65
N° 1180 du 13 au 19 juin 2013 courrierinternational.com France : 3,70    A     f    r     i    q    u    e    C    F    A    2    8    0    0    F    C    F    A    A     l    g     é    r     i    e    4    5    0    D    A    A     l     l    e    m    a    g    n    e    4  ,    2    0       A    u    t    r     i    c     h    e    4  ,    2    0       C    a    n    a     d    a    6  ,    5    0    $    C    A    N    D    O    M    4  ,    4    0       E    s    p    a    g    n    e    4  ,    2    0       E      U    6  ,    9    5    $    U    S    G      B    3  ,    5    0    £    G    r     è    c    e    4  ,    2    0       I    r     l    a    n     d    e    4  ,    2    0       I    t    a     l     i    e    4  ,    2    0       J    a    p    o    n    7    5    0    ¥    M    a    r    o    c    3    2    D    H    N    o    r    v     è    g    e    5    2    N    O    K    P    a    y    s      B    a    s    4  ,    2    0       P    o    r    t    u    g    a     l    c    o    n    t  .    4  ,    2    0       S    u     i    s    s    e    6  ,    2    0    C    H    F    T    O    M    7    4    0    C    F    P    T    u    n     i    s     i    e    5    D    T    U ;  FRANCE— CLÉMENT MÉRIC : UNE AFFAIRE POLITIQUE,  VRAIMENT ?  ÉT A TS-UNIS— LES DÉRIVES DE BIG BROTHER Russie Les extraterrestres de la taïga Techno Ces objets qui prennent vie  El ec ti on fermée Société  bl oq e  Me nace de guerre  L I R A N  P a s de pr i n tem ps  po ur 

COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

  • Upload
    nacer2

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 1/65

N° 1180 du 13 au 19 juin 2013courrierinternational.comFrance : 3,70 €

   A    f   r    i   q   u   e   C   F   A   2   8   0   0   F   C   F   A   A    l   g    é   r    i   e   4   5   0   D   A

   A    l    l   e   m   a   g   n   e   4 ,   2   0   €   A   u   t   r    i   c    h   e   4 ,   2   0   €

   C   a   n   a    d   a   6 ,   5   0   $   C   A   N   D   O   M   4 ,   4   0   €

   E   s   p   a   g   n   e   4 ,   2   0   €   E  -   U   6 ,   9   5   $   U   S   G  -   B   3 ,   5   0   £

   G   r    è   c   e   4 ,   2   0   €   I   r    l   a   n    d   e   4 ,   2   0   €   I   t   a    l    i   e   4 ,   2   0   €

   J   a   p   o   n   7   5   0   ¥   M   a   r   o   c   3   2   D   H

  è

3 ;

 FRANCE—CLÉMENT MÉRIC :

UNE AFFAIREPOLITIQUE,

 VRAIMENT ? ÉTATS-UNIS—LES DÉRIVES

DE BIG BROTHER 

Russie—Lesextraterrestres

de la taïga

TechnoCes objets quiprennent vie

 Election

ferméeSociété

 bloquée

 Menacede guerre

 L’IRAN Pas de printemps

 pour 

Page 2: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 2/65

Page 3: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 3/65

Page 4: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 4/65

7 jours dans le monde9. Portrait. Ada Colau, une des

“Méditerranéennes” dont Serge Moatibrosse le portrait dansun documentaire du même nomsur France 2

10. Controverse. Imposer des droitsde douane au solaire chinois,estce légitime ?

D’un continent à l’autre

 AFRIQUE16. Tunisie. Union libre ou mariagecoutumier?

17. Mali. Kidal, ville lugubreet sous pression

18. Afrique du Sud. Jacob Zumaet ses bons amis indiens

 ASIE20. Cambodge. Apprendre le chinois :

un must22. Inde. Mehmeet, la voix tranquille

du Cachemire

 AMÉRIQUES24. Etats-Unis. La NSA joue à Big Brother26. Équateur. Entre les Andes et l’océan,

un train d’union

EUROPE28. Portugal. Touche pas à ma poste!29. Allemagne. Les jardins ouvriers

entre immigration et gentrification30. Italie. Dans le Guantánamo de Rome

FRANCE31. Société. Les extrêmes aux anges32. Culture. Il joue de la tour Eiffel

Transversales42. Sciences et innovations. Quand tous

nos objets seront programmables49. Economie. Ici, on accepteles sampaios

50. Médias. La presse égyptiennerappelée à l’ordre

51. Signaux. Cartographie de la passionamoureuse

360º56. Plein écran. 100% Kentucky58. Voyage. Kosice ou l’éveil de la belle

endormie60. Tendances. Utopies pour riches

Cairotes62. Histoire. La belle légende d’Amnesty

Candidats soigneusement sélectionnés, Internet verrouillé :la présidentielle confirme les blocages d’un pays écono-miquement asphyxié et dont le programme nucléairenourrit les spéculations sur l’imminence d’une guerre.

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

ÉDITORIALÉRIC CHOL

La femme

qui voit rouge

Les reculades répétées de laMaison-Blanche ont fini parsemer le doute sur la doctrine

de Barack Obama en matière depolitique étrangère. Il y a bien cettefameuse ligne rouge, évoquée l’étédernier, à ne pas franchir sous peinede déclencher le feu américain.Mais depuis que l’on sait aveccertitude que des gaz chimiquesont été utilisés dans le conflit syrien,que s’est-il passé ? Rien.La diplomatie américaine estengluée dans l’immobilisme. Obamafait du Obama. Pas question de fairerepartir les boys rentrés d’Irak

ou d’Afghanistan dans un nouveaupiège guerrier. Les folles équipéesde l’ère Bush appartiennent aupassé. D’ailleurs, selon une blagueen vogue ces jours-ci à Washington,il n’y aurait plus une ligne rouge,mais cinquante nuances de rouge.Pardon, on avait mal compris. Leproblème, c’est que les “bons amis”des Etats-Unis, à Damas, à Téhéranou à Pyongyang, ont reçu le message5 sur 5 : la détermination duprésident américain est à géométrie

 variable. Il y a fort à parier que lesconservateurs iraniens, réconfortéspar le scrutin présidentiel du 14 juin,soient tentés de tester ce camaïeude rouge esquissé par laMaison-Blanche. Ils auraient tort.Car, comme l’écrit la revue Foreign

 Affairs*, la nomination de SamanthaPower comme ambassadriceauprès des Nations unies pourraitfinalement changer la diplomatieaméricaine. Face aux atrocitéscommises dans le monde, cetteancienne journaliste de guerre refusela passivité des politiques. Dans lagrande maison de verre des Nationsunies, elle sera pour Barack Obamala femme qui voit rouge.

* “How Samantha Power could change U.S.diplomacy”,Suzanne Nossel, Foreign Affairs(5/6/13)

En couverture :—Dessin de Mana Neyestani (Iran)extrait de son recueil “Tout va bien !”, paru aux Editions çà et là (Paris, 2013).—Dessin de Joe Magee, Royaume-Uni.

Retrouvez Eric Cholchaque matin à 6 h 55,

dans la chronique

“Où va le monde”sur 101.1 FM

Sommaire

4.

ru briques

Désormais exilé à Hong Kong, cet ancien employéde la CIA a décidé de dénoncer les abus de la trèspuissante Agence de sécurité nationale américaine.(Lire aussi “La NSA joue à Big Brother”, p. 24.)

p.14

Turquie “Le mur de la peurs’est fissuré”Pour l’universitaire et éditorialiste Ahmet Insel,les événements montrent qu’une nouvelle générationa “pris goût au souffle de la liberté”.

à la une

PAS DE PRINTEMPSPOUR L’IRAN

7 jours dansle monde p.7

p.34

Les extraterrestresdelataïga

Exilées depuis des décennies àl’étranger, où elles ont vécu repliéessur leurs traditions, des famillesorthodoxes reviennent aujourd’huidans l’Extrême-Orient russe.

Mais le pays dont elles rêvaienta beaucoup changé.

Edward Snowden :

traître ou héros ?

p.52360°

   A   N   D   R

   E    Ï   M   O   L   O   D   Y   C   K   H

   M   A   R   T   I   N   E   R   A

   M   O   N   T   A   Z   E   R   I

Un membredu clergé chiite

iranien faceau portrait de

Khomeyni.

Page 5: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 5/65

Page 6: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 6/65

 ABC, Madrid, quotidien. Ha’Aretz,TelAviv, quotidien. Brasileiros, São Paulo, mensuel. The Diplomat, (thediplomat.com) Tokyo, en ligne. Expresso, Lisbonne,hebdomadaire. Financial Times, Londres, quotidien. Il Foglio, Milan, quotidien. Foreign Policy, Washington, bimestriel. Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort,quotidien. The Guardian, Londres, quotidien. Huanqiu Shibao (Global Times), Pékin, quotidien. Hürriyet, Istanbul, quotidien. Kayhan, Téhéran, quotidien.Mag14.com, Tunis, en ligne. Mint, New Delhi, quotidien. The New York Times, EtatsUnis, quotidien. Oxford American, Conway (Arkansas), trimestriel. Qandisha,(www.qandisha.ma) Casablanca, en ligne. La Repubblica, Rome, quotidien. Rooz, (roozonline.com) Amsterdam, en ligne. Rousski Reporter Moscou, hebdomadaire.

 As-Safir,Beyrouth, quotidien. Süddeutsche Zeitung, Munich, quotidien. Die Tageszeitung, Berlin, quotidien. Tehelka, New Delhi, hebdo. El Telégrafo, Guayaquil,quotidien. Le Temps, Genève, quotidien. T24, Istanbul, en ligne. USA Today, McLean (Virginie), quotidien. Vatan Istanbul, quotidien. Visão,Lisbonne, hebdomadaire. The Wall Street Journal, New York, quotidien. The Washington Institute, EtatsUnis, en ligne. El-Watan, Alger,quotidien. Wired, San Francisco, mensuel. Your Middle East, (yourmiddleeast.com) Stockholm, en ligne. Die Zeit, Hambourg, hebdomadaire.

SommaireLES JOURNALISTES de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du mondeentier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com . Lestitres et les surtitres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources

que nous avons utilisées cette semaine :

VIDÉOL’Iran à traversles dessinateurs :l’interview de l’IranienMana Neyestani et du

Français Nicolas Wild.MAROC Mais où est passé Mohammed VI ? AFRIQUE DU SUDLa vie sans Mandela ? 

Retrouvez-nous aussisur Facebook, Twitter,Google + et Pinterest.

   M   A   N   A   N   E   Y   E   S   T   A   N   I    /   P   H   O   T   O

   L    É   A   B   A   R   O   N

Edité par Courrier international SA, société anonymeavec directoire et conseil de surveillance au capitalde 106 400 €. ActionnaireLa Société éditrice du Monde.Président du directoire, directeur de la publication :Antoine Laporte.Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol.Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président.Dépôt légal Juin 2013. Commission paritaire n° 0712c82101.ISSN n°1154516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction68, rue JeanAntoinedeBaïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Faxrédaction33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.comcourriel [email protected] Directeur de larédactionEric Chol Rédacteurs en chef JeanHébert Armengaud(16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27),Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), RaymondClarinard, Isabelle Lauze (horsséries, 16 54). Assistante DalilaBounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud(16 25) Direction artistique SophieAnne Delhomme (16 31) Direc-teur de la communication et du développement Alexandre Scher(16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

EuropeCatherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Gerry Feehily (RoyaumeUni, Irlande, 16 95), Lucie Geffroy(Italie, 16 86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Daniel Matias (Portugal, Brésil, 16 34), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France,17 30), Iulia BadeaGuéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (PaysBas),Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre),Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), AlexandreLévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie),Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Martina Bulakova (République tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie), Russie, est de l’EuropeLaurenceHabay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale),Larissa Kotelevets (Ukraine) AmériquesBérangère Cagnat (chef deservice, Amérique du Nord, 16 14), Eric Pape (EtatsUnis, 16 95), AnneProenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Bré

sil)AsieAgnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 1639), Christine Chaumeau (Asie du SudEst, 16 24), Ingrid Therwath(Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak(Indonésie), Jeong Eunjin (Corées),Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie ( Turquie)Afrique OusmaneNdiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (chef de rubriqueMaghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afriquedu Sud). TransversalesPascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong(chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux). Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Viriginie Lepetit (chef de rubriqueTendances, 16 12), Claire Maupas(chef de rubrique Insoli tes 16 60),Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard. Ils et elles ontdit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsabledu web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon(rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia,17 48), Pierrick VanThé (webmestre, 16 82), Patricia Fernández Perez(marketing),Agence CourrierSabineGrandad am (chef de service,16 97) Traduction Raymond Clari nard (rédacteur en chef adjoint),Natalie Amargier (russe), Isabelle Boudon (anglais, alleman d),Françoise EscandeBoggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise LemoineMinaudier(chinois),Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias(portugais),MarieFrançoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama(japonais),NgocDung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol(anglais,espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou(anglais, espagnol),Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision JeanLuc Majouret (chef deservice, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (siteInternet)Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef deservice, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey,Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller,Jonnathan RenaudBadet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien(colorisation)Cartographie Thierry Gauthé (16 70) InfographieCatherine Doutey (16 66) CalligraphieHélène Ho (Chine), AbdollahKiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (1684)Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication NathalieCommuneau (directrice adjointe), Sarah Tréhin (responsable defabrication). Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes.

Ont participé à ce numéro JeanBaptiste Bor, Sophie Bouillon,Isabelle Bryskier, Sophie Courtois, MarieAnne Dayé, GenevièveDeschamps, Monique Devauton, Anastazia Dupuy, ChloéEmmanouilidis, Laurhena Faye, Gabriel Hassan, Mira Kamdar,Hanna Klimpe, Feriel Kolli, JeanBaptiste Luciani, Laetitia Moreni,Valentine Morizot, Chloé Paye, Alice Quistrebert, Camille Savage,Pierangélique Schouler, Isabelle Taudière, Marine Zambrano

Publicité MPublicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. :01 57 28 20 20 .Directrice généraleCorinne Mrejen.Directeur déléguéDavid Eskenazy ([email protected], 38 63). Directeursde clientèle Hedwige Thaler ([email protected], 38 09),Mustapha El Hayani ([email protected], 38 11). Chef de publicité Marjorie Couderc (marjorie.couderc @mpublicite.fr,37 97). Assistante commerciale Carole Fraschini ([email protected], 3868). Régions Eric Langevin ([email protected], 38 04). Annonces classées Cyril Gardère ([email protected], 38 88). Site Internet Alexandre de Montmarin ([email protected], 37 45).

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes Natacha Scheubel (16 52), Sophie Nézet ( partenariats, 16 99), Sophie Jan. GestionBénédicteMenaultLenne(responsable,1613). Comptabilité01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16).Ventes au numéroResponsable publications: Brigitte Billiard.Directiondes ventes au numéro : Hervé Bonnaud.Chef de produit : Jérôme Pons(0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale : FranckOlivier Torro (01 57 28 32 22). PromotionChristiane Montillet.MarketingSophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

Service clients Abonnements : Courrier international, Serviceabonnements, A2100 62066 Arras Cedex 9. Tél. : 03 21 13 04 31Fax : 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures)Courriel : [email protected] Commande d’anciensnuméros Boutique du Monde, 80, bd AugusteBlanqui, 75013Paris. Tél. : 01 57 28 27 78

Courrier international, USPS number 013-465, is publishedweekly 49 times per year (triple issue in Aug, double issue in Dec),by Courrier International SA c/o USACAN Media Dist. Srv. Corp.at 26 Power Dam Way Suite S1-S3, Plattsburgh, NY 12901. Peri -odicals Postage paid at Plattsburgh, NY and at additional mai-ling Offices. POSTMASTER : Send address changes to Courrier In-

ternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

Ce numéro comporte un encart Vacances sur certains abonnésde France métropolitaine.

Ored’abonnement

Bulletin à retourner à :

Courrier international Service Abonnements A210062066 Arras Cedex 9

Par chèque à l’ordre de Courrier international

Par carte bancaire nº

Expire fin Cryptogramme

Je m’abonne pour 1an (52 numéros) + accès illimité au site Internetau prix de 99 € au lieu de 185 €* soit plus de 46% d’économie.

Je choisis mon moyen de paiement :

NOM

PRÉNOM

ADRESSE

CP VILLE

TÉLÉPHONE E-MAIL

date et signature obligatoires

* Prix de vente au numéro. En applic ation de la loi du 6-1-1978, le droit d’accès et de rectification concernant les abonnéspeut s’exercer auprès du service abonnements. Pour l’étranger, nous consulter. Ces informations pourront être cédéesà des organismes extérieurs, sauf si vous cochez la case ci contre.

Monsieur Madame Mademoiselle

RCO1300PBI001

Plus simple et plus rapideabonnezvous surboutique.courrierinternational.comou par téléphoneau 03 21 13 04 31 (non surtaxé)

Votre abonnement à l’étranger :Belgique : (32) 2 744 44 33 [email protected]

USA-Canada : (1) 800 363 1310 - [email protected] : (41) 022 860 84 01 [email protected]

Avantage abonnéCréez votre compte sur courrierinternational.com

pour accéder en illimité à notre site Internet,aux newsletters, aux archives, aux PDF...Retrouvez votre magazinesur votre iPhone/iPad(applications à téléchargergratuitement).

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannezla et accédez à un contenu multimédia sur notre sitecourrierinternational.com (ici, la rubrique “Nos sources”).

6. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

orientation. Vous ditesque “là où la croix blesse,

c’est quand les religions

descendent du spirituelau temporel”. Au nomde quoi déniezvous le droità des sensibilités d’exprimerleurs opinions ? En quoiestil anormal que desassociations, fussentellesd’inspiration catholique,expriment leur point de vueet le fassent savoir ?

— Xavier Damez

Continuez à progresseren prenant en compteles remarques de vos fidèles

lecteurs.— Jean-Marie Pillot Balma

Cousindu CanadaChaque semaine, j’attendsavec anxiété l’arrivéede Courrier International

au Québec. Grand format,tour du monde de l’actualité,mise en page professionnelleet colorée, conceptiongraphique hors du commun,sujets diversifiés.Un délice pour l’intellect.

—Robert Riel Montréal

Au nomde quoi… ?Courrier International estun lieu de confrontationdes idées et de débats parla variété des sourcesdes articles publiés. Votreéditorial “En France aussi” 

(CI n° 1169, “Les dieux sont 

de retour” ) me semblealler à l’encontre de cette

courrier

lecteurs

Les lecteurs peuventnous écrire par courriel à[email protected] par courrier postal à :Courrier international,Rédaction en chef,6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf,75212, Paris Cedex 13.Merci de préciser votre nom(pas de pseudonyme) etla localité d’où vous écrivez.

Enfin !Abonné depuis plus de dix ansà Courrier international,

 je voulais vous soutenir dansla petite amélioration quevous venez d’apporter (enfin) :préciser la date de publicationde l’article original.En revanche, je constateune réduction significativedes articles de la rubriqueéconomie, que j ’appréciaisbeaucoup. Merci de réintégrertoutes les semaines 3 ou4 pages de grands articleséconomiques de fond.

Courrier international innove.Dorénavant, vous retrouverezsous chaque article traduit la datede parution de l’article original.Vous aurez ainsi à votre dispositiontous les éléments qui définissentl’identité de l’article : le titre du

 journal ou du site web, le nom deson auteur et sa date de parution.Sur Courrierinternational.com,vouspouvez aussi retrouver une grandepartie des textes originaux. E. C.

PRÉCISIONDans notre n°1176, nous avons publiéun article de The Economist surla nouvelle école fondée par XavierNiel (“Ecole privée pour futurs cracksde l’informatique”). Xavier Nielest, par ailleurs, actionnairedu Groupe Le Monde, propriétairede Courrier international.

NOTRESURSITE

Page 7: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 7/65

Douteuxprivilège

SANTÉ —Manger de la viande est

un privilège dont il vaut mieux sepasser. Aux Etats-Unis, on enconsomme en moyenne deux foisplus qu’en Chine et six fois plusqu’en Afrique. Mais les Améri-cains s’en portent-ils mieux ? Non,si l’on en croit une récente étuderelayée par le magazine Time.Les végétariens et végétaliensauraient 12 % de risques de décèsen moins, d’après l’AmericanMedical Association’s Journal of 

Internal Medicine. D’autres étudesavaient déjà montré que la viandeest liée à des problèmes de santé– crise cardiaque, cancer – qui cau-seraient la mort de 1,3 million

d’Américains chaque année.

La violence,quelle violence?VENEZUELA—Fin mai, les grandeschaînes privées de télévision véné-zuéliennes ont accepté de se plierà une campagne gouvernemen-tale officiellement destinée à com-

 bat tre l’in sécurité , r apporte lequotidien El Universal. La télé-

 vision est en fait accusée de “glo-rifier” la violence – en la montranttrop souvent. Cette mise au pasfait suite au changement de

propriétaire de Globovisión, ladernière chaîne de télévisionouvertement d’opposition. Depuis,plusieurs journalistes et anima-teurs de la chaîne ont démis-sionné ou ont été remerciés,même s’il reste des antichavistesconvaincus comme le présentateur

 vedet te Leo pol do Cas til lo. ElUniversal parle de “nouvelle étapede la télévision vénézuélienne”.

7 JOURS.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 7

—USA Today McLean (Virginie)

V oici une définition du héros : quel-qu’un qui, lorsqu’il a le choix entreune bonne action qui va lui coûter

très cher et une mauvaise action dont il vatirer de grands avantages personnels,choisit la première solution.

On pense à Wesley Autrey, ce type for-

midable qui, en 2007, a sauté devant unerame du métro de New York pour sauverun inconnu. On songe aussi à Nelson Man-dela, l’ancien président sud-africain, aujour-d’hui malade, qui a passé vingt-sept ans enprison plutôt que de renoncer à l’engage-ment qu’il avait pris de libérer son peuple.

Mais qu’en est-il d’Edward Snowden, cethomme de 29 ans, ancien employé des ser-

 vices de renseignements [il a travaillé pourla CIA avant d’être employé par différentssous-traitants de la NSA, comme Booz

 Allen Hamilton], qui a avoué le 9 juin êtreà l’origine des révélations sur le programmede surveillance des communications télé-phoniques décidé par le gouvernementaméricain ? Doit-on le considérer comme

un héros du fait qu’il protège la vie privéedes citoyens à ses risques et périls ou commeun criminel qu’il faut poursuivre pour avoirrévélé des secrets aux terroristes ?

Maintenant qu’on a mis un visage surcette affaire, son dénouement pourraitdépendre en grande partie de la réponsequ’on apportera à cette question. SoitSnowden se retrouvera derrière les bar-reaux et les autorités continueront à espion-ner sans contrainte, soit il sera adulé etles pouvoirs publics reculeront.

 A l’aune de la pureté des intentions – etsi ses dires sont confirmés –, Snowdenpourrait fort bien avoir l’étoffe d’un héros.

Il semble n’avoir rien à gagner person-nellement dans cette affaire. Et beaucoupà perdre : il a sacrifié une belle carrière et

200 000 dollars de revenus annuels, safamille et sa petite amie, pour vivre encavale, si ce n’est en captivité.

Il affirme de façon convaincante qu’iln’a agi qu’après avoir conclu qu’il fallaitfaire vite pour stopper un programme signi-fiant la fin de la vie privée telle qu’on laconçoit généralement et menaçant la démo-cratie “dans son existence même”. Ces pré-occupations sont très largement partagées.

Et, contrairement à ceux qui ont révéléde manière discutable des secrets d’Etat

– Julian Assange, de WikiLeaks, ou le soldatBradley Manning, actuellement en procèset qui encourt une peine de prison à vie –,Snowden a été sélectif dans ses révéla-tions, laissant de côté des informationsdont il pensait qu’elles pourraient mettreen danger certaines personnes.

De plus, à chaque nouvelle fuite, il estdevenu plus évident que Snowden avaitagi à bon escient. Il a suscité un débatpublic sur des programmes extrêmementindiscrets qui aurait dû avoir lieu avantleur lancement. Une base de donnéessecrète pistant de façon permanente lesfaits et gestes de chaque Américain repré-sente de fait une menace pour la démo-cratie si elle est alimentée indéfiniment.

Il n’en reste pas moins que la voie

empruntée par Snowden vers l’héroïsmeest semée d’embûches.

Les intentions pures de Snowden et lesconséquences heureuses [de ses révéla-tions] n’enlèvent rien au fait qu’il a trans-gressé la loi et révélé des informations àla fois classées secrètes et d’une grandeutilité pour repérer les terroristes. Lesautorités ne peuvent pas laisser passerun tel délit sans créer un précédent

qu i me ttrait des secrets très sensiblesà la portée du premier venu.

Snowden se dit prêt à une telle éven-tualité. Mais, comme Mandela l’a appris àses dépens, le prix à payer pour défendredes principes peut être très élevé. Parfois,il n’y a aucune autre rétribution que la satis-faction d’avoir fait ce qu’il fallait faire.

Snowden assure que cela seul lui suffitet, si tel est effectivement le cas, il s’avé-rera peut-être que ses actes ont étéhéroïques. Mais d’ici là il devra affronterde nombreuses épreuves, et très certai-nement un procès. —

Publié le 9 juin

ÉTATS-UNIS

Edward Snowden : traître ou héros?Agé de 29 ans et désormais réfugié à Hong Kong, cet ancien employéde la CIA a décidé de dénoncer les abus de la très puissante NSA, l’Agencede sécurité nationale américaine.

7 jours dansle monde.

USA TODAYMcLean, Virginie

Quotidien, 1 800 000 ex.

www.usatoday.com

Lancé en 1982, c’est le seulquotidien national du pays avecThe Wall Street Journal. Titrepopulaire, il n’en offre pas moinsdes articles de qualité, parfoisen avance sur les grands journaux.

SOURCE

79%79%

des Suisses ont approuvéun durcissement du droit d’asilepar référendum le dimanche9 juin. Les Suisses ont enrevanche rejeté à 76 % l’élection

directe des membres du Conseilfédéral (le gouvernement)

par le peuple. Cette initiativevisant à court-circuiterle Parlement avait été proposéepar le parti populiste UDCet dénoncée par l’ensemble

des autres partis. Le Tempsapplaudit, soulignant la

confiance des Suisses dans leursinstitutions. Au-delà de l’asileou de l’Europe, “l’UDC est 

incapable d’exercer la moindre

influence sur les questions de

démocratie et de gouvernance”,note le quotidien.

↙ Dessinde Martirena,

Cuba.

Consommationannuelle de viande(2009, en kilogrammes par personne)

SOURCE : “THE ECONOMIST”, FAO

0 40 80 120

ÉTATS-UNIS

UNIONEUROPÉENNE

AMÉRIQUEDU SUD

CHINE

ASIEDU SUD-EST

AFRIQUE

INDE

Page 8: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 8/65

7 JOURS

Cours, Maizière,cours !ALLEMAGNE—“Un drone pour- suit un innocent”, titre ironique-ment le quotidien Die Tageszeitung du 6 juin en reprenant une imagecélèbre de La Mort aux trousses,d’Alfred Hitchcock. La tête de Cary Grant y est remplacée par celle duministre de la Défense allemand,Thomas de Maizière. Celui-ci a dûexpliquer pourquoi il a soutenupendant des années un projetd’achat de drones de surveillanceinutilisables – une situation connue

depuis longtemps. Le projet, aban-donné à la mi-mai, aura tout de

même coûté 500 millions d’eurosau pays. Mais le ministre se déclaresans tache – “on” ne l’a pas tenuau courant, dit-il. La faute, donc, au“troisième invisible” – c’est le titredu film d’Hitchcocken allemand –,persifle la TAZ .

 Adopter auMaroc, un cheminde croixESPAGNE— Au Maroc, des dizainesde familles espagnoles ont vu leurkafala – le processus d’adoption

musulman, qui impose notammentque la religion islamique soit pré-servée pour l’enfant – s’inter-rompre brusquement à l’arrivéeau pouvoir des islamistes du Partide la justice et du développement,en janvier 2012, rapporte El País.Elles avaient pourtant noué desliens forts avec les enfants, depuisparfois plus d’un an. MustafaRamid, le ministre de la Justicemarocain, estime qu’il n’y a aucunmoyen de s’assurer que les termesde la kafala seront respectés sil’enfant quitte le pays. Les famillesont envoyé une lettre auxministres de la Justice du Maroc

et de l’Espagne, qui se sont ren-contrés lundi 10 ju in.

8. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

JUAN PEDRO QUIÑONERO,correspondant à Paris duquotidien conservateur espagnolABC, sur la réforme des retraites.

“La Franceest victimede sabureaucratie”La publication vendredi 14 juindu rapport Moreau va lancerla réforme des retraites. C’estun sujet périlleux pour le gou-vernement ?C’est un sujet à la fois essentiel et

très dangereux. Si le gouver-nement ne bouge pas ce

n’est pas bon, et s’il bouge

c’est extrêmement pé-rilleux. Cela fait trenteans que la réforme des

retraites est urgente et quele pouvoir se contente de com-

promis toujours boiteux, qui ne fontqu’aggraver la situation.

Comment expliquer cettedifficulté à réformer ?Comme le disait le sociologueMichel Crozier, la société fran-çaise est victime de son Etat

 bureaucratique. Dans quel paystrouve-t-on autant de statutsdifférents et des fonctionnairesaussi protégés ? Toute réforme

sera nécessairement adoptée,avec l’assentiment de la bureau-cratie française.

L’Espagne va lancer unenouvelle réforme des retraites.Les enjeux sont-ils les mêmesqu’en France ?Pas vraiment. L’Espagne disposed’un système bien plus égalitaire et

 beaucoup moins bureaucratique.La France est victime d’un Etat car-nivore alors que l’Espagne souffred’un Etat impuissant, prisonniernotamment de ses relations avecles régions. Pour un Espagnol moyen,la situation des retraites en Franceest littéralement incompréhensible,

à cause de la multitude de statutsqui y coexistent.—

DE NOUS

   D   R

ILS PARLENT

Avis de naufrage

DE LA SEMAINELA PHOTO

De l’Allemagne à la Hongrie, l’Europe de l’Est a passé plusieurs jours sous les eaux à la suite de crues spectaculaires.A Varsovie (ci-dessus), la maire, Hanna Gronkiewicz-Waltz, n’avait vraiment pas besoin des pluies torrentiellesqui ont inondé la ville le 9 juin, alors que ses détracteurs demandent sa démission. Une pétition pour la tenued’un référendum pour révoquer “HGW” a déjà recueilli plus de 100 000 signatures sur les 134 000 exigées, relatele quotidien Gazeta Wyborcza. On lui reproche d’avoir gonflé le nombre d’employés de la mairie, tout en rognantsur les transports en commun et l’éducation. Ce à quoi s’est ajouté l’abattage des arbres dans un jardin public.

SYRIE

Le jeu risqué du Hezbollah

SUR LE WEB

En complément, La semaine politiqufrançaise vue d’ailleurs. Chaque semaretrouvez l’actualité commentée par

les correspondants étrangers, en vidé

courrierinternational.com

   A   D   A   M    S

   T   E   P   I   E   N    /   A   G   E   N   C   J   A

   G   A   Z   E   T   A    /   V   U

risque de se trouver embourbé dansune campagne longue et coûteuse,désastreuse pour son image : “Le soi-disant défenseur des opprimés est à l’avant-garde de la répression exer-cée par Assad contre son propre peuple.” Il se met aussi à dos ceux desLibanais qui ne veulent pas d’unsoutien au régime syrien, avec lerisque d’un embrasement. Unecrainte encore amplifiée le 9 juin :un homme a été tué à Beyrouth lors

d’une manifestation contre l’enga-gement du Hezbollah en Syrie.

Engagés aux côtés de BacharEl-Assad, les combattantsdu Hezbollah ont joué un

grand rôle dans la prise de Qousseirle 5 juin. Cette ville stratégiqueproche du Liban était aux mainsdes rebelles depuis dix-huit mois.Les hommes du mouvement chiitelibanais se rassemblent à présentautour d’Alep, où Assad compte lancersa prochaine grande offensive. Laguerre en Syrie est une entreprise à

haut risque pour le Hezbollah, observele site libanaisNow.Le mouvement

↖ Dans la tête d’Assad, HassanNasrallah, le chef du Hezbollah.Dessin de Stavro  parudans The Daily Star, Beyrouth.

Page 9: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 9/65

7 JOURS.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 9

ILS/ELLESONT DIT

   D   R

Ada Colau

Elle fait du logis son combatCette Barcelonaise de 38 ans apparaît comme la chef de filedes opposants aux expulsions immobilières. En qualifiantles banquiers de “criminels”, elle a vu sa notoriété grandir.

la Plateforme des victimes d’hy-pothèques (PAH). Ils ont décou-

 vert“une escroquerie généralisée”, laloi qui permet aux banques de“garder le logement de celui qui ne peut plus rembourser son prêt immo-bilier et [de] continuer à lui réclamer  sa dette jusqu’à la fin de ses jours”.

Elle n’arrête pas. Toujours sus-pendue au téléphone, elle s’inté-resse aux uns, s’occupe des autres.Depuis l’emploi du mot “crimi-nels”, qui a suscité une réactionmassive sur les réseaux sociaux,la popularité lui est tombée dessus.“Personne n’avait pensé que je meretrouverais dans une situation pareille, pas une seconde, explique-t-elle. Ce jour-là, devant la com-mission de l’Economie du Congrès

↓ Ada Colau.Dessin d’ Ajubel ,Espagne,

 pour Courrierinternational.

ILS FONTL’ACTUALITÉ

Ada Colau est l’une des Méditerranéennes dont Serge Moatibrosse le portrait dans un documentaire du même nom qui seradiffusé sur France 2 le mardi 18 juin à 22 h 40. Courrier international

est partenaire de ce documentaire qui montre des femmesengagées de différentes manières sur les rives de la Méditerranée.

CONSTANT

“On a dit que j’étais le roides punks. Je n’accepte pasce titre, mais si j’en étaisun je dirais : ‘A bas les règles !Les règles c’est pour les cons.’Pensez par vous-mêmeset vous serez un vrai punk.”John Lydon alias Johnny Rotten,

ancien des Sex Pistols et leader

du groupe Public Image Limited,

réaffirme son credo.

(The St. Petersburg Times, Russie)

INJURIEUX

“Dernière ligne droitepour le saint Nelson Mandela,apparemment. Evitez la BBCquand ce vieux terroriste

va crever : ce sera àvomir.” Message de Nick

Griffin, chef du Partinational britannique

(extrême droite), à propos

de la récente hospitalisation

du héros de la lutte

anti-apartheid et ancien président

de l’Afrique du Sud. (Twitter)

CONSENTANTE

“Nos enfants ont grandi.On se voit à peine.Oui, on peut dire que c’estun divorce civilisé.”Lioudmila

Poutine, future ex-épouse

du président russe Vladimir

Poutine, explique que

leur séparation a été décidée

par consentement mutuel.(Izvestia, Moscou)

RACISTE

“S’ils se font appréhenderquelque part, on peutles jeter dehors purementet simplement.” Hans-Peter

Friedrich, ministre de l’Intérieur

allemand, veut se débarrasser

de “l’immigration de pauvreté”,

constituée selon lui des Roms

roumains et bulgares

qui viendraient illégalement

en Allemagne pour profiter

du système social sans avoir

travaillé. (Die Welt, Berlin)

DÉPOUILLÉ“Pouvez-vous arrêter ça ?”a demandé le pianiste polonais

Krystian Zimerman, interrompant

son concert à Essen, en Allemagne,

parce qu’il était distrait par

un spectateur qui l’enregistrait avec

un portable. L’artiste a expliqué

qu’il avait manqué

plusieurs contrats

sous prétexte que tout

était déjà disponible

sur YouTube.

“La destructionde la musiqueà cause de YouTubeest énorme”,

affirme Zimerman.(Stern, Hambourg)

   D   R

—ABC (extraits) Madrid

L’Espagne a appris son exis-tence le jour où, devant unmicro, la voix tremblante

d’indignation, elle a qualifié les ban-quiers de “criminels” [en févrierdernier]. Ada Colau en avait assez

que les banques, souvent sauvéesgrâce à l’argent des Espagnols, celuides riches et celui des pauvres, jet-tent à la rue des familles entières,des gens sans ressources – des “vic-times de l’escroquerie immobilière”.

 Ada a fait de la résistance aux expul-sions son combat. Certaines ontcoûté plusieurs vies ces derniersmois – d’où le choix du qualifica-tif “criminel”. Ces suicides sontentrés comme des poignards dansles consciences de tous (ou presquetous). D’autres expulsions ontentraîné des drames sociaux.

 Ada Colau Ball ano est uneBarcelonaise de 38 ans, descendue

dans la rue pour la première foisen 2003, après l’invasion de l’Irakourdie par le “trio des Açores”(Bush, Blair et Aznar). Elle s’estalors ralliée au mot d’ordre scandépar des centaines de milliers decitoyens dans les grandes villesd’Espagne : “Non à la guerre !” Ce fut l’occasion de rencontrerdes gens ayant les mêmes pré-occupations qu’elle, des gensqui inscrivaient “des questions planétaires dans la vie quotidienne”.Et elle s’est concentrée sur lelogement, y voya nt “le prin-cipal fact eur de précarité”. Cemouvement a débouché en 2006sur “V de Vivienda” [L comme

Logement], un précurseur, à samanière, du 15-M [mouvement des“indignés” de 2001]. C’est là qu’ellea rencontré son compagnon, aujour-d’hui le père de son fils de 2 ans.

