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Revue Des Deux Mondes ALMEREYDA

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Revue des deux mondes

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  • [Revue des deux mondes]. Revue des deux mondes, Septembre-Octobre. 1917.

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  • REVUEDES

    DEUX MONDES

    FliANOIS BULOZ, FONDATEUR

    LXXXVII' ANNE. SIXIME PHIODE

    TOMEQUARANTEET UNIMElr LIVRAISON

    1er SEPTEMBRE 1917

    PARIS15, rue de l'Universit, 15

    LONDRES, BAILLIRE, TINDALL & COX, 8, Honrietta str., A. G. BEURY, 21J, Shaftosbury Av.

    DULAU & C, 37, Soho square, 11ACUETTE & C, 18, King William-streot.

    NILSSON & C. 16-18, Wardourstr. P. ROLANDI, 43, Bcrnors-str.

    PETROGRAD, SOCIT M. 0. WOLFF, VIOLLE- MOSCOU, tastevin, WOLFF.

    ODESSA, ROUSSEAU. VARSOVIE, G2tSETUNEH ET WOLFF, VIOLLET.

    BRUXELLES; RAMLOT, J. lcbgue ET ci0. LIGE, J. BELLENS.

    1 LA H*YE, BELINFANTE FRRES. ROME, BOCCA FRRES.

    TURIN, Ror.CA, Casanova. MILAN, BOCgA. FLORENCE, vieusseux.

    STOCKHOLM, c. fritze. GENVE, ril. durr, NAVILLE. BUCAREST, soceq & c.

    MADRID, E. BOSSAT. BARCELONE, VERDAGUER. LISBONNE, ROdrigues.

    BUENOS-AYRES, C. M. JOLY Y cla.

    NEW-YORK, W. JENKINS, BRENTANO, STECHERT, T3E INTERNATIONAL NEWS C.

    BOSTON, TnE NEW ENGLAND NEWS C. MONTREAL, GRAN6ER.

  • REVUE DES DEUX MONDES.:

    est entre-bille, en face d'une porte. Par cette fentre un indiscretrayon de lune passe, vibre et bleuit avec l'air parfum du jardin. ParCette porte, grand-oncle Astolphe, trs beau et trs vnrable, vtud'toffes surannes et coiffde cheveux d'argent, entre en s'appuyantsur Lilette.

    ASTOLPHB, avanant pas lents.

    Mon enfant chrie, c'est un grand jour, ou plutt un grandsoir. Je t'aime de toute mon me, et pourtant je viens de tecauser une grande peine pour la premire fois, l'aile du cha-grin et le souffle de la raison ont pass sur ce front charmant.Mais la premire, ton ge, s'envole bien vite, et le second,parfois, se transforme en baiser.

    LILETTE,lonmise,eraintireet triste,tdontlei petitspasdrangentle rayondelune.

    Oh grand-oncle Ast.olphe, le baiser de la raison Qui donc, mon ge, s'en soucie ?

    ASTOLPHE, s'asseyant dans un fauteuil profond.

    Ma pauvre enfant chrie Viens prs de moi.M'

    Lilette s'assied ses pieds sur un coussin et l'coute d'uneoreille, cependant qu'elle regarde le rais de lune et est surtout atten-tive au bruit mystrieux et lger du vent dejuin.

    ASTOLPHE, jouant avec les cheveux de la jeune fille.

    Depuis le jour o ma nice, ta charmante mre infortune,revint mourir ici, puise par la maladie et le pnible et longvoyage, sans ressources, sans dsir de vivre, ayant perdu, auxIles, avec ton pauvre pre si jeune aussi, toute joie, toute for-tune et toute esprance, j'ai pris soin de toi, nous avons tous icipris soin de toi.

    LILETTE.

    Mon oncle, vous m'avez rendue heureuse.

    ASTOLPHE.

    Tu as t notre joie. Dans notre maison caduque, tu as

    rayonn et fleuri. Nous aurions voulu te garder toujours.Nous avons tent de t'lever dans de saines et morales ides,

  • LA NUIT PORTE CONSEIL,

    la fois pieusement et librement, simplement, et surtout, sur-tout, d'carter de toi cette romanesque atmosphre dont futvictime ta pauvre mre, loin des rves inutiles, des songeriesvaines et de toutes ces choquantes vhmences de l'imaginationet du cur qui ont caus jadis le fol mariage de tes parens,leur dpart, leurs malheurs et leur mort prmature..

    LILETTE,tout bas.

    Ma pauvre maman 1 Elle me ressemblait, sans doute ?

    ASTOLPHE,trs vivement.

    Nonpas 1 Non pas! C'est nous que tu ressembles. A masage sur, ta grand'mre, que tu n'as pas connue, car le dpartde ta mre la fit mourir de chagrin; moi qui suis aussi rai-sonnable que le comporte la triste situation humaine et qui aisu m'accommoder de l'exislence telle qu'elle est. et elle n'estpas toujours agrable*

    LILETTE.

    Telle qu'elle est. 0 cher grand-oncle Astolphe, sommes,nous jamais srs de voir les choses et les tres tels qu'ils sont?Et puisque nous sommes environns de mystrieuses influences.pourquoi ne croirions-nous pas que, parmi elles, il y en ad'heureuses, de douces, de favorables? (Ellepleureun peu.)

    ASTOLPHE,mu.

    O va-t-elle chercher ce qu'elle dit? Allons, allons, nepleure pas, ma mignonne. Il n;y a pas de quoi pleurer. Montrez-moi ces yeux-l bien purs et redevenez belle. Vous serez mar-quise, vous aurez un mari qui, plus g que vous, saura voussoigner et vous gter, ce qui me rassure beaucoup en vousmariant, et vous aurez une grande fortune, ce qui vous per-mettra de librer de toute hypothque la terre des Charmillettesqui fut toujours dans notre famille et que mon but le plus cherest de reconqurir et de conserver. d'ailleurs pour vous et vosenfans. Vous ferez bien cela pour votre cher vieil oncleAstolphe.

    LILETTE, de nouveau soumise, mais grave.

    Mon oncle, je n'oublierai jamais ce que je vous dois* Et je

  • lEVtE DES DEUX MONDES.1

    vous le prouve en renonant, pour vous obir, au plus belespoir de ma vie.

    ASTOLPIIE,prisantdu tabac.

    Hum 1 Hum Pfft Pfft! Brrl1 Brr!1 Psehtt!1 Pschttl.(il ternuevoluptueusement.)Ah ma belle, tu l'oublieras bien vite,ton bel espoir. Certes, ce jeune homme fut l'aimable et gaioompagnon de ton enfance, et nous fmes bien imprudens,tout madrs que nous sommes, de n'avoir pas flair de suite ocette camaraderie vou-sallait mener! Mais il est trop jeune etn'a pas un sou vaillant, donc est doublement pauvre. Et quedeviendriez-vous, Seigneur 1

    LILETTE,rvolteetmisrable.

    Doublement pauvres Avec la jeunesse et l'amour Maisnous aurions attendu, mon bon oncle, et nous nous serionsmaris plus tard, quand Savinien aurait eu une situation.Mais puisque c'est impossible.

    ASTOLPHE.

    On dit cela 1 Et puis on n'attend jamais assez longtemps. Eton finit, ma petite fille, par s'pouser avant que la situation nevous soit venue. Vous vous seriez maris toujours trop tt,et l'histoire de ta pauvre maman aurait recommenc.

    LILETTE.

    Pourquoi, mon oncle?

    ASTOLPHE

    Parce que nous t'aurions refus notre bndiction, notreconsentement, notre appui, et notre hritage, comme cela futinflig ta mre, comme ce doit l'tre aux enfans rebelles, et,par la suite, les tristes aventures seraient arrives trop promp-tement. Mais, ma fille, nous t'aimons trop pour te vouloirpareille destine, et, Dieu soit lou, je t'ai raisonne et convain-cue. Tu criras ce soir une aimable lettre d'adieu dfinitif l'amoureux absent, et demain j'annoncerai mon vieux mar-quis que tu consens devenir sa femme.

  • L NUIT PORTE CONSEIL.

    SCNE II

    LES MMES, ZLIE, FLORE ET ZPfflRIN, qui sont entrs pendant ladernire phrase. Ils sont couverts de mantes, de foulards, de capuchons.

    TANTE ZLIE, qui tient un petit panier.

    Astolphe, nous sommes alls jusqu'au potager, croyantla nuit belle. Mais l'humidit vous glace. Ce petit panier estplein de limaces que nous avons ramasses. Les saladespeuvent dormir en paix.

    MARRAINE FLORE, riant et toussotant.

    J'ai eu tort de vous accompagner. Ces nuits d't sontperfides le serein tombe et je sens que j'ai, par cette prome-nade imprudente, rveill mon catarrhe. (Elle tousse,minaudeetcrachote.)

    ASTOLPHE.

    Lilette, vite! Prpare une boisson bien chaude.

    Lilette se lve, et, prs d'une table servie, agite bouilloires, tasseset cuillers.

    L'AMIZPHIRIN,vtucommeun vieuxchasseurquijamaisne chasse.

    Oui, la rose tait abondante dans l'herbe. Zlie, n'avez-vous pas les pieds mouills?

    ZLIE.

    Un tout petit peu. Mais que voulez-vous? Je sais depuislongtemps que tout n'est pas rose. Et puis, je me vas allercoucher, car il est tard. Eh bien, Astolphe ? Eh bien, Lilette ?tes-vous toujours d'accord et satisfaits de vos dcisions ?

    ASTOLPHE,tendantlamainsurle frontdeLilettequi est revenues'asseoirsespieds.

    Cette enfant est la consolation de notre vieillesse. Elleaccepte tout ce que nous voulions d'elle et sa raison est sitendre et si sage qu'elle nous comprend, nous approuve ettrouve dj en elle-mme, nous obir, une joie douce qui setransformera vite en bonheur.:

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    ZLIE, rondement.

    Il ne lui sirait gure de faire la renchrie, car elle a biende la chance. tant donn surtout que sur cette pauvre terreon n'est pas cr et mis au monde pour s'amuser. Quelle belledame tu seras, Lilettel Que de robes! Que de bijoux! Que deparures! Tu me donneras une palatine de petit-gris. Nousirons passer l'hiver Paris dans ton htel, et ta voiture noussera bien commode pour faire nos visites, car nos jambes nevalent plus rien. N'est-ce pas, Astolphe?

    ASTOLPHE.

    Parlez des vtres. Pour les miennes, elles me portentencore fort bien.

    FLOREvientprendreLiletteparlesmains,la force se leveret la contemple.

    Elle n'est pas si gaie que cela! Mais elle se rattrapera plustard. Rien n'est plus triste que se marier. Mais, par la suite,on s'arrange.

    ZPHIRIN,mlancoliquement.

    Pauvre Lilettel1

    ASTOLPHE, trs mcontent-

    Et que vous prend-il, ami Zphirin, et de quoi plaignez-vous cette petite fille? N'a-t-elle pas t par nous assez gte,aime et choye? Est-elle bien plaindre d'pouser un honntehomme dont l'alliance et la situation comblent d'aise toute notrefamille?

    ZPHIRIN, sautillant de-ci, de-l.

    Je ne la plains pas. Mon exclamation involontaire n'taitqu'une caresse apitoye. Je ne voulais pas dire pauvre Lilette1mais pauvres dix-sept ans, pauvre jeunesse des belles fillestendres, pauvre heure inexorable o l'on doit renoncer sonpremier songe, pauvre instant o d'un geste triste on s'essaye bannir l'amour! (Trsgai.) Je ne voulais dire que cela. II ilHi! Ah! 1 AhCe n'est qu'un mauvais moment passer. Ensuiteon est trs content; tout allg; tout satisfait. Et si vous tes

  • LA NUIT PORTE CONSEIL

    encore fch, croyez que le clair de lune me porte la tte, etque c'est beaucoup plus grave qu'un coup de soleil.

    Lilette est alle pendant ce temps appuyer son front la fentreentre-bille et respirer l'odeur de ce jardin qu'on ne voit pas.

