Supplément Le Monde des livres 2012.02.17

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    Leterraindelavie

    p r i r e d i n s r e r

    Caroline

    LamarcheLapartsauvageAvecLaChiennede Naha, lcrivain belgeconfirme la puissanceonirique de soncriture

    Jean Birnbaum

    BertrandLeclair

    Les fleursbleuessontfanes.Unepetitefilledevenuefem-me refuse pourtant delcher le bouquet quelletient la main depuis len-fance, malgr les tiges com-

    medeslarmesettoutcebleuquimena-cede dteindresur sarobe.Si cestgro-tesque lafin,diraitsamrecrasantedassurance,de plus en plus vieille etde plus en plus joyeuse Mais, voil:

    quelle lche son bouquet et plus riennetmoigneradessortilgesdelenfan-ce (lorsque Dieu existait encore), delamour aussi; elle sy refuse. Ce nestpas quela narratrice deLa Chienne de

    Nahacroieauprincecharmant.Elleyacru, autrefois, dans lune de ces mai-sons bourgeoises, catholiques et ruti-lanteso lesfillestaientlevesdanslattente du mariage. Elle na plus12ans, elle le sait bien: mme auxpetitssoins,lesprincescharmantsfonttrois tours de valse et un beau jourvous giflent vous fendre en deuxavant de disparatre, au septime cielpeut-tre,maissansvous.

    Quitte sur une gifle globale ettourbillonnante, la narratrice nat-tend plus. Il lui faut se recoudre, serecoudre en livre, retrouver le fil, lesensdtreaumondecequelleest,unefemme en morceauxignorant lanti-dote [sa] passivit mlancolique.Elle ira le chercherjusquau Mexique,au pays des Indiens Triqui de Copala,au moment mme o ces derniers,constitusenMunicipioAutnomo,se livrent de meurtrires guerres declans. Abrite des balles perdues ausein dune communaut religieuse,elle enqute sur la part sauvage etlibre de la femme, cette moiti qui,selonunelgendetriquideloriginedelhumanit,sestchappeverslarivi-relorsquelepremierhomme,aprsluiavoir drob sa peaude chiennepour

    lamaintenirau foyer,en estvenu,prisdecolre, couper lafemme endeux,duncoup demachette.

    Onlaura compris:ce nestpas dansle texte que les fleurs bleues sontfanes. Limage vous arrive, en levantlenezduneuvimeettrsbeaulivredeCarolineLamarche.Certainslecteursyverrontdelironie.Dautressesouvien-drontquavantdtrerabaisseaurangde strotype sentimental, preuvequelle touchaitjuste, la fleurbleue futunebelleinventiondu poteallemandNovalis. A la source duromantisme, ilen faisait le symbole dune qute delamouretdelaposie,lieudelaconta-giondelaralitparlerve.

    Atteindreunecriturederve,une

    criture quidise lafaondunepara-bole la vrit onirique et profonde de

    nos vies morceles, cest ce que cher-che CarolineLamarche: Ainsidevraitscrire lenfance (), usant les motscomme leau useles galets,les rendantlisses,dociles:onsenempare,onleslan-ce,ils ricochent,sombrent,leur ondesedonne,linfini.Alorsquelleciteplu-sieurs fois les toiles de Frida Kahlo, lerapprochementfait sens, delordre decetteondequi se donne,prcisment.

    Ftechez elle, Bruxelles, CarolineLamarcheest trangementmconnueen France, malgr daussi flagrantesrussites queLe Jour du chien (Minuit,1996)ou Carnetsdunesoumisede pro-vince (Gallimard,2004),rcitdunepas-sionmasochisteo lon nesaitbienttplusquidominequi,dumatresi fragi-leetdesonesclavevolontaire,delanar-ratricehumilie oude sonlecteurlivr la dmonstrationen cours.Assumepour tre interroge par lauteur entant que femme, cette dimensionmasochiste est en filigrane lun desmoteursdeLa Chiennede Naha.Aufil

    deson voyageau Mexique, dtrangesbouffes de souvenirs lui reviennentde lenfance et des jeux cruels que luiproposait Maria, plus ge quelle, lammeMariaquilainvitechezlesTri-qui en lui confiant la lgende sur la

    peaude chienneque lon te et remetdont disposait la femme, avant quelhommene lalui subtilise.

    Lareprsentation desoi sentrouvedgagedesentravesquesontlamour-propreet soncorollairesi commun, lahaine de soi. La narratrice a de bassespenses,pasdutouthroques?Ellelesdit.Sesanciennesattentesaussi,ridicu-lesou non oui, dans sonenfance,ellevoulait tresainte,appeleet lue. Ou dfautpouseet mreaufoyer. Elle

    nous provoque, mme: Ce nest pastrs diffrent de limage que, long-

    temps,je mesuisfaitedela viedcrivain, seul destin orne-mental, accueillant, bnvoleet incroyablementlaborieuxquinedrogepaslatrajectoi-re prvue, dans notre famille,

    pour les filles. Par moments,elleen paratraitconfondantede sincrit. En vrit, elle

    joue,bienplus roueque nous. Lepre-mier quiprtend juger sesfaiblessesaperdula partie.Cesttrs fort.

    Cest aussi quil luifaut nousdsar-mer de nos machettes sarcler le bonsens pour laisservenir dans ces pageslautrepartde lafemme,non pascelleresteaufoyer symorcelerencoreetencore,maiscellequi sest enfuieverslarivire,selonla lgende. Autantdireque la rivire, ici, pourrait bien tre lelivre,sinonla littratureelle-mme,oretrouver lentiretde ltre. Oui, unefemme est entirement prsente, encespages sans fioritures,plonge danslaprofondeur dutexte.A tous lessensdu terme elle sy enfonce, invisiblesous les mots, tandis que son onde sedonneet sepropage fleur(bleue?) depages,phmre,insaisissable etsai-sissante,vraiment.p

    10a RencontreLe dessinateuriranien ManaNeyestanisestmtamorphosen rfugipolitique

    2 3DossierEnigmes,complotset paranoaaCompte-renduLuc Boltanski,dtectivecritiquea TraverseSherlockHolmes,enquteurfreudien

    6aHistoiredun livre

    Carnetde notes.2001-2010,de PierreBergounioux

    Toutrcemment,on apprenait lamortdelanthropologueMichel Izard.Sespremiresenqutes,il lesavaitmenesdanslesannes1950,

    auBurkinaFaso (lpoque laHaute-Volta),maindanslamainavec celle quitaitalors safemme,FranoiseHritier.On ne rpartissait pasles tches,onnesedisaitpas toitu faisceci,moi jemoccupe de cela,on faisaittoutensemble ,aime-t-elle rappeler. Compagnonsde

    terrain,camaradesdides, IzardetHritierpartageaientunemmesensibilitau destindes corps.Luisintressait par exempleaux manifestationscharnellesdupouvoir,telles queles crmonies deprosternationenpaysmossi.Deson ct, ellesapprtait installer lecorps aucentrede samthodeanthropologique.Depuissespremires recherchesen payssamo jusqu

    sesrcentsessais surla dominationmasculine,cettediscipledeLvi-Straussa btiunesorte dematrialismephysiologiquequi expliquenosreprsentationsdumondeen lesinscrivantdansunsubstratcharnel.Nonseulementlecru etle cuit,maisaussilemasculin etlefminin, lediffrentet lidentique: nosgrillesde lecture,dit-elle, senracinentdanslexpriencedu corps.Cette exprience estdoncaucentrede lamthodequi

    a faitdHritierla premirefemmeethnologueauCollgede France.Mais si cette approchea orientsonitinrairede chercheuse,elle a aussi guidsa faondetraverserlexistence.Voyez lebrefvolumequelle publie

    chezOdileJacobsousle titreLe Sel de la vie (96p.,6,90).Sansprtention,maisavec culot,lanthropologuelivreunpomeenprose oelle clbreles moisquotidiens,lesimple faitdexister.Rien de tout celanestvraimentsorcier,nest-ce pas?, murmure-t-elle sonlecteur.Il y asrementdansce fatrashtroclitedes sentiments,dessensations,des motions, desbonheursque vous avezprouvs. Songestenous touche.Cestceluiduneintellectuellequi a vouludonnercorps auconceptpourmettredesmots sur lavie.p

    8aLe feuilletonEric Chevillardest vacheavec le Mufle,dEric Neuhoff

    5a LittraturetrangreKjartanFlgstadrevisitele pass trouble

    de la Norvge

    Lepremier quiprtendjugerses faiblessesa perdu lapartie.Cest trs fort

    Elle a eu de

    lavidit pourtout ce que le

    monde donne voir, aimer,

    exprimenter, comprendre.

    Mona Ozouf et

    Michelle Perrot

    Robert Laffont

    AstriddiCrollalanza

    LaChiennedeNaha,

    deCarolineLamarche,Gallimard,206p., 17,50.

    JEAN-LUC BERTINI/PASCO

    Cahierdu Monde N20863datVendredi17fvrier2012-Ne peut trevendu sparment

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    Keskili

    Maigret,modestementvichysteLesuccsduclbrecommissaireillustrelapulsionautoritairequi,enFrance,hantelEtat

    Unpremier souvenirdelecture?Jesuis emmitouflsous lescou-vertures,vers6 ou7ans,etma

    grand-mreme lit LeGnralDourakine, de la comtessedeSgur,avec sonmerveilleux(et

    presqueincomprhensible),accentrusse(mtinde conso-nancesyiddish).

    Lechef-duvreinconnuquevousportezauxnues?

    LUsurpateur, dAnnieLauran(Galile,1983).

    Lechef-duvreofficielquivoustombedesmains?

    Guerreet paix, de Lon Tolsto.Lcrivainaveclequel vousaime-riezpasserune soire?

    EmmanuelBerl et PatrickModiano(ils ont dialogudansun merveilleuxlivre:Interrogatoire,suivide Ilfaitbeau, allonsau cimetire, Gal-limard,1976).

    Celui quevousaimezlire,maisquevousne voudriezpas ren-contrer?

    Ezra Pound.Unlivrercent quevousavezenviede lire?

    Retourdfinitifet durabledeltreaim, dOlivierC adiot(POL,2002).

    Lelivrequivousafait ratervotrestation?

    LaDameenblanc, de WilkieCollins (Phbus). Le Ministredelapeur, de GrahamGreen(RobertLaffont,Pavillons).

    Celuidont vousvoudrieztrelehros?

    Les GrandesEsprances,deCharlesDickens.

    Celuiqui vousrconcilieaveclexistence?

    Histoiredema vie,deGiaco-mo Casanova.

    Celuiquevousavez envie dof-frir tout lemonde?

    Sylvie, de Grardde NervaletLes Affinitslectives,deJohannWolfgangGoethe.

    Celuiqui vous faitrire?Mmoiresdunvieuxcon, du

    gnialRoland Topor(Wom-bat),ou encore,LeCherDispa-ru, dEvelynWaugh (Robert

    Laffont, Pavillons).

    Celuidont vousaimeriezcrirelasuite?

    Critiquedela raisondialecti-que, de Jean-PaulSartre.

    Lauteurquevous aimeriezpou-voirliredanssa langue?

    LAutrichienGeorg Trakl.Lelivrequevousvoudriez avoirluavantdemourir?

    Guerreet paix, de Lon Tolsto.Votreendroitprfrpour lire?

    Un wagon-lit.

    c l a i r a g e

    JeanBirnbaum

    Voilquidevaitattiserlesoup-on.Avantmmederempor-ter la primaire socialiste,Franois Hollande se fixaitpour objectif avou dtreun prsident normal. De

    quoi pouvait-il bien sagir? Dun prsi-dent blanc, htrosexuel et quinqua? Aentendre le candidat, non, la questionntaitpas l.

    Le prsident normal, a-t-il prcis,cestceluiqui remet dela cohrenceet delaconstancedanslaviepublique.Silsins-talle au sommet de lEtat, donc, cestdabordpourrestaurer lordre,la confian-ce. Le changement, cest maintenant,dit le slogan. En fait, cest plutt avant-hier:la Francetranquilleestde retour.Onne vous promet aucune rupture, nigrands soirs, nilendemainsqui chantent,juste des petits matins peinards, sans(mauvaise)surprise.

    Cene serait djpas simal, direz-vous.Certes,mais cestpourtantl quele soup-onsurgit.Depuis la findu XIXe sicle, eneffet, plus lEtat a prtendu se portergarantdune ralitstable,prvisible, brefnormale,etplusilanourriledoute,voi-relaparanoa,lgarddecettemmera-lit.Telleest dumoins lathsedEnigmeset complots, lessaipubliaujourdhuiparle sociologueLuc Boltanski.