 V de Vivienda a dénoncé l’exis-tence d’une bulle immobilière, “ceque l’Etat niait”, à une époque oùl’Espagne était encore en pleineeuphorie économique, où ne pass’acheter un appartement semblaitune marque d’infériorité, une fai-

 blesse sociale. Ses militants ontprédit les problèmes, les impayés,les pleurs, mais personne n’aréagi. Quand la bulle a fini par éclater,Ada et d’autres militants

ne sont pas restés les bras croi-sés et ont fondé, en février 2009,

des députés, j’ai eu une réaction ins-tinctive et naturelle, non prémédi-tée.” Elle accepte cette notoriétéinattendue. Pour la cause qu’elledéfend, pour la publicité. Mais “jene crois pas aux héros, lance-t-elle.Ni aux sauveurs. Aujour d’hui, il faut que tout monde s’implique. Les réfé-

rents sont une erreur, alors que c’est toute notre démocratie qui est en jeu.” 

Sa bataille lui laisse peu de tempsavec son fils. Mais son compagnonl’aide ; lui aussi, il milite. Il est éco-nomiste et vit avec elle dans unappartement de location.

 Ada travaille à l’Observatoire desdroits économiques, sociaux et cul-turels, une ONG qui lutte pour ledroit au logement, à la santé, autravail et à l’éducation. Ses annéesd’étudiante à la faculté de philo-sophie de l’université de Barcelonesont déjà loin.

Epoque heureuse où elle ne pou- vait s’imaginer un jour sur les pla-

teaux des journaux télévisés, avecune légion de sympathisants (prèsde 80 000 abonnés sur Twitter

[@AdaColau]), en porte-drapeau d’une cause soute-nue par 90 % des Espagnols,

d’après une enquête duPAH qu’elle cite. L’objectif de la Plateforme est dou-

 ble : obtenir la dation enpaiement [qui permet-trait d’apurer la dette del’expulsé par la simple

restitution du bien immo- bilier]et un moratoire sur

les expulsions. Ces dernièressont plus que jamais d’actua-

lité : on en dénombre plusde 400 000 depuis le début de

la crise. L’intervention de la PAHa permis de stopper plus de 550 deces expulsions. Une victoire au seind’une “guerre difficile”  contrel’“ennemi le plus puissant”, les ban-ques. Tandis que l’Espagne vivaitdans l’ivresse, “elles ont arnaqué les gens sciemment”.

 Voilà pourquoi el le les accused’être “des criminels”.Et après, quandla bulle immobilière a éclaté, “ils ont  volé l’argent que l’Espagne n’a pas, desmillions d’euros” . Ada reproche àl’Etat d’avoir sauvé les banques etd’avoir abandonné les familles àleur sort.

—Fernando MiñanaPublié le 19 avril

Page 10: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 10/65

7 JOURS10. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

L’UE ne fait querespecter lesrègles de l’OMC—Die Tageszeitung Berlin

Bruxelles peut-il appliquer de nouvellestaxes sur les exportations chinoises ?Jusqu’à présent, la question n’avait

pas fait débat : la Commission européennea déjà pris des mesures contre des entre-prises chinoises soupçonnées de dumpingdans 48 secteurs. Jamais une telle décisionn’a suscité de protestations, encore moinsune guerre commerciale.

La situation, cette fois, est différente. Legouvernement de Berlin se mobilise contreles sanctions. Il y a une semaine, la chance-lière Angela Merkel a mis en garde contre lerisque d’escalade. Elle en aurait parfaite-ment le droit… si l’Allemagne avait son mot

à dire dans cette affaire.Le fait est que ce n’est pas le cas. LaCommission européenne a la haute main enmatière de politique commerciale. Le com-missaire européen au commerce, KarelDe Gucht, peut – et même doit – appliquerdes sanctions lorsqu’il soupçonne la Chinede ne pas respecter les règles du jeu.

La décision de la Commission pourrait setraduire par une augmentation des tarifsdouaniers pouvant atteindre 47,6 % sur lespanneaux solaires chinois. Le mieux que lecommissaire européen puisse faire pour

 Angela Merkel est d’adoucir ces sanctions.Dans les premiers mois, la nouvelle taxe ne

s’appliquera qu’à taux réduit [11,8 % pen-dant deux mois].

Est-ce la fin du monde ? L’Union euro-péenne cède-t-elle à un protectionnismedébridé ? Bien au contraire. L’UE respectesimplement les règles de l’Organisationmondiale du commerce (OMC). Elle ne faitpas autre chose que les Etats-Unis, qui sanc-tionnent les exportations chinoises dans lesecteur solaire depuis déjà un an.

En cédant aux pressions allemandes et

chinoises, le commissaire De Gucht risque-rait de créer un dangereux précédent. Pluspersonne ne prendrait au sérieux la premièrepuissance commerciale mondiale que repré-sente toujours l’Europe. Celle-ci pourraitalors faire l’objet de chantages. Ces sanc-tions sont donc le bon signal à envoyer.

—Eric Bonse

Publié le 5 juin

Imposer des droits de douane au solaire chinois,est-ce légitime ?

CONTROVERSE

OUI

NON

L’Union européenne (UE) a décidé de taxer les importations de panneaux solaires chinois. Une réponse normale au dumping pratiquépar Pékin, estime un quotidien allemand. Une décision que l’UE regrettera, affirme l’organe du Parti communiste chinois.

Ce sera “œil

pour œil,dent pour dent”

—Huanqiu Shibao Pékin

L’outrageuse décision de la Commis-sion européenne pousse la Chine etl’Europe au bord de la guerre com-

merciale. Nous pensons que la Chine devraitcesser de rêver en tentant de négocier, etplutôt mobiliser tout l’arsenal des repré-sailles contre l’Union européenne. Que lesdeux rivaux fassent match nul en décembre

Thierry Garcin et Eric Laurent

6h45/6h57 du lundi au vendredi

dans Les Matins de France Culture

en partenariat avec

franceculture.fr

[les taxes ont été adoptées pour une duréede six mois] ou qu’ils finissent par perdrel’un et l’autre, il nous faut dès aujourd’huiprendre des mesures capables d’intimiderl’Europe pour la guerre commerciale à venir.

Par le passé, la Chine s’est toujoursemployée à négocier pour résoudre lesconflits commerciaux. Quand le volume ducommerce extérieur chinois était encorerelativement faible, cette méthode s’avé-rait assez efficace. Aujourd’hui, la Chine est

devenue l’une des plus grandes puissancescommerciales mondiales, et cette taxe anti-dumping s’applique à plus de 20 milliardsde dollars de produits photovoltaïques chi-nois, une somme non négligeable pour laChine comme pour l’Europe. Les intérêtsinternationaux ne reposant que sur l’échangede profits, les pourparlers ne suffisent pas ;même si l’affaire était portée devant un tri-

 bunal, l’effet d’une telle démarche reste-rait fort limité…

La Chine doit donc faire comprendre àl’Europe quelles seront les conséquencesdes taxes antidumping sur les importationsde panneaux solaires chinois – et permettreau monde de se faire une idée claire sur cetteaffaire. Et sans doute faudra-t-il que cette

fois les deux parties y laissent des plumes…Bien sûr, s’il était possible d’éviter la pertede plusieurs dizaines de milliards de dollarsdans une guerre commerciale, ce serait une

 bonne chose. Mais cet espoir semble aujour-d’hui s’être réduit comme peau de chagrin.La Chine doit au plus vite concentrer touteson énergie à répondre à cette taxe anti-dumping selon la loi du talion : œil pour œil,dent pour dent ! Si notre pays riposte avecla plus grande fermeté, il se pourrait mêmeque la situation atteigne un point critique,pour finalement se renverser – et plus noushésiterons à réagir, moins nous aurons delatitude pour redresser la situation.

Signalons ceci : le jugement qui sera rendupar la Commission européenne en décembreprochain [à l’issue de la fameuse période de

six mois] ayant peu de chances de jouer ennotre faveur, il nous faut bien garder en têteque l’environnement mondial évolue aurythme (rapide) auquel le volume commercialde la Chine augmente, et qu’il seratrès difficile d’inverser la tendance.

 Aussi la Chine doit-elle mener unenouvelle réflexion stratégique,assortie de nouveaux moyens d’agir.

La Chine est un pays qui attacheune grande importance à l’harmo-nie, qui n’aime pas les conflits et quiconsidère le plus souvent le scénario“perdant-perdant” comme le pire desrésultats ou presque, car elle chercheavant tout à éviter d’être la seuleperdante. Le scénario “per-

dant-perdant” est alors unedémonstration de force

 susceptible d’engendrer de futurs compro-mis “gagnant-gagnant”…

Prochaine étape : la Chine va tout fairepour que l’Union européenne paie le prixfort. Car si pour l’Europe les pertes s’avè-rent plus importantes que le profit retiré decette taxe antidumping, la Chine marquerades points – un mal pour un bien !

Le fait que la Commission européennes’obstine à vouloir imposer des taxes anti-dumping nous laisse à penser que la dégra-

dation continue de l’environnementcommercial de la Chine est inévitable. Tandisque nous luttons avec l’extérieur, il nousfaut en même temps accélérer le dévelop-pement de notre marché intérieur, afin quenotre croissance économique soit de moinsen moins liée aux exportations. Si la Chineest aujourd’hui la deuxième puissanceéconomique mondiale, elle se place en pre-mière position par le volume de ses expor-tations. Nous avons puisé tout ce que nouspouvions dans le marché mondial : si nousnous ajustons trop lentement aux change-ments de cet environnement, la pressionextérieure ne viendra pas seulement del’Union européenne.

Plus notre marché intérieur se dévelop-

pera, plus la contre-attaque aux mesuresextérieures de protectionnisme gagnera enforce. Mais, comme le dit le dicton, “uneeau lointaine n’apaise pas une soif pres-sante”, et pour faire face à l’urgence – cettetaxe antidumping – il nous faut égalementrendre manifeste notre “puissance défen-sive”. Parler de “guerre commerciale” n’estpas une simple métaphore, il s’agit biend’une “guerre invisible”.—

Publié le 5 juin

↓ Dessin de Clou, Bruxelles.

Page 11: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 11/65

Page 12: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 12/65

Page 13: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 13/65

Page 14: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 14/65

place Taksim, ni à Ankara, ni à Izmir, quiappelle l’armée à renverser le gouvernement.Bien sûr, certains slogans allant dans ce sensont été entendus ça et là, mais ceux qui lescriaient se sont toujours retrouvés isolésparmi la masse des manifestants. C’est cela,la nouvelle Turquie.

Qui trouve-t-on parmi eux ?Le combat pour la dignité mené à partir deTaksim et du parc Gezi [que le gouverne-ment turc veut raser pour construire uncentre commercial, cette décision ayantdéclenché l’actuelle protestation] a pu prendreune forme pacifique et joyeuse tout en met-tant en avant le concept de liberté, parce quela perspective d’une paix sur la questionkurde paraît désormais à portée de main, etce d’ailleurs grâce au courage dont a faitpreuve le Premier ministre sur ce dossier. Il

 y a un an, une telle situation aurait été inima-ginable, tant les réflexes violents dominaient

la rue turque. Cela aussi, c’est un élémentd’une Turquie nouvelle où les camions anti-émeute de la police sont désormais envoyésde Diyarbakir [grande ville à majorité kurdedu Sud-Est anatolien] vers Ankara, et nonplus l’inverse. On a vu aussi sur la placeTaksim et dans le parc Gezi des femmesturques d’âge moyen, votant vraisembla-

 blement pour la Parti républicain du peuple[CHP, kémaliste et nationaliste], danser avecde jeunes Kurdes sympathisants du Partipour la paix et la démocratie [BDP, prokurde,proche du PKK], qui considèrent AbdullahÖcalan comme leur leader. Dans ce contexte,lorsque Erdogan et certains lieutenants del’AKP, avec des médias complètement acquisà la cause de l’AKP, cherchent derrière ces

événements des forces occultes, des mainsétrangères ou une action du réseau Ergenekon[célèbre réseau mafieux turc], ils trahissentune façon de parler et de penser qui se dis-tingue par un recours aux valeurs, à la visionpolitique et aux codes de l’ancienne Turquie.Les chercheurs de l’université Bilgi à Istanbulont dressé dans une enquête réalisée à chaudauprès de trois mille jeunes le portrait dela jeunesse qui se trouve aujourd’hui dansla rue. On y apprend ainsi que ceux-ci sontmus par un idéal de liberté, qu’ils n’ont pourla plupart que des liens organiques trèsfaibles avec les partis politiques et qu’ils uti-lisent abondamment et très efficacementles réseaux sociaux. Ils réagissent contre lemoralisme et sont respectueux des diffé-rences, raison pour laquelle ils réclament

que l’on respecte aussi leur propre diffé-rence. Il s’agit d’une jeunesse qui a un sensde l’humour très développé, qui rejette la

 violence, mais qui ne se laisse pas impres-sionner par celle-ci. Ces caractéristiquespermettent donc de déterminer le profiltype du jeune luttant pour sa dignité.

Que veut cette jeunesse incarnant doncla nouvelle Turquie ?Elle veut la liberté. Elle veut que les pouvoirspublics, le Premier ministre, les recteurs etles professeurs d’université, les directeursde lycée et les patrons soient respectueux àson égard. Nous sommes maintenant face àune nouvelle génération qui, comme par lepassé, ne reçoit plus de coups et ne se fait

plus réprimander par ses parents. Ces jeunesne veulent plus subir la violence physique

Moyen-Orient ....14Afrique.........16Asie ............20Amériques.......24Europe..........28France..........31

d’uncontinent à l’autre.moyen-orient

14. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Turquie. “Le mur

de la peur s’est fissuré”Pour l’universitaire et éditorialiste Ahmet Insel, les événements montrentqu’une nouvelle génération a “pris goût au souffle de la liberté”.

—Vatan (extraits) Istanbul

 Vous avez dit que la mobilisation actuelleà Istanbul incarnait la “nouvelle Turquie”et que le Premier ministre incarnait,quant à lui, la “Turquie ancienne”.Pouvez-vous nous décrire cette “nou- velle Turquie” ?

AHMET INSEL La nouvelle Turquie est enquelque sorte le résultat des mesures poli-

tiques et économiques adoptées depuis dixans par le Premier ministre Recep TayyipErdogan. Il y a ainsi sur la place Taksimaujourd’hui des jeunes qui n’ont pas vraimentd’inquiétudes quant à leur avenir sur le planéconomique. La plupart sont à l’universitéou travaillent déjà. Certes, il y a en Turquiedu chômage, des pauvres et surtout une

inégalité dans la répartition des revenus.Mais il s’agit là de problèmes classiques qui

se posent dans le cadre d’une économie capi-taliste développée et normalisée. Par ailleurs,après de longs combats, l’élite militaire et

 bureaucratique, qui exerçait une tutelle surla société, n’est plus aussi forte en Turquie.C’est ainsi que, à la différence de ce qui s’estpassé en 2007 [lors des meetings de l’oppo-sition protestant contre l’élection d’Abdullah

Gül, issu de l’AKP, à la présidence de laRépublique], il n’y a plus personne, ni sur la

↙ Dessin d’ Osama Hajjaj, Jordanie.

   C   A   G   L   E   C   A   R   T   O   O   N   S

Page 15: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 15/65

ou symbolique des autres. Et ils veulent qu’onles consulte à propos des problématiquesqui les concernent.

Qu’est-ce qui a le plus fâché les gens ?Que le Premier ministre se mêle de tout,depuis les questions concernant un mairede quartier jusqu’à celles relevant de la com-pétence d’un président de la République.Son empressement excessif à intervenir,à organiser et à sanctionner, et l’attitudeorgueilleuse et méprisante qu’il affiche faceà ceux qui ne le soutiennent pas ont provo-qué une exaspération. Les gens ont alorsexprimé leur ras-le-bol face à ses projetspharaoniques, en particulier ceux d’Istanbul,dont il se considère comme le sultan.

L’image du Premier ministre a-t-elle étéécornée par tous ces événements ?Le mur de la peur s’est en tout cas fissuré.Tous les aspects de la brutalité, de l’orgueil,de la soif de pouvoir et des projets de for-

matage de la société du Premier ministreont été exposés. S’il poursuit la même poli-tique en gardant cette même attitude, on luirappellera systématiquement ce qui s’estpassé au parc Gezi. Les nouvelles généra-tions ont pris goût au souffle de liberté quiémane depuis plus d’une semaine de la placeTaksim et de ses alentours. Maintenant, latâche du Premier ministre sera beaucoupplus compliquée.

Le Premier ministre a parlé des 50 % dela population qu’il aurait derrière lui…Ces propos en disent long sur l’archaïsmede sa conception de la démocratie. Il a ainsi,par ces paroles, créé de lui-même un blocde 50 % opposé à son bloc de 50 %. Mais son

 bloc de 50 % n’est pas plus grand que l’autre.Par ailleurs, il est possible de douter qu’ildispose encore de ces fameux 50 %.

Cette mobilisation va-t-elle s’arrêter ?Tout dépendra de l’attitude du Premierministre. Toute la responsabilité des évé-nements qui vont se produire repose entout cas désormais sur les épaules de RecepTayyip Erdogan.

—Propos recueillis par Deniz Güçer 

Publié le 8 juin

“horreur” et, qu’à cela ne tienne, il l’a faitdétruire [en 2011]. Fâché par des éditoriauxcritiques, il a mis en garde les patrons depresse en leur disant : “C’est toi qui les paies,alors surveille tes éditorialistes.” Il a encoredéclaré : “Que disparaisse ce type de journa-lisme !*” et le patron du quotidien incriminéen a alors “tiré les leçons” [en sanctionnantl’éditorialiste Hasan Cemal, auteur de cetarticle, qui avait défendu son journal, qu’ila quitté depuis pour rejoindre le site

 www.t24.com.tr].Le nombre de journalistes et d’éditoria-

listes qui ont perdu leur job à la suite desmanœuvres en coulisse n’a cessé d’aug-menter. Il s’est mêlé de la série télévisée Muhtesem Yüzyil [“Le siècle magnifique”,qu’il considérait comme insultante pour lesultan Soliman le Magnifique]. Il a qualifiéd’“alcooliques” ceux qui boivent de l’alcool,de “pillards” ceux qui résistent dans le parcGezi. Dans un contexte où l’on a assisté à

une augmentation significative du nombrede journalistes emprisonnés, la liberté d’ex-pression a connu une régression.

La sensibilité des alévis [chiites hétéro-doxes anatoliens, minoritaires], pour les-quels aucune solution n’a été apportée aucours des mandats d’Erdogan, n’a absolumentpas été prise en compte lors du choix dunom du troisième pont sur le Bosphore**.

Il vient aussi d’annoncer qu’il feraitconstruire une mosquée sur la place Taksim.Erdogan, qui croit qu’il peut faire ce qu’il

 veut parce qu’il a remporté les dernièresélections et qui menace de “faire descendredans la rue 50 % de la population”, a choisi unchemin très risqué qui ne peut contribuerqu’à diviser davantage la Turquie et qui est

susceptible de menacer la stabilité du pays.Souhaitons que les personnes de bonne volonté qui sont dans son entourage puis-sent freiner ce penchant autoritaire et leramener à la raison.

—Hasan Cemal

Publié le 4 juin

* En réaction à la publication par Milliyet desentretiens secrets avec le chef emprisonné du Partides travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan.

** “Yavuz sultan Selim”, c’est-à-dire Selim Ier,sultan ottoman connu pour avoir combattuviolemment les chiites. Ce pont a été inauguréen présence d’Erdogan le 29 mai.

MOYEN-ORIENT.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Christine Ockrent et les meilleurs experts

nous racontent le monde

Chaque samedi de 12h45 à 13h30

franceculture.frEn partenariat avec

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 15

 Ahmet Insel●●● Né en 1955, Ahmet Insel estun économiste turc qui enseigne àl’université Galatasaray, à Istanbul.Parfait francophone, Insel aégalement enseigné à la Sorbonne.Il est connu en Turquie pour sonapproche critique du néolibéralisme,sa réflexion sur la recomposition dela gauche et son analyse du systèmepolitique de son pays. Editorialisteau quotidien turc Radikal, il estaussi membre actif du très sérieuxmensuel sociopolitique Birikim.

Ahmet Insel est par ailleurs l’undes quatre initiateurs turcs de l’appeldemandant pardon aux Arméniens,

lancé en décembre 2008.

affaires, se sont soumis à lui. A tel point quele Premier ministre a commencé à donnerson avis sur le sort qui devait être réservé àtel rédacteur en chef ou à tel éditorialiste.Sur certains sujets, c’est lui qui a le derniermot et qui décide de ce qui va être publié. I lest arrivé qu’on s’adresse directement à luiou à ses proches conseillers pour savoir com-ment une information devait être traitée.

Il s’est aussi permis de réunir à Ankara lespatrons de médias et des rédacteurs en chef pour leur expliquer quelles étaient les lignes

à ne pas franchir. C’est encorelui qui a le dernier mot lorsqu’ils’agit de savoir comment les

 journaux et les chaînes de télévision doiventêtre répartis entre ces différents patrons. Ildécide alors à qui on va ôter un quotidienou une chaîne et à qui on va les réattribuer.L’ombre d’Erdogan sur les médias s’est faitsentir dans la façon dont ont été couvertsles événements du parc Gezi. Nous avonsainsi pu mesurer l’état pitoyable des médias,dont la couverture de cette mobilisation aété scandaleuse.

Plus Erdogan s’est vu comme incarnantl’Etat, plus il a considéré qu’il avait raisonsur tout. Par exemple, il a estimé que la statuede Kars [statue de 25 mètres de haut édifiéeen 2007 à Kars, dans l’est du pays] était une

—T24 Istanbul

Tayyip Erdogan lui aussi a connu laprison, et il y a même été torturé.Pour un poème qu’il avait lu en 1997

[jugé comme remettant en cause la laïcité],il a été incarcéré et interdit un temps d’ac-tivité politique. L’un de ses vieux compa-gnons m’a raconté aussi qu’en 1977 il avaitété arrêté pour avoir participé à une mani-festation non autorisée, emmené au postede police et sévèrement torturé. Erdogan apar ailleurs vécu difficilementles tracasseries que ses filles ontsubies à une certaine époque

parce qu’elles portaient le foulard. Erdogan,en tant que citoyen de ce pays, a donc subila violence de l’Etat tout-puissant. Il a puappréhender la brutalité de celui-ci. On auraitpu attendre d’une personne qui a vécu cegenre d’expérience davantage de compré-hension, de tolérance et d’indulgence.

Dans le cadre du processus d’adhésion àl’Union européenne, il a réalisé des avan-cées indéniables sur le plan du droit et de ladémocratie. Il a ainsi mis un terme à la tutelleque l’armée exerçait sur la société et a faiten sorte que l’autorité militaire dépendedésormais de l’autorité civile élue, c’est-à-dire du gouvernement, ce qui était juste. Sauf qu’il s’est ensuite substitué aux militairesqui freinaient le processus démocratique ets’est mis à son tour, considérant qu’il incar-

nait désormais l’Etat, à bloquer cette évo-lution démocratique.

Il est ainsi devenu avec le temps l’uniquesource du pouvoir, à tel point qu’il s’est misà penser que “l’Etat, [c’était lui]”. Tout enrecourant de plus en plus souvent à la force,il a été (peut-être sans s’en rendre compte)pris par une sorte d’ivresse du pouvoir – unesorte d’orgueil d’enfant gâté qui ne veut pluslâcher le pouvoir, qui sait tout et qui ne tolèreplus aucune critique.

Il a alors commencé à être craint. Le mondedes affaires s’est mis à avoir peur de lui parcequ’il a montré, en distribuant tantôt desrécompenses, tantôt des sanctions sévères,qu’il était, en incarnant l’Etat, en mesure demenacer sérieusement ses intérêts. C’est

ainsi que les patrons des grands groupes depresse, qui tous sont issus du monde des

PORTRAIT

Erdogan, la victimedevenue bourreauLe Premier ministre, qui a jadis subi la violence de l’Etat turc,est aujourd’hui un dirigeant autoritaire d’un autre âge.

↙ Dessin d’ António paru dans l’ Expresso,Lisbonne.

Page 16: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 16/65

—Mag14 Tunis

Une professeure d’univer-

sité avoue qu’elle entre-tient avec ses étudiantsdes relations intimes, loin des yeuxde son mari, et ce lors d’un témoi-gnage diffusé le 4 juin, en direct,sur la bande FM – un témoignagequi n’a pas fini de faire des vagues,à en croire les commentaires quifusent de toutes parts sur lesréseaux sociaux.

Ce témoignage survient quelques jours après l’arrestation [le 29 mai]des Femen européennes accou-rues en Tunisie par solidarité avecleur consœur tunisienne, la désor-mais célèbre Amina*. La devise deces groupes “sextrémistes” ? “Fuckmoral” – un slogan qu’elles rédi-

gent sur leur poitrine dénudée ensigne de défi à la morale, consi-dérée comme dépassée, répres-sive et oppressive. Et la nouveauté,c’est que ces activistes trouventdésormais des soutiens qui ne crai-gnent plus de s’afficher publique-ment en Tunisie. Aussi, c’estconformément à ce slogan contrela morale que cette prof tunisiennesemble s’être décidée à agir.

Les sympathisants de l’isla-misme ont beau paraître s’oppo-ser à cette déferlante, il n’en restepas moins que leur camp n’est pastout à fait épargné par la tendancepermissive, même si celle-ci prend

des apparences différentes. Plusdiscret, le phénomène du “mariage

coutumier”, dit “orfi”, ne cesse eneffet de se développer dans lesmilieux estudiantins salafistes. Et

il s’en passe des choses sous le voile sombre du niqab… En défi-nitive, quelle différence réelle y aurait-il entre le mariage orfi etl’union libre à l’occidentale, au-delà du look de ceux qui défen-dent ces différentes sortes deconcubinage ?

Dans un cas comme dans l’autre,les couples se font et se défont augré de l’envie du moment, mêmesi, en Tunisie, les enfants nés deces unions, qu’elles soient “cou-tumières” ou “laïcisantes”, ris-quent d’être exposés à l’opprobred’une société qui ne s’avoue pasencore l’étendue des changementsauxquels elle est confrontée. Mais

des scandales éclatent sporadi-quement et dévoilent par petitestouches successives les boulever-sements écornant la morale tra-ditionnelle.

Prétexte religieux. Ainsi, la pudi- bonderie religieuse n’empêcherapas l’industrie pharmaceutique defaire des affaires en or en Tunisieen écoulant le Viagra et ses ver-sions génériques. Et il paraît mêmeque sa déclinaison féminine sera

 bientôt disponible dans notre pays.Ces derniers mois, les Tunisiens

éberlués ont ainsi appris l’exis-tence du “djihad ennikah”, sacra-

lisant ainsi “religieusement” des bordels de campagne où les femmes

seraient désormais des volontaires,et non des victimes plus ou moinsrémunérées. Mieux : elles trouvent

aujourd’hui des prétextes religieuxfournis par des cheikhs satellitaires[s’exprimant sur des chaînes detélévision par satellite] qui déli-

 vrent l’absolution et promettentaux plus dévouées le paradis enplus du septième ciel. Sans mêmes’appesantir sur les fatwas sca-

 breuses qui trifouillent dans l’in-timité des couples pour les décréterconformes (ou non) à la loi divine.En clair, la sexualité tourne à lapathologie obsessionnelle.

L’épidémie de viols qui a frappérécemment la Tunisie [en marsdernier, dont le cas d’une fillettede 3 ans] ne peut-elle pas être consi-dérée comme symptomatique d’un

malaise sociétal endémique ?De l’autre côté, les unions sacra-

lisées par les liens du mariage nesont pas pour autant en bonnesanté. Faut-il réellement s’en éton-ner dans un contexte où l’âge moyendu premier mariage est désormaisde 33 ans pour les hommes et de29 ans pour les femmes ? Peut-onréprimer indéfiniment des besoinsnaturels sans dommages psycho-logiques et sociaux ?

Quant aux promesses d’Ennahda[parti islamiste au pouvoir] visantà faciliter l’accès aux épousailles,elles ont vécu le temps d’une cam-pagne électorale. Car, dans les faits,

ce n’est pas en organisant des céré-monies collectives en présence

des cheikhs les plus en vue quel’on réglera le profond déséqui-libre social. En attendant, c’est

plutôt avec le chômage que la jeu-nesse tunisienne est mariée.Pendant que gronde dans les pro-fondeurs une révolution sexuellequi ne dit pas son nom.

—Soufia B.A

Publié le 4 juin

* A la mi-mars, Amina publie surles réseaux sociaux des photos d’ellela poitrine nue et se réclamedu mouvement Femen ; le 19 mai,elle est arrêtée pour port d’armeblanche et maintenue en détentionpour d’autres chefs d’accusation.

MAROC

Réveillez-vous !Le cri d’alarme d’unefemme posté surQandisha, le premierwebzine marocainféminin et féministe.

afrique

16. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Tunisie.Union libreou mariagecoutumier ? —Qandisha (extraits)

Casablanca

R

éveillez-vous les femmes,la police des mœurs est deretour ! On n’est pas en Iran

– je suis marocaine –, on est auMaroc – au pays où je n’attendsl’autorisation de personne pourconduire un vélo ou une voiture.Et pourtant, je me rends compteque, là, on m’interdit plus. Voilà,c’est la troisième fois qu’on m’in-terdit de rentrer chez moi. Oui,

 vous avez bien entendu : “chez moi !là où j’habite”. Une bande de mecs,dénommés “membres du syndic”,ont donné l’ordre de m’interdirel’accès de chez moi chaque fois que

 je serai accompagnée d’hommes.Je demande une réunion, qui

dure presque deux heures, où jedébats avec trois hommes qui m’ex-

pliquent : “Madame ! Vous êtes décla-rée célibataire : alors, vous n’avez pasle droit à des visites d’hommes étran- gers ! Bien entendu, à part votre frère, père et les femmes !” Je tente de gardermon sang-froid avant de crachermon feu. J’explique que je suismajeure et vaccinée, qu’ils ne sontpas mes tuteurs et qu’ils n’ont aucunstatut juridique pour m’imposerune ligne de conduite.

“Chers Messieurs ! Vous êtes membresdu syndic, vous avez plusieurs tâchesqui se résument en ce qui suit : jardi-nage, gardiennage et ce qui va avec. Ma vie privée est mienne.”  A part legâteau, combien beau, j’ai aussi droità la cerise. Ma cerise a été cette

phrase du président du syndic, quime lança : “Ce sont nos lois internes.Et vous devez vous plier à nos lois tant que vous habitez cette résidence !” Ohhh ! On a des sectes au Maroc !“Mon œil, Monsieur, pour ne pas direautre chose. Vos lois internes, je ne lesreconnais pas. Je ne suis pas une brebisdans votre troupeau. La prochaine fois, appelez la police ! Mais sachez que je n’abdique pas. Ma vie m’appartient,et, ça, je ne le négocie pas.” 

Mesdames, je me le suis juréquitte à y laisser ma peau, mesfesses, mes plumes et même mesos, je n’abdiquerai pas ! JAMAIS !

 Au grand jamais !

—Majda Saber Publié le 22 mai 

MAG14Tunis, Tunisie

www.mag14.com/ 

Ce webzine lancé aulendemain de la révolutiondu 14 janvier 2011 a pourambition de proposeraux lecteurs “un nouveau

regard sur la Tunisie”.

Ses articles couvrentl’actualité tunisienne,politique et économique.Des rubriques sontconsacrées à la culture

et aux technologies.

SOURCE

Viols, relations sexuelleshors mariage, émergencedu mouvement Femen :les Tunisiens s’interrogentsur l’évolution de leur société.

↙ Dessin d’ Otto parudans The Guardian, Londres.

Page 17: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 17/65

AFRIQUE.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 17

ììì¼mμzÎ

É ¥¥ Þj×j ajÅ ?ÅÅj×ÂÅ

Éyç¥É +?ÂÅ -!

µÐЯ簥|çyÐçç||

  $  "     $  4   /   0  

  Î      "   

2   /         

ä  ü  ̄  ß  a  

     j  Ö   a    

   ¤   o        Ö            j  Í   

®   a   ?  Í   j             Í   j  

a   j  a   k    ¬     Í   a   Ö  

a     Ä  Ä     j  Á     j  ¤   Ô   

    Ö            j  Í    ¯   

&5 -& .0/%& 13&/%

6/& "653& %*.&/4*0/

4" -/$4/0 Ì;" Ì "2/"2$"

X @Yl¦Í l .l@Û¦Ñ ÛlÍ@Û¦@lÑX @ÑÛpÍl - l .l@Û¦Ñ ÛlÍ@Û¦@lÑ` âl ÑllÑÛÍl

c@Ñ äl äêlÍÑÛm µ@ÍÛl@Íl F ÊmÛÍ@lÍ

X â lÛ¦ ÛäclÑ ÛlÍ@Û¦@lÑ lÛ läͦµmllÑ`ѵmY@Ûm /mYäÍÛm ÛlÍ@Û¦@l lÛ cmylÑl -?ÂÎj?Â?Î ?ÞjW ¿2ÞjÂÅÎk +jÂÂj janÅ Â?WjÂjMj ^ a-j a¿Î?Î

X â l ÛllYl Y¦¦Âäl`ѵmY@Ûm @@llÛ cl Ìy¦Í@Û¦ ÑÛÍ@ÛmÂäl -?ÂÎj?Â?Î ?ÞjW .WjWjÅ + à^ a-j a¿Î?Î

X @ÑÛpÍl lÛ¦ @@lÍ cl µÍ¦lÛÑ ÛlÍ@Û¦@äì`ѵmY@Ûm .l@Û¦Ñ ÛlÍ@Û¦@lÑ lÛ @YÛ¦ ä@Û@Íl -?ÂÎj?Â?Î ?ÞjW ÁkWj Ð^ 0ÎÂj WjÂÎxk !Þj?×

4" $/!2$" 4".4b 0 $40 !42-0

#Í@Ñ@Û¦Ñ ÛlÍ@Û¦@lÑ` ÑÛpÍlÑ` cµ¦@Ûl`ÑÛÛäÛ¦ÑläͦµmllÑ`#!` lÛÍlµÍÑlÑ ÛlÍ@Û¦@lÑ`ÑlYÛläÍ cl @ cmylÑl`Y@OlÛÑY¦Ñl` ¦äÍ@Ñl`Y¦lYÛêÛmÑ ¦Y@lÑlÛ ÛlÍÍÛ¦Í@lÑr

I_'I ÕǿƆȈē ƔǾİþƷƔĮ ǿİŌİǿĮƦȪĮ ĚĮȈ ǿĮƔÕȪƆƷƦȈ ƆƦȪĮǿƦÕȪƆƷƦÕƔĮȈ ĚĮǔɈƆȈ ǂƫŢĶ 

—El-Watan Alger 

Arrêtez ! Arrêtez ! Ils sont en train de

tirer !”  A u ne quinzai ne de kilo -mètres d’Anéfis, sur la route quirelie Kidal à Gao, des commerçants nousempêchent d’avancer. A bord de leursénormes camions de marchandises assu-rant le ravitaillement des villages du norddu Mali, ils n’ont pas pu entrer dans le vil-lage d’Anéfis. Il est 5 h 30. Voilà presqueune heure que le soleil tape sur le bitumeéventré de cette route que les chars desmilitaires ont fini par achever. Les com-merçants nous racontent que des accro-chages entre l’armée malienne et le MNLA [Mouvement national de libération del’Azawad, mouvement touareg] auraientdéjà fait plusieurs morts. La bataille estterminée, Anéfis est tombée entre les mainsde l’armée malienne. Un sordide décor de

science-fiction. Aucune âme visible. Descases serrées. Un chien qui court derrièreson ombre. Je ne remarque pas la présencede Français. On les voit peu. Ils se trou-

 vent à Gao, à l’aéroport, dont on ne peutpas s’approcher. Un militaire sort fière-ment sa carte d’identité algérienne et medit : “Tu es la fille de mon pays, félicite-moi  pour cette victoire.” Je ne dis pas un mot.Je pense au barrage du MNLA que nousavons croisé hier.

Ils s’étaient adressés à Abou, mon chauf-feur, en tamasheq, à moi en arabe ou enfrançais. Ils m’avaient paru très jeunesmais ne connaissaient pas leur âge. Ilsn’avaient pas plus de 25 ans. Puis ils nousont quittés dans un nuage de poussière.

 Abou m’appre nd que leur c onvo i a étédécimé. Moussa et ses camarades, proba-

 blement morts. Le MLNA a fait état d’une vingtaine de morts dans ses rangs. Selonl’armée malienne, ils seraient plus d’une

centaine. Nous sommes le 5 juin, six moisaprès le début de l’opération Serval. A Kidalcomme à Gao, les témoignages sont lesmêmes. “Le gouvernement malien n’a jamaisrien réalisé ici, il n’a fait que perpétuer le sys-tème colonial.” Quand les gens ne viventpas terrés dans leur maison, ils parlent dela peur qui les tenaille.

Ghetto du désert. Tout au long du voyageet dans chaque village, les drapeaux fran-çais côtoient les drapeaux maliens. Lesmurs sont recouverts de slogans : “Vive laFrance de Hollande”, “Merci à la France”,“Merci Hollande”. Une reconnaissance par-tagée parfois avec un sourire forcé. “LaFrance est un ancien pays colonisateur. Aujourd’hui, elle nous a aidés en sacrifiant des

 soldats, nous lui devons le respect”, souligneun vieux. Vers 2 heures du matin, les télé-phones de certains voyageurs se mettentà sonner. Le chauffeur traduit : “L’arméemalienne est décidée à aller provoquer lesTouaregs à Anéfis.” Nous traversons à la

 vitesse de la lumière des paysages surpre-nants de beauté, qui incarnent aussi la pro-fonde misère du Mali. San, Mopti, Douentza,Hombori, Gossi… Les panneaux des villesdéfilent, barrages et vérifications d’iden-tité se succèdent jusqu’à Gao, qui narguele fleuve Niger dont elle est séparée par unpont. Le coucher de soleil sur le fleuve mefait oublier que Gao est plongée dans lenoir. Au matin, tout le monde déguste des

 beignets de farine avec du la it sous une

douce brise matinale. Abou, le chauffeurqui doit me conduire à Kidal, est là.

