propriétaires fonciers et même tous ceux qui ont un compte bancaire.

�LCI, 10 août 2007 - 18 h 14 Bourse : Crise des marchés financiers : les explicationsde Thomas Blard.

L’introduction du reportage comme par la phrase : « Rien ne va plus sur les marchés ».Le reportage fait suite à l’actualité du gel de trois fonds de la BNP. La situation est présentée.La bourse de Paris a chuté de 3,13 % le jour du reportage et les autres places boursièressuivent le même chemin. La Fed a injecté de nouvelles liquidités au marché à hauteur de35 milliards de dollars.

Thomas Blard est introduit comme le « spécialiste de la bourse sur LCI ». Il explique lacrise : « Le problème est que l’on ne sait pas très bien ce qui se trouve le placard. Baudoin,Prot, directeur de la plus grande banque française, annonce il y a une semaine que toutest sous contrôle. […] Hier, on apprend, à la surprise générale, que la même BNP Paribasgèle trois fonds. Ce qui signifie qu’on ne connaît pas bien même au sein de ces grandesinstitutions financières l’ampleur du problème et c’est ce qui inquiète les marchés financiersen ce moment. »

La journaliste qui mène l’interview pose alors la question qui émerge à ce moment dela crise : « Pourquoi ce problème avant tout américain affecte toute l’Europe ? »

L’explication ensuite est très banale. Il s’agit de la titrisation mais, cette fois, le mottitrisation n’est pas prononcé seul et sans explication. L’expert, qui est aussi journaliste(volonté d’être, avant tout, compris), explique que la crise se propage à l’Europe parceque les organismes de crédits américains ont découpé ce risque en petits morceaux et lesont vendus à toute la planète financière, y compris aux banques européennes. « Tout lemonde était content », précise-t-il. Il conclut en disant qu’on « pensait que c’était une dilutiondu risque. On pensait que le risque était nulle part, on se rend compte qu’il est partout. »L’idée du fait que tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à l’éclatement de lacrise est mise en exergue ici avec la phrase « Tout le monde est content ». Mais, ce n’estqu’une apparence. La crise trouve ses racines bien avant que l’on prenne conscience deson émergence selon le même fonctionnement que celui d’un abcès. Cependant, il est vraiqu’il y avait une certaine euphorie due au fait que l’accès à la propriété était facilité.

La journaliste termine son interview par la question : « Comment sortir de cette crise,de ce piège ? » L’utilisation du terme piège peut amener à se poser la question de qui estl’auteur de ce piège.

La réponse de Thomas Blard est très imagée : « Les pompiers de services, c’est-à-dire les banques centrales, ouvrent les robinets des liquidités pour remettre de l’huile dansles rouages. Parce que les banques ont peur de prêter, les banques centrales jouent cerôle. » Le discours de l’expert est simple, métaphorique et laisse tout un chacun comprendre,certes de façon globale, la crise. Il conclut alors : « Cela risque de tanguer sur les marchésquelque temps ».

� France 2, Complément d’enquête, Lundi 5 novembre - 23h15, Scandales, faillites,délits d’initiés… la crise de confiance. Le malheur est dans le prêt . Un reportage de EdouardPerrin.

La présentation commence sur fond d’impression de billets, d’images d’EADS, depanneau de salle des marchés effervescente, et de panneau “ à vendre”. Le reportage decomplément d’enquête fait un lien entre l’affaire EADS, la crise immobilière aux États-Unis,

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Northen Rock proche de la faillite et le rôle de la BCE. Toutes ces crises et institutions sontliées dans une crise de confiance généralisée dans la sphère financière et économique.

L’introduction de l’émission annonce l’angle des reportages : « Faut-il douter de nosbanquiers ? Peut-on avoir confiance dans un système où la connivence semble la règle ?En Californie qui savait quoi ? Qui savait que le système était au bord du gouffre ? Quiest responsable ?” Un climat de défiance est inscrit dans le reportage. Il y a une véritablevolonté de débusquer les responsables. L’enquête journalistique s’apparente alors à uneenquête judiciaire.

L’introduction du reportage Le malheur est dans le prêt est que la crise des subprimesa d’ores et déjà coûté 170 milliards de dollars (la source n’est pas citée) et le présentateurpose la question est de savoir su la crise est devant ou derrière nous ?

Le reportage commence avec Mike, le stéréotype de l’individualiste opportunisteaméricain qui tire profit de la crise immobilière. Il construisait des maisons et maintenant, il atrouvé une activité plus lucrative en Californie, à savoir l’inspection des maisons qui ont étésaisies par les banques. Son boulot va de la chasse aux squatters des maisons vidées parl’huissier aux réparations pour rendre la maison la plus présentable possible pour la vente.

Du point de vue de Mike, les ménages expulsés ne sont pas à plaindre puisqu’ilsvivaient au-dessus de leurs moyens : « They were living on the hedge”. Les ménages enquestion ont en effet dépensé tout leur crédit pour des biens de consommations. Le résultatest, qu’en Californie, plus de 50 000 maisons ont été saisies rien qu’en 2007.

En background, les images de carte postale californienne défilent sur une musiquede rap américain. Le contraste illustre la désillusion. Cela fait une transition idéale versl’interview et la rencontre d’un émigré mexicain qui explique sa situation. C’est un peu lepoint de vue opposé à Mike.

L’émigré mexicain est une des victimes du crédit hypothécaire. Il voulait accéder au rêveaméricain, offrir une maison à sa famille. Un courtier lui a dit que c’était possible. Il a signé.Maintenant, son seul espoir est de revendre la maison avant qu’elle ne soit saisie. Le contratsubprime qu’il a signé semble aberrant. Le mot n’y est pas prononcé mais le journalistesouligne que la traite du crédit s’élève à 3 600 dollars par mois, alors que le ménage et leurfille en gagnent que 3 800 dollars. Après avoir rencontré une association spécialisée, onse rend compte que le contrat contient des informations falsifiées. Par exemple, le salairemensuel de cet émigré mexicain était évalué à 7 800 dollars.

Le reportage se poursuit en caméra cachée auprès du courtier responsable de ce prêt.Pour lui, si le contrat a été signé, alors il ne saurait être responsable. La partie contractantea approuvé les termes du contrat. La transition du journaliste est “Bienvenue au paysdes subprimes”. L’ironie est à peine cachée. Le reportage continue sur des images d’unepublicité qui peut sembler agressive pour des Européens. La publicité promeut les produitsfinanciers de l’entreprise Quickloan funding, spécialisée en produit financiers subprime.Cette entreprise n’existe plus. Elle a fait faillite comme la plupart des entreprises spécialisésdans ce genre de prêts.

Le reportage continue dans une banlieue chic et ultra-sécurisée de la Californie afind’y rencontrer Daniel Sadak, le dirigeant de Quickloan funding. Il a écoulé” quatre milliardsde dollars en empochant la somme de 80 millions. Aujourd’hui, il dit avoir tout perdu, quemême sa maison est gagée. Il parle en présence de son avocat et le journaliste annonce : “Sa ligne de défense est simple. Si les subprimes ont existé, c’est parce que tout le mondey gagnait”. Sans parler de l’argument en lui même, il est intéressant de relever le termede ligne de défense utilisé par le journaliste. S’il est légitime de spécifier que la personne

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III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision

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interviewée est secondée de son avocat, un journaliste peut-il parler de ligne de défensealors que Daniel Sader n’est pas sur le banc des accusés ? Le reportage serait-il alors unenouvelle sorte de jugement populaire ?

Le dirigeant de Quickloan termine en disant que ce sont principalement lesinvestisseurs qui ont souffert et non pas les ménages ou wallstreet. Ces derniers ont profitédes crédits pendant plusieurs années. Il glisse, insidieusement, qu’il connaît une banquefrançaise qui a perdu deux milliards de dollars dans cette crise. Il ne donne bien sûr pasde nom. Cette phrase semble être faite sur le ton de la confidence. Le paradoxe de laconfidence à un journaliste est quelque chose de fréquent : cela créé un climat d’exclusivitémais des milliers de téléspectateurs jouent le rôle de confident. Le montage vidéo joue surl’ironie. Après l’annonce des pertes d’une de nos banques nationales, le slogan publicitaire“Thank you Quickloan funding” est scandé et apparaît à l’écran. L’ironie est marquée.L’accusation est à peine voilée.

Après cela, le journaliste se rend dans une université californienne pour avoir uneexplication de la crise et comment elle s’est répandue à travers le monde. Le coursd’économie en accéléré est alors très confus, le schéma complexe et même les explicationsdu journaliste ne semblent pas à la portée de n’importe quel quidam. Cela rajoute un côtéconfus à cette crise sur laquelle même les experts ne s’accordent pas. Le reportage continuequelques minutes dans une société qui gère les crédits à risque et se termine par la plaqued’immatriculation de Mike, décrit comme étant “dans le camps des gagnants”, qui annoncela couleur : EVICTEM. Cela signifie Evict them, c’est-à-dire : les expulser.

�France 5,C’est dans l’air, panique à la bourse : qui ?, mardi 22 janvier 2008Dans l’émission C’est dans l’air, il y a un reportage d’une demie heure environ pour

préparer à un débat d’experts. Je ne vais pas étudier le débat d’expert, mais juste desextraits du reportage.

EXTRAIT 1. Le reportage commence dans une salle des marchés effervescente.L’introduction décrit la situation : « Paris, une salle des marchées avec une dose destressbien plus forte que d’habitude. Ce début 2008 vient de connaître son Black Monday . Labourse de paris a clôturé hier en baisse de 6,83 %”. Les décors sont plantés.

André Chassagnol, responsable des actions H.P.C. dans la salle des marchés qui sertde lieu d’ancrage au reportage est interviewé. “Vous avez vu, il n’y a que du rouge sur lesécrans. Et, quand, il n’y a que du rouge, en général, les clients ne sont pas très contents”. Onpeut dire que ce responsable sait manier l’euphémisme. Il explique le désarroi sur les placesboursières “La bourse a peur du vide, de l’inconnu. Aujourd’hui, la question se pose : est-cequ’on va suivre le déclin américain ou est-ce qu’on va être sauvé par les pays émergents ?”

Cependant, au jour du reportage, toute les bourses chutent, y compris celles d’Asiedu sud-est incluant la Chine et l’Inde. Jean-Claude Juncker, président de l’eurogroupe, faitalors une déclaration officielle : « Un ralentissement de la croissance américaine ne resterapas sans conséquence dans la zone euro”. A la fin du discours, une musique stressante sefait entendre. La bande sonore n’est pas sans rappeler la musique des films d’Hitchkock.Sur ce son, l’image d’un trader se prenant la tête dans les mains trahit son désespoir. A cetteimage succèdent celles de courbes dont on ne comprend pas la signification mais plutôt lesymbolisme : elles chutent toutes, c’est la crise. Ce symbole est inscrit dans l’imaginairecollectif, il n’y a même pas besoin de savoir ce que ces graphiques représentent.

EXTRAIT 2. George W. Bush a décidé d’intervenir en permettant une réduction fiscaleà hauteur de 140 milliards de dollars, soit 1 % du PIB américain. Le but est de relancer lacroissance afin d’éviter une récession. Cette mesure qui a agis sur les conséquences de la

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crise plutôt que sur les causes n’a fait qu’aggraver la crise de confiance et, donc, la criseéconomique dans son ensemble.

David Wyss, économiste à Standard and Poor’s, commente la situation. On ne saitpas ce qu’est cette entreprise et seuls les initiés comprendront qu’il s’agit d’une filialede la banque McGraw-Hill et qui publie des analyses financières sur des actions et desobligations. Encore une fois, l’introduction des experts manque de précisions pour êtrecomprise de tous. Selon cet expert, le plan de Bush pourrait éviter une récession. “Le motrécession est lâché”, commente le journaliste. Ce n’est pas un mot anodin. Il est chargé desens et connoté négativement.

