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Ann Cardiol Angéiol 2001 ; 50 : 326-9 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-3928(01)00036-1/SSU Mise au point Indications de la régularisation d’une fibrillation auriculaire en 2001 B. Brembilla-Perrot Service de cardiologie, CHU Brabois, hôpital d’adultes, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre, France (Reçu le 28 juin 2001 ; accepté le 24 août 2001) Résumé S’il est logique d’essayer de régulariser le premier accès de fibrillation auriculaire chez tous les patients, l’indication de la régularisation du deuxième accès doit être discutée en fonction de nombreux critères comme l’âge, la tolérance, le retentissement hémodynamique objectif, la compliance au traitement et la possibilité de trouver un traitement d’entretien. En effet, le pronostic du sujet en fibrillation auriculaire, si celle-ci est correctement traitée (anticoagulée et ralentie), ne diffère pas de celui d’un sujet en rythme sinusal sous antiarythmiques. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS fibrillation auriculaire / régularisation Summary – Indications of atrial fibrillation regularisation in 2001. The regularisation of the first episode of atrial fibrillation should be attempted. In the case of the second episode, the indication of the regularisation should be discussed according to the data of age, tolerance, objective haemodynamic effect, adequation to the treatment and possibilities of antiarrhythmic treatment. In fact, the prognosis of a correctly treated patient (with anticoagulants and slowing drugs) remaining in atrial fibrillation, does not seem to differ from those of a patient in sinus rhythm receiving antiarrhythmic drugs. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS atrial fibrillation / regularisation La fibrillation auriculaire est le trouble du rythme le plus fréquent, puisqu’après 75 ans, il toucherait de 5 à 14 % de la population [1, 2]. Cette arythmie fait actuellement l’objet de très nombreuses études et no- tamment de nombreux traitements non médicamen- teux, plus ou moins agressifs, allant du défibrillateur implantable au traitement curatif par ablation par ra- diofréquence dans les veines pulmonaires. Parallèlement à ces traitements, de nombreuses études épidémiologiques tentent d’évaluer la signifi- cation pronostique de cette arythmie avec des résul- Correspondance et tirés à part. tats actuellement toujours très contradictoires. C’est pourquoi les indications actuelles de régularisation des fibrillations auriculaires restent toujours conven- tionnelles [3]. Trois attitudes peuvent théoriquement être discu- tées à la lueur des différents travaux : – l’attitude agressive conduisant à régulariser toutes les fibrillations auriculaires ; – une attitude passive conduisant à respecter la fibrillation auriculaire ; – une attitude réfléchie adaptée à chaque situation.

Indications de la régularisation d'une fibrillation auriculaire en 2001

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Page 1: Indications de la régularisation d'une fibrillation auriculaire en 2001

Ann Cardiol Angéiol 2001 ; 50 : 326-9 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003-3928(01)00036-1/SSUMise au point

Indications de la régularisation d’une fibrillationauriculaire en 2001

B. Brembilla-Perrot∗

Service de cardiologie, CHU Brabois, hôpital d’adultes, rue du Morvan, 54500 Vandœuvre, France

(Reçu le 28 juin 2001 ; accepté le 24 août 2001)

RésuméS’il est logique d’essayer de régulariser le premier accès de fibrillation auriculaire chez tousles patients, l’indication de la régularisation du deuxième accès doit être discutée en fonctionde nombreux critères comme l’âge, la tolérance, le retentissement hémodynamique objectif, lacompliance au traitement et la possibilité de trouver un traitement d’entretien. En effet, le pronosticdu sujet en fibrillation auriculaire, si celle-ci est correctement traitée (anticoagulée et ralentie), nediffère pas de celui d’un sujet en rythme sinusal sous antiarythmiques. 2001 Éditions scientifiqueset médicales Elsevier SAS