    Paradoxalement, en exergue de cetteenquteconsacrelEtatdedroitet ses

    failles intimes, il a plac une citation deBorgs:Que lhistoireetcopilhistoire,cest dj suffisamment prodigieux; quelhistoirecopiela littrature,cest inconce-vable Inconcevable mais vrai! Et Bol-tanski, lui-mme pote, entend le prou-ver. Impossible dexplorer le monde rel,affirme-t-il,sans prendre pour guides lescrivains. Et par exemple, qui veut com-prendreles contradictionsde ladmocra-tie librale doit plonger dans les uvresdefiction,commencerparlesrcitspoli-ciersetles romansdespionnage.

    Plongeonsdonc.EncompagniedeBoltanski, cestune exprien-ce exaltante. Avecrudition, mthodeet humour, il nouslance sur les traces

    dedtectiveslondoniens,depolicierspari-siens et despions sans frontires. Voicidabord Sherlock Holmes. Il sait que lemalestpartout,ausensolanormalitest

    partout, toujours prte sinfiltrer danslordredelanormalit,cest--diredelara-lit. Si bien que cet homme daction setientprtmobilisertouslesmoyensafindeprserverlordreexistant.Puisvientletour du commissaire Maigret, la foishommeordinaireetagentdelEtat.Luiaus-si est l pour dfendre la ralit (sociale,

    morale) face ceux qui voudraient ladstabiliser:Ds quequelquechosecom-meunenigme, savoirunefaille dans laralit, se prsente, souligne Boltanski, ilesturgentdeladnouerafindviterqueledoute engendrpar unedfaillancelocalene prolifre, au risque de mettre en causeladhsion laralitdanssonensemble.

    Mais, plus encore que le roman poli-cier, cest le roman despionnage qui sertdervlateur.Ici,le sociologuefaitun sortparticulier John Buchan, auteur des

    39marches (1915),rcitdinspirationnatio-

    nalistequi a fixlescanonsdu genre.Cet-te fois, ce nest plus le motif de lnigmequiestcentral,maisceluiducomplot:silevrai pouvoir est cach, si la vrit estailleurs, cest le signal que lEtat affronteune inquitude concernant la robustesseetla stabilitde laralit.

    Or, au moment mme o la littraturesappropriecedoutecroissant,dautresdis-positifs narratifs vont tenter den rendrecompte:lacharnireduXIX e etduXXe si-cle,quand triomphentle rcitpolicieret le

    roman despionnage, la sociologiesemploie dcrire scientifiquementlescausesdecequiarrive,tandisquelapsychiatrieinventele sujetde la para-noa(lire,ci-contre,laTraversedEli-sabethRoudinesco). Par-del leursdif-frences, lensemble de ces discours,fictifsousavants,ontaffaireauxfiguresdelenqute,delnigmeetducomplot.Et souslaplumedeBoltans-

    ki, tout se passe comme si ces diffrentsdiscours taient ns pour mettre en rcitlincapacit de lEtat se porter garantduneralitstable.Dve-loppantce point,lauteurmontre quecetteimpuis-sance du pouvoir publicestlie lacontradictionoriginelleentre dmo-cratie libraleet socit de clas-

    ses,latensionpermanenteentremanci-pationpolitiqueet dominationsociale.

    Ici, linfluence du marxisme est mani-feste. Mais ce qui donne son lan au rcitde Boltanski, cest sa capacit jongleraveclestraditionsdepense:marxismeetsociologiecritique,biensr,maisaussihis-toire et linguistique, philosophie analyti-queou anthropologie mimtique.Si bienquEnigmes et complots se dploie lamanire dune enqute conceptuelle, oSherlock Holmes et Maigret sont eux-mmes pris en filaturepar des personna-ges qui sappellent Violence lgitime(MaxWeber), Quelque chose (SiegfriedKracauer) ou Bouc missaire (RenGirard).

    Commetousles bons polars,celivreestcrit lencreironique.Et comme touslesromansdespionnage dignesde cenom, ilsachvesurundoublesentimentdexalta-tion et dincertitude. Ainsi, bien quil luiconsacre un long chapitre, Boltanski serefuse dire quel sens il donne au com-plotisme contemporain: les extraterres-tres de Roswell sont-ils vraiment derrirelesattentatsdu 11-Septembre?Une foislelivre referm demeure un problme nonrsolu:lardissonismerampantquidis-tingue notre poque (on nous cache tout,on nous dit rien), en tant quil prend encharge notre angoisse lgard du rel,maintient-il lordre existant ou prpa-re-t-illavnementdu pire?

    Auteur dune uvre importante, LucBoltanskiestunespritlibre,toujourslaf-ftdun nouveau terrain denqute.Ilestdecessociologuesquidtestentledogma-tismeetprfrentcreuserpluttquetran-cher. Dans Enigmes et Complots, il secontente de rder, darpenter les contra-

    dictionsdelEtatdmocratique,etdemet-tre en lumire une incertitudeque nous navons pas fini dendu-

    rer,nous autres modernes: dans la viesociale comme sur la route de lElyse, ilnest rien de plus prcaire que le rel,riende plusfragileque la normalit.p

    PluslEtatprtendrassurer,plusilnourritlesouponetlaparanoa.Pourclairercettenigmemoderne,lesociologuemetsespasdansceuxdeSherlockHolmesetducommissaireMaigret.Unessaiexaltant

    Boltanski,dtectivecritique

    Danssonlivre,LucBoltans-kisemparedesrcitspoli-ciers et des romans des-pionnage dans lespoir

    denclairerlamtaphysiquepoli-tique.Chacundecestextesestlulhorizon dune mme question:quedit-ildelEtatdedroit,desafor-ceet deses faiblesses?

    Parmiles momentsde bonheurque son ouvrage procure, saluonslesquelquespagesolesociologuecomparele profilet laphilosophie

    deSherlockHolmesetdu commis-saire Maigret. A premire vue,explique Luc Boltanski, le dtecti-ve londonien pourrait semblerplusdroitequelepolicierpari-sien:toutentierauservicedesnan-tis,nvolue-t-ilpasdansunesoci-tmisogyneetingalitaire,clubli-tisteo lonfumelapipeen dgus-tant un verre de whisky? Certes,mais les choses sont plus compli-ques quelonne croit.

    En effet, lEtat que dfend Sher-lockHolmesa beau tre conserva-teur, il nen est pas moins un Etatdedroit,olaviepriveestrelative-mentprotge, olonne peutpas

    coffrer nimporte qui, nimportequand,pournimportequoi,o lessuspectssont trsrarement tabas-ssparlapolice,etolesrichespeu-vent avoir rendre des comptes,euxaussi.

    Inversement, le commissaireMaigret a une personnalit quipourrait le faire passer pour unhros progressiste. Son origine, satournure desprit, ses gots: toutchez lui est modeste. Oui, maisil y a un hic: lEtat quil sert a destendancesautoritairesetantiparle-mentaires. Dans lunivers de Mai-gret, la distinction entre priv etpublic na aucune pertinence, la

    presse est mprise, les interroga-toires muscls. Mlange de bonsenspopulaire,de nationalismeetde xnophobie, le vichysme de

    Maigretest commetoutesa person-ne, modeste,et, en quelquesorte,inconscient et naturel , souligneLuc Boltanski.

    Ainsi, le succs du bon commis-saireillustre-t-ilparfaitementlapul-sion antilibrale et scuritaire qui,en France, hante lEtat. On ne serapastonn,encesens,quelesociolo-gueaitentreprisderdigerEnigmeset Complots pendant lhiver 2008,unmoisenvironaprslesdbutsdelaffaireditedeTarnac. p J.Bi.

    lucBoltanski

    Dossier

    Commetous lesbonspolars, Enigmeset complots est crit

    lencreironique

    Enigmes etcomplots.Uneenqute propos denqutes,

    deLuc Boltanski,Gallimard,NRFEssais, 480p.,23,90.

    RITAMERCEDES

    2 0123Vendredi17 fvrier 2012

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    AlatoutefinduXIXe sicle,onsepassionnepourlocculteetlinconscient.Matredanslartdeladduction,lehrosdeConanDoylesevoitconsacrerunebiographie,unessaietunroman

    SherlockHolmes,enquteurfreudien

    LaMthodedeSherlockHolmesDela clinique lacritique,deDominiqueMeyer-Bolzinger,CampagnePremire,198p., 20Universitaireet spcialiste du romanpoli-cier,lauteurexamine lesrapportsentrelamthode deSherlockHolmes,fonde

    surlanalysedes indices,et lacliniquemdicaledela findu XIXe sicle,la neuro-logienotamment, pourmontrer quelleanticipelapproche psychanalytiqueinventepar SigmundFreud.

    ElisabethRoudinesco

    Dans un magistral essai de1979, Crisi della ragione(dont un extrait futpublien 1980, par la revue Le

    D bat , s ou s l e t it reSignes, traces, pistes.

    Racinesdunparadigmedelindice),Car-lo Ginzburg remarquait que, vers la findu XIXe sicle, le champ des scienceshumaines et de la littrature avait vulmergence dun modle de pense quirenvoyait lide quela socit humainetait partage entre qute rationnelle etattirance vers locculte, entre esprit logi-queet dlire paranoaque.

    Et pour dfinir ce quil appelait leparadigmede lindicecest--direune

    chose trouble et drangeante , il asso-ciait trois noms: Giovanni Morelli(1816-1891),inventeurdunemthodesus-ceptible de distinguer les uvres dartdes imitations, et donc de dpister lesfaussaires; Sigmund Freud, fondateurdunesciencedelinconscientaccordantdes lments insignifiants une valeurdterminante (lapsus, actes manqus,rves, etc.); et Sherlock Holmes, clbredtective,passmatredanslartdersou-dreunenigmeparlasimpleobservationde quelques traces: cendres, poils, fils detissu, poussire,lambeaux depeau

    Silest exactde dire quetoutela finduXIXe sicle futhante parlirruptiondundiscoursnarratif,fondautantsur lasou-missionaupositivismequesurlafascina-tionpour lessignes de lanormalit,il estinsolite de constater quun personnagedefiction,SherlockHolmes, a pu devenirce pointrelquelona presqueoublilenom de son crateur: Sir Arthur ConanDoyle(1859-1930),crivainvictorien,n Edimbourg, disciple dEdgar Poe, mde-cin engag en Afrique du Sud contre lesBoers,rebelleet visionnaire,et qui pou-sa aussipassionnmentla causedu spiri-tisme que celle de sa mre, laquelle ilobissaiten touteschoses.

    Cesten sinspirantde cettethmatiquedu double obscur quEmmanuel Le Bretmontredans un essaibiographiquecom-ment Conan Doyle fut contraint, sa vie

    durant, de faire exister Sherlock alorsquilrvaitdtrelgalde Walter ScottoudAlexandreDumas. Sir Arthur accordaitbeaucoup plus dimportance sesromans, ses essais et son thtre uvreimmense queplus personnene litaujourdhui qu la saga du dtective,sondoublemaudit

    Nen1854,Sherlock,clibataireendurciet violoniste mlancolique, au physiquelongiligne, amateur dopium, de tabac etdecombatsmartiaux,apparatpourlapre-mirefoisen 1887 dans Unetudeen rou-

    ge, flanqu de son biographe, le docteurJohn Watson, avec lequel il partage un

    appartement situ Londres, au 221bBakerStreet.Jamais,souslaplumedeDoy-le, il ne prononcera la phrase quon luiattribueradansunfilmde1929:Elmen-taire,mon cherWatson.

    Au fil des annes, et grce au StrandMagazine, qui lui sert de support, Sher-lock racont par Watson peaufine samthode travers une longue srie defeuilletonsvendusplusdetroiscentmil-leexemplaires:Au pays des mormons,LeSigne des quatre, Les Aventures de Sher-lockHolmes, etc.

    Sans cesse confondu avec son hros,Conan Doyle, exaspr,dcideen 1893dele faire mourir, lge de 39ans, au borddes chutes de Reichenbach, en Suisse,

    dans un combat singulier avec son pireennemi, le professeur James Moriarty,incarnationde lamauvaisescienceet sur-nomm le Napolonducrime : Aussi-tt, crit Le Bret, la rumeur enfle () etquantit dinconnus se mettent en grve() ouportentunbrassarddecrpe noir.

    Pendantdixans, Doylese sentlibr desonmal intrieur: Je nepourrais lefairerevivre, au moins pour quelques annes.

    Jai une telle overdose de lui comme unpt de foie gras dont jaurais trop man-gquelvocation de sonnom medonneencorela nause.

    Et pourtant, en 1903, honteux davoirfaittriompherle mal(Moriarty), ilressus-cite son hros, dabord dans Le Chien des

    Baskerville, dont il situe laction avant lamort de Holmes, puis dans une srie denouvellesaventures.Le mondeanglopho-ne soupire daise et le Strand Magazinedouble ses abonnements. Plus jamais SirArthur ne fera disparatre Sherlock. Autotal,illui auraconsacrquatreromanset

    cinquante-six nouvelles (le canon), letout traduit en cent dix langues. A quoisajoutent, quatre-vingts ans aprs sa

    mort, deux cents films, deux mille pasti-ches, des centaines de romans, plusieursmuses et une prolifration dinstitutsdholmsiologie, rpartis dans le mondeet vous ltude du canon et de sesvariantes.

