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3:HIKNLI=XUXZUV:?b@b@k@p@g; M 03183 - 1105 S - F: 3,50 E Iran Pourquoi Téhéran menace Pablo Neruda Enquête sur une mort mystérieuse Napoléon Les Russes rejouent la Berezina Afrique CFA : 2 600 FCFA - Algérie : 450 DA Allemagne : 4,00 € - Autriche : 4,00 € - Canada : 5,95 $CAN DOM : 4,20 € - Espagne : 4,00 € - E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ Grèce : 4,00 € - Irlande : 4,00 € - Italie : 4,00 € - Japon : 700 ¥ Maroc : 30 DH - Norvège : 50 NOK - Portugal cont. : 4,00 € Suisse : 5,90 CHF - Tunisie : 4,50 DTU - TOM : 700 CFP www.courrierinternational.com N° 1 105 du 5 au 11 janvier 2011 France 3,50 € Où va le XXI e siècle ? L’Occident face aux puissances de demain En cadeau Un atlas n° 1 de la collection “Tout un monde en cartes”

Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

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France3,50 €

Où va le XXIesiècle ?

L’Occident face aux puissances

de demain

En cadeauUn atlas

n°1 de la collection

“Tout un monde

en cartes”

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Editorial

Tout un mondeen 1 000 cartes

A Courrier internationalnous aimons les cartes.Sans ces précieux outilsgraphiques, comment com-prendre l’actualité ? Prenez,par exemple, la question dumoment : la guerre entrel’Iran et les Etats-Unis. Cesderniers jours, Téhéran a

élevé la voix contre les sanctions imposées parWashington et a fait jouer la fibre nationale (voirp. 39). Une manière pour un régime affaibli de res-souder une grande partie de la population autour delui. L’Iran prétend donc avoir produit de l’uraniumenrichi à 20 % et menace de fermer le détroit d’Or-muz, étroit couloir où transite 40 % du pétrole pro-duit dans le monde ! On voit tout de suite que de cedétroit dépendent l’économie mondiale et le pointd’équilibre entre chiites et sunnites…

Autre exemple : la campagne électorale améri-caine. Difficile de suivre les primaires sans connaîtrela géographie, donc sans cartes. Le 3 janvier, uncaucus a eu lieu dans l’Iowa, et le 10 ce sera au tourdu New Hampshire de voter. “L’Iowa produit dumaïs, le New Hampshire des présidents”, a déclaré lecandidat républicain Jon Huntsman. Au-delà dela boutade, on comprend que le premier Etat estrural, conservateur, très Middle West. Le NewHampshire, situé sur la côte Est, est en revancheplus équilibré, avec des électeurs indépendantscapables de faire la différence.

Dernier exemple, la bascule entre Vieux et Nou-veau Monde. Dans notre dossier (pp. 12 à 18), nousouvrons quelques pistes pour imaginer ce que serale XXIe siècle. Déjà l’on sait que le Brésil est la sixièmeéconomie mondiale et que l’Amérique latine pourraitbientôt s’imposer sur la scène mondiale ; que le Nige-ria pourrait dépasser l’Afrique du Sud en 2025 (sitoutefois ce pays n’explose pas dans une lutte reli-gieuse entre chrétiens et musulmans) ; enfin, que laRussie attend sa révolution et que l’Asie n’a pasencore de leader incontesté…

Pour se repérer dans ce monde qui bouge, Cour-rier international lance donc une série d’atlas, en par-tenariat avec les éditions Autrement. Cette séries’intitule “Tout un monde en cartes”. Une offre trèsavantageuse sera bientôt faite à nos amis abonnés,de 69 euros pour les 12 volumes (port inclus, offreréservée à la France métropolitaine jusqu’au 29 février).Quant à nos lecteurs au numéro, qui ont entre lesmains le premier volume – un atlas mondial –, il leursera proposé chaque semaine un nouveau volume auprix de 6,40 euros. Le 12 janvier, je les invite à décou-vrir l’atlas de la Chine : 64 pages de cartes, de gra-phiques et de données essentielles pour comprendrele destin de ce “pays du Milieu” qui pourrait un jours’imposer au monde comme première puissance.Philippe Thureau-Dangin

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� En couverture : dessin de Beppe Giacobbe, Italie.

Sommaire

5 Planète presse6 A suivre8 Les gens

Les opinions10 Controverse Faut-il enterrer la loisur le génocide arménien ?

En couverture12 Où va le monde ?Paralysé par la crise, l’Occident voit son influence contestée. La montée des pays émergents attise les ambitions :et si l’Amérique latine dominait le monde au XXIIe siècle ? Elle devracomposer avec l’Asie, nouveau centrede gravité de la planète. L’Afrique, poidslourd démographique, veut aussicompter, mais gare à l’afro-optimisme !

20FranceBoutez Napoléonhors de Russie !

30AmériquesPablo Neruda a-t-il été assassiné ?

n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

D’un continent à l’autre 20 FranceCommémoration Boutez Napoléon hors de Russie ! 22 EuropeInstitutions Et si l’UE finissait comme la fédération de Tito ?Palmarès “And the winner is...”Hongrie Culture : c’est la chute finalePologne Au pays de la croix, la religionn’est plus ce qu’elle étaitAutriche-Italie Le séparatisme des Tyroliens est de retour27 AmériquesCanada L’amiante, c’est bon pour les exportationsChili Pablo Neruda a-t-il été assassiné ?32 Asie Japon A Fukushima, il faut savoirécouter les irradiésCorée du Nord Epaules fragiles pour héritage difficileMyanmar Faute de Chinoise, achète-toiune Birmane

37 Moyen-OrientSyrie La guerre au sein des couplesmixtesPalestine Une économie sous perfusionIran Une série de succès regonfleTéhéran40 AfriqueNigeria Un géant menacé d’implosionSoudan La rébellion du DarfourdécapitéeTanzanie La beauté mâle fait fureur42 EconomieEmploi La chasse aux talents a commencéPays émergents Les consommateurs de demainFraudes L’année des chasseurs de primes44 EcologieEspaces naturels Le Chaco, paradis des loups à crinière, des fourmiliers et des tatous ?46 MédiasCorée du Sud L’émission qui rend la politique croustillante

Long courrier 48 Voyage Beyrouth, ville monde51 Mode Les fripes aussi ont une mémoire52 Le livre Le Ramayana côté femmes54 Insolites Il pleut des morts

3

46MédiasL’émission qui rend la politique croustillante

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Tout un monde en cartesUne série de 12 atlas proposée par et

19 janvierClimat

26 janvierEtats-Unis

2 févrierMafias

9 févrierLangues

L’atlas de 64 pages

6,40 €en plus de Courrier

international

Chez votre marchand de journauxCourrier international peut être vendu seul (3,50 €)

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Le 12 janvier, avec Courrier international

la Chine en 100 cartes

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Planète presse

Armenia Today(armtoday.info) Arménie.Créé par un groupe dejournalistes indépendants, le site propose desinformations et des analysesd’experts sur l’Arménie et la diaspora, mais aussi surla région du Caucase du Sud.L’objectivité etl’indépendance sont lesmoteurs de la rédaction.Asia Sentinel(asiasentinel.com) Chine.Créé en 2006, ce site publiedes analyses et deséclairages rédigés par des spécialistes de l’Asie. On y retrouve des signaturesissues de grands titres de la presse hongkongaiseanglophone disparus cesdernières années.Asia Times Online(atimes.com) Chine. Lancéefin 1995, l’édition papier de ce journal anglophones’est arrêtée en juillet 1997 et a donné naissance en 1999à un journal en lignerégional. Alors que la pressed’actualité régionale a perduses principauxreprésentants, ce webzineétend son champ d’action au Moyen-Orient.Bitter Lemons(bitterlemons.org) Israël. Le site web israélo-palestinien “Citrons amers”a été fondé en 2001, après le déclenchement de la deuxième Intifada et l’implosion du processusdiplomatique entre Israël et l’OLP. Bitter Lemons ouvreun remarquable et largeespace de dialogue entreintellectuels et politiques,toutes tendancesconfondues.Dilema Veche 21 000 ex.,Roumanie, hebdomadaire.“Le Vieux Dilemme” est la version enrichie dumagazine culturel roumainDilema, fondé en 1993.nombreuses publicationssportives dans le monde.Gazeta Wyborcza396 000 ex., Pologne,

quotidien. “La Gazetteélectorale”, fondée parAdam Michnik en mai 1989,est devenue un grand titremalgré ses faibles moyens.Son ambition est d’offrir unjournal informatif et laïc. Son supplément du jeudi,Duzy Format, cultive la tradition du reportagelittéraire à la polonaise.Hankook Ilbo1 900 000 ex., Corée du Sud,quotidien. Fondé en 1954,“Le Quotidien de Corée du Sud”, est l’un desprincipaux journaux du payspar le tirage. Il est appréciépour sa ligne éditoriale“neutre” en matière de politique intérieureMail & Guardian41 000 ex., Afrique du Sud,hebdomadaire. Fondé en 1985, sous le nom deWeekly Mail, le titre a étéremis à flot dans les années1990 par le Guardiande Londres et appartientdepuis 2002 au patron depresse zimbabwéen TrevorNcube. Résolument àgauche, le Mail & Guardianmilite pour une Afrique du Sud plus tolérante.Mid Day Inde, quotidien.Ce tabloïd de Bombay esttrès apprécié des habitantsde la capitale économiqueindienne. Outre les pagespeople, le titre donne une place particulière aujournalisme d’investigation.Il est réputé pour ses enquêtes sur la mafia de Bombay. La Nación 185 000 ex.,Argentine, quotidien. Fondéen 1870 par l’ex-présidentBartolomé Mitre (1862-1868),le titre est une institution de la presse argentinedestiné aux élites. Il présente une rubriqueinternationale de qualité quicontribue à sa réputation.The Nation Nigeria,quotidien. Deuxième journalle plus lu du pays, il sedistingue par une forteprésence dans l’ensemble du territoire. Néanmoins, il ala réputation d’être le médiades élites intellectuelles et économiques.OpenDemocracy(opendemocracy.net)Royaume-Uni. Edité

par l’association britanniquedu même nom, “Démocratieouverte” s’est donné pourmission d’“ouvrir un espacedémocratique de débat et favoriser l’indépendancede la pensée”. A cet effet, il ouvre ses colonnes à desauteurs du monde entier et plus particulièrement dutiers-monde.Le Pays 20 000 ex., BurkinaFaso, quotidien. Fondé enoctobre 1991, ce journalindépendant est rapidement

devenu le titre le pluspopulaire du Burkina Faso.Proche de l’opposition, il multiplie les éditoriaux auvitriol.Vatan 150 000 ex., Turquie,quotidien. Créé en 2002, “La patrie”, qui appartientau grand groupe de presseDogan Yayin Holding(Hürriyet, Milliyet,Radikal, etc.), se montre très critique à l’égard de l’AKP (parti islamiquemodéré, au pouvoir).

Weekly Kyunhyang92 000 ex., Corée du Sud,hebdomadaire. Le titre a étécréé en 1992 sous le nom deNewsmaker par le quotidienKyunghyang Sinmun.S’affichant “progressistemodéré”, il veut sedémarquer des titresconservateurs du pays maisaussi de l’hebdo de gaucheHankyoreh 21, en traitant denombreux sujets autres quepolitiques. Le magazine apris son nom actuel en 2007.

Parmi nossources cettesemaine

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Philippe Thureau-DanginAssistante Dalila Bounekta (16 16)Rédacteurs en chef Eric Chol (16 98), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Isabelle Lauze (16 54), CatherineAndré (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Jean-Hébert Armengaud(édition, 16 57). Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70),Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), IwonaOstapkowicz (Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 1732), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer(Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas(Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie),Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), MartinaBulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro,Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa(Estonie) Russie, Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service,16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14),Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95), Anne Proenza (Amériquelatine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud(chefs de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asiedu Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 1638), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique),Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), KazuhikoYatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69),Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby(Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique duSud) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences AnhHoà Truong (chef de rubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (chefde rubrique, 17 36) Long courrier Isabelle Lauze (16 54), RomanSchmidt (17 48) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Ils etelles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 1682), Mathilde Melot (marketing), Paul Blondé (rédacteur, 16 65)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677),Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier(chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais),Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais),Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais,espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)

Révision Jean-Luc Majouret (16 42), Marianne Bonneau, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche,Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia,Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet,Alexandre ErrichielloCartographie Thierry Gauthé (16 70)

Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (direc -trice adjointe) et Sarah Tréhin. Impression, brochage Maury, 45191Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Jean-Baptiste Bor, Kevin Le Bras,Valérie Brunissen, Isabelle Bryskier, Darya Clarinard, Pierre-LaurentCosset, Geneviève Deschamps, Mark Dillon, Bernadette Dremière,Marion Gronier, Catherine Guichard, Nathalie Kantt, CélineMerrien, Valentine Morizot, Jean Perrenoud, Albane Salzberg, LeslieTalaga, Nicole Thirion

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NatachaScheubel (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan. GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13), Nicolas Guillement.Comptabilité : 01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta(16 16). Ventes au numéro Responsable publications : Brigitte Billiard.Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit :Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale :Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand(16 91), Sweeta Subbamah (16 89), Elodie Prost Publicité M Publicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. : 0140 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée :Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : SandrineLarairie ([email protected], 13 47), Kenza Merzoug ([email protected], 13 46), Hedwige Thaler ([email protected], 1407).Littérature : Béatrice Truskolaski ([email protected], 13 80).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09).Annoncesclassées : Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution :Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97) Site Internet Alexandre deMontmarin ([email protected], 01 53 38 46 58).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

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Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 5

courrierinternational.com

Courrier international n° 1105

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal novembre 2011 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur lesexemplaires kiosque France métropolitaine et un encart Dell surles exemplaires kiosque et les abonnés France métropolitaine.

Courrier international, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier InternationalSA c/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

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A suivre6 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Israël

Bras de fer entrereligieux et laïcs“Il est important de se rappeler que la Shoah n’a pas commencé avec les chambres à gaz, mais a été précédée par une campagne désordonnéed’incitation [à la haine] contre les juifs.Même après la nuit de Cristal, certains ontpréféré fermer les yeux. Ce qui se passeaujourd’hui ressemble à ces années.”C’est en ces termes qu’un membre de lacommunauté haredi (ultraorthodoxe)explique dans Yediot Aharonot le sens de la manifestation du 31 décembre à Jérusalem, où figuraient des enfantsen tenue rayée de déportés arborantl’étoile jaune imposée naguère par les nazis. Une manifestationorganisée, dans un climat de tensionentre religieux et laïcs, pour dénoncerl’hostilité des médias à l’égard desultraorthodoxes. Ces derniers sontaccusés de vouloir imposer à la sociétéisraélienne, notamment à Jérusalem,leurs codes religieux et de discriminerles femmes.

Kurdes

Bavure tragiqueLe 28 décembre, 35 Kurdes ont été tuéspar un bombardement aérien à la frontière entre la Turquie et l’Irak.“Ces jeunes villageois étaient descontrebandiers que l’armée a pris pour des rebelles du PKK [armée de libérationdu Kurdistan]”, s’insurge The KurdistanTribune. Le journal rappelle que lacontrebande est une source importantede revenus pour les populationspauvres de la région, une activité bien

connue des Turcs. Le Premier ministreturc Recep Tayyip Erdogan a regretté,le 30 décembre, la mort de ces jeunescontrebandiers, une bavure vivementcritiquée par la presse turque. Le PKK a appelé le même jour à un soulèvementde la population de la région.

Inde

La loi anticorruption,quel fiasco !Confronté à la mobilisation populaireemmenée tout au long de l’année par le militant anticorruption Anna Hazare,le gouvernement avait promis que cette loi tant attendue serait approuvéeavant fin 2011. Adopté le 27 décembrepar la Chambre haute du Parlement, le texte (Lokpal Bill) n’a pourtant pasété soumis au vote de la Chambrebasse, du fait de l’avalanched’amendements déposés par ses détracteurs. Il faut maintenantattendre la rentrée parlementaire,

en février. “Cette loi est un échec.Personne n’en veut, car cela sonnerait la fin de la politique telle qu’elle se joueaujourd’hui”, accuse le sited’information First Post, pour qui“aucun homme politique ne veut vraimentce que veut le peuple : des institutionsfortes pour combattre la corruption”. La loi prévoit la création d’un poste de médiateur chargé d’enquêter sur les hauts responsables politiques,les fonctionnaires, et même le Premier ministre.

Russie

MobilisationhistoriqueLes manifestations du 24 décembreont été encore plusimpressionnantes que celles du 10 décembre : plus de100 000 personnes à Moscou,plusieurs milliers ou dizainesde milliers dans les autres

villes. Les manifestants réclamaientl’annulation des résultats deslégislatives du 4 décembre, entachées de fraudes grossières, ainsi que la tenued’un nouveau scrutin. “La nouvelleDouma a commencé son travail, et revoirles résultats des élections est impossible”,a martelé, le 27 décembre, le Premierministre Vladimir Poutine, candidat à la présidentielle du 4 mars. La trêvedu nouvel an et du Noël orthodoxesarrive à point nommé pour le régime.Mais, comme le dit malicieusementdans Kommersant Oleg Kachine, le journaliste gravement molestéen 2010 : “On ne peut pas remettre le dentifrice dans le tube une fois qu’il estsorti. Cette simple règle est la garantie la plus fiable des changements à venir.”

Etats-Unis

Caucus : tout se jouedans le New HampshireSept candidats se sont affrontés le3 janvier dans l’Iowa pour le premierscrutin des primaires républicaines. Ce caucus a permis à l’outsider RonPaul d’occuper le devant de la scène,mais “Paul peut bien prendre l’Iowa, cela n’aura pas d’importance”, titre TheBoston Globe. Pour ce quotidien commepour The Washington Post, Mitt Romneyreste le favori. Le véritable tremplinpour une investiture rapide sera lescrutin du New Hampshire, le

10 janvier. Cet Etat reste“une forteresse de granite

occupée par Romney”,rappelle TheWashington Post.Côté démocrate,Obama a la confiancede 47 % des

Américains, d’aprèsun sondage publié le27 décembre par

l’institut Gallup.

Missiles L’armée iranienne a testé plusieurs missiles demoyenne et longue portée entre le 31 décembre et le 2 janvierdans le détroit d’Ormuz, qui voit transiter 40 % du pétrolemondial. Téhéran répond ainsi aux Occidentaux, quimenacent de renforcer les sanctions économiques imposéesà l’Iran pour protester contre son programme nucléaire.

Afrique du Sud

L’ANC fête ses 100 ans6 janvier Coup d’envoi des festivités du centenaire du Congrès national africain(ANC) à Bloemfontein, dans le centre du pays. Ce parti, avec Nelson Mandela à sa tête, a mené la lutte contre l’apartheid. Depuis la fin de ce système, en 1991, l’ANC gouverne le pays sans partage.

8 janvierEn Corée du Nord, le toutnouveau dirigeant Kim Jong-un (qui vient de succéder à sonpère, Kim Jong-il), fête ses 29 ans. Il est probable que cette journée soit fériée, etque des rations extraordinairessoient distribuées aux cadresdu Parti du travail ainsi qu’à la population.

9 janvierEn Malaisie, le verdict du procèsde l’opposant Anwar Ibrahim,poursuivi une seconde fois pour

sodomie, doit être rendu.Anwar n’a cessé de clamer son innocence et de dénoncerun coup monté pour l’écarterde la scène politique.

10 janvierClôture du scrutin des législatives égyptiennes. Ces élections à deux tours ontcommencé le 28 novembre,pour se dérouler en trois étapesdans trois circonscriptions.Manifestations et violencespolicières ont marqué le processus. Le parti Liberté

et Justice des Frères musulmansarrive en tête, talonné par le parti salafiste Al-Nour, quiréalise une percée inattendue.

12 janvierDeuxième anniversaire du séisme meurtrier en Haïti. La reconstruction est loin d’être terminée. Quelque500 000 personnes viventencore dans des camps et,selon les Nations unies, presquela moitié de la population du pays est dans une situationd’insécurité alimentaire. JA

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Iran

Agenda

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Les gens

Ils et elles ont ditBenyamin Nétanyahou, Premier ministreisraélien (droite)� Egalitaire“En Israël, les femmes ontleur place dans le cockpit, ellespeuvent alorss’asseoir là où ellesveulent”, a-t-il déclaréaux nouveaux pilotes, parmi lesquelscinq femmes, lors d’une cérémonie à la base aérienne de Hatserim. Il réagit à la multiplication d’incidentsprovoqués par des utraorthodoxes,qui exigent une séparation des sexes.(The Jerusalem Post, Israël)

Baik Keun-shik, citoyen nord-coréen� Abasourdi“En cinquante ans de vie ici,je n’ai jamais rien vu de pareil.”La tristesse après le décès de KimJong-il a été partagée mêmepar les oiseaux : des pies ont afflué en masse, pour rester ensuitepresque immobiles, au mémorial du “Cher Leader” de la ville minière d’Unsan.(Télévision KRT, Pyongyang)

Thomas J. Parocki, évêque catholique américain de Springfield (Illinois)� Intraitable“Au nom de la tolérance, on nenous tolère pas.” Les évêquescatholiques de l’Etat de l’Illinois ont décidé de fermer la plupart de leurs organisations caritatives,dont les centres d’adoption, de crainte que la nouvelle législation ne les oblige à reconnaître le mariagegay et à confier les enfants à ce genre de couples.(The New York Times, Etats-Unis)

Mitt Romney, candidat à l’investiture républicaine� Ironique“Quand le président BarackObama commente l’économieen disant : ‘Ça pourrait être pire’, il me rappelle Marie-Antoinette et son ‘Qu’ils mangent de la brioche’”.(The Huffington Post, New York)

Vladimir Poutine, Premier ministre russe� GénéreuxQuel genre de cadeaux de fin d’année aimerait-il offrir à ses concitoyens ? “Une électionprésidentielle honnête au mois de mars 2012”, répond-il. (Moskovski Komsomolets, Russie)

Hugo Chávez, président du Venezuela� Paranoïaque“Je ne veux pas lancerd’accusations imprudentes, mais c’est très, très bizarre.” Cinq présidents sud-américains, dont lui-même, sont malades du cancer. Ils seraient, suggère-t-il,infectés par les Etats-Unis, qui, entre 1946 et 1948, ont mené

au Guatemala desexpériences

sur la transmissionde maladies

sexuelles.(CNN, Atlanta)

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� Chuka UmannaDessin de Carrilhopour Courrierinternational.

8 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Chuka Umunna

L’impatientAnglaisThe Nation Lagos

Il s’appelle Chuka Umunna. Son père est nigérian et sa mère britannique, ce quilui donne droit à la double nationalité. A 33 ans, il vient d’être nommé secrétaired’Etat au Commerce, à l’Innovation et au Savoir-Faire dans le cabinet fantôme

du Parti travailliste dirigé par Ed Miliband.Considéré comme l’étoile montante du parti,il a eu maille à partir avec des parlementairesjaloux qui l’ont accusé de remplir son mandatà la Chambre des communes comme s’il était président.Cet ancien avocat de la City, promu ministredu cabinet fantôme au mois de novembre, a réalisé une ascension fulgurante au sein du Parti travailliste depuis son élection au Parlement, il y a dix-huit mois.

On le surnomme l’“Obama britannique” en raison de ses origines africaines, de sonélégance et de son talent, une image qu’il necherche guère à dissiper si l’on en juge parcette déclaration : “Je ne serais pas surpris de voir un Premier ministre noir de mon vivant.”D’après des documents divulgués par The Mail on Sunday, M. Umunna auraitonze personnes à son service, soit plus du double de la plupart de sesconfrères au sein du gouvernementfantôme. Son équipe, payée200 000 livres [239 000 euros] autotal, inclut trois conseillers politiques,un assistant et un spécialiste de lacommunication. La “cour du roi Chuka”,comme l’appellent certains parlementairestravaillistes, repose sur un organigrammecomplexe à la tête duquel se trouveM. Umunna.Ses collaborateurs les mieux payésperçoivent, dit-on, 40 000 livres[47 800 euros] par an. M. Umunna nie les rémunérer de ses propres deniers. Etonnécomme beaucoup de parlementaires par la taille de cette équipe, un ministre du cabinet fantôme a déclaré : “Cela ressembledavantage à un empire qu’à un secrétariat. Je ne peux pas croire qu’il ait besoin d’une telleescorte et je suis sidéré de voir combien il lesrémunère. Il a beaucoup plus de collaborateursque nous autres. C’est stupéfiant.”Selon son porte-parole, M. Umunna emploie,outre un stagiaire non rémunéré, troispersonnes à plein temps et une à tempspartiel pour sa circonscription, ainsi qu’unassistant. “C’est l’équivalent de ce qu’ont

“La cour du roi Chuka” est raillée par certainsélus travaillistes

les autres parlementaires londoniens et cela reflète le très gros volume de travail d’une circonscription comme celle de Streatham.En tant que secrétaire au Commerce, M. Umunnaa deux conseillers à plein temps, un employé à temps partiel détaché du secteur privé et un autre du bureau du chef de l’opposition, qui ne travaille qu’un jour par semaine. C’est commeson prédécesseur et cela n’a rien d’inhabituel.”Pour un porte-parole du Parti travailliste, “ces effectifs reflètent l’importance qu’EdMiliband attache au portefeuille du Commerce”.Le 2 décembre, M. Umunna a déclaré devantdes étudiants : “Comme vous le savez, je suisl’homologue de Vince Cable. Vince est un peu différent de moi ; il est en place depuis pluslongtemps. En fait, un journaliste a souligné à l’occasion de ma nomination, en octobre, que Vince n’a pas seulement le double de mon âge,mais qu’il a été membre du Parti travailliste deuxfois plus longtemps que moi. Quoi qu’il en soit,même si Shabana Mahmood [ministre de l’Enseignement dans le cabinet fantôme] et moi-même ne sommes pas au pouvoir, nous avons un rôle important à jouer en tant que membres de l’opposition obligeant le gouvernement à rendre des comptes

et à agir correctement avec les étudiants, les institutions que fréquentent

les étudiants, leurs employés et, par-dessus tout, notre pays.”

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10 � Courrier international |n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Controverse

NonIl faut que la réalité du génocide soit reconnue par tous etpartout pour que les Arméniens puissent enfin surmonter letraumatisme de 1915-1916, argumente un politologue d’Arménie.

Armenia Today (extraits) Erevan

Un génocide, et en particulier celui dont ont été victimes lesArméniens, n’est pas un simple fait historique. C’est le plusgrave des crimes, le “crime des crimes”, comme le définissentles juristes. Car il recèle en lui-même toute une série d’autrescrimes : meurtres, viols, détournements de mineurs, traficd’être humains, privation illégale de liberté, confiscation ou

destruction de biens appartenant à autrui, anéantissement ou vol de patri-moine culturel… En fait, il englobe le code pénal à lui tout seul. Et nier publi-quement un génocide revient à le justifier, à l’encourager – ce qui ne constituepas simplement une complicité de crime, mais un crime en soi.

Je le répète, un génocide n’est pas un fait historique au sujet duquel peu-vent exister différentes opinions. C’est un crime, et un crime ne peut sus-citer qu’une seule réaction : une condamnation, à tout le moins morale sile châtiment est impossible. L’un des objectifs d’une telle réprobation estd’éviter qu’un nouveau crime ne survienne. Car rien n’encourage autant uncriminel et ne le pousse mieux à recommencer que l’impunité dont il a béné-ficié la fois précédente.

Pourquoi ai-je écrit, au début de ce texte, “en particulier celui dont ont étévictimes les Arméniens” ? Pour une raison très simple : ce génocide-là est leseul qui se poursuive encore, car ses conséquences durent aujourd’hui. Jem’explique : tous ceux qui, au fil des décennies, ont perpétré des génocidesont été condamnés d’une façon ou d’une autre, leurs victimes ont été dédom-magées, entièrement ou partiellement, certaines le sont encore, ce qui signi-fie que l’on peut considérer que les conséquences du crime initial ont étésurmontées. Le génocide des Arméniens, en revanche, est le seul pour lequelles criminels n’ont pas été condamnés au niveau international, ni juridi-quement ni moralement.

Le génocide arménien se poursuit aujourd’hui parce que ses consé-quences sont toujours à l’œuvre. Si l’Arménie actuelle subit un blocus[imposé en 1993 par l’Azerbaïdjan, avec le soutien de la Turquie], c’est àcause du génocide. Si la république d’Arménie a perdu une part importantede son territoire, dont son accès à la mer et des espaces indispensables àson développement, c’est à la suite du génocide. Tout cela l’a rendue beau-coup plus vulnérable sur le plan militaire. Aujourd’hui, une grande partiedes citoyens de la république d’Arménie vivent mal. Les raisons en sontmultiples, et les causes internes nombreuses, mais les causes extérieuressont importantes, voire primordiales. Et la première d’entre elles se trouvedans les conséquences toujours présentes du génocide. Tant que celles-cine seront pas effacées, les citoyens de la république d’Arménie ne pourrontconnaître ni sécurité, ni prospérité.

Evidemment, une bonne gestion apporterait un certain mieux, mais ceteffet serait très limité, instable et fragile. Bien sûr, le régime en place jouelui aussi un rôle important, il est le garant d’une vie décente. On pourraitfaire une analogie avec le levain, sans lequel il est impossible de pétrir lebon pain quotidien ; mais, sans céréales et sans terres où les cultiver, lelevain devient un luxe périssable. Il faut comprendre que la reconnaissancedu génocide des Arméniens, la condamnation ou la criminalisation de sa

� ContexteLe 22 décembre, les députés françaisont adopté un projetde loi qui punit d’un an de prison et de 45 000 eurosd’amende lacontestation desgénocides. Le texteconcerne entre autresle génocide arméniende 1915-1916, qui a fait quelque900 000 morts surl’ancien territoireottoman.Ankara, qui a rappeléson ambassadeur à Paris, menace laFrance de représailleséconomiques si letexte du 22 décembredevient loi. Celui-cidoit encore êtresoumis au Sénat, à une date qui reste à déterminer.Les autorités turquesont toujours nié la réalité du génocidearménien. Et depuisque, en 2001, la Francea reconnu ce derniercomme tel, le sujet ne cesse de crisper les relations entre les deux pays.

Doit-on enterrer la loi sur le génocide arménien ?négation sont des étapes permettant de surmonter les conséquences de cegénocide. Et, en l’espèce, l’initiative française représente la première ten-tative de placer le génocide des Arméniens sur le même plan que l’Holo-causte, avec toutes les implications juridiques qui en découlent. Ara Papian

OuiLe texte voté par le Parlement, partiel et partial, pourrait serévéler dangereusement contre-productif, estime unpolitologue turc, auteur en 2008 d’un appel au pardon lancéen direction des Arméniens.

Vatan (extraits) Istanbul

On ne peut pas dire que la loi française pénalisant le néga-tionnisme remplisse les objectifs politiques et moraux quidevaient être les siens. Les gains politiques de cette initia-tive, lancée dans l’urgence par un Sarkozy inquiet quant àses chances d’être réélu, ont d’emblée été réduits à néantdès lors que le candidat socialiste François Hollande a

annoncé soutenir lui aussi l’esprit de cette loi. Et encore faudrait-il qu’ilexiste en France un vote arménien sur le mode communautariste améri-cain. En effet, la grande majorité des Français d’origine arménienne nevotent pas en fonction de motifs d’ordre communautaire. Pas sûr, donc,qu’ils succombent si facilement aux manipulations partisanes.

Par ailleurs, la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008 [sur“la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie aumoyen du droit pénal”], qui est à la base du texte français, couvre un domaineplus vaste. Elle concerne aussi, par exemple, le génocide des Tutsis auRwanda [en 1994], que la France a eu tant de mal à reconnaître. Dans cesconditions, la volonté française de se limiter à la seule négation du géno-cide arménien [le seul avec l’Holocauste à être établi comme tel par la loifrançaise] est révélatrice d’un système deux poids deux mesures ; la crédi-bilité du législateur français s’en trouve forcément entamée.

Le vote français démontre aussi que toute la stratégie défensive de l’Etatturc, faite de lobbying et de menaces, ne sert à rien. Dans ces conditions, etalors que nous approchons de 2015 et du centenaire du génocide arménien,il convient de remettre en question la façon dont l’historiographie officielleturque couvre le sort fait aux Arméniens et aux non-musulmans dans notrepays. D’autant plus que, depuis une dizaine d’années, la Turquie vit un pro-cessus très salutaire de révision de son histoire, initié par la société civile.C’est ainsi que refait surface aujourd’hui toute la mémoire individuelle etcollective relative aux Arméniens et aux Syriaques, qui, dans le processusde formation de l’Etat-nation turc, ont quasiment été rayés de la carte. Ceprocessus est également à l’œuvre à propos des Grecs exclus du territoireturc, des Kurdes et des Alevis [chiites hétérodoxes anatoliens], dont l’exis-tence même a été niée. La poursuite de ce processus est d’une importancevitale pour l’avenir de la démocratie dans notre pays. Et ni le vote de la loifrançaise, ni les réactions émotives de ceux qui la contestent ne sont denature à faciliter ce travail de mémoire. Le vote français a plutôt redonnédes couleurs au courant nationaliste et négationniste turc.

La loi crée aussi une situation problématique du point de vue de la libertéd’expression. Une Turquie où des écrivains, des politiques, des professeursd’université, des réfractaires au service militaire croupissent en prison pourdes motifs douteux n’est pas très crédible lorsqu’elle prétend défendre laliberté d’expression. Quant au génocide arménien, il est toujours interditlégalement d’affirmer qu’il a eu lieu, alors qu’en France il sera désormaisinterdit de dire le contraire [si le texte est adopté par le Sénat].

Ainsi, il sera bientôt possible, en France, d’être pénalisé pour avoir “mini-misé de façon outrancière” un génocide, mais pas pour avoir “minimisé de façonoutrancière” l’islam, comme ce fut le cas lors de l’affaire des caricatures duprophète Mahomet. D’un point de vue éthique, il est compréhensible d’es-timer que le sacré ne rentre pas dans le cadre de la liberté d’expression. Acondition toutefois de ne pas être sélectif et de ne faire aucune hiérarchieentre tragédies et croyances. Cengiz Aktar

Elysée 2012 vu d’ailleursavec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 17 h 10

La campagne présidentielle vue de l’étranger chaque semaine avec

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En couverture12 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Où va le XXIe siècle ?

� Paralysé par la crise, l’Occident voit son influencecontestée. La montée des pays émergents attiseles ambitions : et si l’Amérique latine dominaitle monde au XXIIe siècle ? � Elle devra composeravec l’Asie, nouveau centre de gravité dela planète. L’Afrique, poids lourd démo-graphique, veut aussi compter, maisgare à l’afro-optimisme !

Vieux et Nouveau Monde

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Un nouvel ordre mondial est en train de naître, qui verra la fin de lasuprématie occidentale. Au lieu de fermer les yeux, mieux vaudrait se préparer à la montée en puissancedu reste du monde.

Stern (extraits) Hambourg

Il y a cinq ans, le monde semblait encoreêtre ce qu’on croyait qu’il était. Lors dusommet du G8 [organisé par l’Allemagneen juin 2007 sur les rives de la mer Bal-tique] à Heiligendamm, les chefs d’Etataméricain, japonais, allemand, français, bri-

tannique, italien, canadien et russe se réunissaientpour se concerter sur l’ordre du monde. Ils s’affi-chaient dans des fauteuils en osier, publiaient uncommuniqué et promettaient des fonds àl’Afrique. Une légion de journalistes, de mani-festants et de policiers tourbillonnait autourd’eux. Rien ne laissait paraître que ce sommetsignait la fin d’une époque.

A l’automne de l’année suivante, l’effondre-ment de la banque Lehman Brothers marquaitle début de la crise financière qui a englouti desmilliards de dollars de par le monde, mais qui asurtout prodigieusement accéléré une tendancedéjà sensible  : le déclin de l’Occident et lamontée en puissance du reste du monde. Désor-mais, lorsque les grands chefs d’Etat se concer-tent, ils ne sont plus sept ou huit, mais plus devingt comme à Cannes en novembre 2011. Et cene sont plus les puissances européennes et lesEtats-Unis qui font la leçon à l’Asie ou à l’Amé-rique latine, mais l’inverse. La Chine se préoc-cupe de la dette américaine, la présidentebrésilienne [Dilma Rousseff] exige de l’Europequ’elle montre sa “volonté politique”, le gouver-neur de la banque centrale indienne [DuvvuriSubbarao] l’appelle à prendre des décisions diffi-ciles, et même l’Afrique du Sud se demande sielle ne devrait pas acheter des obligations euro-péennes pour épauler le Vieux Continent.

La domination de l’Occident, de son écono-mie, de ses sciences et de sa culture nous sembleaujourd’hui si normale que beaucoup d’entre nousont du mal à imaginer qu’autrefois il en allaitautrement. L’ascension de l’Europe a commencéau XVe siècle, mais ce n’est qu’avec la révolutionindustrielle, au début du XIXe siècle, qu’elle s’estaccélérée. Jusqu’alors, les centres du mondeétaient ailleurs : vers l’an mille, les scientifiquesarabes étaient très en avance sur ceux du Nord.La Chine compte des villes de plus de 1 milliond’habitants depuis le IXe siècle. Plus d’un demi-siècle avant Christophe Colomb, l’amiral ZhengHe explorait les côtes de l’Afrique et de la pénin-sule Arabique et, face à sa flotte imposante, lescaravelles de notre explorateur génois auraienteu l’air de frêles esquifs.

La rationalisation de la pensée qui a caracté-risé les Lumières a été déterminante pour l’as-cension de l’Europe : les générations futures nedevaient plus jouir d’une existence meilleure parla simple grâce divine, mais grâce aux nouvellesidées qui s’étaient imposées. Lorsque, en 1897, lareine Victoria célébra son jubilé de diamant[soixantième anniversaire de son règne], elle

comptait un quart de la population mondialeparmi ses sujets. Au XXe siècle, les Etats-Unissont devenus la première puissance du monde,et l’hégémonie mondiale est restée occidentale.Pour nous, cet ordre du monde est une sorte deloi de la nature. C’est presque l’achèvement del’histoire de l’humanité : à la station verticale età la domestication du feu ont succédé le déve-loppement de l’écriture, la maîtrise des forcesde la nature, la débâcle des idéologies totalitaires.Et une société démocratique s’est formée, qui acertes subi des revers, mais qui possède un telpouvoir d’attraction qu’aucun autre modèle nepeut la supplanter. Au début des années 1990,dans l’euphorie de la victoire sur le camp com-muniste, le philosophe [américain d’origine japo-naise] Francis Fukuyama fantasmait même surla “fin de l’Histoire”. Chaque nouvelle filiale deMcDonald’s qui s’ouvrait en Chine ou en Russiesemblait en être la preuve.

Et pourtant, vérité banale s’il en est, l’histoirene s’arrête pas. L’ère occidentale touche à sa fin.Les pays “émergents” contribuent déjà presqueautant à la production économique mondiale queles Etats du G7. Et ils nous auront bientôt rat-trapés. La Chine est, dans l’Histoire, le premierpays à afficher des taux de croissance aussi élevéspendant tant d’années d’affilée. En 2027, peut-être même avant, elle pourrait devenir la premièrepuissance économique mondiale.

L’Afrique n’est plus un cas désespéréDerrière les Brics, ces pays en plein boom que sontle Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique duSud, se pressent déjà les “Next 11” [les “onze pro-chains”], qui comprennent le Mexique, la Coréedu Sud et la Turquie, et qui sont en passe de riva-liser avec le club des pays industrialisés occiden-taux. Même l’Afrique, continent aux mille crises,n’est plus un cas désespéré. Rares sont aujour-d’hui les régions du monde qui peuvent s’enor-gueillir d’une croissance égale à celle de l’Afriquesubsaharienne – même si elle demeure limitée.

