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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 491—492 ÉDITORIAL Kératodermie palmoplantaire aquagénique et mucoviscidose Aquagenic palmoplantar keratoderma and mucoviscidosis La recherche clinique peut permettre de mettre en évidence de nouveaux signes, dont la découverte peut orienter vers un diagnostic de manière performante et économique. Ainsi, nous avons récemment étudié un signe clinique cutané permettant d’orienter vers une mucoviscidose (mais le diagnostic est en général déjà fait) ou vers sa transmission à l’état hétérozygote. La kératodermie palmoplantaire aquagénique (KPPA) a été décrite en 1996 par English et Mac Collough [1] : elle se traduit par l’apparition très rapide d’un œdème, de papules blanchâtres, d’une majoration des plis dermatoglyphiques, parfois accompagnée d’un pru- rit, voire de douleur après immersion des paumes et/ou des plantes dans l’eau (signe du seau). Une desquamation peut s’ensuivre. Une quarantaine de cas ont été rapportés. En 1974, Elliott avait remarqué un plissement exagéré des mains chez des enfants atteints de mucoviscidose (skin wrinkling in cystic fibrosis) [2]. Le premier cas argumenté de KPPA chez une patiente atteinte de mucoviscidose a été rapporté en 2000 [3], deux autres l’ont été depuis. Deux cas ont été signalés chez des patients hétérozygotes pour la mucovisci- dose [4] : il semble donc que la KPPA puisse être présente chez les patients atteints ou porteurs de mucoviscidose. Le but de notre étude [5] était de déterminer la fréquence de la KPPA chez les patients atteints de mucoviscidose. Le signe du seau a été recherché chez 27 patients suivis dans un centre de référence : les patients devaient immerger les mains dans l’eau pendant deux à trois minutes puis étaient examinés par un dermatologue. Le diagnostic de KPPA a été retenu chez 11 d’entre eux soit 41 %. Un seul patient avait consulté pour ce problème. Plusieurs patients n’avaient jamais remarqué les lésions, celles-ci étant fréquemment asymptomatiques (pas de douleur, pas de prurit). L’atteinte était particulièrement impor- tante chez les patients hospitalisés devant porter des gants, l’occlusion étant un facteur favorisant reconnu. Cette étude suggère que la fréquence de la KPPA est particulièrement élevée chez les patients atteints de mucoviscidose et qu’elle constitue donc un signe cli- nique de mucoviscidose. Elle a également été décrite chez des patients hétérozygotes pour la mucoviscidose. Elle est sous-diagnostiquée, car habituellement non recherchée. Le diagnostic est clinique. L’examen anatomopathologique peut être normal ou montrer une hyperkératose et une dilatation des orifices des canaux eccrines. 0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2009.03.002

Kératodermie palmoplantaire aquagénique et mucoviscidose

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Page 1: Kératodermie palmoplantaire aquagénique et mucoviscidose

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 491—492

ÉDITORIAL

Kératodermie palmoplantaire aquagénique et

mucoviscidose

Aquagenic palmoplantar keratoderma and mucoviscidosis

0151-9638/$ — see front matter © 2doi:10.1016/j.annder.2009.03.002

La recherche clinique peut permettre de mettre en évidence de nouveaux signes, dontla découverte peut orienter vers un diagnostic de manière performante et économique.Ainsi, nous avons récemment étudié un signe clinique cutané permettant d’orienter versune mucoviscidose (mais le diagnostic est en général déjà fait) ou vers sa transmission àl’état hétérozygote.

La kératodermie palmoplantaire aquagénique (KPPA) a été décrite en 1996 par Englishet Mac Collough [1] : elle se traduit par l’apparition très rapide d’un œdème, de papulesblanchâtres, d’une majoration des plis dermatoglyphiques, parfois accompagnée d’un pru-rit, voire de douleur après immersion des paumes et/ou des plantes dans l’eau (signe duseau). Une desquamation peut s’ensuivre. Une quarantaine de cas ont été rapportés. En1974, Elliott avait remarqué un plissement exagéré des mains chez des enfants atteintsde mucoviscidose (skin wrinkling in cystic fibrosis) [2]. Le premier cas argumenté de KPPAchez une patiente atteinte de mucoviscidose a été rapporté en 2000 [3], deux autres l’ontété depuis. Deux cas ont été signalés chez des patients hétérozygotes pour la mucovisci-dose [4] : il semble donc que la KPPA puisse être présente chez les patients atteints ouporteurs de mucoviscidose.