MALI

Kidal, ville lugubre

et sous pressionA un mois des élections, les négociations pour “libérer”la ville du nord du pays se poursuivent. Sur le terrain les milicestouaregs se préparent à la grande bataille.

Un feu invisible vous brûle la peau. Lachaleur est telle que rien ne me rafraîchit.

 Abou me montre les effets des premiers bombardements français. Il y a des débrispartout, des villages éparpillés, si misé-reux. Au premier barrage du MNLA, les

 visages se décrispent à l’instant où je déclinemon identité. “Bienvenue dans l’Azawad !Ici vous êtes chez vous !” En réalité, le MNLA sort exsangue de ce bras de fer avec l’ar-mée malienne, qui, grâce à l’interventionfrançaise, a pris de l’assurance. Fauted’hommes, la plupart de ceux que j’ai croi-sés sont des adolescents armés qui suiventd’autres adolescents armés, sans stratégie,sans moyens. “Nous exigeons la libérationde l’Azawad”, déclare un notable de Kidal.Un autre vétéran de la rébellion de 1963[rébellion touareg contre le pouvoir cen-tral] s’insurge : “Le Mali a toujours vouludétruire la culture touareg. Les responsablesappliquent un plan colonial pour nous éradi-

quer. Le gouvernement malien a permis ladélocalisation des populations [noires]. Je mebats, sans faiblir, pour la reconnaissance denotre nation.” Dès 4 heures, la lumière du

 jour se d ilue dans le c iel. Il n’y a pas deroute ni de goudron. Kidal ressemble à unghetto du désert.

Je choisis de parler en arabe pour ne paspasser pour une Française. Les rues sontpleines de sachets, de débris, de tôles, vieuxmoteurs ou pièces métalliques. Sur les

murs : “Azawad libre”, “Vive le MNLA”, “Nonau racisme”, “Azawad ou la mort” . Dansl’après-midi, on apprend qu’un kamikaze

 vient de se faire exploser.“C’est un Peul, unNoir”, m’informe-t-on. L’odeur de la chair

 brûlée sur le ciment ne me quit tera pas.Le MNLA a arrêté de nombreux habitantsnoirs, craignant l’infiltration d’agents del’armée malienne. Si le MNLA s’est excuséauprès de ceux qui ont été malmenés, cer-tains témoignages sont inquiétants. “Les Azawadiens n’ont rien à voir avec les Noirs.Les Noirs nous détestent depuis toujours”,confie un ancien du MNLA. Son amis’énerve : “Comment peux-tu dire ça à une journaliste ?” Kidal est méfiante, lugubre etsous pression. “Je préférais quand c’était lesislamistes qui commandaient. On n’entendait  jamais parler de vo l, de pillage ou d ’agres- sion”, lâche un citoyen désabusé. On récu-père un pied du terroriste. “Les Azawadiens voteront pour leur pays. Il n’est pas question

qu’on nous impose des élections dans notre pays, lance un soldat du mouvement. LaFrance soutient ouvertement le Mali, nous sommes abandonnés par l’Algérie, et les négo-ciations ne sont qu’une manière de gagner dutemps avant la grande bataille.” Car, commele promet un haut responsable, “le Mali et le monde entier doivent comprendre que nousmourrons tous avant de livrer Kidal”.

—Faten Hayed

Publié le 7 juin

Bamako

Tessalit

Kidal

Tombouctou

DouentzaGossi

Gao

Hombori

Mopti

Anéfis

ALGÉRIE

MAURITANIE

MALI

NIGER

SÉNÉGAL

BURKINAFASO

   S   O   U   R   C   E   :    “   E   L  -   W   A   T   A   N    ” “AZAWAD”

S A H A R A

N    i    g   e  r   

400 km

Tropiquedu Cancer

Djenné

SanSégou

L’ Azawad, zone revendiquéepar les Touaregs du MNLA

Route suivie par la journaliste d’El-Watan

Derniers combats entre l’arméemalienne et le MNLA (5 /6/2013)

Page 18: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 18/65

Mais qui sontles Gupta ?

●●● Pourquoi ont-ils bénéficié

d’un tel traitement de faveur ?

Pourquoi six ministres sud-africains,

ainsi que l’ancien ministre en chef 

de l’Etat indien de l’Uttar Pradesh,

ont-ils assisté à ce mariage ?

C’est ce que tentent de découvrir

les médias sud-africains depuis

le début du “Guptagate”. Le 7 juin,

l’hebdomadaire Mail & Guardianindiquait que l’entreprise indienne

Paras aurait remporté l’appel d’offresdu gouvernement sud-africain pour

un grand projet de développement

agricole dans l’Etat libre grâce

à ses relations avec les Gupta.

“La famille est aussi très proche

du président de cette province”,

affirment les journalistes.

La minorité indienne, plus riche

que les Africains grâce aux

avantages qui lui étaient accordés

pendant l’apartheid et à ses contacts

historiques en Inde, a aidé

financièrement le Congrès national

africain (ANC) à assurer sa transition

vers le pouvoir, en 1994,

en échange de liens privilégiés

dans les partenariats public-privé.

AFRIQUE

—Mint New Delhi 

L

’Afrique du Sud est plus sensible auracisme que la majorité des autrespays. Son corps politique porte encore

les cicatrices tragiques laissées par l’apar-theid, qui a duré plus de quarante ans. LaConstitution rédigée à l’issue de cette périodeest extrêmement libérale et l’Afrique duSud prend les accusations de racisme trèsau sérieux.

Puis arriva la famille Gupta. Cette familleest composée d’hommes d’affaires origi-naires de l’Etat indien de l’Uttar Pradesh quiont fait fortune en Afrique du Sud après lafin de l’apartheid. Ils possèdent l’entrepriseSahara Computers ainsi qu’un journal local.Et, surtout, ils sont proches du présidentJacob Zuma. A tel point que lorsque VegaGupta a épousé Aakash Jahajgarhia (un siteInternet célèbre d’ailleurs ce mariage), descentaines d’invités sont non seulement venus

d’Inde par un vol affrété pour l’occasion,mais ils ont aussi atterri à Waterkloof, unaérodrome de l’armée de l’air situé près dePretoria. L’histoire ne dit pas pourquoi lafamille Gupta a jugé que l’aéroport interna-tional Oliver Tambo, à Johannesburg, n’étaitpas assez bien pour eux. Selon la presse sud-africaine, des fonctionnaires des servicesd’immigration sont venus contrôler les pas-seports des visiteurs, un bar mobile a étémis à disposition pour servir des boissonset les invités ont été escortés par des véhi-cules de police avec gyrophares jusqu’à SunCity – un lieu de villégiature qui regroupehôtels et casinos. Par ailleurs, la famille asûrement fait quelques économies – troisfois rien – sur les redevances d’atterrissage

et les taxes aéroportuaires.Le traitement de faveur accordé aux amisdu président en a irrité plus d’un, et beau-coup d’autres ont été furieux en apprenantle comportement de certains invités, révélépar la presse. Apparemment, ces derniersont exigé de n’être servis que par des employés

 blancs et d’autres ont demandé au person-nel noir d’aller se laver.

Ressentiment.Ces comportements ontrouvert des blessures en Afrique du Sud.Dans ce pays, certains nationalistes noirsont tendance à penser que la lutte contrel’apartheid n’a été menée que par des Noirs.Ce n’est pas vrai. Mac Maharaj [désormais

 bras droit du président Zuma] était avecNelson Mandela sur Robben Island. Il a

transcrit ses mémoires et a diffusé l’ou- vrage [Un long chemin vers la liberté] illéga-lement hors de prison. Frene Ginwala étaitla première présidente du Parlement natio-nal à la fin de l’apartheid. Fatima Meer estl’une des nombreuses Indiennes qui ont

 joué un rôle crucial dans ce combat. Sansoublier Aziz Pahad, qui était un politiciende renom. Aucune de ces nominations n’étaitpurement figurative et il se trouve que cespersonnes avaient des origines indiennes.Elles n’étaient pas toutes membres de l’ANC,mais elles croyaient toutes en l’idéal d’unenation arc-en-ciel.

Certes, les Indiens ont souffert pendantl’apartheid, mais pas autant que les Noirs.En vertu du Group Areas Act [une loi de

séparation géographique selon les “races”],les Indiens ne pouvaient pas vivre où ils le

souhaitaient, mais ils avaient le droit d’êtreavocats ou comptables. Malgré tout, certainsIndiens ont réussi, ce qui a provoqué un cer-tain ressentiment.

Lorsque les détails du somptueux mariagede Vega Gupta ont été révélés, nombreuxsont les Sud-Africains noirs qui ont expriméleur colère contre les Indiens. Les membresde la famille Gupta, venus dans ce pays pourfaire fortune, sont après tout des arrivistesqui n’ont pas participé à la lutte contre l’apar-theid. Les critiques, toutefois, ont menacéde toucher tous les Sud-Africains d’origineindienne, ce qui serait catastrophique : ils’agirait d’une nouvelle forme de racisme,d’une part, et d’autre part ces reproches sontfondés sur une interprétation malhonnêtede l’histoire sud-africaine.

L’épisode du mariage Gupta révèle peut-être que l’Afrique du Sud est désormais entrain de devenir un pays normal, auquel casil n’est plus nécessaire qu’un parti de lutte

pour la liberté soit à la tête du gouverne-ment, comme l’a expliqué récemment l’ar-chevêque Desmond Tutu, lauréat du prixNobel comme Nelson Mandela. L’épisodede la famille Gupta n’est qu’un exemple decopinage politique.

Les Sud-Africains ne se lassent jamais derappeler aux Indiens qu’en 1893 l’Inde adonné à l’Afrique du Sud un avocat appeléGandhi et que ce pays leur a rendu Mahatma[Gandhi a développé sa théorie de la non-

 violence lors de son séjour en Afrique duSud]. Un siècle plus tard, qu’est-ce que l’Indea donné à l’Afrique du Sud ? Monsieur Gupta.Et ainsi, l’Histoire se répète, telle une farce.

—Salil Tripathi

Publié le 22 mai 

18. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

 Jan Ole GERSTER

Kobo Town

3DXO:ULJKW

AFRIQUE DU SUD

Jacob Zuma et ses bons

amis indiensLe pays est secoué par le scandale des Gupta : une famille d’origineindienne qui a bénéficié de traitements de faveur. L’affaire réveillele racisme anti-Indiens.

↙ Le cadeau de mariage de Gupta.“Pour votre mariage, nous vous offrons un

 pays et un président.” Dessin de Zapiro parudans The Sunday Times, Johannesburg.

Page 19: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 19/65

Page 20: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 20/65

—The Diplomat Tokyo

Lorsqu’à 20 ans Suon Chivaa voulu apprendre unedeuxième langue en com-

plément du khmer, sa décision a vite été prise. Il a vu où étaientfabriqués les produits vendus surles marchés locaux et d’où venaientles nouveaux investissementsdans son pays. Etudier le chinoislui a semblé un choix logique.“Aujourd’hui, beaucoup d’hommeset de femmes d’affaires viennent deChine pour travailler au Cambodge,explique-t-il. Ils investissent beau-coup d’argent, c’est pourquoi il est essentiel de parler leur langue.” 

Cette opinion est partagée parla plupart des personnes qui se

trouvent avec Chiva dans une sallede classe étouffante, à Phnom Penh,la capitale cambodgienne. Commeune douzaine d’autres étudiants,il est assis sur un banc en bois, les

 ventilateurs font tournoyer de l’airchaud dans la pièce, et le jeuneprofesseur explique les différentstons qui existent en mandarin.

Ces dernières années, plusieursécoles comme celle-ci ont ouvertdans la capitale, sur la même routepassante le long de laquelle despanneaux de couleurs vives por-tant des inscriptions en chinoisdominent le trafic. Le bâtimentdéfraîchi où ont lieu les cours est

un dédale de salles qui communi-quent entre elles.

Ces écoles prennent pour ciblesde jeunes Cambodgiens qui veu-

lent prendre une longueur d’avancedans le contexte d’une économieémergente. Pendant des années,apprendre l’anglais était une condi-tion requise pour la plupart desCambodgiens ambitieux. Toutefois,avec l’influence croissante de laChine et ses investissements omni-présents dans la région, parlermandarin est également devenuune compétence précieuse.

Les résultats des efforts de laChine pour renforcer son rayon-nement sont sujets à débat, maisà Phnom Penh de nombreux

 jeunes sont avid es d’en savoirplus sur la langue et la culturechinoises, que l’empire du Milieu

est précisément désireux d’ex-porter. Selon une associationlocale de Sino-Cambodgiens,environ 30 000 étudiants appren-draient actuellement le mandarinà temps plein ou partiel.

Pour les affaires. Dans une sallede classe du rez-de-chausséeouverte sur la rue, des étudiantscontournent les motos garées pourtrouver une place. Près du tableau

 blanc, le directeur, Long Sochea,s’adresse lentement au groupe dedébutants et parle fort pour êtreentendu malgré le vacarme.

Lorsque Sochea a commencé à

enseigner le mandarin, dans lesannées 1990, ses quelques étudiants

étaient surtout des Cambod-giens ayant des origines chinoises

qui voulaient rafraîchir leursconnaissances sur la langue deleurs lointains ancêtres.Maintenant, précise-t-il, presquetous ses élèves sont khmers etn’ont aucun lien avec la Chine. Ilsespèrent qu’apprendre cette langueleur donnera un avantage dans lemonde des affaires.

“Les familles cambodgiennes encou-ragent leurs enfants à apprendre lechinois, explique-t-il, car ils veulent que leur progéniture trouve du tra- vail.” L’école propose par ailleursdes cours d’initiation à d’autres

langues, comme l’anglais, le coréenet le vietnamien. Toutefois, lorsquede nouveaux venus lui demandentdes conseils, Sochea avoue qu’illes oriente tous dans la même direc-tion. “Je leur dis de jeter un œil aux investissements des autres pays. AuCambodge, l’essentiel de l’argent vient de la Chine.” 

L’empire du Milieu est devenuun investisseur de premier plan.Depuis 2005, les investissements

 validés par des entreprises chinoises

au Cambodge ont atteint plus de8 milliards de dollars [6,2 milliards

d’euros] selon le Conseil cambod-gien de l’investissement (CIB)– un chiffre largement supérieuraux sommes placées en Corée,

deuxième pays pour les inves-tissements chinois. Ilne s’agit toutefois que

d’un aperçu partiel desprojets chinois au Cam-

 bodge, autrement dit ceuxqui bénéficient d’exonéra-tions fiscales et d’autres

mesures incitatives. Le chiffreofficiel ne tient pas comptenon plus des investisseurs

qui opèrent dans les zones

au Cambodge. C’est grâce à cescentres installés dans le mondeentier que la Chine cherche àrenforcer son rayonnement.Munyrith a appris le mandarinpour communiquer avec seshomologues chinois.

Depuis 2010, l’Institut Confuciusde Phnom Penh propose des coursde langue aux fonctionnaires cam-

 bodgiens. Parmi les étud ian tsadultes, on compte des bureau-crates et des membres du gou-

 vernement. “Aujourd’hui, le chinoisn’est plus seulement la langue desaffaires, précise Munyrith, c’est aussi celle de la politique.” 

Une autorité acceptée. Dansce domaine, plusieurs événementsrécents ont montré que la Chineet le Cambodge avaient souvent

des discours similaires. Les diffé-rends territoriaux en mer de Chineméridionale ont créé des tensions

dans la région. En 2012, leCambodge a pré-

sidé l’Associationdes nations de l’Asie du

Sud-Est (Asean), et le paysa été accusé de s’allier à la Chineaux dépens de ses voisins lors desdébats sur ce litige maritime.

Pour Pavin Chachavalpongpun,professeur à l’université de Kyoto,la tendance des Cambodgiens à

 vouloir apprendre le chinois reflètel’influence croissante de la Chine.

“C’est le signe que la population

accepte l’autorité chinoise dans larégion”, affirme Pavin, évoquantl’utilisation par la Chine du  soft  pow er  [le pouvoir d’influence,concept développé par le profes-seur de sciences politiques amé-ricain Joseph Nye] dans la région.“Lorsqu’on apprend la langue d’unautre pays, cela signifie que l’on com- prend e t accepte la position domi-nante de ce pays.”  Néanmoins,comme l’a montré la polémiquede l’Asean, les largesses chinoisesau Cambodge impliquent bel et

 bien des obligations.Pour les nombreuses personnes

qui commencent à apprendre lemandarin, cela représente tou-

tefois la promesse d’un avenirengageant. Pendant ce temps,à la Jing Fa Chinese School, lescours de l’après-midi se sont ter-minés. Kaing Mengty, âgé de 26 ans,range ses livres avant de retour-ner vendre des produits fabriquésen Chine sur un marché local.

“Je ne sais pas grand-chose sur laChine, avoue-t-il. Je ne connais quemon pays. Et les Cambodgiens peu- vent gagner de l’argent grâce au com-merce avec la Chine.” 

—Irwin Loy 

Publié le 22 mai 

(A propos de The Diplomat,

lire notre rubriqueLa source de la semaine p. 50)

20. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

asie

D’UN CONTINENT À L’AUTRE

Cambodge. Apprendrele chinois :

un mustAlors que l’influence économiqueet politique de la Chine explose,les plus ambitieux des Cambodgiensapprennent le mandarin.

économiques spéciales du pays oudes petits projets approuvés par les

autorités provinciales.Ces accords souvent obscurssont loin d’être transparents aux

 yeux de la population. Par ailleurs,contrairement aux investissements

 venus du monde occidental , per-sonne n’exige de contrôler ou desuperviser quoi que ce soit, ce quiarrange bien le gouvernementcambodgien.

La langue de la politique. PourChea Munyrith, l’omniprésence dela Chine au Cambodge à l’heureactuelle contraste fortement avecl’époque de son enfance, dans lesannées 1980, après la chute desKhmers rouges. Il se souvient que

sa grand-mère, d’origine chinoise,avait très peur de parler son dia-lecte, le teochew [parlé dans le sudde la Chine, région d’origine d’unepartie importante des populationsqui ont migré vers l’Asie du Sud-Est au début du XXe siècle], c’estpourquoi elle n’a jamais pris la peinede le lui apprendre.

“Elle m’a dit que nous étions khmerset que nous devions désormais parler cette langue, se rappelle-t-il. Ellene voulait pas évoquer ses origineschinoises.” 

Maintenant qu’il est adulte,Munyrith estime toutefois que lechinois fait partie intégrante de son

travail. Il est codirecteur du pre-mier Institut Confucius qui a ouvert

“Au Cambodge,

l’essentielde l’argent vientde la Chine”

↙ Dessin de Xia

 paru dans Caijing, Pékin.

Page 21: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 21/65

Page 22: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 22/65

ASIE

—Tehelka New Delhi 

M ehmeet Sayeed a fait son apparitionsur la scène musicale cachemirie en2001 alors que la vallée était dans les

affres d’un séparatisme déchaîné. Elle n’avaitpas 20 ans quand elle s’est soudain retrou-

 vée catapultée des scènes universitairesaux grandes salles de concert et surRadio Kashmir [principale radio,contrôlée par le gouvernementindien et qui a contribué à la vita-lité de la musique traditionnellede la région] – tout ça en unan. Dans les années qui ontsuivi, elle a enregistré desalbums et tourné des clips dont certains

ont fait fureur. Mehmeet Sayeed n’a jamaisété confrontée à des critiques publiques,des menaces d’extrémistes ou des fatwas,même si elle a eu sa part d’intimidations :de temps en temps, un coup de téléphonelui ordonnait d’arrêter de chanter. “Mes parents se sont occupés de tout. Je n’ai pas euà m’inquiéter.”  A 21 ans, Mehmeet Sayeed

s’est fait une place parmi les chanteusesétablies de la vallée. Shamena Dev, épousede Ghulam Nabi Azad, le ministre de la Santéde l’Etat, qui est également une chanteuseaccomplie, confie : “Les menaces, c’est la rou-tine. Il faut les ignorer.” 

Une réussite inouïe. Mehmeet afait du chemin : elle est devenue

une chanteuse célèbre au Cache-mire et va même jusqu’à jouer les ved ettes dan s cer tai ns de sesdisques. Dans ses DVD, on la voit

tourbillonner autour dequelques arbres, chantant enplay-back pendant qu’un essaim

de belles jeunes filles en costume cache-

miri dansent sur fond de prairies ver-doyantes. Ses albums se sont vendus parmilliers dans la vallée, une réussite inouïepour un artiste cachemiri, et ils sont éga-lement très appréciés par la diaspora. Dèsle début des années 2000, elle était trèsdemandée par les radios et les télévisionslocales et se produisait également lors

d’événements culturels officiels et nonofficiels, où son interprétation de la poésiesoufie et du répertoire local de l’amourcourtois ravissait le public. Tout cela à uneépoque où le séparatisme plongeait leCachemire dans le chaos.

Pathos et simplicité. Mehmeet a publiétrois albums. Mais c’est son interprétationémouvante des poèmes de Habba Khatoon,dans lesquels cette reine du Cachemire auXVIe siècle exprime le chagrin que lui causel’exil de son époux, le roi Yusuf Shah Chak,qui lui a donné son identité. ChanterHabba Khatoon est devenu un rite de pas-sage pour tout jeune chanteur cachemiri,

et Mehmeet a réussi avec brio. Ellerend le pathos et la simplicité de

Habba dans la plus pure tradi-tion locale tout en apportantune touche de sensibilité

moderne. L’une de ces chan-

sons est Gah Choon PevanGhati, Aki Lati Yiham Na(“Je vois ton halo dans

l’obscurité, ne reviendras-tu pas vers moi au moinsune fois ?”). Mehmeet estégalement la première chan-

teuse cachemirie à avoir montéun groupe de rock, qui s’ap-

pelle Immersion. Elle chante et joue desclaviers et de la flûte.

D’après Mehmeet, le Cachemire ne manquepas d’espace créatif pour les artistes. “J’ai reçu quelques menaces, mais c’est normal.” Elleestime que les groupes de filles qui ont arrêtéde chanter [en février dernier] à la suited’une fatwa devraient continuer. “Il y a tel-

lement de groupes au Cachemire ! Et puisce genre de chose arrive, on n’est pas censé y prêter grande attention.” “J’ai essayé de briser le corset qui emprisonne les chanteuses cache-miries et d’élargir mon horizon”, ajoute-t-elle.Elle chantera bientôt dans un film deBollywood aux côtés de Rahat Fateh Ali Khan[chanteur pakistanais, neveu de Nusrat Fateh

 Ali Khan]. “Mon objectif est de faire mieux connaître la musique de ma région et de la faire sortir du Cachemire.” 

—Riyaz Wani, à Srinagar (Inde)Publié le 24 mai 

22. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Geet”  veut dire “la chanson” dans lesens d’une chanson de geste

comme La Chanson de Roland. Le“geet” est une façon lyrique de raconterune épopée. Parmi ces chants, la BaghavadGita, que l’on appelle la Gita (le “geet”)pour faire court, est l’un des récits les pluscélèbres de l’hindouisme (composée entrele V e et le IIe siècle avant notre ère). Moinséloignée de notre époque, la collectiondes poèmes écrits en bengali parRabindranath Tagore, qui a fait sensationen Occident et a valu à son auteur le prixNobel de littérature en 1913, il y a exacte-ment un siècle, s’appelle Gitanjali, ouoffrande (“anjali”) de chansons (“geet”).Si “geet” fait référence à des épopées ouà des poèmes, il peut aussi désigner unesimple chanson. La musique, surtout la

musique vocale, se dit “sangeet”.Certains voient dans le mot “guitare” la juxtapo-sition de “geet” et “tar”, qui veut dire“corde”. Mais le mot “guitare” n’est peut-être que l’évolution du mot “sitar”, dési-gnant un instrument à cordes indien, quidevient, en passant par le persan, la “chi-tarra” en italien, la “guitarra” en espagnolet la “guitare” en français. Quoi qu’il ensoit, la guitare est devenue l’instrumentphare du chant populaire. Or, bien avantqu’elle n’émerge (dans les années 1960)comme l’instrument de prédilection des

 jeunes, la guitare était, en Andalousie– cette région très marquée par la culturemusulmane, l’esthétique persane et lamusique des Gitans (influencée par lespériples millénaires de ce peuple venu

d’Inde) –, l’instrument qui permettait àla fois de rythmer la danse et d’accom-pagner des chansons évoquant les affresdéchirantes de la passion. Le “geet” indiena donc traversé les siècles et fait mainte-nant partie de notre culture commune.

—Mira Kamdar Calligraphie d’Abdollah Kiaie

“Geet”

Chanson

LE MOTDE LA SEMAINE

Vu d’ailleurs L’actualité française vuede l’étranger chaque semaine avecavec Christophe Moulin et Eric Chol

En direct vendredi à 17 h 10, samedi à 21 h 10, et dimanche 14 h 10 et 17 h 10.   I    b   o   O

   g   r   e   t   m   e   n    /   L   C   I

La jeune chanteuse, que les fanatiques n’intimident pas,est devenue en peu de temps une star grâce à ses interprétationsde la musique soufie traditionnelle.

INDE

Mehmeet,

la voix tranquilledu Cachemire

↙ Dessinde Kopelnitsky,

Etats-Unis.

SUR NOTRE SITEcourrierinternational.com

Une des vidéos les plus populaires

de Mehmeet Sayeed.

PORTRAIT   D   R

Page 23: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 23/65

Page 24: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 24/65

Page 25: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 25/65

—The New York Times(extraits) New York

Quelques heures après la révé-lation que les autorités fédé-rales collectent de façon

systématique les don-nées téléphoniques demillions d’Américains,qu’ils fassent l’objetd’une enquête anti-terroriste ou non, l’ad-ministration Obamas’est justifiée en utili-sant son excuse habi-tuelle. En effet, le président Obamaressert la même platitude chaque

fois qu’il se fait prendre à outre-passer ses pouvoirs : les terroristes

sont une menace réelle, et le peuple américain devrait nous faireconfiance pour gérer cette menace,car nous avons des mécanismesinternes (dont nous ne vous dironsrien) qui nous permettent de nous

assurer que nous ne violons pas vos droits.

Ces discours – qu’ils visent à légitimer unmandat secret per-mettant la saisie desrelevés téléphoniquesde journalistes del’agence Associated

Press ou des ordres secrets pourexécuter un citoyen américain

soupçonné de terrorisme [le pré-dicateur Anwar Al-Awlaki, tué lors

d’une attaque de drone au Yémenen septembre 2011] – n’ont jamaisété très convaincants, en particu-lier venant d’un président qui nousavait promis de faire preuve detransparence et d’assumer ses res-ponsabilités.

Abus de pouvoir. L’adminis-tration Obama a désormais perdutoute crédibilité à cet égard. Unefois de plus, le président a prouvéque l’exécutif est prêt à utilisertous les pouvoirs qui lui sont confé-rés et qu’il risque fort d’en abuser.

 Voilà pourquoi nous affirm onsdepuis un certain temps déjà que

le Patriot Act [ voir encadré ], pro-mulgué dans un contexte de peur

dans la foulée des attentats du11 septembre 2001 par des membresdu Congrès qui, pour la plupart,ne l’avaient même pas lu, est dan-gereux. Il attribue en effet à l’Etatdes pouvoirs de surveillance élar-gis et non nécessaires.

Depuis la publication de l’ar-ticle du quotidien britannique TheGuardian, le 5 juin, nous savonsque le FBI et la NSA [l’Agencenationale de sécurité américaine]ont utilisé le Patriot Act pour obte-nir une ordonnance de justicesecrète et obliger l’opérateur télé-phonique américain Verizon à leurremettre les données relatives àtous les appels ayant transité parleur système. Nous savons aussique cette ordonnance fait partied’un programme de surveillanceplus vaste en place depuis plu-

sieurs années, et il est fort pro- bab le qu’ il concerne d’autresentreprises. [Les opérateurs AT&Tet Sprint Nextel seraient égale-ment contraints de remettre leursdonnées à la NSA.] En fait, il y atout lieu de croire que le gouver-nement fédéral collecte toutes lesinformations qu’il peut obtenirsur tous les appels réalisés par lescitoyens américains, à l’exceptiondu contenu de ces appels.

Surveillance. Les articles parusdans le Washington Post  et leGuardianont en outre décrit le pro-cessus qui permet à la NSA de saisir

les données des communicationsInternet sur les serveurs de neuf géants du web américains [dontGoogle, Apple et Facebook dans lecadre du programme de surveillance

 baptisé Prism]. Les auteurs desarticles se demandent par ailleurssi la NSA fait réellement une dis-tinction entre les communicationsréalisées à l’extérieur des frontièreset les communications domestiques.

Si la lutte contre le terrorismeest un objectif primordial, de quellefaçon est-il servi par la collecte desdonnées téléphoniques de l’en-semble des citoyens ? Le gouver-nement peut aisément collecter lesrelevés téléphoniques des “terro-ristes connus ou présumés” (et mêmele contenu de leurs appels) sansavoir à enregistrer tous les appelsréalisés. En fait, la loi qui régit lacollecte de renseignements (leForeign Intelligence Surveillance

 Act) a été modifiée en 2008 pourservir cet objectif précis.

Essentiellement, ce que l’ad-ministration dit, c’est que le gou-

 vernement a le droit de connaîtrele destinataire, la durée et l’ori-gine de tous les appels réalisés parles citoyens américains, mêmeceux qui ne sont soupçonnés d’au-cun méfait.

L’argument avancé par la séna-

trice démocrate de CalifornieDianne Feinstein pour défendre

cette pratique est absurde.Mme Feinstein devrait pourtant,en tant que présidente de la Com-mission du renseignement du Sénat,tenter de prévenir ce genre d’abus.Mais elle a affirmé, le 6 juin, queles autorités ont besoin de ces ren-seignements au cas où une per-sonne deviendrait terroriste.

Selon un haut responsable del’administration, l’exécutif évalueen interne les programmes de sur-

 veillance pour s’assurer qu’ils“res- pectent la Constitution et les lois desEtats-Unis et protègent adéquatement la vie privée et les libertés civiles”. Ilsemble toutefois que cela ne soitplus suffisant. M. Obama n’avaitclairement pas l’intention de révé-ler l’existence de ce programme desurveillance, tout comme il n’au-rait pas parlé de l’élimination

d’Anwar Al-Awlaki s’il n’avait pasété rapporté dans la presse. Mêmealors, il a fallu attendre plus d’unan et demi pour qu’il reconnaissesa responsabilité dans cette exé-cution, et il continue de tenir secretle protocole qu’il utilise pour prendrede telles décisions.

Nous ne remettons pas en ques-tion la légalité de l’ordonnance de

 justice divulguée par le Guardianet obtenue en vertu du Patriot Act,mais nous nous opposons ferme-ment à ce que ce pouvoir soit uti-lisé de cette manière. C’estprécisément le genre de chosescontre lesquelles s’élevait Obama

lorsqu’il disait, en 2007, que la poli-tique de surveillance de l’adminis-tration de George W. Bush nousplaçait devant “un faux choix entreles libertés que nous chérissons et la sécurité que nous demandons”.

L’interprétation abusive du Patriot Act montre, une fois de plus, pour-quoi il doit être modifié, voire toutsimplement abrogé. —

Publié le 6 juin

Lire aussi l’article “Edward Snowden,

traître ou héros ?”  p. 7

amériques

D’UN CONTINENT À L’AUTRE24. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Le Patriot ActAdopté le 26 octobre 2001,

après l’attentat contre les

Twin Towers (11 septembre),

le USA Patriot Act est une

loi antiterroriste dont le

nom complet est “Uniting

and Strengthening America

by Providing Appropriate

Tools Required to Intercept

and Obstruct Terrorism”,

que l’on peut traduire

en français par “Unir

et renforcer l’Amérique

en fournissant les outils

appropriés pour

intercepter le terrorisme

et y faire obstacle”.

Etats-Unis. La NSA joue à Big Brother

La polémique enfle depuis qu’il a été révélé quela très puissante Agence nationale de sécurité épieles communications téléphoniques et les connexionsInternet de millions de citoyens.

↙ Dessin d’ Arend,

Pays-Bas.

ÉDITO

Page 26: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 26/65

Page 27: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 27/65

Riobamba

É Q U A T E U R

COLOMBIE

PÉROU

Urbina

Guamote

San Lorenzo

Equateur 

Cuenca100 km

Guayaquil

Quito

Durán Huigra

ColtaYaguachi

Milagro

Nez du diable

Naranjito

OCÉAN PACIFIQUE

     C

     O

     R

    D

      I

      L

    L     È

     R

       E 

       D    E

    S   A

ND   E

S

2 817 m

 3 609 m

   S   O   U   R   C   E   :   F   E   R   R   O   C   A   R   R   I   L   E   S   D   E   L   E   C   U   A   D   O   R

Voie ferrée en service Voie ferrée désaffectée

Un patrimoine culturel national

AMÉRIQUES

—El Telégrafo Guayaquil

Dans la ville de Yaguachi, à la tombéede la nuit, tout le monde attend l’ar-rivée de la locomotive à vapeur

Baldwing Hamilton 53. Cemonstre noir, au bruit carac-téristique d’un autre temps,tire les quatre voitures d’untrain qui vient de Quito et sedirige vers Durán. Dans uncoin de cette ville entouréede rizières, une guitare à lamain, Alejandro Díaz passe

presque inaperçu pendant qu’il chante unemélodie dédiée au chemin de fer. A 72 ans,il est né ici et il est ému à chaque accord : sachanson évoque ce train qui, des dizainesd’années plus tôt, apportait du poisson etdu riz jusque dans les montagnes. Aujourd’hui,explique-t-il, il est rempli de touristes.

 Alejandro n’est pas le seul à être touchéen voyant le convoi passer dans sa région.Les éleveurs, les ouvriers agricoles et les éco-liers prendront tous quelques secondes pour

 voir les voyageurs passer et les saluer d’unsigne de la main ou d’un sourire.

Le train part de bonne heure de la gare deChimbacalle, au sud de la capitale, et assisteau réveil de ce quartier qui reçoit ce jour-làun nouveau visiteur. Les habitants inter-

rompent momentanément leur vie quoti-dienne et monotone pour voir passer un

train qui, pour beaucoup, rappelle des sou- venirs d’enfance. Les passagers de ce voyageinaugural sont les représentants d’agencesde tourisme internationales ainsi que de lapresse locale et étrangère, embarqués pour

promouvoir cette nouvelleoffre : un circuit qui relieraQuito à Durán en quatre jours,dès ce mois de juin.

 A partir de c ette date, letrain sera rebaptisé “Train del’unité nationale” et parcourra456 kilomètres entre les mon-tagnes du nord-est et la côte

sud-ouest : après un départ de Quito à2 800 mètres d’altitude, le convoi passerapar Urbina – à 3 609 mètres –, avant de redes-cendre jusqu’à 4 mètres au-dessus du niveaude la mer, à Durán. Les douze volcans qui setrouvent sur sa route seront les témoins duretour du chemin de fer. Chaque kilomètreparcouru apporte son lot d’émotions, d’odeurs,de couleurs et de saveurs variées.

Il s’agit non seulement de proposer unservice touristique, mais aussi de redon-ner vie à l’idée d’Eloy Alfaro [révolution-naire qui fut président de 1895 à 1901 et de1906 à 1911], qui, au début du XXe siècle,décida que le train serait un moyen d’unirle peuple équatorien. Le tronçon sud duchemin de fer a officiellement été inauguré

le 25 juin 1908. Cette journée est devenueune fête civique d’ampleur nationale et elle

a mis un point final à onze ans de travauxdifficiles, dont la construction du passagedu Nez du diable, qui a coûté la vie à descentaines d’ouvriers.

 A l’époque, les distances et l’absence de voies ferrées empêchaient la naissance d’unsentiment d’identité nationale. Le train nonseulement transportait des céréales jusqu’àla mer et des bananes jusqu’aux montagnes,mais il apportait également la connaissance.Toutefois, le laisser-aller des gouverne-ments suivants et les phénomènes météo-rologiques comme El Niño ont mis horsservice le système, qui était comme les“veines du pays”. Le train a cessé de circu-ler dans les années 1990, à l’époque où le

 voyage durait deux jours, avec un arrêt sys-tématique à Riobamba.

Un voyage unique. Les gardes-freins sontun rouage essentiel durant le trajet, car ilssont chargés de freiner et d’équilibrer les

 voitures pour qu’elles ne déraillent pas. Grâceà des signes et à des gestes, ils communi-quent avec le mécanicien sous le regardamusé des passagers. Sur le visage de cestechniciens, on lit le sens des responsabili-tés et le dévouement, ainsi que l’amour que

 vouent aux trains tous ceux qui travaillentsur les chemins de fer. C’est notamment lecas d’Alfonso Quinzo, originaire de Riobamba,qui a plus de vingt ans d’expérience et aconnu l’âge d’or du train avant sa dispari-tion. Aujourd’hui, il espère seulement conti-nuer à parcourir des kilomètres sur les railsavec sa casquette de cheminot.

Mais, finalement, ce sont les gens que l’oncroise en chemin qui rendent ce voyage véri-tablement unique : humbles pour la plupart,

ils regardent passer les voitures remplies detouristes, dans lesquelles ils ne pourrontpeut-être jamais monter car le circuit coûteplus de 750 euros. Ils ont toutefois bon espoirque ce train leur apporte la prospérité. Pourle moment, la société des chemins de feréquatoriens a lancé un programme intitulé“Vive tu tren”, auquel participeront des habi-tants de Naranjito, Milagro, Yaguachi, Huigra,Guamote et Colta : l’objectif est de faireconnaître le train à des représentants decomités de quartier et d’assemblées parois-siales, à des étudiants et à des entrepreneurs,afin qu’ils deviennent les porte-parole decette nouvelle offre.

