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Université Lyon 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de « l’affaire Alègre ». Curtet Pauline Séminaire : Violence et médias Mémoire soutenu le 06/09/10 Sous la direction d'Isabelle Garcin Marrou

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Université Lyon 2Institut d'Etudes Politiques de Lyon

La Dépêche du Midi, Le Monde etLibération face au scandale : le traitementmédiatique de « l’affaire Alègre ».

Curtet PaulineSéminaire : Violence et médias

Mémoire soutenu le 06/09/10

Sous la direction d'Isabelle Garcin Marrou

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Rappel des faits . . 6La première affaire Alègre . . 6Apparition de « la nouvelle affaire Alègre » . . 7Des accusations de plus en plus lourdes . . 8L’effondrement du soupçon . . 8

Considérations théoriques . . 8Choix du corpus et grille d’analyse . . 11

Chapitre I : Baudis-Baylet, un conflit aux graves conséquences ? . . 13I.1. Le milieu politique toulousain : des « clans » bouleversés par la communicationmoderne. . . 14

I.1. 1 . Définition du clan toulousain. . . 14I.1. 2 . Implications du système médiatique toulousain. . . 16

I.2. Des articles inquisiteurs ont attiré l’attention de la presse « de référence ». . . 17I.2.1. L’accusation . . 17I.2.2. La victimisation . . 22

Conclusion du chapitre : la Dépêche du Midi , première alliée des accusatrices . . 25Chapitre II : Le scandale établit un clivage entre élites et victimes . . 27

II.1. Elites vs. Victimes : la mécanique du « notable, donc coupable ». . . 28II.1. 1 . L’affaire Allègre comme affaire « scandaleuse ». . . 28II.1. 2 . Notables donc coupables : l’ordre social comme preuve. . . 30

II.2. « Patricia » et « Fanny », des victimes désignées d’office. . . 34II.2. 1 . Une victimisation favorisée par l’empathie. . . 34II.2. 2 . Le retournement de situation : les victimes deviennent coupables. . . 36

Conclusion du chapitre : le scandale, source d’erreurs pour le journaliste. . . 38Chapitre III : La nécessité de faire vite, obstacle à l’investigation . . 40

III.1. « L’ère du soupçon » s’installe : la presse écrite désarmée face à desrebondissements quotidiens. . . 40

III.1. 1 . Libération dans le doute . . 42III.1. 2 . Le Monde dans l’erreur . . 44

III.2. La contre-enquête, un moyen de rétablir la vérité. . . 47III.1. 1 . Mise en forme et en mots de la contre enquête. . . 48III.2. 2. Un retour sur l’affaire avec plus d’objectivité. . . 49Conclusion du chapitre : l’objectivité et l’investigation au secours de l’erreur . . 53

Conclusion générale . . 55Retour sur l’hypothèse de départ . . 55Soyons subjectifs : les journalistes ne sont pas si méchants . . 56Affaire Alègre, Affaire oubliée ? . . 56

Bibliographie . . 58

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Ouvrages . . 58Travaux universitaires . . 58Articles de presse . . 59Articles ayant fait l’objet d’une analyse . . 59Articles dont nous avons utilisé les informations . . 60Sites internet . . 60

Annexes . . 61Résumé . . 61Mots clefs . . 61

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Remerciements

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RemerciementsRéaliser un mémoire demande avant tout de trouver un thème intéressant, voire passionnant. Etje veux donc d’abord remercier Tania Charles, étudiante à l’IEP de Lyon et adepte de l’émission« Faites entrer l’accusé », qui a eu la bonne idée de me parler de « l’affaire Alègre ».

Je remercie ensuite Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Hare, mes deux professeurs deséminaire « violence et médias », qui ont toujours été disponibles pour m’aider dans la réalisationde ce mémoire. Leur esprit critique et les cours qu’elles ont dispensés durant ce séminaire m’ontété très utiles.

Je dois également remercier Olli Polo, professeur de médecine à l’université de Tampere(Finlande), qui a mis à ma disposition son bureau de professeur pour que je puisse travailler dansles meilleures conditions durant mon séjour en Finlande.

Enfin, je remercie tous mes proches, qui ont su m’accompagner et m’encourager lorsquema motivation se faisait timide. Mais ces remerciements ne concernent évidemment pas que lemémoire...

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Introduction

Au milieu du XVIIe siècle, la ville de Toulouse est secouée par l’une des premières« affaires » judiciaires de son Histoire, « l’affaire Calas ». Jean Calas est en effet accuséd’avoir assassiné son fils Marc Antoine, alors que celui-ci a été retrouvé pendu en 1761.Jean Calas est condamné au supplice de la roue, et ne sera réhabilité que lorsque le

philosophe Voltaire s’emparera de l’affaire, en 1765 1 .Au XVIIIe siècle, les médias tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas.

Seules les discussions de la rue permettaient la propagation des rumeurs. Pourtant, l’affaireCalas et l’affaire Alègre, que nous allons étudier, ont des éléments en commun : les victimeset les coupables étaient désignés dès le départ.

L’affaire Alègre commence véritablement le 18 mai 2003, lorsque la journaliste ClaireChazal reçoit sur son plateau du 20 heures un homme politique dont les tourmentsmédiatiques et judiciaires ne font que commencer. Dominique Baudis, alors Président duConseil Supérieur de l’Audiovisuel, révèle à la journaliste et aux millions de téléspectateursdu journal télévisé sa mise en cause dans une sordide affaire de mœurs. Transpirant,les mots se bousculant à ses lèvres, Dominique Baudis veut se justifier et tente dedénoncer l’énormité des faits qui lui sont reprochés : viols, actes de barbarie, meurtre,participation à des soirées sado masochistes. Suite à cette intervention, la surenchèresera quotidienne, avec des témoignages de plus en plus choquants et considérés comme

crédibles incriminant de nombreux « notables toulousains » 2 .

Rappel des faitsAvant de rentrer dans des observations théoriques, nous devons faire un rappel des faitsnécessaire à la suite de notre travail.

La première affaire Alègre« L’affaire Baudis » ou « nouvelle affaire Alègre » prend ses racines dans une autre affaire,qui a connu bien moins de retentissements. Il s’agit de la première « l’affaire Alègre ». PatriceAlègre est un tueur en série, il a été arrêté à Paris en septembre 1997 et a été condamnéle 21 février 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de cinq femmes.Le premier des meurtres remonte au 30 novembre 1987, il a donc fallu plus de vingt anspour arrêter et condamner Patrice Alègre. Cependant, malgré les meurtres sordides et laviolence exceptionnelle dont a fait preuve cet homme, cette affaire ne fait pas les gros titreset ne reste pas longtemps sur l’agenda médiatique. L’affaire à proprement parler débutera

1 Pour un récit en détail de l’affaire, se plonger dans : L’affaire Calas : hérésie, persécution, tolérance à Toulouse au XVIIIe siècle,Bien David D., Toulouse : Eché, 1987.

2 L’intégralité de l’intervention télévisuelle de Dominique Baudis est disponible en annexe 14.

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Introduction

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en mai 2003, lorsque des gendarmes toulousains, regroupés dans la cellule « Homicide31 » et placés sous la direction du gendarme Michel Roussel, enquêteront sur des cas nonélucidés de meurtres qui pourraient être liés aux agissements de Patrice Alègre.

Apparition de « la nouvelle affaire Alègre »La première véritable incursion médiatique nationale dans l’affaire a lieu le 12 mai 2003.L’hebdomadaire national Marianne présente les premiers résultats des investigations de lacellule d’enquêteurs de la gendarmerie « Homicide 31 », qui s’appuient notamment sur lesrévélations troublantes d’anciennes prostituées toulousaines, « Fanny » et « Patricia » :elles mettent en cause des policiers, des magistrats et des notables toulousains dansl’organisation de soirée sadomasochistes, auxquelles aurait également participé PatriceAlègre. Ces premières révélations connaissent un écho national par l’intermédiaire del’hebdomadaire Marianne, mais aussi dans les colonnes du quotidien régional La Dépêchedu Midi. C’est alors toute une machine médiatique qui se met en place et s’intéresse deprès à l’affaire.

Lorsque Dominique Baudis rentre dans le jeu, la machine s’emballe 3 . Le présidentdu Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, ancien maire centre droit de Toulouse et hommepolitique d’ampleur nationale, vient sur le plateau du journal télévisé de TF1, le 18 mai 2003.Il révèle que son nom est cité dans le dossier par les prostituées et dénonce une « effarantemachination ». Il affirme :

Je ne connais ni de près ni de loin Patrice Alègre, je n’ai jamais approché nide près ni de loin les milieux du proxénétisme et de la drogue, je n’ai jamaisparticipé ni de près ni de loin à des soirées sadomasochistes (...) Face à unecalomnie comme celle-ci, il ne faut pas faire le gros dos, faire la sourde oreille,faire semblant de ne pas entendre. Au contraire, la calomnie, je vais l’affronterface-à-face, les yeux dans les yeux, et je vais la prendre à la gorge. (Face à lacalomnie, Baudis Dominique, XO Editions, 2005, ISBN : 2-266-15639-X, p 48-p 51)

L’ancien maire de Toulouse avance l’idée d’un complot de l’industrie pornographique à sonégard, car il dit vouloir prendre des mesures contre celle-ci en tant que président du CSA(Comité Supérieur de l’Audiovisuel). Puis il dit :

Il n’y a pas une once de vérité autour de laquelle elles (les ex prostituées, NDLR)auraient pu broder. Non, c’est faux, et l’on s’en apercevra vite. Mais je ne voulaispas que la rumeur se propage partout et c’est la raison pour laquelle je vous aidemandé de bien vouloir, je vous en remercie (Claire Chazal, NDLR), me recevoirdans votre journal pour pouvoir m’expliquer devant les téléspectateurs. (Face à lacalomnie, Baudis Dominique, XO Editions, 2005, ISBN : 2-266-15639-X, p 48-p 51)

L’air plus fatigué, il se rassoit dans son siège avant de lancer :Croyez-moi, je ne baisserai pas les bras tant que je ne saurai pas qui est àl’origine de cette saloperie, excusez moi du mot.

Cette intervention dans le journal de 20 heures, sorte d’institution médiatique française s’ilen est une, marque le début d’un déchainement médiatique qui va durer plusieurs mois.

3 Voir Besset Jean-Paul, Broussard Philippe, Affaire Alègre : Toulouse Doute, Baudis accuse , in Le Monde, dimanche 15juin 2003, p. 1 et p. 6-7.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Celui ci se nourrit de nouveaux scoops, de nouvelles exclusivités surgissant à un rythmepresque quotidien.

Des accusations de plus en plus lourdesLe 27 mai 2003, Jean Volff, procureur général de Toulouse, révèle dans l’Est Républicainavoir été mis en cause par « Fanny », ancienne prostituée toulousaine. Elle prétend quele procureur l’a violée dans une chambre d’un hôtel toulousain, l’Hôtel de l’Opéra, parailleurs lieu du meurtre de plusieurs jeunes femmes par Patrice Alègre. Volff dénonce des« accusations totalement invraisemblables » mais ajoute, et c’est ici que la croyance del’opinion et des médias en l’innocence des « notables toulousains » s’érode : « peut-être y a-t-il, à la base, une parcelle de vérité, mais l’ensemble décrit par ces dames est certainementbeaucoup exagéré ». Un jour plus tard, Jean Volff est relevé de ses fonctions et remplacépar le procureur de Créteil, Michel Barrau.

Un autre événement laissant croire à la culpabilité des notables est cet aveu, fait le 13mai 2003 par Marc Bourragué, qui est vice procureur de Montauban et ancien substitut duparquet de Toulouse. Il reconnaît avoir « fortuitement » pris un apéritif avec Patrice Alègreen 1991. Accusé par Patrice Alègre d’avoir commandité l’assassinat d’un travesti, ClaudeMartinez, Bourragué nie « toute implication dans l’une ou l’autre des affaires Alègre ». Il ditne pas connaître les prostituées « Fanny » ou « Patricia », et déclare n’avoir jamais eu derapports sexuels avec une prostituée.

Le dernier notable à être mis en cause dans l’affaire est Jean Jacques Ignacio, substitutgénéral. Le 28 mai 2003, dans le quotidien national Libération, il dit n’avoir « jamais eu lamoindre relation que ce soit avec la prostitution, avec des soirées de partouze ou des partiesfines, de quelque manière que ce soit ». Le contenu des déclarations de ces magistrats ethommes politiques a, pour la plupart du temps, trait à leur vie privée : ils doivent se justifiersur leur vie sexuelle.

L’effondrement du soupçonC’est donc en deux mois, mai et juin 2003, que l’affaire Alègre éclate. Elle va être suiviede révélations tendant à la surenchère, et celles-ci dureront tout un été. Le 17 septembre2003, « Fanny » est confrontée à Dominique Baudis et lui dit : « M. Baudis, excusez moi,je vous ai accusé à tort ». Le procureur de Toulouse déclare alors que Dominique Baudisest mis hors de cause, sauf que le 9 octobre, « Fanny » l’accuse de nouveau. Mais leséléments constituant cette accusation s’effondrent, entrainant la déclaration d’un non lieupour les inculpations de Dominique Baudis et Marc Bourragué, le 25 mars 2005.

A la fin de cette affaire, rien ou presque ne subsiste des accusations des prostituées.Il semble bien que les autorités judiciaires et policières toulousaines aient fait preuve demanquements dans certains de leurs actes, notamment dans les années 1990. Mais cesmanquements ne sont rien comparés à la taille des accusations proférées par les prostituéeset par Patrice Alègre. Le volet judiciaire de l’affaire se referme, non sans des plaintes de lapart de Dominique Baudis et Marc Bourragué pour dénonciations calomnieuses.

Considérations théoriques

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Introduction

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La première question qui se pose, aussi futile paraît-elle, est la suivante : comment allonsnous appeler cette affaire ? Dans la presse, elle est tour à tour appelée « affaire Alègre »,« affaire Baudis » ou « nouvelle affaire Alègre ». Nous l’appellerons « affaire Alègre » carc’est bien du tueur en série que tout a démarré. Dominique Baudis, aussi important soit-il, n’aété qu’un protagoniste parmi d’autres d’une affaire qui a impliqué beaucoup d’acteurs. Nousne reprenons pas par ailleurs le terme de « nouvelle affaire Alègre » car nous considéronsque « l’affaire » Alègre a démarré avec les accusations à l’encontre des notables, et nonpas lors des meurtres du tueur en série. Ces derniers ne relevaient finalement « que » dufait divers sordide.

Ceci étant posé, nous pouvons continuer dans notre réflexion. Celle-ci porte surtout surles médias, et sur les rapports qu’ils entretiennent avec l’extérieur. L’affaire Alègre nous ad’abord intéressés car elle constitue un point de rencontre entre trois différents secteurs denotre société : le secteur médiatique, le secteur judiciaire et le secteur politique. Ces troissecteurs sont censés être indépendants les uns des autres, mais le scandale montre quece n’est pas le cas. Le secteur judiciaire a été concerné par l’affaire Alègre pour des raisonsévidentes, celles de la mise en accusation de civils par d’autres civils. Cette affaire judiciairea pris une tournure médiatique car les civils accusés étaient des notables, des magistratset des hommes politiques. Les médias ne pouvaient que s’emparer d’une telle affaire, etla tournure politique que celle-ci a prise a rendu les choses encore plus attrayantes. Lesmédias ne pouvaient passer sous silence les accusations à l’encontre de notables, quelqu’en soit le prix au niveau de leur image. Ces trois secteurs sont entrés dans le jeu dans destemps différents : le judiciaire en premier, avec d’abord la condamnation de Patrice Alègrepuis les accusations proférées par les ex prostituées à partir de février 2003. Le secteurmédiatique s’est ensuite emparé de l’affaire, avec des accusations voilées paraissant dansles colonnes de La Dépêche du Midi dès avril 2003, puis une montée en puissance del’affaire sur la scène médiatique nationale. L’un des exemples les plus frappants est lalecture en direct d’une lettre d’aveux de Patrice Alègre par Karl Zéro sur son plateau du VraiJournal, en juin 2003. Dans cette lettre, le tueur en série avoue le meurtre de Line Garibaldi,ex prostituée, et il accuse à son tour Dominique Baudis et d’autres « notables ». Le secteurpolitique est entré fin mai 2003 dans l’affaire, avec Dominique Baudis qui se rend sur leplateau de TF1 et qui, quelques semaines plus tard, accuse Philippe Douste-Blazy de nepas l’avoir suffisamment soutenu.

L’implication mêlée de la justice, des médias et du politique apporte un élément majeurà notre réflexion. Elle suppose que des acteurs, des personnages, soient mis en valeuralors que d’autres seront oubliés. Par exemple, le nom de l’accusé Jean-Jacques Ignacione paraitra pratiquement jamais dans la presse, alors que celui de Dominique Baudis seraomniprésent. Dans notre travail, nous allons donc nous intéresser à ces protagonistes quiverront leur portrait plus ou moins bien dessiné par les médias.

Nous avons par ailleurs avancé à plusieurs reprises que l’affaire Alègre impliquedes « notables » toulousains. Il convient d’expliquer ce que l’on entend par ce terme.D’après le « Petit Robert 2010 », un notable est une personne « qui occupe une situationsociale importante ». Ceux que l’on va appeler les « notables toulousains » sont donc despersonnages ancrés dans la vie de Toulouse, des personnes qui ont de l’influence sur lesaffaires de la ville. Ils peuvent être des politiciens, des juges ou des hommes d’affaire. Lenotable le plus célèbre de cette affaire est Dominique Baudis, ancien maire de Toulouse etactuel président du CSA. Du fait de son importance, nous allons insister sur le traitementmédiatique dont cet homme a fait l’objet. Dominique Baudis est le protagoniste qui a le plus

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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fait parler les médias, et l’affaire n’aurait surement pas pris une telle ampleur s’il n’y avaitpas été impliqué aussi spectaculairement.

Nous voulons enfin, avant de passer à la définition de nos hypothèses, définir un autreterme. En effet, nous allons bientôt parler de presse «de référence ». Cette notion renvoie,selon notre conception, à la presse d’information générale nationale de type Libération,Le Monde ou Le Figaro. Elle est considérée comme « sérieuse » et la plus à mêmed’appliquer une certaine déontologie et les règles de bases du métier : vérification dessources, recoupement des informations, etc. Et si nous nous intéressons plus longuementà ce type de presse dans notre travail, c’est que dans l’affaire Alègre, elle a failli à plusieursreprises à ses obligations.

Aussi, après avoir analysé le déroulement de l’affaire Alègre et observé quelles enétaient ses implications, nous avons dégagé une hypothèse qui traversera tout notre travail.Elle consiste à déterminer comment l’affrontement entre un journal régional ( LaDépêche du Midi ) et un homme politique d’importance majeure (Dominique Baudis)conduit à une affaire médiatique d’ampleur nationale, difficile à manipuler pour ceque l’on appelle la presse «de référence ».

Notre analyse tentera de démontrer ou d’infirmer cette problématique à l’aide de troisthèmes différents, que nous avons pu dégager après avoir lu les articles portant sur l’affaireAlègre. Nous voulons, dans ces trois thèmes, souligner les déséquilibres du traitement del’affaire Alègre, notamment dans la description des différents protagonistes. Ceci se retrouveau sein de chacun de nos chapitres.

Le premier thème est celui du local. Autrement dit, notre premier chapitre fera un rapidehistorique de la vie politique toulousaine ainsi que du conflit entre Dominique Baudis etJean Michel Baylet, propriétaire de La Dépêche du Midi, puis se focalisera sur l’analysedes articles du quotidien régional concernant l’affaire Alègre. Nous partirons en effet del’hypothèse que l’affaire Alègre n’aurait pas connu de tels retentissements si elle n’avait pasdémarré dans le climat particulier qui est celui de la ville rose.

Le second thème démarrera de l’idée que La Dépêche du Midi, par des procédésd’accusation et de victimisation, a donné une tournure « scandaleuse » à l’affaire Alègre.Nous allons alors, dans ce chapitre, tenter de définir l’affaire Alègre comme une affairescandaleuse, et de déterminer ce que cela implique dans le traitement de l’information parles journalistes. Nous verrons que le scandale, par un mécanisme inhérent à sa nature,a poussé les journalistes de presse « de référence » à prendre position en faveur desaccusatrices, contre les « notables ». Ce chapitre sera donc l’occasion de nous intéresser deplus près aux portraits médiatiques des ex prostituées d’une part, et de Dominique Baudisde l’autre.

Notre troisième thème restera critique à l’égard du traitement médiatique de l’affaireAlègre. Il s’intéressera à un autre aspect de l’erreur journalistique, l’erreur non plusémotionnelle ou inconsciente, mais l’erreur que nous appellerons « mécanique ». Pourquoiet par quels procédés d’écriture certains journalistes issus de la « presse de référence »ont-ils apporté de fausses informations? Nous tenterons de préciser l’hypothèse selonlaquelle le manque d’investigation, du lui même à des contraintes nouvelles imposées à laprofession, a poussé les journalistes à écrire des articles inexacts voire, dans certains cas,faux. Dans la même optique, nous essaierons de comprendre comment les médias « deréférence » sont-ils parvenus à restaurer leur légitimité.

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Introduction

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Choix du corpus et grille d’analyseNous avons voulu répondre aux hypothèses que nous venons de formuler par l’analysed’articles de presse tirés à la fois de La Dépêche du Midi et de la presse d’informationgénérale. Pour des raisons techniques et méthodologiques, nous n’avons pas analysé decontenu télévisuel ni radiophonique. Il y aurait en effet toute une réflexion à tirer quant auxagissements du monde télévisuel durant l’affaire Alègre, mais celle-ci est trop éloignée denotre hypothèse pour que nous puissions en traiter dans ce travail.

