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  • 7/23/2019 A Corpse Temps

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    AGES DE LA VIE :

    LES REGIMES TEMPORELS DU CORPS

    Jacques FontanilleUniversit de Limoges

    Institut Universitaire de France

    Prambule

    La smiotique des ges de la vie peut sintresser juste titre aux contenus spcifiques,thmatiques, figuratifs et culturels de chaque ge, mais cette approche en extension nest possibleque si on se donne pralablement, ou en mme temps, une dfinition en comprhension . A cetgard, les ges de la vie ne peuvent tre dfinis qu partir de corps en devenir, socialiss et

    culturaliss, et dune spcification de leur rapport au temps. La rflex ion doit donc tre conduite endeux directions complmentaires : dabord, il nous faut dfinir les proprits et les figures des rgimes

    temporels pertinents, de manire pouvoir, ensuite, traiter du corps et de son rapport au temps.Lun et lautre, le temps et le corps, se donnent saisir, dun point de vue smiotique, comme

    des ensembles de figures, figures temporelles et figures corporelles. Les unes et les autres constituentdes configurations, des rgimes temporels dun ct, et des types corporels de lautre. Le senscommun, lgard des ges de la vie , fixe dj un certain rapport entre ces deux types de

    configuration : le corps enveloppe , en tant que surface dinscription, tout comme le corps-chair , seraient les rceptacles (surtout le premier, pour lobservateur extrieur) des interactions avecles vnements du temps de la vie, et lensemble de ces inscriptions seraient configures en icnesstables et identifiables, qui permettraient de reconnatre des ges (lenfance, la jeunesse, lavieillesse, etc.).

    Mais, mme si cette association prsente un caractre dominant, elle nest quun strotype

    fix par lusage, et le rle de la smiotique est de situer cet usage dominant parmi les positions dunschmatisme plus gnral. On peut donc faire lhypothse que les ges de la vie sont descombinaisons de plusieurs figures corporelles associes diffrents rgimes temporels.

    Les rgimes temporels de base

    Quest-ce quun rgime temporel?Les rgimes temporels sont caractriss deux niveaux complmentaires, par les figures

    typiques quils comportent et par les proprits qui surdterminent ces dernires [FONTANILLE:

    2004a]:

    a.

    par les figures temporelles qui les composent (les figures-signes), et qui sont desconstituants des rgimes temporels ; par exemple, l instant , l occasion , ou unegnration (aevus) ;

    b. par les proprits non-temporellesqui les distinguent les uns des autres ; par exemple, la succession ou la perspective ; ces proprits ne sont pas spcifiquementtemporelles, mais modales, actantielles, nonciatives, ou plus gnralement aspectuelles et

    rythmiques.Mais les figures temporelles elles-mmes (des icnes reconnaissables) sont caractrises deuxniveaux distincts :

    c. par des traits figuratifs qui sont des constituants des figures ; par exemple, les deuxchronotypes de G. Guillaume [GUILLAUME : 1968] sont des constituants du prsent : ilfaut associer deux de ces traits figuratifs (le chronotype ascendant et le chronotype

    dcadent) pour produire, selon Guillaume, la figure du prsent ;

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    d. par desproprits non-temporellesqui ne sont pas des constituants des figures, et qui sontidentiques celles qui distinguent aussi les rgimes temporels ; exemple : la direction et la perspective , qui permettent de distinguer l instant et le prsent .

    En somme, les rgimes temporels sont des configurations (des assemblages syntaxiques defigures et de proprits) ; les figures sont des icnes temporelles (des parties de tempsreconnaissables et isolables, voire dnommables).

    Le temps objectiv et le temps subjectivLa vie elle-mme induit un rgime temporel spcifique : dune borne initiale une borne

    finale, un cours orient et rgi par un devoir-tre . Jean-Claude Coquet, dans La qute du sens,dfinit ce type temporel comme le temps du tiers actant , et il loppose au temps du primeactant , et mme plus prcisment au temps subjectif , qui serait celui de lexprience1. Le tempsde la vie serait donc une espce particulire du temps du tiers actant , cest--dire dun temps dontles contraintes modales chapperaient toute prise de lexprience:

    Dune certaine faon, nous sommes tous des condamns mort. Nous ne pouvons chapper la relation dhtronomie dont le temps, unidirectionnel, progresse du point jusquau point, dont chaque moment, mme vcu par le corps propre ou par une subjectivit singulire (le

    corps propre nest pas le sujet) est aussitt replac par objectivation dans la srie desvnements programms par un tiers, le tiers actant, rgulateur de lhtronomie,et,finalement, de la mort. () quelle que soit limportance dune exprience vcue par uneinstance dtermine, cette exprience est ncessairement reverse dans un vnement, signedu passage lhtronomie. [COQUET: 1997, 92-93]

    On retrouve dans cette description les diffrents niveaux de lanalyse des rgimes temporels rappel splus haut : unefiguretemporelle, la progression borne , dote de traitsdistinctifs (lorientation, etles deux bornes extrmes), ainsi, que de proprits non temporelles (la modalisation htronome, etlinstance actantielle de rfrence).

