16
© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. “C’est ça, l’Italie” Supplément gratuit à “La Libre” du 22 février 2013. QUESTA È L’ITALIA CLEMENS ZAHN/LAIF/REPORTERS

Supplément de La Libre du 22 février 2013

  • Upload
    sa-ipm

  • View
    217

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Questa é Italia

Citation preview

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

“C’est ça, l’Italie” Supplément gratuit à “La Libre” du 22 février 2013.

QUESTAÈ

L’ITALIACLEM

ENSZAHN

/LAIF/RE

PORT

ERS

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

L’Italie dans tous ses états Pages 2-3

Campagneà l’italienne

h Ezio Mauro, directeur du quotidien italien “La Repubblica”,nous éclaire sur les tenants et les aboutissants de la campagne électorale transalpine.

Entretien Bruno Fella

Pourquoi le Peuple de la Liberté (PDL), le parti de SilvioBerlusconi, a-t-il fait chuter le gouvernement techniquede Mario Monti en décembre dernier, peu de temps avantla fin programmée de la législature ?

L’Italie n’était plus à deux doigts du défaut depaiement, et, dans ce contexte, le PDL s’est sentilibre de reprendre sa politique populiste contrel’Europe, l’euro, les taxes, les sacrifices… Ce partin’aurait pas pu faire cette campagne typique­ment populiste s’il n’avait pas pris ses distancesavec le gouvernement et l’avait soutenu jusqu’àson terme. Le PDL n’imaginait pas que le prési­dent du Conseil démissionnerait. Il pensait avoirles mains libres pour pouvoir mener une longuecampagne électorale, mais Mario Monti n’est pasrentré dans son jeu.

Pourquoi Silvio Berlusconi – qui, après la chute de songouvernement, avait fait un pas de côté – est-il revenu aupremier plan au sein de son parti et y a-t-il annulé lesprimaires ?

Berlusconi a fait un pas de côté, parce que les Ita­liens l’ont mis de côté. Avant que son gouverne­

ment ne saute, en octobre 2011, il avait chutédans les sondages à 23 % d’opinions favorables.Pire que lui, il n’y avait que son allié de la Liguedu Nord, Umberto Bossi, avec ses 22 %. Aucun di­rigeant européen ne peut s’accrocher au pouvoiravec de tels chiffres. Qui plus est, les organisa­tions patronales, professionnelles l’avaient désa­voué. De même, bonne dernière, l’Eglise l’avaitabandonné. Silvio Berlusconi a fait un pas decôté, submergé par les scandales publics ou pri­vés et, surtout, de par son incapacité à gouverner.A ce moment­là, son parti a cru pouvoir gérer unpassage normal de témoin entre son fondateur etses successeurs, et avait, par conséquent, entaméla préparation des élections primaires. Berlus­coni, quant à lui – confiant en la mémoire courtedes Italiens, son habilité en campagne électoraleet l’impopularité de la politique de rigueur dugouvernement –, a décidé de reprendre les rênesde son parti. Naturellement, le leadership charis­matique et populiste de Berlusconi et les primai­res sont incompatibles. Les primaires, ellesétaient bonnes pour les autres, mais pas pour lui.

Pourquoi Mario Monti, sénateur à vie et, donc, non sou-

mis au vote populaire, a-t-il décidé de rentrer de plain-pied dans la campagne électorale avec une coalition àson nom ?

Monti a pris cette décision, convaincu que le cré­dit qu’il avait engrangé dans le monde, dans leschancelleries et les institutions européennes,pouvait être dépensé en Italie. Alors que cela neva pas de soi. Mario Monti a pensé transformerson expérience gouvernementale en une expé­rience politique de plus longue durée, donner aupays ce centre qui pourrait équilibrer le conflitentre la droite et la gauche. Mais la reconnais­sance d’un dirigeant technique comme étant unleader politique potentiel n’est pas automatique :c’est une transition qui a besoin de temps. A undirigeant technique appelé en urgence, on ne de­mande pas ce qu’il pense : on se demande juste cequ’il va faire pour remettre sur pied la nation. Aun dirigeant politique, on lui demande ce qu’ilpense, où il se place culturellement, quelles sontses idées, ses valeurs… Et ce centre que tente d’in­carner Mario Monti a, pour l’instant, beaucoupde mal à se situer.

La coalition autour de Monti, qu’est-ce que c’est ? Un er-

satz de la démocratie chrétienne qui a gouverné l’Italiejusqu’à être balayée par l’Opération Mains propres en1992 ? Une alternative à droite pour briser le parti deBerlusconi ? Une coalition qui, comme d’autres par lepassé, s’éparpillera aux premières difficultés ?

A l’épreuve du feu électoral, on verra si ses rangstiennent. Pour l’instant, c’est un ensemble devieux et de neuf. La composante ancienne, cellede Pier Ferdinando Casini et Gianfranco Fini,tous deux ex­alliés de Berlusconi. La composanteneuve, celle des technocrates rassemblés autourde Mario Monti. On entrevoit, dans cette coali­tion, une ligne modérée, fortement européenne,libérale et, par conséquent, incompatible avec ladroite berlusconienne et bien différente de cellede la gauche. Cette coalition est sans nul doutedestinée à s’allier à la gauche, au Parti démocrate(PD) de Pier Luigi Bersani, pour former un gou­vernement de centre­gauche moderne dans lanorme européenne. Mais, en même temps, jecrois, en effet, que l’objectif de Mario Monti, àplus long terme, est de remplacer le PDL de SilvioBerlusconi. Ce pourrait être l’embryon d’un fu­tur bipolarisme italien entre un centre­gauchemodéré comme le PD et un centre­droit modéréet démocrate, mené par Mario Monti.

Ce serait la fin d’une “anomalie” italienne à droite...Ce serait la naissance d’une droite que l’Italie n’ajamais connue. Avant, elle était fasciste. Après,elle a été berlusconienne. Oui, ce pourrait être lafin de l’anomalie berlusconienne : ce parti popu­liste, démagogue, irresponsable avec ses promes­ses insensées, qu’il ne pourra maintenir dansl’état des finances actuelles.

Sans même attendre le résultat des élections, il sembleque seul un gouvernement composé du PD de Bersani etde la coalition de Monti soit viable...

Je crois que cette alliance est la seule possible, laseule capable d’être responsable face aux problè­mes de l’Italie, face aux exigences européennes,face à la nécessité d’introduire – en parallèle à larigueur budgétaire que Mario Monti a tentéd’instiller dans notre pays – un peu d’équité so­ciale, une promesse que Monti n’a pas su tenir.C’est la seule alliance possible, mais les opposi­tions seront la véritable nouveauté de ce Parle­ment. Si le centre­gauche remporte ces élections,on risque de se retrouver avec deux fronts d’op­position fortement populistes. L’un de droite,avec le PDL de Berlusconi et la Ligue du Nord dé­chaînés, qui risquent de provoquer l’animositéentre le nord de l’Italie et le gouvernement.L’autre front d’opposition à gauche, tout aussipopuliste, est divisé. D’un côté, le mouvementd’Antonio Ingroia qui voudrait que, dans un cer­tain sens, les magistrats ne se contentent pas derendre la justice, mais réforment la politique. Del’autre, le Mouvement Cinq Etoiles de BeppeGrillo qui amènera au Parlement un genre de ré­

bellion sociale qui invite les citoyens à s’en pren­dre à tous et à toutes, sans distinction. Ce sera unParlement très difficile à gérer.

Que signifie cette montée en puissance du Mouvementde Beppe Grillo ? Et comment s’insère-t-il dans l’échi-quier politique italien ?

C’est l’illustration de l’essor du populisme.Avant, les positions extrêmes au Parlement et enpolitique étaient représentées par des héritagesidéologiques : une gauche communiste et unedroite encore liée au fascisme. Aujourd’hui, cespositions idéologiques n’existent plus. Elles ontété remplacées par le populisme, un mélange desimplification absolue et de banalisation desgrands problèmes auxquels le pays doit faireface. Et, en pleine mondialisation, avec des pro­blèmes très difficiles à résoudre, face auxquels lecitoyen se sent isolé et a peur de perdre le con­trôle de la situation, le populisme semble uneidée très séduisante. Il invite le citoyen à se dé­sintéresser de la chose publique et lui fait croireque les problèmes peuvent être réglés de ma­nière très simple. C’est ce que raconte Berlus­coni : on s’en fiche de la dette publique, on arri­vera toujours à s’arranger. On ne doit pas tenircompte de l’écart entre les taux d’intérêt payéspar l’Allemagne et l’Italie, on arrivera toujours às’arranger. On supprimera des taxes, on arriveratoujours à s’arranger. Beppe Grillo, lui, demandeà ce que l’on ferme les banques. Grillo et Berlus­coni banalisent ces problèmes. Ils s’appuient surune colère sociale et une défiance par rapportaux institutions. S’il n’y avait pas cette colère,cette défiance, les populismes de droite, commede gauche, ne pourraient pas trouver un terrainfertile. Comment s’en étonner ? Les partis politi­ques sont à peine à 5 % d’opinions favorables et leParlement est à 8 %.

Quel est le thème principal de campagne ?Ce sont malheureusement les alliances entrepartis, alors que le pays vit une crise économi­que : le mal chronique de l’Italie, sa dette publi­que et la tragédie du chômage. Il n’y a pas de tra­vail. Des jeunes qui, jusqu’à 35 ans, ne trouventpas de travail, pèsent sur le budget familial,n’ayant aucun rôle dans notre société, n’ayantpas la possibilité de construire leur famille, leurvie. D’un autre côté, on a des personnes qui sontexclues du marché du travail à 55 ans pour lapremière fois, après une vie où l’on considéraitque le travail était là, à portée de main, pour tous.Et là, ils se rendent compte qu’ils n’en trouverontplus. Cette situation provoque des réflexes d’in­sécurité au sein des familles. Une insécurité nonseulement économique, mais également quantau rôle que chaque personne joue au sein de no­tre société.

Pourquoi Mario Monti, Pier Luigi Bersani et Silvio Berlus-

coni ont-ils annoncé des listes électorales “propres” ? Etont-ils réussi ce pari ?

Ils l’ont annoncé, parce que la corruption est l’undes principaux maux qui gangrènent notre pays.La loi anticorruption que l’Europe nous de­mande depuis des années est passée, mais dansune mouture pour le moins édulcorée à causedes résistances explicites du parti de Silvio Ber­lusconi. Tout cela est, d’une part, lié aux aléas ju­diciaires de son dirigeant et de certains de ses fi­dèles, et, d’autre part, à une résistance de typeculturel en Italie. Trop souvent, le message quel’on envoie aux électeurs, c’est que la lutte contrela corruption n’est pas une priorité pour l’Italie.Alors que la corruption est un énorme problèmequi engloutit chaque année 60 milliards d’euros,un problème constant comme on l’a encore vurécemment avec l’administrateur général d’unedes plus grandes entreprises italiennes, la Fin­meccanica, arrêté pour des soupçons de corrup­tion. Il y a aussi l’ex­président de la Lombardie etcelui de la région des Pouilles. Il y a l’affaire de labanque Monte dei Paschi di Sienna… Nous vi­vons dans un contexte de corruption, de “mal­gouvernance” des entreprises privées, quiprouve que le problème n’est pas qu’en politi­que. Il fut un temps où on a jeté des pièces demonnaie aux politiciens corrompus, mais on nel’a jamais fait pour les dirigeants d’entreprisesprivées ou publiques. Et en politique, oui, c’estencore pire. Berlusconi a exclu des candidats deses listes électorales qu’il ne pouvait décemmentprésenter, mais il y a encore l’ex­président de laLombardie, accusé d’association de malfaiteurs,ou l’ex­président de la région des Pouilles, con­damné, en première instance dans une affaire decorruption, à quatre ans de prison (réduits à un)et à cinq ans d’inéligibilité. De qui se moque­t­on ?

Monti, 69 ans, Berlusconi, 76 ans, ne sont plus dans leurprime jeunesse. Leur parti peut-il se passer d’eux ? Quelpourrait être l’avenir du cadre politique italien ?

Berlusconi a fait un miracle en construisant leparti qui a gagné les élections en 1994. Un particréé ex nihilo sur les cendres de la Ière Républi­que, mais il ne s’est jamais préoccupé de lui trou­ver une culture politique qui pourrait lui garan­tir sa survie après son départ, une culture mo­derne modérée d’un parti conservateureuropéen. Le PDL fait corps avec son chef. L’hori­zon du parti, c’est l’horizon du pouvoir berlusco­nien. Il me semble pour le moins difficile quecette droite n’explose pas avec la fin de l’aven­ture berlusconienne. Pour Monti, on n’est qu’àpeine au début de l’aventure. Il reste à voir laréaction des électeurs. Mais il est clair que c’estune alliance de forces très différentes qui n’ontmême pas voulu se rassembler dans une listeunique, et elle ne tient que par le prestige de l’ex­président du Conseil.

“La solidité”PIER LUIGI BERSANI

Crédité 33,1 % d’intentions de vote,il mène la coalition formée par leParti démocrate (PD), Gauche,écologie et liberté (SEL) de Nichi

Vendola, le Parti populaire du Tyroldu Sud et le Parti socialiste (PSI) de

Riccardo Nencini.

“Le passé”SILVIO BERLUSCONI

Crédité de 29,4 %, il mène unecoalition formée

du Parti du peuple pour la liberté(PDL), de la Ligue du Nord et

d’autres petits partis.

“Le professeur”MARIO MONTICrédité de 12,6 %,

il mène une coalition forméepar le Choix citoyen avecMontipour l’Italie, l’Union de Centre dePier Ferdinando Casini et deFutur et liberté pour l’Italie de

Gianfranco Fini.

“La rage”BEPPE GRILLOCrédité de 12,6 %,

il n’est pas candidat mais est à latête duMouvement Cinq Etoiles.

ANDR

EASSO

LARO

/AFP

MAT

TEINI/INFO

PHOT

O/RE

PORT

ERS

MICHE

LEU

LER/AP

NAND

OPIEZZI/DEM

OTIX/REPOR

TERS

AFP/F

ABIO

MUZ

ZI

Silvio Berlusconi,Gianfranco Fini,

Mario Montiet Pier Luigi Bersani

au carnaval de Viareggio.

Ezio Mauro

FOGL

IOQU

OTIDIANO

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

satz de la démocratie chrétienne qui a gouverné l’Italiejusqu’à être balayée par l’Opération Mains propres en1992 ? Une alternative à droite pour briser le parti deBerlusconi ? Une coalition qui, comme d’autres par lepassé, s’éparpillera aux premières difficultés ?

A l’épreuve du feu électoral, on verra si ses rangstiennent. Pour l’instant, c’est un ensemble devieux et de neuf. La composante ancienne, cellede Pier Ferdinando Casini et Gianfranco Fini,tous deux ex­alliés de Berlusconi. La composanteneuve, celle des technocrates rassemblés autourde Mario Monti. On entrevoit, dans cette coali­tion, une ligne modérée, fortement européenne,libérale et, par conséquent, incompatible avec ladroite berlusconienne et bien différente de cellede la gauche. Cette coalition est sans nul doutedestinée à s’allier à la gauche, au Parti démocrate(PD) de Pier Luigi Bersani, pour former un gou­vernement de centre­gauche moderne dans lanorme européenne. Mais, en même temps, jecrois, en effet, que l’objectif de Mario Monti, àplus long terme, est de remplacer le PDL de SilvioBerlusconi. Ce pourrait être l’embryon d’un fu­tur bipolarisme italien entre un centre­gauchemodéré comme le PD et un centre­droit modéréet démocrate, mené par Mario Monti.