Le monde est sens dessus dessous. Le plusgrand centre commercial se trouve en Chine,l’édifice le plus élevé à Dubaï, la plus grosse indus-trie cinématographique en Inde, l’homme le plusriche est mexicain, et des entreprises africainesdélocalisent leur production en Europe, commec’est le cas du groupe pharmaceutique sud-afri-cain Aspen qui, en 2009, a racheté une usine dansla petite ville allemande de Bad Oldesloe [au norddu pays]. Avec la puissance économique s’accroîtla puissance politique. Prenons l’exemple desBrics : à l’origine, cet acronyme n’était qu’unecréation d’un analyste de Goldman Sachs ; aujour-d’hui, ces Etats se réunissent une fois par an.

Le nouvel axe est apparu clairement il y aquelques mois seulement, lorsque l’Afrique duSud a refusé au dalaï-lama le visa qu’il demandaitpour assister à l’anniversaire de son ami DesmondTutu, prix Nobel de la Paix – Pretoria [capitale del’Afrique du Sud] se soucie aujourd’hui davantagede ses relations avec Pékin que des valeurs “occi-dentales”. Pendant ce temps, avec la politiquenéo-ottomane qu’elle mène dans l’est de la Médi-terranée, la Turquie en pleine expansion montrede plus en plus nettement qu’elle a tourné le dosà son ambition d’intégrer l’Union européenne.

Et au-dessus de toutes ces nouvelles puis-sances trône la Chine. Peut-être les historiens desgénérations futures considéreront-ils que la césurehistorique ne s’est pas produite en 1989 [année dela chute du Mur], mais en 1978. Car c’est en 1978,au mois de décembre, que Deng Xiaoping déclara :“Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc. Tant

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 13

Il était une fois l’Occident

L’Occident est fini, ildoit céder sonsceptre… Maispourquoimaintenant ? DansCivilization, The Westand the Rest(“Civilisation :l’Occident et le reste”,publié en mars 2011en anglais auxéditions Allen Lane),l’historien écossaisNiall Fergusonidentifie “sixinnovations clés quiont donné àl’Occident l’avantagesur les autres

civilisations : laconcurrence, lascience, le droit depropriété, lamédecine, laprotection desconsommateurs,l’éthique au travail”,résume Andrew

Preston dans unecritique du livre paruedans The Globe andMail. Mais, après cinqsiècles de dominationoccidentale, cesvaleurs sont tombéesen désuétude. SelonNiall Ferguson,l’Occident a dilapidéson propre héritage,causant les raisons desa chute.Pour l’historien IanMorris, qui a publié enoctobre 2010 Whythe West Rules – ForNow (“Pourquoil’Occident domine –

pour le moment”,publié en anglais chezFarras, Straus andGiroux), la chute descivilisations, quellesqu’elles soient, estinéluctable. Passé uncertain degré de

développement, ellesfont face à un gouletd’étranglement etsont incapables deconcilier leursbesoins avec lararéfaction desressources et ladégradation del’environnement. Or l’Occident est allébien au-delà de ceseuil. Une “anomalie”qui pourrait prouverqu’il a su triompherde ce que Ian Morrisappelle “le paradoxedu développementsocial”.

Livres

Les déclinologues prennent la plume

Renversement des équilibres

1950 2000 2050 2100

0

1

2

3

4

5Asie

Sources : PricewaterhouseCoopers, le Monde en 2050, ONU

Population (en milliards d'habitants) Part du PIB mondial* (en %)

PAYS 2010 2050 ChineIndeEtats-UnisBrésilJaponRussieIndonésieAllemagneFranceNigéria

12,95,419,42,95,63,71,34,02,90,05

20,614,713,63,52,72,62,12,01,91,6

* Exprimé en parité de pouvoir d'achat

Afrique

EuropeAmérique latine

Amérique du NordOcéanie

� Les dessins de ce dossier sont de BeppeGiacobbe, Italie.

� 14

A lire

Début 2011, Courrierinternational publiaitun hors-série sur le grand basculementdu monde (toujours en vente sur le sitecourrierinternational.com).

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En couverture Où va le monde ?14 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

qu’il attrape les souris, c’est un bon chat.” Lesréformes économiques en Chine débutèrent ainsi.Et l’ascension du pays. Chacun de ses records éco-nomiques lui donne davantage d’assurance. EnAfrique, ses entreprises dictent des contrats pourl’exploitation des matières premières ; en Asie,ses voisins craignent son armée de plus en pluspuissante. Même les citoyens chinois lambda lais-sent de plus en plus ouvertement transparaîtreleur sentiment de supériorité culturelle. A Shan-ghai ou à Pékin, des étrangers se plaignent depuisquelque temps de ne plus être admis dans cer-tains bars ou clubs de nuit – réservés aux Chinois,leur explique-t-on.

Un aveuglement dangereuxL’ascension de la Chine représente un défi idéo-logique pour l’Occident. La notion de “moder-nité” n’est plus automatiquement associée à desvaleurs comme celle de la liberté d’opinion. Pékinmontre que la réussite économique ne mène pasnécessairement à un renforcement de la démo-cratie. Ce modèle nous inquiète – en Afrique,beaucoup d’Etats sont sérieusement tentés d’em-boîter le pas aux Chinois plutôt que de continuerde laisser l’Occident leur faire la leçon sur la ques-tion des droits de l’homme.

Qu’est-ce à dire pour nous, Occidentaux ?Nous croyons que notre vision du monde estabsolue, intemporelle. Nous considérons la tolé-rance, par exemple, comme une invention occi-dentale des temps modernes alors qu’au MoyenAge les musulmans qui dominaient la péninsuleIbérique autorisaient la liberté de culte bien plusque leurs voisins chrétiens. L’ombre que nousfaisons obscurcit notre vision de l’avenir. Nousécoutons des informations internationales surDeutschlandfunk [radio publique allemande] ousur la BBC, et nous ignorons que dans de vastesrégions du monde les chaînes Al-Jazira, NDTV(basée à New Delhi) et CCTV (à Pékin) donnentle ton. Nous croyons que l’ordre occidental est leplus juste – et nous ne nous demandons pas s’ilne serait pas préférable que la Chine, qui repré-sente 20 % de la population mondiale, domine lemonde à la place des Etats-Unis.

“C’est un paradoxe, écrit l’historien PaulCohen. Les Occidentaux, qui ont plus que quiconquecontribué à créer le monde moderne, sont les moins àmême de le comprendre.” Un jour, nous nousréveillerons et nous nous apercevrons que lemonde est devenu autre. D’ici là, nous pouvonsencore garder les yeux fermés quelque temps. Oubien nous préparer. Marc Goergen

Quand Stefan Zweig déménageen 1941 à Pétropolis, cette villeaux palais impériaux, nichéedans les montagnes près de Riode Janeiro, il est l’un des auteursles plus traduits au monde. Sescourts romans d’une grandetension où il explore la passion,l’obsession et le désespoirconnaissent un grand succès.Quelques mois plus tard, quandil se donne la mort à 60 ans –  démoralisé par l’avancée des nazis –, en compagnie de sa jeune épouse Lotte, sa patried’adoption retiendra sa

définition du Brésil, devenue l’undes clichés les plus rebattus surce pays : “terre d’avenir”. Tiréedu titre d’un essai de 1941, danslequel il fait l’éloge du plus grandpays d’Amérique latine [Brasil,país do futuro], cette formule a été recyclée ad nauseam telun refrain : “Le Brésil est le paysde l’avenir, et le sera toujours.”Une manière d’occulter que lepays a été longtemps gangrenépar l’inflation et la corruption.A l’heure où les perspectives du Brésil se sont nettementaméliorées, les Brésiliens

remettent Zweig à l’honneur.Son livre redevient d’actualité ettout le monde le cite, depuis lespublicitaires jusqu’aux diplomateseuropéens en visite. Même leprésident Obama, qui a visité lepays en mars dernier, a affirmédans son discours que l’“avenir”du Brésil était peut-être enfinarrivé. “Le Brésil n’est plus uneterre d’avenir. C’est le pays duprésent”, renchérit le BrésilienRomero Rodrigues, chef d’uneentreprise du Web. Dans undébat télévisé, rédacteur en chef aux éditions Publifolha,

Alcino Leite Neto, a comparél’importance de Zweig au Brésil àcelle du penseur français Alexisde Tocqueville, auteur de l’essaiDe la démocratie en Amérique,aux Etats-Unis. Deux filmsbrésiliens réalisés à partir de sesœuvres sont en production.L’optimisme de Zweig n’a pas étéentamé par les difficultésévidentes que connaissait leBrésil au début des années1940 (une espérance de vie de43 ans et 56 % d’analphabétisme).Certaines de ses analyses n’ontrien perdu de leur clairvoyance.

Il affirme, par exemple, que lePortugal, quand il a colonisé leBrésil, a été bien inspiré devider les prisons portugaisesdes éléments indésirables, qu’il expédiait de l’autre côtéde l’Atlantique. Le mystèreentoure toujours le suicide del’écrivain. Dans le message qu’il a laissé, où il se dépeintcomme un “homme sans pays”, il ne tarissait pas d’éloges sur le “merveilleux” Brésil qui l’avait accueilli.The New York Times(extraits)

Optimisme

Le Brésil n’est plus une “terre d’avenir”, mais une terre d’aujourd’hui

Oscar Guardiola-Rivera, un intellectuelcolombien vivant à Londres, expliquedans un essai publié en anglais commentle Sud – à commencer par l’Amériquelatine – “va conquérir le Nord”.

La Nación Buenos Aires

Achaque époque ses classiques.Dans les années  1970, le livreemblématique de notre régionétait Les Veines ouvertes de l’Amé-rique latine [Pocket, 2001]. Cetessai enflammé, écrit par le jour-

naliste et poète uruguayen Eduardo Galeano [néle 3 septembre 1940 à Montevideo], n’a laissé personne indifférent, suscitant successivementl’adhésion, la polémique, la censure. Oublié puisréinvesti par d’incessantes renaissances et relec-tures, il a atteint cette étape de vie indépendanteque connaissent de rares œuvres, à la fois repré-sentatives d’une époque et intemporelles.

La maison d’édition Bloomsbury, à Londres,a publié en 2010 un travail de longue haleine au

Bio

Militant, universitaire et consultant, le Colombien OscarGuardiola-Riveraest représentatif de cette génération de Latino-Américainsmondialisés.

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Un nouveau maître du monde pour le XXIIe siècle 

Amérique

latine

titre provocateur qui, par ses parallèles troublantsavec le livre de Galeano, peut apparaître commeune sorte de prolongement : What If Latin-Ame-rica Ruled the World ? How the South Will Take theNorth into the 22nd Century [Et si l’Amérique latinedirigeait le monde ? Comment le Sud va conqué-rir le Nord au XXIIe siècle]

Son auteur, Oscar Guardiola-Rivera, unColombien d’origine et de cœur, est professeurde relations internationales à la faculté de Bir-beck de l’université de Londres. En 2012, uneversion espagnole de l’ouvrage d’Oscar Guardiola-Rivera sortira chez RBA de Barcelone.

Eveil d’un continentLes Veines ouvertes de l’Amérique latine était le fruitd’une époque de répression et de révolution oùles relations avec les Etats-Unis étaient des plustendues. L’ouvrage de Guardiola-Rivera s’inscritdans un autre contexte et raconte une tout autrehistoire : celle de l’éveil d’un continent, après desdécennies d’atermoiements, de désarroi et deconfusion dérivés du Consensus de Washingtonet des politiques néo-libérales [mesures écono-miques imposées depuis les années 1980 par lesinstitutions internationales de Washington auxéconomies en difficulté –  notamment cellesd’Amérique latine – et inspirées de l’école néoli-bérale de Chicago]. 

Guardiola-Rivera est convaincu que l’Amé-rique latine est la région du futur, qu’elle va four-nir un modèle de croissance plus égalitaire et plussoucieuse de l’environnement. Il assure que letravail ainsi réalisé par les Latino-Américains nese limitera pas à leur territoire : effaçant la durefrontière du Río Bravo, le Colombien annonceque les acteurs de ce changement seront aussi lescitoyens hispaniques des Etats-Unis, qui en 2040pourraient être majoritaires en termes démo-graphiques. “L’Amérique latine a laissé derrière elleles stéréotypes des républiques bananières, affirmeGuardiola-Rivera. Et si l’influence des Etats-Uniscontinue à être forte dans de nombreux endroits de larégion, comme en Colombie et dans certains paysd’Amérique centrale, d’autres pays d’Amérique du

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Sud et des Caraïbes ont affermi leur position, et jouentactuellement des rôles de premier plan dans le scéna-rio global”, souligne-t-il, évoquant le Brésil, leVenezuela, l’Equateur, la Bolivie et l’Argentine.

Cet ouvrage est né de deux conversationsentre intellectuels. Lors d’une discussion avecEduardo Mendieta, professeur de philosophieà l’université de l’Etat de New-York, Guardiola-Rivera s’était demandé d’où venait cette “visionsi divisée” des Amériques, alors que la relationdes Etats-Unis avec la région était profondé-ment enracinée dans le temps, et Mendietal’incita à approfondir le sujet. La deuxième ren-contre déterminante fut celle de Bill Swainson,éditeur de Bloomsbury, et de Gerald Martin,éminent spécialiste en littérature latino-amé-ricaine. Les deux hommes proposèrent àGuardiola-Rivera d’essayer de faire prendreconscience aux Anglo-Saxons de l’histoire et del’avenir de la région.

Cet effort a eu un retentissement immédiat,conférant une stature internationale à Guardiola-Rivera, avec des critiques de son ouvrage dansBusiness Day, The Guardian, The Independent, TheTimes, The Washington Post ainsi que le prix FrantzFanon, décerné par l’Association philosophiquedes Caraïbes. L’essai pose de fait la question d’uneéventuelle position dominante de la région, dansun monde multipolaire où la balance stratégiqueparaissait pencher inévitablement vers l’Asie,Chine et Inde en tête.

Guardiola-Rivera propose une vision alter-native de l’histoire latino-américaine : il met enlumière les aspects passés sous silence ouméprisés par l’histoire officielle, choisit d’autresprotagonistes et établit des liens de causaliténouveaux entre les événements, laissant par-fois au second plan les souffrances de l’histoirepour mettre en évidence les réussites passéesou présentes.

Savoir écologique des IndigènesLes trois parties de l’ouvrage suivent un ordrechronologique classique : civilisations préco-lombiennes, époque des conquistadors et colo-nisation ; guerres et crises de l’indépendance ;longue étape néocoloniale, jusqu’à la débâcle néo-libérale, la prise de conscience et le nouveaudépart. Ses réflexions sont nourries de citationsd’auteurs comme Jorge Luis Borges [écrivain etpoète argentin, 1899-1986], Fernando HenriqueCardoso [président du Brésil de 1995 à 2003] ouAlberto Manguel [écrivain et traducteur argen-tin, né en 1948, vivant en France]. Autre point fortde l’ouvrage : le traitement de la question envi-ronnementale, que l’auteur ne dissocie pas de lapolitique ou de l’économie. A l’instar de Galeanodans certaines de ses œuvres tardives, Guardiola-Rivera rend hommage au savoir écologique despeuples indigènes, capables de transformer laforêt amazonienne en un trésor de ressourcesvitales pour le développement sans en altérer labiodiversité. Et ce regard fait apparaître lespeuples premiers sous un jour nouveau : non plusvictimes passives des aléas de la nature mais cul-tivateurs experts de ses richesses.

Avec cet ouvrage, Guardiola-Rivera a accom-pli un exploit, il a jeté un pont entre le VieuxMonde et le Nouveau, en montrant la force et lesatouts de ceux qui étaient autrefois dominés.C’est une œuvre qui n’est pas passée inaperçueauprès du public anglophone, une œuvre ambi-tieuse et profonde, fouillée, éclairante et pas-sionnée. Dans quelques mois les lecteurslatino-américains pourront en juger par eux-mêmes. Ana María Vara

annuelle moyenne de 2,7 % entre 2010 et 2030 etsa part dans le PIB total du G20 passerait alorsd’un tiers à un quart.

Uri Dadush a également proposé un secondscénario, plus sombre : l’éclatement de la zoneeuro pourrait déclencher une énorme crise finan-cière se propageant jusqu’aux Etats-Unis. L’au-teur conclut : “Considérés comme un pays sur la pentedescendante, les Etats-Unis sont à la fois incapables etpeu désireux d’exercer leur leadership sur le monde.”

Un consensus a émergé autour de ce secondscénario. Fred Kempe, le président du Conseilatlantique, le think tank qui accueillait la réunion,estime ainsi que la plus grande menace pour lasécurité nationale [des Etats-Unis], c’est “que l’influence américaine recule sur la scène mondiale”.

Selon moi, tout dépend de la capacité d’adap-tation des Etats-Unis. Sur ce plan, les perspec-tives sont meilleures que ne l’affirment les expertsdu renseignement. Par rapport à leurs concur-rents, les Etats-Unis disposent d’un systèmefinancier plus flexible, de multinationales pluspuissantes, d’un marché du travail capable d’in-tégrer des talents d’origines diverses. Les insti-tutions politiques sont le talon d’Achille du pays.Si les Etats-Unis parviennent à élire de meilleursgouvernants, ils devraient pouvoir trouver à leursproblèmes des solutions plus efficientes que cellesde leurs concurrents.

Quelles sont les autres tendances mises enlumière par le Conseil national du renseignementpour 2030 ? Selon Matthew Burrows, l’étude s’in-téresse également à la gouvernance et au fossécroissant entre les évolutions politiques et éco-nomiques et la capacité des autorités locales,nationales et mondiales à y faire face. “Les Chinoissont les premiers à dire que nous sommes trop pessi-mistes”, relativise-t-il.

L’étude Global Trends 2030 ne devrait êtrepubliée qu’après l’élection présidentielle denovembre 2012, mais nul doute que la questionde l’avenir des Etats-Unis sera au cœur de la cam-pagne électorale. David Ignatius

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Même les services américains du renseignement l’affirment : dans vingt ans, l’Amérique ne seraplus en position de domination.

The Washington Post (extraits)Washington

La puissance américaine est-elle surle déclin ? Cette question est au cœurd’une étude prospective que les ser-vices du renseignement sont en trainde préparer sur le monde en 2030. Aen juger par une récente réunion

d’étape, les Etats-Unis vont au-devant de gravesennuis : le ralentissement de l’économie les placedans une mauvaise position pour assumer leurrôle de leader dans les décennies à venir. Une cer-taine instabilité mondiale pourrait en résulter.

Intitulée Global Trends 2030 [Tendances mon-diales pour 2030], cette étude est la première quiremette véritablement en question la pérennitéde la puissance américaine.

“Il faut faire preuve d’honnêteté intellectuelle etreconnaître qu’il y a des changements dans la placequ’occupent les Etats-Unis et les puissances émer-gentes. Des changements qui affecteront nécessaire-ment les événements futurs”, explique MatthewBurrows, auteur du rapport.

L’ensemble des contributeurs à cette étudese sont retrouvés à Washington au début du moisde décembre pour entendre des avis extérieurs.La discussion a été particulièrement animée. Unarticle préparé par le chercheur Uri Dadush, dela fondation Carnegie pour la paix internationale[un think tank de Washington], a ainsi été criti-qué pour son trop grand optimisme.

D’après le scénario principal proposé par UriDadush, les Etats-Unis devraient parvenir à éviterles icebergs économiques et à stabiliser leurs pro-blèmes de déficit et d’endettement. L’économieaméricaine pourrait connaître une croissance

Le XXIe siècle a commencé…en 1978

Décembre 1978 Lancement en Chinedes “quatremodernisations” par Deng Xiaoping. Le pays amorce sondécollage économique.

Janvier 1979 Exil du dernier chah d’Iran,Mohammad RezaPahlavi. Une républiqueislamique est instauréepar l’ayatollah Khomeyni.

Novembre 1989 Chutedu mur de Berlin. Dansles mois qui suivent, le“bloc de l’Est” s’effondre :l’Allemagne est réunifiéeen octobre 1990, l’URSS démantelée en décembre 1991.

Juin 1991 Fin du régimed’apartheid en Afriquedu Sud. Nelson Mandelademandera la levée de l’embargo à l’ONU en septembre 1993, qui sera accordée un mois plus tard.

Septembre 2001Attentats du 11 septembre.Les “tours jumelles”s’effondrent.

Octobre 2002 LuizInácio Lula Da Silvadevient le premierprésident socialiste du Brésil. Le paysentame une phase decroissance, se hissantau sixième rangéconomique mondial.

Septembre 2008 Faillitede Lehman Brothers. La crise des subprimeséclate et débouche sur une dépressionéconomique sansprécédent depuis 1929.

Novembre 2002Le parti de l’AKP arriveau pouvoir en Turquie.Recep Tayyip Erdogan,qui devient Premierministre en mars 2003,érige un modèle turc,qu’il promeut dans les pays arabes.

Novembre 2008Election de BarackObama. La page GeorgeW. Bush se tourne, maisl’image des Etats-Unis dans le monde a étésérieusement écornée.

Décembre 2009Début de la crise de la dette, qui touched’abord la Grèce, puis le Portugal etl’Italie, avant de mettreen péril l’ensemble de la zone euro en 2011.

Etats-Unis

Vers la fin de l’empire US

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Russie

Faute d’avoir tiré les leçons de l’Histoire, la nation russe pourraitbien avoir la révolution pourlendemain, déplore un spécialiste de La Roue rouge, la grande œuvre d’Alexandre Soljenitsyne consacrée à octobre 1917.

Moskovskié Novosti Moscou

A la veille du quatre-vingt- treizièmeanniversaire de la naissanced’Alexandre Soljenitsyne (11 dé -cembre 1918), le 10 décembredernier, de grandes manifesta-tions ont eu lieu à Moscou, à

Saint-Pétersbourg et dans d’autres villesde Russie. A l’issue du scrutin législatif [du4 décembre], la tension sociale qui montait depuisfort longtemps (bien plus que quelques semainesou quelques mois) s’est concrétisée en uneeffrayante réalité, désormais insensible aux beauxdiscours, comme au silence méprisant. Un parfumde révolution (avec les provocations de rigueur)s’est répandu dans l’air.

Dans le même temps, les 7, 8 et 9 décembre,avait lieu à la Maison des Russes de l’étranger, àMoscou, un colloque international intitulé “Lavie et l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne sur lechemin de La Roue rouge”. Pendant que philo-logues et historiens débattaient autour du récitde la catastrophe nationale qui a, il y a un siècle,bouleversé l’histoire russe, celle-ci refaisait sur-face. Je me refuse à y voir un hasard. L’ambiancequi règne actuellement tient à une multitude defacteurs, grands ou petits, graves ou dérisoires,mais tous ont la même origine : une indifférencehautaine à l’égard de l’Histoire.

Malgré les différences notables qui les sépa-rent, les grandes figures de la scène politique russede ces trois dernières décennies ont presquetoutes été persuadées de leur supériorité par rap-port aux personnages naïfs et ridicules qui ontlaissé advenir les funestes événements de 1917.Comme si elles avaient la certitude de savoir com-ment s’y prendre, la conviction de ne commettreaucun faux pas : la Russie a bien eu une histoire,dans le temps, mais nous qui nous sommes atte-lés à construire, enfin, la bonne, la vraie vie, cettehistoire ne nous concerne absolument pas  !Désormais, nous avons notre propre histoire.Dont nous pouvons aisément nous rendremaîtres, puisque nous disposons des techniquesadéquates, les plus modernes, à l’efficacité prou-vée, 100 % garanties !

Février a pavé la route d’OctobreCet aveuglement n’a rien de neuf. C’est de cettemême façon qu’ont “pensé” toutes les élites aupouvoir lorsqu’elles ne souhaitaient pas voir cequi se passait sous les fenêtres de leurs palais, ettous les opposants qui avaient su distinguer lessymptômes des crises (souvent réelles !) et pro-posé toutes sortes d’antidotes. A quoi bon regar-der en arrière et tenter de tirer les leçons del’Histoire, alors que brûle le feu de l’action ?

Après le délitement du joug bolchevik, aucunouvrage n’était plus indispensable à la société russeque La Roue rouge. Non que Soljenitsyne ait été

plus fin connaisseur de la nature humaine et de lamarche du monde que Shakespeare, Goethe, Pou-chkine, Dostoïevski ou Tolstoï. Simplement, LaRoue rouge traite de notre malheur ( jamais sur-monté), de notre culpabilité (mal assimilée) et,donc, de notre avenir. Mais cette chronique de larévolution en dix tomes a été dédaignée, parfoismise sur la touche avec condescendance, parfoisréduite à une mine de citations “utiles” à ressor-tir à l’occasion.

C’est ainsi qu’il y a quatre ans, le pouvoir,arrivé au stade où il s’imaginait éternel et intou-chable, s’est souvenu du jugement sévère que Sol-jenitsyne portait sur les idéologues libéraux quiavaient connu leur brève heure de gloire enfévrier 1917. Et il s’engouffra allégrement danscette brèche : toute critique de l’ordre existantcommença à être traitée comme préparant le ter-rain à un putsch. L’une après l’autre, on se mit àdiscréditer les idées même de démocratie (saufnotre démocratie à nous, dirigée) et de liberté.Personne ne se dressait de manière frontale

contre la liberté (Lénine et Staline eux-mêmess’en sont toujours abstenus, en paroles), mais celan’empêchait pas de régler son compte au “libé-ralisme” d’un air inspiré. Il ne pouvait finalementrien y avoir de pire que Février.

Pourtant, d’après Soljenitsyne, le vrai dramede février 1917, c’est que, échappant à ses promo-teurs, il a pavé la route d’Octobre, du despotismebolchevik, de Staline, du goulag – tout comme lesconvulsions de 1789 en France (que les meilleursesprits d’Europe avaient célébrées comme l’heu-reux avènement d’une ère nouvelle, et beaucoupallaient par la suite verser des larmes amères surleurs égarements spontanés et parfaitement désin-téressés) avaient mené tout droit à la terreur jaco-bine et, ensuite, à cet enchaînement d’effroyablesparoxysmes révolutionnaires (et contre-révolu-tionnaires) qui allaient émailler tout le XIXe sièclefrançais et peser longtemps encore sur le destinde ce grand pays durement éprouvé.

Oui, La Roue rouge dévoile la profonde trom-perie de toute révolution, qui promet la réalisa-tion totale et immédiate des désirs de chacun, etdébouche ainsi rapidement sur une lutte impi-toyable de tous contre tous, dont sortent géné-ralement vainqueurs les pires individus. La Rouerouge tend la note à ceux qui ont enflammé le bra-

sier de la révolution (des gens très divers, y com-pris, selon Soljenitsyne, des personnes très nobles,réellement soucieuses du bien commun). Et ceque trafiquent les “masses laborieuses” libérées(urbaines ou rurales), La Roue rouge l’expose sansdémagogie, sans chercher à feindre un hypocriteamour du peuple.

Mais cela n’enlève rien à une autre idée forcede l’ouvrage : le plus coupable dans le fait que larévolution a vaincu la Russie, c’est le pouvoir del’époque. Un pouvoir qui n’a pas su ni vouluentendre les défis de son temps. Qui a refusé d’en-tamer un dialogue avec une opposition respon-sable. Qui a préféré les jolis mythes sur l’unitérusse et le lien organique unissant le peuple etl’Etat, au souvenir déplaisant de 1905 [lors du“dimanche sanglant”, le tsar fit tirer sur une mani-festation pacifique]. (Un cauchemar à oublier !Comme si les choses s’étaient ensuite arrangéesseules, et non grâce à la volonté de Piotr Stoly-pine [Premier ministre du tsar Nicolas II de 1906à 1911, année où il fut assassiné, il avait engagéd’importantes réformes], qui avait compris qu’ilfallait trouver une ligne médiane salvatrice.)

La soumission ou la révolteDébut 1917, le pouvoir s’était reposé sur des inca-pables et des aventuriers rapaces. Dans ces condi-tions, forcément, il avait criminellement capitulélorsque la colère de la rue (approvisionnementen pain aléatoire dans la capitale) s’était conju-guée aux manœuvres politiques des idéologuesde la Douma, loin d’être idiots et tout à fait hon-nêtes, mais dévorés d’ambition et trop exaspéréspar le régime (avec raison, hélas, ce qui ne dimi-nue en rien leur responsabilité dans les malheursde la Russie).

En 1967, pour fêter les 50 ans de leur prise dupouvoir, les communistes créèrent l’ordre de laRévolution d’Octobre, ce qui donna aussitôt nais-sance à une blague : le premier à être décoré auraitdû être Nicolas II, pour ses mérites dans la créa-tion de la situation révolutionnaire. Egarée parla version officielle de l’Histoire, l’opinion ne fai-sait pas la différence entre Février et Octobre,mais, dans sa désignation du principal coupablede la révolution (et de toutes ses conséquencestragiques), elle rejoignait l’analyse de Soljenitsyne.

En 1991, nous nous sommes libérés du régimecommuniste, mais nous n’en avons pas moinsconservé un parti d’“opposition” (structurelle-ment indispensable) aujourd’hui encore fidèle auxpréceptes de Lénine et de Staline, des hauts fonc-tionnaires occupant les postes clés formés par leparti et le KGB, et qui ne songent pas un instantà se repentir. Au lieu d’opter pour la contrition,nous avons choisi de préserver les valeurs bol-cheviques fondamentales : mépris de la liberté etde la personne, pari sur la “technique”, discréditde la culture et de l’éducation, cynisme absolu (lafoi typiquement “nouveau Russe” dans la toute-puissance de l’argent est le prolongement logiquedu marxisme, qui niait la “démocratie bourgeoise”et la légalité), rapport utilitaire à l’Histoire.

Nous tous, pouvoir, opposition, intellectuels,population, nous avons décidé d’ignorer la Rouerouge et l’Archipel du goulag. Nous voyons le résul-tat : soit nous continuons à endurer “ce que seulela lâcheté rend concevable de supporter” (Karam-zine), soit nous nous lançons dans une “révolteabsurde et sans merci” (Pouchkine). Nous sommestous à blâmer, et les intellectuels russes ne sontpas les moins coupables. Y compris ceux qui sequalifient de “conservateurs libéraux” et citentpieusement les noms de Karamzine, Pouchkineet Soljenitsyne. Andreï Nemzer

En couverture Où va le monde ?16 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Ne pas oublier 1917

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Afrique

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 17

transformation, est en train de s’éveiller pourautant. Et si oui, à quoi ? Si les lueurs économiquesrepérées par-ci par-là sont, pour parler commeAchille Mbembe [un des penseurs africainscontemporains les plus importants], réductiblesà “quelques objets (scintillants) dans un fleuve quirebrousse chemin”.

Par quels processus et à quel horizon peut-on s’attendre à ce que les sociétés africaines aientsignificativement renforcé leur emprise sur laproduction de leur histoire ? Ce débat, crucial,n’est même pas encore entamé. Comment, dèslors, parler de vision ?

On rêve, en ce début de siècle, d’une Afriquechargée de relancer la croissance en berne devieux pays postindustriels, de prolonger celle dela Chine, au lieu de se projeter à partir de débatsarticulés autour de nouvelles raisons de vivre. Lenouvel ordre économique et politique mondialdont avaient rêvé les non-alignés dans les années1970 serait en train de naître d’un Sud émergent.Ce “Sud” indifférencié tiendrait enfin sa revanchesur un “Nord” déclinant, cacochyme et belliqueux.On nage en plein messianisme : l’Afrique, berceaudu monde, serait destinée à en devenir le futurpar la grâce de l’économie de marché. Aux rêvesde réagencement du monde charriés par une cer-taine littérature répondent des augures de typestatistique, cathartique, prophétique, téléono-mique que véhiculent assez bien les thèmes pas-sablement remâchés du “réveil de l’Afrique”, dela “renaissance africaine” ou, pire, de l’Afrique“re-convoitée”, en “reclassement géopolitique oustratégique”.

Relents de naphtalinePar une logique mécanique et inexorable, onespère que les Africains occuperont enfin la placedominante qui leur reviendrait dans le monde.En vertu d’une obscure loi du nombre, la majo-rité démographique africaine se muerait en majo-rité sociologique ! Ces simulacres de visionscollectives, imbibées d’inversions, de prescrip-tions et d’extrapolations, ont des relents de naph-taline, de vieilles malles, de vieux papiers : ils nes’intéressent ni à la part de singularité duXXIe siècle ni à la part d’inédit dont l’Afrique pour-rait accoucher.

En 2050, il y aura plus d’Africains sur Terreque de Chinois ou d’Indiens. La plupart des Afri-cains seront des Afro-Asiatiques aux yeux bridésqui parleront un créole fait de langues africaineset de langues asiatiques. Considérée comme ledernier réservoir de la croissance mondiale,l’Afrique n’en restera pas moins un continent envoie de désertification, car les déserts du Saharaet du Kalahari se rapprochent. L’Afrique resteraune région en proie à des convulsions plus oumoins intenses qu’amplifieront nécessairementtrois facteurs au moins : son fameux nouveaudynamisme démographique et migratoire ; soninaptitude à anticiper les crises afin de s’organi-ser pour les éviter ; son immersion croissantedans l’économie internationale criminalisée.

Ces éléments, combinés à l’appétit d’acteursétrangers pour ses ressources, pourraient repous-ser de quelques centaines d’années l’émergenceet la cristallisation des préalables à réunir pourque l’Afrique puisse prétendre occuper une posi-tion dominante dans le monde. Sans un renfor-cement des capacités africaines de prévention etde gestion des conflits, les Africains devront avanttoute chose, au XXIe siècle, déployer des trésorsd’ingéniosité pour rester en vie. Axelle Kabou

* Ed. L’Harmattan, 2011.

Bio

Ecrivaine, consultanteen stratégie, anciennehaute fonctionnaire,Axelle Kabou vit et travaille en France.Elle est entrée dans la vieintellectuelle africaineavec fracas en 1991. A 36 ans, cettesociologue signaitl’essai majeur de ce qu’on nomme à tort ou à raisonl’afropessimisme : Et si l’Afrique refusait le développement ?(L’Harmattan, 1991). Sa thèse ? Le sous-développement de l’Afrique est essentiellement dû aux mentalités des peuples africains.

Face à l’optimisme pieux qui entourele continent noir, Axelle Kabou, auteurd’un essai intitulé Comment l’Afriqueen est arrivée là*, s’insurge.

La Gazette (extraits) Dakar

Le XXIe siècle sera-t-il  africain ?Qu’importent, au fond, les réponsesà cette question vague ? Les percep-tions de “la place de l’Afrique dansle monde” sont passées du noir funé-raire au rose bonbon en l’espace

d’une petite décennie. Cette révolution chroma-tique mérite bien quelques commentaires.

Toute la question est donc de savoir commentce retour en grâce – car il ne s’agit que de cela, pourle moment – affectera les capacités des sociétésafricaines à produire leur propre histoire, à modi-fier leur mode d’arrimage au monde extérieur. Or,ces interrogations capitales, qui touchent au chan-gement social et à l’historicité des sociétés afri-caines, semblent, pour l’instant, occultées.

En effet, surpris par ce coup de projecteurinopiné sur “l’Afrique délaissée”, afro-pessimisteset afro-optimistes, proeuropéens et proasiatiquesn’ont cessé d’élaborer, autour de “la place del’Afrique dans le monde”, un nouveau bréviaire :une conversation de bistrot à laquelle participentparfois, assez paradoxalement, des observateursplus avertis sous l’œil globalement absent dumonde académique africain francophone.

Résultat : faute de concurrence, l’afro-ferveurfait des ravages. L’heure est en effet à l’optimismepieux. On est prié, la foi chevillée au corps, de seprosterner devant des perspectives de croissanceéconomique mirifiques, la montée de classesmoyennes entreprenantes, des remontées defilières réussies, de grands travaux créateurs d’em-plois. Et de psalmodier que l’avenir de l’Afriquen’est écrit nulle part, que “l’Afrique va bien”, souspeine de se voir excommunié pour avoir versédans un pessimisme incurable. Difficile, dès lors,de savoir si ce continent, qui a entamé sa grande

Monde

arabe

Révoltes etincertitudes

L’afro-ferveur est un piège

Le “printemps arabe” pourrait favoriser l’émergence d’une nouvelle entente régionale. Mais les risques de radicalisation sont aussi à craindre.

OpenDemocracy (extraits) Londres

Dans “le Grand Moyen-Orient”,comme l’appellent les néocon-servateurs américains, une tran-sition difficile est en cours, oùquatre dimensions sont en inter-action. La première concerne les

mouvements populaires qui se révoltent contrela corruption et les gouvernements autoritairesissus de la période coloniale. La deuxième relèvede la rivalité stratégique quadrilatérale qui sedéveloppe entre l’Arabie saoudite, l’Iran, Israëlet la Turquie. La troisième porte sur les rivalitésgéostratégiques, politiques et économiques quiopposent les Américains, les Européens, lesRusses et les Chinois. La quatrième, enfin, est liéeà la dynamique de l’offre et de la demande éner-gétique – qui module les rentrées financières desEtats arabes du Golfe, de l’Iran et de la Russie –dans un climat de crise financière mondiale.

Les bouleversements qui secouent les paysdu Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sontsuffisamment profonds pour susciter de véri-tables changements, en matière de libertés démo-cratiques notamment. Mais ils pourraient aussiengendrer de nouvelles formes d’autoritarisme.

Des courants contestataires se manifestentaussi dans les Etats monarchiques de la région etréclament des réformes, en Jordanie, au Marocet dans les Etats arabes du Golfe, certains groupesluttant pour l’établissement de monarchiesconstitutionnelles, mais également en Iran, oùune réforme significative du régime théocratiqueest réclamée. En même temps, les populations deces pays font face à l’instabilité socio-économique,à des taux de chômage élevés chez les jeunes ainsiqu’à un fanatisme religieux soutenant l’applica-tion de la charia.

L’invasion américaine de l’Irak en 2003, qui adivisé le pays en groupes régionaux kurde, sun-nite et chiite, a permis à l’Iran de consolider soninfluence par le biais des mouvements panchiites,en Irak et dans toute la région. Les ambitionsnucléaires de l’Iran, qui remontent à son conflitavec l’Irak [1980-88], n’ont fait qu’envenimer larivalité du pays avec l’Arabie Saoudite ainsi qu’avecIsraël. Elles ont aussi agité le spectre d’un Moyen-Orient doté de l’arme atomique [Israël possèdedéjà un armement nucléaire]. En septembre 2011,la Turquie a accepté le déploiement de radars amé-ricains antimissiles afin de pouvoir détecter uneéventuelle attaque iranienne. De son côté, l’Irana menacé de frapper les bases turques s’il était prispour cible. La question iranienne a rallié la Tur-quie à la perspective géostratégique américaine.

Si le soutien des gouvernements américain,européens et arabes aux révolutions en Libye eten Syrie semble participer aux efforts visant � 18

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En couverture Où va le monde ?18 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

à renverser les dictatures, ces révolutionssont aussi dirigées contre des gouvernementsconsidérés comme antisaoudiens (Libye) et/oupro-iraniens (Syrie) et travaillent de ce fait à isolerdavantage l’Iran. De la même manière, les inter-ventions militaires saoudiennes au Yémen et àBahreïn visent manifestement à contrôler l’in-fluence iranienne et panchiite, tout en soutenantdes gouvernements minoritaires.