    Dans cette perspective gnrale, Coquet distingue ensuite le temps de lexpriencesubjective et le temps du corps propre , en focalisant plus particulirement sur les proprits non-temporelles (les instances actantielles) des deux sous-rgimes de lexprience :

    le prsent (le prsent vivant ) est au centre du dispositif. Cest partir de lui que seconstruisent le temps objectiv (objectiv et finalis dans certaines conditions) propre noterlvnement, et le temps subjectiv, plus exactement les deux temps du sujet et du non-sujet,propre noter tout aussi bien lexprience du monde commun et au prix dun changementdinstance celle du monde du corps propre et de la chair. [COQUET: 1997, 103]Lanalyse du temps linguistique et smiotique quil prsente dans La qute du sens est sans

    aucun doute plus complexe et sophistique, mais ces positions rsument convenablement la

    perspective densemble. On pourrait videmment discuter lamalgame entre le temps de la vie et le temps du monde : aevusnest pas chronos, et, si le cours de la vie chappe au contrle du sujetsensible, la vie elle-mme, et son cours rendu sensible dans la chair mme, peuvent faire lobjetdexpriences intimes, la diffrence du temps du monde en gnral. Mais, en ltat, on a affaire chezCoquet trois rgimes temporels diffrents, que distinguent les figures qui les constituent, lesmodalits et les types actantiels (les instances ) dominants.

    Mais, en matire de smiotique du temps, la syntaxe des transformations, dun rgime lautre, est tout aussi heuristique, sinon plus, que la typologie. Et sur cette question, la position deCoquet est, apparemment, singulirement restrictive : entre les deux rgimes temporels, le mouvementsemble unilatral ; le temps de lexprience est inluctablement appel tre revers (rcupr,intgr) dans le temps de lvnement (soumis au tiers actant). Pour faire justice sa conception dutemps, il faudrait ajouter que Coquet examine aussi quelques cas inverses, o le temps de lvnementest captur par le temps de lexprience, mais il ne leur accorde pas un statut aussi clair et explicite (ouen tout cas, comparable) que celui quil attribue au premier cas.

    1Je dois Ivan Darrault cette rfrence la thorie des instances nonantes de Jean-Claude Coquet, puisquau cours dunecommunication orale au Sminaire Intersmiotique de Paris, il a montr le lien entre le cours de la vie et le concept de temps du tiers actant .

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    Peu importe en loccurrence, car si on accepte de faire du temps de la vie un rgime

    temporel rgi par un tiers actant, un destinateur naturel qui impose une forme globale ncessaire ce temps, il est bien vrai quil existe une premire manire de vivre ce temps, et qui consiste en

    effet convertir chaque exprience temporelle en un fragment du temps de la vie, cest --dire, de fait,si on peut oser ce nologisme le desexprientialiser pour mieux l vnementialiser .

    Parmi les manifestations du temps du non-sujet , Coquet identifie en outre celle qui

    consiste, partir dun centre dexprience somatique, tirer le temps de manire dilater le champsensible, partir du principe suivant :

    Si je reviens un instant sur les traits spcifiques du temps subjectiv, je relve quil est propre noter lexprience singulire dune instance dont le champ phnomnal est instable . 2[COQUET: 1997, 87-88]

    Ds lors, cette exprience centre sur le corps de lactant peut rassembler des temps disjoints, voirecontradictoires, superposer des instants, et permet dprouver ensemble, sans les aligner (sans les

    soumettre la loi dfinie par le tiers actant), des moments diffrents. Lexprience du corps propre,dans cette nouvelle figure temporelle de linstant extensible, a pour particularit de dilater ou de

    contracter le champ temporel, ce qui implique trois traits distinctifs spcifiques :(i) un champ de prsence (au lieu dune progression dans une succession ), instaur

    par la prise de position du corps propre, et comprenant centre et horizons ;(ii) la mobilit des horizons (linstabilit, dit Coquet, au lieu des bornes initiales etterminales), qui peuvent tre repousss ou rapprochs par leffet de lattention perceptive;

    (iii) deux directions centrifuges symtriques (une perspective, au lieu dune directionimmuable).

