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Institut d'Études Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 Année universitaire 2006-2007 La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural Mélodie Lapostolle Soutenu le 6 septembre 2007 Max Sanier (Directeur de Mémoire) Mémoire de fin d’études d’Institut d’Etudes Politiques Jury : Philippe Chaudoir

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Institut d'Études Politiques de LyonUniversité Lumière Lyon 2 Année universitaire 2006-2007

La culture comme outil de développementlocal : l’étude d’un projet culturel en milieurural

Mélodie LapostolleSoutenu le 6 septembre 2007

Max Sanier (Directeur de Mémoire)Mémoire de fin d’études d’Institut d’Etudes Politiques

Jury : Philippe Chaudoir

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Construction de l’objet . . 6Hypothèses . . 10Présentation du territoire et du projet . . 12

1) La Commune et le Canton de Corbigny . . 122) L’Abbaye de Corbigny . . 133) Le Pays Nivernais-Morvan . . 144) Brève description du projet . . 165) Les compagnies artistiques: . . 17

Première partie :La culture dans une démarche de développement local . . 211) Délimiter un territoire d’action . . 21

a) définition du territoire . . 21b) qu’est-ce qu’un Pays ? . . 22c) définition du territoire de projet . . 23

2) Définir un projet culturel . . 25a) pourquoi le choix de la culture ? . . 25b) le sens donné à la « culture » dans un projet de développement . . 28c) le choix de la création artistique . . 30

3) Adapter le projet au territoire . . 32a) une prise en compte des spécificités du monde rural . . 33b) une prise en compte de l’héritage historique du territoire . . 34c) une prise en compte des pratiques préexistantes . . 36

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur . . 381) La mobilisation d’acteurs locaux . . 38

a) une émanation des élus locaux . . 38b) la mobilisation des artistes du territoire . . 41c) une mobilisation du monde associatif . . 42

2) La mobilisation de partenaires institutionnels . . 45a) la commune . . 46b) le Pays . . 46c) le Département . . 46d) la Région . . 47e) l’Etat . . 47f) l’Europe . . 49

3) L’intégration de la population locale au projet et les difficultés encourues . . 50a) une implication des habitants du territoire dans la construction du projet . . 50b) une sensibilisation aux pratiques artistiques . . 51

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local . . 551) Les réussites liées au développement culturel . . 56

a) les retombées économiques et touristiques . . 56b) une promotion par l’image . . 59

2) Un projet culturel éloigné de l’identité locale . . 60a) une difficile identification au projet . . 61b) entre modernité et tradition, une justification parfois difficile . . 62c) une communication défaillante . . 65

3) Les risques liés à une idéalisation de la culture . . 67a) une volonté de décloisonnement culturel . . 67b) une définition idéalisée . . 69c) Le rôle de l’artiste . . 71

Conclusion . . 74Bibliographie . . 76

Ouvrages spécialisés : . . 76Mémoires : . . 77Articles, Rapports, Colloque : . . 77Sites internets : . . 77Documents spécifiques à la structure et au territoire d’étude : . . 78

Annexes . . 79Annexe 1 : Guide d’entretien . . 79Annexe 2 : Tableau récapitulatif des entretiens . . 80Annexe 3 : Entretien avec Jean-Sébastien Halliez, Chef de projet du Pays Nivernais-Morvan, réalisé le 10 avril 2007 . . 81Annexe 4 : Entretien avec Jean Bojko, Directeur de la Compagnie TéATr’éPROUVèTe,réalisé le 10 avril 2007 . . 81Annexe 5 : Entretien de Marion Campay, Présidente de l’association AMAL’GAMM, reçupar email le 28 juillet 2007 . . 82Annexe 6 : Carte localisant Corbigny en France . . 82Annexe 7 : Le Pays Nivernais-Morvan en Bourgogne . . 82Annexe 8 : Corbigny dans la Nièvre . . 82Annexe 9 : Photographie de l’Abbaye de Corbigny . . 82Annexe 10 : Fiche action culture du Pays Nivernais-Morvan : « Favoriser l’accès à l’offreartistique et culturelle », extrait du Contrat de Pays 2007-2013 . . 83

Remerciements

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Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes ayant accepté de me recevoir et de me faire partagerleurs connaissances et leurs points de vue sur l’espace de cultures de l’abbaye de Corbigny.

Je remercie tout particulièrement les personnes ayant accepté de répondre à mes questionslors d’entretiens : Jean Bojko, Marion Campay, Pascal Dores, Antoine-Laurent Figuière, Jean-Sébastien Halliez, Philippe Leplat, Patrick Marmion, Alain Mignon, Christian Paul et Jean-PaulSêtre.

Enfin, je remercie Max Sanier, Directeur de mémoire, pour m’avoir conseillée etaccompagnée dans ma démarche de réflexion, et Philippe Chaudoir pour avoir accepté de fairepartie de mon jury.

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Introduction

Depuis le milieu des années 70 et la création des Parcs Naturels Régionaux, ledéveloppement local est à la mode. Chacun y apporte sa propre définition ; partout sontproposés des projets de développement de toute nature, cherchant à animer, dynamiser ouredynamiser un territoire.

Au début des années 90, l’idéologie du développement local entre en résonance, etparfois en complémentarité, avec la réforme de décentralisation votée en 1982.

Les « contrats de pays » consacrent une réelle réhabilitation des identités ruralescommunautaires, liant des financements publics de promotion du développement à laconstitution d’un espace culturel de dialogue proche du territoire vécu du Pays.

La notion de développement local acquiert alors ses lettres de noblesse autour dedeux principes : d’une part la mise en œuvre d’actions partenariales (entre acteurs locaux,collectivités territoriales, et apports publics et privés) ; et d’autre part, l’amélioration desoutils d’accueil (de nouveaux habitants, des touristes, des expériences innovantes).

Le développement local concerne, plus qu’ailleurs, les territoires ruraux enclins à ladésertification et menacés, à terme, de disparition.

La culture, comme d’autres secteurs, est un des moyens utilisés pour procéder à cetteredynamisation. C’est un champ de plus en plus investi par les acteurs locaux dans uneperspective de développement local ; elle peut même constituer le cœur d’un projet.

Mon travail se fonde sur l’analyse plus particulière d’un projet culturel de développementen milieu rural, autour de la reconversion d’une abbaye située à Corbigny, une petitecommune de la Nièvre, en centre culturel.

Il s’agit, à travers l’analyse d’un cas particulier, de comprendre de manière plusgénérale quelles sont les problématiques liées à l’utilisation de la culture dans un projet dedéveloppement de territoire en milieu rural.

Construction de l’objet

A travers l’analyse d’un projet culturel sur un territoire défini, l’objectif de mon étudeest d’interroger la relation culture/développement local, en montrant de quelle manière laculture peut constituer un facteur de développement d’un territoire. Il s’agit d’apporter unedéfinition à la notion de développement culturel, de voir ce qu’elle recouvre et d’étudierquels axes on cherche à exploiter et quels sont les moyens utilisés dans sa mise en oeuvre.Dans un premier temps, il semble que les modalités nécessaires à sa réalisation et sonefficacité soient principalement la prise en compte des spécificités locales et l’importancede la mobilisation des acteurs et de la population locale dans la construction de projets.

Introduction

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Pour Pierre Teisserenc, les politiques de développement local s’appliquent sur desterritoires qui connaissent une crise de développement et qui sont en recherche d’unenouvelle croissance. L’auteur considère que ce processus émerge « à un moment oùles relations entre l’Etat et les collectivités locales, entre le centre et la périphérie,connaissent des tensions dans l’ensemble des pays industrialisés […]. « Ces politiques dedéveloppement se manifestent au moment où la crise économique a provoqué un vastemouvement de restructuration de l’économie, de réorganisation des outils de production etde repositionnement des espaces économiques ».

L’idée de développement signifie donc « un processus de changement capable de fairepasser le territoire en tant que réalité économique, sociale, institutionnel, d’un état à unautre ».

Avant de se questionner sur le rôle que la culture peut exercer dans une démarchede développement d’un territoire, il convient en premier lieu de proposer une définition dudéveloppement local.

De nombreux auteurs se sont intéressés à cette notion, et ont tenté d’y apporterune définition englobante. Néanmoins, on s’aperçoit que sa définition a subi de rapidesmodifications.

En 1996, Xavier Greffe définit le développement local comme « cherchant à assurerl’émergence d’activités et d’emplois sur un territoire donné pour que la croissance s’ytraduise par un véritable développement, là où elle peut aussi conduire au dualisme et àl’exclusion d’individus et de communautés […]. Le développement local cherche à rendre leterritoire plus attractif, tant aux yeux de ceux qui y vivent déjà que ceux qui le considèrentde l’extérieur. ». Ainsi, la définition est avant tout fondée sur une approche économiquedu développement. Il complète sa définition en précisant que « Le développement localapparaît ainsi comme l’ensemble des conditions permettant d’atteindre de tels objectifs :partenariat, production de nouvelles compétences, formation du capital social, bonnegouvernance etc. ».

A la même période, Pierre Teisserenc propose une définition plus large : « Le territoireen développement doit être appréhendé en tant que système social. Le développementqui le concerne repose sur un processus de transformation de ce système selon uncertain nombre de principes qui visent la revalorisation et la diversification desressources , la transformation des potentialités en ressources grâce à l’intégration descontributions externes au territoire, la mobilisation des acteurs autour d’un projet ,la pluridisciplinarité d’un projet qui doit être global quant à ses effets attendus ,

même s’il est nécessairement particulier quant à son objet » 1 . Cette définition voit ainsi

apparaître de façon claire l’importance de la mobilisation des acteurs ainsi que les notions depluridisciplinarité et de pluralité des effets d’un projet de développement. Les objectifs d’unepolitique de développement local ne sont alors plus réduits à ses seuls effets économiques.

En 2002, Xavier Greffe révise sa définition et propose un autre angle d’approche ; ledéveloppement local est alors défini comme « le désir d’éviter que la globalisation ne videles territoires de leur identité et de leur substance ; c’est la volonté d’augmenter l’efficacitédes politiques de développement en les rapprochant au plus près des acteurs concernés.Mais tous s’accorderont à reconnaître qu’un territoire, consolidation de cultures etde ressources, peut produire du développement selon la manière dont il s’organiseet fonctionne. Pour chaque territoire, le développement local est devenu une stratégie

1 P. Teisserenc, Les politiques de développement local, approche sociologique, 1994

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d’organisation de ses propres conditions de développement » […]. Le développementest un processus qui crée des activités, répartit leurs effets de manière équitable eten reconstitue les ressources. Ses ressorts sont globaux et locaux. Les premiers sonten général assimilés à l’existence d’un environnement macro-économique favorable oud’un cadre réglementaire pertinent. Les seconds ressorts ont trait à la mobilisation desacteurs locaux, l’utilisation du partenariat, la capacité d’organiser de nouveaux services,l’amélioration de l’image d’un territoire ».

Les modifications qu’a subie la définition du développement local démontrent uneévolution certaine dans l’approche de cette notion. En quelques années, la vision purementéconomique du développement s’est légèrement effacée au profit de la valorisation d’untravail davantage axé sur la production d’image et d’identité d’un territoire. Plus que derentabilité purement comptable, c’est avant tout de produire du sens dont il s’agit désormais.

La loi Voynet a notamment permis cette évolution, en donnant au développement localune définition plus globalisante et des moyens pour se réaliser. Ainsi, Pascal Saffacheprécise que « depuis la loi Voynet, le développement local ne s’inscrit plus dans unedémarche descendante, mais ascendante ». Le développement local est fondé sur lamobilisation locale des ressources, et vise à développer les initiatives locales, à renforcer lessolidarités entre les territoires à différentes échelles, et à prendre en compte les aspirationsde la population dans le domaine économique, social et culturel.

A travers ces dernières propositions de définitions, plusieurs constantes sont à relever.Les auteurs semblent s’accorder sur le fait qu’un projet de développement local émaneaujourd’hui nécessairement d’une initiative locale. Cette démarche vise à redynamiser unterritoire, à travers l’exploitation d’un potentiel relatif au territoire pouvant toucher le domaineéconomique, social ou culturel. En outre, la réussite d’une politique de développementdépend de la bonne intégration de la population locale au projet.

D’autres notions apparaissent de manière récurrente ; ainsi, les termes de territoire,de projet, d’innovation, de partenariat, de mise en réseau, mais encore d’identité, semblentrésumer l’essence d’une démarche de développement local.

A partir de la définition du développement local, quelle place est accordée à la culture ?Développement local et projet culturel peuvent-ils être compatibles ? La culture peut-elleconstituer un facteur de développement local ?

Les potentialités d’un territoire peuvent être culturelles ; il peut s’agir d’un lieupatrimonial, ou d’une histoire culturelle particulière. Ainsi, si le développement local consisteà exploiter les potentialités d’un territoire, alors le projet qui en découle peut s’inscrire dansune dominante culturelle. Un projet de développement local devrait donc pouvoir se fondersur la culture.

Pour Xavier Greffe, le rôle de la culture dans les démarches de développementest essentiel. Il la considère comme étant « au premier rang des conditions permettantd’améliorer le cadre, les conditions de vie et l’image d’un territoire ».

Il s’agit ainsi de voir ce que la culture peut apporter au territoire, sans considérerpour autant le seul facteur économique, mais sans le négliger non plus, ce dernier étantindéniablement une des composantes majeures, sinon la plus importante au regard desdiverses définitions, du développement local. Néanmoins, il semble que l’économie ne soitpas suffisante dans la définition du développement local. Développer un territoire consiste

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aussi à développer son identité, sa qualité de vie, et à mettre en commun, mettre en réseausa population de façon à recréer une forme de solidarité entre les individus.

La culture aurait donc sa place dans les projets de développement local, autant que lessecteurs de l’économie ou du social. Mieux, elle serait une des premières conditions de laréussite d’une démarche de développement.

Xavier Greffe définit ainsi deux manières de considérer le rapport entre la cultureet le développement local. La première manière consiste à considérer que les activitésculturelles, tels que le spectacle vivant, les arts dans leurs diverses formes ou encore la miseen valeur du patrimoine, permettent d’améliorer le cadre de vie et apportent de nouvellescréations d’emplois sur le territoire. Développer le champ culturel serait donc à long termeun apport économique non négligeable. La deuxième manière consiste à montrer qu’endéveloppant des activités artistiques, « on diffuse sur un territoire des capacités de réflexion,de création et de projet qui excèderont le seul secteur artistique pour profiter de l’ensembledes activités. Pour des territoires en crise de reconversion et à la recherche d’activitésnouvelles, les activités artistiques et culturelles offrent un potentiel qui peut aller au-delà duseul discours de la réhabilitation du patrimoine local ou la production de festivals pour ouvrirla voie à une création d’activités soutenables ».

Ainsi, la culture aurait un véritable rôle à jouer dans les démarches de développementlocal.

Cependant, est-il envisageable de considérer que le développement culturel puissefonctionner de manière indépendante, ou doit-elle être associée à d’autres démarches, dansun projet plus global ?

Associer culture et développement, est-ce alors faire du « développement culturel »,que Joffre Dumazedier définit comme « une mise en valeur des ressources physiques etmentales de l’homme en fonction des besoins de la personnalité et de la société »? Rienn’est moins sûr.

Les expressions utilisées pour définir cette association affluent. Certains préfèrentparler d’« action culturelle de développement », d’autres, comme Renaud Donnedieu deVabres, alors Ministre de la Culture, « d’action culturelle diffuse » : « action qui est conduitespontanément dans les territoires par leurs habitants, en général dans un cadre associatifou par les collectivités locales de petite taille ».

Ces expressions semblent, à quelques nuances près, vouloir désigner la même chose :l’action de développer un territoire à travers un projet ayant pour objet le domaine culturelou artistique.

De cette multiplicité des termes relatifs à l’association culture/développement résulteen premier lieu un manque de clarté. Ainsi, il existe par exemple très peu de définitionsdu « développement culturel ». En second lieu, elle dénote un certain nombre de conflitsentre acteurs de la culture et acteurs du développement local ; chacun tient à conserver sestermes, sa propre conception, ce qui rend difficile l’établissement d’un consensus.

Il est néanmoins légitime de se poser un certain nombre de questions : au sein decette relation culture/développement, comment définirait-on la culture ? Quelles actionsdoivent être valorisées pour aboutir au développement d’un territoire ? Quel territoire estconcerné par l’action culturelle ? Quels acteurs sont sollicités dans la mise en œuvre decette démarche ?

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Hypothèses

Ces premières interrogations ont abouti à la construction d’hypothèses de départ, qu’ils’agira de valider ou non après l’analyse d’entretiens.

Ma première hypothèse consiste à affirmer que la culture est source de développementlocal, et constitue un outil d’attractivité d’un territoire. Il s’agit alors de se demander en quoi laculture peut constituer un outil de développement local, et de quelle manière elle est utiliséedans un projet de développement.

De plus, une démarche de développement local consiste à délimiter un territoire précisdans lequel va s’inscrire le projet. Il s’agit en outre de construire un projet en choisissantd’exploiter au mieux les potentialités du territoire. Il s’agit enfin d’instaurer des partenariatsentre élus locaux, artistes et appuis politiques et institutionnels.

Ma deuxième hypothèse pointe l’importance de la prise en compte des spécificités etdes réalités économiques, sociales et touristiques d’un territoire, dans le but de revaloriseret se réapproprier les ressources et les pratiques préexistantes. Ainsi, tout projet dedéveloppement local cherche à s’adapter aux spécificités du milieu rural, à prendre encompte les traditions historiques et à intégrer les pratiques culturelles préexistantes.

Enfin, ma troisième hypothèse suppose qu’un projet de développement local est fondésur la mobilisation des acteurs locaux et l’intégration de l’ensemble de la population localeau projet. Il s’agit alors de faire participer la population dans l’élaboration du projet, maisaussi au sein même des créations artistiques. De plus, ce projet doit rester en connexionavec la société qu’elle touche et respecter les attentes de la population.

Pour la vérification de ces hypothèses, mon choix s’est porté sur l’analyse d’un projetculturel de développement spécifique : la reconversion de l’abbaye de Corbigny, une petitecommune de Corbigny, en centre de cultures s’inscrivant dans le Pays Nivernais-Morvan.L’intérêt de ce projet réside avant tout dans le fait que c’est un projet récent, lancé en2004, toujours en cours d’élaboration, et donc perpétuellement en mouvement, subissantrégulièrement des questionnements et des aménagements. Il m’a de plus paru intéressantd’étudier la mise en place d’une politique culturelle en direction d’un territoire à fort ancragerural.

Le but de mon étude était de rencontrer un maximum d’acteurs du projet afin de mieuxsaisir les enjeux et les attentes de chacun. Il s’agissait donc de toucher aussi bien desreprésentants d’institutions, que des directeurs de compagnies artistiques ou des membresassociatifs.

Pour mon premier entretien, je me suis naturellement dirigée vers l’administrateur dunouveau centre culturel : Jean-Paul Sêtre, avec qui j’ai pu discuter de la nature du projet, deses modalités, des résultats attendus et des difficultés rencontrées dans sa réalisation. Cepremier entretien m’a permis de bien cerner les différents enjeux que recouvrait le projet.

Mes entretiens suivants ont été effectués avec le chargé de projet du Pays Nivernais-Morvan : Jean-Sébastien Halliez ; Christian Paul, Président du Pays Nivernais-Morvan etdéputé du département ; Antoine-Laurent Figuière, directeur par intérim de la DirectionRégionale des Affaires culturelles de Bourgogne, chargé du suivi du projet depuis sacréation.

J’ai ensuite souhaité interroger des artistes appartenant au projet et ai réalisé desentretiens avec trois directeurs de compagnies : Jean Bojko, directeur de la compagnie

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TéATr’éPROUVèTe ; Alain Mignon, directeur de la compagnie DEVIATION ; Pascal Dores,directeur de la compagnie METALOVOICE.

J’ai également souhaité m’entretenir avec le Président de l’Office du Tourisme du PaysCorbigeois, Patrick Marmion.

Enfin, il me paraissait important de recueillir le point de vue d’associations locales sur ceprojet. J’ai donc rencontré Philippe Leplat, Président de l’Harmonie de Corbigny, et obtenuun entretien avec Marion Campay, présidente de l’association AMAL’GAMM. Concernantcette dernière personne, l’entretien m’a été envoyé par internet très tardivement je n’ai doncpu l’intégrer à mon analyse mais le présenterai en intégralité en annexe.

Sans réaliser d’entretiens, j’ai également régulièrement discuté avec d’autrespersonnes, impliquées dans le projet, comme des élus de la municipalité de Corbigny, ousimplement résidents sur le territoire, afin de recueillir leurs impressions, leurs points devue sur la question.

Les personnes que j’ai rencontrées en entretien sont donc représentatives del’ensemble des acteurs concernés. Les entretiens m’ont apporté une analyse précise de ladémarche et m’ont permis d’acquérir une vision globale des enjeux qu’il recouvre.

En outre, étant originaire de la commune de Corbigny, j’ai une très bonne connaissancedu territoire, de ses caractéristiques et des problèmes qu’il rencontre. J’ai égalementsuivi depuis mon enfance l’évolution concernant l’utilisation des locaux de l’abbaye. Monappartenance à ce territoire rural ainsi que mon engagement dans plusieurs structuresassociatives m’a facilité la rencontre avec les différents acteurs et l’accès aux diversdocuments relatifs à l’élaboration de ce projet.

Cette proximité avec mon objet d’études m’a néanmoins posé quelques difficultés.Avant de commencer mon travail de recherche, je possédais déjà un point de vue particuliersur l’abbaye, mon histoire personnelle étant liée à ce site, ainsi que sur les différentescompagnies artistiques et sur les connaissances que j’avais du projet culturel. Il s’agissaitdonc de pouvoir se détacher de tout a priori pour adopter une posture qui soit la plus neutrepossible, sans non plus sombrer dans une forme de « criticisme ».

Après réalisation des entretiens, certaines de mes hypothèses de départ me sontapparues plus importantes que d’autres. Certains enjeux relatifs à l’utilisation de laculture dans un projet de développement, et plus généralement des enjeux relatifs audéveloppement local, m’avaient échappé.

Ainsi, afin de comprendre les attentes et les enjeux liés à cette dynamique dedéveloppement local, mon étude s’articule autour de trois parties.

Il s’agit d’étudier dans un premier temps de quelle manière la culture s’insère dans unedémarche de développement local, puis de voir dans un deuxième temps en quoi un projetde développement local doit être mobilisateur. Il convient enfin dans une troisième partied’analyser les avantages et les risques liés à l’utilisation de la culture dans un projet dedéveloppement local.

Mais avant tout, une présentation du projet culturel de développement analysé, de sonterritoire et de ses principaux acteurs me semble nécessaire.

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Présentation du territoire et du projet

Le projet culturel étudié se fonde sur un lieu précis : une abbaye. Le but premier était deredonner une fonction à ce site patrimonial. Les acteurs locaux ont alors décidé de centrerson utilisation sur la culture.

L’abbaye est située sur la commune de Corbigny, dans la Nièvre ; Cette commune faitégalement partie du Pays Nivernais-Morvan.

De manière à mieux saisir le contexte dans lequel s’inscrit le projet, il convient de décrirebrièvement la commune de Corbigny et son abbaye, ainsi que le Pays Nivernais-Morvan,le projet étant concerné par ces deux territoires.

Il convient par la suite de détailler le projet et de présenter les compagnies et lesassociations qui le composent.

Dans un premier temps, il me paraît donc nécessaire de revenir brièvement sur l’histoirede Corbigny ainsi que de son abbaye, afin de mieux comprendre le contexte actuel etl’attention particulière portée sur ce lieu patrimonial.

1) La Commune et le Canton de Corbigny

Corbigny est une commune située dans le département de la Nièvre, en régionBourgogne, et composant une partie du Pays Nivernais-Morvan.

Anciennement Corbiniacum, elle est le siège de l’abbaye bénédictine de Saint-Léonard.

La ville a brûlé en 1180 et a été fortifiée au 12e siècle, puis détruite en 1420 au coursdes luttes entre les Armagnacs et les Bourguignons ; elle a enfin été prise par les huguenotsen 1562. Son histoire est également marquée par sa forte opposition à Napoléon III.

Historiquement, Corbigny était l’une des premières étapes des pèlerins du cheminde Saint Jacques de Compostelle partant de Vézelay. Ces derniers venaient honorer lesreliques de Saint-Léonard (n’ayant en réalité jamais été présents sur le territoire).

Corbigny a une importante tradition commerçante, et reste aujourd’hui attractive etdynamique dans un environnement rural fortement isolé. Elle compte aujourd’hui près de1800 habitants.

Le canton de Corbigny, situé en Bourgogne centrale, est composé de 15 communes etpossède une population de 4 875 habitants. Sa situation (à 30 km de Clamecy et Vézelayet à 60 km de Nevers), au cœur du Pays Nivernais-Morvan, et au cœur de la Bourgogne,est privilégiée.

Corbigny est chef-lieu de canton, ville-porte du Morvan et constitue le pôle cultureldu Pays Nivernais-Morvan. C’est une ville réputée pour sa tradition de foires, de marchéset d’artisanat. Elle est aujourd’hui première commune pour l’attractivité commercialepar habitant en Bourgogne centrale. Sa population triple pendant la période estivale.Son attractivité réside essentiellement dans la présence de cette abbaye bénédictine,traditionnellement motrice de la vie économique du territoire et partie intégrante de l’identitélocale. Elle bénéficie également d’un tourisme de passage avec le Canal du Nivernais. Deplus, le canton ne compte pas moins de 235 associations, dont 30 nouvelles créées ces5 dernières années.

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Néanmoins, le canton de Corbigny est un territoire fortement rural qui présente denombreux inconvénients, notamment en ce qui concerne sa faible démographie et sonenclavement .7 écoles du canton sont classées en « Zone d’Education Prioritaire » (ZEP).

2) L’Abbaye de Corbigny

L’abbaye est un établissement très ancien, intrinsèquement lié à la ville. Elle estdevenue le lieu de rayonnement de Corbigny.

C’est un ensemble constitué des bâtiments du monastère proprement dit, du logis del’abbé et de dépendances, notamment de jardins.

Le premier monastère est bâti au 9e siècle, et devient très vite une abbaye royale.L’abbaye a ensuite changé cinq fois de sites. La construction de l’actuelle abbaye par lesmoines mauristes a débuté en 1754. Lorsque survient la Révolution, l’abbaye n’est pasterminée. Elle devient en 1790 le siège du district de Corbigny.