    Parmi eux, la socit holmsienne deChicago, longtemps prside par ElyM.Liebow,auteurdun romanfministe,Sept femmes contre Edimbourg (traduitpar Franoise Jaoun, Baker Street di-teur,400p.,21),quimetenscnelevri-tabledocteurJoeBell,lun desmodlesdeSherlock.

    De son ct, sinspirant de la thse deCarlo Ginzburg, Dominique Meyer-Bol-zinger montre que Sherlock, mi-savant,mi-sorcier,antici-pe lapproche

    psychanalytique: en effet, sa mthodedinvestigation se rfre une cliniquedes signes contemporaine de JosephBabinski (1857-1932), inventeur dunesmiologie lsionnelle qui le conduira isolerle fameuxsigne du rflexe inversedugros orteil,permettant de dcelerunelsion de la voie pyramidale. Notons aupassage que ce gnial neurologue, trssherlockien,taituntredouble,aussipositivisteque fascinpar les phnom-nesde tlpathie.

    Dominique Meyer-Bolzinger tudie leprofil de deux successeurs de Sherlock:Hercule Poirot, qui accompagna AgathaChristie pendant cinquante-cinq ans(1920-1975), et Jules Maigret, qui fut, de

    1931 1972, lombre de Simenon.Lun et lautre, selon elle,

    auraient li le paradigmeindiciel la psychanaly-

    se, contribuant ainsi une prennit psychi-que du modleholm-

    sien. La thse se trouvedailleurs reprise par lepsychanalyste Patrick

    Avrane dans Sherlock Hol-mes &Cie. Dtectives de lin-conscient (Campagne premi-

    re,200p.,20),quicomparelaposition du psychanalyste celle

    dundtectivede lme.A tousles lecteurssouffrantdedpres-

    sion, on recommandera le roman jubila-toiredeJean-MarcelErre,Le Mystre Sher-lock. A la manire dun David Lodge quiaurait adopt le style de Raymond Rous-sel,lauteurrelatela sagade dixminentsuniversitaires holmsiens runis encongrs lHtel Baker Street de Meirin-gen, village situdansle cantondeBerneorde lefantmede Moriarty.

    Chacun rivalise dans lart de la dduc-tion, du pastiche et de lindice. Survientalorsuneavalanche.Quandles pompiersarrivent, ils trouvent dix cadavres allon-

    gs derrire la porte dentre. Qui les aassassins? Au terme dune enqutemene tambour battant, le commissaireLestrade croit rsoudre lnigme. Maisconnat-illa vraievrit?

    Pourlesavoir, onpourraenfinserepor-ter un roman clbre, La Solution 7%(RobertLaffont,1975,disponibleen pocheaux ditions Jai lu), tir dun prtendumanuscrit indit de Watson et rdig enfaitparNicholasMeyer,unfreudo-holm-sienconvaincu.Sesubstituantaubondoc-teur, lauteurraconte commentSherlock,gav de cocane, se rendit Vienne, vers1891,pourse fairesoignerparFreud.Celui-ci dcouvrit dans linconscient de sonpatientun souvenirdenfancequilprf-

    ralaisserenfouinesachantpassilsagis-saitdunfantasmeoudunindice

    fiable. Toujours est-il queMoriarty, le savant dmo-

    niaque, tait l dans le litdela mredudtective.

    On ne trouve Lon-dresaucunetracedecet-te visite: ni au FreudMuseum, ni au Sher-lockHolmesMuseum.Avis aux amateursdnigmes. p

    LeMystreSherlockdeJ.M.Erre,Buchet-Chastel,328p., 20Le romancierJ.M.Erre imagineuncongrsrunissantdixminents hol-msiens aucurdun villagesuisse.Aprsuneavalanche,ilssont transfor-msen cadavres,et cestun commissai-re,sortedHercule Poirot moderne,qui

    tentedersoudrelnigme.Non loindel,rde lefantmedu mchantJamesMoriarty,double malfiquede SherlockHolmes,refouldansles profondeurs deson inconscient.

    ConanDoylecontreSherlockHolmesdEmmanuelLe Bret,LesEditionsduMoment,200p.,18,50.Ecrivainetessayiste,EmmanuelLe Bretanalyseles relationscomplexesentreSirArthurConanDoyle,rnovateurduromanpolicieretadeptedu spiritisme,

    etson hrosdevenuplusclbrequelui.Savie durant,il eut souffrirde sondou-blelittraire, gnialdtective, au pointdele faire mourir.Et treensuitecontraintde le ressusciter.

    Traverse

    Unpersonnagede fiction,SherlockHolmes, apudevenir cepoint relquelona presqueoubli

    lenomde soncrateur

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    GaiphalanstreBarbara Constantine,on lesentdsle dbut dece quatrimeroman, prendplaisir raconterdeshistoires.Et puis, Paulette estunconte,quonvoudraitvrai,puis-quilsagitdentraide, degnrosi-t.Ferdinand,dsormaisseuldanssa grande ferme, connatpeinesa voisine,Marceline,une femme

    secrte quiest ldepuisquelquesanneset vendses lgumesaumarch.Un jour,en luiramenantsonchien,il voitltatpitoyabledesa maison.Et toutempirequandune tempteendommageletoit. Sanstrop savoir commentprsenterla chose, ilproposeMarcelinede lhberger.Puis,derencontreen rencontre,la fermerevit, elleaccueillemmeplu-sieursgnrations,deuxtrsvieillesdameset deuxtudiants.

    Cestunesorte dephalanstrejoyeux.Etsoudainunbbquonnatten-daitpas etquonappellePaulette. pJo.S.aEt puis,Paulette,

    deBarbara

    Constantine,

    Calmann-Lvy, 320p.,15,50.

    SatiriqueacarienLenarrateurde Marinde Viry,chroniqueur laRevuedes deuxmondes, sappelleMariusde Visyetilest chroniqueur laRevuedesdeux mondes. Ilporteune sur-vesteArnys,frquentedes arron-dissements oles pigeonssont degauche, etsiffle,selonles situa-tions,LInternationale, lasympho-nieJupiteroula Sarabande deHaendelcar cette musiquea un

    gotde plnitude et de cendrecommela nuitquilvientdepas-seravec la femmede savieman-que. Visya unproblme: para-noaqueet masochiste, ilest per-suadquetout lemonde(littrai-re)le snobedole titreduroman deViry, alorsilsouffreetilcraque,doncil balance pardpitsur lemilieuet sesparrains:Beigbeder,Houellebecq, Lambron,Duteurtre,dOrmessonPourVisy,la littratureest une moquet-te etil estlacarienqui vitdedans.

    Mmoiresdun snobestune satireirrsistible.pVincentRoyaMmoiresdun snob, deMarindeViry, d. Pierre-Guillaume de Roux,

    206p., 18 .

    DtachementsSonpremierroman taitle solilo-quemalade,toxique,dun rescapdAuschwitzdevenuassassinraciste.Texte drangeant, la vio-

    lence suffocante,Zimmer(Allia,2010) racontaitune poqueenpleinbrouillage idologiqueetdsignaitOlivier Benyahya,quiavaitalors 35ans,commeun cri-vain surveiller.Son deuximeroman,Dexies& Dolly, abeausedguiseren comdieplusoumoinsromantique (Joseph,Pari-siende34ans,neseremetpasdesaruptureavecNina),il confirmesavolontdese colleteravecsonsicle.Pas seulementparce quOli-vierBenyahyapossdeletalentdecapter etrestituerlredu tempsetses tics, avecla lassitudetoutehouellebecquiennede son narra-teur,moiti crivain,moiti cais-sierdans uneboutique deDVDpor-nographiques.Mais surtoutparceque,lairde rien, ilcomposeunromanaussi malin quazimutsurle dtachementpersonnelet poli-tique.Sous lgidede LonTrotskietRosaLuxembourg,il sinterrogesurle sensde lcritureet lapossi-bilitde lactiondansun mondesurlequelnulne sembleplusavoirdeprise. pRaphalleLeyrisaDexies&Dolly, dOlivierBenyahya,

    Allia,112 p., 9 .

    JosyaneSavigneau

    Cestunlivrequi sadresse tous les passionns deluvrede ClaudeSimon(1913-2005), mais aussi

    ceux qui, aimant la littrature,disentpourtantavoirparfoisquel-quesdifficultslelire.Lesquatreconfrences runies ici 1980,1982,1989,1993,cescauseries,comme il disait, clairent samthode,son modede narration,sa volont dtre, constamment,auplusprsde lasensation.

    Claude Simon, Prix Nobel delittrature 1985, tait un grandlecteur, ce que tout crivaindevrait tre. Et ses lectures, lon-guement mdites, nourris-saientsontravail.Commelexpli-que dans son avant-proposPatrick Longuet, qui a dit cesQuatre confrences, il a exprim

    lcetravailparticulier,aussidis-tinct dune thorie littraire quedunepense philosophiquedontilse dfiaitsanscesse.

    Eneffet,dsledbutdelader-nireconfrence, Littratureetmmoire,prononceQueensUniversity, dans lOntario, le29octobre 1993, Claude Simonprend soin de prciser: Avantde commencer, il me faut direquladiffrencedecertainscri-vains je ne suispas un thoriciendela littratureet queje nai pascritmeslivresen applicationou

    pour faire la dmonst rationduneconceptionparticulireduroman ()ettoutcequejemebor-nerai faire() cestdessayerde

    formuler quelques petites obser-vationsquime sontvenues les-

    prit au cours de mes lectures oudemontravail.Riendeplus. Onvoit ici, comme souvent, lamodestiedeClaudeSimon,maisaussi tout ce qui loppose authoricien du Nouveau Roman,Alain Robbe-Grillet. Pour en

    savoirplus,onsereporteralex-cellente biographie de MireilleCalle-Gruber,parue lautomne2011, ClaudeSimon,uneviecri-re (Flammarion).

    La premire confrence, Lepoisson cathdrale (1980) estune magistrale rflexion sur ladescription, nourrie par une lec-ture minutieuse de Proust, parune connaissance intime de La

    Recherchedutempsperdu.Long-temps on a considr la descrip-

    tion comme une composantesecondairede la fiction, tellementsecondaire mme quelle taittenue pour simplement dcorati-ve,inutile,importunemmepuis-quelleinterromptledroulementdelactionporteuseouchargedesensetqui,auxyeuxdulecteurtra-ditionnel, importe seule , relveClaude Simon, avant de longue-mentciteretcommenterdespas-sagesde Proust,pour dmontrerla puissancede ladescription.

    Et il est vident quil se recon-nat dans l a manire dont

    lauteur, dansLe Tempsretrouv,dfinissait son travail: Je consi-draisattentivementquelqueima-

    gequiavaitretenumon attention,un nuage, un triangle, une haie,une fleur, un caillou, sentant que

    peut-tre, derrire ces signes, setenait quelque chose dautre que

    je devaisessayer de dcouvrir, unsystmede pensequilsexprime-raientlamaniredeceshirogly-

    phes qui semblent ne reprsenterquedes objetsnaturels.

    BonquaLa deuxime confrence,

    Labsente de tous les bou-quets (1982) traite de la ques-tion de la modernit artistique,de la vraisemblance. ClaudeSimona maintesfoist interro-g sur la question de progrsen art, et il tente de rpondre,convoquant de nouveau Proust,mais aussi Joyce et des peintres,pour rcuser ce mot de progrset y substituer diffrences etvolutions.

    La troisime dit tout dans sontitre Ecrire (1989) et part de laquestionposeunjourdenom-breuxcrivainsparlejournalLib-ration: Pourquoicrivez-vous? etdu lapidaire: BonquadeSamuel Beckett. La plus bellerponsedeClaudeSimon setrou-ve lafinde ladernireconfren-ce, Littrature et mmoire,quand il raconte comment enURSS, lUnion des crivains, onluia demandquels problmesleproccupaient.Sonproposajetunfroid,maisilrsumeparfaite-mentsavieetsonuvre: Lepre-mier: commencer une phrase; ledeuxime: lacontinuer; le troisi-meenfin:laterminer.p

    Signalonsaussi Claude Simon:situations,unouvrage collectif sousladirectiondePaulDirkxet PascalMougin(ENSditions, 208p., 23).

    ClaudeSimon,souslesignedeProustDanssescauseries, lePrixNobeldelittratureexposesamthode,auplusprsdelasensation

    Sans oublier

    ChristineRousseau

    Jacques Chessexa 19ans lorsquen 1953il crit Gustave Roud (1897-1976),grande figure deslettres romandes.Lejeune auteur qui sapprte publier

    comptedauteur unrecueilde pomes,LeJour proche, chercheladoubement de cetan avec lequel il entretiendra une lon-guecorrespondancepublieavecsoin cetautomneparStphanePtermann(Corres-

    pondance-1953-1976.JacquesChessex-Gus-taveRoud. Infolio,2011).