Dans ce contexte, l’opposition turque, saou-dienne et israélienne à l’influence iranienne et auxalliés de ce pays dans la région pourrait, contretoute attente, contribuer à la coopération géo -stratégique de ces trois Etats, et peut-être mêmeà une collaboration secrète en matière de défense.Cette perspective fait renaître l’espoir d’un accordde paix israélo-palestinien. Si elle est associée àune stratégie diplomatique commune avec lesAméricains, les Européens, les Russes et les Chi-nois, une entente turco-israélo-saoudienne pour-rait également renforcer la puissance diplomatiquede la région face à l’Iran, de manière à isoler cepays, sans confrontation directe et sans guerre.Une telle approche pourrait permettre d’établirun traité de paix régional avec l’Iran. Hypothé-tique, ce projet d’accord entre Israël, l’ArabieSaoudite, la Turquie et l’Iran risque pourtant decapoter. On pense notamment à un refus israé-lien d’accepter un processus qui aboutirait à lacréation d’un Etat palestinien, ou à une frappeisraélienne, avec ou sans soutien américain, surde présumées installations nucléaires iraniennes,ou encore à la poursuite des troubles intercon-fessionnels en Syrie. Si un ou plusieurs de ces scé-narios venaient à se réaliser, les conséquencesseraient extrêmement dangereuses et déstabili-santes pour la région, voire pour le monde entier.Hall Gardner

leur ont pas permis de peser davantage dans lagouvernance mondiale. Du fait des ambitionsnationales et des rivalités régionales, leurscontributions sont restées limitées.

Le président chinois Hu Jintao a défini sapolitique étrangère comme la “construction com-mune d’un monde harmonieux”. Pékin a accru saparticipation à la gouvernance mondiale, maisne s’est pas proposé comme leader. Tout au plus,la Chine est un “leader à temps partiel”, selonChen Dongxia, chercheur à l’Institut d’étudesinternationales de Shanghai, un leader dont lerôle varie en fonction des différents domainestouchant aux affaires mondiales.

Déficit de légitimitéLa conception japonaise de l’“Etat normal”, pré-sentée comme un moyen pour recouvrer le droitde recourir à la force, semble pouvoir garantirau Japon une position de grande puissance mon-diale. Elle traduit également des motivationsd’ordre stratégique, à savoir se prémunir contretout désengagement des forces américainesdans la région, contrer la montée en puissancede la Chine et la menace grandissante de laCorée du Nord [voir p. 35]. Mais, avec son insta-bilité gouvernementale et son économie décli-nante, le Japon n’a pas été un acteur décisif dansla gestion de la crise mondiale.

En 2005, le Premier ministre indien Man-mohan Singh a affirmé que “le XXIe siècle [serait]indien”. Il a exprimé l’espoir que “le monde [nous]traite de nouveau avec estime et respect, non seule-ment pour les progrès économiques que nous faisons,mais également pour les valeurs démocratiques quinous sont chères et que nous défendons, ainsi que pourles principes de pluralisme et d’intégration que nousincarnons”. Washington a salué cette ambition,Barack Obama qualifiant l’Inde de “leader enAsie et dans le monde” et de “puissance mondiale responsable”. Des analystes indiens commeC. Raja Mohan ont évoqué la possibilité pourl’Inde de s’éloigner de la géopolitique de Nehru[qui défendait une position neutraliste et nonviolente et refusait la bipolarisation du monde]et de revenir aux principes de George Curzon, legouverneur général britannique de l’Inde audébut du XXe siècle. Pour ce dernier, le sous-conti-nent avait une place centrale en Asie. L’Indedevait donc s’assurer un rôle diplomatique etmilitaire, volontariste et expansionniste, dans lebut de stabiliser l’Asie tout entière. S’inspirantde cette position et privilégiant la realpolitik, lesambitions indiennes dans l’océan Indien, tant àl’est qu’à l’ouest, ne cessent de croître.

Le rôle de l’Asie dans la gouvernance mon-diale est indissociable de la question : qui prendla barre en Asie ? Au lendemain de la SecondeGuerre mondiale, l’Inde faisait figure de leaderdu continent. Elle-même était disposée à ledevenir, mais en était incapable faute de moyens.Le cas japonais était diamétralement opposé :l’Archipel disposait des ressources nécessairesà partir de la moitié des années 1960, mais pasde la légitimité nécessaire – à cause des souve-nirs d’impérialisme pour lesquels il n’avait pasprésenté assez d’excuses aux yeux de ses voi-sins. Quant à la Chine, elle ne disposait pourcela ni des moyens ni de la légitimité depuis laprise de pouvoir par les communistes, pas plusque de la volonté politique.

Ces trois pays ont désormais les ressourcesnécessaires, mais ils souffrent encore d’un déficitde légitimité régionale. Leurs rivalités mutuellesempêchent les puissances asiatiques de se poseren leaders régionaux. Amitav Acharya

17 décembre 2010 En Tunisie, MohammedBouazizi, 26 ans, s’immole par le feu. Cet acteultime de protestation déclenche la “révolutiondu jasmin”. Le régime de Zine El Abidine BenAli tombe le 14 janvier 2011. Le parti islamiste,Ennahda remporte les élections du 23 octobrepour une Assemblée constituante. 25 janvier 2011 En Egypte, la place Tahrir, auCaire, est le théâtre de manifestations contreMoubarak. Le 11 février, ce dernier cède le pouvoir à l’armée. Le parti Liberté et justicedes Frères musulmans arrive en tête deslégislatives qui ont commencé le 28 novembre.Il est talonné par le parti salafiste Al-Nour.  27 janvier 2011 Au Yémen, un rassemblementa lieu à Sanaa contre le président Ali AbdallahSaleh. Un accord signé le 23 novembre sousl’égide du Conseil de coopération du Golfe(CCG) prévoit son départ en février 2012. 17 février 2011 Insurrection en Libye. LesNations unies adoptent le 17 mars une résolutionautorisant une intervention militaireinternationale. Le 23 août, les rebelles prennentle contrôle de Tripoli et le colonel Kadhafi est assassiné le 20 octobre. Un nouveaugouvernement est formé le 22 novembre. Des élections sont prévues pour l’été 2012. 15 mars 2011 Début de la contestation en Syrie. Face à la répression qui fait 5 000 morts en neuf mois , les manifestantsont finalement recours aux armes contre le régime de Bachar El-Assad.

Repères

Valse des dictateurs

Asie

Y a-t-il un pilote dans le Pacifique ?

Le basculement du monde vers l’Est est acquis. Mais la Chine,l’Inde et le Japon se disputent le leadership régional.

Asia Sentinel (extraits) Hong Kong

On parle beaucoup du XXIe sièclecomme devant être celui del’Asie, avec la Chine, l’Inde etle Japon comme leaders. Cespays cherchent certainement àjouer un rôle plus important

dans les affaires mondiales. Mais en font-ilsassez pour le mériter ?

L’intervention en Libye, orchestrée par leRoyaume-Uni et la France et mise en œuvre parl’Otan, en dit long sur le sujet. Il n’existe pasd’équivalent de l’Otan en Asie, et il est peu pro-bable qu’il en existe un de sitôt. Il est difficiled’imaginer un scénario dans lequel la Chine,l’Inde et le Japon s’unissent pour prendre la têted’une coalition afin de chasser par la force unrégime répressif.

Leader à temps partielLa Chine et le Japon sont respectivement lesdeuxième et troisième économies du monde.L’Inde est la sixième en termes de parité depouvoir d’achat. Depuis vingt ans, le budget dela défense de la Chine connaît une croissanceannuelle à deux chiffres. L’Inde était le premieracheteur mondial d’armes conventionnellesen 2010. La politique étrangère des Chinois,des Indiens et des Japonais a considérablementévolué. Ainsi, New Delhi a renoncé au non-alignement et Pékin a enterré depuis bellelurette l’internationalisme socialiste maoïste.De son côté, Tokyo ambitionne de redevenirun Etat “normal”, jouissant du droit d’utiliserla force dans le cadre d’opérations multilaté-rales. Malheureusement, ces changements ne

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France A paraître Grand spécialiste del’histoire russe, le BritanniqueDominic Lieven a publié en 2009un ouvrage remarqué sur lacampagne napoléonienne de Russie.

Traduit en français, celui-ci serapublié le 8 mars 2012 aux Editionsdes Syrtes, sous le titre La Russiecontre Napoléon. La Bataille pour l’Europe (1807-1814).

Cette année, la Russie va célébrerle bicentenaire de la déroutenapoléonienne face aux troupesdu tsar Alexandre Ier. En grandepompe, mais non sans petitsarrangements avec l’Histoire.

Kommersant-Vlast (extraits) Moscou

�D ans l’un des protocoles de laCommission nationale chargéede la préparation du bicentenaire

de la victoire de la Russie dans la Guerrepatriotique de 1812, il est question de “s’op-poser à toute tentative d’édification de monu-ment à Napoléon, non seulement à Troïtsk,dans la région de Moscou, mais dans l’ensemblede la Fédération de Russie.” La phrase faitréférence à un projet de parc à thème queles instances culturelles de la région deMoscou avaient déjà refusé. Le site envi-sagé était le domaine de Troïtskoïé, oùl’empereur aurait passé la nuit précédantla bataille de Borodino [la dernière victoirenapoléonienne sur le sol russe, le 7 sep-tembre 1812]. Le conseil social de la Com-mission, placée sous l’autorité du présidentDmitri Medvedev, a donc à son tour recom-mandé à la mairie de Troïtsk de “renoncerà édifier un monument à Napoléon”.

Il y a deux cents ans déjà, les popes detoute la Russie qualifiaient dans leurs sermons l’empereur des Français d’“Anté-christ” (en se basant sur le fait qu’il avaitproclamé l’égalité des droits dans son payspour les “meurtriers du Christ”, c’est-à-dire les Juifs). Mais on aura beau s’évertuerà l’interdire, Napoléon trouvera sa placedans les célébrations. A Moscou, depuis ledébut de l’année 2011, des échoppes desouvenirs vendent ainsi de curieuses sta-tuettes du maréchal Koutouzov [1745-1813, l’artisan de la déroute française]. Elles sont,à y regarder de plus près, des figurines calquées sur le célèbre tableau de Davidreprésentant Napoléon en uniforme surson cheval cabré [Bonaparte franchissant leGrand Saint-Bernard, 1800)], mais avec latête du maréchal russe.

Les historiens sur la toucheSi cet hybride improbable est un produittypique de l’industrie de la contrefaçon, onnous assure qu’en tout cas la Russie n’aurapas de monument officiel de Napoléon,rien qui puisse être érigé par l’Etat avecl’argent du contribuable. L’Etat russe a sespropres héros et sait bien qui mérite d’êtreimmortalisé. Par exemple, le paysan Klim,du village de Klimovo, dans la région deSmolensk. Une légende locale tenaceassure que, en 1812, un fermier portant lemême nom que le village aurait égaré les

Français dans un marécage. On ne sait pasexactement qui étaient les Français enquestion ni où se situe le marécage, maisKlim aura son monument.

Parmi les personnalités composant laCommission nationale chargée de la pré-paration des commémorations du bicen-tenaire, Andreï Nikolaïevitch Sakharov,directeur de l’institut d’histoire russe del’Académie des sciences, est le seul histo-rien. Le reste offre un échantillon assezcomplet de la société et de l’Etat, allantde Gueorgui Vilinbakhov, spécialiste enhéraldique, à Juvénal, prélat orthodoxede Kroutitski et Kolomna, en passant parle ministre de la Défense Anatoli Serdiou-kov et le président de la Radio-Télévisionnationale (VGTRK), Oleg Dobrodeïev. Enmars 2011, la Commission a confié à ce der-

nier la mission d’“élaborer des projets évé-nementiels afin de médiatiser la préparationet la mise en œuvre des cérémonies, incluantdes séries télévisées thématiques”. Aucune pré-cision sur ces programmes n’ayant étédévoilée, nous avons décidé de proposerun canevas : il suffirait de prendre pourpoint de départ la fameuse exclamation del’empereur “Voilà le soleil d’Austerlitz !”[lancée avant la bataille de Borodino, pourencourager ses hommes à réitérer l’exploitde 1805], et de remplacer dans chaque épi-sode le nom d’Austerlitz par celui de larégion russe qui contribuerait le plus auxcélébrations. Cela pourrait donner : “Voilàle soleil du Primorié !” (Napoléon n’a hélasjamais atteint Vladivostok, mais lesfinances régionales ont néanmoins alloué700 000 roubles [près de 17 000 euros] auxcérémonies du bicentenaire qui se tien-dront sur place). Il y aurait aussi : “Voilà lesoleil de Tioumen !”, puisque cette ville doit

accueillir plusieurs expositions et festivals,notamment de sculpture sur glace. N’ou-blions pas : “Voilà le soleil de Krasnodar !”,la région du Kouban ayant prévu de consa-crer 4 millions de roubles [96 000 euros]à la “tenue de conférences, expositions etconcerts”. Ce ne sont là que quelquesexemples parmi beaucoup d’autres.

D’un bout à l’autre du pays, on sembleravi à l’idée de fêter la victoire sur Napo-léon. La Commission reçoit régulièrementdes communiqués en ce sens : Oufa orga-nise un concours de reconstitution mili-taro-historique sur le thème “Guerriersbachkirs dans la Guerre patriotique de 1812” ;à Kizliar, au Daghestan, les haras accueillentdésormais un buste de Piotr Bagration [Kizliar est le lieu de naissance de ce prince,devenu général et grande figure de la guerre

de 1812, dans laquelle il trouva la mort] ; laligne de bus qui relie Saint-Pétersbourg àVyborg a été baptisée du nom de PavelToutchkov, [général] héros de 1812 ; Tomsktient une exposition Iasnaïa Poliana [nomdu domaine de Léon Tolstoï] - Tomsk consa-crée à Guerre et Paix [l’action du roman sedéroule entre 1805 et 1813, entre les bataillesd’Austerlitz et de Borodino]. De son côté,le Fonds de soutien au cinéma soulignel’importance du futur film de Dmitri Mes-khiev, Vassilissa Kojina, qui relate “la palpi-tante histoire d’amour entre Vassilissa Kojina,la Jeanne d’Arc russe, et l’officier français Bliépendant la sanglante guerre de 1812”.

Le Conseil ne cesse de gagner de nouveaux membres. Dès le mois dedécembre 2010, il accueillait dans ses rangsun dirigeant de l’association Zolotaïa lochad[“Le Cheval d’or”], Pavel Mochtchalkov, quiproposait d’organiser une chevauchée deMoscou à Paris en suivant l’itinéraire

emprunté par les unités cosaques entre 1812et 1814. Le Conseil l’a chargé de constituerun comité d’organisation afin de “détermi-ner les haltes nocturnes, établir le parcours desétapes, préparer les documents douaniers deschevaux, fournir une assistance pour l’obten-tion des visas et autres démarches”.

Leçons de patriotismeLe Conseil a par ailleurs dressé une liste derecommandations au sujet de “l’utilisation,lors des reconstitutions de batailles, des copies ourépliques d’armes d’époque et d’armes styliséesneutralisées”. Des amendements à la dispo-sition datant de 1989 sur la “circulation desarmes civiles et de service et de leurs munitions”ont été adoptés afin de simplifier l’entrée enRussie de copies de fusils et armes blanchesdes années 1800. Dans le milieu des pas-sionnés de batailles, on évoque encore l’af-frontement qui aurait eu lieu en 1992, àl’occasion du cent quatre-vingtième anni-versaire de Borodino, entre des visiteurs fran-çais armés de fusils antiques et les Omons[forces spéciales du ministère de l’Inté-rieur] de la région de Moscou, dans le trainde banlieue qui les emmenait sur le site.

Evidemment, on souligne aussi la néces-sité d’accorder “une attention toute particu-lière à la coopération avec l’Eglise orthodoxe ence qui concerne les cérémonies religieuses, prièreset processions qui seront organisées en souve-nir du bicentenaire de certains épisodes de laGuerre patriotique de 1812 et de l’expulsion del’ennemi hors du territoire russe”. Sans oublierles “leçons de patriotisme militaire dans les établissements d’enseignement primaire etsecondaire”, ou la “campagne promotionnellecélébrant le souvenir de la Guerre patriotiquede 1812 (bannières, banderoles, panneaux d’affi-chage, objets à distribuer, etc.)”.

Le Conseil mentionne aussi une sessionde la Commission militaro-historiqueconsacrée au révisionnisme qui toucheraitl’histoire de cette guerre. Elle a examinédes publications où “des faits bien connus detous sont déformés par de prétendus historiensdésireux d’étayer des théories ‘retentissantes’”.A l’issue de la séance, “les personnes présentesont conclu à l’unanimité qu’il était nécessairede s’opposer fermement aux éditeurs et auxmédias qui tenteraient de propager ‘des thèsessensationnalistes inventées de toutes pièces’sur l’histoire de la Guerre patriotique”. Parmiles “prétendus historiens” qui sont ainsimontrés du doigt se trouve l’un des auteursdu présent article, Evgueni Ponasenkov.

Puisqu’une “opposition ferme” a déjà étédécidée, rien ne nous empêche d’ajouterquelques observations, en cette veille desréjouissances du bicentenaire. Il convientainsi de noter qu’il a fallu attendre un quartde siècle avant que, sur la “très hauteinjonction” de l’empereur Nicolas Ier, les

Commémoration

Boutez Napoléon hors de Russie !

� Une statuette (à droite) du général Koutouzov, inspirée du tableau de DavidBonaparte franchissant le col du Grand-Saint-Bernard (à gauche).

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(selon lesquelles Napoléon offrait aux vain-cus la région de Belostok). Pire, en 1810, lesarmées russes se sont de nouveau masséesà la frontière, prêtes à marcher sur Paris.

Deux siècles de tabousNapoléon ne cachait pas que ses princi-paux ennemis étaient les Anglais. Aucunproblème de concurrence ou de géopoli-tique ne l’opposait à la Russie, et il estimpossible d’expliquer pourquoi le jeune[empereur russe] Alexandre voulait à cepoint en découdre avec les Français.Même du point de vue juridique, la guerrede 1812 fut une attaque fomentée par lacoalition antifrançaise : plusieurs moisavant l’entrée en Russie des troupes napo-léoniennes, le gouvernement russe avaitconclu des “pactes d’agression” avec l’An-gleterre, l’Espagne et la Suède, ainsi quedes accords secrets de même nature avecl’Autriche et la Prusse.

Si l’on examine l’implication de lasociété russe dans l’engagement militaire,cette guerre a été tout sauf patriotique :songez que l’appel lancé par le tsar le18 juillet 1812 afin de recueillir des fondspour l’armée n’a suscité que trois réponses,toutes émanant d’étrangers voulant se fairebien voir des autorités. Les archives regor-gent d’histoires de paysans qui se tran-chaient une main pour éviter de partir à laguerre et de propriétaires terriens qui n’ex-pédiaient comme conscrits que leurs serfsvieux et estropiés.

Jusqu’en 2002, le phénomène de la col-laboration est officiellement resté tabou,alors que l’on savait que, dès l’arrivée desFrançais, la Lituanie s’était empressée derétablir la Rzeczpospolita [république] etavait sur-le-champ rassemblé 20  000hommes pour appuyer la Grande Armée.L’Ukraine, la Courlande [dans l’actuelleLettonie] et l’Estland [Estonie] avaient fait

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de même. Et deux ans plus tard, lorsquel’armée russe a pris ses quartiers en France,plus de 40 000 hommes ont déserté, pré-férant rester à Paris ou dans les environs(et parmi les militaires qui sont rentrés,certains ont figuré parmi les insurgés de laplace du Sénat [à Saint-Pétersbourg, lesfameux décembristes de 1825, qui récla-maient une évolution du régime]).

“Qui n’a pas éprouvé cette pénible impres-sion sous-jacente de gêne et de défiance à la lec-ture des récits patriotiques concernant 1812 ?”écrivait Tolstoï dans une première versionde sa préface à Guerre et Paix [publié en1869]. Deux cents ans plus tard, notre tolé-rance a fait beaucoup de progrès : dans laRussie actuelle, on n’observe aucune gêneet encore moins de défiance à l’égard descérémonies du bicentenaire. Gêne etgrande fête d’Etat sont deux notions anti-nomiques. Evgueni Ponasenkov,Oleg Kachine

événements de 1812 soient qualifiés de“Guerre patriotique”. Et ce délai n’était pasdû au fait que, durant les combats, la pro-pagande russe avait autre chose à faire quede réfléchir à la terminologie. En réalité,depuis 1792, toute l’Europe monarchistese battait contre la France révolutionnaireet était déterminée à restaurer le pouvoirdes Bourbons (ce qui fut fait en 1814).Sinon, dites-nous ce que pouvait bien faire[le maréchal] Souvorov à la frontière fran-çaise en 1799 ? Et Koutouzov, en 1805 ? Ilstentaient tout simplement de pénétrerdans le pays, mais les jeunes généraux révo-lutionnaires les ont repoussés de plus enplus loin. Et de tous, c’est Bonaparte qui aremporté le record de distance, raccom-pagnant l’agresseur jusqu’au Niémen, écra-sant les troupes russo-autrichiennes devantAusterlitz en 1805 et l’armée russe devantFriedland en 1807. Mais la Russie a refuséde se plier aux conditions de la paix de Tilsit

� Des passionnés d’histoire rejouent la bataille de Borodino sur le site même, près de Moscou.

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Le quotidien serbe Politikarefuse de croire à un telscénario. Pourtant, la crise que traverse actuellementl’Union a un air de déjà-vu pour les habitants de l’ex-Yougoslavie.

Politika (extraits) Belgrade

�T outes proportions gardées,l’Union européenne (UE) com-mence à ressembler à beaucoup

d’égards à la Yougoslavie de Tito. Car lestentations de comparer l’incomparable nemanquent pas ces jours-ci. Prenons unexemple : alors que l’UE s’emploie à ren-forcer le contrôle du centre sur la péri-phérie, les dérives nationalistes et lesincompatibilités accrues entre Etatsmembres sont en train de menacer ses fondations. On a connu cette situationpendant l’âge d’or de la Yougoslavie (1981-1986), à l’époque où elle a été à deux pasde rejoindre la Communauté économiqueeuropéenne (CEE).

Ce parallèle n’est pas le seul. Berlin etParis,comme jadis Belgrade et Zagreb, agis-sent comme les piliers de cette Union,malgré leurs différends. Par ailleurs, le tor-chon brûle entre les pays financièrementvertueux et les pays dépensiers ainsiqu’entre les pays plus et moins développésde l’UE. Tout cela ressemble fortement auxprocessus qui ont amené à l’éclatement dela Yougoslavie.

Le concept de l’Europe à deux (ou àplusieurs) vitesses rappelle l’idée de trans-former la Fédération yougoslave en une“confédération asymétrique”, de mêmeque la formule de “l’unité et la frater-nité des peuples yougoslaves” rappelle la

Europe

position défendue par Bruxelles, à savoirque l’intérêt commun doit l’emporter surles inimitiés et les divergences.

On peut aussi établir un parallèleconcernant l’altération des valeurs démo-cratiques : dans l’ex-Yougoslavie, à causedu système de parti unique, les dirigeantsn’étaient pas élus au suffrage universel ;ne le sont pas davantage les hauts fonc-tionnaires qui dirigent l’UE –  et celamalgré le multipartisme dans les paysmembres. Il faut aussi rappeler que,malgré toutes les divergences d’intérêtsl’UE et la Yougoslavie ont été construitessur la base de grands idéaux : coopération,amitié, pardon indispensable au progrèscommun, mélange des cultures.

Mais les deux systèmes ont connu desvicissitudes pour des raisons semblables.Le recours au principe de l’unanimité etdu consensus a engendré la crise du pro-cessus décisionnel et affecté l’efficacitéde l’UE, comme jadis de la Yougoslavie.Ni l’une ni l’autre n’ont réussi à trouverde bon compromis entre le centre et lapériphérie, le nationalisme et l’interna-tionalisme, la politique intérieure et lapolitique commune, l’endettement et lacroissance. L’effondrement de la Yougo-slavie doit beaucoup à ces déséquilibres.L’UE s’emploie à éviter le scénario bal-kanique. Loin de moi l’idée que l’UEpuisse connaître le même sort que la You-goslavie car la guerre est inimaginable enEurope. Mais ce n’est pas la seule raison.Même ceux qui souhaitent un échec duprojet européen tiennent à ses acquis,notamment un certain équilibre entre leslois du marché et le contrat social jamaisatteint auparavant. Et pour finir, nousaussi, en Serbie, nous aspirons à rejoindrel’UE, malgré la lenteur du processus. Momcilo Pantelic

Institutions

Et si l’UE finissait comme la fédération de Tito ?

Danemark Copenhague a pris la relève de Varsovie et assure la présidence tournante du Conseileuropéen depuis le 1er janvier. Pour ce petit pays qui a rejeté l’europar référendum en l’an 2000 et où l’euroscepticisme

va grandissant, le défi des sixprochains mois s’annoncecompliqué. “Le nouveau traité [qui doit entrer en vigueur en mars 2012] peut se révéler biendélicat. Si le gouvernement y est favorable, les Danois

ne sont pas prêts à le suivre”,analyse Jyllands-Posten. Le quotidien danois craint pour sa part que le pays ne soit peu à peumarginalisé et suggère que “le Danemark [aurait] tout intérêt à rejoindre l’euro”.

Palmarès

And the winner is…Un hebdomadaire roumain a imaginé une cérémonie des “Oscars de l’inutilité”décernés aux dirigeants de l’UE pour l’année 2011

Dilema Veche (extraits) Bucarest

�S i je devais décerner un oscarpour l’ensemble de son œuvreà une personnalité (comme un

adieu à un créateur sur le point d’expi-rer), je n’y réfléchirais pas à deux fois :José Manuel Durão Barroso, le présidentde la Commission européenne, mériteune standing ovation, puis un adieu digne

d’une retraite honorable. Le mot clé est“retraite”. Et puisque nous faisons sallecomble, que nous avons revêtu nos habitsdu dimanche, et que nous sommes prêtsà récompenser les performances desEuropéens de haut rang, je propose uneliste pour toutes les catégories qui meviennent à l’esprit. Pour les oscars desmeilleurs acteur et actrice, on ne peutguère éviter le couple Merkel-Sarkozy etses prouesses dans le film d’horreur 2011:l’Odyssée budgétaire. Les deux démontrentleur absence de vision à moyen termeavec une grande énergie. Quelque part enarrière-plan, David Cameron, le Premierministre britannique, mériterait unemention pour la figuration.

Pour les commissaires européens, jefouillerais dans la catégorie maquillage-costumes-son (donc la seconde zone, celleoù nous nous ennuyons à chaque céré-monie). Mme Neelie Kroes fut une trèscompétente commissaire à la Concur-rence. Mais depuis qu’elle s’occupe del’agenda numérique, je n’ai plus qu’uneprière : qu’elle laisse tomber les plans derattrapage de l’Amérique et qu’elle essaiede faire installer au moins un accès Inter-net Wi-Fi au siège de la Commission. Jela nominerais donc dans la catégoriemeilleurs costumes, et c’est tout. Pour lemaquillage, je n’ai qu’une seule idée  :Catherine Ashton [“ministre”des Affairesétrangères de l’UE]. Je l’avoue, j’ai un peu

hésité. Elle aurait mérité un oscar pour lemeilleur scénario de fiction – son inexis-tant et inutile Service d’action extérieure.Quant à la meilleure bande-son, je medois de nominer un groupe entier decommissaires pour le splendide bruit defond qu’ils produisent et qui est, en cemoment, le seul résultat de leur travailgrassement payé. Vous pouvez choisirentre les chargés de l’Elargissement, del’Aide humanitaire, des Changements cli-matiques et de la Recherche, Innovationet Science. Je ne vais pas vous embrouilleravec leurs noms. Vous n’avez pas entenduparler d’eux parce qu’il n’y avait aucuneraison d’en entendre parler.Gabriel Giurgiu

En Croatie, il n’y a presquepas de débat surl’adhésion à l’Unioneuropéenne à laquelle le pays aspire [signée à Bruxelles le 9 décembre,elle est fixée au 1er juillet2013 après un référendumdébut 2012]. En revanche,les idées reçues sontlégion. Par exemple, qu’il n’y a pas d’alternativeà l’Union. Cette idée est aussi répandue que celle qui préconisaitde sortir à tout prix

de la Yougoslavie, bien que les deux soientcontradictoires.De plus en plusd’observateurs en Croatietrouvent que l’UE souffredu syndrome yougoslaveet qu’elle est, parconséquent, menacée de désintégration. Donc, si la Croatie veutadhérer à une UEprospère et fiable, elle doitse comporter à l’opposéde ce qu’elle faisait à l’époque où elle était

l’une des composantes de la Fédérationyougoslave. Cela impliquequ’elle doit parier sur plusd’unité au sein de l’UE et sur des institutionssupranationales plusfortes. Voilà qui est plusfacile à dire qu’à faire.Faute de disposer du pétrole norvégien ou des banques suisses, la Croatie ne peut pas sepermettre de rater ce train.Marinko Culic Tportal(extraits) Zagreb

Vu de Zagreb

L’UE, rien que l’UE, toute l’UE

� Dessin de Bromley paru dans le Financial Times, Londres.

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sur la table et compte sur l’Union euro-péenne pour les 32 millions restants. Et,parce que le pouvoir désire réunir les col-lections des grands maîtres nationaux etinternationaux, la Galerie nationale et lemusée des Beaux-Arts seront regroupésd’un claquement de doigts – le 29 février2012 ! Le directeur de la Galerie nationale,Ferenc Csák, a donné sa démission. C’estdonc à László Baán, le nouveau directeurdésigné par l’Etat, de vendre ce “regroupe-ment de deux institutions séparées depuis 1957,sur le modèle soviétique”, au titre du “réta-blissement historique de la justice”. La Hon-grie, soit dit en passant, s’était inspirée dumodèle autrichien…

Demi-succès de la contestationMais c’est du théâtre qu’est venu le scan-dale culturel de l’année. Le 1er février,György Dörner, connu pour ses affinitésavec l’extrême droite, remplacera IstvánMárta, directeur du Nouveau Théâtre deBudapest, en place depuis 1998. Ainsi ena décidé István Tarlós, maire de la ville[voir CI n° 1097, du 10 novembre 2011]. Lefait que le comité de pilotage ait jugé lacandidature de György Dörner mal fice-lée et se soit prononcé pour le maintiend’István Márta à son poste par six voixcontre deux n’a rien changé à l’affaire : ladécision était politique et irrévocable. Desgens de théâtre, le Parti socialiste et lesverts se sont indignés de la nominationde György Dörner, un homme qui repré-sente les positions du Miep, parti ouver-tement raciste et antisémite. Résultat :György Dörner a désigné István Czurka,président du Miep, au poste d’adminis-trateur du théâtre.

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 23

Contesté pour son régimeautoritaire et ses loisrépressives, le gouvernementde Viktor Orbán sévit égalementdans la vie artistique. Récitindigné d’un journaliste culturel.

Népszabadság (extraits) Budapest

�C omment disait-il, déjà, GáborGulyás, le directeur du muséedes Beaux-Arts de Budapest ?

“En cent ans, cela n’est jamais arrivé : quel’Etat ne donne même pas assez d’argent à sespropres institutions culturelles pour en assu-rer le simple fonctionnement. Et qu’il leur laissela charge de gagner par leurs propres moyensce qu’il manque.” La plupart des respon-sables d’établissements culturels hongroisfinancés par l’Etat pourraient faire leursles propos de Gábor Gulyás. Tous ont vuleur budget revu à la baisse au cours de l’an-née écoulée, parfois jusqu’à un tiers dumontant. Résultat : des théâtres mettentla clé sous la porte, l’industrie cinémato-graphique est au point mort, bibliothèqueset musées tournent au ralenti. Même leFonds national pour la culture, sans lequelles communautés artistiques engagées nepercevraient aucune aide, a vu son budgetfondre à plusieurs reprises.

Le gouvernement du Premier ministreViktor Orbán veut bazarder la culture – cemachin coûteux et superflu. Et les chosesne s’arrangeront pas en 2012, au contraire :le budget de la culture devrait être rognéd’un sixième pour descendre à 169 mil-liards de forints (soit environ 550 millionsd’euros). Nombre de Hongrois tiennentGéza Szöcs, le secrétaire d’Etat à la Culture– dont l’action est jugée molle et floue –,pour responsable de cette vague de coupesclaires, la dévalorisation la plus grave de laculture depuis le changement de régime,en 1989. Mais en réalité le premier res-ponsable de ce qui s’apparente à une liqui-dation aux yeux de la plupart des acteursdu monde culturel est une nouvelleapproche de la culture. Au lieu de pour-suivre une politique de subventions clas-sique, le gouvernement préfère miser surde grands projets de propagande en s’ap-puyant sur la nomination de nouveauxdirecteurs à poigne à la tête des grandesinstitutions. C’est dans les domaines desarts plastiques, du théâtre et du cinémaque cette évolution est le plus flagrante.

Parmi les grands rêves du gouverne-ment, la volonté de transformer la placedédiée au soulèvement de 1956 à Budapesten un gigantesque “quartier des Musées”.Un projet préexistant qui en était presqueau stade de la réalisation a ainsi été stoppé,mais le nouveau projet de quartier desMusées n’est pas au point, ni sur le fond,ni sur le plan financier. Le gouvernementn’entend pas mettre plus de 100 000 euros

La vague de protestationsdéclenchée par cette der-

nière nomination a tou-tefois porté ses fruits.Le maire a demandé àDörner de renoncer àl’affectation d’IstvánCsurka. Il est vrai quel’opposition avait prisune ampleur considé-rable. Mieux encore :de nombreux écrivainset détenteurs desdroits d’auteur pourdes pièces que Dörnersouhaitait faire joueront décidé de bloquerles œuvres. Le fait quedes institutions finan-cées par l’Etat soient

ouvertes à des idéo-logues d’extrême droite a

également donné lieu à unconcert de protestations sur le

plan international. Mais István Tarlóstient à György Dörner – et s’étonne de voirl’affaire rencontrer un tel écho.

Et comment le gouvernement national-conservateur de Viktor Orbán, en placedepuis mai 2010, s’y prend-il pour léser l’in-dustrie cinématographique  ? Il a com-mencé par lui couper les vivres, avant denommer plénipotentiaire, voilà près d’unan, l’ancien producteur hollywoodienAndrew G. Vajna – que ses adversaires sur-nomment le “nabab offshore”. Pendant cetemps, le Parlement posait les bases néces-saires à la suppression totale des aidesaccordées au cinéma, au profit de la poli-tique de “renouvellement de l’industrie ciné-matographique nationale” d’Andrew Vajna.

La loi du “nabab offshore”Cette mission sera conduite par le Fondshongrois pour le cinéma, financé par lescopieuses recettes de la loterie nationale.Reste à savoir quand il se décidera à sou-tenir la production cinématographique. Sacommission, dont fait partie Andrew Vajna,n’a encore selectionné aucun scénario. Etelle s’est d’ores et déjà adjugé un droit decontrôle sur le montage définitif desœuvres : en Hongrie, c’est l’Etat qui décidedu final cut. Géza Csákvári

Sondage La cote de popularité du Premier ministre et chef de filede la Fidesz (droite), Viktor Orbán,suit une courbe à la baisse, relate le magazine allemand Der Spiegel.Alors qu’il détient une majorité

des deux tiers au Parlement depuis les élections législatives de 2010, il n’est plus crédité que de 34 à 39 % des intentions de vote. En 2010, il atteignait encore 54 % d’opinions favorables.

� Dessin de Vlahovic, Belgrade.

Hongrie

Culture : c’est la chute finale

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24 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Sans renier leur foi, les Polonaissont de plus en plus nombreux à critiquer le rôle et le poids de l’Eglise catholique.

Gazeta Wyborcza (extraits) Varsovie

�L es gens dont il est ici questionne constituent pas un groupehomogène. Sur bien des sujets,

ils ne seraient sans doute pas d’accordentre eux. Baptisés, ils ne se sentent pasforcément appartenir à la communautécatholique. S’ils participent au rituel, c’estseulement quand ils le choisissent. Le plussouvent, il s’agit d’un baptême, d’unmariage ou de Noël. Ils ne participent quetrès rarement à la messe dominicale. Ilsexpliquent qu’ils n’ont pas de problèmesavec la foi, mais plutôt avec l’Eglise.

Selon le père Janusz Marianski, direc-teur de la faculté de sociologie de la reli-gion à l’université catholique de Lublin,ces gens font partie des 40 % de catho-liques polonais qui sont officiellementcroyants mais ne pratiquent qu’occa-sionnellement, ou qui croient mais à leurfaçon. Leurs explications sont multiples.

L’ambiance est dépressiveMarcin, 28 ans, est ingénieur en nouvellestechnologies, originaire de Varsovie.“C’est un peu à cause de ma famille, un peuà cause de ma partenaire. Elle tenait à lacérémonie catholique, mais je n’ai pas creuséle sujet.” Il a vécu avant le mariage avec safuture épouse, qui se déclare croyantemais peu pratiquante. Lui-même vientd’une famille catholique traditionaliste.Chez lui, il y a toujours eu des bénédici-tés avant le repas, on allait à la messe tousles dimanches, on récitait des litanies àla Vierge en mai et en juin. Dieu était pré-sent. Pendant des années, il a été enfantde chœur. Aujourd’hui, il ne va plus régu-lièrement à la messe, car l’Eglise est

Europe

devenue selon lui trop politique, trop agressive. Il se souvient du sermon d’unévêque qui comparait le sexe avant lemariage à l’inceste et à d’autres dévia-tions sexuelles. Selon cet évêque, unetelle relation était condamnée à ne pasdurer. “Je ne me voyais pas dans une telleEglise, commente Marcin. Je n’ai pas ditque Dieu n’existe pas. J’ai juste laissé tomberla confession, la communion et la messe. Jene voulais plus être hypocrite.”

Zbyszek est enseignant à Poznan. “Je mesuis marié religieusement car je

crois dans les vœux de fi-délité, d’amour et d’hon-nêteté et à la promessede rester ensemble jus-qu’à la mort”, explique-t-il. Avant de se marier,il a vécu avec sa futurefemme. Il ne va pas à lamesse. “La foi est unechose, le rituel en est uneautre.” Maria, journa-liste à Varsovie, affirmeque si elle se marie, cesera à l’église. “C’est del’hypocrisie, bien sûr,mais c’est plus fort quemoi. Je sens la présence deDieu dans cette cérémo-nie.” Daria, 16 ans, vit àKatowice. Elle est cer-taine, elle aussi, de semarier religieusement.“Je n’en ai pas besoin,mais la cérémonie est sibelle.” Elle considère

que, si Dieu nous a donnéla vie, ce n’est pas pour qu’on per-

de son temps à l’église. C’est pour-quoi, elle y est allée pour la derniè-

re fois à l’occasion de sa confirmation,il y a un an. “Je n’aime pas la messe, c’est en-nuyeux. Je me sens comme si j’entrais dansune secte. Toujours les mêmes sermons… Jen’ai rien à y faire. Pendant que le curéprêche, je me sens toute petite et ça me metde mauvaise humeur. A l’église, l’ambianceest dépressive.”

Anna, 29 ans, habitante d’une petiteville, est mère de deux garçons. Enfant,elle était pratiquante. Ses parents noncroyants disaient que leur fille était une“catholique sectaire”. Ils ignoraient que,pour Anna, c’était du sérieux. A l’âge de18 ans, elle a arrêté. “L’Eglise n’avait plus

d’attrait spirituel pour moi, elle n’apportaitrien à ma foi. Dans notre ville, la messe,c’était plutôt un défilé de mode. On y allaitpour montrer ses nouvelles chaussures. Etces gens ennuyeux tout autour… Rien à voiravec le bon Dieu !”