    ZLIE,qui, la lueurde la lampe, range et compteamoureusementdansl,panierseslimacesd'undoigtexpertet sansdgot..

    Quel beau djeuner pour mes poulesl. L'amour? Que debtises ne commet-on pas en son nom! L'amour? On ne le voitjamais ailleurs que dans les romans ou dans les faits-diversdes gazettes. J'espre bien que ma petite-nice, si bien leve,n'avait pas os faire la connaissance d'un aussi vilain person-sage que cet amour. Et je n'appelle pas ainsi ce petit attraitqu'elle a pu ressentir un instant pour un jeune homme aimableet de son ge. L'amour?. J'ai l quarante-neuf limaces. sQu'en pensez-vous, Astolphe?

    ASTOLPHE.

    Je pense que vous devriez nous honorer de votre silenceia*.Viens ici, Lilette. Que vois-tu donc dans ce jardin?

    LILETTE, timidement.

    Rien,. mon oncle. qu'une vapeur irrelle et bleue o peut-tre s'enfuyait, en se cachant honteusement, cet amour donttante Zlie parle si mal. (Elles'assiedprs de la lampeet prendsabroderie.)

    ASTOLPHE, part.

    Quand elle parle ainsi, elle m'intimide.: (Haut.)Ma chrie,n'coute pas tante Zlie, mais crois ton vieil oncle et son exp-rience si longue. Ta mre a pay de sa vie la folie d'un instantd'amour. La plupart des tres humains achtent cette funesteivresse au prix de leur sang, de leur repos, de leur joie, de leurhonntet paisible et pure. L'amour est une illusion vite envole,un mirage que dissipe cruellement la ralit.. Et malheur ceux-l, assez prsomptueux pour vouloir lui permettre debtir leur vie sur un songe et un mensonge Le mariage, ledevoir, la maternit, les succs permis de la beaut et de larichesse, les soins de la maison. voil le seul bonheur d'unefemme.

  • REVUE DES DEUX MONDES,

    LILETTE, tout bas.

    Hlas! Et si l'amour tait, lui, le seul, le premier devoirl

    FLORE.

    Ah! qu'Astolphe parle bien. et judicieusement et commec'est bien la voix de la famille Car la famille refuse toujoursprement que l'amour lui soit prsent.

    zphirin, bas.

    C'est pourquoi il est toujours forc, le pauvre sournois,d'entrer par la fentre.

    ASTOLPHE.

    Voyons, Zphirin? Quand elle aura notre ge, ne nous don-nera-t-elle pas pleinement raison?` ?

    zphirin, bourrant sa pipe.

    videmment. videmment. Cela demande un certaintemps. Mais alors, elle le saura bien, tout comme nous. Oui,oui. L'amour est une farce, un leurre, une coquinerie qui n'enest une que parce qu'elle ne peut durer toujours; un des plusmauvais tours que puisse nous jouer la destine perverse. Ahpauvre amour! tu n'es pas aim, je t'en rponds. Mauvaisgaron, terreur des parens judicieux, inavouable ami, ne vienspas rder par ici, car, avec un vieux fusil, je t'abattrai commeun pauvre petit faon oui, sans piti; laisse-nous jamais enpaix et ne reparais plus avant la consommation des sicles.Ainsi soit-il. tes-vous content, Astolphe ?'

    ASTOLPHE, haussant les paules.

    Oui, vieux fantaisiste. Allons, il se fait tard, il faut se re-tirer. Mais auparavant, petite Lilette, j'aimerais que nous com-posions nous deux cette lettre Savinien que tu m'as promisd'crire ds ce soir.,

    LILETTE, doucement et douloureusement.

    Mon bon oncle, je vous en supplie, laissez-moi l'crire touteseule je vous la remettrai demain matin, et c'est vous quil'expdierez*

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    ASTOLPHE.

    Soit. J'y consens, puisque j'ai ta parole et que toutes chosessont conclues. Montes-tu dans ta chambre, ou prfres-tucrire ici? Il y a tout ce qu'il faut.Il vrifie soigneusement, sur la tablette du secrtaire, l'encre, les

    plumes, le papier.

    LILETTE.

    Si vous le voulez bien, j'crirai ici.

    ZPHIBIN.

    Bonsoir, Lilette 1 Bonsoir, enfant charmante 1 Profite de tondernier soir. Rve tout ton aise. Bientt, tu seras une vieillemadame, et adieu les songes de jeune fille.. 4

    LILETTE.

    Bonsoir, ami Zphirin.

    ASTOLPHE, le poussant plaisamment.

    Voulez-vous bien vous en aller, vieux fou. vieux cueilleurde chimres.. d

    ZPHIRIN.

    Que voulez-vous? Chacun son got. Tout le monde ne peut la fois ramasser les limaces du potager. Lilette, ma petite,une dernire nuit! Puisse-t-elle te porter conseil, aimable fille,puisses-tu.

    ASTOLPHE, le poussant derrire la porte.

    Allons, bonsoir 1 Taisez-vous un peu. Vous nous empchezde parler srieusement. Vous tes n et vous mourrez fol.

    FLORE,dansunegrandervrence.

    Bonsoir, madame la marquise.

    ZLIE,emportantsonpanier.

    Bonsoir, ma petite. cris une gentille lettre. pas trop gen-tille cependant.. afin de supprimer les regrets inutiles. Tu

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    aurais d laisser Astolphe te faire le brouillon il crit ravir.

    ZPHIRIN,derrirela porte.

    Oui, ravir. ravir mme un amant au dsespoir-

    ASTOLPHE.

    Lilette Je compte sur toi. Mais, (il l'attire lui, l'embrasseetvoit dans sesyeux,des larmes) je vois que tu pleures, mon enfant.Sche tes larmes. Bientt tu n'en verseras plus et un douxcontentement t'habitera. Plus d'hsitations, plus de trouble, nide tourment. Demain seulement je prviendrai le marquis. Jeveux qu'il puisse tre certain de trouver son arrive bon etcharmant visage. Ma chrie, que cette nuit te donne la paix ducur, te dmontre dfinitivement toute la sagesse de nos rso-lutions et toute la folie de tes anciens projets. Demain matin, tu

    m'apporteras ta lettre et ton sort sera fix. Bonne nuit, ma

    petite. Nepleure pas. Je te jure que tu seras heureuse. (Solennel-lement.)N'tes-vous pas trop jolie pour la mdiocrit? Trop faible

    pour l'infortune? Trop enfantine pour la passion? Croyez-moi,acceptez l'abri somptueux et sr que vous a prpar votrevieil oncle. Ma chrie, la vie est longue et un instant de dchire-ment est vite oubli. Embrasse-moi et comprends combien jet'aime.

    Il la serre contre lui, l'embrasse et s'en va doucement et majes-tueusement.On entend, derrire la porte, de vieilles voix toutes falotes qui

    s'loignent avec les pas alourdis.

    C'est mon bougeoir. Mais non, c'est le mien. Prenezdonc garde vous allez mettre le feu mon bonnet. Ah! ceclair de lune, comme il fait un faux jour sur les marches del'escalier! C'est se rompre le cou. Tenez la rampe, machre. Ae mon vieux genou. Bonsoir. Bonsoir. Ademain. Qu'en pensez-vous? Nous donnerons au marquis lachambre orange.

    Puis tout se tait. Silence.Liktle vient s'asseoir prs du bureau ouvert et rve en regardant

    les papiers pars, le front dans sa main.

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    DEUXIME TABLEAU

    LILETTE, AUTRES PERSONNAGES.

    LILETTE, seule.

    0 mon amour! que vous dirai-je, que vous crirai-je? Moncher amour, vous dormez peut-tre ce soir, confiant en maparole donne, en ma tendresse, en ma ferveur Et je suisprte vous trahir! Mon ami chri, frre de mon enfance, quisembliez devoir tre, vous seul, l'amant et l'poux de ma jeu-nesse fidle et bienheureuse, un trange, un affreux devoirm'arrache vous l Car ces tres cruels, qui vous repoussentaujourd'hui et nous sparent, m'ont jadis recueillie et berce.Ma mre, en mourant, m'a confie eux. Cette famille quil'avait laisse partir durement et ne la reconnaissait qu'au seuilde la mort, cette famille m'a protge, nourrie, aime, gtec'est entre ses mains justes et svres que ma mre m'a remise son retour au foyer qu'elle avait quitt. Hlas 1 hlas!je doisobir. Me dchirer le cur, je le veux bien par reconnaissance,par devoir, par obissance envers eux. Mais vous, mon seulbonheur, en quel nom dois-je vous combattre et vous tuer?Vous, mon ami, en vertu de quelle vertu ai-je le devoir ou ledroit de trahir votre amour, de manquer mes promesses etde vous combler de dsespoir? Ah! Savinien, Savinien, que jesuis malheureuse 1 Est-ce que je ne suis pas trop jeune et troppetite encore pour tre aussi malheureuse que je le suis ce soir?(Ellepleure, puis tout coup relve la tte et coute. Et elle sourit dans seslarmes.)Les grillons! Comme ils chantent et crissent, ce pir!Ils font un bruit! Ah! je vais ouvrir toutes ces portes et cesfentres. On touffe ici. Et tout y est si sculaire et si com-

    pass que je ne suis pas bien sre de n'avoir pas cent ans depuistout ce chagrin.Tout en parlant, elle pousse rapidement battans et volets, et tout

    le clair de lune immense et bleu s'empare du vieux salon triste etferiquement le transforme les doux bruits nocturnes, mille petitesvoix mystrieuses se mlangent la lueur ple, aux parfums tn-bFeux, aux brises balances dans les feuillages noirs.

    LILETTE, les mains jointes, extasie.

    Oh! la belle nuitl la douce nuit! la nuit charmante! Par

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    une nuit si belle, comment peut-on faire pleurer une enfanttelle que moi? Comment peut-on n'tre pas jeune, amoureux,confiant et fou?

    Les grillons crissent de plus en plus fort et, trs distinctement, onentend leurs mille petites voix qui chuchotent trs vite dans lesherbes.

    LES GRILLONS.

    Ne dis pas oui. Ne dis pas oui. Ne dis pas oui. i, i, i.

    LILETTE,attentive.

    Il me semble que leurs voix ont un sens et qu'ils me disentquelque chose.

    `

    LES GRILLONS.

    Ne dis pas oui. Ne dis pas oui. Ne dis pas oui. i, i, i.

    LILETTE,charme.

    Ne dis pas oui. Voil ce qu'ils paraissent me conseillerfort clairement. Petits grillons, je vous adore.

    Et la belle pelouse bleue, toute frmissante de voix invisibles,elle envoie un grand baiser.

    LA BRISE, voluptueusement, de feuille en feuille.

    Nous ne voulons pas. Nous ne voulons. Nous ne voulonspas que tu veuilles.

    LILETTE.

    Ah! le vent m'a parl.

    LES PBTITES GRENOUILLES dans les douves ET LES CRAPAUD9cristallins.

    Ne l'pouse pas, ne l'pouse pas. pas. pas. pas.

    LILETTE

    Je deviens tout fait folle 1 Oncle Astolphe m'a tant parl,il a si fort malmen mon pauvre cur et ma pauvre tte, avecses vieux discours et ses conseils qui sont des ordres si durs, quemaintenant je crois entendre de tous cts des avis contraires

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    TOMESU. 1917. 2

    aux siens et qui, en revanche, sont tout fait l'cho de mesdsirs secrets.Autour de la lampe, des phalnes tournent et aprs trois tourbil-

    Ions les voil ,qui grandissent, grandissent, deviennent presque hu-maines sans cesser d'tre papillons et qui dansent commedes femmesperdues.

    LES PHALNES.

    0 lumire Amour resplendissant, nous t'adorons 1 Nousvenons danser ta flamme. Nous avons vu nos surs brlerleurs ailes veloutes ta splendeur cruelle, mais notre tour,malgr tout, nous venons toi. Consume-nous, dtruis-nous,donne-nous cette mort ardente que nous souhaitons plus que lavie. 0 feu 1 Palpitement qui rayonne, illumine nos mes ph-mres et, aprs, nous voulons bien mourir.Les phalnes, une une, se taisent et tombent dans l'ombre,

    redevenues papillons. Les grillons, les grenouilles, les brises aussise taisent; mais faiblement les trois notes du rossignol commencent s'exhaler d'un arbre noir.