    Vingt-deux ans plus tard, le 30octobre1975,par unsignedu destin, JacquesChes-sex,auroldu prixGoncourtle premierdcern uncrivain suisse, reoit sontourunelettredunjeunehommede17ansquivientdedcouvriravec ferveurdanslabibliothque paternelle Le Jour proche.Sduitpar cettemissive quine luiparlenide LOgre prim ni du scandale suscit enSuissepar Carabas (Grasset,1971),lcrivainrpondchaleureusement ce garondontlenom,Garcin,luiestfamilier.Etpourcau-se,lesignatairenestautrequelefilsdePhi-lippeGarcin,mortprmaturmenten 1975etdontChessexaluavecunintrtaigudans la NRF les beaux essais clairs etsavantssurStendhal,DiderotouPaulhan.

    Place sous lesigne dela posie etplussecrtementde deuxmortslepredeJac-ques Chessex sest suicid quand il avait19ans, lamiti est immdiate entre lesdeux hommesquine vont cesserde scri-rejusqu lamort brutalede lcrivainvau-

    doisen 2009. Au-deldece coup defou-dre,cequifrappedslaborddecettepas-

    sionnante et richecorrespondance,cest lamaniredont Chessex traite dgal gal,depote pote,cet interlocuteurde vingtans son cadet qui na encore rien publi.Chaleureux, enthousiaste la lecture despomes de Jrme Garcin, travers les-quelsilnevoitrienmoinsquune parentdcisive, le romancier semble galvanisparces changesfertilesqui linspirent,lepoussent revenir lessentiel: la posie.Unan peineaprs ledbut dece dialo-

    gue, Chessex se sent redevable lgarddesonami: Une affectionprofondeme lie

    vous,moncherJrme,etpeut-treai-je

    votre endroitune sorte de trshautedettede pote.(...)Jefais icile vuque leslivresvenir: les vtres, les miens (...) portent lamarquede notreamitiexigeanteet dura-ble. (...) Votreamitifait penserjuste.

    Un ami donc, bien introduit dans lemilieu littraire dont on suit par ces let-tres la rapide ascension. En effet, JrmeGarcin na pas encore 25ans que, dj, il

    multiplieles casquettes: critiquepourLesNouvelles littraires; directeur de lph-mre revue Voix quil a cre et laquellecollaboreChessex;maisaus-silecteur chezPayot etDenol, direc-teurde collection chezRamsay. Mueparle dsir secretdoccuperla placebante laisse par son jeune pre,lambition du fougueux Garcin nadgalequesavolontferventeetpas-

    sionnedefairemieuxconna treChessexen France, dont luvre, malgr le Gon-court,peine trouversonpublic.Il faudraattendreLe Vampire de Ropraz, en 2000,pour quune nouvelle gnration de lec-teursle(re)dcouvre.Entre-temps,JrmeGarcin,aiddeFranoisNourissier,naurapas cess de placer ou dditer les textesdu forat de Ropraz, comme il le dsi-gnedansune belleet sensibleprface.

    Entre des considrations ditoriales,desconseilset descoupsde griffes len-contre de telou telcritique, crivaindi-

    teur,oules bourgeoiscalvinistes,Ches-

    sex et Garcin changent abondammentsur leurs lectures, leurs matres (Roud,Giono et surtout Flaubert pour le pre-mier,Stendhalpourlesecond),et,bienvi-demment,surleurs crits respectifs.

    Vritable chambre dcho de luvre,

    cette correspondance permet dentre-voirChessexsur tousles fronts (critique,essayiste, conteur, nouvelliste, roman-cier) et presque toutes les tapes de lacration. Sauvagement dabord, com-me il se plat lcrire son ami pourexpliquersessilencesou sonimpossibili-t le recevoir, quand il bataille sur LesYeux jaunes (Grasset, 1979), une espce

    detempteramifie ousurlpouvan-table chantier romanesque de Jonas(Grasset, 1987), puis trs mticuleuse-ment lors de la priode des relecturesmultiples o il lague,coupe, corrige.Hormisde brefs sjours Paris, on com-prendquece bourreaude travailne quit-te gure ce pays vaudois qui lui est cheretquici ilmagnifiedans deslettres-po-mes.

    Les lettres, fort nombreuses au coursdes annes 1990, sespaceront mesurequesimposeraentrelesdeux amislusagenotamment dominical du tlphone.Peut-tre est-ce l le seul regret que lonprouve en achevant la lecture de cetchangevibrant dune belleet lumineusecomplicit littraire. p

    Ropraz,le 19septembre2005Moncher Jrme,Avantle matin: 6h 30.Cetteheureje regardele jardincom-mesi jene lavaisjamaisvu,je

    le voisdedanset dehors, arbreset buissons,herbe,rameauxenmoidetantdannesetfra-cheurencoregrise,presqueargente,luisante(). Cest

    justeavantle leverdu soleiletlclairageblancdu jour.Unmomentone riendcider,seressentirlger, ouvert,habit,laisserlepomeoulalettrescrire dansla prsence parfai-te,sansdoutecelledeDieu,cer-tainementcelledelamirevenuily a quelquesjoursavecgran-dejoieet plaisir.() Jacques

    Fraternitsecrte. page653

    Fraternitsecrte.Correspondance1975-2009,deJacquesChessexetJrmeGarcin,

    prfaceet notesde JrmeGarcin,

    Grasset, 664p.,25.

    Littrature Critiques

    CeschangespoussentChessex revenir lessentiel: laposie

    Pendanttrente-cinqans, Jacques Chessex etJrmeGarcinse sont crit.Leur correspondance rvleunecomplicitlittraire hors ducommun

    Uneamitifconde

    Extrait

    Quatreconfrences,deClaudeSimon,

    Minuit,128 p., 13,50.

    ALAINGAVILLET

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    DanslesboisPendantquatreans, unpre etsa filleont vcudansunerservenaturellede lOregon,en setenantautantque possible distan-cedu commercedeshommes.De cette histoirevraie etdesquestionsquelleposait (quefuyaient-ils? quellevie peut-on

    menerdans lanaturependantsi longtemps?),PeterRocka tirsonquatrimeroman,le premiertraduiten franais.Unlivrecrit lombredHenryDavidThoreau(1817-1862),de sestho-riessurla dsobissancecivileet lensauvagement,et portparla voixdeladolescente,Caroline.Ce choix dune narratricequiposeun regardsans jugementsurce quellevitet quipeinedcrypterles raisonsdesagissementspaternelscontribuechargerdinquitudela lecturedeLAbandon.Onavancepaspasdansce beauromantravaillpar laquestion dela norme,lafftdu dangerautantqumerveill parla beautdes dcou-verteseffectuespar Caroline.pRaphalleLeyrisaLAbandon (MyAbandonment), dePeterRock,traduitde langlais

    (Etats-Unis) parPhilippe Aronsonet Jean-ClaudeLadurelle,

    d.Rue Fromentin, 238p.,16 .

    Mille-feuillefamilialChicoBuarque excelle dcrireles brumesde lexistence,ces

    tatssecondso lindividunaplusle contrlede lasituation.Aprslhommeperdudanslesconcidences deBudapest (Galli-mard,2005),voici lecentenairepris danslembouteillagede sessouvenirs. Quandje sortiraidici, quatrime romandu chanteur,poteet compositeurbrsilien,est construit encourts chapitres,sansparagraphes.Lesbribesdercitfamilialracontespar lehrosgrabataire,Eulalio,sont desavants mille-feuilles.Et cetartdelimbricationpermet Buarqueune plongesubtiledanslhistoiredu Brsilmtis.Matilde,la femmedEulalio,estpartieunjour,Dieusaito.Eulaliolaissefilerledestin,sa descendan-ce,sa fortune.Sansjamais selasser,on chercheMatildedansdesddalesde dsirset decuriosits,qui fontduvieuxmaladeunprcieuxtmoinde cinqgnrationsladerniretrafiquede ladrogue,enfin,peut-tre.pVroniqueMortaigneaQuandje sortiraidici, deChico Buarque, traduitdu portugais(Brsil)

    parGenevive Leibrich,Gallimard,176 p., 17,50.

    NilsC. Ahl

    AlembouchuredelaJakobsel-va(riviredeJacob),Gren-seJakobselvestunpetitportinhospitalier sur la mer deBarents,le poste-frontireleplusseptentrionaldEurope,

    entre la Norvge et la Russie. Cest gale-ment le titre original de ce roman,qui s edroule en partie dans ces confins, pen-dant loccupation de la Norvge par lesAllemands, entre1940 et 1945. La traduc-tionfranaise Des hommes ordinaires est certes plus explicite pour un lecteurnongographe.Danslespremirespages,cest dailleurs un rcit trs ordinaire quise meten place: dansun lycebourgeoisde Munich,Otto, le premier narrateurdece texte, est fascin par Paul, son sibrillant condisciple, qui sengage enfaveur du nouveau rgime pour des rai-sons avant tout intellectuelles. Sil luiembotele pas, Ottonest pasun suiveur,nivritablementunconverti.Abonnedis-tance,il nese rapprocherafinalementdesnazisqula mesure deses (raisonnables)ambitionssociales.

    A quelques mois de la guerre, il senamuseraitpresque: Malgrmonunifor-me, Paul devait avoir des doutes sur ma

    position lgarddes NouveauxTemps. Etsurces choses-l, je restaismuet, ouesqui-vais en ironisant. En fait, il se complatdans cette esquive, digressant et disser-tant, relativisant sans dmordre, pour

    finalementsejustifiersansinsister.Aprs1945, sa rinsertion dans la socit alle-mande et europenne saccompagneradu mmesouponde sourireet dindiff-rence. A moins que ce ne soit le ton quiladopte,une gnrationplustard, pourseconfierAlfMagnusMayen,lautrenarra-teurde ceroman,fils illgitime dePaul etdAda,samatressenorvgienne. Profon-dmentdmocrateetmoral,lejeunehom-meeffectuedansles annes 1960sonser-vice militaire cettemme frontirebai-gnepar locan Arctique dfendueparsonprebiologiquependantlaguerre.Unpremierpas malgrlui endirectionde sesorigines.

    Bien que remarquablement documen-t, Des hommes ordinaires na rien dunromanthse.Ilfaitentendre,danssadou-ble narration et dans la continuit frag-mentaire des vnements, le bavardageraffin (etparfoisrpugnant) desenfantsdune certaine bourgeoisie allemande et

    europenne. A ce titre, plutt que le livreponyme de Christopher Browning, Des

    hommes ordinaires. Le 101e bataillon derserve de la police allemande et la Solu-tion finale en Pologne (Les Belles Lettres,1994), dont lcrivain norvgien prend lecontre-pied,cest pluttCroireetdtruire ,de Christian Ingrao (Fayard, 2010), quilfaudrait lire en miroir. Car dans ce textedeKjartanFlgstad,nen1944,ancienlau-ratdu prixdu Conseil nordiqueen 1978,dont le lecteur franais connat Grand

    Manila (Stock, 2009) etPyramiden(ActesSud, 2009), cest la confrontation desides(pastoujourstrshonntes,intellec-tuellement, limage des personnages)quitissela trameromanesque.Lordinaire,ici, ne concerne ni les hommes ni le mal,mais le va-et-vientde lesprit qui sadap-te,livresse delengagement.

    Au-del de cette remarquable fresquespirituelle, le roman saccomplit cepen-dant dans la peinturedun certain ge delavie,dunejeunessequitudieetquisin-vestit, des premires articulations dudsir et de laction. Lironie et lhumanitde ses personnages tiennent ce tableaudun ge quinest plustendre.Otto,Paul,Ada et mme Alf Magnus partagent lemmemlangede courageet deveulerie,la mmervolte, lammeurgencephysi-que,sentimentale etmorale.Jouanthabi-lementdesregistreset desgenres,KjartanFlgstad anime le ballet de ses personna-

    ges dun peu de roman initiatique, dunzeste dpope, dune bonne pince de

    rcit historique, voire picaresque. Deshommesordinairessauteainsidunepo-que une autre, simulant la continuitdes hommes, donnant voir le mouve-mentarrtdeleurspassions.Cefaisant,ilpermet lanarration dassumerjusquauboutses personnageset leursconvictions,sans complaisanceni voyeurisme.