fibrillation auriculaire / régularisation

Summary – Indications of atrial fibrillation regularisation in 2001.The regularisation of the first episode of atrial fibrillation should be attempted. In the case of thesecond episode, the indication of the regularisation should be discussed according to the dataof age, tolerance, objective haemodynamic effect, adequation to the treatment and possibilities ofantiarrhythmic treatment. In fact, the prognosis of a correctly treated patient (with anticoagulants andslowing drugs) remaining in atrial fibrillation, does not seem to differ from those of a patient in sinusrhythm receiving antiarrhythmic drugs. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

atrial fibrillation / regularisation

La fibrillation auriculaire est le trouble du rythme leplus fréquent, puisqu’après 75 ans, il toucherait de5 à 14 % de la population [1, 2]. Cette arythmie faitactuellement l’objet de très nombreuses études et no-tamment de nombreux traitements non médicamen-teux, plus ou moins agressifs, allant du défibrillateurimplantable au traitement curatif par ablation par ra-diofréquence dans les veines pulmonaires.

Parallèlement à ces traitements, de nombreusesétudes épidémiologiques tentent d’évaluer la signifi-cation pronostique de cette arythmie avec des résul-

∗ Correspondance et tirés à part.

tats actuellement toujours très contradictoires. C’estpourquoi les indications actuelles de régularisationdes fibrillations auriculaires restent toujours conven-tionnelles [3].

Trois attitudes peuvent théoriquement être discu-tées à la lueur des différents travaux :– l’attitude agressive conduisant à régulariser toutesles fibrillations auriculaires ;– une attitude passive conduisant à respecter lafibrillation auriculaire ;– une attitude réfléchie adaptée à chaque situation.

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TOUTES LES FIBRILLATIONSAURICULAIRES DOIVENT ÊTRE

RÉGULARISÉES

Cette attitude peut se baser sur trois données :– la tolérance fonctionnelle est généralement dété-riorée par le passage en fibrillation auriculaire avecapparition d’une dyspnée pour un effort modéré enraison d’une accélération très rapide de la fréquencecardiaque à l’effort comparée à l’adaptation de le fré-quence du sujet en rythme sinusal [4 – 6] ;– le risque thromboembolique engendré par la fi-brillation auriculaire est clairement démontré. Toutearythmie qui dure au moins 48 heures ou qui sur-vient dans un contexte de cardiopathie sous-jacente,ou qui survient chez des sujets âgés comporte unrisque de thrombose auriculaire et de projection em-bolique ;– le passage en fibrillation auriculaire risque dedétériorer l’état hémodynamique d’un patient. Unefibrillation auriculaire rapide durant plusieurs jourspeut être à l’origine du développement d’une cardio-myopathie rythmique qui ne régressera qu’au boutde quelques mois après le retour en rythme sinu-sal [7]. En cas de cardiomyopathie hypertrophiqueet/ou obstructive, la perte de la systole auriculaires’accompagne également d’une chute du débit car-diaque et a donc des conséquences graves qui vontde la syncope à l’œdème aigu pulmonaire, voire à lamort subite [8].

La régularisation de la fibrillation auriculaire de-vrait être également obtenue rapidement car plusla fibrillation auriculaire dure longtemps, plus ellerisque de se pérenniser en raison d’un remode-lage auriculaire qui passe par des modificationsélectrophysiologiques, puis une surcharge calcique,puis des modifications des protéines intercellulaireset une dilatation de l’oreillette gauche [9, 10].Au bout de sept jours, une arythmie devient per-manente. Ces modifications sont cependant réver-sibles.

IL FAUT RESPECTER LAFIBRILLATION AURICULAIRE

Cette attitude peut se discuter d’après plusieursdonnées.