“Mariez-vous d’abord”Anna est mère de Dawid, 7 ans, et d’An-tek, qui n’a pas encore 1 an. Un jour, lecuré est venu chez ses beaux-parents.Dawid était alors tout petit. Anna ademandé au prêtre si elle pourrait fairebaptiser son fils. Le curé a répondu quenon, car elle n’était mariée que civile-ment : “Mariez-vous d’abord et on verra,a-t-il dit. Je me suis sentie considérée commeune personne de seconde catégorie. Cela m’ablessée. Où est le mal ?” s’interroge Anna.Elle est allée dans sa paroisse pour véri-fier si le baptême était vraiment impos-sible. Un autre curé s’est montré pluspragmatique. Il lui a expliqué qu’ellepouvait baptiser son fils en tant que fille-mère, mais pas en étant mariée civile-ment. Il a donc inscrit Anna dans lesregistres comme étant “fille-mère”. Il amenti à l’Eglise, mais il a respecté l’hon-nêteté d’Anna. Slawek, le mari d’Anna,un juriste de 40 ans, raconte : “Durantla cérémonie, je me suis placé à l’écart.Quand le curé a demandé si nous allionsrejeter Satan, Anna a répondu oui. Moi,rien. Il m’a jeté un regard lourd de sens, ila attendu ma réponse et je lui ai dit que jen’étais que dans l’assistance.” Slawek estbaptisé, il vient d’une famille catholique,mais il rejette la religion. Pour lui, la foiest une expérience individuelle. Pour-quoi n’a-t-il pas boycotté le baptême ?“Je n’ai pas voulu me battre là-dessus, carla résistance dans les affaires de croyancene fait que renforcer l’adversaire. La vraievictoire, c ’est quand vous l ’ ignorez.L’Eglise catholique n’est plus un adver-saire pour moi.” Sylwia Szwed

Pologne

Au pays de la croix, la religion n’est plus ce qu’elle était

Repère Selon l’Institut statistiquede l’Eglise catholique (www.iskk.pl),seuls 41 % des Polonais – qui sedéclarent croyants à plus de 90 % –ont participé régulièrement à la messe dominicale en 2011.

Ce chiffre reflète une diminutionconstante du nombre des pratiquantsau cours des dernières décennies. Au début des années 1980, le taux des dominicantes s’établissait autourde 50 % de la population.

L’enseignement du catéchisme dans les écoles publiques afait l’objet d’une des premières décisionsprises par legouvernement polonaisaprès la chute ducommunisme, en 1989.Depuis, la présence del’Eglise catholique dansla vie sociale, la politiqueet les médias polonaisest allée grandissant. Lesuccès électoral obtenuaux élections législatives

du 9 octobre 2011 par lemouvement de JanuszPalikot, ouvertementanticlérical, qui a séduit10 % des électeurs, estpeut-être le premiersigne que les Polonaissont de plus en plusnombreux à remettre encause la domination de l’Eglise catholique.Une Eglise privilégiéefinancièrementpuisqu’elle ne paie pasd’impôts, rappellePalikot. “C’est vrai, il y a

un problème avec cetteorganisation politisée et non démocratiquedans un paysdémocratique, considèrel’hebdomadaire libéral degauche Polityka. Si l’électorat de Palikotgrandit, c’est la faute à certains prêtres,évêques et politiciens. Il faut faire un audit des relations entrel’Eglise et l’Etat et analyser calmementce qui ne va pas.”

Anticléricalisme

Des privilèges de plus en plus contestés

librement inspiré de Catégorie 3.1

de Lars Norénmise en scène Krystian Lupa

du 7 janvier au 4 février 2012

Rencontre avec Krystian Lupalundi 9 janvier à 20h30

www.colline.fr - 01 44 62 52 52 www.colline.fr - 01 44 62 52 52

de Arnaud Michniakmise en scène Aurélia Guillet

du 19 janvier au 18 février 2012

� Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan,Malmö.

Page 25: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

brève échéance à l’Autriche, et donc seréunifier au Tyrol du Nord [autrichien] ?A l’époque, la réponse des forces poli-tiques concernées – Bolzano, Innsbrucket Vienne – avait été la suivante : avecl’adhésion de l’Autriche à l’UE en 1995 etla levée des barrières dans l’espaceSchengen, la frontière du Brenner per-dait son caractère “injuste”. La fin descontrôles aux frontières et la coopéra-tion transfrontalière au niveau des gou-vernements et des parlements régionauxpermettaient de recoller ce qui avait étédisloqué. En d’autres termes, l’unité duterritoire se reconstituait grâce au pro-cessus européen. Le Parti du peuple duTyrol de Sud (SVP, germanophone) – quigouverne à Bolzano depuis 1945 – pré-féra alors renoncer à proclamer son droit

à l’autodétermination (inscrit dansles statuts du parti), à unEtat libre et à la réunifica-tion avec le Tyrol du Nordau profit de la “dynamisa-tion de son autonomie”.

Aujourd’hui, la situa-tion a changé. Non que leSVP ait modifié sa posi-tion, mais il a perdu deson rayonnement, nedétient plus qu’unecourte majorité absolueau Parlement régional(18  sièges sur 35)depuis les élections de2008 et il est affaiblipar des compromis-sions avec les partisitaliens ainsi que parun scandale avec lefournisseur d’énergierégional SEL. Tout celaapporte de l’eau aumoulin des trois partisd’opposition “alle-mands”, qui [forts de8 sièges au total au Par-lement] plaident pour

de terrorisme dans les années 1960.Il faudra attendre l’entrée en vigueur d’un nouveau statutd’autonomie en 1972, garantissantde larges compétences aux minorités, pour que la situation se pacifie.

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 25

Inquiets du plan de rigueuritalien, les germanophones du Haut-Adige (Tyrol du Sud)sont enchantés par l’idée de nation ethnique en vogue en Hongrie. Ils entendent se rapprocher de l’Autriche.

Frankfurter Allgemeine Zeitung(extraits) Francfort

�L a crise des dettes souverainesau sein de l’Union européennea des conséquences hors de son

champ d’action, d’un genre tout à fait spé-cifique, et qui ne sont guère prises encompte. Ainsi, dans l’ombre des feux allu-més dans l’opinion publique européenne,un débat enfle au sud du col du Brennerpour déterminer si la région du Tyrol duSud [majoritairement germanophone]– annexée par l’Italie à la fin de la Pre-mière Guerre mondiale, aux termes dutraité de Saint-Germain-en-Laye [en1919] – doit demeurer italienne ou allerse chercher un avenir ailleurs. Le débatavait déjà resurgi lors de la réunificationde l’Allemagne [en 1990] : au nom dudroit des peuples à l’autodétermination,les Tyroliens du Sud ne devaient-ils paspouvoir décider si leur territoire – restéen Italie après la Seconde Guerre mon-diale en tant que province autonome deBolzano-Tyrol du Sud [Bolzano-AltoAdige en italien, Bozen-Südtirol en alle-mand] – pouvait aspirer à un statut d’Etatlibre et se rattacher àplus ou moins

un “Etat libre du Tyrol du Sud” ou pourun “retour à la patrie autrichienne”. Endépit de quelques nuances et frictions,ils se rejoignent dans leur volonté de “seséparer de Rome” [slogan à tonalité pan-germaniste de la fin du XIXe siècle]. Derrière ce type de revendications se rassemble une grande partie des asso-ciations traditionalistes à l’histoire sécu-laire, mais pas seulement. Dans lajeunesse également, les tendances sépa-ratistes trouvent un écho favorable etmême les milieux économiques ne rejet-tent pas (plus) l’option d’un “Tyrol duSud indépendant de l’Italie”, sûr de luiet autonome. Les commerçants, lesmilieux du tourisme, les industriels etles artisans évoquent très ouvertementl’idée que, plus “la crise de l’Italie prendde l’ampleur”, plus ils songent à “réorien-ter” leurs affaires. Nombreux sont ceuxqui commencent à investir davantage enAutriche et en Allemagne.

Autodétermination du peupleL’objectif de “ne pas être aspiré par la crisede l’Italie” se reflète aussi dans une déci-sion récente du Parlement régional deBolzano, stipulant qu’il sera fait opposi-tion à toute nouvelle charge financièreou restriction des droits acquis de la pro-vince du Tyrol du Sud découlant du pro-gramme d’austérité du gouvernementitalien. Une disposition que l’oppositionjuge nettement insuffisante. Celle-ciexige le grand pas de la libération. Elletrouve un écho au Parlement de Vienneoù le FPÖ [parti libéral, jadis dirigé parJörg  Haider, aujourd’hui par Heinz-Christian Strache, droite populiste] aproclamé haut et fort que l’Autrichedevait “donner la possibilité au Tyrol duSud de s’extirper de la spirale du déclin ita-lien”. Une première possibilité étant l’at-tribution de la nationalité autrichienneaux Tyroliens du Sud. A Vienne commeà Bolzano, on se réfère au “modèle hon-grois” depuis que le gouvernement de

Viktor Orbán a décidé [en 2010] d’ac-corder la nationalité hongroise à tous lesHongrois ethniques implantés hors desfrontières du pays [depuis le traité deTrianon de 1920] qui en font la demandeet prouvent leur ascendance magyare. Lesujet est controversé au sein de l’UE etlaisse dubitatif le ministère autrichiende l’Intérieur. “Accorder la double natio-nalité aux Tyroliens du Sud n’est plus qu’unequestion de volonté politique”, clame l’op-position [“allemande”] – déplorant queni le SVP ni le gouvernement autrichien“ne sont prêts à franchir le pas”.

Enjeu pour la droite populisteL’un des partis d’opposition a mêmerécemment organisé un “référendum surl’autodétermination” dans une commu-nauté de communes de 6 000 habitants(Ahrntal) et 95 % des suffrages exprimésy étaient favorables – mais la participa-tion n’a pas dépassé 31 % des inscrits, desorte qu’on ne peut pas parler de scrutinreprésentatif. Néanmoins, on aurait tortd’ignorer ce résultat, aussi contestablesoit-il. Car il traduit le climat ambiant.Si un référendum du même genre setenait à l’échelon de la province avec lesoutien des deux autres partis d’opposi-tion, le SVP serait pris dans le tourbillonde cette aspiration à “se séparer deRome”. Il ne pourrait plus se soustraireà l’appel à l’autodétermination despeuples en alléguant que, tant que l’Ita-lie respecte les traités internationauxsignés avec l’Autriche, Vienne n’a pas àintervenir. Des retournements de situa-tion ne sont pas si irréalistes qu’il peuty paraître. En Autriche, si la coalition aupouvoir continue sur sa lancée, le chefde la droite populiste, Heinz-Chris-tian  Strache (FPÖ), ne tardera pas àoccuper la chancellerie*. Il était mi-décembre au Tyrol du Sud et a proclamé“son soutien plein et entier à l’autodétermi-nation”. Concernant la fidélité de Romeaux traités, l’histoire a prouvé qu’ellen’était pas indéfectible. Et si, dans cecontexte de frustration, le SVP n’a riende mieux à proposer qu’une autonomierelative pour ce “modèle du Tyrol duSud” toujours tant vanté [pour son hautdegré de respect des droits des minori-tés], il risque fort d’être bientôt dépassésur sa droite par la vague du séparatisme. Reinhard Olt

* Le gouvernement de cohabitation droite–gaucheconduit depuis la fin de 2008 par le chanceliersocial-démocrate Werner Faymann (SPÖ) ne satis-fait guère l’électorat. Un récent sondage, paru endécembre dans le magazine viennois Profil, donnele FPÖ de Heinz-Christian Strache à égalité avec leSPÖ avec 27 % des intentions de vote, devant leschrétiens-démocrates de l’ÖVP (partenaires de lacoalition) à 24 % et les Verts à 14 %.

Autriche-Italie

Le séparatisme des Tyroliens est de retour

Histoire Ancienne terre du Saint-Empire germanique, le Tyrol a fait partie de l’Empire des Habsbourg de manièrepratiquement ininterrompue du XIVe au début du XXe siècle.A partir des années 1920,

la région connaît une histoirefortement agitée sous l’impact du fascisme et du nazisme. En 1946, sous la pression des Alliés,un accord y garantit la protectiondes minorités. Non respecté, il donne lieu à une vague

� Dessin de Raquel Marínparu dans El País, Madrid.

300 km

Innsbruck

BolzanoAhrntal

SUISSELIECH.

FRANCE ALLEMAGNE

SLOVÉNIE

CROATIEI T A L I E

A U T R I C H E

MerAdriatique

A l p e s

Vienne

Tyrol du Nord

Tyrol oriental

TRENTIN-HAUT-ADIGE

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Le Tyrol, une région divisée

* Ou Tyrol du Sud Province autrichienne du Tyrol

Provinceautonome

de Bolzano*

Col du Brenner

Page 26: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

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Page 27: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Amériques Le Devoir. Ce traité, une fois ratifié, pourrait faciliterl’exportation vers l’Inde d’amiante canadien en abaissant les tarifs douaniers.

Dans la petite ville d’Asbestos,au Québec, les mines d’amiantetournent au ralenti, faute de demande. Pourtant, Ottawadéfend avec acharnement les ventes à l’étranger de ce minerai nocif. Reportage.

The Globe and Mail (extraits) Toronto

�P our une ville de taille modeste,Asbestos a laissé une profondeempreinte dans la psyché cana-

dienne. La grève de l’amiante, qui a éclatéen 1949 dans les mines d’Asbestos et danscelles de la ville voisine de Thetford Mines,a contribué à l’avènement, dans les années1960, de la “révolution tranquille” qui afondé le Québec moderne. Et aujourd’hui,l’exploitation minière de l’amiante, qui adonné son nom à la ville d’Asbestos, entachela réputation d’honnête partenaire com-mercial du Canada [en anglais “amiante”se dit asbestos. L’asbestose est une graveaffection des poumons due à l’amiante ].

Le danger représenté par l’amiante estreconnu par la communauté médicaledans la majeure partie du monde. Selonl’Organisation mondiale de la santé(OMS), au moins 100 000 personnesmeurent chaque année d’un cancer dupoumon ou d’une autre maladie respira-toire liée à l’amiante. Et ce n’est pas prèsde s’arrêter : 125 millions de personnessont encore exposées à ce risque chaquejour sur leur lieu de travail.

Le secteur a connu des jours meilleurs.Au Québec, la région où l’on exploitait tra-ditionnellement l’amiante ne compte plusque deux mines en activité. En attendantle financement qui permettra de la relan-cer, la mine Jeffrey, à Asbestos, tourne àmi-régime. Selon certaines informations,celle de la société minière LAB Chrysotile,à Thetford Mines, aura bientôt terminé detraiter les terrils qui façonnent son pay-sage. [L’amiante blanc produit dans larégion est dit “chrysotile”, voir “Lobby” enpage 28.] La topographie de l’endroit estétrange à tout point de vue. Les mines àciel ouvert d’Asbestos ont déjà été les plusvastes de l’hémisphère Ouest. Sans la noriades camions qui descendent jusqu’au fondde la mine, on pourrait se croire sur laLune. Les terrils miniers semblent avoirété largués du haut des airs. Au fil des ans,les résidus se sont couverts de végétation.Il n’y a toutefois aucun signe de vie sur lesmontagnes formées par les gravillons deroc broyé pour en extraire l’amiante.

Luc Berthold, le jovial maire de Thet-ford Mines, semble ne pas se soucier du

paysage lunaire qui l’entoure. En réponseà un rapport récent sur les risques couruspar la population locale, le maire a indiquéque la municipalité n’avait pas l’intention declôturer la zone où se trouvent les mon-tagnes de roc broyé pour empêcher lesamateurs de quads de l’utiliser comme ter-rain de jeu. Il a toutefois accepté de cesserd’épandre les restes miniers sur les routesl’hiver pour remplacer le sel et le sable.

Difficile de faire reproche à la popula-tion locale de son attitude. Après tout, laville n’existerait pas sans cette fibre étrangedécouverte par un fermier de la région.C’est en 1876 que Joseph Fecteau a trouvécette riche veine d’amiante, un matériauconnu depuis longtemps en Europe. Sarésistance au feu paraissait une vertu mira-culeuse. En l’espace de quelques années,la région de Thetford Mines est devenuela capitale mondiale de l’amiante, que lesQuébécois surnommaient l’“or blanc”.

Bientôt, l’amiante fut partout. On entrouvait dans les maisons, les usines, lesvoitures et dans des milliers de produitsindustriels et domestiques. Il y en avaitdans tous les types d’isolants, ainsi quedans les plaquettes de frein, la peinture, leciment, les revêtements extérieurs etmême les crayons. La poussière d’amiantea toujours été présente dans la vie des

habitants de Thetford Mines. Ils nes’étaient pas vraiment préoccupés de sanocivité, dont les effets peuvent mettrejusqu’à quarante ans à se manifester. Poureux, l’amiante faisait tout simplementpartie de leur vie.

Sylvain Gagné offre un exemple ty -pique de cette attitude. Lorsqu’on abordela question de l’asbestose et du cancer, ilse contente de hausser les épaules. Assis

sur sa véranda face à une colline forméepar les résidus miniers, il mange avec appé-tit. A son avis, si les habitants de ThetfordMines sont malades, c’est qu’ils boiventtrop, surtout les jeunes qui n’arrivent pasà se trouver un emploi. Sylvain Gagné n’ajamais travaillé dans les mines, mais sonpère et son grand-père ont tous les deuxété mineurs sans développer les signes dela maladie.

A l’autre bout du Canada, le jeuneChuck Strahl a travaillé comme bûcherondans les forêts de Colombie-Britannique[la province canadienne la plus à l’ouest].

Dans les années 1970, il opérait dans unegrue forestière et passait neuf ou dixheures par jour à moins d’un mètre d’unmonticule de poussière d’amiante. Plu-sieurs années plus tard, en 2005, ChuckStrahl s’est révélé atteint de mésothéliome,un cancer causé par l’amiante. La maladiea freiné dans son élan la brillante carrièrepolitique qu’il avait entamée en 1993.L’amiante est devenu un sujet de profonddésaccord entre lui et son patron, StephenHarper, l’actuel Premier ministre duCanada. [Chuck Strahl se remet de soncancer. Il est toujours député du Particonservateur, la formation au pouvoir àOttawa.]

Le problème, ce n’est pas l’utilisationde l’amiante au Canada, puisqu’elle estinterdite. Le gouvernement Harper dé -bourse même des millions de dollars pourterminer le désamiantage des édifices duParlement. Le problème, ce sont plutôt lesconséquences de l’exportation d’amiantecanadien vers d’autres pays. L’isolement duCanada sur cette question a été mis en évi-dence en juin  2011, à l’occasion d’uneréunion aux Nations unies où l’inscriptionde l’amiante sur la liste des substancesdangereuses de la convention de Rotter-dam fut l’un des principaux sujets dediscussion. Ce traité met en garde les

Canada

L’amiante, c’est bon pour les exportations

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Libre-échange “Ottawa et New Delhiont entamé en novembre 2010 des négociations en vue de signer un accord de libre-échange d’ici à novembre 2013”, rappelle

� Les mines d’Asbestos, situées à proximité de la ville du même nom, tournent pour le moment au ralenti.

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“S’ils sont malades, c’est qu’ils boivent trop”

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28 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Amériques Lobby Une fibre blanche et moinsnocive ? L’Institut du chrysotile, lelobby pro-amiante canadien, défendavec conviction le minerai local. Ilaffirme que “le chrysotile est le typed’amiante le moins poussiéreux, et il

peut être éliminé plus facilement du corps humain que les amphiboles[un autre type d’amiante]. Si l’on peutaffirmer que les produits modernessont sûrs, c’est que les études portantsur les risques afférent à des niveaux

pays importateurs contre la toxicité de certains produits et leur permet de refuserles matériaux potentiellement dangereux.Le Canada est le seul pays à s’être opposéà l’ajout de l’amiante sur cette liste.Le dévouement du Premier ministre àl’amiante n’a rien de nouveau. Les précé-dents gouvernements canadiens ont faitpreuve d’une loyauté sans faille envers lesecteur. Ottawa et la capitale provincialeQuébec ont fait de leur mieux pour per-suader le monde entier de l’innocuité del’amiante canadien.

Le débat a atteint un point culminantà la fin des années 1990 lorsque la Francea interdit l’amiante. Mécontent, le Canadaa contesté cette décision devant l’Organi-sation mondiale du commerce (OMC). S’ilétait déjà plutôt embarrassant de se que-reller avec un membre du G7, le fait dedéfendre une cause perdue d’avance étaitencore plus gênant. L’OMC rejeta en effetla plainte déposée par le Canada pour lasimple et bonne raison que “l’inhalation defibres d’amiante chrysotile comporte effective-ment un risque cancérigène”.

La défense canadienne de l’amianteextrait sur son territoire repose pourtantsur certains faits. La fibre blanche estmoins dangereuse que le minerai bleu etbrun extrait dans d’autres pays. Mais moinsdangereux ne veut pas dire inoffensif. Eneffet, selon l’Organisation mondiale de lasanté (OMS), il n’y a pas de niveau d’ex-position à l’amiante sans danger.

Une ignorance délibéréeTous les acteurs du secteur – municipali-tés, sociétés minières, gouvernements pro-vinciaux et fédéral –, refusent de reconnaîtreune réalité connue depuis près d’un siècle.Selon une étude publiée en 1918 par legouvernement américain, “les compagniesd’assurance-vie canadiennes et américaines

refusaient généralement d’assurer les travailleursde l’amiante en égard aux risques du secteur”.A la fin des années 1970, des documentsrendus publics devant les tribunaux amé-ricains ont prouvé que les dirigeants del’industrie connaissaient les dangers del’amiante depuis les années 1930 et qu’ilsles avaient cachés.

De toute façon, lorsque Ottawa se déci-dera à interdire les exportations d’amiante,il se peut que le secteur ait déjà disparu etqu’il n’y ait plus rien à débattre. S’il existeencore de grandes quantités d’amiantedans la bande de 60 kilomètres située entreThetford Mines et Asbestos, son coût d’ex-traction est beaucoup plus élevé qu’enRussie, au Brésil, au Kazakhstan, en Chineou au Zimbabwe, où cette industrie ne faitpas polémique.

La mine Jeffrey, à Asbestos, fonctionneau ralenti depuis maintenant huit ans. Son

avenir est incertain et dépend d’un hommed’affaires montréalais d’origine indienne.Baljit Singh Chadha est arrivé au Québecen 1973 pour faire des études de commerce.Trois ans plus tard, il a créé sa propre entre-prise et s’est associé avec un producteurd’amiante canadien. Aujourd’hui, sonentreprise gère l’acheminement d’environ100 millions de dollars [74 millions d’eu-ros] de marchandises, notamment desnoix, des fruits séchés, du bois et del’amiante, entre l’Inde et le Canada.

En 2010, Baljit Singh Chadha a fait uneoffre pour acheter la mine Jeffrey et a prispubliquement position en faveur de l’ex-portation d’amiante. Le gouvernement duQuébec a accordé à son entreprise unegarantie de prêt de 58 millions de dollars[43  millions d’euros] à condition quel’homme d’affaires trouve des investisseursqui contribuent au projet à hauteur de

25 millions de dollars [18,6 millions d’eu-ros]. Pour les pays exportateurs d’amiante,l’Inde est un pays extrêmement attrayant.Les fibres y sont utilisées pour préparer unciment composite qui sert à la fabricationde matériaux de construction à faible coût.Selon les statistiques disponibles sur lecommerce des produits de base, le Canadaa exporté l’équivalent de 39,1 millions dedollars [29,7 millions d’euros] d’amianteen Inde en 2010, soit 69 575 tonnes deminerai. La Russie a été de loin le princi-pal fournisseur du pays en 2010. Pour sapart, le Canada s’est classé au troisièmerang, juste derrière le Brésil.

Toits de maisons indiennesDans la ville d’Ahmedabad, située dans lenord-ouest de l’Inde, plusieurs entreprisescomme Gujarat Composite mélangent leciment avec des cendres volantes et del’amiante (environ 9 % du mélange) pourformer des plaques de ciment particuliè-rement solides. L’amiante agit en effetcomme un liant et empêche les plaques dese briser. En plus d’être résistantes, ellesne coûtent que 7 dollars [environ 5 euros]chacune, prix de revient inférieur de moitiéà celui de l’acier galvanisé avec une duréede vie au moins deux fois plus longue. Iln’est donc pas étonnant que l’amiantesoit de plus en plus apprécié dans les zonesrurales de l’Inde.

A l’extérieur de la vaste enceinte del’usine Gujarat Composite se trouve unepetite agglomération d’environ 300 mo -destes maisons appelée Kali Gaon-BlackVillage. Les toits sont tous faits de plaquesondulées amiante-ciment. Mais de nom-breuses plaques sont brisées et libèrentdes fibres d’amiante dans l’air. Toutes lesfamilles cuisinent sur un feu de bois oude charbon à l’intérieur de leur maison auplafond bas, et la chaleur entraîne la rup-

Pays exportateur, le Canadaconvoite le marché européen.Un accord de libre-échangeest en cours de négociation etOttawa peut compter sur uneancienne star du hockey pourfaire avancer le dossier.En 2012, un traité de libre-échange entre le Canada etl’Union européenne (UE)devrait voir le jour. Le projetd’Accord économiquecommercial global (AEGC)est soutenu par un ambassadeur horspair en la personne de Peter Stastny,souligne le quotidienLe Devoir.Joueur vedette de la sélectionnationale de hockeytchécoslovaque, il fait

défection en 1980 pourrejoindre les Nordiques deQuébec, une équipeprofessionnelle aujourd’huidisparue. Au sommet de sacarrière, il sera l’un desmeilleurs joueurs de la Ligue

nationale de Hockey(LNH). Il rentre en

Slovaquie en1994. Le

paysest

indépendant de la Républiquetchèque depuis tout juste un an. En 2004, il se reconvertitdans la politique et siègedepuis au Parlement européenoù il est notamment rapporteurpour l’AEGC. “Pour l’ex-joueurde hockey, il n’y a aucun doute :un accord de libre-échangeCanada-Europe serait unebonne chose. ‘J’en suis plus queconvaincu, dit-il sans hésiter.Les citoyens des deux régionsvont en profiter.’ Dans ce genrede partie, poursuit Le Devoir, iln’y a, à son avis, pas de

perdant.” Le quotidienmontréalais ajoute que

“Peter Stastny fait ainsisiennes les conclusions

d’une étude réalisée en2008 par Ottawa et Bruxellessur les retombées

économiques d’un ambitieuxaccord de libre-échange. Pourle Canada, il est question d’uneaugmentation de 20 % deséchanges bilatéraux, d’unehausse de 1 000 $ [740 euros]de revenu par famille et de lacréation de 80 000 emplois.L’Europe ne serait pas en reste,avec l’injection de 16 milliardsde dollars [12 milliards d’euros]frais dans son économie.”Ce traité devrait permettre au Canada de diversifier ses débouchés commerciaux.Pour le moment, 70 % de sesexportations sont destinéesaux Etats-Unis. Ces échangesont rapidement cru après la signature, en 1994, del’Accord de libre-échangenord-américain (Aléna).Ottawa espère qu’une entente

avec l’UE aura le même effet. Il reste à aplanir certainesdifférences en matièred’exception culturelle, d’aide à l’agriculture, de prix desmédicaments ou d’ouverturedes marchés publics auxmultinationales. Mais le Canadase montre préoccupé par un dossier étranger aux négociations en cours : le projet de directiveeuropéenne sur la qualité descarburants. Celle-ci vise àréduire les émissions de CO2 etidentifie les sables bitumineuxcanadiens comme une sourcede pétrole non conventionnelleémettant trop de gaz à effet deserre. Son adoption fait frémirle Canada et Ottawa a engagéune intense campagne delobbying contre ce texte.

Libre-échange

L’Europe, la nouvelle cible commerciale du Canada

� Dans le centre-ville d’Asbestos, l’amiante est omniprésent.

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ture des plaques. Encore récemment, les dirigeants de l’usine permettaient égale-ment aux ouvriers de tirer de l’eau d’unpuits situé à l’intérieur de l’enceinte. “Onpouvait voir la poussière flotter dans l’eau”,raconte C. R. Singh, qui a grandi à Kali Gaonet dont le père travaille toujours à l’usine. “Jene savais même pas qu’il y avait un risque. Aprèstout, les gens avaient toujours vécu comme ça.Aujourd’hui, je me demande ce que j’ai bu pen-dant les vingt-cinq premières années de ma vie.”

Son père, atteint d’asbestose, estchargé de gérer les stocks d’amiante. Leminerai arrive dans des sacs qui, selon lui,se déchirent parfois. Ils sont vidés à l’ex-térieur et non dans un espace clos. Enoutre, aucune mesure n’a été prise pour luifaire enlever la poussière d’amiante sur sonuniforme avant qu’il ne rentre chez lui. Etsi des contrôles de la qualité de l’air ont étéeffectués dans l’usine, personne n’a pris lapeine de lui faire part des résultats. Ni desrésultats de ses rares examens médicaux.

Quel que soit le sentiment du gouver-nement canadien, l’Inde ne semble avoiraucun scrupule. Elle a approuvé la mise enchantier de dix nouvelles usines de cimentd’amiante en 2012. Ce n’est pas étonnant,estime Tushar Kant Joshi, directeur duCentre de santé professionnelle et envi-ronnementale de New Delhi. Les respon-sables de l’industrie courtisent assidûmentles responsables politiques et ont beaujeu de leur rappeler qu’ils emploient100 000 per sonnes. Le projet d’interdic-tion de l’amiante déposé en 2009 par desmilitants à la chambre haute du Parlementa été relégué aux oubliettes. “Il n’y a pas devolonté politique. Et celle-ci est nécessaire pourinterdire l’amiante, en réduire la consomma-tion ou en restreindre l’usage”, indiqueM. Joshi. Ragunath Manwar, qui a travaillépendant trente-sept ans pour Gujarat Elec-tric Co., va encore plus loin : “C’est de lacorruption  : l’industrie a tout simplementacheté le ministère du Travail. Nous n’avonsaucun pouvoir”, martèle-t-il.John Gray et Stephanie Nolen

La lutte contre le réchauffementplanétaire, telle qu’elle estmenée, ne sert qu’à faire lespoches des pays riches, estimeun quotidien conservateur deToronto. Ottawa fait bien derester en retrait.

National Post (extraits) Toronto

�L e Canada a entièrement raisonde se retirer du protocole deKyoto, comme l’a annoncé le

12 décembre le ministre de l’Environne-ment, Peter Kent. Si le traité internatio-nal sur le climat a jamais eu pour but desauver la planète du réchauffement cli-matique, il y a longtemps que ce n’est plusle cas. Comme le démontre l’accord finalsigné lors du sommet des Nations uniessur le climat à Durban [les négociationssur le climat se sont déroulées en Afriquedu Sud du 28 novembre au 11 décembre],le protocole de Kyoto a désormais pourobjectif essentiel de punir les pays richeset de les contraindre à verser de grossessommes aux Nations unies qui entendentles redistribuer aux pays pauvres (après,bien sûr, que l’organisation en aura prisune bonne part pour financer son dispen-dieux système bureaucratique miné par lacorruption et le népotisme).

Trop peu d’engagementsEn dépit des promesses faites lors de sasignature, en 1997, le protocole de Kyoton’a jamais eu la moindre chance d’empê-cher le dangereux réchauffement de la planète. Les limites qu’il imposait auxémissions de gaz carbonique ne s’appli-quaient qu’à trop peu de pays. Seuls unedizaine de pays, sur plus de 190 signataires,

avaient accepté de limiter leurs émissions.Les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le docu-ment. L’Australie a attendu dix ans avantde le faire. La Russie a décidé d’y souscrirepour que l’Union européenne (UE) lalaisse entrer dans l’Organisation mondialedu commerce, mais a immédiatementdemandé et obtenu des Nations unies uneexemption qui lui a permis d’ignorer sesobligations. Les grands pays en dévelop-pement comme la Chine, l’Inde, le Brésilet l’Indonésie ne se sont jamais vu impo-ser de limites. Comme ils sont de bien plusgrands pollueurs que les pays développéssi l’on prend en compte l’intensité de leursémissions par dollar de produit intérieurbrut (PIB) – la Chine est le plus gros émet-teur de dioxyde de carbone de la planète –,il était impossible dès le départ de réduirede façon substantielle la production desgaz à effet de serre.

D’après les meilleures estimations, sitous les pays qui avaient accepté de limi-ter leurs émissions avaient atteint leursobjectifs, le réchauffement, qui, selon lesNations unies, se produira au cours de cesiècle, n’aurait été retardé que de cinq àdix ans. Ce qui est fascinant à propos del’accord de Durban, c’est qu’il ignore leréchauffement de la planète. Bien sûr, la“plate-forme” (c’est-à-dire le documentqui pose les bases d’un futur accord) deDurban évoque copieusement le climat etla planète, mais donne très peu de détailssur ses objectifs. Si le protocole de Kyotochiffrait les réductions de dioxyde de car-bone par pays développé – le Canada avaitaccepté de réduire les siennes de 6 % parrapport au niveau des années 1990 –, l’ac-cord de Durban (qui est en fait un amen-

dement au protocole de Kyoto) seconcentre davantage sur la responsabilitédu monde développé dans le changementclimatique et sur les sommes qu’il doitpayer à titre de compensation. Il impliqueque le paiement de cette dette (de 100 mil-liards au minimum jusqu’à 1 600 milliardsde dollars par an) permettra d’acheter lafin du réchauffement climatique. Enéchange, les pays en développement ontaccepté de se voir fixer des objectifsd’émission par un futur traité qui seranégocié d’ici à 2015.

Des pages de charabia vertAu milieu d’innombrables pages decharabia “vert” sur la volonté de ne pas“marchandiser” l’environnement et deres pecter et de défendre les droits de MèreNature pour “assurer l’harmonie entre l’hu-manité et la nature” et en finir avec toutesles dépenses affectées à la défense, à lasécurité nationale et à la guerre, lesNations unies exposent leur véritableprojet : ponctionner les pays riches.

Les délégués au sommet sur le climatqui se tiendra au Qatar l’année prochainedevront mettre sur pied une Cour inter-nationale de justice sur le climat qui aurale pouvoir d’imposer des amendes auxpays développés (et seulement à eux) quine respectent pas “toutes les dispositions del’accord”. Les négociateurs prisonniers dessalles de réunion depuis seize ans ontpeut-être l’impression d’avoir accompliquelque chose, mais ce document estinsensé sur le plan scientifique et gro-tesque sur le plan économique. Ottawa faitbien de se tenir à l’écart.Lorne Gunter

par le Health & Safety Executive(HSE) de Grande-Bretagne quiconclut : ‘L’apparition d’un cancer dupoumon lié au chrysotile, toutcomme l’amiantose, est une questionde seuil.’ De plus, le HSE a confirmé

d’exposition bien plus élevés que ceuxdes usines actuelles ne montrentaucun taux anormal de cancer dupoumon ni de mésothéliome (cancerde la plèvre). Cette constatation a d’ailleurs été expliquée récemment

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 29

Climat

Refusons de payer la rançon !

que très peu de cas de mésothéliomesont imputables au chrysotile, malgréles fortes expositions de milliersde travailleurs dans le passé. On sait en outre que la technologieactuelle permet de maintenir

� Dessin de Mix et Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne.

un niveau d’empoussiérage (500 à 1 000 f/l) tel que le risque, s’il existe, est si faible que l’on ne peut le déceler. C’est ce que l’on appelle un seuil pratique.”

Pays producteurs et utilisateursPays producteur non utilisateurPays utilisateur non producteurPays interdisant ou restreignantsévèrement l’utilisation de l’amiantee 200 km

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ÉTATS-UNISOttawa

Montréal

Québec

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Asbestos Thetford Mines

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HONDURAS

AFRIQUEDU SUD

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Abréviations :A.S. Arabie SaouditeBR. BruneiC-S Corée du SudÉG. ÉgypteKAZ. KazakhstanUE Union européenne(+ Islande, Norvègeet Suisse)

L’amiante dans le monde : état des lieux

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30 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Amériques Engagement Littérature et politiqueont toujours cohabité dans l’universde Pablo Neruda. Né en 1904 sous le nom de Neftalí Ricardo ReyesBasoalto, il adopte son pseudonymeen hommage à l’écrivain tchèque

Jan Neruda. Il écrit Vingt Poèmesd’amour et une chanson désespérée à 19 ans. “Un ouvrage clé dans sa bibliographie, considéréecomme l’œuvre poétique la pluspopulaire du XXe siècle et peut-être

Son ancien chauffeur l’affirme : le poète a été tué sur ordre dePinochet. Trente-huit ans aprèsles faits, la justice a ouvert uneenquête et pourrait bientôtfaire exhumer la dépouille du Prix Nobel de littérature.

El País Madrid

�L e certificat de décès de PabloNeruda indique qu’il est mortd’un cancer de la prostate le

23 septembre 1973, douze jours après lecoup d’Etat militaire qui a renversé Sal-vador Allende. Voilà pour la version offi-cielle. Mais ce n’est pas ce qu’affirmeManuel del Carmen Araya Osorio, 65 ans,qui fut le chauffeur [et secrétaire] du poètependant les derniers mois de sa vie. Cethomme soutient que le Prix Nobel de lit-térature a été assassiné par le régime d’Au-gusto Pinochet.

“Après le 11  septembre [date du coupd’Etat et du début de la dictature], le poètedevait s’exiler au Mexique avec son épouseMatilde. Son objectif était de renverser le tyrandepuis l’étranger en moins de trois mois. Ilallait demander de l’aide au reste du mondepour chasser Pinochet. Mais avant qu’ilprenne l’avion, on a profité de ce qu’il étaithospitalisé pour lui injecter un produit morteldans l’estomac”, affirme avec beaucoup deconviction Manuel Araya.

L’homme de confianceLe témoignage du chauffeur a été publiépour la première fois en mai dernier dansle magazine mexicain Proceso. Le Particommuniste du Chili (PCC), au seinduquel militait Neruda, a aussitôt déposéune plainte pour que les causes du décèssoient établies. La justice a jugé la plainterecevable et le juge Mario Carroza, qui ainstruit des affaires liées aux droits del’homme au Chili, a ouvert une enquête ily a six mois. Le dossier comprend déjà deuxvolumes de 500 pages. Au quatorzièmeétage d’un bâtiment du centre de Santiago,le magistrat évoque “l’existence d’élémentspermettant de conclure à la véracité des diresd’Araya”. Actuellement, il étudie la possi-bilité d’exhumer le corps.

Nous sommes au mois de novembre,un samedi matin printanier à San Antonio,grand port un peu vétuste à 109 kilomètresà l’ouest de Santiago. Manuel Araya habitecette ville côtière avec sa mère de 80 ans.Cette dame craint pour la sécurité de sonfils depuis qu’il a parlé, si bien que l’inter-view a lieu chez un pêcheur ami de lafamille. Un portrait d’Allende est accrochéau mur. “C’est mon dieu”, avoue la maîtresse

de maison. Araya, vêtu d’un costumesimple et impeccable, a gardé un souvenirtrès précis des faits. “Il ne se passe pas unjour sans que je me souvienne de ce qui s’estpassé il y a presque quarante ans.”