Depuis la Révolution et la confiscation des biens par l’Eglise, elle a abrité une dizained’institutions, et a servi à de multiples usages :

∙ laïcs : siège du district de Corbigny, école primaire supérieure, cours complémentaire∙ religieux : petit séminaire diocésain, pensionnat des frères de la doctrine chrétienne,

école normale supérieure∙ sociaux : salle d’asile∙ sanitaires : hôpital militaire pendant la Première guerre mondiale∙ agricoles : dépôt d’étalons des Haras de l’Etat, Ecole pratique d’agriculture∙ pédagogiques : Collège et internat depuis les années 30

Cette multiplicité d’usages permet de « dégager une constante : celle d’un lieu où,

depuis plus de deux siècles, des savoirs se transmettent, circulent et s’échangent 2 ».

En 1985, une salle des fêtes est aménagée. Son existence a permis de maintenirune activité dans les locaux de l’abbaye et de lui garantir une programmation culturelle.Depuis sa création, elle a servi et sert encore aujourd’hui à de multiples usages : concerts,représentations théâtrales, cinéma, manifestations associatives, ou encore mariages etréunions.

En 2000, un studio de danse professionnel est construit. Sa présence a permisd’accueillir des compagnies de danse renommées et d’en faire un lieu de créationinternational.

L’abbaye est classée monument historique depuis 2001. Elle fait actuellement l’objetde travaux au titre des Monuments historiques.

De plus, l’office de tourisme s’est installé dan le monument en 2005.Depuis la fermeture du collège en 1983, son utilisation est très variée ; ainsi se

succèdent ou se superposent réunions, mariages, banquets en tous genres, concours debelote, Foire des produits du terroir, Marché de Noël, galas de danse, fête des écoles ouencore séances de cinéma…

2 In brochure « Histoire abrégée de l’abbaye de Corbigny »

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Tout en conservant ces diverses activités, les élus locaux ont senti la nécessité decréation d’un projet susceptible de redonner du sens à ce site. Les usages pratiqués étaientdonc essentiellement relatifs à la culture, dans son acceptation large. De plus sollicités pardes compagnies d’artistes, le choix des élus locaux s’est naturellement porté vers un projetculturo-artistique.

Ce lieu a ensuite été choisi pour constituer le pôle de culture du Pays Nivernais-Morvan.Plusieurs justifications ont été apportées à ce choix. Ainsi, Jean-Paul Magnon, maire deCorbigny, écrit : « Pourquoi un projet culturel et artistique ? Depuis le départ du collègeen 1983, ce lieu s’est prêté, grâce à l’action de la municipalité qui en est propriétaire, etau militantisme des associations locales, à des fonctions artistiques et culturelles et à desappropriations citoyennes qui ont permis de baliser en amont le périmètre de ce projet.L’Ecole de musique et de danse de Haute-Nièvre, l’orchestre municipal d’harmonie, lachorale « les Saisons », l’association « Les Fêtes de l’Abbaye », ont ensemencé un territoire

resté trop longtemps en jachère » 3 .

Paul Barnoud, architecte en chef des Monuments historiques, écrit : « Y a-t-il uneadéquation entre l’abbaye et la création des espaces de cultures ? De toute évidence oui ; lesite se vit bien ; l’animation actuelle semble lui être naturelle ; l’édifice a patiemment attendu

une affectation digne de son architecture 4 ».

3) Le Pays Nivernais-Morvan

Le Pays Nivernais-Morvan se situe dans le département de la Nièvre, et comprendla plus grande partie du massif du Morvan. Il compte 37 582 habitants, 121 communeset couvre 9 cantons. Ces 9 cantons sont « situés à l’est de la Nièvre, au nord, doncCorbigny, Lormes, Brinon ; au centre, entre guillemets, il y a Saint-Saulge, Châtillon-en-Bazois, Château-Chinon, Monstauche-les-Settons ; et puis au sud, il y a Moulins-EnGilbert,et Luzy. Donc ça fait 37 000 habitants ; pour 14 habitants au km2 seulement. Donc il y a uneforte ruralité. Aucune ville qui a un rôle prédominant ; puisque la plus grosse c’est Château-Chinon avec 2 300 habitants. Mais bien sûr, une certaine forme d’interdépendance quandmême. Puisque la pauvreté relative de ces territoires fait qu’un moment donné ils ont besoin

de plus de solidarité. » 5

Ce territoire a donc pour particularité de ne comprendre aucune ville d’importance.Sa densité est de 13,8 habitants au km2. Le Pays est un espace rural, constitué en

association en 1999 et en Syndicat mixte en 2002.Une de ses caractéristiques est qu’il est « quand même très vaste. Entre Corbigny

et Luzy, il y a une grande distance géographique, il y a un massif montagneux, même sila montagne est pas très haute, c’est quand même une montagne. Il y a une partie descommunes qui sont classées en zone montagne, avec de l’habitat isolé, avec très peu

d’habitants. » 6

3 « Histoire abrégée de l’abbaye de Corbigny »4 « Histoire abrégée de l’abbaye de Corbigny »5 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 20076 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007

Introduction

15

De plus, il est traditionnellement terre d’élevage : « C’est un territoire où il y a encoreune agriculture dynamique, même si c’est peut-être pas une agriculture dont on peut rêver,sur le modèle des années 60, une agriculture assez productiviste. Mais bon, dans l’état des

choses, si on n’a plus de paysans, on n’a quand même plus grand-chose…. » 7

La totalité des communes du Pays Nivernais-Morvan sont classées en Zone deRevitalisation Rurale (ZRR) et 28 communes sont classées en Zone Montagne.

Ce territoire est aujourd’hui caractérisé par le vieillissement continu de sa populationet reste marqué par l’exode rural. Il est considéré comme un espace rural dit « profond »,zone de « désert », sa population étant de moins de 16 habitants au km2. Jean-SébasienHalliez rappelle tout de même que la démographie s’est stabilisée, « ce qui n’était pas le casdepuis 150 ans. Depuis 150 ans, tous les recensements étaient négatifs, et aujourd’hui,les derniers recensements partiels depuis 1999, réalisés en 2002, 2003, 2004, 2005, sontstabilisés. Donc, sur 75 communes recensées, il y en a 49 qui ont augmenté de populationdepuis 1999. Et c’est pas uniquement des personnes âgées, qui sont venus prendre leurretraite. Il y en a, mais il y a aussi beaucoup de jeunes, qui sont pas des premiers âges,entre guillemets, ce ne sont pas forcément des 20-30 ans, mais beaucoup de 30-40 ans, quisont des catégories, pour une part, assez aisés, qui souvent viennent ici en faisant un choixde vie, en ayant un certain pouvoir d’achat, et un pouvoir de travailler à distance, et le faisantsouvent aussi pour les enfants en bas-âge. On a par exemple 1000 familles néerlandaises,

sur le Pays Nivernais-Morvan. Donc c’est un chiffre assez significatif ». 8

De plus, à proximité de la région parisienne (200 à 250 km), le Nivernais-Morvan estune région relativement touristique, grâce à son patrimoine naturel et historique. «On a unenature qui est quand même très très protégée. Donc c’est un lieu de tourisme. C’est unterritoire qui a sa beauté, qui peut se développer encore bien plus qu’il ne l’est. On n’estpas très loin de Paris. On peut accueillir des nouvelles entreprises, notamment avec les

nouvelles technologies. » 9

Le tourisme qui y est privilégié est donc « un tourisme vert, ainsi qu’un tourisme autourdes loisirs aussi ; ça peut être des plans d’eau, ça peut être la descente du Chalaux, des

choses comme ça… » 10

Il existe tout de même des pôles touristiques importants :

∙ Vézelay : ce site n’est pas dans le Pays Nivernais-Morvan, mais ne se situe qu’àquelques kilomètres de ce dernier. C’est le premier site patrimonial de Bourgogne.

∙ Bazoches : village du château du Maréchal de Vauban∙ Bibracte : ce site abrite le Centre européen de recherche archéologique du Mont

Beuvray et le musée national de la civilisation celtique

7 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 20078 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 20079 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200710 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

16

Le projet culturel le plus important du territoire est la reconversion de l’Abbaye deCorbigny, chef-lieu de canton appartenant au Pays Nivernais-Morvan, en espace decultures.

Jean-Paul Sêtre résume les deux problèmes majeurs du Pays : l’isolement et la mobilité.Ainsi, en proposant différents projets, les acteurs cherchent à désenclaver mais aussi àmoderniser leur territoire, dans le but de rendre son offre et ses services aussi efficaces etdivers que ceux que l’on peut trouver en ville.

Un projet culturel peut alors sembler pertinent dans la mesure où l’offre culturelle dece territoire est infime par rapport à ce qu’il existe en ville. Ce manque résulte d’abord del’absence d’équipements culturels.

Les acteurs du projet se sont alors questionnés sur le besoin auquel le projet répondait,sur la nature de ces besoins à satisfaire, et donc sur la nature du projet culturel qui allaitêtre développé.

4) Brève description du projet

L’« espace de cultures » du Pays Nivernais-Morvan est développé sur deux sitesmajeurs : l’abbaye de Corbigny, et une ancienne usine située à quelques centaines demètres de l’Abbaye.

Le projet de création du centre porte sur plusieurs axes, rappelés dans le « Schémadirecteur de développement »:

∙ Valorisation patrimoniale du site– Ouvrir le domaine abbatial sur la ville– Installer un pôle d’accueil et d’orientation (administration de l’abbaye

et Office du Tourisme du Pays Corbigeois, centre de ressources, sallesd’exposition etc.

– Créer un parcours de visite payante

∙ Organiser une « ruche » d’artistes à l’abbaye répondant à une stratégie dedéveloppement culturel territorial, en complémentarité avec la compagnieMETALOVOICE et ses espaces de travail et de fabrication à l’ancienne usinePhotosacs

– Equiper des locaux dans l’abbaye pour recevoir les compagniessélectionnées pour travailler de manière pérenne dans la « ruche »d’artistes

∙ Accueillir des résidences d’artistes en danse et en musique– Equiper un espace pour l’hébergement d’artistes en résidence de

création courte ou moyenne, à l’abbaye– Etablir un contrat type de résidence en danse (déclinable pour la

musique) à partir des préconisations du département des métiers duCentre national de la danse, et réaliser un outil de communication.

∙ Définir les principes de programmation annuelle dans la perspective de l’édition d’undocument d’information

Introduction

17

∙ Sensibiliser et éduquer/ Promouvoir la culture scientifique et technique/ Proposer desJournées de découverte culturelle aux scolaires

∙ Accueillir séminaires, colloques et manifestations privées∙

Le Contrat de Pays Nivernais-Morvan 2007-2013 détaille l’ensemble des actions qui devrontêtre développées lors de cette période. (Annexe).

Il convient de préciser qu’au cours de mon étude, je serais amenée à nommer le projetde deux façons prépondérantes ; je parlerais tantôt de « projet culturel de développement »,et parfois de « projet de l’abbaye », cette dernière expression étant l’utilisation la pluscourante au sein du territoire.

5) Les compagnies artistiques:

Il me paraît important de présenter le travail et l’esprit des compagnies présentes ausein de l’abbaye, afin de mieux saisir la dimension artistique du projet.

La compagnie METALOVOICE

La Compagnie METALOVOICE est créée en 1994 à Nevers par dix artistes issus des« Tambours du Bronx », qui ont choisi de développer le concept de « poésie industrielle ».Elle est installée depuis 2004 dans l’usine Photosacs, à quelques centaines de mètres del’abbaye de Corbigny.

Son projet artistique, nommé « Le Passe-Muraille » est un projet interdisciplinaire,travaillant sur l’expérimentation artistique et croisant la musique, la poésie, la danse ou lavidéo. Ce projet cherche à mettre en place une cohérence entre le lieu, le territoire et letravail artistique de la compagnie. C’est une relation entre l’habitant et l’artistique qui estproposée dans ce projet, une relation qui cherche à provoquer l’intérêt mutuel. Le « Passe-Muraille » correspond à une éthique reposant sur l’esprit d’ouverture, la démarche citoyenneet la pertinence artistique. Il vise à faire exister du lien au-delà des cloisonnements de toutessortes ; du lien par exemple entre la rue et la salle, entre le public et les artistes, entrecitoyens, entre la pratique des amateurs et celle des professionnels.

Le travail de la compagnie s’inscrit dans une réflexion humaniste et sociale. Pour eux,le choix des textes place prioritairement l’individu au centre de tous les débats et de toutesles réflexions.

C’est une équipe artistique française reconnue en matière d’arts de la rue. Son directeurartistique est associé aux travaux du programme triennal (2005-2007), initié par le Ministèrede la Culture, « Le Temps des Arts de la Rue ». La compagnie est également reconnue auniveau international. Elle a par exemple participé au spectacle d’ouverture de la finale de laCoupe du monde de football en 1998, et tourne régulièrement ses créations en Europe.

En 2006, la compagnie a développé sur le territoire un collectif regroupant artistes etagriculteurs : « Les territoires occupés ». Cette action, qui se prolonge en 2008, se construitsur le principe de la coopération entre le monde agricole et celui de l’art. Il s’agit d’installerdes réalisations d’artistes plasticiens aux abords des routes, dans les champs, en associant« les outils, les savoirs et les spécificités des deux univers ». Le but est de mettre en place

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

18

un principe d’association, de lien entre les artistes, les habitants et le territoire pour « faireexister une œuvre singulière et identitaire ».

La compagnie TéATr’éPROUVèTe

La compagnie TéATr’éPROUVèTe est créée en 1982 à Corbigny par Jean Bojko, etinstallée à l’Abbaye de Corbigny depuis 2003. Son objectif est de détourner les trois tempsdu théâtre (jeu, espace, temps) et de travailler avec « des artisans de la vie en commun »plutôt que des comédiens.

Voici quelques-uns des objectifs de travail décrits par la compagnie :

∙ Envisager d’autres possibilités pour la culture que le postulat de la consommationpassive et du sens unique qui va du « créateur » au « spectateur »

∙ Défendre l’idée d’un art en action avec un souci permanent d’efficacité sociale etpolitique et pas seulement esthétique

∙ Mettre en exergue les particularités du monde rural ou des quartiers, en lesvalorisant, en réfléchissant sur une approche nouvelle de la proximité comme sourced’identité et de langage

∙ Faire comprendre qu’il n’est ni ridicule ni ringard ni réactionnaire d’être de quelquepart

∙ Rappeler que ce qui fait la principale richesse d’un territoire, ce sont d’abord les gensqui y habitent dans leur capacité à être, à penser, à prendre la parole, à faire deschoix.

∙ Montrer qu’un territoire peut être riche de pratiques considérées le plus souventcomme marginales dans le champ culturel.

∙ Impliquer les populations et prendre en compte leur savoir-faire dans toute actionculturelle.

∙ Bousculer les préjugés et les habitudes autant chez les artistes que chez les autres∙ Relier le quotidien au culturel et l’art à la société∙ Jouir du plaisir de la rencontre, de l’échange, du faire ensemble en cherchant autre

chose à partir de ce que l’on sait déjà.∙ Reconsidérer le rôle de l’artiste en rappelant qu’il est aussi et surtout « un artisan de

la vie en commun »

Elle conduit chaque année une action art et société destinée à questionner desproblèmes sociétaux auprès de la population du Nivernais-Morvan. Elle a par exemple crééen 2003 « les 80 ans de ma mère », avec des personnes âgées, sur l’image de l’âge etde la vieillesse. Il s’agissait de photographier des personnes âgées en situation valorisante.Cette action a donné lieu à une série d’événements dont les retombées ont été nationales etinternationales, avec, notamment, des développements en Italie et en Australie. Une autreaction a été développée en 2005-2006, « Les Jardins d’Etonnants », sur le thème « je suiscultivé, je fais du potager » ; il s’agissait d’une « mise en scène de l’espace social » quiinterrogeait les pratiques culturelles de proximité, telles que le jardinage.

Ces différentes actions sont largement relayées par la presse nationale, commeTélérama, Le Monde ou Libération.

La compagnie Déviation

Introduction

19

La compagnie Déviation est créée en 1991 par Alain Mignon, et occupe des locaux del’abbaye depuis 2004. Elle rassemble des musiciens et des comédiens, et met en œuvre descréations musicales et des spectacles chorégraphiés intégrant des instruments de musiqueuniques, créés par la compagnie. Elle investit des lieux divers tels que des collèges, piscinesou prisons.

Voici un échantillon des valeurs décrites comme caractérisant la compagnie :

∙ Affirmer une volonté de présenter des spectateurs alliant la précision, la virtuosité,l’originalité dans les compositions et dans la facture instrumentale

∙ Amener la musique actuelle hors des circuits habituels de concerts, vers des publicsnouveaux et mélangés, grâce à l’universalité du langage de la percussion et aucaractère gratuit de la plupart des représentations.

∙ Impliquer les plus divers et les moins « préparés » à entrer dans l’univers musical denos créations, en investissant des espaces qui ne sont pas habitués à les accueillir(prisons, espaces publics, espaces naturels etc.).

∙ Initier des groupes constitués de tous âges à la découverte des arts de la scène et àla pratique amateur au moyen d’expositions et d’ateliers menés dans le monde entier.

La compagnie dirige les ateliers « Musiques Mots et Mouvements », dont le but estd’initier des enfants, adolescents et adultes du monde entier aux arts de la scène. Elle a parexemple travaillé en 2004 avec les enfants d’une prison mexicaine. Des ateliers artistiquesont été mis en place et une correspondance a été établie par Internet entre les jeunesdétenus mexicains et les élèves des collèges français de Sevran et Corbigny. Durant leurtravail, les détenus devaient tenir un journal. Ces écrits ont été diffusés et ont constitué lamatière première du spectacle monté par la suite en France : « Pourquoi c’est toujours surmoi que ça tombe ! ». Ce spectacle est à mis-chemin entre l’opéra et la comédie musicale ;il est composé d’un chœur, d’un orchestre et de voix. Il fait intervenir le collège Noël Berrier,dont les élèves composent le chœur, dirigé par leur professeur de musique. Il fait égalementintervenir des élèves du lycée d’enseignement général et technologique du Morvan deChâteau-Chinon (commune du Pays Nivernais-Morvan).

Les trois compagnies METALOVOICE, TéATr’éPROUVèTe et DEVIATION s’organisentdans le cadre d’un collectif d’artistes, le groupe ALERTE. L’objectif de ce collectif est demettre en place sur le territoire des actions artistiques, individuelles ou collectives, et depermettre la mise en commun de ressources matérielles et humaines, dans le but desatisfaire au mieux les publics et les partenaires locaux.

La Compagnie Les alentours rêveurs

Les alentours rêveurs est une compagnie de danse contemporaine animée par lechorégraphe Serge Ambert, en résidence depuis le printemps 2006 à l’abbaye de Corbigny.Elle développe des actions de création, de diffusion, d’enseignement et de formation. Derenommée internationale, elle travaille particulièrement en République tchèque.

6) Des exemples d’associations culturelles locales

L’Harmonie municipale de Corbigny

Elle est la plus ancienne des associations culturelles présentes dans l’abbaye.L’Harmonie a été créée avant la Première guerre mondiale, avec une batterie fanfare senommant « la Corbigeoise ».Cette dernière n’existe plus depuis la fin des années 80. Elle est

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

20

composée de plus de 30 musiciens âgés de 12 à 80 ans. Tous ses membres sont bénévoles,y-compris le chef d’orchestre, ce qui constitue une de ses particularités. Elle participe àl’animation de la vie de la commune, en donnant des concerts réguliers à l’abbaye. Ellepropose également des prestations sur l’ensemble du Pays Nivernais-Morvan. Sa salle derépétition se situe dans une des salles de l’abbaye.

L’association Amal’gamm

L’association Amal’Gamm est née en 2002 à l’initiative de quelques jeunesCorbigeois. A l’origine, le but était de créer une salle de concert, et de proposer desactivités permettant aux jeunes habitants de Corbigny de se retrouver autour de lamusique. La municipalité leur a rapidement proposé de prendre en charge chaqueannée l’organisation de la Fête de la Musique de Corbigny dans l’enceinte de l’abbaye.

Depuis 2006, l’association propose d’autres manifestations destinées à un publicplus âgé et éloigné de la musique. Leur démarche est de créer des « rencontres inter-générationnelles et pluri-disciplinaires ».

L’école de Musique et de Danse du Haut Nivernais-Morvan

Cette école intercantonale créée il y a une quinzaine d’années propose unenseignement artistique et s’appuie fortement sur le site de l’Abbaye pour cette partiedu territoire.

L’association « Les Fêtes de l’abbaye »

Cette association, créée en 1998, organise le festival de musique classique « LesFêtes musicales », ayant lieu chaque année dans l’enceinte de l’Abbaye.

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

21

Première partie :La culture dans unedémarche de développement local

1) Délimiter un territoire d’action

a) définition du territoire

La définition même du développement local induit le fait qu’un projet de développements’inscrit nécessairement dans un espace donné, délimité géographiquement,économiquement, socialement ou culturellement.

Cet espace est appelé « territoire ». L’apparition de cette notion est concomitante àl’apparition de la notion de développement local.

Il convient cependant de distinguer deux types de territoires :Le territoire vécu, qui est « un réseau d’ancrage où se construit une composante de

l’identité à travers la territorialité » ; dans cet espace, « le lien entre individuel et collectif yest complexe » ; de plus, « ce type de territoire peut être discontinu dans l’espace.

Le territoire prescrit , qui « coïncide avec l’espace d’une collectivité territoriale ou

d’une structure de projet collectif » 11 .

La difficulté dans la définition du territoire correspondant au projet culturel de l’abbayede Corbigny provient du fait que ce projet s’inscrit dans ces deux types de territoires.

En effet, le projet est lisible à deux échelles différentes.Le premier territoire du projet est la commune de Corbigny. Le bâtiment appartient à la

commune et la population locale l’a clairement identifié comme monument de son territoired’habitation. Le territoire ici est donc vécu.

Cependant, le projet s’inscrit dans un autre espace : le Pays Nivernais-Morvan. Cedernier a été créé afin d’accueillir et de mettre en œuvre des projets de développement. Leterritoire ici est donc prescrit. Les habitants n’ont pas forcément identifié le lieu du projet(l’abbaye), comme faisant partie de leur territoire.

Nous reviendrons par la suite sur ces difficultés liées à l’identification et l’appropriationdu projet par les habitants du territoire. Cependant, cette première remarque montrel’importance d’une définition claire du territoire pour la cohérence et la clarté future du projet.

L’identification du territoire est donc la première étape à effectuer avant touteproposition de projet. Ces deux notions sont si étroitement liées que l’on parle de « territoires

11 « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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de projets ». Ainsi, le territoire de projet est, en toute logique, mais il convient de le rappeler,l’espace dans lequel le projet de territoire s’élabore.

Le territoire n’est pas seulement géographique. Ses frontières ne sont pas toujoursapparentes. Cela peut être un espace fondé sur les représentations que ses individus ont delui ; cet espace se construit alors comme territoire à partir du vécu, de la perception de seshabitants, mais aussi par l’intermédiaire d’une histoire et d’un patrimoine communs. Enfin,un espace peut être considéré comme territoire à partir du moment où, sans avoir de vécupartagé, les habitants ont en commun la volonté de proposer des projets de développementéconomiques, sociaux ou culturels dans le but de redynamiser ensemble leur région.

Le territoire est donc une entité construite. Pour Bernard Pecqueur, il « engendre desprocessus de création de ressources en vue de résoudre des problèmes productifs inédits.Pour nous, le territoire n’est pas une échelle géographique de coordination entre acteurs,mais une dimension qui se situe entre l’individu et les systèmes productifs nationaux. […] Leterritoire est alors plus qu’un réseau, c’est la constitution d’un espace abstrait de coopérationentre différents acteurs avec un ancrage géographique pour engendrer des ressources

particulières et des solutions inédites ». 12

Le territoire se caractérise en premier lieu par l’appropriation par la population d’unespace dont elle a conscience et à laquelle elle se sent appartenir.

L’appellation « territoire de projets » concerne avant tout, en milieu rural, les parcsnaturels régionaux ainsi que les Pays. C’est le cas du projet culturel étudié puisqu’il s’inscritspécifiquement dans le cadre d’un pays.

Il convient de décrire brièvement en quoi consiste un Pays, la création de ce dernierétant relativement récente et pas toujours bien appréhendée par les citoyens.

b) qu’est-ce qu’un Pays ?

Le Pays est le territoire de projet par excellence. Il a été créé par la loi du 4 février 1995d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, dite loi Pasqua.La loi prévoyait « une organisation du territoire fondée sur les notions de bassins de vie,organisés en pays, et en réseaux de villes ».

Le terme de pays était néanmoins utilisé avant l’apparition de cette loi, maisne correspondait à aucun territoire défini. Il définissait davantage un petit territoirecorrespondant plus ou moins à la commune ou au canton, et était essentiellement employéen milieu rural. Il pouvait également renvoyer à un territoire plus vaste et plus identitairemarqué par une histoire et une culture commune.

La loi du 4 février 1995 définit le Pays comme un espace caractérisé par « une cohésiongéographique, économique, culturelle ou sociale ». Il doit exprimer « la communautéd’intérêts économiques et sociaux ainsi que, le cas échéant, les solidarités réciproques entrela ville et l’espace rural ».

Ainsi, un Pays n’est ni un échelon administratif, ni une collectivité territoriale. C’est unespace où doit s’élaborer « un projet commun de développement ».

12 Bernard Pequeur, Le développement local, Editions La Découverte et Syros, Paris, 2000

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

23

La loi Pasqua reste cependant imprécise sur l’organisation juridique des pays etsur le mode de financement retenu pour les projets. De plus, leur articulation avec lescommunautés de communes et autres collectivités territoriales reste floue.

Enfin, la loi indique que le projet de développement doit être élaboré « en concertationavec les acteurs concernés ». Mais aucune précision n’est faite sur la nature des acteursqui sont concernés.

La loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développementdurable du territoire, dite loi Voynet, est plus précise.

Elle définit notamment le territoire comme étant une échelle administrative entre lecanton et le département. Ce territoire n’a pas de limites administratives. De plus, elle donneà la Région le statut de cadre de cohérence de la mise en œuvre et de la politique des Pays.

La loi précise également les objectifs et les modes d’élaboration de son projet dedéveloppement. Ce dernier doit en effet prendre la forme d’une Charte, qui devra être parla suite approuvée par les communes. Cette charte est une sorte de pacte territorial quiassure la naissance véritable du Pays.

La loi prévoit enfin la création d’un Conseil de développement, composé dereprésentants des milieux économiques, sociaux, culturels etc.