Ce serait la fin d’une “anomalie” italienne à droite...Ce serait la naissance d’une droite que l’Italie n’ajamais connue. Avant, elle était fasciste. Après,elle a été berlusconienne. Oui, ce pourrait être lafin de l’anomalie berlusconienne : ce parti popu­liste, démagogue, irresponsable avec ses promes­ses insensées, qu’il ne pourra maintenir dansl’état des finances actuelles.

Sans même attendre le résultat des élections, il sembleque seul un gouvernement composé du PD de Bersani etde la coalition de Monti soit viable...

Je crois que cette alliance est la seule possible, laseule capable d’être responsable face aux problè­mes de l’Italie, face aux exigences européennes,face à la nécessité d’introduire – en parallèle à larigueur budgétaire que Mario Monti a tentéd’instiller dans notre pays – un peu d’équité so­ciale, une promesse que Monti n’a pas su tenir.C’est la seule alliance possible, mais les opposi­tions seront la véritable nouveauté de ce Parle­ment. Si le centre­gauche remporte ces élections,on risque de se retrouver avec deux fronts d’op­position fortement populistes. L’un de droite,avec le PDL de Berlusconi et la Ligue du Nord dé­chaînés, qui risquent de provoquer l’animositéentre le nord de l’Italie et le gouvernement.L’autre front d’opposition à gauche, tout aussipopuliste, est divisé. D’un côté, le mouvementd’Antonio Ingroia qui voudrait que, dans un cer­tain sens, les magistrats ne se contentent pas derendre la justice, mais réforment la politique. Del’autre, le Mouvement Cinq Etoiles de BeppeGrillo qui amènera au Parlement un genre de ré­

bellion sociale qui invite les citoyens à s’en pren­dre à tous et à toutes, sans distinction. Ce sera unParlement très difficile à gérer.

Que signifie cette montée en puissance du Mouvementde Beppe Grillo ? Et comment s’insère-t-il dans l’échi-quier politique italien ?

C’est l’illustration de l’essor du populisme.Avant, les positions extrêmes au Parlement et enpolitique étaient représentées par des héritagesidéologiques : une gauche communiste et unedroite encore liée au fascisme. Aujourd’hui, cespositions idéologiques n’existent plus. Elles ontété remplacées par le populisme, un mélange desimplification absolue et de banalisation desgrands problèmes auxquels le pays doit faireface. Et, en pleine mondialisation, avec des pro­blèmes très difficiles à résoudre, face auxquels lecitoyen se sent isolé et a peur de perdre le con­trôle de la situation, le populisme semble uneidée très séduisante. Il invite le citoyen à se dé­sintéresser de la chose publique et lui fait croireque les problèmes peuvent être réglés de ma­nière très simple. C’est ce que raconte Berlus­coni : on s’en fiche de la dette publique, on arri­vera toujours à s’arranger. On ne doit pas tenircompte de l’écart entre les taux d’intérêt payéspar l’Allemagne et l’Italie, on arrivera toujours às’arranger. On supprimera des taxes, on arriveratoujours à s’arranger. Beppe Grillo, lui, demandeà ce que l’on ferme les banques. Grillo et Berlus­coni banalisent ces problèmes. Ils s’appuient surune colère sociale et une défiance par rapportaux institutions. S’il n’y avait pas cette colère,cette défiance, les populismes de droite, commede gauche, ne pourraient pas trouver un terrainfertile. Comment s’en étonner ? Les partis politi­ques sont à peine à 5 % d’opinions favorables et leParlement est à 8 %.

Quel est le thème principal de campagne ?Ce sont malheureusement les alliances entrepartis, alors que le pays vit une crise économi­que : le mal chronique de l’Italie, sa dette publi­que et la tragédie du chômage. Il n’y a pas de tra­vail. Des jeunes qui, jusqu’à 35 ans, ne trouventpas de travail, pèsent sur le budget familial,n’ayant aucun rôle dans notre société, n’ayantpas la possibilité de construire leur famille, leurvie. D’un autre côté, on a des personnes qui sontexclues du marché du travail à 55 ans pour lapremière fois, après une vie où l’on considéraitque le travail était là, à portée de main, pour tous.Et là, ils se rendent compte qu’ils n’en trouverontplus. Cette situation provoque des réflexes d’in­sécurité au sein des familles. Une insécurité nonseulement économique, mais également quantau rôle que chaque personne joue au sein de no­tre société.

Pourquoi Mario Monti, Pier Luigi Bersani et Silvio Berlus-

coni ont-ils annoncé des listes électorales “propres” ? Etont-ils réussi ce pari ?

Ils l’ont annoncé, parce que la corruption est l’undes principaux maux qui gangrènent notre pays.La loi anticorruption que l’Europe nous de­mande depuis des années est passée, mais dansune mouture pour le moins édulcorée à causedes résistances explicites du parti de Silvio Ber­lusconi. Tout cela est, d’une part, lié aux aléas ju­diciaires de son dirigeant et de certains de ses fi­dèles, et, d’autre part, à une résistance de typeculturel en Italie. Trop souvent, le message quel’on envoie aux électeurs, c’est que la lutte contrela corruption n’est pas une priorité pour l’Italie.Alors que la corruption est un énorme problèmequi engloutit chaque année 60 milliards d’euros,un problème constant comme on l’a encore vurécemment avec l’administrateur général d’unedes plus grandes entreprises italiennes, la Fin­meccanica, arrêté pour des soupçons de corrup­tion. Il y a aussi l’ex­président de la Lombardie etcelui de la région des Pouilles. Il y a l’affaire de labanque Monte dei Paschi di Sienna… Nous vi­vons dans un contexte de corruption, de “mal­gouvernance” des entreprises privées, quiprouve que le problème n’est pas qu’en politi­que. Il fut un temps où on a jeté des pièces demonnaie aux politiciens corrompus, mais on nel’a jamais fait pour les dirigeants d’entreprisesprivées ou publiques. Et en politique, oui, c’estencore pire. Berlusconi a exclu des candidats deses listes électorales qu’il ne pouvait décemmentprésenter, mais il y a encore l’ex­président de laLombardie, accusé d’association de malfaiteurs,ou l’ex­président de la région des Pouilles, con­damné, en première instance dans une affaire decorruption, à quatre ans de prison (réduits à un)et à cinq ans d’inéligibilité. De qui se moque­t­on ?

Monti, 69 ans, Berlusconi, 76 ans, ne sont plus dans leurprime jeunesse. Leur parti peut-il se passer d’eux ? Quelpourrait être l’avenir du cadre politique italien ?

Berlusconi a fait un miracle en construisant leparti qui a gagné les élections en 1994. Un particréé ex nihilo sur les cendres de la Ière Républi­que, mais il ne s’est jamais préoccupé de lui trou­ver une culture politique qui pourrait lui garan­tir sa survie après son départ, une culture mo­derne modérée d’un parti conservateureuropéen. Le PDL fait corps avec son chef. L’hori­zon du parti, c’est l’horizon du pouvoir berlusco­nien. Il me semble pour le moins difficile quecette droite n’explose pas avec la fin de l’aven­ture berlusconienne. Pour Monti, on n’est qu’àpeine au début de l’aventure. Il reste à voir laréaction des électeurs. Mais il est clair que c’estune alliance de forces très différentes qui n’ontmême pas voulu se rassembler dans une listeunique, et elle ne tient que par le prestige de l’ex­président du Conseil.

“La solidité”PIER LUIGI BERSANI

Crédité 33,1 % d’intentions de vote,il mène la coalition formée par leParti démocrate (PD), Gauche,écologie et liberté (SEL) de Nichi

Vendola, le Parti populaire du Tyroldu Sud et le Parti socialiste (PSI) de

Riccardo Nencini.

“Le passé”SILVIO BERLUSCONI

Crédité de 29,4 %, il mène unecoalition formée

du Parti du peuple pour la liberté(PDL), de la Ligue du Nord et

d’autres petits partis.

“Le professeur”MARIO MONTICrédité de 12,6 %,

il mène une coalition forméepar le Choix citoyen avecMontipour l’Italie, l’Union de Centre dePier Ferdinando Casini et deFutur et liberté pour l’Italie de

Gianfranco Fini.

“La rage”BEPPE GRILLOCrédité de 12,6 %,

il n’est pas candidat mais est à latête duMouvement Cinq Etoiles.

ANDR

EASSO

LARO

/AFP

MAT

TEINI/INFO

PHOT

O/RE

PORT

ERS

MICHE

LEU

LER/AP

NAND

OPIEZZI/DEM

OTIX/REPOR

TERS

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Les femmes Pages 4-5

L’avis d’Ezio Mauro

La femme italienneest-elle toujours au fourneauet à l’écart des postesde pouvoirs ?

Demoins enmoins, en partie grâce à une dispo­sition à laquelle je ne croyais pas, parce que peu“moderne”, celle des quotas dans les conseilsd’administration ou dans les listes électorales.Ces femmes sont de plus en plus présentes, etcertains découvrent qu’elles sont souventmeilleures que les hommes. Elles génèrent unenouvelle dynamique dans le discours public où,souvent, les hommes sont nombrilistes. Quelquechose est en train de changer, mais nous sommespeu avancés. Nous avons été, durant trop long­temps, un paysmasculin et, dans certains cas,phallocrate. Mais lentement, ça évolue.

Le bluesdes

Italiennesh Victimes de la crise économique, les femmes sont négligéessur le marché du travail. Pour renverser la vapeur, il faudrait

d’abord changer la vision de la femme dans la société.

Reportage Valérie DupontEnvoyée spéciale à Naples

Je travaillais chez un avocat, dans le centre deNaples. J’ai fait des études de comptable, maisje m’occupais plus du secrétariat.” Loredana atrente ans, elle nous reçoit chez elle à Na­ples, où elle vit avec son mari et son fils dequatre ans. “En réalité, j’avais un contrat à

temps partiel. Mon patron me payait officiellementsept cents euros par mois, mais je travaillais pleintemps, parfois jusqu’à sept ou huit heures du soir enfonction des audiences et du travail. Le reste du sa­laire était payé en noir, quatre cents euros en plus.”Une situation “normale” à Naples où, pour payermoins d’impôts, on n’hésite pas à proposer cegenre de contrat. “Cela m’arrangeait moi aussi,mais, à un moment donné, l’avocat ne m’a pluspayée. Pendant cinq mois j’ai attendu, il avait desproblèmes. Puis, je l’ai menacé d’appeler la garde desfinances, il m’a payée, mais il m’a ensuite obligée àsigner ma lettre de démission.” Cela fait plusieursannées que Loredana cherche un autre emploi.“Avec mon fils, maintenant, c’est encore plus difficile.Et puis, ici à Naples, il n’y a vraiment plus aucuneopportunité.”

Une histoire parmi des milliers d’autres, l’his­toire d’un pays où une femme sur deux ne tra­vaille pas. Dans le sud de la Péninsule, plus decinq cent mille femmes échappent ainsi aux sta­tistiques sur le chômage, alors que le taux d’em­ploi féminin atteint à peine les 30 %. Parmi lesjeunes, une sur quatre peut se prévaloir d’un con­trat et d’un salaire inférieur de 30 % à celui deshommes qui travaillent dans le nord du pays.Cinq cent septante mille femmes qui vivent dansles régions méridionales se disent “découragées”

et ne cherchent plus d’emploi. Cinquante milleautres ont préféré partir pour trouver du travail.

Mais, de ces chiffres et de cette étude, émergeune conclusion dramatique : étudier ne sert pas àgrand­chose. “Le nombre de jeunes femmes diplô­mées est passé de 85,1 % en 2000 à 94 % en 2009, etles universitaires représentent 18,9 % de la popula­tion du Sud, soit sept points de plus que les hommes.Malgré cela, les femmes n’ont pas de rôle dirigeantdans les entreprises, et bien peu osent se lancercomme indépendantes”, explique le responsablede la recherche du Svimez, un institut qui analyseles phénomènes de société dans le sud de l’Italie.La femme reste le premier soutien social, con­trainte de s’occuper du foyer et de se couler dansun rôle très traditionnel, élever les enfants ets’occuper des vieux parents. Dans la partie méri­dionale du pays, 5 % seulement des enfants âgésde zéro à trois ans fréquentent la crèche, contre18 % dans la partie septentrionale. C’est tout dire.

“Je préfère engager des jeunes hommes, eux aumoins ils ne s’arrêtent pas de travailler pour fairedes enfants.” L’industriel qui prononce ces parolessouhaite rester anonyme. Il sait que ses mots sontpolitiquement incorrects et reconnaît que la réa­lité du monde du travail ne favorise pas l’emploides femmes. “Une employée enceinte représente uneréelle perte pour mon entreprise, car je sais qu’ellesera absente pendant un an, le congé de maternitéen Italie est beaucoup trop long et, surtout, elles peu­vent le prolonger.” Une façon de penser qui n’estpas isolée dans le monde de l’entreprise. Une foisinsérées dans le marché du travail, les femmesitaliennes restent une catégorie à risque.

Selon un autre rapport, intitulé “Mères dans lacrise”, réalisé par la branche italienne de l’ONGSave the Children, les femmes avec enfants sont

défavorisées dans le monde du travail. Entre 2008et 2009, 800 000 femmes ont déclaré avoir été li­cenciées ou avoir subi des pressions à la démis­sion après avoir annoncé leur grossesse. En Italie,la pratique des “démissions en blanc” est très ré­pandue : le jour de la signature de son contratd’engagement, l’employée est contrainte de si­gner une lettre de démission en cas de grossesse.

La RAI, la télévision publique, a d’ailleurs été aucœur d’un scandale l’an dernier, lorsque le per­sonnel a découvert dans le règlement une clauseprévoyant qu’une collaboratrice externe puisseêtre licenciée si “sa productivité devait être com­promise par une grossesse”. Elsa Fornero, ministredu Travail du gouvernement Monti, a finalementinséré dans la réforme du marché du travail,adoptée en juin dernier par le Parlement, une dis­position visant à abolir cette “pratique honteuse”.

“L’Italie est très en retard concernant la participa­tion des femmes au marché du travail”, reconnaît laministre, “les femmes sont aujourd’hui le segment leplus sacrifié”. Un constat insuffisant pour l’ONG etles comités de défense des droits des femmes quidemandent des politiques concrètes pour enrayer“la détérioration progressive de la condition desfemmes actives en Italie” – une détérioration qui ades conséquences sur la santé économique et so­ciale de tout le pays, sans parler des conséquencesdésastreuses sur la démographie. “Les jeunes et lesfemmes sont les grandes ressources gaspillées de no­tre pays”, affirmait Mario Monti, quelques joursaprès sa prise de fonction à la tête du gouverne­ment italien, en novembre 2011. Il avait alors juréqu’il ferait tout pour développer des politiques enfaveur d’une plus grande insertion des femmesdans le marché du travail.

Un défi qu’il n’a pas vraiment relevé, mais, enannonçant sa participation aux prochaines élec­

tions, il est revenu sur la question. “Pour l’équité,la croissance, le développement de la société ita­lienne, nous devons faire un saut qualitatif et chan­ger la manière de voir la femme dans la société.” Leprofesseur n’a pu s’empêcher d’ajouter que “dupoint de vue économique, les chiffres sont sans ap­pel; une vraie politique d’égalité des chances pour­rait relancer la croissance et faire augmenter le PIBd’un point et même peut être plus !”.

Silvio Berlusconi, faut­il le préciser, a une toutautre vision de la condition féminine. La se­maine dernière, en pleine campagne électorale,en visite dans une entreprise, il a demandé avecinsistance à une jeune employée combien de foiselle venait ici par jour – question ambiguë, sa­chant qu’en italien, “venir” et “jouir” se disentde la même façon… Avant de lui enjoindre de setourner, pour mieux reluquer son postérieur, etde lâcher : “Oui, c’est un bon parti.”

