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02/12/2015 1 Médias Benoit LAFON 2015-2016 Partie 2. La communication médiatique : exemples de typologies 1. Roger Odin et le modèle heuristique de la sémio- pragmatique 2. Entre captation et négociation : deux exemples d’analyses sur la télévision (Soulages et Jost) 1. Roger Odin et le modèle heuristique de la sémio- pragmatique Odin R., « La sémio-pragmatique : un modèle heuristique », in Médias et Culture, n° spécial, 2006, pp. 55-72. « La sémio-pragmatique, en tant que modèle heuristique, n'a pas pour ambition de décrire la réalité mais d'interroger, pour mieux les comprendre, les fonctionnements communicationnels. »

M2 1503 [Mode de compatibilité] - B. Lafonbenoit.lafon.free.fr/m1/m1doc/M2_1503.pdf · Nécessité d'une analyse des faisceaux de ... D’où une analyse sémiotique de ces cadres,

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02/12/2015

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Médias

Benoit LAFON

2015-2016

Partie 2. La communication médiatique : exemples de typologies

1. Roger Odin et le modèle heuristique de la sémio-pragmatique

2. Entre captation et négociation : deux exemples d’analyses sur la télévision (Soulages et Jost)

1. Roger Odin et le modèle heuristique de la sémio-pragmatique

Odin R., « La sémio-pragmatique : un modèle heuristique », in Médias et Culture, n° spécial, 2006 , pp. 55-72.

« La sémio-pragmatique, en tant que modèle heuristique, n'a pas pour ambition de décrire la ré alité mais d'interroger, pour mieux les comprendre, les fonctionnements communicationnels. »

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Modèle heuristique :

Une hypothèse heuristique est une hypothèse dont on ne cherche pas à savoir si elle est vraie ou fausse , mais qu'on adopte seulement à titre provisoire.Les hypothèses qui constituent le modèle sémio-pragmatique sont de cet ordre.

Modèle de non-communication :

décision de construire la sémio-pragmatique comme un modèle de non-communication séparant radicalement deux espaces : réalisation et lecture.

• espace de la réalisation : conduit à la production par l'actant émetteur E du texte T.

• espace de la lecture : dans cet espace, le texte T n e se présente plus comme un texte (= comme une structure dotée de sens), mais comme un ensemble de taches ou, si l'on inclut le son, de vibrations (ap pelons cette structure V) à partir desquelles l'actant réc epteur R construit un texte T'.

L'intérêt de ce modèle a priori est d’obliger à se demander comment les processus de production de sens mis en œuvre dans ces deux espaces peuvent se rapprocher au point que l'on ait l'impression que T est transporté d'un espace à l'autre :

Nécessité d'une analyse des faisceaux de déterminations qui dans chacun des deux espaces construisent les actants E ou R : déterminations universelles en premier lieu (cf. sc. Cognitives).

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Existence aussi d’autres déterminations dans la construction du sens.Ces déterminations innombrables se construisent dans ce que R. Odin nomme des « espaces de communication ».Il faut en identifier certaines qui sont pertinente s.Notion à rapprocher de celle de « cadre ».

Ex. : « j'ai construit l'espace de communication des films de famille en me plaçant au niveau d'une analyse contrastive par rapport à ces autres espaces de communication que sont les films « amate urs » (les films réalisés par les membres des clubs de cinéma amateu r), les films de fiction, les films documentaires, les productions a rtistiques, etc. »

R. Odin a aussi mené ses analyses sur la production de sens dans un espace de communication beaucoup plus vaste : l'espace culturel occidental.

→ espace construit de façon restrictive, l’objectif étant de rendre compte de ce qui se passe dans cet espace au niveau de notre « compétence communicationnelle »

Compétence communicationnelle : « combinatoire d'un nombre limité de modes de production de sens et d'affects. »

Attention : seules des analyses empiriques d'espace s de communication précisément situés (historiquement , géographiquement, sociologiquement) peuvent permettre de voir le sens produit (c’est le travail de J-P. Esquenazi, qui est complémentaire selon R. Odin). ≠ mise en évidence des processus : « comment on fictionnalise, comment on documentarise, comment on construit ou regarde quelque chose comme une œuvre d'art, comme un spectacle, etc. »

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Analyse de R. Odin : étudier ces « modes de production de sens et d’affects » de manière heuristique,

→ effectuer le plus de distinctions possible en term es d’espaces de communication.

Conséquences sur les fictions par exemple :définition de la fictionnalisation aussi restrictiv e que possible : toute une part du cinéma actuel fonction ne moins à la fictionnalisation qu'à l'énergie il ne s 'agit pas tant de me faire vibrer au rythme des événement s racontés qu’au rythme des images et de la musique.

Autres cas analysés : les films historiques qui relèvent d’une documentarisation ou les comédies musicales qui renvoient à la spectacularisation.