Fils d’un modeste couple de paysansqui ont eu treize enfants, il raconte qu’ilest devenu le secrétaire particulier dupoète à 26 ans. “Le Parti communiste, où jemilitais depuis mon plus jeune âge, m’a donnépour mission en novembre 1972 de veillersur Neruda. Il venait de rentrer au Chili aprèsavoir démissionné du poste d’ambassadeuren France pour raisons de santé.” Le jeunehomme s’installe dans la maison de Nerudaet de son épouse, Matilde Urrutia, à Isla Negra,pittoresque ville balnéaire des environs deSantiago. Dans cette maison, aujourd’huitransformée en musée, vivaient également

les faits inqualifiables qui ont emporté mongrand camarade, le président Allende”, note-t-il dans son dernier texte. Ainsi, il tra-vaillait encore malgré la présence desmilitaires qui avaient investi son domicileau lendemain du coup d’Etat. Neruda étaitun ami d’Allende et l’un des plus ferventspartisans de son gouvernement.

Retour sur les dernières heuresDans la plainte déposée en mai dernier, leParti communiste chilien reconnaît avoir,dans un premier temps, fait circuler l’idéeque le poète était dans un état grave. “Dansle but de le protéger, nous avons fait croirequ’il était plus mal en point qu’il ne l’était enréalité”, précise le document. Le 16 sep-tembre, Luis Echeverría, alors présidentdu Mexique, demande à Gonzalo MartínezCorbalá, son ambassadeur en poste au Chili,d’offrir l’asile politique à l’écrivain et à safemme. Neruda accepte. “C’est à ce moment-là, raconte Araya, qu’a été organisé le trans-fert d’Isla Negra à Santiago, d’où il devait partirpour le Mexique avec sa femme. Pour sa sécu-rité, Neruda fut transporté en ambulance le19 septembre. Il était accompagné de son épouse.Je les suivais de près, au volant d’une Fiat 125.Le trajet, qui prenait normalement deux heures,a duré six heures. Les militaires nous ont arrê-tés à plusieurs reprises, ils cherchaient desarmes. Ce fut très humiliant.”

Neruda fut admis le jour même à la cli-nique Santa María, dans la capitale. SelonAraya, il s’agissait d’attendre tranquille-ment le départ pour le Mexique. Aux diresde Gonzalo Martínez Corbalá, le départétait programmé pour le 22 septembre.“Pablo avait accepté de s’exiler”, expliquaitrécemment l’ancien ambassadeur dans uneinterview accordée au quotidien mexicainLa Jornada. “A tel point qu’on m’a donné sesbagages et ceux de Matilde, ainsi qu’un paquetcontenant le manuscrit de J’avoue que j’ai vécu,écrit à l’encre verte.” Le jour dit, en revanche,quand l’ambassadeur vient les chercher à laclinique pour les conduire à l’aéroport,Neruda lui demande de repousser le voyageau 24. Sans donner d’explication.

Cette conversation, qui a eu lieu laveille de la mort de Neruda, est devenueun élément clé pour les parties civiles. S’ilavait été aussi mal en point qu’on le dit, lepoète n’aurait pas pu bavarder longuementavec l’ambassadeur mexicain, font-ilsvaloir. Martínez Corbalá indique queNeruda “parlait tout à fait normalement”.Mais il affirme, contrairement à ce que ditle chauffeur, que l’écrivain ne pouvait plustenir debout.

Manuel Araya se souvient que, le23 septembre, l’écrivain lui a demandé d’ac-compagner Matilde à Isla Negra. L’écrivainvoulait récupérer certains objets person-

Chili

Pablo Neruda a-t-il été assassiné ?

� Pablo Neruda. L’auteur de Si tu m’oublies est mort douze joursaprès son compagnon de lutte, Salvador Allende.

la sœur de Neruda et trois autres employés.Au cours de ces quelques mois, ManuelAraya devient l’homme de confiance del’écrivain. Il lui achète ses journaux et luisert son petit-déjeuner. Ensemble, ils fré-quentent les marchés et visitent les anti-quaires. Manuel Araya conduit partoutNeruda dans sa voiture, une Citroën.

Le cancer n’a jamais empêché le poètede mener une vie normale, raconte Araya.“Il pesait près de cent kilos. Il recevait ses amisintellectuels et politiques, ou bien leur rendaitvisite. Et il n’a jamais cessé d’écrire. Cela n’au-rait pas été possible s’il avait été dans un étatgrave.” De fait, le poète a achevé sesMémoires, J’avoue que j’ai vécu [Gallimard,coll. Folio, 1987], le 14 septembre 1973, neufjours avant sa mort. “J’écris ces lignes hâtivespour mes Mémoires trois jours seulement après

AKG

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blessure”, précise-t-il, en remontant sonpantalon. Ensuite, on l’a emmené au Stadenational, l’un des centres d’arrestation etde torture mis en place par la dictature.

D’après ce qu’a établi le juge Carrozaau cours de l’instruction, Araya a quitté laclinique à la demande de l’épouse deNeruda, et non du médecin. Elle l’avaitenvoyé acheter de l’eau de cologne pourfrictionner les jambes du poète qui, à69 ans, était atteint de goutte. Le magi-strat confirme toutefois qu’Araya a belet bien été arrêté ce jour-là et à cetteheure-là. Bien des années plus tard, laveuve du poète évoquait cet épisode dansMi vida junto a Pablo Neruda [Ma vie avecPablo Neruda], ses mémoires publiées àtitre posthume en 1986 : “Le soir com-mençait à tomber et mon chauffeur n’étaittoujours pas revenu […]. Il avait disparuavec notre voiture, et avec lui je perdais laseule personne qui m’accompagnait à touteheure du jour.”

A 22 h 30, ce 23 septembre, le poètePablo Neruda décédait à la clinique SantaMaría. La presse locale annonça qu’il étaitmort à cause d’une piqûre. Manuel Arayaapprit le décès du poète quelques jours plustard, alors qu’il était en prison. A sa libéra-tion, fin octobre, il pesait 33 kg.

Reconstituer le dossier médical“Pourquoi avez-vous mis trente-huit ans àporter plainte pour cet assassinat présumé ?lui ai-je demandé.

— Pendant tout ce temps, j’ai frappé à milleportes, répond-il, et personne n’a voulum’entendre. Après le retour à la démocratie[en 1990], je me suis souvent rendu au siègedu Parti communiste du Chili. Mais ils ne m’ontjamais écouté. Tout ce que je veux, c’est que lemonde sache que Neruda a été assassiné.”

Matilde Urrutia, décédée en 1985, aévoqué à plusieurs reprises la cause de lamort du poète. Dans un entretien paru dansquotidien espagnol Pueblo le 19 septembre

1974, elle confie : “La seule vérité, c’est quele choc de la nouvelle [du coup d’Etat] luia provoqué, à quelques jours de distance,un arrêt cardiaque. Son cancer était presqueguéri et nous n’avions pas prévu un dénouementaussi soudain. Il n’a même pas eu le temps delaisser un testament, car la perspective de samort lui paraissait encore très lointaine.”

Rodolfo Reyes, neveu du poète etreprésentant légal des héritiers, s’est ditfavorable à l’enquête. Le député et prési-dent du Parti communiste chilien Guil-lermo Teillier aussi. “Pinochet a commis descrimes contre des personnes qui auraient punuire à la dictature depuis l’étranger, rap-pelle-t-il, comme le général Carlos Prats àBuenos Aires (1974) et l’ancien ministre de laDéfense Orlando Letelier à Washington(1976). Le poète aurait été un formidablereprésentant de la résistance.” La FondationNeruda réfute toutefois la thèse de l’ho-micide : “Rien ne permet d’affirmer que PabloNeruda soit mort d’autre chose que du canceravancé dont il était atteint”, a-t-elle faitsavoir dans un communiqué.

Le juge Mario Carroza a déjà interrogéde nombreux témoins, dont Manuel Araya.Dans les prochains jours, il entendra lestémoignages de l’ancien ambassadeur duMexique au Chili et du médecin SergioDraper, qui s’était occupé de l’écrivain à laclinique Santa María le jour de sa mort.

Le juge Carroza et son équipe ontaussi tenté de reconstituer le dossiermédical de Neruda. Ils ont enquêté auChili et en France, où il avait été traitépour la première fois pour son cancer. Laclinique où il est mort, en revanche, aexpliqué qu’elle n’avait pas conservé ledossier de l’écrivain. Quoi qu’il en soit,le juge essaie de réunir le plus d’élémentspossibles afin que l’Institut médico-légaldécide s’il y a lieu d’exhumer le corps. “Ilne doit plus rester grand-chose de la dépouilledu poète, explique Carroza. Compte tenudu temps écoulé, il faut être sûr que cetteprocédure peut apporter des éclaircissementsimportants.”

“Est-il possible qu’on ne sache jamais com-ment Neruda est mort ? ai-je demandé au juge.

— C’est possible, en effet.”Rocío Montes Rojas

nels pour les emporter au Mexique. “Vers16 heures, tandis que nous rangions les affai-res, nous avons reçu un coup de téléphone,raconte Araya. C’était Neruda. Il nous deman-dait de rentrer immédiatement à Santiago, caril se sentait très mal. Il nous a expliqué que, pen-dant qu’il somnolait, un médecin était entrédans sa chambre et lui avait fait une piqûre.Nous sommes retournés aussitôt à la clinique.Nous l’avons trouvé fiévreux, rouge, enflé.”

Le chauffeur raconte qu’à ce moment-là un des médecins lui a demandé d’alleracheter un médicament dont le poète avaitbesoin. “On m’a dit que je ne le trouverais pasdans le centre et que je devais me rendre enbanlieue, explique Araya. J’ai trouvé çabizarre, mais j’ai fait ce qu’on m’a dit. La viede Neruda était en jeu.” Lors de ce déplace-ment, deux voitures interceptent son véhi-cule. Des hommes le font sortir de force.Ils le jettent à terre, le rouent de coups depieds, et lui tirent une balle en dessous dugenou. “Je garde toujours la marque de cette

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 31

la plus rééditée”, rappelle le journalespagnol La Vanguardia. L’auteur de La Centaine d’amouret de Hauteurs de Macchu Picchu est le poète dont le nom est le plussouvent recherché sur Internet.

Diplomate, sénateur, il est choisipar le Parti communiste pour être candidat à l’électionprésidentielle de 1969. Nerudarenonce pour laisser la place à Salvador Allende. En 1971,

il devient le troisième écrivainlatino-américain (après GabrielaMistral et Miguel Angel Asturias) à recevoir le prix Nobel delittérature. Il n’a eu qu’un enfant,une fille, décédée à l’âge de 8 ans.

� Manuel Araya rend visite à Pablo Neruda dans sa chambre d’hôpital en 1973.

D’autres enquêtes portantsur les causes du décèsde certaines personnalitéschiliennes pendant la dictature d’AugustoPinochet (1973-1990) ontété ouvertes depuis deuxans. En 2009, il s’est avéréque l’ancien présidentEduardo Frei Montalva(1964-1970) avait étéempoisonné par les servicessecrets de la junteen janvier 1982. Sixpersonnes sont inculpées

dans cette affaire et leprocès est toujours en cours.Pendant des années, sondécès avait été attribuéàun e complication lors d’uneopération. En janvier 2011,la justice chilienne a décidéd’enquêter sur 726 plaintespour violation des droitsde l’homme, rapporte lejournalEl Clarín de Chile.L’une d’elles concernait lamort de l’ancien présidentSalvador Allende (1970-1973). En juin dernier,

la justicea confirméqu’Allende s’était biensuicidé le 11 septembre1973 alors que le palaisprésidentiel de La Monedaétait bombardé par l’arméede l’air. La justice instruitaujourd’hui le dossier dugénéral Alberto Bachelet(1923-1974), père del’ancienne présidente duChili Michelle Bachelet(2006-2010), mort aprèsavoir été torturé par sescompagnons d’armes.

Justice

Comment sont-ils morts ?

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Enquête Depuis octobre 2011,l’Asahi Shimbun publie un ensemblede reportages retraçant lesévénements qui ont suivi le 11 mars.Intitulée “Le Piège de Prométhée”,la série se réfère au mythe grec

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Asie

Dix mois se sont écoulés depuis le séisme et le tsunamiqui ont ébranlé l’archipel. Des survivants de Hiroshima se mobilisent pour que l’Etattire les leçons du passé.

Asahi Shimbun (extraits) Tokyo

�A qui appartiennent les substan cesradioactives propagées dans l’atmos phère ? Telle est la ques-

tion qui a été débattue cet été devant le tri-bunal de Tokyo. En août, le propriétaire duterrain de golf Sunfield Nihonmatsu, situéà 45 km environ de Fukushima Daiichi, adéposé contre Tokyo Electric Power[Tepco, l’opérateur de la centrale de Fuku-

shima Daiichi] une requête en injonctionpréliminaire pour que ce dernier procèdeà la décontamination de son site. Selon l’en-trepreneur du golf, Tsutomu Yamane, untaux de radioactivité élevé de 2 à 3 micro-sieverts par heure (μSv/h) a été relevé surles parcours du golf, ce qui a entravé touteexploitation commerciale après l’accidentdu 11 mars. Il estime donc que c’est à Tepco,le responsable de la contamination, de procéder à la dépollution. Cependant, la compagnie d’électricité a rétorqué que lessubstances radioactives qui se sont échap-pées de la centrale ne lui appartenaient paset que, par conséquent, la décontaminationn’était pas à sa charge. Dans sa plaidoirie,Tepco soutient qu’“il serait plus approprié deconsidérer les éléments radioactifs comme desres nullius”, c’est-à-dire des choses qui n’ap-

partiennent à personne, comme la brumeou les poissons qui nagent dans les océans.Puis il poursuit : “Même en admettant que ledroit de propriété s’applique au cas présent, lesparticules ont dû adhérer au sol depuis. Tepcon’est donc plus en possession de ces élémentsradioactifs.” Selon cette argumentation, lessubstances radioactives, une fois dis perséeset déposées sur le terrain d’une tierce personne, n’appartiennent plus à l’émet-teur initial. La sentence est tombée le31 octobre : la plainte de M. Yamane a fina-lement été rejetée, et celui-ci en sort sidéré :“Cela relève pourtant du bon sens ! C’est lecomble de l’irresponsabilité !” s’exclame-t-il.

Pour le médecin Shuntaro Hida, âgéde 94 ans, cette sentence est le signe que“l’Etat a jugé impossible de dépolluer l’en-semble du territoire national”. “Cette attitude

est encore pire que celle qu’a eue le gouverne-ment après les bombardements atomiques”,dénonce-t-il. Lui-même est un hibakusha,un irradié qui a survécu à Hiroshima. Le6 août 1945 [ jour de l’explosion], il se trou-vait par hasard dans un village à proximitéde Hiroshima, échappant ainsi à une expo-sition directe. Aussitôt après, il a soignéen tant que médecin militaire les blessésvenus se réfugier dans son village. “Les vic-times de la bombe étaient toutes ensanglan-tées, se souvient-il. La plupart des grandsbrûlés succombaient au bout de trois jours.Mais, peu après, les patients qui ne souffraienta priori que de brûlures superficielles mou-raient de manière tout à fait étrange. Ils com-mençaient d’abord par avoir de la fièvre, puissaignaient du nez, de la bouche et enfin desyeux. L’intérieur de leur bouche était putréfié

Japon

A Fukushima, il faut savoir écouter les irradiés

� Mesure de la radioactivité dans un laboratoire mis en place par une ONG à Fukushima.JÉ

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et leurs cheveux tombaient par poignées.” Onapprendra plus tard qu’il s’agissait préci-sément du syndrome aigu d’irradiation.Mais, à l’époque, les effets des rayonne-ments ionisants étaient méconnus desJaponais, et M. Hida ne pouvait que regar-der ses patients mourir. Par la suite, il aconstaté que de nombreuses personnesdécédaient dans des circonstances encoreplus mystérieuses. “D’abord, il y eut cettejeune mère de famille. Elle se trouvait àOkayama [environ 140 km à l’est de Hiro-shima] lorsque la bombe a été larguée. Unesemaine après, elle est arrivée à Hiroshima,puis a arpenté les décombres à la recherche deson mari.” Elle a finalement retrouvé celui-ci dans le village où il travaillait, mais ilétait dans un état très critique. Un jour,M. Hida a trouvé cette femme, encorevêtue de son kimono, allongée aux côtésde son époux. Elle n’allait pas bien, maisil ne parvenait pas à déceler quoi que cesoit. Son état s’est aggravé de jour en jour :son teint est devenu pâle, sa peau s’est cou-verte de taches. Elle s’est mise à cracherdu sang, à perdre ses cheveux, et elle estmorte peu après. Pourquoi cette femmea-t-elle succombé alors qu’elle n’avait pasété directement atomisée ? Telle est laquestion qui a poussé notre docteur à s’in-téresser de plus près à la question de lacontamination interne.

Depuis l’accident à la centrale de Fuku-shima, M. Hida est sollicité de toutes partspour donner des conférences. “Les élémentsradioactifs qu’on détecte à présent sont demême nature que ceux de Hiroshima. C’estpourquoi on ne peut exclure que ce qui s’y estproduit se produise à nouveau. Mais ce n’estpas parce que vous avez été irradié que vousdévelopperez nécessairement une maladie. Lapreuve : de nombreux hibakusha sont encoreen vie soixante ans après. Ce qui importe, c’estde ne pas commettre la même erreur qu’àHiroshima”, explique-t-il. “L’erreur com-mise à Hiroshima” : c’est ainsi qu’il désignel’incurie du gouvernement, qui a sous-estimé l’importance des contaminationsinternes. Ce qui a été à l’origine d’unelongue tragédie pour les irradiés.

Après guerre, Shuntaro Hida a ouvertune clinique à Tokyo. Il y a examinéquelque 6 000 patients touchés par lesbombes de Hiroshima et de Nagasaki.Quatre mille d’entre eux n’étaient pas surles lieux au moment de l’explosion : ils s’ysont rendus plus tard ou bien se trouvaientdans des endroits plus ou moins éloignés.Pour certains, les symptômes ne sontapparus qu’au bout de dix ou vingt ans.D’autres ont développé des maladies plusde trente ans après l’explosion. C’est le casde cet homme qui, venu de la préfecturede Nagano, s’était rendu au cabinet de M. Hida pour une consultation. Le doc-teur a très vite remarqué que quelquechose dérangeait son patient. Il a alorsdemandé à l’infirmière de sortir de la salle,et l’homme a fini par lui avouer qu’il avaitété irradié. A cette époque, les hibakushaétaient victimes de discrimination. Bonnombre d’entre eux avaient du mal à trou-ver un emploi et à se marier. Certains pré-féraient même cacher à leurs propresfamilles qu’ils avaient été irradiés. Quelquetemps auparavant, cet homme s’était senti

soudainement si fébrile qu’il ne pouvaitplus travailler. Il était allé se faire exami-ner dans un hôpital universitaire, maisaucun diagnostic n’avait pu être établi.Présent à Okayama au moment des bom-bardements, il s’était rendu à Hiroshimapour chercher son père. Un peu plus tard,éprouvant une trop grande faiblesse, ilavait cessé d’aller à l’école. Au cours del’examen, l’homme s’est soudainementexcusé en disant qu’il était trop épuisé,puis s’est assis par terre. Sa fatigue n’avaitrien de commun avec celle que l’on pou-vait observer chez les personnes bien por-tantes. En raison de cette extrêmelassitude, les contaminés s’absentaient deleur travail et se faisaient traiter de pares-seux. Si, pour M. Hida, il ne fait aucundoute qu’“elle est due aux radiations”, lespouvoirs publics n’ont jamais admis le liende causalité entre la contamination interneet les bombes atomiques. La “maladie ato-mique” n’ayant pas été reconnue par l’Etat,voilà tout juste huit ans, les hibakusha sesont rassemblés afin d’intenter une actioncollective. Depuis, ils ont obtenu gain de

cause dans chacune des régions où se sonttenues les vagues de procès. Pourtant, legouvernement n’a pas changé fondamen-talement de position, puisqu’il continue àsoutenir qu’il n’y a pas de contaminationinterne. “Soixante-six ans après les faits, lapolémique sur la question de l’irradiation estloin d’être close. A Fukushima, l’histoire nefait que se répéter”, confie M. Hida.

A Iinomachi, arrondissement de la pré-fecture de Fukushima situé à une cin-quantaine de kilomètres de la centraleaccidentée, une conférence a été organi-sée au début de novembre par le bureaud’aide sociale de la commune. Deux cher-cheurs sont venus débattre de la questionde la contamination interne  : KatsumiFuritsu, maître de conférences à l’univer-sité de médecine de Hyogo, et Keizo Ishii,professeur à l’université de Tohoku. “Pluson est exposé à des rayonnements radioactifs,plus les risques pour la santé augmentent. Ilfaut donc diminuer au maximum la consom-mation d’aliments contaminés, et se tenir prêtà toute éventualité”, a expliqué Mme Furitsu.M. Ishii, qui occupe le poste de conseilleren matière de prévention contre les radia-tions pour l’arrondissement de Fuku-shima, a ensuite pris la parole pour tenirun discours radicalement opposé à celui

de Mme Furitsu. “L’eau du robinet, les légumesainsi que les fruits ne sont pratiquement pascontaminés. Il n’existe donc pas de risque decontamination interne”, a-t-il expliqué ens’appuyant sur les résultats des mesuresde radiation effectuées par la préfecture.Enfin, il a ajouté que les résultats de sesrecherches montraient qu’une faible dosed’irradiation était même salutaire pour lasanté et a conclu qu’“il fallait faire en sorteque les rumeurs infondées sur la contamina-tion cessent au plus vite, pour que davantagede personnes viennent dans les régions sinis-trées”. Les habitants d’Iinomachi ontécouté sans mot dire ces deux interven-tions contradictoires.

Dans le public se trouvait Mieko Mat-suzaki, une femme âgée de 62 ans quinageait en plein désarroi. Après cetteréunion, elle n’était pas plus avancée surce qu’elle et son mari devaient faire. “Sij’avais assez d’argent pour me mettre à l’abri,je le ferais immédiatement”, soupire-t-elle.Avant de poursuivre : “Les gens qui décidentde quitter la commune partent discrètement,sans rien dire à personne. A l’école primaire,des enfants disparaissent subitement sansmême dire au revoir à leurs camarades. Cesgens n’osent pas dire publiquement qu’ils pré-fèrent fuir. On les traiterait de traîtres ou d’an-tipatriotes.” “Le gouvernement tente deminimiser les dommages et n’informe

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 33

Ce qui importe, c’est de ne pas commettre la même erreur qu’àHiroshima en négligeantles risques decontamination interne

� Des enfants dans la cour de l’école qu’ils avaient quittée en avril.

Deux cent dix millepersonnes sont mortes dansles soixante jours qui ontsuivi les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki.Les deux villes ont étéentièrement détruites parl’arme nucléaire, et ceux quiont survécu à l’explosion ontprobablement étécontaminés en aspirant dessubstances radioactives ouen consommant desaliments contaminés sansque quiconque les informeclairement du danger de la radioactivité.

Les symptômes étrangesobservés chez les irradiésont été appelés “la maladiede la bombe” et, fauted’information, cette dernièrea été considérée à tortcomme contagieuse par bonnombre de Japonais del’époque. Selon lerecensement effectué par legouvernement japonais en1950, 280 000 personnes sesont déclarées irradiées àHiroshima et à Nagasaki.Cependant, ce chiffre necomprend pas les personnesqui, arrivées dans ces villes

après les explosions, ontprobablement été irradiéessans jamais être reconnuescomme telles. Leur nombreest estimé à environ 80 447par l’Université deHiroshima.A Fukushima, l’accidentnucléaire n’a provoquéaucun décès pour l’instant.Cependant, le séisme et letsunami ont causé la mort de15 844 personnes au total, et3 451 personnes manquentencore à l’appel. Depuis lesexplosions à la centrale deFukushima, les agriculteurs

et les entrepreneurs de laville ont de grandesdifficultés à reprendre leursactivités et à commercialiserleurs produits. Bien que dansune moindre mesure, lesréfugiés de Fukushima ontsubi le même genre dediscrimination que lesirradiés de l’après-guerre.“Plusieurs cas de bizutagesd’élèves originaires deFukushima ont été rapportéset des familles sinistrées sesont vu refuser deschambres d’hôtel”, rapportele Tokyo Shimbun.

Bilans

Hiroshima, Nagasaki, Fukushima

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selon lequel Prométhée auraitdonné le feu céleste aux hommes :“Grâce à Prométhée, l’humanité a pu bâtir sa propre civilisation et connaître le progrès. Cependant,le don cachait un traquenard :

l’homme ne maîtrise pas le feu de l’atome”, écrit le quotidientokyoïte. Des problèmes essentielscomme la censure de l’Etat ou la responsabilité de Tepco y sont abordés.

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pas la population de la réalité des faits, ce quisuscite la défiance entre les habitants, expliquele Dr Hida. Et cette hostilité, cette division ausein de la population est très commode pourle gouvernement et pour Tepco.”

Même à Tokyo, pourtant éloigné de250 km de la centrale, les mères de famillesont complètement perdues. Prenons parexemple le cas de Rie Arima, une femmeau foyer de 39 ans. Elle a remarqué quelquechose de bizarre chez son fils de 6 ansaprès l’accident nucléaire. En l’espace dequatre mois, il a saigné du nez plus d’unedizaine de fois. Et chaque fois, le sangcoule pendant près de trente minutes ; elleretrouve ses draps trempés, rouge écar-late. Le médecin de quartier, diagnosti-quant “un simple saignement de nez”, lui aprescrit un médicament. Mais les saigne-ments ont continué. Un pus marron s’estaccumulé dans le fond du nez du jeunegarçon qui a souffert d’une otite pendantdeux mois et demi. Mme Arima, effrayée, afini par demander au médecin s’il ne s’agissait pas des effets de la radioactivité.Mais celui-ci a démenti catégoriquement.Pourtant, c’etait bien la première foisqu’une chose pareille arrivait à son enfant.Inquiète, elle a fini par téléphoner auDr Shuntaro Hida au mois de juillet. “Nevous affolez pas”, lui a-t-il d’abord dit . Avantde lui expliquer que des symptômes

semblables avaient été observés à Hiro-shima après le bombardement et que, s’ils’agissait des conséquences des radiations,il fallait prendre des mesures préventives.Retrouvant son sang-froid, Mme Arima apris contact avec la mairie de l’arrondis-sement de Machida où elle réside, afin queles autorités locales procèdent à une étudedétaillée sur l’état de santé des enfants. Laréponse de la mairie a été décevante : “Pourle moment, la mairie ne peut prendre encharge ce genre d’étude. C’est donc aux mèresde s’en occuper individuellement.” Très éner-vée, Mme Arima a envoyé ce soir-là un message à toutes les mamans qu’elleconnaissait : “Depuis l’accident nucléaire,n’avez-vous pas perçu des changements mani-festes dans l’état de santé de vos enfants ?”Quelques heures plus tard, 43 cas luiétaient rapportés. Les enfants souffraientgénéralement de saignements de nez, dediarrhées, d’aphtes,  etc. Selon OsamuSaito, médecin de Fukushima et collabo-rateur du Dr Hida, ces symptômes étrangesobservés chez les enfants sont essentiel-lement dus à des facteurs psychologiques.Mais cela ne suffit pas à apaiser les craintesdes mamans. Toutefois, le fait de voir unlien de causalité entre les saignements denez, les diarrhées et l’accident nucléaireest qualifié à l’heure actuelle d’attitudeantiscientifique. Le gouvernement a mis

en place un groupe de travail relatif aucontrôle des risques liés aux faibles dosesde radiations, dont les experts prévoientde rédiger un rapport d’ici peu.

Le Dr Shuntaro Hida pense que lamajeure partie du sol japonais a été conta-minée à la suite de l’accident de Fuku-shima. Pourtant, l’Etat ne prend pas demesures efficaces pour dépolluer le terri-toire. “Après les bombardements atomiques,au lieu d’étudier rigoureusement les effets desradiations sur la santé, notre gouvernementa préféré étouffer la vérité. C’est pourquoi ilne sait toujours rien, explique-t-il. Le mal estfait. Il appartient dès lors à chacun de fairedes efforts pour protéger sa santé. C’est enagissant ainsi que nous, les hibakusha, avonssurvécu.” Arrêter le tabac, se coucher et selever tôt, bien mastiquer les aliments avantd’avaler. En donnant ces conseils aux habi-tants de Fukushima, il les encourage également à faire preuve de vigilance.Mme Arima, dont l’enfant souffre de sai-gnements de nez, a cessé de se fier aux dis-cours des pouvoirs publics. Néanmoins,elle s’est sentie rassurée par les paroles duDr Hida : “Quoi que me dise mon entourage,je pense qu’au final on ne peut compter quesur soi-même pour se protéger”, affirme- t-elle l’air décidé. Dans l’affaire concer-nant la décontamination du terrain de golfSunfield Nihonmatsu, le tribunal de pre-mière instance de Tokyo a rendu sa sen-tence en se fondant sur la norme fixée parle ministère de l’Education, de la Culture,des Sports, des Sciences et de la Techno-logie. “Le terrain de golf présente un niveaude radiation inférieur à 3,8 μSv/h, seuil maxi-mal autorisé pour l’utilisation des terrains dejeux pour enfants. Par conséquent, ce terrainde golf peut tout à fait être remis en service”,a déclaré le juge Masayuki Fukushima. Sil’on est exposé à une dose de 3,8 μSv/h, lerayonnement cumulé sur un an sera de33 millisieverts. Et c’est là un environne-ment que nous n’avons jamais expéri-menté jusqu’à présent.

Il y a sept ans, lors du procès des sur-vivants de Hiroshima au tribunal de pre-mière instance d’Osaka, Shuntaro Hida aconclu sa déposition de quatre heures parces mots : “Lorsque nous pensons à l’avenirde l’humanité et aux décisions que celle-ci doitprendre, il est nécessaire de considérer le sortdes hibakusha et d’approfondir nos connais-sances en la matière. Il ne faut pas se limiterà la seule question de savoir si c’est bien oumal, mais considérer la question des hiba-kusha dans une optique plus large.” Aujour-d’hui, M. Hida fait toujours le même vœu :“Les Américains ont décidé de nier touteforme de contamination interne qui serait dueaux bombardements atomiques… A Fuku-shima, nous ne pouvons pas nous permettred’agir de même.”Motoyuki Maeda

Asie

Le mot de la semaine

“inori”La prièreExit le lapin, dont l’année vient des’achever, et bienvenue au dragon,créature fabuleuse qui, au sein du cyclechinois des douze animaux, symboliseles êtres vivants que l’irrésistible élanvital fait pour ainsi dire jaillir de la terrepour atteindre le ciel. En se rendant ausanctuaire le jour de l’an, les Japonaisn’ont pas manqué d’invoquer l’animaldivin afin que 2012 leur accorde unnouveau départ. Il n’est cependant pasdifficile d’imaginer que la transition de2011 à 2012 ne repose pas, comme par lepassé, sur une simple table rase des moisécoulés, démarche à laquelle concourenten temps ordinaire tout un ensemble de rituels, dont le plus populaire estle bônenkai (“banquet pour en finir avec l’année”). Le renouveau ne peutsupposer l’oubli – l’oubli de Fukushima et de la radioactivité (voir article ci-contre) ; l’oubli des vingt mille viesemportées par le tsunami du 11 mars. Si donc le passage à l’année du dragonest une invitation à se tourner versl’avenir, il s’impose également comme un moment de nécessaire recueillement.D’autant plus que, près de dix mois aprèsle séisme, le temps de la sidération, quiavait confisqué la parole, est désormaisderrière nous. Les mots sont de retour.Avec les poèmes de Yô Henmi, parexemple. Son dernier recueil, Me no umi(“La mer des yeux”, Mainichi Shimbun,2011), engage un dialogue charnel, tendre et désespéré avec les morts, les poumons imbibés d’eau, les nuitsétoilées, des os, des fleurs, un doigtarraché. C’est sans doute avec de telsmots, profonds, dérangeants, justes, à mille lieues des slogans consensuelsqui dansent depuis le 11 mars dans les médias, que la prière devientvéritablement prière – qu’elle devientaudible, pour le dragon céleste ou touteautre entité divine.Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Rufin-Mori

� Jinpe Terayama, un survivant de Hiroshima.

La division des habitantsest très commode pour le gouvernement

Suite de la page 33

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Les paris sont ouverts poursavoir si Kim Jong-un, le nouvelhomme fort de Pyongyang,dispose des soutiens suffisantspour gouverner un Etat en panne, et reprendre les négociations sur les armes nucléaires.

Weekly Kyunhyang Séoul

�K im Jong-il avait l’habitude d’ava-ler une poignée de cachets aprèschaque repas. Il ne se déplaçait

jamais sans sa boîte à pharmacie. “Vais -jedevoir prendre tous ces médicaments toute mavie ?” maugréait-il souvent. Tout commeson père, Kim Il-sung, il souffrait d’unemaladie du cœur, de diabète et d’insuffi-sance rénale chronique. Il n’aura plusbesoin de médicaments, car il s’est éteintle 17 décembre dernier à 8 h 30 à la suited’une crise cardiaque. Ainsi se termine sonrègne de fer, dix-sept ans après le début desa prise du pouvoir et trente-sept ans aprèssa désignation comme héritier du trône.

Cette mort subite qui a surpris lemonde entier fait basculer la péninsulecoréenne dans une ère d’incertitude. Carle “cher dirigeant” constituait un pôlemajeur dans l’évolution de la situation poli-tique de la zone. Le régime ne semble pasa priori en être ébranlé, mais il faudra lais-ser passer la période de deuil pour en êtreassuré. Une période de transition durablerisque de s’installer, dans la mesure où lespays voisins organisent tous des électionsdans les mois à venir – les législatives enavril 2012 et la présidentielle en décembrepour la Corée du Sud, la présidentielle ennovembre pour les Etats-Unis et en marspour la Russie, et des remaniements enChine et au Japon. Dans l’immédiat, ilsvont donc se contenter d’observer l’évo-lution de la Corée du Nord.

Beaucoup d’analystes émettent desdoutes quant à la capacité de Kim Jong-unà s’assurer un pouvoir aussi incontesté quecelui de son père. Il n’a pas encore 30 ans etmanque d’expérience : le jeune Kim n’a étédésigné comme successeur qu’en septembredernier. Même s’il dispose de soutiens ausein du parti, du gouvernement et de l’ar-mée, il existe dans le noyau du pouvoir touteune génération d’anciens, et certains d’entreeux se montreraient sceptiques. On peutdonc s’attendre à une purge après la périodede deuil. Son père, lui, a régné sur ce paysmalade grâce à son charisme personnel quilui a permis d’éliminer ses adversaires, des’assurer de la loyauté de l’élite et de contrô-ler la population.

Depuis la deuxième moitié des années1990, lorsque ses difficultés économiquesont atteint un point culminant, la Coréedu Nord ne suit plus le modèle commu-niste, une des preuves en étant que le

congrès du Parti du travail ne se réunitplus. Dans ces conditions, Kim Jong-un,dont le leadership n’est pas encore démon-tré, sera-t-il capable de gouverner un Etatdont le fonctionnement est en panne ?Ryu Kil-jae, professeur à l’Ecole des étudesnord-coréennes, pense que “Kim Jong-unet ses collaborateurs risquent de peiner à semontrer unis lors de la prise d’une grande décision.” D’où l’hypothèse d’un triumvi-rat de Kim  Jong-un, Kim  Kyong-hi, satante, et Jang Song-taek, le mari de celle-ci, vice-président de la Commission dedéfense nationale. Cependant il ne fautpas sous-estimer l’influence de Kim Jong-un, notamment sur l’armée et le service

de renseignements, au sein desquels il dis-pose d’un certain nombre de leviers,notamment en matière de nominations.Son père l’a par ailleurs entouré de sesproches, Ri Yong-ho et Choi Ryong-hae,respectivement à la tête de l’armée et duparti, sans doute pour constituer uncontrepoids à Jang Song-taek.

En bref, le statut de Kim Jong-un n’estcertes pas encore stable, mais cela nedevrait pas provoquer l’effondrement durégime pour autant. Les “printempsarabes” des pays du Moyen-Orient, c’est-à-dire un soulèvement par le bas, n’eststructurellement pas possible dans ce pays.La population est soumise à un contrôlerigoureux. Elle n’a ni l’expérience de ladémocratie, ni les moyens matériels pouraffronter le pouvoir. Autre facteur impor-tant, la Chine, premier soutien de la Coréedu Nord, ne souhaite pas l’effondrementde son voisin. O Sung-ryol, professeur àl’université Hankook, déclare : “La Chinen’interviendra pas dans la politique intérieurede Pyongyang, mais maintiendra un lien decoopération étroit pour pérenniser le systèmede Kim Jong-un.”

Une autre question d’intêret mondialest de savoir si celui-ci dispose aussi dupouvoir absolu en matière d’armes nu -cléaires. Kim Jong-il était le décideur finaldans ce domaine en tant que président dela Commission de défense nationale, dontl’état-major est par ailleurs constitué deses proches. Il est hautement probable quece pouvoir a été transféré en l’état àKim Jong-un. Le pire scénario pour lesEtats-Unis serait que les armes nucléairesde la Corée du Nord soient transmises auxpays arabes. La Corée du Nord disposeraitaujourd’hui de 30 à 40 kg de plutonium, dequoi fabriquer entre 5 et 8  projectilesnucléaires. Un ou deux ont déjà vu le jouret ont même été testés.

Au sujet du nucléaire, on peut faire unparallèle entre la disparition de Kim Jong-il et celle de son père, Kim Il-sung. Cettedernière avait été annoncée le 9 juillet 1994.La veille, la Corée du Nord avait participéà Genève à une réunion des hautes

Dossier “Dans son dos, le nouveaudirigeant est appelé ‘sale gamin’ parla population”, écrivait le quotidienjaponais Yomiuri Shimbun aulendemain de la mort de Kim Jong-il.Retrouvez sur notre site Internetles réactions de la presse sud-

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 35

D’un Kim à l’autre

1948 Création de la république populairedémocratique de Corée (Corée du Nord)sous la houlette de Kim Il-sung.1950-1953 Guerre de Corée.1994 Mort de Kim Il-sung ; Kim Jong-il lui succède.2000 Rencontre à Pyongyang de Kim Jong-il et du président sud-coréen Kim Dae-jung.2003 Pyongyang se retire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.La communauté internationale entreprenddes “pourparlers à six”. Outre les deuxCorées, ils réunissent la Chine, les Etats-Unis, le Japon et la Russie.2005 Pyongyang dit posséder l’armenucléaire.2006 Sanction de l’ONU après le premieressai nucléaire nord-coréen. 2009 Le lancement d’un satellite nord-coréen est condamné par la communautéinternationale. Pyongyang décide de seretirer définitivement des pourparlers à six et procède à un nouvel essai nucléaire.2010 Torpillage en mars de la corvettesud-coréenne Cheonan, causant la mort de 46 marins. Kim Jong-un est promugénéral et apparaît comme le successeurdésigné de son père.17 décembre 2011 Décès de Kim Jong-il.Son fils Kim Jong-un est proclamé “leadersuprême” le 29 décembre.

coréenne, japonaise, chinoise etrusse après la mort de Kim Jong-il,dans notre dossier “A l’heure du ‘petitleader’”. A relire : le numéro 1048, du 2 décembre 2010, consacré à la Corée du Nord et à ses relationsavec son voisin du Sud.