A la suite de cet expert, la parole est donnée à Nicolas Bouzou que l’on nous présentecomme ayant été fondateur d’Astères. Après des recherches sur Internet, on peut savoirqu’Astère est une entreprise de conseil en matière d’économie qui vend ses services auprèsd’autres entreprises. Pour Nicolas Bouzou, “ la crise est conjoncturelle. Des crises, il y en atoujours eu et elles sont même, en quelque sorte, nécessaires. Il faut voir cela comme unepurge.” Ce genre de discours répandus dans la sphère économique peut être interrogé : Nes’agit-il pas ici d’une façon de défendre le système qui leur a permis de réussir ? N’est-cepas ce système qui les a reconnus comme experts ?

EXTRAIT 3. Les images des crises précédentes sont montées ensemble comme unextrait de toutes les images qui viennent à l’esprit quand on parle de crise économique enOccident. Comme le dit le journaliste : “1929 est l’année où l’Amérique a dévissé. Quatre ansde croissance négative, de chômage, de misère se sont succédé. Des images qui reviennentà l’esprit dès qu’une crise économique se profile”. En 1973-1974, c’est l’apparition duchômage de masse qui se pérennise avec la crise de 1993. Une transition est faite entreles deux périodes avec la même image de jeunes pointant à l’ANPE. Seuls vingt ans ontpassé comme le témoigne la couleur qui apparaît sur la deuxième scène. Des archivessont alors diffusées : Édouard Balladur, alors Premier ministre, s’exprime sur la crise : “Laproduction n’augmente plus. On ne peut plus créer l’emplois nécessaires pour accueillirtoute la jeunesse.” Ce reportage illustre bien que le spectre de la récession de 1929 restedans tous les esprits car “si le contexte financier est différent, l’effondrement économiqueavait aussi démarré par un krack boursier.”

�TF1, le 20 h du 18 février 2008, Grande-Bretagne : la banque ''Northern Rock''temporairement nationalisée.Le sujet est le dixième traité sur dix-huit. Le reportage dure 2minutes et 20 secondes.

Patrick Poivre d’Arvor introduit le sujet : « Pour la première fois depuis plus de trenteans, la banque Northen Rock va être nationalisée temporairement. Elle a été victime de sesplacements malheureux dans les produits dits subprimes. »

Le reportage commence sur un taxi londonien roulant dans une rue bordée de pavillonsde briques rouges. Une image d’Épinal qui permet au téléspectateur de voir immédiatementoù se déroule l’action. En introduction on apprend que Northen Rock est un symbole pourles Anglais, « la banque surnommée le rock ». « Mais, continue la voix off, la banque faisaitgrise mine aujourd’hui, attirant plus de journalistes que de clients. »

Le reportage diffuse ensuite un extrait du discours de Gordon Brown. « Au nom descontribuables, nous avons acheté la banque pour la revendre en temps voulu. » Comme lejournaliste le souligne, le mot nationalisation n’est jamais prononcé. Ce mot fait peur dansun pays marqué par une tradition libérale.

Nous avons ensuite un cadrage sur quelqu’un que l’on devine être un expert. Pourtant,il n’est pas présenté. On ne sait rien de lui. On ne sait s’il est légitime dans la dénonciation

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III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision

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qu’il fait : « L’activité bancaire doit être régulée. Les dirigeants de Northen Rock ont faitn’importe quoi avec l’argent des clients qui sont les véritables investisseurs. Au final, c’està nous contribuable de payer l’addition. »

La conclusion du journaliste est simple mais met bien en exergue le véritable risque decette nationalisation : « s’il y a des défauts de paiement, ce sera au gouvernant de faire lachasse au mauvais payeur ».

Bien qu’on ne puisse pas nier le besoin d’avoir un angle pour présenter un sujet, il fautnéanmoins souligner la partialité du traitement. Le reportage souligne la peur qui ressort decette nationalisation, le fait que le gouvernement prend un gros risque. Cependant, s’il estvrai que cette nationalisation dédouane la banque de ses responsabilités, elle est cependantnécessaire pour éviter la banqueroute de la huitième banque du pays qui entraîneraitinévitablement une crise bancaire générale qui pourrait ruiner le Royaume-Uni.

�TF1, le 20h du 27 mai 2008, Le Royaume-Uni rattrapé par la crise immobilière. Lesujet est le huitième traité sur seize. Le reportage dure 2 minutes.

La présentation de la crise au Royaume-Uni par Patrick Poivre d’Arvor met l’accent surle fait que c’est une « situation sans précédent depuis vingt ans ». Le célèbre présentateurlance ensuite le reportage catégorisé comme une enquête.

Une voix off féminine prend le relais. Le reportage commence sur l’image de la ministredu logement du Royaume-Uni qui semble décontractée et « souriante » selon la voix off.Mais, les zooms des photographes dévoilent une partie du contenu d’un rapport que laministre tient contre elle, seulement protégé d’une pochette plastique transparente. Lecontenu entier n’est pas encore dévoilé mais on a glané la phrase : « We can’t tell how badit will get ». À partir de cette phrase est tirée la conclusion que la phrase signifiant « Nousne savons pas à quel point la situation va se détériorer » concernait la crise des créditshypothécaires. Les hommes et femmes politiques sont alors pris à défaut d’incompétenceou du moins, on prouve que la crise n’est pas encore sous contrôle. La différence entre lesourire qu’elle affiche et le dossier inquiétant fait par ailleurs ressortir le côté factice de lafaçade publique.

La scène suivante montre que la crise immobilière et financière est quelque chose depalpable est mets en à la rue une classe moyenne qui a eu recours à ces prêts à risques.Une courbe rouge ensuite apparaît et s’affadit alors qu’elle descend sur l’écran évoquant lachute des cours en bourse. Elle est là comme un spectre que l’on aperçoit, qui fait peur. Ils’agit là d’une image qui parle à tous directement sortie de l’imaginaire collectif, évoquanttous les films qui ont porté sur la crise de 1929.

Le troisième tableau est celui d’un père et son enfant bricolant le moteur d’une voituredans un quartier populaire. La voix off commente : « la baisse des cours de l’immobilierconduit à des drames humains. » Cette constatation est alors ponctuée par un panneau« For Sale » martelé. Les images montrées mettent en scène la famille vivant un dramepersonnel. Par exemple les jardins des maisons filmés contiennent des jeux d’enfants.On ressent que l’avenir de ces enfants sera forcément touché par la crise en cours. Ondramatise une situation qui se prête au sensationnalisme car tout le monde peut s’identifiernotamment à la mère que l’on voit en pleurs dans la scène suivante.

La mère en pleurs explique ses désillusions : « On pensait que l’on avait de la chanced’être propriétaire à notre âge ». La scène tient presque du voyeurisme. On ne peut qu’êtretouchée par la détresse de cette femme que l’on filme à l’intérieur de la maison que l’on peutsupposer en vente. Puis soudain, un expert apparaît. Il ne dit pas grand-chose. Il coupejuste la dramatisation de la scène précédente par un ton professionnel et posé. Son analyse

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n’apporte pas d’information et est réduite à son strict minimum. Il dit juste qu’il faut « Tirerla sonnette d’alarme ». De cet expert, on ne connaît que le nom, Matthew Sherwood etl’étiquette qui apparaît sur l’écran nous signale juste qu’il est un « expert économique ».On ne sait s’il est professeur, s’il travaille pour une banque, une entreprise de conseil. Il estquand même ironique de faire parler quelqu’un qui s’appelle Sherwood dans une situationoù les plus démunis sont exposés à perdre leur logement. L’allusion à Robin Hood ne devaitcependant pas être volontaire. L’ironie qui en ressort mérite quand même un sourire.

Le reportage conclut que, en plus de toutes les familles qui perdraient leur logement,doivent s’ajouter la tragédie personnelle de tous ceux qui vont perdre leur emploi dansle domaine bancaire. Le reportage se termine, PPDA reprend la parole et aborde leprochain sujet : les spéculateurs profitent de la flambée des prix des matières premières eninvestissant dans des denrées de base comme le sucre et le blé, « ce qui a choqué biensûr ». Cette transition renforce le sentiment de dénonciation.

3.3 Analyse comparée.La première comparaison que l’on peut faire est entre les reportages de CNN et de TF1. Lacomparaison est possible parce qu’ils ont par leur forme des similarités qui rendent adéquatela comparaison sur le traitement de la crise par la chaîne américaine et la chaîne française.Tout d’abord soulignons les points communs de ces deux chaînes : ce sont des chaînesprivées qui vivent des revenus tirés de la publicité, ce sont deux chaînes majeures dansleur pays respectif et quand il en vient à un journal télévisé, il y a entre une dizaine etune vingtaine de sujets traités, la plupart étant illustrés d’un reportage et introduits par leprésentateur. Les reportages parlant des subprimes sur ces chaînes sont donc une partiedu journal télévisé, fonctionnent selon le même schéma journalistique et durent tous entre2 minutes et 3 minutes.

CNN met en scène les experts qu’elle interviewe. Ils sont présentés et le reportagetourne autour d’eux. Pour TF1, les experts restent anonymes, on ne sait qui ils sont et “d’où”ils parlent. Cela s’accompagne du fait que CNN est en train de chercher jusqu’où ira la crise,de comprendre où le système a failli comme avec Richard Bitner. TF1 présente plus unesituation, montre une famille qui risque de se faire expulser : le public ciblé est beaucoupplus populaire. Cela peut s’expliquer par le fait que TF1 s'est associé avec LCI dont lesreportages sont beaucoup plus proches du système de CNN. L’interview de Thomas Blach,expert en économie de LCI, parle beaucoup des tenants et des aboutissants de la crise. Lediscours du spécialiste français est très similaire à celui de Richard Bitner pour CNN maisil est quand même plus imagé, plus vulgarisé. Cette différence ne tient pas des différencesentre les deux chaînes mais plus du fait que l’un est avant tout un économiste qui intervient àla télévision (Richard Bitner) et l’autre un journaliste spécialisé en économie (Thomas Blard).

Que ce soit LCI, TF1 ou CNN, les emprunteurs sont présentés comme de véritablesvictimes aveuglées par le rêve américain et qui voient leur famille en danger (expulsion,dettes) à cause de produits financiers qu’ils ne connaissaient pas. Cette victimisation peutaller dans l’extrême dramatisation, dans le sensationnalisme.

Dans le reportage Real Estate News - Prices, Mortgages, and Calculators fromCNNMoney de CNN, la scène de la vente aux enchères, qui n’est pas filmée mais justeintroduite par la voix off, démontre à la fois la dramatisation de la crise mais aussi que

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ce sensationnalisme fait référence à des symboles communs. Ces symboles reviennentsouvent dans les reportages. Il y a la crise immobilière représentée par les panneaux “àvendre”, des cadenas sur les portes des maisons saisies afin d’éviter que les squatterss’installent. La crise boursière est représentée par des écrans chargés de signaux rouges,des courbes en chute libre et des salles des marchés effervescentes. Malgré le fait que, parmanque d’explications de la part des journalistes, on ne peut deviner ce que les signaux,les courbes et l’effervescence des courtiers en bourses représentent. Le téléspectateursait néanmoins que cela symbolise la crise boursière que nous sommes en train de vivre.Pourtant, l’effervescence dans une salle des marchés pourrait témoigner du dynamismeet de la croissance de celle-ci. Personne ne pense à cette interprétation. Le partaged’une mémoire commune fait que certaines images accompagnent le concept de criseéconomique. Ces images clefs, et c’est peut être le plus intéressant, sont les mêmes enFrance et aux États-Unis. Le sensationnalisme est présent dans les deux traitements.

