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CÔTE-D'IVOIRE DES DÉFIS À RELEVER AZERBAÏDJAN EUROVISION 2012, FAIRE ENTENDRE SA VOIX ÉDITH BOUVIER ET WILLIAM DANIELS : RESTER JOURNALISTES APRÈS LA TOURMENTE SYRIE

Libre Cours n°2

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La revue de Reporters sans frontières pour la liberté de l'information

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côte-d'ivoiredes défis à relever

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édith Bouvier et William daniels :

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En vues

1. christophe deloire, nouveau directeur général de reporters sans frontières

Longtemps journaliste au Point – grand repor-ter connu également pour ses enquêtes – après l’avoir été à TF1 (correspondant à Berlin) et à Arte, Christophe Deloire dirige depuis quatre ans l’une des grandes écoles de journalisme, le CFJ, à Paris. Il y était chargé non seulement du management mais aussi de la mutation numé-rique, du développement et de la communication. Il est aussi écrivain, auteur d’une demi-douzaine de livres d’enquêtes. Voilà bien le profil qu’il nous fallait pour diriger Reporters sans frontières. Car Christophe Deloire, diplômé de l’Essec, occupera à partir du mois de juillet le poste de Directeur général de Reporters sans frontières. Bienvenue à lui. La tâche est immense, le défi passionnant et Christophe a tous les atouts pour le relever.

2. le président alassane ouattara reçoit reporters sans frontières

« Je peux vous assurer que personne ne sera protégé », a affirmé le président Alassane Ouattara, devant Osange Silou-Kieffer et Repor-ters sans frontières, au terme de leur visite à Abidjan. Présents dans la capitale économique ivoirienne pour marquer le huitième anniversaire de l’enlèvement du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, son épouse et Reporters sans frontières ont fait part au chef de l’état de leur inquiétude concernant l’avancement de l’en-quête et ont demandé aux plus hautes autorités ivoiriennes de confirmer leur volonté de faire la lumière sur cette affaire.

3. 20 ans de photos pour la liberté de la presse

À l’occasion des 20 ans de sa collection d’albums « 100 photos pour la liberté de la presse », Reporters sans frontières a réuni le 3 mai, à l’école nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, les photographes mis à l’honneur dans ses albums édités depuis 1992. En pré-sence de Charlotte Rampling, marraine de cet anniversaire, Dominique Issermann, Sabine Weiss, Reza ou encore Patrick Chauvel ont posé pour l'association devant l'objectif d'Emanuele Scorcelletti, et témoigné de leur engagement pour la liberté de la presse.

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Du calme !Dominique Gerbaud Président de Reporters sans frontières

Jamais campagne électorale ne s’était déroulée dans d’aussi mauvaises conditions pour les journalistes. Jamais ils n’ont eu autant de mal à accé-der à l’information, aux sources, aux acteurs. Les confrères qui suivaient les candidats sont de plus en plus souvent parqués devant des écrans, ins-trumentalisés pour lancer puis alimenter des polémiques de bas étage. Il y eut plus grave. Les journalistes furent accusés de s’en tenir aux détails, de rechercher les divergences, d’aller chercher la petite bête, de ne pas relayer correctement la pensée et le programme des candidats. En un mot, de mal faire leur métier.

Jamais les journalistes n’ont été à ce point vilipendés par les candidats ou leurs proches. Jamais ils n’ont été à ce point pris à partie, parfois physi-quement, par les supporters des candidats (lire page 7). Les vaincus – de gauche et de droite – se cherchaient un bouc émissaire, un responsable de leur échec. Ils l’ont trouvé : la presse qui, partisane, aurait failli à relayer leurs engagements.

Certains diront que le reproche n'est pas nouveau, qu’il y a toujours eu des malentendus entre les dirigeants politiques et les médias. En 1991, l’Asso-ciation de la presse présidentielle organisait une journée de réflexion, au Sénat, sur le thème « Hommes politiques, journalistes politiques, expli-quons-nous ! ». nouvelle en revanche, et inquiétante, est la forme des attaques et des vindictes. Ce n’est plus en privé que les hommes politiques se plaignent des journalistes, c’est en public, dans leur discours.