    Lensemble des traits distinctifs (le champ de prsence, la mobilit soumise lattention, laduplication symtrique des directions), forment une configuration qui pourrait prendre le nom deprofondeur dynamique, qui subsumerait lensemble des conditions permettant daugmenter (dilatation)ou de diminuer (contraction) le champ dans toutes les directions.

    Quon adopte ou pas la rfrence au non-sujet, on doit aussi reconnatre dans ce rgimetemporel les effets (i) dune autre proprit modale (le pouvoir tre plutt que le devoir tre ),(ii) dune autre forme aspectuelle (ltirement centr plutt que lalignement successif), et (iii) dune

    autre rfrence actantielle (un corps-sujet, et non un destinateur).

    Le temps de lexistence et le temps de lexprienceEn prenant quelque recul par rapport la thorie des instances nonantes de Coquet, et aussi

    lgard de son fondement exclusivement phnomnologique, on peut constater que les deux grandsrgimes temporels quil dgage correspondent peu ou prou aux deux grands paradigmesphilosophiques en matire dontologie temporelle : celui de lexistenceet celui de lexprience. Cettedistinction ontologique pourrait mme, titre dhypothse, tre considre comme le fondementpistmologique dune smiotique du temps, et fournir en somme la catgorie lmentaire partir delaquelle se formerait la premire distinction smiotique laquelle toutes les rflexions sur le temps serfrent directement ou indirectement, explicitement ou implicitement.

    Le temps apparat en effet en quelque sorte comme la catgorie de pense qui permet auxhommes dapprhender le devenir des choses du monde, et de faire face au changement, en le dotantdune signification, et ce, de deux manires diffrentes.

    LEXISTENCELa plupart des reprsentations du temps (notamment chez les pr-socratiques, Augustin et

    Heidegger) en font le sous-produit dun dbrayage ontologique: dans ltre, en effet, on ne trouve nitemps ni changement, alors que dans lexistence, on vit dans le changement, et on invente donc desformes temporelles pour y faire face ; dun autre point de vue, le temps serait la premire substancedisponible pour les signifiants lmentaires des tants : ce serait en somme, avec la quantit(notamment chez les pr-socratiques), le premier signe discriminant de lexistence (vs linexistence).

    Lternit et ltre sont du ct de linengendr, de lun, du non -quantifiable. Lexistence, tant

    engendre, est dans le devenir, dans le changement, dans le nombre, et donc dans le temps.

    2Op. cit., pp..

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    Dans la perspective dune philosophie de ltre, quelle soit une cosmogonie mtaphysique, ou

    une hermneutique ontologique, vivre dans le temps, cest tre chu, dchu, jet, en proie au monde endevenir : cest une chute de lternit (Augustin), une chance de lexistence (Heidegger), une

    alination la deixis (Husserl), une condamnation au changement (Parmnide).Le temps de lexistence peut alors se spcialiser: cest le temps du monde , le temps

    chronologique , le temps cosmologique ou le temps mythique .

    LEXPERIENCELalternative rsidera par consquent dans un refus de ce dbrayage ontologique : une autre

    conception du procs, telle que Franois Jullien [JULLIEN : 2001] la rencontre dans la philosophiechinoise, reposant sur la constance et la transition (ce qui ne varie pas dans la variation, ce qui nesinterrompt jamais dans le changement) : jamais le devenir et le changement ne rompent le lien avecleur horizon ontologique ; sil y a structure ou systme, ce ne peut tre que la structure du changement,et le systme des transitions, de sorte que la constance apparaisse comme une proprit du changementlui-mme. Les rgimes temporels transitionnels excluent par consquent une philosophie de ltre,pour lui substituer une phnomnologie de lexprience objective.

    Bien entendu, cet autre rgime temporel est au cur de la conception phnomnologique

    dveloppe par Husserl, et surtout par Merleau-Ponty (notamment pour ce qui concerne lexpriencesensible des transitions entre rtentions et protensions). A la limite, ce temps-l nest plus que le temps

    de la conscience rflchissante, le temps de lattention subjective, mais toute la gamme intermdiairedes temps de lexprience sensible en relve aussi, et notamment toutes les perceptions de lasynchronisation et de la dsynchronisation intersubjectives. Il se spcialise alors en temps vcu , temps subjectif , temps de la perception , ou temps du corps sensible .