On peut aussi se poser la question : Y-a-t-il une différence de traitement entre leschaînes privées françaises (LCI, TF1) et les chaînes publiques (France 2 et France 5) ?L'intérêt est plus de voir ce qu’apporte en plus les reportages-enquêtes et de les comparerentre eux. Le premier est Complément d’enquête diffusé en prime-time sur France 2 etle deuxième reportage est celui qui introduit le débat qui a lieu dans l’émission C dansl’air diffusée en début de soirée par France 5. Le public visé n’est pas le même mais ilsont tous deux une volonté de vulgariser : le premier pour faire la plus grande audiencepossible, l’autre pour introduire les bases d’un débat et le rendre accessible à tous. Ladifférence se joue plus sur le sensationnalisme et la dramatisation. En effet, Complémentd’enquête introduit des rôles préfabriqués pour raconter l’histoire du reportage. Il y a celuide la victime (l’immigré qui ne peut plus rembourser son prêt subprime) et les “carnassiers”du système, plus “charognard” que coupables : le courtier, Daniel Sadak le directeur deQuickloan funding et “Mike” qui, insensible, a su se situer sur le marché de la réparation demaisons saisie pour défaut de paiement. Le reportage est centré autour de personnagesauxquels on peut s’identifier ou que l’on peut montrer du doigt. Un parallèle peut être faitentre la mise en scène de ce reportage qui se termine sur un plan montrant la plaqued’immatriculation EVICTEM comme Cruella d’enfer à DEVIL sur le film animé Les 101dalmatiens produit par Disney. Les symboles sont compréhensibles par tous et les expertspeu présents. Il y a peu de débats, juste des individualités mises en scène autour de lacrise économique.

Au contraire, le reportage pour C dans l’air s’articule autour de trois minireportages quiagissent ensemble comme une sorte de recueil d’opinion théâtralisé organisé autour detrois actes. Le premier concerne la panique à la bourse. Le deuxième est plus sur l’action deG.W. Bush pour combattre les subprimes et le dernier acte rappelle les crises économiquesprésentes dans l’imaginaire collectif : la crise de 1929, la crise de 1974 puis celle de 1993 enFrance. La dramatisation est moins marquée. Plus que l’émotion, les explications apportéespar les journalistes montrent de façon intelligible comment les différents acteurs de lacrise n’ont pu empêcher celle-ci. Le dernier reportage est particulièrement intéressant pourcomprendre tout l’imaginaire réveillé dès que les mots récession et crise sont prononcés.

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IV/ Mise en perspective des analyses

4.1 Analyse du discours inspiré de la méthode de S.Moirand

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Sophie Moirand s’appuie sur les concepts opératoires de l’analyse du discours, aussi bienque sur les notions de dialogisme et de mémoire collective. Elle parvient ainsi à élaborerune méthode d’analyse qui lui permet d’observer le traitement médiatique des mots etdes manières de dire. Cette approche, élaborée pendant plusieurs années de recherche,est appliquée à l’étude des événements scientifiques ou techniques à caractère politiqueévoqués dans la presse quotidienne généraliste française (la vache folle, les ogm, la grippeaviaire, etc.).

Il s’agit tout d’abord d’établir quand un événement correspond à un moment discursif, à savoir lorsqu’il "donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en resteégalement quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produitsultérieurement à propos d’autres événements". Nous entendons par Moment discursif lesurgissement dans les médias d’une production discursive intense et diversifiée à porposd’un même événement (Sophie Moirand donne l’exemple de la crise de la vache folle,la coupe du monde de football ou encore la décision d’une intervention en Irak), qui secaractérise par une hétérogénéité multiforme (sémiotique, générique, énonciative).

Ainsi, la disposition des titres témoigne du traitement de ce moment discursif. On peutalors baser notre analyse sur les titre répertoriés pour le corpus qui a été étudié en premierlieu dans le tableau 1, page 15. Il y a une double évolution que l’on peut observer dans lestitres puis dans le corps des textes étudiés. Tout d’abord, on parle de banques, de bourseset au fur et à mesure on passe des marchés à l’économie tout entière. De même, le termesubprime subit une évolution intéressante. Tout d’abord, le terme « subprime » est entreguillemets et est toujours accompagné du mot « crédits ». Les « crédits subprimes » sontalors un synonyme pour le terme qui peu semblé barbare à un non-spécialiste de créditshypothécaires à risque. Petit à petit, le terme subprime, toujours entre guillemets sera seulà référer à se genre de crédit. Souvent les titres commencent par « Subprimes » : etc. Dansune troisième et dernière phase, le mot subprime, indifféremment au pluriel ou au singulier,désigne la crise tout entière. Il perd en même temps les guillemets. Le mot-événements’impose alors comme un domaine de mémoire.

14 Sophie Moirand, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre , Paris, Presses

Universitaires de France, 2007, 186 p.

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IV/ Mise en perspective des analyses

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Mot -événement 15

L’émergence de nouvelles notions s’avère souvent à l’origine de jeux langagiers quisont richement illustrés par la formule vache folle , dont la diffusion médiatique a favoriséle développement sémantique de l’adjectif fou — qui a fini par se rapprocher du sens de"malsain", "contamination", "incontrôlable" — et du stéréotype du savant fou. Les formulesqui s’imposent pour désigner des notions émergentes deviennent généralement des motsclés qui désignent l’événement lui-même, c’est-à-dire des mots-événements : c’est le casde vache folle , tout aussi bien que de principe de précaution , de traçabilité , ou encorede 11 septembre , etc.

Le terme « subprimes » composé de sub (sous) et prime (premier, meilleur) est alorsconnoté comme contagieux. Un peu comme une sous-classe sous l’ancien régime ou unsous-homme sous des régimes totalitaires. Il y a derrière la construction de cette nouvellenotion, une idée de rejets de ces produits financiers. Le terme nouveau n’est pas nonplus sans rappeler un mot scientifique. Ceci ajouté au fait que la métaphore de la crisemédicale est omniprésente, semble faire des subprimes un nouveau virus s’attaquant aucorps financier.

Domaine de mémoire 16

L’abandon progressif des guillemets, qui encadraient auparavant le terme de subprime,est l’indice du fait que la formule cesse d’être perçue comme un emprunt au discoursd’autres communautés langagières. À côté de cette particularité, Moirand parvient àidentifier d’autres caractéristiques, sémantiques et formelles, qui concourent à donner unair de famille à certains événements et à les inscrire dans une sorte de mémoire collective,telles que le recours à des désignations qualifiantes à charge émotionnelle forte, ou bienà des constructions comparatives ou analogiques qui permettent des associations à desévénements antérieurs. Ces événements sont des références directes à la crise de 1929qui a plongé les États-Unis dans une récession qu’elle revivra en moins impressionnanteen 1973 après les chocs pétroliers. Il y a ainsi beaucoup de références au Lundi noir pourles subprimes qui se réfèrent au tristement célèbre Jeudi noir comme dans le reportage deC dans l’air diffusé sur la cinq. Le parallèle et le jeu de mémoire, souvent inconscient pourla plupart des consommateurs de médias, sont alors très bien explicités et illustrés.

Quand on parle des crises économiques, un passé est évoqué, une mémoire communeest mobilisée. Cela correspond à une institution. Pourtant c’est une notion dynamique quia évolué en fonction des époques :

Au début parfait pour 1929 : un effondrement des cours boursiers met fin à une périoded’expansion d’un déséquilibre, et le début d’une phase de récession.

Mais depuis 1973, la crise désigne la plupart des difficultés subies par l’économie. Arrivealors le paradoxe des crises chroniques.

PolyphonieSophie Moirand fait remarquer que les moments discursifs analysés relèvent, en fait,

d’une situation d’interaction plus complexe, en considération de l’inscription d’autres voix

15 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p.

16 Sophie Moirand, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre , Paris, Presses Universitairesde France, 2007, 186 p.

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que celles des scientifiques, à savoir les discours d’autres communautés langagières,représentées par des ministres, des économistes, des industriels, des syndicalistes, oud’autres "experts", qui filtrent, reformulent ou dissimulent le discours. Le texte journalistiquedevient ainsi un intertexte de nature plurilogale, caractérisé par la diversité des genres,des localisations et des locuteurs impliqués. idération, en premier lieu, la situation trilogaleclassiquement reconnue dans le discours de diffusion des connaissances scientifiques, afinde mettre en relief — grâce à l’examen des procédés de désignation et de caractérisation —les modalités d’inscription des trois instances impliquées : le médiateur (la presse ordinaire),le public des lecteurs, la communauté scientifique qui fournit les sources. Pour étudier cerapport, nous allons utiliser la méthode d’Eliseo Véron.

4.2 Méthodologie inspirée de l’essai : Construirel’événement. Les médias et l’accident de Three mileisland 17 .

Une opposition entre le discours technique et le discours non technique. Ici, cela peuts’appliquer au discours économique et celui de vulgarisation, plus proche du quotidien desgens touchés par la crise. L’analyse peut se faire par tableau. Eliseo Veron ne fait qu’opposerles discours techniques et ceux non techniques, de vulgarisation. Je pense rajouter unedivision au sein de la colonne des discours techniques afin de différencier la parole dujournaliste et celui des spécialistes qu’il faudra identifier.

Je vais faire l’analyse sur l’ensemble des articles étudiés ci-dessus. Le journaliste estcelui qui écrit le papier et dont c’est le métier. Le spécialiste peut être un économiste ouquelqu’un issu de la sphère financière qui écrit le papier car il apporte une valeur ajoutée.Il peut également être simplement cité ou interviewé.

17 Eliseo Vieson , Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island, Éditions de Minuit, Paris, 1981.

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Tableau 5 Discours techniques Discours non technique,vulgarisation.

Journaliste Spécialiste(s) Événementen lui-même

Le discourstechnique desjournalistesne parle quedes faits. Lesjournalistesdans leurensembledonnent lecadre, les coursen bourse etles événementsracontésla plupartdu tempsde manièrechronologique.

Les spécialistescommencent d’oreset déjà à chercherles causes dela crise et baseleur discours surles problèmes deliquidité, de titrisationet de notationdes agencesbancaires. Il ya beaucoup dequestions poséessur la transparencedes comptes desbanques.

On parle des effets visiblessur la vie des individuscomme le fait que desAméricains se retrouventsans toît. Le rôle de l’émotionet de l’identification estprimordial. Il y a aussibeaucoup de termes imagés,utilisant abondemment desmétaphores de corps vivantpour les marchés boursiers.Par contre, les journalistesexpliquent très peu la notionde « krach », « choc », « crisefinancière », de « crise deliquidité », etc.

Conséquencesdel’événement

Lesconséquencesabordées parles journalistessont, danscette période,exclusivementd’ordreéconomique.Certainsabordent lesconséquencespolitiques.

Pour les spécialistes,la question estde savoir si lesconséquences dela crise financièrene seront pas unecrise d’économieglobale, signantainsi, comme en2000 lors de l’e-crise, le début d’unralentissement decroissance.

Les conséquences sur lavie quotidienne avec lesquestions de récession,de l’impact sur le « pouvoird’achat » ne sont quetrès peu abordées. Cesexplications sont néanmoinsplus présentes pendantl’automne 2007 et encoreplus dans le premier semestre2008 alors que le pouvoird’achat semble menacé.

4.3 Etudes des discours d’experts relayés par lapresse.

Exemples de discours d’experts par catégorie (la classification est personnelle) :

Article, référence Leurs explications de la crise Leur communication et lerôle de la presse

Experts« surlebanc

Les Echos,3 décembre2007, PébeareauMichel, Premiers

Michel Pébereau est interviewé.« Une banque a connu unecrise de liquidité, la hantise desbanquiers et des régulateurs ?

Tout d’abord, il est à noterque les questions dujournaliste ne sont pastrop incisives et ne mettent

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enseignements Cela a abouti aux files d’attente pas l’interviewé en danger.