Ils n’hésitent plus à dénoncer, à désigner des journalistes présentés comme des écrivassiers barbouilleurs de mauvais augure, des échotiers porteurs de ragots. Les hommes et femmes politiques n’ont plus la retenue qu’ils observaient jusqu’à présent à l’égard de la presse et livrent en pâture toute une profession. Là réside le danger. Car ces attaques semblent justifier des agressions physiques aux yeux de certains militants.

Ce n’est pas la profession que nous voulons ici défendre car nous ne sommes pas un syndicat de journalistes. C’est la liberté d’informer que supportent de plus en plus mal les politiques. Reporters sans frontières a publié un Pacte pour la liberté de l’information (voir notre rapport à ce sujet) dans lequel nous demandons aux hommes politiques de respecter les journalistes. Car en s’en prenant à ce point aux médias, c’est la démo- cratie qu’ils fragilisent. notre équilibre démocratique repose en partie sur la confiance que les citoyens ont dans leur presse. Que l’on insuffle rébel-lion contre les journalistes et c’est l’édifice républicain que l’on met en péril.

nous ne prétendons pas que la profession soit exempte de reproches. Bien au contraire. Les Français s’interrogent sur les travers des journalistes et cette course à l’audimat qui ne sert pas l’information. nous pensons que les journalistes devront eux aussi s’interroger, un jour ou l’autre – mais dans quel cadre ? – et faire leur examen de conscience. Mais à froid et dans la sérénité. Dans le calme.ÉDIT

O« Que l’on insuffle rébellion contre les journalistes et c’est l’édifice

républicain que l’on met en péril.»

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William Daniels, photographe

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Homs, quartier de Bab Amru, 22 février 2012. Onze obus tombent en quelques heures sur le centre de presse d’où sor-tent les nouvelles des médias étrangers présents. Le photographe français Rémi Ochlik et la journaliste américaine Marie Colvin sont tués sur le coup. Présents à proximité du lieu de l’explosion, la jour-naliste française édith Bouvier et le pho-tographe britannique Paul Conroy sont blessés. William Daniels, photographe français, et Javier Espinosa, journaliste espagnol, en sortent indemnes.Une fois les blessés à l’abri, grâce au

courage des habitants et combattants du quartier, l’urgence est de donner des nouvelles. « On a réfléchi à qui on devait téléphoner en premier. On a pensé certes à nos familles, nos amis. Et puis édith a pensé à vous, Reporters sans frontières. On s’est dit que vous sauriez quoi faire », raconte William. Accompagné d’un jeune citoyen journaliste du quartier, le pho-tographe est allé trouver une connexion Internet. En plein après-midi. À découvert. Des snipers ouvrent le feu. William est conduit dans un petit appartement, équi-pé d’un ordinateur avec une connexion

Internet très faible. « Comme je n’avais que des numéros de téléphone person-nel, j’avais besoin d’une adresse avec du crédit sur skype pour appeler ». ne pas être autonome, ne pas comprendre la langue, dépendre des autres pour garan-tir sa propre sécurité a été pour lui une source d’angoisse importante.

Tandis que William se sent porter la lourde responsabilité du sort d’édith, édith, elle, doit lutter contre un terrible sentiment d’impuissance. « L’impres-sion d’être un mollusque dans un ca-napé a été le plus horrible pendant ces neuf jours », confie-t-elle. « Si William et Javier avaient la responsabilité de moi blessée, je me sentais responsable d’eux, valides. Chaque fois que William partait pour le centre de presse, j’avais peur. Et s’il ne revient pas  ? S’il reste bloqué là-bas ? Autant de questions que je n’arrêtais pas de ressasser. Il fallait qu’il y aille, mais en même temps ça me flanquait une trouille bleue ». Immo-bilisée, édith a tout de même pu lire, grâce à l’entremise de William, le mail reçu d’une amie et un message Skype laissé par son frère. « Je les relisais sans fin. C’est fou comme on s’accroche à un mail ! ». Dans les jours qui suivent, jusqu’à l’exfiltration des deux jeunes gens vers le Liban, le contact avec l’exté-rieur est impossible. Au retour à Paris surgissent les marques de l’épreuve.