De plus est précisé que « le patrimoine, les identités culturelles, les singularitéspaysagères ou topographiques ne sont pas exclus des éléments à considérer mais doiventêtre confrontés et même subordonnés aux pratiques de nos concitoyens en matièred’habitat, d’emplois, de loisirs, d’usage des équipements et services collectifs. Ce sont lesacteurs locaux qui doivent proposer un périmètre de Pays ».

Enfin, un Pays doit être appréhendé comme « un territoire de projet ». Il se particularisepar des « « missions », à savoir des tâches d’animation, d’impulsion, de coordination, touten s’appuyant sur les différentes institutions qui le constituent pour traduire, en mobilisantleurs compétences respectives, les orientations de la charte élaborée en commun. C’estdans le cadre des politiques contractuelles et notamment des contrats de plan Etat-Région

que les pays doivent trouver l’essentiel des soutiens financiers dont ils ont besoin ». 13

Le Pays, au-delà du développement de projets, offre plusieurs avantages. Territoireautonome, cela lui permet de jouer une fonction de médiateur, d’abord entre les différentescommunes, mais aussi entre les différents acteurs du territoire. Le Pays permet doncd’apaiser les conflits, de régler les contentieux.

Enfin, comme l’évoque Jean-Sébastien Halliez à propos du Pays Nivernais-Morvan,c’est un territoire de qualité, dû notamment à sa petite taille et à sa fonction de mise enrelation des habitants du territoire.

c) définition du territoire de projet

A travers les entretiens, il apparaît que la définition du territoire du projet est une desdifficultés majeures. En effet, le projet culturel de l’abbaye n’est pas ancré dans un territoireprécis : « Le projet est basé sur plusieurs territoires : c’est-à-dire sur la commune, puisquec’est un bâtiment communal. Et si ça n’était qu’un projet communal, ce ne serait pas le projetd’aujourd’hui. Donc, c’est un projet qui rayonne un peu plus largement sur le Pays Nivernais-

13 Nicolas Portier, Les Pays, DATAR, La Documentation française, Paris, 2001

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Morvan ». 14 Ainsi, pour le chef de projet du Pays Nivernais-Morvan, c’est l’inscription

du projet au sein de ce territoire qui lui donne son statut de projet de développement. Soninscription dans le pays lui donne également les moyens de se réaliser.

Ce dernier rappelle en outre que « Le lieu n’est pas en soi un lieu de Pays. Mais c’estl’action du Pays qui fait que le lieu est, petit à petit, un lieu approprié par les habitants du

Pays. » 15

Cependant, le territoire du projet n’est pas perçu par tous de la même manière. Pourcertains, comme Pascal Dores, « C'est un projet culturel à la dimension du Pays Nivernais

Morvan » 16 ; un seul territoire est ici reconnu. D’autres ne font pas mention une seule

fois du Pays en tant que dimension territoriale du projet. Toutefois, la plupart font état de lapluralité des territoires d’action. Selon Philippe Leplat, l’espace concerné est « A la fois,donc, la commune, mais en dehors de la commune de Corbigny, ça se veut… un lieu pourtous quoi. Il y a plusieurs lieux, en fait, où cette culture part du centre culturel de Corbigny ».

La difficulté réside également dans le fait que l’abbaye ne constitue pas à elle seulele lieu de culture du projet. Un autre lieu, appartenant aussi à la commune de Corbigny,y a été associé ; il s’agit d’une ancienne usine, occupée aujourd’hui par la compagnieMETALOVOICE : « Nous proposons aujourd'hui un autre espace, complémentaire àl'abbaye, un espace dédié à la création de formes atypiques. Il doit subir des transformationsimportantes, les travaux sont prévus pour le début de l'année 2008. Une fois les travauxterminés nous dirons au revoir à l'ancienne usine Photosacs pour laisser apparaître "latransverse", un lieu de résidence pour artistes qui souhaitent être en connexion avec leterritoire […] Aujourd'hui l'ancienne usine Photosacs est en phase de devenir par satransformation architecturale un espace complémentaire tant en activités qu'en volumes, à

ceux proposés par l'abbaye.» 17

Il est alors difficile de parler du « projet de l’abbaye » quand celui-ci englobe un autreespace. A l’échelle du Pays, l’espace de culture déterminé apparaît alors comme étant laville de Corbigny dans sa totalité.

Ces pluralités d’espaces induisent un manque de clarté au regard de la population.A partir du moment où le lieu du projet, l’abbaye, est étroitement lié à la ville de

Corbigny et à ses habitants, comment le faire reconnaître comme lieu culturel de tout unPays ? De plus, comment faire accepter aux habitants que leur commune constitue unespace de culture au sein d’une entité plus large, dans laquelle ils ne se reconnaissent pasnécessairement ?

Pour Jean-Paul Sêtre, il est important de montrer que l’espace de culture n’est pasréduit à l’abbaye. Faire rayonner les créations dans l’ensemble du Pays semble un moyen defaire connaître et reconnaître cet espace de culture, et d’inciter l’adhésion de la population :« Les actions ne touchent pas seulement Corbigny. Par exemple, ce que fait Jean Bojko,on peut imaginer qu’il touche 30 ou 40 lieux ; ou ce que fait Métalovoice en matière de cequ’ils appellent « Les territoires occupés »…Il y a eu ça l’an dernier, ça s’étendait sur toute

14 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200715 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200716 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 200717 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

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la communauté de communes. Et là, leur projet, sur 2 ans, c’est d’aller plus loin. C’est d’allervers l’est, vers le Parc du Morvan, c’est-à-dire toucher des lieux, des terres agricoles, de

plus en plus lointaines. » 18 Cependant, il ajoute lors de l’entretien : « L’idée de centralité

est pas bonne. L’envie qu’on aurait, à terme, c’est que des espaces de culture ne soient

pas que l’abbaye de Corbigny mais soient tout un territoire géographique. » 19 Patrick

Marmion souligne également le faible ancrage du projet dans le pays : « les prérogativesde l’espace de culture de Nivernais-Morvan, c’est quand même de rayonner sur le PaysNivernais-Morvan ; ça représente quand même 40 000 habitants ; c’est quelque chose de

massif ; pour l’instant, le rayonnement de l’abbaye, il est très très petit » 20 .

Si nous pouvons noter une contradiction entre le fait de souligner la mobilité des artisteset de regretter la concentration des créations autour de l’abbaye, c’est certainement que lesartistes rayonnent dans, mais aussi hors des frontières du Pays. Jean Bojko, par exemple,produit dans tout le département de la Nièvre. Le pays n’est alors identifié que commeun territoire parmi d’autres. C’est alors la commune de Corbigny qui est définie par lapopulation comme constituant le principal territoire du projet, la municipalité ayant le statutde propriétaire de l’abbaye, de décideur, et subissant les retombées majeures suscitéespar le projet.

Entre commune, intercommunalité, canton ou encore Pays, le choix du territoire deprojet n’est pas simple, mais primordiale pour la clarté future du projet. Nous avons vu quele Pays est un territoire conçu pour accueillir et réaliser des projets de développement.Cependant, dans un milieu rural tel que celui étudié, chaque territoire restreint est fortementidentitaire. Cela rend difficile l’appropriation d’un projet par l’ensemble de la population duPays, surtout lorsque ce dernier s’appuie sur un lieu ayant un fort lien culturel et historiqueavec les habitants de sa commune.

Toutefois, il semble que des moyens peuvent être utilisés pour contourner cette difficultéet faire en sorte que le projet soit adapté à toute la population.

2) Définir un projet culturel

a) pourquoi le choix de la culture ?La commune de Corbigny et le Pays Nivernais-Morvan ont choisi de s’appuyer sur le secteurde la culture pour la remise en valeur de l’abbaye de Corbigny.

18 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200719 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200720 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

26

Il convient dans un premier temps de comprendre pourquoi les acteurs locaux ont choiside privilégier cette orientation.

Tout d’abord, le choix de la culture, entendue au sens large, est paru naturel aux élusde la commune, l’activité principale de l’abbaye depuis la fermeture du collège étant àdominante culturelle.

Le plus ancien occupant de l’abbaye est l’harmonie municipale, dont le lieu de répétitionest une des salles de l’abbaye.

Une salle des Fêtes a été aménagée en 1985, accueillant divers spectacles, fêtesd’école, galas de danse et autres pièces de théâtre amateur, et étant égalementrégulièrement transformée en salle de cinéma.

Diverses manifestations ayant trait au terroir et à la tradition ont également lieu dansles locaux de l’abbaye, telles les manifestations gastronomiques ou le Marché de Noël.

Enfin, certaines salles de l’abbaye accueillent les cours de musique de l’Ecole deMusique et de danse du haut Nivernais Morvan, et sont des salles de répétition pour leschorales amatrices locales.

Ces divers usages ont un lien de près ou de loin avec la culture. Ils sont tous antérieursà l’élaboration du projet culturel.

C’est cependant une autre activité qui a davantage fixé l’abbaye comme lieu d’activitéet de pratique culturelle. Il s’agit du Festival de musique classique, « Les Fêtes Musicales deCorbigny », qui a lieu chaque mois d’août depuis 1991 dans les locaux et dans les deux coursextérieures de l’abbaye. Ce festival est depuis quelques années de réputation nationale. Ilaccueille des musiciens classiques nationaux et internationaux.

Les festivals sont beaucoup utilisés pour développer un territoire, en permettantd’élargir son activité touristique : « Dans un but de développement économique, unecollectivité peut développer une politique de festivals. La démarche n’est pas la mêmeque celle de l’aide au spectacle vivant : il ne s’agit pas seulement d’un service rendu auxhabitants, mais d’une politique tendant à faire venir de l’extérieur des usagers du festival ».21

Cependant, les effets d’un festival sur le territoire sont restreints, du fait de la ponctualitéde la manifestation. Un projet de développement ne peut pas se fonder uniquement sur lacréation d’un festival. Il fallait donc proposer un projet qui soit inscrit de manière permanentedans le territoire, et non une activité de l’ordre de l’événementiel, dans le but de multiplierles effets attendus, sans les limiter à la période estivale. Le festival a néanmoins permisd’insuffler une vraie dynamique au projet, ce dernier ayant acquis une forte reconnaissanceet ayant permis d’identifier l’abbaye comme espace culturel : « ce qui a un peu fait sortir

l'abbaye de l'ombre, c'est d'abord « Les Fêtes musicales » » 22 ; « Le festival des « fêtes

musicales » existait à l’époque depuis a peu près 12 ans, 12 ou 13 ans, quelque chosecomme ça, et que quelque part il y avait eu, à partir de cette manifestation annuelle, une miseen œuvre de cette abbaye et que donc ça justifiait qu’un projet comme ça s’y développe. »

21 Jacques Rigaud in Rapport d’information sur « L’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires »,enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 7 juin 2006

22 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

27

23 Il semble que ce soit le succès de cette manifestation qui ait donné l’envie aux éluslocaux de faire de l’abbaye, plus qu’un lieu d’accueil de manifestations événementielles, unlieu de culture à part entière, qui permettrait d’identifier Corbigny comme le pôle dynamiqueculturel du territoire. C’est aussi de ce festival qu’est certainement né le besoin de rénoverles bâtiments de l’abbaye, confirmé par l’attribution du titre de « Monuments historiques ».

Il est toutefois évident que sans l’existence d’un projet au préalable, il aurait été plusdifficile de justifier la restauration du bâtiment à ce titre de «Monument historique », et lesfinancements auraient été beaucoup plus difficiles à obtenir.

Christian Paul dissocie le projet culturel de la rénovation des bâtiments de l’abbaye :« On sentait bien qu’on cherchait autour de ce lieu à en faire plus que, simplement un lieud’accueil pour des manifestations périodiques. Donc il y avait l’idée qu’il fallait non seulementavoir une activité de reconstruction, de restauration de ce bâtiment, mais aussi un vrai projet

culturel, dans la durée ». 24 Toutefois, pour la plupart des personnes avec lesquelles je me

suis entretenue, il était nécessaire de proposer un projet pour pouvoir restaurer l’abbaye. Or,cette rénovation était une des priorités de la commune, l’abbaye étant, comme nous l’avonsvu, un bâtiment très identitaire. Pour Philippe Leplat par exemple, « parce qu’il y avait ce siteabbatiale, de toute façon, qui était à mon avis à consolider, et hormis y intégrer de la culturepour en justifier l’utilisation, donc une réfection complète de cette bâtisse ; hormis cetteactivité culturelle, ou alors l’enseignement, mais l’enseignement l’avait déjà quitté, pour des

raisons, à mon avis de fonctions ». 25 Ainsi, il semble que l’usage culturel s’est imposé au

bâtiment, comme le rappelle également Christian Paul : « c’est vrai que dans les réflexionsque j’ai trouvé, (pause) j’ai été élu ici, autour de l’abbaye, il y avait essentiellement desprojets à caractère culturel. L’idée de transformer l’abbaye en un hôtel était par exemple pasvraiment en débat ; enfin, ça a été évoqué ici ou là, mais…il n’y a jamais eu une alternative,

finalement, à un usage culturel ; simplement, il fallait savoir lequel, comment faire… » 26

Antoine-Laurent Figuière explique également que sans projet culturel précis, lamunicipalité n’aurait pas pu bénéficier de tous les financements dont elle dispose aujourd’huipour la rénovation de l’abbaye : « Dans un premier temps, je dirais, qu’il y a d’abord…Avantde parler deux projets de l’abbaye, j’aimerais parler de l’abbaye comme bâtiment classé.Donc à partir du moment où le bâtiment de l’abbaye a été classé ; où la municipalité deCorbigny voulait absolument réhabiliter ce monument, l’accord et l’intervention du serviceadministratif de l’Etat sur la rénovation de ce bâtiment, dans le cadre des monumentshistoriques, a été assorti d’une demande qui sans être pressante, était néanmoins forte

d’articuler avec cette réhabilitation un projet artistique et culturel ». 27

Le projet vient donc avant tout de la nécessité de réfection et de mise en valeur del’abbaye. De plus, un projet culturel est ce qui correspondait le mieux au lieu ; d’abord parceque c’est un site patrimonial ; puis parce que ces activités préalables étaient essentiellementculturelles depuis la fermeture du collège.

23 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200724 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200725 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 200726 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200727 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

28

Depuis le début des années 2000, la municipalité de Corbigny attribue des locaux àplusieurs compagnies artistiques à l’intérieur de l’abbaye. Elle a par la suite permis à uneautre compagnie, METALOVOICE, de s’installer dans une ancienne usine de la commune.

Nous pouvons donc remarquer que dans ce cas précis, la construction d’un projetculturel donné procède avant tout de la concrétisation d’un cheminement très progressifet de la volonté locale de privilégier la dimension culturelle dans la dynamisation de sacommune.

Ce projet culturel n’a pas été créé de toute pièce, même si, encore une fois, cette

constatation ne fait pas l’unanimité (« Ce projet est une création à part entière ») 28 .

Il vient mutualiser les différentes activités qui existaient au sein d’un lieu, les met encommun afin de les faire travailler ensemble. Le projet apporte une ligne conductrice, desobjectifs communs, et entérine le statut de l’abbaye comme un lieu de culture à part entière.

Ainsi, il convient de noter que la construction d’un projet culturel provient du constatd’une utilisation majoritairement culturelle mais diffuse (et donc à organiser) d’un lieupatrimonial, de la volonté locale de dynamiser son territoire, mais aussi de la nécessité deproposer un projet de développement, quel qu’il soit, dans le but de rénover un lieu qui faitpartie intégrante de son territoire et qui s’identifie à lui.

b) le sens donné à la « culture » dans un projet de développement

Les différents documents que j’ai pu consulter font tous état d’un « projet culturel »,avant de parler de projet de développement. Or, cette dénomination peut avoir plusieurssignifications.

Lorsque l’on parle de culture dans un projet de développement, quelle signification luidonne-t-on alors ?

Lors des entretiens, aucune réponse similaire n’a été fournie. Pour la plupart, il s’agitavant tout des arts majeurs : musique, théâtre, danse, peinture etc. Philippe Leplat déclarepar exemple : « Dans cet espace, il y a plusieurs cultures parce qu’on y retrouve du théâtre,de la musique sous plusieurs formes, tout ce qui est écriture aussi, avec Jean Bojko, et la

peinture… » 29

Pour d’autres, la culture a un sens plus large : elle englobe toutes les sortesde manifestations auxquelles se prêtait l’abbaye avant l’existence du projet. Elle peutdéfinir également un ensemble de valeurs, faisant référence aux relations sociales, à descomportements et des objectifs communs, mais aussi à des comportements similaire entreindividus d’une même société.

C’est cette définition qui est privilégiée par Jean-Paul Sêtre : « Je crois que la cultureest diverse et variée. Il n’y a pas la Culture avec un grand C, il y a des cultures qui peuventêtre la culture. Ca peut être se préoccuper de jardins, ça c’est culturel. Enfin je veux dire…Ce qu’on essaye de montrer, c’est que dans le culturel y a pas que de l’artistique. Il y a aussitous les mariages que l’on peut faire de l’artistique avec le social. Enfin il y a énormémentde choses, et que finalement, ce qui peut rentrer dans le champ de la culture, il est quandmême beaucoup plus vaste et plus divers que la définition démocratique ou sociologique

28 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 200729 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

29

de la culture. » 30 ; Alain Mignon donne une définition similaire : « Oui, et puis la culture,

c’est un peu le quotidien, c’est un peu la vie de tous les jours. Quand on mène un atelierde théâtre, comme je te disais, on part de ce qu’est la personne. La culture, c’est tout !Ca peut être, comme dit Jean Bojko, le potager, tu vois…parce qu’on est habitué à ce quela culture, c’est un grand C : que c’est les bouquins, le cinéma, ou que c’est la musique

classique, l’opéra… » 31 .

Néanmoins, dans un projet de développement, il est nécessaire de restreindre cettedéfinition afin d’adopter des champs d’action précis. Certains domaines sont donc privilégiésdans la construction d’un projet, quel qu’il soit. Antoine-Laurent Figuière rappelle ainsi qu’auniveau national les mêmes restrictions dans la définition de la culture s’imposent : « toutpeut faire culture, donc tout fait culture. Or, vous savez que les fonctions d’un ministresont définies par décret, donc les champs d’intervention sont définis par décret. Donc dansles champs d’intervention, il n’y a pas forcément tout ce que les gens s’imaginent qu’ils

pourraient demander. » 32

D’un point de vue pratique, si tout fait culture, il paraît impossible de tout incluredans un projet culturel, au risque de le rendre illisible et incohérent. Malgré tout, lesacteurs ont souhaité conserver toutes les activités présentes à l’abbaye avant la créationde l’espace de culture, celles-ci constituant une part importante de l’identité du bâtiment.Ainsi, des associations, issues de la population locale, cohabitent avec des compagniesprofessionnelles : « ce qui m’intéresse aussi, c’est d’organiser la rencontre entre lespratiques amateurs et les pratiques professionnelles, dans le respect les unes des autres ;

des pratiques culturelles et des pratiques artistiques… » 33 .

Pour Jean-Paul Sêtre, « Ce qu’on a voulu préserver absolument à Corbigny, en tout cassur le site, c’est la vie des gens. A savoir les concours de belote, les rifles, les associations,

les baptêmes, enfin, tout ce qui relève de la vie normale. » 34

Jean-Sébastien Halliez évoque toutefois les limites d’un tel choix : « Bon, parfois, il ya des excès, hein ! Par exemple, je sais plus, l’autre jour, il y avait je sais plus quoi, deschasseurs qui étaient venus se réunir pour le comptage de je sais plus quoi, de la chasse.[…] Je pense qu’ils respectent vraiment le… (pause) enfin, certains, je dirais presque trop,

quoi, les pratiques préexistantes ». 35

On peut également noter que les formes de cultures traditionnelles ont été rarementévoquées. Il a été peu question ici de musique ou de danse morvandelle…

La ligne adoptée par les acteurs du projet est donc majoritairement de développer lesarts majeurs, que sont la musique, le théâtre, la peinture ou la danse.

30 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200731 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 200732 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200733 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200734 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200735 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

30

Une différence doit également être faite entre projet culturel et projet artistique, alorsque dans le cas de l’abbaye, les deux expressions sont employées. Dans la plupart descas, le projet est restreint à la définition de « projet culturel ». Toutefois, certains acteurspréfèrent parler de « projet culturel et artistique ». A partir de la distinction qu’Antoine-Laurent Figuière fait entre ces deux termes, il semble effectivement que le projet de l’abbayesoit aussi bien culturel qu’artistique. Pour ce dernier, « Une pratique culturelle peut êtreaussi la fréquentation des œuvres. La pratique artistique, c’est le fait d’en faire ou d’enfabriquer. Alors dans ces pratiques artistiques, il y a plusieurs niveaux : il y a le niveau dela prise de risque artistique ; de la prise de risque sociale liée à la professionnalisation ;encore faut-il qu’on est la moelle, ce que nul ne peut se prévaloir, d’être artiste à vie ; etpuis des pratiques artistiques qui sont valorisantes pour l’individu, et qui n’ont pas forcémentà voir avec des pratiques culturelles, qui sont la fréquentation des œuvres, qui sont despratiques sociétales ou sociales. Et dans les pratiques culturelles, il y a plusieurs niveauxde pratiques culturelles : quand on mange, on a une pratique culturelle, mais qui est plutôt àcaractère anthropologique, quand on lit, c’est une pratique culturelle, mais plutôt à caractère

artistique. » 36

Définir un projet culturel lisible et cohérent qui satisfasse au mieux la population ainsique la volonté de chaque acteur du projet est un travail périlleux. A cette difficulté s’ajoute,dans le cas de l’abbaye, la pluralité d’activités à laquelle elle était consacrée au préalable,sachant que chacun souhaite voir son activité intégrée et mise en valeur au sein du projet.Comment un lieu aux multiples fonctions, de nature parfois très éloignées, peut alorsrenvoyer à la population une image claire et cohérente ?

L’autre difficulté est d’arriver à concilier ces différentes activités. Selon Christian Paulil fallait « éviter de transformer l’abbaye uniquement en grand local associatif ; mais parcontre, il ne fallait pas aller non plus vers une appropriation élitiste, qui aurait coupé l’abbaye

de la ville et du territoire. » 37 Le projet est donc de deux ordres : une partie cherche à

mutualiser les activités préexistantes ; l’autre partie tend à créer un véritable lieu culturel,occupé par des artistes professionnels.

c) le choix de la création artistique

Les acteurs du projet ont choisi de privilégier l’instauration d’un lieu de créationartistique plutôt que l’aménagement d’une salle de spectacles centrée sur la diffusiond’œuvres.

Il s’agit en réalité de créer une sorte de friche culturelle. Une friche culturelle est « unespace vidé de son activité économique passée, industrielle en général, et aujourd’huiconsacrée à l’accueil d’activités culturelle, pour en faire des pôles de développement. Lesdeux objectifs d’une friche culturelle sont de réanimer des espaces locaux, et de mettre enœuvre de nouvelles synergies […] Elles assurent une circulation des ressources culturelles,

36 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200737 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

31

sociales et symboliques dans un espace souple où se croisent différents types de pratiques

et différentes disciplines artistiques ». 38

La spécificité des friches culturelles se construit donc dans la rencontre entre desartistes professionnels et moins professionnelles, jeunes et moins jeunes.

Afin de se démarquer et d’offrir un projet unique en son genre, Christian Paul a choisila dénomination de « ruche artistique » pour décrire ce lieu. Il le définit comme « un espacequi accueille des créateurs d’inspirations différentes. Et plutôt que d’avoir, au fond, uneprogrammation autour d’un artiste, on est, au fond, dans un lieu, dans une fabrique deproduction de spectacles, des gens qui travaillent sur l’année, qui sont divers, des gens quiviennent pas pour 2 jours, ou pour 2 mois, mais qui viennent sur quelques années, et sans

avoir l’impression d’être abonné pour l’éternité à ce lieu. » 39

Le fait que les compagnies en résidence à l’abbaye avant l’existence du projet soientaxées sur la création n’est sans doute pas anodin à ce choix. Il s’agissait de construire avecles acteurs et partenaires déjà présents, et non pas de créer un projet culturel ambitieux enne faisant appel qu’à l’extérieur du territoire.

Néanmoins, ce choix est souvent largement justifié dans les entretiens ; il sembledonc qu’il n’aille pas de soi. Cette justification récurrente induit certainement un manqued’approbation ou un manque de compréhension ressenti par les porteurs du projet. Nousreviendrons plus longuement au cours de l’étude sur la difficulté de faire comprendre et defaire accepter un projet auquel une population ne s’attend pas forcément, et qui déroge auxhabitudes.

C’est aujourd’hui la difficulté majeure à laquelle doivent faire face les différents acteursdu projet culturel.

On rappelle également beaucoup la volonté pour Corbigny de ne pas devenir une autreMaison de la Culture : « Il faut trouver des astuces pour ne pas s’imaginer qu’on est uneMaison de la Culture qui fait de la diffusion, mais qu’on est un lieu de création, qui permet defaire partager du savoir, de faire partager des compétences, et qui s’inscrit vraiment dans

une volonté sociale. » 40 .

Ainsi, pour être identifié de manière claire, il semble primordial de construire un projetsingulier, innovant.

Enfin, une des spécificités du milieu rural est sa faible offre en matière culturelle dû,comme nous l’avons vu précédemment, à son isolement et au nombre très insuffisantd’équipements culturels.

Les acteurs du projet avaient donc la volonté forte de proposer une politique culturelleafin de palier ce qu’ils qualifiaient comme manque au territoire : « moi, j’ai toujours considéréque dans cette partie du département, on avait une vraie nécessité de mettre en œuvreune politique culturelle. On l’a fait de différentes manières, depuis une dizaine d’années ;en encourageant des festivals, en encourageant les résidences durables de créateurs, de

38 Xavier Greffe, « Le rôle de la culture dans le développement local » in Institutions et vie culturelles, sous la direction deGuy Saez, La Documentation française, Paris, 1996

39 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200740 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

32

compagnies, pas seulement à l’abbaye d’ailleurs. » 41 Il s’agit ainsi, de manière plus large,

de proposer une offre culturelle diversifiée et de qualité aux habitants du territoire, avecl’idée pour les acteurs du projet d’améliorer leur qualité de vie.

