20
LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES Coronavirus 512 Dispositions particulières aux juridictions pour enfants et relatives à l’assistance éducative. Ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 13 à 21, Aperçu rapide Mélina Douchy-Oudot 513 Les relations commerciales dans la tourmente de l’épidémie, Aperçu rapide Philippe Briand 537 « Nous travaillons avec les chefs de juridictions sur des plans de reprise », 3 questions à Olivier Cousi et Nathalie Roret 508 Édito - Je me souviens, par Nicolas Molfessis 509 Hommages - Jacqueline Rubellin-Devichi. Un certain esprit de famille, par Adeline, Hubert, Hugues, Olivier, Pierre, Sophie, et tous les autres... 536 Droit de la communication - Chronique par Pascale Idoux 535 Interdiction des expulsions collectives - Refoulement aux frontières : nouvelle régression de l’interdiction des expulsions collectives (CEDH, 13 févr. 2020), note Alexandre Palanco 27 AVRIL 2020, HEBDOMADAIRE, N° 17 ISSN 0242-5777 510-511 DÉBAT Covid-19, quelle réponse de la Convention EDH ? Frédéric Sudre / Sébastien Touzé

LA SEMAINE JURIDIQUE - Tendance Droit · LA SEMAINE DE LA DOCTRINE CHRONIQUE P. 843 536 Droit de la communication - Droit de la communication , par Pascale Idoux INFORMATIONS PROFESSIONNELLES

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  • LA SEMAINEJURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE

    LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES

    Coronavirus

    512 Dispositions particulières aux juridictions pour enfants et relatives à l’assistance éducative. Ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 13 à 21, Aperçu rapide Mélina Douchy-Oudot

    513 Les relations commerciales dans la tourmente de l’épidémie, Aperçu rapide Philippe Briand

    537 « Nous travaillons avec les chefs de juridictions sur des plans de reprise », 3 questions à Olivier Cousi et Nathalie Roret

    508 Édito - Je me souviens, par Nicolas Molfessis

    509 Hommages - Jacqueline Rubellin-Devichi. Un certain esprit de famille, par Adeline, Hubert, Hugues, Olivier, Pierre, Sophie, et tous les autres...

    536 Droit de la communication -Chronique par Pascale Idoux

    535 Interdiction des expulsions collectives - Refoulement aux frontières : nouvelle régression de l’interdiction des expulsions collectives (CEDH, 13 févr. 2020), note Alexandre Palanco

    27 AVRIL 2020, HEBDOMADAIRE, N° 17 ISSN 0242-5777

    510-511

    DÉBATCovid-19, quelle réponse de la Convention EDH ?

    Frédéric Sudre / Sébastien Touzé

  • Sommaire La Semaine Juridique - Édition Générale - N° 17, 27 avril 2020

    LA SEMAINE DU DROIT

    ÉDITO P. 813

    508 Édito - Je me souviens, par Nico-las Molfessis

    LIBRES PROPOS P. 816

    509 Hommages - Jacqueline Rubellin-Devichi (1934-2020). Un certain esprit de famille

    510 Convention EDH - La mise en quarantaine de la Convention eu-ropéenne des droits de l’homme, par Frédéric Sudre

    511 Convention EDH - La restric-tion vaudra toujours mieux que la dérogation…, par Sébastien Touzé

    APERÇUS RAPIDES P. 821

    512 Coronavirus - Dispositions par-ticulières aux juridictions pour enfants et relatives à l’assistance éducative. À propos de l’ordon-nance n° 2020-304 du 25 mars 2020, art. 13 à 21, par Mélina Douchy-Oudot

    513 Coronavirus - Les relations com-merciales dans la tourmente de l’épidémie, par Philippe Briand

    ■ CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE P.829

    514 Coronavirus - Les recommanda-tions de la CNCDH pour proté-ger l’enfance (CNCDH, lettre de l’observatoire n° 2, 15 avr. 2020)

    515 Coronavirus - L’INSEE photogra-phie le logement des Français et les conditions de confi nement (INSEE Focus n° 189, 21 avr. 2020)

    516 Journal offi cieldu 16 au 22 avril 2020

    ■ AFFAIRES P.830

    517 Chèques - Effet dans le temps de l’opposition au paiement du chèque : merci d’en informer le client ! (CA Rennes, 3e com., 28 janv. 2020, n° 17/01766) ➤ act. Jean-Christophe Bonneau

    518 Coronavirus - Les principales échéances fi scales de mai pour les entreprises sont décalées au 30 juin 2020 (Minefi , communiqué, 17 avr. 2020)

    519 Coronavirus - Le dispositif du fonds de solidarité est prolongé en avril et ses paramètres ajustés (D. n° 2020-433, 16 avr. 2020)

    520 Coronavirus - L’AMF prolonge l’in-terdiction de la vente à découvert (AMF, communiqué, 15 avr. 2020)

    521 Coronavirus - Coronavirus et volatilité : la BCE abaisse tempo-rairement les exigences en fonds propres relatives au risque de marché (BCE, communiqué, 16 avr. 2020)

    522 Journal offi cieldu 16 au 22 avril 2020

    ■ SOCIAL P.832

    523 Coronavirus - Le tribunal de Nanterre demande à la société Amazon de mieux protéger ses salariés (TJ Nanterre, réf., 14 avr. 2020, n° 20/601 ) ➤ act. Bernard Bossu

    524 Coronavirus - Adaptation tem-poraire des délais et modalités de versement de l’indemnité com-plémentaire pour arrêt de travail (D. n° 2020-434, 16 avr. 2020)

    525 Journal offi cieldu 16 au 22 avril 2020

    ■ PUBLIC ET FISCAL P.834

    526 Coronavirus - La « guerre » des EHPAD (CE, ord. réf., 15 avr. 2020, n° 439910 ; CE, ord. réf., 15 avr. 2020, n° 440002) ➤ act. Mathieu Reynier et François Vialla

    527 Coronavirus - Partition en covid mineur (TA Paris, ord. 15 avr. 2020, n° 2006177/9 ; TA Paris, ord. 15 avr. 2020, n° 2006178/9) ➤ act. François Vialla

    528 Coronavirus - Précisions sur la ga-rantie de l’État pour certains prêts bancaires (A. n° ECOT2009761A, 17 avr. 2020)

    529 Coronavirus - Adaptation des dispositions relatives à la for-mation initiale des auditeurs de Justice, des stagiaires de l’ENM, et des conciliateurs de Justice (D. n° 2020-440, 17 avr. 2020)

    530 Coronavirus - Organisation des examens et des concours pendant la crise sanitaire (D. n° 2020-437, 16 avr. 2020)

    531 Coronavirus - Lancement de la campagne de déclaration des revenus pour 2020 adaptée à la crise du coronavirus (Minefi , com-muniqué, 20 avr. 2020)

    532 Journal offi cieldu 16 au 22 avril 2020

    ■ INTERNATIONAL ET EUROPÉEN P.838

    533 Coronavirus - Décision histo-rique… ou presque (Cons. UE, Eurogroup, Mário Centeno, décla-ration, 9 avr. 2020) ➤ act. Domi-nique Berlin

    534 Coronavirus - L’urgence éten-due au covid-19 (Cons. (UE), règl. 2020/521/UE, 14 avr. 2020 portant activation de l’aide d’urgence en vertu du règlement (UE) 2016/369 et modifi cation des dispositions dudit règlement pour tenir compte de la propagation de la COVID-19) ➤ act. Dominique Berlin

    535 Interdiction des expulsions col-lectives (Prot. 4, art. 4) - Refou-lement aux frontières : nouvelle régression de l’interdiction des expulsions collectives (CEDH, 13 févr. 2020, n° 8675/15, 8697/15, N.D. et N.T. c/ Espagne) ➤ note Alexandre Palanco

  • LA SEMAINE DE LA DOCTRINE

    CHRONIQUE P. 843

    536 Droit de la communication - Droit de la communication, par Pascale Idoux

    INFORMATIONS PROFESSIONNELLES P. 851

    537 Coronavirus - « Nous travaillons avec les chefs de juridictions sur des plans de reprise » 3 questions à Olivier Cousi et Nathalie Roret

    538 Coronavirus - Fourniture de masques de protection : l’État doit aider les avocats à s’en procurer (CE, ord. réf., 20 avr. 2020, n° 439983, n° 440008, Ordre des avocats du barreau de Marseille et de Paris)

    539 Coronavirus - Les conséquences de la crise sur les cabinets d’avo-cats : des chiffres inquiétants (CNB, sondage, 21 avr. 2020)

    540 Coronavirus - Covid-19 et acte notarié à distance : validation par le Conseil d’État (CE, ord. réf., 15 avr. 2020, n° 439992) ➤ act. Pierre Noual

    541 Avocats - Uniformisation des règles de communication des avocats (CNB, AG, 3 avr. 2020)

    LA SEMAINE DU PRATICIEN

    LA SEMAINE JURIDIQUEJuris-Classeur Périodique (JCP)94e année

    Président Directeur Général, Directeur de la publication : Philippe CarillonDirectrice éditoriale : Clémentine [email protected]

    Directeur scientifi que : Nicolas Molfessis

    Comité scientifi que : D. Bureau, L. Cadiet, C. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel-Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

    Comité d’experts : C. Champalaune, W. Feugère, J.-P. Jean, D. Musson, B. Stirn, L. Vallée, E. Vasseur

    Rédactrice en chef : Hélène Béranger Tél. : 01.45.58.93.24 - [email protected]édactrice en chef adjointe : Élise Fils Tél. : 01.45.58.92.86 - elise.fi [email protected]Éditeur : Florence Creux-ThomasTél. : 01.45.58.92.42 - [email protected]

    Avec la collaboration de :Ch. Blondel-Angebault, M. Garnier, M. Joseph Parmentier, É. Mallet, Cl. Sirinelli, rédacteurs-analystes JurisData, Cécile Lazarus, N. Berna, coordinatrice ARJ, Joseph Jehl, docteur en droit