éDith Bouvier et William Daniels : rester journalistes après la tourmente

S y r I e

Coincés sous les bombardements de Homs, en février dernier, édith Bouvier et William Daniels reviennent sur ces neuf jours durant lesquels les médias internationaux ont été suspendus à leur sort. Avant d’oublier un peu vite le calvaire des Syriens.

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édith bouvier, journaliste

Soazig Dollet Responsable du bureau Moyen-Orient

Population : 22 200 000 habitants

176e sur 179 dans le classement mondial de la liberté de la presse Prédateur de la liberté de la presse : Bachar El-Assad

Baromètre de la liberté de la presse au 11 mai 2012 : 4 journalistes tués 20 journalistes emprisonnés 6 net-citoyens et citoyens-journalistes emprisonnés 1 collaborateur tué

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Terr. Palestiniens Jordanie

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« En voyant mon visage,

les gens pensaient aux massacres

en Syrie. »

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Marche de journalistes contre la violence. Mexico, 2011.

égérie malgré elle« Psychologiquement je vais bien, sauf quand des personnes que je ne connais pas me sautent dessus pour me poser la question », explique édith, à l'abri des médias pendant son séjour à l'hôpital. « Si je n’avais pas cette blessure, je ne pense pas que je réaliserais ce que nous avons vécu », ajoute-t-elle, lucide. La jeune femme doit composer avec le sym-bole qu’elle est devenue, malgré elle. « Les gens se sont impliqués émotion-nellement pour moi. Je suis devenue, malgré moi, une sorte d’icône, parce que femme, parce que blessée. En voyant mon visage, les gens pensaient aux mas-sacres en Syrie. Du fait de cette émotion collective, ils se permettent des choses que mes amis proches n’oseraient pas. »

Grâce à édith Bouvier, le calvaire syrien a repris une large place à l’antenne des médias. Mais pas comme la journaliste l’aurait souhaité. « Une fois rentrée, je voulais éviter à tout prix la médiatisation.

Je ne veux pas être instrumentalisée et devenir l’égérie de la Syrie. Je reste jour-naliste. Mon rôle à moi est de raconter des histoires et de mettre en avant la souffrance des Syriens. Pas la mienne. Mon image ne doit pas occulter ce qui se passe là-bas. Je veux qu’on parle des Syriens. nous, notre enfer n’a duré que neuf jours. Le leur se poursuit depuis plus de quatorze mois. nous, on a perdu un ami. Et eux ? »

Depuis, édith Bouvier a accepté la pro-position de Flammarion d’écrire un livre. « La rencontre avec l’éditrice s’est bien passée », assure-t-elle, fidèle à son

éthique. « Elle est, certes, d’accord pour que je parle de mon vécu, mais aussi des Syriens et de leurs souffrances de-puis un an, tout comme de la condition des freelance dans des zones de guerre. La rédaction de ce livre n’est pas facile. Il faut se raconter, se mettre à nu. C’est une aventure. Un pari. Je ne fais pas ce métier pour parler de moi mais pour té-moigner. » La jeune femme n’oublie pas non plus ses compagnons d’infortune. « Je viens de rendre le premier chapitre, intitulé « L’explosion ». Le prochain sera sur Rémi (Ochlik). J’ai envie qu’il ait une place dans ce livre. Pour qu’on ne l’oublie pas, d’autant qu’il a rapidement disparu des médias. »

Rentré en France, William Daniels a, quant à lui, rapidement repris l'appareil photo et les chemins de traverse. Il est récemment parti pour la Géorgie, tra-vailler sur le thème de la drogue. Pour continuer à « bosser sur de l'humain ».