Nous avons choisi de limiter notre corpus dans le temps. Après avoir étudié lesévènements de l’affaire Alègre, nous avons en effet pu voir qu’elle a connu deux périodes. Lapremière s’étend de mai à juillet 2003, avec des accusations contre les notables considéréescomme véridiques par la presse. La seconde commence en septembre 2003 avec lespremières rétractations des ex prostituées, et se termine vers la mi novembre 2003, lorsqu’ilne reste plus rien des accusations. Ces deux périodes ont impliqué la production de discoursdifférents au sein de la presse écrite.

Nos articles sont tirés de ces deux périodes. La première permet de comprendrepourquoi les journalistes ont-ils cru les ex prostituées, tandis que la seconde laisse entrevoirquelles « leçons » le milieu médiatique a-t-il tiré de ses propres erreurs. Il faut aussi noterqu’en dehors de ces deux périodes, l’affaire Alègre n’est pas apparue dans les journaux.En d’autres mots, cette affaire était située entre deux extrêmes : soit elle apparaissait en« une », soit elle n’apparaissait pas.

Mise à part La Dépêche du Midi, que nous avons choisie du fait du conflit entre sonpropriétaire Jean-Michel Baylet et Dominique Baudis, mais aussi car c’est le seul quotidienrégional publié à Toulouse, nous avons sélectionné des articles dans deux journaux « deréférence » : Le Monde et Libération. Le but n’est pas de désigner ces deux supportscomme les fautifs dans l’affaire Alègre. Cependant, il semble que ce soit eux qui aient faitles plus grosses erreurs de traitement, notamment dans la retranscription des accusations.Nous avions aussi, dans un premier temps, choisi Le Figaro, mais du fait très certainementde raisons politiques (l’accusé Dominique Baudis était de centre droit), il a traité l’affaireAlègre de manière beaucoup plus modérée. Ceci aurait pu faire l’objet d’un nouveauquestionnement, mais nous avons décidé de nous concentrer uniquement sur la diffusiond’accusations non prouvées à l’encontre des notables.

Les articles du Monde et de Libération sont issus des archives de l’IEP de Lyon, nousavons donc eu accès au contenu complet de ceux ci : pagination, rubrique, place dansle journal, etc. Cependant, il nous a été impossible d’accéder aux archives papier de LaDépêche du Midi. Il a fallu utiliser les articles publiés sur le site internet du quotidien, ce quia forcément constitué une limite dans notre travail. Le contenu des articles n’a néanmoinspas été changé.

Nous avons sélectionné quatre articles de La Dépêche du Midi, cinq articles du Mondeet trois articles de Libération. Nous aurions bien sur pu analyser plus d’articles. Mais nousavons préféré sélectionner ceux qui étaient les plus représentatifs des hypothèses que noussouhaitions démontrer.

Pour ce qui est de l’analyse des articles, nous avons adopté une démarchesystématique. Nous avons d’abord observé la place de l’article dans le journal, le choix dela rubrique, afin de voir quelle importance la rédaction apporte aux informations contenuesdans l’article. Nous avons ensuite vérifié quelle était la longueur de l’article, toujours dansla même optique de l’importance accordée par le journal à l’affaire. Puis, nous nous

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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sommes tournés vers la dynamique de la titraille, qui donnait les premiers éléments decompréhension de l’article.

Nous avons ensuite observé la présence ou l’absence d’illustration, ainsi que, dansles cas où l’illustration était présente, le rapport qu’entretient l’illustration avec le texte del’article.

Enfin, nous nous sommes intéressés au contenu de l’article, en insistant notammentsur les procédés d’énonciation : champs lexicaux, verbes citant et utilisation des pronomspersonnels.

Cette méthode se résume dans le schéma suivant :Il faut préciser bien sur qu’aucun des articles que nous avons analysés n’a été analysé

de manière complète. Nos moyens ne nous permettaient pas d’agir de la sorte. Nous avonsà chaque fois sélectionné un angle, celui de notre hypothèse, que nous nous sommesefforcé d’appliquer à l’article.

Maintenant que la base de notre travail est posée, nous pouvons passer à notre premierchapitre.

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Chapitre I : Baudis-Baylet, un conflit aux graves conséquences ?

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Chapitre I : Baudis-Baylet, un conflit auxgraves conséquences ?

Dans l’Histoire laborieuse de la construction de la France contemporaine, la ville deToulouse a souvent eu un destin à part. Nous ne pouvons revenir sur toute cette histoire,mais quelques anecdotes peuvent illustrer ce destin.

En 1147, Toulouse crée sa propre administration municipale, unique en son genre4 . C’est le Capitoulat. Les Capitouls, membres de cette administration, s’affranchissentpeu à peu de la domination du pouvoir comtal. Ils ont des droits de police, de commerce,d’imposition. Leur autorité et l’attachement du peuple toulousain à ce type d’administrationferont de la ville de Toulouse une ville indépendante jusqu’à la Révolution Française. Dèsle début de son Histoire, la ville a donc su se montrer détachée du pouvoir central. Ceci estimportant à noter lorsque l’on connaît les répercussions qu’a eu l’affaire Alègre sur le plannational. En effet, la tradition politique faisait plutôt que ces affaires débutaient et restaientà Toulouse. L’affaire Alègre a donc du avoir une importance particulière pour connaître untel échos.

Mais la ville rose est plus connue pour une autre caractéristique historique, celle du

catharisme 5 . Venue de Bulgarie, la doctrine professe la séparation du spirituel et dumatériel. Elle s’étend dans le sud ouest de la France aux alentours du XIIe siècle. En1167, Toulouse devient l’une des cinq cités cathares indépendantes qui rejettent l’autoritéde l’Eglise catholique. Les adeptes du catharisme deviennent hérétiques aux yeux del’Eglise romaine. Des croisades sanglantes sont lancées par l’Eglise catholique contre leshérétiques cathares. Ces derniers résistent et parviennent même à obtenir des victoires.Cependant, sous les coups répétés du pouvoir central, le mouvement s’effondre peuà peu à partir de 1309. Mais « l’hérésie cathare » est, encore aujourd’hui, connue denombreux toulousains. Elle fait partie de l’identité de la ville de Toulouse, et elle est souventcommémorée comme un épisode sanglant et violent pour la ville.

Ce destin particulier a inévitablement eu des conséquences sur la vie politique actuellede la ville rose, dont les caractéristiques diffèrent des autres grandes villes françaises. Icien effet, point de « partis ». Ce sont les « clans » qui dominent. Alors, lorsque le « clanBaudis », de centre droit, se mesure au « clan Baylet », radical de gauche, les coups portésatteignent plus que les personnalités politiques. Ils atteignent aussi leur intimité, qu’elle soitréelle ou fantasmée. C’est en reconnaissant la particularité de ce climat politique toulousainque nous devons commencer notre travail. Il n’y aurait sans doute pas eu d’affaire Alègreaux caractéristiques si particulières si celle ci n’avait pas démarré à Toulouse.

Le quotidien régional La Dépêche du Midi est souvent pointé du doigt comme étantgrandement responsable du scandale politico-médiatique ayant touché Dominique Baudiset plusieurs autres notables toulousains. Nous ne ferons pas figure d’exception dans cette

4 Toutes les références historiques sur la ville de Toulouse ont été tirées de l’ouvrage de Michel Taillefer, La nouvelle histoirede Toulouse.

5 Voir Hérésie et inquisition dans le Midi de la France, Jean-Louis Biget, Paris, Picard (Les médiévistes français, 8), 2007.

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partie, puisque nous avançons l’hypothèse que le quotidien régional, par ses articles et parson pouvoir, a pu imposer sa vision de l’affaire Alègre sur la scène médiatique nationale.Cependant, notre réflexion ne serait pas complète si nous ne remarquions pas des élémentsincitant à la précaution. En effet, à aucun moment dans ce travail avancerons-nous l’idéeque La Dépêche du Midi est responsable de tous les maux de Dominique Baudis. Septannées ont passé depuis le scandale et la lumière n’a toujours pas été faite sur le rôle deplusieurs personnalités dans l’éclatement de l’affaire. Aussi, si nous désignons dans cettepartie La Dépêche du Midi comme partiellement responsable de la médiatisation de l’affaire,c’est uniquement dans le but d’analyser les articles incriminés. Nous ne dépasserons pasles limites de ce qui a été auparavant démontré par la justice.

Ces remarques gardées en mémoire, nous allons décrire dans une première partie leconflit presque historique existant entre Dominique Baudis et le propriétaire de La Dépêchedu Midi Jean-Michel Baylet, puis, dans une seconde partie, nous analyserons plusieursarticles de la Dépêche du Midi dans lesquels l’animosité envers les « notables toulousains »est prégnante.

I.1. Le milieu politique toulousain : des « clans »bouleversés par la communication moderne.

Nous l’avons dit, la ville de Toulouse est politiquement très particulière. La politique est uneaffaire de clan et les électeurs sont souvent très fidèles à l’un de ces clans. Mais il convientsurement de définir en premier ce que nous entendons par « clan ».

I.1. 1 . Définition du clan toulousain.D’après le « Petit Robert 2010 », le clan doit son étymologie au gaélique. Dans cette langue,« clann » signifie « famille ». La première définition qui vient donc est la suivante :

Tribu écossaise ou irlandaise, formée d’un certain nombre de familles ayant unancêtre commun.

L’idée de famille est donc prégnante. Mais nous retiendrons la troisième définition que donnele « Petit Robert », selon laquelle le clan est :

Petit groupe de personnes qui ont des idées, des goûts communs.Nos clans toulousains sont le point de rencontre entre ces deux définitions. Dans notrecas en effet, le clan pourrait être considéré comme un groupe de personnes partageantdes convictions politiques assez proches, mais qui sont aussi liées du fait de leur histoirepersonnelle. Le « clan Baudis » ou le « clan Baylet » comportent un noyau dur composédes membres d’une famille, unis par les liens du sang. Mais on peut aussi parler de familleau sens large du terme : les amis proches, des réseaux de connaissances étendus. Ils ontsouvent une personne les représentant sans que cela soit officiellement décidé : Pierre puisDominique Baudis pour « le clan Baudis », Jean-Michel Baylet pour le « clan Baylet ». Cespersonnes sont charismatiques, elles suscitent tout sauf l’indifférence.

Par ailleurs, le « clan » possède d’une manière générale des ressources financièresassez importantes, lui permettant de prendre part aux évènements politiques tels que lesélections. Le « clan Baylet » a traduit ce capital économique, au sens où Pierre Bourdieu

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l’entend, en influence, grâce à la propriété de la Dépêche du Midi. Sur ce plan, il fautremarquer que le « clan Baudis » est un peu particulier : il est pauvrement doté en capitaléconomique. Il va donc utiliser un capital symbolique, acquis dès l’accession de PierreBaudis à la mairie de Toulouse en 1971, et valorisé par son fils en 1983.

C’est justement cette histoire électorale qu’il faut évoquer. Comme le souligne PierreLacassage dans son article intitulé « le pouvoir politique et médiatique à Toulouse de la

Libération au face-à-face Dépêche-Baudis » 6 , le « Capitole » 7 est resté à gauche de 1878à 1971. C’est donc après presque un siècle de défaites que la droite gagne la mairie, etce avec le candidat Pierre Baudis, père de Dominique Baudis. Pierre Lacassagne évoqueun « coup de tonnerre » pour qualifier cette élection. C’est aussi une première défaite pourla Dépêche du Midi, historiquement « radicale de gauche », qui s’était vigoureusementengagée dans la campagne municipale contre Pierre Baudis.

En 1983, la victoire de Dominique Baudis fait l’effet d’une petite bombe. La successionde père en fils montre qu’une nouvelle dynastie, un nouveau clan, de centre-droit cette fois-ci, a pris le Capitole, et est décidé à le garder. L’élection de Pierre Baudis n’est plus unaccident de parcours pour les radicaux de gauche, c’est une blessure qui va rester vivedurant de nombreuses années.

Mais, comme le souligne Pierre Lacassagne, l’élection de 1983 est aussi remarquablepour d’autres raisons. Pour la première fois, un candidat à la mairie de Toulouse sortaitde la seule logique du clan pour se tourner vers une campagne électorale laissant uneplus grande place aux techniques de communication moderne. Il faut dire que DominiqueBaudis connaissait déjà les ressorts des médias contemporains. Né à Paris en 1947, ilpasse par Sciences Po Paris avant de devenir journaliste. Il présente le journal télévisé surTF1 de 1976 à 1977, puis passe sur FR 3 jusqu’en 1982, date à laquelle il se lance dans

la campagne municipale toulousaine. 8

Dominique Baudis est donc un homme de communication. Pour Lacassagne, c’est enpartie pour cela que sa conception de la politique détonne de celle des clans toulousains.Il faut dire que la « dynastie Baudis » n’est pas très riche, contrairement par exemple, au« clan Baylet ». Elle doit donc asseoir son succès électoral sur d’autres éléments. C’estici que la communication devient importante. D’après Lacassagne, Baudis a voulu donnerune dimension « mythique » aux douze ans que son père a passés au Capitole. Dansune tradition politique de centre-droit, Baudis sait parler d’union, il cherche le compromis etparvient à se faire aimer des toulousains. Il a même un surnom : « le petiot ».

Dans un article du Monde du 23 septembre 2003, intitulé « M. Baudis et le syndromedu “ tous pourris” », Raphaëlle Bacqué définit Dominique Baudis de la sorte :

Dominique Baudis avait pourtant été, avant d’être nommé président du CSA,un homme politique d’un genre peu courant. Ancien présentateur vedette dujournal télévisé, il était devenu l’un des maires les plus populaires de France.L’un des rares, aussi, à avoir préféré sa ville de Toulouse à un ministère et à unecarrière nationale. En somme, un de ces grands élus locaux échappant à l’image

6 Lacassagne P., Le pouvoir politique et médiatique à Toulouse de la Libération au face à face Dépêche-Baudis, Temps desMédias 2006/2, N° 7, p. 87-101.

7 Nom de l’édifice abritant la mairie de Toulouse, symbolise également le mandat des maires toulousains.8 Ces informations sont tirées du livre Face à la calomnie, dont les références sont indiquées précédemment ainsi qu’en

bibliographie.

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répandue du responsable politique sans convictions et peu regardant sur lesmoyens d’assouvir son ambition.

Baudis aurait ainsi réussi à créer un « mythe » entourant son clan. Toujours selon notrePetit Robert, le « mythe » correspond à une :

Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ouacceptent au sujet d'un individu ou d'un fait et qui joue un rôle déterminant dansleur comportement ou leur appréciation.

Ceci s’applique-t-il à Dominique Baudis ? En partie seulement. Les Toulousains ont eneffet, surement, une image simplifiée de cet homme politique. Mais il est loin d’être surque leurs comportements soient influencés par l’image qu’ils se font de Baudis. On peutdire en tout cas que le clan Baudis est entouré d’une certaine légende, au sens modernedu terme. Cette dimension « irréelle » de l’image de Dominique Baudis est importante àrelever, car lorsque celui-ci est accusé des pires atrocités, sa notoriété et son image enseront fortement bouleversées. Plus une personnalité est connue, plus il est difficile de faireface aux scandales qui viennent la toucher.

I.1. 2 . Implications du système médiatique toulousain.Mais tournons nous maintenant vers le système médiatique qui prévaut à Toulouse et danstoute la région Midi-Pyrénées. Comme le note Pierre Lacassage, celui-ci repose sur lemonopole de la Dépêche du Midi, détenue par la famille Baylet, historiquement radicale degauche. Lacassage remarque que toutes les tentatives d’installation de la concurrence sesont révélées infructueuses, et ce depuis 1956. Le quotidien régional est diffusé à 200 000exemplaires (chiffres de l’OJD, 2007). Difficile donc pour un homme politique de se passerdu soutien du principal quotidien régional d’information.

Il faut à ce propos remarquer qu’en Midi-Pyrénées, et plus particulièrement dans larégion toulousaine, la lecture de la Dépêche du Midi ne laisse jamais indifférent. Certainslecteurs lisent ce journal depuis des décennies, et ne passent pourtant pas un jour sans encritiquer le contenu. Les critiques qui reviennent le plus souvent sont le virage qu’elle a prisen faveur du sensationnalisme et d’articles souvent légers tels que « Bronzer seins nus : lestopless se confessent », datant de l’édition du 14 août 2009. On se souvient également du« scoop » que la rédaction de la Dépêche du Midi avait dévoilé lorsque le journal avait étéle seul à évoquer les pseudo attaques terroristes par le groupe AZF sur des voies ferrées.

Le journal laisse aussi une grande place aux faits divers spectaculaires, avec enexemple ces derniers articles en date :

« Il attaque son rival à la hache et au couteau », dans l’édition du 13 juillet 2010.« Une femme violemment tabassée », dans l’édition du 12 juillet 2010.« Un homme de 88 ans agressé pendant son sommeil », dans l’édition du 23 juin 2010.Un autre axe de critique à l’encontre de La Dépêche du Midi se dégage aussi. Celui-

ci concerne les fautes d’orthographes ou les fautes de frappe, et parfois des tournures dephrases inadéquates. Bien sur, la majorité des articles du quotidien est écrite sans bavures,mais les seules fautes sont relevées avec sévérité par les lecteurs.

Mais, dans tous les cas, La Dépêche du Midi est encore un quotidien régional largementlu en Midi Pyrénées, tout simplement car c’est le seul.

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Dans un tel contexte, Dominique Baudis avait compris le besoin de se ménager lesoutien du journal lors des municipales de 1983. La Dépêche du Midi a dans un premiertemps soutenu le nouveau maire, en lui accordant une large couverture et une publicitéimportante des actions qu’il entreprenait au sein de la municipalité. Pierre Lacassagnerelève même que des élus socialistes s’inquiétaient de voir le quotidien régional passer aucentre-droit. Cependant, cette lune de miel entre la mairie toulousaine et La Dépêche duMidi n’a pas duré, du fait d’un conflit concernant l’attribution du marché de Télé Toulouse(TLT). En effet, Dominique Baudis n’apparaitra plus dans les pages de La Dépêche du Midiaprès avoir refusé de laisser l’exclusivité de la régie publicitaire de TLT à la famille Baylet.Ou, s’il y apparaît, c’est pour que son action soit critiquée. Lacassage écrit ainsi :

Dès lors La Dépêche du Midi ne cesse de stigmatiser l’action de DominiqueBaudis en particulier en faveur de la « petite télévision toulousaine » qualifiée de« gâchis financier et de sinistre industriel public ». (Lacassagne P., Le pouvoirpolitique et médiatique à Toulouse de la Libération au face à face Dépêche-Baudis, Temps des Médias 2006/2, N° 7, p. 87-101.)

Depuis ce conflit, les relations entre Dominique Baudis, qui restera maire jusqu’en 2001, etJean Michel Baylet, qui est, encore aujourd’hui, propriétaire de la Dépêche du Midi, irontde mal en pis. Baylet n’aura de cesse de critiquer le « gouffre financier » qu’est devenueTélé Toulouse, tandis que Baudis devra réfuter toute tentative de mainmise sur la chainede la part de la municipalité. Ces disputes au sujet d’une chaine locale pourraient semblerinsignifiantes, mais elles augurent beaucoup lorsque l’on connaît l’étape suivante, celle desaccusations des ex prostituées de l’affaire Alègre. Elles montrent aussi combien la politiqueest une affaire difficile à gérer à Toulouse.

En se faisant élire au Capitole en 1983, Dominique Baudis a secoué le milieu politiquetoulousain. Sa communication très personnelle, à l’américaine, mettant en relief ses qualitéspersonnelles, son humanisme et sa volonté d’union, lui a beaucoup servi. Elle l’a aussi peut-être desservi lorsqu’il a été confronté à des accusations de pédophilie, actes de barbarie,de torture. En tout cas, nous allons voir que les articles de la Dépêche du Midi ne lui ontrien épargné.

I.2. Des articles inquisiteurs ont attiré l’attention de lapresse « de référence ».

« L’affaire Alègre » a connu une ampleur nationale, à la résonnance médiatique très forte.Celle-ci a débuté dans les articles de la Dépêche du Midi. Dès février 2003, le journalfaisait référence aux témoignages des prostituées, à mots couverts. Mais les événementss’accélèrent lorsque Dominique Baudis intervient sur TF1, le 18 mai 2003. A partir de là,le discours du quotidien régional d’information sera ancré dans plusieurs rhétoriques. Lesjournalistes vont d’abord accuser et faire des accusatrices les victimes de l’affaire. Ils vontaussi se protéger, invoquer la déontologie et la liberté de la presse. Ces rhétoriques ontentrainé une dramatisation rapide de l’affaire Alègre, ce qui l’a propulsée sur la scènenationale, avec un angle de compréhension déjà bien défini.

I.2.1. L’accusation

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Dans un article du 19 mai 2003, le journaliste Gilles Souillès, qui couvre l’affaire Alègre etqui a été le premier à parler des témoignages des ex prostituées, commente l’intervention

sur TF1 de Dominique Baudis. L’article intitulé « Affaire Alègre, affaire d’Etat » 9 est situédans les pages « France » du journal, et non pas dans les pages toulousaines. Ceci montrebien que l’affaire prend une tournure plus importante, qui ne se limite plus au seul champde la guerre des clans toulousains. Le titre est d’ailleurs là pour rappeler cette ampleur : onparle d’une « affaire d’Etat ». Le sous-titre classe l’article dans la catégorie de la « justice »,et indique que « Baudis dénonce un complot de l’industrie pornographique ». Cette titrailledonne un ton très grave à l’affaire. Le journaliste veut médiatiser l’affaire.