    LES DEUX REGIMES TEMPORELSLexprience est toujours et dans tous les cas un rapport direct avec le monde, une plonge

    dans les choses mmes , ce qui en fait la fois le prix et le risque (on peut se rappeler ici quelexperimentum est un risque, voire un danger), alors que lexistence se dfinit par la rupture aveclhorizon ontique: la plonge se mesure alors non pas par rapport aux choses , mais par rapport

    ltre perdu de vue.Le temps de lexprience se caractrise donc par limmdiatetde la relation aux objets, aux

    situations, au monde en gnral, alors que le temps de lexistence est ncessairement mdiatis par unjeu de rgles et de lois qui le rendent intelligible.

    Limmdiatet (du temps de lexprience) ne soppose pas la disjonction, mais, plusfondamentalement, la jonction, au principe mme selon lequel, dans le temps de lexistence, lessujets et les objets tant dissocis, leur relation ne peut tre que de conjonction ou de disjonction ;limmdiatet implique donc des prdicats de base qui affectent la prsence (prsence au monde, enloccurrence: apparitions et disparitions), alors que la mdiation est de lordre de la jonction, etimplique, en termes prdicatifs, des pertes et des gains.

    En bref : le choix dun rgime temporel est la manifestation formelle dune certaine

    conception de ltre-au-monde . Pour le temps de lexistence , les caractristiques dominantes

    sont : temps du monde, du flux mesurable et du mouvement, rsultant dune projection existentielledans le procs ; dbrayage et mdiation. Et pour le temps de lexprience : temps de la perceptionsensible, dploy dans un champ de prsence, lui-mme organis autour dune deixis ; embrayage etimmdiatet. Si, en outre, on introduit la problmatique des instances nonantes (cf. supra), onobtient le tableau suivant.

    REGIME ONTOLOGIQUE EXISTENCE EXPERIENCEOPERATION FONDATRICE Dbrayage EmbrayageDOMINANTE PREDICATIVE Jonction PrsenceENONCES TYPIQUES Existence / Inexistence Apparition / DisparitionVALENCE Mdiation Immdiatet

    INSTANCE ACTANTIELLE

    Tiers actant, Destinateur Actants sujet et non-sujet

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    Les ges de la vie

    Le temps de la vie peut donc obir chacun de ces deux rgimes : celui de lexistence, entant que succession borne et flux orient, et celui de lexprience, en tant que vcu, ponctuel oudurable, contract ou tir. La syntaxe qui permet de passer de lun lautre se ddouble: dun ct, le

    dbrayage, qui permet lintgration du temps de lexprience dans celui de lexistence, et de lautre,lembrayage, qui permet la capture du temps de lexistence par celui de lexprience. Reste caractriser le temps des ges de la vie .

    Le tiers temps socialUne des constantes les plus saisissantes des problmatiques temporelles (en philosophie du

    droit, en anthropologie, en hermneutique, en sociologie, notamment) est la dialectique qui, partir deces deux rgimes temporels de base, engendre diffrentes formes intermdiaires, que lon peutglobalement identifier comme le tiers temps social : le temps du calendrier, le temps liturgique, letemps des pratiques sociales, le temps du droit, et celui des ges de la vie , entre autres, sont tousdes cas particulier, colors chacun par un investissement thmatique spcifique, du tiers tempssocial .

    Le principe gnral de cette dialectique smiotique fait appel aux oprations suivantes :

    1) une htrognisation du temps de lexistence, dont le flux continu et irrversible est soumis une segmentation, et diverses mises en perspective entre le pass et le futur ; le pardonrepose par exemple (i) sur la distinction entre un segment troit et ferm de pass, et unsegment ouvert et tendu de futur, et (ii) sur la mise en perspective du pass par rapport aufutur : tant soumis une certaine reprsentation du futur, le pass peut tre ainsi reconsidr ;

    2) une collectivisation du temps de lexprience, qui entrane invitablement lapparition declasses dexpriences, en raison du passage de lexprience individuelle lexpriencepartageable et collective.

    Le temps des ges de la vie sera de cette nature : une sorte de tiers temps social ,produit par la rsolution de la tension entre, dun ct, un temps de la vie homogne et gnrique, et,

    de lautre, un temps de lexprience sensible htrogne et irrductiblement individuel.