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Francela campagne présiDentielle sur un air D’amérique latineDans la dernière ligne droite d’une campagne tendue, certains journalistes ou médias auront subi des assauts militants allant jusqu’à l’agression, venant notamment du camp vaincu. Une situation qui n’est pas sans rappeler une réalité quotidienne dans certains pays du Sud.

Benoît Hervieu responsable du bureau amériques

Rarement, en effet, journalistes et médias n’auront été à ce point contraints à devenir malgré eux les acteurs d’une campagne dont ils se voudraient norma-lement les témoins (lire éditorial page 3). naturelle en temps de campagne, la pola-risation médiatique aurait dû se limiter à la joute éditoriale, écho nécessaire du duel au sommet. La fragile limite a connu une brèche dangereuse à l’entame de la semaine décisive du 1er mai.

Divisée comme l’opinion en trois cortèges, la fête du travail n’offre guère de répit à des journalistes en immersion dans un camp mais suspectés d’appartenir à l’autre. Boulevard Saint-Michel, Jean-Luc Mélenchon règle ses comptes avec une équipe du Petit Journal de Canal +, à qui il recommande de rejoindre le Front national aux Tuileries : « Vous êtes la vermine Fn ! », explose le tribun du Front

de gauche, qu’on savait habitué aux coups de gueule contre la profession. L’affaire s’arrête heureusement là. Rive droite, c’est une autre histoire. Sur l’esplanade du Trocadéro autour de nicolas Sarkozy, il ne fait pas bon être journaliste parmi les militants UMP, et encore moins appartenir à Mediapart,

à l’origine d’une dernière révélation sur le financement libyen de la campagne de 2007 du président sortant. Bousculée, injuriée et dépossédée de son badge de presse, Marine Turchi subit en direct cinq ans de foudres du pouvoir contre le site indiscipliné. Un cas isolé ? Certes pas. Geneviève

de Cazaux, ancienne de TF1 (et ancienne candidate UMP), confiera plus tard avoir connu le même désagrément. Le surlendemain à Toulon, les soutiens de nicolas Sarkozy gratifient de crachats et de jets de bouteilles Ruth Elkrief et

Thierry Arnaud, de BFM TV, peu suspecte de gauchisme.

Au terme d’un quinquennat marqué par l’ambivalence vis-à-vis des médias d’un président lui–même très médiatique, l’agressivité physique envers les journa-listes va-t-elle se banaliser, ou retomber dans les mauvais souvenirs d’après scru-tin ? La seconde option est à souhaiter, alors que le constat de la première laisse craindre une nouvelle époque, où les médias seraient perçus comme vitrines de l’adversaire politique, et où les jour-nalistes deviendraient l’objet régulier de la vindicte militante. Dérive dangereuse et qui a cours actuellement sur le conti-nent latino-américain, où les journalistes eux-mêmes alimentent parfois la haine entre confrères, voire la guerre de média à média, public contre privé, « progou-vernemental » contre « dissident ». Sans atteindre cet extrême, la campagne pré-sidentielle avait, en 2012, tendance à s’en approcher.

« Il ne fait pas bon être journaliste parmi les

militants. »

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MONDEMonde

la presse ivoirienne à l’heure Des Défis, un an après la chute De laurent gBagBo

c ô T e D ' I v O I r e

La première année au pouvoir d'Alassane Ouattara offre un bilan mitigé. Journalistes incarcérés, rédactions temporairement occupées par l'armée, presse toujours très partisane. Les motifs de satisfaction sont rares.