    LILETTE.

    0 nuit! Nuit pleine de voix et de mystres, toi qui depuistoujours endors ou ravis le monde et les tres obscurs, nuitd't toujours pareille, la jeunesse, nuit, sois-moi favorable 1Conseille-moi. Vois, puissante, combien je suis faible. Nuitternelle, tu le sais, je suis aussi peu durable que ces papillonsconsums et bientt je disparatrai dans tes ombres, petiteombre inconsolable. Parle-moi. Toi qui connais l'Amour etqui es son amie, dis-moi, douce tnbreuse, si je dois couterce que mes vieux parens m'ont dit. Mais comment jugeraient-ils l'Amour mieux qu'ils ne te jugent, toi, parfume ils nesavent plus jouir de ton charme et de ton dlice, et quand lapremire toile brille ton front encore clair, vite ils fermenttous les volets et font contre les rhumes malicieux des conjura-tions magiques. Ils ne sont plus assez srs d'exister pour chrircomme moi tous les prils obscurs qui exaltent mon curvivace. Nuit O tendre nuit Je voudrais mourir. Emporte-moi dans les plis de tes voiles, et si je ne dois pas connatre lebonheur, ah 1 donne-moi l'oubli, veux-tu? dans une mort qui teressemble.

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    Alors un chant merveilleusement ardent et triste, la fois vh-ment, bienheureux et dsespr, transperse le silence bleu, comme lavoix mme de la jeunesse. Et Lilette voit qu'un sombre jeune homme.vtu de brun, est assis sur le rebord d'une fentre et joue d'un violonnoir o frmit toute l'me des amans terrestres. Et Lilette comprendque c'est le rossignol. Et elle devine quelques-uns des mots du chantpieux et doux.

    LE ROSSIGNOL.

    Tendre sur des nocturnes roses, imite-les verse ton metout entire, et tous les parfums de la nature joins tes par-fums. Tu ne t'appartiens pas, enfant, tu es cre pour joindreton ardeur la grande lumire et te confondre l'harmonie deschoses dont tu es une note attendue. Ton heure d'amour estvenue, ah 1 sache la vivre sans en perdre une minute sacre.C'est cela ton devoir, c'est cela ton destin. Ce que tu devien-dras ensuite, que t'importe? T'effeuilleras-tu dans la briserefroidie, ou t'panouiras-tu par des matins rayonnans? 0fille d'une race phmre, ne le demande pas et, comme l'toileet la fleur, comme l'insecte et l'oiseau, aime 1 Tout tre peutmourir s'il a connu l'amour.

    Lilette perdue, coute, coute, coute encore, lorsqu' une autrefentre une voix l'appelle, une voix suave comme une fleur, dans unsouffle embaum.

    LA ROSE.

    Ah ma sur, comme il chante bien ce soir, Ht comme jesuis muel Mon cur a tellement battu que je me suis panouied'un seul coup, de langueur et d'espoir. Demain, le vent du

    petit matin me trouvera tellement dfaite et bouleverse qu'ilm'effeuillera distraitement et que, de ce qui fut ce soir unecrature de chair et d'odeur, d'amour et de joie, rien ne restera.Mais au jour, une autre corolle s'panouira ce mme rosier etles amoureuses pourront encore cueillir des roses. Donc, toutest bien et je sens que je pourrai me disperser voluptueusementavec cette gnrosit rsigne des fleurs qui ont accompli leurtche sur cette terre j'ai aim et j'ai vcu, j'ai frmi toutesles brises charges de pollen, je me suis penche sous l'orage,j'ai accueilli l'abeille et le papillon, j'ai berc la ctoine et sup-port le scarabe, connu la clart de la lune et du soleil, la

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.:

    fracheur de la rose et de la pluie, la caresse de la brume. etj'ai inlassablement, nuit et jour, toute heure, donn tout monarome et tout mon miel. Je puis mourir. Mais que vois-je?,Chose inoue 1 Je vois marcher le vieux cyprs.

    LE VIEUXCYPRS..

    Petite qui vivez, venez au seuil de la maison, car je suisbien trop grand pour entrer dans la chambre; je suis venu versvous, travers la route et le pr, tranant mes racines puis-santes o mes pas enchans s'entravent. Je suis le vieux

    cyprs qui rve au coin du cimetire endormi, et la Nuit,ma mre, m'a dit Mon fils, allez de ma part trouver cetteenfant et lui prouver que les vieillards ne sont pas tous sem-blables au grand-oncle Astolplle, et soyez, vieil arbre, plushumain pour elle qu'un homme. Arrachez-vous du sol ensouffrant, afin de lui porter, vous aussi, une des voix de la natureternelle. Petite, venez un peu, car j'ai peur de rveiller tousceux qui dorment ici et j'ai au contraire l'habitude de veillersur de noirs repos. Mes branches heurtent le toit. Je ne peuxavancer davantage. (Lilettecourtau seuilde la porteet voitlenoir cyprsluitendre ses grandsbras feuillus.)Petite enfant, la vie est brve et seulssont immortels, dans les espaces que l'esprit humain ignore etne peut pressentir, ceux et celles qui, pendant les instants deleur vie d'en bas, ne furent vraiment que tendresse et amour. Les autres dorment sombrement, car leurs mes n'ont pas su

    quitter la terre. N'coute pas ceux-l qui veulent te faire existerselon les absurdes rgles de leur raison. Tout est pass avantd'avoir compris que tout passe. Un seul instant t'est donn pourchoisir. Petite qui vivez, aimez si vous voulez vous sur-vivre.

    Et le vieux cyprs s'en va; ayant de nouveau bien sagement serrcontre son tronc ses noirs feuillages qu'il avait tendus vers Lilette;il est si grand qu'il semble avoir perc de sa cime un coin du ciel,o, dchirure tincelante, malgr le clair de lune, rve une toile.

    L'TOILE,qui descenden se balanant et se pose, comme un oiseaude feu.une seuleminute, la pointedu cypserrant.

    Bonsoir! bonsoir! bien-aime; un seul bonsoir en passant,car la lune est jalouse et ne permet pas aux astres de trop

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    briller quand elle est l. Sais-tu, ma chre, qui je suis? Je suisle monde o vivent tous les rves et songes d'amour, carl'amour est si puissant qu'il donne la vie toutes choses, mme des rves. Donc, ne le crains pas, ou plutt crains-le. Ne*l'offense pas, et quand il te tend les bras, petite fille, cours bienvite et dis-lui poliment bonjour.Et riant, brillant, palpitant, l'toile file. Car au seuil du salon

    enchant Madamela Lune et Madamela Nuit se font des mines et despolitesses.

    LA NUIT.i

    Entrez, ma chre, et je viendrai quand vous serez partie.

    LALUNE.

    Pourquoi donc? Entrez. Vous pouvez occuper toute cettechambre. Je me contenterai trs bien de ce miroir et de ce petitcoin que j'illuminerai.

    LA NUIT.;

    Point. Entrez la premire.

    LA LUNE.

    Je n'en ferai rien.Etla grandetranede sa robebleuit et argentetout le sol dans

    lescassuresdsarvrence.

    LA NUIT.

    Entrez, vous dis-je, et puis allez-vous-en tout fait, car jeveux tre seule avec cette petite fille.

    LA LUNE.

    J'obis donc.

    Et elle entre, resplendissante et nacre. Lilette, tendue dans ungrand fauteuil, consciente demi, attend anxieusement d'autresmirages.

    LA LUNE.

    Bonsoir, ma mie. Je dsirais vous dire aussi mon petit motd'amiti. J'aurais bien \oj1u vous voir partir d'ici et vous guider

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    vers un heureux jour, mais ce rle ne m'est pas rserv. Jevous montre seulement du bout d'un rayon cette feuille depapier lettre, sur laquelle vous devez, je crois, crire quelquechose. Dpchez-vous, car maintenant les heures sont compteset bientt la maison s'veillera. Soyez heureuse, Lilette, croyez-en ma vieille exprience. Elle est beaucoup plus vieille que cellede grand-oncle Astolphe. J'ai connu beaucoup de choses et pasmal de gens. Eh bien, les amoureux sont vraiment les seuls per-sonnages un peu sympathiques que j'aie vus s'agiter sur cetteplante bizarre. Et l'amour dont on vous a dit grand mal est,quand on sait le prendre, un dieu dlicieux. Retenez bien cela.Il ne se ve,nge que des orgueilleux qui lui rsistent et lui fontmauvaise rputation, et joue quelques farces aux gens demchant caractre. Mais vous, ma chre, ah! comme il vousaimera! Car vous ressemblez Psych. Et tenez Cela mefait songer que vous allez vous brler en teignant cette lampequi charbonne encore. Je vais vous la faire souffler par unepetite brise. Aussi bien, Madame la Nuit veut tre seule aveevous. Bonsoir.

    La lampe grsille et s'teint. Le clair de luno s'apaise et parat sevoiler de bleu sombre. La Nuit aux cheveux violets entre mystrieu-sement.

    LA NUIT.

    Tu m'as appele, enfant charmante, ton secours, et mevoici. Toi qui croyais aux choses invisibles, aux prsences mys-trieuses, aux influences naturelles, je t'ai laiss comprendreun soir quelques-unes des voix sans nombre que les tres dis-traits ne savent pas saisir, ne veulent pas couter. Lilette, vavers ta destine le puissant Amour t'aime et veillera sur toiparce que ton cur est candide et ton me crdule, et surcelles-l qui ne savent que tout donner les dieux attendris ontveill toujours.Elle se penche et donne Lilette un baiser. Lajeune fille tressaille

    et s'veille tout fait.

    LA NUIT.

    Lune, un instant! 1

    La lune reparat et claire, sur le bureau, l'critoire.

  • REVUE DES DEUX MONDES.;

    LILETTEse lve, passela main sur son front,puis,d'unseul trait, crit

    Meschers parens, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour vous obir,mais la nuit m'a port conseil. Pardonnez-moi. Je pars. Jevais rejoindre Savinien. Adieu. Lilette.

    Et mle aux voiles de la nuit, suivant le chemin irrel que luitrace le dernier rais de lune, Lilette s'enfuit.

    TROISIME TABLEAU

    SCNE PREMIRE

    ASTOLPHE, puis FLORE.

    Dans le clair de lune dclinant, le salon garde encore un myst-rieux aspect de rve. La porte s'ouvre et grand-oncle Astolphe enrobe de chambre fleurs et en bonnet de nuit, entre en se cognantaux meubles.

    ASTOLPHE.

    Quelle trange nuit! Je ne sais ce que je ressens, mais jen'ai pu dormir. Je n'ai jamais vu de plus beau clair de lune, et

    je ne sais pourquoi dans cette insomnie argente j'ai pens des heures de ma jeunesse. Un attendrissement m'a serr lecur. J'ai eu piti de cette enfant. Pourquoi lui ai-je conseillce mariage?. Pourquoi m'a-t-elle cout?. Je ne suis plustrs sr d'avoir bien fait et je crains d'avoir des remords.Aussi je viens la chercher, lui parler encore. Il faut bien que jelui avoue certaines autres choses. Ah 1 que lui ai-je dit del'amour? N'ai-je pas commis l une profanation, un sacrilge?Et qui de nous peut se juger assez sage pour conseiller lasagesse, ou ce qu'on croit la sagesse? En ralit, tout ce quin'est pas le bonheur n'est-il pas absurde et vain? Et ne serait-il

    pas mieux que je fusse mort avant d'avoir conduit cette enfantinnocente vers je ne sais quoi d'irrparablement raisonnable?.Mais o est-elle? Elle n'est plus l. Je ne l'ai pourtant pasentendue monter sa chambre.

    Pendant qu'il monologue et se cogne aux meubles, marraineFlore est entre son tour et il l'entend.

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    ASTOLPHE.

    Est-ce toi, petite Lilette?

    FLORE, timidement.