Au regard des modalités du projet de l’abbaye, nous pouvons constater que ce dernieragit sur plusieurs domaines. Il contient tout d’abord un volet patrimonial, avec la rénovationdes bâtiments de l’abbaye. A cela s’ajoute un volet culturel, en créant au sein de cemonument un espace de culture. Le projet contient aussi, comme nous l’avons vu, un voletartistique, à travers l’accueil de compagnies qui utilisent l’abbaye comme un lieu de création.Enfin, nous pouvons relever un volet social, qui consiste à sensibiliser la population localeà la culture et lui laisser un espace d’expression en intégrant toutes les pratiques amateursau projet. Il serait alors plus juste, comme l’a signalé Antoine-Laurent Figuière, de parlerde projets au pluriel, plutôt que de considérer qu’il n’existe qu’un seul projet parfaitementhomogène.

Nous verrons plus tard que le propre d’un projet de développement est justement des’ouvrir sur plusieurs secteurs, de composer avec les réalités et le contexte du territoire enessayant de mobiliser au maximum la population locale.

3) Adapter le projet au territoire

Il convient à présent de s’interroger sur la nécessité ou non d’adapter un projet dedéveloppement au territoire sur lequel il s’applique. On peut ainsi se demander si un projetculturel de la nature de celui de l’abbaye peut être adapté à tout type de territoire.

Nous verrons ensuite que les acteurs du projet ont cherché à prendre en compte lesspécificités du territoire dans la construction du projet.

Les avis divergent sur ces deux points que je viens d’énoncer. Pour certains, un projetculturel de développement ne peut s’élaborer que lorsque le territoire dans lequel il s’inscrita des prédispositions à recevoir ce projet, et possède des pratiques culturelles fortes : « Jesais pas si ça peut s’adapter partout. Parce que moi j’avais entendu parler d’un projet dansla Beauce. Bon, la Beauce, il y a pas grand-chose, c’est qu’une grande plaine. Et je suis pascertain que ça ait marché. Je pense qu’il faut quand même dans l’histoire, dans le passé,quelque chose qui permette de…Qu’il n’y ait pas une rupture de cycle…sociologique. Que

ça s’inscrive dans quelque chose qui est toujours un petit peu présent dans les têtes. » 42

. Pour d’autres, un projet de développement peut s’appliquer à n’importe quel territoire, à

41 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200742 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

33

partir du moment où il est expliqué et compris par sa population : « Je pense pas qu’il faille

des conditions préalables. En effet, la culture vient avant tout de la volonté » 43

Pierre Teisserenc affirme la nécessité d’adapter un projet de développement à sonterritoire, en mobilisant au mieux les ressources locales, matérielles et immatérielles, et enutilisant ses spécificités.

Concernant les caractéristiques du territoire, il est, pour la plupart des acteursconcernés, nécessaire de le prendre en compte dans l’élaboration du projet.

Ces spécificités regroupent tout d’abord le milieu et le contexte géographique, ainsique la dynamique dans laquelle s’inscrit le territoire. Un territoire urbain, périurbain, rural oufortement isolé n’aura pas les mêmes caractéristiques et les mêmes besoins.

L’histoire du territoire constitue également une spécificité importante. Enfin, un territoirese caractérise par les pratiques culturelles, les activités privilégiées par ses habitants.

Dans le cas du projet de l’abbaye, il semble qu’un effort a été fait sur la prise en comptede ces diverses modalités, que ce soit dans l’élaboration du projet puis dans les créationsartistiques produites par les compagnies.

a) une prise en compte des spécificités du monde rural

Le territoire du projet est ici à forte dominante rurale couplé d’un isolementgéographique important. Bernard Kayser définit l’espace rural comme « une densitérelativement faible des habitants et des constructions, faisant apparaître uneprépondérance des paysages à couverture végétale ; un usage économique à dominanceagro-sylvo-pastoral ; un mode de vie de ses habitants caractérisé par leur appartenanceà des collectivités de taille limitée et par leur rapport particulier à l’espace ; une identité

et une représentation spécifiques, fortement connotées par la culture paysanne. » 44 De

plus, « Le monde rural n’est pas monolithique, il se présente sous une grande diversité :démographique, économique, sociologique. Cette diversité entraîne des différences de

développement, notamment dans le domaine culturel. » 45

Il est caractérisé par une forte activité autour de l’agriculture. En outre, son isolementgéographique rend l’accès aux équipements et aux services du milieu urbain difficile pourles habitants.

Les individus vivant en milieu rural sont alors habitués à cet accès limité auxmanifestations culturelles urbaines, telles les représentations théâtrales, les concerts demusique ou les expositions, et la demande est faible à leur égard.

La population rurale a ainsi recréé d’autres formes de culture qu’elle s’est appropriéecomme étant spécifiques à son territoire ; il s’agit de tout ce qui relève du folklore, de laculture traditionnelle.

Les acteurs du projet de l’abbaye ont cependant fait le choix de ne pas intégrer cesformes de culture au projet.

43 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200744 Bernard Kayser, La Renaissance rurale, Sociologie du monde occidental, Armand Colin, Paris, 199045 Présentation de « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

34

Le risque pour eux serait de figer le territoire en lui fermant les portes de la modernité.Sans pour autant renier ces formes culturelles traditionnelles, ils ont donc privilégié la miseen œuvre des formes de culture auxquelles la population ne pouvait auparavant pas avoiraccès.

Au sens strict du terme, la dimension rurale du territoire n’a donc pas été prise encompte dans la construction du projet.

Cependant, il en paraît autre pour les créations produites par les artistes. Prenonsl’exemple des METALOVOICE et de leur action nommée « Les Territoires occupés ». Cesderniers ont utilisé comme matière première le monde agricole, en travaillant étroitementavec les agriculteurs de la région. On peut ainsi considérer qu’ils ont utilisé, pris en compte,une des spécificités premières du territoire à partir de laquelle ils créent : l’agriculture,élément encore caractéristique du monde rural : « Aujourd'hui nous travaillons pour leprochain spectacle sur une forme plus accessible aux petites villes car nous souhaitons quenos spectacles soient aussi adaptés à la diffusion en milieu rural . Ce qui n'était pas lecas avant. Puis il nous a fallu appréhender notre contexte d'implantation pour envisagerun travail de création sur le territoire associant population et environnement. C'est ce que

nous faisons avec notamment l'action agriculturelle "Les Territoires Occupés".» 46

Cependant, cette prise en compte n’est pas forcément faite dans le but de plaire aupublic, de faire que ce projet soit une réussite en terme de fréquentation. Simplement,les artistes utilisent leur environnement comme matière, comme réflexion antérieure à toutprojet de création : « l’idée, c’est que ça se crée pas dans un territoire rural forcément, maisau bout d’un moment, étant dans un territoire rural, on lève des choses qui appartiennent à

la ruralité. » 47 ; « C'est l'ambition du projet qui m'intéresse ici, ce n'est pas particulièrement

la ruralité. La ruralité c'est un fait, il est incontournable et nous essayons de faire avec. »48 . Alain Mignon précise aussi que la prise en compte de ressources du territoire dans leprocessus de création n’est pas nécessairement un but en soi mais une matière présentesur le territoire qui nourrit la création et peut aider à la mise en œuvre des productionsartistiques : « Alors, au départ, si tu veux, quand on décide une création, pour moi c’est qu’ona envie de réaliser un truc, on s’en fout ! On est dans notre bulle, on s’en fout complètementde ce qu’il y a dehors ! Sauf qu’après quand on va le mettre en place, obligatoirement, oui !

C’est-à-dire que si on est ici, on va obligatoirement travailler avec des gens du coin. » 49

Nous reviendrons sur ce point au cours de l’étude et nous verrons que parfois, le choixest fait de s’adapter au goût de la population locale, et de lui proposer des spectaclesattendus.

b) une prise en compte de l’héritage historique du territoire

Le choix est parfois fait d’aller à l’encontre de ces attentes pour présenter quelquechose de novateur, d’inhabituel. C’est notamment une des questions majeures relative à la

46 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 200747 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 200748 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 200749 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

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construction du projet culturel que Jean-Paul Sêtre soulève : « Alors ça c’est un vrai débat.Est-ce qu’on va dans le sens des gens de ce qu’il veulent ? Ou, est-ce qu’on essaye de

décaler les choses pour les faire aller là ou ils ne veulent pas aller a priori ? » 50

Jean-Sébastien Halliez explique également : « J’ai le sentiment que la ruralité a étéprise en compte…quand on parle des jardins potagers, oui. Ca pourrait être urbain, maisc’est aussi rural. Quand on parle d’action des « Métalovoice » dans les champs, oui. C’estvraiment rural. On a Christina Fabiani, qui n’est pas à l’abbaye, mais qui est artiste, qui estbasée à Lormes, qui fait un projet intéressant sur le film qui a été tourné, des habitants, surl’agriculture etc. Donc là, on est vraiment dans la ruralité. Donc globalement, il y a quandmême une forte connotation rurale dans beaucoup de choses. Mais c’est pas forcément laconnotation ruraliste ; c’est-à-dire celle, bon, qui peut être la tradition reproduite ; non, elle

la fait forcément évoluer. » 51

Comme nous l’avons vu précédemment, le projet est né de la volonté de réhabiliter unmonument qui était intrinsèquement lié à l’identité de la ville, et d’exploiter ses potentialitésculturelles.

En ce sens, le projet ne s’est pas adapté au territoire, il est né à partir d’une desspécificités du territoire : l’abbaye, sans laquelle certainement aucun projet n’aurait vu lejour…L’abbaye est alors la spécificité majeure qui a été prise en compte. « l’abbaye étaità la fois un lieu très approprié par les Corbigeois, où il y avait déjà un certain nombre de

manifestations culturelles, et notamment « Les Fêtes musicales », les concerts de l’été. » 52

. A partir du moment où l’abbaye est un lieu identitaire, le choisir comme élément constitutifdu projet permettait de ne pas déconnecter cet espace culturel de son territoire et de seshabitants. Il n’en aurait pas été de même si un bâtiment avait été spécialement construitpour abriter cet espace.

Certains justifient l’usage qui est fait de l’abbaye aujourd’hui en remontant son histoire,celle des moines mauristes qui consacraient leur temps à l’écriture puis les diversesutilisations qui lui ont succédé : « Oui, parce qu’on est dans une histoire quand mêmeintellectuelle depuis le départ. Les moines bénédictins, c’était quand même des moinessavants, notamment les mauristes. C‘étaient les traducteurs et commentateurs de StAugustin, donc il y a du savoir. […] Après la Révolution, c’est devenu un lieu d’enseignementaussi, longtemps confessionnel et après laïc. Donc cette tradition là fait qu’il fallait que ça

devienne quelque chose de …une vue de l’esprit quoi. » 53

Pour certains, la transformation de l’abbaye en espace culturel respecte donc sonutilisation traditionnelle, depuis ses origines.

Néanmoins, ce rappel historique est parfois exacerbé et sert avant tout de justification,

Jean-Paul Sêtre rappelant : « Même si ici c’était plutôt des planteurs de choux… » 54 .

50 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200751 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200752 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200753 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200754 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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L’histoire du territoire est également utilisée comme matière pour la création artistique.Jean Bojko a par exemple exploité un point caractéristique de l’histoire de Corbigny et deses habitants pour monter –et justifier- sa propre production artistique. : « Là, l’idée est partiede l’histoire des reliques de Saint Léonard à Corbigny. C'est-à-dire qu’au Moyen Age, lesCorbigeois ont menti : les moines et les habitants ont menti. Il n’y a jamais eu de relique deSaint Léonard à Corbigny. Donc on a recherché un petit peu. Et ils ont menti parce qu’il étaitquestion du prestige de cette abbaye, et du développement à Corbigny. Donc à l’époque,on inventait, et ça s’est fait à différents endroits, on inventait, de manière à faire venir despèlerins, et puis à enrichir son territoire. Donc aujourd’hui, nous ce qu’on fait, on inventeune bière mythique au même titre que les reliques, donc on va même faire un reliquaire

pour la bière. » 55

Cependant, cet héritage historique du territoire sert souvent d’alibi avant tout. C’estune autre potentialité, patrimoniale ici, qui est exploitée dans le but de nourrir l’activitétouristique : « Il y a eu un travail tout à fait intéressant qui a été fait sur l’histoire du lieu, doncun livre, (pause) et puis aussi une visite bien documentée qui existe. Donc, de ce point de

vue là, c’est pas mal même fait. » 56

Des constructions, des inventions participent d’une démarche de développement aussibien que l’exploitation d’un héritage. Il s’agit de réutiliser les ressources d’un territoire etd’en exploiter les potentialités. Ici, les potentialités majeures sont centrées sur l’abbaye etl’histoire du lieu. Jean Bojko travaille notamment à réinventer l’histoire du lieu et de la ville,en créant par exemple des dictons. Xavier Greffe nomme ce processus le développementde « capacités d’apprentissage de mémoire et d’action », et l’oppose à l’exploitation d’unavantage naturel ou hérité.

c) une prise en compte des pratiques préexistantes

Enfin, en intégrant les activités préexistantes se déroulant au sein de l’abbaye, lesacteurs du projet entendent respecter et valoriser les diverses pratiques locales, qui fondentl’identité du territoire : « Voilà, qui est un aspect, quand même fondateur ; parce que le lieu,avant que ce soit un projet de Pays, c’était quand même un lieu associatif ; en tout cas, pourles associations. Donc, il y a toujours des pratiques, notamment l’Harmonie, qui travaille à

l’abbaye ; Donc oui, ça respecte, me semble-t-il » 57 . Les premiers acteurs à avoir été

sollicités ont donc naturellement été les associations qui occupaient les locaux.De plus, les acteurs cherchent à montrer que la construction de la commune de

Corbigny comme pôle culturel s’inscrit dans la continuité de sa dynamique et ne vient querenforcer ses activités traditionnelles : « il y avait toutes ces raisons là : c’était déjà unfoyer culturel, c’était un monument historique important, c’était déjà un lieu de rencontreset de manifestations, souvent d’ailleurs aussi de manifestations commerciales, avec lesmarchés et foires qu’on pouvait trouver il y a une dizaine d’années et qu’on retrouve encore

aujourd’hui. » 58

55 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 200756 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200757 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200758 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007

Première partie :La culture dans une démarche de développement local

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Il s’agit, comme le rappelle Christian Paul à plusieurs reprises, d’inscrire le projet dansla ville. Tenir compte de ses pratiques et coutumes préexistantes permet ainsi de limiter lerisque de déconnecter le projet de la population et du territoire concernés : « Sans perdre lelien avec la ville. L’idée est aussi qu’on peut retrouver dans ce lieu un centre de profanationde quelque culture que ce soit ; de manifestations autour de produits du terroir ; voilà, l’écolede musique a sa place et c’est très bien ; donc d’éviter qu’il y ait une rupture entre la ville et

l’abbaye. Il faut vraiment que ce soit une alchimie entre les deux… » 59

Ainsi, un projet de développement entend moderniser un territoire tout en conservantce qui fonde son identité et ce en quoi les habitants se reconnaissent. Ce dernier doit,comme le précise Pierre Teisserenc, respecter l’ensemble des données constitutives del’identité du territoire : « Au centre du projet du processus de transformation, il y a un projetcollectif qui prend en compte la complexité du territoire du point de vue de son histoire, desa géographie, de son économie, de sa culture et de son système d’acteurs. Ce projet apour fonction à la fois de donner sens et cohérence, de globaliser, d’anticiper et de signifier

la volonté locale de maîtriser le devenir du territoire selon ses finalités propres. » 60

Cependant, ne conserver que ces spécificités aurait figé le territoire dans le passé. Unprojet de développement est au contraire tourné vers l’avenir. Il s’agit donc de conserver deséléments du passé tout en innovant, se projeter dans l’avenir sans être tenté de reproduireles tendances passées.

Pour être clair et cohérent, un projet de développement doit donc se fonder sur certainsprincipes, que sont la définition du territoire concerné, la définition d’un projet culturel viableet l’adaptation de ce projet aux spécificités du territoire pour espérer une bonne mise enœuvre. Ces trois points semblent essentiels pour la réussite du projet. En effet, il sembleque si ces éléments ne sont pas respectés, la population du territoire sera dans l’incapacitéde comprendre, d’accepter et de s’approprier le projet.

Or, la réussite d’un projet de développement dépend avant tout de la mobilisation de lapopulation du territoire concerné à sa mise en œuvre et son bon fonctionnement.

59 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200760 Pierre Teisserenc, Les politiques de développement local, Economica, Paris, 1994

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Deuxième partie :La construction d’unprojet mobilisateur

1) La mobilisation d’acteurs locaux

Un projet de développement émane essentiellement d’acteurs locaux. Il s’agit la plupartdu temps d’une volonté locale de redynamisation d’un territoire. En milieu rural, les acteurslocaux désignent avant tout les élus, mais aussi l’ensemble des travailleurs, peu importe lesecteur d’activité, ainsi que le monde associatif. Dans le contexte de l’établissement d’unprojet culturel, les artistes implantés dans la région sont également concernés.

Or, il semble que l’élaboration et la bonne marche d’un projet de développementdépendent de la mobilisation de l’ensemble de ces acteurs et d’une concertation dequalité entre tous. La notion de partenariat est ainsi récurrente dans toute démarche dedéveloppement : « Le développement local implique une bonne organisation des relationsentre les acteurs d’un territoire pour faire le diagnostic des ressources locales, élaborer encommun un projet de développement et entreprendre des investissements qui s’appuierontmutuellement. Le projet de développement traduit ici la volonté d’infléchir ou de dépasserles déterminismes qui ont joué défavorablement pour le territoire concerné, de se protéger

contre les aléas, de permettre aux agents de communiquer entre eux. » 61

a) une émanation des élus locaux

Selon Pascal Saffache, les acteurs locaux sont « l’ensemble des personnes ou desinstitutions qui participent, directement ou indirectement, à l’élaboration des projets dedéveloppement. Il existe plusieurs types d’acteurs locaux : les acteurs publics (élus descollectivités locales), les représentants des services déconcentrés de l’Etat (préfecture,

61 Xavier Greffe, Sylvie Pflieger, Culture et développement local, OCDE, 2005

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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représentants des organisation socio-professionnelles, des centres de formation, des

associations de développement etc.). » 62

Les collectivités locales sont souvent les premières à insuffler une démarche dedéveloppement. Dans le cas du projet de l’abbaye, l’initiative provient de certains élusmunicipaux dont la volonté était de trouver les moyens de mettre en valeur le monumentle plus important de la commune : « c’est d’abord une volonté municipale. S’il y avait paseu la volonté municipale, il y aurait pas de projet. Donc, depuis la fermeture du collège, on

va dire, en 1983, il y a une question qui est : que fait-on de ce lieu là ? » 63 . Il convient

de rappeler que la municipalité est propriétaire de l’abbaye ; il est donc logique que cettedernière soit le premier décideur et l’acteur principal d’un projet engageant son bâtiment.

Selon Pierre Teisserenc, « La complexité des rapports sociaux et la variété desrelations stratégiques qui en résultent sont telles qu’il y a nécessité pour le système sociallocal de chercher à se doter d’une capacité de décision autonome, tout en réactivant

la forte interdépendance entre les acteurs et entre les lieux d’activité. » 64 Le travailde la municipalité a alors été de proposer une démarche, de rechercher des partenairessusceptibles de mettre en valeur le projet qu’elle souhaitait, puis de suivre sa constructionen conservant un droit de regard important sur l’évolution du projet. Elle a également étéchargée de l’embauche de l’administrateur du site. Globalement, c’est elle qui organise uneforme de concertation entre les différents acteurs. La concertation est un des élémentsfondateurs de la réussite d’un projet de développement local ; c’est donc à la municipalitéque revient la responsabilité la plus importante : « Reconnaître que l’on doit apprendreensemble suppose que les agents du territoire se placent dans une perspective associantleurs préférences, sans nécessairement les confondre. Dans un monde aléatoire où esintérêts des agents ne se correspondent pas nécessairement, toute action collectivesupposera un minimum de consensus sur des objectifs ou la manière de poser les

problèmes, ce qui sera l’objet des projets de développement local » 65

L’équipe municipale est aussi chargée d’établir des « compromis culturels », selonl’expression employée par Vincent Dubois, desquels ils peuvent paradoxalement êtreexclus. Ces compromis se font en effet bien souvent entre les acteurs appartenant purementau domaine de la culture, mais il revient ensuite à la municipalité de les gérer.

Aujourd’hui encore, il semble que la municipalité ait un statut de décideur important. Deplus, le projet n’ayant pas encore de structure juridique, il reste aujourd’hui officiellementsous la coupe de la Mairie de Corbigny.

L’initiative du projet provient également de l’Office de Tourisme de Corbigny, quisouhaitait faire de l’abbaye un site touristique. Un fort partenariat a donc été établi,permettant à cet organisme d’installer son bureau d’accueil dans les locaux de l’abbaye.Ce partenariat permet ainsi de développer l’offre touristique du territoire tout en valorisantl’abbaye.

62 Pascal Saffache, Glossaire de l’aménagement et du développement local, Ibis Rouge Editions, paris, 200563 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200764 Pierre Teisserenc, Les politiques de développement local, Economica, Paris, 199465 Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 2002

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Enfin, on peut s’interroger sur le degré politique du projet. Lors d’un meeting soutenantla candidature de Ségolène Royal aux Présidentielles, Christian Paul, député socialistede la circonscription, a présenté ce projet comme reflétant à petite échelle le programmede la candidate. La municipalité de Corbigny est socialiste. Ainsi, le projet est-il orientépar des choix politiques marqués ou s’agit-il seulement d’une récupération par un partipolitique ? Tous les acteurs du projet avec lesquels je me suis entretenue, Christian Paulcompris, m’ont affirmé en entretien que ce projet était une initiative dénuée de toute« étiquette » politique, même si le choix de la culture n’aurait peut-être pas été effectué dela même manière par une municipalité de droite. Tous sont confiants quant à la pérennitédu projet, quelque soit l’orientation politique de l’équipe municipale. Toutefois, une formede récupération politique a bien eu lieu dans le contexte particulier de la campagneprésidentielle. Cette récupération peut constituer un frein quant à l’approbation du projetpar les habitants. En effet, la participation des élus peut être soupçonnée de tentative derécupération politique ou d’incapacité à résoudre les problèmes d’un territoire. Néanmoins,ces derniers paraissent inévitables, à partir du moment où ils oeuvrent pour les intérêtsde leur territoire ; ils permettent ainsi de maintenir l’organisation du projet au niveau local.De plus, l’appui politique peut constituer un atout important, notamment en terme d’aidesfinancières allouées à la réalisation du projet. La récupération politique, ou tout au moinsl’idée que la population se fait d’une forme de récupération semble donc inévitable, voirenécessaire dans tout processus de développement.

Le projet de l’abbaye comporte néanmoins une dimension politique : « La dimensionpolitique du projet, c’est d’abord de…de dire qu’un lieu comme l’abbaye n’est pas trop grandpour Corbigny. Donc c’est de dire, en étant créatif, inventif et courageux, on ne laisse pastomber son monument. Pour moi, c’est déjà ça. C’est pour le maire d’une commune, pourson conseil municipal, c’est un choix assez courageux. Ensuite, c’est de pouvoir construireun projet qui soit pas forcément… le projet standard, attendu par certains partenaires et par

certains habitants. Donc je pense que cet aspect là est un choix politique. » 66

De plus, il convient de s’attarder plus longuement sur le choix qu’ont fait les élus locauxde favoriser la culture plutôt qu’un autre domaine, alors que la culture semble le secteur envogue ces dernières années : « Dans les années 70, les élus s’impliquaient fort peu dansl’activité culturelle, et ne prêtaient guère attention lorsqu’on leur disait que la culture pouvaitêtre un atout pour le développement local. Aujourd’hui, ils ont tous repris cette démarche à

leur compte, toutes tendances politiques confondues et tous profils humains confondus. » 67

Pierre Teisserenc affirme que « La polyvalence des usages de la culture n’est pas sansanalogie avec la polysémie du concept. Elle facilite son utilisation en tant que composanteactive d’une stratégie globale de développement. A ce titre, la culture participe du côtédes élus à une stratégie de pouvoir. Cette stratégie globale de développement confèrehabituellement à la culture une fonction anticipatrice, chaque fois qu’elle peut comptersur une volonté de mobiliser certains groupes sociaux ou certains acteurs institutionnels

autour d’activités culturelles judicieusement choisies. » 68 Ainsi, le choix de la culture

permettrait à l’équipe municipale d’asseoir une forme de pouvoir, ou tout au moins des’ancrer dans le territoire et d’asseoir sa légitimité. Malgré tout, choisir la culture comme

66 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200767 Jacques Rigaud, in Rapport d’information sur « L’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires »,

enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 7 juin 200668 Pierre Teisserenc, Les politiques de développement local, Economica, Paris, 1994

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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axe de développement comporte aussi des risques et confronte les élus à des critiqueset des mécontentements : « pour revenir à l'équipe municipale de Corbigny, je trouve quec'était courageux de s'engager dans ce projet, et il faut pas que ce soit un boomerang ; ilfaut au contraire l'assumer[…] Après tout, d’un point de vue purement financier, purementcomptable, la commune aurait pu vendre les bâtiments, et puis s’en désengager, s’endésintéresser. Bon, elle a au contraire assumé la charge, ce qui est courageux ; et en mêmetemps cherché à travailler avec des partenaires, pour pouvoir développer ce projet, parce

que toute seule, elle n’y arriverait jamais. » 69 . La culture n’est en tout cas pas un choix

anodin, et suscite de multiples réactions.Enfin, la démarche de développement a induit la création de nouveaux acteurs au sein

du territoire. La création du Pays et son utilisation comme territoire du projet est une deces nouveautés.

De plus, les compagnies artistiques peuvent être considérées comme de nouveauxacteurs. Certaines étaient, déjà implantées dans la région avant le lancement du projet,mais elles n’y sont pas nées. Elles tendent aujourd’hui à se fondre dans le territoire,mais ce processus d’acceptation est lent. Il est néanmoins nécessaire pour les artistes dedévelopper une posture d’appartenance au territoire, afin que la population puisse à son tourles identifier comme des locaux à part entière, agissant comme d’autres à la dynamisationde leur territoire.

b) la mobilisation des artistes du territoire

Les artistes implantés sur le territoire sont les seconds acteurs directement concernés.Sans leur présence dans la région, un projet culturel n’aurait sans doute pas vu le jour, ouses modalités auraient été totalement différentes. Comme nous l’avons vu précédemment,avant toute proposition de projet, la municipalité a accueilli certaines compagnies dans leslocaux de l’abbaye et dans une des anciennes usines de la commune. Les compagniesTéATr’éPROUVèTe et DEVIATION étaient installées dans les locaux de l’abbaye, etMETALOVOICE dans l’ancienne usine. Les acteurs du projet n’ont alors recruté qu’uneseule compagnie par la suite : « Les alentours rêveurs », consacrée à la danse.