Corée du Nord

Epaules fragiles pour héritage difficile

� Dessin de Clou paru dans La libre Belgique, Bruxelles.

instances avec les Etats-Unis. Les négo-ciations, ainsi suspendues, avaient repristrois mois plus tard. Kim Jong-il, quant àlui, est mort au moment où la Corée duNord et les Etats-Unis préparaient lareprise des pourparlers à six [les deuxCorées, les Etats-Unis, la Chine, le Japonet la Russie] sur le nucléaire nord-coréen.Or le sujet est, du point de vue du régimede Pyongyang, un élément capital pour sasurvie. Son objectif est de s’assurer uneaide alimentaire et énergétique en échanged’un abandon progressif du nucléaire, deredresser ainsi l’économie du pays, d’ob-tenir l’appui des Etats-Unis grâce à la nor-malisation de leurs relations et detransformer l’armistice [signé en 1953] enun état de paix durable.

Les relations intercoréennes se trou-vent à un tournant important. Pour Séoul,qui exige toujours des excuses de la part dePyongyang pour le naufrage de la corvetteCheonan [mars 2010] et le bombardementde l’île de Yeonpyeong [novembre 2010]comme condition sine qua non à la reprisedu dialogue, la mort de Kim Jong-il peutfournir l’occasion de sortir de cette im -passe. Le président sud-coréen Lee Myung-bak a officialisé sa volonté d’“assouplir les relations entre les deux Corées”. On peutespérer entrevoir dès janvier quelquessignes de l’orientation que vont prendreces relations, avec l’anniversaire deKim Jong-un le 8 janvier et la visite du pré-sident Lee Myung-bak en Chine.

Mais l’amélioration de ses relationsavec le Sud ne constitue sans doute pas lapriorité pour Kim Jong-un, qui doit d’abords’assurer de la pérennité de son régime etse conformer aux volontés de son père, àsavoir travailler à faire de la Corée du Nordune nation puissante et prospère.Kwon Sun-chol

La Corée du Nord ne suit plus le modèlecommuniste

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Confrontés à un déficit defemmes, les célibataires chinoissont de plus en plus nombreux à se payer une conjointebirmane. Un “marché auxesclaves” en pleine expansion.

South China Morning Post(extraits) Hong Kong

�A ba avait 12 ans quand elle s’estrendue en Chine pour la pre-mière fois. En franchissant la

frontière entre Muse, sa ville natale auMyanmar, et la province du Yunnan, ellepensait passer quelques heures de l’autrecôté. Elle y vivra trois longues annéesd’agonie. Comme des milliers d’autresadolescentes birmanes, Aba a été attiréeen Chine sous de faux prétextes afin d’êtrevendue pour un mariage forcé. Les coupssont devenus son lot quotidien. Aba aaussi enduré les heures interminables detravaux agricoles exténuants sans êtreautorisée à communiquer avec sa familleou même à sortir seule. Et puis, un jour,on lui a annoncé qu’elle était destinée àêtre mariée au fils de la famille qui l’avaitachetée. “J’ai été vendue pour 20 000 yuans[2 500 euros], raconte-t-elle. J’étais tropjeune pour me marier quand ils m’ont ache-tée. Ils ne m’ont dit que plus tard que jedevrais épouser leur fils.”

Aba fait partie des “chanceuses”. Ellea non seulement réussi à échapper à unmariage forcé, mais elle a aussi été secou-rue et a pu retrouver les siens. Reste quepour la plupart des Birmanes vendues

Asie

comme esclaves ou presque, il n’y a pasd’issue heureuse. Elles sont promises àune vie de misère et de labeur. Certainessont poussées au suicide. Personne ne saitcombien de milliers de femmes sontconduites illégalement en Chine chaqueannée pour épouser des guang gun, ou“branches nues”, des célibataires qui neparviennent pas à trouver de conjointes.La politique de l’enfant unique, vieille detrente ans, et la préférence chinoise tra-ditionnelle pour les garçons ont créé undéséquilibre dévastateur entre les sexes.On estime aujourd’hui qu’en Chine120  garçons naissent pour 100  filles.D’après l’Académie chinoise des sciencessociales, cela signifie qu’en 2020 quelque24 millions d’hommes seront dans l’inca-pacité de trouver une épouse.

Vendues sur le marchéCe déséquilibre se fait plus cruellementsentir dans les campagnes, un nombrecroissant de femmes abandonnant lesexploitations agricoles pour des emploismieux payés et moins pénibles en ville. Leshommes sont alors confrontés à un terribledilemme : rester célibataires ou trouverune femme venue d’ailleurs, souvent parle biais de filières illégales. Une majoritéde ces épouses arrivent du Myanmar et deCorée du Nord. Face à une pauvreté déses-pérante et à la famine qui menace, il estaisé pour les trafiquants de tromper lesfemmes et de les inciter à partir pour la

Chine en leur faisant miroiter des emploisqui ne se concrétiseront jamais.

Issue d’une fratrie de trois enfants,élevée par un père travailleur journalieret une mère sans emploi, Aba avait déjàquitté l’école pour essayer de trouver dutravail quand elle a été enlevée. Son cau-chemar a commencé de manière assezanodine quand, un après-midi, un voisinl’a persuadée d’aller à Ruili, pour y faireun tour. Ville délabrée de la province duYunnan, et réputée pour abriter diversesactivités criminelles, Ruili est séparée deMuse – et du Myanmar – par une simplebarrière rouillée et vieillissante. Ici, riende plus simple que de faire transiter desbiens illégaux, comme de la drogue ou despierres précieuses. Aujourd’hui, Ruili estle principal point de passage du trafic defemmes birmanes, comme l’a découvertAba, qui a traversé la frontière, matéria-lisée par une clôture, grâce à une ouver-ture dans cette dernière.

D’après la Kachin Women’s Associa-tion Thailand (Kwat), une ONG portantsecours aux Birmanes vendues commeépouses en Chine, un quart des victimesont moins de 18 ans. “Les hommes qui lesachètent veulent des femmes en âge de pro-créer”, raconte Julia Marip, qui dirige le pro-gramme de lutte contre le trafic de Kwatdans la province du Yunnan. “La vente sefait en deux temps, explique la responsable.Les trafiquants birmans dénichent des femmeset les mènent à la frontière, où elles sont remises

aux trafiquants chinois. Parfois, la transac-tion a été arrangée à l’avance. Mais d’autresfois, elles seront négociées sur des marchésorganisés dans des parcs. Les trafiquants leurferont porter de belles robes et un maquillageélaboré. C’est très cruel, car les femmes sontcontentes de porter de beaux vêtements, qu’ellesn’ont jamais possédés auparavant, et elles sontensuite cédées comme de vulgaires légumes.”Le prix pour une femme birmane va de6 000 à 40 000 yuans [750 à 5 000 euros],en fonction de son âge et de son apparence.Certaines seront revendues, quand on lesjugera inutiles. “Une fois qu’elles ont enfanté,elles seront refourguées à une autre famille oufiniront dans l’industrie de la prostitution. Ellessont vraiment considérées comme de simplesmachines à faire des bébés.”

Mariage à la fin de la récolteMême si la province du Yunnan est la pre-mière destination des victimes birmanes,elles sont nombreuses à finir dans le nord-est de la Chine, notamment dans les pro-vinces du Shandong et du Jilin. En raisonde la proximité du Jilin avec la Corée duNord, les agriculteurs locaux ont pendantlongtemps acheté leurs femmes chez leurvoisin isolé. Mais depuis que la Chine etla Corée du Nord ont chacune renforcéleurs contrôles, le trafic d’êtres humainsa décliné. Conséquence, les femmes bir-manes sont de plus en plus prisées dans larégion. L’immense majorité d’entre ellesvient de l’Etat Kachin ou, comme Aba, del’Etat Shan, tous deux ayant une frontièreavec le Yunnan.

Au bout du compte, c’est le fait de nepas avoir de papiers qui a sauvé Aba. Deuxmois après avoir appris qu’elle devait semarier, elle ramassait du coton dans uneautre exploitation avec la grand-mère et lafille de la famille qui l’avait achetée. “Unjour, la police est arrivée et a demandé à voirles pièces d’identité de tout le monde, parce qu’ily avait beaucoup d’ouvriers immigrés à laferme, raconte-t-elle. Je n’en avais pas, alorsils m’ont emmenée. C’était un hasard. Je devaisme marier à la fin de la récolte.” L’année der-nière, trois ans après sa disparition, Aba aretraversé seule et à pied la frontière. Aprèsavoir échappé à un mariage forcé, trouverun mari est désormais la dernière de sespréoccupations. Pourtant, elle est de retourà Ruili. La pauvreté l’a poussée à revenir.Cette fois pourtant, elle gagne 650 yuans[80 euros] par mois en travaillant septjours sur sept comme serveuse dans un restaurant de la ville. Elle n’a toujours pasde papiers, mais son adolescence sacrifiéelui a au moins permis de parler couram-ment putonghua [mandarin], ce qui l’aideà nouer des liens. L’apprentissage de lalangue est toutefois une bien faible conso-lation pour les trois années qui lui ont étévolées. “Je continue de haïr la famille pour cequ’elle m’a fait, déclare-t-elle. Et je la haïraià jamais.” David Eimer

Myanmar

Faute de Chinoise, achète-toi une Birmane !

Kunming

CHINE

MYANMARLAOS

INDE

YUNNAN

400 km

Mandalay

Muse

Ruili

Naypyidaw

ÉTATSHAN

ÉTATKACHIN

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SHANDONG

Les routes du trafic

JILIN

CHINE

C-N*

* Corée du Nord.MYANMAR

Pékin

YUNNAN

Le circuit de la traite

� Dessin de Kapusta, Etats-Unis.

Page 37: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Haitham est un militaire sunnite,son épouse est alaouite. Il a choisi de déserter et de se réfugier au Liban. Elle est restée au pays poursoutenir le régime Assad.

The Daily Telegraph (extraits)Londres

�A lors que le commandant Hai-tham Emhammed se prépare àquitter son refuge au Liban et à

rentrer en Syrie pour combattre le régimede Bachar El-Assad, sa femme, qui setrouve toujours en Syrie, n’arrête pas del’appeler sur son portable. Ce n’est paspour l’encourager à lutter pour la libertéou le supplier de faire preuve de prudence.Membre de la minorité alaouite, qui sou-tient le président Assad, Mme Emhammedappelle son mari sunnite pour critiquer lemouvement rebelle qu’il a rejoint et luireprocher d’avoir abandonné sa famille.“Elle m’appelle toutes les deux heures pourme dire combien c’est terrible de voir les mani-festants – des ‘terroristes’– tuer les soldatsalaouites”, raconte le commandant.

“Ma femme aime l’armée“Ce militaire dissident de 42 ans est mariédepuis quinze ans. Il est tombé amoureuxde sa femme au premier coup d’œil et lui afait la cour malgré les risques que cela com-portait : les deux amoureux ont dû se marieren secret car la famille de la jeune femmeétait scandalisée qu’elle veuille épouser unsunnite. Mais l’amour triomphe de tout et,aujourd’hui, le couple a deux enfants : ungarçon de 14 ans et une fille de 11 ans.

Pendant des années, ils ont vécu heu-reux dans un quartier alaouite de la villede Homs. Puis, en mars dernier, quand le“printemps arabe” a balayé la région, lesoulèvement syrien a gagné cette ville, qui,depuis lors, est particulièrement touchéepar la violence. Quand le mouvement apris de l’ampleur, leurs différences reli-gieuses sont devenues un problème et leurmariage a commencé à battre de l’aile.Aujourd’hui, le commandant Emhammedcraint de ne jamais revoir sa famille, dumoins dans de bonnes conditions. “Mafemme aime l’armée et Bachar El-Assad. Elleregarde la télévision d’Etat et elle est triste devoir des soldats et des membres des forces del’ordre tués chaque jour”, dit-il dans la petitemaison qu’il occupe dans un des villageslibanais proches de la frontière syriennequi servent de refuges et de lieux de ras-semblement pour des hommes comme lui.

Sa femme croyait tout ce que disait latélévision d’Etat, comme sa famille et sacommunauté. Mais le commandant voyaitune réalité différente dans les rues. “Cha -que fois que je rentrais à la maison, je lui expli-quais ce qui se passait aux postes de contrôle.

Moyen-Orient

Je lui disais que c’était un péché de tuer lesmanifestants comme le faisaient les chabiha[milices proches du pouvoir]. Mais elle nesavait pas ce qu’étaient ces milices. Embar-rassée, elle me donnait raison et me disaitqu’elle était juste contre les exécutions.”

Quand la répression a commencé às’intensifier, le commandant a dû faire unchoix difficile : obéir aux ordres et tirer surles civils ou être lui-même exécuté. Il a pré-féré déserter et rejoindre l’Armée syriennelibre, un mouvement armé en lutte contrele régime. Mais sa femme, convaincue queles rebelles sont des terroristes, ne l’a passuivi. “J’ai essayé d’emmener ma femme etmes deux enfants au Liban. J’ai dit à mafemme : ‘Je suis désolé, mais je ne peux pasvivre comme ça. Viens avec moi.’ Mais ellen’a pas voulu.”

Ce qui a commencé il y a neuf moiscomme des manifestations pacifiquescontre le régime a dégénéré à Homs enattaques intercommunautaires sanglantes,suivies de représailles. Ces dernières se -maines, la ville a été le théâtre d’opérationsqui rappellent les jours les plus sombresdu conflit en Irak. Des membres des deux

communautés sont enlevés et tués et leurscadavres déposés sur le seuil de maisonsvoisines. Les activistes attribuent ces vio-lences au pouvoir en place. “Les chabihacherchent à exciter la haine entre les deux com-munautés”, a expliqué l’un d’eux, AbouRami, après l’une de ces attaques. “Ils tuentdes sunnites et incriminent les alaouites. Puisils exercent des représailles.”

Nouveaux déserteursLe commandant Emhammed, qui s’estenfui au Liban au début du mois dedécembre, décrit Homs comme une villesinistre en proie à une guerre civile inter-communautaire. “Du fait de mon mariage,les gens de mon quartier pensaient que j’étaisalaouite. Un jour où je collectais des vivres pourles soldats dans un restaurant voisin, le patronm’a demandé dans quel poste de contrôle j’étaisde service. J’ai donné le nom d’un quartier sun-nite. ‘Bien, m’a-t-il dit. Pour l’amour du ciel,viole leurs femmes et tue-les tous.’” La vio-lence du régime l’a très vite écœuré. “J’aivu deux personnes de ma connaissance poin-ter leurs armes contre des manifestants et tirer,dit-il. Un officier alaouite leur en avait donné

l’ordre. Chaque officier dispose de deux cha-biha chargés de surveiller les soldats et de luifaire un rapport. Si un soldat refuse d’exécu-ter un ordre, ils attendent de rentrer dans laville et lui tirent dans le dos.” Il décrit la scèneparticulièrement atroce qui l’a convaincude partir  : “Une femme portant le hidjab traversait la rue en direction du poste decontrôle. Sans même lui demander où elleallait, ils l’ont abattue.” Comme la plupartdes femmes alaouites ne se couvrent pas

entièrement la tête, les soldats ont pupenser qu’elle était sunnite, et peut-être rebelle. Comme si cela ne suffi-sait pas, poursuit le commandant, lechabiha de service a donné des coups

de crosse sur le cou de la femme jusqu’àce que la tête se sépare du corps, puis ilsont fourré celle-ci dans un sac en plas-tique. “En fait, elle faisait des courses avec

son fils. Par la suite, un officier a demandé desexplications et le chabiha lui a dit qu’une voi-

ture se dirigeait vers eux et qu’ils avaient tirécar ils pensaient qu’il s’agissait de terro-

ristes. Mais j’ai bien vu, moi, que c’étaitune femme et qu’elle était à pied.”Aujourd’hui, le commandant Em -hammed espère que le nombrecroissant de désertions finira par

avoir raison du régime. Chaquejour, de nouveaux déserteurs

risquent leur vie en se rendantau Liban pour rejoindre l’Armée syriennelibre. Le commandant est convaincu qu’aumoins 80 % des 3 000 soldats de sa divi-sion veulent déserter mais qu’ils n’ont pasencore été en mesure de le faire.

Pendant que le commandant Emham-med parle dans une atmosphère alourdiepar la fumée de cigarette, trois nouvellesrecrues arrivent, encore essoufflées maissoulagées de s’être enfuies de Syrie et dési-reuses d’y retourner pour lutter au seind’une armée d’opposition. Le comman-dant est déterminé à poursuivre la lutte,à s’emparer d’armes et à se battre, mêmes’il est conscient que cette option peutdéclencher une guerre civile dans tout lepays et qu’il peut y perdre sa famille àjamais. “J’ai le sentiment de les avoir déjàperdus et je m’inquiète pour eux. Je pleure tousles jours”, confie-t-il. Ruth Sherlock

Syrie

La guerre au sein des couples mixtes

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 37

� Dessin de Cost, Belgique.

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38 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Moyen-Orient

économiques, les Palestiniens sont très loind’être en mesure de s’autogérer. Les effortsconsidérables qui ont été faits ces trois ouquatre dernières années, en particulier àl’initiative du Premier ministre SalamFayyad, avec le soutien du président Mah-moud Abbas, n’ont pas suffi à jeter les basesd’un pays indépendant viable.

Cette situation est le résultat desannées qu’ont passées les responsablespalestiniens à négliger et à éviter les impé-ratifs économiques les plus fondamentaux.Après la signature de l’accord de Paris, dansle cadre des accords d’Oslo [1993], ils ontobtenu d’importants pouvoirs écono-miques, mais, du temps de Yasser Arafat,les Palestiniens en ont profité pour servirles besoins immédiats de leur dirigeant etde son entourage. Pendant toutes cesannées, les aides considérables concédéespar les pays donateurs et les transferts de

revenus fiscaux venant d’Israël n’ont passervi à construire une économie. SalamFayyad, d’abord en tant que ministre desFinances [en 2002] puis comme Premierministre [depuis juin 2007], s’est employéà créer l’infrastructure nécessaire à uneautorité économique viable, et il a de nombreux succès à son actif. Pourtant, lastructure budgétaire de base qui régitactuellement l’AP, qui s’élève à 3 milliardsde dollars [2,3 milliards d’euros] par an,provient des versements des pays dona-teurs à hauteur d’environ 1 milliard de dol-lars par an et des transferts de revenusfiscaux israéliens à hauteur de 1,3 milliardde dollars. Plus des deux tiers du budgetdépendent par conséquent d’Israël et desdonateurs.

Les impôts collectés par Israël sur lesproduits importés par les Palestiniens 0correspondent à des sommes qui leur

reviennent et qui doivent obligatoirementêtre transférées à l’AP. En réalité, les Pales-tiniens dépendent d’une bureaucratieisraélienne qui leur oppose parfois desconsidérations politiques. De son côté, l’APs’est avérée incapable de faire les effortsnécessaires pour construire un système derecouvrement indépendant, notammenten ce qui concerne les frais liés à l’eau et àl’électricité, qui, le plus souvent, ne sontjamais réglés par les usagers, ce qui vientallonger la liste des soucis financiers.

De nombreux facteurs objectifs expli-quent sans nul doute la situation financièrede l’AP. Elle ne dispose d’aucun aéroportou port maritime lui permettant de parti-ciper directement au commerce interna-tional. Depuis 2007, la séparation de laCisjordanie et de Gaza pèse lourdement surle budget. Quant aux accords économiquessignés en 1994, qui devaient durer cinq ans,ils sont encore en vigueur aujourd’hui. Lesretards de paiement d’Israël, même dequelques semaines, révèlent la fragilité éco-nomique de l’AP. Elle ne dispose d’aucuneréserve et n’a que très peu de marge demanœuvre. Elle n’a pas non plus d’autremoyen pour collecter des fonds.

Construire un système financier est unprocessus long et fastidieux. L’AP doit pour-suivre son développement économique,mais, compte tenu du contexte politiqueactuel, elle ne peut pas faire grand-chosesans les accords fiscaux et financiers conve-nus avec Israël et les donateurs. Les ques-tions économiques suscitent également dumécontentement au sein de la populationpalestinienne (surtout chez les jeunes etles intellectuels au chômage), qui pourraits’envenimer et entraîner des manifesta-tions similaires à celles du printemps arabe.David Brodet

Palestine

Une économie sous perfusion

Sanctions A la suite de l’admission de l’Autorité palestinienne à l’Unesco, le 31 octobre, Israël a décidé d’accélérerle processus de colonisation dansJérusalem-Est et en Cisjordanie, maisaussi de geler le transfert de fonds à destination des Palestiniens.

Dix-huit ans après la signaturedes accords d’Oslo, force est deconstater qu’aucun compromisne réglera le conflit arabo-israélien dans l’immédiat. La réconciliation récente [le 22 décembre au Caire] de l’Autorité palestinienne (AP) et du Hamas [mouvementislamiste], et notammentl’annonce de l’unification de tous les mouvementspalestiniens, dont le Hamas,sous l’égide de l’Organisation delibération de la Palestine (OLP),montre bien que MahmoudAbbas, le président de l’AP, n’a jamais véritablement essayéde parvenir à un accord de paixavec Israël. Les responsables

palestiniens bernent Israël et la communauté internationaleavec un discours “pacifique”adressé aux populations despays industrialisés quicomprennent l’anglais, tout en continuant de prêcher haineet violence à leur propre peupleen arabe. On peut citer commeexemple récent de cettehypocrisie la façon dont l’APjustifie son refus de négocieravec Israël. Cette décision de rejeter tout dialogue seraitdue à l’obstination israélienne à poursuivre les constructionsdans les colonies, alors qu’enréalité l’impasse est le résultatde la politique révisée qu’aadoptée l’AP il y a plus de deux

ans. Le Palestine Strategy Groupest à l’origine de cette nouvelleorientation, dévoilée en 2009.Elle appelle à la “résistanceintelligente” – c’est-à-dire uneguerre juridique, des campagnesde boycott et de la propagande –pour continuer la lutte contreIsraël. L’hypocrisie et laprovocation sont les marquesde fabrique palestiniennesquand il s’agit d’informerle monde sur le quotidien en Cisjordanie et à Gaza. L’étédernier, notre organisation,Missing Peace [fondée en 2009,après la guerre de Gaza, avecpour objectif de peser sur lesinformations concernant Israëlet le Moyen-Orient], a révélé

que l’AP mentait sans arrêt sur les problèmes liés à l’eau en Cisjordanie, afin de cultiverla thèse de la répressionisraélienne et de renforcer la position de victimes desPalestiniens. En réalité, l’AP n’apas été capable de mettre enœuvre des projets hydrauliquesqui ont été approuvés et a ignoréles preuves indéniables du vold’eau auquel se livrent lesPalestiniens. Jusqu’à présent,une bonne partie de lacommunauté internationalerefuse de reconnaîtrel’hypocrisie palestinienne etmaintient que le conflit est dû àdes revendications territoriales.Ce n’est pourtant pas le cas.

Ce conflit concerne l’existence d’un Etat juif en terre d’Islam.L’Union européenne a étéjusqu’à augmenter sacontribution financière à l’AP de100 millions d’euros pour 2012,et continue de reprocher à Israëlla poursuite des constructionsen Cisjordanie et à Jérusalem. Si les interlocuteurs étrangerscomme l’UE veulent réellementrégler le conflit, ils devraientcommencer par insister pour que l’AP mette fin à sesprovocations et cesser d’ignorerl’hypocrisie systématique des responsables palestiniens.Yochanan Visser et SharonShaked Yediot Aharonot(extraits), Tel-Aviv

Point de vue

Le double langage des Palestiniens

Les Etats-Unis menacent également,depuis la demande palestinienned’adhésion aux Nations unies, déposéele 23 septembre, de geler leur aidefinancière, ou de la réduire pour la limiter au seul financement des forces de sécurité palestiniennes.

� Dessin de Falco, Cuba.

Fortement dépendante de l’aideinternationale et des aléas des transferts par Israël derevenus fiscaux, la croissanceéconomique ne tient qu’à un fil.

Bitter Lemons (extraits) Tel-Aviv

�E n septembre 2011, le mondeentier était tourné vers lesNations unies, à qui l’Organisa-

tion de libération de la Palestine (OLP)avait remis sa demande d’adhésion. L’étatd’esprit des Palestiniens était résolumentoptimiste. Ils ont mis en valeur tous lesefforts faits pour créer des forces de sécu-rité professionnelles et des institutionsadministratives et économiques, ainsi quepour élaborer une stratégie économiquepour le développement et la croissance.Afin de prouver leurs capacités, ils ontbrandi des évaluations positives du Fondsmonétaire international et de la Banquemondiale, pour montrer qu’ils étaient enmesure d’assumer, du point de vue éco-nomique et institutionnel, les pouvoirs etles responsabilités liés à la gestion de l’éco-nomie d’un Etat indépendant.

Quelques semaines plus tard, l’en-thousiasme est retombé, en raison non seu-lement de la décision du Conseil de sécuritéde rejeter la demande de l’OLP, mais aussid’un quotidien difficile qui a révélé à quelpoint la situation économique palesti-nienne était fluctuante et fragile. L’ampleurde la dépendance de l’Autorité palesti-nienne (AP) vis-à-vis d’acteurs extérieursest soudain devenue évidente pour tous.

Sans même aborder la question de l’in-dépendance politique d’un Etat palestinien,si l’on ne tient compte que des questions

Page 39: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Dans la guerre de l’ombre contreWashington, la Républiqueislamique se sent désormais en position de force. Le point devue d’un spécialiste anglo-iranien.

Asia Times (extraits) Hong Kong

�L e 18 décembre dernier, les auto-rités iraniennes présentaientAmir Hekmati à la télévision

d’Etat. L’arrestation de cet homme, soup-çonné de travailler pour la CIA, est unsuccès de plus à l’actif des services de ren-seignements de Téhéran. Né en Arizona,cet Américain d’origine iranienne âgé de28 ans a été accusé d’espionnage par leministère iranien du Renseignement et dela Sécurité [il risque d’être condamné à lapeine de mort]. Hekmati, un ancien de l’USMarine, aurait été interpellé en septembredernier, mais l’information vient seulementd’être rendue publique. Ce succès ducontre-espionnage s’ajoute à la captured’un drone américain RQ-170 Sentinelultrasecret le 4 décembre. L’Iran affirmeque ses unités de guerre électronique sontparvenues à prendre le contrôle de l’appa-reil et l’ont contraint à se poser. Une vidéodiffusée à la télévision iranienne – où l’onvoit que le drone n’a pas une égratignure –confirme les allégations de Téhéran.

Un contre-espionnage efficaceCes remarquables exploits dans lesdomaines du renseignement, de la guerreélectronique et de la cyberguerre survien-nent alors qu’en arrière-plan les relationsne cessent de se détériorer entre l’Iran etles puissances occidentales [d’autant plusdepuis la remise du dernier rapport del’Agence internationale de l’énergie ato-mique, le 9 novembre. Le rapport insistesur les visées militaires du programmenucléaire iranien.] Le 29 novembre, des

manifestants ont attaqué l’ambassade bri-tannique à Téhéran et provoqué ainsi lafermeture mutuelle de leurs représenta-tions par les deux pays.

Si l’on en croit les sources d’Asia TimesOnline à Téhéran, mais aussi les médias ira-niens, la CIA aurait monté une opérationcomplexe pour infiltrer Amir Hekmatiauprès des services de renseignementsiraniens. Disposant d’une expérience ducombat en Afghanistan, Hekmati, avant dequitter l’US Marine, a travaillé avec diverscontractants entretenant des liens suppo-sés avec la CIA. Il aurait pris contact avecle ministère iranien avant de se rendre dansle pays, à la fin de l’été, officiellement pourrendre visite à sa famille. Les informationsqu’il prétendait détenir étaient assezimportantes pour attirer l’attention desservices iraniens. Toutefois, dès le début,ces derniers se seraient doutés qu’il étaitun agent des Américains. Les informationsfournies aux Iraniens mêleraient habilement

d’authentiques renseignements, des demi-vérités et de la désinformation pure etsimple. La plupart auraient porté sur lesopérations politiques, militaires et de ren-seignement américaines en Afghanistan.

Le fait que le ministère iranien par-vienne systématiquement à trouver laparade aux méthodes toujours innovantesde la CIA prouve que ses capacités enmatière de contre-espionnage ne cessentde s’améliorer. La capture du RQ-170 Sen-tinel vient encore compliquer la tâche dela CIA en confortant l’image de l’Irancomme acteur incontournable du contre-espionnage et de la guerre électronique etinformatique. En exigeant que le drone soitrestitué, le président Barack Obama n’afait qu’accentuer ce coup terrible pour leprestige de l’Amérique. Compte tenu descirconstances entourant la capture de l’ap-pareil, c’était une requête franchementinhabituelle, que les Iraniens se sont faitune joie de rejeter.

L’activité de la CIA sur leur territoire,qui s’est brutalement accrue en 2011 [parle biais d’attentats et d’attaques ciblés], aconvaincu les dirigeants iraniens que lespuissances occidentales recherchaient laconfrontation, voire un affrontement mili-taire avec la République islamique. Danscette optique, les autorités de Téhérandevraient sans doute tirer parti de cesrécentes victoires dans le domaine ducontre-espionnage pour atteindre troisobjectifs à court ou moyen terme. Toutd’abord, le ministère du Renseignementiranien devrait encore renforcer ses acti-vités pour faire face à la CIA et à d’autresagences occidentales. Le but est de fairepreuve d’une résistance ferme, et au boutdu compte de casser les sanctions [écono-miques et militaires] imposées au pays. ATéhéran, tout le monde s’accorde à penserque celles-ci vont encore se durcir en 2012,au point de se muer en embargo d’ici à lafin de l’année. Ce scénario ne deviendraitque plus vraisemblable si l’Occident déci-dait de boycotter les exportations ira-niennes de gaz et de pétrole [comme l’aproposé la France].

Ambiance sécuritaireLe pouvoir iranien tient à empêcher lesservices occidentaux d’interférer avec lesélections parlementaires de mars. D’au-cuns, à Téhéran, redoutent que les agencesoccidentales – en collaboration avec deséléments radicaux de l’opposition [le Mou-vement vert iranien, qui avait fortementcontesté les résultats de la présidentiellede 2009] – ne tentent de fomenter desémeutes et des troubles comparables, dansla forme sinon dans la portée, à ceux quiavaient secoué la capitale iranienne enjuin 2009. L’attaque contre l’ambassadebritannique a sans doute eu en partie cetteinquiétude pour mobile. La mission bri-tannique à Téhéran est depuis longtempsconnue comme le centre le plus actif desactivités de collecte de renseignements enIran. Sa fermeture prive le Royaume-Uniet les Etats-Unis d’un vaste éventail desources, dont le renseignement humainproche de la rue.

Enfin, la République islamique devraitsans doute se servir des succès impres-sionnants du ministère du Renseignementpour muscler le dispositif de sécurité qu’ellea imposé après la présidentielle de 2009 etles émeutes et manifestations qui avaientsuivi. S’il est généralement admis qu’il nepeut s’agir là que de mesures temporaires,toutes les couches du pouvoir dans laRépublique islamique estiment que cetteambiance sécuritaire est indispensablepour préparer le pays à ce qui s’annonce deplus en plus comme une confrontationinévitable avec l’Ouest.Mahan Abedin** Spécialiste anglo-iranien du Moyen-Orient, peucritique à l’égard du régime de Téhéran.

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 39

Iran

Une série de succès regonfle Téhéran

IRAN

IRAK

ARABIESAOUDITE

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B.

ÉAU

Q.

OMAN

Détroit d’Ormuz

300 km

Versl’Europeet l’Asie

Abréviations : B. Bahreïn, ÉAU Émirats arabes unis, K. Koweït, Q. Qatar

Golfe Arabo-Persique

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Gisements de pétrole Gisements de gaz

Un lieu stratégique

Les autorités iraniennesont menacé, le27 décembre, de fermerle détroit d’Ormuz, situédans le sud du pays. “Levice-président, MohammedReza Rahimi, a annoncéque pas une seule gouttede pétrole ne transiteraitpar le détroit si l’Iran étaitsoumis à un embargo”,relate le quotidiengouvernemental Iran. Les militaires iranienscontrôlent en partie ce couloir large de 50 km

par lequel transite près de 40 % du pétrole mondial.Même si l’Iran rencontraitdes difficultés pour fermercomplètement le canal,ses navires seraient en mesure de ralentirconsidérablement le trafic.Téhéran entend répondreainsi à la propositionformulée par plusieurspays, dont la France,d’imposer un embargosur le pétrole et le gaziraniens. “Les manœuvresde nos bateaux dans

le détroit d’Ormuzaffolent les Occidentaux”,se réjouit le quotidienultraconservateurKayhan. La plupart desjournaux iraniens publientces jours-ci des articlesvantant les exportationsiraniennes vers d’autreszones que l’Europe. LeTehran Times rappellepour sa part que la Chineest le client le plusimportant de l’Iran pour le pétrole, le gaz et d’autres productions.

Démonstrations de force

Le détroit de la discorde

� Démocratie. Discours va-t-en-guerre. Dessin de Bill Day, Etats-Unis.

Page 40: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Khalil Ibrahim était la bête noiredu gouvernement soudanais. Le chef rebelle a été tué alors qu’ils’apprêtait à lancer, du Darfour, uneoffensive sur Khartoum, la capitale.

Le Pays Ouagadougou

�L ’armée soudanaise vient de réus-sir un exploit : elle a éliminé lechef des rebelles du Mouvement

pour la justice et l’égalité (MJE), Khalil Ibra-him, le 23  décembre dernier. Le porte-parole du mouvement, basé à Londres, aconfirmé l’information, même si les cir-constances réelles restent encore à éclair-cir. C’est indiscutablement un des piliersde la galaxie des mouvements rebellesopposés à Khartoum qui vient de tombersous les feux de l’armée soudanaise.

Celle-ci peut ainsi espérer refroidir lesardeurs belliqueuses du MJE, qui s’apprê-terait à rééditer son exploit de 2008, lors-qu’il a traversé tout le pays en directionde Khartoum, aux portes de laquelle sestroupes ont été mises en déroute.

Groupe rebelle le plus puissant, le MJEn’a jamais voulu entériner les précédentsaccords de paix, les vidant ainsi de leurcontenu. Que ce soit l’accord de paix deKhartoum ou celui de Doha, Khalil Ibrahimles a tous récusés au point de devenir l’obs-tacle majeur à la paix dans ce pays.

Du côté de Khartoum, les autoritésespèrent avec ce succès militaire que leMJE, décapité, se désorganisera et mettradu temps à retrouver ses capacités opé-rationnelles sans son chef historique.L’homme se savait traqué. Ancien compa-gnon d’Omar El-Béchir, le président actuel,lors de sa prise de pouvoir, en 1988, très vite

il entre en rébellion pour fustiger un pou-voir qu’il juge raciste et inéquitable. C’estau moment où il négociait de nouvellesalliances avec de petits groupes rebellespour attaquer une fois de plus Khartoumqu’il a été tué. L’assaut final qu’il promet-tait ne viendra point. Il faut dire que lecontexte sous-régional avait sensiblementévolué en sa défaveur. L’homme venait derentrer de Libye, où il était dans les grâcesdu régime de Kadhafi, avec moyens mili-taires et financiers. Le Tchad, qui servait debase arrière pour ses hommes et lui, a signéun accord avec le Soudan pour contrer lemouvement des rebelles à leurs frontièresrespectives. Dans ces conditions, plus oumoins à découvert, le chef du MJE a voulutenter le tout pour le tout. Mais mal luien a pris. Le sort de ce chef rebelle faitpenser au scénario angolais, dans lequella mort de Jonas Savimbi a eu pour effet

de contraindre ses successeurs à un accordde paix, mettant ainsi définitivement fin àplusieurs décennies de rébellion. Savimbiavait, lui aussi, fait échec à plusieurs accordsde paix avant de finir sous les balles d’uncommando. Depuis, l’Angola a renoué avecla paix. C’est une des conséquences pos-sibles et souhaitables du côté des autoritésde Khartoum. Les jours prochains éclaire-ront peut-être les uns et les autres surla réaction du MJE sans son patron. Sesadjoints vont-ils maintenir leur projet d’at-taque sur la capitale une fois le deuil passé ?

En attendant, le pouvoir de Khartoumvient de remporter une victoire psycholo-gique précieuse pour la suite des événe-ments : il peut frapper désormais n’importequel chef rebelle sur le territoire national.C’est un atout militaire supplémentairedans le rapport de forces entre le pouvoiret les rebelles. Abdoulaye Tao

40 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

La secte islamiste Boko Haram a revendiqué la série d’attentatsperpétrés contre des églises durantla nuit de Noël. Sa montée enpuissance réveille l’antagonismereligieux et ethnique qui mine le pays depuis quarante ans.

La Tribune Alger

�E n décembre 2010 déjà, lesmembres de Boko Haram avaientcommis des attaques du même

type contre les chrétiens du Nord musul-man durant la nuit de Noël, faisant desdizaines de morts et des blessés. Ennovembre dernier, une dizaine de personnesont été tuées dans des affrontements entrechrétiens et musulmans dans la région deBarkin Ladi, dans l’Etat du Plateau [centre].Cet Etat, avec sa capitale, Jos, située à lalisière du Nord musulman et du Sud chré-tien, a connu des affrontements qui ontcoûté la vie à près d’un millier de personnesen deux jours seulement. Il faut noter quele nord du Nigeria est divisé en seize Etatsmajoritairement musulmans. L’extrémismereligieux s’est propagé tellement vite queles autorités locales ont décidé de gouver-ner selon les principes édictés par la charia,la loi islamique. Ce qui constitue une viola-tion de la Constitution fédérale qui, au Nige-ria, garantit la liberté de croyance. Legouvernement nigérian, à Abuja [capitalefédérale], n’a jamais osé ouvrir le débat surcette question par peur d’attiser les tensionsentre musulmans et chrétiens. Mais aucuneinitiative n’a été prise pour mettre fin aux

Afrique

tervention militaire de l’Occident, notam-ment de la France, aux côtés des autoritésde Lagos [l’ancienne capitale du Nigeria],avait contraint les rebelles de cette provinceà déposer les armes. Depuis, on n’entendplus parler de la république du Biafra, dontl’existence s’est limitée aux trois annéesde guerre sanglante. Le souvenir de cettepériode est donc resté vif dans la mémoirecollective des Nigérians, notamment chezcertains religieux chrétiens qui ne veulentpas voir le pays s’embraser une nouvelle fois.

La Constitution nigériane consacre leprincipe de l’indigénéité. L’article en ques-tion autorise les membres des groupes eth-niques à obtenir ce certificat d’indigénéité,qui n’est autre qu’un passe-droit en faveur

des populations installées les premièresdans un endroit donné. L’Etat du Plateau,où se trouve Jos et où se sont déroulés lamajorité des affrontements meurtriers,concentre aussi une partie des terres fer-tiles. Il se trouve que dans cet Etat ce sontles chrétiens qui possèdent le certificatd’indigénéité, qui leur donne accès à cer-tains emplois interdits aux musulmans.Cette situation est à l’origine des très fortestensions qui engendrent des morts par cen-taines, sans compter le nombre importantde blessés et de déplacés. Le cas d’unconflit entre deux propriétaires, un chré-tien et un musulman, à propos d’une affairede terrain, début janvier 2010 dans le vil-lage de Kuru Karama, près de Jos, a dégé-néré en un affrontement à l’arme blanchequi s’est étendu à d’autres villages de larégion. Plus de 150 corps ont été retirés despuits de Kuru Karama au bout de quelquesjours de violences. Plusieurs personnes ontété portées disparues par les organisationshumanitaires et les autorités locales, quiavaient fait appel à l’armée pour interve-nir et rétablir l’ordre. Si le Nord ne demandepas à se séparer du Sud, c’est uniquementpour des raisons économiques, notammentcelles relatives aux revenus pétroliers. Sile Sud vient un jour à demander la séces-sion de la partie nord du Nigeria, ce sera laguerre civile dans ce pays, l’un des plus vio-lents sur le continent africain. Toutes lesconditions sont réunies pour faire redou-ter une fin du Nigeria, à l’image de ce quis’est passé, en 2011, pour le Soudan lors-qu’il a été fractionné en deux pays, l’un aunord (musulman) et l’autre au sud (chré-tien et animiste). Lyes Manacer

Nigeria

Un géant menacé d’implosion

Boko Haram deux mots qui ont le méritede bien résumer le programme del’organisation. Ce néologisme haoussa,la langue la plus parlée dans le norddu Nigeria, signifie “l’Occident estimpur”. Le mouvement a été fondéen 2002 par Mohamed Yusuf,

un prédicateur radical de Maiduguri,capitale du Borno [Etat musulmandu nord]. Mais ce n’est qu’en 2009que Boko Haram se signale par desattentats meurtriers. En juillet,l’armée lance une opération militairecontre la secte. Mohamed Yusuf est

tué. L’Etat nigérian croit avoir décapitéle mouvement. Erreur ! Depuis, la sectes’est radicalisée, semant de nouveau la terreur dans le pays. Boko Haramest notamment très implantée dansle Nord – essentiellement musulman –et réclame l’application de la charia.

violations du droit et de la Constitutiondans les provinces du Nord, devenues leterreau des extrémistes religieux, qui veu-lent imposer la charia au reste du pays.