    Non, Astolphe, c'est moi. Il faut que vous m'excusiez. Neme grondez pas. Je m'inquitais d'elle.

    ASTOLPHE.

    Comme moi. (Il lui prendla maindansl'ombre).Pourquoi trem-blez-vous? Ah! ma pauvre petite Flore, vous avez bien peur duvieil Astolphe, n'est-ce pas?

    FLORE, d'une jeune voix.

    Oui, j'ai peur de vous depuis que je vous ai tant aim etque vous m'avez fait tant de peine. J'y repense ce soir, et jene sais pas pourquoi. Car c'est si loin Avez-vous entendu lerossignol? Il m'a sembl que j'avais encore dix-huit ans, ettoute ma dpuleur passe m'est si dlicieusement revenue dansl'me que j'ai pleur.

    ASTOLPHE, mu et pleurant lui-mme.

    Ah! mon amie, ma petite Flore d'autrefois, comment avons-nous le cur tous les jours assez. teint, pour ne, pas plus sou-vent pleurer sur nos amours passes? Combien je vous aimais,mon amour1.

    FLORE.

    Combien je vous aimais!

    ASTOLPHE.

    Ma famille s'opposa si violemment notre mariage, que jedus renoncer vous et que j'pousai Zlie. Je ne m'en suisjamais consol, pas plus que de votre peinte, et je ne le savaisplus. Et puis, Flore, cette enfant. cette nuit d't. ces par-fums, ce clair de lune. (ilpleure.)

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    FLORE.

    Ne pleurez pas, mon ami chri, ne pleurez pas. Je ne vousen voulus jamais et la preuve en est qu'aprs mon veuvage jevins vivre non loin de vous, et que notre amiti nous consolade nos tendresses vaines. Et puis, savez-vous bien, Astolphe?Eh bien, la douleur que j'eus par vous, ce chagrin d'amour,ce dernier baiser. c'est. c'est. je peux bien vous le direaujourd'hui. le plus beau souvenir de ma vie.

    ASTOLPHE, la serrant dans ses bras.

    Flore ma petite Flore bien-aime ce soir je me souviens,moi, d'un matin o tu cueillais des fleurs dans la rose. Jet'aimais tant que je sautai dans le jardin, de ma fentre, cardescendre l'escalier me paraissait vraiment trop long, et jecourus dans tes bras si violemment que j'effeuillai toutes tesroses. Eh bien, pour ta bouche et ta fracheur et la jeuneivresse de cet instantensoleill, mon amie, sois bnie jamais,et pour tout l'amour que j'avais de toi et que je ne sus pasrendre heureux, sois bnie, car rien ensuite, entends-tu, rienau monde ne m'a jamais rendu l'ivresse de cet espoir. de cebonheur.

    Ils s'enlacent tendrement et l'on ne sait pins dans la nuit s'ils sontvieux ou s'ils sont jeunes. Brusquement, un furtif rayon de lunemontre la feuille de papier sur le bureau ouvert.

    FLORE.,

    Lilette a crit. Astolphe, voyez 1

    A eux deux, sous le rayon qui cligne et qui semble leur dire Dpchez-vous ils dchiffrent le billet et s'crient ensemble avecjoie

    FLORE, ASTOLPHE.:

    Dieu soit lou Elle n'a coul que son cur 1 Courons!(Prparons-nous! tchons de la rejoindre et de la conduire Savinien.Et comme deux petits fous, se tenant par la main, ils sortent en

    courant dans la nuit bleue.

  • LA NUIT porte Conseil.;

    SCNE II

    ZPHIRIN, puis ZLIE.

    A peine sont-il partis que l'ami Zphirin, coiff d'un foulard cornes et tenant un chandelier la main, parat. Les pans de sa robede chambre en velours pense flottent sur ses jambes maigres. Il estchauss de pantoufles vertes. Les cornes de son foulard font desombres fantastiques. La flamme de sa bougie lutte avec le clair delune finissant et il danse en fredonnant le motif passionn du chantde violon qu'il a d entendre un peu tout l'heure, quand le rossignolchantait pour Lilette.

    2EPHIRIN.,

    Ah 1 quelle nuit D'o vient cette musique ineffable ? J'aivingt ans les jasmins qui encadrent ma fentre chuchotent de sidouces choses que j'ai fini par comprendre mon devoir. Je doisparler Lilette, lui dire. Oui! pourquoi ne l'ai-je pas fait,n'ai-je pas os? Ce vieil Astolphe empchait les mots de sortirde ma gorge. Et pourtant, quand nous sommes partis, la lais-sant seule, si raisonnable, si dcide, si paisible dans sa rso-lution pouvantable. ah 1 il m'a sembl que j'avais aid commettre un crime. Mais o est-elle, cette enfant? Elle n'est

    plus l. Et pourtant, elle n'est pas couche. Pourvu qu'ellene soit pas alle se jeter dans l'tang I MonDieu I mon Dieu!Mais non! La nuit tait trop belle. Quelle nuit! Ah!1 nuit,vous tes une nuit d'amour. J'ai beau me savoir tout vieux,tout seul et tout dsenchant, je sens que vous tes, nuit, toutalourdie de promesses, tout embaume de ferveur, tout alanguiede dlices. Amour! seul dieu rel des humains imparfaits,comment permets-tu les blasphmes? Car ces vieux fous, cesoir, ont mrit ta colre. Fais-la tomber sur nos ttes chenueset non sur le front charmant de la petite Lilette.

    A ce moment, tante Zlie, en peignoir rose, en bonnet et en rucheset en dentelles de jadis, entre pas menus.

    ZLIE.

    Mon Dieu! Que se passe-t-il? J'entends marcher dans tousles couloirs. J'ai rv qu'un coiffeur aux doigts bleus et verts

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    venait me coiffer et me forait tourner mes cheveux autourde mes limaces, en guise de bigoudis. Le froid visqueux de cesbtes sur mon front me rveilla, hrisse d'horreur! Je suissre que le clair de lune me donna ce rve pour se venger dece que je ne sus pas l'admirer ce soir. de ce que je ne sus pasobliger Astolphe laisser Lilette libre de dire Non aux

    propositions du marquis et libre d'pouser Savinien. (Ellesoupire.)Ah les mariages de raison ne sont pas tellement heureux quel'on veuille les multiplier , l'infini. et une folie vaut bienune btise. Pourquoi chacun veut-il, la fin de sa vie, imposer autrui les sacrifices qu'il dut subir dans son jeune temps?Serait-ce pour se persuader que nul n'chappe une communeloi de triste malentendu et afin de s'pargner de suprmes,de dchirans regrets ? Ah 1 cela n'est pas bien Et je veux dire cette petite.

    ZPHIRIN*

    Vous parlez bien mieux, quand vous tes toute seule, Zlie,et je suis tout attendri par ce que je viens d'entendre.

    ZLIE.

    Ahl Zphirin, vous aussi, vous avez eu la mme pense!Oui, vieil ami! Nous fmes assez malheureux! Que Lilette aumoins soit heureuse! 1

    ZPHIRIN, trs passionn.

    Sivous aviez voulu, Zliel1

    ZLIB.

    Si vous aviez su, Zphirin I

    ZPHIRIN.

    Si nous avions osl Ahl Zlie, dans ce temps-l vous neramassiez pas les limaces et je ne passais pas pour un vieux fou,je n'tais qu'un jeune imbcile. Nous nous sommes inclinssous d'autres volonts que les ntres, et nous avons t bien

    punis, car la moralit de cette comdie c'est que personne n'at heureux et que rien dans ce triste monde ne fut amlior

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    ni transform par nos soumissions inutiles. Nos parens nouscrurent de bons petits btas bien obissans et ne nous en esti-mrent pas davantage. Quant l'Amour, le seul de nos aeux

    auquel notre jeunesse devait obissance, il ne nous a jamaispardonn..

    ZLIE.Hlas 1

    zmiRiN.

    Hlas 1ZLIE.

    Au moins, que Lilette soit heureuse.

    La bougie grsille dans le chandelier. La lettre apparat sur lebureau.

    ZPHIRIN.

    Ah! elle a crit! Voyez! Lisons, Zlie.

    Et tous deux, la flamme expirante lisent haute voix le billet etB'crient

    ZLIE, ZPHIRTN.

    Dieu soit lou! Dieu soit lou 1 Elle n'a rien cout de toutce qu'on lui a dit. Comme elle a raison! Comme on l'aime,cette chrie! Puisse-t-elle tre heureuse aussi longtemps quenous avons vcu sans bonheur.

    Et comme ils prononcent ces souhaits tendres et mlancoliques,la voix du violon mystrieux se fait entendre de nouveau, puissante,adorable et dsespro. Les deux vieux redevenus jeunes dans l'aubequi blanchit le jardin s'en vont, lgers comme des ombres, endansant, par les alles plissantes.

    SCNE III

    L'AMOUR, L'AUBE.

    La bougie grsille et s'teint, en faisant clater la bobche. Alors,entre les plis d'un rideau, un bruissement d'ailes, et le dploiementsur des pieds lumineux d'une tunique pourpre rvle la prsencede l'Amour. En mme temps, par la fentre entre l'Aube. Elle estvtue de gris et de blanc et joue avec un voile lilas. Elle s'avanceavec beaucoup de timidit.

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    L'AMOUR, souriant et beau.

    Bonjour, chre Aube.

    l'aube.

    Que tu es aimable aujourd'huil D'habitude, tu me maudiset m'appelles importune, mchante, htive, et tu me sommes derester dehors sans montrer mon visage au carreau. Qu'est-ildonc arriv?

    l'amoub.i i,

    J'ai besoin de toi. Je viens de passer une charmante nuit.Je ne me suis pas montr, mais j'tais prsent en touteschoses dans les voix, les chants, les parfums, l'ombre et lesrayons, j'tais l. Et une fois de plus j'ai ^incu et j'airendu follement amoureuse de moi la plus tendre jeune fillequi jamais.

    L'AUBE, l'interrompant.

    Tu dis toujours cela. Et pourtant Jupiter sait si depuisPsych.i

    L'AMOUR.

    Chut! Tais-toil. Elle est adorable. Ensuite, j'ai fort indul-gemment puni les vieux fous qui se sont permis de dire dumal de moi et qui, pour me drober cette charmante crature,voulaient la marier un vnrable libertin. Ahl les mariagesarrangs par les famillesl Qu'en,dis-tu?

    l'aube.,

    J'en ai toujours pli.

    l'amour..

    Donc j'ai rendu ces vieillards le got de leurs tendresdouleurs.

    L'AUBE.

    Ah! quelle heureuse peine! Tu n'es pas toujours aussibon et doux.

  • LA NUIT PORTE CONSEIL.

    Je me sens trs attendri et un peu fatigu. Mais, chreAube, puisque la Nuit est couche, il faut que je te confieLilette et que tu la transportes avant l'aurore, sans lassitude etsans peine, dans un tat de rve bienheureux, jusqu'au seuil deson Savinien. Elle est au pied du cyprs, sur la route, et dj serepose. Ne la laisse pas se fatiguer et s'attrister. Car ses piedssont trs petits et son me est enfantine..

    J'y cours.;1

    Soigne-la bjen..fl Quant moi, ayant, comme partout ettoujours, triomph, et prouv aux vaniteux humains que nuln'chappe ma loi puissante, je vole d'autres soins. ChreAube! ma journe est si particulirement occupe que jamaisje n'aurai le temps d'accomplir tout ce que je dois. Je terecommande encore Lilette. Merci. Merci. et adieu.

    Et dans le vaste et doux bruit d'un grand essor, l'Amour montedans le ciel ple qu'il rougit et dore, soleil levant, cependant quel'Aube, obissante et timide, s'enfuit.

    L'AMOUR.

    l'aube.,

    L'AMOUR.

    GRARD D'HOUVILLE.

  • L'NIGMEDEGHARLEROI"

    II

    LA MANUVRE EN RETRAITE

    LES COMBATS DE LA SAMBRE DANS LEURS RAPPORTS

    AVEC LA BATAILLE DES FRONTIRES

    V. RSULTATSSTRATGIQUESETTACTIQUESDESCOMBATSDELASAMBRE

    Les rsultats immdiats des combats de la Sambre sontd'ordre tactique et d'ordre stratgique.