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de la crisefinancière

des clients de Northen Rockdevant les agences pour seretirer de leur dépôt ; une imagedésastreuse, rappelant lesannées 1930, qui, relayée par latélévision, a diffusé l’inquiétudedans le monde » « Le rôle dumarché est de fixer un prix. Or, dufait de l’inquiétude née de la crisedes « subprimes », le mécanismes’est enrayé pour tous lesproduits structurés ». « N’ya-t-il pas de leçon à tier dupassé ? Si, bien sûr : la grandeleçon c’est l’existence de cyclesdans l’activité bancaire commedans l’économie. Et ces cyclesn’existent que du fait de l’oublidu passé : on redécouvrepériodiquement que les arbres nemontent pas jusqu’au ciel »

Lorsque Michel Pébereaune parle que de NorthenRock pour donner unexemple de banque miseen danger par la crisedes subprimes, il ne faitpas du tout mention aufait que la BNP a gelétrois fonds durant le moisd’août. Le journaliste nelui fait pas remarquercet oubli. De même, M.Pébereau définit la crisecomme une crise deconfiance, ce qui repoussela responsabilité sur lapresse et particulièrementsur la télévision. Enfinquand le journaliste poseune question sur les leçonsà tirer, sa réponse estgénérale et il parle de tousles acteurs économiquesen leur donnant ainsi unepart de responsabilitépartagée.

France2,Complémentd’enquête, Lundi5 novembre- 23h15,Scandales,faillites, délitsd’initiés… la crisede confiance.

Daniel Sadak, le dirigeant deQuickloan funding. « Sa lignede défense est simple. Si lessubprimes ont existé, c’est parceque tout le monde y gagnait”.Sans parler de l’argument enlui-même, il est intéressant derelever le terme de ligne dedéfense utilisé par le journaliste.S’il est légitime de spécifier quela personne interviewée estsecondée de son avocat, unjournaliste peut-il parler de lignede défense alors que DanielSader n’est pas sur le banc desaccusés ?

La mise en scène dureportage est ambiguë :l’interview donne uneambiance entre laconfidence et le jugement.On pourrait presquecroire à un entretien aucommissariat. L’interviewéest même accompagnéde son avocat. On peutaussi penser, par lecaractère démocratiquede la télévision, qu’il s’agitd’un jugement populaire.L’écran tiendrait alors lieude nouvelle agora et lestéléspectateurs seraientles citoyens sur lesquelsrepose le jugement.

desaccusés »

CNN, Business,financial, personalfinance news -CNNMoney ,July 23, 2007. How subprimemess started .

Richard Bitner est l’auteur de Confessions of a SubprimeLender , un livre qu’il a écritaprès la décision d’arrêter lemétier de courtier. Il présentela crise comme différente desprécédentes. Contrairement à lacrise Enron ou la crise World.com(aussi appelée crise internet) oùil y avait quelques personnesqui jouaient avec le feu, là c’esttout le systeme qui est en cause.« It is a breakdown of the entiresystem.” “ Money was so cheapthat lenders has to take morerisks to make some benefits”.

L’intervenant se pose enjuge. Il a fait partie dusystème mais, face auxvices qu’il y a détectés,il a décidé de sortir dusystème. Ca fait de cetexpert quelqu’un qui futtrader mais qui dénoncele système. Pour lui lesfondements du systèmeétaient en mauvais état, lacrise pouvait être prévuesous cette forme ou sousune autre.

Le Monde,5 septembre

Jean-Louis Missika, enseignantà l’Institut d’études politique

La presse se fait lerelais d’une accusation

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2007, Jean-Louis Missika :« La stratégiemédiatique deNicolas Sarkozyfinira par avoir uncoût politique »

de Paris. Son domaine despécialité est la communicationpolitique. Son discours sur la criseconcerne plus la médiatisationqu’en a fait le président de larépublique. Pour lui, la crise du« subprime » a permis à NicolasSarkozy d’envoyer une lettre àAngela Merkel préconisant plusde transparence sur les marchésfinanciers. Il a « envoyé la lettredans un timing médiatiqueexcellent, au sommet de lacouverture médiatique de lacrise. Du coup il a été repris danstous les médias, non seulementfrançais mais internationaux.Mais il a beaucoup irrité MmeMerkel perce que celle-ci avaitmis le sujet à l’ordre du jouir duG8 plusieurs mois auparavant[…] Nicolas est un voleur delumière. Et cela finira par avoirun coût politique ». « Il se sertde l’actualité pour « dialoguer »avec les Français, montrer qu’ilest sensible à leurs émotions. »

de la communicationexcessive du présidentde la république. Ledossier des subprimesdans cette politique decommunication n’est alorsqu’un dossier médiatiquede plus. Sur le plan réel,la représentation met enœuvre des institutions etdes acteurs qui donnentune consistance politiqueà la représentation du

peuple 18 . Pour J.-L.Missika, les médias sontinstrumentalisés et ne« dictent rien du tout ».Les médias relayent alorsune accusation qui lestouche directement, unpeu comme lorsque lapresse écrit sur la crise dela presse… une pratiqueatypique pour ce qui resteune entreprise.

Lesexpertsacadémiques.

Le Monde,21 août 2007,« Les fondsspéculatifsne sont pasà l’originedes excès dumarché »

Noël Amen, professeur àl’EDHEC, récuse les attaquescontre les hedge funds. Selonlui, la tempête actuelle est« une crise de confiance dansl’information sur les risques »« La crise financière que nousconnaissons est essentiellementune crise de confiance dansl’information sur les risquesdes établissements de crédit.Ceux-ci sont pourtant soumis àun dispositif réglementaire enterme de prévention. » « Il y atoujours un danger à protégerles investisseurs par des interditsquand les autorités de contrôlen’ont pas les moyens de faireappliquer ou de vérifier l’effectivitéde la réglementation. Cela conduitles investisseurs à se reposersur une réglementation inefficaceet à ne plus faire leur travail devérification de la qualité et desrisques. »

Il n’est pas possible desavoir pour le lecteur,d’après l’article, si NoëlAmen est impliquédans des activités dehedge funds. On peutlégitimement se poserla question de savoir s’ildéfend le système aprèsune analyse académiqueet systémique de lasituation ou s’il défendun système dont il tireparti. Outre cette question,on discerne l’idéologiedu libéralisme. A chaquefois qu’il y a une crise,les politiques sont tentésde recourir plus à larégulation. C’est alorsaux économistes de s’yopposer afin de restermaîtres en la demeure.La crise change lesrepères, ce qui mèneà un basculement depouvoir, l’économiste enest conscient.

Le NouvelObservateur,

Interview de Michel Rocard,ancien premier ministre et

Michel Rocard entame unecritique de la société en

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13 décembre2007, Lesdébats de l’Obs,p102-106, Lacrise mondiale estpour demain.

député européen depuis 1994. Ilprécise qu’aujourd’hui, la critiquevient du cœur du système. Il citeainsi un des livres de PatrickArthus : « Le capitalisme esten train de s’autodétruire ». Ilexplique cela : « depuis 1980,la sphère financière a pris uneimportance colossale. Du coup,nous sommes confrontés à descrises financières de grandeampleur récurrentes […] ».Il définit le rôle des banquescentrales : « pour contrer leretour de l’inflation, les banquescentrales sont obligées de releverleur taux d’intérêt. C’est le devoirde Jean-Claude Trichet… » Iltermine en politisant la question :« Je crois que la clé du problème,c’est le changement du statutjuridique de l’entreprise. Au lieud’appartenir à des apporteursextérieurs de capitaux, elle doitêtre faite de la communautédes hommes et des femmes quigagnent leur vie en partageantle même projet économique. »« Il va falloir protéger tout cequi produit contre tout ce quispécule. »

général et du capitalismeen particulier. Pour lui, lesystème nous échappe.Par la globalisation, il apris une ampleur qui donneégalement de l’envergureà n’importe quelle crise.Dans un deuxième temps,il justifie aussi la stratégiede la Banque CentraleEuropéenne dans sadécision de garder untaux directeur fort. Cetappui envers Jean-ClaudeTrichet s’inscrit dans unclimat de tension entrele directeur de la BCE etNicolas Sarkozy, qui pourtenir ses promesses decampagne, faisait pressionsur l’ancien gouverneur dela Banque de France pourqu’il change sa politiquemonétaire. En effet, destaux bas permettent derelancer le crédit et doncla consommation. Enfin,il s’appuie sur l’analysede la crise pour proposerune refonte complètede l’éthique qui régit lesystème capitaliste.

Lesexpertspolitiques

AFP, Relèvementdu taux de laBCE : Lagardeseulement« à demi-satisfaite », 7 juillet2008

Christine Lagarde commente ladécision de la Banque CentraleEuropéenne qui a décidé derelever le taux directeur à4,25 %. « La décision de la BCEcreuse le déséquilibre avec lapolitique monétaire américaine.Avec des taux à 4,25 % enEurope contre 2 % aux États-Unis, on va rester avec unesurévaluation et un dollar faible ».Elle demande également plusde transparence afin « de creverl’abcès et de commencer enfin àsoigner la crise »

La dépêche AFP est unchoix de citations. ChristineLagarde a un objectif avanttout de croissance. Uneuro fort pénaliserait lesexportations françaisesau profit des Américaines,les produits exportésétant achetés dans ladevise du pays vendeur. Latransparence demandéepar ailleurs n’est quele relais du discours deNicolas Sarkozy et de salettre envoyée à AngelaMerkel.

Le Monde,13 septembre

L’expert, ici, est uncorrespondant à New

Il y a clairement larecherche d’un coupable.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Lesjournalistesexperts

2007, « Lacrise financièresuscite unepolémique surl’ère Greenspan »

York, Sylvain Cypel. Selonlui, il y aurait une fractureentre « bernakiens » et« greenspaniens ». Pour lespremiers, ils accusent AlanGreenspan, ancien directeurde la Fed, d’avoir encouragé laproduction de bulles boursièresà répétition avec une politiquede taux directeur bas. « En unmot, M. Greenspan, surnomméle « Maestro », n’aurait étéqu’un fabriquant de bulle ».Pour la seconde catégorie, lecoupable serait Ben Bernanke, lesuccesseur d’Alan Greenspan àla tête de la Fed, n’aurait pas prisconscience de la dimension dela crise. Quoi qu’il en soit, il y apar ce discours une précarisationdes hommes politiques etéconomistes qui ont géré lapolitique monétaire américaine.

Ici, la responsabilité estétablie au niveau ducontrôle. Le journalisteexpert cherche à savoir quia laissé la crise se former.Ce genre d’accusationest relayé par la presse.L’événement s’imposeet tranche dans l’ordresupérieur qui est celuidu politique. Dans ladimension politique,l’événement tient uneplace éminente puisqu’ilconditionne tout lepolitique, en le fragilisantet en le précarisant.L’événement conditionnel’activité de l’hommepolitique.

Lesgrandsnoms

Libération, 17septembre2007, Faut-il

Tous les lundis, un expertdécrypte une questiond’actualité. Aujourd’hui JohnTaylor. Il dénonce la faillite de la

Il est rare qu’un expertcritique l’accusation quel’on porte aux victimes dessubprimes d’autant plus

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encore prêter auxpauvres ?

régulation. « Depuis dix ans, lesONG signalent à la Fed (banquefédérale américaine) le problèmede ces prêts. Ben Bernanke, leprésident de la Fed, a reconnuqu’il aurait dû réagir plus tôt. »Pour lui, la crise des subprimesvient d’un défaut de supervisiondes risques par les organismesde régulation et les marchés decapitaux. Il dénonce égalementle discours qui dénonce lesconsommateurs : « On entenddire « La crise, c’est la faute desemprunteurs ! » Scandaleux !Il faut une loi de protection desconsommateurs pour interdire cegenre de prêts »

que le discours dominantdes médias victimiseplutôt ces derniers plusqu’il ne les accuse. Deplus son argument al’avantage de changerde l’éternel souhaitde transparence. Plusqu’une standardisation, ilsouhaite une protectiondes ménages les plusfaibles autant sur un planfinancier que sur un planéducatif : certains ne lisentpas l’anglais quand ilssignent le contrat de crédithypothécaire.

del’économie

Challenges, jeudi3 avril 2008,« Ben Bernankea remis lesmarchés dans lebon sens ».