Tout ce dialogue, fort embarrassant pour lajeune femme, a été filmé intégralement et dif­fusé par les nombreuses télévisions présentes.“Juste une blague”, a répondu le Cavaliere auxprotestations qui s’élevaient un peu partout.Une injure aux femmes, répliquent des groupesd’activistes qui ont organisé un flash mob à Mi­lan le jour de la Saint­Valentin pour inviter “PapiSilvio” à “disparaître”.

“Ce n’est pas anodin. Les télévisions de Silvio Ber­lusconi, imitées ensuite par la télévision publique,proposent, depuis trente ans, des modèles de fem­mes qui, pour réussir, sont prêtes à suivre un mon­sieur plus âgé, et à participer à des fêtes comme cel­les organisées à Arcore” (la villa de Silvio Berlus­coni), explique Lorella Zanardo, auteure et

réalisatrice du livre et du documentaire “Lecorps des femmes”. Cela fait trois ans qu’ellesillonne sans relâche l’Italie pour présenter sonfilm dans les écoles. “Je veux expliquer, aux fillessurtout, mais aussi aux garçons, comment la télévi­sion italienne a changé le regard que toute la so­ciété porte sur les femmes”, explique­t­elle. Dansson film, elle a répertorié les séquences les pluschoquantes de la télévision italienne, où lafemme est présentée en objet sexuel, sans prati­quement jamais avoir la possibilité de s’expri­mer. “Le problème, c’est que les parentsd’aujourd’hui ont grandi en regardant cette télévi­sion qui fait de la femme un objet commercial. Ilsont ce type de référence culturelle. J’ai eu l’occasionde parler avec des mères d’adolescentes, qui espè­rent que leurs filles, un jour, travailleront à la télé­vision, non pas pour faire de l’argent, m’ont­ellesdit, mais pour au moins exister ! L’idée que, pourexister, la femme doit apparaître est donc bien an­crée dans notre société. Et c’est cela que nous de­vons démonter.”

Lorella Zanardo est consciente que modifiercette vision de la femme prendra beaucoup detemps. “Nous sommes descendues par milliersdans les rues en 2011, et cela n’a rien changé. Je merends compte que des hommes, des pères, viennentà présent assister à mes conférences. Car ils sontpréoccupés par leurs filles qui se comportent déjàcomme des poupées. Nous devons absolument mi­ser le tout sur la connaissance et sur l’éducationculturelle. Sans cela, il n’y a pas d’émancipation.Pendant trop longtemps en Italie, la “show girl” detélévision a pu devenir ministre, tout simplementparce qu’un homme l’avait décidé. Le message doitêtre différent : on devient ministre, parce qu’on aétudié, parce qu’une femme a les compétences !”

STEFAN

OMAS

SÈ/SGP

/REPOR

TERS

L’idée que, pour exister, la femme doit apparaître, est bien ancrée. Les adolescentes rêvent de ressembler aux stars du petit écran.

“Pendant troplongtemps en Italie,la “show girl” detélévision a pudevenir ministre,tout simplementparce qu’un hommel’avait décidé. Lemessage doit êtredifférent : ondevient ministre,parce qu’on a lescompétences !”Lorella Zanardo

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

tions, il est revenu sur la question. “Pour l’équité,la croissance, le développement de la société ita­lienne, nous devons faire un saut qualitatif et chan­ger la manière de voir la femme dans la société.” Leprofesseur n’a pu s’empêcher d’ajouter que “dupoint de vue économique, les chiffres sont sans ap­pel; une vraie politique d’égalité des chances pour­rait relancer la croissance et faire augmenter le PIBd’un point et même peut être plus !”.

Silvio Berlusconi, faut­il le préciser, a une toutautre vision de la condition féminine. La se­maine dernière, en pleine campagne électorale,en visite dans une entreprise, il a demandé avecinsistance à une jeune employée combien de foiselle venait ici par jour – question ambiguë, sa­chant qu’en italien, “venir” et “jouir” se disentde la même façon… Avant de lui enjoindre de setourner, pour mieux reluquer son postérieur, etde lâcher : “Oui, c’est un bon parti.”

Tout ce dialogue, fort embarrassant pour lajeune femme, a été filmé intégralement et dif­fusé par les nombreuses télévisions présentes.“Juste une blague”, a répondu le Cavaliere auxprotestations qui s’élevaient un peu partout.Une injure aux femmes, répliquent des groupesd’activistes qui ont organisé un flash mob à Mi­lan le jour de la Saint­Valentin pour inviter “PapiSilvio” à “disparaître”.

“Ce n’est pas anodin. Les télévisions de Silvio Ber­lusconi, imitées ensuite par la télévision publique,proposent, depuis trente ans, des modèles de fem­mes qui, pour réussir, sont prêtes à suivre un mon­sieur plus âgé, et à participer à des fêtes comme cel­les organisées à Arcore” (la villa de Silvio Berlus­coni), explique Lorella Zanardo, auteure et

réalisatrice du livre et du documentaire “Lecorps des femmes”. Cela fait trois ans qu’ellesillonne sans relâche l’Italie pour présenter sonfilm dans les écoles. “Je veux expliquer, aux fillessurtout, mais aussi aux garçons, comment la télévi­sion italienne a changé le regard que toute la so­ciété porte sur les femmes”, explique­t­elle. Dansson film, elle a répertorié les séquences les pluschoquantes de la télévision italienne, où lafemme est présentée en objet sexuel, sans prati­quement jamais avoir la possibilité de s’expri­mer. “Le problème, c’est que les parentsd’aujourd’hui ont grandi en regardant cette télévi­sion qui fait de la femme un objet commercial. Ilsont ce type de référence culturelle. J’ai eu l’occasionde parler avec des mères d’adolescentes, qui espè­rent que leurs filles, un jour, travailleront à la télé­vision, non pas pour faire de l’argent, m’ont­ellesdit, mais pour au moins exister ! L’idée que, pourexister, la femme doit apparaître est donc bien an­crée dans notre société. Et c’est cela que nous de­vons démonter.”

Lorella Zanardo est consciente que modifiercette vision de la femme prendra beaucoup detemps. “Nous sommes descendues par milliersdans les rues en 2011, et cela n’a rien changé. Je merends compte que des hommes, des pères, viennentà présent assister à mes conférences. Car ils sontpréoccupés par leurs filles qui se comportent déjàcomme des poupées. Nous devons absolument mi­ser le tout sur la connaissance et sur l’éducationculturelle. Sans cela, il n’y a pas d’émancipation.Pendant trop longtemps en Italie, la “show girl” detélévision a pu devenir ministre, tout simplementparce qu’un homme l’avait décidé. Le message doitêtre différent : on devient ministre, parce qu’on aétudié, parce qu’une femme a les compétences !”

STEFAN

OMAS

SÈ/SGP

/REPOR

TERS

L’idée que, pour exister, la femme doit apparaître, est bien ancrée. Les adolescentes rêvent de ressembler aux stars du petit écran.

“Pendant troplongtemps en Italie,la “show girl” detélévision a pudevenir ministre,tout simplementparce qu’un hommel’avait décidé. Lemessage doit êtredifférent : ondevient ministre,parce qu’on a lescompétences !”Lorella Zanardo

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

La crise économique Pages 6-7

L’avis d’Ezio Mauro

Comment un pays du G8peut-il se découvrirun problème dignedu tiers-monde ?C’est un problème négligé trop longtemps, jusqu’à ce que lesouvriersmontent sur les toits de l’usine, jusqu’à ce que la villeproteste. Les hommes politiques ont fait semblant de rien, eton se retrouve dans une situation préoccupante, scandaleuse,avec des craintes pour la santé des travailleurs de l’Ilva, maiségalement pour celle des habitants de la zone. Et quand onarrive à une situation où les travailleurs doivent faire un choixentre leursmoyens de subsistance et leur santé, entre tra­vailler à l’usine, en négligeant leur vie ou perdre leur emploipour sauver leur peau, on se trouve vraiment face à une pro­blématique du tiers­monde. En fait, on se rend peu compteque les droits des travailleurs glissent peu à peu au bas de lahiérarchie des droits. C’est comme si tous les autres droitssurvivaient à cette crise, peut­être avec quelques difficultés,mais ils survivent. Les droits des travailleurs, eux, peuvent êtrecomprimés. Ce sont des droits “relatifs”.

“Mourirde faim ou

d’un cancer ?”Le choixmacabre

de Tarenteh Dans les Pouilles, la plus grande aciérie d’Europe doit fermer

ses portes pour “non­conformité aux normes environnementales”.La décision oppose l’Etat, qui veut le maintien de l’activité,

à la magistrature. Au milieu, les Tarentins ont le choixentre une catastrophe écologique et une catastrophe sociale.

Reportage Raphaël MeuldersEnvoyé spécial à Tarente

Attention, ville contaminée.” Les masquesà oxygène tagués sur les murs sont ex­plicites, la poussière, rouge, a depuislongtemps envahi les balcons du quar­tier Tamburi. “Ce n’est pas vraiment

l’endroit idéal pour passer des vacances, hein ?”, lanceun habitant sorti dans une rue déserte, envahie parles détritus. Les chiens errants s’en raffolent. Ici, ona le choix entre la peste et le choléra. Une catastro­phe sociale ou écologique ? La question taraude Ta­rente, ville du sud de l’Italie, depuis plusieurs mois.A l’origine de ce tiraillement, il y a l’usine sidérur­gique de l’Ilva qui, tentaculaire, surplombe la villede sa dizaine d’immenses cheminées.

Mère nourricière pour certains, meurtrière pourd’autres, l’Ilva a lié son sort à la région depuis 1960.Du pain bénit pour cette cité de 200 000 habitants,considérée, déjà à l’époque, comme l’une desmoins favorisées d’Italie. Et du pain tout court pourles 40 000 travailleurs engagés à l’ouverture de cemonstre d’acier. “La politique industrielle de l’époquevoulait rééquilibrer l’écart qui s’était creusé entre leNord et le Sud”, explique Lunetta Franco, présidentede la branche locale de l’association écologique Le­gambiente. “Tarente a, en outre, profité de sa positionstratégique.” Ce n’est pas pour rien que celle qu’onconsidère dorénavant comme la ville la plus pol­luée d’Europe accueille l’une des plus importantesbases navales militaires du pays.

L’Ilva de Tarente reste un moteur économique es­sentiel de la Botte : l’usine, qui emploie actuelle­ment 11500 personnes (mais des dizaines de mil­

liers de Tarentins dépendent directement de labonne santé de l’entreprise), est toujours la plusgrande aciérie d’Europe. Elle produit 9 des 28 mil­lions de tonnes d’acier fabriquées annuellement enItalie.

Mais l’Ilva tue aussi. Du moins, c’est ce qu’af­firme, rapport à l’appui, la justice italienne qui, enmars dernier, a accusé les dirigeants de créer quoti­diennement un “désastre environnemental”. Encause ? L’usine ne s’est plus mise au goût du jourdes normes environnementales les plus élémentai­res depuis des dizaines d’années. Les résultats sontcatastrophiques. D’après les experts, Tarente émet92 % des émissions de dioxine, près de 9 % de cellesproduites en Europe. Mais “ce n’est pas le pire”, se­lon les associations écologiques qui pointent uncocktail explosif de substances toxiques libéréesdans l’air, et notamment des polychlorobiphényles(PCB) fortement cancérigènes. Les enfants seraientparmi les principales victimes. “Beaucoup sont at­teints d’allergies lourdes dès le plus jeune âge”, s’indi­gne la pédiatre Grazia Monteli. “On a même remar­qué que certains bébés du quartier de Tamburiavaient les poumons aussi atteints que des fumeurs delongue durée.”

Les hôpitaux – spécialisés dans les leucémies,lymphomes et autres cancers – abondent danscette ville où la mortalité est supérieure de 10 à15 % par rapport à la moyenne nationale. “A Ta­rente, tout le monde a un proche ou connaît quelqu’unqui est atteint d’une de ces maladies”, résume Giu­seppe Giannetto, journaliste local. Certains tententl’humour noir pour dénoncer ce sombre tableau.Beppe Grillo, l’ancien comique italien, aujourd’huitribun populiste, lançait ainsi, lors d’une visite ré­

cente dans la ville des Pouilles : “Tarente, sans sa si­dérurgie ? Que feront le responsable des pompes funè­bres, le brancardier, le menuisier, le fleuriste, le phar­macien ou le radiologue ?”

La situation fait moins rire la justice italienne quia exigé la fermeture “express” d’une grande partiede l’aciérie. Elle refuse aussi de lever le séquestrebloquant environ un milliard d’euros de marchan­dises de l’Ilva depuis le 22 novembre denier. Le brasde fer se joue à trois : magistrature, dirigeants (le vi­ce­président du groupe familial qui gère le site, Fa­bio Riva, a été arrêté fin janvier en Angleterre) etgouvernement italien. Pas question pour MarioMonti de laisser échapper, en pleine tourmenteéconomique, l’un des “fleurons” de l’Italie. Un dé­cret­loi, adopté en triple vitesse en novembre der­nier, a ainsi permis, “sous conditions”, au groupeRiva de continuer à gérer le site. La raison ? L’usineest jugée “stratégique” pour la nation. “Ce décret créeun précédent dangereux en passant au­dessus d’unedécision de la justice”, dénonce Lunetta Franco. Il se­rait d’ailleurs “anticonstitutionnel”, d’après la ma­gistrature qui a porté l’affaire devant les plus hau­tes instances du pays.

A Tarente, on regarde toute cette saga juridico­politique d’un air consterné. La situation est blo­quée et l’incertitude pèse sur les épaules des pre­miers concernés : les ouvriers de l’Ilva. Trois milled’entre eux ont déjà été mis en chômage technique.“Je suis très préoccupé”, explique Angelo qui s’ap­prête à passer 10 heures dans les entrailles del’aciérie. “Pour moi, la santé prime sur le travail. J’aitrois enfants, et je veux qu’ils grandissent dans un en­vironnement sain. Mais si je perds mon job, c’est la ca­tastrophe. J’arrive déjà à peine à payer mes factures,

alors, imaginez… Ici, ce sont les Pouilles : nous sommesla pire partie de l’Europe.”

Près de 75 % du PIB de la province dépendraitainsi directement de l’aciérie. La fermer serait uncataclysme social. Il est 14 heures 30, des dizainesde bus amènent les travailleurs venus de la régionvers l’une des entrées principales du site. L’inquié­tude se cache parfois sous des regards souriants,annonce Mario, vendeur ambulant devant l’usine.“Depuis quatre ou cinq ans, la situation empire. Je negagne plus que 20 euros par jour, et j’ai trois enfants ànourrir”, se plaint­il. La journée n’est pas si mau­vaise pour le voisin ambulant de Mario : les petits“shots” de vodka et autres liqueurs cartonnentauprès d’ouvriers frigorifiés. Elle s’annonce encorelongue pour Angelo dont le “shift” commence à15h pour se terminer à 23h. L’Ilva ne dort jamais.Pour certains, le travail prime sur tout. “En Italie,comme il n’y a pas de boulot, ou tu travailles dans cesconditions ou tu rentres à la maison”, lance Mimmo,la cinquantaine, dont douze années passées à l’Ilva.

En août, les discordances ont éclaté au grand jourentre ouvriers et certains syndicats prêts à toutpour sauver l’emploi. Lors d’une manifestation, dif­férents calicots affirmaient qu’il valait mieux “mou­rir d’un cancer que de faim”. “La santé est aussi impor­tante que l’emploi”, nuance le syndicaliste ClaudioLucarelli. “On ne doit pas fermer cette usine, on doit lamettre aux normes.” Mais le groupe Riva en est­il ca­pable seul ? Plus de 4 milliards d’euros seraient né­cessaires pour cette mise en conformité. L’Etat sedit prêt à participer, on évoque aussi un investis­seur étranger et une éventuelle aide de l’Europe.