Dans la même logique, R. Odin évoque les différence s entre mode artistique et mode esthétique, permettan t de mieux comprendre ce qui relève de la production artistique et plus généralement d’un mode de production du sens.« J'appelle mode esthétique la démarche par laquelle un sujet s'engage dans cette sorte d'aventure qu'es t la quête de valeurs esthétiques. »

Le mode artistique : se caractérise par la mise en œuvre d'un processus préalable obligatoire (la construction de l'énonciateur de la production comm e appartenant à l'institution Art), et de processus facultatifs.Opération d'inscription institutionnelle : c'est le statut de l'énonciateur qui détermine ou non l'entrée dans l'espace de l'art de n'importe quelle production ou objet.Ex. du cinéma : tentative de l’assimiler au dessin pour le faire entrer dans le champ de l’art : rien à voi r avec des critères esthétiques.

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Avantage de séparer des modes est que l'on peut s'interroger sur leurs relations.

•Le mode esthétique peut conduire au mode artistique : parce que cette œuvre m'a touché, je souhaite la faire entrer dans l'institution art. ex . arts premiers.

•Le mode artistique peut conduire au mode esthétique : la découverte d’un artiste (Odin cite Mallarmé) peut amener à en saisir les caractères esthétiques.

Implications de ce modèle :

• heuristique, donc prévu pour être modifié et adapté;• Applicable à l’analyse socio-discursive car permet de penser le cadre discursif comme un espace de communication avec ses modes;• Permet de dépasser le sens commun en allant contre les présupposés de nos actes médiatiques (renvoie d’une certaine manière à la notion de « fonction latente » des fonctionnalistes);• Peut enrichir la problématique, la construction de corpus à analyser et les méthodes.

Illustration de l’approche sémio-pragmatique appliq uée au film de famille par R. Odin :

http://www.cinememoire.net/default.php

Sur la fiction, R. Odin a publié un ouvrage dans le quel il développe son modèle en l’appliquant :

ODIN Roger, De la fiction , Bruxelles, De Boeck Université, 2000, 183 p.

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De la fiction traite de ce que R. Odin nomme la « fictionnalisation » : « le mode que je mobilise lorsque j’entreprends de produire ou de lire un texte (ce qui est une autre forme de production) comme un texte de fiction » (p. 11).

→ R. Odin redéfinit l’approche sémio-pragmatique dans l’introduction de cet ouvrage :

L’objectif de la sémio-pragmatique est

« de fournir un cadre théorique permettant de s’interroger sur la façon dont se construisent les textes et sur les effets de cette construction. On part de l’hypothèse qu’il est possible de décrire tout t ravail de production textuelle par la combinatoire d’un nombre limité de modes de production de sens et d’affects qui conduisent chacun à un type d’ expériencespécifique et dont l’ensemble forme notre compétence communicative : modes spectacularisant, documentarisant, fabulisant, artistique, privé, etc . » (p. 10-11).

Conséquence :

Existence de processus de la fictionnalisation permettant de produire une vibration impliquant le spectateur et lui permettant de construire le texte .

1. diégétisation 2. narration et narrativisation3. mise en phase 4. Construction de la structure énonciative

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2. Entre captation et négociation : deux exemples d’analyses sur la télévision (Soulages et Jost)

Si R. Odin cherche à qualifier les modes de product ion du sens par le spectateur (qui sont en nombre limités), d’autres auteurs ont cherché à comprendre des aspects similaires en se plaçant davantage du point de vue du dispositif médiatique lui-même.

Deux exemples : J-C. Soulages, Les Rhétoriques télévisuelles ,

Bruxelles, de Boeck-INA, 2007.F. Jost, Introduction à l’analyse de la télévision , Paris,

Ellipses, 2007.

Ce qui est analysé, c’est donc la manière dont le m édia (en l’occurrence la TV) permet une captation et/ou un formatage du regard.

Démarche pragmatique, davantage sémio-pragmatique que celle de Esquenazi qui est socio-discursive (rôle du contexte social plus affirmé, concepts sociologiques de « construction sociale de la réalité » et de « cadrage »).

a. La « captation » du regard par les rhétoriques TV (Soulages)

b. Une « négociation » : les promesses des genres TV (Jost)

a. La « captation » du regard par les rhétoriques TV

= Usages sémiotiques de la notion de « cadre ».La TV impose selon J-C. Soulages un « formatage

permanent du regard », notamment en plaçant les publics dans un impératif d’audience et de flux.

« Tout comme les mangas ont renouvelé d'une certaine manière les mises en récit de la bande dessinée, le s rhétoriques télévisuelles font éclater les modes de représentation des images cinétiques et bouleversent parfois certaines de leurs règles, données souvent comme constitutives. »

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Cette captation repose sur la nature du « terminal télévisuel » : « la plupart des productions du petit écran sont habitées par cette dynamique ostentatoir e d'empathie intégrative. » (« horizon au carré » selon l'expression de Paul Vir ilio)

Le terminal télévisuel joue le rôle de cadre-suppor t sous l'apparence d’un meuble familier (aboutissemen t d’un vaste processus de privatisation et de mise en cadre de la représentation qui s'est opéré depuis l a Renaissance en Occident).