Patrick Arthus, directeurdes études économiques deNatixis. Pour Patrick Arthus,« Le pire est passé. C’est fini. »Quand on lui oppose à cetteaffirmation que Jean-ClaudeTrichet n’est pas du même avis,il précise « Je reviens des États-Unis. Les acteurs de marché sontunanimes ». Plus tard il confirmesa foi envers les interventionsaméricaines. « Ben Bernanke ajoué un rôle prépondérant. C’estlui qui a remis les marchés dansle bon sens. […] Injecter desliquidités ne servait plus à rienpuisque, de toute façon, pluspersonne ne voulait investir nullepart. En acceptant de devenirdétenteur d’action en dernierressort, la banque fédérale adonné le signal du retour à laconfiance »

Patrick Arthus a choisison camp entre les deuxfaçons de faire américaineet européenne. Il critique lefait que la Banque centraleeuropéenne ne fassequ’injecter des liquiditéssans pour autant agirdirectement. Par ailleurs,il faut rappeler que PatrickArthus est directeur desétudes économiques deNatixis. Le Monde publiaitle 28 août un article intitulé« Crédit agricole et Natixissont plombés par la crisefinancière ». Son analysedoit-elle pour autant êtreremise en cause ?

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À l’instar du partage des risques pour les produits subprimes, il semble que lesresponsables essayent de partager les responsabilités. Ainsi, la responsabilité est partoutet nulle part ! Les experts impliqués dans la crise se défendent également en recourant àune définition de la crise comme étant un sursaut conjoncturel salutaire pour le système.Il s’agit d’un moyen de désengager leur responsabilité. Dans le reportage de France 2, lejournaliste explique que Daniel Saker se défend. “Sa ligne de défense est simple. Si lessubprimes ont existé, c’est parce que tout le monde y gagnait”.

Le discours des experts souligne une double opposition : la première est entre ceuxqui présentent la crise comme jugulée et un simple réajustement du système, à l’instar dePatrick Arthus ou même Christine Largarde, s’assurent une défense parce qu’ils sont d’oreset déjà impliqués dans la crise de part leur position professionnelle et de l’institution qu’ilsreprésentent (Natixis et le gouvernement). Il y a une deuxième opposition entre les politiquesmonétaires européenne et américaine. A cette opposition on peut ajouter l’opposition entreBen Bernanke et Alan Greenspan dans la recherche de responsabilité.

Comme le souligne Pierre Lejeune19, à l’heure du tout économique et des discoursmartelés sur les lois du marché et la globalisation, le quatrième pouvoir que constituent lesmédias se présente comme une alternative à la pensée unique, celle des experts. Son livreamène, cependant, plusieurs questions :

Est-ce que la vulgarisation économique est aussi efficace que celle scientifique ?Le lecteur a-t-il les clefs de compréhension de la situation et une lecture critique d’un

article ? Au contraire, peut-on parler d’aliénation ?Les informations économiques concernent-elles seulement la « température » et les

perspectives de l’économie ?À la vue de l’analyse effectuée, il semble que la vulgarisation économique ne soit pas

aussi poussée que celle scientifique. En effet, il n’est pas sûr que le lecteur dit « lambda »comprenne tout d’un article sur la crise des subprimes. Il faut cependant noter, à l’instar deSophie Moirand que les journalistes comme les experts ont recours à des reformulations.Cet effort est produit pour répondre à la nécessité d’intéresser des classes de destinatairespotentiels que l’on présume davantage accrochés par l’incidence de ces objets sur la viesociale et la polémique économico politique que cette crise suscite.20

4.4 Comparaison avec les crises environnementales,la crise de la « vache folle » et celle de l’ « e-krach »en bourse

Il peut être intéressant de comparer la crise avec d’autre et de voir si le discours est construitde la même façon. Je me base alors sur deux crises : la première, volontairement différente,dite de la vache folle et celle, dans le même domaine, de l’e-krach.

19 Pierre Lejeune, Discours d’experts en économie, Lambert-Lucas, Limoges, des Notes de l'Insee a la Rubrique Economiedu "Monde", 2004

20 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p.

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IV/ Mise en perspective des analyses

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Crise environnementale 21

Une des thèses principales de Ulrich Beck concernant la société du risque est que « laproduction sociale des richesses » est désormais inséparable de « la production sociale derisques », et, par conséquent, l’ancienne politique de distribution des « biens » (revenus,travail, sécurité sociale) de la société industrielle est relayée par une politique dedistribution des « maux » (dangers et risques écologiques). Induits et produits nonintentionnellement par la modernisation même, les hasards écologiques et l’expropriationécologico-économique qui s’ensuit (faillite des éleveurs de bœufs, déconfiture des pêcheursnormands, débâcle du secteur touristique, etc.) deviennent un des thèmes principaux desdiscussions privées et publiques des citoyens qui exigent une régulation politique.

Contrairement aux catastrophes naturelles de la société pré-industrielle, qui étaientle fruit du « hasard », et aux dangers de la société industrielle – qui étaient, eux, lerésultat de décisions sociales et politiques mais sont toujours restés limités dans le tempset dans l’espace, et qui étaient perceptibles, prévisibles, contrôlables et assurables –, lesrisques de la société post-industrielle sont fabriqués socialement et présupposent la prisede conscience d’un danger dont la probabilité est prédictible, mais contre lequel on ne peutnéanmoins plus s’assurer – les assurances s’y refusant en effet au regard de l’ampleurpotentielle du drame tant au plan écologique qu’au plan économique. À la différencedes dangers et des risques « classiques », ces nouveaux risques ne sont donc pas deseffets externes, mais bien des effets internes à la société (manufactured uncertainty),présupposant une auto-attribution des dangers. Ce caractère interne du risque ici attribuéà des catastrophes environnementales est le même lors d’une crise économique qui a étéproduite et générée par le même système qu’elle met en danger. Les crises économiquesdepuis 1929 sont générées par la finance internationale et non plus à cause d’une mauvaiserécolte due à une météo peu favorable.

La crise de la vache folle

Selon Daniel Schneidermann22, un emballement médiatique s’est produit autour de lacrise de la maladie de kreutzfeld Jacob. « Un emballement est une symbiose miraculeuseentre les discours publics et les attentes intérieures. C’est un moment de superpositionoù la légende cauchemardesque colpportée par l’extérieur vient exactement recouvrirles représentations qui nous obsèdent ». Cet emballement médiatique s’est égalementmanifesté lors de la crise des subprimes. Dans ce cas, les représentations qui nousobsèdent sont celles décrites par le troisième reportage de C dans l’air : la récession, lechômage et toutes les représentations issues des précédentes crises économiques.

Il n’y a pas de crise sans retentissement médiatique, sens cet emballement dontparle Schneidermann. L’analyse systémique oblige, bien au contraire, à identifier les forcesen présence et les interactions, les enjeux de pouvoir. A chaque crise les médias sonten position centrale au cœur même des prises de parole et des mises sur agenda. Lesjournalistes jouent le rôle d’arbitre et possède à la fois le pouvoir de conclure et d’orienterle débat.

Dans le cas de la crise de la vache folle, fin 1995, la presse dévoile que dix personnesont été contaminées par la maladie de Creutzfled-Jacob. Cela suscite de nombreusespolémiques. Des associations demandent le retrait du bœuf dans les cantines. La presse

21 Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Éditions Aubier, 2001 ; édition originale :Risikogesellschaft, Francfort, Suhrkamp Verlag , 1986.

22 Daniel Schneidermann, in Rémi Mer, Vache folle : les médias sous pression, dossier environnement INRA numéro 28.

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relaie les inquiétudes croissantes de la population. Dans ce cas, la presse s’est faite lerelais des pressions de l’opinion. En ce qui concerne la crise des subprimes, les médiasne se sont pas fait le relais de l’opinion publique mais du vent de panique qui courait surles places boursières. D’autres points communs sont à noter. Tout d’abord, dans les deuxcrises, on a du mal à identifier les modalités de transmission, à comprendre l’ampleur et lesconséquences à terme de la crise en question.

Pour la crise de la vache folle on ne comprenait pas comment des animaux avaient pucontaminer des êtres humains. Pour la crise des subprimes, on ne comprend pas les causesde transmission entre le marché américain des crédits hypothécaire et Wall Street puis lesplaces boursières à travers le monde. Ce phénomène de globalisation est découvert dansles deux crises : on essaye de circonscrire la crise à un pays mais elle semble échapperaux frontières nationales. Dans le cas de l’ESB, la menace apparaît de l’autre côté de laManche, pour les subprimes de l’autre côté de l’Atlantique. Il faut croire que les crises n’ontpas peur de l’eau puisqu’elles ont traversé mer et océan avec la globalisation.

Une façon de contrôler la crise est la labellisation. Dans la crise de la vache folle,une grande communication s’est faite autour du label AOC, pour les subprimes, lesEtats demandent aussi beaucoup une traçabilité plus grande avec des catégorisations deproduits. Avec l’introduction de la labellisation, il y a l’idée de reformer et de construire denouveaux cadres de réflexions et repères afin de remplacer ceux qui ont été délégitiméespar la crise. Ainsi, les agences de notation dans la crise des subprimes ont été montréesdu doigt pour avoir construit des repères de qualité en matière de produits financiers quin’avaient pas pu déceler le problème de ces crédits subprimes. Les labels ne veulent plusrien dire, donc les économistes appellent à une standardisation des produits financiers afinde savoir de quoi ils sont composés. D’après tous les spécialistes, le remède miracle seraitl’introduction d’une nouvelle transparence. Dernier point commun entre ces deux crises,chaque mesure de sécurité ou de communication cherchant à rassurer en, premier lieualiment les craintes et relance les doutes sur l’état de la sécurité intérieure.

Les deux crises deviennent une vraie mine de rebondissements autoproductriced’événements : la presse fait réagir l’opinion publique qui fait ensuite réagir de nouveauxles médias. L’événement est alors une mine d’or pour la presse et une vraie bombe pourla filière incriminée23. Faute d’éclaircissement notoire, les informations se succèdent, et,parfois, se contredisent. Les experts sont également divisés. Les médias cherchent à toutsavoir, et encore plus ce qu’on leur a caché.

Le risque est à la Une. Les médias ont un rôle révélateur et amplificateur. Avec le recul,ceux-ci mettent à nu des risques auparavant cachés, en les rendant précisément visibles.Ils révèlent également des procédés de rétention et d’occultation des informations sur cesrisques de plus en plus proches et perçus comme menaçants. Dans la crise des subprimes,les banques sont clairement incriminées. Le journaliste Stephane Le Page dans l’article desEchos du 17, août 2007 intitulé Les places boursières affectées par les valeurs financièreset leur exposition commente le communiqué de la BNP qu’il qualifie de « laconique » : « Lecommuniqué �…� a fait l’effet d’une bombe ». La banque qui avait pourtant, seulement unesemaine auparavant, confirmé que la banque contrôlait la situation. A partir de là la crisepasse en Une. Le danger se fait plus oppressant. Les médias alimentent d’autant plus ledébat public et mettent en scène les multiples acteurs et protagonistes et font de la crise

un drame collectif 24 .

23 Rémi Mer, Vache folle : les médias sous pression, dossier environnement INRA numéro 28.24 Ibid

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IV/ Mise en perspective des analyses

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L’impact de la crise tient-il à l’emballement médiatique ? Le rôle révélateur et l’état desensibilité des esprits tiendraient alors de l’alchimie de l’actualité, à la merci des accidentsde la vie : les faits, les fautes, les fraudes et les fuites qui forment les quatre « F » maléfiquesde toute crise25.

L’e-krach, la crise de l’Internet 26

Le travail d’Elsa Poudardin sur l’emballement médiatique qui a entourél’expression « nouvelle économie » nous a montré que l’information boursière occupaitune place dominante dans les articles économiques publiés entre 1999 et 2001. L’entréefulgurante sur la scène médiatique de cette expression « nouvelle économie » a transforméles modes de présentation et les contenus de l’information économique grand public.« Nouvelle économie » est devenue en peu de temps, ou la cause ou l’explication de toutel’actualité, des résultats sportifs aux bilans comptables des entreprises. Cette utilisation d’unmot symbolique est commune au terme de nouvelle économie et à celui de subprimes.