    Au point de vue tactique, les Allemands ayant pris l'avantageet surpris les armes allies, les ont battues successivementdans les fonds de Sambre le 21 aot 1914, sur les hauteurs deSambre le 22 et le 23, et dans la rgion de Mons le 23 aprs-midi. Mais l'arme von Ilausen, qui avait commenc le passagede la Meuse Hastire-Onhaye pour couper les communicationsde la S8 arme, a t rejete par le 1er corps, le 23 au soir, et, l'autre aile, les troupes de couverture allemandes, qui ten-taient de continuer le grand mouvement tournant vers la mer,ont t arrtes Tournai et en avant de Lille.

    Le commandant de l'arme britannique et le commandant dela 5e arme franaise ont donn l'ordre de la retraite, le premierle 23 cinq heures, l'autre le 23 neuf heures du soir. Laretraite qui s'en est suivie a t marque par de violens enga-

    (i) Voyezla Revuedu i5 aot1917.

  • l'nigme DE charleroi.1

    gemens, notamment entre l'arme britannique et l'arme vonKluck. Le 25 aot au soir, les corps des armes allies, par unmouvement gnral, direction du Sud-Ouest, taient ramenssur la frontire franaise.

    Telles sont, au point de vue tactique, les grandes lignes dela Bataille de Charleroi ou, plus exactement, des Combatsde la Sambre. Des trois places fortes qui consolidaient, en

    quelque sorte, le front de la Sambre, Namur a succomb, Mau-

    beuge est assige, Lille, dclare ville ouverte, est la mercid'une patrouille de uhlans.

    La victoire allemande est incontestable. Les chefs eurent

    l'impression profonde d'un succs inou, inespr. La manuvre,emprunte aux conceptions de von Schlieffen, la surprise, siadroitement mnage, avaient donc produit leur effet. Lesarmes allies taient battues; mises en fuite, elles ne tenaientnulle part. Le rsultat tait acquis srement et brutalement,selon les termes de la prvision de Schlieffen, comme dansla cour de la caserne, comme l'cole de bataillon. Certes,les pertes avaient t terribles de part et d'autre, mais qu'impor-tait ? La victoire payait largement le sang des hommes, les

    risques courus, les annes de savante prparation, les sacrifices

    que l'Allemagne s'tait imposs pour devenir une 'puissancede guerre irrsistible. Et elle l'tait, en effet. Au premier choc,la supriorit de sa stratgie, la supriorit de sa tactique, deses armemens, de ses soldats s'affirmait. Les neutres, lesennemis eux-mmes n'avaient qu' s'incliner.

    Un enivrement d'orgueil gonfla le cur des troupes et ducommandement lui-mme quand fut dmontre et quand se

    propagea de bouche en bouche la certitude du succs par lamanuvre du grand mouvement tournant. Cette victoire etle retentissement qu'elle eut dans les deux camps donnrent l'empereur Guillaume et aux gnraux qui avaient jou leurva-tout en Belgique la conviction qu'ils tenaient la matrise dela guerre., Napolon et le vieux Moltke n'eussent pas faitmieux. La bataille de Charleroi tait la solution, en quelquesorte mathmatique, obtenue par l'opration gniale et siessentiellement allemande, dont la tradition, venue de Fr-dric, s'tait transmise par Schlieffen Guillaume. Audace etbrutalit, flonie et ruse, le lion et le renard, c'tait tout l'ac-

    quis de l'art politique et de l'art militaire rsum en une jeule

  • l'nigme DE ciiarleroi.

    iome XLI. 1917. a

    formule. Le dploiement soudain par la Belgique et par la rivegauche de la Meuse avait assur, ds la premire rencontre, lesuccs. L'intelligence allemande tordait son gr les rglesattardes des rapports internationaux et de la morale publique.Les traits ne valaient que pour le temps o l'on avait intrt les respecter; une stratgie suprieure ignorait les frontires despetits Etats. On riait plein gosier, au Grand Quartier Gnralallemand, en songeant la surprise de l'Angleterre, de laFrance et de la Belgique. La prparation et l'excution taient

    magnifiquement agences, justes dans tous les sens du mot,puisqu'elles avaient russi. La conqute de la Belgique en trois

    jours, c'tait un bnfice qui, lui seul, payait la guerre; et

    puis, les armes franaises en droute,- la poursuite ininter-rompue ramassant armes et prisonniers, la France envahie, lenach Paris, qui n'tait la veille qu'un rve de soldat, entrantdans les prvisions immdiates des tats-majors! Des faitsacquis, des suites entrevues une fume d'orgueil s'leva qui,du cur gonfl, gagna jusqu' l'intelligence.

    Mme si l'adversaire se replie par ordre, on n'admet pasqu'il puisse se reprendre. Il est battu il fuit. On n'a qu'foncer sur ses talons et l'achever.

    Avec plus de sang-froid, les vnemens eussent t consi-drs dans leur vritable caractre et, puisque SchlielTen taittle matre respect, ses propres observations, s'appliquant des cas semblables, se fussent prsentes l'esprit de ses

    disciples. Les rsultats d'une telle manoeuvre, avait-il crit lui-

    mme dans son article Cann, ne sont que faibles, mme dansle cas le plus favorable, si elle n'aboutit pas une rupture et l'encerclement. Sans doute l'ennemi est repouss, mais il pr-sentera de nouveau, quelque temps de l, sur un autre ter-rain, la rsistance laquelle il a momentanment renonc.La campagne trane en longueur. Mais ces guerres-l sontdevenues impossibles, une poque o l'existence de la nation

    repose sur la marche ininterrompue du commerce et de l'indus-trie, o il est indispensable qu'une rapide dcision remette enmouvement les rouages arrts. Il n'est pas possible de fairede la stratgie d'puisement quand l'entretien de millionsd'hommes entraine des milliards de dpenses.

    Les ides de Schlicffen avaient t appliques, mais le

  • REVUE DES DEUX MONDES-

    rsultat qu'il exigeait, complet, immdiat, n'tait pas obtenu..A la suite de l'extraordinaire effort demand aux troupes

    allemandes, malgr le bnfice de l'initiative et de la surprise,si le succs tactique ne s'tait pas refus, le succs stratgiquerestait douteux. En fait, les armes allies n'taient ni tournes,ni coupes, ni dtruites.

    Les armes allies ne sont pas tournes. Ni les armes alle-mandes n'ont atteint, selon leur dessein, Dunkerque et Calais,ni elles n'ont rompu le barrage constitu par l'arme d'Amade.Elles ont manqu d'audace; peut-tre bout de souffle, elles sesont arrtes devant l'obstacle, imprvu pour elles, qui leur tait

    oppos. La vue si judicieuse du gnral Joffre qui, si l'on vaau fond des choses, inaugure ainsi, ds le 16 aot, la manuvre,de flanc, initiatrice de la bataille de la Marne a fourni, du tacau tac, une riposte au coup de la surprise et de la trahison. C'estla contre-surprise. Jusqu' la fin de la bataille des Frontires,elle va contenir von Kluck et mme le dborder.

    Aux premires heures, l'aveuglement des chefs allemandsles empche de dmler cette sage escrime et de deviner sessuites; mais ils seront bien obligs de l'admettre par la suite.C'est un crivain militaire allemand que nous empruntons cetteconclusion C'tait, sans nul doute, l'intention de voit Khicktde couper French du cal de la cte et de rejeter ses troupessur Maubeuge. Si la retraite de French a pu s' accomplir dansun certain ordre, les Anglais le doivent au gnral d'Amade

    qui, avec la 61e et la 62" divisions de rserve (ajoutez les quatredivisions territoriales), se tenait prs d'Arras et menaait le flancdroit de l'arme allemande. (Kircheisen, fasc. 20.)

    "Menaait le flanc droit de l'arme allemande. tout estl l'enveloppement est reconnu. D'ailleurs, les faits parlent.Que von Kluck ft ou non exactement renseign sur les forces

    que ses avant-gardes rencontrent Tournai et qui protgentLille, Dunkerque, Calais, son tat-major constate la prsenced'une arme sur sou flanc droit; il suspend sa course versl'Ouest et se rabat, la suite des armes allies, vers le Sud. Il

    manque Lille, Dunkerque, Calais, la mer; il manque ledbouch prescrit sur Amiens et sur la valle de la Seine l'Ouestde Paris. Le grand mouvement avorte. Plus tard, il est vrai,on retrouvera Lille et Douai; mais Dunkerque, Calais, le Havre,on ne les aura pas.

  • l'nigme DE charleroi.

    L'arme allie n'est pas tourne et elle n'est pas coupe.Tel tait cependant le plan, subsidiaire peut-tre, mais nonmoins soigneusement combin, du grand tat-major allemand.

    Dans la prparation du pige, les armes allemandesavaient t, ainsi que nous l'avons indiqu, gardes le plus long-temps possible dans le Luxembourg belge et le duch du Luxem-bourg, et comme caches dans les forts des Ardennes. Puis lemouvement tournant s'tait dclench, et les 2e et lte armess'taient mises en marche. Cependant une arme, un peu moinsimportante en nombre, tait reste pour ainsi dire au nidc'tait l'arme saxonne, l'arme von Hausen. Le projet del'tat-major allemand tait de la dtendre comme un ressort l'heure opportune en la dardant sur la Meuse la jonction denotre 4e arme (de Langlo de Cary) et de notre 5e arme (Lan-rezac). L, elle devait passer la Meuse vers Dinant, Hastire,Montherm, rompre la ligne franaise etsejetersur les commu-nications de la 5e arme, tandis que celle-ci serait encoreengage dans los combats de front contre Blow et Kluck.Projet conu avec une sagacit redontable et si soigneusementexcut que notre haut commandement ne connut l'existencede l'arme von Hausen que quand elle eut dbouch.

    Mais, de ce ct encore, le gnral JotFre, ds le dbut,avait par. Son sentiment formel tait qu'il ne fallait, aucun

    prix, laisser se produire un vide quelconque entre sa 5e et sa-4e arme. Aussi, avec une insistance remarquable et qui formele trait principal de ses instructions ritres, il s'tait refustoujours laisser la oe arme s'ioigner vers l'Ouest ouremonter trop au Nord et il avait confi le soin de garder cescontacts ce que ses armes comptaient de plus solide, le1ercorps de la 5e arme et le 9e corps de la 4e arme, renforcs

    par la 52e et la 51e divisions de rserve.Si bien que, quand l'arme von Hausen se prsente, elle

    trouve qui parler. Les faits exposs dans YHistoire de la

    guerre de 1914 tablissent que le 9e corps (gnral Dubois)contient l'arme von Hausen vers le Sud, que la divisionde rserve (gnral Coquet) l'empche de dboucher au centreet que, comme cette arme a franchi la Meuse, le 23, enrefoulant la 51e division de rserve, Hastire-Onhaye, le1er corps (gnral Franchet d'Esprey) se retourne vers elle d'un

    superbe mouvement et jette l'avant-garde du XIIe corps saxon

  • REVUE DES DEUX MONDES*

    la rivire. Si l'arme allemande et pass, tout tait compromismais elle ne passe pas. Dsormais, le ge corps, puis d'autres unitsqui vont former la 9e arme Foch, se sont accrochs ses flancs,et, jusqu' la bataille de la Marne, ils ne la lcheront pas.

    Ici encore, nous avons l'aveu des Allemands l'erreur devon Hausen, qui le fit bientt carter des cadres de l'arme,est apprcie en ces termes Ce n'est que le 93 aot que laMeuse fut franchie. Si Vtat-major de la III" arme (armesaxonne von Bausen) avait pris de meilleures dispositions, le

    passage de la Meuse aurait pu tre effectu bien plus vite. Ceretard a, sans aucun doute, contribu aux insuccs de l'armeallemande au commencement de septembre et les forces alle-mandes marchant sur Paris ont d tre groupes diffremment.