Le 13 avril 2011, deux jours seulement après l’arrestation de Laurent Gbagbo à Abidjan, le nouvel ambassadeur de la Côte-d’Ivoire à Paris, Ally Coulibaly, déclarait à Reporters sans frontières : « nous ne ferons pas les mêmes erreurs. Le président Ouattara tient à ce que chaque journaliste puisse faire son travail sans être inquiété ». Une déclaration qui n'a pas empêché les déconvenues. Un an plus tard, les défis restent à relever.

le défi de la liberté Pendant la première année au pouvoir d'Alassane Ouattara, un journaliste de la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI), Her-mann Aboa, a été incarcéré pendant cinq mois. Une situation d'autant plus injuste que la loi de 2004 sur la presse évite aux journalistes toute peine de prison. Le directeur du quotidien Notre Voie et deux de ses collaborateurs ont également pas-sé treize jours derrière les barreaux, en fin d'année.

le défi de la réconciliationDevenu directeur général du quoti-dien public après l'accession au pouvoir d'Alassane Ouattara, Venance Konan confiait à un hebdomadaire français :

« La presse pro-Gbagbo a rouvert. C'est nous, à Fraternité Matin, qui imprimons Le Temps, journal d'opposition. Au début, les proches de Gbagbo avaient peur que je les mange. Au bout de dix mois, ils ont com-pris qu'ils pouvaient avoir leur opinion. » Mais le journaliste est lucide. La presse écrite reste très polarisée et partisane, souvent virulente, parfois violente.

le défi de la libéralisation de l’audiovisuelReste l’épineuse question de la RTI, ce groupe public souvent utilisé, quelle que soit l'époque, comme un outil de propagande pour le pouvoir en place et toujours en situation de quasi-monopole. Il n'existe en effet pas d'autres chaînes hertziennes de télévision que la RTI 1 et la RTI 2. Le chantier de l’ouverture à la concurrence a été confié à l'ancien ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané, qui dirige aujourd'hui la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). La naissance des premières chaînes de télévision privées est prévue cette année.

Ambroise Pierre Responsable du bureau Afrique

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Population : 22 millions d’habitants

Chef de l’état : Alassane Ouattara, élu le 28 novembre 2010 mais investi le 4 mai 2011 après cinq mois de crise ouverte

159e sur 179 dans le classement mondial de la liberté de la presse de la presse

Abidjan classée parmi les 10 lieux les plus dangereux au monde pour les journalistes dans le bilan 2011 de Reporters sans frontières

Côte d’ivoire

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Guinée équatoriale

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GuinéeGuinéeBissau

SénégalGambie

MauritanieNiger

NigeriaBénin

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Monde

sous les projecteurs, le Despotisme et l’information sous tutelle

A z e r b A ï D j A n

La façade est brillante, voire clinquante. C’est avec faste que l’Azerbaïdjan se pré-pare à accueillir le concours Eurovision de la chanson, fin mai 2012. Les autorités ont dépensé des centaines de millions de pétrodollars pour cet événement qui consacre leur offensive de charme sur la scène internationale. Aucun effort n’aura été épargné pour « vendre » au monde l’image d’un pays moderne, dynamique et ouvert. Un nouveau Dubaï au rythme de croissance effrénée, aux discothèques branchées, aux plages accueillantes. Un paradis pour les investissements, à con-dition de ne pas être trop regardant sur la corruption triomphante.

Un paradis, l’Azerbaïdjan ne l’est certai-nement pas pour les journalistes. ni pour les droits de l’homme en général. À la 162e place sur 179 dans le dernier classe-ment mondial de la liberté de la presse, ce petit pays compte à lui seul deux des

41 prédateurs de la liberté d’informer identifiés par Reporters sans frontières à travers le monde. Le président Ilham Aliev, dictateur omnipotent qui a repris de son père les rênes du pays, ne tolère aucune critique contre son pouvoir ou sa famille. Son fidèle associé, Vasif Talibov, expérimente dans la région isolée du nakhitchevan, connue comme « la Corée du nord de l’Azerbaïdjan », les méthodes répressives les plus poussées. Contrô-lant la plupart des activités économiques rentables, les deux hommes et leurs clans ont mis le pays en coupe réglée.