La différence entre les deux appellations est que le terme subprime désigne les crédits,

la cause de la crise et l’événement de la crise elle-même (mot-événement 27 ). Pour la

crise Internet de 2000, l’événement était désigné par le terme d’e-krach qui désigne ledégonflement par paliers successifs de la bulle spéculative créée autour des valeurs desnouvelles technologies et de l’Internet.

Au départ, la chute des cours n’apparait pas dramatique. Beaucoup d’articles laprésentent même comme intégrée à un cycle économique classique pouvant lui-êtrebénéfique. Cette thèse est reprise régulièrement à chaque crise. La crise des subprimes n’yfaisait pas exception. Cependant, cette thèse n’a pas résisté longtemps face à l’ampleur queprenait la crise que nous étudions. Dans le cas étudié par Elsa Poudardin, l’« ajustement »est nécessaire selon les journalistes de Libération. C’est un « retour à la normal »« souhaitable » et « un avertissement salutaire » pour le Monde. Pour la crise des subprimes,on retrouve ce discours de la part d’experts, mais le discours journalistique est plutôtalarmant parlant de crise, de récession et de risque de chômage engendré et exacerbé parla crise.

L’explosion du nombre d’articles témoignant de l’importance de la crise est un autrepoint commun entre les deux crises. Dans les articles traitant de l’e-krach, les journalistesprotègent l’institution boursière en soulignant le caractère rationnel, économiquement etsocialement salubre de l’arrivée dudit krach. Ils s’emploient à justifier le système dans sonentier. Elsa Poudrardin explique cela : « les économistes imputent généralement a posteriorià la presse économique une responsabilité dans la survenue des crises boursières. Ils luireprochent d’avoir déclenché la panique et/ou d’avoir entretenu l’euphorie. » Les journalistespréfèrent se protéger. Les vrais responsables de la crise seraient à leurs yeux les autres,les experts dont ils n’ont fait que retranscrire les avis. L’analyse des articles sur l’e-krachrévèle l’existence d’une crise relationnelle entre experts et médiateurs.

25 Ibid26 Elsa Poudardin, La crise boursière d’avril 2000 dans les articles autour de la « nouvelle économie » in Michèle Gabay,

Communiquer dans un monde en crise : images, représentations et médias.27 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire

, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p.

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V/ La presse et l’événement subprime.

5.1 Historique de la relation de la presse à l’événementAvant la presse moderne, la presse commentait et expliquait un événement. Celui-ci etaitdiffusé dans le journal qu’après son occurrence. Aujourd’hui, les médias provoquent laconstitution de l’événement et parfois, le choc des réactions d’une opinion sensibilisée

provoque un événement plus important que celui qui a mobilisé l’opinion 28 . Il faut cependantdifférencier l’événement de l’avènement. Les exigences de la « nouvelle » journalistique

décrite par Boorstin 29 : court, actuel, inattendu, dramatique et sensationnel. La différenceentre un événement et un « avènement » est la coupure occasionnée par celui-ci par rapportaux flux des autres faits de l’époque. À partir de cette définition de l’événement, on peutd’ores et déjà classer la crise des subprimes comme un événement.

L’événement avant la grande presse d’informationAu XIXe siècle la typologie d’un événement dépendant de la notabilité des personnes

impliquées et de la prépondérance de l’événement politique et économique. Lesévénements majeurs sont souvent en une mais aussi dans la chronique boursière à uneépoque où le lecteur est le plus souvent bourgeois.

Depuis la grande presse d’informationDe 1880 à la Seconde Guerre mondiale, la presse devient la principale source de

connaissance de l’événement. Elle joue également le rôle de relais d’opinion. Il ne suffit plusà la presse de commenter l’événement, elle va à sa recherche. Il y a plusieurs évolutions.Tout d’abord, l’événement est politisé, c’est-à-dire expliquer en fonction d’une idéologie. Ily a l’apparition d’événement dans les champs scientifique et économique. Enfin, les faitsdivers prennent le statut d’événement.

L’omniprésence du visuelAvec l’arrivée de la télévision puis d’internet, le visuel est devenu prédominant. Cette

analyse est également valable pour la presse quotidienne qui a dû à plusieurs repriseschanger de maquette pour devenir, elle aussi, plus visuelle. Cela marque aussi uneévolution de la presse d’opinion à la presse d’information (news to use) : il y a beaucoupd’événements, peu de commentaires. Dans le cas de la crise des crédits hypothécaires àrisque cela signifie que les informations données sont essentiellement d’ordre boursier ouparlent de décisions de politique monétaire. Ce sont des informations que les investisseurspeuvent directement utiliser même si les propos des journalistes portent principalementsur l’incertitude propre à la situation de crise. Il y a cependant un glissement après la

28 André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986.29 Daniel J. Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain ( The Image: A Guide to Pseudo-Events in America, éd. VintageBooks), éditions Julliard, coll. « 10/18 », Paris, 1961 (1963 pour la France)

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V/ La presse et l’événement subprime.

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première phase d’incompréhension : on essaye de comprendre ce qu’il se passe, ceux quiont provoqué la crise.

5.2 Les subprimes ou un « Grand événement » 30

Les Caractères du grand événement selon Jean-Guy Sarkis :Propriétés d’ordre temporel et structurelL’imprévisibilité : On ne peut savoir sûrement à l’avance si, quand et comment il va se

produire :Spontanéité : L’homme n’a plus d’emprise absolue sur les événements malgré une

volonté de contrôler tous les paramètresL’imprévisibilité peut être d’ordre naturel comme le tsunami ou peut être de nature

humaine. L’homme peut être débordé par les conséquences tout à fait inattendues de sesactes.

L’imprévisibilité prospective opposée à la prévisibilité rétrospective :Rétrospectivement, l’événement qui a lieu semble tout à fait prévisible.

L’irréversibilité : L’événement produit ne peut être inversé et les conséquences de celui-ci ne peuvent qu’être limitées.

L’irrésistibilité : L’événement s’impose et tranche dans l’ordre supérieur qui est celuidu politique. Dans la dimension politique, l’événement tient une place éminente puisqu’ilconditionne tout le politique, en le fragilisant et en le précarisant. L’événement conditionnel’activité de l’homme politique

La crise des subprimes était bel et bien imprévisible même si certains, comme AngelaMerkel, avaient tiré la sonnette d’alarme. Les divers commentateurs, qu’ils soient experts,journalistes ou victimes, n’avaient pas vu venir la crise. Le spécialiste de LCI, Thomas Blard,dit que « Tout le monde est content ». La femme en pleurs interviewée par TF1, de la mêmefaçon, n’a pas vu venir la crise. Les économistes ont perdu prise sur les produits financiersqu’ils avaient créés. Ils sont « débordés par les conséquences tout à fait inattendues deleurs actes ».

Les aspects relatifs de l’importance de l’événementImportance différentielle : La classification des événements se fait en fonction de leur

importance respective en les considérant les uns par rapport aux autres.Importance référentielle : L’Histoire donne un élément de comparaison et donne une

idée de l’importance de l’événement.La portée concerne alors non seulement la dimension spatio-temporelle mais aussi

le domaine des conséquences et répercussions (dans un rapport direct de cause à effetpour le premier et indirect pour le second). Certains événements ont une portée telle qu’elles’impose aux journalistes : l’Homme a marché sur la Lune. Dans la plupart des cas, le rôledu journaliste tient de la reconnaissance à la révélation d’un fait en tant qu’événement. Lesjournalistes peuvent augmenter ou diminuer l’importance de tel ou tel événement même si

30 Sarkis Jean-Guy, La notion de grand événement, passages, CERF, 1999

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les extrêmes leur sont interdits. Pour la crise des subprimes, la chute des cours a bel etbien imposé l’événement aux journalistes.

Par ailleurs, l’événement doit exprimer quelque chose de fort pour l’homme. Il doit êtreen relation avec ce que l’homme a de plus cher : la vie, la liberté, la sécurité, les valeurset les croyances… Plus l’homme se sent impliqué, plus l’événement gagne en importance.Par exemple, sur des événements sociaux, le nombre de « victimes » est un élément debase. Dans le cas de la crise des subprimes, la crise immobilière met des individus dehors,ce qui atteint non seulement leur sécurité mais aussi toutes les croyances réunies sousl’appellation de l’american way of life.

5.3 Les logiques journalistiques et lecturesévénementielles des faits d’actualité

Pour Pierre Nora 31 , l’événement est par essence médiatique. Il n’existe plus sans samédiation. Il y a alors deux postures sur la définition de l’événement. Les médias maturentl’événement existant et en font un objet du réel, lui donnent un corps.

En réaction, l’histoire du temps présent entreprend de renverser le stigmateévénementiel, au risque, parfois, de confondre l’événement avec sa manifestationspectaculaire. Un article classique de Pierre Nora sur « le retour de l’événement » (1973),qui fixe aussi le programme théorique d’une « histoire contemporaine », illustre bien ce partipris. L’événement, rapport au temps, à l’histoire et à l’actualité, caractérise selon l’historienla modernité démocratique. « Son apparition paraît dater du dernier tiers du XIXe siècle,explique-t-il d’entrée. Ainsi l’affaire Dreyfus constitue-t-elle peut-être, en France, la premièreirruption de l’événement moderne, le prototype de ces images d’Épinal sorties tout arméesdu ventre des sociétés industrielles et dont l’histoire contemporaine ne cessera plus dereproduire les exemplaires, à partir d’une matrice comparable. »

Ce qui définit l’événement dans sa modernité, c’est qu’il n’existerait que par les massmedia : « Dans nos sociétés contemporaines, c’est par eux et par eux seuls que l’événementnous frappe, et ne peut pas nous éviter. » La médiatisation ne se contenterait pas de relayerl’événement. Pour Pierre Nora, elle le constitue : « Presse, radio, images n’agissent passeulement comme des moyens dont les événements seraient relativement indépendants,mais comme la condition même de leur existence.

La publicité façonne leur propre production. « Des événements capitaux peuvent avoirlieu sans qu’on en parle », concède l’historien. Mais « le fait qu’ils aient eu lieu ne lesrend qu’historiques. Pour qu’il y ait événement, il faut qu’il soit connu ». Aussi l’événementexisterait-il uniquement dans ce rapport au temps qui accompagne la médiatisation, celuide la modernité.

Pour le philosophe Gilles Deleuze 32 , « les événements sont idéaux ». En effet, « ladistinction n’est pas entre deux sortes d’événements, elle est entre l’événement, par natureidéale, et son effectuation spatio-temporelle dans un état de choses. Entre l’événement etl’accident ». L’événement, ce n’est pas qu’il se passe quelque chose, quelque important

31 Pierre Nora, le retour de l'évènement, dans Faire l’Histoire, dirigé par Jacques Le Goff et Pierre Nora, Gallimard, Paris 1974, vol.7.32 Deleuze G., 1969. Logique du sens, Paris, Ed. de Minuit.

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V/ La presse et l’événement subprime.

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que ce soit, mais plutôt que quelque chose se passe – un devenir. On n’est pas, commepour l’accident, dans l’ordre des faits, mais dans celui des « incorporels » : l’infinitif, et nonle substantif.