La présence des artistes est à la base de la définition du projet et de la volontéd’instaurer un espace de création artistique plutôt qu’un lieu de diffusion culturelle.Selon Antoine-Laurent Figuière, c’est cette association entre les artistes et les différentspartenaires qui fabrique le projet : « Donc on peut parler de projet parce qu’à la fois lesartistes, à la fois les porteurs de projets culturels, à la fois l’ensemble des partenaires

publiques de la municipalité, pour des raisons différentes, se projettent dans le temps » 70

C’est aussi cette présence qui a permis au projet de s’imposer : « C’était pas évidentd’imposer le projet ; il fallait aussi trouver des gens, qui seraient artistes en résidence

notamment, pour qu’ils puissent donner à voir ce que ça pourrait être ». 71

Le projet a été construit en utilisant les moyens préexistants sur le territoire et lesoccupants initiaux de l’abbaye, en faisant le moins possible appel à l’extérieur.

69 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200770 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200771 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Ces artistes ont rapidement cherché à établir des partenariats entre eux, à travaillerensemble. Cela a permis de mieux fédérer le volet artistique du projet et de lui apporter uneforme de cohérence : « On travaille ensemble justement. […] Mais nous, on a travaillé avecles « Métalo », on a travaillé avec le « Téatréprouvète », euh, le Téatréprouvète a travaillé

avec Serge Ambert, qui a travaillé avec… (pause) ; enfin, tout le monde « 72

La difficulté réside aujourd’hui dans les rapports entre les artistes et les autresacteurs, notamment les acteurs politiques et institutionnels. Certains ont le sentiment d’êtredéconnectés du projet. Les artistes sont globalement critiques à l’égard de ce dernier. Lereproche principal adressé aux élus est le manque de prise en compte du point de vuedes artistes en résidence. Le discours des artistes est toutefois contradictoire. Si certainspointent un manque de considération à leur égard, tous soulignent la capacité d’écoute etd’échange entre les uns et les autres : « j’ai été complètement surpris de tomber à l’inversesur des gens…j’étais surpris de leur discours, quoi, par rapport à la culture etc. (pause).Bon, maintenant, ça y est, bon, ça fait un petit moment qu’on se connaît, c’est un peu…Mais comme je disais tout à l’heure, on se rencontre assez facilement ; de mon côté, lesrelations sont plutôt bonnes, quoi. Quand on a quelque chose à dire, on arrive à se le dire(pause) […] et puis, toute l’équipe municipale de Corbigny, hein ! Ce sont des gens assez

actifs, et heureusement qu’ils sont là, quoi ! » 73 . Ce manque de considération n’est pas

ressenti par l’ensemble des artistes. Pour Pascal Dores notamment, « Les artistes sontinvestis dans l'écriture de cette aventure à même titre que les collectivités et les élus quisoutiennent cette initiative. » ; ce dernier ajoute : « Depuis le début du projet nous sommesassociés à toutes les décisions importantes et c'est une très bonne chose, le dialogue esten place et nous avançons à visages découverts. Il n'y a aucune entrave, interaction des

politiques vis à vis des artistes. Pourvu que çà dure. » 74

On pourrait en déduire que les compagnies occupent des places et un pouvoir dedécision différents. Mais il semble au contraire que ces diversités de propos reflètent ladiversité des attentes de chacun, et ainsi la difficulté à les conforter.

Un des problèmes rencontrés est donc le manque de clarté dans la définition des statutsau départ. Ces reproches viennent souvent d’une forme d’incompréhension entre les artisteset les acteurs institutionnels. Pourtant, tous reconnaissent posséder une totale liberté decréation. Malgré tout, les artistes semblent avoir d’autres attentes et vouloir s’investirdavantage dans la construction globale du projet. Paradoxalement, établir un partenariatavec des artistes est souvent chose compliqué, ces derniers voulant sauvegarder leurautonomie avant tout.

Le choix des porteurs du projet de l’abbaye a été dès le départ de faire se rencontrerces artistes et les associations locales. Des formes de partenariat ont d’ores et déjà étéamorcées, mais l’échange reste difficile.

Travailler ensemble ne suffit pas ; le rôle de chacun doit être clairement défini et ledialogue entre les acteurs doit rester primordial.

c) une mobilisation du monde associatif72 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 200773 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 200774 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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Nous l’avons vu, le projet intègre certaines associations locales qui travaillent auxcôtés des compagnies professionnelles. Il a été choisi de ne pas mettre de côté ceux quioccupaient l’abbaye ou avaient un lien étroit avec le bâtiment : « Ce qu’on a voulu dès ledépart, c’est faire en sorte -même si je ne sais pas si tout le monde le vit bien, mais…- quetout le monde cohabite : les gens qui étaient dans cette abbaye qui avaient une antériorité,comme l’Harmonie municipale, par exemple, une association, un ensemble musical qui

existe depuis la fin du 19 e siècle, me semble-t-il, de conserver ce qu’ils faisaient. Et decréer, dans ce qu’on fait, une possibilité de se développer encore plus, c'est-à-dire de créerdes passerelles ou des croisements avec des artistes professionnels, de mettre en visibilité

le travail artistique, de l’Harmonie, par exemple, puisqu’on parle de l’harmonie. » 75

Cette intégration des associations a été une des premières conditions posées par lesélus et le secteur associatif. Il semblait essentiel de conserver cette activité, afin, commel’a déclaré Christian Paul au cours de son entretien, de ne pas déconnecter le projet de laville et de ses habitants. En effet, « Le rôle des associations est ici essentiel car elles sontsouvent porteuses de demandes à long terme qui assurent mieux la « soutenabilité » du

développement des territoires que des porteurs d’intérêt à court terme, voire spéculatif. » 76

. Plus qu’un choix, l’intégration des associations locales relève davantage de la nécessité :« Lorsque les acteurs sont amenés à penser le « renouvellement » de l’action culturellelocale par l’institutionnalisation de pratiques artistiques nouvelles, ils doivent composer avec

des associations. » 77 . Cela vient garantir la réussite de la démarche.

Les associations culturelles, notamment en milieu rural, sont perçues commeconstituant la base des politiques culturelles des collectivités locales. Ce sont souvent ellesles premières qui créent des activités relevant de la culture, allant au-delà de la demandeet provoquant la nécessité pour les collectivités locales de proposer de vraies politiquesdans ce domaine. Au sein de l’abbaye, ce sont bien les associations qui constituent lesprémices du projet, dans le sens où elles sont les plus anciennes à occuper les lieux etanimer culturellement le territoire. L’Harmonie municipale est par exemple le plus ancienoccupant de l’abbaye. Selon Guy Saez, «il y a dans le système culturel des acteurs des villesune variable constante : l’omniprésence du fait associatif. On sait qu’aujourd’hui encoreune part importante des politiques culturelles est mise en œuvre par des associations ouà travers elles, malgré le discrédit dont l’accablent ceux qu’on nomme les professionnels,

dont beaucoup doivent leur ascension à l’action associative elle-même. » 78

Les associations tentent d’établir des partenariats entre elles, comme le soulignePhilippe Leplat : « Et puis également, on est là aussi pour les autres associations, lorsqu’ilssouhaitent créer d’autres manifestations, également on joue souvent dans le cadre de

75 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200776 Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 200277 Guy Saez, in Politiques locales et enjeux culturels, Les clochers d’une querelle 19 e -20 e siècles, sous la direction de

Vincent Dubois, La Documentation française, Paris, 199878 Guy Saez, in Politiques locales et enjeux culturels, Les clochers d’une querelle 19 e -20 e siècles, sous la direction de

Vincent Dubois, La Documentation française, Paris, 1998

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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tout ce qui est opération commerciale organisée par l’ACAR, qui est l’association des

commerçants de Corbigny » 79 .

Cependant, les acteurs se sont interrogés sur la manière dont les associations etles artistes devaient fonctionner au sein de l’abbaye. Des efforts ont été faits sur leurmise en relation. Ainsi, l’Harmonie municipale a par exemple monté un spectacle avecMETALOVOICE, et a participé à une action de TéATr’éPROUVèTe. METALOVOICE travailleaujourd’hui à un projet en partenariat avec l’association AMAL’GAMM. Ces échangescomportent divers avantages. Ils apportent un savoir-faire que les associations ne maîtrisentpas : « au niveau des activités, on profite des troupes professionnelles qui sont en résidenceau niveau de l’abbaye, pour diversifier nos activités justement, et aller chercher un nouveaupublic et voir de nouveaux musiciens aussi […] Donc, il y a eu, avec le TéATr’éPROUVèTe,« Une pièce dans l’Anguison ». Là, ça constituait, en fait, à enrichir la rivière qui traverseCorbigny […]l’harmonie était invitée à faire une prestation, les pieds dans l’eau, dans cetterivière, pendant que tout le public était sur un pont, à l’étage, et en continuant à enrichirla rivière en lançant des pièces. Donc voilà une expérience amusante, mais qui permet

également pour nous de sortir de ce qu’on fait traditionnellement.» 80 . Ils permettentaussi d’installer une reconnaissance, d’apporter une certaine visibilité des compagniesprofessionnelles auprès de la population locale.

Néanmoins, l’établissement de partenariats entre associations et artistes reste délicate :«Après, qu’elles travaillent vraiment ensemble, je suis pas encore sûr qu’elles le fassent.81 : Alain Mignon précise encore : « Non, pour l’instant, avec l’Harmonie, pas trop. Maisparce que, aussi, comme je te disais, en fait, on fait pas mal de choses, on n’a pas eu letemps…Mais ça peut tout à fait arriver, c’est juste que pour l’instant on n’a pas vraiment eu

l’occasion. » 82 . Ils cohabitent plus qu’ils ne travaillent ensemble. Là encore, les attentes

ne sont pas les mêmes.De plus, ils ont des statuts différents. Comme le rappelle Jean Bojko, le rôle premier

d’une association culturelle en milieu rural est d’animer son territoire. Or, les compagniesrejettent cette fonction d’animation. Des dissensus se créent alors entre des associationsen attente de proposition de travail en commun et des artistes qui ne se reconnaissent pasnécessairement dans ces formes de partenariats.

De plus, comme nous l’avons vu précédemment, de nombreuses associations utilisentles locaux de l’abbaye sans avoir d’objet culturel. Les possibilités d’échange entre artisteset amateurs est donc réduite, les associations culturelles de la région étant relativementpeu nombreuses : « ceux dont le travail est purement culturel, il y a un travail intéressantqui s‘est développé entre l’Harmonie et les « Métalovoice », qui ont fait un projet ensemble.Après, vous savez, il y a plein d’associations qui n’ont pas d’objet culturel, quoi. Le club de

boules… 83 »

79 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 200780 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 200781 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 200782 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 200783 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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L’enjeu pour ces différents acteurs est donc de travailler ensemble, de s’accepter et secomprendre tout en ayant des objectifs personnels différents. Ces partenariats ne se fontpas sans heurts, mais permettent à chacun de faire évoluer le projet à leur manière. C’estcependant un processus qui reste en évolution et doit sans cesse faire face à des dissensuset des points de vue divergents : « moi, ce qui m’intéresse ici, c’est la dynamique du (pause),du collectif, d’un collectif (pause) ; qui n’existe pas… qui cherche à exister, mais qui n’existe

pas dans les faits, dans la réalité. 84 ».

Néanmoins, d’autres acteurs extérieurs au territoire directement concerné (lacommune) entrent en jeu. Il s’agit de tous les acteurs institutionnels, avant tout partenairesfinanciers du projet. La présence de ces acteurs implique l’obligation d’une plus fortesolidarité entre les acteurs locaux et aide à la régulation des rapports entre les uns et lesautres.

2) La mobilisation de partenaires institutionnels

Les communes rurales possédant peu de moyens financiers, il convient de faire appelà d’autres structures, notamment le département, la Région, mais aussi l’Etat ou encorel’Union européenne.

C’est néanmoins au Pays que la commune de Corbigny a décidé de faire appel enpremier lieu. Ce dernier a pris à une part du projet à sa charge. La réhabilitation de l’abbayeest aujourd’hui davantage un projet de Pays qu’un projet communal. Le rôle du Pays estalors d’assurer la coordination entre les acteurs du territoire et les différents partenaires.

Les porteurs du projet ont sollicité l’ensemble de ces échelons afin qu’ils se constituentcomme partenaires.

Le partenariat constitue un des éléments essentiels pour qu’un projet dedéveloppement voie le jour. De plus, « Le bénéfice du partenariat peut être interprété dela manière suivante. Il existe dans la société de nombreuses structures de représentationdes agents, et lorsque le partenariat apparaît pertinent, c’est en général parce que cesstructures de représentation deviennent trop formelles ou ne fonctionnent plus, empêchantl’expression, la mobilisation et la participation des acteurs sociaux. Le partenariat intervient

parce qu’il permet d’autres espaces de participation que ceux formellement installés. » 85

84 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 200785 Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 2002

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Intégrer le projet culturel au Contrat de Pays a permis la mutualisation de cespartenariats. Avec la décentralisation, les acteurs de projets de développement sont de plusen plus nombreux. Ces acteurs regroupent les communes, les structures intercommunales,les départements, les régions, l’Etat, l’Union européenne ou encore, comme nous l’avonsvu, diverses structures associatives. Cependant, l’imbrication de ces différentes collectivitéspeut rendre la lecture du projet complexe.

Il s’agit de détailler chaque partenaire, en précisant quelle est sa politique en matièreculturelle et de quelle manière il s’implique dans le projet.

a) la commune

La commune de Corbigny est la structure principale du projet, avec le Pays. Au plannational, la commune n’a reçu des lois de décentralisation aucune obligation dans lesecteur culturel. Elle est partout celle des collectivités territoriales qui a acquis le plus decompétences et de savoir-faire. Elle assure 80% de la dépense des collectivités territoriales.Les communes françaises arrivent en tête des financeurs publics de la culture. En 2007, lacommune de Corbigny finance 20% des dépenses de fonctionnement et d’investissementde l’abbaye.

b) le Pays

Je ne reviendrai pas sur les modalités du Pays que j’ai largement détaillée en premièrepartie, mais détaillerai brièvement en quoi consiste un Contrat de Plan Etat-Région. Cecontrat est un des outils majeurs des politiques d’aménagement du territoire. Le dernier s’estachevé en 2006 et le nouveau contrat, qui couvre la période 2007-2012, vient d’être signé.

Le Contrat de Plan Etat-Région représente un engagement financier important : 18milliard d’euros pour l’Etat, 16 milliards d’euros pour les Régions, 15 milliards d’euros pourl’Europe. La présence de la culture y est de plus en plus importante.

Les axes prioritaires du Contrat 2000-2006 étaient l’aménagement culturel du territoire,l’éducation artistique et la valorisation des cultures régionales.

Le nouveau Contrat du Pays Nivernais-Morvan, signé par l’Etat, la Région et leDépartement, représente 5 millions d’euros.

c) le Département

De par sa position, le Département souhaite favoriser l’accès aux pratiques culturellessur l’ensemble de son territoire et tente de rééquilibrer le rôle des villes par rapport auxzones rurales. Ceci est particulièrement vrai pour la Nièvre, dont le territoire est à fortedominante rurale.

Le département a en charge depuis 1983 le financement de deux services culturels :les bibliothèques départementales de prêt et les directions des archives départementales.Les départements dépensent en moyenne 5 % de leur budget pour le secteur culturel.

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

47

Il convient de noter que le département de la Nièvre est particulièrement investi dansle projet, qu’il finance à hauteur de 55 000 euros par an, sans doute à cause de la nécessitéde faire sortir le département de son isolement. Il s’agit donc d’y injecter des modes urbains,la culture étant un secteur pivot.

d) la Région

Lors du mouvement de décentralisation institué en 1982 à partir de la loi Defferre,l’Etat réorganise les domaines d’intervention de chacun. Les Régions constituent le principaloutil de cette décentralisation. Les Régions ne sont pas dotées de compétences culturellespropres, elles participent à la vie culturelle locale à travers leurs autres compétences. LeConseil régional de Bourgogne est cependant doté d’un Service culturel.

Les Régions interviennent sur des politiques d’investissements ainsi que des politiquesciblées, comme certains secteurs de la création, de la production et du développement. Ellessoutiennent par exemple les industries culturelles. Leurs dépenses culturelles s’élèvent à2 % de leur budget global.

Selon Jean-Yves Caullet, vice-président du Conseil régional de Bourgogne, chargé dela Culture et du tourisme, la région Bourgogne met en place, depuis plusieurs années, unepolitique d’aide à la création, une politique d’aide à un certain nombre de structures, unepolitique de partenariat efficace avec l’Etat parce que « plus on s’éloigne de la politiquenationale, plus on trouve des terrains d’accord dans l’action ».

La région développe 4 axes : l’aménagement territorial, la médiation sociale, lerayonnement de la Bourgogne à l’extérieur, et attirer en Bourgogne les créateurs de toutenature. Elle est une des rares à consacrer un effort particulier à la valorisation du patrimoinerural non protégé. Des aides particulières ont été créées pour la restauration des édificeset une politique a été instaurée en matière de valorisation auprès du public et une mise enréseau des différents sites à partir de thèmes attractifs.

Le Conseil régional de Bourgogne soutient la diffusion culturelle sur l’ensemble duterritoire, la mise à disposition de la culture sous toutes ses formes pour le plus grandnombre, et la valorisation et la promotion du patrimoine architectural, rural, industriel,archéologique etc.. Il accompagne également la création artistique, et l’art contemporainest encouragé Il existe notamment des aides destinées aux compagnies théâtrales etchorégraphiques, dans le but de faciliter la création artistique des compagnies installéesen Bourgogne. En 2007, 12 % du budget est destinée à la culture et au patrimoine, ce quireprésente 14.82 millions d’euros.

En ce qui concerne l’abbaye, la Région donne environ 40 000 euros par an pourpermettre au projet de se réaliser.

e) l’Etat

En matière de politique culturelle territoriale, le Ministère de la Culture intervient parl’intermédiaire de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC). Ainsi, la DRACBourgogne est un des acteurs dominants du projet, et y porte un intérêt particulier. Elle esttout d’abord intervenue dans le classement de l’abbaye comme « monument historique »et dans le financement de la restauration du bâtiment. Les monuments classés bénéficient,

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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dans le domaine de la stricte restauration, de subventions de l’Etat à hauteur en moyennede 50%.

Selon l’ancien Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, Les DRAC sontincitées à développer la concertation entre collectivités, mais aussi entre DRAC de régionslimitrophes. L’Etat doit à la fois penser local et penser global, et ce non pas seul, maisen liaison avec l’ensemble des collectivités territoriales. Il lui revient, à travers les contratsde projets Etat-Régions, de développer une véritable stratégie territoriale, à l’interface del’Union européenne et de l’ensemble des responsables territoriaux.

Antoine-Laurent Figuière montre que l’évolution de l’action du Ministère de la Cultureest inévitable, ce qui explique son intérêt récent pour les actions culturelles territoriales : « Ilme semble que depuis Malraux, au-delà des caricatures qui sont faites, globalement, le rôledu Ministère de la Culture a été de décliner le modèle parisien dans les grandes villes desrégions, puis les villes moyennes. C’est ce que Urfalino a appelé le jeu du catalogue. On offreà la fois le musée, on offre le théâtre, l’école de musique, la bibliothèque. On offre tout cequ’on appelle maintenant, dans notre jargon technico-administrativo-politique, les élémentsstructurants. Donc, on arrive un peu à terme de ce type de déclinaisons. Parce que quandmême, et dans le quartier et dans le monde rural, d’autres formes de pratiques, d’autresdensités de populations, et d’autres moyens financiers qui ne permettent pas forcément de

développer ces équipements structurants. » 86

L’objectif précisé aujourd’hui par la DRAC Bourgogne est donc la mise en valeur dupatrimoine bourguignon, l’élargissement de l’accès à la culture, et la diffusion et la promotionde l’activité culturelle.

Ses missions sont de trois ordres :Une mission de création : le soutien à la création artistique doit permettre l’émergence

de nouveaux talents mais aussi le renouvellement des formes artistiques. Le Ministèresoutient donc les équipements culturels et les équipes de création, de diffusion et deformation. Il attribue des aides individuelles aux artistes et des aides à l’émergence denouvelles disciplines et à la création de nouveaux lieux.

Une mission de patrimoine : il s’agit de connaître, comprendre et valoriser lepatrimoine architectural, urbain, paysager etc. Cette mission s’effectue à travers la mise enplace de politiques d’inventaire, de conservation, de protection, de restauration etc.

Une mission de sensibilisation et de formation : une des priorités de la DRAC estd’améliorer la répartition géographique de l’offre culturelle. Des politiques de recherche etde conseil en matière de médiations culturelles sont en vigueur. Des plus, des politiquesen faveur du public ont été mises en place, à travers, par exemple, le soutien à la créationdes services éducatifs et culturels.

Concernant le projet de l’abbaye, le Ministère de la Culture donne 40 000 euros parans. « Je crois que c’est une vraie reconnaissance de l’originalité et de la qualité duprojet, puisque (pause) on est plutôt à l’époque des retraits de financement plutôt que des

réengagements. Et là, on est dans un engagement qui est maintenant pérenne. » 87

Antoine-Laurent Figuière explique lors de l’entretien les raisons de l’intérêt qu’il a portéau projet ainsi que les modalités d’actions de la DRAC :

86 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200787 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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« Pour nous, Ministère de la Culture, DRAC Bourgogne, c’est peut-être un enjeu deréarticulation des différents projets dont je vous parle ; en garantissant l’indépendanceet l’autonomie artistique, et en accompagnant autant que faire ce peu, la résolution desdifférentes formes de contradiction que chacun des partenaires peut rencontrer.[…] Onintervient aussi en permanence du l’articulation entre ce projet artistique, ce projet culturel,de manière à ce que l’artiste soit pas soumis par le culturel, ni que l’inverse se produise,c’est-à-dire que le politique soit au service de l’artiste.[…] Mon boulot, c’est de créer desconditions pour qu’il y ait des projets artistiques forts qui existent et qu’il y ait des conditions

de rencontre avec une population qui ne s’y attend pas forcément. » 88

f) l’Europe

La politique culturelle de l’Union européenne concerne la cohésion et l’action régionale.La politique culturelle européenne développe un financement de la culture perçu commeune source de développement social, territorial, économique et non pas au travers d’unprogramme spécifique.

En France, elle est instruite par la DATAR (devenue DIACT : Délégationinterministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires) et conduite par lesPréfets. Un transfert total de cette politique européenne à la Région est en cours.

Le fonds structurel sollicité par les porteurs du projet de l’abbaye est le FEDER (Fondseuropéen de Développement régional). Ce programme a été créé en 1975 et est destiné àcorriger les principaux déséquilibres régionaux dans la communauté européenne.

Il existe également des Programmes d’Initiatives Communautaires, financés eux aussipar les fonds structurels. Le programme sollicité ici est « Leader + ». Il vise à soutenir ledéveloppement local en milieu rural, en finançant des projets de développement territorial.Deux programmes « Leader + » existent dans la Région :le premier agit sur le Parc NaturelRégional du Morvan ; l’autre est centré sur le Canal du Nivernais. Corbigny étant uneville porte du Morvan, le projet ne peut pas prétendre adhérer au programme « Leader +Morvan ». Par contre, le Canal du Nivernais coule à 3 km de Corbigny. Le projet est doncéligible sur le programme « Leader + Canal du Nivernais ».

De plus, une autre structure va probablement devenir partenaire du projet dans lesprochains mois ou les prochaines années ; il s’agit des communautés de communes faisantpartie du Pays : « Et puis on peut imaginer qu’avec le temps aussi, à partir du momentoù on aura des actions dans les communautés de communes, que les communautés de

communes soient aussi partenaires du projet. » 89

Ces différents partenaires ne financent pas de la même manière. Certains financentle projet global (en fonctionnement ou en investissement), d’autres financent directementles compagnies : « Les créations sont payées notablement par le Ministère de la Culture,le Conseil général de la Nièvre, et le Conseil régional, qui a un regard plus artistique que

social. » 90

88 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 200789 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200790 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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En dehors des financements qui permettent de réaliser le projet et de le faire vivre,ces partenaires apportent aussi une reconnaissance, une visibilité au projet. Obtenir autantde financements via des partenariats à tous les échelons possibles démontre la légitimitédu projet, à l’extérieur du territoire, mais surtout auprès de la population locale pour qui,nous y reviendrons, la légitimité d’un projet culturel reste à prouver : « la commune a unepleine maîtrise du projet, mais elle a besoin de nouer des partenariats, et de montrer que lerayonnement de cet espace de culture devait excéder son propre territoire, et même celui

du canton. Sinon, ça aurait été jugé comme un peu compliqué ». 91 .

3) L’intégration de la population locale au projet et lesdifficultés encourues

a) une implication des habitants du territoire dans la construction duprojet

La mobilisation autour d’un projet de développement doit comprendre tous les acteursd’un territoire. Les porteurs de projet cherchent alors à intégrer l’ensemble de la populationlocale au processus.

Cette volonté vient avant tout des acteurs institutionnels, même si l’on peut remarquerdu côté des artistes une certaine propension à souhaiter travailler avec la population.

Il s’agit ici d’étudier les différentes démarches qui existent pour intégrer les habitantsdu territoire, mais aussi les difficultés que cela comporte.

La clé d’une démarche d’intégration est la participation. Faire participer, susciter lacuriosité, l’intérêt ainsi qu’un désir d’implication, est chose peu évidente. Cette participation,pourtant facteur essentiel de la bonne marche du projet, semble l’étape la plus difficileà réaliser : « Concernant la question de la participation […], j’ai l’impression […] qu’onfranchit des seuils, il y a des effets de cliquets,il y a des irréversibilités et c’est parce que,à un moment donné, il y a des appels à projet qui nécessitent une mobilisation rapideet des réponses qui ne donnent pas lieu forcément à une large consultation et une largeparticipation des populations, que cela évacue, anéantit, fait disparaître un mouvement qui

est un mouvement de fond, qui est un mouvement de participation générale. » 92

La première démarche consiste à construire le projet en concertation, en procédant àune forme de démocratie participative. La concertation est le fait de consulter les personnesconcernées par une décision avant que celle-ci ne soit prise. Le but est ainsi de tendre à laréalisation d’objectifs communs. Dans la forme, il s’agit d’aller à la rencontre de la population,la solliciter en lui demandant de faire part de ses attentes, à travers la mise à disposition de

91 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200792 Vincent Piveteau, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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livres d’or ou de forums internet, par exemple, puis de la tenir informée tout au long de laconstruction du projet par l’intermédiaire de l’organisation de réunions.