Mais, pour Angelo Bonelli, président des verts ita­liens, mieux vaut consentir des investissements à

une reconversion et faire de Tarente une “zonefranche”. “Non, non, l’acier a de l’avenir ici”, contesteClaudio Lucarelli. “C’est très différent de la situationen Belgique ou en France où les usines ferment. A Ta­rente, nous avons des marchés totale­ment différents, au Moyen­Orient,notamment. On peut aller de l’avant.”

Aller de l’avant. C’est aussi le vœudu maire de Tarente, impatient dedébloquer cette situation. Pourl’heure, l’homme a d’autres chats àfouetter : les finances de la ville sontau plus mal. Un comité d’accueil at­tend d’ailleurs le premier citoyende Tarente devant sa mairie. Ippa­zio Stefano ne s’y trouve pas. Nousle retrouvons dans sa voiture.L’homme affirme ne plus être armécomme l’avait révélé la presse lo­cale. “Non, c’est fini tout cela. C’estvrai, j’ai porté un pistolet pendant lapériode des élections, car j’avais reçudes menaces de mort qui visaientaussi ma famille.” Qualifié de “gi­rouette” par beaucoup d’ouvriers,invité à la “démission” par de nom­breux tags dans la ville, sa réputa­tion en a pris pour son grade. “Je n’aipas inventé cette loi, c’est l’Etat quil’impose, et je l’applique”, se défend M. Stefano. Selonlui, les médias “exagèrent” quand ils parlent de saville comme étant la plus polluée d’Europe. “Des ex­perts ont montré que Tarente n’était pas plus polluéeque d’autres villes italiennes. Je ne défends pas l’Ilva,mais on ne peut pas mettre 15 à 20 000 familles à larue du jour au lendemain. Ce serait une tragédie pour

la région où il y a très peu d’activités économiques.” Lemaire a son idée pour sortir Tarente du marasme :un référendum, qu’il organise en avril prochain. “Jevais demander aux Tarentins : que voulez­vous faire

de ce site ? Cette initiative n’aqu’une valeur consultative, maisj’espère que l’Etat en tiendracompte.”

Retour à Tamburi, le quartiersocial au pied de l’usine. Des jeu­nes courent, inconscients, sur unepiste délabrée. On vient d’inter­dire à des enfants de jouer sur desplaines de jeux. Une “mesure pré­ventive”, annonce le maire qui ex­plique que le sol était contaminépar une couche de dioxine. “Cesgens sont pris en otages”, dénonceLunetta Franco. “Leur maison nevaut plus rien, et ils n’ont aucun en­droit où aller.” Le jeu d’échecspourrait durer encore longtemps.“Les dirigeants de l’Ilva, un lobbytrès puissant qu’a toujours soutenuSilvio Berlusconi, font du chantageen disant : ‘Si nous ne produisonspas, nous ne gagnons pas d’argentet, donc, nous ne pouvons pas

nous mettre aux normes.’ Mais ils devaient le faireavant !” Près du centre­ville, une inscription “Etatassassin” répond à des façades ravagées par le ventet la misère. Des pêcheurs continuent leurs tâches,limitées par les autorités sanitaires. Sur quel piedvont­ils danser cette prochaine tarentelle qui pour­rait s’avérer macabre ? Pour l’heure, ils l’ignorent.

ANDR

EWMED

IC/AP

Les ouvriers de l’Ilva étaient montés à Rome en novembre 2012. pour protester contre la fermeture de leur usine.

“On a mêmeremarqué quecertains bébésavaient lespoumons aussiatteints que desfumeurs de longuedurée.”Une pédiatre

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

alors, imaginez… Ici, ce sont les Pouilles : nous sommesla pire partie de l’Europe.”

Près de 75 % du PIB de la province dépendraitainsi directement de l’aciérie. La fermer serait uncataclysme social. Il est 14 heures 30, des dizainesde bus amènent les travailleurs venus de la régionvers l’une des entrées principales du site. L’inquié­tude se cache parfois sous des regards souriants,annonce Mario, vendeur ambulant devant l’usine.“Depuis quatre ou cinq ans, la situation empire. Je negagne plus que 20 euros par jour, et j’ai trois enfants ànourrir”, se plaint­il. La journée n’est pas si mau­vaise pour le voisin ambulant de Mario : les petits“shots” de vodka et autres liqueurs cartonnentauprès d’ouvriers frigorifiés. Elle s’annonce encorelongue pour Angelo dont le “shift” commence à15h pour se terminer à 23h. L’Ilva ne dort jamais.Pour certains, le travail prime sur tout. “En Italie,comme il n’y a pas de boulot, ou tu travailles dans cesconditions ou tu rentres à la maison”, lance Mimmo,la cinquantaine, dont douze années passées à l’Ilva.

En août, les discordances ont éclaté au grand jourentre ouvriers et certains syndicats prêts à toutpour sauver l’emploi. Lors d’une manifestation, dif­férents calicots affirmaient qu’il valait mieux “mou­rir d’un cancer que de faim”. “La santé est aussi impor­tante que l’emploi”, nuance le syndicaliste ClaudioLucarelli. “On ne doit pas fermer cette usine, on doit lamettre aux normes.” Mais le groupe Riva en est­il ca­pable seul ? Plus de 4 milliards d’euros seraient né­cessaires pour cette mise en conformité. L’Etat sedit prêt à participer, on évoque aussi un investis­seur étranger et une éventuelle aide de l’Europe.

Mais, pour Angelo Bonelli, président des verts ita­liens, mieux vaut consentir des investissements à

une reconversion et faire de Tarente une “zonefranche”. “Non, non, l’acier a de l’avenir ici”, contesteClaudio Lucarelli. “C’est très différent de la situationen Belgique ou en France où les usines ferment. A Ta­rente, nous avons des marchés totale­ment différents, au Moyen­Orient,notamment. On peut aller de l’avant.”

Aller de l’avant. C’est aussi le vœudu maire de Tarente, impatient dedébloquer cette situation. Pourl’heure, l’homme a d’autres chats àfouetter : les finances de la ville sontau plus mal. Un comité d’accueil at­tend d’ailleurs le premier citoyende Tarente devant sa mairie. Ippa­zio Stefano ne s’y trouve pas. Nousle retrouvons dans sa voiture.L’homme affirme ne plus être armécomme l’avait révélé la presse lo­cale. “Non, c’est fini tout cela. C’estvrai, j’ai porté un pistolet pendant lapériode des élections, car j’avais reçudes menaces de mort qui visaientaussi ma famille.” Qualifié de “gi­rouette” par beaucoup d’ouvriers,invité à la “démission” par de nom­breux tags dans la ville, sa réputa­tion en a pris pour son grade. “Je n’aipas inventé cette loi, c’est l’Etat quil’impose, et je l’applique”, se défend M. Stefano. Selonlui, les médias “exagèrent” quand ils parlent de saville comme étant la plus polluée d’Europe. “Des ex­perts ont montré que Tarente n’était pas plus polluéeque d’autres villes italiennes. Je ne défends pas l’Ilva,mais on ne peut pas mettre 15 à 20 000 familles à larue du jour au lendemain. Ce serait une tragédie pour

la région où il y a très peu d’activités économiques.” Lemaire a son idée pour sortir Tarente du marasme :un référendum, qu’il organise en avril prochain. “Jevais demander aux Tarentins : que voulez­vous faire

de ce site ? Cette initiative n’aqu’une valeur consultative, maisj’espère que l’Etat en tiendracompte.”

Retour à Tamburi, le quartiersocial au pied de l’usine. Des jeu­nes courent, inconscients, sur unepiste délabrée. On vient d’inter­dire à des enfants de jouer sur desplaines de jeux. Une “mesure pré­ventive”, annonce le maire qui ex­plique que le sol était contaminépar une couche de dioxine. “Cesgens sont pris en otages”, dénonceLunetta Franco. “Leur maison nevaut plus rien, et ils n’ont aucun en­droit où aller.” Le jeu d’échecspourrait durer encore longtemps.“Les dirigeants de l’Ilva, un lobbytrès puissant qu’a toujours soutenuSilvio Berlusconi, font du chantageen disant : ‘Si nous ne produisonspas, nous ne gagnons pas d’argentet, donc, nous ne pouvons pas

nous mettre aux normes.’ Mais ils devaient le faireavant !” Près du centre­ville, une inscription “Etatassassin” répond à des façades ravagées par le ventet la misère. Des pêcheurs continuent leurs tâches,limitées par les autorités sanitaires. Sur quel piedvont­ils danser cette prochaine tarentelle qui pour­rait s’avérer macabre ? Pour l’heure, ils l’ignorent.

ANDR

EWMED

IC/AP

Les ouvriers de l’Ilva étaient montés à Rome en novembre 2012. pour protester contre la fermeture de leur usine.

“On a mêmeremarqué quecertains bébésavaient lespoumons aussiatteints que desfumeurs de longuedurée.”Une pédiatre

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

La mafia Pages 8-9

L’avis d’Ezio Mauro

La mafia fait-elle encorepeur à l’Italie ? Pourquoin’est-elle pas un thèmede campagne ?Lamafia n’est pas plus présente, car elle n’assassine plusaussi ouvertement en Sicile et ne fait plus chanter directe­ment les hommes politiques comme dans les dernièresannées de la IèreRépublique italienne, avant l’OpérationMains propres. Lamafia est là. Elle s’est ramifiée, a de nom­breux liens avec la politique. Elle déborde du sud de l’Italieet a débarqué au Nord, en Emilie, en Lombardie… Elle s’est“banalisée”, elle est entrée dans unmonde des affaires “pro­pres” et non plus seulement dans des affaires louches notoi­rement complices. Il y a des entreprises, même de petiteactivité, qui blanchissent l’argent. Le citoyen les rencontredans son quotidien, mais ne peut les identifier comme étantmafieuses. L’étendue de lamafia sur le territoire ou sa capa­cité à se fondre dans le décor fait peur, et devrait faire peurencore davantage.

Toujoursplus

au Nordh Election rime toujours avec achat de voix. Les organisations

criminelles des régions du sud de l’Italie restent attachées à leurterre d’origine, mais désormais, c’est dans la partie septentrionale

qu’elles font des affaires juteuses. Y compris avec l’Expo 2015.

Reportage Valérie DupontEnvoyée spéciale à Milan

Quand Silvio Berlusconi a promis auxItaliens que le premier acte officielde son gouvernement, s’il est élu,sera d’abolir la taxe cadastrale etd’en rembourser le montant payél’an dernier, il a déclenché une pluie

de critiques. “C’est un achat de votes et, en plus, avecl’argent des Italiens !”, a aussitôt dénoncé le prési­dent du Conseil sortant, Mario Monti.

L’achat du vote, une véritable tradition ita­lienne. “Les choses n’ont pas beaucoup évolué depuisla légendaire campagne électorale d’Achille Lauroqui donnait la chaussure gauche avant le vote, et lachaussure droite après les élections”, écrit RobertoSaviano, journaliste connu pour ses batailles pourla défense des droits et auteur de “Gomorra”.“Alors qu’ailleurs dans le monde démocratique, onvote pour un homme politique plutôt que pour unautre en fonction de son orientation, parce qu’oncroit en sa vision du changement, surtout au niveaulocal, ici, chez nous, cela ne fonctionne pas commecela. Dans notre réalité, les programmes et les débatsne servent qu’aux élites, aux militants, mais la véri­table victoire est celle du vote utile à soi­même”,poursuit l’écrivain napolitain.

Au­delà des promesses et de la certitude d’obte­nir un poste de travail ou des droits pour lancerune activité, par exemple, l’achat du vote à grandeéchelle est le plus souvent perpétré par les orga­nisations criminelles. Il concerne principalementtrois régions italiennes, la Campanie, la Calabre etla Sicile. “Autrefois, les clans payaient eux­mêmes lesfrais de la campagne électorale des candidats qui

pouvaient être utiles à leurs affaires. Aujourd’hui, ilsaident de simples candidats qui ont des difficultés àobtenir des voix”, explique Saviano. Mieux, lesgroupes mafieux préfèrent présenter un de leurshommes sur les listes électorales. Ils sont ainsicertains d’obtenir les informations sur les mar­chés publics, d’attirer les financements vers lessecteurs qui les intéressent, de faire ouvrir unchantier, d’entrer dans les circuits du tri des dé­chets – toutes affaires porteuses de gros bénéfices.

Rosario Crocetta, le nouveau gouverneur de laSicile, a passé sa vie à dénoncer la mafia. Ancienmaire de Gela, il vit sous la menace, il est escortéen permanence depuis qu’il a osé licencier lafemme du chef de clan, Daniele Emmanuello.Malgré son statut d’ennemi de Cosa Nostra, cer­tains mafieux n’ont pas hésité, quand ils ont ap­pris que Crocetta serait le candidat de la gaucheitalienne aux dernières élections régionales : ilsont contacté des membres de son équipe de cam­pagne pour lui proposer “des paquets de voix”.“J’aurais dû payer 400 euros par tranche de 500 vo­tes.” Mais, en général, plus l’élection approche,plus les prix montent. “Pendant la dernière se­maine de la campagne, le prix en Sicile grimpe jus­qu’à 50 ou 60 euros par bulletin de vote. Sans cela,on ne pourrait pas expliquer pourquoi des candidatsinconnus moissonnent des milliers de votes et par­viennent à décrocher un siège”, explique en détaille nouveau président de la Région Sicile, qui a évi­demment refusé.

A chaque campagne électorale, c’est une batailleperdue d’avance. Roberto Saviano tente de pu­blier des documents pour attirer l’attention surce phénomène qui fausse le résultat des élections

dans certaines circonscriptions. “Le mécanisme leplus courant pour contrôler les votes est de payerchaque électeur en utilisant le bulletin volant. L’élec­teur qui veut vendre son vote se rend auprès du res­ponsable du clan. Il reçoit un bulletin déjà rempli, serend au bureau de vote avec ce papier sous sa veste,substitue les deux bulletins dans l’isoloir, et insèredans l’urne celui que le clan lui a remis. Il retourneauprès du contact, reçoit de l’argent et donne le bul­letin vierge qui sera à son tour rempli et donné à unautre électeur.” Prix du vote : cinquante, cent, centcinquante euros, ou encore un téléphone porta­ble !

Le Nord lave­t­il plus blanc pour autan ? Le10 octobre 2012, Ilda Boccassini, procureur anti­mafia du parquet de Milan, convoque la presse.Domenico Zambetti, un ministre régional de laLombardie, élu sur les listes du parti de Silvio Ber­lusconi, vient d’être arrêté. Il est accusé d’avoiracheté des votes et d’entretenir des relations ma­fieuses avec la N’drangheta. “Selon notre enquête, ils’agit d’un cas exemplaire : un représentant des insti­tutions qui a fait appel à un groupe criminel, et, dansce cas, a eu des contacts avec les plus hauts dirigeantsd’un clan de la N’drangheta. Nous avons la preuve dudélit, des écoutes téléphoniques. Il a demandé un pa­quet de quatre mille votes, et, pour cela, il a payé deuxcent mille euros”, explique Ilda Boccassini à lapresse médusée. Car ce qui se passe au sud deRome ne peut évidemment contaminer le Nord,pensent les Italiens des régions septentrionales.