Il apparaît clairement en 2001, qu’aucune étudene permet de démontrer une amélioration du pronos-tic d’un sujet maintenu en rythme sinusal par une

technique quelconque, comparé à un sujet ayant unecardiopathie équivalente, restant en fibrillation auri-culaire, mais traité correctement par un traitementbradycardisant et surtout anticoagulant par antivi-tamine K [11, 12]. Cela est surtout vrai pour lespatients en insuffisance cardiaque préexistante à lafibrillation auriculaire. Le sombre pronostic de cespatients serait plutôt en rapport avec une déchéancemyocardique plus avancée [13 – 15].

Régulariser une fibrillation auriculaire contraint àutiliser des moyens parfois potentiellement dange-reux :– le traitement antiarythmique doit être manié avecprudence en cas de cardiopathie ou de troubles deconduction ;– la cardioversion contraint à une anesthésie géné-rale et serait à l’origine d’un taux de complicationsnon négligeables de 4,8 % dont 1,2 % de décès quiserait directement imputable à ce geste [11] ;– le traitement curatif par ablation par radiofré-quence ne peut être espéré actuellement qu’au prixd’une lourde procédure, non dénuée de risque (tam-ponnade, sténose des veines pulmonaires, embolieartérielle) [16].

Une fois que le rythme sinusal a été restauré,un traitement antiarythmique doit être indiqué. Letraitement antiarythmique per os est lui-même nondénué de risque et les méta-analyses concernant laquinidine ont fait apparaître une surmortalité des su-jets traités par ce produit [17]. Il n’y a pas d’autreméta-analyse disponible pour les autres antiaryth-miques. Les antiarythmiques sont susceptibles d’ag-graver des troubles de conduction associés. La régu-larisation d’une fibrillation auriculaire ne dispensepas toujours d’un traitement anticoagulant au longcours en cas d’antécédents d’accident ischémique oude cardiopathie sous-jacente.

Enfin, certains sujets ont une arythmie sponta-nément relativement lente, découverte fortuitement,très bien tolérée et engager ce patient dans le pro-cessus des tentatives de régularisation et d’entretiendu rythme sinusal conduit à une médicalisation dupatient en sachant que tôt ou tard, le patient passeraprobablement en arythmie permanente : le risque depassage en arythmie permanente dépend de l’ancien-neté de l’arythmie initiale [18, 19] : si l’arythmieest régularisée précocement, 56 % des sujets reste-ront en rythme sinusal au bout d’un an. En revanche,si l’arythmie dure depuis plus d’un mois, seulement14 % resteront en rythme sinusal au bout d’un an.

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Tableau I. Indications de régularisation d’une fibrillation auri-culaire.

Indications

Indiscutables – 1er accès FA< 1 an

– 2e accès+ FA mal tolérée ou avec CMHou avec CMD secondaire à la FA

Discutables – 1er accès âge> 80 ans

– 2e accès bien toléré

– récidives multiples très espacées

– FA > 1 an si hyperthyroïdie traitée

– 2e accès, troubles de conduction, sujetactif (PM)

Très discutables – récidives multiples> 3

– FA > 1 an

– 2e FA compliquant une CMD très évoluéetraitée correctement

– 2e FA bien tolérée associée à des troublesde conduction

FA : fibrillation auriculaire ; CMH : cardiomyopathie hypertro-phique ; CMD : cardiomyopathie dilatée ; II : secondaire à laFA ; PM : pacemaker.

En revanche, les sujets qui ont une fibrillation au-riculaire paroxystique de courte durée évoluerontseulement pour 18 % d’entre eux en fibrillation auri-culaire permanente quatre ans après le début de leurmaladie.

INDICATIONS RAISONNÉES DE LARÉGULARISATION DE LA

FIBRILLATION AURICULAIRE

Il reste classique de faire au moins une tentative derégularisation chez un sujet vu pour la première foisen fibrillation auriculaire si le patient est en bon étatgénéral et cela après une anticoagulation correcte.