Il ne faut donc pas confondre l’événement avec sa manifestation, comme le proposaitPierre Nora : la médiatisation n’est en effet que la matérialisation de l’événement, quinous fait basculer dans le registre « corporel ». Ainsi, l’événement n’est pas défini parson importance médiatique : « Le mode de l’événement, c’est la problématique. Il ne fautpas dire qu’il y a des événements problématiques, mais que les événements concernentexclusivement les problèmes et en définissent les conditions. » Bref, « l’événement par lui-même est problématique et problématisant ». Avec l’événement, c’est l’intelligibilité qui faitproblème – qui devient problématique, qui est problématisée. N’allons pas croire pourtantque la référence philosophique nous éloigne de l’histoire. Gilles Deleuze retrouve l’Affaire,et dans la même page, pour penser la singularité de l’événement, il cite Charles Péguy : « Ily a des points critiques de l’événement comme il y a des points critiques de température,des points de fusion, de congélation, d’ébullition, de condensation ; de coagulation ; decristallisation. »

Les journalistes ne font pas advenir une réalité inexistante, mais leur mise en scène del’information contribue à doter un fait d’une valeur relative, en lui donnant une plus grandevisibilité, au point, parfois, d’écraser tous les autres faits. Il est intéressant de noter uncertain mimétisme, une auto-alimentation au sein des médias, qui contribue à amplifier lephénomène de médiatisation de l’événement par un effet d’emballement désormais bien

repéré 33 .Il y a une véritable lutte sur la scène médiatique pour la définition des termes. Cela

semble anodin mais il est courant de dire chez les avocats que définir le problème selonses mots, c’est déjà gagner le procès. Le cadrage donc est très important puisqu’on imposeses valeurs. La définition d’un problème est un véritable enjeu politique : celui qui le définitpose également les règles du jeu.

Il ne faut cependant pas réduire le rôle des journalistes à celui de victimes. Ils ontla capacité d’annoncer, de définir et d’amplifier l’état de crise. Le sensationnalisme dontfait preuve le Nouvel Observateur a un rôle d’amplificateur. Une crise crée une situationde stress, « un état socio-émotionnel de la collectivité, marqué par des phénomènespsychologiques : rédaction de défense, démoralisation, dissociation, rumeurs…” ( A.Mucchielli, 1993). Jouer sur cette corde sensible, dramatiser la situation équivaut a unefusion entre l’informatif et le sensationnalisme.

Selon Dan Berkowitz 34 , la première réaction d’un journaliste lors du déclenchementd’une crise est de s’écrier « what a story !”, Mais après un temps, les journalistes cherchentdes ressources disponibles, apportant ainsi une valeur ajoutée : c’est pour cela que lesexperts sont si convoités. Ce sont les positions dans l’espace social qui déterminentles conditions de prise de parole. Les médias peuvent difficilement se passer de l’avisd’économistes pour décrire une crise. Mais ces derniers ont leurs pratiques langagièrespropres : un vocabulaire, des tournures privilégiées. Par leurs jeux de langage, ils imposentun cadre aux journalistes.

33 Jocelyne Arquembourg, De l'événement international à l'événement global in Hermès n°46 - 200734 Dan Berkowitz , Social Meanings of News, Sage publication, 1997

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Les conditions de l’émergence médiatique d’un événement à l’échelle internationale 35

sont les suivantes :Intensité émotionnelle,Possibilité d’accéder au terrain,Existence d’acteurs sociaux à même de valoriser un phénomène et de fournir une

interprétation événementielle,Possibilité de recordage des faits qui permet aux journalistes de lui plaquer des

schémas préalables d’appréhension du monde, en le considérant comme exemplaire ou aucontraire comme une rupture, un moment qui oblige à revoir nos cadres interprétatifs,

Degré de concurrence avec d’autres faits éligibles au rang d’événement. Cette éligibilitéest elle-même conditionnée par la concurrence médiatique. Les médias influent les uns surles autres, au point que des phénomènes d’auto-alimentation apparaissent,

Effet d’agenda.

5.4 Typologie de l’événement des subprimes

Aujourd’hui l’événement médiatique peut être caractérisé et analysé grâce à la

typologie établie par André-Jean Tudesq 36 . Grâce à celui-ci, on peut comprendre quel’événement de la crise des crédits à risque a été constitué comme tel par la presse par sonextra-ordinarité. Comme le dit l’auteur de 'La presse et l’événement', « certaines réalitéss’imposent à la presse comme une guerre, une révolution, un changement de chef d’État. »La crise financière bouleverse les codes établis et le système financier mondial est ébranlé.Il est probable que dans ce cas, l’événement retenu par les journalistes le soit aussi parles historiens, même si « les événements retenus par l’histoire ne sont pas forcément ceuxretenus par la presse. »

La crise touche de nombreux Américains dont le mode de vie et de consommation estsouvent érigé en modèle. La première relativité de l’événement est donc sociologique. Descroyances profondément ancrées dans l’imaginaire occidental avaient déjà été fortementébranlées par le 11 Septembre. Il semble que la crise des « subprimes » engendre unenouvelle faille dans le système américain et surtout dans cet American way of life que l’oncontinuait d’admirer malgré les critiques d’ordre politique. Il semblerait que la désillusion soitla même que celle décrite dans la pièce de théâtre Death of a Salesman d’Arthur Miller. Lasituation est celle d’une famille moyenne américaine désillusionnée par le rêve américaindans les années 30, à la suite de la crise de 1929.

Pour compléter la définition de cet événement, on peut utiliser la typologie deMolotoch et Lester, l’événement des subprimes n’est pas « un événement de routine »

35 Arnaud Mercier, Logiques journalistiques et lectures événementielle des faits d’actualité in Événements mondiaux-regardsnationaux, Hermès n°46 - 2007.

36 André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986.

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ni un « accident ». Elle peut tenir du « scandale », avec la recherche du coupable 37

l’accompagne, Cependant cela semble encore insuffisant pour encadrer cet événement. Je

vais donc utiliser la typologie nouvelle d’un professeur d’Histoire genevois 38 .

Il est vrai que notre champ d’analyse est focalisé sur les médias mais l’étude del’événement ressortit à plusieurs domaines, notamment les sciences humaines et politiques,Elle ne saurait être restreinte à celle des media studies. Je prendrai donc la liberté d’utiliser latypographie ci-dessous pour pouvoir montrer, autrement que par les dires des journalistes,que l’événement « subprimes » est bien de l’ordre de la crise.

5.5 L’événement subprime est une criseIl y a crise quand l’issue de l’événement est incertaine, quand les informations dont ondispose sur l’événement ne permettent pas d’en prévoir l’issue. Une crise désigne, parconséquent, un événement considéré comme une déconstruction de la sociabilité : lesacteurs se jugent les uns les autres et nous devons repenser notre appartenance, notre

sociabilité, notre existence sociale 39 .Il y a déconstruction de trois façons. Les institutions bancaires et économiques n’ont

plus été en mesure de jouer pleinement leur rôle dans l’espace public. Les médiaséconomiques et l’information économique des médias généraux n’ont plus été en mesurede prévoir et, par conséquent, n’ont plus assuré leur rôle dans l’espace des médias. Les"victimes" individuelles, personnelles, de la crise, se sont vues perdre leur sociabilité et ladimension collective de leur identité.

Il y a crise quand l’issue de l’événement est incertaine, quand les informations donton dispose ne permettent pas d’en prévoir l’issue. Une crise désigne, par conséquent, unévénement considéré comme une déconstruction de la sociabilité : les acteurs se jugent les

uns les autres et nous devons repenser notre appartenance, notre existence sociale 40 .La déconstruction a trois causes :Les institutions bancaires et économiques n’ont plus été en mesure de jouer pleinement

leur rôle dans l’espace public.Les médias économiques et l’information économique des médias généraux n’ont plus

été en mesure de prévoir et, par conséquent, n’ont plus assuré leur rôle.Les "victimes" de la crise ont perdu leur sociabilité et la dimension collective de leur

identité.

37 Harvey Molotch and Marilyn Lester, News as Purposive Behavior: On the Strategic Use of Routine Events, Accidents, andScandals , A merican Sociological Review , Vol. 39, No. 1 (Feb., 1974), pp. 101-112 , American Sociological Association

38 Michel Hammer, Histoire et politique internationale, Cours de l’année académique 1999/2000, Graduate Institute ofInternational Studies, Geneva 39 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006

40 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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La crise ! Le mot a été lancé, souvent sans définition. On peut trouver des définitionsde crise financière, de crise économique, mais le mot crise est utilisé sans explication,comme s’il était évident pour chacun, une institution. Étymologiquement, il vient du greckrisis utilisé dans le domaine médical, puis pour caractériser une situation, d’abord militairepuis politique. Il y a aussi une dynamique dans la crise : il faut la comprendre, trouver sesracines pour ensuite intervenir, corriger le tir. Dès lors, diagnostiquer une crise sert à justifierune intervention. Il faut analyser les groupes d’intérêts, leurs discours de crises, quellesvues ils cherchent à imposer.

La typographie de Michel Hammer permet de voir que la crise, si elle est soudaine danssa manifestation, trouve ses racines profondément dans l’histoire. Il parle d’extériorisationdu cache, de l’occulter, du résiduel ». Cette expression, qui peut paraître anodine donne lesraisons de la chasse au bouc émissaire inhérente au traitement médiatique de la crise.

Il est important de comprendre ce que les journalistes entendent par crise économique.Quand on parle de ces crises, un passé est évoqué, une mémoire commune est mobilisée.Cela correspond à une institution. C’est pour cela que les journalistes ne définissent pasclairement ce qu’est une crise économique.

Pourtant c’est une notion dynamique qui a évolué en fonction des époques. En 1929,un effondrement des cours boursiers met fin à une période d’expansion déséquilibre etl’économie entre en récession. Mais depuis 1973, crise désigne la plupart des difficultéssubies par l’économie. Arrive alors le paradoxe des crises chroniques.

L’idée de crise économique appelle des représentations collectives dramatiques :queues de chômeurs, soupes populaires, paniques boursières…

Si l’utilisation du terme crise économique sans explicitation peut-être justifiée par unpassé connu des lecteurs, il est plus étonnant de voir la façon dont les journalistes utilisentle mot « subprime » comme s’il résumait l’événement à lui seul, alors que la réalité est,évidemment, bien plus complexe. « subprime » n’est que la note accordée à un type decrédits. Leur développement incontrôlé, l’augmentation, due à des facteurs exogènes, destaux d’intérêts qui en a renchéri le coût au-delà du supportable et le retournement du marchéimmobilier permettent de décrire brièvement une situation qui ne saurait être réduite à unecause unique et résumée en un mot.

5.6 Du sensationnalismeLe sensationnalisme médiatique paraît être l’amplification temporaire de la tendancenaturelle des journalistes à privilégier le côté négatif des événements (les trains qui arriventà l’heure n’intéressent personne…). Pendant les épisodes de sensationnalisme, pourrépondre rapidement à une demande d’information de la part du public, les journalistesgardent essentiellement la même posture mais multiplient les articles ou les reportagesalarmistes sur un sujet particulier. Ce qui conduit notamment un chercheur comme Glassner41 à soutenir que les médias cherchent à faire peur afin d’en tirer des avantageséconomiques, plutôt que d’informer de façon rigoureuse et équilibrée.

Evoquant l’affaiblissement de la fonction de chien de garde du journalisme d’enquêtepratiqué chez les grands réseaux de télévision commerciale aux États-Unis, Kovach et

41 Glassner, Barry. The Culture of Fear: Why Americans are Afraid of the Wrong Things, New York, Basic Books, 1999, 276 p.

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V/ La presse et l’événement subprime.

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Rosenstiel sont d’avis que plusieurs de ces émissions ont des apparences de journalismed’enquête, sauf qu’au lieu de surveiller les puissants et de protéger la société de leurtyrannie, ils s’intéressent surtout à la sécurité personnelle des gens ou à leurs portefeuillesen dénonçant les mécaniciens douteux, le manque de sécurité des piscines publiques, etc.Ils se réfèrent notamment à une étude réalisée en 1997 concernant ces newsmagazines,présentés aux heures de grande écoute, selon laquelle ce genre de journalisme ignorela plupart des enjeux typiquement reliés à la fonction de chien de garde de la presse. Ilsdéplorent également le traitement sensationnel d’enjeux parfois de grande importance dont

traitent ces émissions 42 .