    (Kircheison.)Enfin, l'arme allie n'avait pas l dtruite; c'tait le vri-

    table rsultat que se promettait la manoeuvre dcouvrir Paris,faire le chemin libre l'arme allemande de l'Ouest marchantau-devant de l'arme allemande de l'Est, celle-ci dbouchant

    par la Troue de Charmes.Or, ce but plus gnral tait aussi manqu. L'arme britan-

    nique et l'arme Lanrezac se retiraient par ordre on ramenaitmme.la garnison de Namur. La plupart des corps de l'armeallie taient intacts. Le fer corps ne s'tait engag que dans lecombat, considrable au point de vue stratgique, mais insi-

    gnifiant au point de vue tactique, d'IIastire-Onhaye; les corpsqui avaient t le plus prouvs, le 10e et le 3 corps, avaient,sauf un moment de dsarroi au 3e corps, conserv un moraleXcellent et une confiance inbranle. Le 18e corps ne s'taittrouv engag que le 23 et il tait rest sur l'impression d'unsuccs. Les deux divisions de rserve du gnral Valabrguen'avaient pas donn. Si le corps de cavalerie tait fatigu par sa

    grande randonne et les engagemens soutenus en Belgique, iltait dj remis par deux jours de repos et les services qu'ilallait rendre pendant la retraite prouveront qu'il n'tait rienmoins qu'ananti. L'arme britannique avait combattu quelquesheures, le 23, au Sud de Mons, et elle avait pris trs rapidementle parti de la retraite. Si les premires journes de cette retraiteavaient t assez dures, l'arme du marchal French, qui n'avaiteu qu'un peu plus de 2000 hommes hors de combat et se trou-vait renforce, le 25, par des troupes nouvelles, tait encore

  • l'nigme DE CHARLEROI.

    un adversaire redoutable pour le jour o elle se retournerait,L'arme d'Amade recevait continuellement des renforts et desarmes ses troupes s'habituaient au feu; d'ores et dj, elletait une grande gne pour l'extrme droite allemande.

    Non, ce n'tait pas une arme anantie les soldats pen-saient que les premiers engagemens ne prouvaient rien et quec'tait une affaire reprendre. Tous disaient, crivaient Nous n'y comprenons rien nous reculons et nous ne sommespas battus. Dans ce sens, les tmoignages abondent. Nous enciterons quelques-uns car il importe d'tablir cette vrit,qui, seule, explique les vnemens ultrieurs

    Un spectateur assiste la retraite du 1er corps

    Des pas nombreux, le bruit d'une troupe en marche. En longuecolonne, les 8 et 110e pntrent dans le village, marquant lacadence, l'arme sur l'paule. Ils ont encore fire mine, ces beauxrgimens, si prouvs en Belgique cependant, la fatigue des nuitssans sommeil la belle toile, des rudes journes de combat, estpeinte sur les traits des soldats; elle y accuse des rides profondes.(Le Mesnil, 25 aot.)

    Autre tmoignage venant d'un tranger faisant partie desservices de sant

    Nous marchons toute la journe, arrts souvent par des rgimensfranais qui dfilent en bon ordre. (Route de Couvin-Cendron,25 aot.)

    Autre tmoignage, provenant d'un civil franais appartenant une des municipalits de la frontire

    C'est la retraite qui commence l'artillerie venant de Macque-noise forme son parc au pied du fort; l'infanterie cantonne dans lesquartiers entre la gare et la mairie. A l'tat-major, on travaille sansrelche. Beaucoup de maisons sont fermes et cela rend difficile lelogement des officiers. Arrivent 11 heures du soir les logemensdes rgimens de zouaves; les fourriers harasss sont assis sur lesmarches de la mairie. On peroit chez eux un sentiment de sourdecolre d'une lutte ingale, du mcontentement, mais aussi une fermensolution de prendre leur revanche. Vers minuit, les rgimensarrivent un peu dcousus. On devine des troupes qui ont eu retraiter en pleine action. (Hirson, 25 aot.)

    L'arme reste en possession d'elle-mme. Ses chefs pour-ront obtenir d'elle tout ce qu'ils lui demanderont. Loin de se

  • REVUE DES DEUX MONDES.)

    sentir diminue, elle s'offrira plus aguerrie, plus exprimente,anime de cette ferrne rsolution de prendre sa revanche.

    C'est ce que le haut commandement allemand ycut ignorer,et ce que le haut commandement franais n'a qu' constater;et c'est pourquoi celui-ci ne considre pas la partie commeperdue et, comptant sur ses troupes, s'applique leur rendrel'initiative.

    VI. LA MANOEUVRE EN RETRAITE. LE GNRAL JOFFRE PREND SES

    DISPOSITIONS POUR LA FUTURE BATAILLE DE LA MARNE.

    INSTRUCTIONS DU 24-25 AOUT.

    Le gnral Joffre a son quartier gnral Vitry-le-Franois.Le temps est pass o un capitaine se portait cheval sur

    une colline, braquait sa lunette sur les accidens du terrain etles mouvemens des deux armes, faisait mouvoir le centre ou lesailes et produisait l'vnement par un ordre qui couronnait unemanoeuvre ou dnouait une situation. Le chef de guerre,aujourd'hui, est dans son cabinet. Autour de lui, son tat-majortravaille. Recevant, par un flot continu, les dpches et les

    tlgrammes, attentif aux coups de tlphone, les yeux fixssur les cartes aux traits accuss, le laboratoire de guerre coute,sans voir, le formidable arroi qui couvre, de son tumulte loin-tain, les immenses rgions o se dploie la bataille. Car labataille ne trouve son unit que l, entre les quatre mursd'un tat-major. Le chef est le seul tmoin total. 11comprend,ordonne, parle de loin. L'vnement se produit en lui, laseconde o sa prvision devient vision, o une succession

    rapide d'images, d'ides et de rflexions dtermine sa volont,et sa volont l'action.

    A la date du 23 aot, o se produisaient les vnemens de sla Sambre, Joffre tait peu connu des troupes et du pays. On lesavait un homme judicieux on connaissait sa belle carriremilitaire et ses nobles facults; on pensait qu'il appliquait un

    plan non pas sorti uniquement de son cerveau, mais fruit dulabeur persvrant des tats-majors; on ne savait rien de plus.Son automobile passe peu prs inaperue dans l'intense cir-culation des gnraux et des tats-majors. Il est le chef ano-

    nyme et sans visage. Dans les communiqus ou dans les jour-naux, son nom n'est jamais. prononc. Il circule, dlibre avec

  • l'nigme DE CHARLEROI.

    Je gouvernement, visite les quartiers gnraux, les chefs d'ar-me, coute et interroge les officiers de liaison.

    Son refuge est le grand quartier gnral de Vitry-le-Fran-ois. L, vers les btimens du collge o il est install, tousles fils convergent. Le gnral occupe le cabinet du proviseur.L'tat-major, ayant pour chef le gnral Belin, travaille dansune grande salle o, sur des tables de bois noir, les cartes sont.tales; de-ci, de-l, des bureaux; dans un coin, le lit de campo s'tend, quand l'norme labeur le lui permet, le gnralBerthelot.

    C'est l que, du 21 au 24 aot, arrive coup sur coup la sriedes mauvaises nouvelles la 2e et la lre armes battues Morhangeet Sarrebourg, en retraite sur la Mortagne et sur la Moselle;la 3e et la 4e armes, battues dans les Ardennes et forces dese replier sur la Meuse; la 5e arme et l'arme britanniquebattues dans la rgion de la Sambre et en retraite sur la fron-tire franaise.

    Comment, sous ces atteintes successives, va ragir le com-mandant en chef des armes franaises?Jusqu' cette heure, Joffre n'a pas eu le contact immdiat

    avec la volont des adversaires il a dvelopp son planmais les obstacles ne s'taient pas dresss devant lui. On peutdire qu'il n'avait pas encore pris conscience de lui-mme carla valeur individuelle ne se ralise que dans la difficult. Voicidonc que surgit la volont adverse elle se manifeste par legrand plan en tenaille, par le mouvement tournant, par lestrois batailles de l'Est, des Ardennes, de Charleroi qui, toutestrois, sont malheureuses pour nos armes. Ces rsultats crasent,pour ainsi dire, le plan franais sous le plan allemand et lebrisent en trois jours.

    Des tmoins ont racont qu' ces heures d'angoisse secrte,quand, seul, il pouvait connatre la grandeur du pril, le gnralJoffre resta pareil lui-mme, attentif, appliqu, laborieux,confiant. Son souci n'apparat qu' son application plus grande.L'il mi-clos, il tend son esprit, et les avis qui viennent verslui le trouvent silencieux.

    Les vertus de Joffre sont, dans l'ordre moral, le calme et,dans l'ordre intellectuel, l'quilibre. Telle est sa nature, o larflexion seconde l'instinct: quand il ne se sent pas d'aplomb,il cherche. Chaque modification qui se produit dans la balance

  • fiEVtJE DS DtJX MND.;

    des forces, il la sent, et se portant, en quelque sorte, de lui-mme au contrepoids, il refait ses calculs, redresse les ligneset n'est satisfait que quand il a restaur la stabilit.

    Dans la terrible conjoncture o il se trouve, l'oprationadverse ayant port soudainement l'Ouest des forces pluslourdes que celles qu'il a pu leur opposer, son premier mouve-ment est de chercher, sur ces donnes nouvelles, un quilibrenouveau. Avant mme que les faits soient entirement accom-

    plis, il intervient. Pas une minute, il ne s'attarde refaire unetrame dfaite, rapicer une situation dchire il taille pourrecoudre.Combien de chefs se fussent entts La lutte pied pied est

    une ressource qui tente les soldats, ne ft-ce que par son carac-tre hroque. Mais Joffre comprend qu'arrter ses armes, mme

    pour lutter, c'est risquer leur destruction avant tout, chapperpour reprendre. Donc, il voit et, en mme temps, il agit. Nettetet promptitude. Joffre se rvle lui-mme et au pays dansl'adversit. Sa figure apparat telle qu'elle restera dans l'his-toire grave, forte et rsolue. La France a trouv un homme,un chef, un capitaine. 1

    Pour les armes de l'Ouest, le premier ordre qui part, dsle 24, du grand quartier gnral, tablit clairement que le

    gnral en chef est dcid dsormais, malgr l'chec que sesarmes de l'Ouest viennent de subir, leur confier le sort de laFrance et 'leur transfrer dsormais la manuvre, c'est--direl'offensive.

    Jusqu' cette date, il avait manuvr par l'Est. Mais il sesent tranquille de ce ct ses dispositions sont prises et,d'ailleurs, la bataille de la Troue de Charmes va le rassurertout fait. Ce sont donc les armes de l'Ouest qui absorbenttoute son attention et, de ces armes disloques, il fait sonarme principale.

    Ce parti tant pris, il ne songe qu' les consolider pourtirer d'elles tout ce qu'elles peuvent rendre et leur demanderun effort dont l'ennemi certainement les croit incapables. La

    magnifique opration intellectuelle est l changer d'objectifen marche. Joffre 'a considr, sans trouble, la fois le pr-sent dans sa ralit et l'avenir tel que sa volont entend lecrer.

  • L'NIGME DE CHARLEROI.

    Ds le 24 aot, alors que la bataille de Charleroi est peinetermine et que la retraite commence dans les conditions les

    plus pnibles, Joffre dicte son plan nouveau La 5e arme a

    pour mission de reprendre l'offensive pendant que les autresarmes contiendront l'ennemi.

    ,Directive gnrale qui oppose aussitt la lumire et laconfiance au trouble et au dsarroi.

    Une directive subsidiaire prcise l'application elle ordonnede maintenir la liaison entre toutes nos armes de l'Ouestet notamment entre la 5 arme et l'arme britannique qui nedoit, aucun prix, tre abandonne elle-mme.

    En un mot ne pas tre coup, ne pas tre tourn. Voicil'ordre dat du 24 aot La 5e arme battra en retraite enprenant son point d'appui sur Maubeuge et en appuyant sadroite sur le massi f bois des Ardennes, en liaison avec la 4e arme

    qui replie sa gauche derrire la Meuse et avec l'arme anglaisedont la ligne de repli pourrait tre en direction gnrale deCambrai.