    Maquette et direction artistique : Philippe BlancMise en page : Studio Orient Express

    Publicité :Direction Marketing Opérationnel / Publicité : Caroline Spire, responsable clientèle publicité[email protected] – 01 45 58 94 69Catherine Thevin, responsable du marketing opé[email protected] – 01 45 58 93 05

    Correspondance :Hélène BérangerLa Semaine Juridique (Édition générale)141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15

    Relations clients :Tél. : 01 71 72 47 [email protected]

    Abonnement annuel 2020 :• France (métropole) : 846.41 euros ttc (829 euros ht)• DOM-TOM et pays étrangers : 915 euros htPrix de vente au numéro :• France (métropole) : 35,74 euros ttc (35 euros ht)• DOM-TOM et pays étrangers : 39 euros htOffre « spéciale étudiants » : http://etudiant.lexisnexis.fr/

    LexisNexis SASA au capital de 1.584.800 euros - 552 029 431 RCS ParisPrincipal associé : Reed Elsevier France SASiège social : 141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15

    Imprimeur : Evoluprint - SGIT SASParc Industriel Euronord, 10, rue du Parc, 31150 Bruguières

    Dépôt légal : à parutionCommission paritaire : n° 1121 T 80376

    Origine du papier : AllemagneTaux de fi bres recyclées : 6 %Certifi cation : 100 %Impact sur l’eau : PTOT = 0,01 kg / tonne

    Photos : droits réservés.Image de couverture : © Philippe Blanc (pictogramme Getty)

    @ LexisNexis SA 2020Cette œuvre est protégée par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle, notamment par celles de ses dispositions relatives à la propriété littéraire et artistique et aux droits d’auteur. Ces droits sont la propriété exclusive de LexisNexis SA. Toute reproduction intégrale ou partielle, par quelque moyen que ce soit, non autorisée par LexisNexis SA ou ses ayants droit, est strictement interdite.LexisNexis SA se réserve notamment tous droits au titre de la reproduction par reprographie destinée à réaliser des copies de la présente oeuvre sous quelque forme que ce soit aux fi ns de vente, de location, de publicité, de promotion ou de toute autre utili-sation commerciale conformément aux dispositions de l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle relatives à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie. Avertissement de l’éditeur : “Toute utilisation ou traitement automatisé, par des tiers, de données personnelles pouvant fi gurer dans cette revue sont formellement interdits”.

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    LA SEMAINE DU PRATICIENToutes les rubriques : JCP G 2020, prat. 100, nom auteur

  • Page 813LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020 - © LEXISNEXIS SA

    508

    Je me souviens

    Que je ne toussais pas dans mon coude, d’ail-leurs j’aurais trouvé ça abject ;

    Que je n’avais jamais pensé qu’un Pré-sident de la République puisse déclarer : « les cours ne reprendront pas physique-ment » ; Des agglutinements devant les portiques de sécurité de la Gare de Lyon avant de prendre le train des vacances ; Des livres qu’on parcourt et qu’on repose chez le li-braire, avant de s’en ressaisir, on verra bien ; Du Minuty en terrasse des Deux Magots ; Que la dernière fois que j’y suis allé, la caissière du Super U n’était pas enrobée de cellophane ; Des larmes de Melody Gardot susurrant la Chanson des vieux amants à l’Olympia (« Bien sûr, nous eûmes des orages ») ; Que c’est pour des raisons étymologiques qu’on expli-quait aux étudiants de 1 ère année l’assimilation de la Personne au masque ; Du deuxième verre de Minuty, en terrasse des Deux Magots ; Du quatrième but de Mbappé contre la Croatie ; D’avoir doublé bêtement au Black Jack alors que la croupière s’était servie un 10 ;

    De Philippe Malinvaud descendant tran-quillement le Grand Amphi, micro à la main, sourire aux lèvres, intelligence ai-guë et raffi née ; Qu’on enterrait nos morts en se tenant la main ; De l’œuf Mayo du Voltaire ;

    Des emportements de Philippe Malaurie contre le dé-clin de la société ; Qu’on s’embrassait tous dans le Port de Cassis ; Que je n’avais jamais entendu parler de Pangolin ; Que la Cour de cassation rendait des arrêts ; Que les Impôts ne m’avaient jamais proposé de ne pas les payer ; Des mille projets d’Eric Négron, magistrat d’excep-tion, justice chevillée au cœur, ami généreux ; Des enfants qui s’engueulent au tennis ; Que non, non, un troisième verre ce ne serait pas sé-rieux ; Que j’étais franchement contre les QCM aux exa-mens ; Que j’aimais bien goûter dans l’assiette du voisin ; De mes étudiants de deuxième année, dans l’Am-phi 1.

    Nicolas Molfessis

  • Page 817LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020 - © LEXISNEXIS SA

    LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS510

    La mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme

    La Secrétaire générale du Conseil de l’Europe a adressé, le 7 avril, à l’en-semble des États membres un docu-

    ment d’information qui vise à leur four-nir « une boite à outils » pour faire face à la crise sanitaire du covid-19. L’enjeu est clairement rappelé, les mesures prises pour combattre effi cacement le virus vont « inévitablement » porter atteinte à certains droits et libertés mais elles ne doivent pas saper à long terme « les valeurs fondamen-tales de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme » ( SG/Inf(2020)11 ). Au premier rang de ces outils fi gure l’ar-ticle 15 de la Convention EDH « Dérogation en cas d’urgence ». La clause de l’article 15 substitue à la « conventionnalité normale » une « conventionnalité d’exception » et au-torise l’État partie, en cas de circonstances exceptionnelles, à déroger à ses obligations conventionnelles en suspendant temporai-rement la jouissance et l’exercice de cer-tains droits garantis. À ce jour, et depuis le 16 mars, 10 États membres du Conseil de l’Europe, ayant proclamé l’état d’urgence (Albanie, Arménie, Estonie, Géorgie, Let-

    tonie, Macédoine du Nord, Moldova, Rou-manie, Saint-Marin, Serbie), ont déclaré au Secrétaire général du Conseil de l’Europe exercer le droit de dérogation de l’article 15. Cette simultanéité, sans précédent, de dé-clarations « article 15 » est révélatrice du ca-ractère inédit et massif de la crise sanitaire. On ne peut que constater, avec perplexité, que les « vieilles » démocraties d’Europe, au premier rang desquelles les États fonda-teurs de la Convention EDH -Allemagne, Italie, France, Pays-Bas, Royaume-Uni …-, n’ont pas fait usage de la dérogation de l’article 15 alors que, durement touchées par le covid-19, elles ont, globalement, pris des mesures similaires à celles adoptées par ces 10 États. Faut-il y voir la marque d’un désintérêt pour le système de garantie de la Convention EDH ? Cela serait consternant, à l’heure où l’état d’urgence sanitaire, dé-crété un peu partout en Europe, malmène les libertés fondamentales au cœur des démocraties. La France a institué « l’état d’urgence sani-taire » ( L. n° 2020-290, 23 mars 2020 : JCP G 2020, act. 369, A. Levade ) et mis en place un arsenal de mesures exceptionnelles restric-tives des droits et libertés pour juguler la crise sanitaire (V. D. n° 2020-293, 23 mars 2020 : JCP G 2020, act. 383 ). Les autorités françaises n’ont pas jugé utile de recourir à la dérogation de l’article 15, alors qu’elles l’avaient logiquement fait lors des trois pré-cédentes déclarations de l’état d’urgence, en

    1985 (Nouvelle Calédonie), 2005 (situation de violence urbaine) et 2015 (attentats ter-roristes à Paris). Le non-dit des autorités françaises crée l’incertitude.

    1. Les conditions de recours à l’article 15 sont réunies

    L’ouverture de la clause dérogatoire est su-bordonnée à une condition de fond tenant à l’existence d’un « danger public menaçant la vie de la nation », le « danger public » étant défi ni comme « une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organi-sée de la communauté composant l’État » ( CEDH, 1 er juill. 1961, n° 332/57, Lawless c/ Rép. d’Irlande ). À l’évidence, le covid-19, qualifi é de « pandémie » par le directeur général de l’OMS (11 mars), relève de cette défi nition et c’est bien à une situation de « danger public » que répond la déclara-tion de l’état d’urgence sanitaire « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la popula-tion » ( CSP, art. L. 3131-12 ). Certes, l’État partie a la faculté, et non l’obligation, de déroger à la Convention et il dispose d’une large marge d’appré-ciation en la matière. Comme le rappelle,

    ➜ Malgré l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, les autorités françaises n’ont pas mis en œuvre la dérogation de l’article 15 de la Convention EDH ➜ Les mesures restrictives des droits et libertés adoptées, par leur ampleur inédite, dérogent de facto à la Convention ➜ Le contrôle de la conventionnalité de ces mesures devient de pure forme

    POINTS-CLÉS

    Frédéric Sudre, professeur émérite, université de Montpellier

    CONVENTION EDH

    510

  • Page 818 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020

    510

    dans la ligne de la jurisprudence de la Cour ( CEDH, 18 janv. 1978, n° 5310/71, Irlande c/ Royaume-Uni, § 207 ), le docu-ment d’information précité : « Il incombe à chaque État d’évaluer si les mesures qu’il adopte nécessitent une telle dérogation, en fonction de la nature et de la portée des res-trictions appliquées aux droits et libertés protégées par la Convention ». En d’autres termes, il appartient à l’État partie de déter-miner si les moyens « normaux » que la Convention met à sa disposition - à savoir, pour l’essentiel, les restrictions aux droits garantis que la clause d’ordre public l’auto-rise à prendre aux fi ns de « protection de la santé » - sont suffi sants pour faire face au « danger public ». Si ce n’est pas le cas et si des restrictions aux droits plus étendues s’avèrent nécessaires, le recours à l’article 15 s’impose. L’instauration d’un régime d’exception, l’état d’urgence sanitaire, constitue l’aveu même que les ressources ordinaires dont dispose l’État pour maintenir l’ordre sont manifestement insuffi santes pour com-battre le danger du covid-19. Cet état d’exception appelle la « conventionnalité d’exception » de l’article 15.