Le but de notre étude [5] était de déterminer la fréquence de la KPPA chez les patientsatteints de mucoviscidose. Le signe du seau a été recherché chez 27 patients suivis dans uncentre de référence : les patients devaient immerger les mains dans l’eau pendant deuxà trois minutes puis étaient examinés par un dermatologue. Le diagnostic de KPPA a étéretenu chez 11 d’entre eux soit 41 %. Un seul patient avait consulté pour ce problème.Plusieurs patients n’avaient jamais remarqué les lésions, celles-ci étant fréquemmentasymptomatiques (pas de douleur, pas de prurit). L’atteinte était particulièrement impor-tante chez les patients hospitalisés devant porter des gants, l’occlusion étant un facteurfavorisant reconnu. Cette étude suggère que la fréquence de la KPPA est particulièrementélevée chez les patients atteints de mucoviscidose et qu’elle constitue donc un signe cli-

nique de mucoviscidose. Elle a également été décrite chez des patients hétérozygotespour la mucoviscidose. Elle est sous-diagnostiquée, car habituellement non recherchée.Le diagnostic est clinique. L’examen anatomopathologique peut être normal ou montrerune hyperkératose et une dilatation des orifices des canaux eccrines.

009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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La physiopathologie n’est pas entièrement élucidée.ertains évoquent une altération de la couche cornée entraî-ant une augmentation de la capacité de fixation d’eauar la kératine, d’autres, une altération fonctionnelle outructurale transitoire d’éléments dans la couche cornéeesponsables de l’atteinte clinique. Plus précisément, larotéine CFTR, mutée dans la mucoviscidose, est un régula-eur des canaux ioniques chlore, sodium et potassium, ainsiue de la pression osmotique en eau par l’intermédiaire de’aquaporine 3 [6] et il faut donc plutôt rechercher de ceôté-là.

Il s’agit à notre connaissance de la première étude deréquence de la KPPA chez des patients atteints de mucovis-idose. Celle-ci est particulièrement fréquente (41 % dansotre série) et constitue donc un nouveau signe de muco-iscidose. Il pourrait être important en cas de présencee ce signe chez un patient sans mucoviscidose connue deechercher une mutation hétérozygote du gène CFTR afin deouvoir proposer un conseil génétique. L’étape suivante deotre travail sera de rechercher la fréquence de ce signehez les hétérozygotes.

éférences

1] English JC, Mac Collough ML. Transient reactive papulotrans-lucent acrokeratoderma. J Am Acad Dermatol 1996;34:686—7.

Éditorial

2] Elliott RB. Wrinkling of skin in cystic fibrosis. Lancet 1974;2:108.

3] Lowes MA, Khaira GS, Holt D. Transient reactive papulo-translucent acrokeratoderma associated with cystic fibrosis.Australas J Dermatol 2000;41:172—4.

4] Garcon N, Roguedas AM, Audrezet MP, Ferec C, Misery L. Kérato-dermie palmoplantaire aquagénique chez un sujet heterozygotepour la mutation �F508 de la mucoviscidose. Ann DermatolVenereol 2008;135:232—4.

5] Garcon-Michel N, Roguedas-Contios AM, Rault G, Le Bihan J,Ramel S, et al. Kératodermie palmoplantaire aquagénique : unnouveau signe clinique de mucoviscidose. Ann Dermatol Vene-reol 2008;135 hors-série:A106.

6] Schreiber R, Pavenstädt H, Greger R, Kunzelmann K. Aqua-porin 3 cloned from Xenopus laevis is regulated by thecystic fibrosis transmembrane conductance regulator. FEBS Lett2000;475:291—5.

L. Misery ∗, N. Garcon , A.-M. RoguedasService de dermatologie,

CHU de Brest, université de Brest,université européenne de Bretagne,5, avenue Foch, 29200 Brest, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(L. Misery).

Disponible sur Internet le 10 avril 2009