Il suffit pourtant de lire le rapport de la commis­sion parlementaire sur la criminalité mafieusepour comprendre que, désormais, les affaires ju­teuses de la mafia se font à Milan. Les griffes des

clans calabrais se seraient déjà refermées sur lescontrats les plus alléchants du moment, ceux del’Expo 2015, l’exposition universelle organisée àMilan dans deux ans. Dix­sept chantiers à réaliserpour un montant de vingt­cinq milliards d’euros !Terrassements, travaux de construction, activitésfinancières et administratives, le terreau est idéalpour enrichir les “boss” de la Calabre, confirmentles enquêtes menées par les procureurs antimafia,entendus par la commission parlementaire. “AMilan, les clans ne tuent pas, mais ils ont réussi à éta­blir un contrôle très serré du territoire”, peut­on liredans le rapport. “Ils n’ont pas souvent besoin de laviolence, il suffit de faire circuler le nom du “boss”,d’expliquer qui il est et d’où il vient pour obtenir ceque l’on veut. La demande de la criminalité est de,tout simplement, créer de la richesse en injectantdans le circuit légal de l’argent obtenu illégalement.”En d’autres mots, les chantiers de l’Expo seraientune couverture idéale pour blanchir les millionsd’euros du marché de la drogue tenu, d’une mainde fer, par les clans calabrais.

Le document parlementaire souligne aussi lessecteurs où la criminalité est désormais bien im­plantée dans les régions du Nord, des secteursaussi divers que la construction et l’immobilier, lavente de fruits et légumes ou les salles de jeux,bars et restaurants. Les nouveaux “boss” lom­bards sont de plus en plus indépendants desautres familles restées en Calabre, mais les systè­mes pour obtenir des contrats restent ancrés dansles traditions mafieuses.

“Le marché public le plus important de l’Expo 2015de Milan a été obtenu par des entreprises qui étaienten affaires avec un des clans les plus sanguinaires deSicile”, titrait l’hebdomadaire italien “L’Espresso”

en décembre dernier. Le magazine explique que,derrière le regroupement d’une série d’entrepri­ses, vénitiennes, romaines et siciliennes, toutespourvues des nécessaires certificats antimafiasans lesquels il est impensable degagner un marché public, pour­raient se dissimuler des entrepri­ses mafieuses. Elles ont obtenu lechantier le mieux payé, une affairede cent soixante­cinq millionsd’euros.

Mais il y a une tache sur le con­trat. Le prix total des travaux esttrop bas. Les entreprises ont pro­posé une réduction colossale duprix. Elles ont réduit leur offre decent six millions d’euros. “Une ré­duction de 43 %, par rapport au de­vis initial. Ces entreprises doiventconstruire une ville, et je reconnaisque cette réduction suscite quelquespréoccupations”, a déclaré l’un desresponsables de l’Expo 2015. Leparquet a ouvert une enquête.

Lutter contre la criminalité, c’estle travail d’Antonio Ingroia depuisvingt­cinq ans. Ce procureur anti­mafia de Palerme a pourtant dé­cidé de mettre un terme à une brillante carrièrepour se lancer dans la course électorale. “L’impor­tant est de mettre au centre de l’insurrection une ins­tance pacifique, éthique et morale, aspirant au désirde la loi contre une corruption de caste et de conni­vence avec la mafia dans ce pays”, affirme­t­il lorsde ses passages à la télévision. Son mouvement,

appelé Révolution civile, s’inscrit définitivementà gauche avec un programme ambitieux : “Menerla lutte antilibérale pour diminuer les disparités so­ciales, refuser le développement de la bureaucratie et

provoquer l’arrêt de la participa­tion italienne aux missions militai­res.”

Antonio Ingroia mise sur sacrédibilité, convaincu que les Ita­liens fatigués des nombreuses af­faires criminelles et de corrup­tion ont soif d’une politiqued’égalité et surtout de légalité. Ilrisque gros, car, en cas d’échec, lemagistrat ne pourra pas préten­dre retourner à la vie des toges etdes tribunaux. Au nom d’unestricte séparation des pouvoirs,qui se lance en politique ne peutretourner par la suite dans lafonction publique.

Antonio Ingroia embarrasse leParti démocrate, parce que soncombat pour la légalité, dans unpays où la criminalité fait encoretrop souvent la une des jour­naux, risque d’attirer des élec­teurs du centre­gauche. Il met­trait ainsi en danger une victoire

totale de la coalition menée par Pier Luigi Ber­sani, ce qui pousserait l’Italie dans une situationd’ingouvernabilité. Un scénario plausible qui fe­rait paradoxalement les affaires des clans ma­fieux, car le manque d’Etat et les périodes d’insta­bilité restent les éléments qui favorisent la crimi­nalité de tous poils, au Sud et au Nord.

ITALIANPO

LICE

/AP

Une caméra de surveillance avait capté l’assassinat de Mariano Bacioterracino, en 2009 à Naples, par un homme de la Camorra.

“Le mécanisme leplus courant pourcontrôler les votesest de payer chaqueélecteur en utilisantle bulletin volant.Celui qui veutvendre son vote vavoir le chef du clan.”Roberto Saviano

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

clans calabrais se seraient déjà refermées sur lescontrats les plus alléchants du moment, ceux del’Expo 2015, l’exposition universelle organisée àMilan dans deux ans. Dix­sept chantiers à réaliserpour un montant de vingt­cinq milliards d’euros !Terrassements, travaux de construction, activitésfinancières et administratives, le terreau est idéalpour enrichir les “boss” de la Calabre, confirmentles enquêtes menées par les procureurs antimafia,entendus par la commission parlementaire. “AMilan, les clans ne tuent pas, mais ils ont réussi à éta­blir un contrôle très serré du territoire”, peut­on liredans le rapport. “Ils n’ont pas souvent besoin de laviolence, il suffit de faire circuler le nom du “boss”,d’expliquer qui il est et d’où il vient pour obtenir ceque l’on veut. La demande de la criminalité est de,tout simplement, créer de la richesse en injectantdans le circuit légal de l’argent obtenu illégalement.”En d’autres mots, les chantiers de l’Expo seraientune couverture idéale pour blanchir les millionsd’euros du marché de la drogue tenu, d’une mainde fer, par les clans calabrais.

Le document parlementaire souligne aussi lessecteurs où la criminalité est désormais bien im­plantée dans les régions du Nord, des secteursaussi divers que la construction et l’immobilier, lavente de fruits et légumes ou les salles de jeux,bars et restaurants. Les nouveaux “boss” lom­bards sont de plus en plus indépendants desautres familles restées en Calabre, mais les systè­mes pour obtenir des contrats restent ancrés dansles traditions mafieuses.

“Le marché public le plus important de l’Expo 2015de Milan a été obtenu par des entreprises qui étaienten affaires avec un des clans les plus sanguinaires deSicile”, titrait l’hebdomadaire italien “L’Espresso”

en décembre dernier. Le magazine explique que,derrière le regroupement d’une série d’entrepri­ses, vénitiennes, romaines et siciliennes, toutespourvues des nécessaires certificats antimafiasans lesquels il est impensable degagner un marché public, pour­raient se dissimuler des entrepri­ses mafieuses. Elles ont obtenu lechantier le mieux payé, une affairede cent soixante­cinq millionsd’euros.

Mais il y a une tache sur le con­trat. Le prix total des travaux esttrop bas. Les entreprises ont pro­posé une réduction colossale duprix. Elles ont réduit leur offre decent six millions d’euros. “Une ré­duction de 43 %, par rapport au de­vis initial. Ces entreprises doiventconstruire une ville, et je reconnaisque cette réduction suscite quelquespréoccupations”, a déclaré l’un desresponsables de l’Expo 2015. Leparquet a ouvert une enquête.

Lutter contre la criminalité, c’estle travail d’Antonio Ingroia depuisvingt­cinq ans. Ce procureur anti­mafia de Palerme a pourtant dé­cidé de mettre un terme à une brillante carrièrepour se lancer dans la course électorale. “L’impor­tant est de mettre au centre de l’insurrection une ins­tance pacifique, éthique et morale, aspirant au désirde la loi contre une corruption de caste et de conni­vence avec la mafia dans ce pays”, affirme­t­il lorsde ses passages à la télévision. Son mouvement,

appelé Révolution civile, s’inscrit définitivementà gauche avec un programme ambitieux : “Menerla lutte antilibérale pour diminuer les disparités so­ciales, refuser le développement de la bureaucratie et

provoquer l’arrêt de la participa­tion italienne aux missions militai­res.”

Antonio Ingroia mise sur sacrédibilité, convaincu que les Ita­liens fatigués des nombreuses af­faires criminelles et de corrup­tion ont soif d’une politiqued’égalité et surtout de légalité. Ilrisque gros, car, en cas d’échec, lemagistrat ne pourra pas préten­dre retourner à la vie des toges etdes tribunaux. Au nom d’unestricte séparation des pouvoirs,qui se lance en politique ne peutretourner par la suite dans lafonction publique.

Antonio Ingroia embarrasse leParti démocrate, parce que soncombat pour la légalité, dans unpays où la criminalité fait encoretrop souvent la une des jour­naux, risque d’attirer des élec­teurs du centre­gauche. Il met­trait ainsi en danger une victoire

totale de la coalition menée par Pier Luigi Ber­sani, ce qui pousserait l’Italie dans une situationd’ingouvernabilité. Un scénario plausible qui fe­rait paradoxalement les affaires des clans ma­fieux, car le manque d’Etat et les périodes d’insta­bilité restent les éléments qui favorisent la crimi­nalité de tous poils, au Sud et au Nord.

ITALIANPO

LICE

/AP

Une caméra de surveillance avait capté l’assassinat de Mariano Bacioterracino, en 2009 à Naples, par un homme de la Camorra.

“Le mécanisme leplus courant pourcontrôler les votesest de payer chaqueélecteur en utilisantle bulletin volant.Celui qui veutvendre son vote vavoir le chef du clan.”Roberto Saviano

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Le football Pages 10-11

L’avis d’Ezio Mauro

El Shaarawy et Balotelli sont-ilsdes indices d’une meilleureintégration, ou la peau d’uneautre couleur est-elle encoresynonyme de “vucumprà” ?

C’est encore un synonyme de “vucumprà” (terme péjoratifdésignant les vendeurs ambulants étrangers, NdlR) dans tropde régions d’Italie, de la part de citoyens, peut­être anciens,qui ne sont jamais sortis de notre pays. On doit prendre encompte que la droite a souvent parié sur les peurs irration­nelles de l’opinion publique, sur le fantasme d’une immigra­tion qui pourrait d’une façon ou d’une autre attenter à laculture italienne ou à la sécurité du citoyen. Bien sûr, lesdeux attaquants de l’équipe nationale, El Shaarawy et Balo­telli, sont des personnalités qui peuvent jouer un rôle trèspositif dans l’imaginaire des Italiens. Ce sont des champions,des stars qui attirent forcément l’attention, la considération,la sympathie. Et ce sont des Italiens à part entière. Ils parlentnotre langue, ont fréquenté nos écoles, aiment notre pays etl’ont, en un certain sens, choisi. Ils peuvent ainsi communi­quer à une large part de la société et l’amener à accepter qu’ily a des nouveaux Italiens qui sont une ressource capitalepour notre pays. Et cela devrait être étendu aux enfants quivont à l’école ici, qui sont nés ici, qui ont suivi leurs parentsen quête de liberté, d’autonomie financière, d’avenir, toutsimplement. Ces enfants suivent les cours dans nos écoles,deviennent dans les faits Italiens de par les valeurs, l’His­toire, la culture, la langue qu’ils apprennent. C’est seulementune forme d’égoïsme, plus que de racisme, qui les maintienten dehors de la citoyenneté.

A l’ACMilan,Silvio

Berlusconiabat sa

dernièrecarte…

h En pleine crise financière et sportive, le football italiencherche à se réinventer. Tantôt avec l’aide de Silvio

Berlusconi. Tantôt contre lui.

En plein cœur de Milan, l’hôtel CrownePlaza semble à peine arrêter les regardsdes passants. Ciblé depuis des mois parla justice italienne, le lieu aurait pour­tant servi de quartier général à un vaste

réseau de matches truqués. Un réseau dont la fi­gure principale reste aujourd’hui anormalementramenée aux traits joufflus d’un adolescent asiati­que, plus éloignée du bandit de grand chemin quedu personnage de bande dessinée.

“La vérité, c’est que la justice italienne n’arrive pasà toucher, pour l’instant, les principaux responsablesdu dossier”, confie Marco Gori, tombé dans la ré­daction sportive de “Calciomercato” après avoirflirté des années avec les sciences politiques. “C’estun peu à l’image de ce qui s’est passé avec toutes lesaffaires de corruption depuis près de dix ans. On faittomber certaines têtes comme celle de Luciano Moggià la Juventus en laissant croire que le travail a été fait.Mais avant d’avoir un football propre, on en aura en­core pour des années. En attendant, on a l’impressionque le Calcio est devenu un Etat policier. Tout lemonde fait attention à ce qu’il dit et à ce qu’il fait. Ycompris sur le plan fiscal. Les clubs ont diminué les sa­laires de tous les joueurs de plus de 28 ans, en leur of­frant en échange des contrats de longue durée. Le pro­

blème, c’est que les stars n’en ont strictement rien àcaler. C’est pour cela que Wesley Sneijder a, par exem­ple, quitté l’Inter en janvier.”

A Milan, un homme semble ce­pendant avoir décidé de casserles nouveaux codes de conduiteet d’allonger l’argent frais aprèsavoir, quelques mois plus tôt,promis à son club une purgebudgétaire digne du plus sévèreMario Monti. En quelques se­maines, Silvio Berlusconi aura,en effet, transféré, du côté del’AC, Mario Balotelli (“genti­ment” rebaptisé, par son frèrePaolo, “le nègre de la famille”) etl’étoile montante polonaise, Bar­tosz Salamon, pour la sommerondelette de 30 millionsd’euros. “Mais, en Italie, personnen’est dupe. Tout le monde a biencompris que le transfert de Balotellicoïncidait avec la candidature de Berlusconi aux élec­tions. Il a mélangé son rôle sportif de président du Mi­lan AC avec sa casquette politique, après avoir juré

pendant des années qu’il ne mélangerait jamais sesfonctions. Son image risque cette fois d’être touchée.”

D’autant que, dans les coulis­ses du Calcio, les soupçons dis­crets et les accusations détour­nées commencent tout douce­ment à encadrer le portrait deSilvio Berlusconi. Penaltys of­ferts, erreurs d’arbitrage favora­bles, cartes jaunes oubliées : de­puis l’entrée en campagne deson président, le Milan ACaurait récolté 13 points, tantôtétranges, tantôt volés.

Installé à quelques kilomètresde San Siro avec femme et en­fants ­ “mon aîné de 7 ans joueaussi à l’Inter, mais j’essaie de res­ter discret. Je ne veux pas qu’il sesente obligé de m’imiter.” ­, le Bel­gicain de l’Inter Milan, GabyMudingayi, a pourtant appris àvivre avec l’ombre encom­

brante des doutes et des regards suspects. “Mais jevais vous dire une chose : toutes ces histoires de cor­ruption et de matches truqués, on n’en parle jamais

entre nous. Si on rentre dans ce jeu­là, on risque de de­venir complètement fou ou parano. On se mettrait àimaginer n’importe quoi. Je peux juste vous jurer queje suis en Italie depuis près de dix ans, et que personnen’a jamais tenté de m’acheter. Je n’ai jamais reçu lamoindre proposition douteuse ou quoi que ce soit.Dans ma tête, l’Italie reste d’ailleurs le pays qui m’atout donné.”

Coincé dans un jogging grisé, sans luxe mais sansfaux pli, Mudingayi ressemble peut­être à la nou­velle Italie. Moins bling­bling, moins flash, moinstrendy, le football italien semble, ces dernières an­nées, avoir troqué son sex­appeal contre plus d’in­telligence et d’accessibilité. Comme si, lentementmais sûrement, le “star system” du ballon rondavait lui­même choisi de s’effondrer.