L’illustration de l’article est un zoom sur le visage de Baudis alors qu’il est en train des’exprimer sur TF1. Il a le fond bleu caractéristique du 20 heures de Claire Chazal derrièrelui, le logo de la chaine en bas à gauche de la photo. Baudis est montré transpirant, un doigtposé sur le front, comme s’il évoquait la folie. Il a l’air affolé et tendu.

L’article en lui même est long. Il comprend deux intertitres : « “ J’apporterai monconcours à la justice” » et « Tous les protagonistes entendus ». L’utilisation du mot« protagoniste » montre bien que nous sommes rentrés dans une histoire qui aura, commetoute histoire digne de ce nom, des rebondissements. Elle comprendra des personnages,dont on tentera de dresser le portrait.

Comme pour la titraille, le contenu de l’article donne un ton grave à l’affaire. Le champ

lexical est celui de la déflagration: Gilles Souillès parle de « bombe » 10 , d’un dossier

« brûlant » 11 . Par ce vocabulaire, le journaliste veut encore donner une ampleur très largeà l’affaire. Le temps le plus utilisé est le présent. Le conditionnel est seulement utilisé audébut de l’article, pour parler de « protections dont aurait pu bénéficier le tueur en série

Patrice Alègre» 12 . L’utilisation du passé composé n’est là que pour qualifier la décision

prise par Dominique Baudis de passer à la télévision :En choisissant de s’exprimer publiquement et à sa demande dans le journal deClaire Chazal, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a décidé

de prendre les devants. 13

Cette phrase débutant le second paragraphe de l’article est intéressante car Souillès y inclutl’information que Baudis a voulu passer à la télévision, et qu’il en a pris l’initiative. Il n’apas été invité. Dans la même phrase, il est dit que Baudis est président du CSA. Il n’estplus « l’ancien maire de Toulouse », comme il est indiqué dans le paragraphe précédent,lorsqu’il s’agit d’évoquer les liens entre des personnalités toulousaines et le tueur en sériePatrice Alègre. Clairement, le journaliste accuse. Il pense d’une part, que Baudis a jouéde son importance pour pouvoir se défendre à la télévision et que d’autre part, il est sansaucun doute lié à l’affaire Alègre. Cela se retrouve à plusieurs reprises au fil de l’article.Une phrase est particulièrement dure : « Tendu et solennel, Dominique Baudis a réfuté des

9 Voir Annexe 1.10 Ligne 16 Annexe 1.11 Ligne 17 Annexe 1.12 Lignes 1et 2 Annexe 1.

13 Lignes 4 et 5 Annexe 1.

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accusations qu’il était le seul à connaître jusqu’à présent. » 14 Souillès, dans cette phrase,décrit d’abord Baudis comme étant « tendu, solennel ». En d’autres mots, il est mal à l’aise,comme s’il avait attendu ce moment depuis longtemps. Mais la seconde partie de la phrasevient à accuser l’ancien maire de Toulouse, car s’il est le seul à connaître des accusations,c’est qu’elles sont vraies. Dans le second paragraphe, Souillès continue à accuser : « Maisen sortant subitement du silence, Dominique Baudis, qui n’avait jamais été mis en cause,

trahit aussi un certain embarras » 15 . Cette phrase décrit un Baudis affolé, qui a quelquechose à se reprocher et qui doit donc s’en débarrasser.

Cependant, après l’accusation vient la défense. Gilles Souillès cite Baudis : « “ J’ai prisl’initiative de révéler moi-même que mon nom figure dans ces documents, théoriquementcouverts par le secret de l’instruction, car c’est le seul moyen de lutter contre le poison de

la rumeur ” ». 16 Tout de suite après cette citation, le rédacteur de l’article s’empresse de

défendre La Dépêche du Midi. Il sait que Baudis, s’exprimant de la sorte, vise le quotidienrégional, qui est le premier à avoir évoqué les témoignages d’ex prostituées accusant desnotables toulousains. Il est assez rare de voir un journaliste défendre son journal dans unarticle autre que l’éditorial. C’est pourtant le cas ici, avec Gilles Souillès qui écrit :

Pour notre part, dès le moment où « La Dépêche du Midi » a dévoilé débutavril les nouvelles orientations de l’affaire Alègre, nous nous sommestoujours interdits d’écrire les noms de notabilités, policiers, magistrats, élus,qui apparaissent dans le dossier. Même si les témoignages des anciennesprostituées (cinq d’entre elles ont déposé aujourd’hui) sont pris très au sérieuxpar la justice, ce sera au bout du compte aux enquêteurs et aux juges de faire la

part des choses et de définir les responsabilités. 17

Encore une fois, cette prise de position inattendue donne de l’importance à l’affaire,puisqu’elle pousse un journal et un journaliste à sortir des règles conventionnelles del’écriture d’éditoriaux. Le journaliste Souillès ressent dans cet article, le besoin de défendrenon seulement son journal, mais aussi sa propre personne. Il est en effet le rédacteur de lamajorité des articles sur l’affaire Alègre et était le premier à faire référence aux accusationsdes ex prostituées.

Cependant, si le journaliste accuse et cherche à se défendre, il accorde aussi unelarge part à la parole de Dominique Baudis. Ce dernier est cité à six reprises au coursde l’article. Mais ces citations ne viennent pas infirmer l’idée sous-tendant l’article, qui estque Baudis est coupable, ou que, du moins, il n’est pas innocent. Pour démontrer cetteculpabilité, Souillès cherche à donner du crédit aux paroles des ex prostituées : « Mais ilapparaît déjà que les ex prostituées n’ont pas menti en dévoilant les connexions existantes

entre un ex-substitut du procureur de la République de Toulouse et Patrice Alègre ». 18

L’utilisation de « déjà » sous-tend que ces révélations ne sont qu’un début, et qu’elles

14 Ligne 10 Annexe 1.15 Lignes 18-19 Annexe 1.

16 Lignes 20-21 Annexe 1.17 Lignes 22 à 26 Annexe 1.

18 Ligne 31-32 Annexe 1.

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éclabousseront bientôt d’autres personnalités. Le même procédé de dramatisation apparaîtdans ce passage.

Nous pouvons donc observer que cet article, censé relater seulement les propos deDominique Baudis sur TF1, cherche à donner une toute autre dimension à l’affaire. Lejournaliste Gilles Souillès veut faire croire à la culpabilité des notables toulousains. Pource faire, il accuse, avec des commentaires suivant les citations de Baudis, des phrasestranchantes et rythmées. Il faut aussi relever l’élément interpersonnel de cet article. Souillèss’exprime personnellement, il veut se défendre même s’il ne peut évidemment pas citer sapropre personne.

Un autre article accusateur a été publié dans La Dépêche du Midi du 20 mai 2005,soit deux jours après l’intervention télévisuelle de Dominique Baudis. Il est signé FrançoiseCariès, et est paru dans les pages « Grand Sud », qui lui assurent une bonne visibilité. Ilmesure une moitié de page du journal, ce qui est assez important pour un article de LaDépêche du Midi.

L’article est intitulé « L’intervention de Dominique Baudis n’a pas dissipé le malaise »19 . Il contient un sous titre, qui est suivi du mot clef « Affaire Alègre ». Le sous-titre indiqueque « les ex prostituées restent sur leurs accusations après l’initiative du patron du CSA ».

Les intertitres de l’article sont: « l’improbable lobby pornographique » 20 , et « confrontations

à venir » 21 .Cette titraille apporte déjà beaucoup d’éléments d’information. D’abord, le lecteur

sait dès le titre que l’on parle de l’affaire Alègre et, surtout, que l’on parle del’implication de Dominique Baudis. L’utilisation des termes « malaise », « accusations » et« confrontations », exprime la gravité de l’affaire. L’intertitre vient décrédibiliser les proposde Dominique Baudis, des propos connus par un lecteur ayant suivi l’actualité des joursprécédents. Avant même d’entrer dans l’article, la journaliste fait part de son doute sur lesdires de Baudis, et insiste aussi, une nouvelle fois, sur le sérieux de l’affaire.

Il faut enfin noter, avant de rentrer dans l’analyse du contenu de l’article, qu’il necontient pas d’illustration, contrairement au précédent. La journaliste ne fait que revenir surla déclaration de Dominique Baudis, une déclaration déjà couverte la veille.

La journaliste commence son article avec une phrase averbale : « surprise et

circonspection » 22 . Celle-ci qualifie un sentiment, celui des avocats des ex prostituéesFanny et Patricia, face à l’intervention télévisuelle de Dominique Baudis. La surprise etl’interrogation reviennent plusieurs fois dans les deux premiers paragraphes de l’article,c’est d’ailleurs par des questions que Françoise Cariès termine son second paragraphe :

Pourquoi le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a-t-il décidé deprendre les devants face à la « calomnie » alors que son nom n’avait jamais été

19 Annexe 2.20 Ligne 15 Annexe 2.21 Ligne 36 Annexe 2.22 Ligne 1 Annexe 2.

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cité ailleurs que dans les procès verbaux de l’instruction judiciaire ? Pourquoi

cette précipitation ? 23

Ces questions n’appellent pas vraiment de réponses détaillées. Elles sont rhétoriques. Ellesinterpellent le lecteur sur l’étrange initiative de Dominique Baudis, et cherchent aussi àsusciter le doute sur son attitude.

La critique continue dans le paragraphe suivant, la journaliste faisant remarquer queDominique Baudis a utilisé de son pouvoir sur les médias pour se défendre. Cette idéerevient d’ailleurs plusieurs fois dans l’article, d’abord avec une nouvelle question, toujours

rhétorique : « l’ouverture du 20 heures devant l’actualité internationale et nationale ? » 24

. Puis c’est une citation de l’avocat Georges Catala qui rajoute à la critique : « “Pour leprésident du CSA, c’est un privilège de fonction ”, note Me Georges Catala ». FrançoiseCariès insiste de nouveau sur les interventions médiatiques de Baudis dans le paragraphesuivant : « En s’expliquant à nouveau aujourd’hui dans les pages de notre confrère Le

Monde » 25 . L’utilisation du terme « à nouveau » laisse penser à un certain agacement faceaux justifications répétées de Dominique Baudis.

Un autre aspect à remarquer dans cet article est le choix des verbes citant. En effet,les avocats de Fanny et Patricia sont cités plusieurs fois, et la journaliste les positionne en

observateurs sages, qui ne font que commenter les inepties de Baudis : « remarque » 26 ,

« note » 27 , « observe » 28 .Mais ce qui est le plus remarquable dans cet article, c’est le jugement porté par

la journaliste Françoise Cariès envers Dominique Baudis. Elle affirme des élémentsapparaissant comme des faits qui seront pourtant démontrés comme étant faux plusieurssemaines après. Il y a des sous entendus, des expressions au sens difficile à déterminer,qui cherchent à montrer le trouble de Dominique Baudis. C’est dans l’idée de ce jugement

que l’on retrouve l’utilisation de termes tels que : « Mais il est clair que » 29 , « il convient

de préciser » 30 , « c’est là le seul élément tangible » 31 , « si l’enquête suit son cours

normalement » 32 . C’est aussi l’occasion pour la journaliste de donner son avis, ce qu’ellefait dans la phrase de conclusion : « Aujourd’hui, tout le monde attend de la justice qu’elle

fasse son travail. Et toute la lumière sur ces années sombres. » 33 L’utilisation de « tout le23 Lignes 5, 6 et 7 Annexe 2.

24 Ligne 10 Annexe 2.25 Ligne 16 Annexe 2.26 Ligne 11 Annexe 2.27 Ligne 13 Annexe 2.28 Ligne 38 Annexe 2.29 Ligne 19 Annexe 2.30 Ligne 25 Annexe 2.31 Ligne 40 Annexe 2.32 Ligne 50 Annexe 2.33 Lignes 53 et 54 Annexe 2.

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monde » est vague. Françoise Cariès désigne-t-elle ainsi tous les protagonistes de l’affaire,ou les journalistes de La Dépêche du Midi ?

Nous pourrions aller bien plus loin dans l’analyse de cet article. Mais nous avonsdégagé les caractéristiques que nous recherchions afin de progresser dans notre travail.Dans leurs articles, Gilles Souillès et François Cariès accusent, ils ont une intime conviction :Dominique Baudis, homme de pouvoir, cache des choses et doit être démasqué. D’où desquestions qui interpellent l’ancien maire de Toulouse, mais aussi le lecteur. D’où aussi,l’utilisation de procédés lexicaux qui permettent de poser comme vrais des faits qui n’ontpas été vérifiés. Il y aussi une disproportion dans le traitement des protagonistes, et ceci seremarque surtout au niveau des citations : Dominique Baudis, Marc Bourragué, sont dansl’indignation, et parfois dans la menace. Les avocats de Fanny et Patricia sont plus vertueux,ils observent, notent et remarquent, tout cela patiemment. Nous verrons plus loin que cettedisproportion n’est pas innocente : elle traduit une certaine posture journalistique face auxrapports de domination prégnants dans cette affaire.

Il a été avancé par certains détracteurs de La Dépêche du Midi qu’elle aurait, par sesaccusations et ses appels à la justice, poussé la justice à agir. Et que, si ce quotidien nes’était pas acharné de la sorte, il n’y aurait peut-être pas eu d’affaire Alègre d’une telleampleur. Nous ne pouvons répondre à cela, car nous n’analysons pas les liens entre justiceet médias dans ce travail. Cependant, la véhémence des articles de La Dépêche du Midi aattiré l’attention des médias de « référence », dont la portée est beaucoup plus large.

Nous allons maintenant nous intéresser à un autre registre, celui de la victimisation,que l’on retrouve dans un article de la Dépêche du Midi daté du 22 mai 2003.

I.2.2. La victimisationC’est au tour de Jean Cohadon de signer l’article de ce 22 mai 2003, intitulé « Témoins clés,

les deux jeunes femmes vont devoir convaincre les juges » 34 . Celui-ci n’est pas situé dansles pages « France ». Il est situé en page « Grand Sud », ce qui lui assure tout de même unetrès bonne visibilité. Il faut néanmoins remarquer que l’article est plus court que les deuxarticles que nous avons précédemment analysé, ce qui force le journaliste à prendre unangle plus « serré » dans son traitement de l’affaire. Nous allons voir qu’il choisit de mettreen valeur le courage des ex prostituées.

La titraille ne parle plus de « justice » en mot-clé. Elle parle « d’affaire Alègre ». Leregistre a donc changé, nous rentrons véritablement dans « l’affaire », et non pas dans unsimple fait divers concernant la justice dans son ensemble.

Dans le titre, l’utilisation du terme de « jeune femme » renvoie à la faiblesse des exprostituées, peut-être aussi à leur naïveté. Elles vont pourtant devoir faire face aux « juges »,qui ne sont pas nommés et sont de la sorte érigés en personnages impressionnants. Ellesdoivent parvenir à convaincre ces juges. L’article ne comprend qu’un seul sous titre, plutôtévocateur : « le scandale ». Nous voyons donc ici que nous ne sommes plus dans un simplefait divers, nous sommes dans le scandale et dans une « affaire ».

Le premier paragraphe de l’article exalte le courage des ex prostituées Patricia etFanny :

La vérité, Patricia et Fanny, deux anciennes du trottoir toulousain, la veulentégalement. Toute la vérité. Quoi qu’il en coute. Quitte à mettre leur nouvelle vie34 Annexe 3.

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Chapitre I : Baudis-Baylet, un conflit aux graves conséquences ?

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et leur vie tout court en jeu. « Faut du courage, énormément de courage pour

accepter ainsi de témoigner », prévient Me Georges Catala, l’avocat de Fanny 35 .Ces « jeunes femmes » sont donc, pour Jean Cohadon, des êtres fragiles mais courageuxet sont prêtes à tout pour que surgisse la vérité. Cette affirmation est confirmée par lacitation de Me Georges Catala, investi d’une autorité particulière grâce à l’emploi de sontitre. Cohadon donne cette apparence courageuse à « Fanny » et « Patricia » sur un tontrès dramatique, avec des phrases averbales, courtes : « Puis en début d’année, elles ont

lâché. Pas ensemble. Pas de concert. Leurs paroles se recoupent pourtant.» 36 Après une

telle affirmation, il n’y a rien à ajouter. Le courage de ces femmes fait d’elles des héroïnes.Ainsi, à aucun moment dans l’article, la parole de « Fanny » et « Patricia » n’est remise

en question. Au contraire, le journaliste fait souvent référence à leur mémoire et à leurs

souvenirs : « vision d’horreur » 37 , « inscrites de façon indélébiles » 38 . Le journaliste vientalors à faussement s’interroger, afin de démontrer que les ex prostituées disent la vérité :

« comment peut-il en être autrement ? » 39 . L’analyse de l’utilisation des pronoms personnelsdans cet article se révèle aussi intéressante. Jean Cohadon utilise très souvent le pronom« elles » pour qualifier les deux femmes. En les désignant de cette manière, il semble un

peu plus désigner l’exploit qu’est leur témoignage : « Longtemps (...), elles se sont tues » 40

. Il les fait rentrer de la sorte dans un groupe, celui des battantes, des courageuses femmesqui veulent la vérité envers et contre tout.

Enfin, ces deux femmes sont aussi en souffrance, d’après le journaliste. Le champ

lexical de la douleur revient à plusieurs reprises : « trop de douleur » 41 , « les premières à

en souffrir » 42 , « jetées en pâture » 43 . Comment ne pas dire la vérité lorsque l’on souffrede la sorte ?

La victimisation et la « mise en douleur » des ex prostituées se retrouve dans un autrearticle de la Dépêche du Midi, daté du 23 mai 2003 et qui, celui-ci, n’est pas signé. Il est aussisitué dans les pages « Grand Sud » et est intitulé « Elles maintiennent leurs accusations »44 . L’utilisation du « elles » revient. Il n’y a plus besoin d’expliquer de qui est-il question.L’affaire a pris une telle ampleur que les protagonistes sont déjà connus du lecteur. L’articlemet l’accent sur la longueur des auditions des ex prostituées : « Quatre heures d’audition

35 Lignes 2,3 et 4 Annexe 3.36 Lignes 8 et 9 Annexe 3.

37 Lignes 22 et 23 Annexe 3.38 Ligne 28 Annexe 3.39 Lignes 28 et 29 Annexe 3.40 Ligne 5 Annexe 3.41 Ligne 7 Annexe 3.42 Ligne 16 Annexe 3.43 Ligne 16 Annexe 3.44 Annexe 4.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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pour Patricia. Six heures pour Fanny » 45 . Elles ont été « passées à la question » 46 , commeune torture. Mais la phrase illustrant le mieux cette victimisation est celle-ci :

« Arrivée seule et sans protection ( ! ) tôt hier matin, Patricia a vécu cette auditioncomme un combat. Sans flancher malgré l’imparable douleur qu’imposent cesflash-blacks dans son passé. Son témoignage a été rythmé de lourds sanglots. »47

L’utilisation du point d’exclamation est peut-être le signe le plus fort d’implication dujournaliste dans son article. Il donne clairement son avis : il est très étonné et désapprouvele fait que « Patricia » soit arrivée « seule et sans protection ». On retrouve ici ce détoursubjectif qui figurait dans le tout premier article que nous avons analysé (Affaire Alègre,Affaire d’Etat par Gilles Souillès). Puis vient le champ lexical du courage et du combat.« Patricia » ne flanche pas malgré sa douleur.

Encore une fois dans cet article, la parole des deux ex prostituées n’est pas remise encause. Le ou les journalistes mettent en exergue l’attitude des deux femmes, et non pasle contenu et les contradictions possibles de leurs propos. Le fait que la vraie identité de« Patricia » et « Fanny » ne soit pas connue ne les dérange pas. Au contraire, il sembleque cela les rapproche de ces « héroïnes », qui doivent se cacher et se voiler le visagepour témoigner.

Il faut également noter que, même si « Patricia » et « Fanny » ne sont que des surnoms,les journalistes de La Dépêche du Midi omettent d’utiliser les guillemets pour les désigner.C’est un élément important, sur lequel nous reviendrons dans notre second chapitre.

Nous pouvons aussi revenir sur les articles « accusateurs » étudiés précédemment pourévoquer cette victimisation. Celle-ci n’est pas apparente, au contraire : les ex prostituéesn’y sont jamais citées. Ce sont leurs avocats qui s’expriment. Mais par la disproportion dutraitement des protagonistes, les journalistes font des ex prostituées des victimes, puisqueleurs accusations ne sont même pas questionnées.

45 Ligne 1 Annexe 4.46 Ligne 2 Annexe 4.

47 Lignes 24, 25 et 26 Annexe 4.

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Conclusion du chapitre : la Dépêche du Midi , première alliée des accusatrices

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Conclusion du chapitre : la Dépêche du Midi , première alliée desaccusatrices

Nous reviendrons un peu plus loin dans ce travail sur cette tendance à la victimisation desex prostituées, qui a été reprise par la presse « de référence », au détriment parfois de lavéracité des faits. Mais nous pouvons déjà retenir plusieurs éléments de compréhension del’affaire Alègre et de sa médiatisation après avoir traité la question de la Dépêche du Midi.

D’abord, l’Affaire Alègre a surgi dans une ville particulière, la ville de Toulouse. Lorsquedes politiciens ont été impliqués, les accusations n’ont pu être cachées, car les rumeurscirculent vite. Il faut remarquer en effet que les milieux politiques, judiciaires et économiquestoulousains sont assez perméables. Comme disent les Toulousains, « ça t’chappe », lesgens discutent et font circuler les histoires.

Aussi, lorsque ces accusations atterrissent dans l’oreille du propriétaire de la Dépêchedu Midi, et qu’elles sont ensuite transmises à des journalistes, elles ne peuvent qu’êtrepubliées. Cependant, il faut remarquer que le quotidien n’a jamais donné de noms avantque ceux-ci ne soient dévoilés par les personnes concernées par l’affaire. La Dépêche duMidi n’a jamais dépassé les limites de la présomption d’innocence. La justice a reconnucela puisqu’elle a débouté Dominique Baudis de toutes ses attaques en diffamation contrele quotidien régional.