Frost 43 estime que les probabilités de sensationnalisme médiatique sont plus élevées

au début de la couverture médiatique d’un événement qui suscite l’intérêt du public, quandles journalistes cherchent à répondre à cette demande subite pour une information de qualitédifficile à obtenir

5.7 Le temps de l’événement

Selon Paul Ricœur, il y a trois phases dans la genèse et le dévelope de l’événement 44 :

Émergence de l’occurrence proprement dite,Recherche de sens,Dilution de l’événement dans le récit construit à son propos.

Les récits journalistiques comportent une triple projection dans le temps 45 :Un mouvement en arrière dans le but de découvrir certaines causes, provisoirement

présentées comme étant primordiales,Une reconstitution de l’ensemble des chemins possibles depuis les causes détectées

jusqu’aux effets observés,Une approche prospective, en anticipant les conséquences.Le présent se situe entre la « nécessité rétrospective » et une « contingence

prospective ».Si, en amont, l’événement est coupé de son ascendance, il engendre en aval une

descendance innombrable. Des crises et des sorties de crise, de la refondation d’un ordrepolitique ou de l’arrivée des étrangers qui 'ont tout bouleversé', le souvenir est conservé,la mémoire élaborée, de génération en génération, dans des paysages, des objets, des

généalogies, des récits, des commémorations. Car, comme le rappelle Paul Ricœur 46

42 Kovach, Bill et Rosenstiel, Tom. The Elements of Journalism: What Newspeople Should Know and the Public Should Expect,New York, Crown Publishers, 2001, 205 p.

43 Frost, Chris. Media Ethics and Self-Regulation, Harlow, Longman, 2000, 271 p. 44 Paul Ricoeur, Evénement et sens publié dans la revue raisons pratiques, 1991, P 41-55.

45 Alain Flageul, Dossiers de l’audiovisuel, 2002, p21-25.46 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli , Le Seuil, 2000 .

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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, « l’événement, en son sens le plus primitif, est cela au sujet de quoi on témoigne. Ilest l’emblème de toutes les choses passées (praeterita) ». Point d’événement donc sansrécit, sans remontées vers la rupture initiale et, de là, redescentes jusqu’au narrateur.Ainsi, le temps contracté de l’événement accouche d’une logorrhée narrative qui, à traverschroniques, épopées et histoires diverses, énonce encore et encore de ce par quoi l’époquenouvelle est advenue.

La crise comme événement discontinu 47

C’est toujours a posteriori qu’un événement peut être reconnu comme une crise : aucœur du réel qui nous est imposé, nous ne sommes pas en mesure de prendre la distancequi nous permet de repenser notre identité. La crise économique, financière, politique de1929 est considérée comme LA crise car à l’issue de cet événement de nouvelles logiquesont commencé à structurer le monde.

Le temps et les acteurs de la crise 48

La représentation de l’événement sous la forme d’une crise lui donne une temporalité :différents moments qui marquent l’historicité d’une crise. En créant l’attente du dénouementprévisible de la crise, les médias inscrivent la représentation de l’événement dans leslogiques d’un récit avec sa temporalité, son suspens (l’effet d’attente produit par ladramatisation de l’information), mais aussi la détente que constitue son dénouement.

Au cours d’une crise, les acteurs ont à se situer, à adopter une certaine position les unspar rapport aux autres, à faire face à certains enjeux de pouvoir, d’identités qui définissentla dimension proprement politique de la crise.

Représentation et implications des crises 49

« Sur le plan réel, la représentation met en œuvre des institutions et des acteurs quidonnent une consistance politique à la représentation du peuple

La représentation symbolique signifie les choix, les orientations et les opinions dupeuple assemblé, qui, de ce fait, voit reconnaître la signification de ses choix, d’unengagement politique.

L’imaginaire politique donne à voir de façon fantasmatique et immédiate, les acteurs dupolitique désormais structurés dans leur pratique symbolique. »

Le discours médiatique remet en cause la vision linéaire de la communication etrelève plutôt d’un modèle circulaire : "les médiateurs construisent une communicationqui tient compte des discours qui les informent à destination, entre autres, de ceux-làmême qu’ils convoquent et qu’ils interrogent, lesquels reprennent à nouveau ces discoursreconstruits à destination d’autres communautés mais aussi de ces mêmes médias, qui les

retransmettront à nouveau, etc." 50

47 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 200648 Idem49 Idem50 Sophie Moirand, p. 158

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V/ La presse et l’événement subprime.

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5.8 La crise des subprimes, un objet politique derapport de force

La société se manifeste d’habitude comme « un système bien structuré, différencié et

hiérarchisé de positions économiques, juridiques et politiques. » 51 Cette structure, queTurner dénomme 'societas', se sent menacée par toute forme de changement. Au momentoù ce changement peut se produire (catastrophes naturelles, conflits sociaux, modificationsdues au cycle de la vie et de la mort), les collectivités mettent en marche un ensemble derites qui doivent contrôler le flux du changement.

Dans le langage journalistique, l’événement est confondu avec la simple occurrencemais il y a une différence entre un événement et "l’événement". L’événement implique alorsdeux autres notions : l’événement imbrique le regard d’un public et il est ce qui se remarque.

Il y a trois types d’acteurs dans une crise 52 :Les médias sont confrontés à ce qui fait rupture. Ils participent à la construction du sens

de ce qui arrive.Les acteurs impliqués dans l’événement qui ont un rôle dans elles médias qui peut aller

d’une collaboration consensuelle à un rapport de force ouvert.Le public sur lequel les médias ont un impact supposé. Ils peuvent vouloir anticiper,

instituer ou susciter telle ou telle réaction du public. Le traitement médiatique d’unévénement implique la présence d’un public qui affecte en retour l’événement lui-même.

La construction d’un événement n’est donc pas du simple ressort des acteurs. Ainsi, ladéfinition médiatique de la crise des subprimes, ainsi que la façon dont le public la perçoitjoue sur la construction de l’événement subprime.

D’après le sociologue Frédéric Lebaron, la presse économique a une vision du monde

favorable à l’ordre établi 53 :

La « naturalisation de l’ordre économique » passe par l’emploi de système d’oppositionde termes dont l’un est valorisé et l’autre non (mobile/immobile, fermeture/ouverture,défense de privilèges/modernité) et qui s’avère efficace pour peu que ces termes réactiventdes dispositions sociales assez profondes : la valorisation de l’avenir, donc de la jeunessepar exemple.

L’imposition d’un « point de vue de certains acteurs » comme celui des actionnaires.Le développement du « journalisme économique » entendu comme spécialité

journalistique, professionnelle, allant de pair avec un regard et un ton technique et expert.

51 Turner V., 1969, The ritual process, New York,Adline Publ. Process.52 Arnaud Mercier,Logiques journalistiques et lectures événementielle des faits d’actualité in Hermès N°46.53 Frédéric Lebaron, Sociologie en Trente cinq fiches, Dunod, Express, 2007, p160.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Conclusion

le rôle des médias dans l’émergence d’une criseDavid Vannier, représentant du FMI, explique que les médias jouent un rôle important,

si ce n’est primordial. « En effet, les marchés répondent aux émotions. Or, si les médiasn’avaient pas parlé de la crise du sub-prime, les acteurs des marchés n’auraient sansdoute pas répondu avec la même urgence lors des premiers remouds. Sans cette réactionimmédiate, il est possible que les remous ne restent que cela : une légère perturbation.Cependant, la concentration médiatique a fait de ces quelques remous une tempête,et les petits porteurs d’actions, ainsi que les plus gros, ont cherché logiquement à sedéfaire des ses éléments d’investissements. Et la tempête se traduit par les événementsde ces derniers mois ». Dans les mêmes conditions, Christian Chavagneux, rédacteur àAlternatives économiques prend le contre-pied : « Les médias n’ont fait que présenter lacrise de confiance que les banques leur montraient. Les paniques boursières n’ont été quedes épiphénomènes. Le problème central est celui de la qualité du contrôle des risquesdans les banques » 54.

Après l’analyse menée lors de ce mémoire, on voit le rôle de la presse dans la définitionde la crise qui a ensuite nécessairement eu un impact sur les marchés. Cependant, si letraitement médiatique cadre la crise, il s’agit clairement d’une interaction.

Il est permis de se demander si Internet n’a pas augmenté la désinformation et sil’affluence d’articles sur le Web a inquiété les marchés. Après un rapide panorama dela toile, la conclusion que l’on peut en tirer est qu’il y a une véritable rigueur complétéepar un jugement qualitatif de l’ensemble des internautes. Ainsi, sur les sites de presseexclusivement en ligne, les articles ne contiennent pas d’erreurs et le rôle des commentairespermet aux internautes une véritable interaction.

Le plus important à noter est que les articles sur des sites comme Rue 89, Bakchichou Media Part apportent un traitement de la crise véritablement alternatif sur deux points :la vulgarisation est beaucoup plus poussée, il y a une véritable démocratisation du sujet, etla toile offre une véritable tribune pour la critique du système.

Rue 89, dans un article titré « Crise financière : pas de panique ! », explique lemécanisme de la crise comme un professeur d’économie le ferait au lycée. Il n’est pasnécessaire d’avoir des connaissances préalables pour le comprendre. L’article est écrit parCharles Wyplosz, Professeur à l’Institut Universitaire de Hautes études internationales,.L’explication n’a rien de révolutionnaire mais elle a le mérite d’être simple : il a reçu une notede 5/5 des internautes. Par ailleurs, le véritable intérêt est plus dans l’opportunité de débattresur la toile. Il y a des dizaines de réactions qui vont de la simple question de compréhensionà une tribune politique55.

Mediapart, lui, prend le parti de politiser le sujet. Le lien est fait entre les subprimes,la guerre en Irak et le déficit américain dans l’article « L’Irak = Crise des subprimes ?

54 Voir Interviews dans les annexes.55 Charles Wyplosz, Crise financière : pas de panique ! http://www.rue89.com/2007/08/10/crise-financiere-pas-de-panique

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Conclusion

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Oui 56 » écrit par Magnum (pseudo)qui se définit comme étant « analyste financier,banque d’Investissement ». Il faut noter que ces informations sont fournies par l’internauteau moment de l’inscription et ne peuvent être vérifiées. Le ton est ironique presque cynique.

Le troisième site de presse en ligne utilisé comme exemple est Bakchich. Ce sitechoisit d’être une véritable alternative en offrant son espace médiatique comme tribuneà ATTAC dans l’article « Crise des subprimes : ATTAC contre-attaque 57 ». Un desdébats récurrents dans le champ des médias radicaux est de savoir s’il faut concevoir lesmédias militants comme une alternative à l’espace médiatique conventionnel, cherchant àle concurrencer, le réformer ou lui imposer un nouvel agenda, ou bien comme des « médiascitoyens »58 cherchant à multiplier les dispositifs réflexifs au sein de la sphère militante, àfavoriser les expériences de mise en récit des engagements et à faire de la question de la« démocratisation de l’information » un enjeu local, ciblé et spécifique à chacune des luttesengagées.

A l’issue de cette étude, le fait que les médias jouent un rôle clé dans l’émergenced’une crise s’impose comme une évidence. Il apparaît, en plus, que par le traitement qu’ilslui réservent ils peuvent l’amplifier tant dans son ampleur que dans sa durée.`

56 Magnum, L’Irak = Crise des subprimes ? Oui, http://www3.mediapart.fr/club/edition/inside-banking/article/100608/l-irak-crise-des-subprimes-oui

57 ATTAC, Crise des subprimes : ATTAC acontre-attaque http://www.bakchich.info/article4725.html?var_recherche=subprime58 C. Rodriguez, Fissure in the Mediascape. An International Study of Citizen’s Media, Hampton Press, Cresskill, 2001.

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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Annexes

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

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Bibliographie

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Bibliographie

Le corpus est classé par ordre d’apparition dans le mémoire :

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La construction médiatique de la crise « des subprimes »

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