    2. La France déroge de facto à la Convention EDH

    Les mesures restrictives des droits et liber-tés adoptées au titre de l’état d’urgence sanitaire - sous l’appellation générique de confi nement - débordent manifestement, par leur ampleur inédite et leur généralité (toute la population, tout le territoire), le régime conventionnel ordinaire des res-trictions aux droits et relèvent, à notre sens, du régime des dérogations, en particulier si elles s’étendent dans le temps. La liste, non exhaustive, des droits protégés par la Convention dont l’exercice est limité ou suspendu est impressionnante : droit au respect de la vie privée et familiale, droit au respect du domicile, droit à la sépulture, droit d’exercer une activité professionnelle ( art. 8 ) ; liberté de manifester sa religion ( art. 9 ) ; liberté de réunion et d’association ( art. 11 ) ; droit au respect de ses biens, droit

    à l’instruction ( Prot.1, art. 1 et 2 ) ; liberté de circulation ( Prot.4, art. 2 ) … Constatons alors que, faisant face à la même urgence sanitaire, les États précités ont, dans leur déclaration « article 15 », visé à titre princi-pal les mêmes droits garantis par l’article 8, l’article 11, les articles 1 et 2 du Protocole 1, l’article 2 du Protocole 4 ; deux déclara-tions (Estonie et Géorgie) concernant aussi l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et l’article 6 (droit à un procès équitable). En s’abstenant d’informer le Secrétaire gé-néral du Conseil de l’Europe qu’elle exerce son droit de dérogation de l’article 15, la France méconnaît ses obligations conven-tionnelles. La déclaration de dérogation n’est pas une simple condition formelle prévue par l’article 15, § 3, c’est aussi une garantie contre l’arbitraire. L’État doit préciser la durée de l’état d’urgence et, si celle-ci est prorogée, obligation lui est faite de la renouveler. Il doit aussi indiquer les droits et les territoires qui feront l’objet des mesures dérogatoires, fournissant ainsi à la CourEDH la base juridique pour contrôler, si elle est saisie de recours ultérieurs, que lesdites mesures ont bien été prises « dans la stricte mesure où la situation l’exige » ( art. 15 ). Le non-respect par la France de son enga-gement conventionnel crée une situation d’insécurité juridique préjudiciable au res-pect de l’État de droit.

    3. Insécurité juridique

    En l’absence de déclaration de recours à l’article 15, tout se passe « comme si » la Convention continuait à s’appliquer « nor-malement » dans notre ordre juridique. Or, il n’en est rien même si la garde des Sceaux, ministre de la Justice, affi rme que « L’État de droit n’est pas mis en quarantaine », sans dire un mot de la Convention EDH ( Le Monde, 4 avr .). La Convention est, de fait, mise en quarantaine, en attendant des jours meilleurs. Le non-dit des autorités françaises a pour conséquence que le juge administratif du référé-liberté en charge du contrôle des mesures prises au titre de l’état d’urgence doit, en principe, contrôler la compatibilité de ces mesures avec les dispositions « ordi-naires » de la Convention EDH.

    La rafale d’ordonnances rendues depuis le 22 mars par le juge du référé-liberté du Conseil d’État rejetant systématiquement, au visa de la Convention et selon une motivation stéréotypée, les demandes de référé en lien avec le covid-19 « en l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », montre claire-ment que le contrôle de conventionnalité est de pure forme (par ex., CE, réf., 27 mars 2020, n° 439720, GISTI et a., inédit : Juris-

    Data n° 2020-004323. - CE, réf., 2 avr. 2020,

    n° 439763, Féd. nale droit au logement, iné-

    dit : JurisData n° 2020-004558. - CE, réf.,

    8 avr. 2020, n° 439821, Synd. nal péniten-

    tiaire FO : JurisData n° 2020-004890 ). De surcroît, certaines des mesures adoptées ne peuvent pas relever du régime conven-tionnel de droit commun parce que le droit concerné est insusceptible des restrictions ordinaires. Il en va notamment ainsi du droit à la liberté et à la sûreté ( art. 5 ) qui ne peut faire l’objet que d’une dérogation. À cet égard, la prolongation de plein droit, sans juge, de la détention provisoire - de 2, 3 ou 6 mois selon les cas - ne semble pas compatible, hors dérogation, avec l’article 5 ( Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 16 , portant adaptation de règles de procédure pénale). La décision du juge du référé-liber-té du Conseil d’État jugeant manifestement mal fondée la demande en référé introduite contre cette disposition est alors lourde de sens ( CE, réf., 3 avr. 2020, n° 439894, Synd. des avocats de France : JurisData n° 2020-

    004605 ). La Convention disparaît derrière l’urgence sanitaire. En n’usant pas de la faculté de dérogation de l’article 15, la France se place dans une position paradoxale car, « en l’absence d’un acte formel et public de dérogation de sa part » ( Comm., rapp., 4 oct. 1983, Chypre c/Turquie, § 67 ), elle sera considérée impli-citement comme n’ayant exercé aucune dérogation au sens de l’article 15. En consé-quence, la Cour se prononcera au vu des dispositions ordinaires de la Convention lorsqu’elle aura à connaître - et cela paraît inéluctable - de requêtes dirigées contre les mesures prises dans le cadre de l’état d’ur-gence sanitaire. Renoncer à la « conventionnalité d’excep-tion » de l’article 15 pourrait être un pari risqué …

  • Page 819LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020 - © LEXISNEXIS SA

    LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS 511

    La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation…

    Depuis le 12 mars 2020, la France

    est confrontée à la pire crise sa-

    nitaire de son histoire. Suivant quotidiennement le terrible bilan humain, la France assiste impuissante à la progres-sion d’un ennemi invisible dont la vio-lence place l’ensemble des autorités, sans distinction, dans une situation inextricable et dans un dénuement certain. Afi n d’en-rayer la progression du virus et de proté-ger les populations, les États ont été dans l’obligation de se plier aux avis des plus hautes autorités de santé pour adopter des mesures inédites et particulièrement fortes sur de nombreux plans. Parce que l’objectif est de protéger la société face à un mal aveugle, la place de l’État est rame-née au premier plan et conduit, au jour le jour et parce que ce virus est imprévisible, à prendre les décisions qu’impose une telle situation et dont nul ne saurait prévoir la durée. Si ces mesures répondent à un ob-jectif commun qui mérite une réponse col-lective, elles rappellent aussi que le droit de chacun doit se concilier avec les droits de la collectivité dans laquelle il s’épanouit. Loin d’une vision individualiste des droits de l’homme, la situation créée par la pan-

    démie de covid-19 impose une approche collective de ces derniers et, lorsque le besoin de la société l’exige, la restriction aux droits doit pouvoir être adoptée par les autorités nationales dans un cadre légal et de manière proportionnée. La France a ratifi é la Convention euro-péenne des droits de l’homme. Cette der-nière énonce des obligations qui imposent, dans le cadre de la mise en œuvre du droit national, de respecter les droits qui y sont consacrés. Reposant sur le principe de subsidiarité, ces obligations n’excluent pas le droit français mais doivent être res-pectées lorsqu’il est mis en application. Leur régime juridique n’est toutefois pas identique et, corrélativement avec le droit garanti, il permettra ou non à l’État de res-treindre ou limiter l’exercice de celui-ci si des nécessités d’ordre général l’exigent. Pour certains droits dont l’énoncé est sans ambiguïté, la restriction est toutefois im-possible. Il en est ainsi de l’interdiction de la torture, de l’esclavage et du principe de la légalité des délits et des peines. Excep-tion faite de ces droits absolus, l’énoncé conventionnel ouvre la voie à des res-trictions ou des limitations à condition de respecter le principe de la légalité, de poursuivre un objectif légitime et que la mesure soit « nécessaire dans une société démocratique ». Ce régime impose aux États le respect de ces conditions dans l’adoption de mesures individuelles sous peine de contrevenir à leurs obligations. En ce sens, si les auto-rités nationales maintiennent une situa-

    tion contraire aux obligations de l’État, les personnes visées par ces mesures peuvent saisir la Cour EDH pour faire constater le manquement. Celle-ci sera amenée à se prononcer, si les conditions de saisine sont respectées, sur la conformité des me-sures aux obligations de la Convention. Ce contrôle est une garantie essentielle dans une Europe fondée sur le respect des prin-cipes de l’État de droit et la Cour EDH, dans le cadre de son contrôle, sera amenée à en assurer la sanction. Ce contrôle ne se substitue pas à celui que les juges natio-naux doivent réaliser lorsqu’ils sont saisis par un justiciable qui conteste la légalité ou la conventionnalité d’une mesure indi-viduelle interne. D’origine internationale, le contrôle de la Cour EDH est de nature différente. Parce qu’il est subsidiaire, il ne permettra pas de remettre en cause les motifs ayant servi à l’appréciation des autorités nationales mais uniquement de confi rmer ou d’infi rmer la convention-nalité des mesures qu’elles ont adoptées. Il devra ainsi être utilisé si des individus s’estiment victimes de restrictions non au-torisées ou non respectueuses des garan-ties conventionnelles. Ceci est le régime de droit commun des obligations auxquelles l’État est soumis mais aussi auxquelles, si la situation l’exige, il peut déroger. Prévu à l’article 15 de la CEDH, le droit de dérogation est reconnu aux États. Il résulte de cette disposition que, sans être délié de ses engagements, tout État a le droit, en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation, de prendre des mesures