L’ensemble de l’audiovisuel est acquis aux autorités, et les rares titres de presse indépendante ne circulent guère hors de la capitale. La situation des médias s’est encore détériorée avec la violente répression des manifestations pro- démocratiques qui ont secoué le pays au printemps 2011, dans le sillage des

révoltes arabes. Arrestations de blogueurs, passages à tabac, enlève-ments de journalistes d’opposition, expulsions de médias étrangers… La poignée de journalistes indépendants restants est régulièrement la cible de menaces et de campagnes de calom-nie. Les assassinats des journalistes critiques Elmar Huseynov en 2005 et Rafik Tagi en 2011 demeurent à ce jour impunis, tout comme les agressions dont sont régulièrement victimes les profes- sionnels des médias.

En braquant les projecteurs sur le pays, les autorités ont également donné à la société civile une occasion inespérée de faire entendre sa voix. À la presse inter-nationale de ne pas se laisser guider par les projecteurs du pouvoir.

Johann Bihr Responsable du bureau Europe et Asie centrale

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RAgil, peux-tu nous dire brièvement com-ment tu as été contraint à l’exil ? » Mes investigations sur des cas de corruption et des activités illégales ont commencé à me valoir des ennuis avec les services secrets en 2008. J’ai été agressé une première fois le 22 février, puis poignardé début mars, et quelques semaines plus tard, j’ai été poussé de-vant le métro à Bakou. La justice a mené des enquêtes absurdes et de mauvaise foi, qui se sont retournées contre moi. Je ne pouvais plus respirer. J’ai décidé de quitter le pays, non sans mal. Je vis au-jourd’hui à Paris, où j’ai obtenu le statut de réfugié politique.

Dans quelles conditions tes collègues et amis continuent-ils de travailler sur place ? » Il est très difficile de travailler pour un journal comme Azadlig, le quotidien

d’opposition qui m’employait, ou pour un média indépendant. Il faut oublier sa famille. Mon rédacteur en chef, Ganimat Zahid, a passé plusieurs années en pri-son, tout comme son frère, Mirza Sakit. Ils continuent à recevoir des menaces jusqu’à présent. Deux collègues ont été enlevés et intimidés au printemps 2011, d’autres encore ont fait l’objet de cam-pagnes de discrédit à caractère sexuel.

Qu’attends-tu de la presse internationale à l’approche de l’Eurovision ?» L’Eurovision offre une chance unique de faire connaître la réalité de l’Azer-baïdjan. Mais il est très important pour la société civile que l’attention internatio-nale ne retombe pas, que les efforts se poursuivent sur le long terme.

agil Khalil, journaliste azerbaïdjanais en exilfOcuS

Propos recueillis par : Johann Bihr Responsable du bureau Europe et Asie Centrale

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la liste Des ennemis De la liBerté D’informer s’allonge De six nouveaux memBres

Si elles ont fait tomber certains dictateurs, les révoltes populaires de 2011 n’ont pas réduit le nombre global de prédateurs de la liberté d’informer.

prÉDATeurS

un nouveau format signé martin parr Publié le 3 mai 2012, à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, le dernier album publié par Reporters sans frontières porte la signature de Martin Parr. En cent photos sur le thème du tourisme, le prestigieux photographe britannique pose un regard tendrement cruel sur ces hommes et femmes de passage dans un pays dont ils ne retiennent le plus souvent que la face la plus visible. Au contraire des journa-listes. Un clin d’œil, donc, qui coïncide avec le vingtième anniversaire du lan-

cement de cette collection des grands noms de la photographie, qui constitue l’une des principales sources de fonds pour Reporters sans frontières. Avec Martin Parr, l’album fait peau neuve, agrémenté d’un nouveau format et d’une nouvelle maquette. L'association renou-velle son projet éditorial et propose de nouvelles rubriques entièrement dédiées à la photographie. Fenêtre ouverte sur la création contemporaine, Reporters sans frontières part à la rencontre de jeunes photographes et photoreporters engagés.