Jorge Bermeo était conducteur de trainet il a pris sa retraite dans les années 1970.

 A 93 ans, il est ému en montant de nouveaudans l’une des voitures et en voyant des pay-sages que ses yeux avaient oubliés. Le regardperdu dans ses souvenirs, il affirme qu’il“pourra maintenant mourir en paix”.

Il fut un temps où Huigra vivait princi-palement du trafic ferroviaire qui ache-minait des marchandises jusqu’à la mer ;mais cette époque est révolue depuis long-temps. Les habitants se souviennent quetout le monde avait un proche qui gagnaitsa vie grâce au chemin de fer. Ils se rap-pellent aussi la construction d’hôtels, decasinos et de restaurants destinés à tousces clients de passage.

On voit bien que tout s’est construitautour du train dans cette ville qui, aujour-d’hui, tente de se remémorer les annéesfastes. Par la suite, une crue du fleuveChanchán et des éboulements ont détruit

une grande partie des voies.Dans les rues de Huigra, on sent qu’un

exode a miné une ville autrefois dynamique.La majorité des 2 200 habitants sont desmineurs ou des personnes âgées, car la popu-lation active a émigré. L’annonce du retourdu train commence néanmoins à faire soneffet : les personnes en parlent et des émi-grés qui sont rentrés des Etats-Unis oud’Espagne rénovent des hôtels délabrés, net-toient les chemins et font revenir des jeunespour réhabiliter le chemin de fer.

—Eduar do León

Publié le 30 mai 

26. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

du lundi au vendredià 16h15 et 21h50

franceinfo.fr

L’ACTUALITÉINTERNATIONALE«UN MONDE D’INFO»

●●● Le président Raf ael Correa a été

investi le 24 mai pour un troisième

mandat. Il a été réélu le 17 février 

avec plus de 57 % des voix et dispose

de la majorité absolue au Sénat.

Cet économiste,aupouvoir depuis2006,

qui  jouit d’une grande popularité,

a privilégié les investissements publics

et a entrepris une politique de grands

travaux : routes, écoles, ponts,

aéroports. Il a annoncé qu’il ne

briguerait pas de quatrième mandat.

Contexte

ÉQUATEUR

Entre les Andes et l’océan,

un train d’unionInaugurée au début du siècle, abandonnée il y a vingt ans,la ligne Quito-Durán, qui relie la cordillère à la mer,vient de reprendre du service pour les touristes.

REPORTAGE

Page 28: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 28/65

Page 29: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 29/65

—Expresso (extraits) Lisbonne

La façon dont la CTT [Correios,Telégrafos e Telefones, la poste por-tugaise] procède aux fermetures des

 bureaux de poste, en transférant leurs mis-sions à des fleuristes, des épiciers ou desmairies, du jour au lendemain et sans enavertir les usagers, est indigne d’une entre-prise publique. Mais cela correspond à uneculture de lâcheté et de mépris à l’égard descitoyens, que ce gouvernement promeut àtous les niveaux de l’Etat. Il est évident queces décisions sont liées au pro-cessus de privatisation de laCTT [prévue pour l’automne].L’idée est de “réduire les passifs

et de valoriser les actifs”, selonun député de la majorité.

La notion de service publicest absente du discours officiel,qui méconnaît le fait que, pour nombre depersonnes, surtout les plus âgées ou celles

 vivant en milieu rural, la CTT est l’un desrares moyens d’être en contact direct avecl’Etat. Dans un service public, on appellecela un “actif”.

De toutes les privatisations passées et encours de réalisation, celle de la CTT est, aveccelles de la REN [le réseau électrique natio-nal, dont 40 % ont été vendus en 2012 auchinois State Grid et à Oman Oil] et d’Aguasde Portugal [la compagnie publique de l’eaudevrait être privatisée en 2014], la plus cri-

minelle. La poste est bénéficiaire. Depuis ledébut des années 1990, période durant laquelle

les télécommunications ont été séparées duservice postal, l’entreprise est en pleine santé.

Malgré tout, la poste portugaise est passéeà côté de plusieurs opportunités. La non-création d’une banque postale en est le meilleurexemple. Les banques privées ne veulent pasd’une banque publique puissante. Cela auraitpourtant donné un nouveau souffle à la CTT,et les bureaux de poste auraient été beau-coup plus fréquentés par la population.

De nombreux facteurs ont été remplacéspar des travailleurs précaires non formés,ce qui a détérioré la qualité du service. Des

centaines de bureaux ont étéfermés [voir encadré], contri-

 buant significativemen t à ladésertification de l’intérieur du

pays. Tout le contraire de ce quiaurait dû être fait. Le député

 Adriano Rafael Moreira, du PSD[le Parti social-démocrate, majo-

ritaire au pouvoir, droite], a justifié la pri- vatisation annoncée par un poncif idéologique :l’Etat serait un “mauvais gestionnaire”. Sa col-lègue Ana Drago [du Bloco de Esquerda,gauche alternative] lui a rappelé qu’il avaitfait partie du conseil d’administration de laCP [Comboios de Portugal, la SNCF portu-gaise] : “Lorsqu’on vous a proposé d’intégrer la CP, vous n’avez pas dit : ‘Je ne crois pas quel’Etat soit un bon gestionnaire’. Non, vousêtes allé aux réunions et vous avez touché votrechèque. Par conséquent, quand vous dites cela, vous tronquez la réalité. Ce n’est pas l’Etat, entité 

 publique représentant la souveraineté populaire,qui est mauvais gestionnaire, mais c’est vous et 

 vos amis.” C’est exactement ce qu’il se passe :des politiciens s’emparent des entreprisespubliques, les gèrent mal pour ensuite venireux-mêmes sans aucune pudeur ou une quel-conque honte défendre leur privatisation.

Il y a au moins deux candidats probablesà la privatisation de la CTT : Urbanos, etCorreios do Brasil [la poste brésilienne].Une entreprise de distribution, et une entre-prise publique étrangère. Dans le premiercas, le service public n’aura, bien évidem-ment, plus aucune importance et, dans lesecond cas, à l’instar de ce qui s’est passépour EDP [en 2011, le chinois Three Gorgesa acquis 21 % du capital de l’EDF portugais],nous assisterons à la “nationalisation” d’uneentreprise portugaise, qui deviendra dépen-

dante des décisions d’un Etat étranger. Jene parviens pas à imaginer le nombre detours de passe-passe qu’un libéral doit fairepour défendre une telle aberration. Sansdoute pense-t-il que les Etats brésiliens ouchinois sont de “bons gestionnaires”.

Atteinte à la souveraineté. La privati-sation de la CTT est inacceptable, du pointde vue de l’intérêt des citoyens comme decelui de l’Etat. La poste est un instrumentde cohésion sociale et territoriale. Les acqué-reurs privés ne verront d’intérêt que dansles pièces de choix : Lisbonne, Porto et les

 villes les plus peuplées. Soit ils abandon-neront les régions les plus isolées du pays,soit ils pratiqueront des prix différents, soit

l’Etat financera ce qui n’est pas rentable. Autrement dit, celui-ci privatisera les profits

et nationalisera les pertes. Nous y perdronsdans tous les cas de figure. Ce n’est pas unhasard si seulement cinq pays européensont fait ce choix et n’en tirent aucun béné-fice. Même les Etats-Unis n’ont pas priva-tisé leur Poste. Ce n’est pas non plus unhasard si l’Etat brésilien souhaite acheter [laCTT] et non pas vendre Correios do Brasil.

En ces temps de douleur, cette privatisa-tion sera quoi qu’il arrive une vente bradéeet n’aura aucun effet sur le déficit budgé-taire. Le produit de la vente ira directementaux créanciers, l’argent des privatisationsdevant obligatoirement servir au paiementdu service de la dette. Or la CTT et les 21 %d’EDP privatisés donneraient chaque annéeà l’Etat, en dividendes, la somme que l’ongagne en réduisant les coûts de la dette aumoyen de toutes les privatisations réalisées[depuis 2011] et planifiées pour les annéesà venir. Avec une différence : après avoir payéla dette, nous perdons un actif. Le Portugal

sera l’un des rares pays d’Europe à ne pasavoir de service postal public. Si l’on ajouteà cela la privatisation de la quasi-totalité destransports publics, des aéroports, de la com-pagnie aérienne nationale, du REN et del’eau, dans un pays sans autonomie moné-taire, on comprend que le Portugal pourradifficilement se dire à nouveau Etat souve-rain lorsque le gouvernement actuel auraquitté le pouvoir [les élections législativesauront lieu en 2015].

Il n’est pas facile de trouver dans l’Histoireun pays qui, n’étant pas sous occupation,accepte volontairement d’abandonner tousles instruments qui garantissent son indé-pendance. La chute de ce gouvernement estune urgence nationale. Si ce n’est pour

construire une alternative, au moins pouren finir avec une telle irresponsabilité. LesTurcs se sont soulevés pour sauver un parc.Les Portugais parviendront-ils eux aussi àsauver l’un des rares joyaux de la couronne,déjà si entamée ?

—Daniel Oliveira

Paru le 4 juin

D’UN CONTINENT À L’AUTRE28. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

europe

Portugal.Touchepas à maposte !La privatisationdes services postaux,prévue pour l’automne,est une absurditééconomique, estimeun chroniqueurclassé à gauche.

●●● Les rassemblements

d’habitants opposés à la disparition

de leur bureau de poste se multiplient

dans le pays. La CTT prévoit d’en

fermer près de 200 d’ici l’automne.

“L’entreprise sabre partout où ellepeut, afin d’être la plus appétissante

possible pour la privatisation”,

dénonce Vitor Narciso, dirigeant

du principal syndicat du secteur.

“Depuis 2011, 140 bureaux de poste

ont été fermés, dont 125 depuis

la signature du plan de sauvetage

négocié avec la troïka, en mai 2011,

qui prévoit la privatisation de la CTT”,

précise Expresso. En cinq ans,

un tiers des bureaux ont été rayés

de la carte. Le 7 juin, les salariés

étaient en grève. Entre 2005

et 2012, la CTT a perdu 27 % de

ses effectifs ; dans le même temps,

l’entreprise a réalisé un bénéfice

cumulé de 438,7 millions d’euros.

Contexte

← Dessin deBoligán

 paru dans El Universal, Mexico.

OPINION

Page 30: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 30/65

—Die Zeit (extraits)Hambourg 

Péniblement, le printempsa fini par arriver, même dansle Nord, et les visiteurs

affluent à Hambourg la fraîche, deplus en plus nombreux. Après leKirchentag [rassemblement annuel

des protestants allemands, quis’est tenu du 1er au 5 mai] et l’an-niversaire du port [du 9 au 12 mai],ils ont pour destination l’Inter-nationale Gartenschau [IGS,Festival international des jardins,

 jusqu’au 13 octobre].Hambourg accueille ce type

d’événement depuis 1889, maisl’édition actuelle est d’uneampleur sans précédent. Elle pré-sente non seulement des cen-taines de milliers de plantes etde fleurs, mais aussi deux cents

 jardins ouvriers avec ceux qui lescultivent. Ces jardiniers habitentà Wilhelmsburg, une île de l’Elbe

tiraillée entre immigration etembourgeoisement, à huit minutes

seulement de la gare centrale enS-Bahn [train de banlieue].

Ce quartier a beau être le plusgrand de la ville, les Hambourgeoisaisés n’y prêtaient pourtant guèreattention jusqu’à présent. On n’al-lait pas à Wilhelmsburg, on neconnaissait pas ce quartier, on n’enavait pas besoin, sauf pour l’éco-

nomie portuaire et les étrangers.

Ça revient cher. Cette arroganceet cette ignorance entretenues aufil des décennies vont s’estomper.Les Hambourgeois, attirés par lesgiroflées jaunes et le grand bana-nier des neiges, commencent timi-dement à découvrir cette partiede la ville qui leur était étrangère.Ici, un habitant sur deux est immi-gré et un immigré sur deux estturc. Comme Mustafa Kurden.

Ce quinquagénaire n’a pas l’aird’un Turc. Son hambourgeois estfluide. Il faut l’écouter longtempspour remarquer les petites fautes

qu’on fait quand on n’est arrivéen Allemagne qu’à 12 ans et qu’on

n’a pu aller que trois ans à l’écoleavant d’être éjecté dans le mondedu travail, pour lequel on était venu.Ses enfants n’aiment pas trop

 Wilhelmsburg – “trop d’étrangers”.Son fils s’est installé avec femmeet enfants dans une autre partiede la ville. C’est pour que ses deuxpetits-enfants puissent jouer surl’herbe et faire des trous dans lesable que Mustafa Kurden ademandé à exploiter un jardinouvrier. Sa parcelle appartient àla plus récente des associationsde jardins ouvriers de Hambourg,fondée peu avant l’exposition – uncadeau de l’IGS à Wilhelmsburg.Les jardins resteront une fois l’ex-position partie. Mustafa Kurdenprend avec décontraction le faitd’être un modèle d’exposition de

 jardinier interculturel.

Jusqu’à présent, il n’y avait quedes étrangers dans la colonie, desTurcs, des Grecs, des Russes.“J’aimerais bien qu’il y ait quelques Allemands”, confie Mustafa Kurden,mais c’est comme ça à Wilhelmsburg.

 Avant, il y en avait deux dans sonimmeuble, mais il n’y en a plusqu’un ; dans le nouvel immeuble,en face, il n’y en a qu’un aussi, et“en fait c’est un Polonais”.

L’exposition n’enthousiasmepas vraiment Mustafa Kurden. Cenouveau passionné de jardinagene l’a même pas encore vue.“Qu’est-ce que ça peut avoir d’inté-ressant ? Tout ça, on le trouve aussi dans les livres.” Il paraît que le touta coûté 17 millions d’euros. “Et on les a pas. On a que ce qu’on peut  se permettre.” Il calcule à haute voix à quel point ça revient cher :“Petite saucisse et salade de pommesde terre, 7,50 euros ; Coca, 3,50 euros ;ça fait 11 euros.»

Protestations. “Le tour du mondeen 80 jardins”, telle est la devise del’exposition. Il y a un jardin de gey-sers, une forêt brumeuse, un cinémad’eau, un jardin de Bollywood, un

 jardin d’escalade, un jardin perdu,un jardin martien et un terrain d’at-

terrissage pour anges.Si après cette énumération vous

n’avez pas vraiment compris ce qu’il y a à voir à l’exposition, vous avezdéjà compris beaucoup. Il y a toutici, sauf de la tourbe, trop écologi-quement incorrecte : c’est la pre-mière exposition florale sans tourbe.

L’IGS est un spectacle aussi auda-cieux que conventionnel pour unesociété souffrant de troubles de

l’attention. Le 1er mai, cinquantemilitants de gauche se sont ins-tallés devant l’entrée principalepour protester contre l’IGS. Des

 bacs à plantes furent renversés,des fleurs arrachées, et leur mécon-tentement donna aux visiteurs unspectacle pour lequel ils ne furentmême pas obligés de payer.

Mustafa Kurden ne trouve pasleur position totalement absurde.On a abattu des milliers d’arbrespour l’expo, était-ce vraimentnécessaire ? D’un autre côté,

 Wilhelmsburg est vraiment beaumaintenant. “Je suis content, bien sûr.” Quand l’exposition sera finie,la clôture qui l’entoure disparaî-tra et le site deviendra un parc.Est-ce que quelqu’un s’est jamaisplaint d’un parc public, à part lesriches riverains ? Le site de l’an-

cienne exposition florale n’est-il pas l’espace vert le plus appréciéde Hambourg ? Ce n’est pas çaqui inquiète Mustafa Kurden, quipaie 158 euros par an de loyerpour sa parcelle. Ce qui l’inquiète,ce sont ces nouveaux apparte-ments de deux pièces et demie à250 000 euros. A Wilhelmsburg !

—Ulrich Stock 

Publié le 23 mai 

EUROPE.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 29

ALLEMAGNE

Les jardins ouvriers entreimmigration et gentrificationMustafa Kurden exploite une parcelle créée pourle festival international des jardins de Hambourg,dans le quartier populaire de Wilhelmsburg.

← Dessin

d’ Emilie Seron parudans Le Soir,

Bruxelles.

Page 31: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 31/65

LasciateCIEntrare fait campagne pourriposter contre un rapport sur les CIE rédigépar un groupe de travail mis en place parle ministère de l’Intérieur [et rendu publicen avril 2013]. L’ONG Medici per i dirittiumani [Médecins pour les droits humains]a également publié un contre-rapport. Lerapport du ministère de l’Intérieur a sus-cité de nombreuses critiques, notammentà cause de dispositions qui auraient poureffet d’assimiler davantage encore les CIEà des prisons : un personnel formé par lapolice pénitentiaire et des cellules d’iso-lement pour les personnes “récalcitrantes”.Tout cela contredit le fait que le permis deséjour n’est pas un délit pénal mais seule-ment un problème administratif.

L’une des dernières actions du gouver-nement Monti avait été de signer l’ordon-nance de protection civile du 17 avril 2013,qui débloqua 13,5 millions d’euros pour laconstruction de deux nouveaux centres de

rétention : 10 millions pour celui de SantaCapua Vetere [près de Naples] et 3 pourcelui de Palazzo San Gervasio [près de Bari,Sud]. Ce dernier avait été fermé à la va-

 vite en 2011 par le ministère de l’Intérieuraprès une enquête de La Repubblica inti-tulée “Guantánamo Italia” .

—Raffaella Cosentino

Publié le 2 mai 

motivons notre grève de la faim. Maintenant,à vous de nous expliquer pourquoi nous purgeons une peine sans avoir commis

aucun délit.” Dans ces centres de rétention s’en-

tassent de plus en plus de personnesprivées de leur permis de séjour. Cesont des étrangers sur le papier, maisdes Italiens de fait, qui refusent leurrapatriement. Comme Karim. “Je

deviens fou. Je n’en peux plus. Ils disent que je suis entré en Italie en 2006, mais ce

n’est pas vrai. Je vis en Italie depuis 1996,raconte-t-il. Il y a quelques jours, ils m’ont dit que j’allais être libéré, qu’ils acceptaient de melaisser rendre visite à ma mère et à ma com- pagne, enceinte de deux mois. Ils m’ont dit :

‘Vas-y, tu peux rentrer chez toi tran-quillement.’ J’ai passé toutesles portes et les grilles ducentre et quand je suis arrivé à la dernière porte, ils m’ont 

annoncé qu’en fait ilsm’emmenaient à l’aéro- port. Je me suis débattuen leur disant que j’avais

ma vie ici, un enfant sur le point de naître, un petit 

 frère né en Italie, un autremarié à une Italienne. Qu’en

Egypte je n’avais personne…Ils m’ont répondu que la pro-

chaine fois ils viendraient mechercher avec une escorte, qu’ils

me feraient sortir de force. Je parle mieux ita-lien qu’arabe, je vis à l’occidentale. En Egypte, je me sentirais comme un poisson hors de sonaquarium. Ils piétinent tous mes droits.” 

Traumatisme.Karim n’était qu’un enfantquand il est arrivé en Italie. Orphelin depère, il fut confié à une famille marocainepar les services sociaux. Adolescent, il aconsommé des drogues. Il a passé un an enprison et trois dans un centre de désin-toxication. “Je suis guéri maintenant. J’ai réussi à sortir de la drogue. Je l’ai fait pour ma com- pagne. J’espérais obtenir ma régularisation àla fin de ma cure. Ils devaient envoyer mademande de renouvellement de permis de séjour,mais j’ai découvert qu’elle n’avait jamais été envoyée. L’Etat a payé mes trois années de cure pour finalement détruire ma vie au moment où je m’en sors enfin. C’est à n’y rien comprendre.” 

Tant qu’il sera retenu à Ponte Galeria,Karim ne pourra pas reconnaître son enfant.Son avocat, Salvatore Fachile, est en train

de batailler pour que la direction du CIEl’autorise, le moment venu, à faire sa décla-ration de paternité. En attendant, sa com-pagne, Federica, 21 ans, fait les allers etretours entre Milan et Ponte Galeria. “Un jour, il est allé rendre visite à des amis à SanSiro [à une centaine de kilomètres de Milan].Ils l’ont arrêté et emmené à la préfecture,raconte-elle. Pendant deux jours, je n’ai euaucune nouvelle. Il avait disparu. Un vrai traumatisme. Le troisième jour, Ponte Galeriam’a appelée. Au début, ils ne m’autorisaient même pas à le voir parce que ma demandedevait être acceptée administrativement. Ils sont en train de priver une fille de son père et une femme de son compagnon.” Federica aune petite fille qui considère Karim comme

son père. “Tous les jours, elle me demande : pourquoi papa ne rentre pas ?” 

la campagne LasciateCIEntrare [cam-pagne nationale contre la rétention admi-nistrative des migrants].

“Ce que demandent les détenus, c’est avant tout que leur dignité soit respectée, qu’elle ne soit  pas abandonnée à l’entrée du centre de réten-

tion, explique Gabrielle Guido. La campagneLasciateCIEntrare dénonce l’iniquité des normes sur la détention administrative, censée être redis-cutée au plus vite par le Parlement.” Le docu-ment contient aussi une accusationextrêmement grave. Les détenus deman-dent qu’aucune violence psychique ou phy-sique ne soit utilisée contre eux, précisantque récemment “une piqûre a été administréeà un détenu contre sa volonté”. Son organismea mal réagi et il a souffert de troubles graves.Le texte des grévistes de la faim se conclutsur ces mots : “Des centres comme ceux dePonte Galeria cassent la dignité des personneset devraient être fermés pour toujours. Nous

—La Repubblica(extraits) Rome

Karim a 24 ans, unfort accent mila-nais, plusieurs an-

nées derrière lui en Italie,une compagne italienne et

 bientôt un enfant. Mais ila aussi un passeport égyptien et risqued’être prochainement expédié à des mil-liers de kilomètres avec l’interdiction for-melle de revenir.

Karim fait partie des soixante personnesactuellement internées à Ponte Galeria, prèsde Rome, le plus grand centre de rétentionadministrative d’Italie (centre d’identifica-

tion et d’expulsion, CIE). Comme tous lesautres détenus, il a participé à la grève dela faim [courant mai] pour protester contreles conditions de détention. Leurs reven-dications ? “Des procédures plus rapides, uneamélioration de l’hygiène, la traduction desnotifications dans la langue d’origine, que les visites soient facilitées, que l’expatriation deceux qui le demandent soit plus rapide, que lestoxicomanes soient accueillis dans des struc-tures adaptées, que ceux qui font l’objet de pour- suites judiciaires puissent se présenter à leurs procès afin de ne pas être condamnés par contu-mace”, lit-on dans un document communi-qué par Gabrielle Guido, coordinatrice de

 A R T O

 I L L E U R

 E R I C  V A L M I R

 L E  V E N D R E D I

  À  1 9 H 2 0

LA VOIX 

E STLIBRE 

en partenariat avec

ITALIE

Dans le

Guantánamode RomeHygiène déplorable, sévices :les centres de rétentionadministrative italiens sont de plusen plus critiqués. Le témoignagede Karim, un Egyptien menacéd’expulsion.

Traités “commedes esclaves”●●● “Les centres de rétention

italiens ne sont pas des prisons,

mais la différence est purement 

sémantique […]. Hautes barrières

en fer, caméras de surveillance,

 gardiens vêtus de tenues

antiémeute, détenus cantonnés

à des espaces très limités”, écrit

The New York Times dans

un article paru le 5 juin dernier.

On compte 11 centres de rétention

administrative en activité

sur le territoire italien, où sont

retenus des immigrés

en situation irrégulière avant

d’être expulsés à l’étranger.

La correspondante du quotidien

américain Elisabetta Povoledo,qui a pu visiter Ponte Galeria,

rapporte en détail l’inhumanité

des lieux. En plus du cas de Karim

(lire ci-contre), qui a fait l’objet

d’une pétition signée par près

de 20 000 personnes en Italie,

elle rapporte les témoignages

de détenus traités “comme

des esclaves”. Depuis qu’en 2011

une loi italienne a porté la durée

maximale de détention

de six à dix-huit mois,

les grèves et les manifestations

violentes se multiplient. On

trouve des centres de rétention

comparables dans la plupart

des pays de l’Union européenne.

Contexte

EUROPE30. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

↙ Dessin de Mayk

 paru dans Sydsvenskan,

 Malmö.

Page 32: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 32/65

—Frankfurter AllgemeineZeitung Francfort 

Tout a commencé par FredPerry. Les skinheads dedroite et leurs adversaires

antifascistes aiment la même

marque de fringues. Ce jour là, il y avait une vente privée dans le

centre de Paris. Cela se passait dansun petit appartement, couloirsétroits, pièces minuscules, et toutela collection à l’intérieur. Des jeunesgens aux cheveux courts qui secherchaient une tenue classe pourles beaux jours ont trouvé d’autres

 jeunes gens aux cheveux courts,mais d’un genre bien différent.

S’il n’y avait pas eu un mort, lapremière scène serait comique :un antifasciste farfouille dans lesportants et découvre que l’ache-teur potentiel qui se trouve del’autre côté est un skin, avec toutl’attirail, tatouage de croix gammée

compris. Et vice versa. Ailleurs,on se serait ignoré mutuellement,

au pire insulté et bousculé, et leschoses en seraient restées là. A Paris, cela s’est terminé par la mortd’un jeune. Les deux bandes setapent dessus devant l’immeuble,le coup d’un des skins est mortel.

La panique totale avec laquelleon a réagi à cet événement à Parisdonne la mesure du caractère dra-matique de la situation politiqueen France. Il y a eu une minute desilence au Parlement, un sénateura fondu en larmes à la télévision[Yves Pozzo di Borgo sur LCP],et le président de la République,en voyage au Japon, a fait unedéclaration. Manuel Valls, le mi-nistre de l’Intérieur, est apparu àla télévision avant même la fin del’enquête et a qualifié la victimede “militant d’extrême gauche”.

Les amis de Clément décrivent

mieux son engagement : un jouroù une manifestation de droitedevait passer sous les fenêtres del’université, il avait proposé delancer des ballons remplis d’eausur les participants. L’homme quiest soupçonné de l’avoir battupréférait d’autres jouets : selon lestémoins, il avait un coup-de-poingaméricain ce jeudi-là. Quant à l’équi-pement idéologique, on fait appelactuellement à tout l’arsenal dis-ponible : “No pasarán”, clament lesamis de Clément. C’est pousser le

 bouchon un peu loin que d’utiliserle cri de ralliement des antifascistesespagnols et transformer ainsi cette

affaire en guerre civile.

On doit se demander si ce paral-lèle historique est justifié, si la réa-lité politique de la France exige

 vraiment un combat aussi acharné.On est en train de payer le fait quele président Hollande, contraire-ment à Mitterrand, n’ait pas inté-gré l’extrême gauche dans songouvernement : car Jean-LucMélenchon et ses camarades font

désormais carrément pression, cequi profite à l’extrême droite, quiattend son heure. On ne peut nierqu’elle est en plein essor et de plusen plus active, et cela tombe bienpour Marine Le Pen, la présidentedu Front national, qui a pour stra-tégie de “ne pas diaboliser” l’ex-trême droite, même jusque dansses groupes violents. Le Front natio-nal a tellement de succès depuisquelques années que certains pansde la droite conservatrice appel-lent à collaborer avec lui. Il y a long-temps que Jean-François Copé, leprésident de l’UMP, plaide pourune droite unifiée “sans complexes”.

—Nils Minkmar Publié le 7 juin

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 31

Un jeunetombé chezles gros bras

—Il Foglio Rome

Ils sont skinheads, rude boysou hard mods avant tout, lereste est secondaire. Parfois,

la politique s’en mêle et verse del’huile sur le feu d’une sous-culture née sous le signe de lacolère et de la fierté. Voilà peut-être la bonne approche pour com-

prendre le funeste meurtre du jeune Breton Clément Méric, àParis, victime malheureuse d’unerixe entre activistes consanguins,entre antifas et nationalistes enrangers et chemises Ben Sherman.L’instrumentalisation du mariagepour tous, qui n’a pas grand-choseà voir là-dedans, risque de porterl’estocade à ce tragique corps-à-corps parisien.

Faisons un grand pas en arrière,one step behind pour détourner letitre de la chanson culte deMadness (One Step Beyond : faisun pas en avant), ce groupe de ska

 britannique écouté en boucle aussi

 bien par les victimes que par leurs bourreaux.Il faut embarquer pour le Londres

de la fin des années 1960 et décou- vrir que les punks et les Beatlesn’étaient pas seuls au monde. Lesenfants de la classe ouvrière avaientconcocté un univers parallèle decodes sous-culturels avec, commetrait caractéristique, un patrio-tisme extrémiste envers l’UnionJack combiné à un fort sentimentidentitaire d’appartenance à laclasse inférieure. Un élément cru-cial pour en comprendre les sur-

 vivances actuelles. Leur généalogieesthétique pouvait se résumer ainsi :des modernistes durs (hard mods)aux cheveux toujours plus courtspour éviter de se faire choper parlesbobbies durant les émeutes, por-tant des chemises à col serré pourles mêmes raisons et des chaus-sures de sécurité (Doc Martens).L’irruption de la politique a changéla donne : les frères se sont scin-dés en chauvins et non-chauvins.Les redskins, plus à gauche, allaient

 bientôt émerger. Un aspect inté-ressant des soi-disant sous-cultures, c’est que leur consis-tance rappelle celle, inextirpable,du folklore et des traditions popu-laires. Cette qualité ambiguë propreaux plèbes explique pourquoi

certaines tendances, dont la modeest pourtant passée, ont survécu

france

Société.Les extrêmesaux angesLa mort de Clément Méric et les réactionsqu’elle a suscitées accentuent la polarisationde la vie politique française.

↙ Dessin de Kichka

 pour Jelad TV,

 Jérusalem.

La réalité politique dela France exige-t-ellevraiment un combataussi acharné ?

OPINION

Page 33: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 33/65

tranquillement jusqu’à l’époque deTwitter : même musique, mêmemouvances, même rivalités.

Difficile de deviner leur couleurpolitique sans l’aide des badges etdes écussons cousus sur leurs blou-sons. Par contre, leur natureorgueilleuse et groupusculaire enfait un réservoir de troupes idéalpour de mauvais maîtres. Maisessayez donc de leur demander s’ilssont fascistes, communistes ouquoi que ce soit d’autre. Ils vousrépondront : je suis skinhead avanttout. Il a plusieurs années, à uneépoque où le seul moyen de dégot-ter une chemise Fred Perry dignede ce nom était d’émigrer à Carnaby Street, un skin marseillais jouis-sant d’une certaine notoriété, dontla photo était parue dans un maga-zine pour crânes rasés, peut-être

fugitif, sillonnait Rome. Il avait undrapeau français tatoué sur le couet passait pour fasciste. Il était éga-lement boxeur, mais avait préféréune salle d’entraînement des basquartiers romains au gymnase deprédilection des chemises noires.C’était un skin pur et dur. Il pour-rait aujourd’hui être le père un peuâgé de Clément, ce garçon qui a finises jours après une bagarre avec

dition d’œuvres pour percussion avec desobjets détournés de leur fonction première.Kraft, du compositeur finlandais MagnusLindberg, propose ainsi une partition pourorchestre et instruments à percussion trou-

 vés à la casse, comme des freins à tambouret des enjoliveurs, et cette pièce est régu-lièrement jouée par l’Orchestre philhar-monique de New York.

Bertolozzi n’en est pas à son coup d’es-sai. Il a déjà fait Bridge Music, une pièce com-posée de sons obtenus sur le pont FranklinD. Roosevelt, un gigantesque pont suspenduau-dessus de l’Hudson, près de Poughkeepsie,dans l’Etat de New York.

 A Par is, deux jours après leur arrivée ,Bertolozzi et son équipe avaient déjà enre-gistré 400 sons. Le compositeur a fait réson-ner les poutres métalliques, les barrièreset les rampes avec des baguettes de batte-rie, des tiges en bois, des maillets et desmailloches, dont certains spécialement

conçus pour l’occasion.

Vibrations. “Nous étudions la hauteur des sons pour reproduire des intervalles commedo,ré, mi”, explique le compositeur. Par sesdimensions, la tour Eiffel offre différenteshauteurs de notes – par exemple “un pan-neau très grand va vibrer plus doucement et  plus lentement, et donc produire une note géné-ralement dans les graves”. La verticalité de latour Eiffel “offre une grande richesse dans tousles registres”.

 Au départ, Bertolozzi éprouvait une cer-taine appréhension. “Et si je n’avais trouvé que des si bémol ? Heureusement, nous avonsobtenu toutes sortes de notes.” 

Organiste de profession, Bertolozzi col-

lectionne les gongs. C’est sa femme qui luia donné envie de jouer à Paris. “Elle m’imi-tait en train de jouer du gong en tambourinant  sur un poster de la tour Eiffel qui se trouvait dans notre chambre, raconte Bertolozzi. Et là je me suis dit que je tenais une idée.” 

 A l’époque, la tour Eiffel lui paraissait bienloin.“Je savais que Gustave Eiffel avait construit des ponts, et donc je me suis dit que j’allais com-mencer par un pont en Amérique.” Le résul-tat, Bridge Music, est sorti en 2009 et a atteintla dix-huitième place dans le classement

 world music du magazine Billboard[célèbrehit-parade américain]. Pour préparer sonséjour parisien, Bertolozzi a étudié l’archi-tecture de la tour Eiffel et s’est imprégné del’œuvre de compositeurs français commeRavel et Poulenc, qui avaient incorporé dans

leurs compositions des éléments de musiquepopulaire et des sons de la rue.

La tour Eiffel est également une “immense source d’inspiration pour trouver de nouvelles façons de créer des sons,dit-il. Je dois me renou- veler constamment.” 

Si certains touristes de la tour Eiffel ontété surpris de le voir enregistrer des sons, lepersonnel du site touristique a pour sa parttrouvé l’approche très cohérente et finale-ment pas si surprenante. Stéphane Roussin,responsable technique, explique ainsi quela tour Eiffel émet des bruits et des vibra-tions. “On l’entend murmurer”, dit-il.

“Et nous ne nous privons pas de la faire vibrer ,ajoute-t-il en souriant. Mais pour nous assu-rer que le matériel n’est pas défectueux.” 

—Maïa de la BaumePublié le 4 juin

32. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

CULTURE

Il joue de

la tour EielUn compositeur américaina obtenu l’autorisationd’utiliser le monument parisiencomme instrument de musique.

.!! *(( ! " "!!' '! * *"+* + "! +

( *''! #'*"! ( '*(*( ,!+( '( * &+'($ +' ,'*

"++'( ''!*( **'* &+! , +*!*%+ "+ ', &+! ! "'! + *"+"+'(

" +! !*$ &(* !( '! *' + %+ ( ("!* !,!*( * "'(

+,( * +( #"(*#'(("!!( (+''( "+ &(*'*"!$ &"("!

&-#"(*"! '! *' + ( *!!* -!'",! * '( "'(

(' * + +(( # + (+$

—The New York Times New York

De Paris

L’air méditatif, le compositeur JosephBertolozzi se tient pieds écartés devantles montants d’une porte intérieure

de la tour Eiffel. Puis, à 57 mètres au-dessusdu Champ-de-Mars, il sort de sa besace unmaillet en latex et commence à frapper dif-férents rythmes sur le cadre en métal, d’abord

 violemment, puis de plus en plus douce-ment. “Celui-là était magnifique”, s’exclamePaul Kozel, l’ingénieur du son qui enregistreles vibrations métalliques.

Bertolozzi, qui vit à Beacon, dans l’Etat deNew York, s’est installé une quinzaine de joursà Paris le mois dernier. Son projet musical,une “installation artistique publique”, l’aconduit avec Kozel et une équipe de sept per-sonnes à investir l’un des monuments les plus

 visités au monde pour enregistrer des sons.

Sa mission ? “Jouer de la tour Eiffel” en tam- bourinant sur la structure, recueillir à l’aided’un microphone les sonorités produites etles utiliser pour créer une heure de musique

 baptisée Tower Music. Il envisage même dedonner l’an prochain un concert sur placepour fêter les 125 ans de la dame de fer.

Ne parlant pas un mot de français et ayantpeu de contacts à Paris, Bertolozzi a passéplus de quatre ans à monter ce projet. Il afinalement réussi à réunir 40 000 dollars[30 000 euros] de dons de particuliers et aconvaincu l’administration de la tour Eiffelqu’il était un vrai musicien.

Pour Jean-Bernard Bros, président de laSociété d’exploitation de la tour Eiffel, leprojet est à la fois “improbable” et “extra-

ordinaire”. Le projet a beau paraître farfelu,il s’inscrit cependant dans une longue tra-

des jeunes du même âge, dans unmagasin où tous venaient chercherles mêmes chemises Fred Perry. Ilétait chétif mais fréquentait lesextrémistes antifas, des gros bras,et je doute qu’il serait content depasser pour un pacifiste quelconque,fervent partisan du mariage pourtous : il rêvait par-dessus tout d’êtreun rude boy. Comme ses assassins.

—Alessandro Giuli

Publié le 8 juin

IL FOGLIOMilan, Italie

Quotidien

www.ilfoglio.it 

Créé en 1996 par Giuliano Ferrara,ancien membre du Parti

communiste et ancien porte-

parole du gouvernement

Berlusconi, ce journal se veut

le quotidien de l’intelligentsia

de la droite italienne. Volontiers

provocateur, il défend

des positions réactionnaires,

notamment sur l’avortement

et l’immigration.

SOURCE

↙ Dessin de Falco,

Cuba.