    ➜ Le choix français de ne pas recourir au régime dérogatoire de l’article 15 CEDH est justifi é ➜ Le régime juridique des restrictions aux droits permet une protection plus effi cace que celui de la dérogation ➜ Le contrôle des mesures de restriction de la Cour EDH est plus strict que celui des mesures de dérogation

    POINTS-CLÉS

    Sébastien Touzé, professeur à l’université Paris II (Panthéon-Assas), directeur de la Fondation René Cassin, membre du Comité contre la torture des Nations Unies

    CONVENTION EDH

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    dérogeant à ses obligations, à l’exception de certaines, et cela sous la condition que ces mesures soient strictement limitées aux exigences de la situation et qu’en outre elles ne soient pas en contradiction avec ses autres obligations internationales ( CEDH, 1 er juill. 1961, n° 332/57, Lawless c/ Irlande ). Plusieurs éléments de cette dis-position méritent d’être repris. Le premier est qu’il s’agit d’un droit de l’État et non d’une obligation. Ainsi, rien ne l’oblige, même si une situation entre dans le champ défi ni, à recourir à l’article 15. Il s’agit d’un acte discrétionnaire et l’État reste libre de le faire comme de ne pas le faire. Le deuxième est lié aux circonstances dans lesquelles l’État peut exercer son droit de dérogation. Toujours en reprenant la Cour, l’État peut en faire usage lors d’une « situation de crise ou de danger excep-tionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’État » ( Lawless préc. ). Ceci démontre le cadre exceptionnel du droit de dérogation et le fait que celui-ci est exercé au regard des circonstances et non sur la base du nombre de mesures de restriction adoptées par les autorités nationales. Cette justifi cation est en ce sens déconnectée de la logique dérogatoire qui s’appuie sur la gravité des limitations au droit (et de l’atteinte portée à l’obligation convention-nelle) et non sur leur fréquence. Le troisième est lié à la limitation de ce droit qui ne permet pas de déroger à cer-taines obligations portant sur l’interdic-tion de la torture, de l’esclavage, du droit à la vie (sauf pour les actes licites de guerre) et du principe de la légalité des délits et des peines. Le noyau dur des droits énoncés émerge ainsi et exclut toute dérogation à ces derniers. Le quatrième est que le régime de déro-gation est une suspension, potentiel-lement totale, de la reconnaissance de certains droits et va donc plus loin que le régime de droit commun qui n’auto-rise qu’à certaines conditions, que des restrictions limitées. Comme dans toute

    situation d’exception, la dérogation met à mal le principe de sécurité juridique du fait de l’imprécision des conditions de son application concrète. En outre, le régime dérogatoire, sans pour autant conférer un blanc-seing aux États, élargit leur marge d’appréciation. Le cinquième est que le régime de déro-gation n’exclut pas un contrôle de la Cour EDH afi n qu’elle se prononce sur la conventionnalité des mesures adop-tées par les autorités nationales en cas de circonstances exceptionnelles. Toutefois, le contrôle est spécifi que. En ce sens, il lui appartient uniquement de vérifi er si les conditions pour l’exercice du droit de dérogation sont réunies. Le contrôle est donc plus restreint que celui qu’elle assure lorsqu’elle se prononce sur des mesures restrictives au sens des autres dispositions de la Convention. Or, c’est un point fon-damental. Même s’il existe, le contrôle des mesures de dérogation ne peut aucune-ment être un contrôle de la même portée que celui que la Cour EDH exerce dans le cadre de restrictions aux droits garan-tis. Ceci est confi rmé par les tentatives de certains États d’invoquer une application implicite de l’article 15 pour limiter la por-tée de leurs obligations et, incidemment, l’étendue du contrôle de la Cour ( CEDH, 16 sept. 2004, n° 29750/09, Hassan c/ RU) . Affi rmer donc qu’un État devrait recou-rir à l’article 15 dans la période de crise actuelle peut se comprendre eu égard aux circonstances exceptionnelles auxquelles la France est confrontée et qui corres-pondent sans nul doute à celles évoquées dans le libellé de cette disposition. Cette option soulève toutefois deux points qui méritent d’être rappelés. Le premier est que la durée de la crise est inconnue. La Convention n’est donc pas « en quarantaine » mais continue de s’ap-pliquer et d’imposer sans aucune paren-thèse temporelle ses obligations aux États qui, s’ils n’ont pas recouru à l’article 15, ne peuvent y déroger. Autrement dit, le régime de droit commun, plus strict pour les États, continue de s’appliquer et aucun ne pourra se retrancher ultérieurement

    derrière le régime dérogatoire. Concré-tisant encore le respect strict du principe de sécurité juridique, ceci confi rme égale-ment que la Convention s’applique plei-nement en cette période et que l’État doit dès lors se soumettre à l’ensemble de ses obligations et devra en répondre. Rappe-lons que le contrôle européen est ex-post et non ex-ante. Le second est que les États qui ont fait le choix du droit commun, acceptent de soumettre l’ensemble des mesures indivi-duelles à un contrôle normal de la Cour lorsque celle-ci sera, et c’est inévitable, saisie. Affi rmer que « la Cour se pronon-cera au vu des dispositions ordinaires de la Convention lorsqu’elle aura à connaître – et cela paraît inéluctable – de requêtes dirigées contre les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire » (dans ce numéro F. Sudre : JCP G 2020, act. 510 ) est, en ce sens, une garantie accrue que l’article 15 exclurait. Il y a donc un non-sens à réclamer une garantie renfor-cée des droits tout en prônant l’usage du droit de dérogation qui, par nature, res-treint de manière importante ceux-ci. Il faut au contraire admettre que le maintien du droit commun constitue une garantie mais aussi une restriction quant au choix des moyens offerts à l’État. Enfi n, tirer argument du comportement de certains États ayant recouru à l’article 15 (dont les objectifs réels sont sujets à caution) ou de ce qui aurait pu être fait dans une situation théorique pour affi rmer que la France aurait dû exercer son droit de dérogation revient à nier les garanties que la Convention EDH et la Cour offrent dans le cadre du droit commun et qui sont écartées en période d’exception. Il y a une différence de perception dans la mesure où il faut voir dans cette décision une volonté, certes politique mais néanmoins réfl échie, de limiter le moins possible les droits et les libertés, autrement dit, rester dans le cadre du respect des principes de l’État de droit. Si « le pari est risqué » ( F. Sudre, préc .), il ne l’est que pour ceux qui voudraient dé-naturer le droit de dérogation et son fon-dement pour des questions de principe.

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    CORONAVIRUS

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    Dispositions particulières aux juridictions pour enfants et relatives à l’assistance éducative

    ➜ La nature du contentieux de l’assistance éducative donne lieu à des normes procédurales particulières pendant l’urgence sanitaire déclarée ➜ La suppression du carac-tère obligatoire de l’audition des parties en de nombreuses situations fragilise le respect du contradictoire sans que la justifi cation tirée du covid-19 n’emporte toujours la conviction

    L’urgence sanitaire. - L’état d’ur-gence sanitaire a conduit à une paralysie au moins partielle du

    fonctionnement des juridictions. Afi n de trouver des solutions rapides, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ( V. not . JCP G 2020, act. 369, Libres propos A. Levade) donne compétence au Gouvernement, par application de l’article 38 de la Consti-tution, d’adopter par voie d’ordonnance des mesures aptes à régler les diffi cultés consécutives à la situation. C’est, dans ce contexte particulier, que deux ordonnances importantes ont été édictées, l’une formant la partie des dispositions générales appli-cables aux procédures devant toutes les juridictions – ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (V. JCP G 2020, act. 481, Aperçu rapide N. Cayrol) -, l’autre règlementant certaines questions parmi les-quelles les règles applicables devant la juri-

    diction des mineurs - ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (V. pour ce qui concerne ses dispositions générales JCP G 2020, doctr. 471, Étude L. Cadiet ) – le chapitre III portant « Dispositions particu-lières aux juridictions pour enfants et rela-tives à l’assistance éducative », constitués des articles 13 à 21 de l’ordonnance. Chacune de ces ordonnances a, en outre, fait l’objet d’une circulaire explicative : la première par la circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période , modifi ée le 30 mars 2020 ( NOR : JUSC2008608C ), la seconde par la circulaire du 26 mars 2020 de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ( NOR : JUSC2008609C ). La temporalisation des mesures. - L’appli-cation de ces textes est circonscrite dans le temps. Aux termes de l’article 1 er du Titre I de l’ordonnance n° 2020-306 : « I. - Les

    dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expira-tion d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée » . De même, aux termes de l’article 1 er de l’ordonnance n° 2020-304 : « Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée » . La temporalisation du texte donne lieu à ce que les circulaires désignent, par convention de langage, « période juridi-quement protégée ». L’articulation des dispositions textuelles. – Ce n’est qu’à défaut de dispositions par-ticulières que l’ordonnance n° 2020-306 s’applique conformément à la précision résultant de son article 1 er , II posant des ex-ceptions et notamment l’exclusion, en son 5 e , des : « délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci » .

    POINTS-CLÉS

    Mélina Douchy-Ou-dot, professeur à l’université de Toulon, avocat au Barreau de Toulon

    À propos de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, art. 13 à 21

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    L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-304 dispose quant à lui : « I.- Les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée relative à la pro-rogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période sont applicables aux procédures devant les juridic-tions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale » , lequel dispose : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscrip-tion, déclaration, notifi cation ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’offi ce, applica-tion d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1 er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fi n de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. Le présent article n’est pas applicable aux délais de réfl exion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits » . Cependant, le même article 2 de l’ordon-nance n° 2020-304 dispose : « II.- Par dé-rogation aux dispositions du I : (…) 2° Les délais de procédure applicables devant les juridictions pour enfants sont adaptés dans les conditions prévues par le chapitre III du présent titre » . Enfi n, le chapitre I de l’ordonnance n° 2020-304 porte des dispositions géné-rales, lesquelles ont vocation à s’appliquer à l’assistance éducative chaque fois que des dispositions particulières n’ont pas été prévues. En conclusion, les dispositions applicables aux juridictions des enfants et assistance éducative sont principalement les disposi-tions particulières du chapitre III de l’or-donnance n° 2020-304 qui seront ici expo-sées. Il faut cependant considérer, lorsque rien n’est prévu, qu’il y a lieu d’appliquer les dispositions générales du chapitre I de l’or-donnance n° 2020-304, et le cas échéant en

    cas de silence du chapitre III et du chapitre I de l’ordonnance n° 2020-304 par rapport à la question posée, il y a lieu de recourir au Titre I de l’ordonnance n° 2020-306, dispo-sitions générales qui ne seront pas ici trai-tées et auxquelles nous renvoyons. L’expiration du délai de mise en œuvre de la mesure d’assistance éducative fon-dée sur les articles 375-2 et 375-3 du Code civil ou d’aide au budget familial fondé sur l’article 375-9-1 du même code pen-dant la période juridiquement protégée. – Trois solutions s’offrent au juge des en-fants lorsque le délai de mise en œuvre de la mesure expire pendant la période juridi-quement protégée : • la mainlevée de la mesure ordonnée par le juge : le juge peut mettre fi n à la mesure éducative, dès lors que les conditions de l’article 375 du Code civil ne sont plus réu-nies, sur le seul rapport éducatif du service en charge de la mesure et sans que les par-ties soient auditionnées, ou mettre fi n à la mesure d’aide au budget familial lorsque les conditions de l’article 375-9-1 du Code civil ne sont plus réunies (Ord. n° 2020-304, art. 13, al. 1 et 2 ) ; • à défaut, il y a prorogation de plein droit de la mesure : « jusqu’à l’expiration d’un dé-lai d’un mois suivant la fi n de cette période » , laquelle sera fi xée par la déclaration de fi n de l’état d’urgence sanitaire ( Ord. n° 2020-304, art. 13, al. 3 ) ; • à moins que le renouvellement de la me-sure ait été ordonnée par le juge pour un temps supérieur : « le juge peut, sur propo-sition du service chargé de la mesure, renou-veler la mesure, par décision motivée et sans audition des parties » ( Ord. n° 2020-304, art. 14, al. 1 ). Ce renouvellement est subordon-né « à l’accord écrit d’un parent au moins et à l’absence d’opposition écrite de l’autre parent à la date de l’échéance initiale de la mesure ou à celle à laquelle il est statué sur le renouvelle-ment » ( Ord. n° 2020-304, art. 14, al. 3 ). La durée maximale du renouvellement dépend de la nature de la mesure. Pour les mesures prononcées en application de l’article 375-3 du Code civil, le renouvellement ne peut excéder 9 mois. Il s’agit de la mesure qui a été prononcée en vue de la protection de l’enfant par laquelle le mineur a été confi é « 1° A l’autre parent ; 2° A un autre membre

    de la famille ou à un tiers digne de confi ance ; 3° A un service départemental de l’aide so-ciale à l’enfance ; 4° A un service ou à un éta-blissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ; 5° A un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordi-naire ou spécialisé » . Pour les mesures rela-tives à l’aide au budget familial ( C. civ., art. 375-9-1 ) ou les mesures d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) ( C. civ., art. 375-2 ), la durée peut aller jusqu’à un an. La mesure d’interdiction de sortie du ter-ritoire. – La mesure d’interdiction du terri-toire peut avoir été prononcée par le juge en même temps : • que la mesure éducative fondée sur les articles 375-2 ou 375-3 du Code civil. Au moment de renouveler la mesure éducative, « le juge peut renouveler cette interdiction, dans les mêmes conditions et pour la même durée que la mesure éducative qui l’accom-pagne » ( Ord. n° 2020-304, art. 15 ) ; • qu’une « mesure d’information concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, en particulier par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, d’expertises psychiatriques et psy-chologiques ou d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative » ( CPC, art. 1183 ). Si elle expire au cours de la période juridi-quement protégée : « le juge peut en reporter l’échéance pour une durée qui ne peut excéder deux mois après la fi n de cette période » ( Ord. n° 2020-304, art. 15 ). Les mesures relatives au placement du mineur. – Aux termes de l’article 1184, ali-néas 2 et 3 du CPC, le placement du mineur peut être ordonné en urgence soit par le juge des enfants, soit par le procureur de la République. Le juge est tenu de convo-quer les parties dans un délai maximal de 15 jours à compter de sa décision dans le premier cas, de sa saisine dans le second cas, à défaut « le mineur est remis, sur leur demande, à ses parents ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confi é » . L’article 16 de l’ordonnance n° 2020-304 porte le délai à un mois. Les mesures provisoires et la décision au fond. – En matière d’assistance éducative,

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    « La suspension ou la modifi cation du droit de visite et d’hébergement est autorisé par le juge des enfants chaque fois que son intérêt l’exige. »

    lorsque la mesure a été prise à titre provi-soire, la décision au fond, par application de l’article 1185, alinéa 1 du CPC, doit intervenir dans les 6 mois à compter de la décision ayant ordonnée la mesure provi-soire. Lorsque ce délai expire pendant la période juridiquement protégé, l’article 17 de l’ordonnance n° 2020-304 prévoit sa suspension « pendant une durée qui ne peut excéder deux mois » après la fi n de la période juridiquement protégée. Les mesures relatives au droit de visite et d’hébergement. – Le chapitre III de l’ordon-nance n° 2020-304 du 25 mars 2020 apporte des précisions attendues relatives au droit de visite et d’hébergement en période de confi -nement. La suspension ou la modifi cation du droit de visite et d’hébergement est auto-risé par le juge des enfants chaque fois que

    son intérêt l’exige. Il doit statuer par ordon-nance motivée et n’est pas tenu à l’audition des parties. Sa décision cependant est prise pour une durée qui a pour limite la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Dans tous les cas : « Le service ou la personne à qui l’enfant est confi é maintient les liens entre l’enfant et sa famille par tout moyen, y compris par un moyen de communication audiovi-suelle » ( Ord. n° 2020-304, art. 19 ) ; Les nouvelles mesures d’assistance édu-cative ordonnées par le juge des enfants pendant la période juridiquement proté-gée. – La protection de l’enfance suppose, a fortiori en temps de confi nement où les violences intrafamiliales augmentent, le maintien de la protection juridictionnelle. Lorsque le juge des enfants est saisi par application de l’article 375 du Code civil, pendant cette période, l’ordonnance l’auto-rise à statuer sans procéder à l’audition des parties et par décision motivée pour : • dire n’y avoir lieu à assistance éducative ; • ordonner une mesure judiciaire d’inves-tigation éducative ou toute autre mesure

    d’information prévue à l’article 1183 du CPC ; • ordonner la mesure prévue par l’article 375-2 du Code civil pour une durée qui ne peut excéder 6 mois ( Ord. n° 2020-304, art. 18 ) Le juge doit ensuite en informer les repré-sentants du mineur - les parents, le tuteur, la personne ou le service à qui l’enfant a été confi é – et il leur délivre en même temps l’avis d’ouverture de la procédure ( CPC, art. 1182, al. 3 ). La tenue d’audience civile par le recours à la communication audiovisuelle. – L’ordonnance donne au juge des enfants la possibilité de tenir en quelque sorte des audiences « en ligne ». L’article 19 dispose qu’il : « peut décider de tenir les audiences civiles en ayant recours à un moyen de com-

    munication audiovisuelle permettant de s’as-surer de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confi den-tialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Le juge s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées » ( Ord. n° 2020-304, art. 19 ). Ce texte devrait par conséquent lui laisser aussi le choix de procéder s’il l’estime utile à l’audition des parties par ce moyen. S’agissant d’une simple faculté, le juge peut également pré-férer maintenir les audiences en présentiel, sous réserve du risque de contamination par le covid-19. Les convocations et notifi cations pen-dant la période juridiquement protégée. – Corrélativement, la simplifi cation des convocations et notifi cations accompagne l’état d’urgence, l’article 21, alinéa 1 er , de l’ordonnance n° 2020-304 autorisant qu’elles soient faites : « par courrier simple, par voie électronique ou être remises aux parents contre émargement par les services éducatifs » . De façon similaire, il est prévu

    que « les décisions suspendant ou modifi ant des droits de visite et d’hébergement dans le but d’assurer le respect de mesures de confi -nement peuvent être rendues sans contre-seing du greffi er et notifi ées par voie élec-tronique à la personne ou au service à qui l’enfant a été confi é » ( Ord. n° 2020-304, art. 21, al. 2 ). Légalité des dispositions procédurales dans un contexte d’urgence. – La léga-lité des articles 4, 7, 8, 9, 13 à 19 et 21 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 a été contestée par le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers, l’Ordre des avocats au barreau de Paris, l’Association des avocats conseils d’entre-prises, la Confédération nationale des avo-cats et la Fédération des unions de jeunes avocats, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature. L’ordon-nance du Conseil d’État saisi en référé a rejeté l’ensemble des demandes ( CE, ord., 10 avr. 2020, n° 439883, 439892 : JurisData n° 2020-005062 ; JCP G 2020, prat. 506 ). S’agissant des dispositions particulières du chapitre III de l’ordonnance, correspon-dant aux articles 13 à 21, les requérants soulevaient plusieurs griefs auxquels il a été répondu par un considérant unique : « 18. 18. Ces dispositions mettent en œuvre l’habi-litation prévue par le c) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 en permettant aux juridictions pour enfants de proroger, renouveler et prononcer des mesures d’as-sistance éducative pour une durée limitée, assorties le cas échéant d’une interdiction de sortie du territoire, par décision motivée et sans audition des parties, mais au terme d’une procédure contradictoire, et également de suspendre ou modifi er le droit de visite et d’hébergement dans les mêmes conditions. Ces dispositions, justifi ées par l’intérêt qui s’attache à la continuité du suivi éducatif des mineurs concernés et qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne font pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son avis, n’ont pas porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en permettant au juge de décider de telles mesures sans audition des intéressés et en réservant les audiences main-tenues aux mesures les plus graves et aux si-tuations urgentes, eu égard aux circonstances résultant de l’épidémie de covid-19 et des