    Le temps des ges de la vie Les ges de la vie oprent sur chacun des deux rgimes temporels : du ct de lexistence,

    par une segmentation qui rgle le flux et introduit des seuils intermdiaires, et, du ct de lexprience,par une catgorisation et une stabilisation des zones de dilatation.

    Lexistence ainsi segmente, en effet, connat des tapes intermdiaires, distingue par desdiffrences et spares par des seuils qualitatifs, dans la course vers la mort. Sans cette segmentation,le temps des vnements et de lexistence serait homogne, et, eu gard la course vers la mort ,

    tous les instants se ressembleraient, ceci prs quils seraient plus ou moins proches du terme. Aucontraire, la segmentation en ges modifie le flux homogne de lexistence : des phasesqualitatives distinctes se succdent, qui colorent les ges et qui diffrencient les instants et lesvnements successifs en les regroupant en classes relativement stables.

    Cette segmentation est donc bien plus quune mesure du temps de lexistence, mais aussiune htrognisationqui va faciliter la prise du temps de lexprience. En somme, avec les gesde la vie , le tiers actant (les contraintes modales de lhtronomie) est spcifi qualitativement pardes thmatiques sociales, individuelles, conomiques, organiques, etc., qui nobissent pas au fluxhomogne de la thmatique vitale en gnral, et qui imposent leurs propres contraintes narratives, et

    projettent sur le temps de lexistence une structure aspectuelle nouvelle (des seuils, des dlais, desdbuts et des fins, des transitions, etc.).

    Du ct de lexprience, le rgime temporel de rfrence nest videmment pas celui du sujet,dans les termes de Coquet, mais bien celui du non-sujet : un champ temporel dont les horizons peuvent

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    se dilater, et o peuvent se superposer des moments trangers lun lautre, et dont le seul lien sera,

    la limite, le corps propre de lactant, et sa capacit prouver ensemble des expriences diffrentes.Mais dans ce cas aussi, les ges de la vie modifient les conditions de lexprience: les

    horizons du champ mobile sont limits aux deux extrmes par les seuils qualitatifs de lge au coursduquel lexprience a lieu; le centre du champ peut se dplacer entre ces limites, mais les horizons-seuils restent stables ; le corps propre ne peut tendre son investigation quentre les deux seuils, et, au-

    del, cest une autre instance, dote de jugement et capable dassomption, qui, grce au souvenir et laprvision, pourra accder aux autres ges .

    La catgorisation qui se joue entre deux seuils intermdiaires homognise les expriencespossibles entre ces derniers, de sorte quelles forment une classe reconnaissable. L aussi, il faut plusquun corps propre et un sujet sensible, puisque cette catgorisation implique abstraction,reconnaissance et jugement. Linstance de rfrence ne peut donc plus tre celle du non-sujet,puisquune valuation ou un jugement apparat ici: lactant doit reconnatredans lexprience de soncorps la forme dune exprience commune et gnralisable, celle de lenfance, de lge adulte, etc. Ildoit donc passer, lintrieur mme du temps de lexprience, du statut de non-sujet celui desujet.

    Des deux cts, en somme, quelque chose se stabilise : dun ct, grce lhtrognisationdu temps de lexistence, qui produit des tapes qualitativement diffrentes et identifiables, et, de

    lautre, grce lhomognisation de classes dexpriences, qui engendre des expriences unifies etreconnaissables. Cest donc sur ce fond de catgorisation et de production dicnes temporelles etcorporelles que les deux rgimes temporels vont pouvoir se rencontrer.

    En effet, les deux rgimes temporels de base se prsentent, dun point de vue paradigmatique,en tension, et les diffrentes positions calculables rsultent des dominantes respectives de lexistenceet de lexprience: ainsi, le rgime du prsent vivant rsulterait dune tension o dominerait letemps de lexprience, et celui du temps chronique (la dure oriente et mesurable), dune tensiondomine par le temps de lexistence. A cet gard, le rgime spcifique des ges de vie , quiconcilie les deux types temporels, reposerait sur une tension converse, o lexistence et lexpriencepourraient tre actualises de conserve.

    Le rapport entre les deux rgimes temporels de base, une fois runis au sein du tiers temps des ges de la vie, ont quelque chose voir avec une fonction smiotique lmentaire. Certes, il nen a

    pas le caractre formel habituellement requis ; mais le rsultat est nanmoins un certain rapportexpressif : une fois stabilises et reconnues, les diffrents ges , en tant que classes dexpriences,procurent les figures qui permettent dexprimer une tape de la vie, un moment du flux existentiel,et lensemble de ces figures et de ces tapes forment un vaste systme semi-symbolique.