    Ce texte ne se contente pas, en effet,dorganiser une reprsentationde la bar-barieouderomancerlatrajectoiredequel-ques jeunes intellectuels de bonnefamille.Il serefuse superposerlhorreuret la banalit. Il nhabille pas lhistoiredun pathtique requis ou ncessaire, nine len dshabille arbitrairement. Il dittoutceque lonpeutdire,par lanalyseouparla fiction,et conclutsans conclure.Lesortdesprincipaux personnages estrglmais linterprtation en chantier, encore faire sitantestquiilfaillela faire.A cetitre,rien nestmoinssr. Evoquantdansses dernires pages une citation de Jac-ques Derrida (Je ne crois pas que noussachions encore penser ce que cest que lenazisme),Des hommesordinaires estunformidabletravailderomancier.Untextegrave, dune ironie irrsistible, qui necde jamais ses narrateurs un remar-quable tourde force. A lvidence,il sagitdun itinraire au fil de lobscurit, pas-sionnant,quitmoignedespouvoirsnou-veauxdunromancieren apne,au curde lhistoire. Ni tmoignage, ni enqute,ni folklore,Des hommesordinaires revisi-tele secondconflitmondial safrontire.Une russite.p

    Lamour aunparfumdecacaoCestlun desromans lesplus connusde lcrivainbrsilien,dansune nouvelletraduction.Lorsquilfut publipour la pre-mirefois,Amado,n en1912,taitdjtrs populaire,autantpourlaqualitde saprose,enracinedanssargionnordesti-ne,que poursesopinionspolitiquesqui luiavaientvalula pri-son.Il donneici unedescriptionpassionnantedes bouleverse-mentspolitiquesde sonpoque,en sefocalisantsurdeuxsymp-tmesdu changement.Celuiqui luiparatle plus signifiantest

    lvolutionde lafemme,de saplacedansune socitencoremdivale,maisqui samlioregrce,notam-ment,au couragedeshronesquil metsuccessive-menten scne.Toutelhabilet delcrivainest dentre-mlercette volutionavec uneautre nouveaut, quisape,elle aussi,lantiquepouvoirdes nantislocaux:lapparitionde la culturedu cacao,facteurde progrs,quimenace lespuissances tabliesp JeanSoublinaGabriela,girofle et cannelle,deJorge Amado,traduitdu

    portugais(Brsil) parGeorges Boisvert,Stock Cosmopolite,

    49p., 22,50.

    ditions de lOlivier

    Lune des rvlationsde la rentre hivernale.Raphalle Leyris, Le Monde

    Un blouissant roman.Sabine Audrerie, La Croix

    Elliptique, sensuel, aigu, Vie animalesimpose demble par sa tonalitincisive et mlancolique. Par sa faonneuve, potique et crue de parlerde lenfance et de la fratrie.NathalieCrom, Tlrama

    JustinTorresVie animale

    Sans oublierAvecforceetironie,leNorvgienKjartanFlgstadbrosseunefresquehistoriquequiinterrogelhritagecollaborationnistedelaNorvge

    Frontiresdelengagement

    MarcWeitzmann

    Edna OBrien a dcouvert sesdpensceque faitlafic-tion ceux qui sy livrent.Le scandale, dans son cas,

    estvenuavecle succs: lapublica-tion en 1960 de Country Girls (Les

    Filles de la campagne, Fayard,1988),premier volumedune trilo-gie censure en Irlande, o lonalla mme jusqu brler le livreen place publique en raison de sadescription, trop franche pourlpoque,delaviesexuelledesjeu-nes filles dans la campagne irlan-daisecatholique.

    Un demi-sicle plus tard, lemalentendu reste aussi brlantentre la romancire, qui na cessdexplorerla violence desrapportsentre les sexes, notamment dans

    les superbes Dcembres fous, LaMaisondusplendideisolement,Cr-pusculeirlandais,etlepaystrstra-ditionalisteo elle estne, dans lecomtde Clare,en 1930.

    Tout crivain qui renonce aumlange damour, de ressenti-ment, de peur et de haine qui leconstituedepuisses premiersatta-chements est perdu, dit EdnaOBrien. Ecrire, mme un livre trsencolre, estsansdouteune mani-

    festation damour. Mais damourlointain.Cestla faon laplus dses-

    predappartenir. Voirdolonvient, sen librer, y retournerpourlcrire.Latragdiedelappar-tenance pour le romancier, cestquesa matireest prcisment cedont il sest affranchi le poisondont lcriture est lantidote maisqui,simultanment,la nourrit.

    La construction particulire deSaints et pcheurs montre lten-duedes pouvoirsnarratifs dEdnaOBrien.Lauteurdresse leportraitdelIrlande traversdes rcitsvir-

    tuoses, faussement naturalistes,qui frlent le fait divers picares-que,frisentla comdie de mursou le roman noir: lescatastrophi-ques tribulations dun proltaireirlandaisdevenuSDFdanslesruesde Londres (Rois de la pelle),lexcution dun indpendantistele jour de sa sortie de prison(Fleur noire) ou la mort tragi-queduntypeun peusimplecoin-c entre corruption et hold-up(Cow-boy intrieur). Au passa-ge,la traduction dePierre-Emma-nuel Dauzat rend magnifique-mentcemlangedelyrismelgia-queetdnergiebrutalequisontlamarquedEdna OBrien.

    Roman sketchs

    Ce nest quau huitime de cesonzercits,Manhattanpot-pour-ri qui conte la drive new-yor-kaise dune femme sadressant son amant adultre , que le lec-teursenrendcompte: cequila lujusque-lservait envritdintro-

    duction unthmeplusprofond:la libert individuelle de la narra-trice, double de lauteur. Et ce quiseprsentaitau dpartcommeunrecueildenouvellesmriteraitplu-ttlenomderomansketches,ou mieux, dautoportrait enmiroirde lIrlande.

    Deux autres rcits viennentnimber dombre le parcours de lanarratrice. Le plus beau, Vieilleblessure, qui clt le recueil et luidonne tout son sens, dcrit lirr-ductiblequte: commentse nom-me lattachement que lon porteauxlieuxquilnous fautfuirsouspeine dtouffer? Ce ntait pasde lamour, rpond-elle, ce ntait

    pasde lahaine, maisquelquechosequi na pas de nom parce que lenommerlepriveraitdesavrit. p

    EdnaOBrienaumiroirdelIrlandeLambivalencede laromancire lgarddesonpaysimprgnesesnouvelles

    Critiques Littrature

    On doitpouvoirdire sanstropexag-rerque nous,laWehrmacht,nousappor-tmes ceslieuxlavie civilise etlaculturemoderne.Nous occupionsla vil-le,villequitaiten vritbien troppeti-tepournotreoccupation.Nous tionspartout.Nous rquisitionnmesetnousapproprimestoutce quiexistaitdj,et construismesduneuf.Pournous,lacommunede Sr-Varangertaituneglisesurunepointeetuneminedeferdanslamontagne.Et voilquenousfai-sionsde cette rgionun foyer ducom-batpourla civilisationet lespace vitaleuropens. ()Le Reichkommissar(RK)Terbovenetle Reichfhrer(RF)Himmlervinrentinspecterles lieux.Nosgn-

    rauxmenaientlagrandevie,avecjoiesdela table,vivresacheminspar avion,

    cuisinesophistiqueet vinsmillsims.Pourles troupes,nousorganisionsdesconcertsclassiquesdunniveaumusicalmillelieuesdesprestationsduWil-fredsPopulreEnsemble.Le quotidienlocal Folkets Frihettait rdigpar quel-quesagentsde lapolicesecrte laplu-mefacile. Noslibrairesdufrontpropo-saientune richeslectionde littratureclassique.Nos aumniersavaientsoute-nu leurthse Fribourg-en-BrisgauetHalle-sur-la-Salle.Je puissans douteajouteren toutemodestieque,surtoutaprs larrive dePaulvon DamaskusdansleNord,nos fonctionnairesde poli-ceaussiavaientune bonne formationphilosophique.

    Deshommesordinaires,pages 188-189

    Cetexte tmoignedespouvoirsnouveauxdun romancier enapne,au curde lhistoire

    Deshommesordinaires (GrenseJakobselv),deKjartanFlgstad,traduitdu nonorvgien

    parClineRomand-Monnier,Stock Cosmopolite,530p., 24,50.

    Extrait

    Saintset Pcheurs(SaintsandSinners),dEdnaOBrien,traduitde langlais(Irlande)parPierre-EmmanuelDauzat,d.SabineWespieser,228p., 21.

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    CEST UNLIVREouverttoutcequisepassedansla viedunhomme quicrit,etquise faufiledansletemps,le journal

    duncrivainqui prendsoinde resterauxaguetspourgarderla mmoirede cequise passedevant luidcrivantavecle mmesoucidu dtail,sanspathosetsans aucunemportementuntrajetdeRERou cette expriencedese retrouver,

    parexemple,acteur Sarajevo,dansunfilmdeJean-LucGodard.

    Pierre Bergounioux, pluttque dcri-relhistoirede savie,en traceseule-mentles linaments.Sans doute causedune persistante sensationdtrange-

    t. Silvoqueles tresaims,les cri-vainsquilfrquente,commePierreMichon,ou encore sonmtierde profes-seur defranaisquile dsole, ilsemblentreplus vraimentl. Ecrire, cestvivrecetteexprience droutantedtredehorsetdedansau mmeinstant.Tout monbonheurtait danslespran-ceet ilntait plus temps, crit-il.Maistoutrestecependantpossible,suspen-duau regarddaprs. Aucune noirceurdfinitive nevient jamais empter lcri-

    ture sinoncettemlancoliealerte quiaide garderlesyeuxouvertsetla pen-seactive.

    Si cespages ne sontni extraordinai-resni exaltes,cestque Bergouniouxentend nousparler sanspour autant

    sehisser au-dessusde nous.Son journalfaitpartiede ceslivresquil faudraittou-joursrendreaccessiblesdans sa biblio-thque.Car ilaide entendrequecestau curde lanormalitde nosviesquesejoue un mystrequotidiennementrenouvel: Nous nousressemblonstous.Lesmmeschosesnous touchentdela mmefaon.Je postuleune formedeconformisme la foisintellectuelle,logi-queetmorale.Ce quimervolte,rvoltemessemblables.Ce quimexalteleur met

    leslarmesaux yeux.pA.d.C.

    Amauryda Cunha

    Un journal, lorsquilest crit par unauteur singulier,nestpasncessaire-ment un dfouloirintime satur de

    confidences et danecdotes tiresdunehistoire prive qui ne regar-depersonne.QuandPierre Bergou-niouxse livre cetexercicelittrai-re, lcriture de soi prend une for-me inattendue: elle convoque lafoislalittratureetla vie,ou pluttelle russit dplacer sans cesseleurs frontires. Il publie aujour-dhui, au milieu dune uvre djabondante,composedelivresima-ginaires, de rcits autobiographi-ques, aussi rigoureux querveurs,Carnetde notes.2001-2010.

    Il sagit du troisime tome den ot es p ri se s s u r l e v if , d erflexions,dobservations,decom-mentaires surles livres quil litousur ceux quil est en train dcrire.Pour des raisons qui touchent mesorigines,ma destine,jaires-senti le besoin dy voir plus clairdans cette vie. La littrature mestapparuecomme le mode dinvesti-

    gation et dexpression le moinsinappropri. Elle est porteuse,com-me lhistoire, comme la philoso-

    phie,commeles scienceshumaines,dunevise explicative,donc libra-trice, lit-onen prambule.

    En parcourant ce texte de prsde1300pages,on estfrappparlamlancolie dun homme en

    retrait, qui crit ne plus vraimenthabiter le monde de mainte-nant. Mais,danslapetitesalledesBeaux-Arts de Paris (il y enseignedepuissix ans), cestun treguille-ret qui vient sexprimer, avec unmlange de sophistication et defranchise, commesi lamoindre desesphrasestaitsurle point dtrecouchesur lepapier.Un homme-livre,en somme, un crivainobs-d par lide quun texte puissedonner du monde extrieur uneimagejuste, immdiate.

    Aloriginede cedsir dcrirecescarnets, lapeurdeperdrelatraceetlesensdelavie.A30ans,jaipensquejallaisdisparatrecausedunemaladiede lagorge,sansrmission

    possible. Je sortais de ladolescence,il me semblait quun certain nom-bredechosesquidemeuraientaupa-ravant obscuressavanaient marencontre, je les voyais enfin, dansun tat dclaircissement intrieur.

    Jai commenc alors crire pourcombattre sur plusieurs fronts enmmetemps,celuidupass,quisen-tnbrait,et celui du prsent, et sesterriblesrvlationsqueconstituentles morts rapprochs de ceux que

    nousaimons.Pourentrerdanscettersistanceintime,lcrivainbloque toutevel-litde lyrismeou dintrospection.Car lenjeu, en lisant ce journal, nesemble pas compatible avec une

    esthtique trop appuye. Bergou-nioux se contente de recenser lesfaits de la vie immdiate la cou-leur duciel,lheurede sonrveilsansles transformer.Je faisaveu-

    glment confiance celui quejtais au moment o jai pris notedetelfait,confie-t-il,comme si leprisme de lart menaait daltrerce projet: La littrature en tantquetelleest mesyeuxdpourvuedexistence.

    Sises textesde fictionsontcou-lsdansunbeaulangage,ilnhsitepas,danssescarnets,crireleplusplatement possible, sans effet, cequirapprochesestextesdunecri-ture photographique lemprein-teinstantane.Autrementdit,il nemodifie jamais rien de ce quil yconsigne, il conserve la traceauthentique de ce qui sest inscritsurlapage,commelesselsdargentnoircisparla lumire. Face une

    photographie,nulne peutdisconve-nirquecelaa t,pourreprendre le mot de

    Roland Barthes, quel-lesque soientles rser-ves ou lincrdulitdontonapu tre frap-

    p. La photographie,souscerapport,consti-tue quelque chose de

    magique,car ellearrte linstant etlesoustraitaufluxdutemps.