Il n’en reste pas moins que par un récit presque romanesque, avec la descriptionde personnages bien distincts et aux caractéristiques particulières, La Dépêche du Midi adonné à l’affaire ce que l’on appelle « le parfum du scandale ». Les procédés d’écriture etl’utilisation de l’émotion ont permis de rendre l’affaire intéressante aux yeux des lecteurset aux yeux des médias « de référence ». Il convient maintenant de se demander quelprocédé a été le plus efficace : la victimisation ou l’accusation ? Ceci est assez difficile àdéterminer. Les deux procédés n’ont certainement pas eu le même type d’effet. L’accusationa pu influencer la justice, qui ne pouvait faire la sourde oreille aux atrocités décrites par LaDépêche du Midi. La victimisation a surement été le procédé le plus efficace pour permettrele transfert de l’affaire Alègre sur un plan national. « Patricia » et « Fanny » étaient despersonnages qui auraient pu figurer dans un roman. Les faits qu’elles rapportaient faisaientd’elles des victimes courageuses, figures médiatiques attrayantes pour les médias.

L’affaire Alègre révèle aussi une caractéristique inhérente à la presse quotidienned’information régionale. Souvent considérée comme moins prestigieuse et moins sérieuseque la presse nationale, celle-ci est en recherche de reconnaissance. Laisser passer uneaffaire telle que l’affaire Alègre avec comme motif que les accusations ne sont pas toutesprouvées n’était pas acceptable. Il fallait, pour La Dépêche du Midi, sortir l’affaire avantqu’elle ne tombe dans les mains d’autres journalistes. Et il fallait que l’affaire « fasse dubruit ». D’où peut-être, les accusations et les sous entendus selon lesquels le quotidien ensait plus que ce qu’il écrit.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Dominique Baudis, dans son livre Face à la calomnie, explique l’acharnement de LaDépêche du Midi à son égard et à l’égard des autres accusés comme un « complot ». Il écrit :

Certains journalistes de La Dépêche du Midi bénéficient d’un accès privilégiéau secret de l’instruction, propagent les mensonges et enjoignent au procureurBréard d’ouvrir une instruction judiciaire. Celui-ci s’exécute et engage uneprocédure sous pression médiatique, ainsi qu’il l’admet lui même. (...) Et c’estl’explosion. Les articles de La Dépêche du Midi redoublent d’acharnement.D’autres médias s’emparent à leur tour de l’affaire. (Face à la calomnie, BaudisDominique, XO Editions, 2005, ISBN : 2-266-15639-X, p 354)

Ce complot aurait été ourdi par Jean Michel Baylet, qui en voulait historiquement àBaudis, nous l’avons dit. Mais alors, pourquoi des magistrats ? Baudis avance de nouveaul’hypothèse de la vengeance. La famille Baylet avait en effet été condamnée pour abus debiens sociaux par la justice toulousaine en mars 2003. Dévoiler l’affaire Alègre serait alorsaussi un moyen de rendre la monnaie de sa pièce à cette justice.

Nous ne croyons pas à l’hypothèse du « complot » de Baylet. Pour nous, les chosessont finalement moins machiavéliques. Des motivations économiques, celles de vendre dupapier pour La Dépêche du Midi, celles de publier un livre écrit avec « Fanny » et « Patricia »pour Gilles Souillès, des motivations symboliques, le besoin de reconnaissance pour lesjournalistes et pour le journal, se sont enchainées pour déboucher au résultat que l’onconnaît.

Dans tous les cas, La Dépêche du Midi a dévoilé l’affaire en premier, et il a falluseulement quelques semaines pour que l’affaire soit reprise dans les médias nationaux. Ilest assez courant que, lorsque la presse nationale reprend des informations de la presserégionale, celles-ci soient remises en question. Il y a en effet un déficit de confiance entreles deux types de presse. Pourtant ici, les mêmes procédés ont été repris, notamment celuide victimisation. Ce dernier serait-il donc universel, au sens où il s’applique à n’importe queltype de presse ? C’est ce que nous allons étudier dans notre second chapitre.

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Chapitre II : Le scandale établit un clivage entre élites et victimes

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Chapitre II : Le scandale établit unclivage entre élites et victimes

La Dépêche du Midi a donc eu recours à l’accusation et à la victimisation durant l’affaireAlègre. Dans les deux cas, il s’agit de désigner des personnes et de leur donner une image :soit, celle de victime, soit, celle de coupable.

Cette remarque en emmène une autre : l’affaire Alègre a été l’objet d’unepersonnalisation très poussée. L’histoire, comme toute histoire réelle ou de fiction, a sesprotagonistes. Patrice Alègre est le tueur en série, avec le titre de proxénète qui se rajouteà sa casquette. Dominique Baudis est l’ancien homme mythique de Toulouse, censé être àl’abri de tous soupçons, qui est accusé des pires atrocités. Les ex prostituées accusatricessont, elles, vues comme des victimes, dont la parole ne pouvait être remise en cause parcequ’empreinte de trop de courage. A l’inverse, les « notables » visés par leurs accusationsont été traités beaucoup plus durement, comme des « présumés coupables ». La justicetoulousaine enfin, est considérée comme faible, peuplée d’hommes corrompus.

Cette tendance à la personnalisation n’est pas le seul fait de La Dépêche du Midi. C’estbien pour cela que nous nous y intéressons plus longuement. L’observation de notre corpusde presse de « référence » montre aussi que plusieurs journalistes, dès le début de l’affaire,peut-être convaincus par les articles de La Dépêche du Midi, avaient choisi leur camp.

Nous voulons nous intéresser aux ressorts de ce traitement particulier. En nous faisantpardonner la provocation, qui n’est pas là notre intention, nous pouvons nous demanderpourquoi les médias, par exemple, n’ont pas traité les deux ex prostituées comme desanciennes criminelles du sexe, qui ont côtoyé un tueur en série pendant plusieurs annéessans le freiner dans ses actes. Il ne faut pas oublier que « Fanny » et « Patricia » disentavoir assisté au meurtre de la prostituée Line Garibaldi par Patrice Alègre, sans avoir rienfait pour l’aider. « Patricia » a par ailleurs avoué son rôle de « rabatteuse », elle attirait les« filles » sur le trottoir. Bref, il y avait possibilité pour les journalistes de choisir un angleautre que celui de « victime d’office » dans leur traitement des ex prostituées.

Le but ici n’est évidemment pas de les juger, mais simplement de se demander :pourquoi les médias, et notamment la « presse de référence » d’information nationale, a-t-elle choisi de traiter les ex prostituées comme des victimes, alors qu’aucune preuve fiablene venait étayer leurs propos ? Pourquoi les journalistes n’ont-ils pas été plus incisifs avecces témoins ? Pourquoi ont-ils repris le point de vue de La Dépêche du Midi ?

En d’autres mots, il semble que certains journalistes aient oublié la règle phare de leurmétier : l’objectivité.

Il est possible que ce type de traitement soit lié à la nature même du scandale. C’est ceque nous allons voir dans une première partie, qui sera complétée par l’analyse d’articlesconcernant les « notables ». Dans une seconde partie, nous nous intéresserons au cas de« Fanny » et « Patricia », et vérifierons quels sont les ressorts de cette victimisation.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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II.1. Elites vs. Victimes : la mécanique du « notable,donc coupable ».

II.1. 1 . L’affaire Allègre comme affaire « scandaleuse ».Avant de rentrer dans une discussion plus poussée sur le rôle qu’a joué le scandale dansl’affaire Alègre, il convient de définir ce que l’on entend par « scandale ». Pour le « PetitRobert », il s’agit d’un :

Effet fâcheux, choquant, produit dans le public par des faits, des actes ou despropos considérés comme contraires à la morale, aux usages.

La définition est d’autant plus frappante lorsqu’on l’accompagne de ces quelques mots :« Émotion indignée qui accompagne cet effet ».

« L’émotion indignée », voilà qui est intéressant. Car dans notre affaire, l’émotion abien souvent dominé la raison, et ce chez tous les protagonistes. Dominique Baudis lui-même avoue avoir voulu se rendre sur le plateau du JT de TF1 sur un coup de tête. Lesex prostituées « Fanny » et « Patricia », après être revenues sur leurs accusations, ont ditavoir agi « dans l’émotion ». Quant à l’indignation, elle transparait dans beaucoup d’articles,bien qu’elle évolue : les journalistes s’indignent au départ des actes terribles des notables,puis, ces faits n’étant pas avérés, ils s’indignent des errements de la justice.

Cyril Lemieux et Damien De blic, dans « Le scandale comme épreuve. Eléments de

sociologie pragmatique » 48 , apportent encore une autre vision du scandale. Celui-ci serait,dans une certaine perspective :

Un fait public, troublant et contradictoire, qui met un obstacle à la croyancecollective, et sème par là même la dissension. (De blic D. et Lemieux C., Lescandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique, Politix 2005/3, n°71 , p. 14.)

Cette définition correspond à l’affaire que nous sommes en train d’étudier. Nous retenonsnotamment l’élément de contradiction, présent dans tous les aspects de l’affaire Alègre. Lacontradiction première, c’est l’idée qu’un tueur en série a pu jouer le proxénète au service denotables, reconnus et adulés au sein de la société toulousaine. La seconde contradiction estmédiatique : elle survient à plusieurs reprises. Il y a, d’abord, Dominique Baudis qui se rendsur le plateau de TF1 pour parler de ses propres tourments judiciaires, et d’accusations quine sont pas encore rendues publiques. Il transpire, il parle de « saloperie », ce qui n’arrivejamais sur un plateau de télévision, surtout de la part d’un homme politique. Il y a ensuitel’animateur Karl Zéro qui va, dans son émission Le Vrai Journal, lire une lettre d’aveu écritepar Patrice Alègre. Ces événements surprennent car ils sortent de l’ordinaire, et vont àl’encontre de la pratique communément admise. Une lettre d’aveu écrite par un tueur ensérie devrait être lue lors d’un procès en assises, et non pas en direct, sur un plateau detélévision.

Lemieux et De blic finissent leur définition par la « dissension ». Encore une fois,les exemples de dissension dans l’affaire Alègre sont nombreux. Dominique Baudis, àplusieurs reprises, fait entendre son mécontentement envers Philippe Douste-Blazy, mairede Toulouse, qui ne soutenait son prédécesseur que timidement. Mais la dissension sefait aussi dans le champ médiatique. Les journalistes, par l’intermédiaire d’éditoriaux ou

48 De blic D. et Lemieux C., Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique, Politix 2005/3, n° 71, p. 9-38.

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Chapitre II : Le scandale établit un clivage entre élites et victimes

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de commentaires glissés dans des articles, ont exprimé leur désaccord avec d’autres.La victime la plus connue est surement Karl Zéro, dont l’initiative a été unanimementcondamnée par le milieu journalistique.

Ainsi, l’affaire Alègre relève du scandale. Celui-ci peut être abordé sous plusieursperspectives, mais nous nous intéresserons à seulement l’une d’entre elles. Celle-ciconsidère que le scandale bouleverse nos repères et notre attachement aux normes dela société. Il change un « ordre des choses » qui était jusque là établi et accepté commetel. Les deux auteurs Lemieux et De blic rajoutent que le scandale permet d’éclairer, desouligner la prégnance de rapports de domination. Ils écrivent :

Dans cette perspective, le scandale a souvent été utilisé comme un révélateur, ausens quasi photographique du terme, des rapports de force, des structures, desespaces positionnels ou des normes qui lui préexistaient. Il lui fut ainsi reconnula capacité de rendre spectaculairement manifestes à l’observateur les lignes declivage et les rapports de domination qui traversent de façon ordinairement plusopaque une société, ou certaines fractions de ses élites. (De blic D. et LemieuxC., Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique, Politix2005/3, n° 71 , p. 11.)

Le scandale provoqué par la « nouvelle affaire Alègre » serait donc du aux protagonistes quisont impliqués. Il y a à la fois des « notables » et des ex prostituées, qui viennent de deuxmilieux sociaux différents. Les notables sont rapidement considérés comme plus puissantsque les ex prostituées. D’où la tendance des journalistes à vouloir rééquilibrer la balancede l’ordre social, en donnant plus de poids aux propos des faibles. Point de « machination »donc, point de complot, mais simplement un réflexe de protection de la veuve et de l’orphelinqui après tout, fait partie du métier de journaliste.

Néanmoins, un autre aspect du scandale peut aussi nous intéresser. Celui-ci est abordé

dans l’article « l’information médicale sous contrainte » 49 , écrit par Patrick Champagne etDominique Marchetti. Les deux auteurs observent dans ce travail la couverture médiatiquedu scandale du « sang contaminé ». La définition qu’ils donnent du scandale est la suivante :

Le sentiment de scandale est une réaction de nature complexe par laquelle unindividu ou les membres d’un groupe social veulent exprimer publiquementet faire partager une réprobation et/ou une émotion à propos de faits perçuscomme particulièrement immoraux ou révoltants. (Champagne Patrick, MarchettiDominique. L'information médicale sous contrainte. In: Actes de la rechercheensciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994. L’emprise du journalisme. pp.40-62)

Cette définition ajoute l’élément « sentimental » au scandale. L’humain réagit de façonépidermique au scandale, celui-ci ne fait pas appel à sa rationalité mais à son émotion. Faceaux faits reprochés aux notables toulousains, les journalistes, qui sont aussi des humains,éprouvent des sentiments de révolte et de dégoût qui sont venus influencer l’écriture de leursarticles. C’est alors qu’ils ont naturellement pris position en faveur des accusatrices, contreles notables, ces derniers étant jugés trop puissants pour avoir besoin d’être défendus.

49 Champagne Patrick, Marchetti Dominique. L'information médicale sous contrainte. In: Actes de la recherche ensciencessociales. Vol. 101-102, mars 1994. L’emprise du journalisme. pp. 40-62.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Champagne et Marchetti soulignent par ailleurs que la presse « parisienne », « deréférence », joue un rôle moteur dans la survenance du scandale. C’est ce que noussommes en train de vérifier dans ce travail.

Nous allons maintenant vérifier l’hypothèse du scandale comme révélateur de rapportsde domination en analysant des articles de la presse d’information nationale traitant des« notables » toulousains.

II.1. 2 . Notables donc coupables : l’ordre social comme preuve.Le premier article que nous allons analyser s’intitule « Dominique Baudis nie toute

implication dans l’affaire Patrice Alègre » 50 . Dans l’édition du Monde du 20 mai 2003,c’est-à-dire l’édition publiée le lendemain de l’intervention de Dominique Baudis, Jean-PaulBesset écrit un article de la longueur d’une page. Il n’a pas de sous titres, ni d’intertitres.Seule une phrase est mise en valeur, au centre du texte :

La justice a ouvert une instruction pour « viols, actes de torture et barbarie surmineurs par personnes dépositaires d’une autorité ».

Ainsi, même sans rentrer dans le texte, le lecteur sait d’ores et déjà que Dominique Baudisest accusé de viols et autres atrocités.

L’article est illustré par une photographie de Dominique Baudis, prise durant sonintervention télévisuelle sur TF1. Il semble s’expliquer, et est plus calme et posé que surla photographie utilisée dans La Dépêche du Midi (Affaire Alègre, Affaire d’Etat, par GillesSouillès). Une légende accompagne cette illustration, elle est étonnamment longue :

Le président du CSA et ancien maire de Toulouse, Dominique Baudis, dimanche18 mai au journal de 20 heures de TF1 : « la vraie question est par qui et commentces jeunes femmes ont-elles été poussées ou contraintes à formuler contre moide telles ignominies ».

Cette légende apporte beaucoup à la photographie. Le fait qu’une citation de Baudis soitprésente permet d’imaginer l’homme représenté par l’illustration, cet homme étant en trainde se justifier. La légende met aussi sur les épaules de Baudis tout son poids d’hommepublic : président du CSA et ancien maire de Toulouse.

Dans le contenu de l’article, Jean-Paul Besset met de nouveau en valeur la fonctiond’homme politique de Baudis. Celle-ci est rappelée dès les premières lignes : « L’ancienmaire (UDF) de Toulouse, Dominique Baudis, président du conseil supérieur de l’audiovisuel

(...) » 51 . Et il semble que son ancienne fonction de maire soit plus importante que cellede Président du CSA, puisqu’elle est rappelée à quatre reprises dans l’article. A chaquefois, cette mention se trouve dans les passages décrivant les accusations qui pèsent surDominique Baudis. Par l’utilisation et le choix du placement de ces mots, « l’ancien mairede Toulouse » est ainsi catégorisé comme un homme appartenant à une élite.

Par ailleurs, Jean-Paul Besset, en utilisant le discours indirect et certains types deverbes citant, prête l’initiative de la réflexion à Baudis : il « nie » dans le titre, « a décidé »52 , « estime » 53 , « il exclut » 54 , « il s’interroge » 55 . En revanche, le journaliste utilise des

50 Annexe 5.51 Lignes 1, 2 et 3 Annexe 5.52 Ligne 4 Annexe 5.

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Chapitre II : Le scandale établit un clivage entre élites et victimes

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verbes qui ne renvoient pas à la réflexion mais à la spontanéité pour les ex prostituées : «la

jeune femme affirme » 56 , «évoque » 57 , «elles disent».Nous avons donc d’un côté, un homme politique calculateur, qui réfléchit sur la stratégie,

et de l’autre, des jeunes femmes qui accusent de manière assez désordonnée. Il faut noternéanmoins que le journaliste prend beaucoup de précautions et écrit toutes les accusationsau conditionnel. Il n’utilise le présent que pour qualifier les actions et les mots de Baudis,ce qui ne sera pas toujours le cas dans la suite des événements.

Cet article du Monde offre finalement un traitement assez équitable de l’affaire. Il exposeavec prudence les accusations et laisse Baudis se défendre. Cependant, un déséquilibreau niveau des fonctions est prégnant : tandis que Besset utilise les fonctions de Baudis demanière courante, il préfère parler des ex prostituées comme de « jeunes femmes ».

C’est maintenant à un article plus incisif que nous allons nous intéresser. Il est tiré de

l’édition du 27 juin 2003 de Libération, il s’intitule « Baudis en victime chez le juge » 58 . Avantd’entrer dans l’analyse de cet article, nous devons préciser que la une de Libération était, ce

jour-là : « Baudis s’invite chez le juge » 59 . L’illustration de la une est une photographie enpleine page de Dominique Baudis, dont on aperçoit seulement le crâne car il est vu d’en haut.Il tient à la main les agendas qu’il vient de remettre à la justice. A côté de la photographie etde cette une, se trouve l’éditorial d’Antoine de Gaudemar, qui s’intitule « Faits têtus ». Cetensemble est peu flatteur pour Dominique Baudis, puisqu’il paraît avoir tous les pouvoirs,même celui de « s’inviter » chez le juge. Le rapport de domination se discerne donc, dansce cas, dès la une.

L’article se trouve en page 2 du journal, juste après la « une ». Le lecteur peut doncvite établir un rapport entre les deux. Il est catégorisé en « Evénement », dont la mention setrouve au dessous de la date du jour. Ce type de catégorisation donne à l’action de Baudisun caractère très ponctuel.

L’article est signé Patricia Tourancheau. La titraille est chargée : outre la mention« Evénement », un complément d’information se trouve au dessus du titre. Celui-ci indique :« Patrice Alègre se rétracte sur deux meurtres ». Un autre sous titre se situe juste avantle début de l’article : « Reçu avec célérité, l’ex maire de Toulouse a été confronté à sonaccusatrice, “en homme libre” ». Enfin, pour compléter cette titraille figurent deux intertitres,

« agendas » 60 et « manipulateur » 61 , et une citation de l’article est mise en valeur aucentre du texte :

Nouvel avocat de Patrice Alègre, Me Gilbert Collard a demandé le dépaysementdu dossier et estimé que son client était un « bouc - émissaire ».

53 Ligne 73 Annexe 5.54 Ligne 75 Annexe 5.55 Ligne 77 Annexe 5.56 Ligne 54 Annexe 5.57 Ligne 59 Annexe 5.58 Annexe 6.59 Annexe 7.60 Ligne 42 Annexe 6.61 Ligne 118 Annexe 6.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Ainsi, le lecteur, sans avoir lu le contenu l’article, apprend déjà beaucoup d’éléments quantà la visite de Baudis chez le juge. Mais deux éléments sont troublants. Le premier concernele sous titre, qui indique la « célérité » avec laquelle a été reçu « l’ex maire de Toulouse ».Est aussi mentionnée sa qualité « d’homme libre », à laquelle la journaliste attribue desguillemets. Ceux-ci indiquent que le mot vient d’une citation, cependant, elle laisse aussipeser un doute sur la capacité de Baudis à se présenter en « homme libre ». Enfin, le faitque le mot « manipulateur » se trouve dans un intertitre produit un effet particulier. Toutela titraille est axée sur Baudis, alors l’utilisation de ce mot pourrait faire penser qu’il est le« manipulateur ». Ce n’est qu’en lisant l’article que l’on comprend que le manipulateur n’estpas Dominique Baudis, mais qu’il s’agit de Patrice Alègre.