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DAnSl’actu

Le sinistre cénacle, porté à 41 membres en 2012, compte six nouveaux membres : le groupe islamiste nigérian Boko Haram ; le Conseil suprême des forces armées en égypte, qui a succédé au dictateur déchu Hosni Moubarak ; le ministre de l’Information, des postes et des télécom-munications du gouvernement fédéral de transition en Somalie ; Vasif Talibov, di-rigeant de la région du nakhitchevan en Azerbaïdjan ; les services de renseigne-ment au Pakistan ; et enfin Kim Jong-un, successeur de son père, King Jong-il, en Corée du nord.

Six pays supportent la présence de deux prédateurs. Ainsi, la Somalie, où sévit également la milice islamiste Al- Shabaab. Au Pakistan, les journalistes endurent à la fois la menace des ser-vices de renseignements et celle des talibans. Vasif Talibov, lui, s’inspire des méthodes répressives du président de la République azerbaïdjanaise Ilham Aliev. En Russie, Vladimir Poutine peut compter sur son « chien de guerre » Ramzan Kadyrov, président de la Tchét-chénie. En Palestine, les journalistes subissent le joug des forces de sécurité

de l’Autorité palestinienne d’un côté, et du gouvernement du Hamas à Gaza de l’autre. Enfin, en Iran, les rivalités entre le Guide suprême Khameneï et le président Ahmadinejad n’améliorent en rien le sort des journalistes d’opposition.

Plus d'informations sur www.rsf.org

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mission De reporters sans frontières Dans les régionsÀ l’occasion d’une mission dans les régions sud et ouest de la Tunisie, Reporters sans frontières est allée à la rencontre des journa-listes, des blogueurs et des défenseurs des droits de l’homme des zones les plus recu-lées du pays. Depuis le 14 janvier 2011, l’in-formation y circule librement sans être, au préalable, contrôlée et distillée par le puissant réseau de surveillance mis en place sous Habib Bourguiba et consolidé par Zine el Abidine Ben Ali.

Pourtant, beaucoup reste à faire. Le dévelop-pement des médias régionaux est un enjeu essentiel pour la bonne gouvernance et l’avenir de la démocratie tunisienne. Pour apporter son soutien aux nouvelles radios privées et commu-nautaires qui commencent à émerger dans le pays et faciliter le travail des journalistes sur le terrain, Reporters sans frontières a distribué des kits de matériel radiophonique. L’organi-sation a assisté au procès de deux blogueurs, gérant une web-radio à Médenine, au sud du pays.  La mission a également permis à l’orga-nisation de consolider son réseau de corres-pondants locaux, relais d’information actif pour le bureau de l'organisation à Tunis. Basés à Gafsa, Gabès, Kasserine et Sidi Bouzid, les cor-respondants permettent à l’organisation d’être rapidement avisée des atteintes à la liberté de la presse encore nombreuses dans le pays.

Bruit inéDit Dans les « trous noirs » Du net

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TunISIe

Difficile, pour les régimes rom-pus à la surveillance en ligne et au piratage informatique, d’imposer le silence total. Téléphones portables et réseaux sociaux ne se laissent pas si facilement dompter par le « black-out » des despotes. L’onde de choc des « Printemps arabes » se fait même sentir dans les pays réputés les plus fermés.

Le « royaume ermite » de la Corée du nord, où Kim Jong-un assure désor-mais la succession dynastique, laisse entrevoir des failles. Certains rive-rains de la frontière chinoise trouvent le moyen d’accéder au réseau mobile du grand voisin. Au Turkménistan, l’explosion meurtrière d’un dépôt d’armes à Abadan, dans la banlieue d’Achkhabad, en juillet 2011, a mar-qué le début d’une guerre de l’infor-mation 2.0. Pour la première fois, des net-citoyens sont parvenus à poster sur Internet de simples vidéos réali-sées grâce à leurs portables et à les répercuter à l’extérieur.