    Devant lerel, comme unepla-que sensible, Bergounioux secontente de mentionner ce qui letraverse, sans jamais se laisser

    gagner parla tentation de lanaly-se et du jugement. Chaque jourqui passedoit tre certifi par cesaperus qui nourrissent son jour-nal.Sil se frotteainsi au dsordredu monde, le protocole du travail

    demeure rigoureusement inchan-g: Pour crire, jobserve une cer-taine discipline de vie, car cest lemeilleur moyen que jai trouv

    pour ne pas perdre du temps. Mes

    habitudes sontune sortede filetolon peut prendre tous les poissonsdu temps. Le journal, ce sont cesimpressions que je recueille quand

    jesors dela solitudedu rduitet queje constate, stupfait et parfois

    pouvant, que la vie continue etquellechange insensiblement.

    Ecrit dans lagitation de la vie,cejournalluigarantitunevigilan-ce continue face au droulement

    du prsent. Posture humble dunscribe, recroquevill dans soncoin qui fait ses sorties dans lemonde extrieur pour se mainte-nir veill et nourri par les mer-veillements du monde: Ajustermespenses auniveau,sinonde laraison, du moins de la ralit.

    Jcris ce journal pour rester lecontemporain de mon temps, ne

    pas sombrer dans la dure flottan-te dans laquelle on est condamn,ds linstant o lon a fait ce

    fameuxpas dect etqui nousmet part, qui vous place comme enretraitde vous-mme.

    Au terme de ces dix annesdcriture,cesbribesdeviesminus-culessesontglissesdansunvolu-mepais,cequisemblelinquiteret l amuser en mme temps:Mais cest le pav de lours, ai-jeencore entendu ces jours-ci! Oui,

    mais les gars, une dcennie, cest36 50jours ! 1 300 pages n e repr-sententjamaisquuntiers de pageauquotidien!Ce nestpassi exces-sif que cela! Accordez-moi que jenaipasexagr! p

    InstantansDepuislgede30ans,PierreBergouniouxtientchaquejoursesCarnets,dontparatletroisime

    tome.Pourresterlecontemporaindesontemps

    Carnetde notes. 2001-2010,

    dePierreBergounioux,Verdier,1262 p., 39.

    LecomplotMolireL a v i e L i t t r a i r e

    Leslinamentsdunevie

    Pierre Assouline

    Etle ngationnismelittraire,vousyavezpens?En cestempsdaddic-tionaux loismmorielles,il nedevraitpas chapper linterdit

    lgislatif.A ceciprs queles littrairesnecomptentpour rienen priodelectorale;deplus, la sanglantedispute entremoli-resqueset cornliensne relvemmeplusdela catgoriedu crimecontreles Huma-nitspuisquele Pouvoira entreprisde lesliquider tantdonnleur faiblerentabili-t.Or voicique laffrontementreprenddeplusbelle sousla formedunecyberguer-re.Depuis quelepotePierreLousalan-clideen 1919,il setrouvergulire-mentdes chercheurspour dnoncer unimposteuren Molire:il neseraitpaslauteur deses pices,lesquelles seraientsortiesdela plumede sonngre,Corneillelui-mme.Pas moins! Ilssemploientdonc dbusquerles concidencestrou-blantes. Unfumet obsidionalse dgagedecesdossiers charge,maisgardons-nousde pointerlaction duRseau Voltai-rederrirece rvisionnismethtral.De

    longuedatedresssface cetennemiquilsaccusentdepratiquerla dsinforma-tion,molireux,molirophiles etmoliro-manesse sontunis derrire labanniredesmolirologues.Au premierrangde cesderniers,Georges Forestierde La Plia-devientdelancerlesiteMolire-Cor-neille, ouMolireauteur desuvresdeMolire (Moliere-corneille.paris-sorbon-ne.fr),quila conuavecsonquipe laSorbonnedans leprolongementdela basededonnesintertextuellesMoliere21.Onytrouveunerfutationenrgledes125 faussesanomalies inventoriesparlennemi surle site LAffaire Corneille-Molire (Corneille-moliere.org); lesditsdvotsdeMolirey sontdnoncsparDominiqueet CyrilLabbcomme une

    petitecoterielittraire (qui)utilisecontrenousdes mthodesde propagandesimplis-tes. Ilest vraique cesmolirophobessontanimspar unelogiqueconspiratoire(ah,lesecret!)o lona allgrementfranchile pas delinsinuationau doute,nonsans avoirauparavantpass lescor-

    pusdeMolireet Corneilleau tamisdesformules,algorithmeset logicielsdanaly-se.Tout estminutieusementexamin: sestudes, lechoix deson pseudonyme,sesvoyages,ses revenus, ladisparitionde sesmanuscrits,son surmenage,son persifla-ge lendroitdes textesthoriquesde Cor-neille, lesparentslexicaleset rhtoriquesentreleursuvres, leurconfrontationpro-sodique,le rledes prte-nomsetprsen-tateurs depices, lesaccusationsdinces-teSi Molirecroyait avoirtoutentendulorsde laquerellede1663surLEcoledes

    femmes,il doitaujourdhuiexcuteruntourcompletdans sa tombe.

    Guerrede tranches

    Maissi lespartisansde Molirepeu-venttrouverdesexcuses PierreLous,eugard sapersonnalitet ltatde larecherche lpoque, ilsnentrouventaucune sesdisciplesquils accusentdetronquerles citationset desolliciterabusi-vementles faits pourmieux coller leurfumeusethorie.Encore faut-ilprciser

    queceux-cisont toutautanttancsparlesitedu MouvementCorneille (Cor-neille.org),qui rassemblenombrede som-mitsuniversitairesspcialistesde sonuvre,lesquellesjugent prjudiciable leurgrandhommeque detellesfadaisessoientrpanduesen librairieetpar lesmdias.On lescomprend.On a beaulireetrelirelespicesdudossier charge,onneparvientpas dissiperunecertaineperplexit: pourquoitantdehaine?

    Alorson abandonneles livres,lesbibliothques etles sites pourse changerlesidesauthtre.Pasle classique, letrscontemporain.Et pourquoipasMoi

    je crois pas! , ladernirepice autitresibartlebyende Jean-ClaudeGrumberg(auThtredu Rond-Point Parisjusquau24mars)?On selaissevolontiersempor-terpar cethumourdcapant,merveilleu-sementservipar PierreArditietCatheri-neHiegel,un couplequi narrtepasdesengueulersur toutetsur rien:le 11-Sep-tembre,le lobby juif,leyti,les grandscrus,lesbraquemartsde37 (trente-sept)

    centimtres,lesfves,lespetsjusqulinstantlittraire.Alors le complotrelvela tte: Molire,parcontreMolire?

    Il avaitun ngre.Non? Corneille.Cor-neilleaussi?Corneilletaitle ngre de

    Molire.Incroyable.Je ne savaispas queCorneilletaitngre.Cest luiqui acritlescomdiesde Molire.Corneille? Oui.Et sestragdies? Pourses tragdies,Cor-neilleavaitsonfrre.Ngreaussi ?Voi-l.Commenttusaistouta? CestChar-lesquimeladit.Et lui, commentil lesait?Internet

    Vrificationfaite,Jean-Claude Grum-bergnapas prispositiondansla guerredetranches.Le conflitestsi rcurrentquilluiestinconsciemmentvenusous laplume: En fait,je menfous,autantquedesavoirqui a critlespicesde Shakes-

    peare, confie-t-il.Nempchequele suc-csdeMoi je croispas ! risquefortderelancerla thse ngationnisteet depro-voquerde nouveaudes manifestationsdevantle Thtredu Rond-Point.Maisquefaitle Parlement?p

    Extrait

    JEAN-LUC BERTINI/

    PASCO

    Histoiredunlivre

    Aloriginedecedsirdcrire, lapeur sansdoute deperdrelatrace etle sensde lavie

    Ma II.II.2008.Je poursuisla

    recension,entamehier, desheurescritiques ojai prisconsciencede lasituationquitaitla mienne,lantre,aumilieu desannessoixante.Il sagissait desedterminer lalumiredelailleursconfusment pres-senti au-deldelenclavearrireo javaiscommen-c.Maisje mesuistropmalengag. ()Jereste la plumeenlair().Cestpiti,monge,de setrouver arrtpardesdifficultsde pense,commesi ondemeurait, enlamatire,un enfant,quonnaitpas employle meilleurdesontemps secolleteravecle sombrede lesprit,lnigmedu monde.Paularri-ve midi.Il maidetronon-nerquelquesforts rondins de

    chneet regarnirle bcherpuis transfrerle mobilierdejardin ausous-sol.

    Carnetde notes.2001-2010,

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    Pak Awan etsa femmenavaientaucunplaisir grer leurcommer-ce. (...)Les entreprisesdes pauvresapparaissentsouvent davantage

    commeunefaondacheter unemploilorsquedes choixprofes-sionnelsplus classiquesfontdfautque commelexpressiondune authentiquepulsion entre-prenauriale.Beaucoup de cesentreprisesdoivent leur existenceaufait quequelquundanslafamillea (ou est censavoir) dutempsdisponibleet quetoutecontribution lconomiefamilia-leest bienvenue.Cettepersonneestsouventunefemmeet ellecumulehabituellementses nouvel-lesfonctionsavecles travaux

    domestiquesquelle continuedas-sumer: ilnestpas srquelle aitvraimentle choix lorsquela possi-bilit seprsente douvrirun com-

    merce. (...)Il est donctrs possiblequede nombreuxpropritairesdecommerce,surtout lorsquilsagitdefemmes,neprennentpassp-cialementplaisir grer uneentre-prise,voire mmequilsredoutentdela voirse dvelopper.Celapour-raitexpliquer pourquoi,lorsquelesmmeschercheursontoffert250dollars des patronnessri-lan-kaisespour investirdansleurentreprise,beaucoup sensontser-viespourautrechose.

    Repenserla pauvret,pages 341-342

    JulieClarini

    Cest un paysage typique despays en voie de dveloppe-ment: des carcasses de mai-sonsslevantlelongdesrou-tesquirelientaucentre-ville.A ces btisses, il manque un

    tage, un toit, parfoisun mur.Leurs pro-pritairesneles ontpasabandonnes;ilsne les ont simplement pas finies. Riendtonnantpourqui saitque laconstruc-tionbriquepar brique estlune desvoiesde lpargne pour les plus pauvres. Cestainsiquelegrand-predAbhijitV.Baner-jee,lundesauteursde Repenserlapauvre-t, a difi la maison dans laquelle lefutur conomiste a t lev: pice parpice,fautedavoiraccsauxorganismesfinanciers.

    Louvrage que cet conomiste indiensigneaujourdhuiavecsaconsurfranai-se Esther Duflo fourmille danecdotes

    montrant lingniosit dploye par lesplusdmunispourfaireface leur destin.De fait, acheter des briques ds que lonpossdeunpeudargentestunefaoneffi-cacedimmobiliserlecapital.Acescompor-tements qui pourraient sembler irration-nels comme de ne pas attendre davoirruniunesommesuffisantepourconstrui-resamaisonenunefois, lesauteurssap-pliquentavecbonheurtrouverdesexpli-cations. Ainsi des vendeuses de lgumesdeChennaiquinconomisentpassurleurconsommationdethpouracqurirlecha-riotquellessont obliges de louerchaquejour. Cest que pour avoir la force dpar-

    gner, encore faut-il possder un cadre devie assez stable et esprer voir leffortconsenti traduit en rcompense. Ce quedsirent lesvendeusesde fruitssemblesiloindevantellesetsoumistantdincerti-

    tudes (encore faudrait-il quelles ne tom-bent pas malades, etc.) que lanticipationdecebienneparvientpascontrebalancerleplaisirimmdiatdune tassede th.

    De cette mthode qui vise compren-drelesmotivationsintimesdesindividus,AbhijitV.Banerjeeet EstherDufloontfaitleur cheval de bataille, convaincus quilfaut en terminer avec les solutions mira-clesnesdu brillantesprit desconomis-tesenchambre,cesserderduireles pau-

    vres des caricatures et prendre le tempsde comprendre rellement leur vie, dans

    toute sa richesse et sa complexit. Cestnotammentcequilsmettenten uvreausein du J-PAL (le Jameel Poverty ActionLab), install depuis 2003 au sein du MIT(Massachusetts). Toutefois, la convictionquilexiste toujoursune explication rai-sonnable aux dcisions prises par lespauvres les pousse certaines formula-tions qui peuvent sembler premptoiresounaves,quandellesnervlentpaslin-diffrence discutable dans laquelle sonttenus destravaux mens en sociologieeten ethnologie.Faut-il, parexemple, invo-querlecortisol,lhormonedustress,etseseffets surle cortexprfrontal, pour expli-

    quer que les pauvres ne fassent pas tou-joursles bonschoix?