« Tour à tour, il peut se métamorphoser en fenêtre, en tribune, en véhicule, en loupe, en support scriptural pour son destinataire »

Conséquences de ces principes pour J-C. Soulages :

« Le recours tout à fait ritualisé — et donc signifia nt — à certains types d'agencement et de combinatoires de différent s cadres apparaît comme un support essentiel des procédés rh étoriques encadrant les modalités de production et de récepti on de toute séquence télévisuelle. Ces enchaînements de cadres y interviennent comme une sorte d'ossature ou de réce ptacle qui, au-delà de la simple distribution de vues sur telle ou telle performance, opère un véritable formatage du voir, activant symé triquement chez le destinataire tout un spectre d'attitudes spectat orielles. »

D’où une analyse sémiotique de ces cadres, reposant sur une typologie des cadres tels que la TV les mob ilise, prolongée par une analyse de certains procédés rhétoriques mobilisés par la TV :

- Genres- scénographies- fiction- sérialité- fragmentation…

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Exemples de cadres mobilisés :

b. Une « négociation » : les promesses des genres TV (Jost)

François Jost s’intéresse aux promesses du média, p our dépasser la notion de « contrat » et proposer une analyse du lien unissant téléspectateur et TV.

Source :François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision ,

Paris, Ellipses, 2007 (3e éd., 1ère éd. 1999).

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F. Jost s’intéresse au lien entre la télévision et le téléspectateur :

Comment entretenir un lien durable avec le téléspectateur, le fidéliser ?De quelle nature peut être ce lien avec un public q ui n'est pas physiquement présent dans l'échange ?

Ces questions ont été abordées par la notion de con trat.Cf. Eliseo Veron (1993) / P. Charaudeau

P. Charaudeau définit le contrat de communication médiatique par une double visée :

- le contrat de crédibilité ;- le contrat de captation ;

dont la formule suivante résume bien la double fina lité : « être le plus crédible possible tout en attirant le plus grand nombre possible des récepteurs » (1997, p. 73 ).

Problème : les téléspectateurs sont mobiles dans leurs pratiqu es = audience volatile.

� Les chaînes « promettent » via leurs genres.

Dans la logique commerciale, toute chaîne se doit d e trouver les moyens d'agir sur le futur :

• pour prévendre son public à des annonceurs qui investissent en fonction de sa structuration probab le;• pour convaincre ce public des avantages symboliques qu'il aura à regarder la chaîne.

Le genre est une interface et une promesse : • les publicitaires promettent un bénéfice aux annonceurs• la télévision, traversée par la publicité, en fait sa logique propre.

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Les chaînes recourent aux bandes-annonces (= spots publicitaires) et font une double promesse au téléspectateur :

• quant à l'intérêt et aux émotions que lui procure l'émission annoncée ;• quant à la garantie de retrouver dans le programme des qualités exemplifiées par l'échantillon (un peu comme lorsqu'on choisit sur catalogue la couleur de la peinture de sa chambre).

Mais : contrairement au contrat, qui engage toutes les parties qui le signent, la promesse est un acte uni latéral.

La communication télévisuelle est hétérogène ( ≠ communication linguistique) :

• du côté de la télévision, des programmes; • du côté de la réception, des actes (regarder ou non , zapper, etc.), des sentiments, des émotions.

Pour orienter cette « interprétation protéiforme », l es chaînes recourent à d'autres formes de communicatio n (noms de genre, communiqué de presse ou bandes-annonces).

Le genre est donc une interface fondant l'acte prom issif de la chaîne, permettant d’orienter l'interprétatio n.

En découlent pour Jost des analyses des genres et d e leurs promesses :

• Genres médiatiques prétélévisuels (genres radiophoniques, cinématographiques de la fiction, du documentaire et des actualités).

• Genres télévisuels actuels, de premier ou de second degré.

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Les genres du premier degré :

La catégorisation d'une émission dans un genre par le téléspectateur dépend :des promesses de la chaîne et des médiateurs (press e, radio, etc.) de la capacité du téléspectateur à reconstruire une intention qui fonde l'unité de l'émission.

Tout document est la promesse d'une relation au mon de, dont le degré d'existence conditionne l'adhésion ou la participation du téléspectateur.

Le genre impose ses lois et le respect de règles• loi de l'énoncé de réalité (journaliste doit pouvoi r prouver qu’il dit la vérité);• loi de la fiction (un narrateur doit respecter les règles de la vraisemblance qu'il s'est données);• loi du ludique (celui qui ne respecte pas les règle s est un tricheur).

Malgré tout, la réception reste précaire :la communication télévisuelle est un processus dynamique et incertain : aucune émission n'est jama is classée à coup sûr dans tel ou tel monde (cf. feuil leton Hélène… )

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Genres du second degré :aujourd'hui, la TV engendre des genres qui détourne nt les mondes réel-fictif-ludique (doubles, imitations , versions au second degré de ces genres de premier niveau).

D’où des feintises qui simulent une image informati ve ou documentaire par plusieurs procédés : feintise filmique (reconstitution totale d'événements réels, alors même qu'ils ont été remis en scène), feintises énonciatives (simulent l'énonciation d'un document authentique), clins d'oeil de la fiction (capacités cinéphiliques ou téléphiliques).