Mais revenons à notre hypothèse première, celle des rapports de domination. Ceux cisont présents dans la titraille. Son statut « d’ex maire de Toulouse » est rappelé dès le soustitre. Il est présenté comme une « victime » dans le titre mais, au vu de la « Une » du journal,cela semble se prêter à de l’ironie. Le premier paragraphe attribue également un pouvoirénorme à Dominique Baudis:

La contre-attaque de Dominique Baudis, qui pèse de tout son poids médiatique et

politique sur l’affaire de Toulouse, a fini par payer. 62

Ainsi, Baudis a du « poids ». Il est présenté, tout comme dans l’article du Monde, commeun stratège. La conséquence est que le juge le reçoit « en victime ». Un certain vocabulaire

utilisé par Patricia Tourancheau renvoie aussi à la puissance de Baudis : «qui pèse » 63 ,

« a trouvé » 64 , « fort » 65 , « a aussitôt décroché » 66 , « a pu voir en face » 67 , « avec

dureté » 68 . La journaliste laisse aussi entendre de manière claire son désaccord avec lamanière dont est menée l’enquête, et tend à l’expliquer par cette puissance, ce pouvoir,de Dominique Baudis. Ceci se retrouve par exemple dans la description des avocats deBaudis, et de ceux de Patricia. Me Francis Spizner semble agir et savoir que faire : « s’est

constitué partie civile » 69 . Celui de Patricia est « commis d’office » 70 et « jeune » 71 .Cet article mériterait une analyse plus approfondie avec des angles différents. Il y a

là, par exemple, une description intéressante de Patrice Alègre. Mais nous resterons fixésà notre objectif de départ, qui est de discerner les rapports de domination établis par lesjournalistes au travers de ce scandale. De manière claire, la journaliste Patricia Tourancheauoppose Baudis, l’homme puissant et médiatique qui arrive à se faire inviter « en victime »chez le juge, et l’ex prostituée Patricia, qui, peut-être, ne dit pas toute la vérité, mais quia des circonstances atténuantes. Ces rapports de domination sont d’autant plus faciles à

62 Lignes 1 à 6 Annexe 6.63 Ligne 3 Annexe 6.64 Ligne 30 Annexe 6.65 Ligne 42 Annexe 6.66 Ligne 50 Annexe 6.67 Lignes 55 et 56 Annexe 6.68 Ligne 68 Annexe 6.69 Ligne 44 Annexe 6.70 Ligne 99 Annexe 6.71 Ligne 98 Annexe 6.

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Chapitre II : Le scandale établit un clivage entre élites et victimes

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mettre en valeur que l’article traite d’une confrontation, qui implique par sa nature mêmeune personne dominante et une personne dominée.

Avant de passer au traitement de « Fanny » et « Patricia », nous allons encore nousintéresser à un autre article de Libération. Il date du lundi 16 juin 2003, il est signé GilbertLaval. Il est, tout comme l’article précédent, placé dans la catégorie « Evénement » dujournal. Il est long puisqu’il prend une page entière du journal, à l’exception d’une colonnede droite qui évoque un « malaise au CSA ». De nouveau, tout comme dans La Dépêchedu Midi, l’idée de « malaise » revient.

L’article s’intitule « Baudis part en guerre contre la “ rumeur ” » 72 . L’utilisation desguillemets pour « rumeur » montre que c’est une citation : le journaliste considère peut-êtreque les accusations à l’encontre de Baudis ne relèvent pas que de la rumeur. Le sous-titre del’article est : « L’ex maire de Toulouse attaque sur tous les fronts pour se défendre ». Les troisintertitres sont : « des collaborateurs écartés », « le maire suspecté », « la presse accusée ».Cette titraille donne l’impression que Dominique Baudis, « ex maire de Toulouse », estpuissant. Il est en guerre, il attaque, il se défend. Les intertitres sont tous formés de la mêmemanière, une manière qui renvoie au passif. Le journaliste Gilbert Laval sous entend ainsique Dominique Baudis a du pouvoir, que ce soit auprès de « collaborateurs », du « maire »ou de la « presse ».

L’illustration de l’article, placée en son centre, renforce ce sentiment de puissance. C’estune photographie, qui représente Baudis en 1994 en congrès, alors qu’il était encore mairede Toulouse (d’après la légende). Il est seul, face à un pupitre, pris de profil et entouré denoir. La photographie donne à la fois l’impression que cet homme est isolé, mais, du faitde sa situation sur une estrade et face à un pupitre, qu’il est aussi un homme importantet puissant.

Encore une fois, nous ne pourrons pas analyser cet article dans tous les détails. Nousallons chercher seulement les éléments renvoyant à la puissance du personnage Baudis.Ceux-ci ne tardent pas à venir : à la fin du paragraphe, Gilbert Laval parle de lui comme

d’un « lion » 73 . Baudis a une « stratégie » 74 , c’est un « guerrier » 75 .Le pouvoir de Baudis passe aussi dans cet article par la description de son action, qui

a eu à chaque fois des conséquences importantes. Ceci se retrouve avec l’utilisation de

termes tels que : « qui a fait beaucoup de dégâts » 76 , « victime » 77 , « Dominique Baudis

obtenait de Philippe Douste-Blazy » 78 , « immédiatement licencié » 79 , « il tire à vue » 80 .L’homme politique est ainsi décrit comme n’ayant rien à perdre, et pouvant utiliser de toutson pouvoir pour faire face à la « rumeur ».

72 Annexe 8.73 Ligne 18 Annexe 8.74 Ligne 21 Annexe 8.75 Ligne 26 Annexe 8.76 Ligne 48 Annexe 8.77 Ligne 49 Annexe 8.78 Lignes 58 et 59 Annexe 8.79 Ligne 60 Annexe 8.80 Ligne 137 Annexe 8.

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Dans cet article du 16 juin 2003, des éléments diffèrent des deux autres articles étudiésjusqu’alors. Si Baudis y est encore une fois décrit comme une personne puissante, commeun homme politique qui a du pouvoir, le début du doute quant aux accusations qui lui sontdirigées commence à percer. Cependant, l’image que les accusatrices ont eue dans lesmédias a mis du temps à s’effondrer et, en mai et juin 2003, elles avaient l’avantage faceaux notables.

Justement, il vient maintenant le temps de parler du portrait fait dans la presse des deuxprincipales accusatrices de notables, les prostituées « Patricia » et « Fanny ». Il semblequ’elles aient rapidement obtenu la faveur des journalistes.

II.2. « Patricia » et « Fanny », des victimes désignéesd’office.

II.2. 1 . Une victimisation favorisée par l’empathie.Nous avons déjà parlé de la victimisation des ex prostituées par le quotidien régional LaDépêche du Midi. Nous y revenons dessus mais cette fois-ci, nous voulons l’expliquer autravers d’article titrés de la « presse de référence », celle qui est censée prendre plus derecul face à des sujets et des accusations aussi graves.

Nous allons nous intéresser en particulier à un article de Libération. Il a été publié dans

l’édition du 11 juin 2003. Il est intitulé « Fanny, ses vérités et ses contes cruels » 81 et il estsigné, comme l’article précédent, par Patricia Tourancheau. C’est un long article : il occupedeux pages du quotidien.

L’article est dans la section « Grand angle » du journal, une rubrique censée donnerplus d’ampleur et de détails sur les sujets qui sont traités. C’est aussi une façon originale detraiter l’affaire, la rubrique « Grand angle » traitant de tous les sujets, qu’ils soient culturels,sportifs, judiciaires, économiques ou politiques. Le lecteur peut donc s’attendre à voir lepersonnage de « Fanny » être abordé différemment.

L’article est aussi catégorisé en « société ». Ceci est déjà, en soi, intéressant. Libérationclasse en « société » le récit de vie d’une ex prostituée, principale accusatrice de notablestoulousains. On peut donc voir que « Fanny » est considérée comme faisant partie de lasociété. Elle est plus proche du lecteur que les notables qui l’auraient faite souffrir.

Le sur titre de l’article est « témoin numéro 1 dans l’affaire Alègre », ce qui donne unetoute autre importance à « Fanny ». Celle-ci devient l’actrice d’une procédure judiciaire, elleen est même le témoin principal.

Le titre met en valeur son prénom, qui est légèrement plus gros que la suite du titre.Cela donne encore une importance plus grande au personnage et, en même temps, celainsiste sur un mystère. Il faut en effet ne pas oublier que la véritable identité de « Fanny »n’est pas connue lors de la publication de cet article. Donc, malgré le portrait qui va être faitdans cet article, « Fanny » est encore un personnage mystérieux.

Le contraste entre la grosseur du prénom et son absence sur les illustrations estd’ailleurs flagrant. La première page comprend une grosse photographie située au centre

81 Annexe 9.

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du texte. Elle est sombre, prise de nuit, elle montre un restaurant. La photographie est prised’une voiture dont on peut voir le rétroviseur gauche refléter ce qui se situe à l’arrière duvéhicule. Cette illustration est faite de façon à ce que le mystère et la noirceur du crimeprévalent. C’est ainsi que la légende indique :

Le restaurant La Meunière, à Toulouse, où Fanny croisait Patrice Alègre et sonpère, policier, avec ses collègues.

Dès la légende donc, la journaliste considère que ce que dit « Fanny » est vrai, puisque letemps utilisé est l’imparfait.

Les trois autres photographies qui sont alignées au bas de la seconde page de l’articlerépondent à la même volonté d’installation du mystère et de prédominance du crime. Ellessont floues, les personnages ne sont pas reconnaissables. Elles indiquent néanmoins deslieus toulousains : le « café de l’étincelle », « l’hôtel de la dépêche et l’hôtel de Toulouse ».Mais encore une fois, si « Fanny » figure sur les légendes, elle ne figure pas dans lesillustrations.

Le reste de la titraille met aussi « Fanny » en valeur. L’article comporte quatre intertitres :« “ J’ai mon p’tit vécu, c’est tout ” », « “ il n’y avait plus de retour ” », « “comme un animalblessé ” » et « “ bagues et tatouages à l’épaule ” ». La première chose à remarquer est queles quatre titres sont des citations de « Fanny », qui renvoient tour à tour à son courageet sa modestie avec le premier intertitre, et les difficultés qui l’ont touchées avec les troisautres. La mention des bagues et tatouages fait référence au magistrat Marc Bourragué,que « Fanny » avait accusé avec force détails. En mettant en valeur cette citation, PatriciaTourancheau accrédite les accusations de « Fanny ».

Il faut, dans la même idée, étudier le texte mis en valeur dans la deuxième page del’article. Celui-ci est placé entre la première et la seconde colonne, il y est écrit :

Ex prostituée, Fanny relate à Libération ses années entre les mains du tueur ensérie Patrice Alègre et d’un magistrat toulousain.

Son témoignage, avec une telle mise en valeur, est donc perçu comme vrai par la journaliste.Elle emploie le mot « relate », qui implique un transfert d’informations qui soient vérifiées.

L’étude de la titraille et des illustrations, sans compter la longueur de l’article, accréditentnotre thèse selon laquelle les ex prostituées de l’affaire Alègre ont tout de suite vu leurdiscours être bien reçu par certains journalistes, qui n’ont pas cru un instant qu’elles puissentmentir. Voyons à présent si le contenu de l’article confirme ces dires.

Il faut d’abord relever que, malgré le mystère qui entoure la personne de « Fanny », lajournaliste n’utilise pas de guillemets pour nommer l’ex prostituée. Elle prend pour acquisce nom d’emprunt, et lui donne un aspect véridique.

La description physique est un aspect important de cet article. Ainsi, la journaliste parled’une « Fanny » à la bouche « édentée », elle est « frêle », a des « prunelles dorées »et des « cheveux châtain - roux », des « bras tatoués ». Et à Tourancheau de conclure :

elle « paraît plus zonarde que call-girl » 82 . La journaliste, par cette description, rentre enempathie avec « Fanny ». Elle l’observe, la juge, et tire des conclusions à partir de cetteobservation : la jeune fille ne peut pas mentir. Un élément physique qui revient de manière

courante est la blessure : « bridges agrafés à son palais » 83 , « cicatrices » 84 .

82 Lignes 8 à 12 Annexe 9.83 Ligne 107 Annexe 9.

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L’empathie pour la victime « Fanny » se développe au fil de l’article. Les temps les plusutilisés sont le présent et le passé composé. Aucune place au conditionnel ou autrementdit, aucune place pour le doute. La journaliste ne veut pas relater des dires, elle veut relaterdes faits qui d’après elle, se sont passés. Le lecteur assiste aussi à une « héroïsation » dela jeune fille. Ainsi, Patricia Tourancheau parle d’elle comme de « la fugueuse à la peau

laiteuse » 85 . C’est aussi afin de faire un héros de cette victime que la journaliste ne veutpas douter. Elle alterne discours direct et indirect, contant la vie de « Fanny ».

Dans cet article, Patricia Tourancheau veut donner une image ambivalente duprotagoniste « Fanny » : c’est à la fois une héroïne, une jeune fille qui se bat pour direla vérité, et une victime fragile, dont la force du témoignage est renforcée par le discoursdirect utilisé par la journaliste. Le contenu de l’article emmène donc le sentiment que lajournaliste a sympathisé avec « Fanny », et que le mystère qui enveloppe la jeune fille ne l’apas troublée, au contraire. Elle accepte ses propos tels quels, et les présente comme desvérités. Pourtant, un indice contenu dans le titre de l’article laisse penser que la journalistepossède une part de doute : elle évoque les « contes cruels » de Fanny. Que voulait-elledire par là ? Il est possible que dans une démarche de victimisation, elle veuille évoquer deshistoires tellement horribles et atroces qu’elles n’auraient pas du avoir lieu. Mais, en mêmetemps, il faut se demander : peut-être que Tourancheau nourrissait encore un certain douteconcernant Fanny, et qu’elle a voulu, par le titre, exprimer ce doute en parlant de « contes ».

Ainsi, nous pouvons aussi voir cet article sous un autre angle. Dans un éditorial du19 septembre 2003 intitulé « Charivari », le journal Libération est défendu par Antoine deGaudemar. A cette date en effet, la presse écrite nationale est sous le feu des critiques poursa couverture de l’affaire Alègre. Ses détracteurs estiment qu’elle a donné trop de place auxaccusations, et pas assez de place à la défense. Pour se défendre, de Gaudemar utilisel’article que nous venons d’étudier. Il écrit :

Quand nous avons donné la parole à « Fanny » en juin dernier, c’était poursouligner en titre « ses vérités et ses contes cruels » et en conclusion ladifficulté des enquêteurs à faire la part dans son témoignage du « vécu réel et del’imaginaire cauchemardesque ».

Première chose intéressante : les guillemets sont de retour. Dans l’article de PatriciaTourancheau, ou dans les articles de La Dépêche du Midi, le surnom de l’ex prostituée necomporte pas de guillemets, il est pris comme tel, comme un nom réel. Dans l’éditorial, deGaudemar a compris la nécessité de ces guillemets.

Mais ce que montre aussi cet éditorial, c’est que l’on peut lire un article de plusieursmanières. Le rédacteur a raison d’évoquer ces passages qui étaient les seuls à laisser unepetite place au doute. Cependant, le reste de l’article, écrit au présent et ne laissant pas deplace à une quelconque défense, faisait bien de « Fanny » une victime.

II.2. 2 . Le retournement de situation : les victimes deviennentcoupables.

Nous allons maintenant nous intéresser à un article du Monde, qui lui, date du 28 juin 2003.Depuis la publication du portrait de « Fanny » dans Libération, il s’est passé beaucoupde choses. Patrice Alègre a fait des aveux publics qu’il a ensuite retirés, tout comme ses

84 Ligne 109 Annexe 9.85 Lignes 57 à 58 Annexe 9.

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accusations à l’encontre de Dominique Baudis. Mais, surtout, Dominique Baudis a retrouvéses « agendas », qui indiquent qu’il était à Paris le soir du supposé viol de « Patricia ». Unebande visuelle le montrant à l’Assemblée Nationale est venue confirmer ses dires.

L’article que nous étudions maintenant marque donc une certaine rupture. Lesjournalistes, en cette fin juin 2003, ne croient plus vraiment aux accusations des exprostituées. Il est donc intéressant de voir comment ils vont traiter ce retournement desituation, et ce qui va changer dans le portrait qu’ils feront des accusatrices.

L’article est signé Ariane Chemin, il s’intitule « “ Patricia” maintient ses accusations face

à M. Baudis » 86 . Un premier élément apparaît : les guillemets sont de retour. La journalisteconsidère de nouveau que « Patricia » n’est qu’un surnom, un mystère, qui a surement perduson caractère attirant. Cependant, dans le contenu du texte, il semble qu’Ariane Cheminn’y accorde que peu d’attention, puisqu’il arrive que ces guillemets apparaissent avant dedisparaître à nouveau. Le seul intertitre est « “ Ambiguë ” sur le viol ». Retournement iciaussi, de situation. L’intertitre met en cause les propos de Patricia, il les considère commepeu crédibles.

L’article est assez court. C’est un compte rendu de la confrontation entre Baudis et« Patricia », et il ne contient pas d’illustration. Il n’est plus question ici, de laisser de la placeaux propos de « Patricia ». Seul l’avocat commis d’office de « Patricia » est cité, en find’article.

Pourtant, malgré ces changements de situation, la journaliste ne descend pas en flèche« Patricia ». Elle lui accorde une description physique : « Patricia, pull blanc, jean et basketsnoires, est donc entrée dans le bureau du juge entre deux gendarmes, mais sans menottes »87 . Par cette description, la journaliste rapproche « Patricia » du lecteur. Elle la place aussien position d’infériorité par rapport à Dominique Baudis. Et, même si l’accusation sembles’être écroulée, la journaliste relate encore la description que « Patricia » a faite de sonsupposé viol par Dominique Baudis.

Enfin, avant de conclure sur cet article, il faut remarquer que les rapports de dominationréapparaissent à la fin de l’article, avec une citation de l’avocat de « Patricia » qui affirmeque celle-ci a mis en cause un « homme de pouvoir ». On peut donc voir, grâce à cettecitation, que le rappel des différences sociales entre accusés et accusatrices était aussi unetechnique de défense des « victimes ».

Cet article du Monde montre donc qu’à partir de la fin juin 2003, le discours desjournalistes sur les deux ex prostituées « Fanny » et « Patricia » a évolué, au gré notammentdes décisions de justice. Cependant, le discours de ces jeunes femmes, même fantasmé,a suffisamment touché les journalistes pour qu’ils prennent leurs accusations comme desfaits avérés.

86 Annexe 10.87 Ligne 20 à 24 Annexe 10.

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Conclusion du chapitre : le scandale,source d’erreurs pour le journaliste.

Le scandale n’est pas un élément isolé sur la scène sociale, médiatique et politique. Il enfait partie et y prend même ses racines. Il n’est alors pas étonnant de voir des rapports dedomination surgir dans le traitement médiatique de ce scandale, que ce soit dans la presserégionale ou nationale. Ainsi, l’analyse des articles de La Dépêche du Midi et des articles dela presse nationale nous laisse parvenir à la même conclusion : les journalistes ont choisidans un premier temps de rejoindre le « camp » des ex prostituées, surement de bonnefoi, car touchés par les propos courageux de deux jeunes femmes face à des notablespuissants. Il faut néanmoins préciser qu’il existe une différence dans ce traitement entre lapresse régionale et la presse « de référence ». Nous avons vu que La Dépêche du Midis’investit en faveur des ex prostituées, elle se range de leurs côtés pour les défendre. Dansla presse de référence, si l’empathie est présente, celle-ci ne reste « que » de l’empathie.Les journalistes sont choqués par les faits qui leur sont décrits, mais n’ont pas besoinde véhiculer l’affaire sur un plan médiatique supérieur au leur, comme c’était le cas pourLa Dépêche du Midi. Ils vont donc sympathiser avec les ex prostituées, les écouter etretranscrire leurs propos, mais leur motivation ne sera qu’émotionnelle. La Dépêche du Midiet ses journalistes possédaient d’autres motivations, que nous avons évoquées plus haut.

Notre travail étant celui d’une analyse de corpus médiatique, et non pas un travailde sociologie, nous ne nous tournerons pas vers Pierre Bourdieu pour justifier l’utilisationde la notion de rapports de domination. Le but de cette partie était simplement de voir etd’expliquer, au travers des articles, la volonté des journalistes de favoriser un camp plutôtque l’autre dans l’affaire Alègre.

Notre hypothèse était finalement assez surprenante. Les médias dans leur ensemblesont souvent accusés de connivence avec le milieu politique. Les critiques disent que lesfrontières entre champ médiatique et champ politique sont trop perméables, et que tous lesacteurs de ces champs font finalement partie d’un seul et même champ. L’indépendancede la presse ne serait plus qu’une illusion, tellement elle est liée économiquement etsymboliquement au champ politique. Cela est surement vrai, et beaucoup de travauxuniversitaires l’ont démontré. Mais dans le cas de notre affaire, la tendance se renverse.Les notables toulousains sont « présumés coupables » alors que, judiciairement, le dossierest encore vide. Les accusations des ex prostituées sont écoutées et retranscrites presquereligieusement, sans nécessiter de vérifications.

Alors que s’est-il passé ? Pourquoi les journalistes ont-ils ressenti le besoin deprivilégier les accusatrices ? Il est possible que l’idée selon laquelle les journalistes soientproches des politiciens ne s’applique pas aux scandales, qu’ils soient financiers ou sexuels.Le fait que des hommes politiques soient accusés de sado masochisme et autres atrocitésdessine une ligne parfois oubliée entre les deux champs médiatiques et politiques. Lesjournalistes veulent se démarquer des atrocités possiblement commises par les notables,pour se trouver dans un camp plus confortable, celui de « victimes ». Il en va, finalement d’unréflexe propre à l’image que la profession se fait d’elle même. Même si, en temps normal,

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Conclusion du chapitre : le scandale, source d’erreurs pour le journaliste.

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le journaliste entretient des relations très proches avec les hommes politiques, il a le réflexede protecteur des plus faibles qui s’éveille en lui lorsque le scandale éclate.