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    mesures prises pour lutter contre la propaga-tion du virus » . Les justifi cations avancées par le Conseil d’État. – Le Conseil d’État commence par rappeler le principe de délégation résultant de la loi du 23 mars 2020 : « Afi n de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la pro-pagation de l’épidémie de covid-19 et des me-sures prises pour limiter cette propagation » , le Gouvernement a été autorisé à prendre toute mesure : « (…) c) Adaptant , aux seules fi ns de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances , les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judi-ciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions » ( L. n° 2020-290, art. 11 ). Tel est l’objet des dispositions contestées qui permettent (CE, ord., 10 avr. 2020, n° 439883, 439892, § 18) : - « aux juridictions pour enfants de proro-ger, renouveler et prononcer des mesures d’assistance éducative pour une durée limitée, assorties le cas échéant d’une inter-diction de sortie du territoire, par décision motivée et sans audition des parties, mais au terme d’une procédure contradictoire » ; - « de suspendre ou modifi er le droit de visite et d’hébergement dans les mêmes conditions » ;

    - sans faire « obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalable-ment exprimer son avis » ; - « en réservant les audiences maintenues aux mesures les plus graves et aux situations urgentes ». Sur l’adéquation de la réponse par rapport aux griefs des requérants. – Il convient, s’agissant du chapitre III, de re-prendre chacun des griefs, et de vérifi er si la réponse globale répond à chacune des objections : - « l’article 14 de l’ordonnance contestée méconnaît le droit à un procès équitable et le principe de l’égalité des armes dès lors qu’il permet le renouvellement d’une mesure d’assistance éducative après audi-tion du département auquel l’enfant a été confi é et de l’accord écrit d’un seul des parents ». Le Conseil d’État ne précise pas en quoi l’absence d’opposition de l’autre parent suffi t à valider le renouvellement de la mesure d’assistance éducative ; - « les articles 13 et 18 de l’ordonnance méconnaissent les droits de la défense et le principe du contradictoire dès lors qu’ils permettent au juge de lever ou de proroger une mesure d’assistance édu-cative sans audience et sans recueil des observations des parties ». Dans sa moti-vation, le Conseil d’État relève que l’ab-sence d’audition des parties n’exclut pas qu’il y ait eu le respect d’une procédure contradictoire. Comment assurer ce res-pect, sans audience, sans consultation du dossier d’assistance éducative, sans moyen de faire connaître les arguments des parties ?

    - « les articles 19 et 21 de l’ordonnance méconnaissent le principe du contradic-toire dès lors qu’ils permettent au juge de modifi er ou de suspendre le droit de visite et d’hébergement par ordonnance moti-vée sans audience, sans communication du dossier ni recueil des observations des parties ». La même diffi culté apparaît, et la seule réponse tient dans l’affi rmation de la juridiction administrative du caractère contradictoire de la procédure, mais les modalités n’en sont pas précisées ; - « l’ensemble des dispositions du chapitre III de l’ordonnance contestée méconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant d’être en-tendu dès lors que ces dispositions ne pré-voient pas d’auditionner l’enfant au sujet des mesures le concernant ». La réponse selon laquelle l’enfant susceptible de discer-nement peut faire connaître son avis ne ré-sout pas l’obligation faite au juge, en temps non exceptionnel, d’auditionner le mineur ( CPC, art. 1182, 1189 ). L’ordonnance du 10 avril 2020 semble donc valider la suppression des audiences d’assistance éducative en évoquant la suppression des auditions, alors qu’elles sont le lieu d’échange contradictoire des parties. L’argument est chaque fois le même que ce soit en assistance éducative, ou pour les autres ordonnances rendues en référé, comme bouclier décisionnel type, la juridiction administrative invoque de façon globale le risque de contagion du covid-19. Cette motivation en permettant la validation des décisions gouvernementales adoptant des dispositions d’exception interroge sur la nature du contrôle juridictionnel effectué.

  • LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES 513

    Page 825LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020 - © LEXISNEXIS SA

    CORONAVIRUS

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    Les relations commerciales dans la tourmente de l’épidémie

    ➜ Les mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de co-vid-19 frappent durement les commerçants ➜ Ceux-ci n’imaginent pas devoir endurer, outre la fermeture de leur établissement, l’obligation de payer des prestations commandées avant la crise et qui, en période de fermeture, ne leur sont d’aucune utilité ➜ Pour s’exonérer, ils seront tentés de se réfugier sous la protection de la force majeure ➜ Mais l’invocation de cette notion n’est pas toujours suffi sante…

    Depuis l’annonce des mesures radi-cales prises pour endiguer la pro-pagation du covid-19, la plupart

    des commerçants sont pris en étau entre l’interdiction faite aux magasins de vente d’accueillir des clients et les mesures de confi nement imposées aux personnes qui constituent leur clientèle. Condamnés à fer-mer boutique, leur activité est stoppée net et pour plusieurs mois, leurs revenus sont inexistants. Dans cette tourmente, bon nombre de contrats conclus avant la crise sanitaire subissent de profondes perturbations, au point que leur exécution est soit compro-mise, soit dépourvue d’intérêt. Songeons au chef d’entreprise qui avait planifi é la convention annuelle de ses cadres à la fi n du mois de mars 2020. Il avait loué une salle, avait commandé des repas à un traiteur et avait réservé des chambres d’hôtel… Que deviendront tous ces contrats ?

    Considérons l’exploitant d’un magasin contraint de fermer boutique depuis le 15 mars et n’ayant plus aucune source de revenu. Devra-t-il néanmoins payer le loyer de son magasin ? S’il est franchisé, devra-t-il payer à son franchiseur les redevances mensuelles de franchise ? Imaginons qu’une entreprise ait conclu avec une agence de publicité un contrat pré-voyant, courant avril, une vaste campagne publicitaire sur panneaux d’affi chage. Cette campagne ne présentant plus aucun intérêt en période de confi nement, comment les parties doivent-elles procéder ? Ces questions (et bien d’autres semblables) se posent dans tous les secteurs du com-merce, avec, en arrière-plan, une interro-gation sempiternelle : qui va supporter la charge des risques de contrats dont l’exécu-tion est devenue impossible ? C’est à cette unique interrogation que sont suspendues les parties, chacune d’elles espérant que l’application de la règle de droit la délivre de ses propres obligations contractuelles. Dans le contrat commutatif, il n’est pas suffi sant de constater que l’une des par-ties est libérée d’un engagement dont l’exécution est rendue impossible par un évènement de force majeure. Il faut aussi s’interroger sur les conséquences que pro-duit cette libération sur les obligations de

    son cocontractant. À cet effet, il importe de raisonner par étapes. La première étape est d’identifi er l’obli-gation dont on invoque l’empêchement. La deuxième étape consiste à vérifi er que l’exécution de cette obligation est empêchée par la force majeure ( J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats

    d’affaires : de la force majeure à l’imprévision :

    D. 2020, p. 611 ). Si tel est le cas, on en dédui-ra que le débiteur est délivré de son obliga-tion mais le constat sera insuffi sant lorsque la question qui se pose principalement est celle du sort de l’obligation souscrite en contrepartie de l’obligation empêchée. C’est la troisième étape , décisive, qui est celle de l’attribution des risques du contrat. Appliquons cette logique à différentes situations contractuelles subissant les per-turbations de la crise sanitaire. Nous allons voir que les raisonnements diffèrent selon les hypothèses envisagées.

    1 er exemple : les risques du contrat de réservation de salle (ou de chambre d’hôtel) Plaçons-nous du côté de l’entreprise béné-fi ciaire de la réservation. En raison des me-

    POINTS-CLÉS

    Philippe Briand, agrégé des universités, pro-fesseur à la faculté de droit de Nantes, avocat au Barreau de Paris – Hubert Bensoussan Avocats

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    sures de confi nement, elle ne peut tenir son congrès annuel. Sera-t-elle libérée de son obligation de paiement ? Observons d’abord que son obligation de paiement n’est pas empêchée. Le confi -nement, pas plus que l’épidémie, ne l’em-pêchent de payer sa dette. Dès lors, il en va de deux choses l’une : • Si l’exploitant de la salle est en mesure d’exécuter sa part du marché (la conven-tion annuelle se tenant dans un pays non encore touché par l’épidémie ou déjà sorti des mesures de confi nement), l’auteur de la réservation ne dispose d’aucun argument pour échapper au paiement (à supposer que le contrat soit régi par le droit français). Il pourrait certes prétendre que les vols à des-tination de ce pays ont été suspendus mais si cette circonstance l’empêche d’achemi-ner ses troupes, elles ne l’empêchent nulle-ment d’exécuter sa seule obligation qui est de payer. Aux termes de l’article 1218 du Code civil défi nissant la force majeure en matière contractuelle, il faut que l’évène-ment imprévisible, irrésistible et extérieur « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». En l’occurrence, les mesures des-tinées à endiguer la propagation de l’épidé-mie et rendant impossible l’acheminement des salariés n’empêchent pas l’exécution de son obligation de paiement par l’auteur de la réservation. L’exploitant de la salle n’étant pas non plus empêché, on ne trou-vera pas dans le régime de la force majeure, le moyen de libérer notre entreprise de ses obligations. • Si l’exploitant de la salle (cette fois située en France) est empêché d’exécuter ses obli-gations (notamment car il lui est interdit d’accueillir du public en vertu de l’article 1 er de l’arrêté du 14 avril 2020), alors notre entreprise n’aura pas à payer son dû et ce, par application de la théorie des risques. En effet, lorsque l’exploitant a été mis dans l’impossibilité d’exécuter sa prestation par un évènement de force majeure, il n’est pas question de le sanctionner. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne peut guère envisager de faire jouer l’exception d’inexé-cution de l’article 1219 du Code civil, celle-ci étant conçue à l’article 1217 comme une « sanction » de l’inexécution. En réalité,