    Mais, dun point de vue syntagmatique, la relation est, comme nous lavons vu, dans un sens,dintgration (Coquet parle de reversement ), et dans lautre de capture. Or, la synthse proposepar les ges de la vie modifie ces oprations puisque, grce la segmentation de lexistence, onpeut prvoir des expriences spcifiques et propres chaque segment, et, inversement, grce lacatgorisation de lexprience, on peut penser lcoulement de la vie, de lintrieur mme delexprience. Une fois que le flux existentiel est htrognis, il devient propre accueillir desexpriences ; une fois que les limites de lextension de chaque sous-champ de lexprience sont fixes,il devient propre constituer une des tapes de lexistence.

    Du point de vue des instances nonantes, on assiste donc une ngociation et un partage duterritoire de la vie humaine entre le tiers actant et le sujet.

    Jusqualors, et hormis la thmatique vitale qui le spcifie, le temps des ges de la vie atoutes les caractristiques dun tiers temps social . De fait, il ne trouvera toute sa spcificit quedans le croisement avec les figures et types smiotiques du corps, puisquen somme, dans cette affaire,ce qui est la fois (i) toujours soumis aux lois de lexistence (la progression borne), (ii) plac au cur

    de lexprience, et ressort de ses initiatives (la dilatation ou la contraction des horizons de la prsence),et (iii) socialis au sein dune exprience collective, cest bien le corps.

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    Figures du corps et inscription du temps

    REGIMES TEMPORELS ET FIGURES CORPORELLESLa premire remarque qui vient ici lesprit, concernant le corps, tient ceci : selon quon se

    place du point de vue de lexistence ou du point de vue de lexprience, nous avons affaire soit au

    corps comme organisme mondain , soit au corps comme corps propre . En effet, le corps qui estsoumis au temps du tiers actant est un corps matriel organique, dont la principale proprit est dtredot dun principe dauto-organisation dynamique (une nergie ) qui lui procure lanimationncessaire pour tre un actant, sachant que ce principe dauto-organisation dynamique, pour unorganisme vivant (cest--dire la vie mme), est lui-mme soumis un rgime temporel spcifique(celui de la vie, cf. supra) ; en somme, cest la structure matrielle et nergtique mme de ce corps

    mondain qui porte le rgime temporel de la course vers la mort .En revanche, le corps qui sengage dans le temps subjectif est le centre sensible de

    lexprience; en tant que corps propre, il spcifie en particulier lexprience de ses propres limites,pour les distinguer des limites instables de son champ de prsence ; cette exprience de la limitepropre, qui aboutit la stabilisation de la forme perue du corps propre, est celle des enveloppes .

    Mais, par ailleurs, en tant que chair, il peut faire lexprience de sa propre dformation, de ses motions

    intimes, et du dplacement : le centre de lexprience, en effet, nest pas seulement libre de se dplaceret dentraner avec lui les horizons de son champ, il se sent en dplacement, il fait lexprience deson propre dplacement en mme temps que, grce ce dplacement, il modifie les conditions de sonexprience sensible.

    Si le corps propre tait dfinitivement indpendant du corps mondain , la question desges de la vie tournerait court, puisque lexprience du corps propre ne serait jamais affecte par

    lge ; mais la tension et la dialectique entre le temps de lexprience et le temps de lexistenceconcerne galement le rapport entre les deux types corporels. De la mme manire, en effet, se

    distinguent et se confrontent le corps de lexistence (le corps mondain) et le corps delexprience (le corps propre) ; de la mme manire, cest un tiers corps , le corps socialis, lecorps comme configuration culturelle, qui natra de cette tension et de sa rsolution.

    De fait, les types smiotiques du corps qui seront sollicits par le rgime temporel des ges

    de la vie ne sont ni des figures du corps de lexistence, ni des figures du corps de lexprience, maisbien des figures de ce corps social et culturel, tiers corps porteur de la smiotisation de lexistencesomatique et de lexprience corporelle.