Encore arrêté au détour des rues pour des photoset des autographes, Mudingayi n’aura d’ailleurs ja­mais porté comme une croix sa notoriété. “Je nedois pas rester barricadé chez moi. Evidemment queje suis arrêté de temps en temps, mais les gens ne sontabsolument pas encombrants. C’est peut­être aussiparce que l’on est à Milan, et qu’ici, on est habitué àvoir défiler dans les rues les stars de la musique, dufootball et de la télé. Lorsque vous allez dans le Sud,

cela reste, par contre, la ruée. (Sourire.) Ici, vous pou­vez vivre dans une certaine forme de tranquillité.”

Arrivé à l’Inter cet été après avoir patiemmentpassé tous les échelons du Calcio (Torino, Lazio etBologne), l’ancien joueur de la Gantoise côtoie, ilest vrai, bien plus souvent les chemises austères etle style passe­partout du président “interiste”Massimo Moratti, que les sorties tapageuses de sonvoisin milanais, Silvio Berlusconi. Les deux prési­dents de club semblent d’ailleurs renvoyer à l’Italieun contraste saisissant. Comme si l’opposition destyles, jouée entre Berlusconi et Monti, se retrou­vait ici décalquée sur le terrain sportif. A Berlus­coni le strass, les paillettes, le goût suave de la folie.A Moratti les cravates noires, les lunettes malchaussées, l’image de “père la rigueur” etd’homme peu dépensier ­ l’intelligence en moins…

Surnommé le “stupide” dans les coulisses de cer­taines rédactions italiennes, le patron de l’Intertraîne, en effet derrière lui, le cliché du mauvais filsde bonne famille. Celui qui, au milieu de frèresbardés de diplômes et d’honneurs, aura été pousséà trouver refuge dans le football pour ne pas écor­ner le prestige familial et s’offrir une chance debriller. “C’est un homme que j’apprécie énormément”,

nous confie Mudingayi. “Il est capable de traverserdeux pièces pour venir vous saluer. Peu importe quevous soyez connu ou non. Et puis, c’est un vrai con­naisseur du football. Il va visionner des tas de mat­ches, et il connaît les joueurs du championnat sur lebout des doigts.”

Discret, secret, renfrogné, Moratti ressemble belet bien au portrait renversé de Berlusconi.D’autant qu’au contraire de l’ancien Premier mi­nistre, le président de l’Inter a appris à déléguer.“C’est la grande différence entre les deux hommes”,précise Marco Gori. “D’un côté, vous avez Berlusconiqui décide de tout, tout seul. Ses deux fils n’ontd’ailleurs cessé de lui dire de se retirer du Milan AC aucours des dernières années, mais seule sa fille Barbaraparvient encore quelque peu à l’influencer. De l’autre,vous avez Moratti qui s’est entouré de gens compé­tents. Même s’il a pris soin aussi de placer certainespersonnes de sa famille comme son beau­fils, MarcoBranca, qui occupe le poste de directeur technique.”

De part en part du pays, le football italien sembledu reste peiner à se départir d’une certaine formede préférence familiale, chacun plaçant fils, cou­sins, neveux à des postes en vue comme pour évi­ter de voir la tradition s’envoler. “Mais quelqu’uncomme Moratti a tout de même dû ouvrir le capitaldu club à des investisseurs chinois. C’est bien lapreuve que les choses sont en train d’évoluer.”

Et au cœur de ces romans d’héritiers et de filia­tion assurée, Silvio Berlusconi pourrait un jourpasser dans les livres d’Histoire pour le plus avant­gardiste de la mêlée. Moquant ouvertement la tra­dition, le président milanais se sera ainsi offert leluxe de casser un monument aussi imposant quel’ancien capitaine Paolo Maldini, renvoyé au rangde retraité sans que les dirigeants de l’AC ne son­gent à lui retrouver une mission au sein du clubmilanais.

“Berlusconi nous avait transmis son mode de pen­sée : voir tout en grand”, confiait récemment unjoueur à la rancœur maladroitement voilée. “Maisaujourd’hui, Milan s’est transformé, il est devenu uneéquipe normale. Pourquoi ? Parce que dans tous lesgrands clubs, ceux qui ont écrit l’Histoire sont restéstravailler pour transmettre aux jeunes ce qu’ilsavaient appris. Le Milan a cessé de transmettre cemessage.”

La tradition familiale, propre au Calcio, seraitdonc en train de s’effriter. A défaut de se casser. Lafièvre raciste, celle déversant sa haine sur les corpsétrangers, commencerait du reste à s’apaiser. “Enfait, tout dépend de la façon dont on voit les choses”,précise Gaby Mudingayi. “Personnellement, je n’aijamais eu l’impression d’avoir été victime de racisme.Je pense que les cris de singe qu’on entend dans lesstades ont toujours constitué un prétexte trouvé parles supporters pour déstabiliser l’adversaire. Mais ilne s’agit que d’un moyen parmi d’autres.”

Pourtant, après avoir trimbalé sa carcasse de dé­ménageur pendant quelques années du côté de laLazio de Rome (où certains restes fascistes et nazissont aujourd’hui encore décelés), Mudingayiaurait pu, aurait dû, côtoyer le caractère ordurierde l’Italie de près. Mais “non. On était parfois quatreou cinq Blacks dans l’équipe, et on était souvent lesjoueurs préférés du public. J’étais très ami avec PaoloDi Canio sur qui on disait tout et n’importe quoi. Onl’accusait d’être un néonazi, mais c’était un person­nage avec lequel il jouait. J’allais souvent mangerchez lui, et il avait des tas d’amis de couleur. Celan’avait rien à voir avec l’homme que les médias pré­sentaient”. Comme s’il fallait encore et toujours enrevenir à une forme de commedia dell’arte.Comme si le football italien devait rester un théâ­tre où nul ne pourrait réellement séparer le fauxdu vrai.

Alors, entre l’exil des stars, le grand nettoyagefiscal et le vent insistant d’austérité, le Calcio sem­ble vouloir garder pour la provocation un goût en­tier…Thibaut Roland

DANIELLE

BUFFA/PH

OTONE

WS

Stephan El Shaarawy, né à Savone, et d’origine égyptienne, n’en est pas moins une star du football italien.

“Je n’ai jamais étéconfronté au racisme.A la Lazio, j’étais trèsproche de Di Canioqu’on accusait d’êtreun néonazi. Maisc’était un rôle qu’iljouait.”Gaby Mudingayi

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

entre nous. Si on rentre dans ce jeu­là, on risque de de­venir complètement fou ou parano. On se mettrait àimaginer n’importe quoi. Je peux juste vous jurer queje suis en Italie depuis près de dix ans, et que personnen’a jamais tenté de m’acheter. Je n’ai jamais reçu lamoindre proposition douteuse ou quoi que ce soit.Dans ma tête, l’Italie reste d’ailleurs le pays qui m’atout donné.”

Coincé dans un jogging grisé, sans luxe mais sansfaux pli, Mudingayi ressemble peut­être à la nou­velle Italie. Moins bling­bling, moins flash, moinstrendy, le football italien semble, ces dernières an­nées, avoir troqué son sex­appeal contre plus d’in­telligence et d’accessibilité. Comme si, lentementmais sûrement, le “star system” du ballon rondavait lui­même choisi de s’effondrer.

Encore arrêté au détour des rues pour des photoset des autographes, Mudingayi n’aura d’ailleurs ja­mais porté comme une croix sa notoriété. “Je nedois pas rester barricadé chez moi. Evidemment queje suis arrêté de temps en temps, mais les gens ne sontabsolument pas encombrants. C’est peut­être aussiparce que l’on est à Milan, et qu’ici, on est habitué àvoir défiler dans les rues les stars de la musique, dufootball et de la télé. Lorsque vous allez dans le Sud,

cela reste, par contre, la ruée. (Sourire.) Ici, vous pou­vez vivre dans une certaine forme de tranquillité.”

Arrivé à l’Inter cet été après avoir patiemmentpassé tous les échelons du Calcio (Torino, Lazio etBologne), l’ancien joueur de la Gantoise côtoie, ilest vrai, bien plus souvent les chemises austères etle style passe­partout du président “interiste”Massimo Moratti, que les sorties tapageuses de sonvoisin milanais, Silvio Berlusconi. Les deux prési­dents de club semblent d’ailleurs renvoyer à l’Italieun contraste saisissant. Comme si l’opposition destyles, jouée entre Berlusconi et Monti, se retrou­vait ici décalquée sur le terrain sportif. A Berlus­coni le strass, les paillettes, le goût suave de la folie.A Moratti les cravates noires, les lunettes malchaussées, l’image de “père la rigueur” etd’homme peu dépensier ­ l’intelligence en moins…

Surnommé le “stupide” dans les coulisses de cer­taines rédactions italiennes, le patron de l’Intertraîne, en effet derrière lui, le cliché du mauvais filsde bonne famille. Celui qui, au milieu de frèresbardés de diplômes et d’honneurs, aura été pousséà trouver refuge dans le football pour ne pas écor­ner le prestige familial et s’offrir une chance debriller. “C’est un homme que j’apprécie énormément”,

nous confie Mudingayi. “Il est capable de traverserdeux pièces pour venir vous saluer. Peu importe quevous soyez connu ou non. Et puis, c’est un vrai con­naisseur du football. Il va visionner des tas de mat­ches, et il connaît les joueurs du championnat sur lebout des doigts.”

Discret, secret, renfrogné, Moratti ressemble belet bien au portrait renversé de Berlusconi.D’autant qu’au contraire de l’ancien Premier mi­nistre, le président de l’Inter a appris à déléguer.“C’est la grande différence entre les deux hommes”,précise Marco Gori. “D’un côté, vous avez Berlusconiqui décide de tout, tout seul. Ses deux fils n’ontd’ailleurs cessé de lui dire de se retirer du Milan AC aucours des dernières années, mais seule sa fille Barbaraparvient encore quelque peu à l’influencer. De l’autre,vous avez Moratti qui s’est entouré de gens compé­tents. Même s’il a pris soin aussi de placer certainespersonnes de sa famille comme son beau­fils, MarcoBranca, qui occupe le poste de directeur technique.”

De part en part du pays, le football italien sembledu reste peiner à se départir d’une certaine formede préférence familiale, chacun plaçant fils, cou­sins, neveux à des postes en vue comme pour évi­ter de voir la tradition s’envoler. “Mais quelqu’uncomme Moratti a tout de même dû ouvrir le capitaldu club à des investisseurs chinois. C’est bien lapreuve que les choses sont en train d’évoluer.”

Et au cœur de ces romans d’héritiers et de filia­tion assurée, Silvio Berlusconi pourrait un jourpasser dans les livres d’Histoire pour le plus avant­gardiste de la mêlée. Moquant ouvertement la tra­dition, le président milanais se sera ainsi offert leluxe de casser un monument aussi imposant quel’ancien capitaine Paolo Maldini, renvoyé au rangde retraité sans que les dirigeants de l’AC ne son­gent à lui retrouver une mission au sein du clubmilanais.

“Berlusconi nous avait transmis son mode de pen­sée : voir tout en grand”, confiait récemment unjoueur à la rancœur maladroitement voilée. “Maisaujourd’hui, Milan s’est transformé, il est devenu uneéquipe normale. Pourquoi ? Parce que dans tous lesgrands clubs, ceux qui ont écrit l’Histoire sont restéstravailler pour transmettre aux jeunes ce qu’ilsavaient appris. Le Milan a cessé de transmettre cemessage.”

La tradition familiale, propre au Calcio, seraitdonc en train de s’effriter. A défaut de se casser. Lafièvre raciste, celle déversant sa haine sur les corpsétrangers, commencerait du reste à s’apaiser. “Enfait, tout dépend de la façon dont on voit les choses”,précise Gaby Mudingayi. “Personnellement, je n’aijamais eu l’impression d’avoir été victime de racisme.Je pense que les cris de singe qu’on entend dans lesstades ont toujours constitué un prétexte trouvé parles supporters pour déstabiliser l’adversaire. Mais ilne s’agit que d’un moyen parmi d’autres.”

Pourtant, après avoir trimbalé sa carcasse de dé­ménageur pendant quelques années du côté de laLazio de Rome (où certains restes fascistes et nazissont aujourd’hui encore décelés), Mudingayiaurait pu, aurait dû, côtoyer le caractère ordurierde l’Italie de près. Mais “non. On était parfois quatreou cinq Blacks dans l’équipe, et on était souvent lesjoueurs préférés du public. J’étais très ami avec PaoloDi Canio sur qui on disait tout et n’importe quoi. Onl’accusait d’être un néonazi, mais c’était un person­nage avec lequel il jouait. J’allais souvent mangerchez lui, et il avait des tas d’amis de couleur. Celan’avait rien à voir avec l’homme que les médias pré­sentaient”. Comme s’il fallait encore et toujours enrevenir à une forme de commedia dell’arte.Comme si le football italien devait rester un théâ­tre où nul ne pourrait réellement séparer le fauxdu vrai.

Alors, entre l’exil des stars, le grand nettoyagefiscal et le vent insistant d’austérité, le Calcio sem­ble vouloir garder pour la provocation un goût en­tier…Thibaut Roland

DANIELLE

BUFFA/PH

OTONE

WS

Stephan El Shaarawy, né à Savone, et d’origine égyptienne, n’en est pas moins une star du football italien.

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Le patrimoine culturel Pages 12-13

L’avis d’Ezio Mauro

L’Italie a-t-elle encoreles moyens de soutenir sonpatrimoine culturel colossal ?Doit-elle faire appel au secteurprivé ?

Il y a eu quelques expériences – comme, parexemple, celle du Colisée – de participation dusecteur privé. Des expériences nouvelles etvertueuses, car l’Italie a connu des coupes énor­mes dans le budget de la Culture dues à la crise.La gestion de l’Etat – et, par conséquent, dusecteur culturel – vit une crisemajeure. Une descauses de cette image d’appauvrissement dupays, c’est justement cette carence dans la ges­tion du patrimoine. Et c’est tout aussi le cas pourles routes, les écoles et les hôpitaux. Mais lepatrimoine est considéré comme un secteur oùl’on peut plus facilement faire des économies.Pourquoi ? Parce ses beautés ne se lamententpas, ne se révoltent pas, elles ne votent pas. Cepatrimoine est une ressource pour notre pays,d’autant plus que notre économie, notre indus­trie déclinent. Mais c’est une ressource sous­es­timée etmeurtrie.

Quandle glamour

se prendde passion

pour la Romeantique

h Etranglée par la crise, l’Italie ne dégage plus les budgets nécessairesà l’entretien du patrimoine, parfois universel d’ailleurs, dont elle regorge.

Des mécénats de grande envergure voient le jourpour sauver les symboles les plus visibles.Reportage Gilles Milecan

Envoyé spécial à Rome

Postée à côté d’un passage pour piétons,une policière lève élégamment le brasdroit en sifflant. Son index tendu ne laisseaucun doute au conducteur de scooterqui a brûlé un feu à vingt mètres de là. La

tentative de négociation ne résiste pas longtemps àla fermeté de la dame en bleu. “C’est dangereux, unpoint, c’est tout, assène­t­elle, il y a beaucoup de genset beaucoup d’enfants qui traversent ici”. Ici, c’est en­tre la bouche de métro “Colosseo” et le Colisée lui­même.

Sur l’esplanade qui borde l’édifice, la journée detravail se prépare. Une camionnette – toutes facesrelevées pour augmenter la surface d’exposition dessandwichs, glaces, snacks et boissons fraîches –ajuste son stationnement. Plus proches de l’édifice,des échoppes proposent des cartes postales, des mi­niatures et même l’un ou l’autre casque de légion­naires ou de gladiateurs. “Ce n’est pas cher ici” se pro­nonce dans de nombreuses langues. L’anglais, l’alle­mand et le français occupent le podium.