Il n’y a pas eu de réelle concertation sur le projet de l‘abbaye. Seuls des comitésde pilotage ont été mis en place, regroupant les associations, les commerçants et autresprofessionnels de la commune.

Le constat est fait aujourd’hui que cette absence de processus de concertation est lacause des formes d’incompréhension que suscite le projet au sein de la population locale.

Les acteurs du projet cherchent aujourd’hui à intéresser la population d’une autremanière. Le Pays tente notamment de monter des actions dans le but de sensibiliser lapopulation au projet et aux pratiques culturelles et artistiques en général : « on a lancé, enfait, une sorte d’offre de service, avec 9 actions, qui vont être proposées aux communautésde communes du Pays. Alors, il y en a une, par exemple, qui consiste à inviter les habitantsdu Pays Nivernais-Morvan, donc, à travers les communautés de communes, pour lesspectacles de diffusion aux « Fêtes musicales ». Bon. Simplement, vis-à-vis des gens,c’est pas…enfin, c’est une démarche. Est-ce que, par exemple, dans une communautéde communes comme, je sais pas, celle de Lormes, il y a pas intérêt à travailler avecle centre social pour faire venir des gens qui n’ont jamais été aux spectacles ? Bon,premièrement. Dans les autres aspects de ce partenariat, il y a aussi la possibilité, alors quireste à organiser, mais qui me semble très importante, pour les écoles du Pays Nivernais-Morvan, de pouvoir venir passer quelques heures à l’abbaye. Donc il y a des journéesenvironnement ; il peut aussi y avoir des journées culturelles, et ça, l’abbaye peut le jouer.Parce que (hésitation), parce que dans une séance de 4 ou 5 heures, on peut passer dutemps à voir des artistes qui répètent un spectacle ; on peut passer du temps avec un artistepour qu’il explique comment il travaille ; on peut aussi faire une visite patrimoniale, hein,qui peut être intéressante ; et puis, au fond, on peut rentrer avec ensuite l’envie d’emmener

ses parents, ou sa famille. » 93

Toutefois, leur succès est très relatif ; les habitants se déplacent peu. Les acteursinstitutionnels peinent à trouver des modes de communications efficaces et restentconfrontés à de l’incompréhension ou du désintérêt général de la part de la population locale.

b) une sensibilisation aux pratiques artistiques

Néanmoins, il existe une autre forme de mobilisation qui consiste à sensibiliser lapopulation aux démarches artistiques, en la faisant se déplacer à la rencontre des créationsdes artistes. Il semble que cette démarche obtient davantage de succès que la précédente.Pour cela, des efforts ont été réalisés, la gratuité étant appliquée autant que possible.Cependant, la faible fréquentation enregistrée lors de la diffusion des productions artistiquesou lors des expositions par la population locale n’est pas tant une question de budget.

D’autres moyens ont été employés pour susciter l’envie aux habitants de se déplacerà l’abbaye.

Les artistes ont choisi d’inverser la démarche ; ce sont eux qui se déplacent. Denombreux ateliers sont mis en place un peu partout dans la région, et notamment en milieuscolaire. Ils agissent également dans les maisons de retraite, ou bien proposent des coursde théâtre destinés aux personnes âgées : « il y a tous les projets, toutes les interventions,

93 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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par exemple au lycée de Cosne. On va à Cosne travailler, on travaille pas au collège ici,mais bon, c’est des questions de projet. Sur des années, on a travaillé quasiment dans tousles collèges et lycées de la Nièvre. Pendant 8 ans, on a dirigé l’option Bac théâtre à RaoulFollereau, à Nevers. Il y a des ateliers de théâtre pour les personnes âgées aussi, et il y a

tout le travail avec les gamins. » 94

Ainsi, les artistes cherchent à susciter la rencontre, l’échange entre une populationdubitative et réfractaire face aux pratiques artistiques, et des professionnels en soif detransmission.

La mobilisation se réalise alors davantage au sein des créations artistiques, à traversl’association entre des artistes et des individus vierges de toute pratique artistique.

Les compagnies composent en effet souvent avec la population. Les METALOVOICEont par exemple travaillé avec les agriculteurs de la commune et ont réussi à créerensemble, artistes et non professionnels de la culture. Ce travail a eu lieu en plusieursétapes, sur du long terme, et a permis un rapprochement, un échange entre des groupesd’individus partageant a priori peu d’objectifs communs : « en essayant de faire comprendreaussi, par exemple pour les « Métalo », le processus de création ; parce que c’est un, unefabrique de spectacle vivant qui est assez unique en France et en Europe, et c’est assezdifficile de comprendre comment ça marche ;et moi, j’ai des témoignages de, notammentd’agriculteurs, qui ont compris, alors ils sont pas toujours suffisamment nombreux, mais ilsont compris ce qu’était le processus de création. Les yeux se sont ouverts réciproquement ;

ça, quand ça se passe, c’est très très important. » 95 Cette rencontre a également permis

à la compagnie de mieux se faire accepter sur le territoire, et de mieux faire comprendresa démarche artistique.

Créer avec la population constitue la base du travail de Jean Bojko. Ce dernier, dansune démarche d’abord théâtrale, refuse le travail de comédien et préfère solliciter desindividus interprétant leur propre rôle. C’est notamment le cas avec « les 80 de ma mère »,création sur et avec les personnes âgées : « considérer comme acteurs principaux ou acteurprincipal, mettre toujours des gens qui sont concernés par le problème qu’on va évoquer.

Donc ici, on travaille avec des personnes âgées et on recrute des personnes âgées.

On travaille avec des pauvres, et on recrute des pauvres. » 96

C’est également le cas aujourd’hui avec un projet de création d’une bière artisanale,et l’envie de solliciter des gens dans les bistrots du territoire, par exemple, dans sa miseen œuvre. Le but est d’inciter la création d’un collectif, constituant les habitants du territoirecomme groupe défini, agissant pour les mêmes objectifs. C’est par exemple l’idée de JeanBojko avec la fabrication d’une fausse bière : « on va demander aux gens de mentir sur cettebière. L’idée, c’est de créer un mensonge collectif, et de dire voilà cette bière, elle a toujoursexisté à Corbigny, c’est une bière de qualité, ça date du Moyen Age. Donc on donne les

arguments aux gens et on leur dit : on vous invite à mentir, avec nous. » 97

94 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 200795 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 200796 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 200797 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007

Deuxième partie :La construction d’un projet mobilisateur

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Cette faculté d’intégration des individus aux productions explique la volonté de départde favoriser l’institution d’un centre de création plutôt qu’un centre de diffusion. En effet,un lieu de création a des capacités à développer les pratiques artistiques amateurs qu’unlieu de diffusion ne possède pas. Cela permet à des individus, des groupes, de devenir desacteurs de leur propre développement. Cela permet également à des personnes en difficultéde prendre conscience de leurs capacités et de s’insérer dans de tels projets. De plus, lesprojets culturels sont des moyens pour la population de travailler ensemble, de se retrouver,et de pouvoir, à terme, envisager la culture comme un bien partagé par tous.

La rencontre, l’échange, sont des termes que l’on retrouve de manière récurrente dansles propos des artistes. Il semble que cette proximité entre les uns et les autres constitue labase de leur travail, et les transforme en acteurs du domaine social autant que du secteurculturel : « ça induit (pause), un discours (exclamation), hein, qui est affirmé, parce que…Eux, en l’occurrence, ils ont vraiment une posture idéologique qui renforce le fait qu’ilsaillent dans la rue, parce que c’est…Ils expriment aussi des choses dans le champ social,

dans la vie quotidienne, et c’est un petit peu une compagnie de combat. » 98 . AlainMignon précise : « ce qui nous intéresse par apport à ce que je disais tout à l’heure, surles rencontres, sur les ateliers, c’est tout ce travail là ! […] Je crois que ce qu’il faut, c’estla rencontre et une très grande ouverture […]c’est la rencontre avec l’autre, c’est ce qu’ona de plus riche, c’est la rencontre avec l’autre. Et je pense que la culture, justement permet

cette rencontre, et d’égal à égal en plus » 99

En intégrant ou non la population à leurs créations, les compagnies font leur propretravail d’explication, indépendamment du projet. Ils expliquent leur travail, communiquent ettentent de susciter, au-delà de la compréhension et l’acceptation, la satisfaction et le plaisirà travers une pratique artistique et culturelle.

De manière générale, les artistes essaient d’établir un lien avec les habitants d’unterritoire, afin de les associer au mieux au projet dans son ensemble pour favoriser sonadhésion définitive : « Le dynamisme culturel d’un territoire participe du dynamisme généralde celui-ci et de la « mise en mouvement » de la population : plus celle-ci est associée aux

projets, plus le « vivre-ensemble » et le sentiment de bien-être collectif se renforcent. » 100

Nous verrons cependant en dernière partie que cette réunion entre habitants et artisteset l’acceptation de ces derniers au sein du territoire est loin d’être évidente.

Si les artistes sont encore difficilement intégrés, c’est que le projet culturel global estmal connu, mal compris, et donc nécessairement mal perçu.

Les relais d’information sont primordiaux et permettent de créer et de maintenir un lienavec la population. Ainsi, l’absence d’information sur le projet à destination de la populationla plus directement concernée est une mise en péril de la démarche. Si le projet n’est pasporté par sa population, alors le développement du territoire sera vain.

Un projet de développement doit donc mobiliser l’ensemble des acteurs d’un territoireet attirer les partenaires extérieurs pour avoir une chance de s’élaborer et de se réaliser. Ils’appuie sur la confrontation et la mise en commun des compétences et des préférences

98 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 200799 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 2007100 Guy Saez, in Rapport d’information sur « L’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires », enregistré

à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 7 juin 2006

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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de chacun. Dans ce cadre, il semble que l’artiste incarne la figure du médiateur, dont le rôleest de faire rencontrer et faire partager à des individus vivant sur un même territoire : « Laposture de l’artiste central qui diffuse son message éclairé relayé par les passeurs culturelsa vécu. Il est temps de réintégrer la périphérie du cercle spectaculaire et ensemble, élus,citoyens, artistes, passeurs culturels, spectateurs, regarder, un centre vide mais commun,riche de tous les possibles. L’acte artistique, s’il n’est pas prétexte à rencontre, échange,

partage, n’a pas lieu d’être. » 101

Cette étape est la plus importante mais également la plus incertaine. Comments’assurer au moment de l’élaboration d’un projet que ce dernier suscitera l’adhésion de lapopulation d’un territoire ?

Néanmoins, si l’adhésion de la population est rarement immédiate dans la mesure oùles propositions qui sont faites sont souvent éloignées des habitudes du territoire, cettedernière peut s’acquérir, à travers une médiation et des relais d’information efficaces.

En effet, pour accepter un projet, la population doit saisir les enjeux d’une telledémarche et les retombées qu’elle sera susceptible de susciter pour elle-même et la viede son territoire.

101 Luc Perrot, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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Troisième partie : Difficultés et risquesà associer culture et développementlocal

Un projet de développement suscite de nombreuses attentes, de la part de ses acteurscomme de la part des habitants du territoire. Néanmoins, la nature du projet choisi et lesrésultats qu’il produit ne répondent pas toujours au désir de chacun.

Nous essaierons en dernière partie d’analyser les attentes des différents protagonistes,et de comprendre les problèmes qui résultent du fait que celles-ci ne coïncident pas toujoursentre elles.

Un projet culturel de développement comporte des difficultés particulières à résoudre,chacun ayant sa propre définition de la culture.

Si les porteurs du projet exultent sur la nécessité de la culture comme moyen demoderniser le territoire et d’améliorer la qualité de vie des habitants, la population, elle, abien souvent d’autres attentes et refuse de considérer la culture comme un secteur dominantdu développement.

Ces dissensions ne risquent-elles pas d’anéantir un projet culturel de développementavant même sa mise en place ?

Il s’agit donc d’analyser ces confrontations de points de vue, sans toutefois apporter desréponses claires sur les moyens de les dépasser. En effet, aucun projet ne peut accéder àla perfection, chacun doit s’adapter au mieux au territoire et tenter de satisfaire au maximumsa population.

Il n’existe cependant aucune solution miracle, aucun modèle de développementgarantissant la réussite du projet.

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

56

1) Les réussites liées au développement culturel

a) les retombées économiques et touristiques

Les attentes en terme de développement local sont souvent centrées avant tout surl’économie du territoire. Cette règle ne déroge pas à la culture. Les porteurs de projet,comme la population, considèrent les retombées économiques comme le facteur premierde réussite d’un projet.

En proposant une activité culturelle présente toute l’année sur le territoire, en dépassantla simple manifestation événementielle, les acteurs du projet pensent renouveler lapopulation touristique du territoire, et ainsi redynamiser l’activité économique. En effet, si lestouristes affluent, les commerces et différents services seront garantis d’une bonne vitalitééconomique.

La culture est donc perçue ici comme un facteur d’attractivité du territoire. L’attractivitéest la capacité d’un territoire à attirer (et retenir) les populations et les entreprises, dansun contexte de mobilité croissante au plan international et national. En revanche, ce quivarie de façon considérable, c’est l’importance relative accordée aux différentes dimensionsconstitutives de l’attractivité territoriale : économique, résidentielle, touristique etc.

Le tourisme de la région est surtout un tourisme vert, qui privilégie la nature, lespaysages, le sport et les loisirs. Il attire les Parisiens ainsi qu’une part importante deHollandais, en recherche d’une meilleure qualité de vie. Cependant, la population touristiquepeine à se renouveler. Cette activité touristique centrée sur la nature repose sur l’imaged’Epinal que la population urbaine a de la campagne : celle-ci est alors perçue comme lemonde tel qu’il était auparavant, en opposition à la ville qui incarne le présent. Ce statutempêche la région de se moderniser. : « Le Morvan, c’est une très bonne vitrine, pour(pause), pour attirer des gens. Mais ce qu’il faut, c’est leur montrer qu’on n’est pas dansla ruralité figée, comme elle est parfois mal perçue, ou non perçue. On est dans uneruralité qui est en train d’évoluer assez vite, et qui finalement trouve un modèle… (pause)assez intéressant en matière d’attractivité, notamment des familles. Voilà. Mais l’abbaye,certainement, enfin, est révélatrice de ça mais n’est pas encore suffisamment mûre pour

en être la vitrine. » 102

Développer le domaine culturel est considéré ici comme un moyen d’attirer de nouvellesformes de tourisme. La culture est alors utilisée comme un véritable outil de développementtouristique.

Les deux secteurs ont toujours été liés. Comme le précise Patrick Marmion, « tourismeet culture, ça a toujours été ensemble. Tu mets un Office du tourisme dans un lieu où il y apas de passage, il y a pas de site à voir, de patrimoine, ça marche pas.[…] la culture apportele fond au tourisme. Puisque je te dis, sans patrimoine, sans culture, sans activité culturelleou loisirs, il y a pas de tourisme possible. » Il explique aussi les interactions qu’il existe ausein du projet de l’abbaye entre les deux secteurs : « Nous, le but avec Jean-Paul, c'était àla fois d'ouvrir l'abbaye, grâce à l'Office du Tourisme, dans une amplitude plus large, grâceà l'ouverture de l'Office du Tourisme, et à la fois profiter des gens qui se cognaient à la portede l'abbaye régulièrement en trouvant les portes fermées, et de les faire entrer dans l'Officedu Tourisme, et leur faire visiter l'abbaye ainsi que les différentes expositions. Donc, toutnaturellement, il y avait des bâtiments, donc Jean-paul et moi, avec l'aide de la communauté

102 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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de communes et de la municipalité, on s'est dit : ben peut-être qu'on va rapatrier l'office duTourisme là dans ce bâtiment, pour pouvoir profiter, comme ça, de manière unilatérale, des

retombées. Et là, on le voit, le nombre des fréquentations grimpe très régulièrement. » 103

Une des composantes du projet est donc bien de faire de l’abbaye un lieu touristique :« Parce que d’une part, cette abbaye, faut bien en faire un lieu de tourisme, je veux dire,

pour qu’elle soit reconnue etc. » 104 . Aujourd’hui, l’efficacité du site en terme touristique est

prouvé, même si des efforts restent encore à faire : « les retombées directes que je peuxvoir, c’est tout d’abord au niveau des fréquentations à L’office du Tourisme. Là, je vois unenette évolution depuis 5 ans, et ça n’arrête pas de grimper. Parce que ces gens qui voyaientce grand bâtiment et qui souhaitaient y rentrer, ben, maintenant, ils peuvent rentrer. Et cespersonnes sont comptabilisées dans les fréquentations. Et vice-versa, ceux qui viennentà l’Office du Tourisme sont injectés dans les couloirs de l’abbaye, alors qu’ils ne venaient

peut-être pas la visiter à l’origine. » 105 Néanmoins, l’abbaye n’est pas perçu comme un site

touristique à part entière ; les touristes ne se déplacent pas encore dans la région en ayantpour but la visite du site : « on vient pas visiter l’abbaye […].on va pas à l’abbaye de Corbignycomme on va visiter la cathédrale de Nevers ou la basilique de Vézelay, ou, je sais pas moi,

l’abbaye de Cîteaux… C’est pas un but…Pour l’instant ! » 106 . Il faut également préciser

qu’aucune mention n’est faite de l’abbaye dans la description de Corbigny que l’on peuttrouver dans les guides touristiques. L’abbaye n’est pas reconnue comme site patrimonial,et n’est inclue dans aucun parcours de visite.

Or, cette attraction touristique aura nécessairement des effets positifs en ce quiconcerne les dépenses effectuées par les visiteurs, et les revenus et les emplois qui endécoulent.

On peut également ajouter que le projet permet à une nouvelle population de venirs’installer de façon pérenne sur le territoire. En effet, les membres des compagnies viennenthabiter sur le territoire avec leur famille, consomment sur place, scolarisent leurs enfants etc.

Cela favorise aussi la venue d’une population urbaine, en recherche d’une offreculturelle similaire à celle que l’on peut trouver en ville : « on s’aperçoit que si les médecinsne viennent pas, c’est aussi parce que les conjointes n’ont pas grand-chose à faire ! Soitelles n’ont pas de travail, ça pose un problème économique, soit elles vont s’ennuyer, c’estpeut-être par manque de culture et de loisir. C’est en ce sens que ça peut être une des

composantes. » 107

De plus, il est souvent rappelé au cours des entretiens qu’un tel projet favorisela création d’emplois. « La qualité de la vie culturelle d’un territoire peut avoir des

103 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007104 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007105 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007106 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007107 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

58

conséquences sur le développement général de l’emploi. Il ne s’agit plus là de quelques

emplois, mais bien de l’insertion du territoire dans l’économie générale. » 108

Des emplois ont d’abord été créés dans le domaine de la culture, au sein descompagnies et pour la gestion de l’espace culturel : « En terme de création d’emplois,entre les compagnies, les conjoints qui ont rejoint Pierre, Paul., il y a bien une douzainede personnes, qui travaillent, sur l’artistique, et puis aussi ce sont des habitants sur lacommunauté de communes de Corbigny ; qui louent des maisons, qui peuvent en acheter,qui s’installent, qui ont des enfants. C’est une microéconomie, mais quand même, pour des

petits villages comme ici, je trouve que c’est pas négligeable. » 109

En outre, si la culture permet de redynamiser l’économie du territoire, alors on peutespérer que cette vitalité économique favorisera la création de nouveaux emplois dans desbranches diverses.

Cependant, les attentes sont bien souvent trop focalisées sur l’aspect économique.Les retombées économiques sont à relativiser ; rien ne prouve pour le moment quel’existence du projet a permis la création d’une nouvelle catégorie de tourisme ; de plus, lenombre d’emplois créés par le projet reste relativement faible. Xavier Greffe a par exempledémontré que le nombre d’emplois tend à baisser dans le domaine du spectacle vivant. Lesrépercussions d’un projet culturel de développement sur l’emploi peuvent être considéréescomme faibles.

Concernant les retombées économiques, Jean-Pierre Saez précise : « la culture estbien un élément de développement durable des territoires. C’en est même un élémentfondamental, car c’est à la fois un élément d’attractivité, de rayonnement, d’identité et delien social. C’est aussi un élément de développement économique, même s’il faut prendregarde à ne pas nourrir de faux espoirs : les effets sont difficiles à mesurer, et les interactions

parfois très complexes. » 110

Bien souvent, le reproche fait en général est de trop considérer l’aspect économiquecomme premier dans un projet de développement. Dans de telles démarches, notammentdans le domaine culturel, d’autres enjeux existent, moins visibles mais néanmoins tout aussiimportants : « l’idée, c’est le questionnement. C’est pas l’intérêt économique. Pour cetteactivité là, il n’y a pas d’intérêt à court terme sur le plan économique. Penser, ça rapporte

rien. » 111 . Ils semblent que les acteurs du projet de l’abbaye ont dépassé cette vision

purement économique du développement et tendent à la valorisation d’autres domaines :« on n’est pas uniquement dans une approche économique, mais aussi, comme je vous l’ai

dit, dans une approche qui est un autre modèle de vie ; basé sur la qualité. » 112

108 Jacques Rigaud in Rapport d’information sur « L’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires »,enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 7 juin 2006

109 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007110 Jean-Pierre Saez in Rapport d’information sur « L’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires »,

enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 7 juin 2006111 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007112 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

59

b) une promotion par l’image

Un autre aspect tout aussi important pour la vitalité du territoire mais souvent négligé,concerne la valorisation de l’image du lieu, et le rayonnement qu’un projet culturel peutsusciter.

Le rayonnement peut s’effectuer de différentes manières. Si les artistes créent au seindu Pays Nivernais-Morvan, ils se déplacent lors de la diffusion de leurs productions, auniveau national et international. Lors de ces déplacements, c’est l’image de Corbigny quicircule : « Les artistes, quand ils vont jouer à l’étranger ou en France, ils disent bien de là

où ils viennent, là où ils ont trouvé les moyens de faire de la création. » 113

Les compagnies en résidence à l’abbaye ont toutes un rayonnement important, et uneactivité à l’étranger. Ils peuvent être sollicités dans le monde entier. Jean Bojko explique parexemple : « même au-delà, jusqu’en Australie, puisque je suis allé présenter « les 80 ansde ma mère » en Australie. Donc il y a des gens qui se questionnent ailleurs, avec Internet,tout ça. Ils se disent : ah putain ! Dans la Nièvre, c’est incroyable ce qu’il se passe là-bas,ça nous intéresse. Ils me font venir, et puis on va leur expliquer ce qui se passe ici. Et puis

il y a des gens d’ici qui sont même pas au courant. Donc le territoire se met à parler. » 114

Son action sur « Les 80 ans de ma mère » a également une résonance importance surle territoire national : « on sait par exemple qu’il y a 250 articles de presse qui apparaissentsur « les 80 ans de ma mère », sur les journaux nationaux, sur les journaux à l’étranger. »115 Or, on peut imaginer que dans la plupart des articles, le nom de l’abbaye ou du territoireseront cités.

Une compagnie comme Déviation a travaillé dans des pays comme la Bosnie, laCroatie, la Colombie ou encore le Mexique. Ces multiples déplacements nourrissent lavisibilité du territoire : « Mais de fait, il y a des résonances qui se font…par exemple, on atoute une bande son de l’abbaye qu’on a utilisé pour un spectacle à Singapour. Alors desfois, je me dis : tiens, c’est incroyable comme on fait résonner toute l’acoustique de cetteabbaye ; elle résonne jusqu’à Singapour ! Et en même temps, on parle de cette région. On aparlé de l’abbaye à Singapour ! Voilà, donc on a pris un peu de ce territoire, sans le vouloir,

quoi ! Et on fait nos créations ici, on travaille à l’abbaye ici… » 116

De plus, le rayonnement s’effectue par l’intermédiaire du propre réseau, artistique etculturel, des compagnies : « Par exemple, sur « les 80 ans de ma mère », sur la vieillesse, ona réussi à rentrer dans plein plein de réseaux, les réseaux âge et culture, même au niveau

européen, tout ça, donc c’était assez réussi. » 117

Grâce aux réseaux et au travail des compagnies, Corbigny est aujourd’hui connue etreconnue comme étant une petite ville où l’offre artistique et culturelle y est abondante.

113 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007114 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007115 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007116 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 2007117 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

60

« Les 4 compagnies, comme elles travaillent en dehors du territoire et qu’elles sontinsérée dans des réseaux, le mot Corbigny apparaît partout, dans des réseaux culturels oùc’était pas le cas avant. Donc finalement, ça fait venir les gens dans le coin. Il se disent : ah,Corbigny, c’est là-bas qu’il y a tel truc ! Donc ça fait que multiplier les moyens de…sachantque les artistes fonctionnent toujours sur des réseaux qui vont assez loin, bon, ça fait uneffet de publicité. Une fois que tu es dans un réseau, ça fonctionne, et Corbigny, Corbigny,Corbigny ; il y a plein de gens, ils connaissent Corbigny, il y a 3 ans, ils connaissaient pas.

Ca finit par en faire venir… » 118

En outre, les partenaires extérieurs au territoire permettent de développer l’image duprojet dans un premier temps, et par un effet causal, l’image de Corbigny et du PaysNivernais-Morvan tout entier.

D’autres événements de type associatifs, tel le festival de musique classique, favorisentaussi la connaissance du territoire, a un niveau davantage régional : « Bien sûr, le pointd’orgue de l’année, c’est avec « Les fêtes musicales », où on touche les personnes,interprètes, des artistes internationaux qui viennent jouer. Donc là…[…] Les retombées

seraient plus en terme de reconnaissance du pays. » 119

Cependant, si la communication est efficace à l’extérieur du territoire de projet, lacommunication de proximité est plus laborieuse. Il est paradoxal de constater que le projetculturel est nettement moins connu à l’intérieur de son propre territoire qu’à l’extérieur.

La population locale est peu informée ; le projet va alors heurter et déstabiliser.

2) Un projet culturel éloigné de l’identité locale

Si le projet de l’abbaye enregistre des effets positifs, il suscite aussi de nombreusescritiques de la part de la population locale. Les habitants ne se reconnaissent pas dansles choix de départ qui ont été faits. La première conséquence est le constat d’une faiblefréquentation des manifestations culturelles par les habitants du territoire : « pourquoi sont-ce toujours les mêmes gens qui vont voir les spectacles etc., globalement hein, on est quandmême un petit peu là-dedans aussi ici. Parce que pour l’instant, on va dire qu’on peut fairedes petites jauges moyennes, entre 50 et 80 personnes pour des spectacles, et que c’est

un petit peu tout le temps les mêmes qui viennent. » 120

Plusieurs facteurs engendrent des phénomènes d’incompréhension et de rejet. Lesacteurs du projet sont conscients de certains, d’autres leur échappent.