    LA TYPOLOGIE DES FIGURES CORPORELLESNous devons nous doter pour commencer dune dfinition minimale des corps, pour pouvoir

    en construire les principales figures distinctives. Dun point de vue smiotique, les corps serontprincipalement examins sous langle de leur capacit figurer comme actants dans des smiotiques-objets (textes, images ou situations dinteraction, peu importe ici); or, pour quune chose matrielle quelconque puisse devenir un actant, il faut quon puisse lui reconnatre au moins un

    principe dynamique, une capacit susciter ou subir des transformations, et pour cela, il faut quelle

    prsente une tension globale entre une structure matire-nergie et une forme extrieure ; la formeextrieure, stable ou instable, tmoigne alors des interactions entre la plus ou moins grande rsistancede la structure matrielle aux pressions qui sexercent sur elle en vue des transformations. En dautrestermes, on reconnat un actant (une icne actantielle ) au type dquilibre quil offre entre la forme

    de son contenant et la structure de son contenu , ds lors quon admet que cet quilibremanifeste les quilibres et dsquilibres entre les forces en prsence.

    De cette dfinition minimale dcoule la typologie des figures corporelles, dont on peut sansdifficult dduire ensuite les types de mouvements qui les caractrisent [FONTANILLE: 2004b] :

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    Corps-enveloppe Corps-chair

    Corps-creux Corps-point

    CONTENANT CONTENU(Forme) (Matire)

    NON-CONTENU NON-CONTENANT(Non-matire) (Non-forme)

    Corps-enveloppe Corps-chair

    Corps-creux Corps-point

    Dformation Motion intime

    Agitation Dplacement

    Nous reconnaissons l les premires figures que nous avions intuitivement dgages partirdes rgimes temporels, selon des quilibres qui donnent tantt la priorit lexistence, tantt lexprience:

    -

    le corps-chairest sollicit (i) en tant que structure organique soumise au temps de lexistence,et (ii) en tant que support de lexprience temporelle intime (aise ou malaise associes auxmotions intimes) ;

    - le corps-enveloppe est concern (i) en tant que support des empreintes observables etobjectives (formes, tonicit apparente, lignes, taches, etc.), et (ii) en tant quexprience de seslimites propres et de leur dformation dans le temps ;

    - le corps-point est actualis (i) par les modifications du style de mouvement (vitesse,amplitude, etc.), et (ii) par lexprience du dplacement (sentiment de coordination, decontinuit ou de discontinuit, amplitude de la profondeur temporelle antrieure et

    postrieure) ;- le corps-creux est un corps habit , peupl des acteurs et des figures sensibles dont la

    frquence dapparition dtermine entre autres les routines corporelles (vs les innovations et

    les dcouvertes).

    Les empreintes de la vieMais il reste examiner le rgime corporel spcifique des ges de la vie , dont nous avons

    vu que, dun ct il introduit des diffrences qualitatives et des tapes dans le flux continu de la

    course vers la mort , et, de lautre, il unifie et stabilise des classes dexpriencesqui sont supposes,pour un sujet dot du jugement, dterminer les expriences individuelles. Pour simplifier, et dans lamesure o nous avons montr que les ges de la vie composent un rgime temporel de conciliation

    entre celui de lexistence et celui de lexprience, nous avons suggr que cette conciliation pouvait tre considre comme un rapport expressif (une fonction smiotique).

    Nous pouvons donc maintenant rechercher les diffrentes rgimes smiotiques de ce rapportexpressif , au croisement entre les figures temporelles et les types corporels.

    Il faut supposer alors, pour commencer, que les diffrents types corporels (dots de types demouvements) produisent des types de parcours figuratifs susceptibles de configurer la fois lammoire du sujet et ses capacits dattente et danticipation, ou inversement, que ces figures

    corporelles sont aussi des figures temporelles (de mmoire et dattente) : les expriences sontloccasion dinteractions, ces interactions marquent la figure actantielle, et lensemble de cesmarques constituent lempreinte du temps de la vie. Bref, les empreintes sont la mmoire et lapierre dattente figurative des expriences traverses ou traverser par lactant; et, en gnralisant(peut-tre trop rapidement ?), on pourrait affirmer que toute figure corporelle est ce titre une figuretemporelle.

    Nous pouvons en prvoir quatre types, partir des quatre types corporels.

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    Dformation des Motion desenveloppes chairsINSCRIPTIONS TRACES

    Agitation des Dplacement desCorps-creux corps-pointsDIEGESES DEIXIS

    Les inscriptions sont des empreintes de lenveloppe corporelle ; les traces sont desempreintes de la chair sensori-motrice ; les digses sont des empreintes des scnarios intrieurs,accumuls dans le corps interne ; les deixis sont les empreintes des positions de rfrence

    adoptes par le corps-point , ainsi que de ses itinraires .Le corps-point induit un rgime globalement dictique, o la dimension temporelle

    sorganise par rtention et protension, et mme, plus prcisment, par des mouvements dertrospection et de prospection qui permettent de parcourir lensemble des limites dun mme ge :

    on sait alors que, ds quon voque un autre ge, on est sorti des limites de la rtention et de laprotension, quon est mme pass dans un autre rgime temporel, qui active dautres types de figures,notamment des souvenirs et des anticipations.