Le Nigeria est le premier producteur depétrole en Afrique et le troisième à l’échellemondiale. Mais la pauvreté touche des pansentiers de la société, qui pataugent dans uneextrême misère. On se souvient tous de laguerre civile qui a fait entre 1 et 2 millionsde morts entre 1967 et 1970. Cette guerre,connue sous le nom de guerre du Biafra, enréférence à cette région sécessionniste dusud-est du Nigeria, riche en pétrole, avaitéclaté pour des raisons purement socialeset économiques, sous couvert de conflit reli-gieux entre chrétiens et musulmans. L’in-

CAMEROUN

BÉNIN

NIGER

Abuja

AncienBiafra

Jos Kuru KaramaBarkin Ladi

ÉTAT DUPLATEAUNiger Bénoué

Golfede Guinée

Kano

Lagos

Zone à prédominance

musulmane

Zone detransition

(“middle belt”)

Zone àprédominance

chrétienneet animiste

LacTchad

300 km

Etats nigérians appliquant la charia

Zone d’exploitation deshydrocarbures

Attentatsrevendiqués le 25 décembrepar Boko Haram(au total unequarantainede victimes)

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Vers une partition du Nigeria ?

Soudan

La rébellion du Darfour décapitée

Page 41: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Métrosexuel Ce néologisme désignedes hommes qui prennent soin de leur apparence autant ou plusque les femmes. Il a été inventé en1994 par Mark Simpson, journalistebritannique de The Independent.

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 41

Tanzanie

La beauté mâle fait fureurA Dar Es-Salaam, des hommes,souvent des cadres, se pomponnent et s’apprêtent.Manucure, gommage, coiffure,maquillage : les métrosexuelstanzaniens le disputent aux femmes en coquetteriedans les salons de beauté.

Mail & Guardian Johannesburg

�U n nouveau type d’hommes a faitson apparition dans les rues desgrandes villes de Tanzanie. A

Dar Es-Salaam, la capitale du pays, Arushaet Mwanza incarnent cette nouvelle ten-dance : des vêtements aux souliers en pas-sant par la ceinture, les bracelets, lesbagues et les colliers, tout ce qu’ils por-tent est de grande marque. Ils discutentde leurs nouveaux jeans Calvin Klein etchaussures Fila, et ne voient pas pour-quoi ils n’achèteraient pas une chemiseà fleurs rose pour aller avec leurs basketsbleu ciel. Les grands musiciens tanza-niens les laissent de marbre. Ce sont lesgrands noms de Hollywood qu’ils ont auxlèvres, et, à les entendre, on dirait qu’ilssont leurs voisins.

Ces hommes occupent des emploisbien rémunérés au sein de sociétés privéesou d’organisations non gouvernementales.Ils quittent le bureau tôt les vendredis demanière à pouvoir se reposer avant d’en-tamer le week-end dans les boîtes de nuitoù ils s’abreuvent de cocktails, de préfé-rence à des boissons moins chèrescomme la bière. On peut sentir leurparfum coûteux à plusieurs mètres à laronde. Ils s’affichent toujours avec unBlackberry dans la main gauche et uniPhone dans la main droite.

Les métrosexuels se sentent obligésde passer beaucoup de temps chez lecoiffeur, car il est hors de question qu’ilsse contentent d’une simple coupe de che-veux, sans application d’huile, sans mas-sage et sans soins cosmétiques. Fini letemps où les hommes se faisaient couperles cheveux ou tailler la barbe par un vieilhomme installé à l’ombre d’un arbre avecson miroir, sa banquette et sa chaise. Nosmétrosexuels passent plus de temps chezle coiffeur que les femmes à l’institut debeauté. Résultat, le salon de coiffure pourhommes devient visiblement une acti-vité en forte croissance dans les villes.L’un de mes amis a récemment investienviron 40 000 rands [3 700 euros] pourouvrir un établissement spécialisé dansune banlieue chic de Dar Es-Salaam. Ilest convaincu que dans quelques moisl’affaire sera très rentable.

A l’intérieur de ces salons modernes,on peut se faire une idée des servicesofferts et de leurs prix. Plus l’endroit estluxueux, plus la palette est large et lesprix élevés. Dans la plupart des cas, on

trouvera une télévision à écran platgrand format, voire deux, selon la tailledu lieu, pour faire patienter les clients.Un canapé confortable et une chaîne hi-fi sont indispensables, tout comme unrayonnage rempli de crèmes, d’huiles, depoudres et autres produits de beautédestinés spécialement aux hommes.

Les services de base sont évidem-ment la coupe de cheveux et le rasage,qui sont effectués par le personnel mas-culin. Le client a la possibilité de choisirle rasoir ou la “poudre magique”. Cemélange spécial, dilué dans l’eau, coûteplus cher parce qu’il laisse les jouesplus douces qu’un rasoir, et les poils nerepoussent pas avant quatre jours. Unecoupe classique de cheveux vous coûtera

15 rands [1,50 euro], mais si vous deman-dez la “poudre magique” l’addition seradeux fois plus élevée.

Une fois que le coiffeur et le barbieront terminé leur travail, une ravissantejeune femme s’approche du client pourlui offrir le prochain service proposésur la carte. “Voulez-vous un nettoyage ?”demande-t-elle avec une douceur etune politesse exquises. Aucun hommen’y résiste, même si cela doit le priver de8 rands supplémentaires. L’opération com-mence avec le visage et le cou et dure géné-ralement entre quinze et vingt minutes.

Puis la jeune fille poursuit ses pro-positions : “Et vos ongles ? Que diriez-vous d’une manucure et d’une pédicure ?”Chacun de ces services coûtera 5 randssupplémentaires.

Lorsque tout est fini, l’homme estdirigé vers une autre petite pièce équi-pée de lavabos. La demoiselle lui lave

alors le crâne et le visage avant de l’en-duire de crèmes et de vaporiser sur luidivers produits.

Les femmes n’aiment pas vraimentvoir leurs maris ou compagnons serendre dans ces nouveaux salons decoiffure. En effet, les jeunes filles qui ytravaillent, accortes et élégammenthabillées, risquent fort de plaire à leurshommes. C’est pourquoi on voit parfoisdes épouses attendre devant le salon,le temps que leurs hommes en aient finiavec leurs soins, afin de les préserverde la tentation. En face, on ne ménagepas ses efforts non plus : les jeunesemployées font de leur mieux poursatisfaire leurs clients dans l’espoir derecevoir un pourboire.

Il n’empêche que toute Tanzaniennemoderne digne de ce nom veut absolu-ment avoir son propre métrosexuel. Laplupart ne sont pas mécontentes des’afficher au bras d’un homme aussi beauqu’elles. Car leur éclat se paie cher, et lemétrosexuel a de quoi faire garder le sou-rire tant à sa compagne qu’à son coiffeur.Erick Mchome

� Dessin de Jimmy Turrell paru dans The Guardian, Londres.

Toute Tanzaniennemoderne digne de cenom veut absolumentavoir son métrosexuel

Page 42: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

42 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Economie

Netflix, qui autorise ses employés àprendre autant de jours de congés qu’ils lesouhaitent (à condition qu’ils atteignentleurs objectifs), mais les entreprises lesplus attentives veilleront davantage à ceque leurs collaborateurs soient reposés etprennent soin de leur forme physique etpsychologique. Certaines pourraient mêmeleur conseiller d’éteindre leur BlackBerryet de se déconnecter des réseaux sociauxau moins quelques heures par jour, ou unjour par semaine.

Face à la pénurie de travailleurs quali-fiés, les entreprises mettront plus l’accentsur la formation. Les partenariats entre lemonde du travail et les lycées et les uni-versités se multiplieront. Les universitésd’entreprise, elles aussi, seront de plus enplus nombreuses, en particulier dans lespays émergents, comme l’Inde, où les étu-diants décrochent trop souvent leurdiplôme sans avoir été formés à travaillerefficacement en entreprise.

Consultations en ligneMais il ne suffit pas d’avoir enfin recrutépour que les difficultés disparaissent !Selon une étude mondiale menée parl’institut de sondage Gallup, dans unegrande entreprise type, seuls 33 % desemployés se disent totalement impliquésdans leur travail, 49 % déclarent ne pass’impliquer, et ils sont même 18 % à se dire“activement désengagés”. Dans les entre-prises “d’envergure mondiale”, ces chiffressont de 67 %, 26 % et 7 % respectivement.Les sociétés qui sauront motiver leurs col-laborateurs en récolteront les fruits entermes de résultats financiers : pour cela,elles s’efforceront de confier davantage

de pouvoir de décision à leur personnelnon dirigeant. Certaines organiseront devastes campagnes de consultation enligne, afin que chacun de leurs employésait au moins l’impression d’avoir voix auchapitre sur les questions importantespour leur entreprise.

Emploi

La chasse aux talents a commencé

A la une Ces articles sont extraits du Monde en 2012, un supplémentde The Economist publié en français par Courrierinternational. Ce hors-sérieanalyse les grandes tendances

de l’actualité politique, économiqueet scientifique. Parmi les auteursinvités figurent la lauréate birmane du prix Nobel de la paix,Aung San Suu Kyi, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff,

� Dessin de Chapatte paru dans Le Temps, Genève.

Certains travailleurs qualifiés se font rares sur le marché et les entreprises devrontrivaliser d’inventivité pour les attirer et les retenir.

�E n 2012, dans bien des pays, lechômage restera élevé. Et para-doxalement la pénurie de tra-

vailleurs qualifiés sera un problème deplus en plus lourd pour les entreprises.En 2011, une étude de la société d’inté-rim Manpower a établi qu’à l’échelleinternationale 34  % des employeursavaient du mal à pourvoir certains postes,en particulier ceux de techniciens, decommerciaux, d’ouvriers qualifiés et d’in-génieurs. Et, si l’économie mondiale estencore en croissance en 2012, ce chiffrerisque fort d’augmenter.

La concurrence pour dénicher lesmeilleurs talents va se faire plus rude, etles employeurs seront nombreux àreprendre à leur compte la maxime deMark Zuckerberg, le fondateur de Face-book : un employé exceptionnel “n’est passeulement meilleur que quelqu’un d’assez bon– il est cent fois meilleur”. Cette chasse auxtalents sera tout aussi acharnée dans lespays en développement, où les individusqui détiennent les compétences pourréussir sur le marché mondial serontcourtisés à la fois par des multinationalesétrangères et par des entreprises natio-nales ayant des ambitions à l’étranger.

Crèches d’entrepriseLa rémunération restera la principalearme des employeurs. Les salaires vontdonc augmenter, de même que les primesà la signature et autres avantagesannexes. Les travailleurs les plus recher-chés s’attendront à recevoir des titres deleur société. Mais, la vitalité à long termedes marchés boursiers restant très incer-taine, les employeurs devront offrir desprimes de performance plus généreuses,en espèces sonnantes et trébuchantes.

Google, connu depuis longtemps pourles repas gastronomiques et les massagesqu’il propose gratuitement sur ses sites, arécemment élargi la palette des servicesofferts à ses employés, qui vont désormaisde l’aide fiscale aux cours de préparation àla naissance pour les futurs papas. Or, onle sait, Google est un véritable prescrip-teur de tendances. Les autres vont doncsuivre : proposer une crèche d’entreprisegratuite sera un puissant atout, commeautoriser les employés à venir travailleravec leurs animaux domestiques.

Alors que les travailleurs sont de plusen plus nombreux à se dire épuisés, la pré-vention du burn-out constituera pour lesemployeurs à la fois un outil de recrute-ment et une stratégie pour préserver leurcapital humain. Ils seront sans doute raresà aller aussi loin que la société Internet

Les économies émergentes ne sontplus seulement les “ateliers de laplanète”. Elles importent désormaisautant que les pays développés.

�L ’idée d’un transfert de la puis-sance économique des ancienspays riches vers les économies

émergentes n’est pas récente, mais elle esten train de prendre un tour nouveau [liredossier p. 12]. Depuis vingt ans, la part deséconomies émergentes dans la productionindustrielle et les exportations mondialesne cesse de croître, grâce au coût moinsélevé de leur main-d’œuvre. Elles produi-

sent déjà la moitié des exportations mon-diales. Mais une étape importante serafranchie en 2012 : elles importeront alorsplus de biens que les pays riches. Ce seralà un changement radical par rapport à2000, lorsque leurs importations attei-gnaient à peine la moitié de celles des éco-nomies avancées.

La crise financière qui frappe aujour-d’hui ces pays riches a accéléré le déplace-ment du pouvoir économique vers d’autresrégions du monde. Début 2012, le produitintérieur brut (PIB) total réel des paysdepuis longtemps industrialisés atteindraau mieux son niveau de fin 2007. La pro-duction des économies émergentes, elle,

Les entreprises vont par ailleurs com-mencer à prendre plus au sérieux ce qu’onappelle dans les ressources humaines la“gamification” – ou “ludification” – dutravail : il s’agit de rendre plus gratifiantsles postes ennuyeux en empruntant auxjeux interactifs en ligne le principe destournois, des points et des badges. En cestemps où la frontière entre travail, reposet loisirs devient de moins en moins nette,la course aux talents pourrait sans doutetirer de précieuses leçons du jeu vidéoWorld of Warcraft. Matthew Bishop

Des jeux en ligne pourrendre plus gratifiants les postes ennuyeux

Pays émergents

Des porte-monnaiemoins timides

Page 43: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

aura fait un bond de près de 25 %. Leurproduction combinée (incluant celle despays asiatiques nouvellement industriali-sés, comme la Corée du Sud et Taïwan)représentera plus des deux cinquièmes duPIB mondial, soit près du double de leur parten 1990. Mais, si l’on exprime le PIB à paritéde pouvoir d’achat (PPA, qui prend encompte le fait que les prix sont plus bas dansles pays pauvres), les économies émergentesont déjà dépassé le monde développé.

Quatre mobiles sur cinqLa progression rapide des revenus, et doncdes dépenses, a attisé leur appétit pour lesbiens étrangers. Ainsi, sur les dix dernièresannées, leurs importations ont augmentédeux fois plus vite que celles des pays déve-loppés. Cela reflète deux phénomènes : nonseulement les échanges entre économiesémergentes s’accroissent – comme entrela Chine et le Brésil –, mais leurs achatsauprès des pays riches sont également enforte hausse. Près des trois cinquièmesdes exportations américaines se dirige-ront vers les marchés émergents en 2012.

Les économies émergentes ont besoind’importer des machines-outils et du maté-riel perfectionnés afin de construire desusines et d’améliorer leurs infrastructures.Mais leurs dépenses de consommations’envolent également : en 2012, elles repré-senteront près de la moitié des ventes audétail mondiales. Ces pays achètent déjà lamoitié de tous les véhicules à moteur(contre 20 % en 2000) et accaparent lesquatre cinquièmes des contrats de télé-phonie mobile. La Chine évincera les Etats-Unis comme premier importateur mondialà l’horizon 2014. Et dans dix à quinze ansles marchés émergents pourraient repré-senter la moitié du chiffre d’affaires de plu-sieurs grandes multinationales.

Dans les années 1850, un entrepreneuranglais affirmait que, s’il pouvait “ajouterun pouce de tissu au pan de chemise de chaqueChinois, les filatures du Lancashire tourne-raient à plein régime pendant trente ans”. Cesfilatures sont, depuis, rongées par la rouille,mais les ventes à la Chine et aux autresmarchés émergents occuperont de nom-breuses entreprises occidentales dans lesannées à venir. Pam Woodall

Les employés sont plus que jamaisinvités à faire connaître lesmalversations dont ils sont témoinsdans leur entreprise. Et ça paie !

�H ollywood est depuis longtempsfasciné par les histoires du typeDavid contre Goliath, où un

homme ordinaire lutte seul contre degrandes entreprises pour mettre au jourleurs pratiques illicites ou contraires àl’éthique, que ce soit dans le domaine dunucléaire (Le Syndrome chinois, Le MystèreSilkwood), des produits pharmaceutiques(The Constant Gardener) ou du tabac (Révé-lations). Parmi les films sortis plus récem-ment figurent Seule contre tous, dans lequelRachel Weisz révèle la vérité sur un traficd’êtres humains auquel se livre un sous-traitant des Nations unies, et ChasingMadoff, un documentaire sur les effortsmenés par Harry Markopolos pour alerterle monde sur la chaîne de Ponzi [un circuitfinancier frauduleux qui consiste à rému-nérer les investissements de ses clients surdes actifs imaginaires avec l’argent apportépar les nouveaux entrants] conçue par Ber-nard Madoff. [Cet homme d’affaires amé-ricain a été arrêté fin 2008 et condamné enjuin 2009 à 150 ans de prison.]

ParanoïaDans le monde réel, les difficultés que ren-contrent ceux qui donnent l’alerte n’ontrien de hollywoodien. Révéler des pra-tiques répréhensibles quand on travailleau sein de puissantes entreprises est extrê-mement angoissant. Les employeurs fontpasser ceux qui l’osent pour des délateurset des marginaux. Les dénonciateurs peu-vent alors facilement sombrer dans la para-noïa ou finir par douter d’eux-mêmes.Harry Markopolos se torture encore l’es-prit à se demander comment il aurait pus’y prendre pour dévoiler plus tôt les pra-tiques de Madoff.

Pour les chasseurs de fraudes, la vie vadevenir un peu plus facile en 2012, et sur-tout beaucoup plus payante. Dans le mondeentier, les pays vont renforcer les moyensde protéger ceux qui dénoncent de tellespratiques, et les primes associées vontgrossir. Ces justiciers peuvent dire mercià la crise financière ! Les pouvoirs publics,qui peinent à boucler leur budget après lesauvetage de leurs banques, vont redou-bler d’efforts pour éliminer les fraudesponctionnant les caisses de l’Etat – cellesqui touchent les régimes d’assurance-mala-die ou les marchés publics dans le secteurde la défense, par exemple. Quant aux auto-rités de tutelle des marchés financiers, elleschercheront de plus en plus à confier la sur-veillance à des détectives extérieurs à l’en-treprise ou à des indics qui travaillent enleur sein. Les “tuyaux” sont d’ailleurs, deloin, la principale source de détection desfraudes (voir le graphique).

C’est aux Etats-Unis que cette évolu-tion sera le plus marquée. La loi Dodd-Frank, adoptée en juillet 2010, propose àceux qui dénoncent les malversations unsolide dispositif de protection contred’éventuelles représailles, ainsi que desprimes qui peuvent atteindre jusqu’à 30 %de ce qui sera récupéré après la mise aujour de la fraude. Ces mesures, qui sontentrées en vigueur en août dernier, “pour-raient changer la donne, car elles transfor-ment chaque salarié en un dénonciateurpotentiel”, souligne Gary Aguirre, qui adévoilé l’indulgence de la Securities andExchange Commission [SEC, l’autoritéaméricaine des marchés financiers] vis-à-vis de gros bonnets de Wall Street dansune affaire de délit d’initié. Il suffira à laSEC, qui aura la charge de gérer le pro-gramme, d’“avoir la patience d’écouter”,ajoute-t-il.

Ces nouvelles incitations pourraientréduire considérablement le nombre despersonnes qui se taisent de crainte d’éven-tuelles représailles de la part de leuremployeur. Elles seront aidées par un sec-teur d’activité informel en pleine expan-sion qui regroupe des juristes spécialisésdans le conseil aux donneurs d’alerte, desgroupes militants comme le NationalWhistleblowers Centre (NWC) et des édi-teurs spécialisés.

Les dénonciateurs devenus célèbresvont eux aussi jouer un rôle de soutienimportant. Depuis l’affaire Madoff, HarryMarkopolos a convaincu des initiésmécontents de dénoncer les pratiquesabusives des banques effectuant des opé-rations sur les marchés des changes. Il veutfaire carrière en “sortant les squelettes duplacard un à un”. Gary Aguirre, lui, a sou-tenu entre autres un collaborateur de laSEC qui souhaitait faire savoir que cetorganisme passait à la déchiqueteuse desdocuments liés à des enquêtes classées.

Cela dit, le coût d’une révision des procé-dures internes pour se mettre en confor-mité avec la réglementation va brutalementaugmenter en 2012, quand les sociétésseront de plus en plus nombreuses à s’aper-cevoir que leurs systèmes sont défaillants.Les grandes entreprises commenceront àproposer ce que Gregory Keating, de Litt-ler Mendelson, cabinet spécialisé dans ledroit du travail, appelle des “mini-Dodd-Frank” : des primes pour les salariés quicommencent par signaler leurs inquiétudesen interne avant de s’adresser à des auto-rités de tutelle.

Lanceur d’alerteMais la principale crainte des dirigeantsd’entreprise est la portée mondiale desnouvelles dispositions mises en place auxEtats-Unis. La loi Dodd-Frank rend obli-gatoire l’attribution d’une prime auxdénonciateurs qui signalent des manque-ments entraînant des sanctions aux termesdu Foreign Corrupt Practices Act [la loi surles pratiques de corruption à l’étranger].Cela vaut pour n’importe quelle entreprise,où qu’elle soit installée dans le monde,même si l’acte de corruption s’est produità l’étranger et si le dénonciateur est un res-sortissant étranger. La seule condition estque les titres de l’entreprise concernéesoient négociés aux Etats-Unis.

Cela marque un “tournant majeur dansle signalement transnational”, fait remar-quer Stephen Kohn, du NWC. “Pour lapremière fois, les lanceurs d’alerte [qui rési-dent] dans les pays où les institutions démo-cratiques sont fragiles peuvent venir auxEtats-Unis pour qu’une procédure soit enga-gée en bonne et due forme.” Ces cas devraientproliférer en 2012. Une évolution sus-ceptible de dissuader les multinationalesd’exercer leurs activités dans des paysoù les pots-de-vin sont la règle. Matthew Valencia

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 43

le fondateur d’Infosys, l’Indien Nandan Nilekani, le pianiste argentino-israélienDaniel Barenboïm et le PDG de la banque britannique Barclays,Bob Diamond.

Sources : OMC, “The Economist”

Part des importations mondiales (en %)

Les rôles s’inversent

Economiesdéveloppées

Economiesémergentes

20

1990 2000 2012*

30

40

50

60

70

* Prévisions 2011 et 2012 de “The Economist”.

Fraudes

L’année des chasseurs de primes

La détection des fraudes dans les entreprises privées (méthodes, en %*)

Faute !

Sources : Association of Certified Fraud Examiners, 2010 Global Fraud Study, National Whistleblowers Centre

Tuyau36

Enquêtede la direction

15

Audit interne12

Autres7

Par accident11* Résultat supérieur à 100 % par arrondi.

Rapprochementcomptable8

Analysede documents8

Audit externe5

Les

archives

www.courrier

international.com “La SEC couvre-t-elle les délinquants de Wall Street ?”Selon l’un de ses salariés,l’autorité boursière américaine auraitsystématiquement détruit des milliersde dossiers d’enquête. Un article de Rolling Stone publié dans CI n° 1089, du 15 septembre 2011.

Page 44: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

44 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Ecologie

Dans cette région du Paraguay,la biodiversité est plus richeencore qu’en Amazonie. Mais les écosystèmes se dégradent à vue d’œil.

New Scientist (extraits) Londres

�N otre Cessna décolle d’Asunción,la capitale du Paraguay. Quel -ques minutes plus tard, nous

volons au-dessus d’une dense forêt d’épi-neux, dont certaines zones n’ont été fou-lées que par des membres des tribusautochtones, les Ayoreos. S’étendant surun millier de kilomètres vers le nord etl’ouest, la plaine du Chaco paraguayen estla dernière grande zone sauvage d’Amé-rique du Sud.

Cette terre regorge d’étranges créa-tures : fourmiliers géants, tapirs, loups àcrinière, rheas (des oiseaux coureursaussi grands que moi), ainsi qu’unedizaine d’espèces de tatous. La flore esttout aussi mystérieuse, avec des fourrésd’épineux épais et dissuasifs, des cactusgéants et des arbres en forme de bou-teille, qui stockent l’humidité comme labosse des chameaux. Toutes ces espècesfont partie d’un écosystème unique, plusancien que celui d’Amazonie, et vrai-semblablement plus important sur le planbiologique. Et pourtant, ses trésors res-tent cachés aux scientifiques comme à laplupart des Paraguayens.

Le climat, extrême, y est pour beau-coup. Le thermomètre grimpe à 50 °C l’étéet plonge au-dessous de 0 °C l’hiver ; despériodes d’ardente sécheresse alternentavec des inondations massives. Et contrai-

rement à la majeure partie des régionssituées à la frontière entre zones tropicaleset tempérées, le Chaco n’est pas un désert :il est couvert d’une épaisse brousse.

Jusqu’à présent, les épineux et le climatextrême avaient tenu le monde moderneà l’écart du Chaco. Mais c’est fini. Trois

groupes, avec trois buts différents, se dis-putent désormais cette terre. Les peuplesautochtones luttent pour préserver leurculture ; les propriétaires terriens défri-chent la forêt pour créer des zones deculture, tandis que les scientifiques et lesspécialistes de la conservation voudraientexplorer la région pour répertorier et pro-téger sa riche biodiversité.

Ces différentes activités sont visiblesde l’avion à six places, que je partage avecdes membres de Guyra Paraguay, ONGlocale qui témoigne de la destruction accé-lérée du site, et de sa partenaire, l’associa-tion britannique World Land Trust, quiachète des terres pour protéger la forêt.

La destruction du Chaco représente-rait une perte incommensurable, car ceparadis est foncièrement unique, même encomparaison des autres régions de l’arcpléistocène, qui encercle le bassin del’Amazonie en partant du nord-est duBrésil pour traverser le Cerrado brésilienet rejoindre les Andes colombiennes.

Quantité d’organismes y sont endé-miques et très anciens. Bon nombre desespèces sont xéromorphes, c’est-à-direqu’elles se sont adaptées pour retenir l’hu-midité pendant les longues sécheresseset les fortes chaleurs. C’est cette extra-

ordinaire adaptation qui a mené TobyPennington, du Royal Botanic Gardend’Edimbourg, à qualifier le Chaco de“musée de la diversité”.

C’est peut-être au Chaco que l’on doitl’extraordinaire biodiversité de l’ensemblede l’Amérique du Sud. Pendant l’ère gla-ciaire, aussi sèche que glaciale, les étrangesespèces du Chaco ont proliféré, envahis-sant des régions tropicales éloignéescomme l’Amazonie, dans le nord. Elles ontlaissé derrière elles des graines, créant ainsides réserves de patrimoine génétique pen-dant ces temps difficiles.

Une perte pour l’humanitéDans le futur, le Chaco pourrait jouer lemême rôle. Tandis qu’on observe des épi-sodes climatiques de plus en plus extrêmescausés par le réchauffement planétaire,cette forêt d’épineux pourrait être unconservatoire idéal pour ces organismesadaptés à des environnements difficiles. Sadestruction serait une perte non seulementpour la science, mais aussi pour l’humanitédans son ensemble. “Sans y prendre garde,nous perdrions non seulement une flore spéci-fique du point de vue de l’évolution, mais uneressource vitale pour tous les autres écosys-tèmes”, avertit Toby Pennington.

Espaces naturels

Le Chaco, paradis des loups à crinière, des fourmiliers et des tatous

� La déforestation dans le Chaco, près de Mariscal Estigarribia.

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BOLIVIE

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P A R A G U A YPilcomayo

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Bahia Negra

Ruta Transchaco

Encarnación

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Ciudad del Este

R. Paraná 250 km

Tropiquedu Capricorne

Vers l’océanAtlantique

RÉGIONDU CHACOAUSTRAL

RÉGION DU CHACO BORÉAL

RíoParaguay

Principalerégion agricole(coton, soja)

Territoiresoù viventles Ayoreos

Le Chaco paraguayen :60 % du territoire,2 % de la population

Le Chaco, un “paradis” en sursisM

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Page 45: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Or la destruction a déjà commencé. Lesécosystèmes du Chaco s’étendaient autre-fois sur 1,3 million de kilomètres carrés– cinq fois la superficie du Royaume-Uni –,jusqu’en Bolivie, au Brésil et en Argentine.Mais ils se sont fait grignoter par l’agricul-ture en pleine expansion – en particulieren Argentine. Ce qui a survécu jusqu’auXXIe siècle c’est le cœur, la zone la plusdense, la plus chaude, la plus caractéris-tique et la plus inhospitalière, située auParaguay. Cette réserve couvre deux tiersdu territoire mais n’abrite que 2 % de lapopulation.

Aujourd’hui, ce cœur fond comme peaude chagrin. Une heure après le décollage,nous surplombons un ranch de 500 kilo-mètres carrés, composé de rectangles de

terre défrichée, séparés par des bandes boi-sées – on dirait une gigantesque allée pavéetraversant la forêt. Peu après, nous aper-cevons une autre saignée de 100 kilomètrescarrés, entièrement défrichée au cours desdouze derniers mois.

Ce paysage atteste la rapide accélé- ration de la déforestation, avec des tauxde destruction qui atteignent à présent10 kilomètres carrés par jour – l’équivalentd’un terrain de football toutes les quatre-vingt-dix secondes. La pression vient no -tamment du gouvernement paraguayen,qui entend faire son entrée sur le marchémondial des produits agricoles majeurs.Cette dernière décennie, les exportationsde bœuf ont triplé et le cheptel du Chacoest passé de 2,4 millions à 3,9 millions debêtes. Or il faut jusqu’à 3 hectares pourélever une seule vache. Du reste, le dernierrecensement national montre qu’en 2008quelque 6 millions d’hectares avaient déjàété convertis en pâturages. Depuis, la défo-restation s’est encore accélérée.

La situation du Chaco est aux anti-podes de celle de la forêt amazonienne,emblème international de la conservation.Tandis que, au Brésil, le taux de déforesta-tion a reculé de 70 % depuis 2004 grâce àl’action du gouvernement, au Chaco, il s’ac-célère au point que, si rien n’est fait, ildépassera celui de l’Amazonie brésiliennedans deux ans.

Le gouvernement paraguayen, quiapprouve presque toutes les propositionsde défrichage, affecte de protéger le Chacoen exigeant des propriétaires terriens qu’ilspréservent un quart des arbres – soit 60 à80 par hectare. Certains le font, d’autrespas. De toute façon, les contrôles nebrillent pas par leur rigueur.

Les propriétaires font la loi“Le Chaco est un no man’s land”, souligneJosé Luis Casaccia, procureur en chef pourles affaires environnementales du Bureaudu procureur général, que je rencontre aubureau de l’association écologiste GuyraParaguay, dans la périphérie d’Asunción.“Les propriétaires font la loi sur leurs immensesranchs.” Selon Casaccia, “si la tendanceactuelle se poursuit, tout ce qui n’est pas pro-tégé aura entièrement disparu d’ici à 2025. LeChaco sera réduit à un désert, et toutes sesespèces seront perdues.”

Certains efforts de préservation onttoutefois été déployés, dont les résultatssont visibles de notre avion. Tandis quenous progressons vers le nord, en direc-tion de la frontière bolivienne, les ranchsau-dessous de nous laissent place à uneimmense étendue de forêt qui s’étire versl’horizon.

“C’est la terre des moonies [adeptesde l’Eglise de l’unification de Moon Sun-myung]”, commente Oscar Rodas, coordi-nateur de l’habitat pour Guyra Paraguay,en vérifiant les coordonnées. L’Eglise del’unification, depuis la Corée du Sud,achète des parcelles de forêt au Paraguayet au Brésil depuis une dizaine d’années.Elle détient aujourd’hui 8 000 kilomètrescarrés de terres environ. Selon le révérendMoon Sun-myung, il s’agit du “meilleurendroit sur terre pour être au paradis”.

Bonne nouvelle aussi, à Cardozo : unepropriété de 4 400 hectares, à l’ouest dela ville fluviale de Bahia Negra, dont nousapprochons. Un des passagers, RogerWilson, de l’association World LandTrust, observe la couverture forestière.Le propriétaire de cette ferme est passéau vert et, en juin, il a vendu ses terres àl’association.

On s’attendrait que ces activités de pré-servation emportent une totale adhésiondes peuples autochtones de la forêt – d’unepart les Ayoreos, environ 5 000 chasseurs-cueilleurs qui évoluent en groupes de 200,“sans contact” avec le reste du monde,d’autre part, les Ishirs, quelque 1 500 pê -cheurs installés sur la rive ouest du RíoParaguay.

De fait, ces peuples ont toujours pro-tégé le Chaco, aussi les environnemen- talistes ont-ils tendance à les considérercomme des alliés. Roger Wilson, par

exemple, a passé un accord avec les Ishirspour cogérer le ranch de Cardozo pendantvingt ans, avant de le leur confier entière-ment, à condition qu’ils préservent la forêt.

Mais, entre les Ishirs et les moonies, quicontrôlent des terres revendiquées par lesIshirs, y compris leurs zones sacrées desépulture, les choses ne sont pas aussi har-monieuses. Candido Martinez, chef ishiret élu de la ville de Bahia Negra, m’ex-plique : “Les cimetières sont nos terres les plusprécieuses et nous n’avons même pas le droitde nous y rendre.” (Les moonies semblentavoir une vision particulière du paradis surterre…)

Parfois, ce sont les tentatives des scien-tifiques pour rendre compte de la fantas-tique biodiversité de la région qui soulèventdes objections. En novem bre 2010, soixantebotanistes et zoologues des musées d’His-toire naturelle de Londres et du Paraguay,dirigés par Sandy Knapp, du musée bri-tannique, ont décidé de réaliser une grandeexpédition dans le but de découvrir desespèces inconnues dans l’extrême nord-ouest du Chaco. Mais, quelques semainesavant la date du départ, des représentantsayoreos se sont fermement opposés auprojet, au motif que les scientifiques ris-quaient de tomber sur une dizaine defamilles vivant coupées du monde dans leparc national Chovoreca.

Sans forêt, ils sont condamnésBenno Glauser, du groupe autochtoneIniciativa Amotocodie, a écrit au muséed’Histoire naturelle de Londres que l’ex-pédition constituait “indubitablement unrisque extrêmement élevé pour l’intégrité, lasécurité et le droit à la vie et à l’autodétermi-nation des groupes ayoreos isolés, de même quepour l’intégrité et la stabilité de leurs terri-toires.” Et de poursuivre : “Nous ne com-prenons pas pourquoi vous êtes prêts à sacrifierdes vies humaines juste parce que des scienti-fiques anglais veulent étudier des plantes et desanimaux. C’est un génocide.”

Survival, ONG londonienne qui sou-tient les peuples tribaux, partage ce pointde vue : “Le contact avec des groupes isolés estinvariablement violent, parfois fatal et tou-jours désastreux.” A défaut d’une adhésioncomplète des Ayoreos, Survival s’oppose àl’expédition, mais son porte-parole recon-naît qu’il existe des dangers plus immi-nents : “Franchement, l’expédition détournel’attention de la menace, autrement plussérieuse, de la déforestation galopante.”

Et cette diversion nuit beaucoup à lacause des Ayoreos. Sans forêt, ils sontcondamnés, estime Alberto Yanosky, le res-ponsable de Guyra Paraguay. En connais-sant mieux les espèces en danger, onpourrait attirer l’attention mondiale sur leChaco et contribuer ainsi à ce qu’il béné-ficie de la même considération que la forêtamazonienne. Selon Yanosky, une longuecampagne scientifique serait donc le plussûr moyen de sauver le Chaco et les Ayo-reos qui en dépendent. Vus sous cet angle,les scientifiques anglais restent leurmeilleur espoir. Fred Pearce

Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012 � 45

� Le cheptel du Chaco augmente rapidement.

� Membres d’un groupe d’Ayoreos.

Des taux de destructionqui atteignent à présent10 km2 par jour

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46 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Disponible uniquement en téléchargement, Nanun kkomsuda étrille le gouvernement avec allégresse. Cible phare : Son Excellence le Président.

Hankook Ilbo Séoul

�N anun kkomsuda [Je suis un com-binard] fait un tabac en Corée duSud. La popularité de ce talk-

show satirique [hebdomadaire] n’a jamaiscessé de grandir depuis sa première diffu-sion par podcasting, en avril dernier [il estdisponible seulement sur la plate-forme detéléchargement iTunes]. Comme le laisseentendre son sous-titre : “L’unique émissioncoréenne consacrée à Son Excellence le Prési-dent”, son principal objectif est d’attaquerde front le président Lee Myung-bak et sescollaborateurs. Le bouche-à- oreille en a faitun organe politique très écouté par lapopulation, donc redouté par le pouvoir.

Les raisons de ce succès sont mul-tiples : le défoulement ludique que permetla critique frontale du gouvernement, lavolubilité et l’humour des quatre anima-teurs, et le pouvoir grandissant de nou-veaux supports d’information dans uncontexte où les médias traditionnels sontjugulés. Le vrai moteur qui a transformécette émission en phénomène unique setrouve toutefois dans la capacité d’analysede l’équipe menée par Kim O-jun, 43 ans,directeur du journal satirique Ddanji Ilbo.

Kim et ses trois compères, ChungPong-ju, Chu Chin-u et Kim Yong-min,rapprochent différents événements a priorisans rapport les uns avec les autres et tis-sent ainsi une toile qui provoque l’excla-mation de l’auditeur : “J’ai enfin compris !”

Le principe d’analyse est le suivant :tout événement politique doit être com-pris du point de vue du président  LeeMyung-bak [qui a prêté serment enfévrier 2008]. Par exemple, deux dossiersqui ont marqué l’actualité de l’été dernier– l’affaire d’espionnage Wangjaesan [cinq

Médias

personnes arrêtées, dont un ancien diri-geant d’un parti d’opposition, accusées delivrer des secrets d’Etat à la Corée duNord] et l’arrestation de Kwak No-hyun,le surintendant de l’Académie de Séoul [élupar un scrutin direct et issu du camp pro-gressiste, il a été arrêté dans le cadre d’uneenquête sur des pots-de-vin] – auraient étéconcoctés par les services de renseigne-ments et le parquet, l’objectif étant d’em-pêcher la fusion des partis d’opposition etd’assurer une retraite paisible à Son Excel-lence le Président sans courir le risque devoir révélées des “affaires” après la fin deson mandat.