    l’exploitant de la salle est seulement « libé-ré » de son obligation, par application de l’article 1351 du Code civil. Mais cette libération laisse entière la ques-tion de la contreprestation. Celle-ci est-elle due ? Avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 fé-vrier 2016, la question était réglée par ap-plication de la « théorie des risques » illus-trée par le fameux adage res perit debitori : les risques pèsent sur le débiteur qui a été empêché par la force majeure, de sorte que celui-ci ne peut pas réclamer à son cocon-tractant le paiement de son dû. La théorie des risques n’avait pas été formu-lée de manière générale dans le Code civil mais on y trouvait quelques applications. Notamment l’article 1722 selon lequel si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite par la force majeure, le locataire n’a pas à payer le loyer car le bail est résilié de plein droit. L’ordonnance du 10 février 2016 prend le parti d’étendre à tous les contrats la solu-tion posée à l’article 1722 du Code civil. Désormais, selon l’article 1218, « si l’empê-chement [dû à la force majeure] est défi nitif,

    le contrat est résolu de plein droit et les parties

    sont libérées de leurs obligations… » Rapportée à notre exemple, la règle posée à l’article 1218 du Code civil est d’applica-tion simple : l’exploitant de la salle étant, du fait de la force majeure, dans l’impossibi-lité défi nitive de la mettre à la disposition de l’entreprise commanditaire aux dates convenues, le contrat est résolu de sorte que l’entreprise n’aura pas à payer le prix. Notons que, avant l’ordonnance de 2016, la règle d’attribution des risques ( res perit debitori ) était purement supplétive de sorte que les parties pouvaient la renverser dans leurs conventions. Si les conditions géné-rales de vente du loueur de salle (ou du trai-teur) avaient comporté une clause laissant subsister, en cas de force majeure, le paie-ment du prix à la charge du client, il n’eût pas été possible, pour le donneur d’ordre, d’échapper au paiement. On peut se demander si la réforme de 2016 a conservé aux parties la possibilité de dé-roger aux règles d’attribution des risques. Notamment au regard de l’expression « le contrat est résolu de plein droit ». Certes, on sait aujourd’hui (depuis la thèse de

    M. Tirel, L’effet de plein droit : Dalloz, Nou-velle Bibliothèque des thèses, vol. 178 ) que la formule « de plein droit » ne traduit aucune injonction impérative ( ibid., n° 374 ). Et du reste, l’article 1351 du Code civil réserve l’hypothèse dans laquelle le débiteur empê-ché par la force majeure aurait malgré tout « convenu de s’en charger », ce qui laisse entendre que les parties peuvent, par déro-gation, convenir que le débiteur ne sera pas déchargé par un empêchement relevant de la force majeure. Toutefois, on observera que cette possibilité de déroger n’est ex-pressément admise qu’à l’égard du débiteur et non à l’égard du créancier de la presta-tion empêchée. On regrettera que le légis-lateur n’ait pas, à la faveur de la réforme de 2016, plus clairement indiqué que les par-ties peuvent déroger à la règle de libération du cocontractant du débiteur empêché par la force majeure.

    2 ème exemple : les risques du contrat de bail commercial Un commerçant loue des locaux dans les-quels il exerce une activité rendue impos-sible du fait d’une interdiction administra-tive de recevoir du public. Doit-il continuer à payer son loyer pendant la période de fer-meture forcée ? Le locataire pourrait songer à invoquer la force majeure mais on aperçoit immédia-tement que le paiement de son loyer n’est pas réellement empêché. Sans doute le loca-taire est-il empêché d’exercer l’activité qui lui procurera les moyens de payer son loyer mais l’empêchement n’est qu’indirect. Il n’est pas certain, dans ces conditions, qu’il puisse s’appuyer sur l’évènement de force majeure pour être libéré de son obligation. La Cour de cassation a même affi rmé sans nuance que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécu-tée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » ( Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306 : JurisData n° 2014-020972 ; Bull. civ. IV, n° 218 ; JCP G 2014, 1117, note V. Mazeaud ). Peut-être y a-t-il lieu de réserver le cas où le preneur parviendrait à établir que l’épidé-mie « a eu pour l’exploitation [de son com-

  • LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES 513

    Page 827LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020 - © LEXISNEXIS SA

    merce], sur le plan économique, des consé-quences irrésistibles expliquant le défaut de paiement » ( CA Bourges, ch. soc., 21 mai 2010, n° 09/01290 : JurisData n° 2010-027758 ). La voie est néanmoins étroite. Si le locataire risque d’éprouver des diffi -cultés à se prétendre libéré de sa dette de loyer par l’effet de la force majeure, il peut néanmoins prétendre être libéré par le seul fait que le bailleur, durant la période d’interdiction administrative de recevoir des clients, manque à son obligation d’as-surer au locataire la jouissance d’un local conforme à sa destination (V. J.-D. Barbier, Le sort du loyer commercial face à la pandé-

    mie : http://www.argusdelenseigne.com ). Mieux, le bailleur a tout intérêt à établir que son empêchement procède d’un cas de force majeure qui, seul, le mettra à l’abri d’une condamnation à indemniser le loca-taire (cf. C. civ., art. 1231-1 ). Il doit alors invoquer la suspension de son

    obligation, pour le temps de l’interdiction administrative, afi n d’échapper à toute sanction. En effet, aux termes de l’article 1722 du Code civil : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas

    fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle

    n’est détruite qu’en partie, le preneur peut,

    suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix ou la résiliation même du

    bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à

    aucun dédommagement. ». Sans doute faut-il avoir de la destruction de la chose louée une conception com-préhensive pour y assimiler l’interdiction administrative d’y recevoir du public. Mais précisément, la jurisprudence est dans ce sens. La Cour de cassation affi rme que « l’application de l’article 1722 du Code civil n’est pas restreinte au cas de perte totale de la chose ; qu’elle s’étend au cas, ou, par suite des circonstances, le preneur

    se trouve dans l’impossibilité de jouir de la chose ou d’en faire un usage conforme à sa destination » ( Cass. 3 e civ., 17 oct. 1968 : Bull. civ. III, n° 383 ). Elle juge également que l’interdiction administrative d’exploi-ter des locaux commerciaux équivaut à la perte de la chose louée ( Cass. com., 19 juin 1962 : Bull. civ. IV, n° 323. – Cass. 1 re civ . , 29 avr. 1965 : JCP G 1966, IV, 1 ). Dans ces conditions, notre commerçant aura tout intérêt à prétendre que l’interdiction tem-poraire d’exploiter les lieux équivaut à une perte partielle des lieux loués et à demander au bailleur une diminution du prix du bail égale aux loyers correspondant à la période d’interdiction de recevoir du public. Son intérêt est d’autant plus grand que la timide ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, n’ap-porte au locataire ni la suspension des loyers, ni même leur report mais organise seulement la paralysie des sanctions ordi-

    nairement applicables au défaut de paie-ment des loyers.

    3 ème exemple : les risques du contrat de franchise De même qu’il s’estimera délivré de son obligation de paiement des loyers de son local commercial, le franchisé pourrait s’es-timer délivré de son obligation de verser au franchiseur ses redevances de franchise. Observons cependant que, dans bon nombre de contrats de franchise, les rede-vances sont indexées sur le chiffre d’affaires réalisé par le franchisé. Si le franchisé réalise un chiffre d’affaires nul, ses redevances de loyers seront-elles-mêmes nulles. Si en revanche le franchisé a maintenu une activité de livraison ou de retrait de commandes (comme l’y autorise l’arrêté du 15 mars 2020), il aura exploité

    sous cette forme le savoir-faire du franchi-seur et ce dernier sera fondé à lui réclamer des redevances proportionnelles au chiffre d’affaires réalisé. Qu’en serait-il cependant, si les redevances payables par le franchisé étaient non pas proportionnelles mais (au moins pour par-tie) forfaitaires ? Naturellement, le franchiseur aurait beau jeu d’objecter que si les redevances ont été conçues comme forfaitaires, c’est précisé-ment pour éviter qu’elles soient corrélées à la variation de l’activité enregistrée par le franchisé. De même qu’une baisse d’activité n’a pas de prise sur le calcul des redevances, de même en serait-il d’une inactivité. Plus encore, on ne parvient pas à identifi er en quoi l’une des obligations réciproques serait rendue impossible par les circons-tances. Serait-ce l’obligation de paiement ? on a vu précédemment que la Cour de cas-sation était hostile à cette thèse (Cass. c om., 16 sept. 2014, n° 13-20.306, préc . ). Serait-ce alors l’une des obligations du franchiseur ? Celui-ci ne manquera pas de répondre qu’il n’a jamais cessé de concéder sa marque, de transmettre son savoir-faire et qu’il a même, pendant toute la période de crise, prêté à ses franchisés une assistance de tous les instants. Nous ne disposons pas, en la matière, d’un texte qui puisse laisser entendre que le fran-chiseur manque à ses obligations lorsque le franchisé est placé dans l’impossibilité d’ex-ploiter son fonds. Si le franchiseur ne peut être convaincu d’un manquement contrac-tuel, le franchisé ne dispose d’aucun moyen d’échapper à sa dette de redevance.

    4 ème exemple : les risques du contrat de publicité Avant le déclenchement de la crise sani-taire, un entrepreneur a investi une part importante de son budget de communica-tion dans une campagne publicitaire. Pen-dant une quinzaine de jours, des panneaux devaient fl eurir dans les villes, vantant les mérites des produits commercialisés sous sa marque. En période de confi nement où les rues sont désertes, les retombées de cette campagne risquent désormais d’être des plus limitées.