La question centrale est ici celle de l’identification de la population, qui passe par laprise en compte d’une part de l’identité locale dans l’élaboration du projet. Jean-PierreSaez rappelle la nécessité de « penser rigoureusement, dans une perspective qui est aufond celle de la longue durée, toute problématique identitaire. Il s’agit là d’une conditionpréalable, élémentaire certes, à l’élaboration de politique ou projets culturels afin qu’ils

118 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007119 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007120 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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ne soient pas simplement guidés par de bons sentiments, lesquels ne se traduisent pasforcément par des solutions efficaces, ni par un volontarisme aveugle et précipité mais parune détermination clairvoyante. L’action culturelle ne peut se penser comme un simple levier

de l’action politique, elle est à la fois plus et autre chose que cela. » 121

La notion d’identité revêt deux significations pratiquement opposées. D’une part, il s’agitdu caractère de ce qui est identique. D’autre part, elle renvoie à l’unicité d’un objet, danssa singularité et sa différence par rapport aux autres. L’affirmation de l’identité est donc unmoyen de construire cette unicité et cette distinction des autres.

a) une difficile identification au projet

Tout d’abord, le projet manque de clarté, de lisibilité. La pluralité des territoires duprojet en est une des premières causes. Comme nous l’avons vu en première partie, leprojet peut se lire à deux échelles : celle de la commune de Corbigny, et celle du PaysNivernais-Morvan. Pour les porteurs du projet, le Pays est le territoire d’action dominant.Cependant, pour les habitants de la commune de Corbigny, ce projet concerne l’abbayeavant tout ; il est donc perçu comme agissant de manière concentrée sur la commune deCorbigny. Les habitants du reste du Pays ont un sentiment de détachement face à ce lieu,et l’appropriation est difficile, voire inexistante. Or, l’identification de l’espace d’action duprojet par la population est absolument nécessaire lors de son application : « Ce qui està cerner, c’est l’appréhension de l’espace sous la forme d’une référence identificatrice etd’un support des mobilisations sociopolitiques. Il s’agit, par conséquent, moins de localiserles phénomènes sociaux, que de considérer la capacité des individus à faire consciemmentde l’appartenance à une entité géographique une modalité de différenciation sociale. Cettestratégie de localisation consiste en particulier à accorder à l’espace une valeur privilégiéeparmi les multiples critères qui existent pour classer les individus en groupes sociaux, pourdire la singularité d’une personne en ce qui fonde le lien social. L’espace est ainsi un objetd’identification, c’est-à-dire qu’il demande à être circonscrit et qu’il suscite une appropriation

identitaire, un investissement symbolique. » 122

Il paraît difficile d’ancrer le projet dans le Pays. Ce dernier, comme le rappelle Jean-Sébastien Halliez, n’est pas un territoire identitaire. Le sentiment d’appartenance à un mêmeterritoire, une même culture, une même histoire, n’est pas activé. Chacun s’identifie avanttout par rapport à sa commune de résidence. Or, un projet de développement est censémobiliser les identités collectives. Selon Alain Faure, « Le contenu de la création culturelleà forte consonance identitaire génère une synergie locale : mobilisation d’une populationqui se découvre au travers de sa propre mise en scène, développement des initiatives dansle champ culturel et dans le champ économique, politique de communication, émergenced’un partenariat qui touche progressivement le milieu associatif, le monde politique, le socio-

professionnels et, en dernier ressort, les acteurs économiques. » 123 Quelle mobilisation

peut-il y avoir lorsque les repères identitaires sont inexistants ?

121 Sous la direction de Jean-Pierre Saez, Identités, cultures et territoires, Editions Desclée de Brouwer, Paris, 1995122 Philippe Veitl, in Politiques locales et enjeux culturels, Les clochers d’une querelle 19 e -20 e siècles, sous la direction

de Vincent Dubois, La Documentation française, Paris, 1998123 Pierre Teisserenc, Les politiques de développement local, Economica, Paris, 1994

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

62

Etant présenté avant tout comme un projet de Pays -et non un projet communal-l’appropriation par les habitants de Corbigny est elle aussi difficile.

Le site abbatial avait déjà acquis une identité forte avant son élaboration en lieuculturel ; il était identifié par les habitants comme lieu de partage autour de manifestationsde toute nature, ou comme établissement scolaire. La réappropriation par la populationd’une nouvelle identité avec laquelle ils n’ont aucun lien affectif ne peut alors se faire pourle moment.

En effet, le projet qui a été décidé n’a pas de lien direct avec l’identité culturelle duterritoire et de sa population. Si le choix de la culture a été établi à partir de son utilisationpréexistante, la culture développée ici n’a pas grand-chose à voir avec les pratiquesculturelles de la population et l’héritage culturel du territoire.

La population locale aurait pu s’attendre à une valorisation des cultures traditionnelles :danse et musique morvandelles, ou encore développement de l’artisanat et des savoir-fairelocaux. Or, la création artistique est en totale déconnexion avec ces habitudes culturelles.

La vision de la culture proposée ne correspond pas aux attentes de la population. Lespratiques proposées sont perçues par Philippe Leplat comme « culturelles, nouvelles, qui

dérange un peu les habitudes peut-être. » 124

A travers l’activité culturelle favorisée et la pluralité des territoires d’action,l’appropriation du projet par les habitants de la région est pour le moment inexistante. Onobserve en effet un décalage important entre les propositions artistiques et les pratiquesculturelles habituelles de la population locale : « La territorialisation de l’action culturelle,saluée autrefois par de nombreux observateurs, s’avère être une nébuleuse assez opaqueet de moins en moins opératoire. Plus grave encore le fait […] que l’action culturelle,au niveau local comme au niveau central, est largement décalée par rapport aux modes

d’action et d’expressions culturels « spontanés » de nos sociétés. » 125

Il convient cependant de préciser que l’instauration du projet est très récente. Ilfaudra certainement beaucoup de temps pour que la population se questionne et adhèredéfinitivement au projet.

La création du Pays est également récente ; la formation d’un sentiment identitairecommun n’a pas pu s’effectuer, il demande un long processus de construction. On peut alorspenser qu’avec l’institution de nombreux projets à l’échelle du Pays, incitant la populationà se regrouper et travailler ensemble, la prochaine génération aura acquis un sentimentd’appartenance et d’identité collective au sein du territoire.

b) entre modernité et tradition, une justification parfois difficile

En ce qui concerne le choix culturel, il a été sciemment décidé de ne pas fonder l’activitéde l’abbaye sur des formes de culture traditionnelle, relevant du folklore, de l’héritage culturelde la région. Faire ce choix aurait figé le territoire dans un forme d’archaïsme et auraitbloqué toute possibilité de modernisation. Comme le rappelle René Rizzardo, une politique

124 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007125 In Perspectives territoriales pour la culture, sous la direction de Jean-Pierre Augustin et Alain Lefebvre, Maison des sciences

de l’Homme en Aquitaine, Pessac, 2004

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

63

culturelle n’a pas pour fonction d’être un « conservatoire » d’identités. Elle doit au contraireles réutiliser en y intégrant une part de modernité, une dynamique dirigée vers l’avenir.

Jean-Paul Sêtre explique le choix de cette orientation : « Mais de toute façon l’état dela société fait qu’il faut qu’on aille, c’est-à-dire l’art contemporain, puisqu’on a eu une expol’an dernier. Il y a eu beaucoup de bruit autour de cette exposition. Ca a fait du dissensieux,plus que du consensieux. Mais quelque part, est-ce que c’est pas bien de bousculer un petitpeu les mentalités, et essayer de faire en sorte de pas se refuser ce…Enfin je veux pasdire que ça fait rentrer les gens dans la modernité, c’est pas vrai, j’ai pas cette prétention là

mais... » 126 Jean-Sébastien Halliez ajoute : « pour beaucoup de gens, la culture, bon ben

c’est avant tout les manifestations traditionnelles… qui ont leur sens aussi, et le reste, ben

c’est réservé à d’autres. Donc c’est intéressant de faire bouger les lignes, voilà. » 127

Néanmoins, la culture traditionnelle n’est pas totalement rejetée du projet. Par exemple,comme l’explique Jean-Paul Sêtre, des ateliers de danse traditionnelle ont été créés maisassociés à la danse contemporaine. Il s’agit ainsi de tenter de faire évoluer l’identité duterritoire, en réutilisant son héritage culturel pour l’adapter aux pratiques artistiques les plusmodernes d’aujourd’hui. Pour fonctionner, un projet culturel doit établir des compromis entreun héritage traditionnel et la modernité issue de l’extérieur pour satisfaire la population, ettenter de l’amener progressivement vers plus de modernité : « Même si c’est toujours lebut, de la culture, c’est de créer une émotion et autre, mais elle peut aussi, si on va trop loin

et trop vite avec la population, créer un refus par manque de compréhension. » 128

Il convient tout de même de remarquer qu’aucun choix n’est sans risque ; un projetculturel réussi devrait alors chercher à trouver un équilibre entre l’exploitation de culturestraditionnelles, reflets de l’identité locale, et une culture venant de l’extérieur, injectée etréadaptée au territoire : « Si l’on est renversé par la culture qu’on est censé absorber venantde l’extérieur, l’échange est déséquilibré. Et l’identité, la diversité en pâtissent à terme. Parailleurs, si au contraire on considère que la culture est avant tout endogène au territoire, lerisque est également un enfermement voire une restriction du champ d’ouverture de ceuxqui peuplent ces territoires, et donc finalement également une forme de régression ou derupture d’égalité face à quelque chose qui est une évidence, qui est l’universalité de la

culture. » 129

Cependant, la tendance aux replis identitaires au sein de l’espace rural complique lamise en place de politiques innovantes, détachées de l’identité culturelle traditionnelle : « Leterritoire apparaît souvent moins comme un espace de mise en cohésion –au niveau local,national ou européen- que comme un lieu de repli identitaire au sein d’espaces souhaités

de plus en plus homogènes culturellement. » 130 La tendance au conservatisme est en

effet dominante, et cherche à être contournée par les acteurs du projet : « Parce que je croisque les territoires enclavés comme ça, si on se met à taper du sabot, on revient un petit peu

126 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007127 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007128 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007129 Jean-Yves Caullet, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005

à Dijon130 Pascal Brunet, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

64

du côté du maréchal Pétain, quoi… » 131 Jean-Sébastien Halliez ajoute : « On a un travail

important à faire pour moderniser (pause), pour accompagner la modernisation et l’évolutionde l’identité. Enfin…comment dire ? Vous avez, sur le Pays Nivernais-Morvan, des identitésqui s’expriment d’un point de vue traditionnel, qui sont très fortes, très socialisées et trèsefficaces ; c’est les foires, fêtes etc., qui existent depuis longtemps et qui se pérennisent.C’est très bien. […] Mais le pire, c’est la communautarisation (pause) des habitants. Onpeut y être confronté aussi, par un point de vue spatial ; il y a pas de ghettos, de quartiers ;tous les villages, tous les hameaux sont multiples, en matière sociale… on va dire. Mais parcontre, d’un point de vue de la manière dont les gens vivent, oui, c’est un risque qui existe.Regardez, potentiellement on a les Néerlandais qui vivent entre eux, les nouveaux arrivants

jeunes qui vivent entre eux, et puis les nés au pays qui vivent entre eux. » 132

En outre, en dehors des caractéristiques du territoire et du milieu dans lequel évolue leprojet, une démarche individuelle en direction de la culture n’est pas évidente. L’adhésionà la musique au théâtre ne va pas de soi ; les individus peuvent se sentir exclus d’unenvironnement dans lequel ils n’ont jamais eu l’habitude de se rendre : « Bon, on va pasau spectacle comme ça, hein. On y va aussi parce qu’on s’est donné le droit d’y aller ;et se donner le droit d’y aller, c’est comprendre que ce monde là, il est pas réservé

qu’à une partie de la population. » 133 Ces formes de culture peuvent effectivementengendrer l’exclusion autant que l’intégration. Développer un projet à dimension culturellerevêt donc des problématiques qui échappent à ses instigateurs. L’un des seuls moyensde résorber ces écarts socio-culturels est alors l’explication, la communication, de façon à« dédiaboliser » un secteur qui provoque parfois -et davantage en milieu rural- le rejet etl’incompréhension.

De plus, la confrontation à des activités culturelles peut amener, comme l’explique Jean-Sébastien Halliez, à une modification, ou une évolution des habitus de chacun : « la culturea un rôle à jouer là-dedans. Parce que c’est en partie par ce biais là que les gens sortentde…(pause) sinon de leurs préjugés, du moins de leur modèle, quoi. Bon, par exemple,avec les Néerlandais, bon ben vous pouvez organiser des choses basées sur la découvertedu fromage, de l’art culinaire et puis, un petit peu vers la culture etc. Les gens accrochent.Mais par contre, ils ont peut-être pas forcément le courage, ou l’habitude, de pouvoir sans(hésitation) une animation et sans une initiative, à aller plus loin que ce qu’ils font d’habitude.

Donc, voilà. Donc l’abbaye peut jouer ce rôle là. » 134

Les artistes travaillent alors sur la reconstruction d’une identité à travers laquelle chacunpourrait se reconnaître. Jean Bojko a par exemple créé un dicton (L’Anguison, c’est dubonheur à foison ») et a tenté de l’inscrire dans le territoire comme une part de l’identitéhistorique : « Un mythe, ça se construit, une fable, ça se construit…dans le temps, desgrands-mères, qui racontent tout ça, des déformations qui prennent des vies entières. Etpuis après on dit, ah voilà. Par exemple, on a un dicton. Le dicton, faut voir comment ças’introduit dans l’histoire des hommes. Nous, on introduit ça comme ça, d’un seul coup.C’est pas que ça marche, n’empêche qu’aujourd’hui, je suis allé sur le pont, il y a avait un

131 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007132 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007133 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007134 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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vieux bonhomme, je discute un peu, tout ça. Il me dit il y a des pièces. Je lui dis : il faut enmettre une. Et il me dit : oh ça c’est un dicton, je sais pas si ça marche. Et je me suis dis :

tiens, ça y est, il prend ça pour un dicton alors qu’on l’a inventé. » 135

c) une communication défaillante

Néanmoins, ces choix restent en décalage par rapport aux attentes de la population.L’adhésion du public ne pourra être effective qu’à travers un travail de communicationimportant. C’est toute cette partie que les acteurs du projet n’ont pas encore réussi àdévelopper : « Ce qu’il manque par contre, c’est qu’on est une ligne éditoriale claire del’abbaye de Corbigny, c’est-à-dire : entre la programmation, la création, les ateliers depratique artistique, les visites, et (pause), et puis il y a aussi les « Fêtes musicales » ; qu’ilpuisse y avoir un lien entre tout ça qui soit le plus clair ; y-compris pour nous d’abord, et

puis aussi à communiquer derrière. » 136 Si l’incompréhension domine, c’est avant tout

parce que le projet est peu ou mal expliqué. Les habitants ont une méconnaissance desressorts du projet. Beaucoup ignorent la teneur des activités proposées, et ne savent dansquel but ce projet a été élaboré.

La critique la plus fréquente est alors centrée sur l’idée de gaspillage de l’argent public,dans un projet qui « ne rapporte rien » au regard de la population. En effet, le budget etla distribution des subventions est peu expliqué. Beaucoup pensent que la municipalitéde Corbigny finance en totalité le projet culturel et ses compagnies : « Il y a bien desrumeurs mais elles portent toujours sur l'argent, c'est dommage. J'aimerais qu'il y ait untravail pédagogique qui soit fait pour expliquer ce que c'est qu'un projet comme celui là etcombien il coûte au regard d'autre projet et je crois que çà calmerait les esprits de certainsqui fantasment. "La culture n'a pas de prix mais elle a un coût" et il faudra bien un jour

l'assumer c'est aux politiques de faire ce travail d'éclaircissement » 137

La population locale nourrit alors le sentiment d’être déconsidéré et perçoit ses attentescomme mal comprises et peu prises en compte par les élus locaux. Il est en effetabsolument nécessaire de justifier au quotidien les investissements effectués en directionde la culture. Il s’agit alors d’apporter des réponses et des données concrètes répertoriantles retombées qu’une politique culturelle peut offrir au territoire : « Au niveau local, cestravaux [sur l’estimation des retombées économiques de la culture] sont aussi utilisés pourjustifier des investissements pouvant mobiliser la quasi-totalité de leurs ressources et lessituant sur une trajectoire qu’ils ne pourront plus quitter facilement. La restauration d’unmonument, l’organisation d’un festival, la création d’un musée définissent des perspectives

de développement du territoire et créent des anticipations élevées. » 138

La culture est un domaine qui apparaît trop éloigné des habitants qui ont des attentesliées à l’économie, à l’emploi, ou au domaine social. Le secteur de la culture est perçu

135 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007136 Jean-Sébastien Halliez, entretien réalisé le 10 avril 2007137 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007138 Xavier Greffe, Sylvie Pflieger, Culture et développement local, OCDE, 2005

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

66

comme quelque chose qui ne rapporte pas, que ce soit économiquement, socialement ouhumainement.

Le soutien de la population locale est donc faible, et son appropriation quasi inexistante.Seul un travail d’explication, de communication important, invitant à une mobilisationcollective, pourra modifier la perception que les habitants du territoire ont du projet et descompagnies artistiques que l’abbaye accueille. Ce travail doit être effectué par les élusde la commune, mais aussi les entités politiques extérieures au territoire, dont le rôle est,à travers la communication et la médiation, de construire un espace de référence clair,de façon à faire en sorte que tous se sentent appartenir à un seul et même territoire,celui constitué par le Pays : « Le local n’existe jamais en soi. Il ne se comprend que parrapport à l’activité qui conduit à édicter -plus ou moins autoritairement et arbitrairement-des divisions géographiques et à les ordonner entre elles. Ce processus de constructiondes découpages territoriaux se réalise pour partie au travers de discours que l’on peutcaractériser comme performatifs. Les agents politiques ont un rôle important dans ce

mécanisme d’identification. » 139 Cette communication politique n’a pas, ou peu, étéeffectuée sur le projet de l’abbaye, ce qui peut être un élément d’explication du manqued’intérêt qu’il suscite auprès des habitants du territoire : « Je pense qu’on a mal communiquédessus, déjà. Et je pense qu’il aurait fallu une communication politique en plus de la

communication réelle » 140 ; « Il y a toujours bien sûr un risque, surtout si (pause)si la

parole publique n’est pas portée autour du projet ; il y a toujours des risques qu’il y ait desincompréhensions. Ce qui est essentiel, c’est de comprendre qu’à partir de l’abbaye, il se

fasse des choses à l’extérieur de l’abbaye » 141 .

De plus, le langage utilisé, les différents moyens de communication, doivent êtreadaptés à la population et doivent permettre de dédramatiser la culture, d’amener l’acteculturel, à travers les mots, dans le domaine du populaire : « Moi je veux pas attaquer lesgens qui analysent, mais il y a aussi la façon dont on s’adresse aux gens et peut-être qu’onperd beaucoup de temps parce qu’il reste le nœud du problème. Le nœud est pas facile àdéfaire mais c’est quelque chose qui est insignifiant. Par exemple, pour « 32+32=2000 », ona marié des artistes avec des villages de la Nièvre […] et on avait organisé des rencontres ;on a supprimé le mot conférence et la « rencontre canon » c’était la rencontre où on boit

des canons et où les gens sont canons, c’est-à-dire qu’on est beau. » 142

Selon Alain Mignon, le projet aurait également nécessité une préparation antérieure,qui n’a pas eu lieu. La concertation et l’information ont été insuffisante, ce qui a nourri lemanque de compréhension dès la base du projet : « C’est-à-dire que je pense que lesgens, ils doivent être complètement perdus, c’est quelque chose qui arrive comme ça, sansconnaître, et qu’il y a toute une préparation. Le public, il faut de plus en plus les préparer(pause) ; les préparer à venir écouter, à venir à la découverte de notre travail en amont…

139 Philippe Veitl, in Politiques locales et enjeux culturels, Les clochers d’une querelle 19 e -20 e siècles, sous la directionde Vincent Dubois, La Documentation française, Paris, 1998

140 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007141 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007142 Jean Bojko, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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(pause). Parce que l’air de l’artiste solo, comme ça, bon, pour moi, il est totalement révolu.

Aujourd’hui, on a une autre fonction (pause). » 143

Pour le moment, si les activités de l’abbaye sont reconnues et perçues comme légitimesà l’extérieur du territoire, elles restent en majorité rejetées à l’intérieur : « C’est bien de fairela ruche ; c’est très très bien. Mais comme une ruche, c’est fermé, et quand personne veut

aller visiter les abeilles et le miel, ça pose problème. » 144 La notion d’appropriation et

celle de communication sont donc intimement liées. Les habitants seront en incapacité des’approprier le projet tant qu’ils n’auront pas connaissance de ses modalités.

3) Les risques liés à une idéalisation de la culture

Les acteurs du projet avec lesquels je me suis entretenue accordent une place centraleà la culture ; chaque individu est alors censé avoir une pratique culturelle. C’est dans cettedémarche que le projet de l’abbaye a été élaboré ; il s’agit de réduire l’isolement cultureldes habitants du territoire afin de leur apporter l’offre nécessaire en termes d’équipementset d’activités culturelles. Cette offre contribuerait à l’épanouissement de chacun.

a) une volonté de décloisonnement culturel

Les porteurs de projet ont ainsi été motivés par la volonté de procéder audécloisonnement culturel de la région. Ces individus ont la certitude que l’instaurationd’un projet culturel de développement induit une amélioration de la qualité de vie. Cetteposition est partagée par les spécialistes. Il semble que les activités culturelles améliorentinévitablement le cadre de vie, ce qui va inciter la population à rester sur le territoire età y entreprendre à son tour des projets. Xavier Greffe rappelle par exemple que « Nulne conteste le rôle du cadre de vie dans l’attractivité d’un territoire, quels que soient sesdéterminants. Au cous des années récentes, les expériences de développement local enEurope ont toujours placé les activités culturelles comme facteur important de l’amélioration

du cadre de vie ». 145

Philippe Leplat affirme nettement que la présence d’une Harmonie à Corbigny peutinciter des individus, musiciens amateurs notamment, à venir s’installer sur cette communeplutôt qu’une autre, les orchestres d’harmonie se faisant de plus en plus rares de nos jours :« l’Harmonie, oui, parce que si des musiciens viennent s’installer à Corbigny, ils souhaiteront

143 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 2007144 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007145 Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 2002

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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avoir un orchestre pour pouvoir pratiquer leurs loisirs. Donc si l’harmonie n’existe plus, peut-

être que ces musiciens iront habiter dans une ville ailleurs » 146 . Jean-Paul Sêtre déclare

également : « je pense que quelque part le fait qu’il y ait un lieu ici où on puisse voir, entendredes choses, c’est pas complètement anodin. Moi j’ai entendu dire que des retraités quiavaient le choix entre ici ou ailleurs avaient choisi ici parce qu’ils trouvent que, bon voilà… »147

Il s’agit de développer une offre culturelle à laquelle les habitants ont rarement eu accès,dans le souci d’une quête de bien-être social et personnel. Le but est alors de tenter demodifier l’image que la population locale possède de la culture, et de montrer et démontrerses vertus.

Il s’agit de favoriser l’accès à la culture qui était auparavant quasiment inexistant : « Ici,l’abbaye, ça sert comme pôle culturel. C’est-à-dire que ici, il faut pas se leurrer… les gens ontune culture assez minimale. On va pas au théâtre, le théâtre est loin ; on va pas au cinéma,

parce qu’il y en a pas. » 148 ; « parfois d'ailleurs, le festival à Corbigny, à Lormes ou à Anost,

c'est le moment d'accès à la culture en dehors de la télévision. » 149 Pascal Dores reprend

également cette dialectique de l’art en opposition à la télévision : « Le développement localpour moi c'est déjà être là et mettre ensuite des projets artistiques et plus largement culturelsen résonance sur le territoire. Créer de la rencontre et surtout du débat, espérer de reprendre

du terrain au monopole télévisuel. » 150

A travers la culture, les porteurs du projet entendent développer la capacitéd’imagination et d’innovation de la population. C’est ce que Xavier Greffe nomme la fonctionde créativité : « La fonction de créativité est encore plus importante aujourd’hui qu’ellene l’a été dans le passé. La créativité dépend aujourd’hui des connaissances et descompétences, donc de la capacité de produire de nouvelles connaissances à partir decelles qui existent aujourd’hui. Cette créativité intègre aujourd’hui une double dimension :comprendre comment nos visions changent sous le choc de transformations matérielles,et produire de nouvelles références et de nouvelles idées ; être en situation de saisir denouvelles tendances, de gérer une tension permanente entre un patrimoine acquis et la

création, ce qui est justement l’essence d’une démarche culturelle.» 151

Ainsi, Les activités culturelles renforcent la capacité de créativité de la ville enproduisant en permanence des références et des représentations qui élargissent lesperceptions existantes.

Le but serait alors de concurrencer la télévision, de susciter l’intérêt des individus enproposant des activités a priori plus attractives. Il s’agit d’amener les individus à une pratiqueculturelle faisant partie de leur quotidien : « Pour l'instant la pratique culturelle n'est pas

146 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007147 Jean-Paul Sêtre, entretien réalisé le 9 février 2007148 Patrick Marmion, entretien réalisé le 12 avril 2007149 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007150 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007151 Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 2002

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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bien intégrée ici et c'est ce sur quoi nous travaillons. Il faudrait qu'un jour çà devienne une

pratique courante comme aller acheter son journal ou son pain. » 152

Cette problématique n’est pas spécifiquement liée au milieu rural ; beaucoup dedémarches culturelles entendent réduire la place accordée aux médias et tenter de fairesortir la population de chez elle.

b) une définition idéalisée

Néanmoins, le secteur culturel apparaît parfois très éloigné des préoccupationsimmédiates de la population. Dans un milieu isolé tel que le Pays Nivernais-Morvan, où lesgens ont des difficultés majeures en termes d’emploi, d’intégration du fait de l’isolement, laculture n’est pas appréhendée comme un besoin. La population locale perçoit alors l’idéede projet culturel comme ne répondant pas à ses attentes et ses besoins premiers. A sesyeux, la légitimité d’un tel projet n’est pas acquise ; au contraire, elle est sans cesse remiseen cause.