Au scénario d’une magouille politique,les analystes de Nanun kkomsuda ajoutentnombre de détails croustillants qui le

rendent si vraisemblable que les auditeursne se demandent plus s’il s’agit bien de lavérité. “Un avatar de la théorie du complot”,telle est la définition donnée à ce principepar Yi Taek-gwang, professeur à l’univer-sité Kyung-hee. “La réalité étant difficilementexplicable, on avance une hypothèse et on laconsidère comme prouvée dès lors que quelqueséléments la confortent. Les Coréens sont trèsfriands de ces théories du complot et Nanunkkomsuda a un talent exceptionnel en cedomaine.” Les gens n’accorderaient plus decrédit aux annonces officielles et cherche-raient systématiquement ce qu’elles ca -chent de connivences, de transactionsténébreuses et de combines. Fascinés parces propos de haute voltige, les auditeursse sentiraient alors privilégiés, car détenant

Corée du Sud

L’émission qui rend la politique croustillante

Nanun kkomsuda est né en avril 2011 à l’initiativede Kim O-jun, directeur du journal parodique en ligneDdanji Ilbo, créé en 1998.L’équipe réunit aussi l’anciendéputé Chung Pong-juet deux journalistes, KimYong-min et Chu Chin-u,dont le but est d’analyser et de critiquer la politique du gouvernement de Lee

Myung-bak. Leur franc-parler et leur humourassurent le succès de cetteémission, la première en Corée en nombre de téléchargements sur la plate-forme iTunes.Ces animateurs sortent deplus en plus du seul cadreweb pour aller à la rencontrede la population. Ainsi, le 1er décembre dernier,

leur “spectacle” a rassemblédans un parc situéà deux pas de l’Assembléenationale quelque100 000 spectateurs, venusse joindre à eux pourdemander la nullité d’unaccord de libre-échangeentre la Corée du Sud et les Etats-Unis ratifié sansconsultations par le parti aupouvoir à la fin de novembre.

Les quatre hommes sontaccueillis par une foule de fans partout où ils vont, y compris aux Etats-Unis, où ils ont effectué une tournée en décembre.En juillet dernier – faut-il y voir un lien avec le fait queces trublions dérangent ? – le site du journal Ddanji Ilboa été victime de hackers qui n’ont pas été identifiés.

Mobilisation

Du web à la rue

des informations de première importance.Les animateurs, quant à eux, après avoirmis au grand jour tout un complot,concluent que “Son Excellence le Présidentn’aurait jamais fait une chose pareille”. Unemanière de se protéger d’éventuels ennuisjudiciaires, mais aussi de reconnaître lalimite du récit qu’ils viennent de monterde toutes pièces.

Un autre facteur qui explique la popu-larité de Nanun kkomsuda réside dans l’en-vironnement médiatique, caractérisé parla crise des chaînes publiques. “Ce succèsrésulte des manœuvres du président, qui a

mis la main sur les médias, les empêchantd’aborder les sujets de société graves”,

avance le journaliste Kim Yong-min, 37 ans, qui participe à

l’émission. Yi Chang-hyun,professeur à l’universitéKook-min, partage cet

avis : “La presse ne joue pascorrectement son rôle de sur-veillant des appareils politiqueset, frustrés, les gens se tournent

vers Nanun kkomsuda.” Révéla-tions et critique de la classe dominantepermettent une catharsis, et le talent desparticipants au débat, qui décodent lejargon politique par le biais de la satire etde la parodie, permet au public de lever levoile qui dissimule la réalité. “Je ne savaispas que la politique était une chose aussi pas-sionnante”, commentent les auditeurs.

La forme de ce talk-show s’inspire parailleurs des émissions de divertissementcélèbres en Corée du Sud. Chacun des par-ticipants joue un rôle particulier. Kim O-jun critique avant tout les propos tenus parle président, Chung Pong-ju, un anciendéputé de 51 ans, révèle les dessous dela politique et le journaliste Chu Chin-u,38 ans, enrichit le débat en fournissant desdétails dans un style moins débridé maistout aussi incisif.

Nanun kkomsuda fait de la politique unspectacle, forme la plus prisée par lesjeunes auditeurs. C’est pourquoi on peutlui appliquer la même critique qu’à cesémissions dont le principe est avant toutque les participants s’amusent entre eux.Une sorte de divertissement politique fina-lement à double tranchant, car, si Nanunkkomsuda contribue à l’intérêt que les gensportent à la politique, cela reste au bout ducompte une satire, une caricature. �

� Dessin de Belle Mellor paru dans The Economist, Londres.

La presse ne joue pascorrectement son rôle desurveillant des appareilspolitiques et, frustrés, les gens se tournent versNanun kkomsuda

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Retrouvez sur notre site l’article“Sarkozy ; un modèle pour le président Lee Myung-bak.”

Page 47: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Ramayana

Beyrouth

Style

Insolites

La ville aux id

entités m

ultiples —

p. 48

La grande épopée indienne ra

contée d’un point de vue féminin —

p. 52

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courri

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En Suisse, i

l pleut des m

orts — p. 5

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Une mode berlinoise

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et durable —

p. 51

Page 48: Courrier International Du 05 Au 11 Janvier 2012

Voyage

Beyrouth,ville monde

48 � Courrier international | n° 1105 | du 5 au 11 janvier 2012

Aux yeux d’un journaliste irakien, la capitale du Liban est bien davantageque le Paris du Moyen-Orient : c’est la villeaux identités multiples dans une régionqui ne tolère plus la différence.

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The National Abou Dhabi

Peut-on être accro à un endroit ? Si oui,je crois que je suis accro à Beyrouth.J’ai beau être d’ascendance irakienne,je me suis rendu dans cette ville 22 foisdepuis 2004 et mon dernier séjourremonte à juin 2011. J’ai grandi en

écoutant la musique de Fairouz. Je regarde tousles ans le concours Miss Liban sur [la chaîne liba-naise] LBC et j’ai même suivi une fois un strictrégime libanais – sans houmous et croûtons, uni-quement à base de soupe de lentilles, de saladeset de poulet grillé (associé à un peu d’exercice :cela m’a permis de perdre neuf kilos).

Pour un grand nombre de personnes d’ori-gine arabe, Beyrouth est la capitale de tout : la cui-sine, la mode, la musique, les arts plastiques, lavie nocturne. Mais son rayonnement est mondial.Elle est bien plus que le Paris du Moyen-Orient.

La fête jusqu’au petit matinLe Liban reste toutefois obsédé par la France, cequi se comprend. Le pays a été jadis sous mandatfrançais avec la Syrie voisine [de 1920 à 1943]. LesLibanais en ont hérité la langue (le français estaussi répandu que l’arabe, la langue officielle), lacuisine et, bien sûr, la joie de vivre. Voilà au moinsun demi-siècle que Beyrouth se proclame le Parisde l’Orient.

En mettant en avant son côté parisien, elle aréussi à attirer l’attention du monde entier. Cequi me fait y retourner encore et encore, à partle travail, c’est cette atmosphère joyeuse et posi-tive. Elle a connu les guerres, les attentats, la vio-lence sectaire, mais les gens font toujours la fêtejusqu’au petit matin à Gemmayzé et Achrafieh[Beyrouth-Est] ; les cafés du centre et de Hamra[Beyrouth-Ouest] sont toujours bondés ; et lespistes de ski et les plages attirent toujours leurlot de visiteurs. Beyrouth ne cède pas devant lesguerres et les crises ; chacune d’entre elles ne faitque la rendre plus grande et plus étincelante. � 50

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Beyrouth la nuitEn famille sur la corniche.

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Beyrouth me fait penser à la fois àRome, à Erevan et à Buenos Aires. Elle a quelquechose d’Istanbul et de Téhéran, un peu de Rio deJaneiro et un soupçon de Madrid et de Caracas.Alexandra, l’amie vénézuélienne qui m’accom-pagne dans ce voyage, est d’accord sur ce dernierpoint – ce superbe mannequin a du sang libanaispar son arrière-grand-père.

La capitale libanaise souffre-t-elle dès lorsd’une crise d’identité  ? Oui et non, répondDaniela Khoury, une étudiante en architectureitalo-libanaise qui est née à Rome et qui étudie àMilan. “Beyrouth a toujours été un creuset de natio-nalités, de cultures et de religions, nous dit-elle. Phé-niciens, Romains, Ottomans et Français, tous ontgouverné un temps cette région. Chacun a apporté denouveaux styles architecturaux, de nouvelles langues,une cuisine différente et a construit ses propres sitesreligieux et culturels.”

Sans oublier, ajouté-je, que les millions deLibanais qui vivent à l’étranger – de Tokyo àToronto, de Londres à Lagos – contribuent tous,d’une façon ou d’une autre, à l’évolution perma-nente de Beyrouth. C’est tout cela qui fait de lacapitale libanaise ce qu’elle est aujourd’hui : uneville aux identités multiples. Tout en poursuivantla conversation, Daniela nous conduit aux ruinesdes thermes romains (dans le centre de Beyrouth,derrière la rue des Banques). “Les Romains sont

arrivés ici deux mille ans avant les Français”, nousdit-elle, tandis que nous explorons le site de laville que les Romains appelaient Berytus. “Regar-dez Baalbeck [une ville de la vallée de la Bekaa]. Ellepossède certains des plus importantes et des plus bellesruines romaines du monde.” Les thermes de Bey-routh ont été découverts dans les années 1960 etrestaurés à la fin des années 1990. Le site accueilledes concerts et d’autres événements en plein air,essentiellement durant les mois d’été.

“C’est comme Buenos Aires”Deux heures plus tard, conformément à l’hospi-talité libanaise qu’on lui a enseignée, Danielainsiste pour que nous déjeunions avec elle dansson restaurant préféré : La Parrilla, le plus connudes restaurants argentins de la ville. J’y fais laconnaissance de ses deux cousines, Claudia etMartina. Nées en Argentine, elles se rendent auLiban, la terre de leurs ancêtres, au moins unefois tous les deux ou trois ans et, même si BuenosAires est un autre monde, elles se sentent chezelles à Beyrouth.

“C’est comme Buenos Aires. La façon dont les genss’habillent, leur goût pour les activités de plein air et,bien sûr, la cuisine”, explique Martina, tandis quenous essayons le churrasco, avant de terminernotre repas par un délicieux fondant au chocolat.“Il y a même un festival international de tango tousles ans, au printemps”, ajoute Claudia.

Alexandra et moi prenons congé du trio etnous dirigeons vers les banlieues nord. Avant dequitter le centre, je jette un coup d’œil rapide àla grande mosquée Mohammed Al-Amin, placedes Martyrs. C’est l’ancien Premier ministreRafic Hariri qui a fait construire cet édifice destyle ottoman (il a été assassiné en 2005, deuxans avant la fin des travaux et il est enterré à côté).Sa magnifique coupole me fait penser à la Mosquée bleue d’Istanbul.

Douze kilomètres plus loin, sur la route quimène aux villes côtières du nord, près de ZoukMosbeh, une grande statue du Christ sur une col-line évoque celle qui domine Rio de Janeiro. “C’estpresque sa copie conforme”, me dit Youssef, notrechauffeur. C’est peut-être un Libanais expatrié auBrésil qui a apporté l’idée, lui dis-je. Nous arrivonsbientôt au Casino du Liban (à Maameltein, dansle nord-ouest de Beyrouth). Cet établissement destyle monégasque est essentiellement consacréau jeu, mais il vaut le détour pour ses nombreusessalles de restaurant et de spectacles. Voilà plus decinquante ans que la salle des Ambassadeursaccueille des représentations théâtrales et d’autresspectacles. Le lendemain, après une longue nuitau Casino du Liban, Alexandra décide de passer

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Pratique

Les bonnesadressesPartirAir France dessert l’aéroport de Beyrouthau départ de Paris CDG à raison de troisvols quotidiens. Aucune compagnie à bas coût n’atterrit au Liban. Pour lesressortissants français, belges, suisses et canadiens, le visa touristique est gratuitpour une durée de un mois. Aucunétranger n’est admis sur le territoirelibanais s’il est détenteur d’un passeportrevêtu de visas ou de tampons israéliens.

Se logerSi le mythique Hôtel Saint-Georges n’atoujours pas été restauré, des dizainesd’hôtels cinq étoiles sans âme destinés àune riche clientèle arabe ont vu le jour cesdix dernières années à Beyrouth. PréférezL’Albergo (albergobeirut.com), qui faitpartie du réseau Relais & Châteaux.Pour les petites bourses : les Saifi UrbanGardens (saifigardens.com) dans lequartier Gemmayzé, des chambrespropres, une école de langues, un café et un pub sur le toit ; le centre culturelalternatif Zico House (zicohouse.org)offre des chambres à des prix raisonnables.

Se restaurerBeyrouth est sans aucun doute la capitalegastronomique du monde arabe. On ytrouve des centaines de bons restaurantsservant de la cuisine régionale, mais aussieuropéenne, asiatique, sud-américaine. Lenouveau restaurant international en vogueà Beyrouth est le Momo, au cœur du centre-ville. Comme Le 404 à Paris, Momo proposeune cuisine mi-marocaine, mi-française. Il faut réserver des jours à l’avance. Pourles amateurs de cuisine libanaise, AbdelWahab, dans le quartier Achrafieh. Plusabordable, Aunty Salwa, dans le quartierHamra, offre une cuisine familiale et saine àdeux pas de l’Université américaine. BreadRepublic, situé dans un passage de la rueHamra, est un minuscule restaurant bio qui est devenu le lieu de rencontres desLibanais “normaux”. Ici les femmes ne sontni voilées ni liftées, et les hommes nedébarquent pas des pays du Golfe. Des jeunes couples en jeans, des profscorrigeant leurs copies donnent au lieu un petit air du Beyrouth des années 1970.A Jounieh, au nord de Beyrouth, ondéguste les meilleurs poissons du Libanchez Sami, dans une vieille maisonlibanaise. La banlieue de Bourj Hammoud,appelée la Petite Arménie, compte deuxexcellents restaurants arméniens : Varouj,rue Royale Maracha, et Onno, rue Aghabios.

SortirPour les amateurs de narguilé (chicha), le café Raouda, dans le quartier Manara.Dominant la mer, ce café brasse lescommunautés et les classes sociales.

En savoir plusLe city magazine Time Out Beirut(timeoutbeirut.com)

SYRIE

LIBAN

JORDANIE

ISRAËL

CHYPRE

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PALESTINE

TURQUIE

ÉGYPTE

ZoukMosbeh

Port

Ville de Jounieh

Casino du Liban

Beyrouthintra-muros Population

Beyrouth intra-muros1 200 000 habitantsAgglomération2 millions d’habitants (environ 50 % de la population du pays)

Aéroport internationalRafic Hariri

Quartierd’Achrafieh

Zones majoritairementmusulmaneschrétiennes

Al-Dahiyeh

Secteur de GemmayzéMosquéeAl-Amin

BourjHammoudSecteur

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Fleuve Beyrouth

10 km

Une capitale aux multiples visages

L’envers du décor

La multiplication des lieux de plaisir, le relatif respect de lamixité et des libertésprivées ne doivent pas faire oublier lesblessures de la ville.Les constructionshideuses etanarchiques, leschaussées défoncées,la cherté de la vieempoisonnent la viedes Beyrouthins. Les embouteillagesmonstres augmententle taux de pollutiondéjà très élevé de la ville. En 2011, on dénombrait 500voitures pour 1 000habitants. Les plageslibanaises, privées etchères pour la plupart,sont les plus polluéesde la Méditerranée.Enfin, dernière victimede la spéculationimmobilière, le théâtrede Beyrouth, qui avaitrésisté durant toutesles années de laguerre, devrait êtredétruit en 2012 au profit d’un centrecommercial. A moinsque le ministère de la Culture neparvienne à le classercomme patrimoineculturel, ainsi que le réclament les signataires d’unepétition en ligne.

GemmayzéLe nouveau quartier branché.

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un peu de temps au spa de l’hôtel Phœnicia Inter-continental. Pour ma part, je me rends à Dahiyeh,c’est-à-dire en banlieue [chiite] sud. Les femmesen minijupe et petit haut n’ont rien d’exception-nel à Beyrouth, mais ici, on se croirait à Téhéran :femmes en tchador, graffitis antiaméricains etaffiches géantes de l’ayatollah Khomeyni et deHassan Nasrallah, le chef du Hezbollah.

Je rencontre Ghassan Ali, un ancien journa-liste âgé d’une petite trentaine d’années. Il mefait visiter son immeuble, qui a été endommagélors de l’attaque israélienne de 2006, et m’ex-plique un peu plus en détail la crise d’identité deBeyrouth. “Le Liban compte des dizaines de groupesethniques et religieux. Malgré la guerre civile (1975-1991) et d’autres tensions politiques plus récentes, ilscontinuent à coexister et chacun respecte les convic-tions et les origines de l’autre. Ils sont complémen-taires. Cette diversité fait partie de notre patrimoine.Dahiyeh ne voit aucun inconvénient à être une ver-sion miniature de Téhéran, de même que Jounieh [villecôtière chrétienne] n’est pas mécontente de son stylede vie très Côte d’Azur. Ce sont deux mondes aux anti-podes, mais éloignés d’à peine 20 kilomètres.”

Le quartier de la petite ArménieAucun endroit de Beyrouth n’est aussi typiqueque Bourj Hammoud, ma destination suivante.On appelle ce quartier la Petite Arménie, car seshabitants sont en majorité arméniens. Situé dansle nord-est de la capitale, il abrite aujourd’hui plu-sieurs dizaines de milliers de descendants de res-capés du génocide perpétré à leur encontre il y après de cent ans [en 1915-1916]. Avec ses maga-sins et ses restaurants spécialisés, on a l’impres-sion d’être à Erevan, la capitale de l’Arménie.

L’architecture, en particulier les églises, et lenom des rues sont surprenants dans un Moyen-Orient dominé par les Arabes. Le quartier est éga-lement réputé chez les amateurs d’artisanat, dechaudronnerie d’art et d’objets en cuivre. Le mar-chandage est toujours possible.

La différence la plus évidente entreBourj Hammoud et le reste de Beyrouth, c’estqu’ici la cuisine arménienne règne en maître. Detous les restaurants arméniens du quartier, monpréféré est Varouj. Situé dans une petite rue, lelieu est minuscule puisqu’il n’a que quatre tables.Le fils fait la cuisine pendant que le père s’occupedes clients. On y trouve des spécialités commeles foies de volaille sautés ou cuits au four, du pas-terma [bœuf séché aux épices], des soudjouk [sau-cisses épicées] et même des cuisses de grenouilles.On m’avait vivement conseillé de réserver mais,à ma grande déception, le restaurant était pleinquand je suis arrivé. Je me suis donc rendu chezOnno, un autre établissement très couru, célèbrepour ses kofte [boulettes de viande hachée], sessalades arméniennes et ses kebabs. Les prix sontabordables et les portions généreuses.

A la tombée de la nuit, je reviens dans le centreoù j’avais laissé Alexandra faire son shopping. Elleest encore en train d’examiner les derniers sacsde styliste quand notre chauffeur nous presse denous dépêcher, sinon nous allons rater le clou duvoyage, un tour en montgolfière. Alors que leballon s’élève dans les airs, je demande à Alexan-dra : “Est-ce que Beyrouth ressemble à Paris vu dehaut ? Même si Paris se trouvait sur la Méditerranéeet non sur la Seine, et qu’il y eût une belle chaîne demontagnes couvertes de forêts en arrière-plan, il man-querait la tour Eiffel.” Tandis que nous évoluonsdans le ciel orangé du couchant, au-dessus desgratte-ciel, des minarets et des routes, Alexandrame murmure : “Mais, à la différence à Paris, Bey-routh possède la beauté et le charme d’au moins vingtvilles des cinq continents.” Et je me souviens queCarlos, un ami libanais qui vit à Dubaï, m’a dit :“Beyrouth n’est pas Paris, Beyrouth est le mondeentier.” Mariwan Salihi

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Mode

La révolutionpasse par le pantalonLa marque berlinoise Schmidttakahashirécupère les vieux vêtements pour les transformer, les assembler et créerdes pièces uniques. Une déclaration de guerre au gaspillage et à l’oubli.

Frankfurter Allgemeine Zeitung(extraits) Francfort

Bien sûr, rien ne m’obligeait à noircirune demi-page sur une marque ber-linoise qui diffuse ses créations dansune poignée de boutiques. Bien sûr,Eugenie Schmidt et Mariko Takaha-shi ne travaillent pas que pour un

monde meilleur, elles le font aussi pour elles. Maisces deux stylistes du quartier de Kreuzberg déve-loppent un projet qui a de quoi faire réfléchir lesconsommateurs de mode, et ce durablement.“Réanimation”, tel est le nom de leur entreprise.Ce projet de fin d’études qui a pris forme avec lamarque Schmidttakahashi pourrait donner unpeu de vie au débat sur la “fast fashion” [mode àdurée de vie limitée] – et conférer à la mode unevaleur toute nouvelle. Eugenie, allemande, 32 ans,et Mariko, japonaise, 37 ans, ont fait des études

de stylisme – un art en voie d’extinction – dansles années 2000 à l’école des beaux-arts de Berlin-Weißensee. Alors que la mode éphémère desgrandes chaînes textiles commençait à inonderle marché de produits à bas prix, les deux stylistesse sont émerveillées, en tant que consommatrices,de ce nouveau monde. “Mais le revers de la médaille,c’est que la mode crée des déchets, de l’inégalité sociale,et qu’elle pollue l’environnement.” Avec un niveaude prix très bas et une offre surabondante renduspossible par la faiblesse des salaires en Asie, laquantité de vêtements usagés explose, ce quidétruit les marchés du prêt-à-porter et paralysela production en Afrique.

La guerre contre le gaspillage commenceavec la collecte des vieux vêtements. Les deuxstylistes en récupèrent auprès de volontairesqu’elles interrogent sur l’histoire de leurs fripeset à qui elles demandent une adresse électro-nique. Les donateurs reçoivent alors un numérod’identification. Ensuite, photos à l’appui, ilspourront suivre leurs chiffons et voir ce qu’ilssont devenus. “L’intérêt des vêtements d’occasiontient à leur histoire”, affirme Eugenie avec convic-tion. Et les clients pourront la connaître : en pho-to graphiant avec un smartphone le QR code despièces finales, ils pourront découvrir l’identitéde leur ancien propriétaire. Avec les moyenstechniques d’aujourd’hui, ce n’est pas compli-qué. Mais, pour Eugenie Schmidt et MarikoTakahashi, le renversement des valeurs de lamode représente une véritable révolution : “Nousvoulons inverser le sens de l’histoire.”

Elles veulent faire pousser une sorte d’arbregénérationnel, ont-elles déclaré au musée desArts appliqués de Francfort (MAK), où elles ontparticipé en novembre à une exposition sur ledéveloppement durable. Notre époque a mau-vaise mémoire, la mode encore plus que le reste.Le concept de Schmidttakahashi va de pair aveccette tendance plus générale à vouloir connaîtreses ancêtres ou à présenter sur Facebook unepetite biographie par dates. “L’histoire person-nelle, c’est un sujet important et c’est dans l’air dutemps”, commente Sabine Runde. La directriceadjointe du MAK rapproche également leconcept de la redécouverte de vieilles tech-niques  : en ces temps où le public stitching[réunions publiques de couture] a le vent enpoupe, les travaux manuels de nos grands-mèresredeviennent à la mode. Et l’époque d’après-guerre où les hommes portaient les manteauxdes anciens soldats et où les femmes se cou-saient des chemisiers avec de la toile de para-chute semble resurgir. Simple illusion ? Lestemps de crise qui nous attendent feront peut-être de ce projet rétro un programme futuriste.Alfons Kaiser

Créationsprésentées en novembre au musée d’Artsappliquésà Francfort-sur-le-Main dans le cadre de l’exposition“Matériauxrevisités”

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Repères

Les deux stylistesEugenie Schmidt et Mariko Takahashiont créé la marqueSchmidttakahashi(www.schmidttakahashi.de) en 2009 etdisposent déjà d’unebanque de données de quelque 2 000pièces. En installantleurs propresconteneurs de récupération dans des boutiques,des institutions ou leur propre atelier(qu’elles viennentd’agrandir de20 mètres carrés par nécessité), ellesont non seulementcollecté le matériau de leurs créations,mais commencé àgénérer un “réseausocial”. Ce travail –qu’elles situent “aucroisement de l’art, de la mode et de latechnologie” – se vend,selon le quotidien DieWelt, “peu chercomparé au travailinvesti”. Les prixdémarrent à 120 euros,mais peuvent grimperjusqu’à1 000 euros.

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Mid Day (extraits) Bombay

Nous connaissons l’histoire parcœur. Depuis notre enfance, nousavons lu, écouté et vu représenterle Ramayana [poème épique hin -dou racontant les aventures duprince Rama et de son épouse,

Sita ; voir encadré p. 47]. Mais combien de foisavons-nous pris le temps de réfléchir au sort deSita, l’héroïne de cette épopée ? Qu’a-t-elle res-senti lorsqu’elle a été enlevée et tenue en capti-vité ? Etait-elle en colère quand, après l’avoirdélivrée, Rama a douté de sa pureté ? S’est-ellesentie humiliée quand on lui a demandé de prou-ver publiquement sa virginité ?

Samhita Arni tente de nous apporter des élé-ments de réponse dans son récit graphique Sita’sRamayana* [Le Ramayana de Sita]. Cette auteurede Bangalore [sud de l’Inde] avait déjà publié ily a quinze ans, alors qu’elle avait tout juste 12 ans, une adaptation du Mahabharata [LeMahabharata raconté par Samhita Arni, GallimardJeunesse, 2003], dont elle avait réalisé à la foisles textes et les illustrations. Cette fois, les illus-trations sont de l’artiste Moyna Chitrakar, unepeintre du Bengale-Occidental spécialiste dupatua, un style originaire de cette région du nord-est de l’Inde. A l’aide de teintures végétales etminérales, les peintres patua représentent desrécits épiques ou mythologiques sur des rou-leaux de papier artisanal marouflé sur une toilefine. Ils vont généralement de village en villagepour chanter les histoires qu’ils ont peintes.

L’écriture sobre de Samhita Arni dote Sitad’une parole, voire d’une conscience : une petitevoix intérieure la fait s’interroger sur les événements qui se déroulent autour d’elle. L’auteure, qui a fait des études de théologie etde cinéma aux Etats-Unis, travaille actuellementà un thriller intitulé Searching for Sita [A larecherche de Sita].

Comment est né Sita’s Ramayana ?Samhita Arni C’est le thriller auquel je tra-vaille en ce moment qui est à l’origine de ceroman graphique. Au cours de mes recherches,je suis tombée sur toute une série de versionstrès intéressantes du Ramayana. Au festival delittérature de Jaipur, en janvier 2011, j’ai ren-contré les éditeurs de Tara Books : ils m’ontdit que l’artiste patua Moyna Chitrakar étaiten train de travailler à un récit inspiré duRamayana. Cette version patua abordait l’épo-pée d’un point de vue féministe. J’ai décidé derester fidèle à la vision de l’artiste en mêlantmes mots à ses illustrations.

Pourquoi avoir décidé de raconterl’histoire du point de vue de Sita ?Au cours de mes recherches, je suis tombée sur

un chant traditionnel de mariage en télougou[langue du sud de l’Inde] qui met en garde :“Ne marie pas ta fille à un homme d’Ayodhya[capitale du royaume de Rama].” De même,Chandravati, que l’on considère comme la pre-mière poétesse bengalie, a écrit en 1550 uneversion du Ramayana qui adopte le point devue de Sita et remet en question le comporte-ment de Rama. Et puis, enfant, j’étais mal àl’aise avec la façon dont Sita était présentéedans l’épopée. La dernière partie de l’histoire,le moment où Rama décide de mettre Sita àl’épreuve parce qu’il doute de sa virginité, estescamotée dans la plupart des versions. Par-fois, cette fin est réécrite, et Rama et Sita sontunis et heureux à jamais. J’ai voulu raconterune histoire où les événements seraient vus àtravers les yeux de Sita.

Le livre

LeRamayanacôté femmesSamhita Arni réécrit la grande épopéeindienne dans une perspectiveféminine. Elle donne la vedette nonplus au prince Rama, mais à sonépouse, Sita, qui raconte l’histoire.

En français

Les éditions Diane de Selliers ont publiéen septembre 2011l’intégralité del’épopée du Ramayanatraduite en français et illustrée par 660 miniaturesindiennes, dont certaines sont inédites.C’est à la fin duXVIe siècle quel’empereur mogholAkbar décide de fairetraduire le Ramayanadu sanskrit en persanet de le faire illustrerpar 176 miniaturesdans un premiermanuscrit moghol.Pendant près de troiscents ans, des milliersde miniatures serontpeintes dans toutel’Inde. Dix ans de recherches dans lemonde entier ont éténécessaires à l’éditricepour sélectionner les peintures. La traduction dusanskrit en français a été dirigée par la philosophe etindianiste MadeleineBiardeau, qui a déjà traduit le Mahabharata,l’autre grande épopée indienne.Sept volumes, 1 480 pages. 850 eurosjusqu’au 31 janvier2012, 940 eurosensuite.

LA GUERRE, EN UN SENS, EST CHARITABLE AVEC LES HOMMES.

Elle fait d’eux des héros s’ils sont vainqueurs. Et, s’ils sontvaincus, ils ne sont plus là pour voir leurs maisonsoccupées, leurs femmes veuves. Mais, quand on est une femme, il faut endurer la défaite…

… on se retrouve mère en deuil de ses fils, veuve ou orpheline�; ou pis, prisonnière.

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Dans votre récit graphique, d’autresfemmes, comme Shurpanakha [sœurdu démon Ravana], Trijata [laconfidente de Sita] et Tara [épouse de Valin, roi des singes usurpateur],posent des questions existentielles de la même veine que celles de Sita.Vous savez, la guerre fait des hommes des héros.Les femmes, elles, perdent sur tous les fronts.La guerre leur prend leurs enfants, leurs mariset leurs pères. Tara, l’épouse de Valin, qu’elleaime profondément, est horrifiée lorsque sonfrère Sugriva le fait tuer. Sugriva veut faire d’elleson épouse, mais elle refuse de lui appartenir.De même Trijata, éternelle confidente de Sita,médite sur la guerre et les destructions qu’elleva provoquer. Elle choisit de rester avec les sienssur l’île de Lanka plutôt que les abandonner.

Quand Rama retrouve Sita après laconquête de Lanka, il met sa chastetéen doute. Comment cet épisode est-ilprésenté dans votre livre ?D’une certaine façon, je comprends Rama. Lors-qu’il retrouve sa femme après la guerre, Rama aun goût amer dans la bouche. Non seulement ila souffert pour elle, mais il a aussi dû accepterqu’elle soit captive d’un autre homme [le démonRavana]. Il devient indispensable pour lui desavoir si Sita est restée pure. Quand il douted’elle après leurs retrouvailles, c’en est trop pourSita. Elle refuse de prouver publiquement sachasteté. Ces moments conflictuels sont trèsimportants pour le récit.Propos recueillis par Amrita Bose* Ed. Tara Books, New Delhi, 2011. Pas encore traduit en français.

Eclairage

Un texte, mille et une versionsLe Ramayana, ou légende de Rama, estavec le Mahabharata l’un des deux grandspoèmes épiques de l’Inde et le socle desrègles qui structurent l’hindouisme, sahiérarchie de castes, ses notions depureté et de sacrifice. La tradition attribuece texte écrit en sanscrit il y a un peu plusde deux mille ans à l’ermite Valmiki.L’épopée relate en 7 chants et 48 000 versl’histoire du prince Rama en exil, et de safemme, Sita. Au cours de l’épisode le pluscélèbre, le démon Ravana enlève Sita et latient prisonnière à Lanka (aujourd’hui le SriLanka). Le dieu Hanuman et son armée desinges la délivrent, mais Rama refused’accueillir Sita, son peuple pensant à tortqu’elle lui a été infidèle durant sa captivité.Humiliée par cette répudiation, Sita montesur un bûcher, mais le feu l’épargne,preuve de sa chasteté préservée.En plus de deux millénaires, cette histoirea été traduite dans toutes les langues del’Inde et de l’Asie du Sud-Est, etréinterprétée en fonction des traditionsreligieuses et artistiques locales, donnantnaissance à une multitude de Ramayanadifférents. L’essayiste et poète A.K. Ramanujan a analysé et célébré en1987 cette diversité dans un texte devenuun classique et étudié à l’université, Three Hundred Ramayanas [Trois centsRamayanas].Mais la vision universaliste et humanistedu Ramayana véhiculée par Ramanujan se heurte à celle de groupes hindousextrémistes pour lesquels “il n’y a qu’unRamayana, celui de Valmiki, c’est-à-dire la version aryenne et sanskrite du récit,venue de l’Inde du Nord”, commel’explique la journaliste SudhaRamachandran dans le magazine en ligneAsia Times. Au terme de trois ans decombat, les militants hindouistes ontobtenu en octobre dernier de l’universitéde Delhi qu’elle retire de sa liste delectures recommandées en licenced’histoire ce texte, jugé “blasphématoireet insultant pour les croyances de millionsd’hindous”. Les militants avaient saisi laCour suprême et obtenu la constitutiond’un comité d’experts chargé de statuersur le sort de Three Hundred Ramayanas.L’argumentation d’un seul de ces experts a suffi pour faire pencher la balance en faveur de la mise à l’index, déplore le magazine Open.“Cette décision m’effraie, car ellecontribue à asseoir l’idée que le Ramayanaest la propriété exclusive des hindous etfeint d’ignorer que ce récit a été raconté et re-raconté par des musulmans, des bouddhistes et des gens d’autresconfessions”, réagissait l’auteure de Sita’sRamayana, Samhita Arni, dans le quotidien Indian Express. Les futuresgénérations d’étudiants seront malarmées pour comprendre la réalité de l’Inde, redoutait-elle aussi dans le magazine Tehelka.

JE PENSAIS QUE LA FIN DE LA GUERREM’APPORTERAIT LA LIBERTÉ. J’AVAISESPÉRÉ DE L’AMOUR. J’AVAIS ESPÉRÉ DELA JUSTICE. IL N’EN FUT RIEN. AU LIEUD’AMOUR, J’AI EU DROIT AU SOUPÇON. AULIEU DE JUSTICE, J’AI EU DROIT AUX FAUSSESACCUSATIONS ET À LA MÉFIANCE.

OÙ POUVAIS-JE ALLER ?QUE POUVAIS-JE FAIRE ?

MAIS JE N’AI RIEN SENTI. LE FEUREFUSAIT DE ME TOUCHER.

Je suis entrée dans les flammes dugrand bûcher qu’avait bâti Lakshmana.

Planche extraite du récit graphiqueSita’s Ramayanade Samhita Arni,illustré par MoynaChitrakar, publié aux EditionsTara Books, New Delhi, 2011.

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Insolites

lurette, mais un nouvel édifice commé-more aujourd’hui la fronde des fidèles.Construit en quinze jours, l’“igloo deDieu”, comme l’a surnommé la presseallemande, peut abriter 200 personnes.Cette structure devrait tenir jusqu’enmars. L’installation aura coûté quelque100 000 euros. (Der Spiegel, Hambourg)

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Il pleut des morts Disperser les cendres des défunts paravion ou montgolfière : cette pratique estde plus en plus prisée en Suisse. Mais cesrestes qui pleuvent du ciel sont-ils dan-gereux pour la santé ? Que nenni, affirmeDoris Leuthard, la ministre de l’Envi-ronnement, interrogée par une éluecantonale, Mme Flückiger-Bäni. La dis-persion des cendres funéraires dans lanature ne provoque aucun problème sani-taire ni écologique, assure la ministre.“L’incinération s’effectue à 900 degrés, aussi

même le mercure contenu dans les plombagesdes dents s’évapore et est récupéré dans lesfiltres des installations crématoires. Il n’y aen outre pas lieu de penser que les cendrespuissent être assimilées par la bouche ou lapeau.” Quant au lieu d’atterrissage ducher disparu, il est impossible à prévoir.Les règles relatives à l’inhumation ontbeau être du ressort des cantons, ellesdeviennent de facto une question fédé-rale, estime Mme Flückiger-Bäni.(L’Impartial, Suisse)

L’affaire des beignetsexplosifs Treize lecteurs brûlés à l’huile bouillanteen suivant au pied de la lettre une recette de churros publiée par un grand quotidien chilien ont eu gain de cause. La Terceraa été condamnée à indemniser les infortunées victimes des “beignetsexplosifs”. Les dommages étaientinévitables pour “quiconque suivaitscrupuleusement les instructionsdu journal”, a établi la Cour suprêmechilienne. En jetant dans une “huileportée à 250 degrés une pâte entre 22 et 24 degrés, il se produit des explosionssi violentes que les éclaboussuresmontent jusqu’au plafond et aspergent le cuisinier”, a statué la justice. Le groupe de presse Copesadevra verser au total 85 millions de pesos (126 000 euros) aux victimes de la recette explosive. cronicalibre.cl

L’igloo de DieuLas de devoir crapahuter quatre-vingt-dix minutes pour se rendre à la messe,les habitants de Mitterfirmiansreut, enBavière, réclamaient leur propre église.Les autorités religieuses, elles, ne vou-laient rien entendre. En signe de rébel-lion, les villageois construisirent leurpropre lieu de culte – en glace. C’étaiten 1911. L’église a fondu depuis belle

Face à l’ampleur des protestations, leministre des Infrastructures israélien,Uzi Landau, a retiré son projet de loi surl’électricité cachère. Selon ses opposants,ce projet aurait attribué au rabbinatisraélien un pouvoir de supervision sur la production d’électricité du pays.La proposition de loi faisait suite àl’opposition de milieux orthodoxes quirefusent d’utiliser le courant électriqueproduit par Israel Electric Corporation(IEC), estimant qu’elle viole les règlesdu shabbat. Ils obtiennent d’ailleurs leurélectricité grâce à de petits générateursdont l’usage et le raccordement auréseau électrique du pays sont illégauxet particulièrement dangereux : ils sontresponsables de plusieurs électrocutionsen Israël. La solution proposée par le projet de loi de Landau plaçait dansles centrales des contrôleurs chargés de s’assurer du respect des règles dujudaïsme et donnait au rabbinat israélienla possibilité de couper le courant. Une pétition en ligne a rassemblé prèsde 13 000 signatures, une vague de protestation a envahi les réseauxsociaux sur Internet et des manifestationsont été organisées devant la Knesset etdevant le domicile de Landau. Celui-cin’a pas eu d’autre choix que de renoncerà son projet. “L’objectif du projet de loiétait d’éviter de mettre des vies humainesen danger à cause du piratage de l’électricité”, s’est défendu Landau.David Koskas, Israel-infos.net

L’électricitécachère n’est plus au programme

Privatiser - jusqu’au boutMargaret Thatcher est toujours de cemonde, mais certains pensent déjà auxfunérailles de la Dame de fer. Une pétitionen ligne appelle à privatiser la cérémonied’adieu à l’ex-Premier ministre britannique,chantre du libéralisme. En voici la teneur :

E-PÉTITIONPrivatisation des funérailles d’Etatde Margaret ThatcherDépartement responsable : servicesdu Premier ministre

Dans la droite ligne du legs de la grandedame, les funérailles nationales de Mar-garet Thatcher devraient être financées

et gérées par le secteur privé afin d’offrirle meilleur rapport qualité-prix et lemeilleur choix aux consommateurs finauxet autres parties prenantes. Les soussignésestiment que ce que l’ancienne Premierministre nous a laissé en héritage nemérite rien de moins. Cette opportunitéunique est un moyen idéal pour réduireles dépenses du gouvernement et prou-ver plus avant le bien-fondé de la libéra-lisation de l’économie défendue par labaronne Thatcher.

A l’heure où nous mettons sous presse,cette pétition a recueilli 23 044 signa-tures. (The Guardian, Londres)

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