    De manire gnrale,le livrepche par-fois parce quifaitson intrt, sa tentativedefonder surdes preuves lesprogrammes

    deluttecontrela pauvret.Car sil estpas-sionnant de voir appliqueraux politiquespubliques des mthodes empruntes auxsciences exprimentales,il estdrangeantdimaginer que lon puisse tirer de cesobservations des lois gnralisables. Lap-prochedEstherDufloetdAbhijitV.Baner-jee repose sur une ide simple: valuer,comme le fait la recherche pharmaceuti-que, la russitedun programme en com-parantdeuxgroupesoudeuxvillagesdont

    lun se voit appliquer le protocolequand lautre sert de groupe-tmoin.Cettetranspositionde la mthode desessaiscliniques estneuve.En 2010,leschercheursdu J-PALavaientralisoutaiententrainderalisersurcemod-le 204exprimentationsdans40 paysquiconcernentaussibienlasantquelducation, les techniques dagricul-ture, etc.Le microcrdit,parexemple,

    a fait lobjet de la part des auteurs dunevaluationalatoire dansdesquartiers

    dHyderabad, en Inde. Il nen ressortaucun signe dune transformation radi-cale, crivent-ils. A leurs yeux, le prtconsentiaux pluspauvres un taux nonusurairepeutavoirun effetsurles condi-tionsdevie,maisilfautmodrerlenthou-siasmedeceuxquiprtendentsortirainsidesmilliersde personnes de lapauvret:lemicrocrdit nestpas lapanace.

    On comprend travers cet exemple cequi ne manque pas dagacer certains. Cartoutau plaisir de partager leursdcouver-tes,les auteurs laissentle lecteurnaviguerdans un lger flou: ces exprimentationsvisent-elles dgager des lois qui vau-draientpartoutoucomprendredessitua-tions particulires? Que peut-on se per-mettre de gnraliser? Comment pas-se-t-on duparticulier luniversel?

    Prvenant les critiques, ils rappellentquelespetitschangementsontde grandseffets. Leurs travaux rvolutionneront-ilslaluttecontrelapauvret?Ilestvidentque leur succs public et institutionneltientenpartielamodestiedeleurspropo-sitions:encettepriodededsarroiidolo-gique,et dans undomaine,lconomiedudveloppement,qui a t lun des grandschampsde combatdoctrinal,tout sembleruni pour couronner la mthode despetitspas.Lconomiedu dveloppementnapas tabandonne; avecEstherDufloetAbhijitV.Banerjee,onsepersuadequel-lese reconstruit,brique parbrique.p

    Extrait

    Jean-MichelSeverinoanciendirecteurgnraldelAgencefranaisededveloppement

    DesrponsesinnovantesSILFAUT ATTRIBUER un pro-chainprix Nobeldconomie,quecesoit EstherDuflo. Lesinnova-tionsfondamentalessontraresdansles scienceshumaines.Silconomiese fondeaujourdhuiessentiellementsur la recherchedelapreuve,EstherDufloetsescollgues,en ontinventunmodleparticulier : lvaluationalatoire ou randomise. Celle-ci permetdapporterdes rponses desquestionsquaucune autreapprochene pouvaittrancher.Parexemple: pourles bnficiairesdunepolitique,savoir cequi seseraitpasssi aucunepolitiquenavaittmiseenuvreousiuneautrelavaittLapprocheexprimentalea susci-tdes polmiques.Un premierensembleconcerne leslimites delamthode. Ellene permetcertespasde tranchercertainsdbats,parexemple denaturemacroco-nomique.Maisil nestpasnces-saireque lvaluation exprimen-talepermettedetranchertousles

    dbatsde politiqueconomique.Ilsuffitquellepermettedentranchercertains,ce quiest djbeaucoup.

    Faire merger lerelLesrsultatsdes expriencesnesontpas forcmentgnralisa-bles.Les valuationsexprimenta-lespeuventaussitrelourdes,co-teuses,physiquementou politi-quementdifficiles, voireimpossi-bles monter.Toutefois, quandleurmise en placeest possible,ellesfontmergerle reldanslidologieet lathorie.Car,au-deldesdbatsautourdelapertinenceoudelintrtdelamthodologie,une secondecatgo-riede polmiquessestformeautourdesconclusionsatteintesparcertainesdesvaluations.Cestenparticulierle casdansle domai-

    nedu microcrdit.Lesvaluations,enInde,dulaboratoirederecher-chesdEsther Duflotablissentain-sique celui-ci gnredesimpactsintressantssurla pauvret,maisnestpas lahauteurdes revendi-cationsdebeaucoupdesacteursdecesecteur:transformerlaviedesgens.Ces conclusionssontarri-vesparalllement deschocsimportantsquesubissaitlemon-dede lamicrofinance.Dans un telcontexte,et bienque, finalement,lesconclusionsdes valuationsexprimentalesconfirment lint-rt dumicrocrdit,pluttque dad-mettredembleque lesimpactsgnrsparles institutionsdemicrofinancepouvaientavoir deslimites,ledbatapristrsviteuntouridologiqueetstrile.Nousrvonsque,duncoupdebaguettemagique,lemondesoittransformet lapauvretlimi-ne.Lintensitde nosdsirsnousconduit sanctifier, un momentparticulier,unerecette,quenousrejetteronssansdoutedans laghenne dsla modesuivante arri-ve.LapprocheprudenteetmodestedEstherDufloest moinssatisfaisantepour lesrves,maisnonmoinspuissantepourleschangementsrelsquenouspou-vonsespreret leurdurabilit. p

    Dernierouvrageparu:LeGrandBascule-

    ment,avecOlivierRay (OdileJacob,2011).

    Lapproche reposesuruneidesimple:valuer, comme le faitla recherchepharmaceutique

    Unbidonville,en Inde.

    GILLESCOULON/TENDANCEFLOUE

    Repenserla pauvret,dAbhijitV.Banerjeeet EstherDuflo,Seuil, LesLivresdu nouveaumonde, 430p., 24.

    LesconomistesAbhijitV.BanerjeeetEstherDufloproposentunemthodepourvaluerlesprogrammesdeluttecontrelamisre.Exprimentale,leurdmarchefaitdbat

    Sortirdelapauvret...petitspas ?

    a d h s i o n o b j e c t i o n

    Forum

    LaurenceFontainehistorienne

    UnemthodebiaiseVALUERLESPOLITIQUESmisesenuvredanslaluttecontrelapauvretest indispensable,et legrandmritedecelivreestdesat-tachercetobjectif,mmesileurmthode nestpasaussiscientifi-queque lesauteursne laffirment.Onpourraitclasserleursvalua-tionsen troiscatgories.Celleoellessontcompltementjustifies,commesavoirsilfaut donnerouvendrelesmoustiquairesdanslespaysinfestsparlepaludisme.Cel-leo ellesmanquenttotalementleurcible,carleseffetsnesontpasmesurablesdansle tempsdelva-luation.Ainsideseffetsdumicro-crditsurlesfemmes.Unanetdemiaprsle dbutdu program-me,leurtudenemontreaucunindicedetransformationprofon-dedelaplacedesfemmesdanslafamilleenInde.Cenestgureton-nant,carletempslongdelenqu -teestbientropcourtpourmesu-rerce typedvolution.Celleenfinolonsedemandesiuntelproto-coleest bienncessairepourapprendreque lesfemmesencein-

    tesquiontreudescomplmentsnutritionnels accoucheront den-fantsen meilleuresant,et doncplusaptesavoiruneviemeilleu-requeceuxquinatrontavecdescarencesen micronutrimentsouque,danslesrgionsolepaludis-meest endmique,les popula-tionsont,engnral,desniveauxdducationetdesalairesplusfai-blesqueceuxdesrgionsquiensontexemptes.

    PhilosophiesimplicitesEnoutre,lamthodea unbiais:lesimplefaitdenvoyerdes savantsposerdes questions, dontcertai-nessonttotalementneuves,despopulationsdont on sesoucierarementestpropre fairevo-luerlesmaniresdepenseretlescomportements,donc influersurlenqute.

    Leursanalysesde lamicrofinancesontsurprenantes: ceuxqui sontentrsenBourseetontrevenduleurspartsavecdejuteuxbnfi-cesetceuxqui,commelePrixNobelde lapaix MuhammadYunus,dnoncentcette financiari-sation relvent, leursyeux,de lammesphredelusure.Silsreconnaissentquelemicrocrditestun produitfinancierutile, ilsluireprochentdtreincapabletoutlafoisdefinancerdespro-jetsquidpassentlecadredelamicro-entrepriseet dedtecterlesinventeursdedemain,puisquelesorganismesprivilgientlapruden-ce.Pourquoidemanderaumicro-crditdersoudredesproblmespourlesquelsilnapastconu?Pourquoi,alors quele credodesauteursest queles petitschange-mentsontdegrandseffets,ont-ilspris soinde calculerquunenfantquiaprisduvermifugepen-dantdeuxansvagagner3269dol-larsenplussurlatotalitdesavieetnont-ilspascomptcombien lemicrocrditfaitgagneraux petitsentrepreneursquila sortisdesgriffesdesusuriers? Bref,mettreaujourlesphilosophiesimplicitesdeces diversprotocolesdenquteneserait pasinutile.p

    Dernierouvrage paru:LesParadoxes

    delconomieinformelle,critavecFloren-

    ceWeber (Khartala,2010).

    70123Vendredi17 fvrier 2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.02.17

    8/10[PAGE: MONDE_LIVRES - MONDE_LIVRES - 8 - 17/02/12] [IMPRIMEELE: 16/02/12 07:58PAR: FONTENIER] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL

    aLe19fvrier: HommageStacyDorisEcrivain,potesseamricaine,Stacy Dorissest teinte SanFranciscodans lanuitdu 31janvierau 1er fvrier.Sesamisfran-aisetles admirateursdeParamouroudeParlement (POL,2009,2005)lui rendenthommageau coursdunesoire lagalerieEOF(Paris, 75002).A partirde 18heures.

    Renseignements: 01-53-40-72-22.

    a Le26fvrier: Bailly ChambordDansLe Dpaysement(Seuil,2011, prixDcembre), Jean-Chris-tophe Baillysessaie saisir laFranceen go-sophe,tra-versune trentainede voyages.Il prsentesonouvrageau ch-teaude Chambord(41250)et acrit,pour loccasion,un textesurce symbolearchitecturalde laRenaissance. A 15heures.

    Renseignementset rservations: 02-54-50-40-00.

    aLe1ermars: MathiasEnardauGrandRMathiasEnarddonneune lecturepubliquedeParle-leurdebatailles,de roiset dlphants(ActesSud, 2010,prix Goncourtdeslycens),qui difie,littralement,un pontentre OrientetOccident. Austudiodedansedu GrandR, La Roche-sur-Yon.A19heures.

    Renseignements: 02-51-36-00-85.

    aLe7mars :EntendezRousseauLcrivainMarianneAlphantvoque Jean-Jacques Rousseau traversles archivesdmissionde tlvision consacresauphilosophe, lauditoriumdu Petit-Palais(75008).A13heures.

    Renseignements: 01-55-74-60-91.

    QUEST-CE QUELE RYTHMEenposie?Commentfairequedesl-vesdaujourdhuisoienttouchsparla cadencesourdedes versdeJeanRacine? Quils soient sensi-bleslamusiquedeVerlaine?Quilssoient envotspar letem-pomystiquedessonnetsdeMallar-m?Depuisquelquesannes,jaitrouvlasolution:ilsuffitdescan-derlesmotslamaniredesslam-meurs.Riende plusefficace. Lerythmedevientalorsuneralittangiblepourtous, etles tudiantslesplusindiffrentsau dpart selaissentprendreaujeu,aurythme,auplaisiretlaposie.

    Cepasnestlemoindredesmri-tesduslametdurapquedavoirdmocratisen Francele gotdelaposie.Et AbdAl-Malikest lundeceuxquiontlepluscontribucerenouveau.On connatsonpar-cours: naissance Paris,enfanceBrazzaville,adolescencedansunecitHLM, Strasbourg.Cestlundesmatresdelaposiedesquar-

    tiers. Iladeslettresetilalarue,commele ditMazarinePingeot,quisignela prfacedesondernierouvrage,Le DernierFranais.

    Endolorieet suaveCestvidemmentune posie

    engage,mais quine manquepasdhumour.Ainsi,renouantaveclesmnesde JacquesPrvert,AbdAl-Malikvoque lgalitdes chan-ces: Ilsnous disentouiaveclatte/maisils nousdisent nonaveclecur. Ilne manquepasaupassagedgratignerNicolas Sarko-zydansLa France: Aime-laouquitte-la? Commentquitterla fem-mequi mamisau monde?/ Est-ilunhommeceluiquireniesamre? Danstelpome,ildclare:Silence!/Ondmembrele corpsen saignanten Rpublique/cest la

    politiqueducative. Telautrepo-meestddi Hassanquiestpar-ti lannedernire,victime dunebavure!Jeleddieaussitousles

    ghettosmartyrsde monquartier:

    leNeuhof. CestquelaposiedAbdAl-Malikestlafoislyri-queet colrique, endolorieetsuave.