FRANCE

Page 34: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 34/65

Page 35: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 35/65

34. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

À LA U N E

Depuis l’instauration de la République islamique, en 1979, les Iraniens ont été appelés onze ois aux urnes pour élireleur président. En 2009, l’élection, entachée de graves raudes, avait provoqué un mouvement de protestation. Cetteois-ci, explique The Guardian (p. 39), le guide suprême, Ali Khamenei, n’a pas pris de risques : les candidats à la pré-sidence ont été soigneusement sélectionnés et Internet est verrouillé pour empêcher que ne se reproduisent lesdébordements de 2009, note Le Temps (ci-contre). Cette élection confirme tous les blocages, dans un pays écono-miquement asphyxié et dont le programme nucléaire pousse Américains et Israéliens, selon Ha’Aretz, à échaauderdes scénarios de guerre (p. 38) – une guerre qui embraserait tout la région. —Service Moyen-Orient

Page 36: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 36/65

—Le Temps (extraits) Genève

ela fait des semaines qu’Internet patine.Pas partout, pas en même temps, pas toutle temps. Mais tout le monde est touché.“Ce matin, je n’ai pas pu ouvrir mon compteGmail”, reconnaissait récemment en publicun ancien ministre de l’Information.“Mes

amis ont mis trois heures pour ouvrir un de mes der-niers messages”, témoigne un professeur d’univer-sité. Alors que l’Iran, fou de nouvelles technologies,s’est plongé dans la Toile il y a plus de quinze ans,alors que les cours d’informatique pullulent dansles grandes villes, que plus de 60 % des Iraniensont des abonnements à Internet, selon des chiffresofficiels (ce qui en fait le pays le plus connecté duMoyen-Orient), la désolation est générale devantle “coma” d’Internet : encore vivant, mais à peine.La situation a notablement empiré le 15 mai, selonReporters sans frontières. Tiens donc : un moistout juste avant l’élection présidentielle… “Rebranchez Internet !”  vient de demander au ministre desTélécoms le chef du bureau du New York Times àTéhéran, raconte-t-il sur son fil Twitter. Pour touteréponse, Reza Taghipour, qui a fait ses études en

Corée du Nord, s’est contenté de rire.Pour les Iraniens, la situation est limpide. Lalenteur du réseau, dont toutes les connexions inter-nationales passent par l’opérateur d’Etat ITC, estorganisée. Les derniers scrutins ont été précédésd’une période de relative ouverture, pour légiti-mer le nouveau président, qui pouvait ainsiprétendre avoir été élu au terme d’un débat démo-cratique, même simulé. C’était avant la vague verte[l’émergence du courant réformateur lors de l’élec-tion présidentielle de 2009]. Alors que les autori-tés avaient soigneusement maintenu les journalistesoccidentaux à l’écart des manifestations, le mondeentier a pu suivre, à la consternation du pouvoir,la contestation quasiment en direct, grâce auxinnombrables messages et vidéos publiés alorssur Facebook, Twitter et YouTube. La répressionqui s’ensuivit fut féroce, envoyant blogueurs et

 journalistes en prison, voire, pour plusieurs, à lamort. L’étau ne s’est pas desserré depuis. Mais lerégime, qui a eu peur, ralentit le réseau pour s’as-surer un 14 juin tranquille : qui voudrait passerquatre heures à envoyer un tweet ou à publier unephoto quand, de toute façon, les chances sontgrandes de se faire intercepter par la cyberpolice ?

Un Internet “halal”.D’autres observateurs inter-prètent différemment la situation. L’Iran s’est eneffet mis en tête de créer un Internet “halal”, unInternet bricolé maison, pour remplacer la Toileoriginale. Un réseau purifié et sain, sans sites por-nographiques, sans contestation politique, sanspropagande “occidentalisante”. Mais qui propo-serait des sites sur le Coran, la cuisine, la famille,les hauts faits de la révolution islamique…

 Aujourd’hui, certains redoutent que les hoquetsdu réseau ne préfigurent la mise en ligne progressive

de cet incroyable projet. Le “réseau d’informationnational”, son nom officiel, faisait partie des car-tons du président Ahmadinejad il y a huit ans déjà,et serait à bout touchant. “On voit son importanceà tout l’argent qu’il coûte, alors que le régime est en faillite”, note le cybermilitant Nima Rashedan.Fantasme d’un Etat autarcique qui protège sescitoyens du monde corrompu ou réalité d’une dic-

tature paranoïaque qui veut encore augmenter soncontrôle sur les citoyens? Une fois de plus, le chau-dron iranien bouillonne. Quant aux citoyens d’Iran,

 jamais à court de bons mots, ils l’ont immédiate-ment rebaptisé d’un nom explicite : “Filtranet”.

Celui-ci doit remplir plusieurs missions. “L’accèsincontrôlé est le point de départ de dégâts et de nui- sances qui, au XXIe siècle et à l’âge des médias modernes,affectent les jeunes plus que les autres, en ciblant leur bien-être mental. Un filtrage organisé et régulé pour  purifier le cyberespace et protéger l’état d’esprit géné-ral n’est pas un choix, c’est une nécessité”, peut-onlire sur Peyvandha.ir, le site gouvernemental. C’estle côté le plus original de “Filtranet” et qui est

 volontiers mis en avant par ses défenseurs : la pro-tection de l’identité iranienne. Un passé glorieux,qu’il faut protéger de la corruption moderne venue

d’Occident. C’est pour cette raison que le régimea lancé des produits 100 % iraniens sur la Toile :un réseau social semblable à Facebook (même sile réseau de Mark Zuckerberg est officiellementaccusé d’être la cause d’un divorce sur trois enIran) ; un service de vidéos qui veut concurrencer

 YouTube ; le gouvernement a même annoncé Basir,un Google Earth islamique, pour dans quatre mois…

La main des Etats-Unis. L’autre argument pour justifier “Filtranet” relève de la défense nationale,le système visant à protéger le pays d’attaquesétrangères : les dégâts causés par les virus Stuxneten 2010 et Flame en 2012 ont traumatisé le pou-

 voir, qui voit la main des Etats-Unis et d’Israël der-rière les attaques contre ses centrales nucléaires.Un réseau fermé protégerait-il le pays d’une nou-

 velle attaque ? Rien n’est moins sûr, d’autant qu’il

semble que Stuxnet ait été introduit par une cléUSB – sans que rien ne soit ni certain ni officiel.

 Alors ? Alors, à l’intérieur, comme dans toutesles dictatures, “Filtranet” doit surtout permettreau régime de surveiller les contestataires avéréset ceux qui pourraient le devenir – la liste est doncextensible. Sauf que le jeu du pouvoir est com-plexe. D’abord, “Filtranet” n’est pas opération-nel. “Les sanctions internationales ont été efficaces pour ralentir le projet”,selon Nima Rashedan. “Lesinfrastructures ont été construites, tous les sites gou- vernementaux ont été rapatriés en Iran, mais rien nemarche très bien”, analyse aussi, à Toronto, l’uni-

 versitaire Ali Bangi, de l’association ASL 19, uneONG qui fait de la cyberéducation à destinationdes Iraniens et diffuse des logiciels de contour-nement des sites bloqués.

—Catherine Frammery Publié le 27 mai 

“Purifier” le Netavant l’électionPour éviter que les débordements de 2009 ne se reproduisent, le régimeverrouille le réseau.

C

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 35

PAS DE

PRINTEMPSPOUR

L’IRAN

Page 37: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 37/65

52

—Foreign Policy Washington

orsqu’on évoque l’Iran, quelles images vien-nent à l’esprit ? Les ayatollahs ? le fanatisme

religieux ? les femmes voilées ? A priori, onne penserait pas “révolution sexuelle”. Etpourtant… Ces trente dernières années,tandis que les médias occidentaux se pré-

occupaient des orientations radicales de laRépublique islamique, le pays a subi une profondetransformation sociale et culturelle. Même si ellen’est en soi ni positive ni négative, la révolutionsexuelle iranienne est incontestablement sans pré-cédent. Les mentalités ont tellement changé durantles dernières décennies que de nombreux expa-triés iraniens sont stupéfaits lorsqu’ils visitent lepays. “Par les temps qui courent, Londres a l’air d’une ville conservatrice par rapport à Téhéran”,m’a confiéun ami après son retour de la capitale iranienne.

Certes, on ne trouve pas facilement de donnéesfiables sur le comportement sexuel des Iraniens.

Mais les statistiques officielles de la Républiqueislamique sont très révélatrices. La baisse du tauxde natalité, par exemple, traduit un recours plusfréquent aux contraceptifs et à d’autres formes deplanning familial – ainsi qu’un recul du rôle tradi-tionnel de la famille. Au cours des deux dernièresdécennies, le pays a connu la plus forte baisse defécondité jamais enregistrée. Entre-temps, le tauxde croissance de la population iranienne a plongéde 3,9 % en 1986 à 1,2 % en 2012 – cela en dépit dufait que plus de la moitié des Iraniens ont moinsde 35 ans.

Simultanément, l’âge moyen du mariage estpassé pour les hommes de 20 à 28 ans ces trentedernières années, tandis que les Iraniennes semarient désormais entre 24 et 30 ans. Quelque40 % des adultes en âge de se marier sont actuel-lement célibataires. Parallèlement, le taux de

divorce a été multiplié par trois, passant de50 000 divorces déclarés en l’an 2000 à 150 000en 2010. Actuellement, on dénombre 1 divorcepour 3,76 mariages – un taux presque comparableà celui de la Grande-Bretagne.

Selon une étude citée par un haut fonctionnairedu ministère de la Jeunesse en décembre 2008, lamajorité des hommes interrogés reconnaissentavoir eu une relation sexuelle avec au moins unepersonne du sexe opposé avant le mariage. Toutefois,environ 13 % de ces relations “illicites” ont aboutià une grossesse non désirée et à un avortement– des chiffres qui, bien que modestes, auraient étéimpensables il y a une génération.

Entre-temps, la prostitution a décollé au coursdes deux dernières décennies. Au début desannées 1990, les prostitué(e)s étaient pratique-

ment invisibles, obligé(e)s d’exercer leur activitédans une totale clandestinité. Aujourd’hui, dans

de nombreuses villes, la prostitution fait partie dudécor. Souvent, les travailleurs du sexe racolentdans certaines rues, attendant que les clients depassage fassent leur choix.

Et certains chiffres indiquent que 10 % à 12 %des prostituées iraniennes sont mariées. Ce quiest d’autant plus étonnant que tous les travailleursdu sexe en Iran ne sont pas des femmes : unenouvelle étude confirme que des femmes d’uncertain âge en bonne santé, ainsi que de jeunesfemmes instruites en quête d’amours tarifées,font appel aux services d’hommes prostitués.

— Afshin Shahi

Publié le 29 mai 

rapprocher de Dieu et du ciel, je me demande cequ’ils peuvent bien lui demander – et, surtout,

ce que peut bien représenter Dieu à leurs yeux.Que peuvent-ils bien attendre de ce mahdi qu’ilschérissent tellement qu’ils l’ont fait descendredu ciel pour l’installer dans un coin de Téhéran ?Et que va bien pouvoir faire cet imam coincé auplus profond d’un puits près de la ville de Qom(officiellement dans le puits de Jamkaran, dontla visite payante est une manne pour le gouver-nement) ? Enfin, qui a donné sa bénédiction àces gens pour un coup d’Etat [allusion à la réélec-tion d’Ahmadinejad en 2009] ?

Ce qui me surprend le plus, c’est le silence denos mollahs, dont le front [marqué d’une tachenoire] témoigne des heures passées en prière.Eux qui sont censés être en communication directeavec le ciel et qui, au nom du ciel et de l’imamdisparu [le mahdi], définissent le bien et le malne voient pas que le ciel et l’imam sont sacrés et

que les invoquer pour régler des querelles interneset approuver un candidat présidentiel risque deles conduire à leur perte. Ils n’ont pas l’air decomprendre qu’à trop invoquer l’imam cachécelui-ci finira par perdre son statut sacré et queleur âge d’or prendra fin. Pourtant, s’ils arriventmême à rabaisser le ciel, on peut imaginer cequ’ils peuvent faire subir aux simples mortels.

—Nooshabeh Amiri

Publié le 9 mai 

36. à la une Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Malgré les mollahs,la révolutionsexuelleAugmentation du nombre de divorces, relations hors mariage, libérationdes mœurs… La société a beaucoup évolué.

L

Dieu à toutesles saucesélectoralesCoup de sang d’un site iranien de l’exil contrel’instrumentalisation de la religion dans la vie politique.

—Rooz Amsterdam

’ai reçu l’approbation du ciel, et le mahdi [le

messie attendu par les chiites] va forcer le Conseildes gardiens [l’équivalent du Conseil constitu-tionnel] à approuver ma candidature”, a déclaréEsfandiar Rahim Mashai, le candidat, favorià la présidentielle, du président sortant

Mahmoud Ahmadinejad. Ce qui a immédiate-ment conduit un de mes amis à m’écrire : “Le cielet le mahdi sont les nouveaux noms de la fraude et du bourrage des urnes !” 

Le plus surprenant, c’est qu’au nom de l’islamet de la religion les dirigeants iraniens osentréduire le ciel à un simple rôle d’arbitrage. Qu’est-il donc arrivé à l’islam pour que le mahdi cachéen vienne à s’opposer au Conseil des gardiens,alors que son arrivée est imminente, comme nousle martèlent nos dirigeants, et qu’il doit sauverle monde !

Quand je vois les représentants de la Républiqueislamique se frapper la poitrine pour mieux se

J C’EST LE NOMBREde journalistes

et blogueurs

emprisonnés

Page 38: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 38/65

LE DÉSASTRE ÉCONOMIQUELes sanctions internationales et les politiques gouvernementalesont asphyxié l’industrie. Et aucun candidat n’a de projet économiqueconvaincant.

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 PAS DE PRINTEMPS POUR L’IRAN. 37

—Financial Times (extraits) Londres

e complexe industriel de Lia présente l’unedes plus importantes concentrations d’usinesdu nord-ouest de l’Iran – et pourtant, quandon s’y promène un jour de semaine, on pour-rait ne pas s’en douter. Alors que Lia abritedes centaines de petites sociétés employant

des milliers de personnes, la circulation est clair-semée et les ouvriers sont peu nombreux dansles rues. C’est un signe, affirment les hommes d’af-

faires, des dégâts subis par l’industrie nationale aucours des dernières années, durement frappée nonseulement par les sanctions internationales, maisaussi par les politiques populistes de Mahmoud

 Ahmadinejad, le président sortant. A la veille de l’élection présidentielle, les graves

problèmes économiques de l’Iran – révélés au grand jour par une inflation galopante [30 %] et un chô-mage massif – ont constitué le point central descampagnes des différents candidats. Mais il estprobable qu’aucun des huit candidats en lice neréussira à redresser une économie en berne.

 A quelques kilomètres de la ville de Qazvin, l’undes plus gros centres industriels historiques d’Iran,qui attire des demandeurs d’emploi venus de toutle pays, Lia a vu grimper le chômage à mesure queles entreprises réduisaient leurs activités. Bien que

le taux de chômage en Iran soit officiellement de12,4 %, on estime que le chiffre réel est bien supé-rieur. A Lia, il dépasse probablement les 15 %, “cequi est beaucoup pour un centre industriel”, souligneEid-Ali Karimi, le directeur exécutif de l’ONGQazvin Labour House.

Mais même ceux qui ont la chance d’avoir unemploi connaissent des difficultés, ajoute-t-il.“Aujourd’hui, la totalité du salaire d’un ouvrier [ 4,8 mil-lions de rials iraniens, soit 300 euros] est absorbée par le loyer, et les retards dans le versement des salaires– allant de deux à vingt ou même trente mois – sont devenus la norme.” 

Huit ans après que Mahmoud Ahmadinejadest parvenu au pouvoir en promettant demettre du pain sur la table de tous les Iraniens,son gouvernement est violemment critiquépour avoir accordé des prêts à faibles taux

à des entreprises qui avaient promis de créerdes emplois mais n’en ont rien fait.

Il y a deux ans, la décision du gouvernement desupprimer les subventions sur les produits de pre-mière nécessité a également porté un coup duraux industries, du fait que les autorités localesn’ont pas rempli leur engagement légal de com-penser en partie la hausse de la facture énergé-tique des entreprises.

Il y a plus de 3 000 entreprises enregistrées àQazvin, dont environ 300 à Lia, la deuxième en

importance des 17 zones industrielles entourantQazvin. Selon les industriels, environ un cinquièmedes sociétés ont mis la clé sous la porte au coursdes deux dernières années. Les entreprises localesproduisent de la verrerie, du carrelage et de lacéramique, du textile, de la nourriture et des bois-sons, des produits pharmaceutiques, du matérielélectrique et électronique ou encore des produitsd’entretien et des pièces pour automobiles.Beaucoup sont dépendantes de matières premièreset d’outillage importés. “Les usines de Lia tour-naient à environ 70 % de leurs capacités il y a troisans, mais elles ne sont plus qu’à 40 % aujourd’hui”,déplore un officiel.

L’élection de ce mois de juin n’apportera pro- bablement pas la moindre bouffée d’air aux entre-prises de Lia, estiment les hommes d’affaires. Les

huit candidats en compétition ne présentent aucunprojet économique convaincant. Et il existe bienpeu de signes selon lesquels l’un ou l’autre seraitprêt à favoriser un accord sur le nucléaire avec lespuissances occidentales, comme le souhaiteraientles industriels.

—Najmeh Bozorgmehr 

Publié le 29 mai 

L

“TOUT VA BIEN !”DE MANANEYESTANIPlusieurs illustrations

de notre dossier

ont été réalisées par

le cartooniste iranien

Mana Neyestani, qui vit

aujourd’hui à Paris.

Connu pour ses dessins

satiriques, il a dû s’exiler

en 2006 en raison

d’un dessin qui lui a valula prison. Les Editions çà

et là, avec Arte, viennent

de faire paraître Tout 

va bien ! – un recueil

de près de 200

de ses œuvres, publiées

notamment pour les

sites dissidents iraniens.

Héritier des traits

de Serre et de Topor,

l’humour noir de

Neyestani est l’antidote

au sadisme politique

du régime. Neyestani

est aussi l’auteur

d’un roman graphique

et autobiographiquequi a trouvé

la reconnaissance

du public :

La Métamorphose, aux

mêmes éditions (2012).

 Portrait 

 Ali Khamenei

“théocrate dictatorial”“Le grand ayatollah Ali Khamenei

aime à jouer les modestes, souligne

Der Spiegel. Les médias publics donnent 

régulièrement de lui l’image d’un homme

qui vit de dons. Si la loi iranienne ne prévoit 

pas de salaire pour le guide suprême

de la révolution, l’ayatollah dirige toutefois

quelques-unes des institutions économiques

les plus importantes du pays – des

 fondations religieuses, dont la fortune

atteint aujourd’hui des milliards de dollars,

exemptées d’impôts parce que sous

sa tutelle. Les fondations de l’ayatollah

possèdent des parts dans toutes

les activités qui promettent une forte

rentabilité, de l’immobilier au commerced’automobiles, en passant par les

télécommunications.” 

Le site américain www.about.com rappelle

que “le guide suprême autoproclamé

de l’Iran est un théocrate dictatorial

pur sucre. Il incarne l’autorité politique

et spirituelle ultime dans tous les domaines

intérieur et extérieur, et subordonne

la présidence iranienne – et, de fait, la

totalité du processus politique et judiciaire

iranien – à sa propre volonté.” Le site

rappelle son implication dans la prise

d’otages de l’ambassade des Etats-Unis

à Téhéran en 1979, l’approbation qu’il

a donnée à l’envoi d’enfants-soldats sur le

front irano-irakien en 1980, ses négociations

secrètes avec l’équipe Reagan, en 1987,pour échanger contre des armes

des otages américains qui étaient aux mains

du Hezbollah libanais ou encore

son implication dans la fatwa condamnant

à mort l’écrivain Salman Rushdie.

“Ali Khamenei est né le 17 juillet 1939

dans une famille profondément religieuse

de Mashhad, ville de l’est de l’Iran. Comme

de nombreuses familles du Moyen-Orient,

celle de Khamenei affirmait appartenir 

à la lignée du prophète Mahomet. Le guide

est marié, il a six enfants et se considère

comme un poète.” En 2007, The Economistavait légendé sa photo en deux mots :

“Suprêmement paranoïaque”.

 L’outsider Rohani le modéréAprès avoir menacé de boycotter le scrutin,

les réformateurs iraniens ont choisi

un candidat pour la présidentielle. “Face

à la confusion des conservateurs, qui ont 

de multiples candidats, les progressistes

ont décidé de tous s’aligner derrière

le candidat Hassan Rohani”, explique

le quotidien de Téhéran Etemaad. Hassan

Rohani est un religieux, ancien négociateur

dans le dossier du nucléaire iranien ;

il est soutenu par les deux chefs de file

du camp des modérés, les ex-présidents

Mohammad Khatami et Ali Akbar Hachemi

Rafsandjani.

Page 39: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 39/6524 5 %

—Hürriyet Istanbul

e Moyen-Orient domine à nouveau l’agendainternational. Bien que la crise syrienne aitaccaparé l’attention ces derniers temps, onne peut continuer à ignorer l’Iran plus long-temps. Alors que la République islamiqueorganise une nouvelle élection présidentielle

 jouée d’avance, le groupe des 5 + 1 (composé descinq membres permanents du Conseil de sécuritédes Nations unies [Chine, Etats-Unis, France,Grande-Bretagne, Russie] et de l’Allemagne)s’efforce encore de trouver une solution diplo-matique au programme iranien d’enrichissementde l’uranium. Les derniers pourparlers, qui se sontdéroulés au Kazakhstan en avril, ont débouché surun nouvel échec tant les positions des partiesétaient éloignées.

Malgré les lourdes sanctions économiques et lapoursuite parallèle du processus de négociation,l’Iran n’a pas suspendu son programme nucléaire,qui n’a cessé de progresser. Selon le dernier rap-port de l’Agence internationale de l’énergie ato-mique (AIEA), depuis le précédent (celui du21 février 2013), l’Iran a ajouté 689 kg à son stockd’uranium faiblement enrichi ( jusqu’à 5 %), quis’élève maintenant à 8 960 kg. Dans le même temps,il a également produit 44 kg supplémentaires d’ura-nium moyennement enrichi ( jusqu’à 20 %). Lesautres conclusions du rapport montrent égale-ment que l’Iran poursuit son programme nucléaireet a bien l’intention de le mener à bien, en dépitdes mises en garde du président Obama affirmantque“toutes les options sont sur la table”. En fait d’op-tions américaines, Téhéran persiste manifeste-

ment à penser que les Etats-Unis n’ont aucuneenvie d’intervenir et essaieront de faire en sorteque la voie diplomatique reste ouverte jusqu’audernier moment. Or, dans les capitales occiden-tales et plus encore en Israël, on redoute de plusen plus de voir l’Iran franchir le point de non-retoursans crier gare.

La sévérité des sanctions ne résout rien, car lesIraniens qui en font les frais n’ont aucune influencesur leur régime, et les tergiversations de Washingtonsur l’usage de la force sapent la crédibilité de lamenace d’intervention militaire. Le risque est main-tenant que nous nous réveillions un beau jour enapprenant que l’Iran a réussi un test de bombe ato-mique ou que les Israéliens ont lancé une attaquesur les installations nucléaires iraniennes. Ces deuxéventualités fourniraient tous les ingrédients pour

un scénario d’apocalypse au Moyen-Orient.—Publié le 30 mai 

—Ha’Aretz Tel-Aviv

n possible scénario pour une attaque mili-taire contre les sites nucléaires iraniensavant la fin de l’année a été publié le mer-credi 29 mai par deux anciens officiers

supérieurs, l’un israélien, l’autre améri-cain. Ceux-ci affirment que la commu-

nauté internationale doit d’abord épuiser tous lesmoyens non militaires susceptibles de faire pres-sion sur Téhéran et concluent que, si une attaques’avère nécessaire, il est préférable qu’elle soit lefait des Etats-Unis plutôt que d’Israël.

“Vu l’éventail des autres options disponibles, la forcemilitaire ne devra être employée qu’en tout dernier ressort contre le programme nucléaire iranien”, écri-

 vent le général américa in à la retra ite JamesCartwright, qui coprésidait encore récemmentl’état-major interarmes, et le général de réserve

 Amos Yadlin , ancien chef des renseignementsmilitaires des forces de défense israéliennes etchef d’état-major de l’armée de l’air israélienne.“Cela dit, l’option militaire doit demeurer une option

crédible et prête à être utilisée en cas de besoin. Le scé-nario que nous avons élaboré est uniquement destiné 

à susciter et à alimenter le débat sur les répercussions potentielles de différentes options de frappe.” 

Le rapport présente l’hypothèse de scénariosuivante : “Le Premier ministre israélien vient derecevoir un appel téléphonique de la Maison-Blanchelui communiquant les résultats d’une récente ana-lyse des services de renseignements américains : les sanctions internationales et le s négociations avecl’Iran n’ont pas réussi à convaincre le régime iraniende renoncer à ses projets nucléaires. Téhéran a rejeté une généreuse proposition américaine qui lui aurait  permis d’enrichir de l’uranium en échange de la miseen place de dispositions strictes garantissant son usageuniquement civil, et le programme iranien se pour- suit à un rythme soutenu. Après être convenus de seretrouver à Washington la semaine suivante pour discuter de la stratégie à adopter, le Premier ministreisraélien et le président des Etats-Unis convoquent une réunion avec leurs conseillers à la Sécurité natio-nale respectifs.

“L’équipe du président américain fait remarquer que les Etats-Unis sont las des guerres, surchargés dedettes et politiquement dans l’impasse. Alors que les

 forces américaines viennent tout juste de se retirer d’Iraket se sont engagées à mettre fin aux opérations de combat 

38. à la une Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

APOCALYPSEDEMAINNi la diplomatie ni les sanctionsne semblent capables d’arrêterle programme nucléaire iranien.Reste la guerre.

L

UCHERTÉ DE LA VIELe kilo de bœuf :

en 2007 : 1,00 euro

en 2013 : 5,90 euros

Le kilo de pain :

en 2007 : 0,07 euro

en 2013 : 0,13 euroLe kilo de riz :

en 2007 : 0,02 euro

en 2013 : 1,69 euro

Quand le temps

d’attaquersera venu…Deux généraux, un Israélien et un Américain, se sont penchéssur les possibilités d’attaque contre l’Iran.

Téhéran persistemanifestement à penserque les Etats-Unis n’ontaucune envie d’intervenir

CHÔMAGEchez les jeunes

de 15 à 29 ans

Page 40: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 40/65

—The Guardian Londres

a liste des sept cents candidats a été réduiteà sept personnalités acceptables pour les gar-

diens de la révolution à Téhéran, et ces hommesdoivent maintenant s’affronter pour décro-cher une fonction à laquelle n’est plus atta-ché depuis des années aucun pouvoir de

décision stratégique en matière de politique étran-gère. L’issue du scrutin présidentiel iranien du14 juin prochain n’en risque pas moins d’avoir unimpact au-delà des frontières du pays, tant sur lesnégociations sur le nucléaire, bloquées depuis long-temps, que sur l’insoluble conflit syrien [où l’Iranest impliqué auprès du régime syrien].

Dans ces domaines, c’est au vieux guide suprême, Ali Khamenei, qu’il revient de trancher en dernierressort, mais il ne décide pas dans le vide car il doittenir compte des autres personnalités qui tirentles ficelles du pouvoir. A commencer par le prési-dent, qui, même si le scrutin est très réglementé

[par le Conseil des gardiens, instance composéede religieux non élus] peut tout au moins se pré- valoir d’un mandat populaire, contrairement auxdignitaires religieux et aux généraux assis autourde la table.

 Analystes iraniens et diplomates estiment quele bras de fer politique que se livrent Khamenei etle président actuel, Mahmoud Ahmadinejad, a tel-lement accaparé la scène politique qu’il a paralyséTéhéran et l’a rendu totalement incapable de faireles choix nécessaires pour parvenir à un accordavec l’Occident et le monde arabe.

“Sur la question du nucléaire, certaines factions àTéhéran ne voulaient surtout pas voir émerger unaccord qu’Ahmadinejad aurait pu revendiquer, même s’il n’avait rien à y voir” , explique Mohammad Ali

Shabani, rédacteur en chef du trimestriel IranianReview of Foreign Affairs. “Il est très difficile pour leshauts dirigeants de changer d’avis sur ces questionstant qu’Ahmadinejad est en fonction, car ils risquent de donner l’impression de faire machine arrière. L’élection fournira une occasion de changement de position. Ce sera peut-être une position plus souple, ou plus dure,mais une chose est sûre : elle sera différente.” Et d’ajou-ter : “Il sera bien plus facile pour l’Occident de traiter avec n’importe qui d’autre qu’Ahmadinejad, après tout ce qu’il a dit sur Israël et le reste.” 

Tout au long de cette période préélectorale, lesdiplomates du groupe de six pays qui négocientavec l’Iran sur son programme nucléaire main-tiennent le contact avec Téhéran. Le 15 mai, l’or-ganisatrice du groupe, la représentante des Affairesétrangères de l’Union européenne, Catherine

 Ashton, a rencontré à Istanbul Saïd Jalili, le négo-ciateur en chef iranien, qui fait figure de favori del’appareil pour la présidentielle. Mais les diplo-mates impliqués dans les négociations disent quemême si l’Iran est disposé à conclure un accord ilsn’espèrent rien avant la fin de l’élection.

Cependant pour certains analystes iraniens etdiplomates occidentaux, croire que Téhéran adop-tera une nouvelle approche après l’élection repré-sente surtout un souhait pieux.

“Tant que l’ayatollah Khamenei restera le guide suprême, un nouveau président n’a que peu de chancesd’infléchir la politique nucléaire de l’Iran, son soutienau régime d’Assad en Syrie ou sa ‘résistance’ à l’égarddes Etats-Unis et d’Israël”, assure Karim Sadjadpour,analyste iranien à la Fondation Carnegie pour lapaix internationale. L’arrivée d’une nouvelle têteà la présidence pourrait peut-être avoir un impact

sur l’image de l’Iran, poursuit-il, mais ce ne serapas forcément un atout pour l’Occident ou Israël.

“Alors que les pays intéressés par un accord nucléaireavec Téhéran peuvent voir d’un bon œil l’arrivée d’unnouveau président iranien, s’il en est un qui risque fort de regretter Mahmoud Ahmadinejad, ce sera [le Premier ministre israélien] Nétanyahou. C’est en grande partieà cause de la rhétorique violente d’Ahmadinejad quel’Iran a écopé de six résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et d’un régime de sanctions internationales pratiquement inédit par son ampleur et sa portée,affirme Sadjadpour. Je pense qu’en Israël comme enOccident de nombreux dirigeants estiment que, si l’Iran se choisit un président dans les rangs de la ligne dure,il vaudrait mieux que ce soit quelqu’un qui insulte lacommunauté internationale et donne une image néga-tive de l’Iran qu’une personnalité mesurée et sans relief.” 

— Julian Borger Publié le 22 mai 

Les présidentschangent,Khamenei resteL’élection d’un nouveau chef d’Etat va-t-elle assouplir la position de Téhéransur le nucléaire ? Un vœu pieux.

en Afghanistan avant la fin de 2014, beaucoup espèrent que la fin des dépenses afférentes à ces conflits va per-mettre au pays de sortir de ses difficultés financières et d’accélérer son redressement économique.

“Pourtant le président, le Premier ministre et leursconseillers réaffirment qu’un Iran nucléaire consti-tuerait une menace inacceptable à l’égard de la sécu-rité nationale des Etats-Unis et d’Israël. Chacun desdeux dirigeants énumère alors les lignes jaunes que lerégime iranien a franchies depuis 2004 sur le plan del’enrichissement des matières nucléaires, ainsi que lesrésolutions du Conseil de sécurité des Nations uniesqu’il a enfreintes dans ses efforts pour se doter d’unarsenal nucléaire. Ils rappellent enfin que cinq cyclesde négociations avec le régime iranien ont échoué (àGenève, Istanbul, Bagdad, Moscou et au Kazakhstan).

“Au vu de ces préoccupations, les deux dirigeantsconviennent que le temps est venu de préparer lesoptions contingentes visant à une frappe militaire sur les installations nucléaires iraniennes. Mais, si unetelle action s’avère nécessaire, se demandent-ils, quel pays devra lancer l’attaque : les Etats-Unis ou Israël ?” 

D’après Cartwright et Yadlin, “la supériorité descapacités militaires américaines – au nombre des-quelles figurent les bombardiers furtifs B2, les avionsravitailleurs, les drones sophistiqués et les bombes pénétrantes de 15 tonnes – serait plus à même d’en-dommager les objectifs iraniens. Cela dit les Etats-Unis ne possèdent aucune expérience de ce type de frappe, à la différence d’Israël, qui a mené avec succèsdeux opérations de ce genre, l’une contre le réacteur nucléaire d’Osirak, près de Bagdad, en 1981, et l’autre, si l’on en croit certains rapports, contre un réacteur  syrien en 2007.” 

Des frappes chirurgicales. Les auteurs ajou-tent qu’une éventuelle action israélienne exige-rait que les appareils de l’Etat hébreu franchissentl’espace aérien d’au moins un pays étranger

(Jordanie, Arabie Saoudite, Irak ou Syrie). Uneattaque américaine, en revanche, pourrait êtremenée directement à partir de bases militairesaméricaines ou de porte-avions américains sta-tionnés dans le Golfe ou ailleurs.

Dans l’éventualité où les deux pays décideraientde passer à l’action, Cartwright et Yadlin recom-mandent des frappes chirurgicales sur les sitesnucléaires iraniens, et non pas une campagneaérienne généralisée contre la totalité des forcesarmées iraniennes. Les deux pays rejettent éga-lement une approche impliquant une interven-tion terrestre, car, estiment-ils, une attaque limitéepousserait l’Iran à réagir de façon limitée, sansentraîner l’ensemble de la région dans la guerre.

Selon Cartwright et Yadlin, une attaque israé-lienne contre l’Iran susciterait des critiques plus

 violentes de la part du monde arabe que ne le

ferait une attaque américaine ; mais ils estimentégalement qu’il ne faut pas surestimer l’ampleurde la probable réaction arabe. Ils soulignent queles opinions publiques sunnites sont loin d’êtrefavorables à l’Iran, en raison du soutien que celui-ci apporte au régime de Bachar El-Assad dans lameurtrière guerre civile syrienne. Les auteursprésentent pourtant quelques arguments en faveurd’une attaque israélienne. Ils soulignent que la

 base morale d’un bombar dement des sitesnucléaires iraniens par Israël, en tant que paysdirectement menacé de destruction, serait plussolide que les justifications avancées par les

 Américains. Ils mentionnent également que lesEtats-Unis n’ont pas intérêt à commencer unenouvelle guerre avec un pays islamique aprèscelles d’Irak et d’Afghanistan.

— Amos HarelPublié le 29 mai 

L

“NOUS EN AVONSRAS LE BOL”Le célèbre réalisateur

iranien Abbas Kiarostami

donne de son pays une

image de désespoir.

“Je ne vois personned’optimiste dans mon

entourage” , a-t-il

déclaré dans un

entretien récemment

accordé au quotidien de

Téhéran Shargh. Evitant

de parler ouvertement

de politique, le lauréat

de la Palme d’or

au Festival de Cannes

en 1997 (pour son film

Le Goût de la cerise)

s’est tout de même

désolé de la mauvaise

situation économique

du pays : “La vérité,

c’est que nous en avonsras le bol. Ma principale

préoccupation est 

l’économie, qui

a paralysé tout le monde

d’une manière ou d’une

autre.” Evoquant

l’élection présidentielle,

Kiarostami a souligné

que les huit prétendants

avaient déjà eu des

responsabilités à

d’autres postes et que

“certains des problèmes

[de l’Iran venaient]

de leurs actions d’hier” .

“Lequel des candidats

devrais-je croire ?” 

s’est-il interrogé.Le réalisateur, qui a été à

maintes reprises critiqué

par ses compatriotes

pour être apolitique,

a toutefois plaidé pour

le changement afin

de “sortir la société

de son apathie”.

Plus explicite

dans The HollywoodReporter, Kiarostami

critique ouvertement

la situation de l’Iran.

“Elle n’a jamais été aussi

sombre, a-t-il regretté.

Des miracles doivent 

se produire pour sauver le peuple iranien.” 

 Kiarostami 

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 PAS DE PRINTEMPS POUR L’IRAN. 39

Page 41: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 41/65

—The Washington Institute(extraits) Washington

n peut déjà nommer les gagnants et lesperdants de cette élection présidentielle.Les grands perdants seront le guidesuprême, Ali Khamenei, et le présidentsortant, Mahmoud Ahmadinejad ; le prin-cipal gagnant sera l’ancien président

 Ali Akbar Hachemi Rafsandjani. Le Conseil desgardiens de la révolution – avec le consentementde Khamenei, peut-être même à sa demande – avaitdisqualifié la candidature de Rafsandjani. Mêmesi cette décision a sans doute été difficile à prendre,elle était essentielle pour les projets de Khamenei.

Depuis 2009, Rafsandjani s’est fait connaître

comme un critique virulent du guide suprême etd’Ahmadinejad. Au cours des derniers mois, cer-tains réformistes avaient même commencé à luiapporter leur soutien. Rafsandjani est rapidementdevenu un symbole de changement parmi sesanciens adversaires, qui sont parvenus à la conclu-sion qu’il était le seul à pouvoir modifier l’équa-tion du pouvoir afin de limiter l’autorité du guidesuprême et d’empêcher les forces militaires et lesservices de renseignements d’accroître encoreleur contrôle sur les affaires civiles.

En réalité, sa disqualification a placé Rafsandjanidans une excellente position. Il peut désormaisse présenter comme un leader qui était prêt à secharger d’un lourd fardeau afin de sauver le sys-tème, sans pour autant affronter les difficultésliées à l’exercice du pouvoir. Par ailleurs, il a fait

passer Khamenei pour un homme mesquin et dic-tatorial qui a refusé son offre d’aider la République

islamique à un moment difficile. En fait, disqua-lifier Rafsandjani coûtera sans doute très cher àKhamenei et à son régime. Le proche entouragede Khamenei aurait pu gérer l’affaire de manière

 beaucoup plus feutrée, en félicitant par exempleRafsandjani pour sa candidature, tout en souli-gnant que le pays ne pouvait pas attendre beau-coup d’un homme de 79 ans qui a déjà consentide grands sacrifices. Mais, comme d’habitude, ona préféré utiliser la force.

Le Conseil des gardiens de la révolution a éga-lement empêché des membres de l’entouraged’Ahmadinejad, parmi lesquels le chef d’état-majorEsfandiar Rahim Mashai, de présenter leur can-didature. L’interdiction ainsi faite aux partisansd’Ahmadinejad montre que Khamenei est déter-

miné à ne leur laisser jouer aucun rôle significa-tif dans le prochain gouvernement. Et aucun descandidats restants n’a été capable de séduire l’opi-nion. Jusqu’à présent, Khamenei a montré qu’ilse méfiait des réformistes, des technocrates, desreligieux et des commerçants du bazar – en d’autrestermes, de tout ce qui constitue les forces socialeset politiques traditionnelles de la République isla-mique. A leur place, il dirige le pays en s’appuyantsur des personnages falots ayant des liens avecl’armée et les services de sécurité.

La qualité du président élu est l’obéissance, plusque les qualifications et la compétence. Khameneine veut pas revivre les tensions qui ont marquéses relations avec les précédents présidents.

—Mehdi Khalaji*

Publié le 24 mai 

* Politologue iranien.

Qui gagne perdLa victoire du guide suprême Khamenei, qui a réussi à imposerses candidats à l’élection, sera amère : son principal rival, l’ex-présidentRafsandjani, est devenu le symbole du changement.

O↑ En exclusivité pour

Courrierinternational.

com, retrouvez

les premiers épisodes

de la BD Votez

 pour Zahra traduits

en français, à partir

du vendredi 14 juin.

VERS UNE

ÉCONOMIEISLAMIQUEContre les sanctions occidentales,le quotidien conservateurde Téhéran en appelleà une “économie de la résistance”.

—Kayhan Téhéran

ans cette présidentielle, l’économie consti-tue le sujet le plus abordé par les candi-dats. Cela est d’autant plus normal que

des difficultés incontestables préoccu-pent profondément la plupart des Iraniens,notamment ceux des couches défavori-

sées, ces défenseurs indéniables de la révolution.Or, depuis quelque temps, les médias occiden-

taux s’efforcent de s’ingérer dans cette élection en brandissant les problèmes économiques de notrepays. Pour mettre la pression sur nos candidats,les ennemis jurés de la République islamique évo-quent les sanctions. Malheureusement, certainsde nos candidats à la présidence ne font que dres-ser une liste de nos problèmes, tandis que d’autresprésentent une image sombre de notre économie.Ce qui manque dans ces discussions, c’est le débatsur l’“économie islamique” comme un paradigmequi repose sur deux axes : “production et aug-mentation de la richesse nationale” et “distribu-

tion juste de cette richesse”.La question est donc la suivante : quel est leprogramme des chers candidats pour réaliserl’économie islamique ? Tandis que les sanctionséconomiques sont un des outils de l’ennemi pourfaire main basse sur le pays, que pensent les can-didats d’une économie sans exportation de pétrole ?La réponse est claire : aller vers une économie dela résistance inspirée de l’islam ôtera à l’Occidenttoute possibilité de faire pression sur l’Iran.

—Hessameddin Boroumand

Publié le 6 juin

Cinq dates clés12 juin 2009 Réélection de Mahmoud

Ahmadinejad à la présidence

de la république islamique d’Iran

dans un scrutin entaché de fraudes.

18 février 2011 Assignation à résidence des

deux candidats malheureux à la présidentielle

et leaders du mouvement d’opposition :

Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi.

5 avril 2013 Les négociations

entre six puissances mondiales et l’Iran

sur son programme nucléaire se terminent

au Kazakhstan sans accord.

21 mai 2013 Disqualification de l’ancien

président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani et

du bras droit du président sortant, Esfandiar

Rahim Mashai, pour la présidentielle.

14 juin 2013Premier tour de l’électionprésidentielle.

Chiffres

D

↖ Le guide suprême Ali Khamenei caricaturé en Zahhak, figure du malde la mythologie perse.Dessin de Kianoush,

cartooniste iranienexilé depuis 2005,d’abord en France et actuellement à Genève.

40. à la une Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Page 42: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 42/65

PRIORITÉ AU DIRECT

1ÈRE CHAÎNE

D’INFODE FRANCE

RE TROU VEZ LE DOSSIER

SPÉCI A L IR A N SUR BFM T VJEUDI 13 JUIN

Repor tages  tou te la  journée dès 6h dans “Première Édi tion”.

Un  journalis te de Courrier In terna tional sera l’in vi té du “Midi-15h”.

   D   e   B   o   n   n   e   v   i   l   l   e  -   O   r   l   a   n   d   i   n   i

Page 43: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 43/65

tème SmartThings [chaque objet est équipéd’un petit capteur qui permet de consulterson activité et de le contrôler]. QuandHawkinson termine sa journée, son bureau

envoie automatiquement un message à safemme et met en marche le système de climatisation de la maison.

Légion de robots. Les informations autre-fois prisonnières de nos appareils circulentdésormais librement. Les spécialistes onteu du mal à trouver un nom à ce phéno-mène émergent. Certains l’ont baptisé“l’Internet des objets”, d’autres “l’Internet detout” ou encore “l’Internet industriel”, mêmesi la plupart des appareils qui le consti-tuent ne font en fait que communiquerentre eux par le biais de protocoles sansfil et ne sont pas directement présents surInternet. Les puristes de la technologie seréfèrent, eux, au dénominateur communde bon nombre d’appareils intelligents et

parlent de “révolution des capteurs”. A vrai dire, il serait plus approprié d’ap-

préhender ce phénomène en parlant de“monde programmable”. Après tout, ce quifait la particularité de ce monde nouveaune sont ni les capteurs ni le fait qu’ils soientreliés à des objets, mais l’idée que le jouroù nous aurons suffisamment de ces objetsconnectés ceux-ci ne seront plus seulementdes nouveautés éphémères ou des sourcesde données, mais des éléments formant un

 vaste système cohérent susceptible d’êtrecoordonné comme un corps en mouve-ment. C’est, à vrai dire, l’opposé d’Internet,un terme qui aujourd’hui encore – à l’époquedu “nuage”, ou cloud computing, et des appli-cations téléphoniques – évoque l’idée

d’un fonctionnement où tous les nœudsdu système ont la même importance.

muniquer entre eux grâce à des connexionssans fil, réaliser des tâches à la demandeet nous abreuver de données inédites.Imaginez une usine où chaque machine,

chaque salle, envoie des informations ausystème pour résoudre des problèmes toutau long de la chaîne de production. Imaginezun hôtel où les lumières, la stéréo et les

 volets ne sont pas seulement contrôlés parune station centrale, mais se règlent sur

 vos préférences avant même que vous soyezentré. Imaginez une salle de sport où lesmachines enclenchent votre programmed’entraînement dès votre arrivée ou unappareil capable de vous indiquer le défi-

 brillateur le plus proche en cas de crise car-diaque. Pensez enfin à une voiture hybridecapable d’optimiser votre consommationd’énergie en utilisant la batterie à l’ap-proche d’une borne de chargement.

Peu de personnes sont mieux placéesqu’Alex Hawkinson pour nous présenter cefutur pas si lointain. Sa start-up, SmartThings,installée à Washington DC, fabrique ce quiest peut-être le système le plus avancé pourconnecter des objets entre eux. Dans samaison, plus de 200 objets – de la porte de

garage à la cafetière, en passant par le tram-poline de sa fille – sont connectés au sys-

—Wired San Francisco

A

moins d’un kilomètre et demi dufleuve Potomac, Alex Hawkinson a

insufflé la vie à un objet inanimé :sa maison. Située à Great Falls, en Virginie,sur un terrain de 20 000 mètres carrés,cette vaste demeure de style Tudor possèdece qui ressemble à un système nerveuxreliant les murs, les plafonds, les fenêtreset les portes. Hawkinson a donné à tous ceséléments le moyen de communiquer entreeux, leur permettant ainsi de bouger commeun grand ensemble. Lancez une session surle hub numérique [appareil qui raccordel’ensemble du réseau] de la maison, et vouspourrez même entendre tout ce que cesobjets racontent quand il n’y a personne :

Détecteur de mouvement bibliothèque : appareil 0X9E07 zone status 0x0031

Portière voiture : température : + 13 °C ;batterie : 2,4 V 

Boîte à gants :  [ 87AC ] checkinLumière salon : 2001-Thermostat : 4301-Lumière entrée : 2001-Cafetière : 2001-Détecteur de mouvement salon : appareil

0XB247 zone status 0x0031. Voilà le langage du futur. Les cafetières

parlent aux horloges, les thermostats auxdétecteurs de mouvement et les machines-outils des usines avec le réseau électriqueet les réserves de matières premières.Dix ans après la révolution Wi-Fi – qui aconnecté tous nos ordinateurs à un réseausans fil – et cinq ans après l’explosion dessmartphones – qui a placé des terminauxde ce réseau dans nos poches –, nous assis-

tons à l’aube d’une ère nouvelle où les objetsles plus banals du quotidien pourront com-

trans-versales.

Sciences et innovations

Sciences........42Economie........49Médias..........50Signaux.........51

Quand tous nos objetsseront programmables

Anticipation. Aujourd’hui, nous sommes entourés d’appareilsintelligents capables de collecter des données sur nos vieset de communiquer entre eux. Bientôt, nous pourrons les coordonnerpour qu’ils répondent à tous nos besoins.

42. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

FOCUS

WIREDSan Francisco, Etats-Unis

Mensuel, 837 966 ex.

www.wired.com

Fondée en 1993, cette revue

à la maquette détonante

est une référence internationale

de la culture technophile.

“Câblé” couvre sans complaisance

l’actualité internationale en

mettant l’accent sur les nouvelles

technologies et les sciences.

Ce sujet fait la une du numéro

de juin. Sur la couverture, on peutlire : “Eveillé : quand les objets

autour de nous peuvent parler 

entre eux, les éléments de notre

univers physique convergent et 

prennent vie. A terme, ce réseau

va se développer pour satisfaire

nos besoins, comprendre nos désirs

et concrétiser nos rêves.

Bienvenue dans le monde

programmable. (Il est plus proche

que vous ne le pensez.)” 

SOURCE

Quand Hawkinson terminesa journée, son bureauenvoie automatiquementun message à sa femmeet met en marche lesystème de climatisationde la maison

→ 44

→ Illustrations de Joe Magee, Grande-Bretagne.

Page 44: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 44/65

Page 45: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 45/65

plus importants. Des géants comme IBM(avec son projet Smarter Planet), Qualcommet Cisco voient tous dans la connectivitéomniprésente le moyen de vendre davan-tage de produits et de services – notammentdes analyses de bases de données – à leursprincipaux clients. Les fabricants chinoissuivent le même raisonnement, et le gou-

 vernement de Pékin consacre chaque annéedes centaines de millions de dollars au déve-loppement de l’Internet des objets. D’aprèsles spécialistes qui étudient tous ces déve-

loppements, on devrait dénombrer d’ici à2025 près de 1 000 milliards d’objets connec-tés dans le monde (particuliers et indus-triels confondus).

La deuxième étape – l’interconnexionde deux objets intelligents ou plus – est laplus délicate puisqu’elle correspond aupassage – audacieux – de la simple analyse(la collecte de données) à la véritable auto-matisation. Peu importe que l’exploitationde certaines données nous facilite peu ouprou la vie, il est toujours effrayant de délé-guer des décisions à des machines. C’estaussi un défi lancé à notre imagination.Dans un monde non programmable oùpeu d’objets sont connectés, il est parfois difficile d’imaginer les interactions pos-sibles entre eux. Hawkinson établit unparallèle avec ce que Facebook a baptiséle “social graph”, autrement dit la connais-sance des liens et de leur nature entre

membres de la communauté. Hawkinsonimagine, lui, un “physical graph” faisant

apparaître les connexions entre tous lesobjets de notre quotidien selon ce quenous souhaitons les voir faire en fonctionde l’état ou de l’action d’autres objets.Néanmoins, tant que les informations res-tent prisonnières des objets – c’est-à-diretant que vous n’avez pas, par exemple, unsystème d’arrosage connecté à un capteurde niveau d’humidité –, il est difficile d’ima-giner quelle forme d’automatisation vouspourriez souhaiter, ou même dont vouspourriez avoir besoin, au quotidien.

Pensez à l’endroit où vous passez l’es-sentiel de votre journée : votre bureau, votresalon ou bien votre voiture. Au cours d’une

 journée ordinaire, vous effectuez toute une

série de réglages correspondant à de simplesrelations “si… alors”. Si le soleil frappe votreécran d’ordinateur, alors vous baissez lesstores. Si quelqu’un entre dans votre bureau,alors vous éteignez la musique. S’il y a tropde bruit dehors, alors vous fermez la fenêtre.Si  vous avez ouvert un document Wordsur lequel vous n’avez rien écrit depuisdix minutes, alors  vous fai tes du café.

 Voudriez-vous automatiser ces interactions ?Pas forcément. Mais, dans certains cas, cela

 vous faciliterait la vie.Le meilleur exemple est peut-être celui

où c’est nous qui sommes équipés d’un despériphériques. Les “radio-étiquettes de pré-sence” [ou puces RFID] – des identifiantsradio basse consommation que l’on peut

coller sur un trousseau de clés ou une bouclede ceinture et qui signalent notre présence

dans un endroit – sont ce qui permet ausystème SmartThings d’envoyer un mes-sage à votre femme quand vous quittez le

 bureau. C’est également le principe utilisépar Square Wallet et toute une série de nou-

 veaux modes de paiement, dont certainsproposés par PayPal ou Google. Si vousentrez dans un commerce équipé, Square

 vous permet d’être auto mat iqueme ntreconnu à la caisse, et il vous suffit de donner

 votre nom pour payer.

Localisation. Aujourd’hui, les GPS nouspermettent de savoir où nous sommes àquelques dizaines de mètres près, et cette

connaissance a radicalement changé notrefaçon de vivre. Avec les puces RFID de pré-sence, il est possible de savoir au mètre prèsoù nous nous trouvons. Autrement dit, nonseulement vous savez dans quel bar votreamie se trouve, mais précisément à quelletable elle est installée. A l’épicerie, vouspouvez recevoir un bon de réduction rienqu’en franchissant le seuil du magasin. Vouspouvez entrer dans un musée et écoutersur votre téléphone l’analyse de chaquetableau devant lequel vous vous arrêtez.Cette simple connexion – entre une puceque vous portez et un capteur dans l’envi-ronnement – représente le point culminantde la révolution de la localisation.

Pour Dennis Crowley, PDG de Foursquare

(une application de réseau social fondée surla géolocalisation), la localisation est commeun grand X s’affinant au rythme du progrèstechnologique. “Notre objectif est de parvenir à un X de cette taille”, déclare-t-il en ouvrantla paume de sa main. “Le X marque l’endroit où est enterré le trésor.” 

Et le trésor pourrait être considérable.C’est une évidence dans le secteur de ladistribution : d’après le spécialiste des bonsde réduction Koupon Media, près de 80 %des gens qui achètent leur essence dansune station de supermarché n’entrent jamaisdans le magasin. La délivrance de bons deréduction consécutive à la détection depuces de présence pourrait donc avoir unimpact considérable sur leur chiffre d’af-faires. Cela vaudrait également dans notre

 vie quotidienne. Est-ce que vous n’avez jamais égaré un objet chez vous et rêvé depouvoir le retrouver aussi simplement qu’enfaisant une recherche sur votre ordina-teur ? Grâce aux puces de localisation, cerêve qui semblait impossible est devenuréalité : une start-up baptisée StickNFindTechnologies propose déjà ces puces de lataille d’un timbre-poste pour 25 dollars[19 euros] l’unité.

La troisième et dernière étape consisteà développer des applications pour cesobjets connectés. Autrement dit, ne pas secontenter de connecter deux ou trois objetsentre eux – comme le système d’arrosageet le capteur de niveau d’humidité –, maiscréer des interactions complexes faisant

appel à des sources de données extérieureset diverses bases de données. Imaginez

44. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013SCIENCES ET INNOVATIONS

Chronologie

99 — Mise sur

le marché de l’IBM

Simon, le premier

“smartphone” – le

terme n’apparaîtra

qu’en 1997.

998 — Après

la création

de la technologie,

en 1994, le terme

“Bluetooth”

est officialisé.

999 — Le concept

d’“Internet des

objets” est proposé.

Années 2000 —Soixante ans après

leur invention,

au cours de la

Seconde Guerre

mondiale,

les puces RFID

se démocratisent.

2000 — La société

LG lance le premier

réfrigérateur

connecté

sur Internet.

— Première

application

commerciale

du Wi-Fi (pour

Wireless Fidelity),

FOCUS

Peu importe quel’exploitation de certainesdonnées nous facilite la vie,il est toujours effrayantde déléguer des décisionsà des machines

L’éveildesobjets

Les objets connectés de demain secomporteront davantage comme une nuéede drones, une légion de robots, éparpilléset parfois dissimulés, capables de coordonner

leurs actions dans un grand ensemble.Pour réaliser tout le potentiel de ce monde

programmable, nous devons passer partrois étapes. La première, qui consiste sim-plement à mettre de nouveaux objets surle réseau, est déjà en bonne voie, portéepar différentes forces économiques. Pourles fabricants, une façon de proposer unpeu plus que des produits basiques consisteà les connecter au réseau Internet et à y apposer le qualificatif “smart”. Cette ten-dance s’explique toutefois surtout par l’ar-rivée des smartphones, qui nous offrentun moyen naturel de communiquer avecles objets “intelligents”. L’année dernière,il s’est vendu près de 700 millions de smart-phones, la plupart capables de communi-

quer avec des capteurs grâce à diversprotocoles sans fil. Dans le même temps,la croissance fulgurante de ce marché inciteles fabricants de capteurs à travailler davan-tage sur l’innovation et la miniaturisation,faisant baisser ainsi le prix des puces sansfil à un niveau dérisoire.

Interactions. Des centaines d’objets exploitent déjà la technologie BluetoothSmart, un protocole radio à faible consom-mation d’énergie, apparu sur le marché enoctobre 2011. Parmi eux, des montres, desmoniteurs de fréquence cardiaque et lesdernières chaussures Nike (dotées de quatrecapteurs de pression intégrés, elles peu-

 vent transmettre les données de votre entraî-nement à votre téléphone). Le projet

 Asthmapolis fonctionne avec un capteurattaché à un inhalateur pour créer une cartedes endroits à risque pour les personnessouffrant d’asthme. Une autre technologie,

 baptisée NFC [Near Field Communicationou communication en champ proche, quipermet la communication entre des péri-phériques disposés à une dizaine de centi-mètres] est en plein essor, et la société Visa

 vient juste d’annoncer qu’ell e la isserait bientôt les utili sateurs de smartphonesSamsung effectuer des paiements en NFCavec leur portable à la place de leur carte

 bancaire. Certains panneaux publicitairesutilisent également cette technologie pourdiffuser des contenus aux passants qui le demandent.

On observe la même dynamique dans lesecteur industriel, où les enjeux sont encore

44 ←

→ 46

Page 46: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 46/65

Page 47: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 47/65

se bloque de lui-même lorsque votre por-tefeuille d’actions baisse de plus de 3 %.

Sécurité. Avec plus de 200 objets connec-tés, la maison d’Hawkinson est comme unlaboratoire qu’il utilise précisément pourinventer ces nouvelles interactions com-plexes. Quadragénaire blond à lunettes, d’al-lure imposante, Hawkinson dispose sur latable basse de son élégant salon certains

objets de base de son système : il y a un détec-teur de mouvement, un capteur de niveaud’humidité et un “multidétecteur” – com-posé de deux parties pouvant être installéesface à face sur une porte et son encadrementpour contrôler la température ambiante etdétecter tout mouvement. Il y a aussi uneprise électrique à commande vocale, à ins-taller entre un mur et tout appareil élec-trique, des puces RFID de présence et enfinl’appareil – de la taille d’un club sandwich –qui fait le lien entre tous ces éléments : leSmartThings Hub.

De nombreux efforts sont actuellementfournis afin de créer des standards de com-munication entre tous les objets connectés.Deux projets menés par de grandes entre-

prises – AllJoyn et MQTT – essaient de mettreau point un langage commun, sorte de HTTP

pour objets intelligents. Hawkinson, lui, aopté pour une autre approche en faisant deson hub une sorte de traducteur universel,capable de reconnaître différents langageset protocoles sans fil.

Le véritable génie de SmartThings ne setrouve toutefois ni dans les capteurs ni dansle hub lui-même, mais dans le systèmequ’Hawkinson et les utilisateurs sont entrain de construire à côté. Si vous ouvrez

l’application SmartThings sur votre téléphoneportable, vous trouverez toute une gammede fonctions, élégamment présentées sousforme de petites bulles, faisant apparaîtrele statut des personnes, des lieux et desobjets intégrés à votre système.

Le système est capable de recevoir desinformations provenant d’autres objetsconnectés – des détecteurs de mouvementindiquant dans quelle pièce vous vous trou-

 vez, des puces de présence identifiant chaquemembre de la famille (et leurs préférencesde température) – et même de sources exté-rieures comme les prévisions météo ou les

 variations du prix de l’énergie. Certains uti-lisateurs ont déjà commencé à bricoler desthermostats intelligents et utilisent leurs

capteurs et leurs historiques de onsommationpour faire des économies d’énergie.

un type de réseau

local sans fil

qui connaîtra un

succès planétaire.

200 — Début

de la 3G, pour

3e génération

de normes de

téléphonie mobile.

Le débit de transfert

de données est

beaucoup plus

rapide, ce qui

permet notamment

aux téléphones

portables grand

public d’utiliser

Internet.

2009 — Il y a

plus d’appareils

connectés

sur Internet

– des ordinateurs

aux compteurs

électriques,

en passant par

l’électroménager –

que d’habitants

sur la Terre.

20 — Lancement

officiel de l’IPV6, le

nouveau protocole

Internet,

qui permettra

notamment

de multiplier le

nombre d’appareils

connectés.

203 — D’ici

à la fin de l’année,

il devrait y avoir

deux fois plus

d’objets reliés

à Internet que

d’êtres humains.

BluetoothTechnologie

de communicationsans fil permettant

de relier

des appareils

par ondes radio.

Son rayon d’action

est de plusieurs

dizaines de mètres.

CloudComputingLittéralement

“informatique en

nuage”. Ensemble

des services

qui permettent

d’utiliserla puissance

informatique

d’ordinateurs

disséminés dans

le monde entier

et liés en réseau

par Internet.

Cette ressource

est énorme

et modulable.

Internetdes objetsConnexion sur

Internet d’objets

et de lieux en

associant ceux-cià des capteurs

et à des puces

électroniques.

IP, ou Internet

Protocol. Le

protocole Internet

est le langage

informatique

qui régit les

communications

entre appareils

sur Internet.

Chaque appareil

qui utilise Internet

est identifié parson adresse IP,

composée d’une

suite de chiffres.

A l’heure actuelle,on utilise

deux versions

de protocole

Internet : l’IPV4

(pour version 4)

et l’IPV6, qui

permet de créer

beaucoup plus

d’adresses IP et

donc de connecter

plus d’appareils

sur Internet.

NFCpour Near Field

Communication,ou communication

en champ proche.

Technologie

de communication

sans fil

par ondes radio.

Contrairement

au Bluetooth,

la NFC utilise

de très hautes

fréquences et ne

peut émettre que

sur de très courtes

distances (quelques

centimètres

seulement).

Puce RFIDRFID pour Radio

Identification.

Ces petits

appareils sont

composés

d’une antenne

et d’une puce

électronique :

ils peuvent

capter des

communications

radio et y répondre.

 Lexique

1 0001 000milliards. C’est le nombre d’objets

connectés qui devraient fourmiller

dans le monde d’ici à 2025.

Imaginez à quel pointvotre système d’arrosageserait plus intelligent

s’il réagissaitaux prévisions météo

à quel point votre système d’arro-sage serait plus intelligent s’il réagissaitaux prévisions météo, ainsi qu’à l’histo-rique des précipitations et du niveau d’hu-midité dans le sol. S’il avait accès à cesinformations, votre système ne saurait passeulement combien d’eau le sol contient,il pourrait prédire combien il en contien-dra (selon que les bulletins météorolo-giques annoncent de la pluie ou du soleil).

Imaginez un système de surveillance médi-cale à domicile qui ne se contente pas d’en-

 voyer des informations sur l’état de patientsdiabétiques, mais ajuste leur traitement enfonction de ces données. Imaginez que

 votre bar personnel puisse modifier auto-matiquement votre liste de courses en fonction du niveau de vos bouteilles, mais

46. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013SCIENCES ET INNOVATIONS FOCUS

44 ←

→ 48

Page 48: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 48/65

Page 49: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 49/65

ARCHIVEScourrierinternational.com

L’Internet des objets qu’on nous promet dep uis

une dizaine d’années devient réalité. Le lave-linge

qui tombe en panne communiquera à distance

avec le service après-vente sans intervention

humaine. “Des objets t rès connectés”,

un article de la revue The Economist.(Paru dans CI n° 1157, du 3 janvier 2013.)

Nous pourrons bientôtvivre dans une maisoncapable de nous avertiren cas d’inondation,

de surveiller les enfantsou d’éteindre le gaz

leur durée de vie jusqu’à plusieurs années,mais toutes doivent un jour être remplacées.Dans une maison hyperconnectée commecelle de Hawkinson, cela signifie qu’il fautchanger des centaines de piles ou batterieschaque année et plus encore dans un grand

 bureau avec des connexions complexes.Hawkinson espère que les prochaines années

 verront la commercialisation de technologiessans fil capable de transmettre de l’énergieà plusieurs mètres d’une station de chargement

et de recharger ainsi les capteurs.

Trop intelligents. L’idée de donner vie àdes objets inanimés, de contraindre le mondephysique à obéir à nos ordres, est au cœurde tout récit de science-fiction depuis unsiècle et demi ou plus. Nous avons souventimaginé que ces objets seraient alors mal-faisants ou stupides, comme les balais deFantasia que Mickey voit se multiplier à l’in-fini. Dans d’autres cas, nous avons au contrairecraint de les voir devenir trop intelligents,comme l’ordinateur HAL lorsqu’il refused’ouvrir la porte du vaisseau de 2001 : l’Odysséede l’espace. En réalité, pourtant, comme pourles ordinateurs, l’intelligence de ce mondeprogrammable ne sera jamais ni plus ni

moins que celle que nous lui insufflerons.Il est fort peu probable que nous condui-sions un jour des voitures comme KITT [deK 2000, la série télévisée des années 1980]ou que nous habitions dans des maisonscomme celle de Tony Stark [le héros des

 bandes dessinées et films Iron Man] avecJ.A.R.V.I.S, l’intelligence artificielle nousindiquant avec un délicieux accent Britishcomment utiliser nos systèmes d’armementintégrés. Reste que nous pourrons bientôt

 vivre dans une maison capable de nous aver-tir en cas d’inondation, de surveiller lesenfants ou d’éteindre le gaz quand nousl’oublions. Autant de choses vraiment intel-ligentes et qui enrichiront nos vies bien plusque n’importe quel lance-missiles.

—Bill Wasik 

Publié en mai 

Copyright © 2013 Condé Nast Publications.

All rights reserved. Originally published in Wired.

Reprinted by permission.

La sécurité est un autre domaine dedéveloppement naturel pour ces applica-tions. Lorsque Hawkinson n’est pas chezlui, il est prévenu par SMS si une portes’ouvre ou si le moindre mouvement estdétecté. Quand le dernier employé quitteles bureaux de SmartThings, le système ver-rouille automatiquement la porte, éteintles lumières, ainsi que le thermostat, etenclenche le système de sécurité (avecalarme, gyrophares et message d’alerte auto-matique). Dès lors, pourquoi continuer àpayer une des innombrables sociétés desécurité (qui brassent près de 20 milliardsde dollars par an) pour faire exactement le

même travail ? Et, dans les rares cas où ilfaut envoyer quelqu’un sur place, Hawkinsonenvisage de créer un service de sécurité bonmarché où son système de capteurs et denotification serait relié à une patrouillede policiers disponibles sur appel.

Tel est finalement l’objectif du mondeprogrammable : faire converger l’énergie desdéveloppeurs, des entrepreneurs et des inves-tisseurs pour agir sur le monde des objetsphysiques, l’améliorer, le personnaliser etimaginer des services dont nous n’avonsencore jamais rêvé. Pour cela, il faudra mobi-liser toutes les forces qui ont fait d’Internetun outil si révolutionnaire et travailler surpresque tout ce qui nous entoure.

Il y aura de toute évidence certains pièges

à éviter dans le monde des objets connec-tés. La crainte de voir un hacker pirater

nos boîtes mail ou nos comptes bancairesn’est rien comparée à la perspective de voirce même nuisible bricoler nos portes degarage ou nos lumières de salle de bains.Les mystérieux programmes Stuxnet etFlame nous font nous interroger sur lesproblèmes de sécurité dans l’industrie àl’époque des objets connectés. Le magazineVanity Fair a récemment publié plusieursscénarios catastrophes dans lesquels deshackers s’en prendraient à des objets connectés, comme des voitures high-tech(des chercheurs ont trouvé comment exploiter un système de navigation et desécurité pour semer le chaos dans un véhi-

cule), des “compteurs intelligents” (lesdonnées sur votre consommation d’énergiesont très révélatrices de vos activités à domicile) et même des pacemakers.

Vie privée. Pour Hawkinson, la sécuritéest un problème mais pas une menace vitale.Les communications avec le boîtierSmartThings sont encodées, ce qui rendleur interception très difficile et leur modi-fication dans un but malveillant presqueimpossible. Il se pourrait même que l’au-tomatisation renforce notre niveau de sécu-rité. Comme le note le journaliste de WiredMat Honan, les récentes attaques de piratesont majoritairement exploité les faiblesseshumaines, c’est-à-dire les mots de passe.

L’humain est toujours le maillon faible enmatière de sécurité en ligne, mais, dans le

monde programmable, les objets réaliserontleurs tâches sans intervention humaine.

Ce qui pourrait davantage nous inquiétersont les questions liées à la vie privée. Cen’est pas parce que nous sommes désormaishabitués à partager des contenus dans lemonde virtuel que nous avons envie de fairede même dans le monde physique, et ce alorsque nos interactions avec les objets intelli-gents révèlent de plus en plus ce que noussommes et ce que nous faisons. La généra-lisation des cartes de péage intelligentesmontre toutefois que ces craintes peuventêtre surmontées si le service proposé pré-sente un véritable avantage dans des condi-

tions de sécurité acceptables. A cet égard,les panneaux publicitaires personnalisésreprésentent un pas dans la mauvaise direc-tion, mais les consommateurs devraientapprécier l’arrivée des paiements sans fil,des cafés qui connaissent votre commandeet vous évitent de faire la queue ou des voi-tures de location qui enregistrent vos réglagesde siège. Comme pour les réseaux sociaux,les craintes concernant la vie privée dans lemonde connecté de demain pourraient bienêtre rapidement dépassées par les bénéficesque nous en tirerons.

En réalité, le véritable problème du mondeprogrammable est celui, nettement plusconcret, de l’énergie. Chaque capteur a eneffet besoin d’une source d’énergie, actuel-

lement une pile. Les protocoles de com-munication basse consommation allongent

45 ←

48. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013SCIENCES ET INNOVATIONS FOCUS

Page 50: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 50/65

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 49

—Brasileiros (extraits)São Paulo

D

ans le quartier Jardim Maria Sampaio,Zone sud de São Paulo. Le musicienFernando Rangel, Nando pour les

intimes, prépare le déjeuner sous le regardde son fils Davi, mais se retrouve soudainà court de gaz. Les temps sont durs. Nandoa déjà à peine de quoi acheter à manger etil n’avait pas prévu de devoir dépenser35 reais [13,5 euros] dans une nouvelle bou-teille de gaz. Installé dans le quartier depuisquelques années, Nando s’est lié d’amitiéavec Thiago et Rafa, qui participent à unprojet de monnaie alterna-tive. Ils insistent depuis unmoment pour que Nando serende à la banque commu-nautaire installée depuis2009 dans le bâtiment del’Union populaire desfemmes de Campo Limpo

et des environs (UPM), aussiappelé Maison des femmes. Nando ne veutpas entendre parler de banques, mais ce

 jour-là, muni de sa carte d’identité, de sonnuméro d’identification fiscale et d’un jus-tificatif de domicile, il décide de franchirla porte de la banque communautaire UniãoSampaio. Nando expose ses difficultés. Ildemande 35 sampaios et en obtient 50 en

 billets colorés, accompagnés d’une listedes magasins qui les acceptent.

L’União Sampaio est l’une des cinq banq ues communau taires créées à SãoPaulo en 2009 à l’initiative du BancoPalmas, première banque communautairedu Brésil, et du Secrétariat national à l’éco-nomie solidaire (Senaes).

L’União Sampaio est née presque natu-

rellement au sein de la Maison des femmes,dans l’idée que l’autonomie financière estindispensable aux femmes en difficulté,notamment lorsqu’elles ont été victimes de

 violences domestiques. Outre les femmes,les personnes âgées sont les principales béné-ficiaires des crédits à la consommation. La

 banque propose aussi des prêts à taux zéropour parer aux urgences du quotidien.Mais, loin de se limiter au pur assistanat,les banques solidaires permettent surtoutde faire circuler la richesse locale à l’inté-rieur du quartier. Le crédit à la consomma-tion est l’instrument de base, mais, pourque la monnaie circule, il est indispensabled’impliquer les commerçants. D’où la miseen place aussi, comme mesure incitative,

de crédits d’exploitation à leur intention.Le commerçant qui souhaite embellir ou

agrandir son magasin, ou augmenter sonfonds de roulement, peut solliciter un prêtpouvant aller jusqu’à 1 000 reais [385 euros]et à des taux inférieurs à 2,5 % par mois.“Nous avons confiance dans les gens du quar-tier, parce que nous vivons vingt-quatre heures

 sur vingt-quatre à leurs côtés”,souligne Thiago Vinicius Paula, analyste de crédit à l’UniãoSampaio, qui effectue une étude socio-éco-nomique (une visite du magasin, en géné-ral) avant de débloquer les fonds.

Thiago s’est ainsi rendu récemment à la boutique Dina Bacana Modas. Eliane FreitasSilva, 24 ans, en dernière année de gestion,et son frère Jailson, un styliste que connaît

Thiago, ont investi dans unnouveau fonds de commercesur une avenue très fréquen-tée – mais toutes leurs éco-nomies ont été englouties dansles avances de loyer et les tra-

 vaux. Il leur fallait reconsti-tuer leur fonds de roulement,

et le crédit d’exploitation étaitla solution idéale pour eux. Eliane a dûrépondre à une série de questions, puisThiago lui a demandé : “Cela vous intéresse-rait d’accepter les sampaios ?” La jeune femmen’avait jamais entendu parler de cette mon-naie, et le fait qu’elle ne circule que dans lequartier ne lui inspirait pas confiance. Thiagoa insisté : “Beaucoup de gens viennent à labanque emprunter de l’argent. Nous pourrionsleur dire : ‘Au fait, la boutique d’Eliane accepteles sampaios.’ C’est un système qui permet demaintenir l’argent dans le quartier, près des gens, vous comprenez ?” 

Fidéliser la clientèle. La boutiqued’Eliane et de Jailson, qui vend des vête-ments au prix maximal de 29,90 reais

[11,5 euros], est encore une entreprise bal- butiante. Installée à son adresse actuelledepuis peu, elle réalise un bénéfice moyenmensuel de 2 000 reais [770 euros]. Autantdire qu’elle ne pourrait pas accéder à uncrédit classique. La fiche remplie à la main,l’entretien préalable et l’impression quiressort de la rencontre sont portés à laconnaissance du Conseil d’analyse du crédit(CAC), qui se réunit une fois par semainedans les locaux de la banque.

 Au magasin de matériaux de construc-tion Center Vai-Lá, le chiffre d’affaires enmonnaie alternative atteint les 400 sam-paios par mois. Pour encourager son uti-lisation, le propriétaire, Marcos Menezes,offre une remise de 5 % sur les paiements

en sampaios, contre 3 % pour les règle-ments en reais. Pour lui, le sampaio est un

 bon moyen de fidéliser sa clientèle. Si bienque, quand la banque a fait appel au sitede financement participatif Catarse pourlever des fonds et augmenter sa capacitéde crédits d’exploitation, Marcos Menezeslui a fait don d’une partie de sa recette en

sampaios. “Les commerçants savent qu’enaugmentant les fonds de la banque ils amé-liorent aussi leur sort”, insiste Thiago. A l’is-sue de la campagne, l’União Sampaio avaitcollecté 20 000 reais destinés aux prêtsaux commerçants, mais aussi au Fondspopulaire de développement de la culture.

Le solano pour l’art. Un nouvel appellancé dernièrement par le Senaes s’est tra-duit par le déblocage de 2,2 millions dereais [839 000 euros] au profit des banquescommunautaires. La somme a permis de maintenir en activité les cinq établisse-ments créés en 2009, mais aussi de pro-céder à des embauches, de rémunérer lestravailleurs jusque-là bénévoles et d’inau-

gurer une dizaine de nouvelles banques.Pour Thiago, le fait que l’argent passe pardes intermédiaires avant d’être débloquéau profit d’une action locale est problé-matique. “Nous assistons à une bureaucrati- sation de notre système”, déplore-t-il. RafaelMesquita, impliqué dans l’União Sampaioet sa gestion depuis les débuts, reconnaîtqu’il serait préférable de décentraliser la

 validation des projets, qui, pour l’heure,passe par la représentation régionale. C’estpourquoi le réseau des banques commu-nautaires milite pour la transformation del’initiative en politique publique. Au

 Venezuela, pays qui a contacté le Ba ncoPalmas pour des échanges d’expériences,l’idée a été inscrite dans la loi. Et, alors quele Réseau brésilien de banques commu-

nautaires compte près de 100 établissements,au Venezuela on en dénombrait déjà plus de5 000 en 2011. Luiza Erundina, députée socia-liste de l’Etat de São Paulo, a déposé en 2007une proposition de loi pour créer un sys-tème national de finances populaires et soli-daires qui n’a toujours pas été adoptée. Defait, l’économie solidaire pâtit de l’absencede cadre légal. La Banque centrale a certesreconnu les monnaies communautaires,mais, sans réglementation, les fonds sontdifficiles à collecter.

Comprenant qu’il y avait une forte demandede crédits en vue de projets culturels, l’UniãoSampaio a suscité la création [en 2011] del’Agence populaire Solano Trindade et d’uneautre monnaie, le solano, destinées à sou-tenir la production d’artistes indépendants.

Ces derniers reçoivent entre 200 et 300 sola-nos quand ils s’inscrivent auprès de l’agence.

 Ainsi, tandis que le sampaio contribue àassurer la richesse économique du quartier,le solano aide à diffuser sa richesse cultu-relle. “Il y a toujours eu de la créativité ici, lesdifficultés étaient uniquement financières, sou-ligne le musicien Nando. En créant notre propre monnaie, nous avons abattu ce mur.” 

—Carolina Bridi

Publié en février 

Ici, on accepteles sampaios

Monnaies●●● Les monnaies sociales qui

existent au Brésil sont à parité avec

la monnaie officielle, le real, mais

sont indépendantes de la Banque

centrale. Emises par des banques

communautaires, elles circulent

dans des collectivités de moins

de 100 000 personnes et portent

souvent le nom du quartier où elles

ont cours. La première, le palmas,

a été créée en 1998, à l’initiative

de la banque communautaire Banco

Palmas, fondée au Conjunto

Palmeiras, une favela de Fortaleza,

dans le Nordeste.

ÉCONOMIE

●●● Cet article figure aussi dans

le nouveau hors-série de Courrier 

international, “Brésil : une puissance

en marche”, en kiosque le 19 juin

prochain. Cent pages de reportages,

d’analyses et de portraits pour mieux

comprendre l’ascension fulgurante

du géant sud-américain à l’heure

où il s’apprête à accueillir toute

une série d’événements planétaires.

“Il y a toujours eude la créativité ici,

les difficultésétaient financières”

REPORTAGE

Au Brésil, près de 70 monnaies socialessont en circulation. Emises par des banquescommunautaires, elles contribuent audéveloppement des quartiers défavorisés.

↙ Dessin de Kap, Espagne.

Page 51: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 51/65

TRANSVERSALES

—As-Safir (extraits)Beyrouth

Quand un groupe de journa-listes enthousiastes a com-mencé, il y a quatre ans, à

travailler pour un journal indé-pendant, aucun d’entre eux ne pen-sait que la direction considérait la

publication comme un porte-voixdes intérêts de son propriétaire.“Nous devions servir en réalité de vitrine pour l’investisseur ou de tri-bune pour sa notoriété et son pou- voir.”  Ainsi Lina Attallah, rédactriceen chef de Egypt Independent,résume-t-elle la décision de ladirection du groupe Al-Masri Al-

 Youm de mettre fin à la publica-tion de l’hebdomadaire papier dece site anglophone, créé en 2009.La décision survient quelquesmois après la fermeture de la revue Al-Siyassa, appartenant au mêmegroupe de presse. Dans les deuxcas, on a invoqué les difficultéséconomiques que connaît le pays

avec la baisse des revenus, ainsique plus généralement la crise dela presse écrite. Les journalistes etles experts des médias considè-rent, eux, que les véritables rai-sons sont politiques et s’inquiètentpour l’avenir de la presse égyp-tienne après une révolution reven-diquant la liberté d’expression.

“Notre génération naïve fera tomber  votre système médiatique”, “Comment de mauvais gestionnaires ont fait taireune voix libre”, “Le journalisme entrel’Etat et le secteur privé”, “La profes- sion difficile : lesdifficultés financièreset les risques menacent la presse”. Cestitres s’adressaient aux lecteursdans le cinquantième et dernier

numéro du journal, le 25 avril der-nier, que la direction a refusé d’im-primer. L’équipe de journalistes ena publié le contenu sur le siteInternet , dans lequel elle comparela révolution égyptienne à la situa-tion de sa presse.

Censure interne. Tandis quel’Etat contrôle la presse nationaleen Egypte, la presse privée, dite“indépendante”, se trouve mena-cée à son tour, car la brève expé-rience de liberté de la presse amontré que les médias étaientl’instrument des hommes d’affaireset des partis politiques intéresséspar le pouvoir, et que ceux-ci les

utilisaient pour lancer leurs cam-pagnes les uns contre les autres.

“Il n’existe pas de presse indé- pendante en Egypte”, confirmeRacha Abdallah, professeur de com-munication à l’Université améri-caine du Caire. “Tout comme pour la presse nationale, les groupesd’hommes d’affaires qui financent les

 journaux privés ne voient pas en eux des investissements rentables, maisdes tribunes pour servir leur business,des outils de prestige ou d’influence.Quand l’équipe éditoriale franchit cer-taines limites et va à l’encontre de sesintérêts, le propriétaire intervient dedifférentes manières, comme ce fut lecas pour Egypt Independent.” 

La confrontation la plus mar-quante entre la direction d’ Al-Masri  Al-Youmet l’équipe éditoriale anglo-phone [d’Egypt Independent ] s’estproduite lors de la publication, endécembre 2011, d’un article del’universitaire américain RobertSpringborg critiquant le Conseildes forces armées égyptien alorsau pouvoir. Les 20 000 copies du

 journal avaient été saisies tandisque le rédacteur en chef d’ Al-Masri  Al-Youm avait écrit que l’article en

question “servait des plans et desobjectifs occidentaux” , reprenant lesmêmes termes traditionnellementutilisés par le régime égyptien pourcensurer ou travestir tout ce quine convenait pas à ses intérêts.L’équipe éditoriale avait alorsdénoncé la censure interne de ladirection, et leur campagne avaiteu un grand écho dans la presse etsur les réseaux sociaux.

Le directeur du conseil d’ad-ministration d’ Al-Masri Al-Youm,

 Abdel-Moneim Said – ancien pré-sident du Centre d’études poli-tiques et stratégiques d’ Al-Ahramet très proche du régime Moubarak

en son temps –, nie les argumentsavancés à propos de la fermetured’Egypt Independent . Selon lui, lacampagne médiatique pointantdu doigt un groupe d’investisseursavides ou d’administrateurs del’ancien régime à l’origine de cettedécision est “erronée” et “tendan-cieuse”. La véritable raison est bienéconomique, car les journalistesn’ont pas réussi à séduire les lec-teurs par leurs articles, et les ventesdu journal n’ont pas progressé.“Dans tout ce qui a été dit sur cetteaffaire, pas une seule fois n’ont été mentionnés les chiffres des ventes,qui tournent autour de 500 exem- plaires tandis que les abonnementsne dépassent pas les 700. La perte

 pour la société s’élève à 5 millions delivres égyptiennes [450 000 euros] pendant les sept mois de parution.” 

Le rapport annuel du Réseauarabe d’information sur les droitsde l’homme, paru récemment, sou-ligne que, malgré les promessesréitérées du président Morsi deprotéger la liberté de la presse, onassiste depuis son élection, en

 juin 2012, à une nouvelle ère decontrôle de la liberté d’expression.Le Réseau a recensé 24 atteintesà la liberté de la presse pendantles cent premiers jours du premierprésident de la République éludans l’histoire de l’Egypte moderne,ce qui est un record. Cela montreclairement, selon les observateurs,la volonté du nouveau présidentd’étouffer la voix de toute oppo-sition aux Frères musulmans, aux-

quels appartient Morsi depuistrente ans.

Limiter la liberté. “Le régimeactuel pratique la même politiqueque le précédent pour museler les voix, et de façon encore plus dure,en se servant de l’arme de la reli- gion”, affirme Gamal Eid, direc-teur du Réseau arabe d’informationsur les droits de l’homme. Il sou-ligne que la Constitution approu-

 vée par le Consei l d ’Al-Chouraaprès la révolution est pleine delacunes permettant de limiter laliberté de la presse et de contrô-ler le travail des journalistes. Ainsi,

l’article 215 prévoit la substitu-tion du Haut Conseil de la presse,élu par les journalistes, par unConseil national de l’informationdont les membres sont désignéspar le gouvernement. Cet orga-nisme est chargé de “poser leslimites et les critères garantissant le respect par les médias des règleset de l’éthique de la profession enconformité avec les valeurs et lestraditions constructives de la société”.Cela revient à confier à l’orga-nisme gouvernemental le pouvoirde contrôler et d’orienter les infor-mations et les médias. En outre,l’article 48 accorde aux tribunauxle droit de fermer un organe de

presse s’ils considèrent que l’unde ses employés n’a pas respecté“la vie privée des citoyens et les exi- gences de la sécurité nationale”.Cestermes flous peuvent être inter-prétés par le régime pour mena-cer tout ce qui lui déplaît.

—Salma Al-Wardani

Publié le 22 mai 

50. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

“TeDiplomat”Ce site anglophonepropose unecouverture trèscomplète de l’actualitéde la régionAsie-Pacifique.

Créé en 2002 sous laforme d’un bimensuel,ce magazine anglophone,

disponible exclusivement enligne depuis 2009, propose desanalyses et commentaires d’uni-

 versitaires, de journalistes, dereprésentants d’ONG et de diri-geants politiques sur l’actua-lité de l’Asie et du Pacifique.

Le site compte une multituded’entrées par zones géogra-phiques et par thèmes. Bienqu’essentiellement axé sur lapolitique et l’analyse straté-gique, il publie égalementquelques reportages sur dessujets de société.

The Diplomat a par ailleurstissé des liens étroits avec desorganismes comme l’East-WestCenter, un centre financé parle Congrès américain dont la

mission est de favoriser leséchanges et d’offrir des boursesaux élites des pays asiatiques.Pas plus qu’ Asia Times et AsiaSentinel, The Diplomat n’est par-

 venu à remplacer la Far EasternEconomic Review, l’hebdoma-daire de référence sur l’Asie,converti en 2004 en mensuelavant de disparaître cinq ansplus tard. Il couvre néanmoinsdes zones souvent ignorées,comme l’Océanie.

Lire aussi p.20 l’article

de The Diplomat “Apprendre

le chinois: un must”.

THE DIPLOMATTokyo, Japon

thediplomat.com

LA SO U RC E D ELA S E MAI N E

 O N N E Z  V O

 R E I L L E S  À  L A

  S C I E N C E

LA VOIX 

ESTLIBRE 

 M A T H I E U  V I D A R D

 L A  T Ê T E  A U  C A R R

 É

 D U  L U N D I  A U  V

 E N D R E D I  D E 1 4 H

  À 1 5 H

MÉDIAS

La presseégyptiennerappelée à l’ordreLa fermeture de l’hebdomadaire Egypt Independent témoigne d’une reprise en main par le pouvoir politique.

“Le régime actuelpratique la mêmepolitique quele précédent pourmuseler les voix”

↙ Dessin de Sampaio,

Portugal.

Page 52: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 52/65

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 51

JAIME SERRA. A la fois graphiste et journaliste, le directeur

artistique du quotidien espagnol La Vanguardia (Barcelone)

publie régulièrement un éditorial sous forme d’infographie.

Il explore souvent les possibilités de mise en forme des donnéeset des statistiques pour illustrer une réflexion, un point de vue…

voire pour dénoncer l’absurdité qui consiste à tout traduire par des

statistiques. Il s’intéresse ici aux liens étroits qui peuvent se tisser

entre la technologie et la jalousie, et les illustre à l’aide d’un exemple

personnel. Les textos jouent ici le même rôle que les échangesépistolaires : ils sont un moyen de se remémorer la passion.   D

   R

Selon l’une des nombreuses données statistiques auxquelles nous avons accès aujourd’hui, nombre d’entre nous fouillent dans le portable de leur partenairepour y dénicher des preuves d’infidélité. Ce comportement ne devrait pas nous étonner : la curiosité est innée chez l’être humain, contrairement au respectde la vie privée. Pour trouver, il faut chercher, mais il faut aussi avoir quelque chose à trouver. Or ces mêmes statistiques en témoignent : on trouve.Pourquoi laisser à la portée de celui ou celle à qui l’on a juré fidélité les preuves du mensonge alors qu’il est si facile de les faire disparaître ?

Il y a peu, je les ai retrouvés dans un dossier numérique, verdis par le

passage du temps. Loin de les jeter, j’ai décidé de les afficher grandeur

nature sur un écran rétroéclairé.

Pendant deux mois, j’ai soigneusement noté d’où on m’envoyait

et où je recevais une série de textos, fruits d’une passion que

 je ne devais cacher à personne.

Et j’ai sans doute fait tout cela pour la même raison que les infidèles : afin d’éprouver de nouveau, condensée dans les quelques mots

qui entrent sur l’écran d’un téléphone portable, la passion qui fait tourner le monde.

Villes d’où les messages ont été envoyés

Villes où les messages ont été reçus

L’épaisseur des lignes est proportionnelle au nombre de messages envoyés.

Nombre de messages reçus dans chaque ville

43

71

10

30

108

256

4

102

Vienne

Venise98

Barcelone18

SaintSébastien

Bilbao

Lisbonne498

Madrid

Cordoue

1

Vienne

Venise

15,8 %

2

Vienne

Barcelone

1,6 %

3

Lisbonne

Barcelone

1,4 %

4

Lisbonne

Lisbonne

5,7 %

5

Cordoue

Lisbonne

0,7 %

6

Madrid

Lisbonne

41,7 %

7

Bilbao

Lisbonne

16,7 %

8

Saint-Sébastien

Lisbonne

11,5 %

9

Barcelone

Lisbonne

4,9 %

Répartition chronologique et géographique des messages

1

5

8

9

6

7

2 3 4

Cartographie de la passion amoureuseLes textos servent aussi à pister l’autre, à chercher des preuves de son infidélité.

signaux Chaque semaine, une pagevisuelle pour présenter 

l’information autrement 

 L’auteur 

Page 53: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 53/65

“Nous devons protéger la pureté de notre foi , explique Terenti.Nous ne devons pas nous mélanger avec ceux qui n’ont pas lamême religion, que ce soit pour manger, boire ou prier Dieu.— Et avoir des voisins laïcs dans l’immeuble, c’est aussi dumélange ?— Oui. Pour le moment, nous vivons au milieu des autres, et c’est un péché, déplore-t-il en rajustant son chapeau. Nousdevrons prier pour nous purifier.— C’est pour cela que la communauté est partie vivre ailleurs ?— Tout à fait. Ici, les conditions sont intolérables. On ne peut  pas vivre ici, ni pratiquer l’agriculture. Nous avons tenté de labou-rer un terrain derrière l’immeuble, mais il n’y a que des pierres.— Selon la même logique, l’école aussi, c’est du ‘mélange’, puisqu’il y a d’autres enfants que les vôtres.— Les Ecritures ne disent rien sur l’école. Il est juste écrit quele savoir, c’est la lumière.” 

Si Terenti a inscrit ses enfants à l’école, ce n’est pas uni-

quement pour des motifs désintéressés. Il a tout de suitedétesté l’Extrême-Orient russe, avec son mauvais climat,

avancer d’un pas tranquille vers le petit immeuble dequatre étages qui s’élève, solitaire, au milieu du champ.

La famille est arrivée sur ces terres en 2011, année où le village a vu sa population soudain augmenter de 53 habi-tants grâce à une petite communauté de vieux-croyants

 venue tout droit de Bolivie. Ils avaient décidé de profiterd’un programme de rapatriement lancé [en 2007] par l’Etatrusse, qui leur permettait de retrouver leur terre d’origineaprès un long exil. Aucun d’eux n’avait jamais vécu en Russie.

Ils ont été provisoirement logés dans cet immeuble,qui avait autrefois abrité des militaires. C’est alors ques’est produit un nouveau “schisme” [les vieux-croyantssont devenus une branche à part de l’orthodoxie lors duschisme de 1666]. Terenti s’est fâché avec sa communautéà cause de l’école. Normalement, les vieux-croyants n’en-

 voient pas leurs enfants en classe, redoutant le “mélange”.Cette notion détermine en grande partie leur mode de

 vie, dont les interactions avec le reste du monde sontstrictement codifiées.

52. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

360 MAGAZINE

Le village de Korfovka est situé dans l’Extrême-Orient russe. Oussourisk, la ville la plus proche,se trouve à deux heures de voiture ; mais quis’aventure en forêt à la recherche de champi-gnons peut très vite se retrouver en Chine – dumoins en théorie, car en fait la frontière est ver-

rouillée. Amateurs de champignons, chasseurs et pro-priétaires de vaches vagabondes sont aussitôt appréhendéset renvoyés chez eux. Aussi un grand nombre de gens sesentent-ils à l’étroit dans la région, qui n’est pourtantpas la plus peuplée de Russie.

“Martha ! Martha ! Rentre vite !” Dans un champ, un barbu en jean et chemise russe crie en direction d ’untroupeau de vaches. Il s’appelle Terenti Mouratchev, il a43 ans et il est marié à Ksenia. Parents de sept enfants,ils possèdent une vache prénommée Martha et un veau.De tous les vieux-croyants revenus vivre à Korfovka il

n’y a plus qu’eux. “Martha ! Martha !” Le cri de l’hommes’élève à nouveau, tandis que les vaches continuent à

Les extraterrestresdelataïga

Leur expérience est suivie de prèspar tous les orthodoxes vieux-croyants d’Amérique latine. Exilées

depuis des décennies à l’étranger,où elles ont vécu repliées sur leurstraditions, des familles reviennentaujourd’hui dans l’Extrême-Orientrusse. Mais le pays dontelles rêvaient a beaucoup changé.—Rousski Reporter (extraits), MoscouRécit et reportage photo Andreï Molodyckh

Une série 100 % Kentucky… • Plein écran..........56L’éveil de Kosice, la belle Slovaque • Voyage......58Utopies pour riches Cairotes • Tendances.........60La belle légende d’Amnesty • Histoire............62

Page 54: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 54/65

menaçant. Je tente de rompre le silence. “Cela fait long-temps que tu sais traire ? — Oui !” répond-elle en me regar-dant comme si j’étais idiot.

[Le cameraman qui m’accompagne pour ce reportagen’est pas le bienvenu, car] la capture de l’image est unpéché. Les vieux-croyants sont persuadés que nous avonstous été créés semblables à Dieu et que cette image divines’abîme quand on la reproduit. Mais si un tournage permetd’aider à résoudre des problèmes, il n’est plus questionde péché. Terenti justifie cette attitude : “Un hommecontraint de traverser de vastes étendues peut être amené àmanger son chien, et ce ne sera pas un péché.” 

 Assis sur un banc à côté de l’entrée de l’immeuble, nousenvisageons ses perspectives de départ pour la région deKalouga. “Si les autorités russes nous ont fait venir ici, c’est qu’elles voulaient que nous fassions profiter la région de notreexpérience de fermiers. Dans ce cas, elles doivent nous assu-

rer des conditions de vie décentes, et pas un logement pareil !” Terenti est pétri d’anciennes traditions russes. Sa barbe,

ses terres impossibles à cultiver et l’appartement si diffé-rent de leur grande maison de Bolivie. Ainsi, les enfantsont été envoyés en classe afin que la famille soit bien vuede l’administration. Le programme de rapatriement pré-

 voit en effet que les vieux-croyants passent au moins deux ansdans la région afin de compenser les frais engagés par l’Etatpour leur voyage ; mais l’idée de Terenti est de rejoindreune autre communauté installée dans la région de Kalouga[au sud-ouest de Moscou]. Il a donc assoupli son inter-prétation des règles afin de montrer aux autorités qu’il res-pecte les lois russes et pour qu’on lui permette de quitterl’Extrême-Orient plus tôt.

C’est l’heure de la traite. Dans l’étable, l’odeur âcre dufumier se mêle à celle du lait frais. Vêtue d’une robe rougequi lui descend jusqu’aux chevilles, une adolescente à lalongue tresse, au visage parsemé de taches de rousseur,est au travail. Elle s’appelle Katia, elle a 13 ans. Face à nous,

elle se renfrogne et ne lâche pas un mot. Le bruit des jetsde lait contre les parois du seau se fait de plus en plus

360°.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 53

Contexte

Moscou

Vladivostok

Nakhodka

Korfovka

Oussourisk

200 km

DalneretchenskDersou

P R I M O R I É(PROVINCE MARITIME)

HEILONGJIANG

Khabarovsk

MER

DU JAPON 

 A m o u r

    O   u   s    s    o

   u   r    i R U S S I E

CHINE

C-N

   C   O   U   R   R   I   E   R   I   N   T   E   R   N   A   T   I   O   N   A   L

QUI SONT-ILS ?Les vieux-croyants se sont séparés de l’Eglise

orthodoxe russe au milieu du XVIIe siècle. Parce

qu’ils refusaient la réforme des rites imposée par

le patriarche Nikon, ces hommes et ces femmes

sont devenus des parias. Après le schisme, ils n’ont

cessé de fuir les persécutions, trouvant refuge en

Sibérie, dans l’Extrême-Orient russe (notamment

dans le Primorié, voir carte ci-contre) et à l’étranger.

Accrochés bec et ongles à leurs traditions, ils n’ont

depuis pratiquement rien changé à leur rite et à leur

mode de vie, habillement compris. Ils font partie

des ressortissants installés à l’étranger que Moscou

invite aujourd’hui à rentrer au pays, afin de pallier

le déclin démographique que connaît la Russie.

↙ Terenti Mouratchev, avec deux de ses sept enfants.

↘ Oulian, le frère de Terenti,a choisi de s’installer avec les siensà Dersou, un village à l’abandon.

Page 55: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 55/65

360°

ses vêtements sont autant de signes qui révèlent en lui le véritable moujik. Il vit selon les règles de la Russie d’an-tan, mais n’a aucune idée de ce qu’est la Russie actuelle.

L’appartement est trop petit. La chambre des filles estpleine de cartons, des sarafanes [vêtement féminin tradi-tionnel] sont suspendus aux cadres des portes. La chambrede Terenti et de sa femme comporte une sorte d’autel pourles icônes. Le tout trahit des efforts acharnés pour conver-tir un F2 standard en isba traditionnelle. Terenti n’a pascompris que ce type d’habitation, devenu la norme, a depuislongtemps remplacé les isbas dont le vieux-croyant avaittant rêvé en Bolivie.

“Pourquoi être venus vous installer en Russie ? Vous n’y aviez  jamais mis les pieds auparavant ?— C’est à cause de mon frère Oulian. Il disait que nous aurionstout ce qu’il faut pour pratiquer l’agriculture. Et puis nous enavions assez d’être considérés comme des étrangers. En Bolivie,on nous appelait toujours ‘les Russes’. Mais, maintenant que

nous sommes ici, on nous traite de ‘Boliviens’, voire de ‘Brésiliens’.” Oulian est le staroste [chef] de la communauté. Il a 47 ans,

neuf enfants et déjà des petits-enfants. Ses fils aînés sonteux aussi revenus en Russie avec leurs familles. L’immeublede Korfovka a produit sur eux le même effet que sur Terenti.Déçu, Oulian a décidé de transférer la communauté dansun village abandonné, Dersou, qui abritait déjà trois famillesde vieux-croyants venues d’Uruguay. Oulian assure que, siTerenti venait, la communauté l’accueillerait. En attendant,son absence ne semble affliger personne. La question del’école a provoqué l’inquiétude dans la communauté. Ledirecteur est venu leur parler plusieurs fois. Quelque chose

qui ressemble à un remords d’enfreindre la loi pointe dansles conversations sur le sujet, mais ce que ces gens ignorent,c’est que leur nombreuse progéniture permettrait à l’écolede voir son budget augmenter de manière significative.

“Dépositaires des traditions russes” est un cliché com-munément accolé aux vieux-croyants. Mais, quand Oulianévoque les années où il tendait des filets de pêche dansles eaux de l’Amazone, parle des terribles piranhas et du

 virus Ebola, on est loin des traditions russes. On s’ima-gine que ces gens vont nous offrir une image vivante denotre passé alors que ce qu’ils représentent, c’est uneimprobable évolution parallèle. N’y manquent que lesdirigeables à réaction et les chevaux qui parlent. Mais deschevaux classiques, ils en possèdent, achetés par Fiodor,le fils d’Oulian. Ce sont des animaux de race, quoique sau-

 vages, qu’il a à peine eu le temps de commencer à dres-ser avant le début des semailles. Délaissés pendant unmois, ils sont redevenus sauvages et ils s’ébattent désor-

mais librement dans la prairie qu’est devenue l’ancienneaire d’atterrissage des hélicoptères de l’armée.

Fiodor a 26 ans. Il est marié à la jeune Liouba, néeLinda, dont le père est argentin. Un parcours fami-lial compliqué : il y a vingt ans [en Amérique latine],sa mère est tombée amoureuse d’un homme étran-ger à la communauté, Mario Sesser Paro, et elleest partie avec lui, commettant ainsi un grave péché.

Elle avait beau l’aimer, elle n’en était pas moins très mal-heureuse. Alors, Mario a décidé d’apprendre le russe et dese convertir. Au bout d’un an, ils ont rejoint la communauté,où il a été baptisé et a reçu un nouveau prénom, Moïsseï.Pour avoir converti une personne à la foi des vieux-croyants,la fugueuse a été absoute. Le jeune couple est satisfait desa nouvelle vie en Russie. Quand on les voit, on croiraitqu’ils sont nés dans la région, même s’ils sont, en un sens,

des pionniers, des colons dont l’expérience d’acclimatationdans cet Extrême-Orient russe est suivie par toutes les

communautés de vieux-croyants d’Amérique latine. Perdudans la taïga entre Vladivostok et Khabarovsk, le villagede Dersou est un paradis pour pêcheurs, chasseurs et

 vieux-croyants. Aux environs de Dalneretchensk, une pistenon goudronnée part de la route nationale pour s’ache-

 ver sur la rivière Oussouri. Ensuite, il faut prendre un bacet suivre un chemin qui mène à une vallée entièrementcernée de collines. Le paysage est d’une beauté à couperle souffle. Mais on retrouve vite sa respiration. Une chan-son du groupe Kombinatsia [groupe pop fondé à la fin desannées 1980] s’échappe des fenêtres d’une petite isbaoccupée par des vacanciers. Selon eux, depuis l’arrivéedes vieux-croyants, le village resplendit et offre de nou-

 velles distractions, en dehors de tirer en l’air pour passerle temps. On peut maintenant y admirer la culture russe.Entre vieux-croyants et gens de passage s’est instauré unpacte tacite de non-agression. Les premiers vendent dupain et du lait aux seconds, qui les regardent vivre de loin

– et tout le monde est content.Pour l’instant, aucune révélation d’ordre religieux ne

s’est produite. La principale différence entre vieux-croyantset orthodoxes reste la manière dont on se signe [avec deuxdoigts chez les vieux-croyants au lieu de trois chez lesorthodoxes]. Les vieux-croyants se font un plaisir de nousinviter à entrer pour nous faire goûter leur tord-boyauxmaison. Nous devons boire dans des verres réservés auxmécréants, mais à mesure qu’avance la dégustation per-sonne n’est plus en mesure de reconnaître sa vaisselle.

 Agafia a 38 ans et déjà 6 petits-enfants, tous restés enUruguay. Elle fait partie de la première vague des vieux-croyants qui se sont installés à Dersou. Elle est venue avecson père, Fiodor Kiline, le chef spirituel de la commu-nauté. Tout en pétrissant la pâte à pain, elle nous détailleles traditions qui régissent le quotidien des femmes. “On peut se marier dès 13 ans. Moi, personne ne me donnait cet 

âge-là à l’époque. J’avais déjà l’air adulte. Ma fille, c’est pareil.— Vous avez eu un bon mari ?

54. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Pages de gauche et de droite : Le voyageurqui débarque dans ce recoin de l’Extrême-Orient russe peut, comme l’équipedu Rousski Reporter,“avoir l’impressionde s’être trompé d’époque et d’avoir atterri dans un lointain passé”.Les vieux-croyants vivent en quasi-autarcie, selon un mode de vie ancestral.

DOCUMENTREPORTAGE

Page 56: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 56/65

360°.

— Ses parents avaient l’air d’être des gens bien. On pensait quelui aussi. Mais finalement…”  Agafia s’interrompt un instant tout en continuant à tra-

 vailler sa pâte. “On menait une vie normale. Puis, un jour, ilest allé au Brésil, voir sa famille. Quand il est revenu, il était rasé.Il nous a dit que les soucis avaient fait tomber sa barbe. Aujourd’hui,il fait des massages, pas loin d’ici, à Dalneretchensk. Il n’est pasen bons termes avec la communauté.” 

ADersou, la communauté se résume à une grandefamille, ce qui interdit tout mariage entre les

 jeunes. Les fiancés potentiels des filles d’Agafia viennent donc de villages de v ieux-croyants voisins. A la question “Pourquoi ne portez-vous pas de vêtements modernes ? Vous utilisez bien

des tracteurs et des téléphones portables” elle répond : “Nousdevons nous distinguer de vous, afin de nous reconnaîtreentre nous.” 

Toutefois, au lieu de combattre les jeans, on leur aaccordé une légalisation spirituelle. De péché, le jean aainsi changé de statut, devenant le vêtement tradition-nel des vieux-croyants [masculins] d’Amérique latine.La foi défend l’emploi de tout maquillage, qui changel’apparence des femmes et les rend différentes de ce quele Seigneur a créé. En revanche, elles peuvent porter descolliers, des boucles d’oreilles et se mettre des orne-ments dans les cheveux. Cela ne modifie pas leur appa-rence, mais souligne leur beauté. Les médicaments sontun problème. Agafia explique que les vieux-croyants ten-tent de se soigner avec des plantes. Le pire, ce sont lesmaux de dents. Là, seuls les cachets produits par l’in-dustrie pharmaceutique sont efficaces. “J’ai accouché àla maison, et cela ne m’a pas posé de problème , poursuit

 Agafia.  Je ne vois pas ce qu’apporte l’hôpital. A présent, par  sécurité, on doit y aller, mais cela nous oblige à nous mélan-

 ger au reste de la population. Quand la mère et l’enfant reviennent, nous devons corriger tout cela par la prière.” 

Lorsque Agafia retire le pain du four, l’isba s’emplit d’untel parfum que l’on a envie de dévorer l’air ambiant. Unenfant entre en courant, Agafia lui essuie machinalementla frimousse, lui coupe une tranche de pain et le renvoiedehors. Le village bénéficie de l’électricité entre 20 heureset minuit grâce au générateur dont s’occupe Vassili, qui nefait pas partie de la communauté.

Fiodor Kiline, 72 ans, le leader spirituel de cette com-munauté, a accepté de nous parler au cours d’une pausedans son travail au potager. “J’ai eu douze enfants, dont trois sont déjà morts. Trois de mes filles et un de mes fils vivent enRussie, une autre fille est en Australie, une autre encore est restéeen Uruguay, ainsi que deux de mes fils. J’ai aussi une fille en Argentine. Des petits-enfants, je crois que j’en ai 53, et 25 arrière- petits-enfants, mais je ne sais plus exactement.— Que faisiez-vous en Uruguay ?— Nous élevions du bétail et nous avions des abeilles, 300 ruchesau total. Ma mère est née à Tomsk [en Sibérie occidentale], puis ses parents sont allés s’installer à Kokcharovka, dans l’Extrême-Orient russe. En 1930, ils ont franchi la frontière pour aller vivreen Chine. Mais là aussi, ç’a été dur. Il y avait des bandits… Deux ou trois des nôtres ont été tués. Quand les Japonais sont arrivés,les choses sont devenues plus faciles. Jusqu’à la Révolution cul-turelle, qui a rendu l’existence insupportable. J’étais déjà adultequand nous sommes partis pour Hong Kong et, de là, pour leBrésil. Là-bas, la terre était mauvaise. Alors, nous avons essayé l’Uruguay. Là, il y avait de bonnes terres et un bon climat : nous y sommes restés quarante-deux ans. Mais en espérant toujoursrentrer un jour en Russie.” 

 Afin de préserver leur mode de vie en marge du monde,les vieux-croyants ont dû se faire polyglottes. Ainsi,Fiodor Kiline connaît la liturgie en slavon d’église, mais ilparle aussi espagnol, portugais et chinois. Fiodor Kilinesourit tranquillement. “Ça me plaît bougrement ici. Ces brous- sailles, cette herbe, tout cela m’est familier. Et les poissons, les

tanches, les ombres, les saumons de Sibérie, je les connais tous.” Durant tout le temps que nous avons passé au village, les

 vieux-croyants ont labouré. Du matin au soir. Quand ils nelabouraient pas, ils coupaient du bois. Sinon, ils s’affairaientà construire – jusqu’au dimanche. Ce jour-là, ils se sont tousrendus les uns chez les autres, les sarafanes aux couleurs

 vives et les chemises russes ont empli les rues, qui ontrésonné de rires d’enfants et de chansons anciennes. Pourun moment, nous avons eu l’impression de nous être trom-pés d’époque et d’avoir atterri dans un lointain passé.Pourtant, les machines à laver étaient bien là, en attente ruede la Paix, et Vassili se dirigeait comme d’habitude vers songénérateur en louvoyant entre les bouses de vaches. Ainsi,dans cette vallée coupée du monde, on pouvait mener une

 vie heureuse, travailler la terre, prier et chanter. A condi-tion d’oublier que derrière les collines existe un autre monde.Ou de ne l’avoir jamais su.

— Andreï Molodykh

Publié le 18 avril

360°.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 55

ARCHIVEScourrierinternational.com

“Les derniers colons russes”.

En 2009, le magazine Ogoniokétait allé à la rencontredes premiers vieux-croyantsqui rentraient de l’étranger(CI n° 995, du 26 novembre 2009).

ROUSSKI REPORTERMoscou, Russie

Hebdomadaire, 168 000 ex.

www.rusrep.ru

Dernier-né du groupe de presse

russe Expert, ce magazine

d’information conçu

pour un lectorat issu

des classes moyennes misesur le photoreportage.

SOURCE

Page 57: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 57/65

—Oxford American (extraits)Conway

D

e vastes pans des Etats-Unis, voiredes régions entières, sont à peineexplorés par la fiction télévisée. Difficile

de nommer, dans la programmation actuelle,une série à succès qui se déroulerait dansles Etats des Rocheuses, dans le Midwest(en dehors de Chicago) ou en Nouvelle-

 Angleterre (en dehors de Boston). Justifiedest l’une des rares séries contemporaines àavoir vraiment élu domicile dans le Sud. Sespersonnages sont solidement enracinés dansle comté de Harlan, au Kentucky, et liés parde complexes réseaux de loyauté familiale,historique et régionale. Comme The Wire[série culte de la chaîne HBO qui décrit lacriminalité à Baltimore], cette série est indis-sociable du lieu qui lui sert de décor. Maiselle présente un atout supplémentaire, celuid’ancrer ses histoires dans ces zones ruraleset périurbaines qui sont sous-représentées

dans la plupart des séries policières. Justified est tiré d’une nouvelle d’ElmoreLeonard intituléeFire in the Hole [Ça va péter !– inédite en français]. Le pilote suit d’ailleurspresque à la lettre l’histoire imaginée parl’auteur : Raylan Givens (Timothy Olyphant) est un marshal quisemble tout droit venu d’une autreépoque, Stetson à larges bords y compris.

 Après avoir tué un gros bonnet de la mafiaà Miami – en plein jour, sur la terrasse bondéed’un hôtel de luxe –, Givens, en guise de sanc-tion, est muté à Lexington, dans le Kentucky.Il reçoit de fait une affectation dans sa régionnatale : les collines et les vallons de l’est del’Etat. Il doit enquêter sur l’un de ses amisd’autrefois, avec qui il descendait travaillerdans la mine : Boyd Crowder (Walton

Goggins), qui enrichit désormais sa vieillepassion de “tout faire péter” (il était artifi-cier) de touches de suprématie blanche, deterrorisme et de braquages de banques.

Le cadre géographique a beaucoup pesédans l’envie de Graham Yost, le créateur dela série, de se lancer dans le projet, “rien que pour tourner une série ailleurs qu’à Los Angeles,New York, Miami ou Las Vegas”, a-t-il expli-qué au Lexington Herald Leader. “C’est à peu près tout ce que sait faire la télévision actuelle,et nous avons pensé que cela donnerait à notre série quelque chose de spécial, quelque chose en plus. Elle aurait pour décor une partie du paysrarement mise en scène à la télévision.” 

En quatre saisons, Justified a progressive-ment créé une dynamique, le récit allant

puiser sa force dans les histoires de clans ducomté de Harlan, avec leurs démêlés épineux

et leurs diverses activités, pour la pluparttotalement illégales. L’alchimie entre lesacteurs est incroyable, les dialogues sont de

 vrais bijoux, qu’il s’agisse du badinage entrecollègues dans le bureau du marshal oud’échanges tendus et à plusieurs niveaux

entre les chefs de bandes criminelles rivales.Mais la description ci-dessus pourrait frois-ser certains habitants du Kentucky. Des dea-lers de métamphétamine, des néonazis, unmeurtre ? Ce n’est pas exactement le genre

de réputation dont a envie unerégion. Certes, l’office du tourismedu Kentucky ne chantera proba-

 blement pas les louanges de Justified de si tôt,mais la série ne montre aucune condescen-dance envers la région ou ses habitants.

Lui-même originaire du Sud, Goggins amodifié quelques aspects du pilote pours’assurer que Crowder ne passerait pas pourun simple plouc raciste. Goggins a mis enavant l’éloquence du personnage (“Il va me falloir Google Translate sur mon téléphone si  je continue à te parler”, grommelle un truand

de Detroit au cours d’une confrontationavec Crowder, dans la saison 4). Celle-cicontraste fort justement avec le laconismedu marshal Givens. Le personnage peaufinépar Goggins était censé mourir à la fin dupilote, comme dans la nouvelle, mais il a étési apprécié qu’il est toujours en piste aprèsquatre saisons. “J’ai joué dans quelques filmsqui se passaient dans le Sud, a raconté Gogginsà Terry Gross sur la radio NPR, en 2010. Et,au départ, lorsque ce scénario m’a été envoyé, je n’étais pas emballé par l’idée de jouer encoreun mec du Sud considéré comme raciste. Leracisme est un problème dans l’ensemble denotre pays, il ne se limite pas aux Etats qui sont  sous la ligne Mason-Dixon [qui séparait lesanciens Etats abolitionnistes au Nord et escla-

 vagistes au Sud]. Je ne voulais pas contribuer à perpétuer un stéréotype.” 

Les créateurs de la série ne voulaient pasnon plus mettre en scène leurs histoires dansun paysage terne et sans relief. Comme l’ex-pliquait Goggins dans une interview en mars,“nous entendons continuellement les habitantsdu Kentucky nous chuchoter au creux de l’oreille :

‘Ça a intérêt à être bien…’” Un goût de terroir. Cela n’empêche pasles fausses notes, notamment dans la pre-mière saison. Dans l’un des premiers épi-sodes, Givens part dans une envolée lyriquesur “le temps qui sent la tornade”, ce qui n’estpas particulièrement pertinent dans unerégion vallonnée. Mais, d’après les échos

 venant du Kentucky, Justified s’en sort glo- balement bien. Tout au long des épisodes,les personnages peuvent être vus en trainde siroter de l’Ale-8, un soda de la régionprincipalement vendu dans des bouteillesen verre. Dans la quatrième saison, l’un desmarshals fabrique même un cocktail Molotov avec une bouteille d’Ale-8. Et la compagnede Boyd, Ava Crowder (Joelle Carter), qui

tient un bar, renvoie un livreur apportantplusieurs caisses de Kentucky Ale, une bière

 brassée à Lexington qui, selon des sourcespersonnelles, a un goût affreux. “Hé, pour-quoi je commanderais deux caisses de plus decette merde ? J’en ai déjà trois sur les bras”,raille-t-elle. La réplique échappera à la plu-part des téléspectateurs, mais les habitantsdu Kentucky l’auront certainement relevée.

 Au-delà de ces détails, Justified se distingueavant tout par l’utilisation des particularitésde la région, avec une histoire à l’ancrage trèslocal. La série, située dans le sud-est trèspauvre du Kentucky, ne rechigne pas à mon-trer ce que signifie vraiment cette situation.Le revenu annuel moyen des ménages àHarlan, entre 2007 et 2011, était environ de

27 000 dollars [21 000 euros], et 31 % de lapopulation vivait sous le seuil de pauvreté.

360°56. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

100 % KentuckyLa série policière Justified se déroule dansle sud profond des Etats-Unis. Cela suffità en faire une rareté, de qualité qui plus est.

plein écran.

SÉRIE

UN JOLI SUCCÈSLancée en 2010 par la chaîne

câblée FX, propriété du groupe Fox,

 Justified s’est depuis quatre

saisons imposée comme une valeur

sûre de la fiction américaine.

Elmore Leonard la considère

comme l’une des adaptations

les plus abouties de ses romans.

La série vient d’être reconduite

pour une cinquième saison.

En France, la saison 2 est en cours

de diffusion sur M6, tard dansla nuit du vendredi au samedi.

 Box office

Lexington

Nashville

Comté de Harlan

Frankfort38° N

KENTUCKY

INDIANA

ILLINOIS

OHIO

TENNESSEE

VA*

WV*

* VA Virginie

  WV Virginie-

Occidentale

200 km

  O   h  i

  o

   C   O   U   R   R   I   E   R   I   N   T   E   R   N   A   T   I   O   N   A   L

Le Bluegrass State

Une économie souterraine alimentée par lespetits larcins, la prostitution et l’“héroïnedes péquenots” – l’OxyContin [un analgé-sique contenant de l’oxycodone, un opioïde] –peut procurer de quoi vivre à certains, maisce n’est jamais bien reluisant. Dans la série,

les plans des criminels se déroulent rarementcomme prévu, des combines bancales de ban-dits du dimanche aux plans de gangsters plusaguerris. Les armes à feu sont à portée demain, mais tout le monde ne sait pas s’enservir. Ceux qui savent ont généralement unpassé de militaire, chose relativement cou-rante [dans la réalité], car l’armée assure unepaie régulière et une échappatoire, mêmetemporaire : 10,4 % de la population civiledu comté de Harlan a servi dans l’armée, unratio supérieur au taux national. Dans la série,de nombreux personnages sont des vétéranset beaucoup souffrent du syndrome de stresspost-traumatique, notamment le père deRaylan Givens, Arlo (Raymond J. Barry).

L’autre forme d’emploi légal largementprésente est davantage spécifique à la région.

Page 58: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 58/65

Mais, à Harlan, la brutalité des employeursconstitue un risque supplémentaire. “Hé,tu te souviens des piquets de grève, hein ? Avecles briseurs de grève et les gros bras armés par les patrons ?” demande Crowder. Cela ren-

 voie directement aux années 1930, lorsque“Bloody Harlan” [Harlan sanglant] s’étaitrendu célèbre pour les nombreux affron-tements qui ont opposé sociétés minièreset ouvriers en grève, faisant dans chaquecamp de nombreux morts. Les manièresdes employeurs ne s’étaient pas adouciesen 1976, lors du tournage du documentaireHarlan County, USA. Le film s’intéressaità une grève qui avait débouché sur le meurtred’un mineur syndicaliste.

Face à un déséquilibre des forces aussiaccablant, la solidarité est la seule façon desurvivre. “Quand vous travaillez au fond de la

mine avec un homme, vous veillez l’un sur l’autre”,souligne Givens. C’est ce sentiment de fra-ternité dans la misère qui donne à Justifiedle noyau émotionnel qui manque à l’im-mense majorité des séries policières. La sériemontre comment et envers qui les différentsclans du comté de Harlan expriment cettesolidarité. La deuxième saison s’articuleautour de la tentative d’une société minièrequi veut racheter suffisamment de terrainpour se lancer dans l’extraction à ciel ouvert,ce qui conduit certains hommes d’influenceà vendre pour donner à leurs familles lesmoyens d’échapper au crime et à la pauvreté.Mais la condamnation de la communauténe se fait pas attendre. “Ton grand-père et lemien ont versé leur sang pour empêcher les entre-

 prises de s’emparer de ces collines !” hurle unhabitant en colère.Loin de traiter avec condescendance le

sud-est du Kentucky ou ses habitants, lasérie s’appuie sur une version amplifiéede la réalité. Cela assure un ancrage localà  Justified et une tout autre résonance àses personnages. L’histoire est ainsi plussolide et bien plus intéressante qu’uneénième variante de New York, police judi-ciaire. C’est peut-être l’une des seules

 bonnes séries télévisées contemporainesse passant dans le Sud, mais le fait qu’ellesoit meilleure que la plupart des sériesaméricaines, où qu’elles se déroulent, aquelque chose de réconfortant.

— Jake Blumgart 

Publié le 24 mai 

Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 57

La dépendance historique du comté de Harlan vis-à-vis du charbon hante la série. C’estnotamment le lien qui unit Givens et Crowder.Tout au long des épisodes, les anciens puitsde mine fournissent des lieux bien pratiquespour se débarrasser de corps encombrants.

Le danger et l’obscurité des mines de char- bon offrent l’un des seuls emplois raison-nablement payés du secteur privé dans larégion, bien que la puissance de ce secteurunique ait tendance à faire fuir les autresactivités. C’est particulièrement vrai s’agis-sant de l’exploitation minière, qui balafre lesol, empoisonne l’eau et rend la région peuattractive pour d’autres types d’entreprises.

Noir de charbon. L’extraction souter-raine de charbon bitumineux, courantedans les Appalaches, est particulièrementdangereuse : si elle ne représente qu’unquart de la production [américaine] decharbon, elle est responsable de plus de lamoitié des morts dans ce secteur profes-sionnel et de la plupart des grands désastres.

& "#&"##

" ""# "

#% " ##"

# "$" "#" ##

"#" #&"

'

      Z      Z      Z  

      S      R      F

         N      H       W  

         I      U

                                                                  

                              "                            

                                                                                                                 "                            !                   "                      "  

                                  

             

DES FIGURES LOCALESLa série vaut beaucoup pour

ses seconds rôles, souvent inspirés

de personnalités du cru.

Ainsi de la matriarche Mags Bennett

(Margo Martindale) et de ses fils,

qui, dans la série, dirigent d’une main

de fer les affaires plus ou moins

légales du comté. A en croire OxfordAmerican, ces personnages

seraient inspirés d’une famille

de Harlan qui, dans la réalité, fait

travailler une bonne partiede la population dans ses mines.

 Les méchants

OXFORD AMERICANConway, Arkansas

Trimestriel, 35 000 ex.

www.oxfordamerican.org

Lancé en 1992 dans l’Arkansas,

ce magazine “propose à ses lecteurs

le meilleur de ce qui s’écrit dans le sud

des Etats-Unis, tout en rendant compte

de la complexité et de la vitalité

de cette région”. Essais, poésie, fictions,

portfolios… il a déjà accueilli quantité

de plumes célèbres : Richard Ford,

Charles Portis, Roy Blount Jr. ou encoreJohn Updike et Charles Bukowski.

SOURCE

← Le retour du marshal Raylan Givensdans sa région natale le conduità ses meilleurs ennemis : Mags Bennett,la matriarche, et Boyd Crowder,un ex-compagnon de mine.Photos Sony Pictures Television Inc.

Page 59: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 59/65

—Süddeutsche Zeitung (extraits) Munich

Kosice ? Les bureaucrates européensqui, chaque année, choisissent unemétropole connue et une ville de

province oubliée pour les transformer, troiscent soixante-cinq jours durant, en centred’art et de tourisme à coups de fonds et d’in-citations n’avaient sans doute jamais entenduce nom auparavant.

Qu’est-ce que Kosice ? Ce sont 250 000 ha- bitants, 13 000 emplois dans la sidérurgie etde plus en plus de postes dans les hautestechnologies, un joli centre-ville rénové avecde vieilles maisons bourgeoises, des fon-taines et des universités, dans un environ-nement verdoyant et montagneux avec [aunord] les Hautes Tatras et les Carpates.Kosice, la ville de l’acier, est la deuxième ville

de Slovaquie ; elle va plutôt bien économi-quement parlant.La culture ? Il y a longtemps qu’on n’en

parlait plus. L’histoire ? C’était tout ce quiétait passé et oublié. Les têtes célèbres dela ville : elles ont émigré, elles ont été répri-mées. Une identité commune ? Certainementpas dans les banlieues, et pas non plus avectoutes les minorités que comptecette cité à la grandeur passée. Etc’est elle la capitale euro-péenne de la culture 2013 [avecMarseille] ? Exactement. Elle a reçu60 millions d’euros de l’Union euro-péenne, plus 30 millions avancés par lamunicipalité et l’Etat, et rarement fondsont été aussi bien investis. Il est vrai queça ne se voit pas au premier coup d’œil, ni

même au deuxième. D’ailleurs, rien de cequi a été annoncé en grande pompe n’estencore terminé [les chantiers ont pris beau-coup de retard].

Pendant qu’on met en avant de grandsprojets et de grandes idées, la ville s’éveillelentement de son sommeil de Belle au boisdormant. Des questions sont lancées, y compris par les visiteurs et les médias, lesminorités expriment des revendications,demandent à participer. Que reste-t-il del’importante communauté juive d’antan ?Jadis, un habitant sur cinq était juif, rienou presque ne l’indique aujourd’hui. Oùsont les Roms ? Ce sont eux qui consti-tuent aujourd’hui la plus grande minorité.Ils ont été chassés du centre et repoussés

à la périphérie à la fin des années 1980. Aujourd’hui, ils sont des milliers à vivre

dans un ghetto couvert d’ordures appeléLunik IX, dans des immeubles délabréssans chauffage et la plupart du temps sans

électricité.Où sont les beaux esprits d’antan ? Le

grand poète Sándor Márai [1900-1989], l’ar-chitecte Ludovit Oelschläger [1896-1984]et le réalisateur Juraj Jakubisko [né en 1938]sont nés ici. Que reste-t-il de l’histoire mul-ticulturelle de cette ville commerciale impor-tante, parvenue à une certaine prospéritésous l’empire des Habsbourg ? Que reste-t-il de l’époque où elle faisait partie dela Hongrie [du XIe siècle à 1919] ?

 Autrefois, tout le monde ou presque par-lait plusieurs langues à Kosice, aujourd’huion manque parfois de guides magyaro-phones quand les touristes venus du Sudpassent la frontière pour visiter la régionnatale de François II Rákóczi [1676-1735],

leur héros national, dont les exploits contreles Habsbourg sont évoqués par des fresquesmurales dans la cathédrale Sainte-Elisabeth[où il est enterré], une des plus grandesd’Europe de l’Est.

Beaucoup de petits pas ont été faits avantmême que la ville ne devienne capitale dela culture. La maison familiale de Sándor

Márai, qui était tombée dansl’oubli, a été transformée enpetit musée. Il n’y a pas grand-chose à y voir : un film sur la

 vie du poète, que l’Allemagne redé-couvre elle aussi depuis une dizaine

d’années, et de vieilles photos de famille.Mais au moins cet homme, que l’on consi-dère comme si important ailleurs, susciteune certaine fierté et Kosice se remet à lire

ses livres.Les rapports que la ville entretient avec

ses derniers Juifs sont plus délicats. Lacommunauté juive de Kosice était jadisl’une des plus importantes d’Europe del’Est et comptait des milliers de personnes.En 1944, en quelques jours, 16 000 Juifs dela ville et des environs ont été envoyés à

 Auschwitz depuis la gare qui se trouve der-rière le parc municipal, et des centaines deconvois ont transité par Kosice. La com-munauté compte aujourd’hui environ200 membres. Si elle a eu un passé, elle n’apas d’avenir, confie une employée com-munautaire dans un haussement d’épaules.

Les Roms ont-ils un avenir ? BlankaBerkyova est rom, elle vient du centre du

pays et a fait des études sur l’aménagementdes paysages. Elle garde ses distances.

360°58. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

Kosice ou l’éveildela belle endormieCapitale européenne de la culture 2013,l’ex-cité sidérurgique, deuxième villede Slovaquie, a dû interroger son identité.Elle s’est découvert de nouveaux atouts.

voyage.

VILLES

2/4

EUROPÉENNES

À CONSULTERwww.kosice2013.sk 

Le site de la capitale

européenne de la culture,

en slovaque et en anglais.

www.spectator.sme.sk 

Le Slovak Spectator est la principale

source d’information anglophone

de Slovaquie. Informations locales,

culture et économie sont les sujets

privilégiés de cet hebdomadaire créé

en 1995. Il fait partie du groupe Petit

Press, comme le grand quotidien SME .

 Plus d’infos

www.zajtrajsienoviny.sk 

Lancé en avril 2012 à Kosice,

“Le Journal de demain”

est un bimensuel d’actualité

culturelle publié en slovaque.

Comme il l’annonce lui-même,

il aide à s’orienter

parmi les divers événements

culturels de la ville.

Y ALLERKosice est accessible par avion via

Prague, par exemple. Ou par train

depuis Bratislava ou Budapest.

RÉP.TCHÈQUE

POLOGNE

SLOVAQUIE(5,5 millions d’hab.)

AUTRICHE

HONGRIE

ROUMANIE

UKRAINE

100 kmDanube 

Hautes Tatras

Vienne

Budapest

Bratislava Kosice

C A R P  AT  

E   

S      

   C   O   U   R   R   I   E   R   I   N   T   E   R   N   A   T   I   O   N   A   L

Principales minoritésen Slovaquie (en %)

Hongrois (8,5)

Roms (2)

Ruthèneset Ukrainiens(0,4)

Etat membrede l’UE

Une ville à tradition multiethnique

Page 60: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 60/65

“Nous n’avons pas les capacités de résoudre

les problèmes sociaux”, déclare-t-elle sèche-ment [en référence au ghetto Lunik IX].Les Roms sont d’après elle en partie res-ponsables du chômage qui les frappe et deleur manque de qualification. L’art permetquand même d’établir quelques passerelles.Blanka Berkyova a récemment organiséune vente aux enchères de photos lors d’un

 bal rom et a récolté 5 000 euros qui sontallés à l’école maternelle de Lunik IX. Maisce n’est pas à la culture de trouver des solu-tions globales.

Le projet le plus durable et le plus effi-cace de Kosice capitale de la culture 2013est peut-être Spots. Il ne mise pas sur l’artmais sur le vivre-ensemble. Les Spots, cesont d’anciens postes électriques recon-

 vertis en petits centres communautaires.

Ils sont situés essentiellement dans lescités populaires, là où vivent des gens quine vont pas vraiment aux concerts d’EditaGruberová [chanteuse d’opéra] ou auFestival de danse contemporaine. BlankaBerkyova dirige l’un d’entre eux. Peut-êtren’est-ce pas un hasard si cette Rom a trouvésa voie ici. “L’âme de ce projet, c’est que les gens découvrent leur quartier, leurs forces,leurs capacités. On n’a pas besoin d’argent  pour vivre en bon voisinage.” Les Spots pro-posent des cercles de lecture, des coursde yoga, des ateliers de patchwork et d’im-provisation théâtrale, tout cela organisépar les participants. “Je vais toquer à la portedes gens pour leur demander : qu’est-ce que vous voulez faire ? Et ça se fait.” 

—Cathrin Kahlweit Publié le 24 mai 

↙ Une salle du restaurant Camelot,dans le centre-ville.Photo Jan Peter Boening/Zenit-RÉA

Page 61: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 61/65

360°60. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

tendances.

 Halal détectionMALAISIE — Pas facile de s’assurer que

les plats que l’on mange sont bien halal. C’estla raison pour laquelle l’équipe du Pr Hamzah

Mohd Salleh, à l’Institut internationalpour la recherche et l’éducation halal

de l’université islamique de Kuala Lumpur,cherche à mettre au point des équipements

permettant de détecter des constituantsnon halal dans l’alimentation, les produitsde beauté, les produits pharmaceutiques…

“Nos chimistes recherchent par exemple del’ADN porcin ou des degrés d’alcool

inacceptables,explique-t-il dans le New Scientist. Nous cherchons aussi des substituts pour les

ingrédients prohibés, commede la gélatine qui serait fabriquée à partir 

de peau de poisson, et non de porc”, ajoute-t-il.

L’industrie des produits halal représente unmarché de plusieurs milliards de dollars,

rappelle la revue scientifique britannique.

—Your Middle East (extraits) Stockholm

Le long de la rocade qui entoure Le Caire, un paysagesurréaliste composé de villas et de résidences fermées au style ostentatoire et aux tons pastel,

de pelouses d’un vert impossible, de centres de loisirsprivés et d’écoles internationales anglophones a fait son apparition dans ce qui était jadis un désert sinistre et hostile.“On peut y acquérir une villa pour le prix d’un appar-tement correct dans le centre-ville”, indique Ahmed Gadallah,un homme d’affaires qui a quitté le centre en 2009. “C’est moins pollué et moins bruyant.” 

Les villes-satellites du Caire illustrent un changementnon seulement urbain, mais aussi culturel. La tenue ves-timentaire y est plus décontractée, les chaînes de restau-ration rapide transnationales et les galeries commercialesprédominent, constituant de véritables centres de diver-tissement et de consommation, ainsi que des marqueursidentitaires. Ces répliques de banlieue californienne idéa-lisée reflètent les aspirations et les rêves de l’élite cairoteet incarnent le mariage politique et économique des pro-moteurs immobiliers privés et de l’Etat égyptien.

Pendant la plus grande partie de ses mille ans d’histoire,

Le Caire est demeuré confiné entre le désert hostile et lamince bande de terre fertile qui borde le Nil. Aujourd’hui,la capitale égyptienne, qui compte près de 20 millionsd’habitants, avale villages et terres agricoles pour débordersur le désert. C’est l’une des zones urbaines les plus denseset les plus peuplées au monde. Ce qui polarise le plus cettemégapole arabe, ce n’est pas la religion ni même la poli-tique, mais la richesse. Cernés par la pollution, le bruit, lacirculation, la surpopulation et les divisions sociales, lesriches laissent les problèmes de la ville à ceux qui ne dis-posent pas des ressources économiques et politiques pourles résoudre : les pauvres. Ils abandonnent Le Caire pourles résidences destinées à l’élite et les villes-satellites.Même si partisans et promoteurs de développement urbainaffirment créer un “nouveau Caire” , libéré des problèmesassociés à la vieille ville, la réalité – et le paradoxe fonda-mental – est qu’ils les exacerbent, au mieux.

L’automobile étant un symbole de statut social prati-quement universel, il n’existe pas de transports publics

dans les villes-satellites. Des milliards de livres égyptiennesont donc été affectées à la Ring Road, la rocade à huit voiesperpétuellement saturée qui relie les villes-satellites lesunes aux autres et avec le cœur du Caire. “Si l’on travailledans le centre du Caire, comme moi, on passe deux à trois heures

 par jour en voiture”, déclare Mohamed Farag, 29 ans, quihabite New Cairo. “Dès que je quitte la maison, je stresse.” Quant aux ouvriers pauvres qui construisent et entre-tiennent ces quartiers, ils n’ont d’autre choix que de serendre à leur travail en prenant des minibus appartenantà des sociétés de transport privées – et chères.

Qu’ils choisissent de se désintoxiquer au Cinnabon, auCosta Coffee, chez Hardee’s ou à Pizza Hut, les clients quise rendent dans la zone restauration du centre commercialde Rehab City [photo ci-dessus], un quartier de New Cairo,peuvent jouir d’un environnement immaculé composé depelouses et d’arbres méticuleusement agencés, d’un lacartificiel, de fontaines et de tout ce qu’on trouve dans unegalerie commerciale chic du sud de la Californie. A Dreamland,une résidence de la Ville du 6 octobre [au sud du Caire],les villas et les hôtels cinq étoiles entourent un parcoursde golf luxuriant parsemé de palmiers, qui donne sur lespyramides de Gizeh. La quantité d’eau nécessaire à l’extension

et à l’entretien de ces oasis artificielles paraît déjà impossibleà maintenir à long terme. Pourtant, ces résidences à peineterminées ou occupées, on continue à tracer des lignessur les sables du désert pour dresser de nouveaux plans.

Si le hara (le quartier) traditionnel du Caire [com-posé d’allées labyrinthiques fermées par des portes] représentait un tissu serré où plusieurs classes socialescohabitaient, les derniers développements urbains tra-duisent le modèle désormais dominant de consommationostentatoire, de ségrégation spatiale, de polarisation etd’inégalité flagrante. Avec leurs noms [en anglais] quiévoquent des sites lointains, bucoliques et prestigieux,les villes-satellites et les résidences du Caire reflètentle désir cynique de l’élite et des personnes en cours d’ascension sociale de se vautrer dans le luxe et la vaineimitation, au lieu de se confronter aux dures réalitéslocales qu’elles contribuent à aggraver.

—Brett MarshPublié le 29 avril

Utopies pour riches CairotesLes plus aisés fuient la capitale égyptienne pour des villes-satellites. Baptisées Hyde Park, Beverly Hills ou Dreamland,ces oasis artificielles incarnent un rêve californien.

Gourous cathodiquesINDE— Ils sont riches, populaires et passent

très régulièrement sur les chaînes de télévision

indiennes. Mais ils ne sont ni animateurs

ni acteurs. Les stars montantes des programmes

en hindi sont astrologues et prédisent l’avenir

en direct. Si tous ne sont pas aussi flamboyants

que le vénérable Indu Prakash Misra (ci-dessous),

qui affiche un crâne rasé, des boucles d’oreille

en or, des lunettes et une montre de luxe, tous

revendiquent la pole position dans la course

à l’Audimat. En réalité, révèle The Indian Express,ils ne sont qu’une poignée à être rémunérés

par les chaînes de télévision. La plupart paient

pour passer à l’antenne et se faire de la publicité.

Leur audience ne cesse certes de monter,

reconnaît le quotidien, mais seulement

sur les chaînes non anglophones. “Les mantras

en sanscrit ne passent pas à la traduction”,

indique un producteur.

   M   E   G   A   P   R   E   S   S    /   A   L   A   M   Y

   D   R

   D   E   S   S   I   N    D

   E   R   U   B   E   N ,   P   A   Y   S  -   B   A   S

Page 62: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 62/65

Quand lapresse glisse surle French kiss● Entre patins, palots et sabots,

la presse s’emmêle les pinceaux.

L’entrée dans le Petit Robert 2014

du verbe galocher – FAM.

Embrasser avec la langue –

met en émoi les médias d’outre-

Manche. Enfin, s’enflamme

le Daily Mail, la France a un mot

officiel pour le French kiss !

“La galoche est une chaussure

de patinage, d’où le terme

 galocher, qui évoque l’idée

de tourner sur la glace”,

explique le tabloïd, reprenant

une dépêche de l’AssociatedPress. Un patin, la galoche

à semelle de bois ? Premièrenouvelle ! L’agence américaine

a manifestement dérapé sur

les infos linguales – pardon…

linguistiques – données au

téléphone par Laurence Laporte,

la directrice éditoriale du Petit 

Robert. L’expression French kiss

est attribuée à des soldats

américains de retour de

la Première Guerre mondiale,

notent les médias anglophones.

Depuis que les troufions

ont goûté aux mœurs délurées

des petites Françaises, on French

kiss. Car le baiser à la française

est aussi un verbe : I French kiss,

you French kiss, we French kiss(ou pas)… Les Québécois, eux,

font plus court : au pays

du patin à glace, on se “frenche” 

(ou pas). Ce baiser with tongues

laisse des traces : lorsque vous

embrassez passionnément votre

partenaire, outre des bactéries

et du mucus, “vous lui

transmettez une partie de votre

 patrimoine génétique”, écrit

le New Scientist. Votre ADN

reste dans sa bouche pendant

au moins une heure. Notons

que, s’il est malvenu de filer

à l’anglaise – take a French

leave– après un fougueux

French kiss, il est recommandé

d’utiliser une French letter (capote anglaise) quand

le baiser français incite à de

plus amples rapprochements.

Mais je m’égare…

INSOLITES

360°.Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013 61

SUR NOTRE SITEcourrierinternational.com

Scannez cette vignette et retrouvez

les Insolites sur notre site.

A bicyclette (cofinancée)Les stars du financement colla-boratif ont deux roues, un cadre et,le plus souvent, une chaîne et des

pédales. Durant les cinq dernières années,le crowdsourcing a permis à de nouveauxmodèles de vélos de voir le jour. Notammentsur la plate-forme en ligne Kickstarter, où,

parmi les quelque 40 000 projets financésdepuis 2009, les bicyclettes figurent en bonneplace. L’influent site Designboom, consacréà l’architecture, à l’art et au design, a recenséquelques-unes de ces innovations. Vélos sanschaîne, cadres en bambou, LED à poser direc-tement sur les jantes pour en mettre pleinles mirettes… Les projets foisonnent.

PHOTO

Enumerle podiumLIBAN — C’est en Serbieque l’on fume le plus :on y consume en moyenne

quelque 3 323 cigarettes par an,d’après une étude effectuéepar le cabinet britanniqueERC. Les Russes ne sont pasloin, avec 2 596 cigarettes

annuelles. De fait, la majorité des pays où le tabac est roiappartiennent à l’ancien bloc de l’Est. Une exception cependant :le Liban. On y grille en moyenne 2 379 cigarettes par an,un chiffre qui a presque quintuplé entre 1990 et 2012. Et encore !L’usage de la chicha n’est pas inclus dans l’étude, ce qui feraitsans conteste du Liban le pays le plus accro au tabac,remarque le blog libanais Baladi.

6''6''Les leçons du hip-hop

ÉTATS-UNIS — L’application de micro-vidéo Vine,

qui permet, à partir de son smartphone, de faire

tourner en boucle un film de six secondes et de

le diffuser sur Twitter, connaît un succès fulgurant :

cinq mois après son lancement, elle compte déjà13 millions d’utilisateurs, et des clips créés via

cette application ont été diffusés lors du Festival

du film de Tribeca, fin avril, à New York. Vine doit

beaucoup au rap dans sa conception, explique

le site Internet GigaOM. “Elle permet de sampler 

[d’extraire] et de rassembler divers éléments

culturels, et elle risque de faire face aux mêmes

 problèmes juridiques qu’ont rencontrés les rappeurs

il y a dix ans.” Certaines stars du hip-hop avaient

été poursuivies pour violation du droit d’auteur,

après avoir intégré des samples d’autres œuvres

dans leurs morceaux. Mais une décision prise par la

cour d’appel de Californie en 2005, dans un procès

contre le groupe Beastie Boys, devrait rassurer les

utilisateurs : elle stipule qu’utiliser un extrait de six

secondes ne porte pas atteinte au droit d’auteur.

Ce que les concepteurs de l’application, propriétéde Twitter, n’ignoraient vraisemblablement pas.

   H   A   D   Z   I   C   K   I

   J   G   S   T   U   D   I   O

   R   E   V   O   L   I   G   H   T   S

   J   O   S   C   H

   B   E   C   H   T   E   L

Page 63: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 63/65

360°62. Courrier international — no 1180 du 13 au 19 juin 2013

histoire. pourquoi Ivone a toujours nié avoir été l’une des pro-tagonistes du toast à la liberté : elle ne voulait pas êtreassociée à un traître”, estime Shipsey. Et il n’est peut-être pas loin de la vérité. En août 1999, un autrearticle paru dans le bulletin d’Amnesty Internationalsous le titre “Entre Amnesty et le Portugal” cite Ivone,qui nie être cette figure de proue : “Cette étudianten’est qu’une légende sans visage.” 

En tout cas, rien de tout cela n’a empêché les barsde Lisbonne de se joindre, en 2011, aux célébrationsdu 50e anniversaire d’Amnesty International et lesgens de lever leur verre à la mémoire des “étudiants portugais qui ont porté un toast à la liberté”. Mytheou réalité, peu importe : la légende est trop belle.

—Teresa Campos

Publié le 23 mai 

Contexte

 Archives

LE PORTUGAL DE SALAZARFondée en octobre 1910, la République

portugaise, instable, succombe à un coup

d’Etat en mai 1926. Une “dictature nationale”

est proclamée, remplacée en 1933

par “l’Etat nouveau” mis en place par António

Salazar (1889-1970). Ce membre du régime

militaire impose son hégémonie en

s’appuyant sur les industriels, les banquiers

et l’Eglise. Il soutient Franco pendant

la guerre d’Espagne, puis opte pour

la neutralité durant la Seconde Guerre

mondiale, entretenant des relations

avec les deux camps. Le pays, entré dans

l’OTAN en 1949, refuse de décoloniser

et s’engage dans des conflits coûteuxen Afrique, notamment en Angola et

au Mozambique. Salazar meurt en 1970.

Quatre ans plus tard, le Portugal, qui a perdu

ses colonies, accède à la liberté lors de

la “révolution des œillets”.

pour tous les détenus d’opinion. Sont cités notam-ment le philosophe roumain Constantin Noica etle poète et médecin angolais Agostinho Neto. Cetexte, qui marque la fondation d’Amnesty International, lance : “Ouvrez votre journal – n’im- porte quel jour de la semaine – et vous y trouverez, venant de quelque part dans le monde, une dépêcheindiquant que quelqu’un a été emprisonné, torturé ouexécuté parce que ses opinions ou ses croyances reli- gieuses s ont jugées inacceptables par son gouverne-ment.”  Aucune allusion, en revanche, aux étudiantscensés l’avoir inspiré.

Peter Benenson n’est pas précisément un inconnudans notre pays. Aux Archives nationales de la Torredo Tombo, qui renferment les documents compiléspar la PIDE [la police secrète de Salazar], on trouveun épais dossier à son nom : Peter James Henry Benenson a même été interdit de séjour au Portugalde 1965 à 1968. En 1965, le Britannique avait envoyéune lettre à son jeune confrère Mário Soares [quifut Premier ministre du Portugal puis président dela République dans les années 1980-1990] afin de

s’enquérir du sort de Julieta Gandra, accusée deconspiration contre l’Etat. Purgeant une peine d’em-prisonnement à Caxias, une prison de la PIDE, lacliente de Soares avait été désignée en 1963 prison-nière de l’année par Amnesty International.

Héros sans visage. Un confrère de Benenson sesouvient également du cas de Francisco MiguelDuarte, un communiste dans la clandestinité, connusous le pseudonyme de Chico Sapateiro. Emprisonnéà plusieurs reprises dès 1938, il avait été arrêté audébut des années 1960, alors qu’il tentait de fran-chir la frontière. L’affaire avait été rapportée parReynolds News, un journal dominical britannique,dans un article sur les dissidents “prisonniers desdeux côtés du rideau de fer”. Chico Sapateiro était-ill’un des “étudiants ayant porté un toast à la liberté” ?

Mais peut-être l’article qui avait inspiré Benensonportait-il non sur une arrestation, mais sur un procès ?Bill Shipsey, fondateur d’Art for Amnesty, le pro-gramme de soutien des artistes en faveur de l’orga-nisation, s’est replongé dans les déclarations ducréateur d’Amnesty International. Il souligne plu-sieurs bizarreries : tout d’abord, en 1962, l’avocat faitremonter sa lecture de l’article au 19 novembre 1960,puis, en 1983, au 19 décembre 1960 ; de plus, la pre-mière date tombe un dimanche, jour improbablepour un déplacement professionnel à Londres ; laseconde, elle, correspond à un lundi. Et les incohé-rences ne s’arrêtent pas là : l’histoire se déroule tantôtà Lisbonne, tantôt à Coimbra [ville universitaire ducentre du pays] ; les peines d’emprisonnement varientde deux à sept ans ; les protagonistes sont tantôtdeux hommes, tantôt un homme et une femme. Seloncertaines versions, le toast aurait été porté dans un

 bar ; selon d’autres, dans un restaurant.“Je pense que l’événement n’a pas eu lieu, tranche

Bill Shipsey, interrogé par courrier électronique.Benenson a lu un article sur deux Portugais arrêtés pour subversion – le reste est le fruit de son imagina-tion.” Dans les archives du Daily Telegraph, le quo-tidien où Benenson a déclaré avoir lu l’article, BillShipsey n’a pas trouvé la moindre référence à cetoast à la liberté. Le fondateur d’Art for Amnesty cite, dans un article du Huffington Post, une autrethèse, élaborée par l’historien Tom Buchanan enréférence à un article du Times : le 19 décembre 1960,deux Portugais, un homme et une femme, ont étécondamnés pour subversion respectivement à deuxet six années de prison. Il s’agit de la jeune IvoneDias Lourenço, fille d’un communiste notoire etelle-même membre du parti depuis ses 18 ans, et

de Rolando Verdial, qui devait plus tard renier sesopinions et collaborer avec la PIDE. “Cela explique

La belle légende

d’Amnesty1960 Portugal Peter Benenson

raconte avoir fondé l’ONGaprès avoir appris l’arrestation

de deux étudiants quiauraient trinqué à la liberté.

↙ Peter Benenson, le fondateur, en 1981.La bougie entourée de barbelé est le logod’Amnesty International. Photo Raoul Shade.

—Visão (extraits) Lisbonne

Partons en voyage… dans le temps. Noussommes à la fin de l’année 1960, dans le métrolondonien. Un avocat britannique lit dans le

 journal un article qui le choque : dans un café deLisbonne, deux étudiants qui ont “osé porter un toast à la liberté” ont été arrêtés. Indigné, il se demandece qu’il peut faire pour mobiliser l’opinion publique.Lancer une campagne en faveur d’un pays en par-ticulier ? Ou bien attirer l’attention sur les souffrancesde tous les prisonniers d’opinion, incarcérés dansle monde entier pour leurs convictions politiquesou religieuses ?

Peu après, quelques mois avant son quarantièmeanniversaire, cet avocat du nom de Peter Benensonsigne dans les deux pages centrales de l’hebdo-

madaire The Observer un article intitulé “Les pri- sonniers oubliés”, dans lequel il demande l’amnistie

PREMIÈRES PUBLICATIONSEn 1962, Amnesty lance au Royaume-Uni

son Journal. Ce magazine est l’ancêtre du Fil,

aujourd’hui diffusé en quatre langues (français,

anglais, arabe, espagnol) à destination de

tous ceux qu’intéresse la défense des droits

humains. C’est aussi en 1962 que l’ONG publie

son premier rapport annuel sur les violationsdes droits de l’homme dans le monde.

   A   M   N   E   S   T   Y   I   N   T   E   R   N   A   T   I   O   N   A   L

Page 64: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 64/65

Page 65: COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

8/22/2019 COURRIER INTERNATIONAL N.1180 du 13 au 19 juin 2013.pdf

http://slidepdf.com/reader/full/courrier-international-n1180-du-13-au-19-juin-2013pdf 65/65