    Et cet ordre est transport aussitt sur le terrain ds le24 au soir, sous l'inspiration du haut commandement, le gnralde Langle de Cary ordonne au 98corps de se tenir prt dirigerla division marocaine sur Ilimogne pour continuer, avec la9' division de cavalerie, assurer la liaison avec la droite dela 5e aime. La 4e division de cavalerie passe la 5e arme pourassurer cette liaison. Et le 25, l'ordre gnral est donn La 4 arme s'tablir* demain sur la rive gauche de la Meuse,pour rsister en restant lie la gauche de la 5e arme.

    Ainsi, les forces allies, 4e arme, 5e arme, arme britan-nique, etc., cooprent en un tout fortement li; le mouvementgnral se fait, d'abord, dans une direction franchement Sud-Ouest, dont il est facile de comprendre les avantages lesarmes en retraite s'appuient, toutes ensemble, sur des obstaclesnaturels, la Meuse et l'Oise; elles protgent Paris; elles main-tiennent les contacts avec l'arme d'Amade et surtout, calanttoutes nos forces de l'Ouest sur elles-mmes, elles les ramnentvers leurs ressources et vers leurs renforts.]

    Ces premires dcisions prises en vue des situations imm-diates, le commandant en chef porte les yeux sur les vne-mens plus lointains et, en pleine dfaite, il trace les grandeslignes de la reprise qui bientt se transformera en victoire.

  • REVUE DES DEUX MONDES.!

    C'est en ces heures d'motion que furent rdiges, avec un calmeet une prcision incomparables, les deux instructions quieurent pour effet d'arracher l'initiative l'ennemi et qui chan-grent ainsi la face de la guerre.

    Par les faits eux-mmes, l'attention du gnral Joffre estattire sur les deux ordres d'ides qui sont les deux faces del'art militaire la tactique et la stratgie. Certainement lesdfaillances tactiques ont contribu la perte des premiresbatailles. C'est donc l qu'il faut, d'abord, dans la mesure dupossible, gurir le mal et prescrire le remde.

    Ds le 24, la leon, l'enseignement de cette nouvelle guerreest dgag par le chef pour tout le monde, gnraux et soldats.Le doigt est mis sur la plaie infanterie, artillerie, cavaleriereoivent, en quelques lignes, les directives nouvelles quidoivent dsormais rgler leur action commune

    NOTE POUR TOUTES LES ARMES

    AuGrandQuartierGnral,le24aot 19U.

    Il rsulte des renseignement recueillis par les combats livrs

    jusqu' ce jour que les attaques ne sont pas excutes par unecombinaison intime de l'infanterie et de l'artillerie toute op-ration d'ensemble comporte une srie d'actions de dtail visant la conqute des points d'appui. (N'est-ce pas toute une phi lo-sophie tactique?)

    Chaque fois que l'on veut conqurir un point d'appui,il fautprparer l'attaque avec l 'artillerie, retenir l'infanterie et ne lalancer l'assaut qu' une distance o on est certain de pouvoiiatteindre l'objectif. (Il ne se fera plus dsormais d'attaque sans

    prparation d'artillerie.)Toutes les fois que l'on a voulu lancer l'infanterie l'attaque

    de trop loin, avant que l'artillerie ait fait sentir son action,l'infanterie est tombe sous le feu des mitrailleuses et a subi des

    pertes qu'un aurait pu viter. (Critique mesure de la plus gravedes erreurs qui ont amen les premiers checs. C'est la liaisondes armes et leur subordination au but qu'on se propose,non des thories plus ou moins systmatiques.)

    Quand un point d'appui est conquis, il faut l'organiser imm-diatement, se retrancher, y amener de l'artillerie pour empcher

  • l'nigme DE charleboi.1

    tout retour offensif de Fennemi. (Utilisation des retranchemens,emploi de l'artillerie pour l'organisation du terrain la guerredes tranches apparat.)

    L'infanterie semble i,qnorer la ncessit de s'organiser aucombat POURLADURE,(L'ide d'une tactique de longue haleineet mme d'une campagne de dure se substitue la conceptionpremire de la guerre, la guerre de mouvement et d'offensiveenthousiaste. Joffre apparat tel qu'il est c'est un gnie de

    stabilit.)Jetant, de suite, en ligne des units nombreuses et denses,

    zlle les expose immdiatement au feu de l'adversaire qui les

    dcime, arrte ainsi, net, leur o ffensive et les laisse souvent lamerci d'une contre-attaque. (Voici, maintenant, la grave proc-cupation de la contre-attaque. Or, la contre-attaque, ainsi quel'avenir. le dmontrera, c'est toute cette guerre.)

    C'est au moyen d'une ligne de tirailleurs suffisamment espa-cs et entretenue continuellement (que de choses en deux mots!)que l'infanterie, soutenue par l'artillerie, doit mener le combat,le faisant ainsi durer jusqu'au moment o l'assaut peut trejudicieusement donn. (Rappel de la plus belle qualit franaise,le jugement, la judiciaire.)

    Les divisions de cavalerie allemande agissent toujours prc-des de quelques bataillons transports en automobile. Jusqu'ici,les gros de cavalerie ne se sont jamais laiss approcher parnotre cavalerie. Ils progressent derrire leur infanterie et de llancent les lmcns de cavalerie (patrouilles et reconnaissances)qui viennent chercher appui auprs de leur infanterie aussittqu'ils sont attaqus. Notre cavalerie poursuit ces lmens et vientse heurter des barrages solidement tenus. (Tableau tout fait exact de la tactique inaugure par la cavalerie allemande;mais l'expos est en mme temps une leon.) Il importe quenos divisions de cavalerie aient toujours des soutiens d'infan-terie pour les appuyer etpour augmenter leurs qualits offensives.

    Il faut aussi laisser aux chevaux le temps de manger et dedormir. Faute de quoi, la cavalerie est use prmaturmentavant d'avoir t employe.

    LE GNRAL COMMANDANT EN CHEF.

    J. JOFFRE.

    p. a.e gnral, MAJORgnral.Belui*

  • REVUE DES DEUX MONDES..

    On le voit, les erreurs sont reconnues, les fautes releves etsurtout les prescriptions les plus prcises traces d'une mainferme. Artillerie, cavalerie, infanterie sont immdiatementdiriges sur les voies de la nouvelle guerre. En trois jours, les

    perspectives futures, mme encore loignes, sont dgages.Il n'est pas un officier ou un homme ayant assist aux jour-

    nes ultrieures qui n'ait reconnu le profond changement quise produit, notamment dans l'emploi de l'artillerie et sa liaisonavec l'infanterie. Le canon de 75 prend, soudain, toute savaleur. L'arme est, pour ainsi dire, remise en selle.

    Cependant les troupes sont encore dans le moment le pluscritique de leur retraite vers le territoire franais. Que dis-je?le territoire franais est viol en Lorraine jusqu' Lunville etau del, dans la rgion des Ardennes jusqu' la Meuse, dans leNord jusque vers Le Cateau et Rocroi. Sans que l'ordre gnralsoit compromis, c'est le dsarroi qui accompagne invitablementces flux et reflux d'armes immenses reculant soudain par lesroutes o elles avanaient la veille sauf dans l'Est, o s'orga.nise la premire rsistance pour la dfense de la Troue deCharmes, les choses, sur l'ensemble du front, restent confuses.O va-t-on? Que doit-on faire?

    De partout, on attend la parole qui apportera la lumire,donnera aux vnemens un sens, la volont qui crera un ordrenouveau, et, pour employer le terme technique, qui ressaisiraL'INITIATIVESTRATGIQUE.

    Cette parole nt se fait pas attendre.Le 25 aot 1914, 22 heures, part du Grand Quartier Gn-

    ral, l'Instruction gnrale n 2, adresse par le commandanten chef aux commandans d'armes, et qui va saisir et modelercet tat de choses presque dsespr pour lui donner brefdlai l'aspect et la figure de la victoire.

    Un des gnraux qui commanda certaines des journes les

    plus glorieuses de cette guerre a racont ceci il avait reul'ordre de se rendre rapidement d'un point un autre du front

    pour exercer un nouveau commandement. Accompagn d'unseul officier, il gagne toute vitesse le poste qui lui tait

    assign. 'Au lieu dit, il voit passer une troupe confuse de soldatsde toutes armes, accabls de chaleur et de fatigue, marchantsans ordre et sans tenue sur leswutes de la retraite. Or, il lit,

  • l'nigme de charleroi.

    sur les uniformes, les numros des rgimens dont il venait

    prendre le commandement. L'motion lui serrait la gorge; il sedemandait et il demandait autour de lui comment il ramne-rait ces troupes au combat. A ce moment prcis, un ordre

    arrive; ce sont les extraits de l'Instruction gnrale du 25 quilui sont communiqus pour son instruction particulire. A peinea-t-il jet les yeux sur le document officiel que la lumire et

    l'espoir renaissent en lui il se met la besogne et retrouve,parmi le dsordre apparent, l'ordre rel qui subsistait et n'at-

    tendait que d'tre rappel lui-mme: Nous reprimes confiance,a-t-il dit, parce que nous nous sentmes commands.

    INSTRUCTIONGNRALEDU 25 AOUTDBUT DE LA MANOEUVRE DE LA MARNE

    Pour aider la lecture de cet important document, je croisdevoir dire, d'abord, qu'il prsente la conception et le pland'une deuxime bataille gnrale devant avoir lieu non plus audel, mais en de de la frontire franaise, approximativementle 2 septembre. C'est l'application de la vigoureuse conceptionqui s'est fixe, ds la premire heure, dans l'esprit du gnralen chef La 5" arme a pour mission de reprendre l'offensive

    pendant que les autres armes contiendront l'ennemi.

    LE COMMANDANTEN CHEFAUXCOMMANDANSD'ARME

    Au GrandQuartierGnralle 25aot -I9U,22heures.

    1 La manuvre offensive projete n'ayant pu tre excute,les oprations ultrieures seront rgles de manire reconstituer notre gauche, par la jonction des 4" et 5e armes, de l'armeanglaise et de forces nouvelles prleves dans la rgion de l'Est,une MASSECAPABLEDE REPRENDREL'OFFENSIVEpendant queles autres armes contiendront, le temps ncessaire, les efforts del'ennemi.

    (Ce premier paragraphe expose toute la pense de la nouvellemanuvre. Le dessin est d'une puret parfaite. L'oprationol1ensive qui a chou en Belgique est reprise, en arrire, avecune mthode plus forte et une ligne plus correcte.,

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    On trace sur le sol, qui, malheureusement, est maintenantle sol de la France, une figure en forme d'angle ouvert, s'ap-puyant d'une part sur la mer et d'autre part sur Verdun, lesommet de cet angle tant La Fre-Laon; dans la rgion ainsidlimite on laissera l'ennemi s'engager en direction de Paris,de faon l'entourer et l'enserrer l'heure opportune par lesdeux cts du dispositif. Mais c'est le ct gauche qui accom-plira la manuvre principale par une attaque de flanc, pro-longe au Nord par une tentative d'enveloppement. Supposezune premire bataille de la Marne, qui lutterait pour sauverle massif de Saint-Gobain au lieu de le laisser l'ennemi.

    La date et les conditions prochaines de la bataille rsultentde ces mots par des forces nouvelles prleves dans la rgionde l'Est. Ils indiquent le travail d'quilibre qui s'accomplit'dans la pense du chef. Cet extraordinaire roquage qui

    du moment o la Troue de Charmes est barre fait

    passer les troupes de l'Est l'Ouest en prsence de l'ennemi, vatromper celui-ci sur les emplacemens exacts de nos armes etcauser chez lui une surprise inverse de celle qu'il nous amnage en Belgique.