Ainsi, la réussite d’un projet de culturel de développement est plus qu’incertaine, avantmême sa mise en place. Daniel Latouche considère que certains territoires ne sont pas faitspour accueillir la culture : « Finalement, la contre-perfomance des arts et des artistes dansleurs nombreuses tentatives pour « sauver » des territoires en perdition n’aide pas la caused’une compréhension de l’ancrage territorial de la production et de la diffusion des biensde cultures. Certes, il est habituellement trop tard lorsqu’on fait appel aux artistes […] pourinsuffler une dynamique de projets dans […] des régions délaissées, mais le résultat est lemême : la culture et le vide font mauvais ménage. A la limite, on pourrait choisir d’y voirun constat plutôt encourageant sur le travail de création qui, en aucun cas, ne procède adnihilo, et ne peut faire surgir du sens ou du lien social là où rien n’existe. Pas facile dans

ces conditions pour une vie culturelle de trouver un ancrage territorial à sa mesure ». 153

Reste que le projet de l’abbaye a instauré la possibilité d’accéder à une pratiqueculturelle, quelle qu’elle soit. Certains, comme Antoine-Laurent Figuière pointent le dangerd’imposer une pratique culturelle et la nécessité de respecter la liberté de choix de chaqueindividu : « Parce qu’il est hors de question d’obliger tout le monde à aller voir du théâtre ou

de la danse, ça c’est quelque chose aussi qui relève de la liberté de chacun. » 154 Tant que

le phénomène d’appropriation par l’individu ne s’est pas opéré, la culture ne peut pas êtreimposée à l’autre : « Et ce qui est curieux, quand tu parles de développement local, c’est…il faut qu’il y ait une prise de conscience sur soi-même, pour pouvoir réutiliser des chosesqui peuvent être proposées. Quelque chose du genre : est-ce que je suis vraiment capablede le faire ? C’est pas seulement prendre et faire, c’est regarder, s’approprier, et ensuite,

en fonction de ce que j’ai vu, faire. » 155

Le choix est ensuite laissé à la population de se déplacer ou non.

152 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007153 Daniel Latouche, in Perspectives territoriales pour la culture, sous la direction de Jean-Pierre Augustin et Alain Lefebvre,

Maison des sciences de l’Homme en Aquitaine, Pessac, 2004154 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 2007155 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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La question de la légitimité de la culture comme objet de développement conduit à uneproblématique plus large : quelle doit être la place de la culture dans nos sociétés ? Quellesignification et quel rôle donne-t-on à la culture ?

Une forme d’idéalisation peut être alors observée, beaucoup de définitions officiellesdonnent le sentiment que la culture est le moyen de résoudre beaucoup de problèmes, liés àun individu ou un territoire. Par exemple, la définition d’un projet culturel de développementque donne l’UNESCO en 1992 démontre une idéalisation de la culture, à travers lesenjeux qu’un tel secteur est censé recouvrir : « La dimension culturelle du développementrecouvre l’ensemble des facteurs psycho-sociologiques qui concourent, au même titre queles facteurs économiques, technologiques et scientifiques, à l’amélioration des conditionsde vie matérielle et morale des populations, sans mutation brutale de leurs habitudes devie et de pensée, en même temps qu’à la réussite technique des plans ou projets dedéveloppement ».

En 1997, le Conseil de l’Europe propose également une vision très idéaliste de laculture : « Au titre des effets directs, les arts et la culture offrent des loisirs socialementestimables, élèvent le niveau de réflexion des populations, contribuent positivement àl’élévation de leur bien-être et renforce leur sensibilité ». Le réseau RELIER écrit : « Laculture ouvre à d’autres représentations, d’autres modes de pensée et d’agir. L’approcheartistique et culturelle est un outil fabuleux pour les territoires ruraux : elle transforme lesreprésentations culturelles et sociales des habitants : agir sur le plan culturel, c’est permettred’ouvrir un nouveau regard sur soi et les autres et ainsi rendre possible des connexions. »156 Enfin, Philippe Sidre déclare : « La création artistique apporte la critique, le dialogue,un regard différent, une autre parole, de la diversité, une dimension humanitariste, du sens

à la vie, de l’imagination pour construire l’avenir… » 157

On peut remarquer que ce sont avant tout les discours politiques qui proposent unevision idéalisée de la culture, sans pour autant expliquer les tenants et aboutissants d’unedémarche culturelle. Les propos de Christian Paul reflètent cette forme d’exaltation sucitéepar le champ culturel :« Il n'y a pas de politique de développement local sans un volet

culturel. Il faut revendiquer l'accès à la culture. » 158 Ces propos ne sont pas explicités. Il

semble que la culture en tant que nécessité soit vécue ici comme étant de l’ordre du naturel,et non de l’acquis.

Les propos d’artistes comme Alain Mignon ou Pascal Dores affirment comme évidente

la nécessité de la culture : « La culture sauve des vies ! » 159 ; « La culture est un supplément

d'âme » 160 . Antoine-Laurent Figuière déclare encore : « ce que je sais, c’est que

la dimension artistique doit être présente. Parce qu’elle touche le symbolique, et que lesymbolique, il est fort pour structurer le rapport qu’on a au monde. Et c’est ça l’artistique,hein ! C’est la structuration autour du symbolique […] Moi je pense que les enjeux artistiquesfont partie du développement de l’être humain. Alors après, local, pas local… Je pense queles enjeux artistiques sont fort, parce qu’ils permettent de décaler le regard sur le monde. Ils

156 Réseau RELIER157 Philippe Sidre, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon158 Christian Paul, entretien réalisé le 14 avril 2007159 Alain Mignon, entretien réalisé le 6 juillet 2007160 Pascal Dores, entretien réalisé le 10 juillet 2007

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

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permettent d’être, ben sollicités dans des endroits où on ne s’y attend pas ; qui permettentde se remettre en question, de se faire trembler, c’est pour ça qu’il y a des phénomènesde rejets forts. Il faut donc accepter ces phénomènes de rejets forts. Il faut tenir bon sur le

fait que c’est nécessaire. » 161

Les projets culturels sont perçus aujourd’hui comme des effets de mode auxquelspersonne n’échappe : « Si les produits culturels se territorialisent, les territoires, eux, se« culturalisent ». en effet, qui voudrait d’un territoire sans projet culturel. Comment de tels

projets arrivent-ils à s’imposer ? » 162

Il convient de rappeler que les individus travaillant dans le secteur culturel vivent apriori pour et à travers la culture ; les pratiques culturelles et artistiques constituent leurquotidien. Leur difficulté est alors d’envisager l’existence d’individus détachés de toutepratique culturelle, et ne développant aucun intérêt à son égard. Chacun a sa propre vision,son propre vécu, son propre rapport à la culture ; chez les acteurs culturels, ce rapport estsouvent exacerbé. La culture est mise sur un pied d’estal. Il manque donc un regard plusdétaché, plus objectif, pour ne pas risquer l’incompréhension de ceux qui ne font pas partiedu champ culturel, et qui ne possèdent pas ce rapport étroit à la culture. C’est ce qu’AlainFaure nomme « les sentiers de dépendance » : « Tout le monde n’a pas arrêté de parlerde ses sentiers de dépendance, c’est-à-dire de notre rapport, de notre vision du mondequi est construite par une histoire très forte de notre rapport à la culture, au monde rural,à l’agriculture, aux communes. Chacun y a été de sa rengaine et on n’a pas les mêmessentiers de dépendance, c’est très clair, mais on a tous ce rapport très fort, très émotionnel. »163

Alain Faure a un regard très critique sur les professionnels de la culture, et pointe cetteabsence de mise à distance et de manque d’ouverture comme une des causes de la difficultéà imposer un projet : « La deuxième idée très forte, c’est l’idée que vous êtes dans unentre-soi ; il y a un entre-soi très fort, très prégnant, franco-français, culturo-culturel, agrico-

agricole, et ça aussi ça vous plombe. » 164

c) Le rôle de l’artiste

De plus, au sein du secteur culturel, chaque acteur a des attentes et une définition de ceque doit être la culture qui lui est propre. Entre artistes, gestionnaires de projets, partenairesinstitutionnels et associations, c’est donc l’incompréhension qui domine le plus souvent.

Le principal dilemme rencontré sur le projet de l’abbaye concerne le rôle des artistessur le territoire. Alors que les porteurs du projet accordent aux artistes le rôle d’animationdu territoire, ces derniers réfutent cette position : « Donc on considère pas qu’on a unefonction d’animation, c’est…Ce qu’on pourrait attendre de nous, c’est d’avoir une fonction

161 Antoine-Laurent Figuière, entretien réalisé le 12 juillet 2007162 Daniel Latouche, in Perspectives territoriales pour la culture, sous la direction de Jean-Pierre Augustin et Alain Lefebvre,

Maison des sciences de l’Homme en Aquitaine, Pessac, 2004163 Alain Faure, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon164 Alain Faure, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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d’animation locale, comment divertir le territoire, mais c’est pas ça. C’est comment on arrive

sur le territoire à créer quelque chose qui fait que les gens se questionnent ». 165

Pourtant, l’animation est une des fonctions premières d’un projet de développement,qu’il soit culturel ou non. Ainsi, le rôle alloué à la culture serait avant tout un rôle d’animation :« « Le développement est un fait culturel », répète-t-on. Oui, mais de quelle culture s’agit-il ? il ne s’agit pas ici de la culture « cultivée », mais bien plus de la culture vécue. C’estcelle qui, dans le projet de développement, doit jouer un rôle en liant en même temps qued’incitation dynamique en ce qui concerne la diversification des activités, le maintien de

l’emploi, la renaissance de la vie villageoise. La culture, ici, c’est l’animation du milieu. » 166

Mais l’artiste n’est pas un animateur. L’animation reviendrait à proposer des formesculturelles qui répondent aux attentes des habitants, à ce qu’ils connaissent. Animerimpliquerait une perte de l’autonomie des artistes dans leur processus de création. Or, letravail d’une compagnie de création n’a pas nécessairement pour but de plaire ; au contraire,elle a aussi pour fonction de déranger. Daniel Latouche exprime alors les dangers pour unartiste de s’ancrer dans un territoire : « La vie d’artiste « localisé » est dangereuse. On veutque l’artiste soit suffisamment local pour qu’il contribue à préserver une diversité culturellemenacée par la mondialisation, avoir une bonne dose de régional pour mieux combattre lesdangers d’un national qui n’a que faire de tout ce qui est folklore, sans oublier l’interrégional,

cette pierre angulaire d’un universel de bon aloi. » 167

Afin que chacun trouve sa place dans un tel projet, la fonction d’animation doit êtrelaissée et revendiquée par les associations : « notre activité principale, c’est d’animer

le territoire ». 168 Cependant, concernant le projet de l’abbaye, les rôles sont encoremal définis, ce qui peut provoquer des formes de rivalités entre les associations et lescompagnies en résidence. Comme le rappelle Jean Bojko : « Notre objectif n’est pas le

même. Alors il y a parfois des associations qui pensent qu’on leur prend leur terrain. » 169

Les objectifs sont également différents en terme économique : « D’un côté, les« cultureux » acceptent mal l’idée d’un soutien public négocié au gré de contraintesterritoriales par nature ambiguës. De leur côté, les « entrepreneurs » voient rarement d’unbon œil leur implication dans des opérations culturelles sans « retour sur investissement »

immédiat et quantifiable. » 170

165 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007166 Bernard Kayser, La renaissance rurale, sociologie des campagnes du monde occidental, Armand Colin, Paris, 1990167 Daniel Latouche, in Perspectives territoriales pour la culture, sous la direction de Jean-Pierre Augustin et Alain Lefebvre,

Maison des sciences de l’Homme en Aquitaine, Pessac, 2004168 Philippe Leplat, entretien réalisé le 14 avril 2007169 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007170 Alain Faure, « Comment réconcilier culture et développement local » in L’Observatoire des politiques culturelles n°16,

automne 1998

Troisième partie : Difficultés et risques à associer culture et développement local

73

L’attente de résultats économiques est en effet prégnante au sein de la société actuelle :« Parce qu’on est tellement dans une société où tout le monde pense : je vais faire ça pour

que ça me rapporte ça, c’est-à-dire de l’argent ». 171

Une manifestation culturelle territorialisée, ancrée géographiquement, et dotée definancements visant le développement de ce territoire implique une forte demande derésultat, ce qui ne sera pas forcément le cas pour une manifestation importante proposéeen grande ville, qui cherchera plus à répondre à une demande de qualité qu’à répondre àdes enjeux économiques pour le territoire concerné.

Le problème posé par un projet de développement est qu’il est avant tout envisagéen termes de retombées. Or, il ne doit pas seulement être analysé qu’à travers lesconséquences qu’il engendre.

Comme le rappelle Alain Faure, trop d’enjeux, dont certains pas toujours compatibles,sont sollicités à travers le secteur culturel, ce qui induit à long ou moyen terme un blocagedans l’application du projet : « Il me semble avoir entendu cette façon de vouloir, à la fois,que la culture soit complètement à l’écart des enjeux marchands, qu’elle soit complètementfinancée par le public et puis, en même temps, que la culture soit un espace de libertéexprimé par le citoyen sans avoir l’instrumentalisation du public ; donc […] avoir beaucoup

de moyens, et en même temps, avoir une totale liberté. » 172

Il existe donc un réel danger à trop miser sur la culture, à en faire un domaine pouvantrésoudre les « maux » de la société. Les acteurs du secteur de la culture sont souventtrès impliqués et on un lien très fort avec leur objet. Ce rapport étroit empêche la mise àdistance vis-à-vis de l’objet « culture », et peut bloquer les analyses contextuelles, sociales,primordiales dans un projet de développement.

171 Jean Bojko, entretien réalisé le 10 avril 2007172 Alain Faure, in « Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu en avril 2005 à Dijon

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

74

Conclusion

Le projet culturel du Pays Nivernais-Morvan illustre les problématiques et les enjeuxprincipaux que recouvre un projet de développement local.

Il démontre que la culture est aujourd’hui un élément à part entière de développementlocal. Le champ culturel est de plus en plus exploité dans un but de redynamisation deterritoires déshérités. La culture est alors devenue un facteur essentiel de développementde territoire.

Néanmoins, un projet culturel ne peut pas être plaqué sur un territoire sans tenir comptede conditions spécifiques dans sa réalisation.

De plus, il semble qu’il ne peut pas se suffire à lui-même dans une démarche dedéveloppement de territoire. Comme le montre l’analyse des retombées qu’il suscite, unprojet culturel agit avant tout sur l’image d’un espace donné ainsi que sur son attractivitétouristique. Ses retombées économiques sont cependant assez faibles à court terme.

Un projet de développement local doit ainsi coupler divers secteurs afin de satisfaireau mieux la population locale, et de rendre la démarche de développement la plus efficacepossible. Un projet culturel ne peut donc se réaliser de manière autonome. Il doit venirs’inscrire dans une démarche de développement globale, associant notamment le domainede l’emploi ou encore le champ social et économique.

Certaines conditions sont donc nécessaires à la réussite de l’implantation d’un projetculturel de développement dans un territoire à forte dominante rurale.

Les différents entretiens démontrent tout d’abord la nécessité d’adopter un projetcohérent, sachant s’adapter aux réalités du territoire d’action. La nécessité de la mobilisationde l’ensemble des acteurs d’un territoire, qu’ils soient professionnels de la culture, dudéveloppement local, ou simplement résidents, est largement explicitée. Un projet dedéveloppement implique une construction collective associant un maximum d’individus.

De plus, le projet de l’abbaye permet d’évoquer les différentes attentes liées à unedémarche de développement, ses apports, mais aussi toutes les difficultés auxquelles lesporteurs de projet sont confrontés, que ce soit dans l’élaboration du projet ou dans sonapplication et sa pérennisation.

De ce point de vue, mes hypothèses de départ sont totalement validées. Une définitionclaire du territoire d’action, l’adaptation du projet culturel aux réalités territoriales, maissurtout la mobilisation d’un maximum d’acteurs constituent l’essence d’une démarche dedéveloppement local.

Cependant, certains éléments perçus au départ comme secondaires apparaissent,suite à l’analyse des entretiens, primordiaux. J’ai notamment largement négligé dans maréflexion de départ l’importance de l’appropriation du projet par la population locale commecondition essentielle de réussite. Ainsi, les notions d’identité, d’identification m’avaientéchappé.

Le rapport qu’entretiennent les initiateurs du projet à la culture est aussi un élément queje n’ai pas immédiatement pris en compte. Ces derniers possèdent en effet un lien étroit

Conclusion

75

à l’objet culturel, une définition et des attentes qui leur sont propres. Il est alors difficile deproposer des activités artistiques et culturelles correspondant aux attentes de la populationlocale quand ces dernières divergent de leur propre définition de ce que doit être la culture.

A l’opposé, d’autres éléments constituant une hypothèse de départ ont été survalorisés.C’est notamment le cas de la prise en compte des spécificités historiques et culturelles.Certes, la cohérence du projet demande une certaine adaptation aux réalités du territoire.Néanmoins, une surexplotation de ces spécificités pourrait figer le territoire dans ledomaine traditionnel, au risque d’en constituer un espace archaïque, attirant une populationtouristique nostalgique d’un passé révolu. Il peut donc paraître intéressant de dépasser cesaspects traditionnels et apporter des idées novatrices, dans le but d’aider à la modernisationd’une région rurale, même si cela engendre à nouveau un risque dans la difficultéd’identification par les habitants.

L’aspect communicationnel, explicatif, a également été négligé. Même si un projet dedéveloppement respecte les différentes modalités exprimées dans les hypothèses initiales,il ne pourra fonctionner et s’ancrer dans le territoire qu’à travers un travail de communicationet d’explication perpétuel, visant à faire comprendre le sens et les enjeux du projet à lapopulation locale.

En outre, mes hypothèses de départ ne pointent pas de manière explicite la complexitéd’un projet de territoire.

Les porteurs de projet doivent sans cesse faire face à des réalités qui leur échappent.La garantie de réussite n’existe pas. Chaque territoire est composé de spécificités et decontextes particuliers. Un projet de développement peut alors fonctionner dans une partiedu territoire concerné, et échouer dans une autre. Il peut également connaître la réussite àune période donnée, puis être victime de désintérêt à un autre.

Enfin, la grande difficulté dans l’élaboration d’un projet de développement se situedans la satisfaction des multiples partenaires et des différents acteurs du projet. Chacun ades attentes, des objectifs différents et parfois contradictoires ; la recherche de compromisconstitue alors une part très importante du travail de mise en place.

Il n’existe donc aucun modèle de projet de développement local, même si certainesmodalités sont à respecter dans sa construction.

Le projet culturel du Pays Nivernais-Morvan est encore trop jeune et toujours en coursd’élaboration. Seul un ancrage dans le temps pourra démontrer s’il contribue ou non audéveloppement du territoire concerné.

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Bibliographie

Ouvrages spécialisés :

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clochers d’une querelle 19e-20e siècles, La Documentation française, Paris, 1998

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-Xavier Greffe, Le développement local, Editions de l’Aube, DATAR, 2002

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-Jean-Pierre Saez (sous la direction de), Identités, cultures et territoires, EditionsDesclée de Brouwer, Paris, 1995

-Pascal Saffache, Glossaire de l’aménagement et du développement local, Ibis RougeEditions, Paris, 2005

Bibliographie

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Mémoires :

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-Nelly Michaud, Patrimoine et développement local : l’exemple du Bugey, Lyon,mémoire de fin d’études IEP/Université Lumière Lyon 2, 2002

Articles, Rapports, Colloque :

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-« Développement culturel, création artistique et projet de territoire », Colloque tenu enavril 2005 à Dijon

-« Culture et recomposition des territoires : la politique culturelle des Pays », inL’Observatoire des Politiques culturelles n°24, été 2003

-Alain Faure, « Comment réconcilier culture et développement local » in L’Observatoiredes politiques culturelles n°16, automne 1998

Sites internets :

-http://www.corbigny.org

-http//paysnivernaismorvan.com

-http://www.theatreprouvette.com

-http://www.metalovoice.com

-http://compagnie.deviation.free.fr

-http://www.culture.gouv.fr/bourgogne/

-http://www.cr-bourgogne.fr

-http://www.projetdeterritoire.com

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Documents spécifiques à la structure et au territoired’étude :

-Guide touristique du Pays Corbigeois

-Histoire abrégée de l’Abbaye de Corbigny

-Rapport d’activités de l’Abbaye de Corbigny, 2006

-Abbaye de Corbigny, étude de définition d’un centre culturel, Philippe Mathieu, 2001

-Note préparatoire de la Commission Culture du Pays Nivernais-Morvan du 22 février2002

-Note de présentation du Comité de pilotage de l’Abbaye de Corbigny, du 8 février 2002

-Projet de Contrat de Pays pour le Nivernais-Morvan, années 2002-2006

-Le Pays Nivernais-Morvan, document d’étape, 4 décembre 2003

-Schéma directeur de développement de l’abbaye de Corbigny, Jean-Paul Sêtre, 2004

-Le plan de travail du Comité de pilotage avec la DRAC de Bourgogne, 2004

-Dossier de demande pour l’obtention du label « Pôle d’excellence rurale » (PER),déposé en novembre 2006

Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Guide d’entretienProjet abbaye

De façon générale, qu’est-ce que le projet de l’abbaye ?Qui en a eu l’idée ? Qui l’a lancé ? Est-ce que ça répondait à une demande spécifique ?Historique, évolution du projet depuis sa création.Quels partenariats implique-t-il ? (à l’échelon local, régional etc.) ?Quels étaient les objectifs de départ ?Quels résultats attendus ?Est-ce que le projet est finalisé (dans sa forme finale) ou est-ce qu’il est toujours en

évolution ?Qu’est-ce qu’il reste à faire ?Considérez-vous que le projet est une réussite ? Quelles critiques auriez-vous à

apporter ?Pourquoi le choix de l’abbaye ?Action culturelleQuel nom donné au projet ?Qu’est-ce qu’on entend par culture (ou cultures) ?Qu’est-ce qu’on cherche à y inclure ?Quel type d’action culturelle est valorisé ?Choix des compagniesDes exemples de projets ou réalisationsComment me définiriez-vous le développement culturel ?Spécificités localesEst-ce que les traditions culturelles de la région sont prises en compte ?Quelles sont-elles ?De quelles manières ?Rapports avec la population et acteurs locauxEst-ce que seules des compagnies professionnelles sont intégrées au projet ?De quelle manière ont été intégrées les associations culturelles locales ?

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Est-ce qu’il y a eu un effort particulier pour les intégrer ?Cela pose-t-il des problèmes particuliers (relation entre professionnels et amateurs) ?De manière plus générale, est-ce qu’on a cherché à associer la population au projet ?De quelle manière ?Dans l’organisation des événements ?Dans les créations mêmes ?Comment ce projet a été accepté par la population ?Quelle fréquentation ?Culture et Développement localQu’est-ce que le développement local ?Est-ce que ce projet participe au développement de la région ?Pourquoi ce choix de la culture plus qu’un autre secteur ?Qu’est-ce qu’il apporte à la région ?Qu’est-ce qu’il apporte de plus ou de différent qu’un autre secteur ?Dans un projet de développement de territoire, considérez-vous que le développement

culturel est un choix pertinent ? En quoi est-il adapté ou non à ce type de territoire ?Quels sont les enjeux d’un tel projet pour la région de Corbigny, et plus généralement

pour le Pays Nivernais-Morvan ?Selon vous, quelles sont les conditions de réussite d’un projet de développement local ?Quels sont les atouts du territoire ?Comment on peut décrire la région ?Est-ce qu’en dehors de l’abbaye, il y a d’autres démarches de développement dans le

pays Nivernais-Morvan ?Quelles retombées du projet de l’abbaye sur le territoire ?Dimension politiqueQuel rapport entretenez-vous avec les élus et professionnels travaillant sur le projet

de l’abbaye ?Devez-vous répondre à des exigences (commande politique) particulières ?Ce projet est-il assimilé à un projet politique ?

Annexe 2 : Tableau récapitulatif des entretiens-Jean Bojko : Directeur de la compagnie TéATR’éPROUVèTe depuis 1982 ;

Entretien réalisé le 10 avril 2007-Marion Campay : Présidente de l’Association AMAL’GAMM depuis mai 2006Entretien reçu par email le 28 juillet 2007 (entretien non pris en compte dans l’analyse)

Annexes

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-Pascal Dores : Directeur artistique de la compagnie METALOVOICE depuis 1995Entretien reçu par email le 10 juillet 2007-Antoine-Laurent Figuière, Directeur par intérim de la Direction Régionale des Affaires

Culturelles (DRAC) de Bourgogne depuis mai 2007, en charge du projet de l’Abbaye deCorbigny

Entretien réalisé le 12 juillet 2007-Jean-Sébastien Halliez, Chef de projet du Pays Nivernais-Morvan depuis 2001Entretien réalisé le 10 avril 2007-Philippe Leplat, Président de l’Harmonie municipale de Corbigny depuis 2004Vice-Président de l’association « Les Fêtes de l’abbaye » depuis 2004Entretien réalisé le 14 avril 2007-Patrick Marmion, Président de l’Office du tourisme du Pays corbigeoisPrésident du festival « Les Fêtes musicales » de Corbigny de 1995 à 1997Entretien réalisé le 12 avril 2007-Alain Mignon : Directeur de la compagnie Déviation depuis 1991Entretien réalisé le 6 juillet 2007-Christian Paul : Président du Pays Nivernais-Morvan depuis 2001,Président du Parc Naturel Régional du Morvan,Député de la Nièvre depuis 1997 (réélu en juin 2007),Premier vice-président du Conseil régional de Bourgogne depuis 2004 ;Entretien réalisé le 14 avril 2007-Jean-Paul Sêtre : Administrateur de l’ « Espace de cultures » de l’Abbaye de Corbigny

depuis 2004 ;Entretien réalisé le 9 février 2007

Annexe 3 : Entretien avec Jean-Sébastien Halliez,Chef de projet du Pays Nivernais-Morvan, réalisé le 10avril 2007

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 4 : Entretien avec Jean Bojko, Directeur de laCompagnie TéATr’éPROUVèTe, réalisé le 10 avril 2007

La culture comme outil de développement local : l’étude d’un projet culturel en milieu rural

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Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 5 : Entretien de Marion Campay, Présidente del’association AMAL’GAMM, reçu par email le 28 juillet2007

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 6 : Carte localisant Corbigny en FranceCes annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 7 : Le Pays Nivernais-Morvan en BourgogneCes annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 8 : Corbigny dans la NièvreCes annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 9 : Photographie de l’Abbaye de CorbignyCes annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexes

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Annexe 10 : Fiche action culture du Pays Nivernais-Morvan : « Favoriser l’accès à l’offre artistique etculturelle », extrait du Contrat de Pays 2007-2013

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon