Grondin-tesis Hermeneutica Sobre El Ser

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    LA THSE DE L'HERMNEUTIQUE SUR L'TREJean GrondinP.U.F. | Revue de mtaphysique et de morale

    2006/4 - n52

    pages 469 481

    ISSN 0035-1571

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2006-4-page-469.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Grondin Jean, La thse de l'hermneutique sur l'tre ,

    Revue de mtaphysique et de morale, 2006/4 n52, p. 469-481. DOI : 10.3917/rmm.064.0469

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    La thse de lhermneutique sur ltre

    RSUM. La thse de lhermneutique sur ltre sexprime dans un adage clbre,mais ambigu : ltre qui peut tre compris est langage . Faut-il y voir seulement unethse sur la nature langagire de la comprhension humaine ou encore une thse sur ltrelui-mme ? Et sil sagit dune thse sur ltre, doit-on lentendre, suivant la lecture deG. Vattimo, comme une thse qui rduit ltre aux interprtations historiques quon endonne ? Sopposant cette lecture relativiste et nominaliste, le prsent article entendmontrer que, pour Gadamer, qui sinspire en cela de la mtaphysiquemdivale, cest ltrelui-mme qui se dploie dans notre langage. Il y a donc quelque chose de tel quun langage

    de ltre,quenotrepropre langage cherche exprimer, mais quil npuise jamais. Il devientainsi possible de proposer une interprtation plus ontologique de lhermneutique.

    ABSTRACT. The thesis of hermeneutics on Being is expressed in a famous, yetambiguous dictum : Being that can be understood is language. Should one only viewin this dictum a thesis on the linguistic nature of human understanding or should it alsobe understood as a thesis on Being itself ? And if it is to be read as a thesis on Beingitself, does it mean, following the interpretation of G. Vattimo, that Being reduces itselfto the historical interpretations it receives ? Arguing against this relativist and nominalistreading, this article aims to show that, for Gadamer, who follows in this medieval

    metaphysics, it is Being that unfolds itself in our language. There is thus such a thingas a language of Being, that our language seeks to express, but never exhausts. This

    paves the way for a more ontological interpretation of hermeneutics.

    Heidegger na pas tout fait tort de dire que toute philosophie se dfinit, demanire plus ou moins affiche, par une thse sur ltre. Cela doit donc treaussi vrai de lhermneutique de Gadamer. Son uvre matresse trouve effec-

    tivement son achvement dans un tournant ontologique (ontologische Wen-dung) 1, mais dont le sens nest peut-tre pas dune limpidit absolue, commele confirme du reste la diversit des interprtations que lon a pu en donner. Jeme propose donc, dans le prsent travail, de mettre en lumire la significationrelle de ce tournant en tchant de cerner ce que lon pourrait appeler la thsede lhermneutique sur ltre.

    SiVrit et mthodeparle bel et bien dun tournant ontologique, il demeureque la question de ltre reste assez efface dans luvre de Gadamer. Il est

    1. Nous faisons bien sr ici allusion au titre de la troisime et dernire partie deVrit et mthode,qui voque un tournant ontologique de lhermneutique suivant le fil conducteur du langage .

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    assez frappant de constater que Gadamer na jamais directement repris la ques-tion de ltre de son matre. Dans sonopus magnum, il est parti, comme chacunsait, non pas du thme de ltre, mais de linterrogation de Dilthey sur la

    prtention de vrit des sciences humaines, celle-l mme que Heideggersefforait justement de dpasser lorsquil cherchait rveiller la question deltre. On sait aussi que, dans ses interprtations de Heidegger, Gadamer avolontiers vu dans laSeinsfragede son matre une manire un peu crypte, etassez tourmente, de poser la question du divin 2 : une exprience du dieu est-elleencore possible si ltre se rduit et depuis les Grecs la pure subsistance(Vorhandenheitouousa) qui soffre une exploitation technique, dont lessencesemble prcisment exclure toute exprience du sacr ? Cette question ntaitpas celle de Gadamer, mme sil comprenait lurgence quelle pouvait revtir

    pour son matre et si sa propre rflexion sur lempire de la pense mthodique(donc technique) devait beaucoup la destruction heideggrienne de la pensetechnicienne.

    E S S E E S T I N T E L L I G I

    La question de ltre a-t-elle un avenir en hermneutique ? Si la question sepose, cest que lon peut entendre par hermneutique une rflexion qui savise

    du caractre interprtatif de tout rapport au monde. La raison pour laquelle undiscours sur ltre apparat ici problmatique, sinon impossible, cest que ltredont on peut parler nest plus quun tre interprt ou compris. lesse estpercipide Berkeley rpond un peu lesse est intelligide lhermneutique. Pourparaphraser Nietzsche, il ny a pas, en rgime hermneutique, dexprience deltre, mais seulement des interprtations (de ltre). Lge hermneutique dela pense reprsenterait donc celui o ltre ne serait plus quun objet dinter-prtation. Cette situation rappelle un peu celle de Kant : nous ne pouvonsconnatre ltre tel quil est en soi, mais seulement tel quil apparat travers

    nos interprtations. Le titre pompeux dune ontologie qui prtendrait parler deltre en soi devrait ainsi faire place une hermneutique qui se contente detraiter de nos interprtations de ltre.

    Cest ainsi que Gianni Vattimo, qui a vu dans lhermneutique la koin denotre temps, a pu soutenir que la pense hermneutique se caractrisait par un

    2. Sur cette lecture, que Gadamer a surtout dveloppe aprs la mort de Heidegger en 1976,voir notamment ses tudes La dimension religieuse (1981), tre, esprit, Dieu (1977) dans

    Les chemins de Heidegger, Vrin, 2002, pp. 187-217, et Heidegger et le langage (1990), Her-

    mneutique et diffrence ontologique (1989), dansLhermneutique en rtrospective, Vrin, 2005,30-48, pp. 81-96.

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    affaiblissement de notre discours sur ltre 3. Elle serait ainsi nihiliste etfire de ltre : en renonant au rve mtaphysique dun discours sur ltre,elle ferait son miel de la pluralit des interprtations. Celles-ci ne chercheraient

    plus tre conformes la ralit, elles se contenteraient tout simplementdtre clairantes ou utiles, au sens o certaines rpondraient mieux que dautresaux intrts historiques qui sont les ntres.

    Mme si elle jouit dune grande faveur lheure actuelle, cette intelligencede lhermneutique et de sa thse sur ltre nest pas la mienne et je nepense pas non plus quelle soit tout fait celle de Gadamer. Il est dabordassez vident que cette non-thse sur ltre reste, malgr elle, une thse onto-logique. Elle prtend en effet aussi dire ce qui est , savoir quil ny a quedes interprtations et que ltre se rduit aux interprtations que lon en donne.

    Il tombe sous le sens que cette thse veut donc tre conforme ce qui est, ausens le plus classique de lide dadquation, et dau moins deux manires :1) elle se prtend conforme ce quil en est de ltre (esse est intelligi) et 2)elle se veut conforme la situation de notre poque (laetas hermeneutica),qui se serait avise du caractre interprtatif de tout rapport ltre. Bienquelle soit souvent malmene, la vrit-adquation se porte donc ici pluttbien. Au reste, toute renonciation lide dadquation ne peut elle-mmereposer que sur lide que celle-ci serait inadquate la vrit elle-mmeou la ralit de linterprtation, ce qui prsuppose encore une fois la notion

    dadquation.On peut voir dans cette lecture, assez dominante, de lhermneutique une

    consquence de la vision constructiviste du monde dont il est permis de direquelle dfinit un vaste pan de la modernit. Cette vision, qui remonte Kantet Descartes, stipule que ltre auquel nous avons accs se rduit au monde telque nous le connaissons ou tel que nous le construisons avec nos ides, noscatgories, nos schmes mentaux ou nos interprtations , mais dont on auraitreconnu au XXe sicle quils taient intgralement historiques et redevables dulangage que nous utilisons. Mais qui nous dit que cette vision, pardon, cette

    construction du monde est elle-mme vraie ? Et si ctait cette construction dumonde qui ntait elle-mme quune construction ?

    Dans ce qui suit, jaimerais faire voir que la pense hermneutique permetde relativiser cette vision constructiviste du monde, aussi trs rpandue, et depenser un rapport ltre qui, tout en faisant droit au caractre langagier ethistorique de notre comprhension, nen maintienne pas moins lide que ltreque nous comprenons est bel et bien ltre lui-mme. Il faut bien sr ici partir

    3. G. VATTIMO, La vocation nihiliste de lhermneutique , dans son livre Au-del de linter-prtation. La signification de lhermneutique pour la philosophie, d. de Boeck, 1997, p. 21.

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    de la thse sur ltre propre lhermneutique qui se rsume dans ladageemblmatique de Gadamer, ltre qui peut tre compris est langage 4.

    L T R E Q U I P E U T T R E C O M P R I S E S T L A N G A G E :UNE THS E SUR LA NATURE LANGAGIRE

    D E L A C O M P R H E N S I O N O U S U R L T R E L U I - M M E ?

    Le sens de cet adage nest pas immdiatement clair. On peut y voir tanttune thse sur notre comprhension, tantt une thse sur ltre lui-mme. Silsagit dune thse portant sur la comprhension (ce quelle est aussi chez Gada-mer), son sens est de mettre en relief le caractre ncessairement langagier de

    notre intelligence et de notre rapport au monde : cest alors ltre tel quil peuttre comprisqui est langage. La thse veut dire ici que la comprhension pousencessairement une forme langagire : il ny a pas de comprhension sanslangage (ou une certaine orientation sur lui, car il est aussi possible de com-prendre silencieusement). Ngativement dit : ltre que nous narrivons pas formuler en langagenest pas compris. Lintention de cette thse est de montrerquil ny a pas dabord un acte mental de comprhension, qui serait ensuite suivi de sa mise en langage. Non, les deux aspects se fusionnent pour Gadamer 5 :comprendre, cest en mme temps mettre en langage (et rciproquement : mettre

    en langage, cest comprendre ou sefforcer de le faire). Avec cette thse, Gada-mer espre corriger ce quil tient pour loubli du langage qui aurait traverstoute notre tradition occidentale : depuis Platon, la pense philosophique seserait obstine maintenir que lacte de pense ne devait rien dessentiel aulangage, lequel aurait toujours t vu comme une manifestation seconde etsecondaire de lintelligence 6. Ainsi, loubli qui appelle la philosophie deGadamer nest pas celui de ltre, comme chez Heidegger, mais bien celui dulangage.

    Il ne fait aucun doute que cest une thse que dfend bel et bien Gadamer

    dans Vrit et mthodeet qui recouvre une partie de ladage ltre qui peuttre compris est langage . Il faut alors y voir une thse sur la comprhension(et sa nature langagire), une thse importante quoique discutable, mais qui ne

    4. H.-G. GADAMER,Vrit et mthode. Les grandes lignes dune hermneutique philosophique ,Seuil, 1996, p. 500 (Wahrheit und Methode,Gesammelte Werke[GW], t. I, Tbingen, Mohr Siebeck,1986, p. 478).

    5. Voir ce sujet mon tude sur La fusion des horizons. La version gadamrienne de ladae-quatio rei et intellectus? , dans Archives de philosophie 62 (2005), pp. 401-418.

    6. Sur cet oubli du langage, voir mon article Luniversalit de lhermneutique et de la rhto-

    rique : Ses sources dans le passage de Platon Augustin dans Vrit et mthode, dans Revueinternationale de philosophie54 (2000), no 213, pp. 469-485.

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    nous proccupera pas directement ici, car nous ne nous intressons qu la thsede lhermneutique sur ltre.

    Gianni Vattimo a raison de soutenir que la proposition de Gadamer est plus

    quune simple thse sur la comprhension et quelle veut aussi dire quelquechose dessentiel propos de ltre lui-mme 7. Elle affirme alors que ce nestpas seulement notre comprhension, mais aussi et en premier lieu ltre lui-mme qui est langage. Mais que veut-on dire au juste lorsque lon soutient queltre est langage ? Si on laisse dabord de ct la relative, la phrase de Gadamerdit simplement : Sein ist Sprache, ltre est langage . Cest une phrasequi semble au premier coup dil assez insense. De quel droit peut-on en effetsoutenir que ltre (tel quil est en soi ) se rduit au langage ? Toutpositiviste de service pourrait faire valoir quil y a certainement des tants, donc

    de ltre, sur la face cache de la Lune (ou sur un astre encore plus lointain),que personne na jamais vus, ni compris, ni ports au langage, mais qui nensont pas moins de ltre, quelque chose dtant 8. De mme, pourrait-il pour-suivre, il y aurait eu de ltre dans lunivers mme si des tres dous de parolenavaient jamais exist, comme il y aura sans doute encore de ltre danslespace sidral lorsque les tres dous de langage se seront supprims. Danscette perspective, nominaliste si lon veut, la formule ltre est langage (Seinist Sprache) parat un peu insolite, ou tout le moins un brin prtentieuse.

    On pourrait, il est vrai, lui donner une porte philosophique en lentendant

    au sens de Heidegger. Sein ist Sprache veut dire pour Heidegger que seullhomme, en tant qutre parlant, a accs ltre, cest--dire cette merveilledes merveilles quil y ait de ltre et non pas rien. Il y a de ltre (es gibt Sein), et ce don nous vient de la parole qui parvient dire cette mergencede ltre dont nous sommes les seuls faire lexprience comme telle (etdont la parole potique incarne pour Heidegger le rappel privilgi).

    Ce serait le sens heideggrien de la formule ltre est langage . Si cetteintelligence nest pas tout fait trangre Gadamer, il demeure que son lvesemble vouloir dire autre chose. Car Gadamer dit que cest ltre tel quil peut

    tre compris (das verstanden werden kann) qui est langage. Comment com-prendre ici la relative qui peut tre compris ? Elle parat capitale si la

    7. G. VATTIMO, Histoire dune virgule. Gadamer et le sens de ltre , dansRevue internationalede philosophie54 (2000), no 213, pp. 499-513.

    8. Augustin et Thomas dAquin se rclament dun argument comparable lorsquils veulentsopposer lide que l tre se rduit ltre que nous pouvons voir. Il y a certainement, ditAugustin dans sesSoliloquia(II, IV, 7 ; AUGUSTIN,Dialogues philosophiques, Bibliothque augus-tinienne, t. 4, d. par P. de Labriolle, Descle, 1939, p. 100), des pierres enfouies dans lesprofondeurs de la terre (in abditissimo terrae), mais que personne na jamais vues : tre, ce nest

    donc pas tre connu. Voir THOMAS DAQUIN, De veritate, I, art. 2 (Premire question dispute dela vrit, d. par C. Brouwer et M. Peeters, Paris, Vrin, 2002, p. 68).

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    dclaration de Gadamer doit tre autre chose quun non-sens et si elle veut direautre chose que ce que soutient Heidegger lorsquil souligne que la merveillede ltre se trouve abrite dans le langage.

    DU BON USAGE DES RE LATIVES

    Il faut ici ouvrir une parenthse sur la manire dont on peut entendre uneproposition relative du strict point de vue grammatical. La grammaire nousapprend quune relative peut tre dterminative ou explicative. Les relativesdterminatives, selonLe Bon Usage( 1011), prcisent ou restreignent lant-cdent en y ajoutant unlment indispensable au sens : on ne saurait les sup-

    primer sans dtruire lconomie de la phrase . Un exemple de Racine vient enillustrer le sens : la foi qui nagit point, est-ce une foi sincre ? . Il est clairici que lon ne pourrait supprimer la relative sans dtruire lconomie de laphrase. Les relatives explicatives, pour leur part, ne servent jamais restreindrelantcdent ; elles ajoutent celui-ci quelque dtail, quelque explication nonindispensable: on pourrait les supprimer sans nuire essentiellement au sens dela phrase . Le Bon Usage donne un exemple tir de Victor Hugo : et leSeigneur, dont Jean et Pierre suivaient lombre, dit aux Juifs... . Ici, la relativepourrait tre supprime sans compromettre le sens de la phrase. La ponctuation

    permet souvent de distinguer les deux types de relatives : ordinairement, rappelleLe Bon Usage, les relatives explicatives se placent entre deux virgules 9.Cela se voit dans les deux exemples : la foi qui sauve (dterminative), leSeigneur, dont Jean et Pierre suivaient lombre, dit aux Juifs (explicative).

    Comment faut-il lire la relative de Gadamer ? Au plan grammatical, lalle-mand est ici plus indcis que le franais, car pour lui toutes les relatives seplacent obligatoirement entre deux virgules. Cest donc linterprtation quilrevient de dcider si la relative est ici dterminative (essentielle au sens) ouexplicative. Il me semble que les deux lectures doivent tre retenues, mais il

    faut alors bien voir quelles signifient des choses diffrentes, mais toutes deuxessentielles si lon veut comprendre la thse de lhermneutique sur ltre.

    Si la relative est dterminative (entendons : cest seulement ltre qui peuttre compris, cest--dire ltre tel que nous pouvons le comprendre, qui est

    9. Cette importante distinction entre deux types de relatives se retrouve en anglais o lon utilisedeux pronoms diffrents pour les distinguer (mme si lusage reste un peu relch) : thatpour lesrelatives dterminatives (restrictive clause) et who, whom ou which pour les explicita-tives. Les traducteurs anglais (Truth and Method, second revised edition, translation revised by JoelWeinsheimer and Donald G. Marshall, New York, Crossroad, 1989, p. 474) ont traduit ladage de

    Gadamer par Being that can be understood is language . Ils y ont donc vu une relative dter-minative (et par consquent une thse qui porte davantage sur la comprhension que sur ltre).

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    langage), alors on est en prsence dune thse qui porte non pas sur ltre, maissur la comprhension et son caractre ncessairement langagier. Cest uneconception, comme nous lavons vu, que dfend bel et bien Gadamer.

    Mais si lon prend en considration le contexte o elle apparat dans Vritet mthode, il faut se rendre lvidence que cette ide nest pas la seule quedfende Gadamer. Il sagit alors non seulement dune thse sur la comprhen-sion, mais sur ltre lui-mme. Mais comment faut-il alors lentendre ? Cestpeut-tre l la question fondamentale que nous lgue lhermneutique de Gada-mer, voire la croix de sa pense.

    Gianni Vattimo est de ceux qui plaident pour une interprtation de Gadamerqui identifie purement et simplement ltre et le langage, qui voient donc dansla relative de Gadamer une relative explicative 10. Cette lecture comporte un

    sens trs fort chez Vattimo, qui se double mme dune critique. Vattimo soutienten effet que Gadamer a bel et bien voulu assimiler ltre et le langage, maissans en tirer toutes les consquences ontologiques, cest--dire sans laborerpour elle-mme lontologie hermneutique qui dcoulerait de cette fusion deltre et du langage. Ltre est langage veut dire pour Vattimo que ltre serduit intgralement au langage que nous tenons sur lui, ce qui implique pourlui que ce langage est toujours celui dune poque et dune culture dtermines.Ladage ltre qui peut tre compris est langage devrait ainsi tre entenduen un sens relativiste et ouvertement nihiliste : ltre ne serait rien hors de

    notre interprtation. Cest en ce sens que lhermneutique se caractriserait parun affaiblissement de notre discours sur ltre. Gadamer serait ainsi unrelativiste nihiliste 11.

    GADAMER, UN RELATIVISTE NOMINALISTE ?

    Cest galement la conviction du philosophe pragmatiste amricain RichardRorty qui a voulu donner un sens purement nominaliste ladage gadam-

    rien. Le nominalisme dsigne pour lui lide selon laquelle toutes les essencessont nominales et toutes les ncessits de dicto , ce qui revient direquaucune description nest plus vraie ou plus conforme la nature de lobjetque ne lest toute autre description . Ainsi, un nominaliste cohrent insistera-t-il pour dire que le succs du vocabulaire corpusculaire au plan de la prdiction

    10. G. VATTIMO, Histoire dune virgule. Gadamer et le sens de ltre , op. cit., p. 500.11. Quand on y regarde de plus prs, on se rend compte cependant que cette lecture ontolo-

    giste de ladage ltre qui peut tre compris est langage ressortit finalement une thse sur

    notre comprhension : cest parce que toute interprtation est langage quun accs ltre nous estrefus. Tout discours sur ltre ne peut alors relever que de notre comprhension.

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    et de lexplication na aucune incidence sur son statut ontologique et que lidemme dun statut ontologique doit tre abandonne 12.

    Ainsi, la thse de lhermneutique sur ltre (esse est intelligi) reviendrait

    dire quil faudrait abandonner toute thse sur ltre. Loubli de ltre redevientici une vertu. Cest que, estime Rorty, il est impossible de dpasser le plan denotre discours et prtendre parler de ltre : Nous ne comprenons jamaisquelque chose qu travers une description, mais il ny a pas de descriptionsprivilgies. Il ny a aucun moyen de remonter derrire notre langage descriptif,vers lobjet tel quil est en lui-mme, et ce nest pas parce que nos facults sontlimites, mais parce que la distinction entre le pour nous et len soi est unerelique dun vocabulaire descriptif, celui de la mtaphysique, qui a perdu sonutilit. 13

    La difficult de cette lecture relativiste, propose par Rorty comme par Vat-timo, est que lon y reconnat difficilement la pense de Gadamer, et dautantque Gadamer critique vigoureusement le nominalisme dans la dernire sec-tion de Vrit et mthode. La dfinition que Rorty propose du nominalisme( toutes les ncessits relvent du discours et non de ltre ) est peut-trediffrente de celle de Gadamer, mais il nen demeure pas moins quelle reposesur une conception instrumentale du langage, celle-l mme que stigmatiseGadamer. Suivant la conception nominaliste, le langage nest quune crationou une construction de lesprit humain, mais dont la porte est si universelle

    quelle finit par absorber ltre lui-mme. Ltre lui-mme nest plus quun nom dont se sert lesprit humain pour dcrire telle ou telle ralit, mais quipourrait toujours ltre autrement. Il est difficile de ne pas reconnatre ici lapo-ge du constructivisme moderne pour lequel le monde se rduit la conceptionque nous nous en faisons. Or, cest trs prcisment ce nominalisme et saconception instrumentale du langage que Gadamer attaque avec force dansVrit et mthode! Cest pourquoi il me semble que la thse de lhermneutiquedoit tre comprise de manire diffrente, mais plus forte encore, comme unethse sur ltre.

    12. R. RORTY, Being that can be understood is language,London Review of Books, 16 mars2000, pp. 23-25 ; repris en allemand sous le titre Sein, das verstanden werden kann, ist Sprache,dans le collectif (sans directeur), Sein, das verstanden werden kann, ist Sprache , Frankfurt a.

    M., Suhrkamp, 2001, pp. 30-49.13.Ibid.

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    P O U R U N E L E C T U R EP L U S O N T O L O G I Q U E D E L H E R M N E U T I Q U E :

    C E S T L T R E Q U I S E D O N N E C O M P R E N D R EDANS NOTRE LANGAGE

    On concdera sans peine Vattimo et Rorty que Gadamer na peut-tre paslui-mme dvelopp toutes les consquences de sa thse clbre sur ltre, maisaussi que bien des passages de son uvre, surtout ceux que lon retrouve dansla seconde partie deVrit et mthode, se prtent une lecture assez relativiste(ltre se rduit nos interprtations, de sorte quune adquation ltre telquil est indpendamment de nos interprtations parat impossible). Sur la ques-

    tion de savoir si son hermneutique va dans le sens dun historicisme radicalou dans celui dun dpassement de lhistoricisme, lhritage de Gadamer semblesouvent assez indcis 14.

    Il me semble nanmoins que ladage ltre qui peut tre compris est lan-gage exprime quelque chose de plus et de plus fondamental encore quunethse relativiste sur le caractre ncessairement interprtatif (et historiquementdtermin) de notre rapport ltre. Ce qui incite le penser, cest que Gadamerse rclame expressment de la mtaphysique transcendantale des transcendan-taux lorsquil prsente sa thse sur ltre. Cet horizon est si peu connu ou si

    mal fam en philosophie contemporaine quil na pas vraiment t pris encompte dans la rception de la pense gadamrienne. Il revt cependant uneimportance de premier plan si lon veut comprendre la thse de lhermneutiquesur ltre.

    Ce qui sduit Gadamer dans la doctrine mdivale des transcendantaux, cestque les prdicats universels soient toujoursceux de ltreet jamais uniquementceux de la connaissance ou du sujet. Lorsquil est question du Beau, du Bienou de lUn, il ne sagit jamais, pour cette mtaphysique, de concepts ou devalorisations de la pense souveraine, mais de prdicats de ltre lui-mme. Si

    cela est dterminant pour lontologie universelle de Gadamer, cest que le lan-gage cesse alors dapparatre comme un simple discours, et ds lors un instru-ment, de la subjectivit, ou de la pense, sur quelque chose, pour exprimerdabord et avant tout la prsence de ltre dans la lumire du langage, prsencelangagire de ltre qui prcde et rend possible toute pense. Cest ainsi lafusion originaire de ltre et du langage que la doctrine mdivale permettaitde sauvegarder, unit quaurait rompue la pense moderne en durcissant loppo-

    14. Voir ce sujet mon esquisse, Gadamers ungewisses Erbe, dans G. ABEL(dir.),Kreativitt.XX. Deutscher Kongress fr Philosophie. Kolloquiumsbeitrge, Hamburg, Meiner Verlag, 2006.

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    sition du sujet et de lobjet, qui tend situer la pense en face de ltre et dslors faire de ltre une image (un concept, une construction, une interprtation)de la pense souveraine. Ltre se prte alors dautant plus facilement une

    vise dobjectivation et de matrise quil nest plus quune construction de lapense. Or, ltre nest-il vraiment rien dautre quune construction conceptuelleou un mot dont nous serions les matres et les crateurs ? Ne faut-il pas pluttreconnatre que cest ltre lui-mme qui sest ds toujours manifest la pensedans la lumire oublie du langage ?

    Si le langage se trouve compris de cette manire, comme une manation de ltre, la connaissance (ou linterprtation) cesse dapparatre comme le lieuo un rapport ltre serait construit de toutes pices. Non, la connaissance etlinterprtation doivent plutt se comprendre partir de ltre qui se dploie en

    elles et qui les rend possibles. Cest trs prcisment sur cette question queGadamer ne craint pas de se rattacher la vision plus ontologo-centriste dela mtaphysique mdivale : Comme il fallait sy attendre, nous pntrons parl dans le domaine de questions qui sont depuis toujours familires la philo-sophie. En mtaphysique, lappartenance signifie la relation transcendantaleentre tre et vrit, relation qui exige de penser la connaissance comme momentde ltre mme et non, originairement, comme comportement du sujet. Une telleinsertion de la connaissance dans ltre est la prsupposition commune lapense antique et celle du Moyen ge. 15

    Texte dcisif, quoique droutant pour la pense moderne ou postmoderne,car il nous invite penser la connaissance non pas comme un comportementdu sujet autonome , mais comme un moment de ltre. Son intention est demettre en question la souverainet de la pense par rapport ltre et afin dela rinscrire dans ltre mme. Pour Gadamer, cest ltre lui-mme qui en vientdonc se reflter et se dplier dans notre langage. Cette mtaphysique denotre appartenance au langage et ltre vient ainsi marquer la limite de la mtaphysique de la subjectivit , arc-boute sur le projet dune dominationde ltre par la pense. Assez ironiquement, ce renversement de la philosophie

    transcendantale des modernes, juche sur la suprmatie du sujet, se fait parle biais dun appel la mtaphysique transcendantale des mdivaux. Cestque cette mtaphysique, voue ltre et ignorant peu prs tout du sujethumain , reconnaissait encore que la connaissance ntait pas une affaire dedomination, mais de participation ltre.

    Ainsi, la thse de lhermneutique sur ltre nest pas entendre en un sensnominaliste, o ltre se rduit la description que nous en donnons, mais enun sens plus ontologique : cest ltre lui-mme qui vient se dire en langage

    15.Vrit et mthode, p. 483 (GW1, p. 462). Je souligne.

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    et cest son langage qui nous permet de corriger les descriptions inadquatesque nous en proposons 16. Il faut y voir non pas une thse faible, mais une thsetrs forte sur ltre.

    Cest en ce sens quil faut entendre le titre de la dernire partie de Vrit etmthode qui annonce un tournant ontologique de lhermneutique suivantle fil conducteur du langage. Le langage ne dsigne pas pour Gadamer lordreinterprtatif qui ferait cran ltre, mais, bien au contraire, llment danslequel cest ltre lui-mme qui en vient se manifester. On ne saurait parlerici de nominalisme, car cest justement le contraire qui est vis : le langage estpour Gadamer celui des choses avant que dtre celui de notre pense 17. Toutela critique gadamrienne propos de loubli du langage au sein de la penseoccidentale vise dailleurs dnoncer la conception instrumentaliste et nomi-

    naliste qui fait du langage un simple outil de la pense souveraine face unrel qui serait priv de sens sans lui.

    Gadamer a tout fait raison de dire que cette thse nous reconduit ladimension des problmes de la mtaphysique classique (fhrt uns in die Pro-blemdimension der klassischen Metaphysik zurck) 18. Il est assez piquant deconstater que cest justement par l quil peut galement sopposer lontologiehermneutique relativiste que certains de ses lves, comme Vattimo et Rorty,ont voulu tirer de son uvre, mais sur des assises nominalistes. Son intentionnest pas de montrer que ltre se rduit nos interprtations, mais, bien au

    contraire, de reconduire nos interprtations ltre qui se dploie en elle. Linter-prtation ne jouit daucune autonomie par rapport ltre, elle en jaillit, aumme titre o linterprtation musicale (ou artistique) trouve sa source dans lapartition quelle joue et le tableau dans ltre de la personne qui se trouve miseen image. Cest sur ce modle de la prsentation (Darstellung) artistique quesouvrait lontologie de luvre dart dans la premire partie de Vrit etmthode. Gadamer y soutenait que luvre dart navait dtre que dans lamesure o elle tait joue ou interprte. Il disait alors que la chose prsentebnficiait dun surcrot dtre (Seinszuwachs), au sens o cest prcisment

    dans linterprtation que ltre dune chose en venait se prsenter comme pourla premire fois. Cest exactement la mme ide quil applique au langage dansla dernire section de Vrit et mthode: par sa mise en langage, ltre entre

    16. Jen propose des exemples dans mon tude sur La fusion des horizons , op. cit. Ainsi, ledcodage du gnome humain est certes une construction de notre esprit, mais il va de soi quellesoriente en dernire instance sur le langage de ltre lui-mme, car ltre que nous cherchons alors comprendre est bel et bien celui des gnes eux-mmes.

    17. Voir ce sujet son tude de 1960, contemporaine de Vrit et mthode, sur La nature dela chose et le langage des choses , dans HGG,Lart de comprendre. crits II. Hermneutique et

    champ de lexprience humaine, Paris, Aubier, 1991, pp. 123-136 (GWII, pp. 66-76).18.Vrit et mthode, p. 485 (GWI, p. 464).

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    bien sr dans lhorizon de nos interprtations, mais il faut surtout voir que cestalors ltre lui-mme qui bnficie dun surcrot dtre ou de prsence. Ici, lepropos de Gadamer nest pas de montrer, comme y insistent les postmodernes,

    que linterprtation reprsente une pure activit de cration ou de constructionqui ne doit rien dessentiel ltre il critique, au contraire, trs fortement cet esthticisme de la cration , mais de souligner que cette interprtationincarne la prsentation de la chose mme.

    Et si des interprtations diffrentes dune seule et mme ralit peuvent treet sont de fait proposes, cela tient moins la diversit des interprtes qu lapluralit des facettes de la chose. La diversit des interprtations nen est quela manifestation. Ainsi, si ltre qui peut tre compris est langage, cest parceque cest dans notre langage que ltre en vient en quelque sorte se reflter,

    comme dans un miroir . Le langage ne vient donc pas se superposer ltre(ou un tre qui serait intrinsquement indicible ou inaccessible), il en maneet sefforce, par sa diversit, den rendre linfinit des aspects.

    ce titre, on peut dire que lhermneutique de Gadamer accomplit tout aussibien une ontologisation de lhermneutique quune hermneutisation delontologie 19 : une ontologisation de lhermneutique au sens o linterprtationreste redevable de ltre quelle vient articuler, mais aussi une hermneutisa-tion de lontologie dans la mesure o le discours sur ltre ne peut, mystrieu-sement, se dployer que dans lunivers de notre langage. Si les hritiers postmo-

    dernes de Gadamer ont surtout insist sur lhermneutisation de lontologie, quifinit cependant par affaiblir, voire par liquider le concept dtre, ils ont trop peuvu quelle restait au service dune ontologisation de lhermneutique.

    Il est cependant ici une question que lon est en droit de se poser, mais queGadamer lude : quest-ce qui nous assure que ltre tel quil se prsente dansnos interprtations correspond bel et bien ltre lui-mme ? La rponse mdi-vale (ou thomiste) tait, bien entendu, gnralement thologique : ltre se pr-sente dans notre intelligence tel quil est parce que le lien primordial entre ltreet notre intelligence a dabord t institu par Dieu. Or, si Gadamer raffirme

    avec vigueur ce lien originaire entre ltre et le langage ( ltre est langage veut dire que cest dans le langage que ltre dploieson intelligibilit cestl la thse de lhermneutique sur ltre), il ne reprend pas expressmentlarrire-plan thologique qui rendait possible ce lien primordial pour les mdi-vaux. Il sen sert plutt afin de dconstruire le subjectivisme de la pensemoderne. Cette question critique a t pose par un interprte pntrant, Jens

    19. Je minspire ici des formules de Michael THEUNISSEN, Philosophische Hermeneutik alsPhnomenologie der Traditionsaneignung , dans le collectif Sein, das verstanden werden kann,

    ist Sprache , Frankfurt a. M., Surhkamp, 2001, pp. 61-88, p. 76 : Nicht auf Ontologisierung derHermeneutik geht er [Gadamer] im Grunde aus, sondern auf Hermeneutisierung der Ontologie.

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    Zimmermann 20, qui reproche Gadamer de ne pas avoir les moyens de dfendreles thses qui sont les siennes : sa thse naurait de sens que sur larrire-fonddune conception thologique et mme chrtienne dulogos, mais que Gadamer

    ne reprend jamais sous sa forme forte et thologique. Est-il possible de soutenirlide dune adquation fondamentale entre ltre et le langage sans arrire-planthologique ? Cette belle question nous loigne peut-tre des dbats postmo-dernes sur lhermneutique, mais elle a le mrite de nous rapprocher de la thsede lhermneutique sur ltre.

    Jean GRONDIN,Universit de Montral

    20. J. ZIMMERMANN, Confusion of Horizons : Gadamer and the Christian Logos , dans leJournal of Beliefs and Values, avril 2001, vol. 22/1, pp. 87-98.

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