Anachroniques avec leurs cigarettes, voire leursportables à l’oreille, quatre centurions se sont levéstôt pour se fondre dans le décor. Ils n’ont manifeste­ment pas l’autorisation de trop s’approcher du mo­nument ni de trop entreprendre les touristes, maiss’il y a bien un endroit où peut mûrir l’idée de sefaire photographier aux côtés d’un soldat romain,c’est au Colisée. “A la sortie, les touristes sont plus dé­tendus”, blague Pasquale, en se passant la main surune barbe savamment négligée. “Ils montent

d’ailleurs souvent les escaliers jusqu’à nous, sans quenous ayons à faire grand­chose.” Pour la postérité, ilspasseront la main autour de l’épaule, mimeront lecoup de glaive mortel ou prêteront leurs casques “àbrosse”. Le casting inclut même un chrétien, dontles traits maîtrisent tous les masques de l’agonie.

La vraie star de la photo reste tout de même le Co­lisée, et, placés en haut d’un escalier, les figurantspermettent un cadrage délesté des grillages qui leceinturent. Car l’amphithéâtre Flavien, de son nomsavant, tient en respect d’une dizaine de mètres sesvisiteurs. Il arrive, en effet, rarement certes, que desblocs de pierre ou de maçonnerie se détachent ettombent avec fracas.

Peu de temps après une telle mésaventure, en jan­vier 2011, Diego della Valle, le patron de Tod’s, a mis25 millions d’euros sur la table pour une restaura­tion profonde de ce symbole de l’éternité de Rome.Car, si la soprintendenza du Colisée, Rossella Rea, as­sure, en prenant la tour de Pise en comparaison, quece n’est pas grave, le vieux guerrier s’affaisse lente­ment. Y remédier énergiquement participe doncd’une bonne gestion. D’autant que ce sera égale­ment l’occasion de le nettoyer en profondeur destraces noires que lui plaque la circulation toute pro­che.

Pourquoi un financement privé ? Tout simplementparce que l’Etat italien n’a, ou, selon les points devue, ne se donne plus les moyens d’entretenir songigantesque patrimoine culturel et historique. MaisDiego della Valle ne pensait sans doute pas qu’il en­tamait une course d’obstacles. Après les méandresde la bureaucratie, les levées de boucliers au nom dela lutte contre l’appropriation d’un bien communpar une marque privée, c’est un recours intenté parune entreprise, n’ayant pas été choisie au terme del’appel d’offres, qui a retardé l’entame du chantier.Sauf péripétie imprévue, le différend semble désor­mais réglé.

Cette bonne nouvelle en suivait une autre, leséquipes d’archéologues, qui travaillent sur le site,ont récemment mis au jour des peintures muralesdatant, pour les couches les plus anciennes, duIIIe siècle, quand un incendie avait nécessité une re­construction partielle. “Une belle surprise”, s’excla­mait Rosella Rea, soulignant le contraste entre lestravées de marbre blanc et les galeries extrêmementcolorées, mais précisant que seul un pour cent dessurfaces peintes subsiste. Les six millions de visi­teurs qui seront accueillis cette année n’ont plusqu’à croiser égoïstement les doigts pour que leur

propre plaisir ne soit pas gâché par de larges bâcheset d’imposants échafaudages. Au bureau d’informa­tion touristique, situé sur le parcoursde la visite, “on ne peut pas donnerd’information sur la restauration, caron ne sait pas quand cela va commen­cer”.

A propos de cet investissementd’un patron du luxe italien, AndreaCarandini est dithyrambique. “Où estle problème ?, questionne le présidentdu conseil supérieur des biens cultu­rels. C’est tellement évident. Il fallait25 millions, et le problème est résolu.Avec la crise, il n’est plus possible pourl’Etat de supporter ces coûts, et la loi lepermet, même si elle n’offre pas degrands avantages fiscaux. Il faudraitmille della Valle, tant nous avons demonuments !” Pour Gianni Alemanno,le maire de Rome, c’est tout simple­ment “la fin d’un cauchemar”.

A un jet de pierre du Colisée, la Domus aurea n’apas la même veine. Les deux millions débloqués en2010 pour sa sécurisation n’ont pas permis de ter­

miner les travaux pour le 31 décembre 2012,comme c’était prévu. L’accès est interdit au public,

et la question de la réouvertureobtient pour seule réponse desouvriers sur place un haussementd’épaules dépité. La question nese pose plus à Pompéi. Les 44 hec­tares de la cité romaine enseveliepar le Vésuve, en 79, se régénére­ront des 105 millions débloquésle 6 février par l’Union euro­péenne. Le site, classé au Patri­moine mondial de l’Unesco, con­naît depuis 2011 des effondre­ments spectaculaires, de lamaison des gladiateurs à celle dumoraliste, en passant par des pou­tres de soutien de toiture et despans de murs de villa. Planifiéesjusqu’en 2015, ces améliorationsdevraient attirer 2,6 millions devisiteurs pour 2,3 actuellement.

Autre ensemble archéologiqueremarquable, le Foro palatino n’a pas non plus sé­duit une “infirmière” privée. De la terrasse du Coli­sée, ses vestiges semblent mariés aux planches de

bois soutenues par des tubulures métalliques et ac­colées aux murs de briques. Moins de visiteurs, pasde files, mais tout aussi captivant que son imposantvoisin, le Palatin raconte tout ce qu’était la vie desélites romaines : basilique, forum, jardins, cirque,maisons aux innombrables pièces. Quelques arti­sans y travaillent. Ici, une dame brosse d’immensesblocs de pierre avec du white spirit. Là, des ouvriersétalent le mortier qu’ils viennent de préparer pourstabiliser une pièce de la maison d’Auguste.

Là, non plus, pas de trace de financement privé.Les fouilles, comme les travaux de consolidations,se font sur deniers publics. “L’exemple de della Vallen’est pas encourageant, déplore Andrea Carandini.Toutes les difficultés qu’il a rencontrées doivent en re­froidir plus d’un”.

Ce parcours du combattant n’est manifestementpas si décourageant que cela. Fin janvier, c’est Fendiqui a délié sa bourse. Deux millions d’euros restau­reront la fontaine de Trevi, si près de laquelle sepressent tant d’amoureux de “La Dolce vita” qu’unesurveillance policière est nécessaire jour et (surtout)nuit pour éviter que soit rejouée la baignade inat­tendue d’Anita Ekberg dans le film de Fellini.

A écouter Karl Lagerfeld, directeur artistique de lamaison de couture romaine, “la fontaine de Trevisymbolise autant Rome que le Colisée ou la basiliqueSaint­Pierre, et si l’industrie du luxe ne s’est jamais sibien portée, autant que Rome en profite”.

Au cours de la conférence de presse présentant ceprojet au musée du Capitole, Gianni Alemanno, lemaire de Rome, a souligné que de telles interven­tions privées constituaient une tendance actuelle. Ilmartelait surtout qu’il s’agit d’un don pur et simpleà Rome et au patrimoine universel, et non d’unequelconque forme de sponsoring.

“Pour éviter d’en arriver à de pharaoniques restaura­tions, l’Etat serait bien inspiré d’établir un programmed’entretien”, dit­on dans les rangs du parti AmnistiaGiustizia Libertà. A cette exigence électorale, AndreaCarandini préfère une formule imagée:“Nos milliersde monuments, il faut en prendre soin comme de notrepropre maison.” Mais les finances italiennes sont cequ’elles sont, et celles de la ville de Rome sont “loind’être florissantes”, pour reprendre les mots de sonmaire. Gianni Alemanno justifie ainsi sa “volonté derecourir de plus en plus au mécénat culturel”. Et deconcéder que “le Colisée a été le cobaye de cette re­lance”.

Emma Bonino, l’ex­commissaire européenne etactuelle vice­présidente du Sénat, pose toutefois fer­mement les bornes que de tels partenariats ne doi­vent pas franchir: “Payer, c’est oui. Privatiser, c’estnon.” La vision d’Andrea Carandini est simi­laire: “L’important, c’est que la soprintendenza con­serve le contrôle des monuments.”

D’autres périls guettent cependant le Colisée. Lespectre du percement de la fameuse ligne C du mé­tro a de quoi angoisser la soprintendenza archeolo­gica. L’agrandissement de la station “Colosseo” né­cessiterait que la circulation aux abords de l’amphi­théâtre soit ramenée de quatre à deux bandeslittéralement accolées au bâtiment. Les 2,85 mètresrestants causeraient d’insurmontables embarrasdans la gestion des flux de touristes, et, pour couron­ner le tout, les excavations devant atteindre 50 mè­tres de profondeur, il est légitime de craindre une in­fluence négative sur les fondations de l’édifice. Etcela, sans même parler du sort des vraisemblablesdécouvertes archéologiques pour lesquelles aucunepériode de fouilles n’est prévue avant d’entamer lechantier. “On ne peut pas nous soupçonner de ne rienvouloir changer, ricane Emma Bonino, mais il existaitdéjà il y a 20 ans, quand a été esquissé le projet, d’autressolutions aux problèmes de mobilité, qui se sont en plusrévélées plus modernes depuis” – un tram, par exem­ple.

“Etre à Rome, c’est comme se balader dans un musée àciel ouvert”, disait Silvia Venturini Fendi, la directricecréative de Fendi. Un musée qui a besoin de dona­teurs et de gardiens.

“Il faudrait milledella Valle, tantnous avons demonuments !”Andrea CarandiniLe président du Conseilsupérieur des biens culturelsne tarit pas d’éloges à proposde l’initiative du patron deTod’s pour restaurer le Colisée.

DIDIER

LEVR

UN/PHO

TONE

WS

Le Colisée sera sauvé par un donateur privé. L’Etat ne se donne plus les moyens.

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

propre plaisir ne soit pas gâché par de larges bâcheset d’imposants échafaudages. Au bureau d’informa­tion touristique, situé sur le parcoursde la visite, “on ne peut pas donnerd’information sur la restauration, caron ne sait pas quand cela va commen­cer”.

A propos de cet investissementd’un patron du luxe italien, AndreaCarandini est dithyrambique. “Où estle problème ?, questionne le présidentdu conseil supérieur des biens cultu­rels. C’est tellement évident. Il fallait25 millions, et le problème est résolu.Avec la crise, il n’est plus possible pourl’Etat de supporter ces coûts, et la loi lepermet, même si elle n’offre pas degrands avantages fiscaux. Il faudraitmille della Valle, tant nous avons demonuments !” Pour Gianni Alemanno,le maire de Rome, c’est tout simple­ment “la fin d’un cauchemar”.

A un jet de pierre du Colisée, la Domus aurea n’apas la même veine. Les deux millions débloqués en2010 pour sa sécurisation n’ont pas permis de ter­

miner les travaux pour le 31 décembre 2012,comme c’était prévu. L’accès est interdit au public,

et la question de la réouvertureobtient pour seule réponse desouvriers sur place un haussementd’épaules dépité. La question nese pose plus à Pompéi. Les 44 hec­tares de la cité romaine enseveliepar le Vésuve, en 79, se régénére­ront des 105 millions débloquésle 6 février par l’Union euro­péenne. Le site, classé au Patri­moine mondial de l’Unesco, con­naît depuis 2011 des effondre­ments spectaculaires, de lamaison des gladiateurs à celle dumoraliste, en passant par des pou­tres de soutien de toiture et despans de murs de villa. Planifiéesjusqu’en 2015, ces améliorationsdevraient attirer 2,6 millions devisiteurs pour 2,3 actuellement.

Autre ensemble archéologiqueremarquable, le Foro palatino n’a pas non plus sé­duit une “infirmière” privée. De la terrasse du Coli­sée, ses vestiges semblent mariés aux planches de

bois soutenues par des tubulures métalliques et ac­colées aux murs de briques. Moins de visiteurs, pasde files, mais tout aussi captivant que son imposantvoisin, le Palatin raconte tout ce qu’était la vie desélites romaines : basilique, forum, jardins, cirque,maisons aux innombrables pièces. Quelques arti­sans y travaillent. Ici, une dame brosse d’immensesblocs de pierre avec du white spirit. Là, des ouvriersétalent le mortier qu’ils viennent de préparer pourstabiliser une pièce de la maison d’Auguste.

Là, non plus, pas de trace de financement privé.Les fouilles, comme les travaux de consolidations,se font sur deniers publics. “L’exemple de della Vallen’est pas encourageant, déplore Andrea Carandini.Toutes les difficultés qu’il a rencontrées doivent en re­froidir plus d’un”.

Ce parcours du combattant n’est manifestementpas si décourageant que cela. Fin janvier, c’est Fendiqui a délié sa bourse. Deux millions d’euros restau­reront la fontaine de Trevi, si près de laquelle sepressent tant d’amoureux de “La Dolce vita” qu’unesurveillance policière est nécessaire jour et (surtout)nuit pour éviter que soit rejouée la baignade inat­tendue d’Anita Ekberg dans le film de Fellini.

A écouter Karl Lagerfeld, directeur artistique de lamaison de couture romaine, “la fontaine de Trevisymbolise autant Rome que le Colisée ou la basiliqueSaint­Pierre, et si l’industrie du luxe ne s’est jamais sibien portée, autant que Rome en profite”.

Au cours de la conférence de presse présentant ceprojet au musée du Capitole, Gianni Alemanno, lemaire de Rome, a souligné que de telles interven­tions privées constituaient une tendance actuelle. Ilmartelait surtout qu’il s’agit d’un don pur et simpleà Rome et au patrimoine universel, et non d’unequelconque forme de sponsoring.

“Pour éviter d’en arriver à de pharaoniques restaura­tions, l’Etat serait bien inspiré d’établir un programmed’entretien”, dit­on dans les rangs du parti AmnistiaGiustizia Libertà. A cette exigence électorale, AndreaCarandini préfère une formule imagée:“Nos milliersde monuments, il faut en prendre soin comme de notrepropre maison.” Mais les finances italiennes sont cequ’elles sont, et celles de la ville de Rome sont “loind’être florissantes”, pour reprendre les mots de sonmaire. Gianni Alemanno justifie ainsi sa “volonté derecourir de plus en plus au mécénat culturel”. Et deconcéder que “le Colisée a été le cobaye de cette re­lance”.

Emma Bonino, l’ex­commissaire européenne etactuelle vice­présidente du Sénat, pose toutefois fer­mement les bornes que de tels partenariats ne doi­vent pas franchir: “Payer, c’est oui. Privatiser, c’estnon.” La vision d’Andrea Carandini est simi­laire: “L’important, c’est que la soprintendenza con­serve le contrôle des monuments.”

D’autres périls guettent cependant le Colisée. Lespectre du percement de la fameuse ligne C du mé­tro a de quoi angoisser la soprintendenza archeolo­gica. L’agrandissement de la station “Colosseo” né­cessiterait que la circulation aux abords de l’amphi­théâtre soit ramenée de quatre à deux bandeslittéralement accolées au bâtiment. Les 2,85 mètresrestants causeraient d’insurmontables embarrasdans la gestion des flux de touristes, et, pour couron­ner le tout, les excavations devant atteindre 50 mè­tres de profondeur, il est légitime de craindre une in­fluence négative sur les fondations de l’édifice. Etcela, sans même parler du sort des vraisemblablesdécouvertes archéologiques pour lesquelles aucunepériode de fouilles n’est prévue avant d’entamer lechantier. “On ne peut pas nous soupçonner de ne rienvouloir changer, ricane Emma Bonino, mais il existaitdéjà il y a 20 ans, quand a été esquissé le projet, d’autressolutions aux problèmes de mobilité, qui se sont en plusrévélées plus modernes depuis” – un tram, par exem­ple.

“Etre à Rome, c’est comme se balader dans un musée àciel ouvert”, disait Silvia Venturini Fendi, la directricecréative de Fendi. Un musée qui a besoin de dona­teurs et de gardiens.