Le scandale bouleverse donc les repères des journalistes, qui vont vouloir aider ceuxqui, habituellement, sont desservis par la presse. En quelque sorte, les journalistes fontl’erreur de prendre position en faveur des accusatrices pour éviter de faire l’autre erreur,celle de soutenir les notables. C’est très certainement cette volonté de démarcation, deretour à l’indépendance, qui explique les procédés de victimisation et d’héroïsation desex prostituées. Lorsque le discours du « tous pourris » traverse l’opinion, les journalistespréfèrent ne pas être inclus dans le lot.

Dans cette partie, nous nous sommes intéressés aux décisions parfois inconscientesdes journalistes de soutenir un camp plutôt que l’autre. Elles relèvent de l’émotion, dusentiment humain. Le journaliste du Monde ou de Libération est tous les jours confrontéà l’homme politique. Il connaît son discours, il sait reconnaître sa stratégie, et peut alorsdévelopper un certain recul à l’égard de ce discours. Mais ces mêmes journalistes n’ontpas eu tous les jours à rencontrer des ex prostituées, dont les « récits de vie » dépassentl’entendement. Le recul que le journaliste pouvait prendre face à l’homme politique s’effacealors, pour être remplacé par l’émotion que suscite la rencontre.

Pourtant, une autre catégorie d’erreur est entrée en jeu dans l’affaire Alègre. Celle-ci ne relève plus de l’émotion. C’est l’erreur mécanique, celle de la déontologie et de lavérification des sources. Nous allons analyser et essayer d’expliquer la survenance de cetteerreur dans notre dernier chapitre.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Chapitre III : La nécessité de faire vite,obstacle à l’investigation

La « nouvelle affaire Alègre », ou « Affaire Baudis » même si elle n’impliquait pas seulementl’ancien maire de Toulouse, était une affaire médiatique. Par « affaire médiatique », nousentendons un fait embarrassant pour un certain nombre de personnalités, dont la natureporte à une médiatisation.

Cette affaire implique un « serial-killer », le tueur en série Patrice Alègre, dont les yeuxbleu acier et le faux air de Tintin fascinent. Il avait en son temps, fait quelques gros titres dejournaux pour des meurtres qui avaient fait trembler Toulouse. Mais l’affaire implique aussides ex prostituées, visages voilés, qui se disent menacées par des notables puissants ettortionnaires.

La presse d’information nationale et les médias télévisés ne pouvaient pas laisser cetteaffaire de côté. De nombreuses unes y ont été consacrées, notamment à la fin du mois demai 2003, après le passage de Dominique Baudis au 20 heures de TF1.

Mais cette large couverture n’est pas allée sans accrocs. Avant d’évoquer ceci, nousallons tenter de définir quelles sont les caractéristiques idéales d’un travail de rechercheréussi pour un journaliste, pour ensuite comprendre ce qui a fait défaut durant l’affaireAlègre. Nous devons bien sur préciser que ces caractéristiques sont « idéales », et qu’ellesrelèvent plus du but ultime mais inatteignable que d’un objectif réel.

L’enseignement des écoles de journalisme insiste sur une composante majeure dumétier : la déontologie. Le journaliste se doit de respecter un certain nombre de règlespour bien travailler. Il doit vérifier ses sources, dont il conserve l’anonymat si celles-ci lesouhaitent. Il ne peut jamais leur faire totalement confiance, d’où le besoin de recouper lesinformations. Le journaliste doit aussi être objectif : il doit toujours donner une opinion et soncontraire, et ne jamais laisser transparaitre son propre point de vue. Ce sont là des règlesde base du métier de journaliste, qui ne font généralement pas l’objet de discussion au seinde la profession. Pourtant, ces règles ont été sérieusement ébranlées au fil des révélationsde l’affaire Alègre.

Ainsi, nous allons voir que l’emballement médiatique et la succession effrénée desévénements ont bouleversé les repères des journalistes, qui n’ont plus su que ou qui croire.Puis nous verrons que les médias de « référence », pris en flagrant délit d’erreurs répétées,vont tenter de restaurer leur légitimité par la contre enquête.

III.1. « L’ère du soupçon » s’installe : la presse écritedésarmée face à des rebondissements quotidiens.

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Chapitre III : La nécessité de faire vite, obstacle à l’investigation

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Dans son article « les révélations du “ journalisme d’investigation” » 88 , Dominique Marchettis’intéresse à la fonction de « chercheur de vérité », de justicier, des journalistes. Marchettiprétend que si une petite part seulement des journalistes participe au travail d’investigation,c’est cette part-là qui assure de manière régulière une légitimation du journalisme par ladécouverte « d’affaires » dans le champ politique. Le film « All the President’s men » etl’affaire du Watergate sont les figures de proue de ce type d’investigation, qui au fond, faitrêver beaucoup de journalistes. Dans le prolongement du travail de Dominique Marchetti,nous pouvons dire que le journalisme d’investigation place les journalistes du côté del’opinion, considérée comme demandeuse de transparence.

Le problème est que ce type d’enquête nécessite du temps, des ressources financières,et qu’il n’aboutit pas toujours. Il est de plus en plus concurrencé par les nouvellestechnologies, qui publient et permettent à des informations nouvelles de se propagertrès rapidement. La vérification des sources laisse place à la rumeur, et le journalisted’investigation se trouve peu à peu sans moyens face à cette rapidité excessive. Lejournalisme d’investigation est donc devenu très minoritaire dans le champ médiatique.

Dans le cas de l’affaire Alègre, un fait nouveau et qui augure bien des difficultés pourl’avenir du journalisme s’est produit. La presse d’information générale a en effet considéréque l’affaire Alègre était l’une de ces affaires concernée par l’investigation, ce qui étaitsurement le cas. Car, qu’est-ce qu’une affaire digne d’être investiguée ? D’après nous, celle-ci contient d’abord un bon nombre de protagonistes, ce qui permet de les confronter et defaire émerger de nouvelles informations. Elle contient aussi une bonne part de mystère, des« coins sombres » dans lesquels le journaliste peut aller fouiller pour trouver la vérité. Maisl’affaire digne d’être investiguée relève aussi du scandale. Elle doit être choquante, pourque le temps et les moyens investis dans la recherche ne soient pas vains. Bref, l’affaireAlègre est une affaire qui méritait investigation.

Le Monde, Libération, Le Figaro, ont donc envoyé des journalistes à Toulouse pourqu’ils puissent enquêter et découvrir la vérité. L’affaire mêlant policiers, prostituées,proxénètes, magistrats et politiciens, il y avait surement beaucoup de « scoops » à déterrer.Mais le problème est que les journalistes ont été soumis à des contraintes qui les ontempêchés d’investiguer. Ils devaient donner des informations au plus vite, être les premiersà savoir. La télévision et internet avaient souvent la primeur des nouvelles révélations desex prostituées. De la sorte, la condition majeure de l’investigation, celle d’avoir du temps,avait disparu.

Lorsque l’on observe les articles parus durant la période mai et juin 2003, au plus fortdes accusations, l’investigation, celle qui implique du temps pour vérifier et recouper sessources, est absente. Ou plutôt, elle n’est qu’une illusion. Les « envoyés spéciaux » sontévoqués, pour donner un sentiment d’expertise. Mais sur le terrain, les contraintes étaienttrop fortes. Les journalistes de presse écrite quotidienne « de référence » ont ainsi publiédes erreurs, fait passer pour des vérités des accusations qui ne tenaient pas. Ceci n’étaitsurement pas dans leur intention. Un journaliste ne se trompe pas délibérément. Nousvoulons alors comprendre les mécanismes qui ont emmené les journalistes à travailler dela sorte.

Nous pensons que l’un des responsables de la propagation des rumeurs etd’informations erronées est le mécanisme de reprise des informations d’un média versl’autre. En juin 2003, lorsque Karl Zéro lit à l’antenne du Vrai Journal la lettre d’aveux de

88 Marchetti Dominique. Les révélations du "journalisme d'investigation". In:Actes de la recherche en sciencessociales. Vol. 131-132,mars 2000. Le journalisme et l'économie. pp. 30-40.

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Patrice Alègre, il remplace les noms des personnalités impliquées par des « Mr Machin »et des « Mr Bidule ». Mais, le lendemain, la plupart des unes de la presse de « référence »reviennent sur cette lettre, en nommant les personnes citées dans la lettre. La logiquecommerciale fait que les informations se précipitent beaucoup plus vite, et que les journauxne peuvent se permettre de rester en arrière.

Mais justement, nous devons évoquer rapidement ces contraintes que nous tenonscomme responsables de l’erreur journalistique dans le cas de l’affaire Alègre. Et, pour cela,nous allons nous tourner vers Pierre Bourdieu et son article « l’emprise du journalisme »89 . Dans celui-ci, il explique comment le champ journalistique est parvenu à imposerdes normes particulières, répondant à des logiques commerciales, aux champs culturel,artistique, littéraire ou encore scientifique. L’élément qui nous intéresse dans cet article estl’affirmation par Bourdieu que si le champ journalistique agit de la sorte, c’est qu’il est luimême soumis à des contraintes d’ordre commercial. Il relève d’abord une perte d’autonomiedes journalistes par rapport aux annonceurs, du fait d’une concentration croissante dumarché de la publicité. Dans la même idée, Bourdieu croit que le milieu de la presse est deplus en plus concentré, et il est en effet difficile de contrer cette idée-là.

Bourdieu ne s’arrête pas là. Hormis ces contraintes économiques, il met en relief desdifficultés plus difficiles à cerner. Il décrit le champ journalistique comme un vase clos.Les journalistes de la presse « de référence » fonctionnent par « reconnaissance despairs ». Il n’y a pas de mécanisme de sanction dans le cas d’une erreur journalistique. Etla déontologie n’est, pour Bourdieu, qu’un moyen pour les journalistes de se donner plusde valeur.

Enfin, Bourdieu écrit sur la concurrence qui s’exerce dans le champ journalistique. Pourlui, celle-ci est une concurrence pour la « priorité », les journalistes sont à la recherche des« nouvelles les plus nouvelles ».

Dans cet article, Pierre Bourdieu résume bien les contraintes qui, selon nous, pèsentaujourd’hui sur le champ journalistique. Celles-ci ont eu de lourdes conséquences dansl’affaire Alègre. C’est ce que nous allons voir avec l’analyse, d’une part, d’un article deLibération, et d’autre part, l’analyse d’un article du Monde.

III.1. 1 . Libération dans le douteLe premier article que nous souhaitons analyser est un article paru dans le quotidien nationalLibération, les 19 et 20 avril 2003. Son titre pose une question : « Alègre, tueur sous

protection policière ? » 90 . Il est signé par Gilbert Laval, journaliste correspondant à Toulousequi couvrira l’Affaire Baudis pour Libération. Ainsi, l’article est annoncé comme étant écritde « Toulouse », par « notre correspondant », ce qui rajoute un degré d’expertise et devéracité aux informations qui sont fournies. Il occupe une page entière du journal, ce quilaisse penser que l’affaire prend de l’importance.

L’article est placé dans les pages « Société » du journal. L’affaire concerne donc bien laFrance dans son ensemble, elle est dépaysée. Cependant, l’article évoque Toulouse dansle sous titre, qui annonce : « A Toulouse, des enquêteurs soupçonnés de négligence ».La titraille montre la prudence du journaliste, qui préfère ne pas insister sur une possible

89 Bourdieu, Pierre. L'emprise du journalisme. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars1994.L’emprise du journalisme. pp. 3-9.90 Annexe 11.

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implication de notables dans des soirées sado masochistes pour plutôt se tourner vers lesnégligences policières. Il ne faut pas oublier que l’article date de mi avril, date à laquelleaucun média n’avait ouvertement évoqué les accusations à l’encontre des notables. Cetteprudence se ressent aussi par le fait que le journaliste n’affirme rien, il ne fait que poser laquestion du lien entre Patrice Alègre et la Police toulousaine. Les intertitres ne font pas non

plus référence aux notables toulousains. Il y en a trois : « Proxénétisme » 91 , « Enquête

espagnole » 92 et « Dossier disparu » 93 . Ces trois intertitres font référence au travail dela police et à l’investigation.

Une phrase de l’article est mise en valeur, elle est placée au centre des six colonnes :Patrice Alègre a une enquête de la gendarmerie sur le dos pour les cinq autresmeurtres. Et une information a été ouverte pour viols et proxénétisme en bandeorganisée.

Le journaliste Gilbert Laval veut insister sur la gravité des faits reprochés à Patrice Alègre,faits qui seraient d’autant plus graves s’ils avaient été couverts par des policiers.

L’article comprend aussi une iconographie, placée au centre de la page, juste endessous du titre. La photographie est un gros plan sur le visage couvert par la main dePatrice Alègre. Malgré le fait que le visage ne soit pas visible, les signes distinctifs dutueur en série Alègre sont reconnaissables : une tête rasée complétée par une frange.Un homme est visible en arrière-plan. Il s’agit très certainement d’un gendarme ou d’unpolicier, puisque la légende de la photographie indique que celle-ci a été prise lors du procèsd’Alègre aux assises de février 2002. L’utilisation de cette photographie montrant le tueuren série accompagné par un représentant des forces de l’ordre n’est pas anodin : elleessaie d’illustrer la « protection policière » évoquée dans le titre. Nous l’avons dit, la légendeapporte une indication de lieu et de temps (le procès aux assises de février 2002). Elleapporte aussi une autre information : « le tueur en série, reconnu coupable de six viols etcinq meurtres, a été condamnée à la réclusion à perpétuité ». Ce rappel des actes morbidesd’Alègre le détache des tueurs ordinaires. « L’affaire Alègre » est plus qu’un simple faitdivers.

Mais intéressons nous à présent au contenu même de l’article. Le « soupçon »94 domine, notamment avec l’utilisation répétée du conditionnel. Celui-ci qualifie le plussouvent l’attitude des policiers lors de leurs investigations : « qui se seraient employés »95 , « ils pourraient avoir » 96 , « cette brigade aurait aussitôt alerté » 97 ,... Le soupçonet le reproche de l’enquête bâclée prédominent aussi dans l’énonciation des faits. L’articleest composé de plusieurs retours dans le passé. D’abord, il retourne au 3 janvier 1992, le

jour de la découverte du corps de Line Garibaldi 98 . Gilbert Laval utilise le présent pour

91 Ligne 34 Annexe 11.92 Ligne 89 Annexe 11.93 Ligne 175 Annexe 11.94 Ligne 4 Annexe 11.95 Lignes 7 et 8 Annexe 11.96 Ligne 11 Annexe 11.97 Lignes 32 et 33 Annexe 11.98 Des lignes 59 à 88 Annexe 11.

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raconter ces faits, et peut ainsi souligner de manière plus insistante les possibles erreursdes enquêteurs d’alors. Cette impression est renforcée par les trois points de suspensionde la fin du paragraphe, qui laissent planer un doute sur les conclusions de l’enquête.

Le paragraphe suivant, qui débute avec l’intertitre « Enquête espagnole », continue dedécrire les manquements des enquêteurs dans leur investigation sur le meurtre de l’Hôtelde l’Europe. L’intertitre lui même donne un sentiment d’amateurisme, et comme pour leparagraphe précédent, les points de suspension viennent achever le soupçon. Gilbert Lavalest donc sévère envers les policiers et, en utilisant le présent et les points de suspension àplusieurs reprises, il exprime son doute envers le travail des enquêteurs. Ainsi, s’il pose laquestion d’une protection policière d’Alègre dans le titre de son article, il semble déjà avoirla réponse lors qu’il en rédige le contenu.

Le dernier paragraphe évoque les circonstances de la disparition d’un dossier demanière assez ironique. Encore une fois ici, Gilbert Laval ne doute pas que ce dossier a étévolontairement perdu. Il écrit ainsi : « Elles ont ainsi malheureusement disparu des archives

du palais » 99 . L’utilisation de « malheureusement » est une preuve d’ironie du journaliste,qui n’avance plus seulement l’hypothèse que les policiers ont protégé Alègre, mais que cesont aussi des membres de la justice toulousaine qui s’en sont occupé.

La fin de l’article est très intéressante à analyser, car elle augure beaucoup pour ledéchainement médiatique à venir. Laval parle d’un mystérieux « substitut du procureur »100 qui n’aurait pas poussé son enquête sur le meurtre de Line Garibaldi. Puis le journalistefait entrer en scène les notables toulousains, au détour d’une phrase qui pourrait presquepasser pour anodine :

« Cette prostituée et deux de ses pareilles donnent d’ailleurs dans le détailquant à de supposées parties sado-maso organisées par Alègre avec différentes

autorités de la ville. » 101

Ici, on ne parle pas encore des « notables », mais seulement des « autorités ». Mais lamachine est lancée puisque quelques lignes plus loin, Gilbert Laval cite Me Georges Catala,l’avocat de la famille Garibaldi, qui fait un rapprochement avec l’affaire Dutroux et parle de« déflagration sociale ». C’est d’ailleurs l’une des seules citations de cet article.

Cet article de Libération est publié près d’un mois avant que Dominique Baudis nes’exprime publiquement. Il contient pourtant déjà le soupçon et les éléments nécessaires àdes accusations solides contre la police et des notables toulousains. Il reprend les élémentsde doute et les accusations voilées que l’on retrouve dans La Dépêche du Midi. GilbertLaval est convaincu d’une protection policière d’Alègre, et est prêt à en croire plus, si plusd’éléments lui parviennent.

III.1. 2 . Le Monde dans l’erreurNous venons de voir que, pour des raisons que nous tenterons de dégager en conclusionde ce chapitre, des journalistes se sont rapidement affolés à l’idée d’une affaire médiatiqueet politique d’une ampleur nationale. Cela a favorisé le soupçon et, après l’intervention

99 Lignes 182, 183 et 184 Annexe 11.100 Ligne 184 Annexe 11.

101 Lignes 202 à 208 Annexe 11.

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de Dominique Baudis sur TF1, les accusations parfois fantasmées se sont accrues. Nousallons à présent étudier l’article qui est le plus à même de représenter ces erreurs dues àl’affolement. L’idée n’est pas de pointer du doigt les « mauvais élèves » qui auraient malfait leur travail, mais simplement de montrer que même la presse dite « de référence » apu se leurrer dans cette affaire.

L’article que nous allons analyser est tiré du Monde, il date de l’édition du 17 juin 2003.Il est intitulé « Affaire Alègre : les enquêteurs reconstituent l’histoire de la “ maison du lac

de Noé”» 102 . Il est signé par Jean Paul Besset et Nicolas Fichot. Avant d’étudier cet article,il faut préciser un élément : Jean Paul Besset est, d’après Dominique Baudis, le journaliste

lui ayant confirmé son implication dans l’affaire Alègre au mois de mai 2003 103 . Autant diredonc que Besset ne faisait pas partie du groupe des premiers accusateurs.

L’article est composé de quatre colonnes et occupe une demi page du journal. Il contientun encadré, situé au centre du texte. Le titre de l’encadré est : « Jean Michel Baylet :“ Ridicule, M. Baudis ! ” ». L’article ne contient qu’un intertitre, à glacer le sang des lecteurs :

« “ Messe rouge” » 104 . Fait assez remarquable, il n’y a aucune illustration de cet article. Ceciest regrettable puisque le titre et l’article évoque une maison, celle du « Lac de Noé », quiaurait abrité des atrocités dans les années 1990. Ne pas avoir de photographie donne à cettemaison une dimension mystérieuse, et permet d’imaginer plus que ce que la descriptionpeut apporter. La maison du Lac de Noé est ainsi ancrée dans l’irréel.

Comme pour l’article de Libération, la mention « Toulouse - de nos correspondants » entête de l’article rajoute un sentiment de véracité aux informations qui sont données. D’unemanière générale, la titraille de cet article laisse penser à une découverte déterminantepour la suite de l’enquête, qui implique des personnalités importantes puisque l’encadrémentionne Dominique Baudis. A tout cela, se rajoute la violence d’une « messe rouge ».

Jean-Paul Besset et Nicolas Fichot relatent donc dans cet article les possibles atrocitésqui ont eu lieu dans la « maison du lac de Noé ». Pour eux, les gendarmes ont fait un pasdécisif dans leur enquête, et à aucun moment, les journalistes ne questionnent la véracitédes faits qui leur sont rapportés. Ainsi, tout un champ lexical fait croire au succès desgendarmes, à leur efficacité dans l’enquête. Ceci commence dès le titre, « les enquêteursreconstituent », ils savent donc quels sont les faits originaux. Dans l’article, beaucoup deverbes viennent souligner la réussite des gendarmes : « Les gendarmes sont parvenus »105 , « ils ont recueilli éléments et témoignages » 106 , « les gendarmes ont découvert »107 , « les gendarmes détiennent la preuve » 108 , « les gendarmes ont établi » 109 , « les

102 Annexe 12.103 Dominique Baudis relate sa conversation téléphonique avec Jean Paul Besset, correspondant du Monde à Toulouse, dans

les pages 28 et 29 du livre Face à la calomnie.104 Ligne 75 Annexe 12.105 Ligne 1 Annexe 12.106 Lignes 14 et 15 Annexe 12.107 Ligne 49 Annexe 12.108 Ligne 61 et 62 Annexe 12.109 Ligne 67 Annexe 12.

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gendarmes sont convaincus » 110 . A aucun moment, les journalistes ne citent l’un de ces

gendarmes. Ils ne font que relater leurs faits, comme s’ils avaient pu observer en directtoutes les découvertes effectuées par la gendarmerie. A aucun moment non plus n’est utiliséle conditionnel. Tout est au temps présent, ce qui rajoute de l’importance aux affirmationsdes journalistes.