    Au-deldela critiquesociale,AbdAl-Malikentendproposerquelquespistes, carletemps

    presseet cestpas repeindrelesmursquilfaut,maismettrelalumiredans lestres. Certainstextessontdailleurspluspro-chesdelarticleoude lessaiquedupomeoudelachanson: Laralitest quecertains financierssontdevenus pourlconomiemondialeet les conomiesnatio-nalesce quesontlesextrmismesauxreligions:desennemisdelconomieelle-mme.Mais aussidesennemis desvaleurs fondatri-cesde laRpublique.

    Surtout, nallez pasdiredAbdAl-Malikquilsexprimebien.Dans lepome Singe*,ilcrit: Dis donc!Maisil sexpri-mevraimentbien pourun/*VouspouvezchangerSin-

    geparEnfant,si vousntespasanimspar unracisme primaire,maispluttparune innocentecondescendance. Moiaussi,jedoisledire,jaiconnucelaplusdunefois: Ah, Louis-GeorgesTin? Voustesmartiniquais? Maisvousparlezvraimentbien! Faut-ilgiflerouremercier?Lesdeuxsansdoute.

    Envritjevousledis/jesuisledernierdes Franais,affirmeAbdAl-Malik,dansuneformuleprovo-canteet mystrieuse.Peut-treparcequilestledernier croireencorelgalit?Etilrendhom-mage Virgile, Baudelaire,Csai-re,Glissant,MarieNDiaye,JacquesBrel,JulietteGrco,NTMouDaftPunk.DernierFranais?AbdAl-Malikne serait-ilpas pluttledernierpote?p

    Jean-ClaudeGallotta, chorgraphe

    IdaRubinstein,intenseinsoumise

    AbdAl-Malik,ledernierpote?

    dEricChevillard

    Sans interdit

    A titre particulierLalittraturelahussarde

    Agenda

    Le feuilleton

    MEVOILRAMENquelquesrves dadolescent.Ida Rubins-tein.Leroman dune viedartiste,de DonaldFlanellFriedman,merappellepourquoije danseet brle.Pourquoi jeme suisengagdanscettevie dartiste quientraneceuxquilachoi-sissentdanslesarcanesdelmehumaine.Je suisne aveclambitiondeprtermoncorps,mesmouve-ments,mavoixet leplusintimede montredespersonnagesdethtre,limaginaire,lidal; voilmon vrairoyaume,ma

    patrie. AinsiparlaitIda Rubinstein(1883-1960),ne dansunefamillejuive aisedUkraine,devenueorphelinetrstt.Le livresouvresur savie finissante,solitaire,dansune abbaye cistercien-ne.Idasentvenirlamort.Elledevientmystiqueetnemangequedupoissonpouraccderaumystrechrtien.Danscetteascseillumine,elledcidepourtantde boiretousles joursunepetitecoupede champagne.Commeun rsum-dclicde savie : lal-liance mystrieuse duprofondet dusuperficiel, ducomplexeetdufrivole,de lillusoireet delauthentique.Ses choix,sesrencon-tres,sesamoursont toujourst placssous cettedoublegide.

    Lunedesplusbelles interprtesdes BalletsrussesElleembrassedabordle personnagedAntigone, sarvlation,mais,trsvite, dcidedapprendrela dansepourinterprterSalom. Lerlepouvantesa sur,apeuredevoirlenomdelafamille dshonor.On interneIdaen France, Saint-Cloud,chezleD r Sollier. Hpitalpsychiatrique,alination,drogues.Idaschappeet dcidede semarier avecun lointaincousin, nocesfacticespour donnerle change unesocit alinanteet retrou-versa libert. Malgr linterdictionde lEglise,elle dcide,insou-mise,de danserlerlede Salom.Remarquepar legrandimprsarioDiaghilev, Idadevientlune desplus bellesinterpr-tesdes Balletsrusses, entoure deNijinski,Fokine, Massine,Pavlova,Bakst,desnomsde lgendefairesaillirlesrves.ElleacrCloptrepuisShhrazade,avantdequitterlatroupe lesquestionnementsintimes dIdaauxalentoursdu thtreduChteletinspirentdespages magnifiques Friedman.Elledevientlamante deWalterGuinness,son mcne,puis celledeRomaineBrooks,qui ladessineet lapeint,dvtue,enbeautlunaire. Rencontre avecDAnnunzioet Debussypour lacrationduMartyrede saintSbastien. Nouveauscandale:lvquedeParisinterditla piceet profredesproposmisogyneset antis-mites.IdasefaitlamiedeSarahBernhardt,quilaguidepoursa

    dictionet lencourage.La guerrede 1914clate,Ida financeunhpitalde fortuneinstalldanslHtelCarlton.Elleconsolelesblessset accompagneles mourants passagesbouleversantssurles terriblesrcits de soldatsbroys.Aprs laguerre, ellefon-desa compagnie,que stoppe lamonte du nazisme.Rfugie Londres,elle financeun centremdicalpour soigner lespilotes,etvoit sonmonde disparatre.Avant desteindredanssavillade Vence,Ida auracr,entreautres,leBolro, deRavel,Le Baiser de la fe, de Stravinsky,ainsi quesa dernireapparitionsur scne:Jeanneau bcher,dHonegger et Valry.DonaldFriedmanraconteavec un verbesouple et pntrant,emplidexpressions lumineuses et potiques, et faitparler Idala premirepersonnecomme silsagissaitdeson proprejour-nalintime.Illarinvente,luirendsavieintense.Pourrendrehommage cette femme injustementoublie,dontje senslaprsence,jevaisdanserdansmachambre.Un soloaccueillant,lgiedu matinautourdeloublietde larsurrectionamoureu-se.Lalecturepourraitseterminer surcettephrasemanantdIdaRubinstein: Pourcroireenlasurviedelme,il fautaussicroire aupouvoirde lamourqui illumineles cheminsde lavie etdelau-del.Rienna defin. Quereste-t-ilaprsle feu? Lamour,ardent,inviolable,une flammeternelle.p

    Mufle, dEricNeuhoff,AlbinMichel, 120p., 11,90.

    LoLouis-GeorgesTin

    IdaRubinstein.Le romanduneviedartiste,deDonaldFlanellFriedman,traduitde langlaisparMonique Briend-Walker,Salvator, 320p., 22.

    Cruelle vidence: le mauvaislivre est une uvre aussi.Cest--direquila fallu lcri-re.Ila fallu quesonauteursemetteen peinede lcrire. Iladgagdu temps pourcela.Il

    sestretir.Il aprisdu recul, duchamp,dela distance, de la hauteur! Enfin, le voiciseuldanssonbureau,oudanssonpigeon-nier, il a rassembl son petit matriel, lecaffumedanssatasse;exactementcom-meun belcrivainsapprtant crire unbeaulivre,ilsattablepourcriresonmau-vais livre. Et quelquefois mme, son trsmauvaislivre.Sonlivreindigent,sonlivreindigeste, son livre affligeant, il en aurapespuiscritchaquemot,ilaurapaydesa personne, peut-tre mme aura-t-il

    souffert!Ilestpossibleaussiquilaitb

    clla chose. On ne sait ce quil faut prfrer,dutcheronquidonnepoussivementsonmaximum ou du cynique qui torche sescent cinquante pages dune main en agi-tant mollement de lautre lventail debillets de son -valoir. Au demeurant, nileffortniladsinvolturenesontincompa-tibles avec le talent. Le mauvais livrechappedonc toutprincipe,il dfie tou-teloi, toutcritre exclusif commentdslors en prvenir les effets et se garder delui? Serait-il juste den absoudre lauteurqui,peut-tre,nelapasvuvenir?

    Nanmoins, Eric Neuhoff aurait pu sedouter de quelque chose en voyant sedplier sous ses yeux une intrigue aussipauvrette, date, boulevardire, puisgrouiller comme des vers dans ce vieuxfromagesescourtesphrasessansqueuenimufle. Franchement, les indices ne man-quaientpas: apartaitmal,a sepoursui-vaitpniblement,a seterminaitenfin.Il

    mesuffirait sans doute de citer intgrale-mentsonromanpourenreprsenterlina-nitsansavoirenrajouter,maisjedispo-sedetantdeplaceetlelivreestsibref!

    Mufle, donc,telestsontitreetle traitleplussaillantdesonnarrateur,lequelatou-tefoisla douleurpour excuse: na-t-ilpast ignominieusementtromp par Char-lotte?Illedcouvreunjourensurprenantun message sur son tlphone portable,mais il sen serait avis de toute faon son haleinegrassede femme infidle.Les

    femmesqui noustrompent nesentent pluspareil. Elles tranentaprs ellesdes relentsdarrire-cour,dpluchures, de faux-sem-blants. Les chagrins damour, cest bienconnu, raniment la misogynie assoupiede lhomme moyen laquelle ne dortjamaisque duniltandisquelleserincelautre , mais, et cest l lapport capitaldEric Neuhoff la biologie des senti-ments,ilsdveloppentaussiconsidrable-mentsonflair.

    Leromannestriendeplusquelarumi-nation amre et revancharde de lamantbafou dont la haine crot tout du longavec le dpit: Quavait-elle en tte? Des

    rves de boniche, des fantasmes purils,des chimres de mnopause. Elle allait,oui,se dtriorer,devenirune pauvre cho-seflasqueet ride. Lcurementdulec-

    teur pouse ce crescendo ad nauseam.Toutes les vieilles reprsentationsmachistes de la femme que lon croyaitenfin derrire nous sont ici convoquesavec complaisance. Il faut croire que lesnohussardsauxquelsfut jadisassimillauteur, devenusvtrans, fontdaussitristesbadernes que leurs collguesde laGrandeMuette.

    Que nobservent-ils aussi le mmesilenceborn! Carle portraitdun mufle,aprs tout, pourquoi pas? Il ny a pas demauvais sujet pour la littrature. Saufquecelle-ci estici ladeuxime victimedecette muflerie. Petit florilge: Il nedeviendraitpas unclochardde lamour ;Elle avait t son GPS. Voil quil avaitaffaireuneboussoledglingue; Ilsselivraient dsormais une intifada deSMS ; Elle fouettait linstant. Limprvutait sa rsidence secondaire ; Il nerecommencerait pas ce 11-Septembrei nti-me ; Aux Jeux olympiques du baiser, je

    taurais attribu la plus haute marche.SeulunAlexandreJardinaumeilleurdesaformepourraprtendrerivaliseravecEricNeuhoffauxJeux olympiquesdela mta-phore lourdingue (haltrophilie), de lacomparaison malencontreuse (barresdivergentes),delaformulecreuse(sautenprofondeur).

    A dautres moments, une tenaille luivrillait lestomac. Cest douloureux,mais ceux qui ont eu lestomac tenaillparunevrillesontsansdouteplusplain-dre encore. En tout tat de cause, nousavons l un aveu des pratiques artisana-lesdEricNeuhoff,dontleplumiersembleaussi malrang quela bote outils. Par-fois aussi passe lombre de FranoiseSagan: Dun malsurgirait un bien,lave-nircontrediraitles malentendusdu pass,et patali patalaire. Et encore des tut,tut, pas du tout et tout le tralala.Minauderies dun autre temps, bonjourtristesse.

    Puis,malgrtoutela(mauvaise)duca-tion sentimentale de son personnage,Eric Neuhoff ose pour tourdir celui-ci

    dun Il voyagea audacieux. La phraseest belle; tout de suite aprs, a se gte.Lauteurnapaslesmoyensdeluioffrirledpaysement promis. Et notre hommereste prisonnier du doutequi le taraude:Devait-ilse comporter sontour commeunemerde? Tut,tut,sarponseneserait-ellepascontenue danssaquestion? p

    Chroniques

    LeDernierFranais,dAbdAl-Malik,prfacedeMazarinePingeot,LeCherche-Midi,240p., 12.

    EricNeuhoff aurait pusedouterdequelque choseen voyantsedpliersous sesyeux uneintrigueaussipauvrette, date

    EMILIANOBONZI

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  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.02.17

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    Etsitutaisimmigr

    Mon Poche

    De beauxrves.Obstaclesphilosophiques unescience dela

    conscience,deDanielC. Dennett, traduitde langlaispar ClaudePichevin,Folio, 320p., 9,95.

    Centansde solitude,deGabrielGarciaMarquez, traduitde lespagnol(Colombie)par Claudeet CarmenDurand,Point2,792p., 10,90.Journal,une anthologie(indit),dAndrGide ,Folio,464 p., 8,40.Unlongsilence,deMikalGilmore, traduitde langlais (Etats-Unis)parFabricePoindreau, Points,624 p., 8,50.

    Unautremonde,deBarbaraKingsolver, traduitde langlais(Etats-Unis)