Les « Printemps arabes » nourrissent, de la même manière, les espoirs de la diaspora érythréenne. Le terrible régime d’Asmara apparaît quelque peu dépassé par l’influence du net sur les érythréens de l’étranger. À travers des organisations comme Eritrean Youth for Change (EYC) et Eritrean Youth Solidarity for Change (EYSC), ces derniers ont appelé leurs compatriotes de l’intérieur à « vider les rues » d’Asmara dans le cadre de l’opération Arbi Harnet (Freedom Friday), au début du mois de février dernier. Des SMS et des emails ont été envoyés à la population. Plus de 10 000 abonnés de la page Facebook de EYSC et de EYC ont été sollicités. Un espoir, réel mais ténu, alors que les mêmes régimes, avec d’autres, accentuent la répression physique pour tenter d’occulter leur fébrilité.

Lucie Morillon Responsable du bureau Internet et nouveaux Médias

l'AGENDA

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20 juin 2012

Journée mondiale des réfugiés

13 septembre 2012

Sortie de l'album "100 photos de Steve McCurry pour la liberté de la presse"

3 octobre 2012

lancement du site wefightcensorship.org

8 au 14 octobre 2012

Prix Bayeux-Calvadosdes correspondantsde guerre

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Astrid Scaramus, 37 ans, chef de projet multimédia et illustratrice jeunesse au sein d’un groupe de presse, soutient par ses dons les actions de Reporters sans frontières depuis trois ans.

« même en france, la liBerté D’expression a été entamée »

Pourquoi avoir choisi de soutenir Reporters sans frontières ?» Je suis foncièrement attachée à la liberté d’expression. Et il y a tant à faire. À mon retour d'un voyage à Cuba, je me suis questionnée sur ce que je pouvais faire à mon niveau. Là-bas, l’information ne sort quasi-ment pas du pays et les Cubains ne la reçoivent pas ou de manière extrê-mement filtrée.

Qu’avez-vous retenu de votre voyage à Cuba ?» Beaucoup de touristes voyagent à Cuba sans se rendre compte du sort des citoyens de ce pays, qui font des heures de queue pour manger ou circuler. Un jour, j’ai tenté de mon-nayer la remise en liberté d’un Cubain arrêté sous mes yeux ! Parce que

nous discutions ensemble, il avait été accusé de me vendre des cigares au marché noir et incarcéré sur le champ. Je connaissais le travail de Reporters sans frontières auprès des journalistes. J’ai voulu soutenir davantage l’organisation.

Et demain ?» Je compte soutenir Reporters sans frontières dans la durée et à hauteur de mes moyens. L’information que je reçois sur ses actions est régulière et transparente. Cette cause nous engage tous. nous bénéficions de beaucoup plus de libertés que dans d'autres pays. Or, même en France, la liberté d'expression a été sérieuse-ment entamée ces dernières années.

InTervIew

libre cours la revue de reporters sans frontières pour la liBerté de l'information - Publication trimestrielle - Prix 2 € - Abonnement un an : 6 € - n°ISSn 1814-8190 - Directeur de publication : Olivier Basille - Rédacteur en chef : Benoît Hervieu - Directeur de la communication : Alexandre Jalbert - Directrice du développement des ressources : Perrine Daubas - Impression et routage : Imprimerie Chauveau - 2 rue du 19 Mars 1962 - 28630 Le Coudray - Conception graphique : Claire Béjat - édité par Reporters sans frontières - Association loi 1901 reconnue d’utilité publique - 47 rue Vivienne - 75002 Paris - Tél : 01 44 83 84 84 - E-mail : [email protected] - Site : www.rsf.org - Dépôt légal à parution

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Propos recueillis par : Camille Lacoste-Mingam bureau Mécénat

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