    Manuvre la fois extrmement simple et extrmementhardie. Elle consiste porter le maximum de forces au pointo l'on veut obtenir le maximum de rsultats. Double avantagedplacer l'axe de la bataille et, par consquent, reprendre l'ini-tiative surprendre l'ennemi en lui opposant des formationsqu'il n'a pas prvues et sur lesquelles il sera mal renseign. Lamanuvre rappelle celle de Frdric II Lissa, mais dans lesproportions de la guerre moderne. Il faut supposer une confiancevraiment inoue dans la stratgie des voies ferres pour poserun tel problme en pleine bataille et surtout pour le rsoudre.Les trains vont devenir l'arme principale du grand chef sorti del'arme du gnie (1).

    Le temps ncessaire pour excuter cette manuvre sans pr-cdent dans l'histoire militaire est calcul exactement, et c'est

    (1)11seraitinjustede ne pas mentionnerici les servicesrendus,notammentdanstoutesles questionsd'organisationet de cheminsde fer,parle gnralBelin,major gnral. Ces services sont reconnuspar la citationsuivante Commemajorgnral,a fait preuve des plus remarquablesqualits d'intelligenceet decaractreet a t pour le Commandanten Chefle plus prcieuxcollaborateurdans la prparationdes oprationscouronnespar les victoiresde la Marneetdel'Yser.

  • l'en ir. me de criAru.Er.or.

    pourquoi l'Instruction gnrale indique, comme nous allons le voir, l'ventualit de la bataille pour le 2 septembre.)

    2 Dans son mouvement de repli, chacune des 3", 4e, 5e armestiendra compte des mouvemens des armes vuisines avec les-

    quelles elle devra rester en. liaison. Le mouvement sera couvertpar (les arrire-gardes laisses sur les coupures favorables du

    terrain, de faon utiliser tous les obstacles pour arrter pardes contre-attaques, courtes et violentes, dont l'lment prin-cipal sera l'artillerie, la marche de l'ennemi ou tout au moinsla retarder.

    (L'ide matresse tant donne dans le premier paragraphe,l'instruction trace les voies et moyens de l'excution. D'abord,la retraite en elle-mme. Quelle sera-t-elle? Elle doit prsenter l'ennemi une cohsion suffisante, un front assez solide pourlui donner l'impression que ce n'est pas fini et qu'il a encoreaffaire forte partie pour cela, des contre-attaques, maisjamais fond et laissant toujours la possibilit de se dcrocher,

    courtes et violentes, arrteront la marche de l'ennemicar il faut donner au grand mouvement prvu le temps des'accomplir. Mais ces contre-attaques, ces combats d'arrire-gardes sur des positions choisies, devront d'ores et dj mna-ger le sang des troupes; leur lment principal sera l'artil-lerie. )

    Maintenant, les dtails de l'excution, arme par arme legrand plan est si clair que la situation assigne aux armessuffit pour indiquer le rle rserv chacune d'elles. Unenfant comprendrait

    3 Limite DES ZONES D'ACTION ENTRE LES DIFFRENTES

    ARMES

    Arme W (arme britannique). Au Nord-Ouest de laligne Le Cateau-V ermand et Nesle incluse.

    4Qet 5' annes. Entre cette dernire ligne exclue l'Ouestet la ligne Stcnay-Grandpr-Suippes-Cond-sur-Marne . l'Est(incluse).

    3" arme, y compris l'arme de Lorraine (c'est--dire l'arnjeque commandait le gnral Maunoury tain). Entre laligne Sassey-Flcille- Ville-suf- Tourbe- Vitry-le-Franois( incluse) l'Ouest, et la ligne Vigneulles- Void-Gondrecourt (incluse) cil' Est.

    (Reportez ces.lignes sur la carte elles indiquent la forme

  • 1CH

    OmM

    0HCDa

    070af/2

  • l'nigme DE CHARLEROI.

    TOME III, 1917.

    chre au gnral Joffre un front sensiblement en ligne droitede La Fre Vouziers-Verdun et, en retour d'angle, sur l'Oiseet l'Escaut, une force de manuvre destine prendre l'ennemide flanc.)

    D'ailleurs, voici la manuvre elle-mme elle claire, son

    tour, les positions sur le terrain.4 A l 'extrme-gauche entre Picquigny et la mer, un bar-

    rage sera tenu sur la Somme par les divisions territoriales duNord ayant comme rserve la 6P et la 62" divisions de rserve.

    (Ces troupes surveillent l'ennemi on ne leur demande pasautre chose. Il est de toute vidence qu'on les garde pour les cir-constances ultrieures, puisqu'on met en arrire les deux l-mens les plus robustes, la 61e et la 62e divisions de rserve.Nous allons voir pourquoi on les garde.)

    5 Le corps de cavalerie sur l'Authie, prt suivre le mouve-ment en avant de V extrme-gauche.

    (Ceci, c'est la manuvre proprement dite, en un mot, le mou-vement. Le corps de cavalerie, comme c'est son rle, y prendrapart, mais seulement quand tout sera prt; et c'est pourquoi onle tient en. rserve, je dirai presque on le cache, sur l'Authie.) i

    6 En avant d'Amiens, entre Domart-en-Ponthieu et Corbie

    ou, en arrire de la Somme, entre Picquigny et Villers-Dreton-neux, UN NOUVEAUGROUPEMENTDE FORCESconstitu par deslmens transports en chemin de fer (7e corps, 4 divisions derserve et peut-tre un autre corps d'arme actif), est group du27 aot au S septembre.

    Ce groupement sera prt passer l'offensive en directiongnrale Saint-Pol-Arras ou Arras-Bapaume.

    (Nous tenons la clef de toute la combinaison. Voici donc

    pourquoi on masse des troupes dans l'attente et un peu loin del'ennemi jusque derrire l'Authie; voici donc la raison de cetteattente de cinq jours, et de cet chelonnement de nos forcesdu Nord le long des routes par o descend l'arme allemande;voici le pourquoi de ces contre-attaques courtes et vio-lentes l'objet de cet ensemble de mesures est d'attirer l'en-nemi et de le faire glisser. dans le pige. Car cette manuvren'est pas sans analogie avec celle de la Troue de Charmes.Elle vient de la mme inspiration classique une bataille defront s'accompagnant d'une surprise de flanc. Et ce qui est le

    plus singulier, c'est que, prcisment cause de cette simplicit

  • REVUE DES DEUX MONDES.,

    classique, les Allemands, pas plus l'Ouest qu' l'Est, ne com-prendront et ne se mfieront. 0.Un groupement nouveau sera donc constitu, soit enavant d'Amiens, soit, plus au Sud, derrire la Somme, et ce grou-pement sera l'arme de manoeuvre du gnral Joffre. Il aura pourmission prcise de tomber sur le flanc de l'ennemi en marchepour amorcer la grande bataille qui devra tre livre dans cetlergion, toutes forces runies.

    Or, le groupement ainsi constitu est celui dont le gnralMaunoury prend le commandement c'est LA 6e ARME.Lamanuvre de flanc qui lui est prescrite dans le Nord est prci-sment celle qu'elle accomplira, un peu plus tard, sur l'Ourcq.

    Remarquez la souplesse de la dernire indication l'offen-sive se fera soit sur la ligne Arras-Bapaume (si l'ennemi s'est

    engag plus au Sud) soit sur la ligne Saint-Pol-Arras (s'il acal ses forces et s'est consolid avant de reprendre la marchesur Paris). On ne pouvait croire qu'il serait assez fou pour se

    prcipiter dans la nasse sans laisser le moindre rpit ses

    troupes il tait sage de prvoir l'ventualit d'une attaqueplus au Nord si l'ennemi ne se trouvait pas encore engag troploin vers le Sud.

    Tout le plan repose, comme on le voit, sur la constitutiond'une nouvelle arme de l'Ouest.

    Quels lmens composeront cette nouvelle arme? D'ores et

    dj, ils sont numrs c'est le 7e corps, savoir celui quijusqu'ici a opr Mulhouse cette mesure amne forcmentla dislocation de l'arme d'Alsace. D'ailleurs, le plan d'offensivepar l'Alsace n'est plus applicable pourquoi s'entter garder,dans cette rgion, de gros effectifs quand des troupes moinsnombreuses suffisent? Douloureux sacrifice, certes! Mais lesncessits stratgiques priment tout. Joffre ne voit que le but

    qu'il s'est propos pour le bien du pays.Quatre divisions de rserve deux d'entre elles viennent, avec

    le Ie corps, de Belfort et du front d'Alsace.Les deux autres, nous les connaissons ce sont celles qui

    viennent de l'arme de Lorraine, commande jusqu'au 25 aot

    par le gnral Maunoury, la 55e et la 56e divisions de rservecelles-l il faut les arracher leur beau succs d'tain, dans laWovre. Autre sacrifice L'arme de Lorraine, ayant mis enfuite l'aile gauche de l'arme du Kronprinz dans les journes duu

  • L'NIGME DE CHARLEROI.

    24 et du 25 aot, ne demandait qu' continuer. Mais, dans lanuit du 25 au le gnral Maunoury reoit l'ordre de romprele combat et de se rendre, toutes affaires cessantes, avec son

    tat-major Montdidier; il est nomm au commandement dela nouvelle arme en formation sur la Somme et qui s'appel-lera la 6e arme (1) 1

    Un autre corps actif est dsign galement. Il arrivera pourla bataille de l'Ourcq c'est le 4e corps (gnral Bollc).

    A peine besoin d'insister le dessin de la bataille de la Marneest fix ds lors le chef et les troupes se rendent sur le terrain.)

    Les quatre paragraphes qui suivent sont lis ils dtermi-nent le rle des armes qui ont t engages sur la Sambre etqui, tout en battant en retraite, doivent tenir tte l'ennemiet se prparer recevoir la nouvelle arme pour reprendre avecelle l'offensive

    70 L'arme W (britannique) en arrire de la Somme, deBray-sur-Somme Ham, prte se porter soit vers le Nord sur

    Bertincourt, soit vers l'Est sur Le Catelet.(L'arme britannique sera, comme on le voit, appuye et

    encadre par les 5e et 6e armes. C'est la position qu'elle garderajusqu'au 5 septembre, poque laquelle elle se sentira assezreconstitue pour rentrer en ligne.)

    8 La 5e arme aura le gros de ses forces dans la rgion Ver-mand-Saint-Quentin-Moy (front offensif) POUR DBOUCHERENDIRECTION GNRALE DE Bohain sa droite tenant la ligneLa Fre-Laon-Craonne-Saint-Erme.

    (Ce paragraphe prcise le lieu de la future bataille de frontqui sera complte par la manuvre de flanc prescrite ci-dessus;l'objectif gnral est Bohain. Elle s'adosse sur une positiongographique de la plus haute importance, savoir le massifde Laon-Saint-Gobain.

    La 5e arme, peine entame parla bataille de Charleroi, aurala mission, en s'appuyant sur ce massif, de mener l'offensivedroit au Nord, tandis que le nouveau groupement rabattrales forces allemandes en marchant dans la direction de l'Estou du Nord-Est avec objectif gnral soit Saint-Pol-Arras, soitArras-Bapaume. Le terrain ainsi choisi prsenterait un doubleavantage dfendre une position qui apparatra de plus en plus,

    (i) VoirHistoireillustre dela Guerrede 1914,t. V,p. 204.

  • REVUE DES DEUX MONDES.

    dans la suite, comme la clef de la guerre et, en empchantl'ennemi d'y pntrer, protger Paris. Car le massif de Saint-Gobain est, comme toute notre histoire le prouve, le boulevardde la capitale.)

    Le reste de la bataille se dveloppera, pour ainsi dire, autourde ce gond.

    9" 4" arme en arrire de l'Aisne, sur le front Guignicourt-Vouziers ou, en cas d'impossibilit, sur le front Berry-au-Bac-Reims-Montagne-de-Reims, en se rservant toujours les moyensde prendre l'o ffensive face au Nord.

    10 3e arme appuyant sa droite la place de Verdunet sa gauche au dfil de Grandpr ou Varennes-Sainte-Menehould.

    (Ainsi se trouve tabli, dans ses lignes dfinitives, le dispo-sitif en angle ouvert, qui,- proximit encore de la frontireNord-Ouest, mais avec la ressource d'un recul nouveau en casde ncessit absolue, doit rendre toute son lasticit offen-sive l'arme franaise.

    Depuis de longues annes, les tudes du