En cas de récidive, une nouvelle tentative derégularisation et/ou l’indication éventuellement detechniques non médicamenteuses ne s’imposera quedans trois cas :– chez les sujets très symptomatiques conservantune tachyarythmie à l’effort malgré les traitementsbradycardisants comme les bêtabloquants ou lesinhibiteurs calciques ;– chez les sujets où le passage en fibrillation auri-culaire est clairement associé à une détérioration de

l’état hémodynamique, donc en particulier chez lessujets qui ont une cardiopathie sous-jacente ;– chez les sujets où l’arythmie a récidivé du faitd’une interruption accidentelle d’un traitement an-tiarythmique qui avait maintenu jusqu’à présent lerythme sinusal(tableau I).

Dans tous les autres cas la décision dépendra dudésir du malade, de sa tolérance fonctionnelle, maisaussi de nombreux facteurs comme l’âge du pa-tient, sa compliance aux médicaments et la présenced’une cardiopathie. Enfin cette attitude relativementrestrictive d’indications de la régularisation de la fi-brillation auriculaire peut changer, si de nouveauxmoyens médicamenteux ou non médicamenteux sedéveloppent et permettent d’espérer un maintien enrythme sinusal sans risques notables [20, 22].

RÉFÉRENCES

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9 Wijffels MCEF, Kirchhof CJHJ, Dorland R, Allessie MA.Atrial fibrillation begets atrial fibrillation. A Study inanwake chronically instrumented goats. Circulation 1995 ;92 : 1954-68.

10 Le Heuzey JY, Copie X, Henry P, et al. Mécanismes dela fibrillation auriculaire, acquisitions récentes. Arch MalCœur Vaiss 1994 ; 87 : 41-5.

11 Carlsson J, Neuzner J, Rosenberg YD. Therapy of atrialfibrillation: rhythm control versus rate control. PACE 2000 ;23 : 891-903.

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12 The planning and steering committees of the AFFIRM studyfor the NHLBI AFFIRM investigators. Atrial fibrillationfollow-up investigation of rhythm management. The affirmstudy design. Am J Cardiol 1997 ; 19 : 1198-202.

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14 Khand AU, Rankin AC, Kaye GC, Cleland JGF. Sytematicreview of the management of atrial fibrillation in patientswith heart failure. Eur Heart J 2000 ; 21 : 614-32.

15 Crijns HJGM, Tjeerdsma G, De Kam PJ, et al. Prognosticvalue of the presence and development of atrial fibrillationin patients with advanced chronic heart failure. Eur Heart J2000 ; 21 : 1238-45.

16 Haissaguerre M, Jais P, Shah DC, et al. Spontaneousinitiation of atrial fibrillation by ectopics beats originatingin the pulmonary veins. N Engl J Med 1998 ; 330 : 659-66.

17 Coplen SE, Antman EM, Berlin JM, et al. Efficacy andsafety of quinidine therapy for maintenance of sinus rhythmafter cardioversion. A meta analysis of randomized trials.Circulation 1990 ; 82 : 1106-16.

18 Lévy S, Breithardt G, Campbell RWF, et al. On behalf ofthe working group on arrhythmias of the European Societyof Cardiology. Atrial fibrillation: current knowledge andrecommendations for management. Eur Heart J 1998 ; 19 :1294-320.

19 Lévy S, Maarek M, Coumel P, et al. on behalf of the col-lege of French Cardiologists. Characterization of differentsubsests of atrial fibrillation in general practice in FranceThe ALFA study. Circulation 1999 ; 99 : 3028-35.

20 Prystowsky EN. Cardioversion of atrial fibrillation to sinusrhythm: who, when, how and why? Am J Cardiol 2000 ; 86 :326-7.

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22 Asplund K, Beermann B, Bergfeldt L, et al. Treatmentof atrial fibrillation. Recommendations from a workshoparranged by the medical products agency (Uppsala, Swe-den/and the Swedish Society of Cardiology). Eur Heart J1993 ; 14 : 1427-331112. Van Gelder IC, Crijns HJ, VanGilst WH, Verwer R, Lie KI.