A ces certitudes se rajoute un vocabulaire très violent, faisant référence aux supposées

atrocités ayant eu lieu dans cette maison : « actes de torture » 111 , « soirées suspectes » 112

, « anneaux fixés aux murs » 113 , « sévices » 114 , « à hauteur d’enfant » 115 , « sang séché »116 , « sacrifice d’animaux » 117 . Et ce vocabulaire transparait même lorsqu’il ne qualifie pas

ces atrocités : « un maillon important de la chaîne » 118 . L’utilisation d’une telle terminologierenvoie aux images d’un film d’horreur, ou aux plus sombres heures de l’Histoire. Bessetet Fichot ne remettent pas en question ces informations, les gendarmes sont présentéscomme des chercheurs de vérité qui trouvent tous les éléments dont ils ont besoin danscette « maison du lac de Noé ».

En ce qui concerne le discours rapporté et les citations, la tendance est la même quepour l’article de Libération. L’article ne compte pas de vraies citations, seulement quelquesmots mis entre guillemets. Besset et Fichot ne citent pas leurs sources, ils ne disent pasqui les a informés de ces découvertes horrifiantes. A la fin de l’article, ils évoquent des« habitants » de Noé, des « employés » d’un hôtel, sans établir d’identité précise. Il en estde même pour les gendarmes. Ceux-ci sont vus comme un groupe homogène, aucun nomn’est indiqué. Il n’est pas indiqué quelle brigade de gendarmerie a fait ses recherches, ni quiest leur dirigeant. Puis, comme dans La Dépêche du Midi, les deux ex prostituées « Fanny »et « Patricia » sont présentées comme des protagonistes centraux de l’affaire, alors queleur vraie identité n’est pas connue.

La seule personne à voir son identité déclinée dans cet article est Henri Masse, l’ancienpropriétaire de la maison du lac de Noé. Besset et Fichot voient en lui un suspect de premierplan. Ils expliquent qu’il a cédé sa maison à un parent, dont le lecteur ne connaitra pas

l’identité 119 . C’est alors qu’intervient la désignation de suspect : ce parent était « connu des

services de police » et « vivait avec une ancienne prostituée » 120 . La suspicion s’accroîtlorsque les journalistes nous apprennent à la fin de l’article que « Henri Masse est décédé

110 Lignes 85 et 86 Annexe 12.111 Lignes 9 et 10 Annexe 12.112 Ligne 18 Annexe 12.113 Lignes 42 et 43 Annexe 12.114 Ligne 43 Annexe 12.115 Ligne 54 Annexe 12.116 Lignes 84 et 85 Annexe 12.117 Lignes 88 et 89 Annexe 12.118 Lignes 2 et 3 Annexe 12.119 Lignes 28 à 35 Annexe 12.120 Lignes 33 et 34 Annexe 12.

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récemment au mois de mai d’un traumatisme cérébral (...) Son crâne portait une plaie au

côté droit » 121 . Cet homme a donc sans doute été assassiné.L’article comporte aussi un encadré. Il fait état de la colère de Jean-Michel Baylet à

l’égard de Dominique Baudis, qu’il a exprimée dans un éditorial de la Dépêche du Midi.L’encadré sert surtout à retranscrire une partie de l’éditorial. Dans un petit paragraphe,le lecteur apprend qu’un comité de soutien pour Dominique Baudis a été créé. L’élémentintéressant de cet encadré est le choix des verbes suivant les citations. Tandis que M. Baylet« écrit », le président du comité de soutien à Dominique Baudis, Claude Llabrès, « menace ».Le premier verbe, « écrire », renvoie à une situation calme et réfléchie. La menace tient plusde la spontanéité et de la violence.

A la lecture de cet article, il n’y a plus de doute possible sur l’implication de « puissants »dans les soirées sado masochistes organisées par Patrice Alègre. La « maison du lac deNoé » est érigée en édifice symbole de la violence des tortionnaires. Décrite dans l’article

comme une « grosse bâtisse isolée » 122 , la maison n’a pas besoin d’être représentée enphotographie car les descriptions faites dans l’article sont suffisamment imagées.

Nous ne pouvons par ailleurs passer à côté d’une autre remarque. Dans notre deuxièmechapitre, nous avons évoqué les rapports de domination qui transparaissaient dans lesarticles de la « presse de référence ». Ici, on retrouve aussi cette toute puissance attribuéeaux notables, cette toute puissance ayant peut-être rajouté du crédit aux « découvertes »des gendarmes.

Cet article a eu de grands retentissements dans la suite des événements. Il présentaitd’abord un tournant, celui de la découverte des premières preuves matérielles de tortures etactes de barbarie. Seulement, le jour suivant la publication de l’article, le procureur chargéde l’affaire Michel Bréard a démenti par dépêche AFP toutes ces informations. Il a prétendudans cette dépêche ne rien savoir de ces constatations. La maison du Lac de Noé n’étaitfinalement qu’un leurre.

En quelques lignes, Michel Bréard démontait un article paru dans Le Monde, journalde référence s’il en est un. Ce petit choc médiatique qui a frappé ce journal a eu desrépercussions visibles dans les mois qui ont suivi, et celles-ci se sont traduites en particulierpar le retour de la « contre-enquête ».

III.2. La contre-enquête, un moyen de rétablir la vérité.Nous venons d’analyser un article du Monde qui accable le quotidien lorsque l’on sait queson contenu était faux. Pourtant, la presse de « référence » n’est pas désignée comme tellesans raison. En effet, Le Monde a aussi su apprendre de ses erreurs. Le jeudi 23 octobre2003, quelques mois après la publication de l’article sur la maison du lac de Noé, et suite aublanchissement de Dominique Baudis, Le Monde publie un dossier de trois pages intitulé

« Contre-enquête sur l’affaire Alègre » 123 .

121 Lignes 126 à 130 Annexe 12.122 Lignes 22 et 23 Annexe 12.

123 Annexe 13.

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III.1. 1 . Mise en forme et en mots de la contre enquête.Le dossier fait la une du quotidien. Sur cette une se trouve un texte de deux colonnes quifait office d’introduction au dossier. Au dessus de la seconde colonne et en dessous dutitre se trouve un dessin de Plantu. Sur la droite de la page, le lecteur peut trouver unesorte de « menu » fléché, qui renvoie à six aspects différents de l’affaire. Il se détache dureste de la page grâce à une police plus forte. Ce menu semble vouloir couvrir la totalité del’affaire Alègre : il évoque tour à tour « l’instruction », la « manipulation », des « méthodesd’investigation du gendarme Roussel », « les récriminations de Dominique Baudis », « despoliciers », de la « colère ». Ce menu illustre la gravité de l’affaire et exprime le besoinressenti par la rédaction du Monde d’examiner les éléments de l’affaire en profondeur.

Ce besoin se retrouve dans le titre. La phrase est averbale, directe, comme si cette« contre-enquête » apportait des réponses exactes et ultimes à l’affaire. Le fait que le titrefasse la une du quotidien confirme cette volonté du Monde d’en faire une affaire de premierplan, qui ne peut plus souffrir d’approximations.

Dans ce contexte, le dessin de Plantu vient apporter à la fois de la légèreté etun autre regard sur l’affaire. La légèreté est attachée à la propriété même du dessin :une photographie aurait eu un effet plus grave sur la une du journal. Cependant, ledessin apporte aussi un recul sur l’affaire que la photographie n’aurait pas procuré. Plantureprésente une main venue du ciel qui tient un jeu de marionnettes qui forme le nom de laville de Toulouse, les marionnettes représentant des politiciens, magistrats, des journalisteset des prostituées. Elément intéressant, la souris de Plantu censée représenter « l’opinion »,le citoyen ordinaire, est une marionnette tenue par...sa télévision. Ce dessin donne un angleironique à l’affaire : tous les acteurs de celle-ci n’étaient finalement que les marionnettesles uns des autres.

Dans le texte d’introduction, Le Monde veut de nouveau mettre en valeur la qualité del’enquête que la rédaction a menée. Ceci se voit d’abord grâce à plusieurs verbes indiquantune découverte de la vérité : « Pour comprendre, Le Monde a mené une contre enquête »124 , « L’enquête du Monde révèle » 125 , « elle met en évidence » 126 . Cette volonté dequalité se retrouve aussi par le recours au collectif : le « nous » désignant les membres dela rédaction du Monde est cité à plusieurs reprises. Enfin, Le Monde se pose des questions,notamment dans le premier paragraphe.

Ainsi, le quotidien est dans une vraie démarche d’investigation. Il se pose d’abord desquestions, puis indique comment il a voulu répondre à ces questions. Il cite ses sources, cequi n’était pas le cas dans l’article sur la maison du lac de Noé. De même, des personnalitéssont abondamment citées avec du discours direct. Le Monde ne prend pas la responsabilitéde leur dire.

Nous allons à présent nous intéresser au contenu même du dossier. Celui-ci estcomposé de cinq articles. Le premier article s’étend en trois colonnes sans illustration surune page entière, il est intitulé « Affaire Alègre : le temps des règlements de comptes ».Le second article est plus court, il détaille de manière synthétique qui sont « les principauxpersonnages de l’affaire ». Le troisième article est une interview, celle de Marc Bourragué,ancien substitut du procureur de Toulouse, mis en cause dans l’Affaire Alègre. Le quatrièmearticle concerne l’ex procureur général Jean Volff, lui aussi mis en cause dans l’affaire

124 Lignes 19 et 20 Annexe 13.125 Ligne 45 Annexe 13.126 Lignes 48 et 49 Annexe 13.

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Alègre. Si l’article ne prend pas la forme d’une interview, il est néanmoins composé debeaucoup de citations directes du procureur. Enfin, le dernier article, plus petit puisqu’ilne s’étend que sur deux colonnes d’une demi page, concerne les accusations encored’actualité contre des policiers « accusés d’avoir touché des enveloppes ».

Avant de passer à l’analyse approfondie de deux de ces articles, nous allons traiter laglobalité de ce dossier du Monde. Comme pour la une, le dossier est monté de manière àmontrer le sérieux de l’investigation qu’a mené le journal. On remarque que tous les articlessont rédigés par Gérard Davet. Le « nous » collectif n’est donc utilisé qu’en soutien dela fiabilité des informations qu’apporte un journaliste. A remarquer aussi, la place laisséeaux « notables » dans ce dossier : elle est beaucoup plus conséquente que celle accordéeaux accusations. L’accusation de corruption de policiers ne constitue qu’une petite part dudossier, comme si Le Monde voulait à présent prendre plus de recul avant de décrire desaccusations.

Nous avons choisi d’analyser deux articles appartenant à ce dossier. Nous les avonschoisis en regard des articles étudiés précédemment, afin de permettre une comparaisonplus aisée.

III.2. 2. Un retour sur l’affaire avec plus d’objectivité.Le premier article que nous allons analyser est l’article intitulé « Affaire Alègre : le temps desrèglements de compte ». Il est donc, comme tous les autres, signé par Gérard Davet. Lapremière chose à remarquer est que « l’expertise » représentée par la mention « Toulouse »en début d’article n’est plus. Ici, point d’envoyé spécial, de correspondant ou de situationgéographique. L’expertise se trouve maintenant ailleurs ; elle se trouve dans les capacitésd’investigation et de recul de son journaliste.

L’article est long mais ne comprend qu’un sous titre : « néant procédural ». Il comprendun encadré, situé en bas à gauche de la page. Il est intitulé « le “ sentiment d’abandon ”de Patrice Alègre » ».

Mais revenons sur le titre de l’article. Celui-ci évoque le règlement de compte. Cettenotion renvoie à un combat viril et sans pitié. Le règlement de compte survient généralementdans les westerns. Mais ce titre montre aussi qu’une page s’est tournée, puisqu’on nousparle du « temps ». Quelle est donc cette page qui a disparu ? Celle de l’erreur surement,puisque maintenant viennent les « règlements de compte », lesquels ne pourraient passurvenir s’il n’y avait pas eu erreur auparavant. Concernant le titre, il faut aussi noter que,même si l’article est situé dans un dossier sur l’affaire Alègre, le journaliste Gérard Davet aencore ressenti le besoin de situer des règlements de comptes dans « l’affaire Alègre ». Onretrouve par cet élément le besoin de précision exprimé tout au long de ce dossier.

L’article commence de la même manière que l’introduction de « une ». Le journalisteénumère les grandes caractéristiques de l’affaire pour ensuite poser la question de lamanipulation. Cette énumération donne une impression de désordre à l’affaire, et renvoie

aussi au champ lexical de l’obstacle : « embuches » 127 , « chausses – trapes » 128 . Cesallusions supposent que le lecteur sache déjà ce qu’est l’affaire Alègre. La question que poseGérard Davet est une question qui se veut assoiffée de vérité. Ceci se comprend surtout

127 Ligne 2 Annexe 13.128 Ligne 3 Annexe 13.

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avec l’utilisation du « Et si oui, pourquoi ? » 129 à la fin de celle-ci. Demander « pourquoi »revient à chercher des raisons et en posant une question de la sorte, le journaliste se meten position d’ignorant : il est en dehors de l’affaire, et comme le lecteur, il veut connaître lesraisons de ce « fiasco judiciaire ».

Nous observons alors que le contenu de l’article montre que Gérard Davet a voulufaire preuve d’une très grande objectivité. Il ne veut pas donner son sentiment sur l’affaire,il préfère donner celui des autres. C’est ainsi qu’il met en scène les personnalités : « M.

Bourragué, lui, voit » 130 , « l’ex substitut toulousain ne croit pas » 131 , « son conseil, Me

Laurent de Caunes, résume son sentiment » 132 , « Thierry Perriquet aimerait » 133 . Cesont les personnes qui interviennent dans l’article qui pensent et réfléchissent, le journalistene veut que relater ce qu’ils disent. Dans le même ordre d’idée, Davet a recours plusd’une dizaine de fois à la citation directe. En d’autres mots, le journaliste ne veut pas faired’hypothèses sur l’affaire Alègre, ce sont les protagonistes de l’affaire qui en font. C’estavec cet objectif que le journaliste finit son article par une citation de Jean Volff. Cettecaractéristique distingue largement cet article de tous ceux que nous avons pu étudierjusqu’alors. Davet ne fait preuve d’empathie ni pour les accusés, ni pour les « victimes », ilveut simplement dire les faits et se poser en dehors des conflits.

Dans ce souci d’information non biaisée, Davet veut aussi rappeler les faits. Il lefait dans le second paragraphe de l’article, de manière synthétique, et passe sur tousles rebondissements politiques et médiatiques qui ont donné une ampleur exceptionnelleà l’affaire. On remarquera d’ailleurs qu’à aucun moment dans cet article ne serontmentionnées les erreurs de certains médias. A la décharge de Gérard Davet, il faut dire qu’iln’en est aucunement responsable.

Un autre élément important à remarquer dans la lecture de cet article est le portrait desex prostituées. Celles-ci, en mai et juin dernier, étaient vues comme des victimes faiblesmais courageuses, face à des notables tortionnaires et trop puissants. Dans cet article,la donne change. La première caractéristique qu’apporte le journaliste au sujet des exprostituées est leur mythomanie. Ainsi, il évoque les « accusations imprécises, souvent

fausses, de « Fanny » » 134 , les « déclarations mensongères » 135 , le « faux témoignage »136 de Fanny. Des lignes 98 à 119, il met en exergue les contradictions des deux jeunesfemmes, et leurs errements face à la vérité. Toujours dans le même ton, il conclut : « difficile,

pour le magistrat, de démêler le vrai du faux » 137 .

129 Lignes 9 et 10 Annexe 13.130 Ligne 72 Annexe 13.131 Lignes 77 et 78 Annexe 13.132 Lignes 83 et 84 Annexe 13.133 Ligne 94 Annexe 13.134 Lignes 36 et 37 Annexe 13.135 Ligne 67 Annexe 13.136 Ligne 90 Annexe 13.137 Lignes 120 et 121 Annexe 13.

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Chapitre III : La nécessité de faire vite, obstacle à l’investigation

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Il faut enfin noter un élément intéressant dans cet article. Dans le dernier paragraphe,

Gérard Davet évoque un « procès verbal d’analyse et de constatations » 138 , rédigépar un adjudant de gendarmerie. Celui-ci émettait des doutes sur les accusations des exprostituées. Le procès verbal date du 14 mai, alors comment se fait-il que l’information nesoit publiée qu’en octobre, soit six mois après le début du scandale ? Le journaliste n’avaitpeut-être pas eu l’information avant. Ou peut-être n’avait-elle pas été jugée utilisable en mai.

L’article se termine comme il a commencé : par une énumération. Cette fois-ci, Davetne parle pas de l’affaire passée mais de ce qui reste encore de mystérieux dans le présent.

Passons maintenant à l’analyse de l’encadré intitulé « le “ sentiment d’abandon” dePatrice Alègre ». Le titre est déjà intéressant, car le journaliste parle ici du sentiment d’untueur en série, dont les actes ont fait les gros titres de la presse. Lui prêter un sentiment, et enplus un sentiment d’abandon, semble donc en décalage avec la personne de Patrice Alègre,et nous pourrions presque penser à de l’ironie exprimée par le journaliste. Le contenu del’encadré donne à lire une partie d’une lettre adressée par Alègre au procureur général deToulouse. Le texte accompagnant la citation de sa lettre est très factuel et ne reflète pasl’ironie qu’exprimait le journaliste dans son titre.

Pour conclure sur cet article, nous pourrions souligner encore une fois le soucid’objectivité du journaliste Gérard Davet. L’article ne met plus en exergue les atrocités dontsont accusées les personnalités toulousaines, mais plutôt les manquements de l’affaire,sans que le journaliste ne vienne donner son avis sur la question. Il veut faire « parler lesfaits » et l’on sent que sur cette affaire, le journaliste a le sentiment de ne plus avoir droità l’erreur. Lui-même n’est pas responsable des erreurs de ses collègues, mais on discerneici le sentiment de corporation journalistique : si un journaliste se trompe, c’est toute laprofession qui est montrée du doigt.

Nous avons donc vu que par ce dossier qui se veut « contre – enquête », Le Mondecherche à rétablir une déontologie journalistique quelque peu oubliée au cours de l’affaireAlègre. Mais une autre volonté s’exprime au travers de ce dossier : faire parler les « notablestoulousains », anciens accusés devenus nouvelles victimes.

C’est pour analyser cette parole accordée aux notables que nous allons travailler surl’article intitulé « “ Toutes les règles judiciaires ont été bafouées ”, déplore l’ex procureurgénéral Jean Volff ». Il est de nouveau signé Gérard Davet. L’article est long de deuxcolonnes et demies, ce qui représente environ une moitié de page du Monde. Une placeassez conséquente est donc accordée à Jean Volff.

A remarquer, comme pour l’article que nous venons d’analyser, que l’illustration estpresque absente. Il subsiste seulement une petite photographie de gros plan sur le visage deJean Volff, avec l’une des citations de l’article mise en valeur à côté. Ce manque d’illustrations’explique possiblement par le fait que le journaliste ait souhaité accorder plus de place auxmots, afin de permettre à Volff de se justifier. Il est aussi très certainement du à un simplemanque de place dans le journal.

Le titre de l’article est donc une citation. D’entrée, le journaliste montre qu’il veut laisserde la place à la parole de l’ex procureur. Toute la titraille est basée sur cette parole, puisque leseul sous titre est «“ allumer un contre feu” », également une citation de Volff. Contrairementà l’article précédemment étudié, nous retrouvons ici un sous titre. Celui-ci est anaphorique,il renvoie aux événements passés qui ont touchés le magistrat. Il lui donne aussi un statutde victime : « Accusé de viol puis innocenté par “ Fanny ”, le magistrat a dû quitter son

138 Ligne 150 Annexe 13.

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poste ». L’utilisation du verbe « devoir » fait ressortir la contrainte. Celle-ci paraît d’autantplus injuste qu’il nous est indiqué juste avant que Jean Volff « innocenté ».

C’est la même victime de la calomnie qui nous est présentée dans le premierparagraphe de l’article. D’abord, avec une indication de lieu : « cette soupente du palais de

justice de Paris, baptisée salle Tronchet, par où transite le courrier » 139 . La fin du paragraphenous rappelle l’injustice déjà décrite dans le sous titre, dans une phrase pratiquementsimilaire.

Gérard Davet se veut proche de Jean Volff. Cela se remarque grâce à deux procédés.D’abord, il parle des sentiments du magistrat. Il commence ainsi son article par « il rêvait ».

Il écrit sur son « amertume » 140 . Il le désigne comme « guère étonné » 141 du départdu gendarme Roussel. Dans le dernier paragraphe de l’article, le journaliste parle de la

« certitude » 142 de Volff, de son « envie » 143 . L’ex procureur est donc décrit avecdes sentiments, mais il est aussi décrit, et ce sera notre second procédé, comme unhomme d’action. Un riche vocabulaire de verbes d’actions représente l’homme comme une

personne d’initiative : «prévient » 144 , « il téléphone » 145 , « assure » 146 , « suit de très

près » 147 , « il refuse » 148 .Comme dans l’article précédent, Gérard Davet pose des questions. Ici, à deux reprises :

« comment gérer une telle affaire quand son propre nom est cité dans le dossier ? » 149

et « que subsistera-t-il, d’après lui, de cette affaire incroyable ? » 150 . Encore une fois,le journaliste veut se montrer volontairement ignorant. Il ne veut pas donner son opinionet attend que Jean Volff donne la sienne. C’est aussi pour cela que l’on retrouve autantde citations directes du magistrat. Nous pouvons en effet en compter dix, toutes émanantde la même personne. Le journaliste ne fait que rajouter des éléments de contexte à ceque dit le magistrat, afin de donner plus de rythme à son article. Il utilise aussi des verbes

citant qui laisse penser que Volff est un homme qui réfléchit : « a-t-il expliqué » 151 , « se

souvient » 152 , « se rappelle-t-il » 153 . A partir du seul interligne de l’article, les verbes139 Lignes 2, 3 et 4 Annexe 13.140 Ligne 14 Annexe 13.141 Ligne 101 Annexe 13.142 Ligne 124 Annexe 13.143 Ligne 137 Annexe 13.144 Ligne 67 Annexe 13.145 Ligne 69 Annexe 13.146 Ligne 74 Annexe 13.147 Ligne 99 Annexe 13.148 Lignes 140 et 141 Annexe 13.149 Lignes 36, 37 et 38 Annexe 13.150 Ligne 111 et 112 Annexe 13.151 Ligne 17 Annexe 13.152 Lignes 31 et 32 Annexe 13.