    « Nous ne disposons pas, en la matière, d’un texte qui puisse laisser entendre que le franchiseur manque à ses obligations lorsque le franchisé est placé dans l’impossibilité d’exploiter son fonds. »

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    Dans ces conditions, l’annonceur dispose-t-il de moyens propres à imposer à l’agence le report, voire l’annulation pure et simple de la campagne ? Assurément, cette cam-pagne lui a coûté cher et ne lui est d’aucune utilité. Le préjudice subi est important mais il ne peut être relié à aucun manquement contractuel. Tout au plus observera-t-on que l’opéra-tion projetée n’atteindra pas le but pour-suivi. Son but était de porter un message publicitaire à la connaissance des dizaines de milliers de personnes qui parcourent quotidiennement les rues de la ville. Ces parcours étant rendus impossibles par les mesures de confi nement, le contrat ne pré-sente plus aucun intérêt pour l’annonceur. Naguère, toutes ces notions de but ou d’in-térêt du contrat avaient été plus ou moins intégrées dans l’usage qu’une jurisprudence compréhensive faisait de la notion de cause. Récemment encore, certains plaideurs se seraient engouffrés dans la voie brièvement ouverte par la jurisprudence sur la nullité d’un contrat résultant de l’impossibilité de l’exécu-ter selon « l’économie voulue par les parties » ( Cass. 1 re civ., 3 juill. 1996, n° 94-14.800 : Juris-Data n° 1996-002900 ; Bull. civ. I, n° 286 ). On sait que longtemps après que la voie a été re-fermée ( Cass. com ., 9 juin 2009, n° 08-11 . 420, inédit : JurisData n° 2009-048750 ), les parties continuent vainement à tenter leur chance sur ce fondement ( Cass. com ., 27 nov. 2019, n° 18-16.775, inédit : JurisData n° 2019-021327 ). Aujourd’hui que la notion de cause a dispa-ru du Code civil, la variété des fonctions qui lui étaient reconnues avant l’ordonnance du 10 février 2016 ne se retrouvent pas dans le Code civil. Les instruments dont nous disposons dé-sormais ne sont guère favorables à la thèse de notre annonceur. Car indéniablement, le paiement qu’il a effectué comporte une contrepartie. L’agence publicitaire est pro-bablement irréprochable. Elle a longuement travaillé pour concevoir le contenu des af-fi ches ; elle a réservé les espaces publicitaires ; elle a versé une avance… Elle doit être juste-ment rémunérée du travail qu’elle a fourni. On pourrait songer à faire supporter une partie des risques à l’exploitant des sup-ports et remettre en cause les contrats d’achat d’espace publicitaire (V. L. n° 93-122, 29 janv. 1993, art. 20 et s.). Mais là en-

    core, on ne voit guère sur quel fondement cette remise en cause pourrait être exigée. L’exploitant des supports n’est nullement empêché d’exécuter les obligations qu’il a souscrites. Il peut, même dans des rues dé-sertes, faire procéder à l’affi chage convenu. Pour autant, une chose est certaine : en raison d’un bouleversement inattendu des circonstances économiques, le contrat de publicité n’est plus en mesure d’assurer à l’annonceur la satisfaction qu’il en atten-dait. On songe alors à se tourner vers deux outils créés par l’ordonnance du 10 février 2016 : le pouvoir de révision du contrat reconnu au juge en cas d’imprévision d’une part et la caducité du contrat, d’autre part. Etudions-les successivement. L’article 1195 du Code civil pourrait-il ve-nir en aide à notre franchiseur ? Nul doute que les mesures de confi nement prises en réaction à la crise sanitaire consti-tuent des circonstances qui étaient imprévi-sibles lors de la conclusion du contrat. Il est en revanche plus diffi cile d’affi rmer qu’elles rendent l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’annonceur. On remarquera en effet que la prestation devant être four-nie par l’annonceur n’a pas varié et que sa charge est demeurée identique avant et après les mesures de confi nement. En revanche, ce qui a varié, c’est la valeur de contreprestation attendue par l’annonceur. La contrepresta-tion a perdu toute valeur. Mais on observe immédiatement que cette circonstance n’est pas rigoureusement assimilable à l’excessive onérosité de la prestation de l’annonceur. À moins d’affi rmer que l’onérosité de la pres-tation de l’annonceur s’apprécie au regard de la valeur de la contreprestation. Or, sur ce point, nous n’avons pour l’heure, aucune certitude ( O. Deshayes, Th. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du

    régime général et de la preuve des obligations :

    Lexis Nexis, 2 ème éd., p. 447 ). Au demeurant, à supposer que le contrat puisse être révisé par le juge, par applica-tion de l’article 1195 du Code civil, on ne concevrait pas que celui-ci révise le prix à payer par l’annonceur au point de le fi xer à un montant inférieur au coût réel de la contreprestation qui lui est fournie, sauf à créer un déséquilibre en sens inverse, ce qui n’est pas l’esprit du texte. À elle seule, cette considération limite considérablement la

    marge de manœuvre du juge et fait perdre, en l’espèce, l’essentiel de son intérêt à l’ac-tion fondée sur l’article 1195 du Code civil. Une autre voie envisageable serait celle ouverte par l’article 1186 du Code civil. La caducité du contrat est encourue lorsque « l’un de ses éléments essentiels disparaît ». Il faudrait ici prétendre que la perte d’inté-rêt du contrat pour l’une des parties révèle la disparition de l’un de ses éléments essen-tiels. La thèse est audacieuse mais pas dé-sespérée tant est fl oue la notion d’éléments essentiels du contrat. Cette notion n’ayant pas été explicitée dans l’ordonnance de 2016, les interprétations les plus diverses en sont proposées. S’il est vrai que la Cour de cassation avait admis, avant la réforme, que la caducité d’un engagement à exécution successive puisse résulter de la disparition de sa cause ( Cass. 1 re civ., 30 oct. 2008, n° 07-17.646 : Ju-risData n° 2008-045575 ; Bull. civ. I, n° 241 ; JCP G 2009, II 10000, note D. Houtcieff ), on est en droit de s’interroger sur les suites d’une telle jurisprudence dans un système où la notion de cause a disparu. Au surplus, l’intérêt que le contrat pouvait avoir pour l’annonceur semble davantage relever du motif (ou mobile) dès lors que le contrat n’avait pas expressément corrélé la contreprestation attendue à une quel-conque rentabilité. Si les parties avaient pris soin de formuler ce motif, sans doute aurait-il été possible de l’ériger en élément essentiel du contrat dont l’impossible satis-faction confi ne à la disparition. En l’absence d’une telle démarche, on ob-servera que l’action destinée à faire consta-ter la caducité du contrat de publicité est des plus aléatoires. Dans notre exemple, il est fort probable que les risques liés aux conséquences de l’épidémie reposent exclusivement sur l’annonceur. On le voit ici par le rapprochement de ces quatre situations brièvement évoquées : aussi imprévisible et irrésistible soit-elle, l’épidémie de covid-19, ne crée pas inéluc-tablement les conditions de la force majeure en matière contractuelle si ne s’y observe cet élément indispensable que constitue pour le débiteur de l’engagement souscrit, l’empêchement d’exécuter sans lequel il n’y a pas de libération.

  • LA SEMAINE DU DROIT

    INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

    Page 838 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 17 - 27 AVRIL 2020

    533-534

    « Il a été décidé pour la première fois depuis l’exis-tence de l’UE d’une aide fi nancière d’un montant de plus de 500 milliards €. »

    Actualités

    ➜ Actualités 533-534 ➜ Note 535

    CORONAVIRUS 533

    Décision historique… ou presque Dominique Berlin, professeur émérite, université Panthéon-Assas

    Cons. UE, Eurogroup, Mário Centeno, déclaration, 9 avr. 2020 : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/04/09/remarks-by-mario-centeno-following-the-eurogroup-videoconference-of-9-april-2020/

    La déclaration de M. Mário Centeno, président portugais de l’Eurogroupe depuis le 12 janvier 2018, préfi gure l’adoption d’une série de textes dans les semaines qui viennent mais permet de réaliser les avancées effectuées en termes de gestion de crise et de solidarité européenne. Certes, le vieux serpent de mer des « eurobonds » (euro-obligations) ou « covid-bonds », synonymes de mutualisation des dettes souveraines, a encore

    opposé pays du Nord, moins endettés, campés sur des positions strictes en matière budgétaire et les pays du Sud, fortement endettés, qui préféreraient voire la soli-darité l’emporter sur des considérations budgétaires. C’est donc à nouveau partie remise. Mais ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein souligneront le caractère historique de l’accord obtenu lors de la réunion des ministres des fi nances de la zone euro (i.e. l’Eurogroupe) du 9 avril. Il a été en effet décidé pour la première fois depuis l’existence de l’Union européenne d’une aide fi nancière d’un montant de plus de 500 milliards €, et du principe d’un plan de relance économique commun pour la sortie de crise. S’agissant de l’aide fi nancière (aux dé-penses destinées à faire face aux consé-quences directes et indirectes de la crise du covid-19), qui vient s’ajouter rappelons-le, aux autres sommes déjà décidées, et au programme de la BCE de rachat de titres de dettes pour 750 milliards €, elle comporte trois volets : - le premier est destiné à participer aux dé-penses d’indemnisation du chômage causé par les mesures destinées à lutter contre la pandémie. Ce volet, fondé sur l’article 122 TFUE, qui portera l’acronyme de « SURE », estimé pour le moment à 100 milliards € aidera les systèmes nationaux les plus exposés ; - un deuxième volet est plus particulièrement destiné à aider les PME via les prêts de la Banque européenne d’investissement pour un montant global de 200 milliards € ; - le troisième volet est destiné aux États eux-mêmes et il prendra la forme d’un Pan-demic Crisis