“Il faudrait milledella Valle, tantnous avons demonuments !”Andrea CarandiniLe président du Conseilsupérieur des biens culturelsne tarit pas d’éloges à proposde l’initiative du patron deTod’s pour restaurer le Colisée.

DIDIER

LEVR

UN/PHO

TONE

WS

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

La mode Pages 14-15

L’avis d’Ezio Mauro

La mode italienne est-elleencore créatrice d’emploisou est-elle également en pleinprocessus d’externalisation ?

Lamode italienne traverse des moments diffici­les. Malgré tout, elle a créé de l’emploi à l’étran­ger et, surtout, à l’intérieur de nos frontières.Depuis trente ans, elle a été l’un des élémentsmajeurs de vitalité et de créativité de notre pays.D’une certaine façon, elle a repris le flambeau denos artistes des siècles passés, de la beauté ita­lienne. Elle propose aumonde une image del’Italie, sophistiquée et pratique enmêmetemps.

Le dragonchinois

à l’attaquedu “made

in Italy”h Alors que les entreprises italiennes de prêt­à­porter souffrent

terriblement de la concurrence avec la Chine, les marques de luxeprofitent des nouvelles richesses asiatiques. De quoi aussi garantir

des emplois en Italie. Vérone en fait l’expérience.

Reportage Valérie DupontEnvoyée spéciale à Prato

Nous devons encercler le hangar très ra­pidement, car, en général, les gestion­naires de l’entreprise prévoient desportes dérobées pour que les ouvrierspuissent s’échapper.” Le responsable

du bureau de l’immigration de la police de Prato,en Toscane, est formel, l’opération de police qu’ilmène ce matin­là aboutira à la découverted’ouvriers clandestins chinois. Les voitures bleuestraversent à toute vitesse le centre­ville et se diri­gent vers la première périphérie de la capitale ita­lienne du textile. Rapidement, les hommes des­cendent des véhicules et encerclent un hangar dé­crépit; il semble vide. “Ouvrez ! Police ! Ouvrez lesportes !”, hurle l’un d’eux. Il n’attend pas long­temps avant d’enfoncer son pied dans la porte.L’opération a commencé.

Dans une salle au fond du hangar, des dizainesde machines à coudre, des montagnes de tissus etcinq ou six tentes de camping. Quelques ouvriers,des hommes et des femmes, tous chinois, regar­dent les policiers déferler dans la pièce. “Ceux­cisont plutôt bien installés. Ils étaient en plein travail”,constate la responsable des services d’hygiène dela ville, qui accompagne toujours les missions dece genre.

Dans ces vieilles usines, louées sans trop de scru­pules par des Italiens à des Chinois, les ouvrierstravaillent, dorment et mangent. Du riz et du pou­let, encore tièdes, se trouvent d’ailleurs dans unrecoin qui sert de cuisine. Des habits et quelquesobjets appartenant à des enfants prouvent aussique ce sont des familles qui habitent les lieux.

“Quelqu’un a dû donner l’alerte, car il devait yavoir beaucoup plus d’ouvriers”, estime un policieren évaluant le nombre de machines à coudre quise trouvent sur les tables. Le traducteur com­mence à poser des questions. Sur la dizained’ouvriers présents, la moitié possèdent un per­mis de séjour périmé et aucun ne peut se prévaloird’avoir signé un contrat en bonne et due forme.

Dans un coin, s’empilent des centaines d’habits,

chemisiers, jupes d’été. Sur chaque pièce est cou­sue la petite étiquette blanche portant l’inscrip­tion “made in Italy”. “La vérité est que ces entrepri­ses, si elles sont en ordre, ont le droit de coudre cetteétiquette, car les vêtements ont bel et bien été fabri­qués principalement en Italie, même si les tissus pro­viennent de Chine”, explique Riccardo Marini, pré­sident de la confédération des industriels dePrato.

Depuis deux ans, les contrôles se sont multi­pliés. Dans la zone industrielle de la ville, la majo­rité des entreprises de prêt­à­porter appartien­nent désormais aux Chinois. “Nous avons plus de3 500 sociétés qui sont aux mains de la communautéchinoise. Nous en avons contrôlé 330 en un an, et, surces 330, au moins 300 ont dû être placées sous sé­questre pour illégalités”, explique le bourgmestrede Prato, Roberto Cenni, lui­même industrieldans le prêt­à­porter. “Il s’agit d’un système quitourne autour de la fraude à tous les niveaux : taxessur le travail, sur les factures, fraude à la TVA. Ils ar­rivent à créer d’énormes ressources financières quirepartent en Chine.” La Banque d’Italie estime que800 millions d’euros sont transférés illégalementchaque année de Prato à Pékin.

Une agressivité chinoise qui a poussé la majoritédes petites entreprises italiennes, actives dans lesecteur du prêt­à­porter, à fermer leurs portes.“Regardez cette zone industrielle”, indique RiccardoMarini. “Autrefois, ces hangars appartenaient tous àdes Italiens. Aujourd’hui, les enseignes sont en chi­nois. Moi, je suis d’accord, ils veulent travailler exclu­sivement avec de la main­d’œuvre chinoise, cela ne

me pose pas de problème, mais alors, ils doivent dé­clarer et mettre en ordre leur personnel comme le fontles entreprises italiennes. Ils ne peuvent pas me pré­senter une liste d’ouvriers qui prestent soi­disanttrois heures par jour quand je sais qu’ils travaillenttrois ou quatre fois plus.”

La porte d’un hangar est ouverte. Des dizaines decartons s’entassent. Sur certains, une adresse estécrite au feutre, notamment celle d’un grossistedu quartier du triangle à Bruxelles. “Si je com­prends bien, les magasins européens ne doivent plusaller en Chine pour trouver le textile bon marché”,demandons­nous au patron chinois qui s’appro­che. “Oui, c’est cela”, répond­il avec peu d’enthou­siasme. “Les commerçants trouvent tout ici. Nous sui­vons le style de la mode italienne, mais à un prixbeaucoup moins cher. On vend dans cinquante­cinqpays…” Le tissu vient de Chine, la main­d’œuvreest chinoise et le prix, aussi… Trois euros pour unejupe, un peu plus pour une chemise. Et le client àBruxelles ou à Berlin pense qu’il achète un vête­ment de mode italienne.

La crise n’a pas épargné totalement les entrepri­ses chinoises à Prato : 35 % d’entre elles auraientfermé leurs portes ces derniers mois, mais les con­trôles de police y sont aussi pour quelque chose.Celles qui résistent affichent, en effet, une santéinsolente. On parle de 13 % de croissance l’an der­nier, un chiffre qui ne tient de plus compte que deleurs bénéfices… déclarés.

Si le prêt­à­porter souffre de la concurrence avecla Chine, les grands noms de la mode italienne

sont épargnés. Certes, leurs produits sont contre­faits par millions, mais, malgré cela, le secteur affi­che une insolente croissance en période de criseéconomique. A Milan, toutes les enseignes quicomptent se sont adaptées aux nouveaux richesvenus d’Orient. “L’an dernier, le nombre de Chinois,qui ont acheté quelque chose dans le quadrilatère dela mode, a plus que doublé”, explique GuglielmoMiani, président des commerçants de la célèbre“Via Monte Napoleone”. “Vingt pour cent des achatsfaits par des étrangers sont à présent payés par desclients chinois.”

Toutes les maisons de mode italiennes ont dé­sormais plusieurs magasins en Chine, mais les ri­ches aiment venir dans la Péninsule pour faireleurs achats. “Ils veulent acheter ce qu’ils ne trouventpas chez eux, ils veulent se distinguer et sont prêts àtout pour y réussir”, explique une “personal shop­per” qui travaille avec une clientèle arabe et chi­noise. “Ils sont très exigeants et restent en moyennetrois jours à Milan, mais ils réussissent à dépenser en­tre 200 000 et 400 000 euros.”

Voilà pourquoi la mode italienne a décidé d’in­vestir dans la main­d’œuvre locale et de ramenerune certaine quantité de la production dans la Pé­ninsule. Exemple concret chez Bottega Veneta, cé­lèbre pour ses sacs en cuir tressé et qui a tout misésur la qualité de la main­d’œuvre. “Nous devons re­fuser d’acheter des produits qui n’ont pas de certificatde qualité”, explique le directeur créatif de l’entre­prise. “Au départ, nos produits étaient très exclusifs,mais, depuis quelques années, nous nous sommes re­trouvés face à un marché qui recherche exactement

les objets raffinés que nous présentons”, expliquel’administrateur délégué, Marco Bizzarri. En effet,la marque qui appartient au groupe Gucci a vu sonchiffre d’affaires grimper de 30 à 40 % en 2010 eten 2011. Bottega Veneta a donc décidé d’aider desouvrières au chômage à monter leur propre coo­pérative. “Aujourd’hui, cette petite société fonctionneparfaitement. Ces femmes, qui ont entre 20 et 58 ans,n’ont pas eu besoin d’investir dans des machines, carce sont leurs mains et leur talent qui comptent. Cellesqui savent entrelacer les lacets de cuir nous sont utilespour faire nos sacs. Ces femmes sont toutes membresde la coopérative.”

Dans cette région, la Valdastico, non loin de Vi­cence en Vénétie, la crise a touché durement lesmanufactures, même si le taux de chômage dansle Nord reste encore bien inférieur à celui des ré­gions du sud de l’Italie. “Ici, depuis quelque temps, iln’est pas difficile mais presque impossible de trouverun travail. Surtout pour nous les femmes”, expliqueune des ouvrières. La région leur a prêté20 000 euros sans intérêts pour démarrer. Les sa­laires sont payés par le groupe Gucci à la coopéra­tive, et les membres se divisent les bénéfices. Ellesgèrent de main de maître leur petite entreprise.“Depuis que nous avons commencé en 2011, nous re­cevons chaque jour des demandes d’autres femmesqui veulent travailler avec nous.”

Un exemple parmi d’autres qui pourrait faireécole. Le “made in Italy” est certainement la plusgrande richesse de ce pays, une richesse qui sebase sur un savoir­faire millénaire, mais qui doitapprendre à réagir à l’agressivité de la mondialisa­tion.

LUCA

BRUN

O/AP

C’était lors d’un défilé Prada en 2008 : l’un des mannequins a chuté. A l’image de la mode italienne ? Pas forcément.

400 000 €DÉPENSES CHINOISESLorsque les riches chinois se rendentà Milan pour effectuer leurs achatssur la célèbre “Via Monte Napoleone”,ils peuvent “dépenser entre 200 et 400 000euros”, explique une “personal shopper”.

“Nous suivons le stylede la mode italienne,mais à un prix beaucoupmoins cher. On venddans cinquante-cinq pays…”Un patron chinois

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

sont épargnés. Certes, leurs produits sont contre­faits par millions, mais, malgré cela, le secteur affi­che une insolente croissance en période de criseéconomique. A Milan, toutes les enseignes quicomptent se sont adaptées aux nouveaux richesvenus d’Orient. “L’an dernier, le nombre de Chinois,qui ont acheté quelque chose dans le quadrilatère dela mode, a plus que doublé”, explique GuglielmoMiani, président des commerçants de la célèbre“Via Monte Napoleone”. “Vingt pour cent des achatsfaits par des étrangers sont à présent payés par desclients chinois.”

Toutes les maisons de mode italiennes ont dé­sormais plusieurs magasins en Chine, mais les ri­ches aiment venir dans la Péninsule pour faireleurs achats. “Ils veulent acheter ce qu’ils ne trouventpas chez eux, ils veulent se distinguer et sont prêts àtout pour y réussir”, explique une “personal shop­per” qui travaille avec une clientèle arabe et chi­noise. “Ils sont très exigeants et restent en moyennetrois jours à Milan, mais ils réussissent à dépenser en­tre 200 000 et 400 000 euros.”

Voilà pourquoi la mode italienne a décidé d’in­vestir dans la main­d’œuvre locale et de ramenerune certaine quantité de la production dans la Pé­ninsule. Exemple concret chez Bottega Veneta, cé­lèbre pour ses sacs en cuir tressé et qui a tout misésur la qualité de la main­d’œuvre. “Nous devons re­fuser d’acheter des produits qui n’ont pas de certificatde qualité”, explique le directeur créatif de l’entre­prise. “Au départ, nos produits étaient très exclusifs,mais, depuis quelques années, nous nous sommes re­trouvés face à un marché qui recherche exactement

les objets raffinés que nous présentons”, expliquel’administrateur délégué, Marco Bizzarri. En effet,la marque qui appartient au groupe Gucci a vu sonchiffre d’affaires grimper de 30 à 40 % en 2010 eten 2011. Bottega Veneta a donc décidé d’aider desouvrières au chômage à monter leur propre coo­pérative. “Aujourd’hui, cette petite société fonctionneparfaitement. Ces femmes, qui ont entre 20 et 58 ans,n’ont pas eu besoin d’investir dans des machines, carce sont leurs mains et leur talent qui comptent. Cellesqui savent entrelacer les lacets de cuir nous sont utilespour faire nos sacs. Ces femmes sont toutes membresde la coopérative.”

Dans cette région, la Valdastico, non loin de Vi­cence en Vénétie, la crise a touché durement lesmanufactures, même si le taux de chômage dansle Nord reste encore bien inférieur à celui des ré­gions du sud de l’Italie. “Ici, depuis quelque temps, iln’est pas difficile mais presque impossible de trouverun travail. Surtout pour nous les femmes”, expliqueune des ouvrières. La région leur a prêté20 000 euros sans intérêts pour démarrer. Les sa­laires sont payés par le groupe Gucci à la coopéra­tive, et les membres se divisent les bénéfices. Ellesgèrent de main de maître leur petite entreprise.“Depuis que nous avons commencé en 2011, nous re­cevons chaque jour des demandes d’autres femmesqui veulent travailler avec nous.”

Un exemple parmi d’autres qui pourrait faireécole. Le “made in Italy” est certainement la plusgrande richesse de ce pays, une richesse qui sebase sur un savoir­faire millénaire, mais qui doitapprendre à réagir à l’agressivité de la mondialisa­tion.

LUCA

BRUN

O/AP

C’était lors d’un défilé Prada en 2008 : l’un des mannequins a chuté. A l’image de la mode italienne ? Pas forcément.

400 000 €DÉPENSES CHINOISESLorsque les riches chinois se rendentà Milan pour effectuer leurs achatssur la célèbre “Via Monte Napoleone”,ils peuvent “dépenser entre 200 et 400 000euros”, explique une “personal shopper”.

“Nous suivons le stylede la mode italienne,mais à un prix beaucoupmoins cher. On venddans cinquante-cinq pays…”Un patron chinois

© S.A. IPM 2013. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Le dragon chinoisà l’attaque du “made in Italy”PRATO, MILAN & VÉRONE PAGES 14-15

Quand le glamours’éprend de la RomeantiqueROME & POMPÉI PAGES 12-13

Le football italien chercheà se réinventerMILAN PAGES 10-11

Le regardd’Ezio MauroROME PAGES 2-3

Le blues des ItaliennesNAPLES PAGES 4-5

La mafia, toujours plus au NordPALERME & MILAN PAGES 8-9

Crise économique,crise écologiqueTARENTE PAGES 6-7

Questa è l’Italia. C’est ça, l’Italie. Supplément à La Libre Belgique. Coordination rédactionnelle : Sabine Verhest. Réalisation : IPMPress Print. Administrateur délégué - éditeur responsable : François le Hodey. Directeur général : Denis Pierrard. Rédacteur en chef :Vincent Slits. Rédacteur en chef adjoint : Pierre-François Lovens. Conception graphique : Jean-Pierre Lambert. Publicité :0032.2.211.29.29 - [email protected]