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citant disparaissent. Le discours de Volff est directement intégré à l’article, il fait partie de lanarration des événements que le journaliste décrit.

Enfin, nous ne pouvons terminer d’analyser cet article sans remarquer qu’il y estquestion des médias. Dans le troisième paragraphe, Gérard Davet relate les propos de Volff :

Un délicat numéro d’équilibriste, accentué, selon Jean Volff, par la pressionmédiatique. « La Dépêche du Midi avait des comptes à régler avec la justice, dit-il.

Son attitude a été scandaleuse. » 154

Le paragraphe est surprenant. Le rôle de La Dépêche du Midi avait en effet été peu évoquédurant l’affaire Alègre. Ici, les mots sortent de la bouche de Jean Volff, mais Gérard Davetleur laisse toute la place. Il le laisse accuser la presse et rendre un journal responsable destourments judiciaires d’un homme. Dans le sixième paragraphe, Davet cite nouveau Volff

en train de critiquer la « déontologie » 155 de certains journaux. Cette fois-ci, aucun nom dejournal n’est donné. Ces quelques situations pourraient-elles faire office de mea culpa pourLe Monde ? Gérard Davet sait que l’une des plus grosses erreurs médiatiques survenuedurant l’affaire Alègre est l’article sur la maison du lac de Noé, publié dans Le Monde.Citer une personnalité qui en veut aux médias n’est surement pas une reconnaissancede responsabilité absolue, mais elle augure une autocritique qui percera notamment dansplusieurs éditoriaux.

En conclusion de l’analyse de cet article, nous pourrions dire que Gérard Davet a vouluaccorder une grande place à Jean Volff. Il semblerait presque que celui-ci n’en ayant pas eusuffisamment auparavant, le journal veut réparer son erreur. La transformation de l’accusé,coupable d’avance, en victime d’un système qui n’a pas voulu l’écouter est perceptible danscet article. Il faut remarquer par exemple que le journaliste n’utilise plus le conditionnel pourqualifier les actes relatés par Jean Volff. Tout est au présent ou au passé composé, commes’il n’y avait aucun doute possible sur la véracité de ce qui est rapporté.

Conclusion du chapitre : l’objectivité et l’investigation au secours del’erreur

Les journalistes ne sont pas des personnages assoiffés de sang. D’une manière générale,ils ne poussent pas à leur perte des personnalités sans qu’ils aient des preuves à présenter.Lorsque Jean Pierre Besset et Nicolas Fichot écrivent leur article sur la maison du Lac deNoé, ou lorsque Gilbert Laval insinue que des « autorités » auraient participé à des soiréessado masochistes, ils sont convaincus de dire la vérité et de détenir là un scoop retentissant.

Dans l’affaire Alègre, le problème majeur qui se soit posé est celui de la vérificationdes sources. Ceci se retrouve dans les articles que nous avons analysés. Les journalistesprésentent leurs dires comme des faits, et non comme des suppositions, alors que le travailde recoupement n’a pas été fait. Ainsi, pourquoi les journalistes du Monde n’ont-ils pascontacté Michel Bréard, procureur chargé de l’affaire, afin de valider les faits relatés pardes gendarmes ? C’est ici que notre hypothèse émerge. Les journalistes de la presse « deréférence » sont aussi soumis aux impératifs économiques, tout comme la presse dite« sensationnelle ». Ils doivent recueillir de nouvelles informations et ce, avant tout le monde.

153 Lignes 62 et 63 Annexe 13.154 Lignes 41 à 44 Annexe 13.155 Ligne 105 Annexe 13.

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La description de la maison du Lac de Noé a donc pu paraître incontournable pour Bessetet Fichot, même s’ils n’avaient pas recoupé toutes leurs sources. Lorsque l’on connaît latournure qu’a pris l’affaire, le manque d’illustration de cet article est alors flagrant : lesjournalistes ont parlé d’une maison qu’ils n’ont même pas photographiée.

Nous avions également avancé le mécanique de reprise de l’information d’un journalà l’autre pour expliquer les erreurs ainsi que leur propagation. Après avoir analysé cesarticles, il semble que ce mécanisme ne soit pas le responsable des errements médiatiquesde l’affaire Alègre. Chaque journal avait ses propres envoyés spéciaux à Toulouse,qui recueillaient leurs propres informations, ce qui fut le cas avec Besset et Fichot ouavec Gilbert Laval. Il y avait une course à l’exclusivité, les journalistes devaient obtenirl’information fatidique avant tous les autres. D’où la précipitation, ensuite complétée par lapropagation rapide de l’information dans le cercle médiatique, permise par les nouvellestechnologies.

Mais, afin de disculper des journalistes que nous traitons durement depuis le début dece travail, il faut également s’intéresser à un élément de contexte : nous parlons en 2010, etdepuis 2003, les multiples investigations ont montré que les notables toulousains n’étaientpas impliqués dans l’affaire Alègre. En mai 2003, ce n’était pas le cas. Les journalistes et unebonne partie de l’opinion étaient convaincus de la culpabilité des notables, la découverte depreuves matérielles n’étant qu’une question de temps. L’intervention de Dominique Baudissur TF1 avait été perçue comme l’acte désespéré d’un homme pris au piège. Pour autant,les journalistes ne sont pas l’opinion. Un conscience raisonnée de leur travail aurait peut-être du les pousser à se poser plus de questions.

Mais il faut saluer la capacité de la presse de référence à restaurer sa légitimité demanière rapide. Ceci s’est fait grâce à la « contre-enquête », dont le dossier du Mondeest un exemple intéressant. Les événements s’enchainant moins rapidement, le besoin descoop étant moins pressant, un journaliste a pu revenir sur six mois d’enquête. Il a dégagédes questions de fond et a montré que l’investigation était bien le procédé correspondantà la couverture de l’affaire Alègre. Dans la même idée, Libération a eu le courage de sedemander, en une, si les médias étaient coupables des errements de l’affaire Alègre.

C’est là toute la différence entre la leçon tirée par Le Monde ou Libération et celle tiréepar La Dépêche du Midi. Même après que l’innocence de Dominique Baudis ait été prouvée,le quotidien régional a continué à s’acharner, et à parler de « zones d’ombre » là où plus rienne subsistait. Il faut aussi remarquer que les journalistes de la presse « de référence » sesont trompés « de bonne foi » : ils pensaient avoir toutes les informations nécessaires. Lesjournalistes de La Dépêche du Midi possédaient beaucoup d’informations, dont certainesdisculpant Dominique Baudis, mais celles-ci n’ont pas été publiées. Ce sont là deux erreursde nature différente.

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Conclusion générale

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Conclusion générale

Tout au long de ce travail, nous nous sommes donc intéressés aux ressorts médiatiquesde l’affaire Alègre. Celle-ci a constitué un objet de recherche et d’analyse très riche du faitnotamment de sa résonnance médiatique.

Retour sur l’hypothèse de départNous croyons que l’argumentation développée répond à notre problématique de départ. LaDépêche du Midi, par une dramatisation et un soutien sans faille apporté aux accusationsdes ex prostituées, a déclenché une tornade médiatique qui est remontée jusqu’à la presse« de référence ». C’est La Dépêche du Midi qui a donné à l’affaire Alègre sa dimensiond’affaire scandaleuse, une dimension qui a eu un écho encore plus fort lorsque DominiqueBaudis est intervenu au 20 heures de TF1.

Nous ne pouvons finalement être étonnés de la tournure qu’a prise l’affaire. Celle-ci,malgré les exagérations de La Dépêche du Midi, contenait tous les éléments nécessairesà faire d’elle un « scandale ». Ainsi, la chose intéressante à relever ici est que le scandalen’a, dans ce cas, pas nécessité que les faits soient avérés. Il suffisait de les imaginer et d’endonner une description suffisamment crédible.

Le caractère scandaleux de l’affaire a alors eu des conséquences sur le travail desjournalistes. Ils ont perdu l’objectivité dont ils avaient besoin pour couvrir au mieux cetteaffaire. Nous avons vu que beaucoup se sont rangés au côté des accusatrices. Cependant,nous apporterons ici un élément de nuance : tous n’ont pas adopté ce comportement.Des éditoriaux et des tribunes écrites par des journalistes sont venus soutenir DominiqueBaudis et les autres accusés de l’affaire Alègre. Cependant, nous ne nous sommes pasarrêtés sur ces éditoriaux car ils étaient souvent écrits par des personnages médiatiques(Alain Duhamel en tête), et le but de ce travail était d’analyser le travail de journalistes« communs ». De plus, ils étaient des éditoriaux, et nous aurions alors du sortir de notregrille d’analyse : nous ne devions plus analyser un discours informatif mais un discoursargumentatif.

Cependant, l’affaire Alègre, du fait surement de cette dimension scandaleuse, a eu uneautre implication sur le travail des journalistes. Ils ne se sont pas seulement laissés aller à unmanque d’objectivité dans le portrait des protagonistes. Ils ont aussi manqué de méthode.L’affaire Alègre nécessitait une investigation poussée qui, à cause de contraintes lourdespesant sur les journalistes, n’a pas eu lieu. Ces derniers ont alors voulu faire « comme si »l’investigation était bien présente, et l’article sur la « maison du lac de Noé » est une bonneillustration de ce faux semblant.

Dans ce travail, nous avons voulu à la fois dresser le portrait médiatique desprotagonistes de l’affaire, mais nous avons aussi voulu aller plus loin, en utilisant cesportraits pour comprendre les erreurs qui ont traversé l’affaire. A ce propos, nous devonspréciser quelques éléments. Nous avons en effet été convaincus qu’il y a eu erreur, et que

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les ex prostituées ont accusé plusieurs personnes à tort. Certains livres, tel que « La vérité

assassinée » de Gilles Souillès, sorti en 2007, affirment le contraire 156 . Mais, au vu dudéroulement des événements, des articles que nous avons pu lire, et des décisions dejustice qui ont suivi l’affaire, nous avons décidé de croire en l’innocence des « notablestoulousains ». Il fallait préciser cela, car cette conviction a anglé toute notre argumentation :nous avons voulu comprendre pourquoi les journalistes se sont-ils trompés.

Soyons subjectifs : les journalistes ne sont pas siméchants

Malgré toutes les critiques que nous adressons aux journalistes dans ce travail, nous avonstendance à vouloir relativiser leurs erreurs. Car d’abord, parler « des journalistes » sembleêtre un raccourci un peu rapide : il y a autant de type de journalisme que de journalistes,car le travail implique une subjectivité inhérente à chacun. Tous les journalistes n’ont paseu à couvrir l’affaire Alègre, et certains ne l’auraient peut-être pas fait de la même manière.

C’est, par exemple, ce qui se murmure dans les couloirs de La Dépêche du Midi 157 .

Il faut aussi remarquer qu’à la suite de l’affaire Alègre, la presse « de référence » s’estremise en question. Des éditorialistes ont exprimé leurs remords, et les journaux ont sudécrire les dysfonctionnements qui les ont affectés. Ils ont voulu réparer leurs erreurs etont accordé une couverture assez conséquente aux procès pour diffamation intentés parles anciens accusés.

Et puis, ce mémoire n’a pas été écrit innocemment. Afin de s’expliquer, il faut que jepasse à la première personne. Je souhaite devenir journaliste, et je sais que les erreursfaites par les journalistes durant l’affaire Allègre, je les aurais peut-être faites. L’idée n’estpas de donner de leçons, elle est de comprendre comment les ressorts du milieu médiatiquecontemporain emmènent les journalistes à mal travailler. Je dois avouer que la réalisationde ce mémoire me laisse pessimiste quant aux perspectives d’avenir de la profession. Maisje vais repasser au « nous » formel pour m’expliquer.

Affaire Alègre, Affaire oubliée ?Pierre Bourdieu, dans son article « l’emprise du journalisme » que nous avons évoquéprécédemment, insiste sur une notion importante. C’est la notion « d’amnésie permanente ».Il explique que la concurrence entre journalistes est telle que de nouvelles informations sontcréées en permanence. Cela oblige le lecteur à vivre « au jour le jour » l’actualité, d’où lacrainte d’une perte de recul sur cette actualité.

Nous craignons ainsi que l’affaire Alègre soit victime de cette « amnésie permanente ».Car, aussi retentissantes soient-elles, ce type d’« affaires » s’oublie. Les « affaires » sevivent dans l’instant, elles font beaucoup de bruit pendant plusieurs mois puis disparaissent

156 Affaire Alègre, la vérité assassinée, Souillès Gilles, Hugo et compagnie, 2007, 276 p.157 Ceci peut s’affirmer suite à une expérience personnelle : un stage dans la rédaction toulousaine du quotidien régional.

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face à un flot nouveau d’actualité. Les erreurs et les leçons disparaissent aussi. En 2006a éclaté l’affaire d’Outreau, qui ressemble étrangement à l’affaire Alègre. Les « notables »ne sont pas impliqués, mais des gens « ordinaires » sont accusés d’actes de pédophilieignobles. Les journaux, encore une fois, vont croire ces accusations sans trop poser dequestions, avant de se rendre compte de leurs erreurs.

Mais ce n’est pas tout. Début juin, « l’affaire Woerth » a éclaté. Il était intéressant,en réalisant ce travail, d’écouter d’une autre oreille les médias parler de l’affaire Woerth.Bien sur, sa configuration est bien différente de celle de l’affaire Alègre. C’est un scandalefinancier et non sexuel, il n’a donc pas les mêmes implications. Il a démarré sur internet,par l’intermédiaire du site Mediapart, et non pas dans un journal de presse régionale. Il n’adonc pas de lien avec un « terroir », avec un climat politique particulier. Les informationsde Mediapart semblent par ailleurs être vérifiées, puisqu’il existe des preuves matérielles.Enfin, les conflits d’intérêts du couple Woerth sont avérés.

Pourtant, nous retrouvons ici la même tendance à vouloir « aller vite » des journalistes.Tous les journaux rebondissent sur l’enquête fouillée de Mediapart, et veulent « faire pareil ».Ils sont à la recherche du prochain scoop, au risque de se décrédibiliser en donnantdes informations non vérifiées. Car, tout comme l’affaire Alègre, l’affaire Woerth nécessiteun travail d’enquête, une vérification minutieuse des faits et des sources. Mediapart n’apas enquêté deux semaines avant de lancer l’information. Les journalistes du site ontpatiemment constitué un dossier, qu’ils ont pu dévoiler lorsqu’ils avaient suffisammentd’information.

A l’heure de l’écriture de ce travail, nous ne savons pas quel tournant va prendre l’affaireWoerth. Beaucoup poussent le ministre du travail à la démission. Mais nous pouvons déjàprévoir quelles sont les critiques qui vont émerger à l’égard des médias et ce, quelle que soitl’issue de l’affaire. Les journalistes vont être décrits comme subjectifs, biaisés, trop prochesou trop éloignés des milieux politiques. En d’autres mots, ils auront, dans tous les cas, malfait leur travail.

Ainsi, l’affaire Woerth, au même titre que l’affaire Alègre, pourrait bien, un jour, fairel’objet d’un autre mémoire.

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Dakhlia J., La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias etpeopolisation en France dans les années 2000, Le Temps des Médias 2008/1, N° 10,p. 66-81.

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Bibliographie

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Lavergne, Nicolas. Le faits divers : l’événement froid d’une puissance politique àcontenir. In : Medias et Culture, novembre 2008, n° spécial, p 139-153.

Constant, Jérome. La mise en page des quotidiens français au prisme du faits divers.In : Medias et Culture, novembre 2008, n° spécial, p 123-139.

Articles de presse Nous citons ici les articles qui ont fait, d’une part, l’objet d’une analyse, mais nous citionségalement des articles ayant apporté des informations supplémentaires sur le cadre généralde l’affaire Alègre.

Articles ayant fait l’objet d’une analyse

Souillès Gilles, « Affaire Alègre, Affaire d’Etat » in La Dépêche du Midi, lundi 19 mai2003.

Cariès Françoise, « L’intervention de Dominique Baudis n’a pas dissipé le malaise »,inLa Dépêche du Midi, mardi 20 mai 2003.

Cohadon Jean, « Témoins clés, les deux jeunes femmes vont devoir convaincre lesjuges », in La Dépêche du Midi, jeudi 22 mai 2003.

Anonyme, « Elles maintiennent leurs accusations », in La Dépêche du Midi, vendredi23 mai 2003.

Besset Jean-Paul, « Dominique Baudis nie toute implication dans l’affaire PatriceAlègre », in Le Monde, mardi 20 mai 2003, p. 11.

Tourancheau Patricia, « Baudis en victime chez le juge », in Libération, vendredi 27juin 2003.

Anonyme, « Baudis s’invite chez le juge », in Libération, vendredi 27 juin 2003.

Laval Gilbert, « Baudis en guerre contre la “rumeur” », in Libération, lundi 16 juin 2003.

Tourancheau Patricia, Chaumeil Marc, «Fanny, ses vérités et ses contes cruels », in Libération , mercredi 11 juin 2003 , p 18 et 19.

Chemin, Ariane, « “Patricia” maintient ses accusations face à M. Baudis », in LeMonde , samedi 28 juin 2003 , p 12.

Laval Gilbert, « Alegre, tueur sous protection policière ? », in Libération , samedi 19 avril 2003 , p 13.

Besset Jean-Paul, Fichot Nicolas, « Affaire Alègre : les enquêteurs reconstituentl’histoire de la “ maison du lac de Noé”», in Le Monde , mardi 17 juin 2003.

Davet Gérard, « Contre-enquête sur l’affaire Alègre », in Le Monde , jeudi 23octobre 2003 , p. 1 et 12-13.

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La Dépêche du Midi, Le Monde et Libération face au scandale : le traitement médiatique de« l’affaire Alègre ».

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Articles dont nous avons utilisé les informations

Chemin Ariane, Davet Gérard, « Un enchevêtrement de plaintes et de personnages »,in Le Monde, samedi 12 juillet 2003, p. 6 et 7.

Pereira Acacio, « Cinq meurtres, six viols : le parcours de Patrice Alègre devant lesassises », in Le Monde, mardi 12 février 2002.

Besset Jean-Paul, Broussard Philippe, « Affaire Alègre : Toulouse Doute, Baudisaccuse », in Le Monde, dimanche 15 juin 2003, p. 1 et p. 6-7.

Davet Gérard, « Accusée de faux témoignages, l’ex prostituée “Fanny” refuse d’êtreconfrontée à “Patricia” dans l’affaire Alègre », in Le Monde, mercredi 17 décembre2003, p. 13.

Besset Jean-Paul, « Audition décisive de deux ex prostituées dans l’affaire Alègre », inLe Monde, vendredi 23 mai 2003, p. 11.

Thoraval Armelle, « Alègre : Bourragué en passe d’être blanchi », in Libération,mercredi 24 septembre 2003.

Thoraval Armelle, « Affaire Alègre : la justice change de tête à Toulouse », in Libération,jeudi 29 mai 2003.

Chemin Ariane, « Dominique Baudis entendu comme partie civile dans le dossierAlègre », in Le Monde, vendredi 27 juin 2003, p. 34.

Bacqué Raphaëlle, Besset Jean-Paul, « Affaire Alègre : Dominique Baudis dénonce un “complot politique” », in Le Monde, dimanche 15 juin 2003, p. 1 et p. 6-7.

Collectif, « Dominique Baudis innocenté dans l’affaire Patrice Alègre », in Le Monde,vendredi 19 septembre 2003, p. 1 et p. 10-11.

Thoraval Armelle, « La nouvelle Affaire Alègre ébranle la justice », in Libération,mercredi 28 mai 2003.

Davet Gérard, « La Dépêche du Midi se défend d’être allée trop loin, » in Le Monde,jeudi 23 octobre 2003, p. 1 et p. 12-13.

Sites internet

www.ojd.com : OJD, Association pour le contrôle de la diffusion des médias.

www.ina.fr : INA, Insitut National de l’Audiovisuel.

www.ladepeche.fr : La Dépêche du Midi.

http://doc-iep.univ-lyon2.fr/accueil.html : site du web de la doc, IEP de Lyon.

www.investigateur.info : magazine L’Investigateur.

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Annexes

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Annexes

A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de lyon.

Résumé « L’affaire Alègre », « affaire Baudis » ou « nouvelle affaire Alègre » impliquait desaccusations graves de la part d’ex prostituées à l’encontre de notables toulousains. Avantmême que ces accusations ne soient prouvées ou infirmées, l’affaire relevait du scandale.Ceci est du à une mécanique particulière. L’affaire Alègre a démarré à Toulouse, dansun milieu politique et médiatique très particulier. Elle a fait sortir le quotidien régionalLa Dépêche du Midi de sa neutralité, qui a pris position en faveur des accusatrices. Cetraitement particulier a accéléré l’enchainement des événements et a propulsé l’affaire surla scène médiatique nationale. Celle-ci est alors devenue un sujet difficile à manipuler pourla presse « de référence », qui, gouvernée par l’émotion et le besoin de rapidité, a commisdes erreurs altérant sa légitimité.

Mots clefs scandale, calomnie, erreur journalistique, investigation.