    Le corps-enveloppe induit un autre rgime mmoriel, mais exclusivement indiciel, o ladimension temporelle est constitue par les inscriptions laisses par des interactions rvolues, et qui

    seraient aujourdhui reconstituer la fois comme des figures temporelles, et comme des inscriptions dchiffrer. Le jugement quon porte en particulier sur un visage marqu ou peu marqu indique bien, dans son ambivalence mme, lenjeu de ces inscriptions : elles expriment en effet, ou

    bien directement le petit nombre dinteractions qui ont affect ce corps (une certaine innocence , enquelque sorte), ou bien, indirectement, la plus ou moins grande capacit de lenveloppe rsister

    aux interactions antrieures, et en effacer les traces.Le corps-creux est un lieu de mmoire ou danticipation par accumulation; cest en lui que

    se superposent les digses successives de lexprience (les scnes intrieures ), quelles seconfrontent, sassimilent, sidentifient. Cest de ce point de vue quun corps g peut tre considrpar mtaphore comme une bibliothque vivante ; encore faut-il que ces empreintes intrieures, cesmultiples digses, soient organises et hirarchises.

    Enfin, le corps-chair impose dans tous les cas un rgime temporel de lexprienceimmdiate, du prsent de la sensation motrice, mme quand, comme chez Proust, elle ractualiselensemble des sensations prouves jadis en un autre lieu (Venise), car cet ensemble ractualis secaractrise la fois par son immdiatet et par sa prsence vivante. Lexprience des pavs ingaux de

    lHtel de Guermantes fait en outre apparatre des modes de communication et des agencementssyntaxiques entre les diffrents registres de lempreinte smiotique corporelle: en effet, la sensationmotrice, qui relve des traces , a li ensemble toutes les sensations associes une mme scneintriorise, une perspective sur la place Saint-Marc Venise (qui elle, relve des digses ), et leretour de la mme exprience somatique rveille la trace , qui libre son tour la digse .

    Pour finir : llaboration des configurations smiotiques

    Le propre des ges de la vie , disions-nous, est de concilier deux rgimes temporels. Maiscette conciliation , quand il sagit dexaminer les empreintes de lge, a toutes les proprits

    dun isomorphisme,cet isomorphisme qui, justement, est ncessaire la mise en uvre dune fonctionsmiotique entre des expressions et des contenus. La relation entre exprience temporelle et

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    existence temporelle est alors convertie en une relation entre expression et contenu, qui se stabilise

    en quelques configurations dempreintes iconises.En labsence de cette catgorisation secondaire de lexistence et de lexprience, la nature des

    expriences intrieures ne peut pas tre convertie en mesure de la position dans le cours delexistence, et la position mesurable dans le cours de lexistence ne peut faire lobjet daucuneexprience directe.

    Mais, grce aux ges de la vie , les deux dimensions du rapport au temps, exprience etexistence, entrent dans une relation smiotique, o les formants sensibles de lexprience deviennent

    des expressions pour les positions existentielles, faisant office de contenu. Dans cette perspective,les quatre types dempreintes, les inscriptions, les deixis-itinraires, les digses-scnes intrieuresetles traces sensori-motricesconstituent les figures typiques de liconisation des phases de lexprience-existence.

    Bibliographie

    AUGUSTIN, 1998, La mmoire du commencement , Confessions, Livre XI, traduction PatriceCambronne, Bibliothque de la Pliade , Paris, Gallimard.

    COQUET, Jean-Claude, 1997,La qute du sens, Paris, PUF.FONTANILLE, Jacques & ZILBERBERG, Claude, 1998, Tensions et signification, Hayen, Mardaga.FONTANILLEJacques, 2004a, Temps et discours. Pour une smiotique des figures et des rgimes

    temporels , in Signes des temps. Temps et temporalit des signes, Louis Hbert &Lucie Guillemette, dir., Qubec-Sainte-Foy, Presses de lUniversit de Laval.

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    Champion.HEIDEGGER, Martin, 1986,tre et Temps, Bibliothque de Philosophie, Paris, Gallimard.OST, Franois, 1999,Le temps du droit, Paris, Odile Jacob.RICUR, Paul, 1983-84-85, Temps et rcit,I-II-III, Paris, Seuil.